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Depuis que l'homme a pris conscience de sa mort, et accompagne ses défunts dans la tombe, il donne à sa vie un autre sens symbolique ou spirituel. Les plus anciennes sépultures actuellement connues datent du Néandertal, il y a environ 80 000 ans et le site mégalithique de" Stonehenge a été érigé 2000 ans avant J.C. Depuis, rites, initiations, religions accompagnent l'homme dans sa recherche à transpercer le mystère de la mort, sa quête d’absolu. C'est toute l'histoire de l'humanité qui est ici en germe ; elle est l'apprentissage d'un lent passage de la violence à la parole, de l'animalité à l'humanité. Dans toutes ces démarches se trouve une première étape, une anti-chambre au voyage . Home Alchimie Symbolisme du Cabinet de Réflexion Symbolisme du Cabinet de Réflexion 23 février 2012 Category: Alchimie , Esotérisme , Franc-Maçonnerie , Réflexions , Spiritualité , Symbolisme 5 Comments Cette nature morte de Cézanne date de 1866. Le crâne, le livre, la fleur et la chandelier sont tous des attributs d’une vanité. En prolégomènes, j’aimerais citer cette phrase d’Aristote : « Ceux que l’on initie ne doivent pas apprendre quelque chose, mais éprouver des émotions et être mis dans certaines dispositions. » Alors voilà, je vous présente ce midi mes réflexions sur le cabinet de réflexion, sans (s) au mot réflexion, cabinet de silence, cabinet de méditation, cabinet de solitude .. et d’isolement, cabinet de recueillement.

Cabinet de Reflexion

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Page 1: Cabinet de Reflexion

Depuis que l'homme a pris conscience de sa mort, et accompagne ses défunts dans la tombe, il donne à sa vie un autre sens symbolique ou spirituel. Les plus anciennes sépultures actuellement connues datent du Néandertal, il y a environ 80 000 ans et le site mégalithique de" Stonehenge a été érigé 2000 ans avant J.C.Depuis, rites, initiations, religions accompagnent l'homme dans sa recherche à transpercer le mystère de la mort, sa quête d’absolu.C'est toute l'histoire de l'humanité qui est ici en germe ; elle est l'apprentissage d'un lent passage de la violence à la parole, de l'animalité à l'humanité.

Dans toutes ces démarches se trouve une première étape, une anti-chambre au voyage .

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Symbolisme du Cabinet de Réflexion

Symbolisme du Cabinet de Réflexion

23 février 2012 Category: Alchimie, Esotérisme, Franc-Maçonnerie, Réflexions, Spiritualité, Symbolisme 5

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Cette nature morte de Cézanne date de 1866. Le crâne, le livre, la fleur et la chandelier sont tous des attributs d’une vanité.

En prolégomènes, j’aimerais citer cette phrase d’Aristote :

« Ceux que l’on initie ne doivent pas apprendre quelque chose, mais éprouver des émotions et être mis dans certaines dispositions. »

Alors voilà, je vous présente ce midi mes réflexions sur le cabinet de réflexion, sans (s) au mot réflexion, cabinet de silence, cabinet de méditation, cabinet de solitude .. et d’isolement, cabinet de recueillement.

Ma vie maçonnique a commencé par une descente hésitante et malaisée dans le ventre de la Terre. Je parlerai plus tard des analogies entre le cabinet de réflexion et la grotte, la caverne… ou je pense plus justement la crypte.

A ce moment précis de ma vie, il a représenté pour moi une sorte de sas, de passage, entre deux vies, où ma seule certitude était la nécessité de tourner une page. Le chemin que je venais de prendre était celui de l’initiation, du latin Initiare, qui veut dire commencer.

Je ne savais pas ce qui m’attendait, mais je pressentais qu’un changement, une « transmutation » allait se faire en moi, et c’était dans cet étroit et noir espace enfoui dans la Terre que tout ce processus devait commencer,

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ma mort initiatique, et une seconde naissance à quelque chose de meilleur, mais tellement encore indéfinissable !

Le reste autour de moi était mystère…Je suis d’ailleurs maintenant stupéfaite de n’avoir pas, au moins un peu, compris le sens des éléments qui ornaient cet endroit. Je me disais : plus tard je comprendrai…Maintenant je sais que de nombreux symboles de la maçonnerie étaient là, devant mes yeux, mais pour moi « non encore actifs », une sorte de vaccination…

Un autre symbole était là, qui n’a lui aucun support matériel, c’était le silence, absence de tout bruit, mais aussi de toute agitation, immobilité soudaine, invitation à amorcer ce long travail d’écoute du profond de moi-même.

Je sais maintenant que j’accomplissais là mon premier voyage, ma première épreuve, celle de la Terre.

Terre, premier des quatre éléments qui identifient les voyages rituels de la cérémonie d’Initiation. Ces quatre éléments, selon Alain Pozarnik indicateurs de ce qui nous constitue : la Terre symbolise le corps, l’Air l’intellect, l’Eau l’instinct et le Feu l’affect.

Le cabinet de réflexion est un lieu de retour à la Terre, à notre Terre Mère, chaos primordial, matrice originelle, matière première à l’origine de tous les êtres vivants. Assimilée à la Femme dans beaucoup de civilisations, elle donne la vie. Mais elle la reprend aussi,

Tu es poussière… et tu redeviendras poussière…

Attention, le Terre peut revêtir un aspect ô combien plus négatif :Royaume d’Hadès, maître du monde souterrain, celui des pulsions infernales. C’est un symbole de l’inconscient et de ses dangers. L’homme doit s’affranchir des chaînes qui pourraient l’entraîner vers le bas, vers le Nadir, vers l’enfer.

Notre Sœur Second Surveillant m’a bien signifié que mes propos ce midi ne devaient concerner que le symbolisme du cabinet de réflexion et non celui des éléments du cabinet de réflexion. Mais comment ne pas évoquer cette inscription, énigmatique pour la profane que j’étais, ces sept initiales formant le mot VITRIOL, pouvant me faire allusion à un processus alchimique interprété beaucoup plus tard, processus de transmutation de l’Etre comme de celle des métaux.

« Visite l’Intérieur de la Terre, et en Rectifiant Tu Trouveras la Pierre Cachée »

Je pense, mais ne peux en être certaine, n’étant actuellement qu’à un premier palier de ma verticale, que tout est dit dans cette symbolique de la quête de Soi, de sa nature originelle…. Véritable aide-mémoire pour l’Apprentie que je suis…

« Il faut fouiller la Terre pour atteindre le Ciel »,voilà la phrase initiale de « La promesse de l’Ange », de Frédéric Lenoir et Violette Casebos.

Oui, creuser le Terre pour atteindre le Ciel !

Autrement dit, après s’être débarrassé de son écorce profane, effectuer cette descente à l’intérieur de notre structure, de notre terre, explorer notre caverne interne, affronter et se libérer de ses défauts, de ses vices, développer ses potentialités, espérant ainsi passer des Ténèbres à la Lumière, comme le Monde à son commencement…

« Au commencement, le noir, le désordre, puis le ciel, la terre sont créés.Avant le jour, la nuit dans laquelle tout est désordre, puis, la lumière surgit des ténèbres et s’en sépare« .

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De nombreuses cérémonies d’Initiation commencent par le passage de l’impétrant dans une caverne ou une fosse.

Le profane pouvait être abandonné dans un souterrain dont la porte se refermait derrière lui, et il devait partir seul dans d’inquiétantes ténèbres à la recherche de l’entrée du Temple, autrement dit de la Vérité.

C’était aussi le cas dans le rituel d’Eleusis où les futurs initiés étaient enchaînés dans une grotte dont ils devaient s’échapper pour gagner la Lumière.

Plantagenet écrit à propos du symbolisme du cabinet de réflexion :

« C’est le soleil vaincu à l’équinoxe d’automne, sortant victorieux de sa lutte avec les Ténèbres à l’équinoxe de printemps….

C’est l’initiation antique qui se donnait dans les entrailles de la Terre, dans les chambres souterraines des pyramides, dans la crypte des Temples. »

Ces cryptes, construites en des endroits baignés de radiations salutaires, de courants telluriques, de champs de force conférant au lieu une âme telle qu’on y édifia précisément les nouveaux Temples au-dessus des anciens, telles la caverne druidique de Chartres, ou encore Notre-Dame-Sous-Terre du Mont Saint Michel.

Notre-Dame-Sous-Terre, dont l’héroïne de « La promesse de l’Ange » parle comme « des entrailles ancestrales, chaudes comme un ventre humain »…

Suivant ma perpendiculaire, et dans le sens du fil à plomb dont la pointe est dirigée vers le centre de la Terre, j’ai amorcé cette descente vers une première purification, sans aucun doute essentielle, purification intellectuelle et morale, sorte d’abandon du monde du dehors, pour un éveil au monde du dedans.

Dans le cabinet, je n’étais pas seule pour aller vers cette mort : un crâne posé près de moi, pas effrayant, plutôt conseillant, me disait : « J’étais ce que tu es, tu seras ce que je suis ! », mots lourds de signification… Présence de la finitude suggérée.

Patrick Négrier suggère une « possible comparaison entre la symbolique du cabinet de réflexion et les peintures des Vanités ». Leur message est de méditer sur la vacuité des plaisirs du monde face à la mort qui guette. « vanitas vanitatis » tout est vanité dit l’Ecclésiaste. Dans ces peintures, les objets sont tous symboliques de la fragilité et de la brièveté de la vie. Parmi eux le crâne humain est l’un des plus courants. On y retrouve le « Souviens-toi que tu vas mourir s»…

Tout était là pour m’inciter à opérer cet abandon de soi, « la mort du vieil homme », qui permet à l’individu de donner un autre sens à sa vie, de se rendre meilleur grâce à une « alchimie » intérieure.

Il s’agit de lui faire entrevoir sa possibilité de devenir « véritable ».

C’est le « Deviens qui tu es », que Michel Onfray reformule en « Deviens ce que tu es dans le sens de vouloir l’être et aimer le devenir. »

La rédaction de mon testament philosophique est un mauvais souvenir car je n’ai pas compris sur le moment la portée de cet engagement à faire le point sur mon existence passée, et abandonner mes conceptions profanes de la vie. Pas facile…Cela demande effectivement beaucoup de vigilance, pour rester en éveil de persévérance pour résister aux possibles découragements et autres « aquoibonismes », mais aussi beaucoup d’intuition, d’optimisme, de volonté de dépassement et de maîtrise de soi.

Mais cette mort n’est-elle pas exigée pour pouvoir se dire né libre à la Porte du Temple ? Et mourir pour renaître à nouveau, n’est-ce pas une loi universelle ?

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« En vérité je vous le dis, si le grain de blé ne meurt, il reste seul ;mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »Evangile de Jean 12 :24

Je ne peux résister à la tentation de citer cette phrase d’Alain Pozarnik, que je trouve tellement belle et lumineuse :

« C’est là, dans le monde obscur de sous-terre, que s’opère l’extraordinaire bouleversement du grain de blé. Dans l’opacité et le froid, l’humidité et le temps, le germe brise l’écorce, se libère, et s’oriente vers, d’une part, la lumière, et vers, d’autre part, les profondeurs primitives où les racines puiseront la puissance d’une apogée sous forme d’épi généreux et doré. »

Que dire après cela ?

L’allusion à l’alchimie est évidente.Il y a similitude entre la démarche maçonnique et le Grand Œuvre. Le cabinet de réflexion est un lieu sépulcral ayant une symbolique proche de celle de l’athanor, propice aux métamorphoses.

Il faut détruire, dissoudre (solvere) la personnalité profane, c’est-à-dire faire pourrir l’être « fictif » que les conditionnements antérieurs ont faits de lui, et en faire naître au sein de sa propre dissolution le germe de ce qu’il va être, de ce qu’il est.

La matière première du Grand Œuvre est déposée dans un œuf clos où elle va se putréfier, se transformer et devenir noire, c’est le stade de l’œuvre au noir.

L’œuvre commence au noir… on peut s’attarder un peu sur la symbolique de ce noir, noir du cabinet de réflexion, couleur insécurisante, symbole de la mort en Occident, évoquant le mal, les ténèbres, le mystère, l’inconnu, l’occulte. Ches les anciens Egyptiens, le noir (kem) n’avait pas de connotation négative. Si c’était bien la couleur de la nuit et du royaume des morts, c’était avant tout le symbole de la renaissance et de la fécondité, couleur des déesses de la fertilité et des vierges noires, qui veillent près des cryptes ou des puits sous certaines cathédrales.

Couleur du charbon, elle évoque le processus de la combustion, prélude à la régénération. Représentant le monde souterrain, le noir correspond en fait au ventre de la Terre où s’opère la régénération du monde.

L’allusion peut aussi être faite à l’Arcane XIII du Tarot, l’Arcane sans nom, improprement appelée La Mort. (voir l’étude d’Argonaute sur ce sujet N.d.W.)

J’en connais deux représentations qui montrent un faucheur, squelette de couleur chair, triant le grain de l’ivraie, dont la colonne vertébrale est faite de grains de blé assemblés en épis, symboles de vie. Une lecture alchimique de cette lame permet de voir le stade de la putréfaction symbolisée par le noir du sol.

Avant de terminer, car il est temps, j’évoquerai l’analogie du cabinet de réflexion avec l’utérus, le ventre de la mère, les entrailles maternelles, d’où naît l’enfant comme naît le maçon après avoir passé la porte basse. Venant tous de la même matrice, nous sommes évidemment tous F :. et S :.

En conclusion, je citerai Mircea Eliade qui a dit :

« La mort initiatique rend possible la « tabula rasa », sur laquelle viendront s’inscrire les révélations successives,destinées à former un homme nouveau. »

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J’en accepte l’augure, après avoir vaincu ma répugnance à réaliser ce travail solitaire de regard sur moi-même, me trouvant tout à coup égoïste comme je ne l’avais jamais été…

J’ose croire que cette aventure intérieure se réalise.

A deux fois 33 ans, je n’ai que 3 ans, et selon ce qui est écrit

Si je persévère,

Je serai purifiée,

Je sortirai de l’abîme des Ténèbres,

Je verrai la Lumière !

Vénérable Maître, j’ai dit.

ORIGINES ALCHIMIQUES DU CABINET DE RÉFLEXION - 1

1 - Newton l'Alchimiste

La première chose que le profane découvre de la Franc-Maçonnerie, et de sa symbolique, c'est le Cabinet de Réflexion. Vous vous souvenez, quel endroit étrange ! Les impressions d’initiation montrent que le passage dans ce lieu ne laisse pas indifférent. L’expérience est forte : l’impétrant est laissé, là, seul dans ce cabinet noir, aux murs recouverts de symboles, de signes, de sentences, d’acronymes. Selon sa culture, il relie des signes entre eux, il leur attribue un semblant de sens, d’autres lui sont totalement étrangers. Quand on vient le chercher, l’impétrant quitte l’endroit avec soulagement. Le rituel d’initiation lui donnera quelques bribes d’explication. Plus tard, le Wirth et le Boucher , ces manuels du parfait petit Maçon, jetteront quelques lueurs dans la caverne. Il apprend alors que la symbolique du Cabinet de Réflexion s’inspire de l’Alchimie, aïe, c’est quoi ce truc ! mais ne t’en fais pas ! cette Alchimie est spirituelle ! Bon, alors là ça va ...

Rassuré ! ... puis emporté par la vie maçonnique et l’attrait du rituel, il n’aura plus - ou guère - l’occasion de revenir rêver, méditer sur l’ensemble de ces hiéroglyphes, inscrits dans la nuit de la crypte primordiale. Signes, symboles et maximes qui sont pourtant les pierres de fondation de l’édifice maçonnique, retourneront à l’ombre et au silence. Voire, à l’oubli. Pourtant, cette crypte a été installée, ici, par des maçons, très éclairés, et ce qu’ils ont mis là, c’est le pilier d’une connaissance qui se perd dans la nuit des temps. Pilier en arabe se dit arkhane, qui a donné en français notre mot arcane. Ce pilier est donc par définition, un secret. Oui, la symbolique du Cabinet de Réflexion est délibérément alchimique. Pourquoi ? Qui étaient ces hommes, ces Maçons, qui, intentionnellement et charitablement, nous ont offert ces premiers outils de Connaissance ? En parlant d’eux, de ce qui les portaient, de ce qui les animaient, peut-être comprendrons-nous l’héritage inconcevable qu’ils ont bien voulu nous laisser. A chacun d’entre nous, ensuite, le soin de reconsidérer cette symbolique au regard de ce panorama que je vais essayer de dresser, d’en appréhender le sens, d’en apprécier la richesse, d’en mesurer l’étendue.

On le sait tous, mais petit mémento : la Franc-Maçonnerie spéculative a été créée entre 1700 et 1717 à l’initiative de Newton et de ses amis de la Royal Society. 1723 : le texte des Constitutions d’Anderson unifie les pratiques des loges en matière de rituel et d’initiation et cette parution signe la reconnaissance officielle de la Franc-Maçonnerie. Nous connaissons notre catéchisme historique. Ce que nous connaissons moins, peut-être, est que cette Franc-Maçonnerie naissante est une résurgence de courants combinés de pensées philosophiques et ésotériques, de projets sociaux et scientifiques, … courants qui ont parcouru plus ou moins souterrainement l’Europe et la Grande Bretagne du siècle précédent.

La Rose-Croix

L’un des courants de pensée qui aura une très grande influence auprès des érudits du XVIIème siècle est celui de la Rose Croix. On a souvent évoqué les relations entre la Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie, les deux mouvements se sont épanouis, l’un parallèlement à l’autre, l’un avec l’autre. Notre rituel évoque à plusieurs reprises notre filiation avec (je le cite) "nos illustres fondateurs, les mystérieux Rose-Croix". Le rite de Memphis-Misraïm se réclame ouvertement de cette parenté. Qu’est-ce que la Rose-Croix ? Le sujet est complexe, je vais malgré tout faire court. Que certains d’entre nous, qui connaissent bien le sujet, me

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soient indulgents. La Rose-Croix est une fraternité hermétiste chrétienne qui apparaît au grand jour au début du XVIIème siècle avec la parution de deux manifestes publiés en Allemagne : la Fama et la Confessio Fraternitatis. Dans une période de tensions exacerbées, ces manifestes sont d’abord des projets de réformes sociales, intellectuelles et religieuses, adressés non pas aux églises, mais (je cite) " aux savants de l'Europe ". Ils sont suivis en 1615 d’un 3ème texte : Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz, un texte allégorique, poétique, satirique dans la tradition des grands textes alchimiques.

Pour les rosicruciens, l’Alchimie est la science par excellence pour connaître les mystères de la Nature, divine par essence. Les manifestes rosicruciens ont très vite un retentissement considérable, et, bien sûr, les églises réagissent en les accusant d'imposture, de sorcellerie ou d'hérésie. Vainement, car cette Fraternité exprime des aspirations spirituelles profondes, et l'Ordre se constitue, de manière informelle, autour des esprits brillants. En fait il semble que l’ésotérisme rosicrucien est la philosophie de presque tous les gens qui pensent à cette époque. Voyons qui sont ces hommes, ces érudits qui, dans l’Angleterre du XVIIème siècle, vont se trouver au confluent de la Rose-Croix, de la science expérimentale, de la Royal Society et de la Franc-Maçonnerie. Il est impossible de présenter ici individuellement ces personnages-clés, essentiels, incontournables ! qui, de 1630 à 1660 (année de création de la Royal Society) ont été les porteurs de ces idées. Je ne parlerai que de leur philosophie commune. Que ces illustres personnages, (Robert Moray, Ashmole, Thomas Vaugham, Hartlib, R. Boyle, Corménius, et bien d’autres…) pour qui j’ai une énorme admiration, me pardonnent de les rejeter dans l’ombre, d’où j’ai eu la velléité de les sortir. Gardons en mémoire cependant que chacun de ces érudits apporte avec lui une pierre de notre édifice maçonnique.

Un humanisme universaliste

Certains d’entre eux sont les premiers maçons spéculatifs reçus par la Franc-Maçonnerie opérative, la maçonnerie du Métier. Et cela dès 1641… Ce sont d’immenses érudits convaincus et imprégnés à des degrés divers de la philosophie hermétique des Rose-Croix. Certains sont convaincus qu’il faut chercher dans le passé lointain les vestiges d’un âge d’or où l’homme aurait vécu dans une harmonie perdue entre la Terre et le Ciel. Ils prônent la religion noachite, celle que pratiquait Noé, primordiale, universelle, naturelle et sans dogme. Ce sont des scientifiques qui ont une utopie, celle de créer une " société destinée à la promotion des sciences de la nature ". C’est ce qu’ils feront avec la création en 1645, d’une société savante, discrète, le collège invisible, groupe de scientifiques, précurseur de la Royal Society, fondée 5 ans plus tard. Par leur désir de partager leurs recherches, ils sont au centre d'un vaste réseau de contacts et de discussions dont le but est de promouvoir la connaissance et l'échange d'informations à travers l'Europe. Ils ont pour objectif d’ "enregistrer tout le savoir humain et le mettre à la disposition de tous pour l'éducation de l'humanité". La chimie ne s’est pas encore détachée de l’alchimie. Les scientifiques sont donc des alchimistes, mais qui rejettent les discours mystico-ésotériques dans lesquels l’Alchimie s’est enferrée, ils vont faire basculer cette discipline dans le champ de la science purement expérimentale.

Newton l’alchimiste

Alchimie, Rose-Croix, Franc-Maçonnerie, sciences expérimentales, Royal Society : tous les chemins semblent converger vers un homme qui, à la fin du siècle, va être le réceptacle de toute cette philosophie universaliste, qui va aussi en être le génial promoteur. Je veux parler de Newton. Il est temps de parler un peu du bonhomme Isaac. Si je me suis attardé, à peine ! sur les grands personnages qui l’ont précédé, c’est parce que Newton occupe une telle place dans le paysage scientifique - et pour nous, dans le paysage maçonnique - que son génie les a occultés et qu’ils se sont éclipsés dans son ombre. On connaît la valeur et la portée de ses découvertes scientifiques, des bibliothèques entières leur sont consacrées… Passons. Par contre, ce qui commence à être mis en lumière, c’est la vraie nature des travaux de Newton. Avant d’être ce scientifique connu et reconnu, Newton est un alchimiste ignoré, mais authentique, dont les recherches, celles relatives à l’attraction universelle, et à celles de la nature de la lumière, plongent leurs fondements dans sa pratique alchimique. Soixante pour cent de ses écrits sont liés à l'Alchimie. Sa culture est immense dans ce domaine, il recopie lui-même tous les livres d’alchimie, les annote, les commentent. Les expérimente.

Pendant 30 ans, il éprouve au laboratoire la réalité du travail alchimique. Il met en évidence ce Feu de Nature tant recherché des alchimistes, "lumière (je le cite) venant de la Lumière, portée sur les ailes de l’Esprit universel", il observe que ce Spiritus Mundi, cet Esprit universel, informe et relie toute chose en notre monde manifesté. Il vérifie dans le creuset la force d’attraction de cet Esprit.Newton consacre l’essentiel de sa vie à chercher les messages cachés secrets dans la Nature, dans la construction du Temple de Salomon (il connaît ses classiques, il a lu Bacon qui propose, en 1620, la création d’un ordre scientifique, chargé de pénétrer les mystères de la Nature  : il l’appellera "la Société du Temple de

Salomon". Ca dit quelque chose aux francs-maçons que nous sommes  ! En fouillant dans le passé lointain des éléments oubliés d’un vrai savoir, il est à la recherche de la Parole perdue, pour reprendre le

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titre du livre d’Alchimie de Bernard Trévisan, qu’il connaît par cœur, comme il connaît par cœur ceux de Nicolas Flamel ou de Basile Valentin… dont l’ouvrage "Les 12 clés de la Philosophie" livrera la plupart des symboles alchimiques du Cabiner de réflexion, notamment l’acronyme V.I.T.R.I.O.L.

1703. Newton devient le 13ème Président de la Royal Society. Cela pour un mandat de 25 ans. Il est au faîte de sa gloire. Le moment est venu de l’apparition d’une Franc-Maçonnerie, différente de la maçonnerie opérative, une maçonnerie fille de la recherche et du doute, de l’alchimie et de l’hermétisme, de la théologie et de la tolérance. Royal Society et Franc-Maçonnerie sont étroitement liées dans le projet : en 1723, année de la Constitution, 40 membres de la Royal Society sur 300 sont déjà membres de la Franc-Maçonnerie. Désaguliers apparaît comme le promoteur de cette nouvelle maçonnerie spéculative. Mais Désaguliers n’est pas Newton. Désaguliers réussit le prodige de faire de la Franc-Maçonnerie, - à l’origine rosicrucienne, hermétiste, alchimiste et scientiste, - de faire donc de la Franc-Maçonnerie, le fer de lance de la philosophie naturelle de Newton. Oui, mais sans la totalité des rouages. Par exemple l’Alchimie ne fait plus partie du programme. Ce que déplore le pseudo-Philalèthe qui déclare en mars 1721 : "L’objet des voeux et des désirs des maçons n’est autre que l’Alchimie, sujet de l’éternelle contemplation des Sages". Presque une revendication. On imagine combien le débat en loges sur les orientations de ce nouvel ordre a dû être houleux … Sortie de l’ombre, la maçonnerie s’ouvre alors au plus grand nombre. Au début, avec deux grades, sur le modèle de la Franc-Maçonnerie opérative : apprenti et compagnon. Le grade de maître sera installé autour de 1725. Son invention est manifestement intentionnelle, mais elle rencontre quelques résistances pour s’imposer. Le Cabinet de Réflexion, quant à lui, ne fait pas encore partie du package. Il semble qu’il ait été installé plus tard, vers 1750. Par qui ? Dans quel but ? C’est que nous allons essayer de voir.

Deux directions

Nous avons souligné la fraternité de pensée qui unit à l’origine Rose-Croix et la Franc-Maçonnerie. Plus qu’une co-existence, il s’agit d’une co-essence. C’est dire que tous ne partagent pas l’orientation politico-philosophique prise par la Franc-Maçonnerie naissante. Le projet social l’emporte peu à peu sur le projet ésotérique. Pourtant, pour les humanistes universalistes du 17ème, l’Alchimie était le coeur de leurs recherches. Certains travaillaient eux-mêmes au fourneau, d’autres entretenaient des laboratoires. Ils publiaient des traités sur le sujet. "Les R+C, nos mystérieux fondateurs" estimaient qu’elle avait un rôle crucial à jouer dans la recherche de nouvelles connaissances. Pour eux, alchimie, Rose-Croix et Franc-Maçonnerie ne pouvaient être désunis. Pourquoi ? Parce que les résultats pratiques allaient d’abord servir au bien-être de l’humanité. Mais aussi parce qu’ils estimaient, - et ce point est extrêmement important - ils estimaient que la Création est comme une séparation chimique, de nature divine. Si l’acte de création peut être compris sur le mode chimique, l’alchimie est la clef de toute la nature, la clef de toute relation entre macrocosme et microcosme. Pratiquer l’alchimie, c’est pénétrer l’oeuvre de Dieu.

La question est celle de la réalité fondamentale de l’Univers. On retrouve derrière cette question, le mythe de la Caverne, de Platon. Vous vous souvenez : l’homme n’a pas l’expérience de la réalité ou de l’essence des choses, mais il n’en perçoit que les ombres. Les Rose-Croix, "nos mystérieux fondateurs" pensaient qu’il est possible de sortir de la Caverne vers la lumière - cela réellement ! non pas symboliquement - et de faire l’expérience à un degré quelconque de la véritable nature de la réalité. Comment ? Par la pratique de l’alchimie.

Antoine, 17 janvier 2011

ORIGINES ALCHIMIQUES DU CABINET DE RÉFLEXION - 2

2 - Le secret des secrets

Faire émerger la lumière

La Rose-Croix refait alors surface avec la parution en 1710 d’un ouvrage intitulé "La vraie et parfaite préparation de la pierre philosophale par la Fraternité de la Rose-Croix d’Or". Comme son titre l’indique, il s’agit d’un traité d’Alchimie. D’Alchimie opérative. On peut se poser la question de savoir pourquoi la Fraternité rosicrucienne - avec son nouvel intitulé "de la Rose-Croix d’Or" - émerge dans le paysage à ce moment précis. Est-ce un hasard ? Certainement pas. L’objectif de la Fraternité, ouvertement exprimé, rappelle d’abord le syncrétisme de nature qui existe entre l’alchimie, la religion noachite, et le rosicrucianisme originel. Il s’agit ensuite (je les cite) de "faire émerger les forces cachés de la nature, de faire briller sa lumière qui a été profondément enterrée, et, par cette voie, de procurer une lumière intérieure à chaque frère par laquelle il pourra voir le Dieu invisible et devenir plus proche de lui avec la

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source originel de la lumière". La pratique de l’alchimie, (comme on le voit, très enracinée dans la tradition gnostique), est la règle : le membre de la Fraternité doit avoir un laboratoire et y travailler assidûment.

L’émergence spirituelle doit se faire avec et conjointement de celle de la matière première que l’alchimiste élève à un état supérieur. Telle est la clé, telle est la règle, déjà édictée 150 ans auparavant, par cet avertissement tiré des Noces Chymiques - (je cite) : "Prends garde à toi ; Examine-toi toi-même ; Si tu ne t’es pas purifié assidûment, Les noces chymiques te feront dommage". Le texte des Noces Chymiques s’inscrit dans la grande lignée des alchimistes allemands, tels Basile Valentin, Naxagoras et le plus grand d’entre eux, Paracelse, qui déjà affirmait : "Nul ne transmute aucune matière s’il ne se transmute lui-même ". On ne peut mieux exprimer la corrélation de nature entre le connais-toi toi-même et la libération de la lumière emprisonnée dans la matière. La Lumière, - le Spiritus Mundi, l’Esprit-Saint, l’Esprit universel - quel que soit le nom qu’on lui donne, informe la matière sous la forme des trois principes : le soufre, le sel et le mercure. Et c’est dans cette co-émergence vers la lumière, de l’homme et de la matière, que l’acronyme de Basile Valentin, V.I.T.R.I.O.L., trouve toute sa place en face de "Connais-toi toi-même". Alchimie, caverne, émergence à la lumière, "connais-toi toi-même", V.I.T.R.I.O.L., soufre-sel-mercure … Avant même l’installation du Cabinet de Réflexion, les fondements de sa symbolique sont déjà présents.

Le Secret des Secrets

Mais dès le début de la Franc-Maçonnerie de Désaguliers, l’Alchimie perd son caractère opératif. Pourquoi ? Parce que - et ce n’est pas la faute de Désaguliers - paradoxalement en glissant dans le domaine de la science purement expérimentale, elle devient mécaniste. Elle accouche alors de ce qui va devenir la chimie, dont on sait aujourd’hui l’incroyable destin. Mais en ne s’occupant que des interactions mécaniques entre les corps (les corps, ce sont les éléments corpusculaires, les atomes : O, H, He, Fe, etc), elle perd son âme. Elle perd ce qu’avait touché du doigt le Newton alchimiste. Il avait compris, lui, que la matière première de l’alchimiste n’est pas un corps végétal, minéral ou métallique, ou même un atome ! mais que la matière première c’est l’Esprit, l’Esprit universel qui ne différencie pas l’alchimiste de sa matière.

La matière première, c’est la Lumière. Rappelez-vous ce qu’il a écrit, voici la phrase, maintenant dans sa totalité : "Le sujet de l’Alchimie est la lumière, la lumière venant de la Lumière, portée sur les ailes de l’Esprit universel". Voilà, le premier grand secret des alchimistes, qui est au coeur du Cabinet de Réflexion. Et le secret des secrets, l’arcane des arcanes, résulte de la compréhension de celui-ci. Les arcana arcanorum sont la clé de voûte de l’initiation au rite égyptien. Dès l’origine, la Parole commence à être perdue Laissez-moi vous lire les commentaires d’un frère (gardez en mémoire la phrase de Newton), un frère donc certainement un rosicrucien, un initié de haut vol, au sujet de ce fameux secret.

Le manuscrit, consulté l’an dernier dans les archives du Grand Orient de France, est daté de 1747. (24 ans après). Un impétrant lui demande : "Est-ce qu’il est possible que le secret des free-maçons soit celui de la Pierre ?", (il ne parle pas de la pierre taillée, ici mais de la Pierre philosophale) Et le Maître répond (je le cite) : "Il est sûr que dans leurs origines, tous les free-maçons furent philosophes (= alchimistes). Mais les choses ont bien changé depuis les origines : nos maîtres qui reconnurent avec douleur qu’en augmentant leur nombre, ils ne multipliaient pas les sages, résolurent de s’enfermer dans des bornes plus étroites. On laissa aux freemaçons leurs signes et cérémonies mystérieuses, mais on cessa peu à peu de leur en donner la clé, et bientôt, le corps entier ne connut plus ce que signifiaient leurs usages qu’ils ont pourtant toujours observés, et l’expérience a fait savoir combien nos pères ont ainsi agi sagement en retirant ce secret. Rien de plus grave, de plus sérieux que les signes et les symboles dont se servent les free-maçons, mais ces signes et ces symboles, faute d’être connus, deviennent effectivement ridicules et puériles. Les free-maçons ont perdu la vraie signification de leurs hiéroglyphes, il est vrai, mais ils ont attaché un autre sens qui, sans être le réel, les sauve du ridicule … Quoiqu’il en soit, il y a encore de vrais free-maçons, mais le nombre en est fort petit, parce que nous trouvons peu d’hommes dignes de l’être".

Les paroles de méfiance de cet initié rosicrucien rappellent l'avertissement introductif des Noces Chymiques : "Les arcanes s'avilissent quand ils sont révélés ; et, profanés, ils perdent leur grâce. (c’est-à-dire : leur efficacité). Les deux vers étaient suivis de cette terrible sentence : Ne jette donc pas de marguerites aux pourceaux, et ne fais point à un âne une litière de roses". Mais le constat montre aussi le désappointement, la désillusion de certains de ces free-maçons qui rêvaient d’un autre ordre. Peut-être certains vivent-ils une sorte de trahison. Nous sommes en 1747. Tout n’est pas perdu. Certains se relaieront pour porter le flambeau allumé de l’antique Tradition. Le Cabinet de Réflexion, et sa symbolique alchimique, sont certainement installés dans cette perspective, comme premier pilier - arcane ! - de cette Connaissance.

En 1750, trois ans plus tard, Pernety crée le "rituel alchimique secret du grade de vrai franc-maçon académicien". Et en 1754. Le Baron Tschoudy produit sa célèbre Etoile flamboyante, et je passe sur les

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rituels des grades alchimiques qu’il met en place à partir de 1766. On dit que ces grades sont à l’origine des degrés les plus alchimiques du Rite Ecossais Ancienet Accepté. Et puis arrive dans le paysage, un certain … Cagliostro, qui instaure le rite égyptien. Mais là, vous connaissez la suite. C’est notre histoire … Après bien des vicissitudes pour être aujourd'hui ce qu’il est, le rite de Memphis Misraïm revendique cette Tradition.

Conclusion

Voici pourquoi nous sommes les héritiers de l’antique Science. Cette Connaissance, nous avons le devoir de la recevoir, et aussi de la transmettre. De la transmettre intégralement, sans la dévoyer. Nous ne mesurons peut-être pas la portée de ce dont nous sommes dépositaires, les mystères du monde nous dépassent, et nous sommes des marcheurs qui ne voyons pas plus loin que notre propre horizon. Mais certains se sont élevés pour voir au-delà de ce qu’il était possible de voir pour le commun des mortels. Newton a reconnu en toute humilité : "Si j'ai vu si loin, c'est que j'étais monté sur des épaules de géants".

Je me souviens d’une tenue qui réunissait, il n'y a pas si longttemps, le gratin d’une obédience. La discussion avait porté un instant sur la possibilité de modifications d’éléments du rituel. Une de ces grandes figures, assise à l’Orient, avait réfléchi un instant, s’était caressé le menton, et avait envisagé l’idée que "peut-être - oui bien sûr - à la rigueur - le coq du cabinet de réflexion pourrait à la limite être supprimé" … Surtout ne pas tuez le coq du Cabinet de Réflexion, ne lui tordez pas le cou par ignorance de ce qu’il représente car sans le coq, un pilier de l’édifice s’écroulerait ...

Antoine, 17 janvier 2011