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20 | La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010 Le poids et la gynécologie DOSSIER Cancer du sein et obésité Breast cancer and obesity Chéhérazade Bensaïd 1 , Anne-Sophie Bats 1, 2, 3 , Catherine Scarabin 1 , Claude Nos 1 , Cyrille Huchon 1, 2 , Fabrice Lecuru 1, 2, 3 L es relations entre obésité et cancer du sein sont nombreuses (1). L’incidence de la maladie semble se calquer sur la répartition géogra- phique de l’obésité. Par exemple, l’incidence du cancer du sein continue à augmenter aux États-Unis, alors qu’elle est moindre en France (1). L’obésité favo- rise certaines formes de cancer du sein. Elle semble également associée à des formes plus agressives de la maladie. Ce pronostic plus défavorable est dû à une comorbidité plus importante chez les femmes obèses, mais également à des caractéristiques tumo- rales plus défavorables. L’obésité modifie le risque de cancer du sein, princi- palement après la ménopause. La plupart des études épidémiologiques montrent une augmentation signi- ficative du risque de développer un cancer du sein après la ménopause chez les patientes obèses (2, 3). Si une obésité se met en place après la ménopause, elle augmente le risque de 50 %. La variation du poids est également importante. Dans une étude prospective concernant 99 039 femmes ménopausées, Ahn et al. (2) ont observé que l’indice de masse corporelle (IMC) était associé à une augmentation du risque de cancer, en particulier chez les femmes qui n’utilisaient pas de thérapie hormonale de la ménopause ; surtout, celles qui avaient grossi entre 35 et 50 ans présentaient une majoration du risque de 1,4. Ce surrisque est expliqué par une hyperestrogénie après la ménopause. En effet, la production extra-ovarienne d’estrogènes, qui était négligeable en période d’activité génitale par rapport aux sécrétions folliculaires, devient importante après l’arrêt du fonctionnement des ovaires, et ce d’autant plus importante s’il y a une hyper-androgénie ou une obésité. Le tissu adipeux blanc (fraction vasculaire du stroma de tissu adipeux) synthétise essentiellement de l’estrone. Cette hormone est synthétisée à partir d’un précurseur en C19 d’origine surrénalienne. Cette capacité est liée à la présence de cytochrome P450 dans les cellules. Il existe également, en particulier chez les femmes obèses, une variation du taux de certains facteurs de croissance comme celui de l’in- suline (IGF). Ce facteur a la capacité d’accélérer la prolifération des cellules tumorales mammaires. L’obésité est associée à un stade plus élevé au moment du diagnostic (4), avec des caractéristiques histolo- giques plus défavorables (1). Une étude ayant inclus 1 100 femmes atteintes de cancer du sein a été menée entre 2003 et 2005 dans le canton de Genève. Les résultats de l’examen clinique, de l’échographie et de l’IRM des patientes ont été comparés. Il en ressort que les femmes obèses ont plus souvent une maladie avancée au moment du diagnostic ; cela pourrait être expliqué par le volume des seins et la consistance plus grasse du tissu, générant des difficultés pour l’examen clinique de la tumeur et des ganglions axil- laires. Plusieurs autres études retrouvent une relation entre volume du sein et stade du cancer (2). La morbidité des interventions chirurgicales est également plus élevée chez les femmes obèses. En particulier, l’IMC est corrélé de façon significative à la survenue de complications infectieuses et de lymphœ- dèmes (4). Le séjour à l’hôpital est plus long pour les femmes obèses. La convalescence est également plus lente, principalement du fait de la comorbidité. L’initialisation du traitement adjuvant est donc plus souvent retardée. La réponse au traitement est également différente. L’obésité est un facteur de mauvais pronostic chez les patientes qui expriment des récepteurs hormonaux (5). De même, il existe une relation entre l’IMC et la mauvaise réponse à une chimiothérapie néoadjuvante, avec une altération de la survie (6, 7). Dans l’essai BIG 2-98, qui comparait le docétaxel à un traitement à base d’anthracycline chez des patientes ayant un cancer du sein avec atteinte ganglionnaire, l’obésité a été retrouvée chez 19 % des patientes incluses. Il a été observé que la survie sans maladie à 5 ans était supérieure chez les patientes non obèses (75 %, versus 1. Service de chirurgie gynécologique et sénologique, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 2. Faculté de médecine, univer- sité René-Descartes Paris. 3. UMR S747, faculté de médecine, université René-Descartes, Paris.

Cancer du sein et obésité – Breast cancer and obesity · 20 | La Lettre du Gynécologue • n°348-349 - janvier-février 2010 DOSSIER Le poids et la gynécologie Cancer du sein

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20 | La Lettre du Gynécologue • n° 348-349 - janvier-février 2010

Le poids et la gynécologieDOSSIER

Cancer du sein et obésitéBreast cancer and obesity

Chéhérazade Bensaïd1, Anne-Sophie Bats1, 2, 3, Catherine Scarabin1, Claude Nos1, Cyrille Huchon1, 2, Fabrice Lecuru 1, 2, 3

Les relations entre obésité et cancer du sein sont nombreuses (1). L’incidence de la maladie semble se calquer sur la répartition géogra-

phique de l’obésité. Par exemple, l’incidence du cancer du sein continue à augmenter aux États-Unis, alors qu’elle est moindre en France (1). L’obésité favo-rise certaines formes de cancer du sein. Elle semble également associée à des formes plus agressives de la maladie. Ce pronostic plus défavorable est dû à une comorbidité plus importante chez les femmes obèses, mais également à des caractéristiques tumo-rales plus défavorables. L’obésité modifie le risque de cancer du sein, princi-palement après la ménopause. La plupart des études épidémiologiques montrent une augmentation signi-ficative du risque de développer un cancer du sein après la ménopause chez les patientes obèses (2, 3). Si une obésité se met en place après la ménopause, elle augmente le risque de 50 %. La variation du poids est également importante. Dans une étude prospective concernant 99 039 femmes ménopausées, Ahn et al. (2) ont observé que l’indice de masse corporelle (IMC) était associé à une augmentation du risque de cancer, en particulier chez les femmes qui n’utilisaient pas de thérapie hormonale de la ménopause ; surtout, celles qui avaient grossi entre 35 et 50 ans présentaient une majoration du risque de 1,4. Ce surrisque est expliqué par une hyperestrogénie après la ménopause. En effet, la production extra-ovarienne d’estrogènes, qui était négligeable en période d’activité génitale par rapport aux sécrétions folliculaires, devient importante après l’arrêt du fonctionnement des ovaires, et ce d’autant plus importante s’il y a une hyper-androgénie ou une obésité. Le tissu adipeux blanc (fraction vasculaire du stroma de tissu adipeux) synthétise essentiellement de l’estrone. Cette hormone est synthétisée à partir d’un précurseur en C19 d’origine surrénalienne. Cette capacité est liée à la présence de cytochrome P450 dans les cellules. Il existe également, en particulier

chez les femmes obèses, une variation du taux de certains facteurs de croissance comme celui de l’in-suline (IGF). Ce facteur a la capacité d’accélérer la prolifération des cellules tumorales mammaires.L’obésité est associée à un stade plus élevé au moment du diagnostic (4), avec des caractéristiques histolo-giques plus défavorables (1). Une étude ayant inclus 1 100 femmes atteintes de cancer du sein a été menée entre 2003 et 2005 dans le canton de Genève. Les résultats de l’examen clinique, de l’échographie et de l’IRM des patientes ont été comparés. Il en ressort que les femmes obèses ont plus souvent une maladie avancée au moment du diagnostic ; cela pourrait être expliqué par le volume des seins et la consistance plus grasse du tissu, générant des difficultés pour l’examen clinique de la tumeur et des ganglions axil-laires. Plusieurs autres études retrouvent une relation entre volume du sein et stade du cancer (2).La morbidité des interventions chirurgicales est également plus élevée chez les femmes obèses. En particulier, l’IMC est corrélé de façon significative à la survenue de complications infectieuses et de lymphœ-dèmes (4). Le séjour à l’hôpital est plus long pour les femmes obèses. La convalescence est également plus lente, principalement du fait de la comorbidité. L’initialisation du traitement adjuvant est donc plus souvent retardée. La réponse au traitement est également différente. L’obésité est un facteur de mauvais pronostic chez les patientes qui expriment des récepteurs hormonaux (5). De même, il existe une relation entre l’IMC et la mauvaise réponse à une chimiothérapie néoadjuvante, avec une altération de la survie (6, 7). Dans l’essai BIG 2-98, qui comparait le docétaxel à un traitement à base d’anthracycline chez des patientes ayant un cancer du sein avec atteinte ganglionnaire, l’obésité a été retrouvée chez 19 % des patientes incluses. Il a été observé que la survie sans maladie à 5 ans était supérieure chez les patientes non obèses (75 %, versus

1. Service de chirurgie gynécologique et sénologique, hôpital européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 2. Faculté de médecine, univer-s i t é R e n é - D e s c a r t e s P a r i s . 3. UMR S747, faculté de médecine, université René-Descartes, Paris.

Résumé

70 % chez les patientes obèses). De même, la survie globale à 5 ans était de 87,5 % chez les patientes non obèses contre 82 % chez les patientes obèses. L’expérience de l’Institut Jules-Bordet en Belgique est comparable : l’analyse menée chez 2 887 femmes montre qu’en cas d’IMC supérieur à 30 kg/m², les

Références bibliographiques1. Carmichael AR. Obesity as a risk factor for development and poor prognosis of breast cancer. BJOG 2006;113(10):1160-6. Epub 2006 Aug 31.2. Reeves MJ, Newcomb PA, Remington PL, Marcus PM, MacKenzie WR. Body mass and breast cancer. Relationship between method of detection and stage of disease. Cancer 1996;77(2):301-7.3. Ahn J, Schatzkin A, Lacey JV Jr et al. Adiposity, adult weight change, and postmenopausal breast cancer risk. Arch Intern Med 2007;167(19):2091-102.4. El-Tamer MB, Ward BM, Schifftner T, Neumayer L, Khuri S, Henderson W. Morbidity and mortality following breast cancer surgery in women: national benchmarks for standards of care. Ann Surg 2007;245(5):665-71.5. Verreault R, Brisson J, Deschênes L, Naud F. Body weight and prognostic indicators in breast cancer. Modifying effect of estrogen receptors. Am J Epidemiol 1989;129(2):260-8.6. Litton JK, Gonzalez-Angulo AM, Warneke CL et al. Relationship between obesity and pathologic response to neoadjuvant chemotherapy among women with operable breast cancer. J Clin Oncol 2008;26(25):4072-7. 7. Deglise C, Bouchardy C, Burri M et al. Impact of obesity on diagnosis and treatment of breast cancer. Breast Cancer Res Treat 2010;120(1):185-93. Epub 2009 Jul 14. 8. de Azambuja E, McCaskill-Stevens W, Francis P et al. The effect of body mass index on overall and disease-free survival in node-positive breast cancer patients treated with docetaxel and doxorubicin-containing adjuvant chemotherapy: the experience of the BIG 02-98 trial. Breast Cancer Res Treat 2010;119(1):145-53.

résultats en termes de survie sans récidive et de survie globale sont moins bons (8). Les relations entre cancer du sein et obésité sont multiples : elles agissent aussi bien sur le risque, notamment après la ménopause, que sur la sévérité de la maladie ou sa réponse au traitement. ■

le cancer du sein est le cancer le plus fréquent de la femme dans les pays occidentaux. Il pose un problème majeur de santé publique, ayant conduit à proposer un dépistage organisé. le rôle de l’obésité dans le cancer du sein est complexe et les risques sont multiples, particulièrement après la ménopause.

Mots-clésCancer du seinObésité

Keywords

Breast cancer

Obesity

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