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BIBEBOOK CHARLES BARBARA LE BILLET DE MILLE FRANCS

Barbara Charles - Le Billet de Mille Francs

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    CHARLES BARBARA

    LE BILLET DE MILLEFRANCS

  • CHARLES BARBARA

    LE BILLET DE MILLEFRANCS

    1857

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1184-3

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

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  • LE BILLET DE MILLE FRANCS

    L fort avance, plus de voitures et plus de passants,tout dormait. Je montais lentement mon quartier, abm dansles rexions les plus tristes. Jtais bout de ressources, ja-vais lass la bonne volont de mes amis, jen tais ce degr de misrequon cache comme une honte ou quon navoue qu force dhumilit, moins que ce ne soit force dorgueil, et je rentrais dsespr aprs unejourne de dmarches vaines. Je nesprais plus quen un miracle. Javaisla tte penche, mes yeux ne se xaient sur rien. . . Ils furent airs danslenfoncement de deux devantures par un petit objet noir. Je me baissai.Ctait un portefeuille, peu prs de la grandeur dun porte-monnaie.Il ny a quun instant, je mtais dit : Si je pouvais trouver un billet debanque ! et javais, pendant quelques minutes, cherch minutieusementsur le trooir, ramassant tous les chions de papier que japercevais. Ja-vais bientt rougi de ma soise et dlaiss cee besogne pour revenir des ides qui cadrassent mieux avec le sens commun. Or, ctait prcis-ment linstant o je songeais dautant moins trouver quelque choseque tout lheure lide men avait paru plus absurde, que je touchais unportefeuille de la main. Ce que jprouvai est impossible dire.

    Bien des fois javais rchi une situation analogue, mais je ne m-

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  • Le billet de mille francs

    tais fait quune ide trs-incomplte de lmotion que je ressentais alors.Jeus une faiblesse qui se traduisit en froid dans la moelle, en sueur surle front, en tremblement nerveux, en tourbillons dans la tte et en bae-ments de cur mtouer.

    La rexion me rendit subitement calme. Javais si peu foi en un ha-sard heureux, que je fus convaincu de ne trouver que des papiers insi-gniants dans le portefeuille. Je le mis dans ma poche et continuai monchemin, fort proccup du reste.

    Je neus pas fait quelques pas, que je vis au loin, la lumire du gaz,un homme venir de mon ct. Lagitation me troublait les yeux. Il mesembla que cet homme se baissait et cherchait quelque chose. Je suis per-suad actuellement que cela ntait pas. Mais alors lillusion fut telle quejen eus une peur excessive. Je mimaginai tout dun coup et que javaisaaire au matre du portefeuille, et que ce portefeuille contenait des va-leurs importantes. Je veux tre sincre : un sentiment trs-malhonnteme poussa spontanment dans lesprit. Je s volte-face et me mis cou-rir de toutes mes jambes sans savoir o jallais. Dans mon vertige, lesoreilles me tintaient, ma respiration faisait un bruit analogue celui dunsouet de forge, ce qui me t penser un moment quon me poursuivait,et je faillis me trouver mal. Ces cauchemars o lon essaye de se sauvermalgr linertie des membres, ne font certes pas tant sourir. Aprs unecourse folle travers vingt rues, jarrivai enn ma maison, dont jarra-chai la sonnee. Je me jetai dans la porte et la fermai derrire moi avecune violence fbrile ; l, je marrtai un peu pour respirer.

    Mes jambes pliaient sous moi. Je maccrochai la rampe et montailes marches une une. Le sang de mon cur sautait comme une chvreet semblait me faire sur la poitrine de grosses cloques, analogues cellesdune pte qui bout. La mme rexion qui mavait dj calm me calmaune seconde fois. Je suis fou, il ny a rien dedans, me dis-je. Jentraichez moi plus tranquille. Je massis devant une table et tirai le porte-feuille de ma poche. Je remarquai que, quoi que jen eusse, mes mainstremblaient comme aaques subitement de paralysie. . .

    Ctait un petit portefeuille en peau chagrine, couleur vert de bou-teille, sans ferrure. Jamais lecture du meilleur roman ne me causa un in-trt plus vif. Il y avait quatre poches, dont une ferme par une languee.

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  • Le billet de mille francs

    Je ne respirais quavec peine. Je vidai les trois poches ouvertes, quicontenaient simplement : 1 une quiance de loyer ; 2 deux leres ; 3la reconnaissance dune somme de trois cents francs prte ; 4 un boutde taetas pour les coupures ; 5 un doigt de trs-vieille dentelle ; 6 larecee dune tisane rafrachissante ; 7 le mmoire dun artiste en che-veux. Restait la poche ferme. Je louvris, singulirement refroidi par latrouvaille des pices ci-jointes. Javais tort, car jen tirai, et une motionpuissante traversa ma chair comme un courant dlectricit, un billet demille francs pli en quatre.

    Oh ! quelle sensation ! Je ne sais plus combien de temps je restai en ex-tase devant ce petit papier soyeux, vein, satin, dont les leres M,I,L,L,E,F,R,A,N,C,S, mentraient par les yeux comme des lames de rasoir. Une joieimmense menvahit. Cest peine si dabord il me vint lesprit que cebillet pt ne pas mappartenir. Je dlirai. Mille francs ! mais cest la for-tune ! O Providence ! cest incroyable ! mille francs ! Comment, jai millefrancs ! Oh ! l l. Ces lans surprennent. Mais sait-on ce que la posses-sion imprvue dune somme dargent peut souer de plat et de dgotant un malheureux dont la misre a rtrci le cerveau et gt le moral ? Jene puis me rappeler tous les calculs, toutes les combinaisons auxquellesje me livrai, tous les rves et les vingt romans que je s alors dune traite.Ce dont je me souviens bien, cest que ma joie, si vive que jen avais lavre, ne tarda pas tre traverse par des sensations atroces. Un hommeaime une femme la folie. il la tienne dans ses bras, quil soit certainden tre aim, et il meurt de bonheur ; mais quil doute delle, quil lasuppose sur le cur dun autre, et aucun supplice nest comparable satorture. Jtais en bue aux mmes preuves. Cela mappartient ! medisais-je, et ctaient des motions dun charme indicible. Linstant da-prs, je doutais de la lgitimit de mon droit, et je sourais plus quundamn. elle veille ! Il nen faudrait pas beaucoup de semblables pourtuer un homme. Je ne dormis quau jour, la force du besoin.

    Au rveil, javais lesprit plus lucide ; jenvisageai la chose dun pointde vue qui diminua de beaucoup mon contentement. Je ntais pas mort toute honntet et, en dpit de moi-mme, il fallait couter ce que medisait la conscience. Parmi les pauvres dargent, il en est bien peu quinaient song trouver quelque chose et qui ne se soient dit galement

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  • Le billet de mille francs

    le soir, en rentrant chez eux, fatigus et dsesprs : Si je pouvais trou-ver un billet de banque ! Rien de commun comme les discussions sur cesujet. Les gens qui nont pas une probit primesautire, spontane, maisqui nont au contraire quune probit relative, calcule, de circonstance,raisonnent tous peu prs de la mme manire. On a vingt fois entendudire, aux termes prs : Si je trouvais un billet de banque, que ferais-je ?Je le merais en sret, puis jaendrais. Je prendrais des renseignementsexacts sur la personne qui la perdu et la position sociale de cee per-sonne. Si javais aaire un pauvre diable, un homme comme moi, uncommis ou un garon de recees qui devraient en supporter la perte, un petit commerant que cee perte ruinerait, un rentier ou unerentire dont cee somme reprsente lexistence, etc., JE LE RENDRAIS ;mais sil sagissait dun banquier, dun Rothschild, dun de ces hommesqui allument leurs cigares avec des bank-notes, cest une manire deparler, qui gagnent dun coup de let des deux et trois cent mille francs,oh ! alors, JE LE GARDERAIS. Plutt que de le rendre un tel personnage,je prfrerais le brler. En le gardant, quel tort lui ferais-je ? en serait-ilplus ou moins riche ? ses aaires en iraient-elles moins bien ? lconomiede sa vie en serait-elle drange seulement dun ftu ? Oui, certes, je legarderais.

    Je napprcie pas la moralit de ce raisonnement. Ce que je constate,cest que sur cent personnes qui sabandonnent ces rves, quatre-vingt-dix-neuf au moins professent cee thorie ; car ce nest pas prcismentpour rendre quon souhaite de trouver quelque chose. Par la force duneimpulsion irrsistible, je pouvais tre au moins class dans cee catgoriede trouveurs. Javais donc menqurir de la personne qui avait perdule portefeuille, et cee obligation maigeait fort. Je craignais que mesrecherches naboutissent qu me dcouvrir quelque malheureux ruin etpeut-tre dshonor par cee perte.

    Je pensai, avec un intrt entreml de beaucoup dinquitudes, auxmoyens que javais darriver srement la vrit. Je voulais la tenir le pluspromptement possible et savoir tout de suite si javais lieu de me rjouirou de maudire le hasard, en dautres termes, si ce hasard ne mavait souriqu seule n de me rappeler au sentiment de ma condition, et dajouter limpatience que me causait mon dnment.

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  • Le billet de mille francs

    Les papiers qui taient dans le portefeuille, et que javais peine re-gards, me meraient sans doute sur les traces du propritaire. Je prisdonc le portefeuille et s de nouveau linventaire du contenu. La pre-mire chose qui me tomba sous la main fut lune des leres. Elle portaitle timbre de Rouen et tait adresse mademoiselle Turpin, passage Ver-deau, n 4. Lcriture en tait mal forme et lorthographe trange. Je ladonne telle quelle :

    Ma bonne turpincomme je suis tourment de ne pas resevoire de tes nouvelle je te

    prie si tu nest pas malade de mecrire de suite jai tent de chose a te contmon povre cur est si plins quil dborde si tu voigues comme je suischenge tu ne poures plus reconaitre la louise dautre foi

    adieu bonne turpin je tent brasse de tous mon cur ta vielle amieLOUISE.madame Louise che monsieur Dubois depoteie pre le cour la rene

    Rouen.je te donne mon adres je cren que tu est perdu lautreCtait vraiment trop surprenant. Jugez dema stupfaction ! Je connais-

    sais cee Louise pour lavoir vue Rouen et lui avoir parl prcismentchez ce dpoteyer o javais t manger quelquefois. Elle approchait de lacinquantaine. Son mari, colporteur et ivrogne, quelle avait pous jadismalgr sa famille, la laissait des semaines entires sans un sou et la baaitquand il revenait de tourne. Elle logeait dans un galetas de la maison dudpoteyer et faisait des mnages pour vivre. Je devais sa conance enmoi de connatre sa misre et labandon o la laissaient des parents pourla plupart riches ou du moins dans laisance. Son ls lui-mme quoiquebien tabli et gagnant beaucoup dargent, ntait pas celui qui peut-trese montrt le moins dur envers elle. La pauvre femme ne parlait pas de sasituation misrable, o elle jurait ntre tombe que par son trop granddvouement, sans avoir les larmes aux yeux. Cee rencontre ntait-ellepas extraordinaire ? Je trouve un portefeuille et dedans une lere de ceeLouise ! Le hasard est coutumier de faits analogues, et cependant je nepuis jamais assez mtonner de ces conjonctures bizarres.

    Mais quelle tait cee Turpin qui la bonne femme crivait une leresi tendre et si pressante ? Je repris le portefeuille et en tirai une autre

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  • Le billet de mille francs

    pice. Ctait la quiance de loyer.Je soussign, propritaire dune maison sise Paris, passage Ver-

    deau, n 4, reconnais avoir reu de mademoiselle Turpin la somme decent cinquante francs pour un terme de loyer des lieux quelle occupedans ladite maison, chu le premier avril mil huit cent cinquante.

    Dont quiance, sans prjudice du terme courant, et sous rserve detous mes droits.

    Paris, ce 8 avril 1850.E. RENAUDOT.Cee quiance me mit un peu de baume dans les veines. Le porte-

    feuille appartenait bien videmment mademoiselle Turpin. Cee de-moiselle occupait un appartement de six cents francs. Jen conclus quelletait dans laisance, peut-tre riche, que ce billet de banque ne lui taitpas indispensable, quen me lappropriant, je ne lui causerais quun tortmdiocre. Je regardai de nouveau le billet avec amour, et recommenai numrer tous les bonheurs aachs sa possession. Lexamen des autrespapiers me prouva que mes prsomptions sur la fortune de mademoiselleTurpin taient justes. La teneur de la reconnaissance et de la secondelere aestait que cee demoiselle tait mme dans une situation pr-ter de largent aux gens dont elle avait t jadis la servante.

    Je reconnais avoir reu de mademoiselle Turpin la somme de troiscents francs que je mengage lui rendre le cinq avril mil huit cent cin-quante.

    Paris, 4 janvier 1850.LAURE DE G. .La lere, signe du mme nom et relative ce billet, tmoignait dun

    fait grave et tout fait dcisif. A ce quil semble, mademoiselle Turpin pra-tiquait le chantage et lusure dans des proportions peu communes. Ainsidu moins le pensait madame Laure de G. . .., puisquelle nusait mme pasdun semblant de dtour pour lui crire :

    Vos menaces de parler mon mari maigent beaucoup, ma chreTurpin, et me sont incomprhensibles de votre part. Vous avez trop de bonsens pour ne pas comprendre que vousme feriez un tort irrparable et celasans prot pour vous. Rapportez-moi mon billet, je vous en donnerai unautre de 350 payable le 8 du mois prochain. Je ne puis pas mieux parler.

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  • Le billet de mille francs

    Au cas o cela ne vous surait pas, je vous nantirai dassez de bijouxpour couvrir deux fois la somme. Mais, pour lamour de Dieu, ne prenezplus ces airs de croquemitaine et ne me menacez pas pour de pareillesmisres. Vous navez pas oubli combien je vous aectionnais au tempso vous tiez femme de charge dans ma famille. Soyez sre que je vousaime encore beaucoup.

    LAURE DE G. .10 avril 1850.avais-je besoin de savoir autre chose ? Daprs mon systme, je

    devais me croire bien et dment propritaire du billet. Et pourtant laconviction nemplissait pas mon esprit au point de ny plus laisser deplace pour le doute. Ctait une lue et des tiraillements qui me causaientpar clairs des serrements de cur trs-pnibles. Linstant daprs, ctaitune joie extravagante, ineable, qui ne sera bien comprise que de celuiqui na rien et qui connat le prix de largent. Mille francs ! pour louvrierqui a une famille et qui chme un quart de lanne ; mille francs ! pourle rveur qui se contente de pain et deau et qui en est arriv son der-nier sou ; mille francs ! pour le bohme bout damis et dexpdients ;mille francs, quelle fortune ! Mille francs, cela veut dire : plus de froid,plus de faim, plus de honte ; mais, au contraire, aisance, bien-aise, tra-vail, dignit, dessouci de lavenir. Mille francs ! cest en perdre la tte.Avec quelle passion je partageais cee somme, comme jen distribuais sa-vamment lemploi ! Je payerai ici, je payerai l, jachterai ceci et cela,ce meuble, ces livres dont jai tant besoin, etc. Comme je vais tre tran-quille, comme je vais travailler ! Ah ! cest trop de bonheur en une fois.Cela est assurment fort misrable ; mais je rpte quon ne sait pas as-sez combien la gne perptuelle, la misre et mme souvent lducation,rapetissent lesprit et drangent le moral dun individu.

    Pour jouir en paix dema fortune, javais combiner lintrigue de touteune longue comdie. Je pouvais veiller des soupons par un surcrot dedpenses, puisquon me savait pauvre. Il fallait quaux yeux de mes amisje vcusse comme par le pass avec les apparences de la misre.

    Le change du billet ntait pas ce qui membarrassait le moins. Il taitpossible que la Turpin et t faire sa dclaration la prfecture de police,et que de l ft parti un avertissement tous les changeurs. Mon extrieur

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  • Le billet de mille francs

    tait loin dannoncer la richesse. Celui auquel jorirais de changer monbillet ne me demanderait-il pas mon nom ? ne me ferait-il pas suivre ?ne donnerait-il pas lveil sur moi ? Je ntais quun pitre lgiste, mais jeme doutais bien que le Code avait prvu les dlits de ce genre. Commentdonc faire ? Je rsolus de cacher le billet pendant quelque temps et dagiravec une discrtion et une prudence consommes.

    Je frquentais depuis peu chez des commerants qui demeuraientdans une des rues latrales de la rue Saint-Denis. Le hasard avait amenparmi ces gens, qui tenaient tous de prs ou de loin au commerce,quelques artistes et gens de leres, si bien que, sous le rapport des profes-sions, se trouvait l une socit fort mle. Je voulus y aller le soir mme,en vue de my procurer quelques dtails sur la manire de changer unbillet.

    Il tait encore jour. Je mtais promis de ne pas marrter aux aches.Jeus beau faire, un papier jaune mentra obliquement dans lil et me ttourner la tte. IL A T PERDU. . Je frmis de la tte aux pieds et jelus lache avec vre. Il ne sagissait que dune perruche en change delaquelle on orait quinze francs de rcompense. Plus loin, cee locutionfuneste il a t perdu. . . maccrocha encore les yeux.

    Cee fois, il tait question dune levree. Lmotion nen avait pas tmoins dsagrable. Je jurai de ne plus tourner la tte pour quoi que ce ft.

    Mais voici quune voix que je ne pus faire taire t dans mon cerveauun bruit de tous les diables, absolument comme si jeusse t cphaliloque, le dictionnaire me pardonne cet enfant hybride, et dit : elle dif-frence y a-t-il entre ce que tu mdites et un vol ? En style algbrique,trouver et ne pas rendre est gal voler. Le trouver ne constitue pas plusun droit que le prendre. Si javais une distinction tablir entre toi et levoleur, elle ne serait certes pas ton avantage. Le voleur use, locca-sion, de ruse, dadresse, daudace ; il sait quil joue sa libert, quelquefoissa vie ; mais toi, tu tappropries le bien des autres bassement, sans risqueet sans pril, nayant pas mme craindre linjure dun soupon. Cela est ce point vrai, que, si tu ntais sr de limpunit, si tu ne comptais parcentaines les moyens dchapper la cour dassises, si tu pensais quunseul instant le regard dun juge dt fouiller dans tes yeux et te faire trem-bler, tu ne balancerais pas un moment restituer le billet. Or, vu que le

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  • Le billet de mille francs

    crime est crime indpendamment de la peine, pour te soustraire au chti-ment, tu nen es pas moins un vrai criminel. Je rpondais timidement :Cee vieille lle est riche et avare, elle a dix fois plus quil ne lui en fautpour vivre. Tout me porte croire quelle a mal gagn cet argent, quelleen a vol une partie. Ne serait-ce pas le comble de labsurde que de meparer dun dsintressement si inutile elle, si prjudiciable moi, mal-heureux, qui ne sais pas mme quel sera mon lendemain ? Pitoyablesraisons ! le vol est vol, quil soit fait un pauvre ou un riche. Puis, lemal nexcuse pas le mal. e cee lle soit une voleuse, ce nest pas unmotif pour que tu sois voleur. Puis, en face des juges, il peut y avoir desdegrs dans le crime, la misre peut anuer leurs yeux bien des fautes ;mais, devant la conscience, ces distinctions svanouissent : on est voleur,quon prenne une pingle ou un billet de mille francs. Tu rendras le billet,ou tu seras toute ta vie un misrable vis--vis de toi-mme, et tu ne terelveras jamais de ton propre mpris, plus craindre mille fois que celuides autres.

    Jarrivai temps o jallais, car je sourais beaucoup. Je parlais tout lheure des rencontres du hasard et de la stupfaction o ellesme plongenttoujours. Jallais en constater une nouvelle qui me sembla miraculeuse.Je venais avec lintention de mere sur le tapis la question du changedes billets. Il y avait l un monsieur, cousin de la femme du matre dela maison, quon appelait Ernest tout court. Jy avais peine pris gardejusqualors. Tout coup son nom, rapproch dune observation quil tsur la coiure de sa cousine, me causa une sensation trange. Voici pour-quoi. Dans le portefeuille, on se le rappelle, se trouvait entre autres chosesun mmoire de coieur ; je lavais parcouru la hte. Ctait la factureacquie dun tour de cheveux du prix de quinze francs, fourni par unmonsieur Ernest, artiste en cheveux, rue Saint-Denis, je ne sais plus quelnumro. La gure, les cheveux, les manires, le langage de lErnest pr-sent, me convainquirent sur-le-champ que ctait un coieur. Il devait de-meurer non loin de l. videmment, jtais dans la socit du fournisseurde mademoiselle Turpin et du signataire de la facture. Cee dcouverteme donna une secousse profonde ; jen fus quelques instants complte-ment hbt. Je songeai combien jtais heureux de navoir pas encoreparl billet de banque, car on ne sait pas quelle consquence cela aurait

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  • Le billet de mille francs

    pu avoir. Avec toute la circonspection possible et un calme de glace, je disM. Ernest : Est-ce que vous ne connatriez pas une demoiselle Turpin ? Si fait, me dit-il ; cest moi qui lui fournis ses cheveux. est-ce quecest que cee demoiselle ? En apparence, cest une sorte de revendeuse la toilee qui spcule sur les vieilles dentelles ; mais en ralit cest uneusurire qui prte la petite semaine. Sa femme de mnage, car elle napas de domestique, ma cont sur son avarice des choses vraiment fabu-leuses. Elle ne mange pas certainement le vingtime de son revenu. Onne sait ce quelle fait de son argent. . .

    Dans ma conversation avec M. Ernest, je s ample provision dargu-ments propres me rsoudre de garder le billet, et jen avais besoin, carla voix dont jai parl navait pas laiss que de faire impression sur monesprit, Cee vieille misrable, me disais-je en revenant, a au moins vingtmille francs de rente quelle a gagns par des moyens illicites. Elle en d-pense peine deux mille chaque anne. Couche sur un tas dor strile,elle laisse dans une horrible misre sa vieille parente Louise, et poursuitde menaces humiliantes une femme peut-tre jeune, belle et bonne, dontelle a autrefois lav les langes. Et je ferais la soise de lui rendre un billetquelle cachera stupidement avec dautres, dans quelque coin, quand moije puis tirer un si grand parti de cee somme ! Allons donc ! Mais lavoix recommena son vacarme dans ma tte : Autant de raisons sub-tiles et insidieuses, scria-t-elle avec vhmence. Prends garde ce quetu vas faire. Tu es en train de creuser une fosse o tu tenseveliras vivant.Le crime appelle le crime. Tu ne songes rien moins qu exterminerta conscience, commere un suicide moral. Cest la mort de ta libertque tu conjures. Tu vas te marier la fatalit qui te jeera dchelon enchelon jusquau dernier degr de la honte. Il nest que juste temps de terepentir. Jtais importun et branl. Jessayai de me roidir. Je jurai queje men tiendrais cee faute, que je vivrais lavenir en honnte homme.La voix tait inexorable : Je suppose que tu aies assez dnergie ou debonheur pour te borner ce crime. Je le veux, tu calqueras ta vie sur lepuritanisme le plus rigide, tu deviendras un modle de probit. Mais lesouvenir de ton crime unique empoisonnera ta vie entire. Plus tu seraspur, plus tu seras saint, plus ta mauvaise action te sera odieuse, hassable,et te fera sourir. Une bonne vie a des exigences aussi imprieuses quune

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  • Le billet de mille francs

    vie criminelle.Ce que je sourais, je ne connais aucune image qui puisse en don-

    ner une ide. Jaurais prfr navoir jamais trouv de billet. Depuis quiltait en mes mains, par combien de doutes, de transes, dinquitudes, desensations cruelles, navais-je pas pass ! Avant, jtais en quelque sortersign ma misre. Ctait sans doute pour que je la comprisse et sen-tisse mieux que je ressuscitais un moment la joie, que je me reprenaisdune belle passion pour la vie. Jtais abm dans la douleur ; que faire ?Ma conscience trouble me suggra une foule de tempraments. Je mat-tachai particulirement celui de garder le billet avec lintention formellede rendre plus tard qui de droit capital et intrts. Des objections tyran-niques se jourent impitoyablement de la subtilit du pige.e savais-jede lavenir ? Ne pouvais-je pas rester perptuellement hors dtat de resti-tuer cee somme ? Je livrais donc le soin de mon honneur aux chances duhasard. En ralit, tait-il possible de commere une action plus malhon-nte ? Dailleurs, sur ces entrefaites, la vieille pouvait mourir. Il faudraitdonc me mere en qute du nom et de la demeure de ses hritiers. Or,me charger dune telle responsabilit, me vouer de telles inquitudes,compromere mon repos pour si peu, ntait-ce pas de la-folie ?

    Jeus encore la pense denvoyer lesmille francs la vieille Louise, da-dresser la reconnaissance des trois cents francs madame Laure de G. . .et de brler le reste. Mais en avais-je le droit ? Je navais pas mission pourfaire de la justice distributive. Savais-je seulement si le rsultat rpondrait mes prvisions ? Puis, celle-l seule qui appartenait le billet pouvaiten disposer. De quoi me mlais-je ? Jimagine un homme qui prendraitdes billets de banque dans la caisse dun banquier pour les distribuer auxpauvres. .

    Je passai une horrible nuit. Je ne sais que la jalousie qui puisse enoccasionner une pareille. Jtais, en me levant, dune humeur areuse, etjavais lesprit plein dindcision. Je regardais dun air triste du ct o gi-sait le portefeuille. Jallais, je venais, je ne savais quel parti prendre. Oh !que cee seule hsitation dont je rougis actuellement tait coupable ! Parquelles tortures ne lai-je pas expie ! Jtais convaincu cee heure qumoins de compromere ma tranquillit pour toujours je ne pouvais pasgarder le billet, mais je ne me sentais pas encore la force de men d-

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  • Le billet de mille francs

    possder. Je voulais essayer de la temporisation et voir si mes scrupulesntaient pas chimriques. Pour soustraire mon cerveau aux ides tur-bulentes qui le fatiguaient depuis deux jours, je men allai parcourir lesjournaux. Je pensais ainsi me procurer quelque distraction. Le premierarticle que le hasard amena sous mes yeux fut celui-ci :

    Hier, dans laprs-midi, le nomm Franois, cocher de acre, atrouv dans sa voiture un portefeuille contenant des valeurs assez im-portantes. Il sest empress de le porter la prfecture de police.

    elle leon ! Je jetai le journal avec colre ; jen pris un autre. Maisjavais vraiment la main malheureuse. Le hasard y meait de la pers-cution. Je s tout ce que je pus pour ne pas lire cet autre article ; maisvainement : les caractres me tiraient les yeux me les arracher :

    Un brave ouvrier, dont nous nous empressons de publier le nom, Jo-seph Pidoux, demeurant rue Bourg-lAbb, n 6, a trouv mercredi soir, enrentrant chez lui, un portefeuille qui, outre des papiers insigniants, ren-fermait deux billets de banque, un de cent et lautre de deux cents francs.Pidoux la t reporter le lendemain matin la personne qui lavait perdu.Cee action est dautant plus louable que Pidoux a une nombreuse familleet quil manque douvrage en ce moment. Des faits de ce genre ne sontpas si rares quil y ait lieu de sen tonner. Mais on est bien aise davoir les enregistrer, ne serait-ce que pour rpondre aux calomnies quon nemanque pas de lancer contre notre honnte et laborieuse population ou-vrire.

    Mais jai lu cent fois des rcits analogues dans les journaux ! medis-je. Et jeme ressouvins dun autre fait quonmavait racont il ny avaitpas une semaine, concernant une pauvre lle qui, comme moi, minuit,non loin de sa maison, avait trouv sur la chausse un portefeuille o ily avait mille francs et qui lavait rendu sans hsitation celui auquel ilappartenait, refusant mme la rcompense qui lui tait oerte. Tous cesexemples fermentaient dans ma tte et me donnaient un profond mprisde moi-mme. Je naurais pas d aendre une seconde de plus, jaurais dme lever, prendre le portefeuille, et courir le restituer. Je rsolus daendreencore jusquau lendemain. Dcidment, oui, jtais un misrable.

    Je payai par de cruelles insomnies ce dernier eort de mon ct vi-cieux. Mais il fallait en nir, jen avais assez. Je mis le portefeuille dans ma

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  • Le billet de mille francs

    poche, aprs avoir pris note des papiers quil contenait et copi les deuxleres, car je voulais pour me chtier en dire un jour publiquement macoulpe, et jallai passage Verdeau o je trouvai facilement mademoiselleTurpin. Cee vieille lle mexamina avec dance. Je lui dis pourquoi jevenais. Elle sauta brutalement sur le portefeuille et louvrit avec une vi-vacit fbrile. Une fois certaine que rien nen avait t distrait, elle meregarda insolemment et me dit : Vous avez mis bien du temps mele rapporter. Le reproche tombait tellement daplomb que jen rougisjusque dans le blanc des yeux. Ma confusion et ma contenance embarras-se lui rent croire que jaendais la rcompense quelle avait promise paraches, Hein ! grogna-t-elle, cinquante francs pour la peine de se bais-ser. Je revins moi sur-le-champ. Jcrasai de mon mpris cee vieillecoquine, et je lui tournai le dos, et je sortis sans mme la saluer. Je suispersuad au fond quelle ne men voulut pas de mon manque dusage.

    on me pardonne la vulgarit du rapprochement. On recule devantun acte de probit, par peur de la sourance, peu prs comme on hsite se faire extraire une dent ; mais, dans lun et dans lautre cas, ds que lachose est faite, on ressent un contentement profond, ineable. Jen taisl. En sortant, malgr un reste de tristesse amre, je ne me sentais pasdaise et je me louais fort de mon action. Je nose armer, par exemple,quil y et rellement de quoi. Eectivement, en tout cela, quoi doncmavaient servi ma raison, mon intelligence, lducation quon mavaitdonne, les livres dont je mtais nourri ? Le rsultat le plus clair de cedveloppement intellectuel tait de mavoir rduit une honntet pro-blmatique, bien au-dessous incontestablement de celle dun cocher deacre et dune lle entretenue.

    Au moins dois-je me fliciter de cee aventure, puisque aussi bien, dater de ce jour, je fus radicalement guri de cee aection dplorable,commune beaucoup de malheureux, qui consiste souhaiter passion-nment de trouver quelque chose. Ce que jai endur, pendant les troisjours de possession, si je pouvais en donner le sens cruel, surait et audel cautionner ma vertu venir.

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  • Une dition

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