1
BRÈVE RENCONTRE FRANÇOIS FOURNET ous les amateurs de jazz connaissent François Fournet, constamment souriant, drôle, un peu lunaire et très talentueux. Ils ont eu de multiples occasions de l'applaudir, armé de son banjo pour ani- mer une rythmique avec une efficacité imper- turbable, ici décochant des chorus de guitare d'un feeling blues peu commun. Renversant, disent certains. LA ROUTE DU BLUES Notre homme est né le 7 juillet 1948 à Châtillon-sous-Bagneux dans la banlieue sud de Paris ainsi que le confirme son accent souriant. Il entendit beaucoup de musique dans son enfance, son père mélomane écou- tait du classique classique, tel Bach, Beethoven ou Mozart, tout comme son frère aîné, plus friand quant à lui de Ravel, Debussy ou Stravinski. Ainsi, tout gamin, il baigne dans une musique ignorant jazz, blues et autres avatars afro-américains. Comme le faisait la radio de l'époque... et celle d'aujourd'hui peut-on ajouter par parenthèse. François a dix ans lorsque survient un de ces événements qui bouscule le cours d'une vie, la révélation déclenchée par un voisin qui lui fait écouter un 45 tours d'Elvis Presley : Heartbreak hôtel. .Cette musique jamais entendue auparavant provoque un choc quasi physique dont notre homme s'est à peine remis. Une autre opportunité ne tarde pas à se présenter, un voisin providentiel n'arrivant jamais seul. Près de chez lui habite en effet Bert Bradfield, bien connu des amateurs de jazz qu'il ravitaille en disques introuvables. Si le jeune François ne compte pas parmi les clients, il figure un peu plus tard comme audi- teur attentif. Ces disques précieux, stockés dans le garage d'un pavillon tout proche, lui font découvrir le monde des bluesmen, les Big Bill, Lightnin' Hopkins, John Lee Hooker et autres. GUITARE, BANJO, CHANSONS Maintenant le jeune homme a quln/c ans et obtient le BEPC : il suggère de recevoir, en récompense de ses efforts, le cadeau d'une guitare. Les parents se résignent à satisfaire ce qu'ils prévoient comme un caprice sans lendemain. Erreur ! Chaque jour il va veiller fort tard pour s'acharner à tenter de maîtri- ser tant bien que mal le modeste instrument. Dans ses efforts il s'associe bientôt à des copains de lycée pour exécuter blues et rock. Comme les études ne sont alors plus suivies avec conviction, il trouve à s'employer dans une banque. S'étant offert un banjo, il peut répondre aux propositions d'un petit orchestre amateur du coin, nommé hardiment The Mississippi Boatmen. Ses récents complices commencent par lui confier un disque de King Oliver afin de le familiariser avec la musique servant de modèle au groupe. La première impression est désastreuse, mais elle se corrige rapidement : François ravi découvre en 1965 un autre monde, celui du jazz Nouvelle-Orléans. Il se confronte aussi à de nouvelles exigences avec les répétitions et la lecture des grilles. L'orchestre connaît une bonne activité et notre banjoïste, après une journée à la banque, joue au moins trois fois par semaine au Caveau de la Montagne. À cette époque, 1965-1967, ce style remporte un franc succès comme au fameux Jazz Band Bail de la mairie du V". Il travaille aussi avec le Metropolitan Jazzola Eight du trompette Daniel Vit et il prend même un mois de congé pour partir en tournée avec Irakli. Arrivent ensuite l'époque du service mili- taire et, au retour, la démission de son poste à la banque ; le voilà professionnel en 1969. Les années 70 se passent hors du jazz, il oublie le banjo et joue du rock en utilisant parfois la guitare basse. Plus aventureux encore, il com- pose des mélodies et travaille pour l'éditeur Frédéric Leibovitz, écrit des chansons et .les interprète et les enregistre. Mais, peu à peu, il se convainc que cet emploi ne lui convient pas exactement. COME-BACK Les années 80 marquent le retour de François Fournet au jazz muni de son banjo et de sa guitare. Il joue beaucoup avec Cyril Guyot et Eric Luter, et aussi avec Orphéon Célesta. Il enregistre pour Stomp Off avec.cet orchestre d'Emmanuel Hussenot aux côtés de Daniel Huck et Philippe Audibert. En 'free lance' il se produit avec nombre d'orchestres, Claude Luter, Maxim Saury, Marc Laferrière... Sa rencontre avec Jean-Paul Amoureux va se révéler fructueuse : beaucoup de guitare boo- gie se fait entendre à La Huchette, au Slow Club et en concert ici et là. D'ailleurs des témoignages existent sur disque (Orchestral boogie 11° 2 et Boogie woogle train, les deux chez Jazztrade, Blues for Véronique et Sam, chez Adda, Nothin' but boogie woogic, chez Milan, tous signés Amouroux). Vers le début des années 90, François Fournet, jusque-là catalogué comme banjoïste Nouvelle-Orléans ou guitariste blues-boogie, s'intéresse de plus près à la guitare jazz, telle que pratiquée par l'incontournable Charlie Christian, et travaille beaucoup l'harmonie. Il fonde même un groupe baptisé Wltolly Cats, en hommage au maître, formation dont la durée de vie n'excédera pas deux ans, la fonction de leader ne correspondant guère à sa personna- lité. Bien entendu, il continue de participer à diverses aventures, encore le disque permet d'apprécier la qualité de sa contribution, par exemple avec Irakli &his Jazz Four avec Mare Richard et Philippe Baudoin en 1994 (Black & Blue) ou Le Petit Jazz Barid de Monsieur Motel en 1997 (LPJ) et 1998 (Stomp Off) ou Spirit of SBràgen2003(SoS). BLUES DE PARIS En 2005 François Fournet rencontre Christian Ponard, lui aussi guitariste et éga- lement passionné de ce blues que tous deux regrettent de ne jouer alors qu'occasionnelle- ment. Après des essais en duo faits en pre- nant beaucoup de plaisir, il apparaît qu'avec une contrebasse et une batterie ce pourrait donner un groupe attrayant. Ainsi naît Blues de Paris avec le renfort d'Enzo Mucci et de Simon Boyer. Après avoir navigué dans divers styles de musique, pour François Fournet ce retour au blues et aux premières amours se déroule dans l'euphorie. Tous les amateurs qui ont l'opportunité d'assister à une prestation de Blues de Paris sont frappés par l'aisance de ce quartette et séduits par son répertoire ori- ginal rassemblant morceaux connus ou peu connus et thèmes personnels de François. L'impression se retrouve partiellement à l'écoute de leur CD. Portés par un plaisir de jouer communicatif, les musiciens swinguent de façon réjouissante, dans la bonne humeur et le bon humour. Manifestement ils ne tra- vaillent pas, ils s'amusent ! André Vasset Bulletin du hcf 581 - mai 2009 Bulletin du hcf 581 - mai 2009

BRÈVE RENCONTRE FRANÇOIS FOURNET - Blues de Paris

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: BRÈVE RENCONTRE FRANÇOIS FOURNET - Blues de Paris

BRÈVE RENCONTRE

FRANÇOIS FOURNETous les amateurs de jazzconnaissent François Fournet,constamment souriant, drôle, unpeu lunaire et très talentueux.Ils ont eu de multiples occasions

de l'applaudir, là armé de son banjo pour ani-mer une rythmique avec une efficacité imper-turbable, ici décochant des chorus de guitared'un feeling blues peu commun. Renversant,disent certains.

LA ROUTE DU BLUESNotre homme est né le 7 juillet 1948 à

Châtillon-sous-Bagneux dans la banlieue sudde Paris ainsi que le confirme son accentsouriant. Il entendit beaucoup de musiquedans son enfance, son père mélomane écou-tait du classique classique, tel Bach, Beethovenou Mozart, tout comme son frère aîné, plusfriand quant à lui de Ravel, Debussy ouStravinski. Ainsi, tout gamin, il baigne dansune musique ignorant jazz, blues et autresavatars afro-américains. Comme le faisait laradio de l'époque... et celle d'aujourd'huipeut-on ajouter par parenthèse.

François a dix ans lorsque survient un deces événements qui bouscule le cours d'unevie, la révélation déclenchée par un voisin quilui fait écouter un 45 tours d'Elvis Presley :Heartbreak hôtel. .Cette musique jamaisentendue auparavant provoque un choc quasiphysique dont notre homme s'est à peineremis. Une autre opportunité ne tarde pas àse présenter, un voisin providentiel n'arrivantjamais seul. Près de chez lui habite en effetBert Bradfield, bien connu des amateurs dejazz qu'il ravitaille en disques introuvables. Sile jeune François ne compte pas parmi lesclients, il figure un peu plus tard comme audi-teur attentif. Ces disques précieux, stockésdans le garage d'un pavillon tout proche, luifont découvrir le monde des bluesmen, les

Big Bill, Lightnin' Hopkins, John Lee Hookeret autres.

GUITARE, BANJO, CHANSONSMaintenant le jeune homme a quln/c ans

et obtient le BEPC : il suggère de recevoir, enrécompense de ses efforts, le cadeau d'uneguitare. Les parents se résignent à satisfairece qu'ils prévoient comme un caprice sanslendemain. Erreur ! Chaque jour il va veillerfort tard pour s'acharner à tenter de maîtri-ser tant bien que mal le modeste instrument.Dans ses efforts il s'associe bientôt à descopains de lycée pour exécuter blues et rock.Comme les études ne sont alors plus suiviesavec conviction, il trouve à s'employer dans unebanque. S'étant offert un banjo, il peut répondreaux propositions d'un petit orchestre amateurdu coin, nommé hardiment The MississippiBoatmen. Ses récents complices commencentpar lui confier un disque de King Oliver afin dele familiariser avec la musique servant demodèle au groupe. La première impression estdésastreuse, mais elle se corrige rapidement :François ravi découvre en 1965 un autremonde, celui du jazz Nouvelle-Orléans. Il seconfronte aussi à de nouvelles exigences avecles répétitions et la lecture des grilles.L'orchestre connaît une bonne activité et notrebanjoïste, après une journée à la banque, joueau moins trois fois par semaine au Caveau de laMontagne. À cette époque, 1965-1967, ce styleremporte un franc succès comme au fameuxJazz Band Bail de la mairie du V". Il travailleaussi avec le Metropolitan Jazzola Eight dutrompette Daniel Vit et il prend même un moisde congé pour partir en tournée avec Irakli.

Arrivent ensuite l'époque du service mili-taire et, au retour, la démission de son posteà la banque ; le voilà professionnel en 1969.Les années 70 se passent hors du jazz, il oubliele banjo et joue du rock en utilisant parfois la

guitare basse. Plus aventureux encore, il com-pose des mélodies et travaille pour l'éditeurFrédéric Leibovitz, écrit des chansons et .lesinterprète et les enregistre. Mais, peu à peu, ilse convainc que cet emploi ne lui convient pasexactement.

COME-BACKLes années 80 marquent le retour de

François Fournet au jazz muni de son banjo etde sa guitare. Il joue beaucoup avec CyrilGuyot et Eric Luter, et aussi avec OrphéonCélesta. Il enregistre pour Stomp Off avec.cetorchestre d'Emmanuel Hussenot aux côtés deDaniel Huck et Philippe Audibert. En 'freelance' il se produit avec nombre d'orchestres,Claude Luter, Maxim Saury, Marc Laferrière...Sa rencontre avec Jean-Paul Amoureux va serévéler fructueuse : beaucoup de guitare boo-gie se fait entendre à La Huchette, au SlowClub et en concert ici et là. D'ailleurs destémoignages existent sur disque (Orchestralboogie 11° 2 et Boogie woogle train, les deuxchez Jazztrade, Blues for Véronique et Sam,chez Adda, Nothin' but boogie woogic, chezMilan, tous signés Amouroux).

Vers le début des années 90, FrançoisFournet, jusque-là catalogué comme banjoïsteNouvelle-Orléans ou guitariste blues-boogie,s'intéresse de plus près à la guitare jazz, telleque pratiquée par l'incontournable CharlieChristian, et travaille beaucoup l'harmonie. Ilfonde même un groupe baptisé Wltolly Cats, enhommage au maître, formation dont la duréede vie n'excédera pas deux ans, la fonction deleader ne correspondant guère à sa personna-lité. Bien entendu, il continue de participer àdiverses aventures, là encore le disque permetd'apprécier la qualité de sa contribution, parexemple avec Irakli & his Jazz Four avec MareRichard et Philippe Baudoin en 1994 (Black &Blue) ou Le Petit Jazz Barid de Monsieur Motelen 1997 (LPJ) et 1998 (Stomp Off) ou Spirit ofSBràgen2003(SoS).

BLUES DE PARISEn 2005 François Fournet rencontre

Christian Ponard, lui aussi guitariste et éga-

lement passionné de ce blues que tous deuxregrettent de ne jouer alors qu'occasionnelle-ment. Après des essais en duo faits en pre-nant beaucoup de plaisir, il apparaît qu'avecune contrebasse et une batterie ce pourraitdonner un groupe attrayant. Ainsi naît Bluesde Paris avec le renfort d'Enzo Mucci et deSimon Boyer.

Après avoir navigué dans divers styles demusique, pour François Fournet ce retour aublues et aux premières amours se dérouledans l'euphorie. Tous les amateurs qui ontl'opportunité d'assister à une prestation deBlues de Paris sont frappés par l'aisance dece quartette et séduits par son répertoire ori-ginal rassemblant morceaux connus ou peuconnus et thèmes personnels de François.L'impression se retrouve partiellement àl'écoute de leur CD. Portés par un plaisir dejouer communicatif, les musiciens swinguentde façon réjouissante, dans la bonne humeuret le bon humour. Manifestement ils ne tra-vaillent pas, ils s'amusent !

André Vasset

Bulletin du hcf 581 - mai 2009 Bulletin du hcf 581 - mai 2009