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Ça fait des siècles qu’elle raconte les mêmes mensonges

Ca fait des siècles qu'elle raconte les mêmes mensonges

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Maquette et corrections orthotypographiques réalisées dans le cadre du nouveau livre de Poïeo de La Roche-sur-Yon en 2010

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ça fait des siècles qu’elle raconte

les mêmes mensonges

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Auteurs dans l’atelier Poïeo :

Céline Bocquillon

Nina carlotti

Bernadette Fernandez-Ferrari

Anne-Sophie loret

Florent Perocheau

Caroline reBmann

Bénédicte trocmé

Marie Vallée

Atelier accompagné par Cathie Barreau, écrivain

Nous remercions vivement Valérie linder pour la couverture et les illustrations.

Atelier Poïeo, La Roche-sur-Yon, Pôle universitaire yonnais, organisé par l’Université de Nantes (Direction de la Culture et des Initiatives) avec le soutien de la DRAC des Pays de la Loire.

© Poïeo éditions, 2010Université de NantesDirection de la Culture et des Initiatives

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ça fait des siècles qu’elle raconte

les mêmes mensonges

Atelier Poïeo, La Roche-sur-Yon

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Yet it is in our idleness, in our dreams, that the submerged truth sometimes comes to the top.

« Mais n’est-ce pas quelquefois dans l’oisiveté, dans le rêve

que la vérité noyée émerge quelque peu ? » Virginia WoolF, Une chambre à soi

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Sommaire

Avant-propos 9

J’ai toujours été une grande feuilleteuse de livres 11

La douceur de vous faire part 21

Je t’écris de la salle de bain 31

Portraits sans ponctuation 43

Douleurs 53

Références 57

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Ce recueil présente la trace écrite d’une aventure collective, celle des étudiants du pôle universitaire yonnais, issus de différentes filières et réunis de novembre 2009 à mars 2010 pour lire, écrire et échanger.Poïeo est né sur le pôle universitaire de La Roche-sur-Yon, en 2006, d’un rêve. La volonté conjointe de partenaires enthousiastes lui a donné réalité. Depuis, chaque année, il offre à quinze étudiants la possibilité de se nourrir de lecture et d’écriture et il a essaimé sur le pôle nantais qui propose la même opportunité depuis 2008. Le rêve était de tendre la main aux étudiants qui voulaient prendre le temps de lire et d’écrire en marge de leur cursus universitaire. Impossible d’accepter, sans chercher une voie, ce constat natio-nal : les étudiants n’ouvrent des livres que pour développer leurs savoirs disciplinaires et même les bons lecteurs délaissent le loisir de la lecture. Naît l’idée d’un espace et d’un temps dévolus au livre, dans le cadre de l’Université mais hors des champs disciplinaires. La volonté conjointe de l’Uni-versité de Nantes et de la DRAC permet de l’envisa-ger concrètement et c’est Cathie Barreau, écrivain, qui va lui donner corps et rendre l’utopie possible à La Roche-sur-Yon. Elle et moi allons rêver, conce-voir, construire. Nous imaginons le partage de dix

Avant-propos

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lectures communes, des temps d’écriture et des temps de parole, l’approche de la réalité de l’objet-livre à la faveur de rencontres avec des profession-nels, éditeurs, écrivains, libraires. Chaque étudiant chemine à son rythme et en garde trace dans un journal personnel. Le projet est mis en place grâce à l’appui enthou-siaste et la détermination de Danielle Pailler, vice-présidente de la Culture et des Initiatives à l’Univer-sité de Nantes, Restait à trouver un nom fidèle à la conception de l’écriture que Cathie Barreau défend et que je par-tage totalement : un travail d’artisan, nourri de tous les écrits qui le précèdent, qui construit un texte et aussi son auteur. Nous avons adopté Poïeo, ce verbe qui signifie en grec ancien « je fais, je fabrique, je fais naître, j’agis, je crée » et qui est à l’origine à la fois de « potier » et de « poète ».

Claudine Paque,responsable culture

du pôle universitaire yonnais.

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J’ai toujours été une grande feuilleteuse de livres

« Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous n’ayons si pleinement vécus

que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. »

Marcel Proust, Journal d’un lecteur

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Dit très vitePlonger tout au fondDu sol au plafondSans un mot de plus, juste une pageDécorée par de sombres présagesS’enfoncer vers le hautChut, ce n’est pas ce qu’il fautEncore, encore liberté nouvelleLe temps te rendra éternelleVoilà... c’est fait.

Mourir en sourdineFermer les yeux et plonger dans l’abîme.

Caroline

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Je me souviens de la première fois où j’ai ouvert un livre, son odeur, sa texture, ses mots. Couverture épaisse en carton, pages gaufrées-pailletées, odeur du chocolat qui fondait sous ma langue, envolées lyriques et mots d’amour.Il y avait une princesse. Elle était belle. Rousse, che-veux bouclés, tressés minutieusement, des gouttes de rosée parsemaient ses cheveux. Des yeux verts, en amande, pupilles de chat. Et le même mystère félin. Une peau blanche, teint de porcelaine. Une bouche : deux pétales de rose. Une longue robe, soie et dentelle, couleur émeraude irisé.Le prince : grand, beau et fort. Valeureux et intelli-gent. Un corps de statue grecque. Mais aussi gentil et doux. La princesse riait quand il lui murmurait des choses à l’oreille et l’éclat de ses petites dents fines comme des couteaux semblait lancer des éclairs. Elle avait l’air mauvaise lorsqu’elle riait ainsi.J’étais jalouse d’elle. C’était moi que le prince aurait dû regarder. Et je lui aurais murmuré des choses à l’oreille. Je lui aurais dit :« Viens, approche-toi. Plus près : je veux devenir ton souffre-douceur. »

Nina

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Elle s’en va déposer dans un coin du jardin toutes ses confusions et ses anciens regrets,et si la terre est molle, les enterre tour à tour.Elle creuse tout doucement et vaguementsurgissent les racines, les feuilles et la folle envie d’y croire.Alors sans réticence et sans se retourner, elle rentre à la maison.

Bénédicte

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Je me souviens de l’odeur des vieux livres.Je me souviens de ces moments où l’on déverse nos sentiments sur le papier, sans s’arrêter.Je me souviens de mon amour pour l’orthographe.Je me souviens des Tuniques Bleues et des Gaston Lagaffe de mon papa que je lisais, chez ma mamie, sur le toit du four à pain qui se trouve dans la cour.Je me souviens des révisions : « un chapitre de cours, un chapitre de livre ». Ou peut-être deux...Je me souviens de la première fois où j’ai joué au cadavre exquis.Je me souviens de ces moments entre amis où je sors mon livre un instant pour m’évader et qu’ils s’indignent.Je me souviens de ces moments où je n’entends plus personne autour de moi lorsque je lis.Je me souviens que je n’aime pas qu’on lise ce que j’ai écrit sans mon autorisation, insidieusement.Je me souviens que j’aime cette histoire où le libraire envoie simplement des pages qu’il aime à ses proches. Sans un mot de plus. Juste une page.

Céline

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Il est des mots pour dire,

des mots amoureuxque l’on glisse à celui,

que l’on dessine à celle, il est des mots lumière

éclats d’éternitéde souvenirs

perdus.Il est des mots à elle,il est des mots à lui,

des mots couleursoleil,

chauds et tendres fleur du blé qui nourrit.

Il est des mots rêvespalpitants,

des mots trêves entraînants

Il est des mots laiteuxd’une lune assoupie.

Il est des mots d’amour, des mots à eux,des mots terre,

des mots fragiles qui

brillent à qui mieux mieux

Il est des mots humides, doux et tendres,des mots touffus, des mots joufflus qui ne parlent pas,

des mots oranges,des mots que l’on mange.

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Il est des mots féconds aux couleurs

étranges de ce miracle

fait vie.

Bernadette

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Je me souviens d’une gare où j’ai écrit ces mots – un départ.Je me souviens d’un soir où j’ai lu sans dire mot les métaphysiques de cet auteur notoire.Je me souviens du désespoir qui m’a conduit à rédi-ger ces maux dans le noir.Je me souviens, il est tard, d’un flot d’histoires, de mots entremêlés qui bousculent ma mémoire.Je me souviens continuer l’histoire au fil des gares, des radars et des regards hagards.Je me souviens m’asseoir sur mon lit, éponger un coup de Trafalgar dans des poèmes incompris – Rimbaud c’est illusoire.Je me souviens de ce laboratoire jauni où sont recensés mes mots, favoris, fanés, usurpés sans le vouloir.Je me souviens croire encore dans cet amour péremptoire qui m’a permis de vivre l’écriture comme une forme d’exutoire.

Anne-Sophie

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Je me souviens du bruit de la plume sur le papier, de l’odeur de l’encre et du plumier, des premiers mots sur le cahier, des premières difficultés. Je me sou-viens de la maîtresse embigoudée, de l’alphabet a, b, c…, de ma lecture toute embuée, du mot « maman » émerveillée. Je me souviens de ces journées milli-métrées, de ce temps élastique, des problèmes arithmétiques, des trains, des baignoires, de mon instituteur asiatique, de son humour atypique, du papier à musique. Je me souviens de mon enfance, de cette douce nonchalance, des jeux de billes, gar-çons et filles, de nos bagarres, de nos retards, de nos regards, noirs. Je me souviens de la lumière, de la dictée, des soirs d’hiver, de mes paupières se fer-mer.

Bernadette

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La douceur de vous faire par t

« Pendant la dictature militaire en Argentine, la haine et la peur de tout

ce qui portait un uniforme étaient palpables. » Alberto Manguel, Journal d’un lecteur

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Tout doucement – elle tremble toujours un peu – la vieille dame passe la fenêtre et va dans le jardin. C’est là où se trouve la bibliothèque qu’elle pré-fère, les livres entassés sur le sol qui se mélangent aux feuilles et ne craignent pas la pluie. C’est là où, malgré tout, elle se rend chaque matin en por-tant le plateau, le thé et les gâteaux. Elle marche très lentement mais sans jamais faillir, même si la boue, les pages et les papiers froissés envahissent la terre. Et lorsqu’elle s’est assise, lorsqu’elle se penche un peu pour ramasser un livre, elle aime ce qui l’attend : boire une gorgée, soupirer à nouveau parce que le thé déborde et voir sur la page la tache se répandre. Le sucre, la boue et les encres mouillés masquent un peu plus, avec le temps qui passe, les lettres des romans. Tous les livres sont sales mais ça lui est égal. Elle chuchote au coin des arbres « j’ai toujours été une grande feuilleteuse de livres » et quand elle se retourne, le dos collé aux branches, elle aime à regarder tous ces milliers de mots qui se sont effacés. Elle les connaît par cœur. Les grandes douceurs sont muettes, elles ne se disent jamais et c’est quand elle est seule qu’elle peut fermer les yeux et les entendre enfin. Vivre dans sa tête, déjà un peu folle, et dans son corps, maigre et tremblo-tant ; les gens autour d’elle qui ne disent plus rien la regardent faire, chaque matin, un tour dans le jardin.

Bénédicte

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Nous n’avons pas commis les crimes d’aval.Nous n’avons pas commis les crimes d’amont.Nous n’avons pas commis les crimes d’amants.

Nous ne sommes pas des hommes qui font ainsi.Nous ne sommes pas des femmes qui font ainsi.

Aucun n’attaque et nul ne fuit.

Et de toute manière, autant laisser ses mains s’envoler.

Douleur, rancœur, mais autant laisser ses mains s’envoler.

Je mettrai bientôt fin à ton décembre, avait-elle dit.Mais il n’avait pourtant jamais existé,

ce décembre.

Janvier non plus n’avait jamais existé.

Rien, rien n’arrive et rien ne s’en va.Alors, autant laisser ses mains s’envoler.

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Nina

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Mourir en sourdine,Quitter le monde avec mille précautions de silenceS’en aller, comme ça, sans même un souffle d’au revoir.Et requérir, ne requérir aucun épanchement posthume des canaux lacrymaux.Il y a cependant la crainte, celle d’avoir existé sans avoir bouleversé quoi que ce soit.On est plein de peurs.Demain est un autre jour, un autre texte, d’autres mots.

Toute la journée d’une femme. Et dans cette journée sa vie entière.

Céline

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C’est une convention de croire que sueños et cau-chemars n’apparaissent que la nuit. La brioche, sur la mesa, est toute ratatinée. Esta cansada, des-séchée, marchita, abandonnée. C’est une drôle de mer qui, au fond, reste le fou qui, simplement je ou nous ou tu ou el o ella, en faim, ou plus tôt, nunca màs. Plus j’aimais ! Màs de todo ? Plus ! Moins ? Quiero màs de todo ! Pas moins de plus et pas plus de moins. Mais que fait-il ici ese hombre, ce héros de fuego ? Une apparition souffrante, soufflante. Illusiòn ? Realidad ? Drôle d’idée. Tengo de drôles d’idées cuando je m’y mets ! Escucha : « vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes ». J’ai besoin de faire la somme ou peut-être un somme. Ah… ! Vienes conmigo ? Sí ? Alors, tout est permis ! « Il pleut sur Nantes ». Bella canciòn… Tu viens ? A dònde ? Sur le chemin ! Antonio ? « cami-nante, no hay camino, se hace el camino al andar». Anda ! Vamos ! Par ici, por aquí, por allà. Ven ! Qui vivra verra ! « Ya d’la joie, lalalalalalalala» !

Bernadette

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Pendant presque cinquante ans je suis resté silencieux.Le temps est si lent si on y prête attention.Vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes.En somme, l’heure sonne à qui sait attendre. Les yeux mi-clos j’entrevois la vie sommairement. Le temps passe et me laisse un goût amer. M’enivrer de toutes ces choses me fait du bien.Je me souviens croire encore dans cet amour péremptoire qui m’a permis de vivre l’écriture comme une forme d’exutoire.De soir en soir, assis près du comptoir, je conte toutes mes histoires. Une image brisée ressort du miroir.Je me souviens d’une gare où j’ai écrit ces mots - un départ.

Florent

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Je ne m’excuserai pas, je n’exclurai rien.Vous m’avez donné la vie, j’embellis la vôtre.

Je l’embellis comme je l’entends, de ces mille petits évènements belliqueux

qui disparaissent dans des flots inconscients.Plus de traces.Et pourtant.

Je viendrai le soir. Je chuchoterai à votre oreille : « J’ai la douceur de vous faire part de mon amour pour votre livre. » Et vous me rendrez la pareille.

Car je l’ai aimé comme je vous connais. Je l’ai visité, comme vous.

Il est des livres que nous parcourons dans l’allégresse, de l’altitude dans nos rêves. On en ressort gonflé de fleurs, la poudre aux yeux, ou on n’en ressort pas.On ressent pourtant toujours comme un abandon délicieux. Vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes.Et ce cri dans les décombres : Réinventez-moi !

Marie

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Regarde-moi, s’il te plait, regarde-moiOù cours-tu, lentement, tu m’évites ?Regarde-moi, s’il te plait, regarde-moiRappelle-toi, je me souviens de chaque cahierRegarde-moi, s’il te plait, regarde-moiSens dessus, sens dessous, dit très viteRegarde-moi, s’il te plait, regarde-moiLe navire coule, l’encre m’a éclaboussée

Regarde-toi, s’il te plait, regarde-toiDes larmes en terre, pour des âmes au cielBon détache-moi s’il te plait avant qu’Anne ne s’éveille.

Anne-Sophie

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C’est une convention de croire que rêves et cauche-mars n’apparaissent que la nuit.

Elle se levait, gestes sans éclat, en rêvant que le blanc était noir, que le noir était blanc, et que la nuit n’était pas encore achevée.

Elle se levait, sa bouche, bouton de rose, ses yeux, livides, gorgés de blanc, pupilles tristes, et son corps, qui suivait les contours de l’aube.

Nina

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Craindre la douceur

Se heurter aux murs

Arnacher ses peurs

Cracher des injures

Ainsi est mon monde

Entré dans la ronde

Je reste à ma place

Sans assez d’espace

L’écriture comme

Mon échappatoire

L’écriture gomme

Ce monde trop noir

Céline

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Je t’écris de la salle de bain

« Il se peut que je fuie mais tout au long de ma fuite je cherche une arme »

George Jackson

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Paris, 16 juin 1911

À celui qui trouvera cette lettre,

Ronde, ronde de lettres d’amour bohèmes... L’histoire d’un amour. L’histoire avec sa petite hache, comme celle qu’on lit dans les livres. Rêvasserie éveillée ou réalité malicieuse ? Jamais je ne saurai. Cet être à qui j’avais donné plus de mon attention et de ma tendresse qu’aux gens de la vie. À travers les let-tres, à travers les mots et les désirs manuscrits. Une lettre par jour. Quelle époque merveilleuse. Je les assemblais jour après jour ; me fabriquant mon monde de rêves et d’univers d’amour. Je me créais mon propre livre. J’aurais tant voulu que cela continue. Chaque jour je ne pensais qu’à descendre à la boîte aux lettres, finir, tout de suite après, le chapitre interrompu et complété par une nouvelle missive. Jamais aucune n’a manqué à l’appel. Elles se lisaient, caché, aux heures du jour ou de la nuit qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour pouvoir leur donner asile. Jusqu’au jour où l’on sait qu’il va écrire l’épilogue et qu’on ne le verrait plus jamais, on ne saurait plus rien de lui. Mais je ne vais pas me plaindre de toutes ces lettres et de leur fin.

À vous, je vous le dis, cher inconnu, écrivez ! écrivez à n’importe qui. Tout votre amour pour le monde. Abandonnez une lettre d’amour sur un banc. Décla-mez votre œuvre. Sur la place publique. Chuchotez des mots d’amour aux oreilles des passants.

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J’aurais voulu lire d’autres livres de lui où toutes les phrases seraient aussi belles que celles qu’il m’a écrites. À vous, maintenant, d’écrire pour quelqu’un qui, aussi, rêvera impatiemment de vous lire, encore et encore.

Et passer le mot.Arthur

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Londres, dans une chambre, le 3 août 1917, à 14 heures

Mon amour,

C’est sur ma veille chaise préférée, devant mon secrétaire en bois brun que je t’écris.

Je regarde ma chambre, décorée minutieusement par mes soins, et je ressens soudain un grand senti-ment de plénitude. Pour la première fois de ma vie, je me sens réellement fidèle à moi-même. Cette chambre est un sanctuaire, lieu de toutes mes inspi-rations. J’écris maintenant calmement, et non plus contrariée, au milieu des bruits et des interruptions dans le salon. Maintenant, je peux vraiment écrire.

Paressant loin de toi, je m’y sens pourtant de plus en plus proche. Je ne ressens plus l’amour d’une femme contrôlée et dominée par son mari mais les élans d’un cœur libre vers l’homme qu’il a choisi.

Je retourne maintenant à mon roman.

Avec liberté et amour,Virginia

P.-S. : Dans cette chambre, j’écris comme je n’ai jamais écrit.

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Dans une salle de cours,le 14 octobre 2004

La roue du destin tourne à l’envers. Ta fuite, ta fugue, n’a pas de sens. Ensemble. On devait par-tir ensemble. Mon amie, mon double, pourquoi cet abandon ? Souviens-toi de nous, nos moments de silence qui voulaient tout dire. Perdues chacune dans nos pensées. Ailleurs, mais ensemble. Cet ailleurs m’a volé ce que j’avais de plus précieux. Je m’écroule, le mur est là, tout blanc, je ne l’avais pas vu venir. Et au fond reste le fou, l’animal que je suis. Toi seule avais le pouvoir, les clés essentielles pour me déchiffrer. Quelque part un mot souffre de tout son sens en nous, dans mon cœur, il y a « solitude ».

Ton amie

P.-S. : Reviens, je t’en supplieTout me fait peur, me dégoûte même. Tout n’est qu’ombre, froideur et colère. Je t’en veux tu sais. Presque autant que je t’aime. Les mots me brûlent tellement je les ressens. Je t’imagine, dans notre ailleurs, avec ton sourire de façade et tes maniè-res de poupée. Tu m’impressionnais souvent. Une telle force. Mon amie, mon espoir. Ma folie, mon échappatoire.

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Paris, le 2 juin 1968, à 3 heures du matin

La nuit est longue. Je n’arrive pas à dormirJe pense à toi, à nous.Les chats sont gris dehors. Ils attendent comme moi. La lumière du souvenir vacille.De temps en temps. Le jour est court.La première fois : « Pardonnez mon indélicatesse, mais portez-vous le deuil d’un être cher ? » J’ai acquiescé oui, hier, celui d’un abandon courtois.

Ton souffle chaud dans mon oreille, mon nez égaré dans ton cou. « Pour nous c’est le présent qui est constant, nous refusons de le laisser partir ». C’est tout.Le crépuscule de l’aube, au matin. La douceur m’éveille, tu souris sans pareil.« Tandis que je méditais (...) et que je me répétais la scène « dans ses mouvements fougueux, il s’était ouvert sur son décolleté souligné de sa sempiter-nelle frivolité de dentelle » (...)Raconte moi l’agitation, l’excitation.Doux plaisir, contrefaçon.Je veux de toi.Sommeil.

A. Herbault

P.-S. : J’oubliais. Retrouve moi demain devant le pub du St Germain. Je mettrai mon rouge à lèvres et mon écharpe à pois.

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Paris, le 2 juin 1968, à 11 heuresHm.Ce rouge cerise, je le croque – le parfum fruité de ton étole, tu m’évoques.La maladie d’amour.Eh bien oui je l’ai attrapée. Avec toi, le mois dernier.Amour, j’ai du mal à dire, à trouver mes mots.Je préfère penser au plaisir de te caresser le dos.

À ce soir,Paul

P.-S. : Je mettrai ma veste mouchetée et mon cache-mire noir

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Paris, le 32 décembre 1999

Chère amie, mon amour,

Je t’écris un jour qui n’existe pas, une année qui n’existe plus et qui a emporté avec elle les restes d’un millénaire révolu, pour te dire que pour l’ins-tant tout va bien. Dans cette ville trop grande, trop bruyante, trop brillante, j’ai installé mon petit confort et me suis accordé le luxe de penser à toi. J’ai dans la tête comme le souvenir d’instruments ordonnés jouant une symphonie à ta gloire. Si loin que tu sois, je te vois calme, sereine, couronnée d’une lune d’avril flamboyante, magnifique. Dehors, il fait un froid d’hiver et je préfère rester là où je suis, là où les restes de ton feu me réchauffent. Je regarde un peu par la fenêtre le glissement des têtes de ceux qui sont là sans jamais vouloir partir. Certains sont encore tout ébahis d’avoir survécu, d’autres semblent avoir des regrets. Si tout fut feu d’abord, tout est maintenant éteint. C’est triste. Tu es par-tie juste à temps pour y échapper. Heureusement, tu m’as laissé l’essence de ta présence. Elle flotte autour de moi. Elle est restée attachée à l’année qui est partie, je crois. Je prolongerai décembre jusqu’à ton retour pour qu’elle me tienne compagnie.

Bonne année, bon millénaire ma petite muse,

Louis

P.-S. : Reviens vite !

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Nantes, 3 janvier 2000

Mon chéri,

Dès que j’ai reçu ta lettre je suis partie m’enfermer dans la salle de bain, à clé, et qu’on ne me dérange pas !Assise entre la baignoire et le lavabo, j’ai savouré cet instant où, la lettre encore fermée serrée contre ma poitrine, je me suis imaginée toutes sortes d’évè-nements tragiques qui auraient pu t’arriver. Ce que pouvait contenir ta lettre ne pouvait être pire. Je n’ai pas tardé à ouvrir l’enveloppe, toute angoissée et les mains tremblantes. Tu te doutes donc à quel point j’ai été soulagée de savoir que tout allait bien pour toi. Je regrette d’être partie, même s’il le fallait. Rien n’a explosé au passage à l’an 2000, tout le monde est vivant et ces premiers jours de janvier sont gris et décevants. Tout me semble moche. Il me tarde de revenir. Ne t’attache pas trop à cette essence que j’ai laissée derrière moi car je rentre bientôt rejoindre ton monde. C’est lorsque je suis loin de lui – loin de toi – que tout devient gris autour de moi. Et en ce moment j’ai besoin de couleurs. Je mettrai bientôt fin à ton décembre.

Attends-moi.

Ta petite muse

P.-S. : Je suis restée dans la salle de bain pour écrire. Le carrelage est très moche et très froid.

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1er janvier 2010

Ma tendre, mon amour

En ces premières lueurs du jour, à l’instant même où l’astre brûlant inonde mon présent, je t’attends. La nuit s’en est enfuie emportant, avec elle, la lune marine. Douces émotions, brûlants nectars qui m’enivrent. Les minutes s’égrènent à la saveur tendre de ton souvenir.

Mon amour.

À tes yeux, à ta bouche, l’échelle de mon présent s’abandonne.Regarde ! Comme la terre fertile qui porte en son sein le pain du peuple, je me nourris de ta pluie céleste. Le reflet de ton visage, dans le creux de mon épaule, attend ton retour.

Je nous espère.Attends-nous.

Tu Querido

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10 janvier 2010

Querido,

À peine ai-je reçu ta missive que mon cœur n’en fait qu’à sa tête. Il s’emballe, se rebelle contre le rythme imposé de sa mécanique. Mouvement incessant, trouble et enivrant, rien pour le raisonner. Il se joue de la partition que tu m’avais laissée. Tes mots dans ma bouche filtrent le doux désordre que me procure l’émotion des lettres de ton nom. Tes mots forment un chant, un tourment qui brûle mon présent.

Mi amor.

De ma fenêtre parisienne, je vois la lune citadine. Elle luit au-dessus des toits. Elle est pâle, affaiblie. Elle s’ennuie. Je suis à son image. Tu es loin, je suis sage. De tes contrées australes, tu me vois au plus mal.

L’amour est une brûlure qui me consume de ton absence.Reviens, reviens vite,la bonne heure nous attend.

Je t’envoie de ma lucarne, haut perchée,mille baisers.

Mon amour, ta tendre

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Chère Virginia,

J’ai la douceur de vous faire part de ma passion pour votre livre. Son intrigue, ses personnages, son atmosphère mystérieuse, son histoire. La com-plexité des personnages et leur fort caractère les rendent réels et attachants. J’ai l’impression d’avoir vécu et discuté avec eux, de les avoir connus dans les moindres détails. Votre livre était comme un échappatoire pour moi, un autre monde dans lequel je me suis plongé et où j’aurais aimé rester. Plus j’avançais dans l’histoire et plus j’appréhendais ce moment de la dernière page, du dernier paragraphe et du dernier mot. Ce moment tant redouté finit par arriver. Je me souviens avoir refermé le livre, avoir éteint la lumière, avoir souri et m’être endormi.

Florent

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Por traits sans ponctuation

« Le poème est le point le plus faible de la cohérence » Henri Meschonnic

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elle prend son envol à travers les arbres elle est seule elle parcourt la forêt entière à ses pieds c’est l ’hécatombe son chant résonne dans l ’ immensité du vide elle est comme un marin dans l ’océan comme un homme dans le désert elle rencontre une autre tourterelle elle paraît se voir dans un miroir

i ls prennent leur envol c’est comme un jeu pour eux i ls r ient à travers les nuages i ls profitent de chaque instant de chaque miette i ls s ’épaulent puis i ls divaguent i ls se mentent i ls se plaignent i ls s ’abandonnent

elle est sur le bord de la fenêtre elle scrute à l ’ intérieur dans la pièce un homme allongé i l a une cigarette à la main un bruit assourdissant s’échappe de la théière dans la cuisine une radio posée sur le bord d’une commode un air de piano étouffé elle prend son envol.

Florent

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c’est fou comme il est vague on n’en voit plus les contours i ls vont se dénudant alors i l crie beaucoup pour ne pas qu’on l ’oublie i l tape souvent du pied en faisant des caprices mais personne qui l ’écoute i ls sont trop occupés cet homme c’est fou comme il est vague

ça fait des siècles qu’elle raconte les mêmes mensonges c’est comme un jeu pour elle c’est un souffleur caché dans les nuages qui divague à sa place et vient tous les soirs lui raconter la blague et ça la fait bien rire elle passe ses journées à ennuyer les autres surtout les f i l les en fait alors on la fait taire

il en peut plus de construire tous les jours des idées qui servent à rien i l sait plus goûter à rien i l a plus d’harmonie i l a plus de sourires i l sait même plus ce que c’est qu’être enfant i l se souvient plus de la mélodie i l fait des creux dans la terre tel-lement i l tourne en rond et i l espère qu’un jour y a tout qui s’écroulera pour pouvoir dire à tous je vous l ’avais bien dit

Bénédicte

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i l a toujours cherché la compagnie des tourterelles mais toujours trop tard la nuit où vieil enfant i l est l ’empereur de son pied en son royaume de papier bâti sur des vagues d’insectes sortis de derrière ce rideau à f leurs horrible qu’i l aimerait arracher mais bon on ne fait pas ce qu’on veut quand on rêve de planches on frissonne dans l ’eau et gracile l ’eau rigole s’emporte comme le vieux assis sur son banc qui crie lorsque les tourterelles s’envolent i l est seul

i l aimerait être vieux comme une poudrière coléreuse qui pendrait de sa canne des montagnes persiff leuses lorsque le bruit de trop de souffles viendrait mordre ses oreil les son bec siff leur ratatinerait les nuages plus bas que terre juste comme ça parce que et ça lui plairait bien de parader sur les épaules d’une huppe vagabonde mais dans ses poches i l ne trouve que des miettes qu’i l creuse comme un puits sans f in ça le tenail le et en attendant sa huppe ce n’est qu’un gosse

elle perd ses mains à force de les faire s’envoler par la fenêtre chaque fois qu’un souffle agite leurs ai les et el le soupire elle n’y peut rien elle pourrait se plaindre mais préfère hausser les épaules dans l ’attente d’un nouveau cri à accueil l ir de son sourire

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crissant mais beau dans sa dissonance comme ces chansons aux sons aigus qui rayent sa mémoire de petits si l lons les mêmes que sur sa bouille et el le semble heureuse de voir les autres même s’ i ls s ’en fichent elle leur prépare de cette bouill ie rouge de rouge des fraises de ce jardin qu’elle n’a plus et de toute manière autant laisser ses mains s’envoler

Marie

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volant un insecte une échel le qui porte au ciel une étoi le entre les deux l’hirondel le le cirque miroir de l’espérance l’eau coule sur les planches l’homme heureux se grandit veut at teindre l’hirondel le l’étoi le se moque l’hécatombe est si lencieuse la chute fa it mal mais ne tue pas tota lement l’hirondel le tournoie v irevolte dans la nuit douce protect ion l’homme a pris un raccourci direct ion les cieux chut i l ferme les yeux

écrasé le bec de la huppe picore les miet tes morceaux de mensonges éparpi l lés el le éta it écar telée toujours prête à divaguer refuser sa l iber té sa tête éta it sa prison la v ie un jeu des siècles d’abandon un trou béant dans sa poit r ine du sang noir perla it à son cœur v isible une femme balayée un coup de vent l’a emportée l’aurais-je imaginé ?

immobile l’a ir de r ien la minute qui suit tend la main une rose son épine mélodie des pleurs et des aboiements d’un chien cacophonie d’une v ie t rop t ranquil le une maison et un jardin qui défi lent métaphore du genre humain accrochez-vous bien bienvenue chez les miens

Carol ine

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un homme tourte et elle tressail l i t dans la vague les insectes en choeur plongent dans le miroir quel raccourci les pieds d’eau de la femme frissonnent devant les convulsions de bois c’est énorme les arbres aux yeux de braise restent f igés mais l ’homme eau tourne d’elle éteint étincelle drôle de cirque

une poudrière est une montagne un art elle mensonge cette terre de nuages de braises lui l ’archipel aux bâtons siff lants sombre au soleil brûlant rions personne aujourd’hui c’est un jeu une poussière un éclat d’hier

un homme échelle siff lote sur le chemin rien ni personne ne l ’atteint i l va contre le vent la terre est son royaume pas de nuages stridents pas de où pas de quand sur le chemin l ’échelle rétrécit l ’homme devient fourmi petit petit tout petit disparaît sur une chaise le soleil sourit c’est f ini

Bernadette

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i l a le sourire aux lèvres et un bouquet de roses rouges à la main i l va rejoindre son gain de jeu Maria chevelure noire de jais i l a tout prévu maison chien enfants d’abord aller construire des murs de soleil près du pacif ique pour y loger son cœur près de celui de la femme gagnée aux cartes mais mon pauvre Jean tu divagues descend de ton nuage el le ne t ’aime pas ne crois pas les mots doux qu’el le te murmure à l ’orei l le e l le sait comment t ’amadouer t ’emprisonner dans un archipel de mensonges ne la crois pas dans quelques heures i l ne restera de toi qu’un peu de sang à éponger négligemmenti l marche sur le trottoir les talons des femmes claquent sur le béton quand elles courent sous la pluie la pluie ça le rend encore plus heureux parce que ça lui fait penser à la chanson un chat noir passe sous ses jambes manque de le faire trébucher et ça le fait r ire une femme brune sur le banc i l ne voit pas son visage mais i l sait qu’elle l ’observe derrière son grand l ivre ouvert i l s ’en fiche Maria chevelure noire de jais l ’attend chez lui prête à tout maison chien enfants et même aller construire des murs de soleil pour y loger leurs cœurs côte à côte quand i l passe près de la femme il entend un bruissement et un l ivre qui claque en se refermant i l s ’en fiche i l pense au murmure des cheveux de

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Maria sur ses épaules quand elle danse i l entend un bruit de pas qui se rapproche i l pense au bruit des pas nus de Maria sur le carrelage le matin i l sent une lame de couteau sous sa gorge

un héros de feu une apparit ion souffrante mais une douceur dans les f lammes une douleur dans le visage parce que son cœur reste bloqué au fond de sa gorge lèvres gonflées des cicatrices dessus tant i l a essayé de le dire sans y parvenir i l la voit maintenant partout apparit ion pied gracile œil de chat coupe les mots les mots heureux se sont envolés en fumée cachés sur le bord du sentier i l ne peut les retrouver laisse -nous seuls moi et mon cœur et le cœur frustré qui s’est enflammé dur comme de la pierre comme deux silex frottés l ’un contre l ’autre la douleur était tel lement vive des mots au fond du cœur qui n’arrivait pas à dire je t ’aime

Nina

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Douleurs

A c c o u c h e r d a n s l a d o u c e u r « J ’ a i l a

d o u c e u r d e v o u s f a i r e p a r t » A p p r i v o i s e r

l a d o u c e u r U n c r i d e d o u c e u r Av o i r

u n e d o u c e u r C a l m e r l a d o u c e u r « J ’ a i

c o m p r i s m a d o u c e u r » C r a i n d r e l a

d o u c e u r U n e d o u c e u r a i g u ë D o m i n e r s a

d o u c e u r E x p r i m e r s a d o u c e u r D o u c e u r

d e v i v r e E x t é r i o r i s e r l a d o u c e u r G é m i r

d e d o u c e u r G r i m a c e r d e d o u c e u r

Pa r t a g e r s a d o u c e u r « J e v a i s p r e n d r e t a

d o u c e u r » Pa r t i r s a n s d o u c e u r P l e u r e r

d e d o u c e u r S o i g n e r l a d o u c e u r Ta i r e s a

d o u c e u r Va i n c r e l a d o u c e u r U n c h a n t

d e d o u c e u r « L e s g r a n d e s d o u c e u r s s o n t

m u e t t e s » D o u c e u r a u c œ u r U n e g r a n d e

d o u c e u r U n e d o u c e u r i n t e n s e D o u c e u r

d e p a r t i r U n s o u f f r e - d o u c e u r D o u c e u r

s o u r d e « S o i s s a g e , ô m a D o u c e u r »

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p. 23 : Nous n’avons pas commis les crimes d’amont, René Char. Aucun n’attaque et nul ne fuit, Henry Bauchau.

p. 25 : Au fond, reste le fou qui, simplement je, François Bon. Vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes, François Bon.

p. 26 : Pendant presque cinquante ans je suis resté silencieux, Jean Gény.Vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes, François Bon.

p. 27 : Il est des livres que nous parcourons dans l’allégresse, Alberto Manguel.Vision qu’un monde s’écroule où dedans nous sommes, François Bon.

p. 28 : Des larmes en terre, pour des âmes au ciel, Jean-Yves Jouannais.

p. 35 : Et au fond reste le fou, François Bon.

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Références

Voici les douze livres qui nous ont inspirés :

Bauchau Henry, « Diotime et les lions », Babel, 1997, 60 p.

Bon François, « La ville est ce cri », Inventaire/Invention, 2002, 38 p.

Bon François, « Souci », Inventaire/Invention, 2000, 24 p.

cathrine Arnaud, « L’invention du père », Seuil, 2001, 179 p.

char René, « éloge d’une Soupçonnée », Gallimard, 2007, 200 p.

Gellé Albane, « Un bruit de verre en elle », Inventaire/Invention, 2005, 30 p.

Gény Jean, « KLB F 38 748 », Manège éditions, 2001, 159 p.

Jouannais Jean-Yves, « Prolégomènes à tout château d’eau », Inventaire/Invention, 2001, 52 p.

léPront Catherine, « Lou », Inventaire/Invention, 2001, 42 p.

manGuel Alberto, « Journal d’un lecteur », Babel, 2006, 244 p.

Proust Marcel, « Sur la lecture », Actes Sud, 1988, 61 p.

Woolf Virginia, « Une chambre à soi », 10/18, 1996, 171 p.

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Ils ont participé à cet atelier, accompagnés par Cathie Barreau, écrivain :

Céline Bocquillon,étudiante (DUT département Infocom)Nina carlotti,étudiante (DUT département Infocom)Bernadette Fernandez-Ferrari,formatriceAnne-Sophie loret,étudiante (licence pro métiers de l’édition)Florent Perocheau,étudiant (licence droit)Caroline reBmann,étudiante (DUT département Infocom)Bénédicte trocmé,étudiante (DUT département Infocom)Marie Vallée,étudiante (licence pro métiers de l’édition)

Achevé d’imprimer en avril 2010 par l’Imprimerie centrale de l’Université de Nantes à Nantes, Loire-Atlantique

Mise en pages : Céline Bocquillon Cet ouvrage a été composé

en PetitaLight corps 14 pour les titres et en Contra corps 10 pour les textes.

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