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Revue française de sociologie Besnard Philippe, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim Rémi Lenoir Citer ce document / Cite this document : Lenoir Rémi. Besnard Philippe, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim. In: Revue française de sociologie, 1989, 30-1. pp. 156-159. http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1989_num_30_1_2581 Document généré le 23/09/2015

Besnard Philippe, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim por Rémi Lenoir

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Resenha do livro de Philippe Besnard, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim, por Rémi Lenoir.

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Revue française de sociologie

Besnard Philippe, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans ladiscipline sociologique depuis DurkheimRémi Lenoir

Citer ce document / Cite this document :

Lenoir Rémi. Besnard Philippe, L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim. In:

Revue française de sociologie, 1989, 30-1. pp. 156-159.

http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1989_num_30_1_2581

Document généré le 23/09/2015

Revue française de sociologie

« Rationaliser la domination ». Il est clair que Weber ne partage pas les illusions de l'évolutionnisme. S'il y avait pour lui une « fin de l'Histoire », elle prendrait plutôt la forme du « désenchantement » que de la « réconciliation de l'Homme avec lui-même, avec la nature et avec les autres hommes ». Mais en quoi consiste ce « désenchantement » ? Quel rapport soutient-il avec l'exigence d'autonomie — qui semble bien constituer un requisit transcendental de l'individualisme wébérien, tant du point de vue théorique de l'observateur que du point de vue pratique de l'acteur ? Le double mérite de Philippe Raynaud est de rappeler aux sociologues, sur l'exemple de Weber, la nécessité, ou du moins l'opportunité, d'une réflexion philosophique sur le problème de la compréhension et de l'objectivité, et aux lecteurs de Weber les difficultés de sa position.

François Bourricaud Université de Paris IV, Sorbonně

Besnard (Philippe). — L'anomie, ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim. Paris, Presses Universitaires de France, 1987, 424 p., tabl., index (Sociologies).

Cet ouvrage, résultat d'un travail considérable, est la synthèse de recherches multiples qu'ordonnent une problématique et une argumentation pour une part familières aux lecteurs de la Revue française de sociologie. On y retrouve certaines des analyses qu'avait faites Philippe Besnard dans cette revue, notamment sur Le suicide et la théorie mertonienne de l'anomie (1).

(1) Cf. Ph. Besnard, «Durkheim et les femmes ou Le suicide inachevé », Revue française de sociologie, 14 (1) 1973, pp. 27-71 ; et « Merton à la recherche de l'anomie », Revue française de sociologie, /9(1) 1978, pp. 3-38.

Mais l'intégration de ce qui ne constitue désormais qu'une partie d'une thèse d'Etat, soutenue brillamment en décembre 1985, en change sinon le contenu, au moins la portée.

L'anomie témoigne des mêmes qualités que les articles cités : clarté et concision du style, précision et acuité des analyses, érudition et pertinence de l'information. Mais l'objectif d'ensemble est tout autre que cette sorte de travail d'« épuration du concept », selon l'expression de l'auteur, de purification, pourrait-on dire, s'agissant de cette notion sacrée en sociologie qu'est l'anomie. S'est ajoutée, depuis, une étude sur la « carrière » du concept, principalement en France et aux Etats-Unis. De sorte qu'aux analyses internes des textes auxquelles nous avait habitués Philippe Besnard, s'est substitué un projet plus proche de l'enquête sociologique que de l'histoire des doctrines sociologiques : traiter le concept qui a été « une des rares inventions lexicales de la discipline sociologique (...) comme un produit dont on étudie le cycle de vie sur un marché » (p. 15).

Le livre s'ouvre sur une analyse fouillée et précise du concept d'anomie chez Durkheim, le constat subtil des glissements de sens dans ses premiers ouvrages, enfin l'abandon de cette notion après la deuxième préface de la Division du travail social (1902). De sorte que, contrairement à la croyance commune, Durkheim n'est pas le « sociologue de l'anomie », comme l'atteste l'évolution de son œuvre, le thème dominant de cette dernière, selon Philippe Besnard, étant à chercher plutôt du côté de la théorie de l'intégration que de celui de la théorie, inachevée, de la régulation. Cette thèse, l'auteur la développe avec nombre d'arguments visant à réfuter la plupart des exégèses ayant contribué à la diffusion de ce mythe de sociologues pour sociologues.

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Philippe Besnard décrit ensuite le destin de la notion d'anomie chez les héritiers directs de Durkheim et chez les premiers adeptes américains. Il en ressort que Le suicide fut tout d'abord un relatif échec en France puisqu'il a été l'ouvrage de Durkheim le moins diffusé jusqu'aux années 60 et que la deuxième édition (1930) est liée à la parution du livre de Maurice Halbwachs (2), dont on peut dire, pour le moins, qu'il n'est guère un dithyrambe. Le silence fait sur Le suicide vient plus des « enseignants » que des « chercheurs », ces deux catégories de disciples s'étant très tôt opposées sur la définition même du métier de sociologue, comme l'a montré J. Heil- bron (3). Et les « chercheurs », sauf peut-être Louis Gernet, utilisent peu la notion d'anomie, si ce n'est — et encore — comme une référence obligée à celui qui fut le chef d'une école. Même l'ouvrage de Maurice Halbwachs, selon Philippe Besnard, est moins une réfutation des thèses durkheimiennes que, plus radicalement, un rejet du cadre théorique même de l'analyse durkhei- mienne.

Traquant tous les indices permettant de retracer la carrière du concept aux Etats-Unis, celui qui dirigea le bulletin Etudes durkheimiennes, dont on ne peut que regretter ici la fin de la parution, rappelle que l'ensemble de l'œuvre de Durkheim — notamment Le suicide — a été assez lent à s'imposer aux usa. Philippe Besnard suggère qu'une des raisons de cet échec est que le marché américain se trouvait déjà occupé par le concept de « désorganisation sociale », utilisé à la suite de Thomas et Znaniecki dans de nombreuses recherches menées dans le cadre de l'Ecole de Chicago. Le succès ultérieur de l'anomie tiendra à son usage comme arme de combat contre cette tradition de recherche.

(2) M. Halbwachs, Les causes du suicide, Paris, Alcan, 1930.

(3) J. Heilbron, « Les métamorphoses du durkheimisme », Revue française de sociologie, 26 (2) 1985, pp. 203-237.

La redécouverte de l'anomie à l'Université de Harvard dans les années 30 par Mayo, Parsons et Merton résulte, selon Philippe Besnard, d'une double concurrence sur le marché disciplinaire : avec l'Ecole de Chicago au début de son déclin et avec l'Université de Columbia qui tentait alors de s'approprier le monopole de l'exégèse et de la traduction de Durkheim (4).

Cette émergence de l'anomie dans le champ de production sociologique américain de l'époque s'inscrit donc dans les stratégies que les futurs caciques de Harvard menèrent en promouvant les penseurs européens contre leurs collègues des universités rivales, opération qui a pu d'autant mieux réussir que commençait l'afflux d'intellectuels allemands chassés par le nazisme. Une fois consacré, le concept suivra l'inévitable carrière académique grâce à laquelle il acquiert de nouvelles significations pour finir par ne devenir qu'un terme emblématique et passe-partout. Cela aux Etats-Unis, mais aussi en France où le concept d'anomie (et surtout la problématique qui lui est associée) est repris à l'occasion du nouvel essor que la sociologie y connaît au milieu des années 1960.

Les deux autres chapitres nous éloignent de la filiation durkheimienne du concept. Le chapitre in est consacré à la théorie de l'anomie formulée par Merton, qu'il a développée à plusieurs reprises pendant plus de vingt-cinq ans, et à sa diffusion dans la sociologie de la délinquance. Revenant à sa méthode de lecture minutieuse des textes, l'auteur analyse les équivoques, les incohérences, les flottements terminologiques qui finissent par rendre ce concept inutilisable.

(4) Sur l'Ecole de Chicago, cf. l'excellente présentation qu'en fait Yves Winkin dans l'introduction à l'ouvrage d'Erving Goffman, Les moments et leurs hommes, Paris, Le Seuil, Editions de Minuit, 1988.

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A cette exégèse des textes de Merton s'ajoute une étude fouillée de la carrière de la théorie mertonienne de l'anomie dans la sociologie de la délinquance. Contrairement aux ambitions de Merton et à la légende qu'il s'évertua avec succès à créer, sa théorie de l'anomie n'a eu, selon Philippe Besnard, pratiquement aucun impact réel sur la recherche empirique sur la délinquance. Elle s'est diffusée dans les années 60 au moment où elle devenait contradictoire avec les résultats des enquêtes par questionnaire qui s'imposaient alors. Ce même déphasage entre la théorisation et la recherche empirique est relevé, au chapitre n, à propos de la diffusion de l'anomie dans la sociologie du suicide.

Le dernier chapitre, consacré à la « personnalité anomique », examine les multiples travaux nord-américains visant à mesurer l'anomie par des échelles d'attitude, notamment la célèbre échelle ďanomia de Srole. La confrontation et la réinterprétation de ces études, centrales dans la sociologie américaine des années 60, permettent à l'auteur de démontrer la révolution sémantique complète qui a affecté la notion d'ano- mie depuis Durkheim. Pourtant les utilisateurs du terme ne cessèrent d'affirmer l'unité du concept. Ce mythe, que Philippe Besnard pourfend, a permis à l'anomie d'être l'emblème de la pratique de recherche dominante aux Etats-Unis dans les années 60 : l'enquête par questionnnaire destinée à vérifier des hypothèses tirées des théories « classiques ». Cette fonction emblématique de l'anomie expliquerait son succès préludant à son inéluctable dépérissement dans les années 70.

L'ambition de l'ouvrage est clairement sociologique. Mais le parti pris de retracer la carrière d'un mot pour établir les lois de fonctionnement de la tribu (ou, mieux, des tribus) qui l'uti- lise(nt) ou non en marque aussi la limite.

Certes, centrer l'analyse sur l'usage d'un « mot » aussi chargé que celui d'anomie permet de rappeler que les stratégies intellectuelles doivent porter tout autant sur les terminologies, les orthographes, les manières de traduire que sur les paradigmes et les modèles explicatifs. Mais ce parti pris n'était pas sans risque, car il impliquait nécessairement d'accorder une grande place à la seule analyse textuelle. Un des mérites de l'ouvrage est d'y avoir pour une bonne part échappé. On pense en particulier à l'étude qu'il fait des enjeux de l'utilisation du concept aux Etats- Unis dans les années 30. Un autre de ses mérites, que l'auteur n'a peut-être pas délibérément recherché, est de désigner les limites des analyses internes, dès lors qu'elles ne sont pas reliées systématiquement au contexte qui leur donne sens.

Une dernière vertu de cet ouvrage, incontestable, est de montrer qu'une analyse de ce type exige de recourir simultanément aux deux approches, non pas d'un point de vue œcuménique, parce qu'elles s'enrichiraient mutuellement, mais parce que la perspective sociologique le requiert.

Philippe Besnard indique ainsi le chemin qu'il faudrait suivre pour faire une véritable analyse de son livre mais, comme la qualité et le volume de ce dernier en témoignent, cela dépasse le cadre d'un compte rendu et supposerait d'accomplir, avec les mêmes qualités, le travail qu'il a effectué à propos de l'anomie, que ce soit chez Durkheim ou chez Merton. Car cet ouvrage n'apporte pas seulement un nombre considérable d'informations, notamment sur la sociologie dominante aux Etats-Unis dans les années 1960, fort peu connues en France (5), c'est aussi un produit typi-

(5) Cf. aussi N. Herpin, Les sociologues et le siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1973; et les articles de Y. Winkin publiés depuis 1984 dans Actes de la recherche en sciences sociales.

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Les livres

que du champ français de production sociologique des années 1970-1980. C'est dire à quel point ce livre est également important pour une sociologie de la sociologie française.

Rémi Lenoir Centre de sociologie de l'éducation

et de la culture, Paris

Kellerhals (Jean), Coenen-Huther (Josette), Modak (Marianne). — Figures de l'équité. Paris, Presses Universitaires de France, 1988, 232 p. (Le sociologue).

Tâche difficile que celle de J. Kellerhals, J. Coenen-Huther et M. Modak, qui sont confrontés à une théorie dont l'ambition et les qualités sont clairement soulignées par ses principaux promoteurs dans les termes suivants : « La théorie de l'équité aboutit en définitive à une théorie d'ensemble des relations sociales. Dans sa forme actuelle, la théorie nous semble avoir une structure bien articulée, être élégante dans sa parcimonie et avoir une portée prédictive accrue » (1).

Les cinq chapitres qui composent l'ouvrage s'ordonnent selon un continuum qui va des acquis d'une théorie — que l'on démontre précaires — à l'exposition des voies à la fois conceptuelles et empiriques permettant son élargissement et, sur bien des aspects, sa refonte. Dans le premier chapitre, les auteurs évoquent les éléments essentiels de la théorie de l'équité forgée dans l'après- guerre et montrent les failles de la prétention universaliste d'un principe unique et utilitariste de justice distributive. Dans le chapitre suivant, une revue

(1) J.S. Adams, S. Freedman, « Equity theory revisited », dans L. Berkowitz (éd.), Advances in experimental social psychology, 9, New York, Academic Press, 1976, pp. 43-90.

de la littérature leur permet de dégager une pluralité de règles d'équité, de conceptions de la justice; et une première synthèse de cet inventaire des notions est proposée dans le chapitre in. Les auteurs y dénoncent le piège du relativisme qui accompagne la pluralité des principes de justice, en repérant des correspondances entre les conceptions individuelles du juste et les appartenances des individus à des groupes sociaux hérités ou acquis. Dans le chapitre iv, ces insertions sont placées dans les contextes qui en augmentent ou en diminuent la conscience et l'importance chez leurs membres et qui en modulent par conséquent les effets. L'ouvrage se clôt sur la présentation des résultats d'une enquête réalisée par les auteurs, dans laquelle ils mettent en jeu de manière systématique l'ensemble des notions établies au préalable.

D'entrée de jeu, l'ouvrage annonce sous un intitulé polémique (« Une perspective réductrice ») les limites de la théorie classique de l'équité, basée sur un petit nombre de principes visant l'explication des conduites humaines. Cette théorie postule deux composantes, les contributions amenées par les acteurs et leurs rétributions respectives. Une distribution juste ou équitable apparaît lorsque le rapport entre les récompenses que reçoivent les parties approche le rapport entre leurs contributions; ainsi, dans des sociétés valorisant la compétitivité et l'instrumentalité, la justice renvoie à une distribution des récompenses en fonction du mérite et du talent des individus. Or pour asseoir la validité de la théorie, il est nécessaire, comme le démontrent les auteurs, de postuler l'existence de normes individuelles et partagées, en ignorant les spécificités de celles propres à différents groupes sociaux. Ces normes décrivent un consensus à propos de la règle de proportionnalité entre rétributions et contributions (à chacun selon ses mérites), des types de biens qui participent au calcul, et de la métrique

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