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Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique marocain Véronique Tadjo Mahi Binebine Mamadou Mahmoud N’Dongo Hicham Lasri Dieudonné Niangouna Jaouad Essounani Wilfried N’Sondé Mohamed Hmoudane

Carnet des Rencontres RLP

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Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique marrocain. Organisé par le ministère de la culture du Maroc et l'ambassade de France.

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Carnetdes Rencontres Littérairesdu Réseau de Lecture Publique marocain

Véronique Tadjo • Mahi BinebineMamadou Mahmoud N’Dongo • Hicham Lasri

Dieudonné Niangouna • Jaouad Essounani Wilfried N’Sondé • Mohamed Hmoudane

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Carnetdes Rencontres Littéraires

Octobre 2007-Avril 2008

Sala Al Jadida Larache

El JadidaOuarzazate

TiznitKhouribgaBeni Mellal

MeknèsTaza

du Réseau de Lecture Publique marocain

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L ’idée du Réseau de Lecture Publique est née en 2003 et prévoyait qu’au terme du projet de coopération mené par le Ministère de la Culture

et onze provinces du Royaume, avec le soutien de l’Ambassade de France, le Maroc compterait cinquante et une nouvelles bibliothèques sur son territoire.

En 2006, la première médiathèque du Réseau de Lecture Publique marocain était inaugurée à Ouarzazate. Fin 2008, celui-ci comptera onze médiathèques et quarante bibliothèques.

Cinq années ont donc suffi pour concrétiser un objectif politique particulièrement ambitieux, porté par une équipe soudée : donner un nouveau visage au paysage documentaire marocain en créant les premières médiathèques publiques du Royaume.

Aujourd’hui, de Ouarzazate à Oujda, dans de grandes villes ou de plus petites, des enfants, des adolescents et des adultes poussent chaque jour les portes d’une des bibliothèques du Réseau de Lecture Publique marocain.

Dans une atmosphère colorée et chaleureuse, des équipes de professionnels sont là pour veiller à l’accueil et à l’information de ces publics, et les familiariser à ces nouveaux espaces, riches d’importantes collections imprimées, audiovisuelles et multimedia.

Projet phare de la coopération franco-marocaine en matière de livre, la création du Réseau de Lecture Publique est une magnifique réalisation. Dès l’ouverture des premières mediathèques, le public marocain, et les jeunes en particulier, ont investi ces nouveaux lieux invitant aux plaisirs de la découverte et de l’échange, notamment à l’occasion d’animations culturelles.

Pour la première édition des rencontres littéraires du Réseau de Lecture Publique, le succès auprès du public était au rendez-vous. Souhaitons que ce ne soit que les débuts prometteurs d’une aventure riche en émotions !

La création du Réseau de Lecture Publique : les plaisirs de la découverte pour tous.

Avant-propos

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S o m m a i r e

Présentation 7

Des mots et des couleursAvec Véronique Tadjo et Mahi Binebine 11Conférence 13Notes de lecture et bibliographie 22Ateliers 25

Des mots et des imagesAvec Mamadou Mahmoud N’Dongo et Hicham Lasri 31Conférence 33Bibliographie 41 Notes de lecture 42Ateliers 45

Des mots en scèneAvec Dieudonné Niangouna et Jaouad Essounani 49Conférence 51Notes de lecture et bibliographie 62Ateliers 65

Des mots et des notesAvec Wilfried N’Sondé et Mohamed Hmoudane 69Conférence 71Bibliographie 83 Notes de lecture 84 Ateliers 87

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C réées dans le cadre d’un programme de coopération f ranco-marocain, les médiathèques du Réseau de Lecture Publique

ont été conçues d’emblée comme des espaces d’échange et de débat. Grâce aux collections, aux services et aux animations qu’elles proposent, ces médiathèques d’une nouvelle ère ont pour ambition de donner au large public un accès immédiat à la pensée et à la création contemporaines. Organiser dans ces médiathèques des Rencontres Littéraires, c’était en effet permettre à un public jusque là peu coutumier du fait, de rencontrer et d’échanger avec des auteurs de très grande qualité, venus du Maroc et de bien plus loin, pour partager leurs passions communes.

Pour leur première édition, les Rencontres Littéraires ont eu pour thématique les pratiques artistiques doubles. Outre l’écriture, les auteurs invités (romanciers, poètes, nouvellistes, dramaturges) sont en effet animés d’une autre passion : celle de la peinture pour Véronique Tadjo et Mahi Binebine, celle de la musique pour Wilfried N’Sondé et Mohamed Hmoudane, du cinéma pour Mamadou N’Dongo et Hicham Lasri, et celle du théâtre pour Dieudonné Niangouna et Jaouad Essounani.

Entre octobre 2007 et avril 2008, à Sala Al Jadida, Larache, El Jadida, puis à Ouarzazate et Tiznit, à Khouribga et Beni Mellal ensuite, à Meknès et Taza enfin, les huit invités des Rencontres Littéraires ont reçu l’accueil chaleureux du public des médiathèques installées dans ces villes.

Lors de chaque Rencontre Littéraire, les échanges ont débuté par une « conversation » entre les deux auteurs, orchestrée et présentée par Bernard Magnier et Jamal Boudouma. Nous avons retranscrit dans les pages suivantes l’essentiel de leurs dialogues. Les échanges avec le public se sont ensuite poursuivis dans le cadre plus intime d’« atelier ». Guidé par les auteurs, le jeune public des médiathèques a pu s’essayer à l’écriture, nous en publions d’ailleurs les meilleurs extraits, mais aussi à l’interprétation dramatique et à l’analyse filmique.

Jean-Michel André a su, au travers de ses magnifiques photographies, capturer les nombreux moments de complicité partagée lors de ces Rencontres Littéraires riches en émotions. Ce Carnet, réalisé par Abdellatif Mitari, en est la trace. Nous vous souhaitons bonne lecture et bonne découverte !

L’équipe du ProjetRéseau de Lecture Publique

Les Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique

Présentation

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Alice Gradel

Ratiba RigalmaSala Al Jadida

Les organisateurs Les responsables des médiathèques

Mohamed BourahLarache

Niama BenhallamMeknès

Mbarek AmoriOuarzazate

M’hamed AgridTaza

Larbi BoualimTiznit

Abdellah SlimaniEl Jadida

Salah TarifKhouribga

Aziz RahmiBeni Mellal

Abdallah Sadik

Bouchra Latifi, Alice Gradel et Abdellah Sadik pilotent le programme de coopération franco-marocain Réseau de Lecture Publique. Ensemble, ils ont travaillé à la création de dix médiathèques et de soixante bibliothèques réparties sur le territoire du Royaume du Maroc. Ils ont assuré la préparation et l’organisation des Rencontres Littéraires.

Bouchra Latifi

Depuis l’ouverture de leur établissement, les responsables des médiathèques animent ces lieux d’accès pour tous à l’information et à la culture. Avec leurs équipes, ils accueillent et renseignent le public sur les collections imprimées, audiovisuelles et multimedia, disponibles dans les médiathèques, pour une consultation sur place ou pour le prêt. Ils organisent également toutes sortes d’animations (ateliers d’écriture ou de lecture, ateliers multimedia, projections, débats et conférences...) à destination du plus large public : des tout-petits au adultes. Dans ce cadre, ils ont assuré l’organisation des Rencontres Littéraires.

Le photographe

Le graphiste

Les modérateurs

Bernard Magnier est spécialiste de littérature africaine. Journaliste (il collabore avec Radio France Internationale), éditeur (il dirige la collection Afrique de Actes Sud), conseiller littéraire de grandes institutions culturelles françaises (Centre National du Livre, Centre Georges Pompidou, théâtre de la Vilette...), il multiplie les activités pour mieux faire connaître la littérature de ce continent. Bernard Magnier a également publié plusieurs anthologies, parmi lesquelles La poésie africaine (Mango, 2005), anthologie illustrée pour la jeunesse, et Poésie d’Afrique au Sud du Sahara (UNESCO, Actes Sud, 1995), ainsi que des livres d’entretiens, notamment avec Dany Laferrière : J’écris comme je vis (La Passe du vent, 2000)

Jamal Boudouma est écrivain, journaliste et traducteur. Lauréat de l’institut supérieur d’arts dramatique de Rabat (ISADAC), il a également été responsable de l’unité Théâtre de la deuxième chaîne marocaine 2M. Jamal Boudouma est aujourd’hui chroniqueur au sein de l’hebdomadaire arabophone Nichane.

Jean-Michel André vit et travaille comme photographe indépendant au Maroc depuis 2004. Ses reportages sont publiés dans plusieurs magasines, parmi lesquels Médina. Ses séries personnelles sur le Maroc ont été exposées dans les prestigieuses galeries de la Caisse de Dépôt et de Gestion ainsi qu’à l’Institut français de Rabat. Jean-Michel André a assuré la couverture photogaphique des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique.

Abdellatif Mitari travaille au sein de l’agence MJB depuis sa création en 1999 comme directeur artistique. Il enseigne également le design graphique à l’école Art’Com. Abdellatif Mitari a créé l’identité visuelle du Réseau de Lecture Publique, ainsi que l’ensemble du matériel de communication lié à l’activité de ces médiathèques.

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Du 31 octobre au 3 novembre 2007

et des

Sala Al Jadida Larache El Jadida

ateliers d’écriture et conversations littéraires avec

Véronique Tadjoet Mahi Binebine

des

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Véronique, parlez-nous de votre découverte des livres et de la lecture.Véronique Tadjo : J’ai vécu une enfance et une adolescence heureuses, en Côte d’Ivoire. C’est un pays où la tradition orale est très vivace. J’étais entourée par les contes, pas seulement ceux que l’on racontait en famille, mais aussi les contes qui passaient à la télévision, à la radio, et puis ceux qu’on étudiait à l’école. Dans ma famille, on lisait aussi beaucoup. Mon père surtout, qui lisait des livres spécialisés, en droit, en économie, en politique. Je me souviens aussi de ma mère qui me lisait Le Petit Prince quand j’étais petite fille. Mais j’étais adolescente quand j’ai fait mes premières véritables lectures : j’ai découvert les auteurs de la Négritude 1, et je lisais aussi beaucoup de poésie.

Et vous Mahi, enfant, étiez-vous entouré par les livres ?Mahi Binebine : Nous avions une belle bibliothèque à la maison. Mon père était instituteur et ma mère lisait beaucoup, les romans de Guy des Cars 2 par exemple. Et puis j’ai commencé à lire très tôt. A l’école, j’ai eu un professeur de français formidable. Je n’ai pas eu la même chance avec l’arabe. Le premier livre que je me souviens avoir lu, c’est peut-être Bel Ami de Guy de Maupassant 3.

Mais c’est vers des études scientifiques que vous vous êtes dirigés, pas de littérature !MB : Oui, ma mère m’a envoyé en internat au lycée Moulay Youssef, à Rabat. Et pour en sortir, il fallait que je travaille bien. Comme j’étais bon en maths, j’ai choisi cette voie. Mais depuis toujours, je savais que je voulais devenir artiste. Par contre, je ne savais pas dans quel domaine. Au début, je voulais être chanteur de charme. Et puis une fois à Paris, j’ai fréquenté le milieu des peintres, des écrivains… Quand j’ai voulu commencer à écrire, je n’ai pas eu beaucoup de problème, parce que j’avais toujours beaucoup lu.

Comment sont nés vos premiers livres ?VT : Je poursuivais mes études en France, et j’ai décidé de rentrer chez moi, en Côte d’Ivoire, mais doucement, par la route, de Paris à Abidjan. Je suis passée par Oujda, j’ai ensuite traversé l’Algérie. La découverte du désert m’a emballée. Et puis j’ai traversé le Niger et le Burkina Faso pour arriver au nord de la Côte d’Ivoire. A l’époque, je voulais être photographe, mais pour ce périple, il me fallait voyager léger, je n’ai pas pu prendre mon appareil photo. J’ai seulement emporté des carnets de notes et des stylos. J’ai eu envie de garder un souvenir de ce voyage, voilà comment je me suis mise à écrire Latérite, mon premier recueil.

V éronique Tadjo, Mahi Binebine : deux itinéraires vagabonds. Deux créateurs qui se jouent des mots et des couleurs, à la fois poètes et romanciers, peintres et illustrateurs. Deux artistes aux multiples facettes.

Deux talents qui évoquent leurs itinéraires et leurs sources d’inspiration et croisent leurs regards et leurs œuvres.

Des mots et des couleurs13Co

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nsVéronique Tadjo est née à Paris en 1955 d’une mère française et d’un père ivoirien. Ella a grandi à Abidjan et vit désormais en Afrique du Sud, après avoir voyagé en Afrique, en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique latine. Auteur de nombreux romans, poèmes et contes s’inscrivant dans la littérature adulte et évoquant le drame du Rwanda (L’Ombre d’Imana) ou proposant des variations sur une légende (Reine Pokou), elle a choisi depuis plus d’une dizaine d’années de se consacrer également aux livres pour enfants avec des albums dont elle assure elle-même les illustrations.

Mahi Binebine est né à Marrakech en 1959. Il s’installe en France à l’âge de 21 ans afin de poursuivre des études de mathématiques et plonge dans le milieu artistique et littéraire parisien. Il publie en 1992 un premier roman, Le Sommeil de l’esclave, et se découvre en même temps une passion pour la peinture. Rentré au Maroc en 2002, il vit aujourd’hui à Marrakech. Ses romans sont traduits en une dizaine de langues. Ses tableaux font le tour des plus grandes expositions internationales et figurent parmi la prestigieuse collection du musée Guggenheim de New York.

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique12

Les auteurs invités

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Véronique Tadjo, El Jadida, 2007

MB : Mon premier texte a été publié grâce à l’aide d’un ami écrivain espagnol, Agustin Gomez-Arcos 4. Nous nous retrouvions tous les jours dans un café de Saint-Germain-des-Prés à Paris. Page après page, il a corrigé mon manuscrit. C’est lui qui m’a appris le métier d’écrivain. Agustin a également relu mon deuxième livre, ensuite il m’a demandé de le donner directement à un éditeur. Ce que j’ai fait, tremblant de peur que le manuscrit ne soit refusé parce que cette fois-ci je l’avais écrit seul. C’est là que ma carrière littéraire a vraiment commencé.

Et vous Véronique, quelqu’un vous a aidée à publier votre premier texte ?VT : Oui, j’ai fait lire les poèmes que j’ai écrits pendant mon voyage à un poète ivoirien, Bernard Zadi 5, qui m’a conseillé de participer à un concours, organisé par l’ACCT (agence de coopération culturelle et technique). Le manuscrit a gagné le premier prix, ce qui m’a permis d’être publiée. J’avais passé beaucoup de temps à peaufiner avec Zadi mon recueil. Bien plus tard, il m’a dit qu’au début le manuscrit était catastrophique, mais qu’il avait senti quelque chose… Je dois ajouter qu’auparavant, dès l’âge de douze ans, mes parents ont été mes premiers lecteurs et qu’ils m’ont beaucoup encouragée.

Mahi, après plusieurs années passées à l’étranger, en France, aux Etats-Unis, vous êtes aujourd’hui de nouveau au Maroc…MB : Après vingt-trois ans d’errance, j’ai été très heureux de rentrer à Marrakech. Je suis maintenant réconcilié avec le Maroc. J’ai fui les années de plomb, peut-être pour les écrire…

En particulier dans “ Les Funérailles du lait “…MB : Oui, Les Funérailles du lait parlent de l’absence de mon frère enfermé dans le bagne de Tazmamart et surtout de l’attente de ma mère. Tous les jours, pendant dix-huit ans, ma mère réservait une place à table à mon frère. Nous n’étions pas très riches, mon père était parti, ma mère élevait seule sept enfants, et une part en moins c’était beaucoup !

Ecrire, cela signifie-t-il pour vous s’engager ?MB : Je dirais qu’en tant qu’écrivain du Sud, on est forcément militant. Il nous faut dire ce qui ne va pas. Dire aussi ce qui marche. Mais je n’aime pas la littérature militante, elle m’ennuie. J’ai besoin de poésie. C’est la même chose lorsque je peins : les masques que je peins peuvent être horribles et exprimer la souffrance, mais je choisis une belle couleur !

VT : Il est difficile de faire abstraction de ce qui nous entoure : la littérature prend source dans la vie. Je vois la littérature militante comme un défi. Il faut garder l’aspect esthétique, sinon l’on écrit un pamphlet ou un essai. Ce n’est plus de la littérature.

Véronique, dans L’Ombre d’Imana, il s’agissait de témoigner du génocide au Rwanda 6 ?

VT : Oui, je voulais savoir comment on pouvait vivre, revivre après un tel drame. A l’école, j’ai étudié la tragédie de l’Holocauste 7, et on nous disait que cela ne se reproduirait pas. Or un génocide a eu lieu sur le continent africain. On ne s’y attendait pas. Nous avions beaucoup de défaut sur ce continent, mais pas celui-là. Faire face à cette réalité n’était pas simple. Heureusement, j’avais déjà une solide expérience d’écriture avant d’affronter ce drame.

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique14

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Ecrire sur le génocide a été pour moi une forme de défi, il m’a fallu trouver la bonne forme. Je n’ai pas vraiment hésité entre le récit et l’essai. La fiction donne plus de liberté, et grâce à elle, on touche aussi davantage le lecteur. J’ai donc choisi d’utiliser la fiction, mais j’ai nourri mon travail de nombreux témoignages. J’ai beaucoup écouté avant d’écrire.

Vous avez l’un et l’autre beaucoup voyagé. Lorsque vous écrivez, est-ce que le lieu où vous êtes a une importance ?MB : Non pas vraiment. L’écriture, cela se passe à l’intérieur, on écrit ce que l’on a au fond de soi. Par exemple, lorsque je vivais à Paris, j’étais dans cette ville toute la journée, mais le soir, en écrivant, j’étais au Maroc, entouré des miens. Maintenant que je vis au Maroc, je vais peut-être écrire sur Paris, parce que cette ville me manque.

Véronique, est-ce que c’est l’exil qui vous pousse à écrire?VT : Non. Parce que pendant longtemps, je n’ai pas souffert de ce sentiment. Je voyageais, je ne me sentais pas exilée. Tout a changé quand les problèmes politiques sont intervenus en Côte d’Ivoire. Le pays a été coupé en deux. A partir de ce moment-là, l’éloignement a commencé à devenir douloureux. Je me suis sentie enfermée à l’extérieur de mon pays, parce que je ne le comprenais plus.

Avez-vous des rituels, des habitudes d’écriture ?MB : Je m’impose une discipline de fer. J’écris de minuit à six heures du matin. J’écris directement sur mon ordinateur portable, j’y ai installé les neuf volumes du dictionnaire Robert ! Je dors ensuite jusqu’à midi. Et puis je peins l’après-midi.

VT : L’emploi du temps de Mahi, c’est un emploi du temps d’homme ! Moi je suis maman, épouse et enseignante aussi : j’ai d’autres contraintes. Pour ce qui est de mes habitudes, j’écris d’abord sur des carnets, au stylo bic, j’en ai des dizaines. C’est le moment de la création. Et puis, quand je dois mettre en forme, je m’enferme dans mon bureau, pour travailler devant un ordinateur.

Vous arrive-t-il de craindre la page blanche ?MB : Non, je n’ai jamais eu ce problème, parce qu’avant de m’asseoir, je sais déjà ce que je veux écrire. Si l’on ne sait pas quoi écrire, c’est que l’on n’a pas assez travaillé au préalable. Personne ne me croit quand je dis que je travaille tout le temps, même quand je dors !

VT : Moi non plus je n’ai pas peur de la page blanche. Mais l’énergie me manque parfois pour écrire. Je sais combien de temps cela va me prendre. Il y a quelque chose de l’ordre de l’accouchement, c’est très difficile d’écrire.

Et en ce moment, que trouve-t-on sur votre table de chevet ?VT : Des livres qui viennent de partout ! D’abord, on m’en envoie beaucoup. Et puis il y a aussi tous les livres que je vais chercher moi-même, même si je ne les lis pas forcément tout de suite. Par exemple, en ce moment, je m’intéresse à l’histoire de Chaka, le roi zoulou. Et puis je relis aussi beaucoup les livres d’Aimé Césaire 8.

MB : Ma table de chevet est encombrée par les livres de mes amis écrivains ! Je n’ai plus de place…

Des mots et des couleurs17

Lorsque j’écris, j’ai le désir de créer une atmosphère, un peu comme en peinture.

J’ai le souci du détail, je décris les odeurs, les objets...Plus je peins, mieux je suis préparée à écrire.

Véronique Tadjo

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Mahi Binebine, El Jadida, 2007

Outre l’écriture, vous pratiquez l’un et l’autre la peinture. Comment conciliez-vous ces deux formes d’expression artistique ? Et quelle est la part des mots dans votre peinture et celle de la couleur dans vos écrits ?MB : On me dit toujours que j’ai une écriture imagée et une peinture… narrative ! Pour moi, ce sont deux formes d’expression différentes, qui peuvent traiter du même sujet. Par exemple quand j’écrivais Cannibales, je dessinais sans cesse des bandiera. Cela dit, j’aimerais mieux n’être que peintre ! Mais je ne peux pas faire autrement : je dois écrire ! L’écriture c’est très artisanal, c’est un travail de miniaturiste. Je cherche chacun de mes mots. Dans la peinture, mon travail est plus ouvert. J’éprouve en peignant un sentiment d’euphorie. Dans l’écriture, le moment d’euphorie, c’est lorsque l’on a fini !

VT : Lorsque j’écris, j’ai le désir de créer une atmosphère, un peu comme en peinture. J’ai le souci du détail, je décris les odeurs, les objets. La peinture m’aide à cela. Et plus je peins, mieux je suis préparée à écrire. Il y a aussi des choses dont je ne suis pas consciente ; je retrouve parfois dans mes récits des personnages que j’ai dessinés auparavant et inversement.

Aujourd’hui, l’un et l’autre écrivains confirmés, vous arrive-t-il d’aider de jeunes écrivains ?MB : Il n’y a pas un auteur marocain qui ne m’envoie son manuscrit… C’est presque du harcèlement !

VT : J’essaie. Mais cela n’a pas vraiment de sens de recevoir le manuscrit de quelqu’un que l’on ne connaît pas ; il vaut mieux que les jeunes plumes cherchent dans leur entourage les personnes proches qui s’intéressent à la littérature.

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique18

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Est-ce qu’il y a des ratures en peinture ?MB : Oui, c’est la couche de blanc ! Je dirais même qu’il n’y a que des ratures, ce sont les erreurs qui font la toile, une couche après l’autre.VT : Je suis d’accord : je crée de la texture en exploitant mes erreurs. Elles me font parfois bifurquer, c’est la même chose en littérature.

Vous utilisez l’un et l’autre les masques dans votre peinture et dans votre écriture, que représentent-ils ?MB : Les masques me servent à exorciser beaucoup de choses ! Je leur fais raconter des histoires, je peux les bâillonner, leur crever les yeux… Maintenant, j’utilise davantage de personnages dans mes toiles.

VT : Pour moi aussi, le masque est un élément très important, et pas seulement la partie que l’on peut mettre sur son visage ou poser sur un mur. J’aime aussi le masque comme costume, comme habit complet.

Ne pensez-vous pas que la recherche du mot juste peut conduire à la préciosité ? MB : Je suis un maniaque du mot juste, mais j’essaie d’éviter ce côté précieux, j’ai maintenant un peu d’expérience…

Ecrivez-vous pour un lecteur du Nord ou du Sud ?MB : J’écris pour tout le monde, mais d’abord pour les miens. Dès que je publie un livre en France, je le fais également éditer au Maroc. Paradoxalement, bien que ma littérature ne soit pas « exotique », c’est au Nord qu’on me lit le plus. Mes romans sont traduits depuis des années, et même dans des langues très lointaines, comme le polonais et le coréen ! En revanche, je viens seulement d’être traduit en arabe par un éditeur égyptien.

Quel rôle ont joué les auteurs marocains dans votre écriture ?MB : Le plus important a peut-être été Driss Chraibi, beaucoup de mes livres doivent à cet auteur. A une génération d’intervalle, Cannibales est peut-être la suite des Boucs. Abdellatif Laâbi a aussi beaucoup compté. C’est un grand poète, mais on oublie aussi que c’est un romancier.

Questions du public :

Des mots et des couleurs21

J’éprouve en peignant un sentiment d’euphorie. Dans l’écriture, le moment

d’euphorie, c’est lorsque l’on a fini.

Mahi Binebine

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Véronique Tadjo

Pour les adultes :

• A vol d’oiseau, L’Harmattan, 1992• Champs de bataille et d’amour, Présence africaine / NEI, 1999• L’Ombre d’Imana : voyages jusqu’au bout du Rwanda, Actes Sud, 2005• Reine Pokou : concerto pour un sacrifice, Actes Sud, 2005

Pour la jeunesse :• Ayanda, la petite fille qui ne voulait pas grandir, Actes Sud junior, 2007

Mahi Binebine

• Le Sommeil de l’esclave, Le Fennec, 1994• Cannibales, Le Fennec, 2001• Pollens, Le Fennec, 2001• Terre d’ombre brûlée, Fayard, 2004• Le Griot de Marrakech, Le Fennec, 2005

Bibliographie sélective

Ces livres sont à découvrir dans les collections des médiathèques du Réseau de Lecture Publique marocain

Des mots et des couleurs23

1 La Négritude est un courant littéraire, créé après la Seconde guerre mondiale, par des écrivains noirs francophones. Les pères fondateurs en sont le Martiniquais Aimé Césaire, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon-Gontran Damas. La Négritude revendique l’identité noire et sa culture, d’abord face à une francité perçue comme oppressante. Le concept désigne le rejet de l’assimilation culturelle et défend l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie.

2 Auteur français prolifique, Guy Des Cars (1911-1993) publia une soixantaine de romans à intrigues, d’abord jugés sulfureux, mais qui rencontrent rapidement un large succès auprès du public. Le personnage principal est souvent celui d’une femme en proie à des aventures tourmentées, comme dans La Brute, La Maudite ou La Tourmentée.

3 Romancier français (1850-1893), disciple de Gustave Flaubert, Guy de Maupassant rencontre le succès dès sa première publication, Boule de Suif. Il est également l’auteur de deux romans, tableaux de mœurs, Une vie et Bel ami, mais c’est dans le genre de la nouvelle que l’étendue de son talent se révèle. Ses derniers écrits, empreints de fantastique, parmi lesquels Le Horla, témoignent de l’emprise de la mort sur son esprit. Il tente de se suicider en 1892 mais c’est l’année suivante qu’il s’éteint, vaincu par la maladie.

4 Ecrivain espagnol né en 1939, Agustin Gómez-Arcos quitte l’Espagne pour la France en 1966, suite à la censure de certains de ses écrits. Dramaturge, il est également l’auteur de romans traduits dans le monde entier. L’Agneau carnivore est son premier roman écrit en français ; le narrateur y évoque son enfance dans l’Espagne franquiste, l’inceste et l’homosexualité.

5 Bernard Zadi Zaourou est un écrivain né en 1938 en Côte d’Ivoire. Poète, dramaturge et romancier, il a exercé la fonction de Ministère de la Culture en 1993.

6 Le génocide au Rwanda se déroula du 6 avril au 4 juillet 1994. En moins de trois mois, le génocide fit, d’après l’ONU, plus de 800 000 morts, en majorité issus de la population Tutsi du pays. Le génocide fut commis dans le cadre d’une guerre civile opposant le gouvernement rwandais, qui s’était auto-proclamé « Hutu Power », au Front patriotique rwandais (FPR), essentiellement « Tutsi », et décidé à revenir au pouvoir par les armes depuis l’Ouganda.

7 Le mot holocauste est un terme religieux qui désigne le sacrifice par le feu d’un animal. Dès le XIXème siècle, le terme est utilisé pour désigner le meurtre par le feu de Juifs. Après la Seconde guerre mondiale, il désignera l’extermination du peuple Juif, dans l’Allemagne nazie du Troisième Reich. Ce sont six millions d’entre eux qui ont péri dans les camps de concentration et d’extermination.

8 Ecrivain martiniquais né en 1919, Aimé Césaire est l’un des fondateurs, avec Léopold Sédar Senghor, du courant de la Négritude. Issu d’une modeste famille de sept enfants, Aimé Césaire poursuivra brillamment ses études en France. Il fonde avec Senghor le courant de la Négritude. Ecrivain et homme politique, plusieurs fois maire de Fort-de-France et député de la Martinique, Aimé Césaire se battra tout au long de sa vie pour la reconnaissance de la richesse de la culture et de la langue de ses ancêtres, tout en prônant l’universalité. En 2008, retiré de la vie politique depuis plusieurs années, Aimé Césaire décède à l’âge de 94 ans. Parmi son œuvre, il convient de citer pour la poésie, Le cahier d’un retour au pays natal, pour le théâtre, La tragédie du roi Christophe et pour les essais Le discours sur le colonialisme.

Notes de lecture

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique22

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Kawtar, Sala Al Jadida« Je me souviens bien du jour où ma famille et moi sommes allés sur la plage d’Agadir, ma ville natale. Ce jour-là est resté gravé dans ma tête car j’y ai vu la mer pour la première fois. La mer était bleue et il y avait de nombreux poissons de différentes couleurs. J’ai pris un bateau avec mon père, nous sommes allés si loin que je ne voyais plus ni ma mère ni mes frères… »

Mounia, Larache« Mes parents et moi nous étions à la plage. Je m’étais éloignée d’eux et je prenais un grand plaisir à explorer les profondeurs de la mer qui montait de plus en plus. J’étais curieuse : je voulais savoir ce qu’il y avait au fond de l’eau. Mon cœur ne connaissait pas la peur et mes pensées étranges me poussaient à vouloir traverser l’horizon… »

A vec Véronique Tadjo et Mahi Binebine, les lecteurs des médiathèques de Sala Al Jadida et Larache ont choisi de travailler sur l’évocation d’un souvenir. En mots et en couleurs, les élèves, collégiens et lycéens de

ces deux villes expriment un moment marquant de leur vie, heureux ou non. Ils ont écrit l’angoisse de la première journée d’école et le sourire rassurant de l’institutrice, mais aussi les vacances et la découverte de la nature. Dans les montagnes de l’Atlas, à la campagne ou au bord de la mer, les dangers sont nombreux, les plaisirs aussi ! Les liens de l’amitié et l’univers de la famille au quotidien sont également souvent décrits : les jeunes racontent par écrit la cuisine, la pêche, les promenades et les sorties avec des amis ou de la famille. La douleur de la perte d’un être cher, parent ou ami, n’est pas absente des textes de ces écrivains en herbe, parfois spectateurs malheureux d’accidents fatals. Ils témoignent également de leur attachement aux animaux qui les entourent, sans oublier bien sûr les souvenirs heureux liés aux cadeaux qu’on leur a offerts et désirés plus que tout… Extraits !

Des mots et des couleurs • Les Ateliers25

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Yassin, Larache « Je me souviens encore du premier cadeau que mon grand-père m’a offert… C’était pour mon anniversaire, toute la famille était réunie à la maison pour célébrer cette occasion. Nous étions tous heureux et je n’oublierai jamais ce moment où mon grand père s’approcha de moi pour m’offrir son cadeau. C’était une montre lumineuse d’une valeur inestimable… »

Lamiae, Sala Al Jadida « C’était un jour où ma cousine m’a rendu visite. Comme moi, elle était très attirée par les deux hamsters que ma mère m’avait offerts le dernier jour de mes six ans. Elle a même voulu rester chez moi quelques jours, juste pour être auprès d’eux. Nous passions des heures devant les hamsters, à les observer, à surveiller leurs mouvements et leurs comportements. La catastrophe, c’est lorsque ma cousine a voulu rentrer chez elle : elle m’a demandé de lui offrir un de mes deux hamsters… »

Fatima-Zohra, Sala Al Jadida« Un jour, en vacances, mon cousin et moi, on a décidé de se lever avant tout le monde et de partir nous promener. Nous sommes sortis en silence sans que mes parents le sachent. Sur la route, on a éclaté de rire et puis on a beaucoup joué, jusqu’à ce que l’on réalise que l’on s’était perdu dans une forêt que l’on ne connaissait pas. Nous avons crié et appelé à l’aide en vain. J’ai été prise de panique, surtout quand j’ai entendu des aboiements de chiens. Les arbres me semblaient être des vampires prêts à me dévorer… »

Hatim, Larache« Je m’en souviens comme si c’était hier... J’avais alors dix ans. Un matin du mois de janvier, des amis du quartier et moi avons décidé d’aller nous promener dans la forêt.

C’était un peu loin de chez nous. Sur le chemin, nous avons ramassé des tas d’objets, nous avons beaucoup joué et dansé. Nous passions une journée très agréable jusqu’à ce que j’entende les aboiements d’un chien sauvage… Et quelques instants plus tard, un homme effrayant aux vêtements déchirés et noirs est apparu. Il portait même une épée… »

Boudir, Larache« J’étais très jeune lorsque j’ai rejoint la crèche : un endroit familier où l’on est entouré de petits êtres qui nous ressemblent. Chaque week-end, nous assistions à des animations de toutes sortes. Le plus souvent, c’était des clowns. La première fois que j’ai assisté à leur spectacle a aussi été la dernière ! J’étais déjà allergique à la foule, mais j’ai voulu surmonter ce sentiment qui me donnait la chair de poule : je voulais voir ce qui poussait les enfants de mon âge à sauter de joie et à lancer des éclats de rire en attendant les clowns. Déjà je me demandais si je ressemblais à tous ces enfants de mon âge… Soudain, un être bizarre surgit de derrière la scène. Un visage si pâle, avec deux grands yeux au regard glacé, le plus froid de tous les regards… Pour moi c’était l’horreur déguisée en personne. Je tremblais de peur, si faible et si petite, et je n’arrivais même pas à appeler aux secours… Dieu soit loué, ma mère ne me quittait pas des yeux, et à son tour, elle surgit pour me faire sortir et me sauver… »

Farah, Larache« Ce jour-là, ma mère me réveilla tôt, me mit ma jolie robe rouge, me coiffa avec de petites nattes. Elle m’invita à prendre un petit déjeuner spécial pour bien commencer la journée. Comme c’était prévu, elle m’accompagna ensuite à l’école. Tout au long de la route, je débordais de joie : j’espérais faire de nombreuses

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connaissances et lier de nouvelles amitiés à l’école. Mais, arrivée devant le grand portail de ce bâtiment géant, j’ai ressenti de la peur et une vague inquiétude. On entendait le grouillement des enfants dans la cour. Ma mère m’a laissée et je me suis dirigée vers le pavillon des nouveaux. Une fois installée en classe, je me suis mis à découvrir les lieux : un grand tableau noir devant nous, des images collées au mur, de vieilles tables en bois, et une petite poubelle dans le coin. Soudain, les élèves se mirent debout et leurs regards se fixèrent sur la porte. C’était l’arrivée de notre maîtresse… »

Zakaria, Larache« Les préparatifs avaient commencé la veille. J’avais préparé les plus beaux vêtements que je possédais et le beau cartable que je venais d’acheter, où j’avais glissé un goûter. Toute la soirée, j’imaginais mon arrivée à l’école, je me souviens même en avoir rêvé. L’école était dans mon esprit un lieu paradisiaque, où je trouverais des enfants de mon âge avec qui jouer. Car jusque là, la solitude brisait mon cœur et j’attendais donc ce jour avec impatience. A peine ma mère me réveilla que je courus faire ma toilette, m’habiller et prendre mon petit-déjeuner pour être à l’heure. Mais à mon arrivée, je vis des enfants qui pleuraient : ils criaient, couraient dans tous les sens et refusaient d’entrer. En voyant cela, tout ce que j’avais espéré de l’école s’effondra. Je me mis à imaginer des institutrices méchantes qui giflaient les enfants. Evidemment, comme les autres, j’ai refusé d’entrer et je me suis mis à pleurer, jusqu’à ce que mon père me rassure et m’accompagne jusqu’à la classe. Là, j’ai vu une jolie institutrice souriante, entourée d’une dizaine d’enfants qui jouaient. J’avais enfin trouvé ce que je cherchais… »

Bir Sikal, Larache« Je veux parler de cette journée qui a bouleversé le cours de ma vie. Ce jour là, quand je suis revenue de l’école, ma grand-mère qui avait l’habitude de m’attendre près de la porte, assise sur sa chaise roulante, n’était pas là. On m’a d’abord dit qu’elle était partie pour m’avouer ensuite qu’elle était morte. Au début je n’ai rien compris, j’étais seulement âgée de six ans, et ce n’est plus tard que j’ai réalisé qu’elle ne serait plus jamais là, et que plus personne ne m’attendrait à mon retour de l’école. Je me posais de nombreuses questions qui peuvent paraître banales mais qui étaient très importantes pour l’enfant que j’étais. Cela fait maintenant dix ans que j’ai perdu ma grand-mère, mais je vis encore dans l’espoir de la revoir un jour, assise sur sa chaise roulante, avec son visage de paradis… »

Nisrine, Larache « Ce jour-là est resté gravé au plus profond de mon âme. J’avais alors sept ans et je n’avais pas encore connu la mort et les douleurs qu’elle nous fait vivre. Mes parents sont venus m’annoncer que mon grand-père préféré allait nous quitter pour toujours, que nos promenades ensemble étaient finies, qu’il allait forcément me manquer, mais qu’il partait pour un monde meilleur. Malgré cela, je ne pouvais pas accepter sa mort, ni même la comprendre : pourquoi lui et non quelqu’un d’autre ? pourquoi ce jour-là et non plus tard ? Autant de questions auxquelles je ne trouvais pas de réponses convaincantes, la fatalité et le destin n’avait de pas de sens pour l’enfant de sept ans que j’étais. J’ai pourtant surmonté avec peine cette douloureuse expérience, mais mon grand-père me manque toujours et vit encore au plus profond de mon cœur… »

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des

et des

ateliers d’écriture, projections et conversations littéraires avec

Mamadou Mahmoud N’Dongoet Hicham Lasri

4 et 5 décembre 2007

7 et 8 décembre 2007

Ouarzazate

Tiznit

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Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre enfance et la présence du livre dans votre famille ? Mamadou Mahmoud N’Dongo : Je suis né au Sénégal en 1970, j’ai grandi à Dakar, avec mes grands-parents jusqu’à l’âge de 5 ans, puis j’ai rejoint mes parents en France, en banlieue parisienne. Nous vivions à Drancy, dans une cité habitée par de nombreux immigrés. Il y avait des Marocains, des Portugais, des Africains… Le français était pour nous tous une langue étrangère.

Hicham Lasri : J’ai grandi dans une famille nombreuse et j’ai eu la chance d’avoir un père qui aimait la BD. Les comics et autre fumetti ont bercé mon enfance. Au début, je les déchirais, ensuite je me suis mis à les lire… J’ai d’abord été ébloui par les images et progressivement j’ai commencé à m’intéresser au contenu des histoires. Je passais tout mon temps à lire, et sur toutes les photos de famille, on me voit un livre à la main. C’est l’image qui m’attirait le plus. Les textes, il fallait que je demande à ma mère de me les expliquer, ou de me les traduire en arabe. Je l’ai tannée pendant des années pour

qu’elle me donne les définitions des mots, puis je me suis retrouvé dans la musicalité de la langue française. Ces lectures m’ont aidé dans mon cursus et m’aident maintenant à faire ce que j’aime : raconter des histoires, peu importe le médium (littérature, théâtre ou cinéma).

Quand avez-vous découvert le plaisir de la lecture ?MND : Cela s’est passé un été, j’avais 15 ou 16 ans, j’aurais dû partir en vacances à Dakar, mais finalement mon frère et moi sommes restés à Drancy. J’étais seul, tous mes amis étaient partis, la télévision était en panne… Un livre traînait dans le salon, je n’avais rien à faire, et je me suis mis à lire Les Aventures de Tom Sawyer 1. C’est là que j’ai découvert qu’on pouvait lire par plaisir et pas seulement par obligation scolaire. Comme il y avait une bibliothèque en bas de l’immeuble de ma cité, j’en ai profité… Les bibliothécaires ont beaucoup compté pour moi.

Quand avez-vous commencé à écrire ?MND : A l’école bien sûr. Mes premiers écrits, ce sont des rédactions. Mes professeurs de français m’ont

C inéastes et écrivains, Mamadou Mahmoud N’Dongo et Hicham Lasri sont des familiers de la page blanche et des salles obscures. Avec eux, les mots se font images, et les images traduisent les mots… Car depuis

l’invention de la caméra et de la pellicule, cinéma et littérature forment un vieux couple : le cinéma se nourrit et s’inspire de la littérature, tandis que celle-ci ne cesse d’emprunter aux techniques de son « compère » en images. Littérature et cinéma, une même aventure de création dont les deux écrivains-cinéastes rendent compte en échangeant sur leurs itinéraires et leurs expériences.

Des mots et des images33Co

nver

satio

ns Les auteurs invités

Mamadou Mahmoud N’Dongo est né à Pikine au Sénégal. Artiste polyvalent, il est tour à tour écrivain, photographe et cinéaste. Il a publié en 1997 un premier recueil iconoclaste, L’Histoire du fauteuil qui s’amouracha d’une âme, puis, en 1999, un second titre reconstituant les fragments de la mémoire éclatée d’un ancien combattant, L’errance de Sidika Ba. En 2006, avec Bridge road, un roman largement inspiré par les techniques du cinéma, il mêle au cœur d’une enquête dans l’Amérique de la ségrégation, un suicide à Paris, un lynchage raciste et la disparition d’un photographe afro-américain…

Hicham Lasri est né à Casablanca en 1977. Sa carrière littéraire commence en 2002 lorsqu’il compose un premier recueil de nouvelles : Passé simplifié / Futur décomposé. En 2005, il remporte le prix de l’union des écrivains du Maroc et publie (K)Rêve, pièce de théâtre dans laquelle des personnages marginaux évoluent dans une ambiance kafkaïenne. En 2007, il récidive avec l’écriture d’une comédie : Larmes de joie un jour de ZemZem. Hicham Lasri est aussi un cinéaste plein de talent : il a réalisé plusieurs longs et courts-métrages, parmi lesquels L’os de fer, Le Peuple de l’horloge et Jardins des rides.

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encouragé à poursuivre. Vers 16 ou 17 ans, je me suis mis à écrire des pastiches, de courtes nouvelles, qui sont d’ailleurs présentes dans mon premier recueil L’Histoire de Sidika Ba. J’ai toujours inventé des histoires car je préfère la fiction à l’autobiographie.

HL : Moi je ne me souviens pas précisément de ce moment… Je crois que j’avais à peu près 15 ans et je voulais faire une BD. Mais avant de dessiner les images, il m’a fallu écrire le texte. Je pense que cela racontait une histoire de tueur en série, avec beaucoup de rebondissements…

Mamadou, quelle place les livres occupent-ils dans votre vie ?MND : Les livres me nourrissent, ils m’aident à vivre. Je les utilise pour créer. Je lis beaucoup : je m’imprègne de ce qui s’est fait avant moi. Je suis également très attentif à ce qui s’écrit aujourd’hui… Les livres me questionnent, ils stimulent ma recherche. Mais je ne les garde pas : je donne ceux que j’ai déjà lus et j’en emprunte aussi énormément à la bibliothèque.

Le Sénégal est un pays qui compte de grand auteurs, parmi lesquels Léopold Sédar Senghor et O usma ne S emb ene. Vous sentez-vous particulièrement proches de ces aînés ?MND : Je suis Sénégalais, Sembene 2 et Senghor 3 sont mes grands-parents ! Je me sens proche d’eux et de leur travail. Mais au-delà de ces aînés, j’appartiens à une famille très large d’artistes, de créateurs, qui n’ont rien à voir avec mon origine géographique. Par exemple, je me sens très proche de la littérature anglo-saxonne. La l ittérature américaine en particulier m’inspire beaucoup, parce que les créateurs de ce pays jeune et métis s’interrogent sur

l’identité. Par les questions qu’ils posent, je me sens aussi proche d’un Francis Scott Fitzgerald 4 ou d’un John Dos Passos 5 que d’un auteur sénégalais.

Et pour vous Hicham, que représentent les auteurs classiques marocains ?HL : A l’école, à force de vouloir nous faire comprendre que la culture marocaine existait, on nous a rendu allergique ! On nous imposait une manière unique de lire les textes, par le biais de ce que tel ou tel professeur en avait compris. On subissait le totalitarisme du conformisme. C’est donc très tard que j’ai apprécié les auteurs marocains, une fois que je suis sorti du système scolaire et que j’ai pu les découvrir par moi-même, y chercher et y trouver ce qui m’intéressait. Aujourd’hui, un auteur comme Mohamed Khaïr-Eddine 6 me fascine.

Quels sont vos livres de chevet ?HL : Ceux de Philipp K. Dick 7, par exemple. Lorsque que j’aime un auteur, je lis tout ce qu’il a fait. Pour K. Dick, cela n’a pas été facile : il a beaucoup écrit ! De très grands romans mais aussi de nombreux livres commerciaux, écrits sur commande…

Et vous Mamadou, que trouve-t-on sur votre table de chevet en ce moment ? MND : Adiós a Mamá, du Cubain Reinaldo Areinas 8.

Vous avez l’un et l’autre travaillé pour le cinéma et publié des pièces de théâtre, des nouvelles ou des romans. Ecrit-on un scénario comme un roman ?MND : Pas du tout. Certaines idées se prêtent mieux à la littérature qu’au cinéma. Le cinéma est un art de l’exposition, contrairement à la littérature qui repose davantage sur l’introspection.

Des mots et des images35

Les lectures m’ont aidé à faire ce que j’aime :raconter des histoires. Et peu importe le

médium : le cinéma, le théâtre ou la littérature.

Hicham Lasri

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Hicham Lasri, Tiznit - Ouarzazate, 2007

Lorsque j’ai voulu répondre aux questions que je me posais sur mon origine, j’ai cessé d’écrire pour le cinéma. Qu’est-ce qu’être Sénégalais aujourd’hui en France ? Qu’est-ce que cela veut dire de vivre parmi d’autres ou avec les autres ? Ce sont des questions auxquelles la littérature permet de répondre.

Et le travail d’adaptation, y avez-vous songé ?MND : Non. Je n’aurais absolument pas pu adapter mon roman Bridge Road moi-même, d’ailleurs j’ai cédé les droits de ce livre pour qu’il soit adapté par quelqu’un d’autre.

Hicham, pour vous, écrire pour le cinéma, écrire un roman, est-ce la même démarche ?HL : Je pense qu’au départ, il y a des idées, des images, des sensations et des visions, puis vient la volonté de les partager, par égoïsme ou par générosité. La création n’est rien d’autre que l’action de concrétiser un flux nerveux, des images mentales, des sensations. Je fais partie de ceux qui pensent que les idées sont dénaturées quand elle sont exposées hors de la boite crânienne. Ecrire, montrer, au cinéma ou à la télévision, chaque fois c’est un échec. On passe notre vie à raconter la même chose en essayant de trouver un angle différent.

Mamadou, pouvez-vous nous dire quel est le point de départ votre roman Bridge Road ?MND : Je suis parti d’un fait divers, que j’ai découvert dans un documentaire de Chantal Akerman (Sud) : le lynchage de James Byrd Jr.. Et je me suis intéressé à la situation des Noirs aux Etats-Unis, à l’histoire de la communauté noire. Bridge Road, c’est aussi le parcours d’un détective, qui, au fur et à mesure de son enquête s’interroge, se remet en question, lui et

son métier : est-ce qu’on peut faire partie des Autres quand on gagne sa vie en les espionnant…

Hicham, le titre de votre pièce de théâtre, (K)Rêve, est mystérieux, pouvez-vous nous l’expliquer ?HL : Il faut entendre (K)Rêve comme « crève ». Si le lecteur franchit la barrière de ce titre, alors il est prêt à plonger dans la pièce. Dans celle-ci je montre ce que la société marocaine a de moins reluisant, mais je n’ai pas voulu en faire une peinture naturaliste. Pour évoquer le chômage et la vie gâchée du personnage principal, j’ai choisi la science-fiction. Cela donne une pièce déjantée, où les personnages sont inspirés par d’autres univers littéraires ou artistiques.

Justement, quelle est la place des références, des modèles dans votre travail ?HL : Je me nourris d’autres univers, j’absorbe les références et je les cite dans mon travail. Le recyclage m’a toujours beaucoup intéressé. Mais aujourd’hui, j’essaie de sortir de cette démarche, parce qu’on peut aussi y perdre le lecteur s’il n’est pas au fait des références utilisées. Je me fais aujourd’hui davantage « raconteur d’histoires ». J’essaie d’aller vers plus de simplicité...

MND : C’est vrai. Il faut savoir oublier les références, mais il faut aussi avoir une mémoire. Il est important de savoir ce qui s’est fait avant soi, de voir des films, de lire des livres… C’est créatif de se nourrir du travail des autres.

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Mamadou Mahmoud N’Dongo, Tiznit - Ouarzazate, 2007

Certaines idées se prêtent mieux à la littérature qu’au cinéma. Le cinéma est art de l’exposition, contrairement à la littérature qui

repose davantage sur l’introspection.

Mamadou Mahmoud N’Dongo

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Bibliographie et filmographie sélectives

A découvrir dans les collections des médiathèquesdu Réseau de Lecture Publique marocain

Mamadou Mahmoud N’Dongo

• Bridge Road, Editions du Serpent à plumes, 2006

• Le mangeur d’hélium, court-métrage, 1994• L’œil, court-métrage, 1995• Solo, court-métrage, 1995

Hicham Lasri

• (K)Rêve, Union des Ecrivains du Maroc, 2005• Larmes de joie un jour de ZamZam, et autres textes, Les éditions de la Gare, 2007

• Ali J’Nah Frestyle, court métrage, 2004• Lunati(K)a, court-métrage, 2005• Jardin des Rides, court-métrage, 2005• L’Os de fer, long-métrage, 2007• Le Peuple de l’horloge, 2008

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Mamadou, peut- on vivre de son écriture ?M N’D : Evidemment ce n’est pas facile, et ce n’est pas donné tout de suite. Mais il faut parier sur la qualité de son travail. En proposant quelque chose de singulier, de sincère et d’exigeant, le travail que l’on fournit finit par être reconnu. Et les propositions suivent : on peut donner des conférences, animer des ateliers, vendre les droits cinématographiques, enseigner, et aussi parfois vivre de ses droits d’auteur…

Hicham, en quelle langue écrivez-vous ?HL : En français. C’est une question de sensibilité : dans cette langue j’arrive à écrire des choses qui sont plus proches de moi. Mais cela n’enlève rien à mon identité marocaine ! J’écris également en français pour des questions pratiques et matérielles : dans le monde du cinéma, c’est le français ou l’anglais qui sont utilisés. Pour obtenir des fonds c’est également plus facile.

Questions du public :

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dans de nombreuses revues littéraires parmi lesquelles « Encres vives » et « Présence africaine ». En 1967, c’est la révélation, avec la publication de son roman Agadir. En 1979, il s’installe à nouveau au Maroc et meurt à Rabat en 1995. 7 Romancier américain né en 1928, Philip K. Dick, est devenu l’auteur culte de tous les amateurs de science-fiction. K. Dick fut un auteur prolifique : il publia une trentaine de romans et recueils de nouvelles, dont les qualités littéraires sont inégales. Il s’interrogea au travers de récits d’anticipation, sur les faux-semblants et la vérité cachée derrière les apparences. Plusieurs de ses romans ont été adaptés au cinéma, Blade Runner, par Ridley Scott et Minority Report par Steven Spielberg.8 Ecrivain cubain né en 1943, affirmant dans ses écrits son homosexualité, Reinaldo Arenas est très tôt perçu par la dictature castriste comme un dangereux contestataire. Emprisonné de 1973 à 1976, il s’exilera à New York en 1980. Séropositif, il se suicidera à l’âge de 47 ans, en 1990, laissant derrière lui une quinzaine de romans et des recueils de poésie, qui font de lui l’un des écrivains latino-américains les plus polémiques du XXème siècle.

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Notes de lecture

1 Ecrit par Marc Twain à la fin des années 1870, Les Aventures de Tom Sawyer font la chronique de l’enfance turbulente et buissonnière de Tom Sawyer et de son compère Huckleberry Finn. Les deux jeunes garçons vivent sur les rives du Mississippi dans les années 1840 et découvrent la vie au prix de nombreuses aventures, parfois dangereuses, toujours amusantes, grâce au subtil humour du célèbre romancier américain. 2 Né en Casamance en 1923 et disparu en 2007, Ousmane Sembene est connu à la fois comme écrivain et comme cinéaste. Son œuvre, récompensée par de nombreux prix, témoigne d’un engagement constant sur les questions sociales et politiques. Son premier film, connu pour être le premier film tourné en Afrique subsaharienne par un Africain : Borrom Sarret. Parmi ses œuvres cinématographiques : Le Mandat, La noire de…, Xala (tous trois adaptés de ses romans éponymes), Ceddo, Thiaroye. Son dernier film sorti en 2004, Mooladé, s’attaque aux ravages de l’excision. Parmi ses romans : Le docker noir, Les bouts de bois de dieu, Niiwan.3 Homme d’Etat et écrivain sénégalais, né en 1906 et disparu en 2001, Léopold Sedar Senghor, fut l’un des symboles majeurs de la francophonie en Afrique. Brillant étudiant dans le Paris des années 1920-1930, il fut également un héros de la Seconde guerre mondiale. Prisonnier, puis entré dans la Résistance, il commencera au sortir de la Guerre une prestigieuse carrière politique, en France et au sein de diverses instances internationales. De retour dans son pays, il est élu premier président de la République du Sénégal en 1960. Il ne quittera ce poste qu’en 1980. Senghor est également l’un des auteurs les plus remarquables de sa génération. Père du concept de Négritude avec Aimé Césaire, Senghor a également

publié de nombreux ouvrages de poésie et d’essais, qu’il a lui-même réuni en un seul volume : Poésie complète. Primé à maintes reprises, il a notamment reçu la médaille d’or de la langue française et a siégé parmi les Immortels de l’Académie française. 4 Francis Scott Key Fitzgerald, né en 1896 dans une famille issue de la petite bourgeoisie Nordiste, mourra en 1940 à Hollywood, plongé dans l’alcool, la dépression et les ennuis financiers. Il fut pourtant l’un des auteurs les plus brillants de sa génération. Chef de file de la « Lost Generation », ou « Génération perdue », courant littéraire fondé par Gertrude Stein dans le Paris de l’après-guerre, il fut également celui qui lança la carrière d’Ernest Hemingway. Son roman le plus fameux, qui connut un énorme succès dès sa publication et qui fut par ailleurs adapté au cinéma, est Gatsby le Magnifique, paru en 1925.5 Né en 1896 et disparu en 1970, John Dos Passos connaîtra une longue carrière littéraire, couronnée par de nombreux succès. Ses romans les plus fameux sont Manhattan Transfer ainsi que la trilogie U.S.A, écrits dans les années 1920 et 1930. Familier des techniques du réalisme et inspiré par l’héritage cinématographique d’Eisenstein, John Dos Passos livre dans ses écrits une analyse sociale pessimiste, déconstruisant l’illusion de « l’American Dream ».6 Né à Tafraout en 1941, Mohamed Khair-Eddine est l’un des plus grands écrivains marocains de langue française. Il fonde en 1964, avec Mostafa Nissaboury le Mouvement « Poésie Toute ». Il s’exile volontairement en France en 1965, et devient, pour subsister, ouvrier dans la banlieue parisienne. Dès 1966, il publie ses écrits

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A vec Mamadou Mahmoud N’Dongo et Hicham Lasri, les lecteurs des médiathèques de Ouarzazate et Tiznit,

des plus petits aux plus grands, ont pu découvrir le monde fascinant du cinéma de création. Au cours des journées d’ateliers, les courts métrages de Hicham Lasri ont été projetés et ont donné lieu à débat avec le réalisateur marocain et l’un de ses comédiens, Mohammed Aouragh, originaire de Tiznit.En travaillant avec les enfants, collégiens, lycéens et étudiants sur des extraits de films du répertoire mondial Mamadou Mahmoud N’Dongo a initié aux techniques du cinéma le jeune public nombreux et captivé par les images : de l’écriture du scénario aux techniques de réalisation (direction d’acteurs, cadrage, lumière, costumes etc.).Extraits en images !

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Dieudonné Niangounaet Jaouad Essounani

en

des

ateliers littéraireset conversations littéraires avec

20/21 février 2008

22/23 février 2008

Khouribga

Beni Mellal

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S ur les planches des théâtres ou sur les places des villes, dans les amphithéâtres antiques ou dans les salles polyvalentes des temps modernes, les dramaturges, les metteurs en scène, les comédiens,

écrivent la comédie de la vie, la tragédie des jours ou la farce du temps… A Paris, Bruxelles ou Avignon, à Rabat, Brazzaville ou Ouagadougou, Dieudonné Niangouna et Jaouad Essounani, tous deux hommes des planches, dialoguent, sans costume et sans masque, de ces « mots en scène » qu’ils écrivent et interprètent.

Afin de faire connaissance, pouvez-vous nous donner une idée de votre environnement d’enfance et d’adolescence ? Quelle était la place du livre dans votre famille ?Dieudonné Niangouna : J’ai grandi à Brazzaville dans une famille de vingt-huit enfants. Mon père était professeur à l’université. Il avait décidé de m’initier à la littérature, pour cela il m’enfermait dans sa bibliothèque, me donnait un livre à lire et je devais en faire le résumé, souligner et chercher dans un dictionnaire les mots que je ne connaissais pas. Il était très exigeant ! Je me souviens du premier livre qu’il m’a donné : Le Dernier des Mohicans 1, 500 pages quand même ! Mon père m’a aussi fait lire Les Misérables 2, Les Rêveries d’un promeneur solitaire 3 : beaucoup d’auteurs classiques français. C’était son univers. Mais je ne voulais pas en rester là, et déjà pour échapper à sa violence, je me noyais dans la poétique des mots. Je m’envolais, me fabriquais des mondes… Et puis, j’ai cherché d’autres lectures… J’ai commencé par la poésie, celle d’Aimé Césaire 4, d’Apollinaire 5, d’Alfred de Vigny 6 aussi. J’ai également

acheté mes propres livres aux petits revendeurs de la rue. Je me souviens avoir trouvé le livre du romancier péruvien Manuel Scorza 7, Le Chant d’Agapito Roblès.

L’école vous a-t-elle permis de faire de nouvelles découvertes ?DN : Non, c’est vraiment dans la bibliothèque de mon père que j’ai découvert la littérature. D’ailleurs, à l’école, il n’y avait pas de bibliothèque, et pas davantage dans mon quartier. La bibliothèque nationale était souvent fermée et celle du centre culturel français était trop loin de chez moi…

Et vous Jaouad, qui vous a initié au livre ?Jaouad Essounani : Mon père est mort dans un accident de voiture alors que j’avais trois semaines. C’est mon frère aîné qui l’a remplacé. A cette époque, lui avait 13 ans, mais c’était déjà l’intello de la ville. Il était très disponible pour moi et m’a guidé vers la lecture, sans contrainte, d’abord par le biais des contes. Je me souviens avoir lu Les 1001 nuits et Kalila wa Dimna vers 7-8 ans. J’aimais me plonger dans ces espaces inconnus, dans ce contexte exotique.

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ns Les auteurs invités

Dieudonné Niangouna est né en 1976 à Brazzaville où il demeure encore aujourd’hui. Tour à tour comédien, metteur en scène et dramaturge, il est devenu en quelques années l’une des figures les plus novatrices de la scène théâtrale africaine. Après avoir joué dans diverses troupes congolaises et mis en scène des textes de Simone Schwarz-Bart et de Bernard-Marie Koltès, il a créé, avec son frère Criss, la compagnie « Les bruits de la rue » avec laquelle il a présenté ses propres créations (Intérieur-Extérieur, Banc de touche, Attitude clando) tant en Afrique (Brazzaville, Ouagadougou) qu’en Europe (Paris, Avignon). Dieudonné Niangouna dirige également à Brazzaville un festival international de théâtre, « Mantsina sur scène ».

Jaouad Essounani est né en 1978 à Sefrou et a suivi des études de théâtre à l’ISADAC. Il y rencontrera Richard Brunel, Fadel Jaïbi et le grand Peter Brook qui marqueront son travail. En 2005, il fonde la compagnie “ Dabateatr “, écrit et monte Crashland, pièce dans laquelle un accident de bus provoque la rencontre de voyageurs, touristes et Marocains. Cette même année, il monte Chamaâ, adaptation de La jeune fille et la mort d’Ariel Dorfman, dans laquelle il revisite les années de plomb. Il crée en 2007 D’Hommages ! : une mosaïque de personnages qui tentent d’explorer au travers de clichés ce qui reste ancré dans la mémoire après un départ.

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Dieudonné Niangouna, Khouribga, 2008

Les 1001 Nuits m’offraient cette évasion, ces labyrinthes de l’imaginaire, ces fantasmes, ces voyages. Je partais bien loin de Sefrou…

A quel moment avez-vous commencé à écrire ?DN : A 12 ans. J’ai commencé par écrire de la poésie. Ce n’était pas de la littérature, mais j’aimais écrire sans les contraintes de la narration, je m’évadais par la langue… Ma première pièce de théâtre, je l’ai écrite vers 15 ans.

JE : Pour ma part, c’est le théâtre qui m’a poussé vers l’écriture. Ma première expérience, c’était à l’école primaire, à l’occasion d’un atelier de théâtre. C’est moi qui faisait tout ! J’étais l’écrivain, le metteur en scène, ma petite copine et moi on tenait les premiers rôles, les autres n’étaient que des figurants dans ma pièce.

Comment avez-vous commencé le théâtre ?JE : Un jour, je suis passé devant la maison des jeunes, j’y ai vu des gens maquillés, qui faisaient des mouvements bizarres. En fait, ils répétaient. J’étais avec mon frère et je lui ai demandé de m’inscrire. Ca tombait bien, ils avaient besoin d’un enfant pour leur spectacle. Cela m’a tout de suite beaucoup plu, je pouvais frimer : on est parti faire une petite tournée dans les villes alentours, et je disais à tout le monde que je voyageais, que j’étais allé au bout du monde ! Le théâtre est devenu ma passion, j’étais prêt à tous les sacrifices pour en faire, même celui d’une rupture avec ma famille. Lorsque j’ai annoncé à ma mère que je voulais devenir comédien, elle m’a demandé si ce que je voulais c’était que la honte s’abatte sur les Amazigh !

Dans votre parcours, quelles sont les rencontres qui ont compté ?JE : Sans doute à cause de l’absence du père dans mon enfance, les personnes plus âgées que moi ont beaucoup compté. Richard Brunel m’a longtemps envoyé les livres dont j’avais besoin et que je ne pouvais pas trouver. Fadel Jaïdi est aussi quelqu’un dont je me sens très proche. Il a réussi à créer en Tunisie un théâtre « élitaire pour tous ». Il a su travailler sur le public, le fidéliser, sans tomber dans le commercial mais en proposant un vrai projet culturel et théâtral.

Pour vous, Dieudonné, comment s’est effectuée votre découverte du théâtre ?DN : Quand mon père ne m’enfermait pas dans la bibliothèque pour que je lise, il me forçait à regarder avec lui les films de Fernandel ! Mon père était fanatique de cet acteur français… Lire, regarder : j’ai tout de suite mis en rapport l’écriture et le jeu. Mais le théâtre, c’est avec les pièces de Sony Labou Tansi 8 que je l’ai vraiment découvert : il mettait de la poésie dans la bouche des personnages. Cela me fascinait, et même si j’étais très jeune, j’ai voulu voir toutes ses pièces qui se jouaient au Centre culturel français de Brazzaville. Et puis un beau jour, j’ai décidé que je voulais moi aussi faire du théâtre, et je n’ai fait rien d’autre depuis ! Je suis allé voir Matondo Kubu Touré, une grande figure du théâtre à Brazzaville, et je suis entré dans sa troupe. Il enseignait des techniques très novatrices, comme l’abstraction scénique, il insistait sur les relations entre la langue et le jeu… Nous avons travaillé sur un recueil de poèmes, L’Appel du Ténéré, un titre prémonitoire car son auteur allait,

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peu de temps après, mourir dans l’attentat du DC10 qui s’est écrasé dans ce désert… C’est ma toute première expérience de théâtre.

Qu’en était-il de l’écriture pendant ce temps ?DN : Je continuais à écrire mais je ne pouvais pas jouer mes pièces. Il fallait d’abord que j’apprenne le métier. Car c’est un travail que de devenir comédien, il faut apprendre, exactement comme pour être mécanicien ou boucher ! Je voulais rendre la parole vivante… Il fallait que je m’exerce, que je travaille mon jeu, que j’expérimente des styles, et d’abord en jouant les pièces des autres, sous forme d’ateliers, de performances. Et puis en 1997, pendant la guerre, j’ai été obligé de fuir Brazzaville et je me suis retrouvé, sans maître, à Pointe Noire, la grande ville du nord du Congo. C’est là que ma carrière de metteur en scène a commencé. Parce que je restais le seul à avoir envie de faire du théâtre : il n’y avait plus de troupe, plus de comédiens, ils avaient tous fui ou renoncé. Les théâtres étaient détruits… Mais pour moi ce désir était vital, et j’ai commencé à écrire et mettre en scène mes propres textes. C’est à Pointe Noire que j’ai écrit une première version de ce qui deviendra Carré blanc, en 2001.

Et vous Jaouad, votre rapport à l’écriture…JE : Je ne me considère pas comme un écrivain. Pour moi, l’écriture c’est juste de l’évasion. Je n’ai aucune envie de mener une carrière littéraire et j’écris sans être obnubilé par la publication. Je me considère davantage comme un metteur en scène qui travaille la matière, le texte, avec les comédiens, sur scène. C’est ce qui s’est passé pour Crashland. Ce n’était

pas prévu comme ça, mais j’ai finalement été obligé d’écrire la pièce. J’ai écrit un texte en une nuit, et nous l’avons ensuite modifié avec mes comédiens. Ce sont des kamikazes. C’est avec eux sur scène, que je trouve mon écriture. Je provoque des rencontres, des ateliers, des séances de brain-storming…

Et pour vous Dieudonné, comment se passe le moment de l’écriture ? l’acte d’écrire ?DN : Dans la violence ! J’entre en transe, je deviens insupportable et je dois m’éclipser. Avant d’écrire, je parle, je parle. Ca tourne en boucle… Puis je jette tout sur la page, sans penser à la scène. J’aime beaucoup la phrase d’Antoine Vitez : « On peut faire de tout théâtre mais tout n’est pas théâtre ». Elle rejoint celle d’Antonin Artaud : « N’importe quoi, n’importe comment, du moment que c’est théâtral ». D’ailleurs, Sony Labou Tansi a fait un excellent spectacle à partir des textes du chanteur congolais Franco. Une fois écrit, je laisse mon texte, une semaine, un mois, je reprend le cours de ma vie. Il faut un autre déclencheur pour que j’entreprenne une deuxième version, puis une troisième. J’ai des pièces qui ont huit ou neuf versions. Pour d’autres, la seconde me satisfait. Il n’y a pas de règle, c’est mon émotion qui me dicte… Par exemple, j’ai écrit Intérieur/extérieur en 2003. Ce texte, je l’ai écrit sans penser que cela pourrait devenir du théâtre. J’ai laissé les vannes ouvertes, cela a d’abord pris la forme d’un poème. Et ce n’est que quand je l’ai relu quelques semaines plus tard que je me suis rendu compte que je n’en avais pas fini. Attitude clando, je l’ai écrit d’un trait, comme un flow, dans un souffle. Là aussi j’ai retravaillé le texte, qui a connu plusieurs

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Mes comédiens sont des kamikazes, c’est avec eux, sur scène, que je trouve mon écriture.

Jaouad Essounani

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Jaouad Essounani, Beni Mellal, 2008

versions. Pour Banc de touche, j’avais la trame et j’ai fait improviser les comédiens, c’est à partir de leur proposition que j’ai écrit le texte.

JE : J’accumule les notes, je saisis des moments de vie. Ce sont mes matériaux. Lorsque j’ai suffisamment absorbé, les contractions commencent… A ce moment là, je ne dors plus, je ne mange plus… Moi aussi je deviens insupportable. En revanche, lorsque je travaille sur commande, c’est très différent : je vais chercher dans mes tiroirs, je compose en recyclant des textes qui se rapprochent de ce que l’on m’a demandé.

Vous sentez-vous plutôt auteur, comédien, ou metteur en scène ? Avez-vous plus de plaisir à exercer l’un ou l’autre de ces métiers ?DN : Je suis heureux dans les trois. Je subis aussi la violence de ces trois métiers. Mais je ne suis pas les trois en même temps ! Quand j’écris, je ne pense pas à la scène, je ne vois pas « plateau ». Et de la même manière, si je monte ou si je joue un de mes textes, j’oublie que j’en suis l’auteur. Mes propres textes me résistent, il m’arrive de m’emporter contre ce que j’ai écrit. Comme comédien, j’ai déjà déchiré des textes impossibles à jouer !

JE : Je me sens résolument metteur en scène. Cela fait longtemps que je ne suis plus comédien, c’est une décision prise. Et je ne mets en scène mes textes que par obligation, parce que je n’ai pas encore trouvé l’auteur qui me convient. Pour ce qui est du plaisir et de la douleur à être metteur en scène, c’est un sentiment mêlé : je recycle ces deux états que j’éprouve pour les offrir en partage au public. Tout part de mon ego, de mon « je ». J’essaie de créer du

« beau » à partir de matériaux, mes émotions, les belles comme les laides, les sales.

Vous avez l’un et l’autre, présenté vos spectacles dans vos pays d’origine mais aussi hors de vos frontières. Avez-vous remarqué des différences dans l’accueil réservé à vos spectacles ?DN : Pendant longtemps à Brazzaville on m’a reproché de faire du « théâtre pour les Blancs » et en France on me disait « c’est du théâtre africain »… Alors, où suis-je ? J’accepte les influences. Je veux bien être une éponge… Mais cela ne m’intéresse pas de me schématiser moi-même. Les gens peuvent bien s’interroger sur l’identité « blanche » ou « africaine » de mon théâtre, ce n’est pas ma quête, ce ne sont pas les questions que je me pose comme créateur. Pour moi, l’enjeu est de trouver une forme, une forme esthétique, émotionnelle…

JE : Moi aussi on me donne cette double facette. Crashland, on croyait que c’était la pièce d’un étranger. La question ne s’est pas posée pour Chamâa parce que le texte est en marocain. Mais cette idée de retournement m’intéresse beaucoup, les apparences changent au cours du temps.

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Questions du public :

Pourquoi ne voit-on pas vos pièces, en dehors des grandes villes ?JE : Je fais ce que je peux. J’ai souvent fait en sorte que mes spectacles soient gratuits et accessibles mais il existe des problèmes d’équipements, d’infrastructures dont je ne suis pas responsable. Je ne suis pas ministre de la Culture ! DN : Je suis aujourd’hui à Khourigba, demain à Beni Mellal… Je repars ensuite au Congo mais mes livres sont ici. Ils restent !

Ecrire en français est-ce difficile pour vous ?DN : La langue est un outil pour dire une émotion, donner un message, même si je n’aime pas beaucoup le mot. Je ne peux écrire qu’en français car c’est la seule langue que j’ai appris à écrire. Si j’ai des difficultés à écrire douze vers en français, j’aurais encore plus des difficultés à écrire un seul mot en kongo. Nous n’écrivons pas notre langue. Nous ne l’apprenons pas à l’école. Et même si je l’écrivais, je n’aurais presque pas de lecteurs… JE : Je parle darija. Je lis l’arabe classique. J’écris en français et en darija. Comme le disait Kateb Yacine « le français est un butin de guerre ». Le français que j’écris est un « mauvais français », il n’en a que l’apparence. Ce que je cherche c’est que mes textes reflètent ma personnalité, ce que je suis vraiment. Ma sensibilité organique, mon identité, marocaine, berbère, musulmane. Si j’écris aussi en darija, c’est que je sais ce que c’est que d’avoir été privé de sa langue maternelle, et je ne veux pas priver le public de ce rapport vital à la langue.

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Lire, regarder : j’ai tout de suite mis en rapport l’écriture avec le jeu.

Dieudonné Niangouna

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Que pensez-vous du théâtre engagé ?JE : Je n’y crois plus ! Même si je viens de ce théâtre, militant, universitaire, de gauche. Aujourd’hui, je préfère parler de théâtre « citoyen » et je me donne une seule mission : faire du théâtre un métier. Car c’en est un ! Est-ce que le boucher est engagé ? On ne lui pose pas la question… Mon objectif va au-delà de la politique. Ma recherche est une recherche de la tolérance, du partage dans la pratique. Créer une troupe de théâtre, avoir un projet collectif, c’est aussi un engagement. Je dirai que mon action est engagée. Mais mon théâtre ne l’est pas !DN : « Ce n’est pas l’artiste qui est engagé, c’est l’art qui produit des engagements » disait Sony Labou Tansi… Dans certains pays, on fait du théâtre d’interventions, du théâtre-forum, c’est un autre forme d’engagement… Le théâtre c’est de l’émotion à partager !

Dieudonné, quelle est la part de l’oralité dans votre théâtre ?DN : Pour moi, l’oralité ce n’est pas seulement quelque chose qui relève d’une tradition « africaine ». L’oralité, c’est aussi quelque chose de très urbain. Je travaille beaucoup sur le lari, une langue hybride entre le kongo et d’autres langues. J’aime aussi travailler autour du mécanisme de la rumeur, ce qu’on appelle le « boucan ». Pour qu’un mensonge se propage pas de plus sûr moyen que de demander à celui à qui l’on parle de ne répéter à personne ce qu’on va lui dire…

Jaouad, est-ce que vos voyages incessants sont pour vous une façon de rester dans l’éphémère ?JE : Plus que l’éphémère, ce sont les hasards et les rencontres que j’aime. Par exemple, j’ai été très touché d’entendre un de mes comédiens chantonner un thème que j’avais composé quinze ans plus tôt. C’était un hasard, il ne savait pas que j’en étais l’auteur… Je ne connais Dieudonné que depuis deux jours, mais nous nous sommes rendus compte que nous avions un ami commun. C’est l’inattendu que j’aime.

Vous sentez-vous citoyen du monde ?DN : Disons que je ne peux être intéressant en tant qu’artiste ici, à Brazzaville comme à Paris, qu’avec ce que j’apporte de l’extérieur. Je cherche donc à remplir ma besace pour l’apporter en retour à mon terroir.JE : Je n’aime pas beaucoup ce terme de « citoyen du monde ». Mais c’est vrai que la rencontre m’a beaucoup apporté et tant que j’en ai l’énergie, je veux aller vers l’Autre. J’ai fondé le Dabateatr dans cette idée : un projet collectif, pluridisciplinaire et multiculturel auquel je donne mon identité, mon ego, mon amour.

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Mises en scène et bibliographie :

Dieudonné Niangouna

• Carré blanc, 2002• Intérieur-Extérieur, 2003• Banc de touche, 2006• Dans la solitude des champs de coton, 2006• Attitude clando, 2007

• Carré blanc suivi de Pisser n’est pas jouer, Editions Interlignes, Brazzaville, 2004• Attitude clando, My name is, in Dramaturgie africaine contemporaine, Editions Culturesfrance, Paris, 2007• Trace, Editions Carnet-livre, Paris, 2007

Jaouad Essounani

• La jeune fille et la mort, 2004• Chamaâ, 2005• Crashland, 2005• Kosmoprophètes 1, 2006• Hum, 2006• Retour en Q, 2007• D’Hommages !, 2008

Des mots en scène63

1 Roman écrit par l’Américain James Cooper en 1826, qui met en scène les aventures de Œil de Faucon, le trappeur blanc vivant au milieu des Indiens dans la région frontalière des Etats-Unis et du Canada.

2 Chef d’œuvre romanesque de Victor Hugo, Les Misérables sont l’une des œuvres les plus populaires de la littérature française. Les idéaux romantiques du grand écrivain français s’incarnent au travers des aventures en cinq tomes de Jean Valjean.

3 Ecrites par Jean Jacques Rousseau entre 1876 et 1878, Les Rêveries d’un promeneur solitaire tiennent à la fois de l’autobiographie et de la réflexion philosophique sur la nature de l’Homme et de son Esprit.

4 Issu d’une modeste famille de sept enfants, Aimé Césaire poursuivra brillamment ses études en France. Il fonde avec Senghor le courant de la Négritude. Ecrivain et homme politique, plusieurs fois maire de Fort-de-France et député de la Martinique, Aimé Césaire se battra tout au long de sa vie pour la reconnaissance de la richesse de la culture et de la langue de ses ancêtres, tout en prônant l’universalité. En 2008, retiré de la vie politique depuis plusieurs années, Aimé Césaire décède à l’âge de 94 ans. Parmi son œuvre, il convient de citer pour la poésie, Le cahier d’un retour au pays natal, pour le théâtre, La tragédie du roi Christophe et pour les essais Le discours sur le colonialisme.

5 Né en 1880, fils d’un père polonais et d’une mère italienne, Guillaume Appolinaire se découvre très tôt une vocation pour l’écriture. Ecrivain de l’avant-garde, il publiera de nombreux poèmes regroupés dans plusieurs recueils : Alcools, Le Poète assassiné ou les fameux Calligrammes, qui mélangent mots et images. Son ouvrage Les Mamelles de Tiresias, drame surréaliste,

fournit à Breton le nom du mouvement littéraire et artistique qui perdurera par la suite. Après avoir été enrôlé dans le conflit de 1914-1918, il mourra à Paris de la grippe espagnole.

6 Né en 1795 dans une famille de la noblesse militaire, aux lendemains de la Révolution française, contemporain de Victor Hugo et de Lamartine, Alfred de Vigny fréquentera les milieux littéraires parisiens et en particulier le Cénacle des Romantiques. Il écrira nombre de poèmes, romans et pièces de théâtres tous marqués par une vision pessimiste de la destinée humaine.

7 Auteur péruvien né en 1928 et décédé en 1983. Poète et romancier, l’œuvre de Manuel Scorza allie au réalisme social la fantaisie poétique. Il publie notamment un cycle romanesque intitulé La Guerre Silencieuse, dans lequel, à partir d’une vision poétique mêlant mythes ancestraux et histoire, il expose la lutte des paysans pour récupérer leurs terres (Garabombo l’invisible, Le chevalier insomniaque, etc).

8 Né en 1947, Labou Tansi est un des plus célèbres romanciers et dramaturges africains. C’est lors de la publication de son premier roman en 1979 qu’il prend le pseudonyme de Sony Labou Tansi, en hommage à son compatriote écrivain Tchicaya U Tam’si. Satire féroce de la politique fondée sur la torture, le meurtre et le culte de la personnalité, La Vie et demie se déroule dans un pays imaginaire, la Katamalanasie. Sony Labou Tansi est également dramaturge : ses pièces de théâtre ont été jouées sur les scènes du monde entier. Il dirigea la troupe du Rocado Zulu Théâtre à Brazzaville et reçut le Prix Ibsen en 1988. Atteint du sida, il mourra en 1995, à l’âge de 47 ans.

Notes de lecture

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A v e c D i e u d o n n é N i a n g o u n a e t Jaouad Essounani, les lecteurs des médiathèques de Khouribga et Beni

Mellal ont pu approcher le monde de la scène et du théâtre. Jaouad Essounani a fait découvrir au jeune public les techniques de la dramaturgie. C’est en jouant l’attente sur le quai d’une gare que les participants ont découvert les notions clefs au théâtre du temps, de l’espace, du conflit et de l’enjeu. Dieudonné Niangouna a de son côté approfondi avec les participants la notion de personnage : les jeunes ont chacun écrit un événement marquant de leur vie, avant d’interpréter le récit de leurs voisins.

Des mots en scène - Les Ateliers65

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Lectures musicales parK’lma - Dabateatr

Conversations littéraireset ateliers d’écriture avec

Wilfried N’Sondéet Mohamed Hmoudane

8 - 9 avril 2008 Meknès

11 - 12 avril 2008 Taza

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C hansons à textes ou poésie du slam, univers musical des gnawas ou rythmes afro-punk, Wilfried N’Sondé et Mohamed Hmoudane ont en partage la passion des notes et des mots... L’un vient du Congo et vit à Berlin, l’autre est marocain et vit à

Paris mais c’est au « cœur » de la banlieue parisienne qu’ils ont choisi d’installer les espoirs, les « rêves » et les désillusions des personnages de leur premier roman.Une rencontre des rythmes et des mots…

Comment votre parcours de romancier s’est-il construit ? Quel était votre environnement familial ? L’art y avait-il sa place ?Wilfried N’Sondé : Je suis né dans une famille de dix enfants, cinq garçons et cinq filles. Nous avons quitté le Congo alors que j’avais cinq ans. Mon père est artiste-céramiste. Ma mère ne sait ni lire ni écrire, mais comme beaucoup d’analphabètes, elle a toujours encouragé ses enfants à lire le plus possible. J’ai été élevé dans le goût de l’art, de la littérature et de la musique. D’ailleurs mon premier prénom est … Sartre 1 ! Mes premières références sont les classiques français que j’ai étudiés à l’école : je me souviens des romans de Jules Verne 2, d’Emile Zola 3. Je me souviens surtout de quatre livres qui m’ont particulièrement marqué : La case de l’oncle Tom 4, Les souffrances du jeune Werther 5, qui m’ont entraîné dans l’univers du romantisme allemand, et puis Les fleurs du mal de Charles Baudelaire 6, et Les filles du feu de Gérard de Nerval 7 que je continue de relire aujourd’hui. Plus tard, j’ai découvert la philosophie allemande et Nietzsche en particulier. Je dois citer aussi un livre congolais qui m’a beaucoup marqué : Les méduses ou les orties de mer de Tchicaya U Tam’si.

Mohamed Hmoudane : Je ne peux pas oublier le premier livre que j’ai lu, c’est le Coran bien sûr ! Mon père était fqih. Plus tard, j’ai exploré la bibliothèque de mon frère aîné. Elle était très riche et d’inspiration gauchiste : j’y ai trouvé de la philosophie, de la sociologie, des ouvrages de théorie économique. De la littérature aussi, quelques romans, je me souviens de ceux d’Ernest Hemingway 8 et de Gabriel Garcia Marquez 9. Et puis de la poésie, parmi laquelle celle de Maïakovski 10 et Paul Eluard 11. A cette époque, avec cette littérature, on risquait sa peau. La chambre de mon frère était donc une pièce interdite. Je n’avais pas le droit d’y aller, mais à force de la supplier, ma mère m’a donné le double des clefs… Mes livres de chevet étaient Le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire 12 et Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud 13.

Comment en êtes-vous venus à l’écriture ? Êtes-vous passé par une phase d’imitation ?WNS : J’ai commencé à écrire vers 15 ans. Mes premiers textes étaient le fruit de déceptions amoureuses déchirantes. A cet âge là, on aime toujours des filles qui ne nous aiment pas ! En écrivant

Des mots et des notes71Co

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ns Les auteurs invités

Wilfried N’Sondé est né à Brazzaville en 1968. Il a passé son enfance et son adolescence dans la banlieue parisienne. C’est sur ce territoire qu’il a choisi d’inscrire Le Cœur des enfants léopards, son premier roman, paru en 2007 et couronné du prix des Cinq continents. Une histoire d’amour et d’amitié mais aussi une dérive dans cet univers où les fraternités ont du mal à vaincre les exclusions. Un roman qui est aussi une réflexion sur la double culture, sur l’attachement à l’Afrique et sur la quête d’une identité. Wilfried N’Sondé vit aujourd’hui à Berlin depuis quinze ans où il travaille comme animateur social auprès de jeunes en difficulté.

Mohamed Hmoudane est né à El Maâzize en 1968. Il quitte le Maroc à 21 ans pour poursuivre ses études et s’installer en France. Son premier recueil Ascension d’un fragment nu en chute — morsure des mots, « étrange cérémonie de la parole » selon les mots de Abdellatif Laâbi, signe la naissance d’une voix singulière dans la poésie marocaine de langue française. Auteur de six recueils, Hmoudane est l’un des poètes les plus prolifiques de sa génération. Il ne cesse de narguer les conventions et de se jouer des règles, par des images violentes et une sensibilité radicale qui ont trouvé leur ampleur dans Attentat, paru en 2003. C’est de ce magma poétique incandescent que va naître en 2005 French Dream, premier roman qui dresse du narrateur ainsi que des autres personnages, un portrait sans complaisance, avec, comme toile de fond, la vie en banlieue parisienne.

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Wilfried N’Sondé, Meknès, 2008

des poèmes et en les mettant en musique, j’en faisais des chansons, je les aimais malgré elles. Mes inspirations me venaient des chansonniers congolais, mais j’écoutais aussi Brassens 14, Brel 15, Ferré 16 bien sûr. Et puis Johnny Cash 17, Bob Marley 18… Un mélangeUn mélange de romantisme et d’engagement d’inspiration planétaire… Je suis donc venu à l’écriture par le biais de la chanson.

MH : C’est aussi vers l’âge de 15 ans que j’ai commencé à écrire, mais ce n’était pas de la poésie d’amour. Je me suis très tôt interrogé sur le monde qui m’entourait. Je cherchais à traduire par l’écriture mes émotions. Avec son économie de mots, la poésie me permettait cela. Et puis à l’école, les professeurs nous demandaient de rédiger des textes en arabe : je me suis mis à écrire de petits textes hybrides et des nouvelles, dans lesquels je faisais preuve d’un romantisme révolutionnaire et rêveur. Je n’ai jamais cherché à écrire en imitant des auteurs, mais j’étais imprégné par mes lectures. Je me souviens que l’une des premières nouvelles que j’ai écrites était sans doute inspirée de Retour à Haïfa de Ghassan Kanafani.

A quel moment avez-vous éprouvé le besoin de franchir le pas, de sortir du petit cercle des lecteurs proches et d’adresser vos textes à un éditeur ?MH : J’ai commencé à faire lire ce que j’écrivais très tôt : au collège déjà, j’échangeais mes textes avec un ami plus âgé que moi, qui dévorait véritablement les livres. Et puis je suis parti en France poursuivre mes études. A 24 ans, j’avais déjà accumulé un grand nombre de textes et j’avais le sentiment qu’ils pouvaient intéresser d’autres que moi. J’ai donc déposé un manuscrit chez un éditeur qui publiait de la littérature marocaine : les éditions de L’Harmattan, qui m’ont très vite contacté pour me publier.

WNS : Moi c’est presque un hasard ! J’en suis venu à l’écriture après avoir lu des auteurs français contemporains de ma génération : Laurent Mauvignier, Tanguy Viel 19, Amélie Nothomb 20 par exemple. Et j’ai eu envie de faire comme eux, ou en tout cas de m’y essayer. C’était presque un jeu. J’ai donc écrit quelques nouvelles qu’une amie a fait lire à son père écrivain. Et c’est lui qui m’a encouragé à les adresser à un éditeur, qui m’a alors conseillé de me diriger vers l’écriture romanesque.

Votre venue au roman est également très tardive, Mohamed. Vous aviez 35 ans lorsque French Dream a été publié. Pourquoi êtes-vous passé de l’écriture de la poésie à celle de la prose ?

MH : Il n’y a pas de véritable frontière entre prose et poésie. Tous les recueils de poèmes que j’ai publiés comporte des éléments narratifs et dans Blanche Mécanique, le dernier ouvrage que j’ai fait paraître avant French Dream, on trouve déjà les germes de ce premier roman. Je l’ai écrit pour me libérer du magma que la poésie ne me permettait pas d’exprimer. Mais j’ai gardé dans l’écriture romanesque mon côté poète : la recherche du mot, du rythme, les coups de gueule aussi. Et puis avoir écrit un roman ne signifie que j’aie abandonné la poésie. La preuve, j’ai publié en 2007 un nouveau recueil : Parole prise, parole donnée.

Pourquoi avoir choisi le français comme langue d’écriture ?MH : Peut-être à cause de (ou grâce à) Baudelaire et Rimbaud 21. Mais je pense que le débat sur la langue d’écriture est stérile : c’est une question politique et non littéraire ! La langue n’est qu’un outil, et je n’aime pas plus la langue française que la langue

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arabe. C’est un matériel que je charge d’émotions. Je me suis emparé de la langue qui me permettait de dire plus facilement les choses. Et puis si j’écris en français, c’est aussi que je vis en France, et pour des raisons pratiques, il est plus facile d’y être publié en français.

Wilfried, vous vivez en Allemagne mais votre premier roman Le cœur des enfants léopards est situé dans la banlieue parisienne. Est-ce l’éloignement qui vous a donné envie de replonger dans cet horizon quitté ?WNS : C’est vrai que j’ai quitté la banlieue parisienne, mais j’ai retrouvé à Berlin les mêmes quartiers et les mêmes populations. Cela n’a d’ailleurs pas d’importance parce que mon propos dans ce roman n’est pas la description du cadre. La banlieue, Paris… c’est accessoire ! Et j’ai choisi de mettre le moins de décor possible. Comme l’indique le titre du roman, c’est une plongée dans un cœur, dans la quintessence des sentiments, au cœur du cœur des personnages, avec la volonté d’écrire comme on pense dans sa tête. Je voulais être au plus proche de l’intime et donner la parole à l’humain, pas au phénomène social ! J’en ai marre qu’on parle des Arabes et des Noirs qui vivent dans les banlieues comme des phénomènes. Nous sommes des êtres humains, des êtres de sentiments ! Je suis donc allé chercher les « fleurs en enfer », car l’amour et l’amitié jaillissent aussi du chaos.

Mohamed, vous décrivez vous aussi une réalité difficile. Quelle est la part de l’engagement dans votre écriture ?MH : Le monde est violence, j’ai grandi dans ce climat. La violence et la révolte face aux injustices

me constituent, ce sont mes strates. Aujourd’hui je vis et j’écris dans des conditions difficiles, mes fins de mois sont difficiles. La matière à s’indigner n’a pas disparu ! Je ne vais donc pas me mettre à écrire sur les roses et les oiseaux ! En réveillant la douleur, je crée une mécanique des mots pour gifler le lecteur. Je veux lui passer ma rage tout en sachant qu’à tout moment, il peut refermer le livre. Cela dit, je ne fais pas de la violence un fonds de commerce, je ne me sers pas de mon enfance difficile pour crier aux lecteurs « aimez-moi ! ». Et je n’écris pas davantage de poésie « engagée », car je n’aime pas la littérature qui matraque le lecteur, ce que je cherche c’est l’émotion. D’ailleurs mon écriture ne se limite pas à la colère, je donne une place importante à la musique et à l’humour dans mes textes.

Vous inscrivez-vous dans la lignée de la littérature contestataire des années 1970 ? On fait de vous l’héritier de Mohamed Khaïr-Eddine, qu’en pensez-vous ?MH : J’ai lu quelques bribes de Souffles et je suis également lecteur de Khaïr-Eddine 22, mais je me suis toujours situé dans un rapport critique vis-à-vis de ce groupe. Mes aînés partageaient une démarche, esthétique et politique. Ils se sont réunis autour d’un idéal. Moi je suis seul avec mon arme, l’écriture : je suis un « sniper ». Et je ne suis pas leur disciple : je n’ai pas le même sens du formalisme, je ne travaille pas sur l’explosion de la langue. Que l’on me compare à Khaïr-Eddine, mais aussi à Lautréamont 23, Henry Miller 24, Paul Nizan 25 et d’autres encore, cela ne me dérange pas, mais cela ne me fait pas non plus bondir de joie. J’ai l’impression que l’on me lit mal. Je ne vois pas ce que ces auteurs et moi avons en commun, sauf peut-être le sentiment de révolte qui

Des mots et des notes75

Mon écriture ne se limite pas à la colère :je donne une place importante à la musique et

à l’humour dans mes textes.

Mohamed Hmoudane

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Mohamed Hmoudane, Meknès, 2008

anime beaucoup d’artistes. La critique littéraire et les journalistes ont parfois besoin de jeter des cartes, de coller des étiquettes, souvent pour des raisons commerciales. Je ne prête pas une grande attention à ces comparaisons.

WNS : Moi aussi on m’a comparé à tout un tas d’auteurs, des comparaisons nombreuses, plutôt flatteuses, et très différentes… Mais dès l’instant où je prends la plume, je ne connais pas de maître : c’est une affaire entre les mots et moi.

« Noircir toutes ces pages était pour moi une question de vie ou de mort. De vie surtout . Cette dernière phrase vaut pour tout le livre », telle est la dernière phrase de votre roman « French dream »…Elle est prononcée par le narrateur qui vient de renoncer à « faire offrande au feu de toutes ces pages »… N’est-ce pas une définition du travail de l’écrivain ?MH : Elle fait écho aux doutes que j’éprouve comme écrivain. Pourquoi écrire ? Qu’est-ce que cela vaut ? Pourquoi parler de soi ? Je ne suis jamais pleinement satisfait de ce que j’écris. Mais que le lecteur déteste ou qu’il s’exalte, je m’en fous ! L’écriture est un risque. Une grande partie de French Dream est autobiographique, et les portraits sont peu flatteurs. Mon frère s’est reconnu dans l’un des personnages, il ne m’adresse plus la parole depuis que le roman a été publié. Il est devenu mon ennemi intime, mais il me fallait prendre ce risque pour écrire.

Et vous Wilfried, quelle part l’autobiographie prend-elle dans votre roman ?WNS : Aucune. Mon roman est pure fiction, le seul élément autobiographique qu’il comporte c’est que le narrateur est né au Congo et qu’il est arrivé en France à l’âge de 5 ans. L’écriture romanesque est pour moi un jeu : j’aime inventer des personnages. Que les lecteurs croient que mon roman est une histoire vraie est le signe d’une réussite ! Mais pas une personne de mon entourage ne pourrait se reconnaître dans l’un des personnages. En revanche, je me suis servi d’un cadre que je connaissais bien, celui des quartiers pauvres où habitent majoritairement des populations immigrées, ainsi que d’éléments de ma culture : la spiritualité des Bantous et des Kongos par exemple.

MH : Je voudrais ajouter que ce n’est pas parce que mon roman est autobiographique qu’il n’y a pas création. Je pars de ce qui existe mais je crée des êtres grammaticaux, pétris de langue, que j’inscris dans la ville. Par ailleurs, ce n’est pas parce que je dis « je » dans mon roman que je ne suis pas pudique. En tout cas, je ne fais pas dans le registre de l’autoglorification. Et l’expérience que je raconte dans French Dream fait écho à celle de nombreux immigrés. French dream, c’est mon histoire, c’est vrai, mais c’est aussi celle de beaucoup de Marocains qui partent, leur valise sous le bras, sans vraiment savoir ce qui les attend.

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique76

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Wilfried, vous avez présenté votre roman un peu partout dans le monde devant des publics très différents. Quelles sont leurs réactions par rapport à vos textes ? Diffèrent-elles d’un pays à un autre ?WNS : Pas vraiment. La plupart des lecteurs du Cœur des enfants-léopards ont retenu l’histoire d’amour et le sentiment de révolte qui se dégage du roman. En voyageant, je me suis rendu compte que la littérature défie les frontières. Ainsi, une vieille femme aveugle de Laval , une petite ville du département de la Mayenne en France, et une jeune fille de Gorée au Sénégal ont eu les mêmes mots pour parler de mon texte. Elles auraient beaucoup à se dire, même si elles n’auront sans doute jamais l’occasion de se croiser. Autre chose dont je m’aperçois grâce aux voyages : je me rends compte que j’ai grandi et vécu avec des Algériens et des Marocains, en France et en Allemagne. Je croyais donc les connaître, mais ils sont très différents des Marocains que je rencontre aujourd’hui ici, à Taza ou à Meknès !

Des mots et des notes79

Je ne suis pas écrivain ou musicien : je suis les deux. Et je passe durant la

même journée d’un accord de guitare à l’écriture d’un paragraphe.

Wilfried N’sondé

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du réel aussi. Je travaille à Berlin auprès de jeunes en difficultés : je vis le réel et la souffrance chaque jour. Ecrire me permet de sortir de ce quotidien. Car, je suis persuadé que la douleur et la souffrance ne s’arrêteront jamais, il faut donc apprendre à jouer avec. La littérature le permet.

Wilfried, pouvez-vous nous parler de votre expérience à Berlin ?WNS : J’ai choisi à 25 ans de m’installer à Berlin. C’était juste après la chute du Mur, une époque extraordinaire où l’on croyait qu’une troisième voie entre capitalisme et communisme était possible. On essayait tout, le bouillonnement culturel était intense, la volonté de créer sans limite. A cette époque j’ai monté un groupe afro-punk inspiré à la fois par la musique de Kinshasa et par les Clash 26. Mais aujourd’hui cette culture alternative est morte, j’en suis d’ailleurs un bon exemple. A l’époque, j’étais un jeune musicien punk avec des dreadlocks, je suis aujourd’hui un écrivain qui porte veste et chemise et intervient dans des bibliothèques !

Vous vivez l’un et l’autre dans un autre pays que celui de votre naissance. Est-ce que cette double culture vous donne une plus grande lucidité par rapport au monde qui vous entoure ?WNS : Je n’aime pas le concept de double culture. Je ne suis pas 1+1=2. Je suis un, avec tout ce qui me constitue. C’est le regard de l’Autre qui crée la dualité. Il fait de ceux qui traversent les frontières des « acculturés », des « mal-blanchis ». Mais je ne suis pas un zèbre ! Il manque une parole sur nous : la notre. Il nous faut trouver de nouveaux mots et nous poser nos propres questions, pas celles que

d’autres nous infligent. Celles-là, au mieux elles ne m’intéressent pas, et au pire, elles me torturent. MH : Je ne me pose pas la question « Suis-je Marocain ? Suis-je Français ? », je m’approprie la culture de l’Autre et je la fais mienne. Comme l’indique le titre d’un de mes recueils de poésie, Parole prise, parole donnée, je prends la parole sans attendre qu’on me la donne, mais dans un esprit de partage et d’échange. La seule manière de parer à toutes les tentatives néo-conservatrices, cette machine à créer les conflits, c’est de considérer la culture comme un devenir, d’assumer d’être traversé par de multiples identités et de revendiquer une culture brassée, sans pour cela faire du métissage une démarche mercantile. L’humanité n’est pas figée, c’est un devenir, et notre intérêt, c’est l’échange, d’être humain à être humain, sans complexe. WNS : Je suis d’accord. Après mon départ en 1973, je ne suis retourné sur le continent africain qu’en 2007. Et j’ai pu constater que c’est la culture de l’infériorité qui s’y est développée. Or les différences entre le Nord et le Sud ne sont pas si grandes. Dans certains domaines, c’est vrai que les pays occidentaux ont de l’avance, mais ce n’est pas le cas pour tous les secteurs. Je regrette d’autant plus cette culture de « dominés » que c’est elle qui entretient sans doute l’arrogance occidentale.

Wilfried, parmi vos aînés certains d’entre eux ont revendiqué leur Négritude. Quelle est votre position par rapport à ce concept ?WNS : C’est un problème complexe qui demande un rappel historique. En 1504, un contrat a été passé entre le Royaume du Congo et celui du

Des mots et des notes81

Vous êtes romancier, poète et musicien, quelle est la discipline qui prend le dessus ? Et quelle est la part de la musique dans votre création littéraire ?

WNS : Pour moi, il n’y a pas de véritable frontière entre création musicale et création littéraire. Je ne suis pas écrivain ou musicien, je suis les deux, et je passe dans la même journée d’un accord de guitare à l’écriture d’un paragraphe… Il n’y a pas de dominante, j’aime tout ce que je fais.

MH : La musique est pour moi euphorisante, il m’est arrivé d’écrire des poèmes sous l’emprise de la musique gnaouie, et de son côté démentiel. Dans Blanche Mécanique, la machine à écrire qui ouvre le recueil devient à la fin un piano.

Quelle place tient l’écriture dans votre quotidien ?WNS : J’ai écrit mon premier roman par goût du challenge. J’ai tenté le coup de manière un peu frivole et insouciante, pour me protéger de l’âpreté

Questions du public :

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Bibliographie sélective

Ces livres sont à découvrir dans les collections des médiathèques du Réseau de Lecture Publique marocain

Wilfried N’Sondé

• Le Cœur des enfants léopards, Arles, Actes Sud, 2007

Mohamed Hmoudane

Poésie• Ascension d’un fragment nu en chute - morsure des mots, Paris, L’Harmattan, 1992 • Attentat, Paris, La Différence, 2003• Blanche mécanique, Paris, La Différence, 2005 • Parole prise, Parole donnée, La Différence, 2007

Roman• French Dream, Paris, La Différence, 2005

Des mots et des notes83

Portugal. Le Roi du Congo a vendu des hommes et des femmes, mais le Roi du Portugal a acheté… des Noirs. On a ainsi créé le Noir, un esclave, un sous-homme. Ensuite le Noir a pu devenir un sportif ou un mec sympa. Le concept de Négritude a été créé à un moment où il était nécessaire. Aujourd’hui, il est important de dépasser la Négritude et de dire qu’il n’existe pas d’être noir ou d’être blanc, mais tout simplement des hommes. Il faut que les hommes de couleur redeviennent aujourd’hui les êtres humains qu’ils étaient.

Que pensez-vous de ce qu’on appelle la littérature « beur ». Vous sentez-vous appartenir à ce courant ?MH : Non ! Et je ne sais même pas ce que cela signifie ! Littérature « beur », littérature de l’immigration ou des banlieues, ce sont des étiquettes que l’on colle sur des auteurs avec des intentions commerciales. Mais cela n’est rien d’autre qu’un travail de mystification. La littérature beur n’existe pas !

Pourquoi avoir utilisé l’anglais pour le titre de votre roman, French Dream ?MH : Pour faire enrager l’Académie française ! Non, plus sérieusement, ma démarche est ironique. Je fais référence à l’American dream, qui veut nous faire croire que l’on peut partir de zéro et atteindre les sommets de la société. Or l’immigration n’est pas un rêve, et je le dis sans vouloir décourager quiconque d’immigrer. Mon propos n’est pas moral, chacun fait ce qu’il entend, je voulais seulement décrire l’itinéraire d’un immigré. Beaucoup de Marocains se sont d’ailleurs reconnus dans ce roman.

Pensez-vous qu’il faille en passer par la souffrance et vivre des expériences douloureuses pour arriver à écrire quelque chose de valable ?WNS : Surtout pas ! N’allez pas vivre des choses terribles dans l’espoir d’écrire un roman ! Je pense que c’est un cliché de dire que la souffrance est nécessaire pour tirer de soi quelque chose d’intéressant. Chaque expérience humaine mérite d’être dite et écrite. C’est l’amour de l’écriture et le travail acharné qui rendent ensuite un roman valable, pas la souffrance. Par ailleurs, on peut très bien dire la souffrance de l’Autre, pas seulement exprimer la sienne.MH : Moi non plus je ne crois pas qu’il y ait un rapport intrinsèque entre talent et souffrance. Pour écrire, il faut être libre. Et là où il y a un mur, le détruire. Les débuts sont importants, il faut « emmagasiner ». L’écriture vient des questions que l’on se pose.

Y-a-t-il des infléchissements ou des contradictions entre vos premiers textes et les suivants ?MH : Peut-être… Mais s’il y en a, je trouve que c’est plutôt une bonne nouvelle. Il n’y a pas de plus grand danger qu’une pensée figée. Il faut se méfier de ceux qui affirment avoir tout compris, alors que dans le fond, on ne sait que très peu de choses…WNS : Je suis d’accord. Comme disait Socrate, « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ! »

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique82

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17 -Johnny Cash, chanteur et compositeur américain (1932-2003) de musique country, également connu pour son engagement politique.18 Musicien et chanteur jamaïcain (1945-1981), Bob Marley a exporté et popularisé de par la monde la musique reggae. Il est premier artiste noir véritablement reconnu internationalement.23 The Clash, groupe de rock anglais né de la vague punk à la fin des années 70, dont le succès dépassa largement le public habituel de la musique punk. 19 Jeunes auteurs français contemporains, Laurent Mauvignier et Tanguy Viel sont publiés aux Editions de Minuit, maison née sous l’Occupation et longtemps dirigée par Jérôme Lindon. Samuel Beckett, les auteurs du Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute, Michel Butor) ou encore Marguerite Duras font partie du prestigieux catalogue de cet éditeur. 20 Romancière belge à succès, Amélie Nothomb a conquis avec Stupeur et tremblements, paru en 1999, l’estime de la critique en remportant le grand prix du roman de l’Académie française. 21 Arthur Rimbaud, poète français (1854-1891) qui écrivit l’essentiel de son œuvre avant l’âge de 20 ans. Ses deux principaux recueils : Une saison en enfer, Les Illuminations, et son poème le plus célèbre : Le bateau ivre.22 Mohamed Khair Eddine. Cf. p. 4723 Isidore Ducasse dit Comte de Lautréamont (1846-1870), poète français né à Montévideo, précurseur du Surréalisme, auteur des Chants de Maldoror.24 Romancier américain (1891-1980). Parmi les romans de Miller les plus célèbres : Tropique du Capricorne, Tropique du Cancer, et sa trilogie Sexus, Plexus, Nexus.25 Romancier français (1905-1940). Communiste convaincu, Paul Nizan publie en 1930 Aden Arabie, préfacé par Jean-Paul Sartre, qui lui vaut un important succès critique. 25 The Clash, groupe de rock anglais né de la vague punk à la fin des années 70, dont le succès dépassa largement le public habituel de la musique punk.

Des mots et des notes85

1 En référence à Jean-Paul Sartre, célèbre philosophe et écrivain français, prix Nobel de littérature et père de l’existentialisme. 2 Jules Verne, romancier français né en 1828 et disparu en 1905. Ses romans d’aventure et de science-fiction, rassemblés dans une collection intitulée Voyages extraordinaires dans les mondes connus et inconnus, ont été dévorés par des générations successives de lecteurs. 3 Romancier français appartenant (1840-1902), Emile Zola est l’auteur des Rougon-Macquart, monumentale fresque romanesque naturaliste dépeignant au travers d’une famille, la société française du Second Empire. Citons, L’Assommoir, Nana ou Germinal. Emile Zola est également célèbre pour son engagement républicain et sa lutte pour la justice. Il soutint notamment lors de son procès, le Capitaine Dreyfus, victime d’un complot antisémite, en publiant dans L’Aurore un article demeuré célèbre : « J’accuse ! ».4 Fameux roman de l’écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe, paru en 1852, dénonçant l’esclavagisme et qui connût un succès immense et immédiat.5 Premier roman du grand auteur allemand Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), appartenant au courant du Sturm und Drang, et précurseur du Romantisme allemand.6 Poète français, Charles Beaudelaire est né en 1821 et mort en 1867. Son recueil Les Fleurs du mal, condamné de son vivant est aujourd’hui étudié dans les lycées et universités. 7 Gérard Labrunie dit Gérard de Nerval, poète français né en 1808, atteint de troubles mentaux, il s’est suicidé en 1855. Parmi ses œuvres : Les Filles du feu, Sylvie, Aurélia..8 Romancier américain né en 1899, Hemingway a obtenu le prix Nobel de littérature en 1954. Grand baroudeur, ses romans les plus célèbres évoquent la pèche en en mer (Le vieil homme et la mer), la première guerre mondiale (L’Adieu aux armes), la guerre d’Espagne (Pour qui sonne le glas). Diminué par la maladie, il se suicide en 1961.

9 Romancier colombien né en 1927, Garcia Marquèz a été couronné par le prix Nobel de littérature en 1982. Chef de file des romanciers latino-américains et principal artisan du « réalisme merveilleux », son roman Cent ans de solitude est un livre majeur de l’histoire littéraire du 20ème siècle. Parmi ses autres titres : Chronique d’une mort annoncée.10 Poète russe né en 1894. Maïakovski participa à la Révolution d’Octobre avant de prendre ses distances avec le régime stalinien. Il s’est suicidé en 1930. Son poème le plus célèbre : Le nuage en pantalon.11 Paul Eluard, poète français (1895-1952). Il a appartenu au groupe surréaliste et fut un militant communiste. Son poème le plus célèbre : Liberté.12 Aimé Césaire. Cf. p. 26 13 Arthur Rimbaud, poète français (1854-1891) qui écrivit l’essentiel de son œuvre avant l’âge de 20 ans. Ses deux principaux recueils : Une saison en enfer, Les Illuminations, et son poème le plus célèbre : Le bateau ivre.

14 Auteur compositeur interprète français (1921-1981). Brassens fut l’un des premiers chanteurs seuls en scène à s’accompagner de sa guitare. Parmi ses chansons les plus connues : La mauvaise réputation, Les copains d’abord, La cane de Jeanne15 Chanteur, auteur compositeur interprète belge (1929-1978). Après avoir interprété Don Quichotte, Brel arrêtera très tôt sa carrière de chanteur pour se consacrer au cinéma avant de se retirer aux îles Marquises. Parmi ses chansons les plus connues : Le plat pays, Les Vieux, Ne me quitte pas, Ces gens-là, Mathilde, etc.16 Ferré, chanteur, auteur compositeur interprète français né à Monaco en 1916 et décédé en 1993. Militant de la cause anarchiste. Parmi ses chansons les plus connues : Jolie môme, Les Anarchistes, Ni dieu ni maître, La Mémoire et la mer, etc. Il mit également en musique de nombreux poètes (Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Apollinaire).

Notes de lecture

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique84

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Abdelilah, Taza

« Pour moi, la vie est une symphonie qui change chaque seconde : il y a de la musique lorsque l’on parle, lorsque l’on marche, lorsque l’on se tait, lorsque l’on s’arrête, lorsque l’on aime… Et c’est dans la musique que j’ai trouvé mon âme. La musique est mon univers, mon amour, ma petite princesse... »

Sofia S., Meknès« Ma définition de l’eldorado… C’est assez flou et vague. Ma pensée errante m’en offre une vision brouillée, mais je sais que ce monde sera vaste. Des champs, des rivières, des lacs, de l’eau, beaucoup d’eau… Du sable fin. L’odeur du sel et la caresse du soleil. Des parfums. Un paradis évanescent. Une île ? Pourquoi pas ? Mais pas déserte. La solitude est pour moi un long tunnel froid, hostile, humide, venu du néant. J’ai besoin de lumière. Des amis donc. Des vrais, de ceux qui ne vous abandonnent pas à la première occasion. Des liens sincères, forgés dans

les cœurs et gravés dans les âmes. Je veux des chants, des feux nocturnes. Je veux de la neige sur le sable et de l’eau dans les étoiles... Un petit lambeau de nuage dans la poche, un rayon de soleil dans la tête et un de miel sur les lèvres… »

Khaoula, Meknès« L’eldorado, tel que mon cœur me le décrit, est un monde aussi simple qu’impossible à réaliser. Un monde de toutes les couleurs, gai, où être soi-même n’est pas un défaut, où dire tout haut ce que l’on pense n’est pas être rebelle. Un monde sincère où les mots, les larmes et les sourires viendraient du cœur, pur et riche en sang. Un monde où l’envie et le devoir ne seraient pas contradictoires. Un monde où l’amour ne serait pas un mirage, une fleur qui fane avec le temps. Un monde où il n’y aurait ni pauvres ni riches, où les portes des maisons seraient ouvertes pour accueillir par les nuits froides et chaudes ceux qui n’ont pas de toit. Un monde où les

A vec Wilfried N’Sondé et Mohamed Hmoudane, les lycéens et étudiants fréquentant les médiathèques de Meknès et Taza ont choisi d’aborder des questions philosophiques. En s’interrogeant

sur l’amour et sur la quête d’un Eldorado, ils nous révèlent dans des écrits bouleversants leurs angoisses et leurs incertitudes, la souffrance de la solitude également. La famille et la foi apaisent heureusement certaines de ces douleurs, ils en témoignent. L’espoir fait également vibrer le cœur de ces jeunes plein de talents : l’amour, les joies et les passions font courir les plumes. Extraits !

Des mots et des notes - Les Ateliers87

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étoiles brilleraient pour éclairer les rues tortueuses et pour chasser la solitude grise. Un monde où l’écho des sourires effaceraient les cris sourds de peine. Un monde qui danse au rythme d’une musique d’émotions et de rêves… »

Sofia N, Meknès« L’eldorado, la vie en rose… A force de l’imaginer, on se contente parfois d’une vie qui n’existe que dans nos rêves. La vie réelle est sans pitié. Le monde est affamé de sang. Les forts règnent et la moralité n’est qu’encre sur papier… Pourtant c’est dans ce monde où l’on éprouve de la tristesse et de la peine, que l’on peut sentir si fort le goût de le joie… »

Farah, Taza« J’ai perdu mon père alors que j’avais six ans et mes frères sont morts dans un terrible accident quand j’avais onze ans. Ensuite ma mère a été obligée de partir travailler à la ferme, et je suis restée seule. J’essaie de l’oublier en travaillant dur. Mais la nuit me dévore une étrange impression : c’est l’angoisse, ou peut-être la peur, qui m’envahit. Pour faire passer le temps, je m’invente un père, une mère, des frères… Et puis je voyage dans le ciel qui me regarde de ses milliers d’yeux affectueux. »

Lamiae, Taza« C’est peut-être parce que je n’ai pas de frère, mais mon père se comporte avec moi comme il le ferait avec un fils : il me raconte tout ce qu’il a fait et tout ce à quoi il pense, et moi pareil. J’adore ma vie avec lui et je verse des larmes en pensant que dans moins d’une année, j’irai poursuivre mes études loin de lui. Quand le soir il rentrera à la maison, il ne me trouvera pas à la porte pour lui demander comment s’est passée sa journée. Quand il ira s’acheter de nouveaux habits, je ne serai

pas là non plus pour lui donner mon point de vue. Le pire, c’est lorsque l’on m’annonce la mort de quelqu’un : je ne peux pas imaginer qu’un jour mon père mourra et me laissera. Moi sans lui, je ne suis rien… »

Majda, Meknès« Silence éternel, interrompu par ses doux soupirs et les battements de son cœur, qui en musique avec les miens rendent la soirée une merveille. Admirant le ciel pailleté par les étoiles en milliers, je déguste chaque moment en sa compagnie. Dans ma robe de soie fine, brodée de rubans d’or et d’argent, je suis assise sous le grand arbre du jardin, près de lui, entourée par les splendides montagnes de l’Atlas. Le souffle frais du vent des nuits d’été effleure ma peau et mes cheveux… »

Morad, Meknès« Elle était assise juste derrière moi, mais je ne l’avais pas vu. Rien de spécial dans ses vêtements. Sauf une résille idyllique posée sur ses cheveux rebelles. Elle tenait entre les mains un livre. Je n’en croyais pas mes yeux. L’image que je venais d’apercevoir, je ne la voyais jusque là que dans l’univers de mes songes. C’était elle ! On croyait jadis que l’arrivée d’une tempête ou d’un orage annonçait la naissance d’un philosophe. Cette fois-ci c’était un amour surhumain qui naissait… »

Le Carnet des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique88

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K’lma et les comédiens Dabateatr, Meknès - Taza, 2008Lect

ures

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es Pour couronner la première édit ion des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique marocain, le groupe K’lma et une troupe de jeunes comédiens, de la compagnie Dabateatr, ont proposé des lectures en musique des romans et poèmes de Mohamed Hmoudane et Wilfried N’Sondé, ainsi qu’un concert de clôture. Une rencontre des rythmes et des mots !

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Les médiathèquesdu Réseau de Lecture Publique marocain

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Conception et réalisation MJB création

ImpressionReproductions Industrielles

Août 2008

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L a première édition des Rencontres Littéraires du Réseau de Lecture Publique marocain a eu pour thématique les pratiques artistiques doubles. Outre l’écriture, les auteurs invités (romanciers, poètes,

nouvellistes, dramaturges) sont en effet animés d’une autre passion : celle de la peinture, pour Véronique Tadjo et Mahi Binebine, celle de la musique pour Wilfried N’Sondé et Mohamed Hmoudane, du cinéma pour Mamadou N’Dongo et Hicham Lasri, et celle du théâtre pour Dieudonné Niangouna et Jaouad Essounani.