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Fiche de lecture : L’Argent romanesque La CASDEN vous propose autour de la thématique de l’argent romanesque, une sélection d’ouvrages de la littérature française téléchargeables gratuitement, assortis de leur fiche de lecture. Un dossier proposé par :

Casden Thème L'argent romanesque Original

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Fichedelecture:

L’Argentromanesque

La CASDEN vous propose autour de la thématique de l’argent romanesque, une sélectiond’ouvrages de la littérature française téléchargeables gratuitement, assortis de leur fiche delecture.

Undossierproposépar:

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L’ArgentRomanesque

Balzac(de) EugénieGrandet 1833LePèreGoriot 1835CésarBirotteau 1837

Flaubert MadameBovary 1856Hugo LesMisérables(t.1):Fantine 1862Maupassant UneVie 1883

Bel-Ami 1885Prévost ManonLescaut 1731Sand LapetiteFadette 1849Stendhal LeRougeetleNoir 1830Stevenson L’Ileautrésor 1883Zola

LaCurée 1871AuBonheurdesdames 1883L’Argent 1891

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Textedeprésentation

L’argent occupe une place importante dans notre culture et notre imaginaire. Ce dossiers’intéresse à l’argent tel que représenté dans la littérature. Bien que celui-ci soit aussiprésentdans lethéâtre,dans lesfablesoubiendans lapoésie,sonétudese limite iciàsaprésencedansleroman,enexcluantleromanautobiographique.Souslemotargent,ilfautentendreàlafoislamonnaie(VoirClind’œilN°1)etlarichessequereprésentelapossessiondelamonnaie,devaleursmonétairesoudebiens.

1.1L’aventuremonétaireaufildessiècles

Cetteaventureétanttrèslongueettrèscomplexe,nousnousattacheronsuniquementàcequipermetdecomprendrelareprésentationdel’argentdanslesouvragesdenotrecorpus.

1.1.1.Lesformesprimitivesdel’argent

L’originedelamonnaieestindissociabledeséchangessociauxetrituelsquiremontentauxracinesdel’humanité.Depuislestempspréhistoriques,leshommescomptentetéchangentleursbiens.Chaquegroupehumainsedoted’unétalonsusceptibled’êtrecrédibleetd’êtreacceptépartous,répondantàtroisgrandesfonctions:servird'intermédiairedeséchanges,d'unité de compte (pour mesurer la valeur d'un bien ou d'un service) et de réserve desvaleurs. De plus, celui-ci doit être transportable, stockable, échangeable et divisible. C’estainsiqu’ilprenddiversesformes:matièresnaturelles,commelapierre,lesel(VoirClind’œilN°2),l’ambre,lespierresprécieuses,lescoquillages(surtoutlescauris),leslingotsdemétal,etc.; produits agricoles comme les grains de blé, fèves de cacao, les grains de poivre, lesfeuillesdethé,lespeauxdebêtes,lebétail,etc.;produitsartisanaux,commelesperlesdeverre,lescouteaux,lesoutilsagricoles,lesmétragesdetissu,lesbijoux,lesarmes,l’alcool,etc.; humains comme les esclaves. Certaines de ces monnaies primitives ont perduréjusqu’auXX°,toutparticulièrementl’usagedescaurisenChine,enIndeetenAfrique.

1.1.2.L’inventiondelamonnaiemétallique

Les plus anciennes pièces de monnaie retrouvées sont en électrum, un alliage d’or etd’argent,charriésousformedepépites,parlefleuvePactole(VoirClind’œilN°3),enLydie(province de la Grèce antique). Elles ont été frappées en 687 av. J.C., sur l’ordre du roiGypès. Elles sont de poids invariable, de même forme et marquées par un emblèmeauthentifiantleurétalonnage.D’abordsymboleostentatoire,ellesfinissentpars’avérertrèsutilesdansleséchangesdemarchandiseslourdes,dèslorsqueleurvaleur(leurpoidségalenmétalprécieux)estgarantie.Devenueunétalondevaleur,lamonnaiemétalliqueserépanddanstoutelaGrèce:chaquecitéfrappesesproprespiècesàsoneffigie.AuVI°av.J.C.,grâceaux progrès de lamétallurgie qui permet de séparer l’or de l’argent, le roi lydien, Crésus(Voir Clin d’œil N°3), frappe des monnaies en or et en argent purs. Il fonde le premiersystèmebimétalliste.Alors que l’Aiemineure conserve le bimétallisme,Athènesmonétiseprincipalementl’argent,d’oùl’identitéhistoriqueentremonnaieetargent.Ellenemonétise

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l’orquetrèsrarementetdansdesconditionsd’urgencemilitaire (Vers406etvers267av.J.C.).Lamonnaieathéniennereprendlanomenclaturedespoidsalorsutilisésetladrachmedevientl’unitémonétaire(4,32g).Vers356av.J.C.,AlexandreleGrandseréserveledroitdebattremonnaie(VoirClind’œilN°4)etcrééunemonnaieunique,diteimpériale,ladrachmenouvelle.

La monnaie métallique gagne, sur le modèle grec, tout le monde antique du pourtourméditerranéen. A Rome, un premier atelier monétaire est installé, au III° av. J.C., sur leCapitole, près du temple de JunonMoneta (VoirClin d’œil N°1). Les premièresmonnaiesmétalliquesromainessontdespetitslingotsdebronzeornésd’unbœufetappeléaesouas.Audébutde l’ère chrétienne,Auguste réorganise le systèmemonétaire sur leprincipedutrimétallisme: l’aureus (enor,8g)vaut1/25dudenier (enargent)quivaut4sesterces (enbronze). Avec l’instabilité politique et la décadence de l’Empire romain, ce systèmemonétaire se dégrade et est réformé, au début du IV° sous Dioclétien et Constantin. Cedernierimposelemonométallismeetcrééunenouvellemonnaie:lesolidus(4,5gd’or),d’oùnous vient notre fameux sou (Voir Clin d’œil N°5). Après la chute de l’Empire romain, lamonnaie d’or reste en circulation, en Asie mineure, pendant toute la durée de l’Empired’Orient. En 692, le califeAbd-al-Malik deDamas, introduit, dans lemondemusulman, ledinard’orquis’imposecommeétalondanstoutelaMéditerranéependantdessiècles.

EnEurope,pendantleHautMoyenAge,l’usagedelamonnaierégresseaveclesrestrictionsdu commerce, l’interdit religieux contre le prêt à intérêt (usure) et la mise en place desystèmes féodaux réduisant les libertés économiques. La monnaie reste plus ou moinsvisible chez les plus aisés, mais le peuple ne la connaît pas. En 781, le manqued’approvisionnement en or et l’exploitation de nouveaux gisements argentifères poussentCharlemagneàremplacerlespiècesanciennesparunenouvellemonnaiefrappéeenargent,dont l’unité de référenceest le denier d’argent (de 1,36g à 1,80 g). Celui-ci jette alors lesbasesdusystèmemonétaire françaisquipersiste jusqu’à laRévolution:1 solousou=12deniers;1 livreparisis=20sols (ousous)=240deniers;1obole=½denier.Cenouveausystème permet la reprise des échanges commerciaux et une première renaissanceéconomique.

AuMoyenAge,lesmarchandsarriventàobtenirdesfacilitésparrapportauxseigneurs,auxprincesetauclergéetpeuventparticiperàdesfoiresdeplusenplusimportantes.En1203,l’Anjouétant rattachéaudomaine royaldePhilippe II, la livre tournois,utiliséeà l’abbayeSaint-MartindeToursoù l’on frappedesdeniersdits«tournois», remplace la livreparisiscomme monnaie de compte du domaine royal. Durant la grande période d’expansionéconomiqueduMoyenAge,lespiècesd’orréapparaissent:leflorindeFlorence(1252)émispar,l’ArtedelCambio(Cf.1.2.1.2.),leducatdeVenise(1282)etledenierd’oràl’écuouécu(crééparSaintLouis,en1263etd’unevaleurde3livrestournoisou60sols)enFrance.En1360,estcréélefrancàcheval(=1livretournois=20sols),premierfrancfrançais,monnaied’or à 24 carats (3,88g), pour payer la rançon du roi Jean II le Bon (4 millions d’écus),prisonnier des Anglais. Aumilieu du XV°, face aux systèmesmonétaires distincts (Gênes,Venise,etc.)quireposentengrandepartiesurl’or,lerecoursgénéraliséauthaler(taleroutalir) (VoirLeSaviez-vous?N°1),monnaieduSaint-Empire romaingermanique,enargent,

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detailleetdemasseconstante,permetdelimiterlesopérationsdeconversionetdefaciliterleséchanges.LaFranceyrestequelquepeuhermétique.

Au XVI°, en 1549, la livre tournois est décrétée unité de compte pour la tenue descomptabilités. En 1575,Henri II fait frapper un francd’argent (14,18g) valant 20 sols et 4deniers,soitd’unevaleurlégèrementsupérieureàlalivretournois.En1586,HenriIIIinterditlafrappedesfrancsd’argent,carcespiècessontsouventtrafiquées.

AuXVII°,àlafindesonrègne,LouisXIII,décidederéformerlesystèmemonétairefrançaispourstabiliserlamonnaie,rivaliseraveclesmonnaiesespagnolesetanglaisesetencouragerlespremiersplacements refuges. Il créé, avec sonministreClaudedeBullion, le louisd’or(environ4gd’or)quiremplacelefranc.Unnouveausystèmemonétairefrançais,fondésurletrimétallismeest alors institué: le louis d’or (oudemi-louis) = 5 livres tournois; le doublelouisd’orou louis=10 livres tournois; lequadruple louisd’oroudouble-louis=20 livrestournois;l’écublancoulouisd’argentouécu=3livrestournois=60sols(inspiréduthaler);ledemi-écu=30sols;lequartd’écu=15sols;lesixièmed’écu=10sols;ledouzièmed’écu=5sols;lesouousol(encuivre);lapiècede4deniers(encuivre),auquelilfautrajouterleliard de 3 deniers (en cuivre) qui apparaîtra en 1656. A cette époque, le franc est unemonnaiedésuète,mais lemot franc restevivacedans lesespritsetdevientpratiquementsynonymedelivre.Vers1667,lalivretournoissupplantedéfinitivementlalivreparisisdanstout le royaume français. Dès la fin du règne de Louis XIV (1690), l’état étantmenacé debanqueroute (suiteà la guerrede successiond’Espagne), apparaîtunenouvelle techniquemonétaire,laréformation,quiconsisteàfrapperdenouveauxtypesmonétairessurlesflansd’ancienstypes,au lieud’utiliserdesflansneufs,pouréconomiser lecoûtderefonte.Uneréformation constitueunedévaluationde lamonnaie,puisque la valeuren livres tournoisdes louis d’or et des écus d’argent augmente. En 1709, le cours de l’écu blanc passe à 5livres.

AuXVIII°,après labanqueroutedusystèmedeLaw(1720), ladénominationofficiellede lalivre tournois devient la livre (0,31g d’or pur). En 1726, la réformation institue la livrecontenant4,50516gd’argentfin,cequiconstitueune importantedévaluation.Aprèscettedate, lapratiquedelaréformationprendfin,mais l’Etatrestelargementendetté.Lecoursdel’écublancpasseà6livresaumilieudusiècle.SouslaRévolution,àpartirdu7avril1795,le franc(4,5gd’argentpur)remplace la livrecommeunitédecomptemonétaire,bienquelégèrementinférieurenpoids.Ilestdiviséen10décimesou100centimes.En1796,lefrancvautofficiellement1livreet3deniers.L’écublancestremplacéparlapiècedecinqfrancsen argent qui vaut 5 livres 1 sou et 3 deniers. Les comptabilités doivent être établies enfrancs.

Au XIX°, la Banque de France (créée en 1800) et ses succursales deviennent l’institutd’émissionprivilégiédelamonnaie.En1803,lebimétallismeestinstitué:1franc=0,29025gd’or fin=5gd’argent. Lespiècesde¼,½,1, 2et5 francs sont frappéesenargentetdespièces de 20 et 40 francs sont frappées en or, d’où l’appellation de franc-or (ou francgerminal)quis’imposeaumilieuduXIX°.Notonsque,dans le langagecourant, lemotécucontinuedequalifierlapiècedecinqfrancenargent,appeléeégalementpiècede100sous.

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1.1.3.Lamonnaiefiduciaire

Lamonnaiefiduciaire (dulatinfiducia:confiance)estunemonnaie largementbaséesur laconfiance, car sa valeur est fortementdépendantedudegréde confiance accordépar lesporteursdebillets(lettresdechange,billetsdebanque,etc.)àl’organismequilesémet.

1.1.3.1.Lalettredechange

La monnaie métallique représente une certaine quantité de biens qu’on ne peut pastoujoursmanipulerfacilement.Lamiseenplaced’unemonnaiedesecondniveau,quielle-mêmereprésenteunegrandequantitédemonnaiemétallique laisséendépôten lieusûr,s’avère très vite utile. C’est ainsi que, sous la dynastie Tang (618-907), naît la monnaievolantechinoise,sortedelettredechange,remiseparlecommerçantchezlequelondéposesespiècesdefertrèslourdesetqu’onutilisecourammentcommeinstrumentdepaiement.

En Europe, au Moyen Age, est créée la lettre de change. On doit sans aucun doute sacréationauxTempliers,qui,àl’instard’autresordresreligieux(Hospitaliers,etc.)couvrentlaroutedespèlerinagesd'unréseaudeprieurésetdecommanderies,enEuropeetenTerreSainte. Les voyageurs- pèlerins peuvent y déposer dunuméraire et font valoir auprès desautres prieurés leurs lettres de change pour récupérer l’intégralité de leurs biens, enmonnaielocale.Cettepratique,serépandtrèsvitedanslecommerceinternational,afindefaciliter le commerceentredeuxpays ayantdesmonnaiesdifférentes. Le commerçant (lebénéficiaire)quivadansunautrepayssefaitremettreunelettredechangeparunbanquierdesonpays(letireur)etrécupèrelasommemarquéedanslamonnaiedupaysdestinataire,auprèsd’unebanquedecepays (le tiré).Elleévite le transportdemonnaieet les risquesinhérents.

La lettre de change peut aussi être utilisée comme moyen de crédit à court terme parl’escompte (VoirLeSaviez-vous?N°2). Eneffet,ellepeutêtrecédéeàunebanquepar leporteur, en échange d’une avance de trésorerie. C’est la cité d’Anvers qui développe, audébut du XV°, les lettres de change pouvant être escomptées. En Italie du Nord (Venise,Gênes), il existe aussi, à cette époque, des nota di banco, documents de papier quiautorisent leporteuràretireruncertainpoidsd’orauprèsd’unétablissementdedépôtetqui est endossable (c’est-à-dire transférable à un autre porteur). De plus en plus, lesbanquesmettentencirculationdescertificatsreprésentatifsdesdépôtsquileursontconfiés(certificatsprochesdesfutursbilletsdebanque),commelaBanqued’Amsterdam(fondéeen1609) ou laBanque royale française, qui, à la fin du règne de Louis XIV, émet des proto-billets,deslettresdechange(devenuesparlasuitebilletsdemonnoye,puisbilletsdel’Estat,assimilésàuneformed’emprunt).

1.1.3.2.Lebilletdebanque(papier-monnaieoumonnaie-papier)

EnChine,lamonnaievolantefinitparsesubstituerauxpiècesmétalliquescommemoyendepaiement. Au début du XI°, les commerçants chinois s’unissent pour émettre des billetsd’une valeur fixe, les Jiao ZI, imprimés surdesplanches enbois. Chaquebillet est pourvud’unnuméropropreafind’empêcher lescontrefaçons.Mais, lescommerçantsfontparfoisimprimerplusdebilletsqu’ilsn’ontdepiècesdemonnaie,sibienqueladynastieSongprend

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le contrôle de l’émission des billets. En 1168, un moulin à papier, propriété dugouvernement, commence à fabriquer, à partir de l’écorce grise dumûrier, le papier surlequel sont imprimés lesbillets.AuXIII°, l’écorcedemûrierest remplacéepar la soie. Lessouverains de la dynastie Ming (1368-1644) interdisent, pendant près de cent ans, lamonnaiemétallique.

C’estMarcoPoloqui,en1295,aprèssonpéripleenChine,ramènel’idéedelamonnaiedepapier en Europe.Mais, elle reste, pour les Européens, une curiosité esthétique, jusqu’auXVII°. A cette époque, les premiers billets de banque (Palmstruchers) sont émis par laBanque de Stockholm (1666), grâce au banquier Johann Palmstruck, avec 76 coupuresdifférentes, convertibles en argent ou en cuivre, métal dont la Suède est le premierproducteurmondial. Cependant, ce banquier ne résiste pas à la tentation demettre encirculationplusdebilletsquecequesabanquepeutrembourser,cequilamèneàlafailliteen1668.SonmonopoleestalorsreprisparlaBanquedeSuède.

En France, en 1715, pour faire face à la situation financière dramatique du royaume, lerégent, Philipped’Orléans, autorise John Lawà créer, sur lemodèlehollandais, laBanquegénéraleetàémettredupapier-monnaiecontredel’or.Cettebanqueéchangedesdépôtsdemonnaiemétalliquecontredesbillets,sansfraisdecourtage,lesbénéficesétantobtenusgrâceauchangeetauxopérationsd'escompte.Lesuccèsestrapide.En1718,elledevientlaBanqueroyale,garantieparleroi.En1719,ellefusionneaveclaCompagnieperpétuelledesIndes créée par Law. En 1720, le duc de Bourbon et le prince de Conti poussent à unespéculation à la hausse pour faire s’effondrer le système Law. Dès le 24 mars, c’est labanqueroute, car lesdéposants seprésententenmassepouréchanger lepapier-monnaiecontredesespècesmétalliquesque laBanquenepossèdepas, carellea impriméplusdepapier-monnaie qu’elle n’a réellement d’or et d’argent en dépôt. Après ce désastre,plusieurstentativessontfaitespourrelancerl'idéed'unemonnaieenpapier,lapluscélèbreétant la transformation en1790des biens confisqués duclergéen fonds de garantiereprésentépardesassignats(titresd’empruntémisparletrésorpublic).Àchaquefois,cestentatives s'accompagnent d'unehyperinflationconsécutive d'unespéculationhors-du-commun.C’est seulementavec lespremiersbilletsde laBanquedeFrance,émisen1803,quelaFranceentredansl'époquedesbilletsdebanquemodernesMais,lebilletdebanquenedevientréellementd’unusagecourantqu’aumilieuduSecondempire.

Alorsquejusqu’auXIX°règnelebimétallisme,ledéveloppementdelamonnaiepapieretducrédit permettent de limiter les besoins demétal et de supprimer l’argent-métal commeétalon et de ne garder que l’étalon-or (dit «classique»). Toutes les monnaies sont alorsdéfiniesparrapportàl’or.Lamonnaiepapierestunsubstitutàl’or.Letauxdeconversiondesmonnaiesentreellesest fixe,cequiassure lastabilitéde lamonnaieetempêcheuneinflationprovoquéeartificiellementparuneaugmentationdelamassemonétaire.

1.1.4.Lamonnaiescripturaleouladématérialisationdel’argent

Lamonnaiescripturalen’estpasmatérialiséeparunobjetphysiquecommelespiècesoulesbillets.Elleestinvisibleetsematérialiseparuneécriturecomptable.Elleestcellequel’onretrouvedanslescomptesbancairesetquisedéplacedanslecadredesfluxmonétaires.Elle

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possède une apparence virtuelle, car elle est inscrite sur des comptes avec de simpleschiffres.

Lechèque(del’arabe«sakk»,signifiant«paiementsigné»),moyendepaiementscripturalutilisantlecircuitbancaire,estgénéralementutilisépourfairetransiterdelamonnaied’uncompte bancaire à un autre. Il nous vient dans doute d’Angleterre. En effet, en 1742, laBanqued’Angleterredétenantlemonopoledesbilletsdebanque,lesbanquierslondoniens,quinepeuventplusémettredebillets,perfectionnentlemécanismedelalettredechangeetcréentlechèqueEn1777,ilscessentleursémissionsdebillets,remplacésparl’usageduchèque.LaBanquedeFranceémetsespremierschèquesen1826,souslenomde«mandatsblancs»,quipermettent le retraitde fonds reçusendépôt sans intérêtpar laBanque. Lavéritable introductionduchèqueenFrance, sous sa formeactuelle,datedu14 juin1865,maissonusagerestealorspeurépandu.

1.2.L’évolutiondesactivitésfinancièresetboursièresaufildessiècles

1.2.1L’histoiredelabanque

L’histoiredelabanquesuitd’abordlesgrandesétapesdel’histoiredelamonnaie,puiss’enécarteàpartirduXIX°.Pourbiencomprendrecetteaventure,dontlepivotest lecrédit, ilestpeut-êtrenécessairederecouriràcertainesdéfinitionsquenousdonnonsdansnotre(LeSaviez-vousN°2):prêtetusure,créditetdébit,escompteetréescompte,agioetcourtage.

1.2.1.1.Lesactivitésbancairesdansl’Antiquité

Déjà en Mésopotamie, 2000 ans av. J.C., des activités de type bancaire sont pratiquées.Certains commerçants reçoivent des dépôts et octroient des crédits. Comme la monnaien’existepasencore,cesopérationsportentsurdesbiensprécieux.Les«banquiers»d’alorssontde simples loueursde coffresetde simplesprêteurs sur gages. Les temples religieuxjouentsouventcerôle.Vers leVII°av. J.C.,suiteà l’apparitionde lamonnaieenLydie, lesopérationsdeprêtsetdedépôtssedéveloppentconsidérablement,ainsiquelesopérationsde changeà l’occasionde l’essordu commerce internationalméditerranéen.Apparaissentalorsles«changeurs»,appeléstrapézitesenGrèceantique(dunomdelatable,trapeza,surlaquelleilsofficient).Sousl’Empireromain,apparaissentlesmonetariiassociésauxateliersde frappe demonnaie et lesargentarii, les financiers de l’époque qui pratiquent, dans lecadre de «banques», une large palette de services bancaires: dépôts, crédits, tenue decomptes, services de praescriptio («chèques») et collectent même les impôts. Certainesbanques romaines accompagnent les armées: l'activité de leursnegociatores constitue lepremier réseau bancaire international. Par ailleurs, les ordres supérieurs romains, quidisposentdevastesfortunes,selivrent,sousdesprête-noms,àdesactivitésdespéculationetdeprêtetdeviennentégalementdesfinancierspratiquantlecrédit.Cettesituation,oùilyadesbanquiers,maispasdebanqueausens institutionnel,perdure jusqu’auhautMoyenAge.

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1.2.1.2.LesactivitésbancairesauMoyenAgeLarégressionmonétairequicaractériselehautMoyenAge(Cf.1.1.2)conduitàlaréductiondesactivitésdechangeetdecrédit.Deplus, l’Eglisecondamneleprêtàintérêt(ouusure)qu’elle qualifie de péché et de vol au regard de la justice Seule une petite collectivité definanciers,généralementsyriaquesoujuifs,poursuiventlesactivitésdeprêts,deplacementdesémissionsdemonnaiesfrappées,despéculationsurlesdifférencesdecoursentrel’oretl’argent entre les différentes places européennes et Byzance et surtout de change, carchaquegrandseigneurouchaquegrandevillea ledroitdefrappersapropremonnaie.Eneffet,si le judaïsmeinterditgénéralementl’usure, il l’autoriseenvers lespratiquantsd’uneautrereligion,doncauxchrétiens.

AuMoyen Age, dès le XII°, les activités bancaires reprennent avec le développement ducommerce international et les échanges entre l’Europe et l’Orient. A cette époque, lesopérations financières sontpratiquéespar les juifs,par lesTempliersetpar les Lombards.LesTempliers,banquiersdespèlerinsdescroisades,sontaussi,jusqu’àlafinduXIII°,ceuxduRoi de France.Mais, du fait de leur richesse et de leur trop grande indépendance, le roiPhilippe le Bel décide de s’attaquer à leur ordre pour s’emparer de leur or et dissout leTempleen1312.D’autrepart,l’importancedesfoiresdeChampagneetdeLyon,permettentl’implantation de «banques» un peu partout en Europe. Les premières «banques» sontdesboutiquesdeprêts,quisontl’œuvredegrandesfamillesitaliennes(àVenise,Florence,Pise ou Gênes), mais aussi de corporations d’arts et métiers (guildes), comme celle desmarchandsdecéréaleslombardsqui,peuàpeu,laissenttomberlecommerceitinérantpourles activités de crédit et de prêt aux taux très élevés. Au XIII°, ceux-ci s’installent dansplusieurspayseuropéenset reçoivent l’autorisationd’ouvrirdesbanquesdeprêt,d’aborden France, puis dans les territoires limitrophes, car l’autorité sévère de Saint-Louis contrel’usureleschassent.C’estàeuxquel’ondoitdeuxinnovationsfondamentales:lecompteàvueetlalettredecrédit.Lecompteàvuequipermetderetirerpartiellementoutotalementles fondsàtout instant. Ilaétérendupossiblepar l’inventionde lacomptabilitéenpartiedouble.Celle-cireprésentelesopérationsetlasituationfinancièred’uneentrepriseoud’uneorganisationpar aumoinsdeux comptes(un comptedébitéetun compte crédité), cequipermetdematérialiserladualitédesfluximpliquésdanschaquetransactioncomptable.Dèsla finduXIII°, ce systèmeestd’unemploi fréquentdans les«banques» italiennes. Il estcodifiéen1494,àVenise,parlemoineLucaPacioli.DèslafinduMoyenAge,lacitéd’Anversl’utilise.Quantàlalettredecrédit,elleestunegarantiedepaiement.C’estundocumentparlequel«labanque»s’engageàpayerlevendeurpourlecomptedel’acheteur.Cen’estpasun instrument de paiement, contrairement à la lettre de change. Elle est le plus souventutiliséedanslecadreducommerceinternational.

AuMoyenAge,Florencedevientuneplacebancairedetoutpremierplan,aveclaprésencede nombreuses banques familiales: Peruzzi, Frescolbaldi, Ricciardi, Mozzi, Pulci, Corcini,Cocchi,etc.D’autresvilles italiennesontaussi leursbanques familiales:Venise (Bendetto,etc.), Sienne (Buonsignori, Tolommei, etc.), etc. Venise, républicaine et indépendante,devient la plate-forme monétaire internationale. Son succès repose principalement surl’arbitrageentrelescoursrespectifsdel’oretdel’argententrel’Orientetl’Occident.Mais,

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en s’installant dans d’autres pays et en y implantant leurs pratiques financières, lesmarchandsLombardssontàl’originedudéveloppementd’autresgrandesplacesfinancièreseuropéennescommeBruges,Londres,ParisouBarcelone.EnFrance,c’estlafamillePisdoéqui,vers1276,devientl’unedespluspuissantesdynastiesdebanquiersfrançaisduMoyenAge.ElleestleprincipalfinancierdesderniersroisCapétiensetentireunepositionpolitiqueconsidérable.En1307,elleestchargéedelaliquidationdesbiensdel’ordredesTempliers.En 1358, elle s’illustre dans la Révolte deParis, où elle faillit déstabiliser le pouvoir royal,suiteàlatentatived’assassinatduDauphin,lefuturCharlesV,parMartinPisdoe.Sesbienssontalorsconfisqués.ElleestexiléeàHéritôt jusqu’en1770,datedesa réhabilitationparLouisXV.

1.2.1.3.LesbanquesàlaRenaissance(XV°-XVI°)

A la Renaissance, les premières banques de dépôts privées modernes voient le jour. Laposition quasi-monopoliste des Lombards en finance disparaît avec la création de grandsétablissementsinternationauxprivésparlesMédicis,lesAlbertioulesStrozziàFlorence,parplusieurs grandes familles génoises, vénitiennes ou milanaises, ainsi que par de grandesfamillesprotestantesquiémergentaveclaRéforme,carellesnesontpasfrappéesd’interditd’usure comme dans la religion catholique (les Fugger et lesWelser). La banqueMédicis,crééeen1397àFlorence,permetd’améliorer lesystèmedecomptabilitéenpartiedoublevalidantcréditsetdébits,basedelacomptabilitémoderne.Elledevient,grâceàCosmedeMédicis,labanquedupapeen1460.Banquelaplusimportanted’EuropeaumilieuduXV°,avecdesfilialesdansdifférentesvilles(Venise,Milan,Avignon,Bruges,etc.),ellesubit,aprèslamortdeCosme,unebanqueroutedéfinitiveàFlorenceen1494.C’estauXV°(1472)quelesmagistratsdeSienne(enToscane)créent laMontedeiPaschidiSienna,quiest,denosjours, la plus ancienne banque dumonde encore en activité. Il s’agit d’unmont-de-piété,c’est-à-direunorganismedeprêtsurgagequiapourmissiondefaciliterlesprêtsd’argent,notammenten faveurdesplusdémunis. En France, JacquesCœur,marchand,négociant-banquieretarmateur,contribueaufinancementdelaroyautéfrançaise,aideCharlesVIIetdevientGrandArgentierduroyaumedeFrance(1439).Samaîtrisedeladettepubliqueenfaitunfinancierincontournable,maislemèneàsaperte.Deleurcôté,lesfamillesWelseretFugger, marchands et banquiers du Saint Empire romain germanique, se partagent ladominationducommerceetde lafinanceeuropéenne.Ellessontà l’originedelapratiquemodernedelabanqueetdelafinance.JacobFuggerdevient,en1490,lebanquierduSaintEmpireet soutient,en1519, l’électiondeCharlesQuint.C’estalorsqueGêness’allieavecCharlesQuint.Suivantcetaccord,lesbanquiersgénoisvontdominerlesmarchésfinancierseuropéens, et ce, jusqu’en 1620. Dans le même temps, les établissements bancairescomparablesàceuxquiexistentaujourd’hui,commelabanquegenevoise, laBancodiSanGiorgio,sontdorénavantcapablesderecevoirdesdépôtsetdegérerdescomptes.DanslasecondemoitiéduXVI°, les transactions commerciales se concentrent versAnvers, oùestcrééeen1592,lapremièreboursedecotationdesmatièrespremières(Voir1.2.2.).AuXVI°,apparaîtlemotbanque(issudel’italien«banca»)pourdésignerlebancenboissurlequelleschangeursexerçaientleuractivité.

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Pendant laRenaissance, ledogmechrétien,quiconsidère l’usurecommepéché,n’estplusrespecté.Cerelâchementthéologiquefaitsuiteàlanotionnouvellede«Purgatoire».C’estJeanCalvin,qui,aucoursduXVI°,estlepremierthéologienàaccepterleprêtàintérêt.Laréformeprotestantejoueunrôleimportantpourrendrelégalleprêtàintérêtdanslespayseuropéens.Calvinécriten1545«Lettresurl’usure»,oùilaccordel’intérêtensebasantsurlefaitquelecapitalquiestempruntésertàinvestir.Ainsi,auXVII°,lesystèmebancairefait-ild’énormesprogrès,danslespaysprotestants,grâceàl’autorisationduprêtàintérêt,quiresteofficiellementinterditenFrancejusqu’àlaRévolution.

1.2.1.4.LesbanquesauXVII°etauXVIII°

ApartirduXVII°, ledéveloppementdupapier-monnaieetlacréationdebanquescentralesrévolutionnent le monde de la banque. En effet, la banque centrale d’un pays (ou d’unensembled’Etats)estuneinstitution,chargéeparl’Etatd’appliquersapolitiquemonétaire,de stabiliser les tauxd’intérêts, les tauxde changeet les prix et d’émettre les billets. En1609, l’unedespremièresbanqueseuropéennespubliquesdedépôtestcréée: laBanqued’Amsterdam. Jusqu’en 1820 (date de sa liquidation), elle est l’une des premières placesfinancières du monde, avant de laisser la place à Londres. En France, Everhard Jabach,allemandnaturaliséfrançais,l’undesdirecteursdelaCompagniedesIndes,créélaBanqueJabach,àParis(1638)etColbertlaCaissedesemprunts(1673),caissepublique,quipermetl’échanged’apportsenespèces contreunepromessede remboursementà termeavecunintérêt de 5%, En Suède, Johan Palmstruch, marchand hollandais, fonde la Banque deStockhom(1656),quidevientBanquedeSuède,premièrebanquecentraled’Europe(1668);ALondresplusieursbanquessontcréées:Child&Co(1664),C.Hoare&Co(1672,toujoursenactivité)etlaBanqued’Angleterre(1694)parWilliamPaterson,banquesuisupplantelaBanque de Stockholm. Les villes de Londres et d’Amsterdam deviennent des placesfinancièresimportantes.Lepôlefinancierdevientdonc,petitàpetit,leNorddel’Europe.

Au XVIII°, les banques européennes adoptent le papier-monnaie: la Banque d’Angleterre(1708), laBanquegénéralefrançaise (1718), laWienerStadtbanco (1762)pourl’Allemagneet l’Autriche, la Banque d’assignation de Saint-Pétersbourg et de Moscou (1769). Denouvelles dynasties familiales se constituent :Rothschild,LazardouStern. En France, en1760,estcréée,àToulouse, lamaisondebanqueCourtois&Cie, laplusanciennebanquefrançaise encore en activité de nos jours. Mais, la progression de l’activité bancaire estralentie par des faillites retentissantes, comme celle du systèmede Law (Voir 1.1.3.2.) enFrance(1720).

1.2.1.5.LesbanquesauXIX°

ÀpartirdelafinduXVIII°,maissurtoutauXIX°,c’estlarévolutionindustrielle:créationdelamachine à vapeur, productiond’acier, de charbonetde textile enmasse, etc. L’essordesbanques est alors favorisé par trois facteurs : le développement de lamonnaie fiduciaire(Voir 1.1.3.), puis de la monnaie scripturale (Voir 1.1.4.), ainsi que l’utilisation de titres(actions)pourfinancerlesentreprisescommerciales(Voir1.2.2.).

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EnFrance,en1800,NapoléoncréelaBanquedeFrance,decapitalprivé.Sacréationapourobjectifdegérerlescréditsdel’Etatetdefaciliterlerachatdesbilletsàordreettraites,afinde favoriser l’activité économique. Elle se voit également attribuer le rôle d’émission debillets,en1805surParisseulement,puisen1848surl’ensembledupays.En1816,estcrééelaCaissedesdépôts,pourrétablirlaconfiancedanslesfinancespubliques.En1818,c’estlacréationd’unepremièreCaissed’EpargneàParis,maislesclassespopulairesontunefaiblecapacité d’épargner et une modeste confiance envers l’institution. En 1835, les caissesd’Epargnesontreconnuescommeétablissementsprivésd’utilitépubliqueetvoienten1837l’administrationdeleursfondsconfiéeàlaCaissedesdépôts.Durantcettepremièremoitiédu XIX°, ce sont encore les établissements bancaires familiaux qui régissent le mondeéconomique. Ceux-ci, qui ne s’adressent qu’aux grosses fortunes dont les capitaux sontplacés à long terme dans des entreprises industrielles et commerciales ou dans desemprunts et fonds d’Etat, sont qualifiés de Haute Banque. Les représentants les plustypiquesdeces«banquiers-marchands»sontlesRothschild,lesMirabeauoulesPerierdeGrenoble.

Ce n’est qu’avec le Second Empire, à partir de 1851, que naît véritablement la banquemoderne,avecdeuxtypesdebanques:lesbanquesdedépôtetlesbanquesd’affaires.Lespremièressontconsacréespresqueexclusivementàdesopérationsdecréditsàcourtterme,tandis que les secondes se livrent à des opérations plus longues, plus aléatoires, maisproduisantplusdebénéfices.EnFrance,lespremièresbanquesdedépôtsont:leComptoird’escompte (1853), celui de Paris étant l’une des quatre banques fondatrices de la BNPParibas; leCréditlyonnais(1863),fondéparArlès-DufouretHenriGermainetinspirédeladoctrinedeSaint-Simon;laSociétéGénérale(1864.),crééeparungrouped’industrielsdontTalabot et la famille Rothschild, qui se présente d’abord comme banque d’affaires et dedépôt,maisqui,presqueemportéeparlacriseéconomiqueetboursièrede1882,limitesesactivitésaumontantdesesfondspropres.Acôtédecesbanquesdedépôts,sontcrééesdesbanquesd’affaires:leCréditMobilier(1852),crééparlesfrèresPereire,qui,d’abordbanquededépôts, se tourne vers les activitésd’unebanqued’affaires; laBanquedeParis et desPays-Bas (1872); l’Union Générale (1878), banque catholique qui a fait une failliteretentissante en 1884 et dont l’histoire a inspiré Zola dans son romanL’Argent. Cettepériode correspond aussi à la création de grandes banques européennes : en Suisse, laBanquedeWinterhour (1862)et laBanquedeToggenburg(1863) ;enGrande-Bretagne, laLloydsBank (1865);enAllemagne, laDeutscheBank(1870).Mais,beaucoupsontvictimesdecrisesfinancières(Cf.1.2.2.).C’estpourquoi,l’Etatencadredeplusenplusleuractivitéetsouhaitelesmettresoussatutelle.En1844,uneloitrèsimportante(BankCharterAct),enAngleterre, ouvre la voie à la nationalisation des banques centrales et au monopole del’émissiondelamonnaie.Aprèslaguerrede1870,lesbanquessontmenacéesparlesretraitsmassifsdel’épargne,lapopulationcraignantpoursonargent.EnFrance,l'État,fortementendettéaprèsl'indemnitédeguerrede1871,émetla«rente»,c'est-à-diredestitrespublics,lesbanquesfaisantofficed'intermédiaireavec les investisseurs individuels ouinstitutionnels, notammentlescompagnies d'assurances. Vers la fin du XIXème naît également un système bancairemutualiste que l’on nomme banques populaires. Ces banques distribuent des crédits aux

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artisans, petits commerçants et petits industriels. Ce sont: les Caisses de Crédit Agricole(1874);laBanquePopulaire(1878),crééeàAngers;LeCréditMutuel(1880),enAlsace,enLorraineetenBretagne.

1.2.2L’histoiredelaBourse

Pourbiencomprendre l’histoirede laBourseet la représentationde l’argent romanesquedansnotre corpus, il estpeut-êtrenécessairede recourir à certainesdéfinitionsquenousdonnons dans notre (Voir Le Saviez-vous N°3): bourse, bourse de valeurs, bourse decommerce,valeursmobilières(actionsetobligations.

Les valeursmobilières existentdepuis leMoyenAge.AuXII°, les courtiers de change sontchargés, en France, de contrôler et réguler les dettes des communautés agricoles pour lecomptedes«banques».IlsseréunissentsurleGrandPontàParis,l'actuelPontauChange.A lamêmeépoque,naît lapremièresociétéfrançaisedetypesociétéanonymeousociétéparactions.Ils’agitdelaSociétédesMoulinsduBazacle,fondéeàToulouseparlescitoyensdelavillepourpartagerl’exploitationd’unesériedemoulinsservantàtransformerlesblésrécoltés dans la région toulousaine en farine. AuXIII°, lesbanquiers lombardssont lespremiers à échanger descréances d'ÉtatàPise, GênesouFlorence. Les obligations d'Étatont,dès l'origine, constitué lagrandemajoritédesobligations, les commerçantspréférants'endetteràcourttermeparlebiaisd'effetsdecommerce.

AuXIV°,lesancêtresdesboursessontlespremierscentresfinanciersquisedéveloppentenEuropeméditerranéenne(Pise,Venise,Florence,Gênes,Valence,Barcelone,etc.).Puis, lesactivités financières se déplacent vers le nord de l’Europe, notamment à Bruges, quis’imposecommelepremiersiègedesinvestisseurseuropéens,grâceàlarenomméedesesfoiresetdesonport,etleclimatdetoléranceetdelibertéquiyrègne.En1409,estcrééelaBourse de Bruges. Ce n’est qu’un siècle plus tard, que d’autres Bourses sont créées, enFlandreetdanslespaysenvironnants:Anvers(1515),Amsterdam(1530),etc.C'estàAnversquelepremierbâtimentconçuspécialementpourabriterunebourseestédifié.LapremièrebourseorganiséeenFranceestcrééeàLyonen1540,suivieparcelledeToulouse(1549)etdeRouen(1566).Initialement,lespremièresboursessontdesboursesmixtes,quitraitentàla fois demarchandises et de capitaux. Par exemple, laBourse d'Amsterdam, créée entrenégociants pour échanger desmarchandises, accueille au début duXVII° des transactionsfinancières,avantdevoiruneséparationdesdeuxbranches,boursedecommerceetboursedevaleurs. IlenestdemêmeàLondres,oùleRoyalExchange,boursedecommercecrééeen1554,accueilleen1695 lespremières transactionsde titres, avant la créationofficielleduStockExchangeen1773.

AuXVII°,LesHollandaissontlespremiersàutiliserlaBoursepourfinancerdesentreprises:la première entreprise à émettre des actions et des obligations est laCompagnienéerlandaisedesIndesorientales,introduiteen1602.C’estaussi,enHollande,qu’alieu,en1636, le premierkrach. boursier: les cours des bulbes de tulipe atteignent des niveauxexcessivementélevésetleurcourss'effondrelepremieroctobre.C'estlatulipomanie(VoirLeSaviez-vousN°4).En1688,oncommenceàcoterlesactionsetobligationsàlaboursedeLondres.

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AudébutduXVIII°,danslaguerrecommercialequel'AngleterrelivreauxPays-bas,LondressupplanteAmsterdam. En 1724, laBourse de Paris voit le jour. Avec elle, Louis XV espèrerétablirunsemblantd'ordreauseindel'économiefrançaise,fortementbouleverséeparlafaillitedu systèmedeLaw. Labourseest soumiseàune forte règlementation,qui interditson accès à la femme. Grâce à l’émission de titres, le marché boursierdonne lapossibilitéaux entreprises de se financer, d'investir, en mettant directement en contactl'offreet lademandede capital.De1763à1767, le roi fait construireuneHalleauxblés,devenueensuitelaBoursedecommercedeParis,installéedanssespropreslocauxen1885après avoir étéd'abordhébergéedans ceuxduPalaisBrongniart. Elle est organisée sur lemodèle duRoyal ExchangedeLondres. En1774, à laBourse de Paris, les cours doiventdésormaisêtreobligatoirementcriés,afind'améliorerlatransparencedesopérations.1792voitlacréationdelaBoursedeNewYork(WallStreet).

AuXIX°, larévolution industriellepermet le développement rapide desmarchés boursiers,entraînépar lesbesoins importantsde capitauxpour financer l'industrieet les transports.L’accélérationdesboursesdevaleursestcaractéristiquedupremiertiersduXIX°.Unpublicdeplusenpluslargeestsaisiparl'engouementpourlesactions.C’estl’époquedelaRailwaymania, c’est-à-dire de l’investissement massif dans les sociétés de chemins de fer. Cetintérêt financier et industriel pour le chemin de fer, dont l'expansion entraîne celle delasidérurgie, se traduit par deux périodes de forte expansion: lacroissance économiquemondiale des années 1830, très forte en Angleterre, puis la croissance économiquemondialedesannées1850.C’estalorslacréationdenombreusesbanquesparactionsetdenombreusesBoursesdecommerce:LeChicagoBoardofTradedeChicago(1848),quiestlaplus ancienne bourse de commerce américaine; LaBolsa de Comercio de Buenos Aires(1854); leButter and Cheese Exchange of New York (1872), fondé par un groupe denégociants en produits laitiers et qui sera rebaptiséeNew York Mercantile Exchange(NYMEX); leChicagoProduceExchange (1874); leLondonMetalExchange (1877);etc.LeXIX°connaîtplusieurscrisesboursières:Londres(1825),New-York(1837,puis1857,l’undespremiers krachs deWall Street); Londres et Paris (Crise de 1866). La fin du siècle voit lekrachdeVienne(1873),premièrecriseboursièreinternationale.

1.3. Lareprésentationdel’argentdanslalittérature

Lafascination,éprouvéedepuistoujours,pourl’argentenafaitunmotifrécurrentdanslalittérature.Nepouvanttraiter iciunsujetaussivaste,nousdonnonsuniquementquelquespistes.

1.3.1. Dansl’Antiquité

Dansl’Antiquitégrecque,lethèmedel’argentetlepersonnagedel’avareapparaissentdéjàdans les fablesd’Esope (620-564av. J.C.),brefs récitsenprosecompilésparDémétriosdePhalère vers 325 av. J.C. et dont s’est inspiré La Fontaine. Citons plus particulièrementL’AvareetlePassant,L’Avareetl’Envieux,L’Hommequinetientcomptedutrésor,LeVoleuretlepauvrehomme,LecorroyeuretleFinancier.

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Plustard,onretrouvelethèmedel’argentdanslacomédieantiquegrecque,surtoutaveclacomédie nouvelle (ou Néa) dont les pièces sont bâties autour d’une situation familialeassociant amour, argent et quiproquos et de types sociaux caricaturés: le père avare, labelle-mèreacariâtre,etc.CetypedecomédieestillustréparL’AvareouleMisanthrope(317av.J.C.)deMénandre.Lepersonnagedel’avare,quiestdevenuunarchétype,apparaîtdonctrèstôtdanslalittérature,avecceluidel’usurier.Lethèmedelaprodigalitéyapparaîtaussi,chaque foisqu’un jeunehommese laisseallerà toutes les folies sous l’effetde lapassionamoureuseetdissipesonpatrimoineenfestinsetcadeauxoffertsàcellequ’ilaime.

Dans l’Antiquité romaine, on retrouve le personnage de l’avare et de l’usurier dans lacomédiequisedéveloppeau II°av. J.C.,dansdespiècesadaptéesde lacomédienouvellegrecque:L’AululariaetLaMarmitedePlaute;L’HeautontimoroumenosdeTérence.AuI°av.J.C.,dansLesSatiresd’Horace,onretrouvedemultiplespersonnagesetsituationscomiqueshéritésdelaNéa,dontl’avare.Parexemple,Horacemetenscèneunavare,danslaSatireI.1et un usurier, dans la Satire I.2. L’avarice est condamnée dans Les Satires, à plusieursreprises.Ilenestdemêmedelaprodigalitéetdelapassionamoureuse.

1.3.2. AuMoyenAge

AuMoyen Age, que ce soit les récits de vies, les épopées, les chansons de geste, puis lalittératurecourtoise,cestypesdelittératuresontpeuenclinsàlareprésentationdel’argent.Eneffet,dans latraditionchrétienne, l’avariceestconsidéréecommel’undesseptpéchéscapitaux et les Écritures sont sévères à l’égard du cupide. D’autre part, nous l’avons vuprécédemment, le commerce de l’argent sous la forme de prêts avec intérêt (usure) estinterdit selon certaines interprétations de la Bible. C’est avec la littérature satirique,littérature de la bourgeoisie, malicieuse, réaliste, voire grivoise, que l’on peut rencontrerl’argent.LareprésentationlapluscélèbreenestLeRomandeRenard,écritduXII°auXIV°parplusieursauteurs.D’abordparodiedelalittératurearistocratiqueetsatiresociale,cetteépopéeanimale finitpardevenirungenreallégoriqueoùRenard représente lemensongehypocriteetlatoute-puissancedel’argent.Onrencontreaussilethèmedel’argentdanslesfabliauxetlalittératuremoraledesXIII°etXIV°,aveclescontesàrireetlescontesédifiants.On y rencontre des avares (comme dans Le vilain mire dont s’inspire Molière pour sonMédecinmalgré lui). Enfin, l’on trouve aussi la représentation de l’argent dans le théâtrecomique,névers lemilieuduXIII°,directement issudu théâtregréco-romain,notammentaveclessotiesetlesfarces.Danslaplusconnue,LaFarcedeMaîtrePathelin(1465),estmisenscèneunavocatsanscause,fourbeetimaginatifquiberneledrapierGuillaume.

1.3.3. AuXVI°

Au XVI°, si le discours antique et médiéval sur l’avarice perdure, la réflexion et lesreprésentations se renouvellent avec l’essor de la circulation monétaire, la possibilité duprêt à intérêts, jusqu’alors proscrit par la religion, et le rôle de l’argent dans lefonctionnementdelajustice.Onrencontredeuxdiscourssurl’avarice:undiscoursnormatifqui s’adresse au juge ou au roi; un discours descriptif qui décrit l’avarice comme unesouffrance individuelle et un mal social, car celle-ci dérègle les rapports sociaux et lacirculationdel’argentetcorromptlefonctionnementdelajustice.Aussi,trouve-t-on,dans

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plusieursœuvresduXVI°,uneanalysedurapportavarice-justice,comme,parexemple,dansLe Tiers-Livre de Rabelais, Les Essais de Montaigne ou encore Les Tragiques d’Agrippad’Aubigné.QuantàRonsard,dansHymnedel’or,faisantréférenceàlafoisàTantaleetauroiMidas,ilreprésentel’avarecommeunêtrequimeurtdefaimetdesoifaumilieudesonvinetdesonpain.

Dansl’œuvredeRabelais, lesreprésentationsdel’argentsontabondantes.Celui-cijoueunrôledepremierplandansl’universdePanurge.DèsPantagruel,onvoitlerapportétroitetnécessairequi existe, chezPanurge, entre l’argentet lepouvoir. L’argentest, pour lui, unmoyendedominer,d’appâter,d’asserviroud’humilierautrui,maisaussideflattersonego.Ilmanquetoujoursd’argent,maisilsaittoujoursentrouver(vols,tromperies,escroqueries,etc.).DanscertainsépisodesduGargantua,l’argent,l’oretlesobjetsdeluxesemanifestentabondamment, à cause du statut royal des personnages (Voir le Chapitre 8,Comment onvestit Gargantua). A la fin de la guerre picrocholine, on trouve même le thème du doncharitable,avecl’épisodedelagénérositéenversleroipirateAlpharbaletceluidel’abbayedeThélème. Enfin,dans leTierset leQuart livre, on trouve les thèmesde ladetteetducrédit.

1.3.4. AuXVII°

Le début du XVII° se caractérise par la préciosité, qui donne naissance à une littératureessentiellementpsychologiqueavecleromand’analysedeMmedeLaFayette:LaPrincessedeClèves.L’argentyestabsent,carilestassociéaubas,aucommun,voireauvulgaire.Parcontre, le burlesque traduit la réaction bourgeoise et populaire contre le raffinementprécieux. Les romans, auxquels il donne naissance, abondent en représentations descirculations monétaires: Le Roman bourgeois de Furetière (1619-1688) ou Le Romancomique de Scarron (1610-1660), où les personnages comptent et recomptent les écus.QuantàBoileau(1636-1711),danssesSatires,ilréagitcontrelapréciositéetécritdesversparodiques.Lesavaresn’ymanquentpaset,dans laSatireX,ontrouvemêmeunménaged’avares.L’avareestenfaitdevenuunthèmeclassique.

D’autrepart,sil’argentestabsentdelatragédiedeCorneilleoudeRacine,lacomédie,toutaucontraire,metenscènecassettes,écus,pistoles,dots,héritages,etc.C’estainsique, lethéâtre de Molière (1622-1673) représente le thème de l’argent sous plusieurs de sesformes (l’argent de la dot, de l’héritage, des gages etc.), notamment dans L’Ecole desfemmes,LeMaladeimaginaire,DonJuan,etc.Mais,ilestunecomédieoùl’argentimprègnetoutel’action,c’estL’Avare(1668).Eneffet,ladynamiquedelapiècesestructureautourdelapossessiondel’argent.Denombreusesfacettesdel’argentyapparaissent:usure,calculsfinanciers, avarice (épargne sordide, insatiabilité d’argent), nécessité d’avoir de l’argent,maisvanitédecalculerlaviedanslestermesdel’échange,etc.Contrairementàlacomédiegrecqueoù la fortunede l’avare tombait du ciel, au XVII°, l’avare constitue lui-même sontrésor.

Chezlesmoralistes,citonsLaBruyère(1613-1680).DanssesCaractèresoùlesMœursdecesiècle (168), La Bruyère aborde la critique sociale et même politique. Les défauts deshommesqu’ilraillesontsouventliésàl’injusticedesprivilègesqueconfèrelanaissanceou

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l’argent,commedans«DesBiensdefortune»,chapitreIVdesCaractères.QuantàBossuet(1627-1652),ilabordeaussilethèmedel’argentdanssesSermons.

LesFablesdeLaFontaine (1621-1695)sontellesaussi trèsabondantesenreprésentationsdel’argentetenréflexionssursanature,seseffetsousonusage:LaCigaleetlaFourmi,LaLaitièreet lepotau lait, etc.CommeMolière, il combat sans cesse les thésauriseurs (VoirL’Avare qui a perdu son trésor,Du Thésauriseur et du Singe, etc.).Mais, à l’inverse de latradition chrétienne, il ne condamne pas l’argent, mais l’erreur de certains hommes peusages,quirefusentl’échangemonétaire,commedansLaCigaleetlaFourmi.

Enfin,danslemondemanichéendesContesdePerrault(1628-1703),lesreprésentationsdel’argentabondent.Ilestd’abordassociéaumerveilleux:touteslesdemeuresdelanoblessese caractérisent par l’abondance et le luxe, comme celle de Barbe bleue. A côté, il y a lamisèredupeuple.Lemanqued’argentestlethèmeessentieldansLepetitPoucet.Seuleuneintervention merveilleuse peut porter remède à la misère. Notons enfin que le travailapparaît toujours comme une épreuve à laquelle il convient de se soumettre et dont larécompense consiste à y échapper. Ainsi,même si le travail est en passe de devenir unevaleur dominante, il reste encore une punition dans unmonde gouverné par les valeursaristocratiques.

1.3.5. AuXVIII°

Dans la littérature du XVII°, même si un héros a de l’argent, il ne peut pas accéder à lanoblesse.AuXVIII°,illepeut,cartoutcequisepasseàl’époquedanslemondedelafinancetrouveunéchodanslalittérature.

LedébutduXVIII°voitl’essorduroman,aveclanaissancedupersonnagequiapparaîtsousun jour essentiellement humain et la fiction qui s’ouvre désormais aux classes plusmodestes.Parmi les thèmes romanesquesutilisés, l’argent faitpartiedesplus importants.DansLePaysanparvenu (1734),Marivaux (1688-1763) s’intéresseauxparvenusetmontrequel’argentestlevraimoteurdel’ascensionsocialeetquel’appâtdugainestplusfortquel’honneur. Dans La Vie deMarianne (1736), il s’intéresse aussi à l’argent (Voir le célèbrepassagedelaquerelledelalingèreetducocher)etillustrelesdiversrapportsquelesêtreshumainsentretiennentavec l’argent.DansL’HistoireduChevalierdesGrieuxetdeManonLescaut (1731), l’Abbé Prévost décrit aussi une société où l’argent devient le moteuressentiel.

Dans le théâtredeMarivaux, l’argentest lenerfde laguerredessentiments.Onretrouvecetteprédominancedel’argentdansl’amour,aussibiendansLeJeudel’amouretduhasard(1730) quedans Les Fausses Confidences (1737).Quant à Beaumarchais (1732-1799), il selivreàunesatireférocedelasociétéduXVIII°,corrompueparl’agent(Voirlemercantilismede Don Bazile dans Le Barbier de Séville). Dans Le Mariage de Figaro, l’argent estomniprésent: Figaro veut empocher l’argent du comte sans lui rien céder en échange; leComte propose à Suzanne de l’argent pour obtenir un moment de galanterie; Figaro apromislemariageàMarcelineenéchangedel’argentqu’elleluiaprêté;etc.

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Ducôtédesphilosophes,l’argentestaussianalysé.Montesquieu(1689-1755),dansL’espritdeslois(1758),consacrelesLivresXXàXXIIaucommerceetàl’usagedelamonnaie.DansLesLettresPersanes(1721),ilestsouventquestiond’argent.Montesquieuironisemêmesurl’activitédessociétésparactions(VoirlaLettre142).ChezVoltaire(1694-1778),lethèmedel’argentestaussiprésent,notammentdansCandideoù l’argentprenddesrôlesdifférents,d’uncôtésourcedesouffrancesetdecorruption,et,del’autre,récompensed’undurtravail.DansLeNeveudeRameaudeDiderot(1713-1784),l’argentetlapuissancequ’iloctroiesontsanscontextelethèmemajeur,carselonleprotagoniste«L’oresttout;etlereste,sansor,n’est rien» (p.65) De même, dans Jacques le Fataliste, Diderot se livre à la satire d’unesociété où l’argent joue un rôle important, qu’il provienne du jeu, de la prostitution, del’usure, du vol, de l’escroquerie, etc. Enfin, dans ses Confessions, Rousseau (1712-1778)montreuneaversionpourl’argentetsadétestationdesdettes.Dansla9èmepromenadedesRêveriesd’unpromeneursolitaire, ilmontrequ’ilexistedeuxusagesde l’argent,selonquel’onestricheoupauvre.Defaçongénérale,danstoussesécrits,ilcondamnesansrémissionl’argentetlepouvoir.Pourlui,ledéveloppementdel’argentesttoujoursliéàlacorruptiondesmœurs;cen’estpasl’argentquiestàl’originedumal,maislapropriétéprivée.

1.3.6. AuXIX°

AuXIX°,l’argentetlesquestionsd’argentenvahissentlalittérature.Cecis’expliqueaumoinspardeux faitsessentiels.Toutd’abord, laRévolution industrielleapporteunemodificationdu rapport à l’argent: fortunes rapidement amassées ou rapidement perdues; fortunesanciennes brutalement disparues; disparités des salaires et des rentes, etc. D’autre part,l’accessionaupouvoirpolitiqueetéconomiquede laclassebourgeoises’accompagned’unsystèmedevaleursquisupplantetouslesautres:l’avoirprimesurl’êtreetl’argents’imposecommeunmoyen.D’unautrecôté, les romanciers sontconfrontésàdenouvelles réalitéséditorialesliéesàl’entréedelalittératuredansl’èreindustrielle.CommelemontreIllusionsPerdues de Balzac, le commerce de la librairie souffre d’un manque de liquidités et lesauteurssonttrèssouventconduitsàmanipulerdesbilletsàordre,deslettresdechangeouautres effets fiduciaires. Ainsi, leursœuvres sont-elles non seulement devenues des biensmarchands, mais leur valeur est-elle soumise aux fluctuations de la monnaie, comme lesouligneZoladansson romanL’Œuvre. Fortdecesavoiréconomiqueet juridique, ils sontplus particulièrement enclins à thématiser l’objet monétaire dans leurs œuvres. Enfin, lamodedesphysiologiesmetaussil’argentaugoûtdujour.C’estainsiquevoientlejour:L’Artdefairedesdettes(Jacques-GilbertImbert,1822),L’Artdepromenersescréanciers(Jacques-Gilbert Imbert, 1824), Physiologie du créancier (Anonyme, 1840), Physiologie de l’usurier(CharlesMarchal, 1841) ou bien encore Physiologie du Créancier et du débiteur (MauriceAlhoy, 1841), qui s’intéressent tout particulièrement au rôle du crédit dans la sociéténouvelle.

Dans le roman réaliste, le thèmede l’argentn’estplus traitéde façon légèreoucomique,maiscommeunélémentmajeuretnégatifdelaréalitéduXIX°,élémentquienvenimelesrapportsfamiliauxetsociaux.Apartirdelà,toutestchiffré:onsaitàquelmontants’élèvelafortuned’unpersonnageouleprixd’unhôtelparticulier.ChezBalzac(1799-1850), l’argentestunthèmeromanesquecapital.L’undesmotifsrécurrentsdeLaComédiehumaineestlefaitqueleshommessontmuspardeuxforcesconcomitantes: lespassionsetlarecherche

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de l’intérêt.L’intérêtsenourritdespassionset lespassionss’actualisentdans larecherchede l’intérêt. Alors que Balzac néglige la forme concrète des sommes d’argent, qui sontsimplement désignées par leur montant en francs, chez Hugo (1802-1885), et toutparticulièrementdansLesMisérables,unesurprenanteattentionestprêtéeauxréalisationsmatériellesvariéesdel’argentainsiqu’àl’expériencespécifiquequ’enontlespersonnages:napoléons, louisd’or,piècesdecinqfrancs,billetdemillefrancs, liardslivres,pistoles,etc.Le texte s’appuieainsi sur la réalitéd’une inégalecirculationdesespècesauXIX°etest lecadredenombreusesopérationséconomiques.L’argentconstitueaussiunsujet importantdans les œuvres romanesques de Stendhal (1783-1842), où il exerce une influenceimportantesurlaviedespersonnagesetmêmesurleurdestin,commedansLeRougeetleNoiretLaChartreusedeParme.PourFlaubert(1821-1880),l’argentestlacausedetoutmal.DansMadameBovary,ilapparaîtcommelacondition,l’ingrédientetlecarburantdetouslesdésirssexuelsd’Emmaetlamèneàlamort.Demême,l’argentestunthèmerécurrentdansL’Education sentimentale. Chez Maupassant (1850-1893), l’argent est omniprésent. Sonévocationestfidèleàl’observationdelasociétécontemporaine,Mais,quecesoit,dansbonnombredesescontesoudansBel-amietMont-Oriol,lemondecapitalisteestdécritcommele double du monde de la folie. Enfin, le rejet de la société industrielle et de l’argentconstitue labasede l’œuvredeHuysmans(VoirARebours,1884ouSacaudos,1880).Ontrouvemême,dansLà-bas(1891),uneréflexionsurl’absurditédel’argent.

Dans le domaine des contes et nouvelles réalistes, l’argent est aussi décortiqué avecMérimée (Voir La Partie de trictrac,1830),Musset (VoirMimi Pinson,1845),Maupassant(VoirLaDot,1884,ouUnMillion,1884)etVilliersde l’Isle-Adam(Voir«VirginieetPaul»,dansContesCruels,1883).Et,ilesttoujoursprésentdanslemondemerveilleuxdescontesdes FrèresGrimm (Jacob: 1785-1863;Wilhelm (1786-1859), commedansLaPetiteTable,l’AneetleBâton,oùilsmettentenscèneunânecrachantl’orpardevantetparderrière.

Enfin, alors qu’aux siècles précédents, on parlait de la fortune en écus ou en hectares etfermagesauxrevenusconséquents,auXIX°apparaîtunenouvelledimensiondel’argent:lavirtualité.Eneffet, si l’argentnouvellementacquisexposeavec fastesonopulence, iln’engarde pasmoins une part fort énigmatique, surtout avec le phénomèneboursier. Dans lapremière moitié du siècle, après le coup d’Etat de 1830, Stendhal et Balzac notent quel’aristocratieaimese livrerà laspéculationetauxjeuxdesemprunts,maissansplus.C’estplutôt L’Auberge des Adrets (1834), pièce de Frédérick Lemaire qui consacre deuxpersonnagesdumondeboursier:RobertMacaire,letypedel’agioteuretM.Gogoletypedel’actionnairegrugé,typesquisontreprisparlesgrandscaricaturistesdel’époque,PhilipponetDaumier.PauldeKock lancemêmeun romanenquatre volumes:MonsieurGogoà laBourse(1844).MacaireetGogovontalorsenvahirentlesœuvresdesannéesàvenir.Mais,uneœuvremarquevéritablement lesécrivains,c’est leManuelduspéculateurà laBourse(1856)deJ.-P.Proudhon.Silestrois-quartsdulivreestconsacréàlapartiedocumentaireettechnique,ilestavanttoutunouvragedemoralistequistigmatiselesabusdelaspéculation.Paraissentalorsensuitetouteuneséried’œuvres littérairesetmoralessur lemondede laBourse. Parmi eux, se détache L’Argent de Jules Vallès (paru anonymement), véritablepamphlet qui prend le contrepied de Proudhon et joue l’immoralisme. Dans la secondemoitié du siècle et le Second Empire, la Bourse hante les écrivains et donne naissance à

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toute une littérature boursière de second ordre (littérature populaire), comme Fanny deFeydeau.IlfautattendrelaTroisièmeRépubliquepourvoirleromanintégrerlaBourseàlasubstancede son récit, commeFromont jeuneetRisleraîné (1874)d’AlphonseDaudetouBel-Ami (1885) de Maupassant. Mais, c’est Zola (1840-1902) qui réussit à tisser tout unroman autour de la Bourse avec L’Argent (1891) et pour lequel il s’inspire du krach del’Union Générale, banque catholique française fondée par Eugène Bontoux qui fut ruinéaprèsdesspéculationsbaissièresdelapartdesRothschild.

Danslapoésie, lareprésentationdel’argentestassezrareavantBaudelaire.Celle-ciopèreundénimassifetrefoulecethème.L’argent,lesignematérielabsolu,lediable,esteneffetmispar l’auteurdesFleursduMalaucœurdesapoésie,commeilestaucœurdumondesocialcontemporain.Baudelaireopposeaurègnedel’argentunrègnesupérieurquiestceluidelaBeauté.Iladopteuneattitudepolémiquecontreunesphèrequ’ilexècre.Parexemple,dansMoraledujoujou, ildépeint l’enfancecommeâgedelavieprécapitalisteoùlavaleurd’usage l’emporte sur la valeur d’échange. Dans A une heure du matin, il décrit laschizophrénie capitaliste qui oblige le producteur aliéné, à vendre, pour subsister, sonproduit en se louant lui-même.Enfin,dansLaFausseMonnaie, il pourfend laduplicitédubourgeois.

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Extraits

Le classementutilisé pourprésenter les extraits denotre corpusporte, d’unepart sur lesdifférentesmodalitésd’obtentiondel’argent,d’autrepartsurlesrapportsdespersonnagesàl’argent.Deplus,nousdécouvrirons,àtraverscetteétude,lespouvoirsdel’argent:moyende fructifier son capital, ascenseur social, moyen de séduction, facteur de probité et derespectabilité,outildepouvoir,élémentdecorruption,maisaussicréateurderêves.

2.1.Lesmodalitésd’obtentiondel’argent

Si l’argent est nécessaire pour vivre, il existe différentes méthodes, honnêtes oumalhonnêtes,utiliséesparlespersonnagesromanesquespourseleprocurer.

2.1.1.L’argentdutravail

L’argent «honnête» est évidemment celui qui rémunère le travail, sous la forme d’unsalaireoudetouteautrerémunération(gage,etc.).

2.1.1.1L’argentdesemployés

Le travail est la récompense du labeur et le moyen de survie de l’employé. Dans notrecorpus,onrencontrelesouvriersagricoles,lesgensdemaison,lesouvriersdel’industrieetlesvendeurs.

Commeon levoitdans les romanschampêtresdeGeorgeSand, tous lesdomestiquesontpourusagedeseloueràl’année.Mêmelesenfantstravaillent.Dèsl’âgede4à5ans,ilssontemployés aux travaux des champs ou à la garde des animaux. Après leur premièrecommunion,ilsentrentleplussouventencondition,c’est-à-direendomesticité.Lesparentsne se séparent pas de gaité de cœur de leurs enfants,mais sont poussés par des causeséconomiques.IlenestainsidesBarbeau,dansLaPetiteFadette,quiplacentLandrycommeouvrieragricole:«Onnevitlachosequ’àl’essai,etcetessaiarrivaaprèsqu’ilseurentfaitensembleleurpremièrecommunion.LafamilledupèreBarbeauaugmentait,grâceàsesdeuxfillesaînéesquinechômaientpasdemettredebeauxenfantsaumonde.Son filsaîné,Martin,unbeauetbravegarçon,étaitau service ; sesgendres travaillaientbien,mais l’ouvragen’abondaitpas toujours.Nousavonseu,dansnospays,unesuitedemauvaisesannées,tantpourlesvimairesdutempsquepourlesembarrasducommerce,quiontdélogéplusd’écusdelapochedesgens de campagne qu’elles n’y en ont fait rentrer. Si bien que le père Barbeau n’était pas assez riche pourgarder tout sonmonde avec lui, et il fallait bien songer àmettre ses bessons en condition chez les autres.»(p.10)Lesouvriersagricolessontrecrutésparlemaîtrededeuxmanières:soitparconnaissance,soitdansunefoireappeléefoireauxvaletsoulouées.DansLaPetiteFadette,Landry,bienqu’il souhaite rester travailler chez son maître, se rend en ville pour assister à cettefoire(Voirp.45).Lecontratdelouagedeserviceestuncontratoral.Lesalariéetsonmaîtrenégocient le travail et la rémunération. L’accord ne devient parfait que lorsque ledomestiqueareçudesarrhesappeléesaussiépinglesoudenieràDieu,généralementfixées

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àcinq francsàdéfautdeconventions.Cettesommed’argentnes’imputepassur legage,elle s’ajoute à lui. Le domestique renonçant à son travail doit remettre le double desépingles.Enrevanche,lemaîtrequirenonceaudomestiqueperdsesarrhes.DansLapetiteFadette,onassisteàunetellenégociation,celledupèreBarbeauavecunenourricepoursesbessons:

«TouteslesnourricesquelepèreBarbeauputtrouverluidemandèrentdonc18livresparmois,niplusnimoinsqu’àunbourgeois.LepèreBarbeaun’auraitvouludonnerque12ou15 livres,estimantquec’étaitbeaucouppourunpaysan. Ilcourutdetouslescôtésetdisputaunpeusansrienconclure.(…)EnfinlepèreBarbeaufitunarrangementavecunenourricepour15livres,etilnesetenaitplusqu’àcentsousd’épingles,lorsquesafemmeluidit:–Bah !notremaître, jenevoispaspourquoinousallonsdépenser180ou200 livresparan,commesinousétionsdesmessieursetdames,etcommesij’étaishorsd’âgepournourrirmesenfants.»(p.5-6)Legagevarieenfonctiondutravaileffectué,delaforceàdéployerpourleréaliseretdelaqualitédutravailfourni.Lesouvriersagricolessonttrèssouventpayésàlajournée,d’oùlenom utilisé de journaliers. Mais, ils peuvent être aussi payés à la tâche, aumoment desmoissonsoudesvendanges.DansLesMisérables,JeanValjeanestd’abordsaisonnier:

«Sajeunessesedépensaitainsidansuntravailrudeetmalpayé.(t.1,p.72)Il gagnait dans la saisonde l’émondagedix-huit sous par jour, puis il se louait commemoissonneur, commemanœuvre,commegarçondefermebouvier,commehommedepeine.»(t.2,p.73)Alors que les ouvriers journaliers ne sont pas logés par leur maître, les gens de maisonpartagentaveclamaisonnéedumaîtrelecouvertetlegîte.Engénéral,lesgagessontpeuélevés,maiscertainsarriventàfaireunpeud’économiessurleursgages,commelaGrandeManon,dansEugénieGrandet:

«Quoiqu’ellen’eûtquesoixantelivresdegages,ellepassaitpourunedesplusrichesservantesdeSaumur.Cessoixantelivres,accumuléesdepuistrentecinqansluiavaientpermisdeplacerrécemmentquatremillelivresenviager chez maître Cruchot. Ce résultat des longues et persistantes économies de la Grande Nanon parutgigantesque.»(p.12)

Lesgagesdesgensdemaisonsontaussidiscutés;DansLeRougeetleNoir,lorsquelepèreSorelplace Julien chezM.deRênal, commeprécepteur, il négocie sesgages.Alorsque lemaireluiaproposé300frparanaveclanourritureetl’habillement,ilnégocieencore:

«–Ohbien!ditSoreld’untondevoixtraînard,ilnerestedoncplusqu’ànousmettred’accordsuruneseulechosel’argentquevousluidonnerez.–Comment!s’écriaM.deRênal indigné,noussommesd’accorddepuishier : jedonnetroiscentsfrancs ; jecroisquec’estbeaucoup,etpeut-êtretrop.–C’étaitvotreoffre, jene leniepoint,dit levieuxSorel,parlantencoreplus lentement ;et,paruneffortdegénie qui n’étonnera que ceux qui ne connaissent pas les paysans francs-comtois, il ajouta, en regardantfixementM.deRênal:Noustrouvonsmieuxailleurs.Àcesmotslafiguredumairefutbouleversée.Ilrevintcependantàlui,et,aprèsuneconversationsavantededeux grandes heures, où pas unmot ne fut dit au hasard, la finesse du paysan l’emporta sur la finesse del’homme riche, qui n’en a pas besoin pour vivre. Tous les nombreux articles qui devaient régler la nouvelleexistencedeJuliensetrouvèrentarrêtés;nonseulementsesappointementsfurentréglésàquatrecentsfrancs,maisondutlespayerd’avance,lepremierdechaquemois.–Ehbien!jeluiremettraitrente-cinqfrancs,ditM.deRênal.

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–Pourfaire lasommeronde,unhommericheetgénéreuxcommemonsieurnotremaire,dit lepaysand’unevoixcâline,irabienjusqu’àtrente-sixfrancs.(p.17-18)AuXIX°,enville,lesouvrierssonttrèsmalpayés.Ilssontpayésàlasemaine,àlajournéeouà la tâche. De plus, on assiste à l’emploi des femmes, qui sont encore plus mal payées,commeFantine,dansLesMisérables:

«Elle cousait dix-sept heures par jour ;mais un entrepreneur du travail des prisons qui faisait travailler lesprisonnièresaurabais,fittoutàcoupbaisserlesprix,cequiréduisitlajournéedesouvrièreslibresàneufsous.Dix-septheuresdetravail,etneufsousparjour!»(t.1,p.160)

Dansnotrecorpus, lessalairesdesemployéssont trèssouventmentionnés.DansBel-Ami,Duroy vit dans une chambre misérable et est forcé de travailler dans la compagnie descheminsdeferpourunsalairedérisoirede«quinzecentsfrancsparan,riendeplus.»(p.5).Forestierluiproposed’entrercommerédacteuràLaVieFrançaise:«Tutoucheraspourceladeuxcentsfrancsparmoisdefixe,plusdeuxsouslalignepourleséchosintéressantsde ton cru, (…) plus deux sous la ligne également pour les articles qu’on te commandera sur des sujetsdivers,(…)»(p.38)

DansAuBonheurdesDames,lesconditionsdetravailmisérablesetdeviedesemployésducommerce sont longuement analysées.Denise, la niècedudrapierBaudu, est embauchéedanslegrandmagasin,aupair:

«Laveille,onluiavaitditqu’elleentraitaupair,c’est-à-diresansappointementsfixes;elleauraituniquementle tant pour cent et la guelte sur les ventes qu’elle ferait.Mais elle espérait bien arriver ainsi à douze centsfrancs,carellesavaitquelesbonnesvendeusesallaient jusqu’àdeuxmille,quandellesprenaientdelapeine.Sonbudgetétaitréglé,centfrancsparmoisluipermettraientdepayerlapensiondePépéetd’entretenirJean,quinetouchaitpasunsou;elle-mêmepourraitacheterquelquesvêtementsetdulinge.»(p.70)

Mais,elleatoujoursdesproblèmesd’argent:

«Ellerestaittoujoursaupair,sansappointementsfixes;et,commecesdemoisellesdurayonl’empêchaientdevendre, elle arrivait tout juste à payer la pension de Pépé, grâce aux clientes sans conséquence qu’on luiabandonnait.C’étaitpourelleunemisèrenoire,lamisèreenrobedesoie.»(p.96)

Deplus,elle vit, comme lesautresemployés, laprécaritéde l’emploi. Tous sont soumisàune surveillance permanente et le patron peut les renvoyer sans préavis. C’est ce qui luiarrive:

« Alors, sans même prévenir Deloche ni Pauline, elle passa tout de suite à la caisse. – Mademoiselle, ditl’employé,vousavezvingt-deuxjours,çafaitdix-huitfrancssoixante-dix,auxquelsilfautajouterseptfrancsdetantpourcentetdeguelte…C’estbienvotrecompte,n’est-cepas?–Oui,monsieur…Merci.EtDenise s’enallaitavec sonargent, lorsqu’elle rencontraenfinRobineau. Il avaitapprisdéjà le renvoi, il luipromitderetrouver l’entrepreneusedecravates.Toutbas, il laconsolait, il s’emportait :quelleexistence!sevoirà lacontinuellemercid’uncaprice!être jetédehorsd’uneheureà l’autre,sanspouvoirmêmeexiger lesappointementsdumoisentier!»(p.139-140)Cetteprécaritéesttrèsimportanteenpériodedemorte-saison,carl’emplois’yfaitrare.

«Elleeutbeauseprésenterdans lesmagasins,à laPlaceClichy,auBonMarché,auLouvre: lamorte-saisonarrêtaitpartoutlesaffaires,onlarenvoyaitàl’automne,plusdecinqmilleemployésdecommerce,congédiés

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commeelle,battaient lepavé,sansplace.Alors,elletâchadeseprocurerdepetitstravaux;seulement,dansson ignorance de Paris, elle ne savait où frapper, acceptait des besognes ingrates, ne touchait même pastoujourssonargent.»(p.143)

AuBonheurdesDamesembaucheaussidenombreuxhommes:descommis,desvendeurs,maisaussidesouvriersdestinésàfairefonctionner lesrouagesdumagasin:réceptiondesmarchandises,livraison,correspondance,vérificationdescaisses.Parexemple,Bouthemont,estemployécommechefderayonettouche«outresestroismillefrancsd’appointementsfixes, un tant pour cent sur la vente.» (p.28). Dans cet univers masculin, il règne uneambiancedejalousieetdepersécutionentrelesvendeurs.C’estainsiqueBouthemontravitla place de Robineau, puis se fait ravir sa place par Hutin.mais,Mouret est fier que sesvendeursgagnentplusqu’unfonctionnaire,commeil l’expliqueàVallagnosc,quinegagnequetroismillefrancsauMinistèredel’Intérieur:

« – Voyons, je ne veux pas te faire de la peine, mais avoue que tes diplômes n’ont satisfait aucun de tesbesoins… Sais-tu que mon chef de rayon, à la soie, touchera plus de douze mille francs cette année ?Parfaitement!ungarçond’uneintelligencetrèsnette,quis’enesttenuàl’orthographeetauxquatrerègles…Lesvendeursordinaires,chezmoi,sefonttroisetquatremillefrancs,plusquetunegagnestoi-même;et ilsn’ontpas coûté tes frais d’instruction, ils n’ontpas été lancésdans lemonde, avec lapromesse signéede leconquérir… Sans doute, gagner de l’argent n’est pas tout. Seulement, entre les pauvres diables frottés descience qui encombrent les professions libérales, sans ymanger à leur faim, et les garçons pratiques, arméspourlavie,sachantàfondleurmétier,mafoi!jen’hésitepas,jesuispourceux-cicontreceux-là,jetrouvequelesgaillardscomprennentjolimentleurépoque!»(p.50)

Lesvendeurssonteffectivementbienpayés:

«(…)onprévoyaitqueBouthemontiraitàsestrentemillefrancs,cetteannée-là;Hutindépasseraitdixmille;Favierestimait son fixeet son tantpourcentàcinqmille cinqcents.Chaquesaison, lesaffairesducomptoiraugmentaient,lesvendeursymontaientengradeetydoublaientleurssoldes,commedesofficiersentempsdecampagne.»(p.223)

2.1.1.2L’argentducommerceetdel’industrie

Certainsouvrierspeuventmêmedevenirpatrons.IlenestainsiduPèreGoriotquidesimpleouvriervermicellierestdevenucommerçant:«Jean-Joachim Goriot était, avant la révolution, un simple ouvrier vermicellier, habile, économe, et assezentreprenantpouravoirachetélefondsdesonmaître,quelehasardrenditvictimedupremiersoulèvementde1789. Il s’était établi ruede la Jussienne,prèsde laHalleaux-Blés, et avait eu legrosbon sensd’accepter laprésidencedesasection,afinde faireprotégersoncommercepar lespersonnages lesplus influentsdecettedangereuseépoque.»(p.61-62)DansLeRougeetleNoir,MdeRênalestunricheprovincial,frustrédenepasêtrenobleetd’avoirfaitsarichessedansl’industrieduclou:«C’est aux bénéfices qu’il a faits sur sa grande fabrique de clous que lemaire de Verrières doit cette bellehabitationenpierredetaillequ’ilachèveencemoment.(…)Depuis1815ilrougitd’êtreindustriel:1815l’afaitmairedeVerrières.Lesmursenterrassequisoutiennentlesdiverses parties de ce magnifique jardin qui, d’étage en étage, descend jusqu’au Doubs, sont aussi larécompensedelasciencedeM.deRênaldanslecommercedufer.(…) Les jardins deM. de Rênal, remplis demurs, sont encore admirés parce qu’il a acheté, au poids de l’or,certainspetitsmorceauxduterrainqu’ilsoccupent.Parexemple,cettescieàbois,dontlapositionsingulièresur

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la rive duDoubs vous a frappé en entrant à Verrières, et où vous avez remarqué le nomde SOREL, écrit encaractèresgigantesquessuruneplanchequidomine letoit,elleoccupait, ilyasixans, l’espacesur lequelonélèveencemomentlemurdelaquatrièmeterrassedesjardinsdeM.deRênal.Malgrésafierté,M.lemaireadûfairebiendesdémarchesauprèsduvieuxSorel,paysanduretentêté;iladûlui compterdebeaux louisd’orpourobtenirqu’il transportâtsonusineailleurs.Quantau ruisseaupublicquifaisaitallerlascie,M.deRênal,aumoyenducréditdontiljouitàParis,aobtenuqu’ilfûtdétourné.Cettegrâceluivintaprèslesélectionsde182*.IladonnéàSorelquatrearpentspourun,àcinqcentspasplusbassur lesbordsduDoubs.Et,quoiquecetteposition fût beaucoup plus avantageuse pour son commerce de planches de sapin, le père Sorel, comme onl’appelle depuis qu’il est riche, a eu le secret d’obtenir de l’impatience et de la manie de propriétaire, quianimaitsonvoisin,unesommede6000fr.»(p.2-3)Fouqué, ami de Julien, qui gagne gros dans le commerce du bois, lui propose d’être sonassocié:«–Resteavecmoi,luiditFouqué,jevoisquetuconnaisM.deRênal,M.Valenod,lesous-préfetMaugiron,lecuré Chélan ; tu as compris les finesses du caractère de ces gens-là ; te voilà en état de paraître auxadjudications. Tu sais l’arithmétique mieux que moi, tu tiendras mes comptes. Je gagne gros dans moncommerce.L’impossibilitédetoutfaireparmoi-mêmeetlacraintederencontrerunfripondansl’hommequejeprendraispourassociém’empêchent tous les joursd’entreprendred’excellentesaffaires. Il n’yapasunmoisquej’aifaitgagnersixmillefrancsàMichauddeSaint-Amand,quejen’avaispasrevudepuissixans,etquej’aitrouvéparhasardàlaventedePontarlier.Pourquoin’aurais-tupasgagné,toi,cessixmillefrancs,oudumoinstroismille?car,sicejour-làjet’avaiseuavecmoi,j’auraismisl’enchèreàcettecoupedebois,ettoutlemondemel’eûtbientôtlaissée.Soismonassocié.(p.62)Mais,Julienrefuse,augranddamdeFouqué,quiessaieencoredeleconvaincre:«–Maissonges-tu, luirépétait-il,quejet’associe,ou,situl’aimesmieux,quejetedonnequatremillefrancsparan?ettuveuxretournercheztonM.Rênal,quiteméprisecommelabouedesessouliers!quandtuaurasdeuxcentslouisdevanttoi,qu’est-cequit’empêched’entrerauséminaire?Jetediraiplus,jemechargedeteprocurerlameilleurecuredupays.Car,ajoutaFouquéenbaissantlavoix,jefournisdeboisàbrûlerM.le…,M.le…,M…Jeleurlivredel’essencedechênedepremièrequalitéqu’ilsnemepayentquecommeduboisblanc,maisjamaisargentnefutmieuxplacé.RienneputvaincrelavocationdeJulien.Fouquéfinitparlecroireunpeufou.»(p.63)

DansEugénieGrandet,Grandetestd’abordtonnelier,puisvigneron:

«MonsieurGrandetobtintalors lenouveau titredenoblessequenotremanied’égalitén’effacera jamais : ildevintleplusimposédel’arrondissement.Ilexploitaitcentarpentsdevignes,qui,danslesannéesplantureuses,luidonnaientseptàhuitcentspoinçonsdevin.»(p.4)CésarBirotteau,parfumeur,s’enrichitgrâceàsoncommerceetsesidéesdegénie,commeillerappelleàsonépouse:«Sijet’avaisécoutée,jen’auraisjamaisfaitnilaPâtedesSultanes,nil’Eaucarminative.Notreboutiquenousafait vivre,mais ces deux découvertes et nos savons nous ont donné les cent soixantemille francs que nouspossédonsclairetnet!Sansmongénie,carj’aidutalentcommeparfumeur,nousserionsdepetitsdétaillants,noustirerionslediablepar la queue pour joindre les deux bouts, et je ne serais pas un des notables négociants qui concourent àl’élection des juges au tribunal de commerce, je n’aurais été ni juge ni adjoint. Sais-tu ce que je serais ? unboutiquier commeaété lepèreRagon, soit dit sans l’offenser, car je respecte lesboutiques, leplusbeaudenotrenezenestfait!

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Aprèsavoirvendude laparfumeriependantquaranteans,nousposséderions,commelui, troismille livresderente;etauprixoùsontleschosesdontlavaleuradoublé,nousaurions,commeeux,àpeinedequoivivre.Dejourenjour,cevieuxménage-làmeserrelecœurdavantage.Ilfaudraquej’yvoieclair,etjesaurailefinmotparPopinot,demain!)»(p.9)Avecledéveloppementdugrandcommerce,lepetitcommerceadumalàsurvivre.DansAuBonheurdesDames,lespetitscommerçantsdoiventpeuàpeufermerboutique:«ChaquefoisqueleBonheurdesDamescréaitdesrayonsnouveaux,c’étaientdenouveauxécroulements,chezles boutiquiers des alentours. Le désastre s’élargissait, on entendait craquer les plus vieilles maisons.MademoiselleTatin,lalingèredupassageChoiseul;venaitd’êtredéclaréeenfaillite;Quinette,legantier,enavaitàpeinepoursixmois;lesfourreursVanpouilleétaientobligésdesous-louerunepartiedeleursmagasins;si Bédoré et sœur, les bonnetiers, tenaient toujours, rue Gaillon, ils mangeaient évidemment les rentesamassées jadis. Et voilà que, maintenant, d’autres ruines allaient s’ajouter à ces ruines prévues depuislongtemps : le rayon d’articles de Parismenaçait un bimbelotier de la rue Saint-Roch, Deslignières, un groshomme sanguin ; tandisque le rayondemeublesatteignait lesPiot etRivoire, dont lesmagasinsdormaientdans l’ombredupassageSainte-Anne.Oncraignaitmême l’apoplexiepour lebimbelotier, car ilnedérageaitpas,envoyantleBonheurafficherlesportemonnaieàtrentepourcentderabais.Lesmarchandsdemeubles,pluscalmes,affectaientdeplaisantercescalicotsquisemêlaientdevendredestablesetdesarmoires ;maisdesclientes lesquittaientdéjà, le succèsdu rayons’annonçait formidable.C’était fini, il fallaitplier l’échine :aprèsceux-là,d’autresencoreseraientbalayés,et iln’yavaitplusderaisonpourquetous lescommercesnefussenttouràtourchassésde leurscomptoirs.LeBonheurseul,un jour,couvrirait lequartierdesatoiture.»(p.171)Baudu,ledrapier,essaiedelutterjusqu’aubout:«Les Baudu, cependant,malgré leur volonté de ne rien changer aux habitudes du Vieil Elbeuf, tâchaient desoutenirlaconcurrence.Laclientèlenevenantplusàeux,ilss’efforçaientd’alleràelle,–parl’intermédiairedescourtiers.Ilyavaitalors,surlaplacedeParis,uncourtier,enrapportavectouslesgrandstailleurs,quisauvaitles petites maisons de draps et de flanelles, lorsqu’il voulait bien les représenter. Naturellement, on se ledisputait, il prenait une importance de personnage ; et Baudu, l’ayantmarchandé, eut lemalheur de le voirs’entendre avec les Matignon, de la rue Croix-des-Petits-Champs. Coup sur coup, deux autres courtiers levolèrent;untroisième,honnêtehomme;nefaisaitrien.C’étaitlamortlente,sanssecousse,unralentissementcontinudesaffaires,desclientesperduesuneàune.Lejourvintoùleséchéancesfurentlourdes.Jusque-là,onavaitvécusurleséconomiesd’autrefois;maintenant,ladettecommençait.Endécembre,Baudu,terrifiéparlechiffre des billets souscrits, se résigna au plus cruel des sacrifices : il vendit sa maison de campagne-deRambouillet, une maison qui lui coûtait tant d’argent en réparations continuelles, et dont les locataires nel’avaientpasmêmepayé, lorsqu’il s’était décidéàen tirerparti. Cette vente tuait le seul rêvede sa vie, soncœurensaignaitcommedelaperted’unepersonne,chère.Etildutcéder,poursoixante-dixmillefrancs,cequilui en coûtait plusdedeux centmille. Encore fut-il heureuxde trouver les Lhomme, ses voisins ; que ledésird’augmenterleursterres,détermina.Lessoixante-dixmillefrancsallaientsoutenirlamaisonpendantquelquetempsencore.Malgrétousleséchecs,l’idéedelalutterenaissait:avecdel’ordre,àprésent,onpouvaitvaincrepeut-être.»(p.172)Mêmelesouvriersfinissentpargagnerplusquelepetitcommerçant,commeleconstatelepèredeBouthemont:«Envoyé à Paris par son père, qui tenait là-bas un magasin de nouveautés, il avait absolument refusé deretourneraupays,quandlebonhommes’étaitditque legarçondevaitensavoirassez longpour luisuccéderdans son commerce ; et,dès lors,une rivalitéavaitgrandientre lepèreet le fils, lepremier toutà sonpetitnégoceprovincial, indignéde voir un simple commisgagner le triple de cequ’il gagnait lui-même, le second

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plaisantantlaroutineduvieux,faisantsonnersesgainsetbouleversantlamaison,àchacundesespassages.»(p.28)Enfait,lesgrandsmagasinsécrasentlepetitcommerce.Mourets’enrichitenséduisantsansvergognesaclientèlepetitebourgeoiseetenexploitantlafièvreacheteusedesfemmes.Sonascensionsocialeestextraordinaire.Sonchiffred’affairesn’arrêtepasdemonter,commeonpeutleconstaterdanslesextraitssuivants:«–Quatre-vingtmilleseptcentquarante-deuxfrancsdixcentimes!UnriredejouissancesoulevaleBonheurdesDames.Lechiffrecourait.C’étaitleplusgroschiffrequ’unemaisondenouveautésn’eûtencorejamaisatteintenunjour.»(p.91)«Ledernierinventairedugrandmagasin,cechiffredequarantemillionsd’affaires,avaitaussirévolutionnélevoisinage. Il courait de maison en maison, au milieu de cris de surprise et de colère. Quarante millions !songeait-on à cela ? Sans doute, le bénéfice net se trouvait au plus de quatre pour cent, avec leurs fraisgénérauxconsidérableset leursystèmedebonmarché.Maisseizecentmille francsdegainétaitencoreunejolie somme, on pouvait se contenter du quatre pour cent, lorsqu’on opérait sur des capitaux pareils. Onracontait que l’ancien capital deMouret, les premiers cinq centmille francs augmentés chaque année de latotalitédesbénéfices,uncapitalquidevaitêtreàcetteheuredequatremillions,avaitainsipassédix foisenmarchandises,danslescomptoirs.»(p.171)«–Cinqcentquatre-vingt-septmille,deuxcentdixfrancs,trentecentimes!crialecaissier,dontlafacemolleetuséesemblaits’éclairerd’uncoupdesoleil,aurefletd’unepareillesomme.C’étaitlarecettedelajournée,laplusfortequeleBonheureûtencorefaite.(…)(…) Le caissier et son fils se déchargèrent. La sacoche eut une claire sonnerie d’or, deux des sacs en crevantlâchèrentdescouléesd’argentetdecuivre,tandisque,duportefeuille,sortaientdescoinsdebilletsdebanque.Tout un bout du grand bureau fut couvert, c’était comme l’écroulement d’une fortune, ramassée en dixheures.»(p.209)«Est-cequeleschiffresnesontpaslàetnedémontrentpaslaprogressionconstantedenotrevente?D’abord,avecuncapitaldecinqcentmillefrancs,jefaisaisdeuxmillionsd’affaires.Cecapitalpassaitquatrefois.Puis,ilest devenu de quatre millions, a passé dix fois et a produit quarante millions d’affaires. Enfin, après desaugmentations successives, je viens de constater, lors du dernier inventaire, que le chiffre d’affaires atteintaujourd’huiletotaldequatre-vingtsmillions;etlecapital,quin’aguèreaugmenté,carilestseulementdesixmillions,adoncpasséenmarchandisessurnoscomptoirsplusdedouzefois.»(p.245)«–Unmillion,deuxcentquarante-septfrancs,quatre-vingt-quinzecentimes!Enfin,c’étaitlemillion,lemillionramasséenunjour,lechiffredontMouretavaitlongtempsrêvé!(…)Lemillioncouvritlebureau,écrasalespapiers,faillitrenverserl’encre;etl’or,etl’argent,etlecuivre,coulantdessacs,crevantdessacoches,faisaientungrostas,letasdelarecettebrute,tellequ’ellesortaitdesmainsdelaclientèle,encorechaudeetvivante.»(p.336)AprèsavoirquittéAuBonheurdesdamesetmontésonproprecommerce,Robineaunerêvequedesusciteraumagasindesconcurrences.Une lutte s’engageentre lesdeuxmagasinspourvendredelasoie(leParis-Bonheur)aumeilleurprix:«Robineau,usantdesarmesdesonadversaire,avaitfaitdelapublicitédanslesjournaux.Enoutre,ilsoignaitsonétalage,entassaitàsesvitrinesdespilesénormesdelafameusesoie,l’annonçaitpardegrandespancartesblanches,oùsedétachaitenchiffresgéantsleprixdecinqfrancscinquante.C’étaitcechiffrequirévolutionnaitles femmes:deuxsousdemeilleurmarchéqu’auBonheurdesDames,et lasoieparaissaitplusforte.Dès lespremiersjours,ilvintunflotdeclientes:madameMarty,sousleprétextedesemontreréconome,achetaunerobedontellen’avaitpasbesoin;madameBourdelaistrouval’étoffebelle,maisellepréféraattendre,flairantsansdoutecequiallaitsepasser.Lasemainesuivante,eneffet,Mouret,baissantcarrémentleParis-Bonheurdevingtcentimes,ledonnaàcinqfrancsquarante;ilavaiteu,avecBourdoncleetlesintéressés,unediscussionvive, avant de les convaincre qu’il fallait accepter la bataille, quitte à perdre sur l’achat ; ces vingt centimesétaientunepertesèche,puisqu’onvendaitdéjàauprixcoûtant.LecoupfutrudepourRobineau, ilnecroyait

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pasquesonrivalbaisserait,carcessuicidesdelaconcurrence,cesventesàperteétaientencoresansexemple;et le flot des clientes, obéissant au bonmarché, avait tout de suite reflué vers la rueNeuve-Saint-Augustin,tandis que le magasin de la rue Neuve-des-Petits-Champs se vidait. Gaujean accourut de Lyon, il y eut desconciliabuleseffarés,onfinitparprendreunerésolutionhéroïque:lasoieseraitbaissée,onlalaisseraitàcinqfrancstrente,prixau-dessousduquelpersonnenepouvaitdescendre,sansfolie.Lelendemain,Mouretmettaitsonétoffeàcinqfrancsvingt.Et,dès lors,cefutunerage:Robineaurépliquaparcinqfrancsquinze,Mouretaffichacinqfrancsdix.Tousdeuxnesebattaientplusqued’unsou,perdantdessommesconsidérables,chaquefoisqu’ils faisaientcecadeauaupublic.Lesclientesriaient,enchantéesdeceduel,émuesdescoupsterriblesque se portaient les deuxmaisons, pour leur plaire. Enfin,Mouret osa le chiffre de cinq francs ; chez lui, lepersonnelétaitpâle,glacéd’unteldéfiàlafortune.Robineau,atterré,horsd’haleine,s’arrêtademêmeàcinqfrancs,netrouvantpaslecouragededescendredavantage.Ilscouchaientsurleurspositions,faceàface,aveclemassacredeleursmarchandisesautourd’eux.»(p.153-154)Mais,ilestdifficiledeluttercontrelesgrandsmagasins.Robineauéchoue,carilnedisposepasdesmêmesatoutsfinanciers:«Maissi,departetd’autre, l’honneurétaitsauf, lasituationdevenaitmeurtrièrepourRobineau.LeBonheurdes Dames avait des avances et une clientèle qui lui permettaient d’équilibrer les bénéfices ; tandis que lui,soutenu seulement parGaujean, ne pouvant se rattraper sur d’autres articles, restait épuisé, glissait chaquejourunpeusurlapentedelafaillite.Ilmouraitdesatémérité,malgrélaclientèlenombreusequelespéripétiesde la lutte lui avaientamenée.Unde ses tourments secretsétaitde voir cette clientèle lequitter lentement,retournerauBonheur,aprèsd’argentperduetleseffortsqu’ilavaitfaitspourlaconquérir.»(p.154)2.1.2.L’argentdupatrimoineL’argentseprésenteaussicommeuncapitalnon issudutravail. Il fautalorsdistinguer lesformes traditionnellesducapitalet le capitalmoderne, issudirectementde la spéculation(Voir2.1.5.).2.1.2.1.L’argentdesrentesDanscesformestraditionnelles,ontrouveparticulièrementlarente,c’est-à-direlafortunefoncière,sourceprincipalederichessepourl’aristocratiesousl’AncienRégime.

NombredecommerçantsaviséssontdevenusrentierscommelepèreGoriot:

«Goriot resta vermicellier. Ses filles et sesgendres se choquèrentbientôtde lui voir continuer ce commerce,quoiquece fût toutesavie.Aprèsavoirsubipendantcinqans leurs instances, il consentitàse retireravec leproduit de son fonds, et les bénéfices qu’il avait faits pendant ces dernières années ; capital que madameVauquer,chezlaquelleilétaitvenus’établir,avaitestimérapporterdehuitàdixmillelivresderente.Ils’étaitjetédanscettepensionparsuitedudésespoirquil’avaitsaisienvoyantsesdeuxfillesobligéesparleursmarisderefusernonseulementdeleprendrechezelles,maisencoredel’yrecevoirostensiblement.»(p.63)

OuencorelepèreGrandet,quiasufairedebonsplacements:

LaterredeFroidfond,remarquableparsonparc,sonadmirablechâteau,sesfermes,rivières,étangs,forêts,etvalanttroismillionsfutmiseenventeparlejeunemarquisdeFroidfondobligéderéalisersescapitaux.MaîtreCruchot, le présidentCruchot, l’abbéCruchot, aidéspar leursadhérents, surent empêcher la venteparpetitslots.Lenotaireconclutaveclejeunehommeunmarchéd’orenluipersuadantqu’ilyauraitdespoursuitessansnombre à diriger contre les adjudicataires avant de rentrer dans le prix des lots ; il valait mieux vendre àmonsieur Grandet, homme solvable, et capable d’ailleurs de payer la terre en argent comptant. Le beau

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marquisatdeFroidfondfutalorsconvoyéversl’œsophagedemonsieurGrandet,qui,augrandétonnementdeSaumur,lepaya,sousescompte,aprèslesformalités.CetteaffaireeutduretentissementàNantesetàOrléans.MonsieurGrandetallavoirsonchâteauparl’occasiond’unecharrettequiyretournait.Aprèsavoirjetésursapropriété le coup d’œil du maître, il revint à Saumur, certain d’avoir placé ses fonds à cinq, et saisi de lamagnifiquepenséed’arrondir lemarquisatdeFroidfondeny réunissant tous sesbiens.Puis,pour remplirdenouveausontrésorpresquevide,ildécidadecouperàblancsesbois,sesforêts,etd’exploiterlespeupliersdesesprairies.»(p.9-10)

Ainsis’établitsafortunevisible:

«Il possédait treizemétairies, une vieille abbaye, où, par économie, il avaitmuré les croisées, les ogives, lesvitraux, ce qui les conserva ; et cent vingt-sept arpents de prairies où croissaient et grossissaient troismillepeupliersplantésen1793.Enfinlamaisondanslaquelleildemeuraitétaitlasienne.«(p.4)

DansL’ArgentdeZola,àlamortducomte,lafortunefoncièrereprésenteencore,àtraverslafermedesAublets,l’essentieldelafortunedesBeauvilliers:

«Etlepisétaitques’anéantissaitavecluicettefortunedesBeauvilliers,autrefoiscolossale,assisesurdesterresimmenses,desdomainesroyaux,quelaRévolutionavaitdéjàtrouvéeamoindrie,etquesonpèreetluivenaientd’achever.Decesvastesbiensfonciers,uneseulefermedemeurait,lesAublets,àquelqueslieuesdeVendôme,rapportantenvironquinzemillefrancsderente,l’uniqueressourcedelaveuveetdesesdeuxenfants.L’hôteldelaruedeGrenelleétaitdepuislongtempsvendu,celuidelarueSaint-Lazaremangeaitlagrossepartdesquinzemillefrancsdelaferme,écraséd’hypothèques,menacéd’êtremisenventeàsontour,sil’onnepayaitpaslesintérêts;etilnerestaitguèrequesixouseptmillefrancspourl’entretiendequatrepersonnes,cetraind’unenoblefamillequinevoulaitpasabdiquer.»(p.48)

AlorsqueMmedeBeauvilliersavoueàSaccardsaruine,celui-ciluiexpliquequel’argentdupatrimoinefoncierest,àleurépoque,unargentdevenucaduque:

«Saccard,alors,pourluiévitertoutegêne,renchérit,s’enflamma.– Mais,madame,personnenevitplusdelaterre…L’anciennefortunedomanialeestuneformecaduquedelarichesse,quiacesséd’avoirsaraisond’être.Elleétaitlastagnationmêmedel’argent,dontnousavonsdécupléla valeur, en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes,commerciauxet financiers.C’estainsique lemondevaêtre renouvelé, car rienn’étaitpossible sans l’argent,l’argentliquidequicoule,quipénètrepartout,nilesapplicationsdelascience,nilapaixfinale,universelle…Oh!lafortunedomaniale!elleestalléerejoindrelespataches.Onmeurtavecunmilliondeterres,onvitaveclequartdececapitalplacédansdebonnesaffaires,àquinze,vingtetmêmetrentepourcent.»(p.94-95)Souvent, le patrimoine est converti en rente viagère, c’est-à-dire en une rente verséejusqu’audécèsdubénéficiaire.DansLesMisérables,lasœurdeM.Myrieltoucheunerenteviagèredecinqcentfrancs(Voirt.1,p.5).

DansEugénieGrandet,EugénieoffreàManonunerenteviagèrede600francs:

«UndesespremiersactesfutdedonnerdouzecentsfrancsderenteviagèreàNanon,qui,possédantdéjàsixcentsautresfrancs,devintunricheparti.Enmoinsd’unmois,ellepassadel’étatdefilleàceluidefemme,sousla protection d’Antoine Cornoiller, qui fut nommé garde-général des terres et propriétés de mademoiselleGrandet»(p.118)

2.1.2.2.L’argentdelatransmissionsuccessorale

La transmission successorale (ou succession) renvoie à la notion de partage de biensmobiliers ou immobiliers d’une personne, à sa mort. Elle comprend l’héritage qui est la

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transmissiondesonpatrimoineàsesayants-droitsetlelegsquiestlatransmissiond’unouplusieurs de ses biens, faite par testament lors de son vivant, à quelqu’un qui n’est pasforcémentunayant-droit.DansLeRougeetleNoir,MmeDeRênalattendl’héritagedesatantedeBesançon:«Vousêtesenvié,monsieur,àqui lafaute?àvostalents :votresageadministration,vosbâtissespleinesdegoût,ladotquejevousaiapportée,etsurtoutl’héritageconsidérablequenouspouvonsespérerdemabonnetante, héritage dont on s’exagère infiniment l’importance, ont fait de vous le premier personnage deVerrières.»(p.110-111)

DansManonLescaut,desGrieux,comptesurl’héritagedesamère:

«J’étaisplusfieretpluscontentavecManonetmescentpistoles,queleplusrichepartisandeParisavecsestrésorsentassés.Ilfautcomptersesrichessesparlesmoyensqu’onadesatisfairesesdésirs:jen’enavaispasun seulà remplir. L’avenirmêmemecausaitpeud’embarras. J’étaispresquesûrquemonpèrene feraitpasdifficultédemedonnerdequoivivrehonorablementàParis,parcequ’étantdansmavingtièmeannée,j’entraisendroitd’exigermapartdubiendemamère.JenecachaipointàManonquelefondsdemesrichessesn’étaitque de cent pistoles. C’était assez pour attendre tranquillement une meilleure fortune, qui semblait ne mepouvoirmanquer,soitparmesdroitsnaturels,ouparlesressourcesdujeu.»(p.69)

DansEugénieGrandet,Grandethéritesuccessivement«demadamedeLaGaudinière,néedeLaBertellière,mèredemadameGrandet;puisduvieuxmonsieurLaBertellière,pèredeladéfunte ; et encoredemadameGentillet, grand-mèredu côtématernel : trois successionsdontl’importancenefutconnuedepersonne»(p.4).

DansLaPetiteFadette, lajeunefilletrouve,commehéritage,unvéritabletrésorcachéparsa grand-mère. Il est contenu dans un panier qu’elle apporte chez le Père Barbeau, pourl’évaluer:

«AlorslapetiteFadetterelevalestementlesdeuxcouverclesdupanier,etentiradeuxgrossacs,chacundelacontenancededeuxmillefrancsécus.– Eh bien ! c’est assez gentil, lui dit le père Barbeau, et voilà une petite dot qui vous fera rechercher parplusieurs.–Cen’estpasletout,ditlapetiteFadette;ilyaencorelà,aufonddupanier,quelquepetitechosequejeneconnaisguère.Etelletirauneboursedepeaud’anguille,qu’elleversadanslechapeaudupèreBarbeau.Ilyavaitcentlouisd’orfrappésàl’anciencoin,quifirentarrondirlesyeuxaubravehomme;et,quandilleseutcomptésetremisdans la peaud’anguille, elle en tira une secondede lamême contenance, et puis une troisième, et puis unequatrième,etfinalement,tantenorqu’enargentetmenuemonnaie,iln’yavait,danslepanier,pasbeaucoupmoinsdequarantemillefrancs.C’étaitenvironletiersenplusdetoutl’avoirquelepèreBarbeaupossédaitenbâtiments,et,commelesgensdecampagneneréalisentguèreenespècessonnantes,jamaisiln’avaitvutantd’argentàlafois.Sihonnêtehommeetsipeuintéresséquesoitunpaysan,onnepeutpasdirequelavuedel’argentluifassedelapeine;aussilepèreBarbeaueneut,pourunmoment,lasueuraufront.Quandileuttoutcompté:–Ilnetemanque,pouravoirquarantefoismillefrancs,dit-il,quevingtdeuxécusetautantdirequetuhéritespour ta part dedeuxmille belles pistoles sonnantes ; ce qui fait que tu es le plus beauparti dupays, petiteFadette,etque ton frère, le sauteriot,peutbienêtre chétif etboiteux toute savie : il pourraaller visiter sesbiensencarriole.Réjouis-toidonc, tupeux tedire richeet le faireassavoir, si tudésires trouverviteunbeaumari.»(p.117-118)

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Dans L’Argent de Zola, Mme Caroline et son frère reçoivent de manière opportune unhéritageleurpermettantderembourserlequartetlaprimedeleursactions:

«(…)unhéritageinattendud’environtroiscentmillefrancsleurétanttombéd’unetante,mortedixjoursaprèssonfilsunique,tousdeuxemportésparlamêmefièvre.»(p.131)

Mais,MmeCarolinenevalorisepascetargent,cariln’estpasleproduitdutravail:

«– N’importe,sijel’avaisgagné,cetargent,jevousrépondsquejenelerisqueraispasdansvosaffaires…Maisune tante que nous avons à peine connue, un argent auquel nous n’avions jamais pensé, enfin de l’argenttrouvé par terre, quelque chose qui neme semblemême pas très honnête et dont j’ai un peu honte…Vouscomprenez,ilnemetientpasaucœur,jeveuxbienleperdre.»(p.131)

Leshéritagessontbiensouventconvoités.IlenestainsidansEugénieGrandet.Alamortdesamère, Eugénie étant sa seule héritière, pourrait exiger le partage de la succession.Or,Grandetapprendque l’inventaireet lepartagedecelle-ci coûteraientenvironquatrecentmillefrancsets’exclame:«Celaestdoncbienvrai.Jeseraidépouillé,trahi,tué,dévoréparma fille» (p.110). Avec beaucoup demalignité, il obtient donc que sa fille renonce à sonhéritage:

« –Ma chère enfant, dit-il à Eugénie lorsque la table fut ôtée et les portes soigneusement closes, te voilàhéritièredetamère,etnousavonsdepetitesaffairesàréglerentrenousdeux.Pasvrai,Cruchot?–Oui.(…)–Mademoiselle,monsieurvotrepèrenevoudraitnipartager,nivendresesbiens,nipayerdesdroitsénormespour l’argent comptant qu’il peut posséder. Donc, pour cela, il faudrait se dispenser de faire l’inventaire detoutelafortunequiaujourd’huisetrouveindiviseentrevousetmonsieurvotrepère…(…)–Eh!bien,ditlenotaire,ilfaudraitsignercetacteparlequelvousrenonceriezàlasuccessiondemadamevotremère, et laisseriez à votre père l’usufruit de tous les biens indivis entre vous, et dont il vous assure la nue-propriété…– Jenecomprends rienà tout cequevousmedites, réponditEugénie,donnez-moi l’acte,etmontrez-moi laplaceoùjedoissigner.Le père Grandet regardait alternativement l’acte et sa fille, sa fille et l’acte, en éprouvant de si violentesémotionsqu’ils’essuyaquelquesgouttesdesueurvenuessursonfront.–Fifille,dit-il,aulieudesignercetactequicoûteragrosàfaireenregistrer,situvoulaisrenoncerpurementetsimplementà lasuccessiondetapauvrechèremèredéfunte,ett’enrapporteràmoipour l’avenir, j’aimeraismieuxça.Jeteferaisalorstouslesmoisunebonnegrosserentedecentfrancs.Vois,tupourraispayerautantdemessesquetuvoudraisàceuxpourlesquelstuenfaisdire…Hein!centfrancsparmois,enlivres?–Jeferaitoutcequ’ilvousplaira,monpère.–Mademoiselle,ditlenotaire,ilestdemondevoirdevousfaireobserverquevousvousdépouillez…–Eh!monDieu,dit-elle,qu’est-cequecelamefait?–Tais-toi,Cruchot.C’estdit,c’estdit,s’écriaGrandetenprenantlamaindesafilleetyfrappantaveclasienne.Eugénie,tunetedédiraspoint,tuesunehonnêtefille,hein?–Oh!monpère!…Ill’embrassaaveceffusion,laserradanssesbrasàl’étouffer.–Va,monenfant,tudonneslavieàtonpère;maistuluirendscequ’ilt’adonné:noussommesquittes.Voilàcommentdoiventsefairelesaffaires.Lavieestuneaffaire.Jetebénis!Tuesunevertueusefille,quiaimebiensonpapa.Faiscequetuvoudrasmaintenant.Àdemaindonc,Cruchot,dit-ilenregardantlenotaireépouvanté.Vousverrezàbienpréparerl’actederenonciationaugreffedutribunal.»(p.114-116)Mais,Eugéniefinitparhériterdesonpère:«Aprèslamortdesonpère,EugénieappritparmaîtreCruchotqu’ellepossédaittroiscentmillelivresderenteenbiens-fondsdans l’arrondissementdeSaumur, sixmillionsplacésen troispourcentàsoixante francs,et il

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valait alors soixante-dix-sept francs ; plus deuxmillions en or et centmille francs en écus, sans compter lesarréragesàrecevoir.L’estimationtotaledesesbiensallaitàdix-septmillions.»(p.118)Laconvoitised’unhéritagepeutconduireàdesmachinationscriminelles(Voir2.1.6).DansLePèreGoriot,Vautrinveuts’emparerdel’héritagedeVictorineTaillefer,quesonpèreveutdéshériter.Pourprofiterdecettefortune, ilpousseRastignacàséduireetàépousercettedemoiselle.

«LepèreTaillefer estun vieux coquinquipassepouravoir assassiné l’unde sesamispendant la révolution.C’estundemesgaillardsquiontde l’indépendancedans lesopinions. Il estbanquier,principalassociéde lamaison Frédéric Taillefer et compagnie. Il a un fils unique, auquel il veut laisser son bien, au détriment deVictorine.Moi, je n’aime pas ces injustices là. Je suis comme donQuichotte, j’aime à prendre la défense dufaiblecontrelefort.SilavolontédeDieuétaitdeluiretirersonfils,Tailleferreprendraitsafille,ilvoudraitunhéritierquelconque,unebêtisequiestdanslanature,etilnepeutplusavoird’enfants,jelesais.Victorineestdouce,elleestgentille;elleaurabientôtentortillésonpèreetleferatournercommeunetoupied’Allemagneaveclefouetdusentiment!Elleseratropsensibleàvotreamourpourvousoublier,etvousl’épouserez.Moi,jemechargedurôledelaProvidence,jeferaivouloirlebonDieu.»(p.77)

DansBel-Ami,àlamortducomtedeVaudrec,unamidelafamille,Madeleinedoittoucherunmilliondefrancs:«Je soussigné, Paul-Émile-Cyprien-Gontran, comte de Vaudrec, sain de corps et d’esprit, exprime ici mesdernièresvolontés.(…)«N’ayantpasd’héritiersdirects,jelèguetoutemafortune,composéedevaleursdeboursepoursixcentmillefrancs et de bien-fonds pour cinq cent mille francs environ, à Mme Claire-Madeleine Du Roy, sans aucunecharge ou condition. Je la prie d’accepter ce don d’un ami mort, comme preuve d’une affection dévouée,profondeetrespectueuse.»(p.215)Mais,Duroy,quiveuts’emparerdecetargent,trouvequecettesommeestindécentepouruneseulepersonne,etpenseque,siellel'accepte,lesgenspenserontqueVaudrecétaitsonamant.IlexigedoncdepartagerlasommeetsetrouveavecquatrecentmillefrancsvenudelasuccessiondeVaudrec,aprèsavoirdonnécinquantemillefrancsauneveududéfunt.

2.1.3.L’argentdel’économiesentimentale

2.1.3.1.L’argentdeladotetlesmariagesd’intérêt

L’amour s’achèteégalement comme lemontre l’institutionde ladot.AuXVIII° et auXIX°,pourunhomme, lemariageest leplussouventun investissement.Eneffet, laplupartdesmariagessontarrangéspourdesraisonsd’argent,desterresetdespropriétésfoncièresoudestitresdenoblesse.Deplus,ilfautsemarieravecquelqu’undelamêmeclassesocialeoùau-dessus.L’échecd’unmariaged’intérêtéquivautàunmauvaisinvestissement.AuXIX°,leCodeNapoléonrèglelesmariagesenFrance.Ilyatroissortesdemariages:lacommunautédes biens où lemari a le pouvoir total sur les ressources financières de sa femme et enmêmetempsdelafamille;lerégimedotaloùlemaripeutfairecequ’ilveutdesressourcesde sa femme, sauf vendre sespropriétés immobilières sans sonaccord; la séparationdesbiensquipermetàlafemmededisposerdesesbienslibrementàl’exceptiondelaventedesespropriétésoùelledoitavoirlapermissiondesonmari.

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DansEugénieGrandet,Grandets’estappropriéladotdeMmeGrandet:

«Dès que la République française mit en vente, dans l’arrondissement de Saumur, les biens du clergé, letonnelier,alorsâgédequaranteans,venaitd’épouser la filled’unrichemarchanddeplanches.Grandetalla,munide sa fortune liquideetde ladot,munidedeuxmille louisd’or, audistrict, où,moyennantdeux centsdoubleslouisoffertsparsonbeau-pèreaufaroucherépublicainquisurveillaitlaventedesdomainesnationaux,ileutpourunmorceaudepain,légalement,sinonlégitimement,lesplusbeauxvignoblesdel’arrondissement,unevieilleabbayeetquelquesmétairies.»(p.3)

Deplus,illuidonnetrèspeud’argentpoursesmenuesdépenses:

«Sonmari ne lui donnait jamais plus de six francs à la fois pour sesmenues dépenses. Quoique ridicule enapparence, cette femmequi, par sa dot et ses successions, avait apporté aupèreGrandet plus de trois centmillefrancs,s’étaittoujourssentiesiprofondémenthumiliéed’unedépendanceetd’unilotismecontrelequelladouceurdesonâmeluiinterdisaitdeserévolter,qu’ellen’avaitjamaisdemandéunsou,nifaituneobservationsur les actes quemaître Cruchot lui présentait à signer. (…) Aussi Grandet, saisi parfois d’un remords en serappelant le longtempsécoulédepuis le jouroù ilavaitdonnésix francsàsafemme,stipulait-il toujoursdesépinglespourelle en vendant ses récoltesde l’année. Lesquatreou cinq louisoffertspar leHollandaisou leBelgeacquéreurdelavendangeGrandetformaientleplusclairdesrevenusannuelsdemadameGrandet.Mais,quandelleavaitreçusescinqlouis,sonmariluidisaitsouvent,commesileurbourseétaitcommune:–As-tuquelques,sousàmeprêter?etlapauvrefemme,heureusedepouvoirfairequelquechosepourunhommequesonconfesseurluireprésentaitcommesonseigneuretmaître, luirendait,danslecourantdel’hiver,quelquesécussurl’argentdesépingles.»(p.15-16)»Alors que sa fille Eugénie espère épouser Charles, celui-ci lui écrit pour lui annoncer sonmariageavecMlleAubrionpourencoreplusd’argentetdestitresdenoblesse,maispasparamour:«L’amour,danslemariage,estunechimère.Aujourd’huimonexpériencemeditqu’ilfautobéiràtouteslesloissociales et réunir toutes les convenances voulues par le monde en se mariant. (…) Aujourd’hui je possèdequatre-vingtmille livres de rente. Cette fortunemepermet dem’unir à la famille d’Aubrion, dont l’héritière,jeunepersonnededix-neufans,m’apporteenmariagesonnom,untitre,laplacedegentilhommehonorairedelachambredeSaMajesté,etunepositiondesplusbrillantes.Jevousavouerai,machèrecousine,quejen’aimepas lemoinsdumondemademoiselled’Aubrion ;mais,parsonalliance, j’assureàmesenfantsunesituationsociale dont un jour les avantages seront incalculables : de jour en jour, les idéesmonarchiques reprennentfaveur.Donc,quelquesannéesplus tard,mon fils, devenumarquisd’Aubrion,ayantunmajoratdequarantemillelivresderente,pourraprendredansl’Étattelleplacequ’illuiconviendradechoisir.»(p.126-127)Alors,Eugénie,n’ayantplusd’espoirquesoncousinl’épouse,décidedesemarierenfaisantunmariagederaisonaveclePrésidentCruchotdeBonfons.Elleluiposedeuxconditions:lemariagedoitresterblancetildoitaller,pourelle,liquiderlesdettesdesononcle.«–Monsieurleprésident,luiditEugénied’unevoixémuequandilsfurentseuls,jesaiscequivousplaîtenmoi.Jurezdemelaisserlibrependanttoutemavie,denemerappeleraucundesdroitsquelemariagevousdonnesurmoi,etmamainestàvous.Oh!reprit-elleenlevoyantsemettreàsesgenoux,jen’aipastoutdit.Jenedoispasvoustromper,monsieur.J’aidans lecœurunsentiment inextinguible.L’amitiésera leseulsentimentquejepuisseaccorderàmonmari:jeneveuxnil’offenser,nicontrevenirauxloisdemoncœur.Maisvousneposséderezmamainetmafortunequ’auprixd’unimmenseservice.–Vousmevoyezprêtàtout,ditleprésident.(…)Vousêtesmagistrat,jenemefiequ’àvousencetteaffaire.Vousêtesunhommeloyal,ungalanthomme;jem’embarquerai sur la foi de votre parole pour traverser les dangers de la vie à l’abri de votre nom.Nous

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aurons l’unpour l’autreunemutuelle indulgence.Nousnous connaissonsdepuis si longtemps, nous sommespresqueparents,vousnevoudriezpasmerendremalheureuse.Leprésidenttombaauxpiedsdelarichehéritièreenpalpitantdejoieetd’angoisse.–Jeseraivotreesclave!luidit-il.–Quandvousaurezlaquittance,monsieur,reprit-elleenluijetantunregardfroid,vouslaporterezavectouslestitresàmoncousinGrandetetvousluiremettrezcettelettre.Àvotreretour,jetiendraimaparole.Le président comprit, lui, qu’il devait mademoiselle Grandet à un dépit amoureux ; aussi s’empressa-t-ild’exécutersesordresaveclaplusgrandepromptitude,afinqu’iln’arrivâtaucuneréconciliationentrelesdeuxamants.»(p.131-132)Bonfons accepte les conditions d’Eugénie, car elle est un bon parti, comme s’en aperçoittroptardl’ambitieuxCharles:«–Ah ! vousépousezEugénie.Eh !bien, j’en suis content, c’estunebonne fille.Mais, reprit-il frappé toutàcoupparuneréflexionlumineuse,elleestdoncriche?–Elleavait, répondit leprésidentd’unairgoguenard,prèsdedix-neufmillions, ilyaquatre jours ;maisellen’enaplusquedix-septaujourd’hui.Charlesregardaleprésidentd’unairhébété.–Dix-sept…mil…–Dix-septmillions,oui,monsieur.Nousréunissons,mademoiselleGrandetetmoi,septcentcinquantemillelivresderente,ennousmariant.»(p.133)DansLePèreGoriot,leBarondeNucingenneveutpasrendrel’argentdesadotàDelphine,commeellel’expliqueàRastignac:

«Vous me voyez riche, opulente, rien ne manque ou je parais ne manquer de rien ! Eh bien, sachez quemonsieurdeNucingennemelaissepasdisposerd’unsou:ilpaietoutelamaison,mesvoitures,mesloges;ilm’allouepourmatoiletteunesommeinsuffisante,ilmeréduitàunemisèresecrèteparcalcul.Jesuistropfièrepourl’implorer.Neserais-jepasladernièredescréaturessij’achetaissonargentauprixoùilveutmelevendre.Comment,moi richede sept centmille francs,me suis-je laissédépouiller ? par fierté, par indignation.Noussommes si jeunes, si naïves, quand nous commençons la vie conjugale ! La parole par laquelle il fallaitdemander de l’argent à mon mari me déchirait la bouche ; je n’osais jamais, je mangeais l’argent de meséconomiesetceluiquemedonnaitmonpauvrepère;puisjemesuisendettée.Lemariageestpourmoilaplushorribledesdéceptions,jenepuisvousenparler:qu’ilvoussuffisedesavoirquejemejetteraisparlafenêtres’il fallait vivre avecNucingenautrement qu’enayant chacunnotre appartement séparé.Quand il a fallu luidéclarermesdettesdejeunefemme,desbijoux,desfantaisies(monpauvrepèrenousavaitaccoutuméesànenous rien refuser), j’ai souffert lemartyre ;mais enfin j’ai trouvé le courage de les dire. N’avais-je pas unefortuneàmoi?Nucingens’estemporté, ilm’aditquejeleruinerais,deshorreurs!J’auraisvouluêtreàcentpieds sous terre. Comme il avait pris ma dot, il a payé ; mais en stipulant désormais pour mes dépensespersonnellesunepensionàlaquellejemesuisrésignée,afind’avoirlapaix.»(p.100-101)LadotestnonseulementlaressourcequiapayélesdettesdeMadameNucingenmaisaussil’avantage queMonsieur Nucingen a de contrôler sa femme et ses dépenses. Lemariagedevientainsiunmécanismedecontrôledesonargent.

Dans cemême roman,Vautrin, qui aproposéàRastignacde lui arranger lemariageavecMlleTaillefer(Voir2.1.2.2.),luidemandesapartdeladot:

«Endeuxmots,si jevousprocureunedotd’unmillion,medonnerez-vousdeuxcentmillefrancs?Vingtpourcentdecommission,hein!est-cetropcher?Vousvousferezaimerdevotrepetitefemme.Unefoismarié,vousmanifesterezdesinquiétudes,desremords,vousferezletristependantquinzejours.Unenuit,aprèsquelquessingeries, vousdéclarerez,entredeuxbaisers,deuxcentmille francsdedettesàvotre femme,en luidisant :Monamour!Cevaudevilleestjouétouslesjoursparlesjeunesgenslesplusdistingués.Unejeunefemmene

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refusepassabourseàceluiqui luiaprissoncoeur.Croyez-vousquevousyperdrez?Non.Voustrouverez lemoyen de regagner vos deux cent mille francs dans une affaire. Avec votre argent et votre esprit vousamasserezune fortuneaussi considérablequevouspourrez la souhaiter.Ergovousaurez fait,ensixmoisdetemps,votrebonheur,celuid’unefemmeaimableetceluidevotrepapaVautrin;sanscompterceluidevotrefamille,quisouffledanssesdoigts,l’hiver,fautedebois.Nevousétonneznidecequejevouspropose,nidecequejevousdemande!SursoixantebeauxmariagesquiontlieudansParis,ilyenaquarante-septquidonnentlieuàdesmarchéssemblables.LaChambredesNotairesaforcémonsieur…»(p.74-76)DansUneVie,JuliensemarieavecJeanneparintérêt.Dèsledébut,lorsduvoyagedenoces,ils’emparedesonargent:

«Les adieux furent courts et sans tristesse. La baronne seule semblait émue ; et ellemit, aumoment où lavoitureallaitpartir,unegrossebourselourdecommeduplombdanslamaindesafille:«C’estpourtespetitesdépensesdejeunefemme,»dit-elle.Jeannelajetadanssapoche;etleschevauxdétalèrent.VerslesoirJulienluidit:«Combientamèret’a-t-elledonnédanscettebourse?»Ellen’ypensaitplusetellelaversasursesgenoux.Unflotd’orserépandit:deuxmillefrancs.Ellebattitdesmains.«Jeferaidesfolies,»etelleresserral’argent.»(p.43-44)«EnarrivantàBastia,ilfallutpayerleguide.Julienfouilladanssespoches.Netrouvantpointcequ’illuifallait,ilditàJeanne:«Puisquetuneteserspasdesdeuxmillefrancsdetamère,donne-les-moidoncàporter. Ilsseront plus en sûreté dans ma ceinture ; et cela m’évitera de faire de la monnaie. » «Et elle lui tendit sabourse.»(p.52)«IlsdevaientfaireàParistousleursachatspourleurinstallationdéfinitiveauxPeuples;etJeanneseréjouissaitderapporterdesmerveilles,grâceaucadeaudepetitemère;maislapremièrechoseàlaquelleellesongeafutlepistoletpromisàlajeuneCorsed’Evisa.LelendemaindeleurarrivéeelleditàJulien:«Monchéri,veux-tumerendrel’argentdemamanparcequejevaisfairemesemplettes?»Ilsetournaverselleavecunvisagemécontent.«Combientefaut-il?»Ellefutsurpriseetbalbutia:«Mais….cequetuvoudras.»Ilreprit:«Jevaistedonnercentfrancs;surtoutnelesgaspillepas.»Ellenesavaitplusquedire,interditeetconfuse.Enfinelleprononça,enhésitant:«Mais…je…t’avaisremiscetargentpour…..»Ilnelalaissapasachever.«Oui,parfaitement.Quecesoitdanstapocheoudanslamienne,qu’importe,dumomentquenousavonslamêmebourse.Jenet’enrefusepoint,n’est-cepas,puisquejetedonnecentfrancs.»Elleprit lescinqpiècesd’or,sansajouterunmot ;maisellen’osaplusendemanderd’autresetellen’achetarienquelepistolet.»(p.53)Demême,dansceroman,siDésiréLecoqépouseRosalie,lapetitebonnequ’amisenceinteJulien,c’estuniquementdansl’optiquedel’argentquiluiseraremisencontrepartie.C’estpourquoiiln’hésitepasunesecondeà«marchander»cemariage:

«Maislebarons’irritaitdecestergiversations:«Sacrebleu!répondezfranchement:est-cepourçaquevousvenez,ouiounon?Laprenez-vous,ouiounon?»L’homme,perplexe,neregardaitplusquesespieds:«Sic’estc’queditm’sieul’curé,j’laprends;maissic’estc’queditm’sieuJulien,j’laprendspoint.–Qu’est-cequevousaditM,Julien?–«M’sieu Julien imaditqu’j’auraisquinzecents francs ;etm’sieu l’curé imaditque j’n’auraisvingtmille ;j’veuxbenpourvingtmille,maisj’veuxpointpourquinzecents.»(…)«J’aiditàM.lecuréquevousauriezlafermedeBarville,votreviedurant,pourrevenirensuiteàl’enfant.Ellevautvingtmillefrancs.Jen’aiqu’uneparole.Est-cefait,ouiounon?»

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L’hommesouritd’unairhumbleetsatisfait,etdevenusoudainloquace:«Oh!pourlors,jen’dispasnon.N’yavaitqu’çaquim’opposait.»(p.92-93)Dans Bel-Ami, Duroy s’enrichit au fur et à mesure des rencontres amoureuses et de sesmariages.Parexemple,MadeleineForestierapporteavecellequarantemillefrancsdedotainsiqu'unappartementdéjàpayéetmeublé.

«Ils s’étaient associés sous le régimede la séparationdebiens, et tous les cas étaient prévus qui pouvaientsurvenir:mort,divorce,naissanced’unoudeplusieursenfants.Lejeunehommeapportaitquatremillefrancs,disait-il,mais,surcettesomme, ilenavaitempruntéquinzecents.Leresteprovenaitd’économiesfaitesdansl’année, en prévision de l’évènement. La jeune femme apportait quarante mille francs que lui avait laissésForestier,disait-elle.»(p.144)Duroyestalorsleplusheureuxdeshommes,ilseprendpourunmillionnaire,ilcroitêtreleplusricheetpensequepersonnenepourralerejoindre.Maissacupiditéestsansbornes:aumomentoù le coupdeBoursequi lui rapporte soixante-dixmille francs en fait gagnerquaranteàcinquantemillionsàMonsieurWalter,sonpatronetrival,ildécidedeprendresarevanchesursonpatron.PourcelailséduitSuzanne,laplusjeuneetplusjoliedesesfillesetempocheunenouvelledotfaramineuse.

Dans La Curée, Saccard s’arrange pour que le contrat de mariage avec Renée lui soitfavorable,carilveutspéculersurl’immeubledelaruedelaPépinière(Voir2.1.5.2):

«Chez le notaire, il éleva une difficulté, il dit que la dot de Renée ne se composant que de biens-fonds, ilcraignait pour elle beaucoup de tracas, et qu’il croyait sage de vendre aumoins l’immeuble de la rue de laPépinière pour lui constituer une rente sur le grand-Livre.Mme Aubertot voulut en référer àM. Béraud DuChâtel, toujours cloîtré dans son appartement. Saccard se remit en course jusqu’au soir. Il alla rue de laPépinière, il courut Paris de l’air songeur d’ungénéral à la veille d’unebataille décisive. Le lendemain,MmeAubertotditqueM.BéraudDuChâtels’enremettaitcomplètementàelle.Lecontrat futrédigésur lesbasesdéjà débattues. Saccard apportait deux cent mille francs, Renée avait en dot la propriété de la Sologne etl’immeublede la ruede laPépinière,qu’elle s’engageaità vendre ; enoutre, en casdemortde sonpremierenfant,ellerestaitseulepropriétairedesterrainsdeCharonnequeluidonnaitsatante.Lecontratfutétablisurlerégimede laséparationdesbiensquiconserveauxépoux l’entièreadministrationde leurfortune.LatanteÉlisabethquiécoutaitattentivement lenotaire,parutsatisfaitedece régimedont lesdispositionssemblaientassurer l’indépendancedesanièce,enmettantsa fortuneà l’abridetoutetentative.Saccardavaitunvaguesourire;envoyantlabonnedameapprouverchaqueclaused’unsignedetête.Lemariagefutfixéautermelepluscourt.«(p.53)

Par la suite, Saccard dilapide la dot de sa femme et la dépossède de sa fortune,mails ill’entretientroyalement:

«Danscettefortune,quiavaitlesclameursetledébordementd’untorrentd’hiver,ladotdeRenéesetrouvaitsecouée,emportée,noyée.Lajeunefemme,méfiantelespremiersjours,voulantgérersesbienselle-même,selassabientôtdesaffaires ;puiselle se sentitpauvreàcôtédesonmari,et, ladette l’écrasant,elledutavoirrecoursàlui,luiemprunterdel’argent,semettreàsadiscrétion.Àchaquenouveaumémoire,qu’ilpayaitavecunsourired’hommetendreauxfaiblesseshumaines,ellese livraitunpeuplus, luiconfiaitdestitresderente,l’autorisait à vendre ceci ou cela. Quand ils vinrent habiter l’hôtel du parc Monceau, elle se trouvait déjàpresqueentièrementdépouillée.Ils’étaitsubstituéàl’ÉtatetluiservaitlarentedescentmillefrancsprovenantdelaruedelaPépinière;d’autrepart,illuiavaitfaitvendrelapropriétédelaSologne,pourenmettrel’argentdansunegrandeaffaire,unplacementsuperbe,disait-il.Ellen’avaitdoncplusentrelesmainsquelesterrainsde Charonne, qu’elle refusait obstinément d’aliéner, pour ne pas attrister l’excellente tante Élisabeth. Et làencore,ilpréparaituncoupdegénie,avecl’aidedesonanciencompliceLarsonneau.D’ailleurs,ellerestaitson

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obligée;s’il luiavaitprissafortune,il luienpayaitcinqousixfoislesrevenus.Larentedescentmillefrancs,jointeauproduitde l’argentde laSologne,montaitàpeineàneufoudixmillefrancs, justedequoisoldersalingèreetsoncordonnier.Illuidonnaitoudonnaitpourellequinzeetvingtfoiscettemisère.Ilauraittravailléhuit jours pour lui voler cent francs, et il l’entretenait royalement.Aussi, comme tout lemonde, elle avait lerespectdelacaissemonumentaledesonmari,sanschercheràpénétrerlenéantdecefleuved’orquiluipassaitsouslesyeux,etdanslequelellesejetaitchaquematin.»(p.95-96)

2.1.3.2.L’argentdelaséductionetdelapassionamoureuse

Dans notre corpus, plusieurs personnages obtiennent de l’argent grâce à leur pouvoir deséduction.Cesonttousdesarrivistes:EugènedeRastignac(LePèreGoriot),JulienSorel(LeRougeet leNoir)etDuroy (Bel-Ami). Ilsontcomprisque,parelles, ilspourrontgagnerdel’argentetacquérirunebonnesituationsociale:lesfemmesrichesaimentlesambitieux.Deplus, leurconquêteestd’unefacilitésurprenante,commeleconstateDuroyavecMmedeMarelle:«Ilentenaitune,enfin,unefemmemariée!unefemmedumonde!duvraimonde!dumondeparisien!Commeçaavaitétéfacileetinattendu!»(p.60)Toutes les femmes sont pour Bel-Ami, facteur de richesse et d’élévation sociale. Parexemple,ilséduitMmeWalterpoursonargent.Celle-ci,pourgarderl’amourdesonamant,lui parle d'une affaire en Bourse que personne ne connaît et qui, selon son mari, vaénormémentrapporter.Ensuivantsesconseils,ilseretrouveraàlatêted'unpetitpéculedesoixante-dixmillefrancs.

«Écoute, il y a une choseque tu peux faire sans emprunter de l’argent. Je voulais en acheter pour dixmillefrancsdecetemprunt,moi,pourmecréerunepetitecassette.Ehbien, j’enprendraipourvingtmille !Tu temetsdemoitié.TucomprendsbienquejenevaispasrembourserçaàWalter.Iln’yadoncrienàpayerpourlemoment.Siçaréussit,tugagnessoixante-dixmillefrancs.Siçaneréussitpas,tumedevrasdixmillefrancsquetumepaierasàtongré.»Ilditencore:*«Non,jen’aimeguèrecescombinaisons-là.»Alors,elleraisonnapourledécider,elleluiprouvaqu’il engageait en réalité dixmille francs sur parole, qu’il courait des risques, par conséquent, qu’elle ne luiavançaitrienpuisquelesdéboursésétaientfaitsparlaBanqueWalter.Elleluidémontraenoutrequec’étaitluiquiavaitmené,dansLaVieFrançaise,toutelacampagnepolitiquequirendaitpossiblecetteaffaire,qu’ilseraitbiennaïfenn’enprofitantpas.Ilhésitaitencore.Elleajouta:«Maissongedoncqu’envéritéc’estWalterqui te lesavance,cesdixmille francs,etquetu luias rendudesservicesquivalentplusqueça.– Eh bien, soit, dit-il. Jememets demoitié avec toi. Si nous perdons, je te rembourserai dixmille francs. »(p.205-206)Dans Le PèreGoriot, afin de s’enrichir, Rastignac compte d’abord user de son pouvoir deséductionettrouverunefemme.Mais,Vautrinlemetengardequelessentimentsd’amouret l’argent s’excluent et qu’il faudra choisir et la vicomtesse de Beauséant lui donne ceconseil:«Frappezsanspitié,vousserezcraint.N’acceptezleshommesetlesfemmesquecommedeschevauxdepostequevouslaisserezcreveràchaquerelai;vousarriverezainsiaufaîtedevosdésirs.Voyez-vous,vousneserezrienicisivousn’avezpasunefemmequis’intéresseàvous.Ilvouslafautjeune,riche,élégante.Maissivousavezunsentimentvrai,cachez-lecommeuntrésor;nelelaissezjamaissoupçonner,vousseriezperdu.Vousneseriezpluslebourreau,vousdeviendriezlavictime.Sijamaisvousaimiez,gardezbienvotresecret!nelelivrezpasavantd’avoirbiensuàquivousouvrirezvotrecœur.»(p.55)

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C’estVautrinquidonneunevéritableleçond’arrivismeàRastignac.Celui-ciasibiencomprisla leçon, que le terme Rastignac désigne encore aujourd’hui «un jeune loup aux dentslongues».

DansLeRougeetleNoir,pourJulienSorel,l’argentestunascenseursocial.GagnerlecœurdeMmeRênalc’estgagnerunebataillesociale.SonmariageavecMathildeestunevictoiresurlanoblesse,caril luiapporteargent,terres,titresetbrevetdelieutenant.Maissonjeuest découvert, comme en témoigne la lettre deMme de Rênal envoyée au Comte de laMole:«Cequejedoisàlacausesacréedelareligionetdelamoralem’oblige,monsieur,àladémarchepéniblequejeviens accomplir auprès de vous ; une règle, qui ne peut faillir, m’ordonne de nuire en ce moment à monprochain, mais afin d’éviter un plus grand scandale. La douleur que j’éprouve doit être surmontée par lesentimentdudevoir. Iln’estquetropvrai,monsieur, laconduitede lapersonneausujetde laquellevousmedemandeztoutelavéritéapusemblerinexplicableoumêmehonnête.Onapucroireconvenabledecacheroudedéguiserunepartiedelaréalité, laprudencelevoulaitaussibienquelareligion.Maiscetteconduite,quevousdésirezconnaître,aétédans le faitextrêmementcondamnable,etplusque jenepuis ledire.Pauvreetavide,c’estàl’aidedel’hypocrisielaplusconsommée,etparlaséductiond’unefemmefaibleetmalheureuse,quecethommeacherchéàsefaireunétatetàdevenirquelquechose.C’estunepartiedemonpénibledevoird’ajouterquejesuisobligéedecroirequeM.J…n’aaucunprincipedereligion.Enconscience,jesuiscontraintede penser qu’un de sesmoyens pour réussir dans unemaison, est de chercher à séduire la femme qui a leprincipal crédit. Couvert par une apparence de désintéressement et par des phrases de roman, son grand etuniqueobjetestdeparveniràdisposerdumaîtredelamaisonetdesafortune.Illaisseaprèsluilemalheuretdesregretséternels»,etc.,etc.,etc..»(p.378-379)

Certainspersonnagesbénéficientmême,sansl’avoircherché,del’argentqueleurprocurelapassion amoureuse d’un être pour lequel ils n’éprouvent rien. C’est le cas, dans EugénieGrandet,où,Eugénie,amoureusedeCharles,charge lePrésidentdeBonfonsde liquider lasuccessiondesononcle,avecsonpropreargent(Voir2.1.3.1):

«–Voicidouzecentmille francs,monsieur leprésident,dit-elleentirantunpapierdesonsein ;partezpourParis, non pas demain, non pas cette nuit,mais à l’instantmême. Rendez-vous chezmonsieur desGrassins,sache-y le nom de tous les créanciers de mon oncle, rassemblez-les, payez tout ce que sa succession peutdevoir, capital et intérêts à cinq pour cent depuis le jour de la dette jusqu’à celui du remboursement, enfinveillezàfairefaireunequittancegénéraleetnotariée,bienenforme.»((p.131)«Le président prit la poste, et se trouvait à Paris le lendemain soir. Dans lamatinée du jour qui suivit sonarrivée,ilallachezdesGrassins.Lemagistratconvoqualescréanciersenl’Étudedunotaireoùétaientdéposéslestitres,etchezlequelpasunnefaillitàl’appel.Quoiquecefussentdescréanciers,ilfautleurrendrejustice:ils furent exacts. Là, le président de Bonfons, au nom demademoiselle Grandet, leur paya le capital et lesintérêtsdus.Lepayementdesintérêtsfutpourlecommerceparisienundesévènementslesplusétonnantsdel’époque. Quand la quittance fut enregistrée et des Grassins payé de ses soins par le don d’une somme decinquante mille francs que lui avait allouée Eugénie, le président se rendit à l’hôtel d’Aubrion, et y trouvaCharlesaumomentoùilrentraitdanssonappartement,accabléparsonbeau-père.Levieuxmarquisvenaitdeluidéclarerquesa fillene luiappartiendraitqu’autantquetous lescréanciersdeGuillaumeGrandetseraientsoldés.Leprésidentluiremitd’abordlalettresuivante:«Moncousin,monsieurleprésidentdeBonfonss’estchargédevousremettrelaquittancedetouteslessommesduesparmononcleetcelleparlaquellejereconnaislesavoirreçues de vous. On m’a parlé de faillite ! J’ai pensé que le fils d’un failli ne pouvait peut-être pas épousermademoiselled’Aubrion.Oui,moncousin,vousavezbienjugédemonespritetdemesmanières:jen’aisansdouteriendumonde,jen’enconnaisnilescalculsnilesmœurs,etnesauraisvousydonnerlesplaisirsquevousvoulezytrouver.Soyezheureux,selonlesconventionssocialesauxquellesvoussacrifieznospremièresamours.

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Pour rendrevotrebonheurcomplet, jenepuisdoncplusvousoffrirque l’honneurdevotrepère.Adieu,vousaureztoujoursunefidèleamiedansvotrecousine,Eugénie.»(p.132-133)2.1.3.3.L’argentdelaprostitutionNombresderomanciersontcentréleurrécitautourdelaprostituée.Mais,s’ilestunromanoùl’argentdelaprostitution,estomniprésent,c’estbienManonLescaut.Mêmesi,toutaulongdu roman, laprostitutionest toujoursexpriméeencreux,Manonn’enestpasmoinsunecourtisane,prostituéederangélevé.Dansce roman, l’argentestaussiprésentque ledésiramoureux.DèssarencontreavecManon,desGrieuxcomprendquesansargent,plusdeManon.Desoncôté,lajeunefillesecherchedesprotecteursetvitdansleluxed’unefilleentretenue.,commeavecdeB…,dontellegardelescadeauxofferts:

«Pourmefairevaloirdavantagelesacrificequ’ellemefaisaitdeB…,ellerésolutdenepasgarderavec lui lemoindreménagement.Jeveuxluilaissersesmeubles,medit-elle:ilssontàlui;maisj’emporterai,commedejustice, lesbijoux,etprèsde soixantemille francsque j’ai tirésde luidepuisdeuxans. Jene luiaidonnénulpouvoir sur moi, ajouta-t-elle : ainsi nous pouvons demeurer sans crainte à Paris, en prenant une maisoncommodeoùnousvivronsheureusement.»(p.23)

Achaquefoisquel’argentmanquedanslecouple,Manontrouveunnouveauprotecteur.Eneffet, son désir de posséder argent et bijoux répond au désir qu’elle fait naître chez leshommes riches. Elle use de son corps comme d’une marchandise et fait de l’amour unmarché,commeentémoigne,parexemple,lalettrequ’ellelaisseàdesGrieuxetquijustifiesavénalité:

«Je te jure,moncherchevalier,que tues l’idoledemoncœur,etqu’iln’yaque toiaumondeque jepuisseaimerdelafaçondontjet’aime;maisnevois-tupas,mapauvrechèreâme,que,dansl’étatoùnoussommesréduits,c’estunesottevertuquelafidélité?Crois-tuqu’onpuisseêtrebientendrelorsqu’onmanquedepain?Lafaimmecauseraitquelqueméprisefatale;jerendraisquelquejourlederniersoupirencroyantenpousserun d’amour. Je t’adore, compte là-dessus ; mais laisse-moi pour quelque temps le ménagement de notrefortune.Malheuràquivatomberdansmesfilets!jetravaillepourrendremonchevalierricheetheureux.Monfrèret’apprendradesnouvellesdetaManon,etqu’elleapleurédelanécessitédetequitter.»(p.35)Grâceàsescharmes,ManonamèneM.deG.M.àluioffrirunemaisonetàl’entretenir.Illacouvredecadeaux:

«Lepremiercomplimentduvieillardfutd’offriràsabelleuncollier,desbraceletsetdespendantsdeperles,quivalaientaumoinsmilleécus. Il lui comptaensuite,enbeaux louisd’or, la sommededeuxmillequatrecentslivres,quifaisaientlamoitiédelapension.Ilassaisonnasonprésentdequantitédedouceursdanslegoûtdelavieille cour.Manonneput lui refuserquelquesbaisers ; c’étaitautantdedroitsqu’elleacquérait sur l’argentqu’illuimettaitentrelesmains.»(p.39-40)

Mais,toutenseprostituant,Manonrestelibre.Ellenecherchejamaisàprotégersonavenirparuncontrat.Ellespéculesurlafoliedesesamants,sansjamaisselieràeuxetconsidèrecommejustementacquisleurscadeaux.C’estpourquoi,elleesttoujoursenquêted’argent.Desoncôté,desGrieux,acceptécommeamantdecœurparManon,faittoutpourquecelle-cineluisoitpasinfidèleets’ingénieàtrouverdel’argent.Mais,siaudébut,ilrecourtàdesmoyenshonnêtes,ilfinitpars’avilir,enprofitantdesgainsdeManonquiseprostitue.

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Dans LesMisérables,Hugo nous offre une autre représentation de la prostitution avec lepersonnagedeFantine,mèreabandonnéeparsonamant,quiestprogressivementacculéeàlaprostitutionpoursubsister.

«Lefripier,quiavaitreprispresquetouslesmeubles,luidisaitsanscesse:Quandmepayeras-tu,coquine?Quevoulait-ond’elle,bonDieu!Ellesesentaittraquéeetilsedéveloppaitenellequelquechosedelabêtefarouche.Verslemêmetemps,leThénardierluiécrivitquedécidémentilavaitattenduavecbeaucouptropdebonté,etqu’illuifallaitcentfrancs,toutdesuite;sinonqu’ilmettraitàlaportelapetiteCosette,touteconvalescentedesagrandemaladie,parlefroid,parleschemins,etqu’elledeviendraitcequ’ellepourrait,etqu’ellecrèverait,siellevoulait.–Centfrancs,songeaFantine.Maisoùya-t-ilunétatàgagnercentsousparjour?-Allons,dit-elle,vendonslereste.L’infortunéesefitfillepublique.»(t.1,160)DansL’Argent,onapprendque,dans lemondede laspéculation, lesamoursseviventsurabonnement. C’est ainsi que les prostituées sont payées au mois, commeMademoiselleChuchu,«unemaigresauterelledupavéparisien(p.61)»entretenueparFloryoulacocotteGermaineCœur,entretenueparJacoby,puisparSédille:«Ils’agissaitdeGermaineCœur,unesuperbefilledevingt-cinqans,unpeuindolenteetmolle,dansl’opulencede sa gorge, qu’un collègue deMazaud, le juif Jacoby, entretenait aumois. Elle avait toujours été avec desboursiers, et toujours aumois, ce qui est commode pour des hommes très occupés, la tête embarrassée dechiffres,payantl’amourcommelereste,sanstrouverletempsd’unevraiepassion.»(p.61)L’argentgagnéàlaBoursepermetdefairedurercetarrangement:«Vers trois heures et demie, lorsque l’affiche eut été collée sur un pilier, tous deux hennirent, gloussèrent,imitèrentlechantducoq,danslecontentementdelabelleopérationqu’ilsavaientréalisée,entrafiquantsurlesordresd’achatdeFayeux.C’étaitunepairedesolitairespourChuchuquityrannisaitmaintenantFlorydesesexigences, et un semestre d’avance pour Germaine Cœur que Gustave avait fait la bêtise d’enleverdéfinitivementàJacoby,lequelvenaitdeprendreaumoisuneécuyèredel’Hippodrome.»(p.246)QuantàSaccard, il se laisseaussialleràcegenred’arrangementetse lieavec labaronneSandorff,quireprésentelavénalitédanstoutesasplendeur.«À quatre heures, lorsque Saccard arriva, la baronne Sandorff était déjà là, allongée sur la chaise longue,devant le feu. Elle se montrait d’habitude très exacte, en femme d’affaires qui sait le prix du temps. Lespremièresfois,ilavaiteuladésillusiondenepastrouverl’ardenteamoureusequ’ilespérait,chezcettefemmesibrune,auxpaupièresbleues,àlaprovocantealluredebacchanteenfolie.Elleétaitdemarbre,lassedesoninutileeffortàlarecherched’unesensationquinevenaitpoint,toutentièrepriseparlejeu,dontl’angoisseaumoins lui chauffait le sang. Puis, l’ayant sentie curieuse, sans dégoût, résignée à la nausée, si elle croyait ydécouvrir un frisson nouveau, il l’avait dépravée, obtenant d’elle toutes les caresses. Elle causait Bourse, luitiraitdesrenseignements;et,comme,lehasardaidantsansdoute,ellegagnaitdepuissaliaison,elletraitaitunpeuSaccardenfétiche,l’objetramasséquel’ongardeetquel’onbaise,mêmemalpropre,pourlachancequ’ilvousporte.»(p.164)Pourarriveràsesfins,ellemultiplielesliaisonsetlestrahisons:prêteàtoutpourfairedesgains:elletrahitDelcambreavecSaccard,SaccardavecGundermann,Sabatani,puisJantrou.Mais,Saccard,selassantd’elle,finitparsefaireuntrèsbeaucadeau:acheterlesfaveursdeMme de Jeumont, courtisane qui a négocié sa nuit avec l’empereur 100000 francs. Lui,l’obtientà200000francs:

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«Et,d’ailleurs,lui-mêmen’avaitjamaisconnudegrandespassions,étantdecemondedel’argent,tropoccupé,dépensantautrepartsesnerfs,payantl’amouraumois.Aussi,lorsquel’idéedelafemmeluivint,surletasdesesnouveauxmillions,nesongea-t-ilqu’àenacheterunetrèscher,pourl’avoirdevanttoutParis,commeilseseraitfaitcadeaud’untrèsgrosbrillant,simplementvaniteuxdelepiqueràsacravate.Puis,n’était-cepaslàuneexcellentepublicité?unhommecapabledemettrebeaucoupd’argentàunefemme,n’a-t-ilpasdès lorsunefortunecotée?ToutdesuitesonchoixtombasurmadamedeJeumont,chezquiilavaitdînédeuxoutroisfoisavecMaxime.Elleétaitencorefortbelleàtrente-sixans,d’unebeautérégulièreetgravedeJunon,etsagrande réputation venait de ce que l’empereur lui avait payé une nuit cent mille francs, sans compter ladécoration pour son mari, un homme correct qui n’avait d’autre situation que ce rôle d’être le mari de safemme. (…) EtSaccard,qu’excitaitparticulièrement l’enviedemordreàcemorceaud’empereur,alla jusqu’àdeuxcentmillefrancs,lemariayantd’abordfaitlamouesurcetancienfinancierlouche,letrouvanttropmincepersonnageetd’uneimmoralitécompromettante.»(p.201)«(…) Saccard entra, ayant aubrasmadamede Jeumont ; et lemari suivait.Quand ils parurent, les groupess’écartèrent,onouvritunlargepassageàcecapricededeuxcentmillefrancsquis’étalait,àcescandalefaitdeviolentsappétitsetdeprodigalitéfolle.»(p.202-203)Ilarrive,plusrarementquedesprostituéesnesefassentpaspayer.C’est lecas,dansBel-Ami,deRachel :prostituéedesFolies-Bergères,qui, tellementséduiteparDuroy, luioffresesservicesgratuitement(Voirp.47-48),cariln’apasassezd’argent.Enfin, L’Argentmet en scène un personnage particulier:Mme Conin, la papetière, qui sedonneuneseule foisavecchaquehommeetqui refuse toutpaiement, carc’estpour sonbonplaisir.ElleéconduitSaccardetcelui-cinecomprendpaspourquoi:

«– Pourquoialors,ditespourquoi?– MonDieu!c’estsimple…Parcequevousnemeplaisezpas.Avecvous,jamais!Etellerestaittoutdemêmetrèsaimable,l’airdésolédenepouvoirlesatisfaire.– Voyons,reprit-ilbrutalement,ceseracequevousvoudrez…Voulez-vousmille,voulez-vousdeuxmille,pourunefois,uneseulefois?Àchaquesurenchèrequ’ilmettait,elledisaitnondelatête,gentiment.– Voulez-vous…Voyons,voulez-vousdixmille,voulez-vousvingtmille?Doucement,ellel’arrêta,enposantsapetitemainsurlasienne.– Pasdix,pascinquante,pascentmille !Vouspourriezmonter longtempscommeça,ceseraitnon, toujoursnon…Vousvoyezbienquejen’aipasunbijousurmoi.Ah!onm’enaoffert,deschoses,del’argent,etdetout!Jeneveuxrien,est-cequeçanesuffitpas,quandçafaitplaisir?…Maiscomprenezdoncquemonmarim’aimedetoutsoncœur,etquejel’aimeaussibeaucoup,moi.C’estuntrèshonnêtehomme,monmari.Alors,biensûrquejenevaispasletuer,enluicausantduchagrin…Qu’est-cequevousvoulezquej’enfasse,devotreargent,puisquejenepeuxpasledonneràmonmari?Nousnesommespasmalheureux,nousnousretireronsunjouravec une jolie fortune ; et, si cesmessieursme font tous l’amitié de continuer à se fournir chez nous, ça jel’accepte…Oh!jenemeposepaspourplusdésintéresséequejenesuis.Sij’étaisseule,jeverrais.Seulement,encoreun coup, vousnevous imaginezpasquemonmariprendrait vos centmille francs,aprèsque j’auraiscouchéavecvous…Non,non!paspourunmillion!»(p.202-203)Avecelle,Saccardéchoue,carilresteprisonnierdelalogiquedutouts’achète:

«Comment! l’argentnedonnaitdoncpastout?Voilàunefemmequed’autresavaientpourrien,etqu’ilnepouvaitavoir,lui,enymettantunprixfou!Elledisaitnon,c’étaitsavolonté.Ilensouffraitcruellement,danssontriomphe,commed’undouteàsapuissance,d’unedésillusionsecrètesur la forcede l’or,qu’ilavaitcruejusque-làabsolueetsouveraine.»(p.203)

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2.1.4.L’argentdesaffairesLesœuvresdenotrecorpusmontrentcomments’organisent lesmécanismesdelabanqueetpermettentappréhenderlamanièredontlespersonnageslesintériorisent.

2.1.4.1.Leseffetsdecommerce

DansLaComédiehumaine,Balzacutiliseabondamment leressortdeseffetsdecommerce(lesbilletsàordre, lettresdechangeouautres fidéicommis). Ceux-ci,quiconstituentunevéritable monnaie dans les affaires, permettent plus de fluidité dans les transactionscommerciales, mais aussi tout un système decirculations. En effet, par le jeu del’endossementetduréendossement,l’effetdecommercepeutêtrerachetéparuntiersquipeut le revendre à l’infini, parfois à l’insu de l’emprunteur premier. Cette mécaniqueinfernale est une source inépuisable de rebondissements puisque le débiteur peut seretrouverentre lesmainsdecréanciersauxquels iln’a jamaisempruntéd’argent,maisquiont intérêt à le tenir par là. Ainsi, l’argent vit sa vie, à l’insu des personnages, comme leremarqueGrandet:«Vraimentlesécusviventetgrouillentcommedeshommes:çava,çavient,çasue,çaproduit.»(p.100).L’escompteetleréescompte(VoirLeSaviez-vous?N°2),sonttrèssouventpratiquésdanslesouvrages de notre corpus. Dans César Birotteau, le parfumeur, ancien chef du comitéd’escompteautribunal,a laréputation«dene jamaisescomptersonpapieretdeprendreaucontrairedesvaleurssûresàceuxauxquels ilpouvaitêtreutile» (p.26).Mais,sa failliteorchestréeparduTilletl’amèneàrechercherdel’argent:«–Silavéritéétaitbanniedelaterre,elleconfieraitsonderniermotàuncaissier,ditduTillet.N’avez-vouspasunintérêtchezlepetitPopinotquivientdes’établir?dit-ilaprèsunehorriblepausependantlaquellelasueuremperlalefrontduparfumeur.– Oui, dit naïvement Birotteau, croyez-vous que vous pourriez m’escompter sa signature pour une sommeimportante?–Apportez-moicinquantemillefrancsdesesacceptations,jevouslesferaifaireàuntauxraisonnablechezuncertainGobseck,trèsdouxquandilabeaucoupdefondsàplacer,etilena.»(p.159)Mais, sononclePillerault l’édifiesur lesdangersde lacirculationdeseffetsdecommerce,lorsquecelui-ciesttentéd’utiliserceuxd’AnselmePopinot:«Tu colporterais vainement pendant huit jours les cinquante billets de Popinot sur tous les comptoirs ; tuessuyeraisd’humiliantsrefus ;personnen’envoudrait ; rienneprouve lenombreauquel tu lesémets,et l’ons’attendtevoirsacrifiantcepauvreenfantpourtonsalut.TuauraisdétruitenpurepertelecréditdelamaisonPopinot.Sais-tucequeleplushardidesescompteurstedonneraitdecescinquantemillefrancs?Vingtmille,vingtmille,entends-tu?Encommerce,ilestdesinstantsoùilfautpouvoirsetenirdevantlemondetroisjourssansmanger,commesil’onavaituneindigestion,etlequatrièmeonestadmisaugarde-mangerducrédit.Tune peux pas vivre ces trois jours, tout est là.Monpauvre neveu, du courage, il faut déposer tonbilan.VoiciPopinot,mevoilà,nousallons,aussitôttescommiscouchés,travaillerensembleafindet’évitercesangoisses.–Mononcle,ditleparfumeurenjoignantlesmains.– César, veux-tu donc arriver à un bilan honteux où il n’y ait pas d’actif ?Ton intérêt chez Popinot te sauvel’honneur.»(p.172)

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DansL’Argent,laMéchain,quiaescomptélesbilletsdesacousine,veutlesréescompter:«– Vousvoyez,madame,c’estparvingtsous,parquarantesous,quejeluiaiprêtétoutça.Lesdatesysont:le20juin,vingtsous;le27juin,encorevingtsous;le3juillet,quarantesous.Et,tenez!elleadûêtremaladeàcetteépoque,parcequevoicidesquarantesousàn’enplusfinir…Puis,ilyavaitVictorquej’habillais.J’aimisunVdevanttouteslesdépensesfaitespourlegamin…Sanscompterque,lorsqueRosalieaétémorte,oh!biensalement, dans une maladie qui était une vraie pourriture, il est tombé complètement à ma charge. Alors,regardez ! j’ai mis cinquante francs par mois. C’est très raisonnable. Le père est riche, il peut bien donnercinquante francs par mois pour son garçon… Enfin, ça fait cinq mille quatre cent trois francs ; et, si nousajoutonslessixcentsfrancsdesbillets,nousarrivonsautotaldesixmillefrancs…Oui,toutpoursixmillefrancs,voilà!Malgrélanauséequilapâlissait,madameCarolinefituneréflexion.– Maislesbilletsnevousappartiennentpas,ilssontlapropriétédel’enfant.– Ah!pardon,repritlaMéchainaigrement,j’aiavancédel’argentdessus.PourrendreserviceàRosalie,jeleslui ai escomptés. Vous voyez derrière mon endos… C’est encore gentil de ma part de ne pas réclamer desintérêts…On réfléchira,mabonnedame,onnevoudrapas faireperdreun souàunepauvre femmecommemoi.»(p.113-114)La Méchain est une spécialiste du réescompte. Elle se procure des effets qui ont étéréescomptés plusieurs fois et demande le remboursement au débiteur, moyennant desintérêtsénormes.C’estcequiarriveaujournaliseJordan:«Depuis quelques mois, depuis que la Méchain avait enfin découvert qu’il écrivait sous son nom dansl’Espérance, ilétaittraquéparBusch,pour lessixbilletsdecinquantefrancs,signésautrefoisàuntailleur.Lasommede trois cents francs que représentaient les billets, il l’aurait encore payée ;mais ce qui l’exaspérait,c’étaitl’énormitédesfrais,cetotaldeseptcenttrentefrancsquinzecentimes,auquelétaitmontéeladette.»(p.137)Ellefaitlachasseauxdébiteurs.C’estàquoipenseSaccardenregardantsonsac:

«Ilsavaitque,fatalement,allaienttomberlàlestitresdéclassés,lesactionsdessociétésmisesenfaillite,surlesquelleslesPiedshumidesagiotentencore,desactionsdecinqcentsfrancsqu’ilssedisputentàvingtsous,àdix sous, dans le vague espoir d’un relèvement improbable, ou plus pratiquement comme unemarchandisescélérate, qu’ils cèdent avec bénéfice aux banqueroutiers désireux de gonfler leur passif. Dans les bataillesmeurtrièresde lafinance, laMéchainétait lecorbeauquisuivait lesarméesenmarche;pasunecompagnie,pas une grandemaison de crédit ne se fondait, sans qu’elle apparût, avec son sac, sans qu’elle flairât l’air,attendant les cadavres,mêmeauxheures prospères des émissions triomphantes ; car elle savait bienque ladérouteétaitfatale,quelejourdumassacreviendrait,oùilyauraitdesmortsàmanger,destitresàramasserpourriendanslaboueetdanslesang.»(p.11)Danscetrafic,elleestassociéeàBusch,dontl’unedesplusgrossesaffairesestletraficsurlesvaleursdépréciéesqu’ilrechercheavidement:

« (…) il les centralisait, il servait d’intermédiaire entre la petite Bourse des « Pieds humides » et lesbanqueroutiers, qui ont des trous à combler dans leur bilan ; aussi suivait-il les cours, achetant directementparfois,alimentésurtoutparlesstocksqu’onluiapportait.Mais,outrel’usureettoutuncommercecachésurles bijoux et les pierres précieuses, il s’occupait particulièrement de l’achat des créances. C’était là ce quiemplissait son cabinet à en faire craquer les murs, ce qui le lançait dans Paris, aux quatre coins, flairant,guettant,avecdesintelligencesdanstouslesmondes.Dèsqu’ilapprenaitunefaillite,ilaccourait,rôdaitautourdu syndic, finissait par acheter tout ce dont on ne pouvait rien tirer de bon immédiatement. Il surveillait lesétudes de notaire, attendait les ouvertures de successions difficiles, assistait aux adjudications des créancesdésespérées. Lui-même publiait des annonces, attirait les créanciers impatients qui aimaient mieux toucher

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quelquessoustoutdesuitequedecourirlerisquedepoursuivreleursdébiteurs.Et,decessourcesmultiples,dupapierarrivait,devéritableshottées,letassanscesseaccrud’unchiffonnierdeladette:billetsimpayés,traitésinexécutés,reconnaissancesrestéesvaines,engagementsnontenus.»(p.19)Parmi toutes ces valeurs dépréciées, il procède à un triageminutieux et se lance dans lachasseauxdébiteurs:

«Mais,parmilesinsolvables,ilsuivaitnaturellementdeplusprèsceuxqu’ilsentaitavoirdeschancesdefortuneprochaine:sonenquêtedénudaitlesgens,pénétraitlessecretsdesfamilles,prenaitnotedesparentésriches,desmoyensd’existence,desnouveauxemploissurtout,quipermettaientdelancerdesoppositions.Pendantdesannées souvent, il laissait ainsi mûrir un homme, pour l’étrangler au premier succès. Quant aux débiteursdisparus, ils le passionnaient plus encore, le jetaient dans une fièvre de recherches continuelles, l’œil sur lesenseignesetsurlesnomsquelesjournauximprimaient,quêtantlesadressescommeunchienquêtelegibier.Et,dèsqu’illestenait,lesdisparusetlesinsolvables,ildevenaitféroce,lesmangeaitdefrais,lesvidaitjusqu’ausang,tirantcentfrancsdecequ’ilavaitpayédixsous,enexpliquantbrutalementsesrisquesdejoueur,forcédegagner avec ceux qu’il empoignait ce qu’il prétendait perdre sur ceux qui lui filaient entre les doigts, ainsiqu’unefumée.Danscettechasseauxdébiteurs, laMéchainétaitunedesaidesqueBuschaimait lemieuxàemployer (…).»(p.19-20)La Méchain et Busch sont deux personnages sont des êtres cupides. Leurs trafics lesapparententàdesvampires,commedansl’affairedujournalisteJordan:«Très inquiet, Jordan se précipita. Depuis quelquesmois, depuis que laMéchain avait enfin découvert qu’ilécrivaitsoussonnomdansl’Espérance,ilétaittraquéparBusch,pourlessixbilletsdecinquantefrancs,signésautrefoisàuntailleur.Lasommedetroiscents francsquereprésentaient lesbillets, il l’auraitencorepayée ;maiscequil’exaspérait,c’étaitl’énormitédesfrais,cetotaldeseptcenttrentefrancsquinzecentimes,auquelétaitmontéeladette.Pourtant,ilavaitprisunarrangement,s’étaitengagéàdonnercentfrancsparmois;et,commeilnelepouvaitpas,sonjeuneménageayantdesbesoinspluspressants,chaquemoislesfraismontaientdavantage,lesennuisrecommençaient,intolérables.Encemoment,ilenétaitdenouveauàunecriseaiguë.»(p.137)L’insuffisance chronique des liquidités, outre ses conséquences naturellementinflationnistes,handicapel’industrieetlecommerce,ralentitlacroissanceetprovoquedesfaillites artificielles semblables à celle de Birotteau. Pas moins de sept pages de CésarBirotteausontconsacréesaumécanismedelafaillite(p.186-196).2.1.4.2.Leprêtd’intérêt(usure)etleprêtsurgage

Si la population, majoritairement catholique, éprouve encore une réelle aversion pour lecrédit,aggravéepar les souvenirs traumatisantsde labanqueroutedeLawetde la faillitedesassignats,leXIX°connaîtunetellepénuried’argentliquidequechacunfinitparrecouriraux instruments de crédit pour subsister, vivre au quotidien ou bien investir. La sociétéfrançaisepassedelacraintedel’usureàlapromotionducrédit.Lalittératuresefaitl’échodecetendettementgénéralisé.DansLaComédieHumaine,l’empruntetl’intérêtd’empruntestunthèmeessentiel.Nombrededettespermettent,d’unromanàl’autre,d’assurerlelienentrelesdifférentsrécitsdecetteœuvre.Silemodehabitueldeladetteestunempruntdelabanque,pourlaconfidentialitéetpouraccélérerleprocessus,ils’agitleplussouventd’unemprunt auprès d’un usurier. Balzac a mis en scène deux célèbres usuriers: Gobseck et

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Vautrin,qui reviennentd’unromanà l’autre.DansLePèreGoriot, lepremierestprésentécomme«un fier drôle ! capable de faire des dominosavec les os de sonpère, un Juif, unArabe,unGrec,unBohémien,unhommequ’onseraitbienembarrassédedévaliser, ilmetsesécusàlabanque.»(p.28).C’estavecluiqu’Anastasie,lafilledupèreGoriot,traite:

«– PoursauverlaviedeMaxime,enfinpoursauvertoutmonbonheur,repritlacomtesseencouragéeparcestémoignagesd’unetendressechaudeetpalpitante,j’aiportéchezcetusurierquevousconnaissez,unhommefabriquépar l’enfer, que riennepeut attendrir, cemonsieurGobseck, les diamants de famille auxquels tienttantmonsieurdeRestaud,lessiens,lesmiens,tout,jelesaivendus.Vendus!comprenez-vous?ilaétésauvé!Mais,moi,jesuismorte.Restaudatoutsu.»(p.163)

Dans Eugénie Grandet, le père Grandet est non seulement viticulteur,marchand de bois,promoteurimmobilier,maisilestaussiavare,usurieretspéculateur.

«Financièrementparlant,monsieurGrandettenaitdutigreetduboa:ilsavaitsecoucher,seblottir,envisagerlongtempssaproie,sauterdessus;puisilouvraitlagueuledesabourse,yengloutissaitunecharged’écus,etsecouchait tranquillement, comme le serpent qui digère, impassible, froid, méthodique. Personne ne le voyaitpasser sans éprouver un sentiment d’admiration mélangé de respect et de terreur. Chacun dans Saumurn’avait-ilpas senti ledéchirementpolide sesgriffesd’acier?àcelui-cimaîtreCruchotavaitprocuré l’argentnécessaireàl’achatd’undomaine,maisàonzepourcent;àcelui-làmonsieurdesGrassinsavaitescomptédestraites,maisavecuneffroyableprélèvementd’intérêts.»(p.5)Dans Madame Bovary, contrairement au point de vue bourgeois, Emma accepte des’endetter auprès du marchand-usurier Lheureux. Pour elle, le crédit n’a que dessignificationspositives: il lui apportepuissance, indépendance, accèsàdesbiens luxueux,nouveaupositionnementsocial.Commelepaiementseferaplustard,pourelle,lecréditestmagique:illuipermetdes’offrirtout,toutdesuite.Lheureuxfaittoutpourluifaireoublierladimensionéconomiquedeleurrelationetchercheuniquementàaugmentersoncapital.Ila intérêt qu’Emma s’endette. Après la vente de sl maison de Barneville (Voir 2.1.6.3.), ilpousseencoreEmmaàladépense:

«Elletouchalamoitiédelasommeimmédiatement,et,quandellefutpoursoldersonmémoire,lemarchandluidit :– Celamefaitde lapeine,paroled’honneur,devousvoirvousdessaisirtoutd’uncoupd’unesommeaussiconséquentequecelle-là.Alors,elleregardalesbilletsdebanque;et,rêvantaunombreillimitéderendez-vousquecesdeuxmille francs représentaient :– Comment !comment !balbutia-t-elle.Oh! reprit-ilenriantd’unairbonhomme,onmettoutcequel’onveutsurlesfactures.Est-cequejeneconnaispaslesménages?Etillaconsidéraitfixement,toutentenantàsamaindeuxlongspapiersqu’ilfaisaitglisserentresesongles.Enfin,ouvrantsonportefeuille,ilétalasurlatablequatrebilletsàordre,demillefrancschacun.– Signez-moicela,dit-il, et gardez tout. Elle se récria, scandalisée. – Mais, si je vous donne le surplus, répondit effrontément M.Lheureux,n’est-pasvousrendreservice,àvous?Et,prenantuneplume,ilécrivitaubasdumémoire:«ReçudemadameBovaryquatremillefrancs.»– Qui vous inquiète, puisque vous toucherez dans six mois l’arriéré de votre baraque, et que je vous placel’échéance du dernier billet pour après le payement ? Emma s’embarrassait un peu dans ses calculs, et lesoreillesluitintaientcommesidespiècesd’or,s’éventrantdeleurssacs,eussentsonnétoutautourd’ellesurleparquet.EnfinLheureuxexpliquaqu’ilavaitunsienamiVinçart,banquieràRouen,lequelallaitescomptercesquatrebillets,puis il remettrait lui-mêmeàMadame le surplusde ladette réelle.Maisau lieudedeuxmillefrancs,iln’enapportaquedix-huitcents,carl’amiVinçart(commedejuste)enavaitprélevédeuxcents,pourfraisdecommissionetd’escompte.Puis il réclamanégligemmentunequittance.– Vouscomprenez…,dans lecommerce…,quelquefois…Etavec ladate,s’ilvousplaît, ladate.Unhorizondefantaisiesréalisabless’ouvritalors devant Emma. Elle eut assez de prudence pour mettre en réserve mille écus, avec quoi furent payés,lorsqu’ilséchurent,lestroispremiersbillets;maislequatrième,parhasard,tombadanslamaisonunjeudi,et

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Charles,bouleversé,attenditpatiemmentleretourdesafemmepouravoirdesexplications.(…) Cependant,àforce d’acheter, de ne pas payer, d’emprunter, de souscrire des billets, puis de renouveler ces billets, quis’enflaientàchaqueéchéancenouvelle,elleavaitfiniparpréparerausieurLheureuxuncapital,qu’ilattendaitimpatiemmentpoursesspéculations.»(p.217)Lheureuxfaitpreuved'unemaitriseexcellentedesonmétierd’usurier.IlarrivemêmeàcequeCharlessigneuncréditpourlesdettesactivesd’Emmaetqu’ilemprunteànouveaudel’argent,sousformed’uncrédit.

DansLaCurée,Saccardselieavecunusurier,Larsonneau:«Ilprêtaitsurtoutàusure.Cen’étaitplusl’usurierdelavieilleécole,déguenillé,malpropre,auxyeuxblancsetmuetscommedespiècesdecentsous,auxlèvrespâlesetserréescommelescordonsd’unebourse.Lui,souriait,avaitdesœilladescharmantes,sefaisaithabillerchezDusautoy,allaitdéjeunerchezBrébantavecsavictime,qu’ilappelait:«Monbon,»enluioffrantdeshavanesaudessert.Aufond,danssesgiletsquilepinçaientàlataille, Larsonneau était un terriblemonsieur qui aurait poursuivi, le payement d’un billet jusqu’au suicide dusignataire,sansrienperdredesonamabilité.»(p.120-121)DansL’Argent,c’estBuschquireprésentel’usuriermalhonnête,commelorsqu’iltraiteavecl’épousedujournalisteJordan:«(…)dèsneufheures, comme Jordanvenaitdepartirpour touteuneenquête surunaccidentdont il devaitrendrecompte,Marcelle,àpeinedébarbouillée,encoreencamisole,avaiteulastupeurdevoirtomberchezeuxBusch, en compagnie de deuxmessieurs très sales, peut-être des huissiers, peut-être des bandits, ce qu’ellen’avaitjamaispudécideraujuste.CetabominableBusch,sansdouteabusantdecequ’ilnetrouvaitlàqu’unefemme,déclaraitqu’ilsallaienttoutsaisir,siellene lepayaitpas sur-le-champ. (…)Ainsiqu’elle lecriaitavecunebravoureguerrière, ilfaudrait luimarchersur lecorps;etelletraitaitBuschdecanailleetdevoleur,àlavolée:oui!unvoleur,quin’avaitpashontederéclamerseptcenttrentefrancsquinzecentimes,sanscompterlesnouveauxfrais,pourunecréancedetroiscentsfrancs,unecréanceachetéeparluicentsous,autas,avecdeschiffonsetdelavieilleferraille!Direqu’ilsavaientdéjà,paracomptes,donnéquatrecentsfrancs,etquecevoleurlàparlaitd’emporterleursmeubles,enpaiementdestroiscentsettantdefrancsqu’ilvoulaitleurvolerencore!Etilsavaitparfaitementqu’ilsétaientdebonnefoi,qu’ilsl’auraientpayétoutdesuite,s’ilsavaienteula somme. Et il profitait de ce qu’elle était seule, incapable de répondre, ignorante de la procédure, pourl’effrayer et la faire pleurer. Canaille ! voleur ! voleur ! Furieux, Busch criait plus haut qu’elle, se tapaitviolemmentlapoitrine:est-cequ’iln’étaitpasunhonnêtehomme?est-cequ’iln’avaitpaspayélacréancedebeletbonargent?Ilétaitenrègleaveclaloi,ilentendaitenfinir.»(p.213)Parcontre,dansCésarBirotteau, leparfumeurtentederecourirauxbanquespourobteniruncrédit,etnonpasàunusurier,Mais,lorsdesadémarcheauprèsdeFrançoisKeller,deuxtypesdecapitalismes’affrontent:lecapitalismetraditionnel,celuideCésar,quinedépassepas ses possibilités immédiates et le capitalisme naissant, celui des Keller, un capitalismefaisant appel aux banques et risquant des investissements à long terme. César a honted’emprunter.Pourlui,c’estunsignedefaiblesse.«SurlebureaudeFrançoisKellergisaientdesliassesd’effets,delettresdechange,decirculairescommerciales.Kellers’assitetsemitàsignerrapidementleslettresquin’exigeaientaucunexamen.–Monsieur,àquoidois-jel’honneurdevotrevisite?luidit-il.(…)–Monsieur,voicilefait,reprit-il.Jemesuisengagédansuneaffaireterritoriale,endehorsdemoncommerce…(…)–JesuisacquéreurpourmoitiédesterrainssituésautourdelaMadeleine.–Oui,j’aientenduparlerchezNucingendecetteimmenseaffaireengagéeparlamaisonClaparon.

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–Eh!bien,repritleparfumeur,uncréditdecentmillefrancs,garantiparmamoitiédanscetteaffaire,ouparmespropriétéscommerciales,suffiraitàmeconduireaumomentoùjeréaliseraidesbénéficesquedoitdonnerprochainementuneconceptiondepureparfumerie.S’ilétaitnécessaire,jevouscouvriraispardeseffetsd’unenouvellemaison,lamaisonPopinot,unejeunemaisonqui…KellerparutsesoucierfortpeudelamaisonPopinot,etBirotteaucompritqu’ils’engageaitdansunemauvaisevoie;ils’arrêta,puis,effrayédusilence,ilreprit:–Quantauxintérêts,nous…–Oui,oui,ditlebanquier,lachosepeuts’arranger,nedoutezpasdemondésirdevousêtreagréable.Occupécomme je lesuis, j’ai les financeseuropéennessur lesbras,et lachambreprendtousmesmoments,vousneserezpasétonnéd’apprendrequeje laisseétudierunefouled’affairesàmesbureaux.Allezvoir,enbas,monfrère Adolphe, expliquez-lui la nature de vos garanties ; s’il approuve l’opération, vous reviendrez avec luidemainouaprès-demainàl’heureoùj’examineàfondlesaffaires,àcinqheuresdumatin.Nousseronsheureuxetfiersd’avoirobtenuvotreconfiance,vousêtesundecesroyalistesconséquentsdontonpeutêtre l’ennemipolitique,maisdontl’estimeestflatteuse…»(p.138-139)Mais,AdolpheKellerluirefuseleprêt:«Enchantédevoirfaillirunadjointaumairedeleurarrondissement,unhommedécorédelaveille,unhommedupouvoir,AdolpheditalorsnettementàBirotteauqu’ilnepouvaitni luiouvriruncompteni riendireensafaveuràsonfrèreFrançois,legrandorateur.SiFrançoisselaissaitalleràd’imbécilesgénérositésensecourantles gens d’une opinion contraire à la sienne et ses ennemis politiques, lui, Adolphe, s’opposerait de tout sonpouvoiràcequ’ilfîtunmétierdedupe,etl’empêcheraitdetendrelamainàunvieiladversairedeNapoléon,unblessé de Saint-Roch. Birotteau exaspéré voulut dire quelque chose de l’avidité de la haute banque, de sadureté,desafaussephilanthropie;maisilfutprisd’unesiviolentedouleurqu’ilputàpeinebalbutierquelquesphrasessurl’institutiondelaBanquedeFranceoùlesKellerpuisaient.–Mais,ditAdolpheKeller,laBanqueneferajamaisunescomptequ’unsimplebanquierrefuse.–LaBanque,ditBirotteau,m’atoujoursparumanqueràsadestinationquandelles’applaudit,enprésentantlecomptedesesbénéfices,den’avoirperduquecentoudeuxcentmillefrancsaveclecommerceparisien,elleenestlatutrice.Adolphesepritàsourireenselevantparungested’hommeennuyé.–SilaBanquesemêlaitdecommanditerlesgensembarrasséssurlaplacelaplusfriponneetlaplusglissantedumonde financier, elle déposerait son bilan au bout d’un an. Elle a déjà beaucoup de peine à se défendrecontrelescirculationsetlesfaussesvaleurs,queserait-ces’ilfallaitétudierlesaffairesdeceuxquivoudraientsefaireaiderparelle!»(p.142)Les dettes peuvent enfler, à tel point que le protagoniste ne puisse en interrompre lemouvement.C’estainsiqueCésar,impuissantfaceaugonflementdesonpassif,estacculéàlafaillite.Ildoitalorsaffrontersescréanciers,maissononcleluiépargnebiendestracas:«Pourquicomprendlesvanitésetlesfaiblessesquidanschaquesphèresocialeatteignentl’homme,n’était-cepasunhorriblesupplicepourcepauvrehommequederevenirenfaillidanslePalais-de-Justicecommercialoùilétait entré juge ? d’aller recevoir des avanies là où il était allé tant de fois remercié des services qu’il avaitrendus ? LuiBirotteau,dont lesopinions inflexiblesà l’égarddes faillis étaient connuesde tout le commerceparisien,luiquiavaitdit:«–Onestencorehonnêtehommeendéposantsonbilan,maisl’onsortfripond’uneassembléedecréanciers!»(…)Pillerault,cethommesifortparlasimplicitédesavie,comprenaitlafaiblesse.Ilrésolutd’éviteràBirotteaulesangoissesauxquellesilpouvaitsuccomberdanslascèneterribledesacomparutiondevantlescréanciers,scèneinévitable ! La loi, surcepoint,estprécise, formelle,exigeante.Lenégociantqui refusedecomparaîtrepeut,pourceseulfait,êtretraduitenpolicecorrectionnelle,souslapréventiondebanqueroutesimple.Maissilaloiforcelefailliàseprésenter,ellen’apaslepouvoird’yfairevenirlecréancier.Uneassembléedecréanciersn’estunecérémonieimportantequedansdescasdéterminés:parexemple,s’ilyalieudedéposséderunfriponetdefaireuncontratd’union,s’ilyadissidenceentredescréanciersfavorisésetdescréancierslésés,sileconcordat

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est ultra-voleur et que le failli ait besoind’unemajoritédouteuse.Maisdans le casd’une faillite où tout estréalisé,commedanslecasd’unefailliteoùlefriponatoutarrangé,l’assembléeestuneformalité.Pilleraultallaprierchaquecréancierl’unaprèsl’autredesigneruneprocurationpoursonagréé.(…)Pilleraultfinitparréduirecetteformidableassembléeàtroisagréés,àlui-même,àRagon,auxdeuxSyndicsetauJuge-Commissaire.»(p.196-197)Mais,ladetteserarééquilibrée,carCésarvatravaillerjusqu’àremboursersescréanciers.Encela,ilseconformeàunepratiquebourgeoisetrèsforte:pasdedettes!

Le prêt sur gage est un prêt fait après dépôt d’un bien en garantie. Son montant estproportionnelàlavaleurdubiendéposé.LespersonnagesdenotrecorpusfontdesprêtssurgagesoitauMont-de-Piété,soitchezdesprêteurssurgages(leplussouventdesusuriers).DansLesMisérables,ThénardierarecoursauMont-de-piété:«Grâceauxcinquante-septfrancsdelavoyageuse,Thénardieravaitpuéviterunprotêtetfairehonneuràsasignature.Lemoissuivant ilseurentencorebesoind’argent; lafemmeportaàParisetengageaaumont-de-piétéletrousseaudeCosettepourunesommedesoixantefrancs.»(t.1,p.133-134)IlenestdemêmedeBianchon,dansLePèreGoriot:«EugèneremontarapidementchezlepèreGoriot.– Bianchon,l’argentdelamontre?– Ilestlàsurlatable,ilenrestetroiscentsoixanteetquelquesfrancs.J’aipayésurcequ’onm’adonnétoutcequenousdevions.LareconnaissanceduMont-de-Piétéestsousl’argent.»(p.195)(LePèreGoriot)OuencoredeMmeBovary:«Unjour,elletiradesonsacsixpetitescuillersenvermeil(c’était lecadeaudenocesdupèreRouault),enlepriantd’allerimmédiatementportercela,pourelle,aumont-de-piété;etLéonobéit,bienquecettedémarcheluidéplût.Ilavaitpeurdesecompromettre.»(p.215)(MmeBovary)Quant au père Goriot, il recourt à Gobseck, le célèbre usurier-prêteur sur gages de LaComédiehumaine:«Anastasienedoitpasêtreau-dessousdesacadette.Etpuiselleestsinoyéedelarmes,mapauvrefille!J’aiétésihumiliéden’avoirpaseudouzemille francshier,que j’auraisdonné le restedemamisérableviepourrachetercetort-là.Voyez-vous, j’avaiseulaforcedetoutsupporter;maismonderniermanqued’argentm’acrevélecœur.Oh!oh!jen’enaifaitniunnideux!jemesuisrafistolé,requinqué;j’aivendupoursixcentsfrancsdecouvertsetdeboucles,puis j’aiengagé,pourunan,montitrederenteviagèrecontrequatrecentsfrancsunefoispayés,aupapaGobseck.Bah!jemangeraidupain!çamesuffisaitquandj’étaisjeune,çapeutencorealler.Aumoinselleauraunebellesoirée,maNasie.Elleserapimpante. J’ai lebilletdemille francs làsousmonchevet.Çameréchauffed’avoirlàsouslatêtecequivafaireplaisiràlapauvreNasie.»(p.174)

2.1.4.3.Lesvaleursmobilières(actionsetobligations)DanslasociétéfrançaiseduSecondEmpire,c'estdanslesbanquesetàlaBoursequerésidelepouvoirfinanciermoderne.L’argentgagnéparl’activitébancaireetboursièreseprésente,

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dansnotrecorpus,sousplusieursformes,dont l’obligationet l’action,quisontdesvaleursmobilières,c’est-à-dire,unecatégoriedetitresfinanciers(VoirLeSaviez-vous?N°3).

DansL’Argent,sontdécritslesmécanismesfinanciersdelaBourse,àtraverslacréationdelaBanqueUniverselleparSaccard.AlorsqueMmeCarolinechercheunplacementsûr,ellelevoitdans lesobligations. Saccard luiexpliquequecen’estpasunbonchoixet luimontrebienladifférenceentreuneobligationetuneaction:«Vousnesavezpascequejevoudrais,moi?ceseraitqu’àlaplacedecesactions,cescinquantemilleactionsquevousallezlancer,vousn’émettiezquedesobligations.Oh!vousvoyezquejesuistrèsforte,depuisquejelisleCode,jen’ignoreplusqu’onnejouepassuruneobligation,qu’unobligataireestunsimpleprêteurquitouchetant pour cent sur son prêt, sans être intéressé dans les bénéfices, tandis que l’actionnaire est un associécourant lachancedesbénéficesetdespertes…Dites,pourquoipasdesobligations,çamerassureraittant, jeseraissiheureuse!»(p.85»««– Desobligations,desobligations!maisjamais!…Quevoulez-vousficheavecdesobligations?C’estdelamatièremorte…»(p.86)

RépondantàMmeCarolinesursademanded’obligations,Saccarddéfendlesactionset,par-là,laspéculation:

«NotreBanqueUniverselle,monDieu!ellevaêtred’abordlamaisonclassiquequitraiteradetoutesaffairesdebanque,decréditetd’escompte,recevradesfondsencomptescourants,contractera,négocieraouémettradesemprunts.Seulement, l’outilque j’enveux faire surtout, c’estunemachineà lancer lesgrandsprojetsdevotre frère : là sera son véritable rôle, ses bénéfices croissants, sa puissance peuà peudominatrice. Elle estfondée,ensomme,pourprêtersonconcoursàdessociétésfinancièresetindustrielles,quenousétablironsdanslespaysétrangers,dontnousplaceronslesactions,quinousdevrontlavieetnousassurerontlasouveraineté…Et, devant cet avenir aveuglant de conquêtes, vous venez me demander s’il est permis de se syndiquer etd’avantagerd’uneprime lessyndicataires,quitteà laporteraucomptedepremierétablissement ;vousvousinquiétezdespetitesirrégularitésfatales,desactionsnonsouscrites,quelasociétéferabiendegarder,souslecouvertd’unprête-nom;enfin,vouspartezenguerrecontrelejeu,contrelejeu,Seigneur!quiestl’âmemême,lefoyer,laflammedecettegéantemécaniquequejerêve!…»(p.86-87)Plusieurs personnes vont donc acheter des actions, dans l’espoir d’un bon placement, àl’instardelacomtessedeBeauvilliersquiveutplacerl’argentdesafille:

«Saccard,alors,pourluiévitertoutegêne,renchérit,s’enflamma.– Mais,madame,personnenevitplusdelaterre…L’anciennefortunedomanialeestuneformecaduquedelarichesse,quiacesséd’avoirsaraisond’être.Elleétaitlastagnationmêmedel’argent,dontnousavonsdécupléla valeur, en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes,commerciauxet financiers.C’estainsique lemondevaêtre renouvelé, car rienn’étaitpossible sans l’argent,l’argentliquidequicoule,quipénètrepartout,nilesapplicationsdelascience,nilapaixfinale,universelle…Oh!lafortunedomaniale!elleestalléerejoindrelespataches.Onmeurtavecunmilliondeterres,onvitaveclequartdececapitalplacédansdebonnesaffaires,àquinze,vingtetmêmetrentepourcent.Doucement,avecsatristesseinfinie,lacomtessehochalatête.– Jenevousentendsguère,et,jevousl’aidit,jesuisrestéed’uneépoqueoùceschoseseffrayaient,commedeschoses mauvaises et défendues… Seulement, je ne suis pas seule, je dois surtout songer à ma fille. Depuisquelquesannées,j’airéussiàmettredecôté,oh!unepetitesomme…Sarougeurreparaissait.– Vingtmillefrancs,quidormentchezmoi,dansuntiroir.Plustard,j’auraispeut-êtreunremordsdelesavoirlaissésainsi improductifs;et,puisquevotreœuvreestbonne,ainsiquemel’aconfiémonamie,puisquevousalleztravailleràcequenoussouhaitonstous,denosvœuxlesplusardents,jemerisque…Enfin,jevousseraireconnaissante,sivouspouvezmeréserverdesactionsdevotrebanque,pourunesommededixàdouzemillefrancs.J’aitenuàcequemafillem’accompagnât,carjenevouscachepasquecetargentestàelle.»(p.95)

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C’est ainsi que La Banque Universelle est créée, alors même que les actions ont étédistribuéesavantleurémission(Voir2.1.6.3.):

«Cefutlesurlendemain,le5octobre,queSaccard,assistéd’HamelinetdeDaigremont,serenditchezmaîtreLelorrain, notaire, rue Sainte-Anne ; et l’acte fut reçu, qui constituait, sous la dénomination de société de laBanqueUniverselle,unesociétéanonyme,aucapitaldevingt-cinqmillions,diviséencinquantemilleactionsdecinqcentsfrancschacune,dontlequartseulétaitexigible.»(p.98«L’assembléegénéraleconstitutiven’eutlieuquelasemainesuivante,rueBlanche,danslasalled’unpetitbalquiavaitfaitfaillite,etoùunindustrieltâchaitd’organiserdesexpositionsdepeinture.Déjà,lessyndicatairesavaient placé celles des actions souscrites par eux, qu’ils ne gardaient pas ; et il vint cent vingt-deuxactionnaires,représentantprèsdequarantemilleactions,cequiauraitdûdonneruntotaldedeuxmillevoix,lechiffre de vingt actions étant nécessaire pour avoir le droit de siéger et de voter. Cependant, comme unactionnaire ne pouvait exprimer plus de dix voix, quel que fût le chiffre de ses titres, le nombre exact dessuffragesfutdeseizecentquarante-trois.Saccardtintabsolumentàcequ’Hamelinprésidât.Lui,s’étaitvolontairementperdudans letroupeau. Ilavaitinscrit l’ingénieur, et s’était inscrit lui-même, chacun pour cinq cents actions, qu’il devait payer par un jeud’écritures.Touslessyndicatairesétaientlà(…).Àl’unanimitédesvoix,onreconnutsincèreladéclarationdelasouscription intégrale du capital, ainsi que celle du versement des cent vingt-cinq francs par action. Puis,solennellement, ondéclara la société constituée. Le conseil d’administration fut ensuite nommé : il devait secomposer de vingtmembres qui, outre les jetons de présence, chiffrés à un total annuel de cinquantemillefrancs,auraientàtoucher,d’aprèsunarticledesstatuts,ledixpourcentsurlesbénéfices.»(p.99)Puis, quelques temps plus tard, le capital de la Banque Universelle est doublé, grâce àl’émissiond’actionsnouvelles,dontl’achatestréservéauxpremiersactionnaires:

«Enfin, après ces promesses d’un avenir glorieux, le rapport concluait à l’augmentation du capital. On ledoublait,on l’élevaitdevingt-cinqà cinquantemillions. Le systèmed’émissionadoptéétait leplus simpledumonde,pourqu’ilentrâtaisémentdanstouteslescervelles:cinquantemilleactionsnouvellesseraientcréées,etonlesréserveraittitrepourtitreauxporteursdescinquantemilleactionsprimitives;defaçonqu’iln’yauraitpasmêmedesouscriptionpublique.Seulement, cesactionsnouvelles seraientdecinqcentvingt francs,dontuneprimedevingtfrancs,formantautotalunesommed’unmillion,qu’onporteraitaufondsderéserve.Ilétaitjusteetprudentdefrapperlesactionnairesdecepetitimpôt,puisqu’onlesavantageait.D’ailleurs,lequartseuldesactionsétaitexigible,pluslaprime.»(p.129)

Lebilanestexcellent:

«Dans l’assembléegénéralequiavait eu lieuà la find’avril, lebilanprésentéportait,pour l’année1864,unbénéficedeneufmillions,enycomprenant lesvingt francsdeprimesurchacunedescinquantemilleactionsnouvelles, lorsdudoublementducapital.Onavaitamorticomplètementlecomptedepremierétablissement,servi aux actionnaires leur cinq pour cent et aux administrateurs leur dix pour cent, laissé à la réserve unesommedecinqmillions,outre ledixpourcent réglementaire ;et,avec lemillionqui restait,onétaitarrivéàdistribuerundividendededixfrancsparaction.C’étaitunbeaurésultat,pourunesociétéquin’avaitpasdeuxansd’existence.»(p.155)

Mais, Saccard, de plus en plus audacieux et voulant donner un nouvel élan à la BanqueUniverselle,faitaccepterunesecondeaugmentationdecapital:

«(…) on le doublait encore, on l’élevait de cinquante à centmillions, en créant centmille actions nouvelles,exclusivement réservées aux actionnaires, titre pour titre. Seulement, cette fois, les titres étaient émis à 675francs, soit une prime de 175 francs, destinée à être versée au fonds de réserve. Les succès croissants, lesaffairesheureusesdéjàfaites,surtoutlesgrandesentreprisesquel’Universelleallaitlancer,étaientlesraisonsinvoquéespour justifiercetteénormeaugmentationducapital,doubléainsicoupsurcoup ;car il fallaitbiendonneràlamaisonuneimportanceetunesoliditéenrapportaveclesintérêtsqu’ellereprésentait.D’ailleurs,le

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résultatfutimmédiat:lesactionsqui,depuisdesmois,restaientstationnaires,àlaBourse,aucoursmoyendeseptcentcinquante,montèrentàneufcents,entroisjours.»(p.155)

L’enrichissement de l’actionnaire est permis par les variations du cours des actions, quiviennentdurapportentrel’offreetlademande.Silademandeestplusfortequel’offre,lecours des actions s’envole. L’actionnaire peut alors décider de réaliser, c’est-à-dire derevendre,sesactionsà leurprixdeventeactuel: ilempochealorsunedifférence.C’estcequeconstateDéjoie:

«(…) il venait de s’exalter en calculant que ses huit actions, au cours de sept cent cinquante francs, luidonnaientdéjàungaindedouzecentsfrancs :cequi, jointaucapital, lui faisaitcinqmilledeuxcentsfrancs.Plusquecentfrancsdehausse,etilavaitlessixmillefrancsrêvés,ladotquelecartonnierexigeaitpourlaissersonfilsépouserlapetite.»(p.143)

Desoncôté,lacomtessedeBeauvilliersfaitlecomptedelavaleurdesesactions:

«(…)elleavaitpriscentactions,qui,doubléeslorsdelapremièreaugmentationducapital,etdoubléesencorelorsdelaseconde,faisaientaujourd’huiuntotaldequatrecentsactions,surlesquelleselleavaitversé,primescomprises, la sommede quatre-vingt-septmille francs. En dehors de ses vingtmille francs d’économies, elleavaitdoncdû,pourpayercettesomme,empruntersoixante-dixmillefrancssursafermedesAublets.»(p.184)Ayantunacquéreurpoursaferme,ellesouhaiteparticiperàl’émissiondesnouvellesactionsetdemandeconseilàSaccard,quiluifaitdescalculsauxquelsellenecomprendpasgrand-chose:

«L’actionseradehuitcentcinquantefrancs,avec laprime…Voyons,nousdisonsquevousavezquatrecentsactions. Ilvadoncvousenêtreattribuédeuxcents,cequivousobligeraàunversementdecentsoixante-dixmille francs. Mais tous vos titres seront libérés, vous aurez six cents actions bien à vous, ne devant rien àpersonne.Ellesnecomprenaientpas,ildutleurexpliquercettelibérationdestitres,àl’aidedelaprime;etellesrestaientunpeupâles,devantcesgroschiffres,oppresséesàl’idéeducoupd’audacequ’ilfallaitrisquer.– Commeargent,murmuraenfinlamère,ceseraitbiencela…Onm’offredeuxcentquarantemillefrancsdesAublets,quienvalaientautrefoisquatrecentmille ;desorteque, lorsquenousaurions remboursé lasommeempruntéedéjà,ilnousresteraitjustedequoifaireleversement…Mais,monDieu!quelleterriblechose,cettefortunedéplacée,toutenotreexistencejouéeainsi!Et sesmains tremblaient, il y eut un silence, pendant lequel elle songeait à cet engrenage qui lui avait prisd’abordseséconomies,puislessoixante-dixmillefrancsempruntés,etquimenaçaitmaintenantdeluiprendrelafermeentière.Sonancienrespectdelafortunedomaniale,enlabours,enprés,enforêts,sarépugnancepourle trafic sur l’argent, cette basse besogne de juifs, indigne de sa race, revenaient et l’angoissaient, à cetteminutedécisiveoùtoutallaitêtreconsommé.Muette,safillelaregardait,desesyeuxardentsetpurs.Saccardeutunsourireencourageant.– Dame ! il est bien certain qu’il faut que vous ayez confiance en nous… Seulement, les chiffres sont là.Examinez-les,ettoutehésitationmesembledèslorsimpossible…Admettonsquevousfassiezl’opération,vousavezdoncsixcentsactions,qui,libérées,vousontcoûtélasommededeuxcentcinquante-septmillefrancs.Or,ellessontaujourd’huiaucoursmoyendetreizecentsfrancs,cequivousfaituntotaldeseptcentquatre-vingtmille francs. Déjà, vous avez plus que triplé votre argent… Et ça continuera, vous verrez la hausse, aprèsl’émission!Jevousprometslemillionavantlafindel’année.»(p.184-185)Finalement,lecoursdel’actiondelaBanqueUniversellefinitparpasserà3000francs.Ainsi,uneactionpayée500francsàsacréationpeut-ellealorsêtrerevendueàcemoment-làavecunbénéficede2500francs.Mais,àcejeu-là,onpeutperdreaussi.C’estlejeudel’offreetde la demande, exacerbé par l’influence de la coulisse et des autres places boursières. ApartirdumomentoùDelarocque,l’agentdechangedufinancierDaigremont,entreenscène

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pourvendreaulieud’acheter,unmouvementdepaniqueentraîneuneruéeverslavente,etun effondrement mécanique des cours. Et c’est la faillite de la Banque Universelle,entraînantcelledebeaucoupd’actionnaires:

LacomtessedeBeauvilliersetsafille:«Lesmalheureusesqui,quinzejoursplustôt,possédaientdix-huitcentmillefrancsavecleurssixcentsactions,n’enauraienttiréquedix-huitmille,aujourd’huiqueletitreétaittombédetroismille francsàtrente francs.Et leur fortuneentièresetrouvait fondue,emportéeducoup : lesvingtmillefrancsdeladot,missipéniblementdecôtéparlacomtesse,lessoixante-dixmillefrancsempruntésd’abord sur la ferme des Aublets, les Aublets eux-mêmes vendus ensuite deux cent quarante mille francs,lorsqu’ilsenvalaientquatrecentmille.»(p.270)

Déjoie:«Seslarmesl’étranglèrent,ilsanglota.– Aussi,c’estlafautedemonambition…Sij’avaisvendu,dèsquemeshuitactionsmedonnaient les sixmille francsde ladot,elle seraitmariéeàcetteheure.Seulement,n’est-cepas?çamontait toujours,et j’ai songéàmoi, j’aivoulud’abordsixcents,puishuit cents,puismillefrancsderente ;d’autantplusque lapetiteauraithéritédecetargent-là,plustard…Direqu’unmoment,aucoursdetroismille,j’aieudanslamainvingt-quatremillefrancs,dequoiluiconstituersadotdesixmillefrancset deme retirermoi-même avec neuf cents francs de rente. Non ! j’en voulaismille, est-ce assez bête ! Et,maintenant,çanereprésenteseulementpasdeuxcentsfrancs…Ah!c’estmafaute,j’auraismieuxfaitdemeflanqueràl’eau!»(p.272)

Maugendre: «Avant les grandes batailles des deux dernières liquidations, l’ancien fabricant de bâchespossédaitdéjàsoixante-quinze titres,qui luiavaientcoûtéenvironquatre-vingtmille francs :affairesuperbe,puisque, àunmoment, au coursde troismille francs, ces titres en représentaientdeux cent vingt-cinqmille.Mais le terribleétaitque,dans lapassionde la lutte, il avait jouéàdécouvert, croyantaugéniedeSaccard,achetant toujours ; de sorte que d’effroyables différences à payer, plus de deux cent mille francs, venaientd’emporter le restede sa fortune, cesquinzemille francsde rentegagnés si rudementpar trenteannéesdetravail.Iln’avaitplusrien,c’étaitàpeines’ilensortiraitcomplètementacquitté,lorsqu’ilauraitvendusonpetithôtel de la rue Legendre, dont il se montrait si fier. Et, dans ce désastre, madame Maugendre étaitcertainementpluscoupablequelui.»(p.274)

2.1.4.4.Lapublicité

DansCésarBirotteau,en lançant,àgrandsrenfortsdepublicité,sonEaucarminativeetsaDouble pâte des sultanes, César a compris qu’il tenait là un outil extraordinaire pourpromouvoirsesventesetdévelopperlanotoriétéd’unproduit.Grâceàlapublicité,lescoûtsunitairesdeproductionpeuventbaisseretCésarpeutécrasersesconcurrents.

«LePâtedesSultanesetl’EauCarminativeseproduisirentdansl’universgalantetcommercialpardesaffichescoloriées, en tête desquelles étaient ces mots : Approuvées par l’Institut ! Cette formule, employée pour lapremièrefois,eutuneffetmagique.NonseulementlaFrance,mais lecontinentfutpavoiséd’affichesjaunes,rouges,bleues,parlesouveraindelaReinedesRosesquitenait,fournissaitetfabriquait,àdesprixmodérés,tout ce qui concernait sa partie. À une époque où l’on ne parlait que de l’Orient, nommer un cosmétiquequelconquePâtedesSultanes,endevinant lamagieexercéeparcesmotsdansunpaysoùtouthommetientautant à être sultan que la femme à devenir sultane, était une inspiration qui pouvait venir à un hommeordinairecommeàunhommed’esprit;maislepublicjugeanttoujourslesrésultats,Birotteaupassad’autantpluspourunhommesupérieur,commercialementparlant,qu’ilrédigealui-mêmeunprospectusdontlaridiculephraséologiefutunélémentdesuccès(…).»(p.22-23)

«Lesuccèsfutdû,sansqueCésars’endoutât,àConstancequi luiconseillad’envoyer l’EauCarminativeet laPâtedesSultanesparcaissesàtouslesparfumeursdeFranceetdel’étranger,enleuroffrantungaindetrentepourcent,s’ilsvoulaientprendrecesdeuxarticlespargrosses.LaPâteetl’Eauvalaitmieux,enréalitéquelescosmétiquesanaloguesetséduisaientlesignorantsparladistinctionétablieentrelestempéraments: lescinqcentsparfumeursdeFrance,alléchésparlegain,achetèrentannuellementchezBirotteauchacunplusdetrois

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cents grosses de Pâte et d’Eau, consommation qui lui produisit des bénéfices restreints quant à l’article,énormesparlaquantité.»(p.25)

Anselme Popinot va fait de même avec l’Huile Céphalique, en distribuant des affichespartout:

«ConseilléparGaudissartetparFinot,Anselmeavaitlancésonhuileavecaudace.Deuxmilleaffichesavaientétémisesdepuistrois joursauxendroits lesplusapparentsdeParis.Personnenepouvaitéviterdesetrouverfaceàfaceavecl’HuileCéphaliqueetdelireunephraseconcise,inventéeparFinot,surl’impossibilitédefairepousserlescheveuxetsurledangerdelesteindre,accompagnéedelacitationduMémoirelààl’AcadémiedessciencesparVauquelin;unvraicertificatdeviepourlescheveuxmortspromisàceuxquiuseraientdel’HuileCéphalique. Tous les coiffeursdeParis, lesperruquiers, lesparfumeursavaientdécoré leursportesde cadresdorés,contenantunbelimprimesurpapiervélin,entêteduquelbrillaitlagravured’HéroetdeLéandreréduite,aveccetteassertionenépigraphe:Lesancienspeuplesdel’antiquitéconservaientleurscheveluresparl’emploidel’HuileCéphalique.–Ilainventélescadrespermanents,l’annonceéternelle!seditBirotteauquidemeurastupéfaitenregardantladevanturedelaCloche-d’Argent.»(p.133-134)Mais, il va encore plus loin, en ayant recours à la presse. Et, grâce à cette seconde vuecommerciale,ilpermetàBirotteauderemboursersescréanciers.«PopinotpromitàFinotcinqcentsfrancspargrandjournal,etilyenavaitdix!troiscentsfrancsparjournalsecondaire,etilyenavaitdixautres!s’ilyétaitparlé,troisfoisparmois,del’HuileCéphalique.Finotvittroismillefrancspourluidansceshuitmillefrancs,sonpremierenjeuàjetersurlegrandetimmensetapisvertdelaSpéculation ! Il s’était donc élancé comme un lion sur ses amis, sur ses connaissances ; il habitait alors lesbureauxde rédaction, il seglissaitauchevetdu litde tous les rédacteurs, lematin ;et le soir ilarpentait lesfoyersdetouslesthéâtres.–Penseàmonhuile,cherami,jen’ysuispourrien,affairedecamaraderie,tusais!Gaudissart,unbonvivant.Telleétaitlapremièreetladernièrephrasedetoussesdiscours.Ilassaillitlebasdetoutescolonnesfinalesauxjournauxoùilfitdesarticlesenenlaissantl’argentauxrédacteurs.Rusécommeunfigurantquiveutpasseracteur,alertecommeunsaute-ruisseauquigagnesoixante francsparmois, ilécrivitdes lettrescaptieuses, il flatta tous lesamours-propres, il renditd’immondesservicesaux rédacteursenchef,afind’obtenirsesarticles.»(p.134)DansAuBonheurdesDames,Mouretutiliseabondamment la réclame. Ilestmêmeprêtàvendreàpertedelasoiepoursefairedelaréclame,commeill’expliqueàBourdoncle:

«–Sinousladonnonsàcinqfrancssoixante,c’estcommesinousladonnionsàperte,puisqu’ilfaudraprélevernos fraisqui sontconsidérables…On lavendraitpartoutsept francs.Ducoup,Mouretse fâcha. Il tapadesamainouvertesurlasoie,ilcrianerveusement:–Maisjelesais,etc’estpourquoijedésireenfairecadeauànosclientes… En vérité, mon cher, vous n’aurez jamais le sens de la femme. Comprenez donc qu’elles vont sel’arracher, cette soie ! – Sansdoute, interrompit l’intéressé, qui s’entêtait, et plus elles se l’arracheront, plusnousperdrons.–Nousperdronsquelquescentimessurl’article,jeleveuxbien.Après?lebeaumalheur,sinousattironstoutes lesfemmesetsinous lestenonsànotremerci,séduites,affoléesdevant l’entassementdenosmarchandises,vidant leurporte-monnaiesanscompter!Letout,moncher,estde lesallumer,et il fautpourcelaunarticlequiflatte,quifasseépoque.Ensuite,vouspouvezvendrelesautresarticlesaussichersqu’ailleurs,elles croiront les payer chez vous meilleur marché. Par exemple, notre Cuir-d’Or, ce taffetas à sept francscinquante, qui se vend partout ce prix, va passer également pour une occasion extraordinaire, et suffira àcomblerlaperteduParis-Bonheur…Vousverrez,vousverrez!»(p.29-30)

Mais,sagrandepuissanceestlerecoursàlapublicitéparvoiedepresse:

«Mouretenarrivaitàdépenserparantroiscentmillefrancs,decatalogues,d’annoncesetd’affiches.Poursamiseenventedesnouveautésd’été,ilavaitlancédeuxcentmillecatalogues,dontcinquantemilleàl’étranger,

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traduits dans toutes les langues. Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les accompagnait mêmed’échantillons,colléssurlesfeuilles.C’étaitundébordementd’étalages,leBonheurdesDamessautaitauxyeuxdumonde entier, envahissait lesmurailles, les journaux, jusqu’aux rideaux des théâtres. Il professait que lafemmeest sans forcecontre la réclame,qu’elle finit fatalementparalleraubruit.Du reste, il lui tendaitdespièges plus savants, il l’analysait en grandmoraliste. Ainsi, il avait découvert qu’elle ne résistait pas au bonmarché, qu’elle achetait sans besoin, quand elle croyait conclure une affaire avantageuse ; et, sur cetteobservation, ilbasaitsonsystèmedesdiminutionsdeprix, ilbaissaitprogressivement lesarticlesnonvendus,préférant les vendre à perte, fidèle au principe du renouvellement rapide des marchandises. Puis, il avaitpénétréplusavantencoredans lecœurde la femme, ilvenaitd’imaginer« les rendus»,unchef-d’œuvredeséduction jésuitique.«Preneztoujours,madame:vousnousrendrez l’article,s’ilcessedevousplaire.»Et lafemme, qui résistait, trouvait là une dernière excuse, la possibilité de revenir sur une folie : elle prenait, laconscienceenrègle.Maintenant,lesrendusetlabaissedesprixentraientdanslefonctionnementclassiquedunouveaucommerce.»(p.184-185)Depuislematin,lacohueaugmentait.Aucunmagasinn’avaitencoreremuélavilled’untelfracasdepublicité.Maintenant, le Bonheur dépensait chaque année près de six cent mille francs en affiches, en annonces, enappelsdetoutessortes ; lenombredescataloguesenvoyésallaitàquatrecentmille,ondéchiquetaitplusdecentmille francs d’étoffes pour les échantillons. C’était l’envahissement définitif des journaux, desmurs, desoreillesdupublic,commeunemonstrueusetrompetted’airain,qui,sansrelâche,soufflaitauxquatrecoinsdelaterrelevacarmedesgrandesmisesenvente.»(p.306-307)2.1.5.L’argentdelaspéculation

Aveclaspéculation(VoirLeSaviez-vous?N°5),sefaitjour,auXIX°,unenouvelledimensiondel’argent.Ilnes’agitplusd’espècessonnantesettrébuchantesoud’hectaresdepropriétésaux revenus tangibles,mais d’argent virtuel. Il s’agit de travailler et de s’enrichir avec unargentquel’onn’apas.Lesspéculateurssontenquelquesortdesalchimistesmodernesquitransformelerienenor.2.1.5.1.Laspéculationsurlesmarchandises

Laspéculationsurlesmarchandisesestpratiquéepardesproducteursetdescommerçantsavisés,principalementdansLaComédieHumaine.

DansEugénieGrandet,Grandetspéculeavecsuccèslavaleurdesesmarchandises:

«MonsieurGrandet(…)vieuxtonnelier,vieuxvigneron,devinaitaveclaprécisiond’unastronomequandilfallaitfabriquerpoursarécoltemillepoinçonsouseulementcinqcents;quinemanquaitpasuneseulespéculation,avait toujoursdes tonneauxàvendrealorsque le tonneauvalaitpluscherque ladenréeà recueillir,pouvaitmettresavendangedanssescelliersetattendrelemomentdelivrersonpoinçonàdeuxcentsfrancsquandlespetits propriétaires donnaient le leur à cinq louis. Sa fameuse récolte de 1811, sagement serrée, lentementvendue,luiavaitrapportéplusdedeuxcentquarantemillelivres.»(p.5)

QuantaupèreGoriot,ilaspéculésurleblé:

«Cette sagesseavaitété l’originede sa fortune,qui commençadans ladisette, fausseouvraie,par suitedelaquelle lesgrainsacquirentunprixénormeàParis. Lepeuple se tuaità laportedesboulangers, tandisquecertainespersonnesallaientcherchersansémeutedespâtesd’Italiechez lesépiciers.Pendantcetteannée, lecitoyenGoriotamassalescapitauxquiplustardluiservirentàfairesoncommerceavectoutelasupérioritéquedonneunegrandemassed’argentàceluiquilapossède.Illuiarrivacequiarriveàtousleshommesquin’ontqu’unecapacitérelative.Samédiocrité lesauva.D’ailleurs,safortunen’étantconnuequ’aumomentoù iln’yavaitplusdedangeràêtreriche,iln’excital’enviedepersonne.Lecommercedegrainssemblaitavoirabsorbétoute son intelligence. S’agissait-il de blés, de farines, de grenailles, d’en reconnaître les qualités, lesprovenances,deveillerà leurconservation,deprévoir lescours,deprophétiser l’abondanceou lapénuriede,

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récoltes,deseprocurer lescéréalesàbonmarché, les’enapprovisionnerenSicile,enUkraine,Goriotn’avaitpassonsecond.Àluivoirconduiresesaffaires,expliquerlesloissurl’exportation,surl’importationdesgrains,en étudier l’esprit, en saisir les défauts, un homme l’eût jugé capable d’être un bonministre d’état. Il étaitpatient,actif,énergique,constant,rapidedanssesexpéditions;ilavaituncoupd’œild’aigle;ildevançaittout,ilprévoyaittout,ilsavaittout,ilcachaittout;diplomatepourconcevoir,soldatpourmarcher.»(p.61)

2.1.5.2.Laspéculationimmobilièreetfoncière

DansCésarBirotteau,onconstatel’intrusiondelaspéculationimmobilièreetboursièredansl’universdelamoyennebourgeoisie.«Voici:Roguinm’aproposéunespéculationsisûrequ’ils’ymetavecRagon,avectononclePilleraultetdeuxautresdesesclients.NousallonsacheterauxenvironsdetaMadeleinedesterrainsque,suivantlescalculsdeRoguin,nousauronspourlequartdelavaleuràlaquelleilsdoiventarriverd’iciàtroisans,époqueàlaquelle,lesbauxétantexpirés,nousdeviendronsmaîtresd’exploiter.Noussommestoussixparportionsconvenues.Moije fournis trois centmille francs, afin d’y être pour trois huitièmes. Si quelqu’un de nous a besoin d’argent,Roguinluientrouverasursapartenl’hypothéquant.Pourtenirlaqueuedelapoêleetsavoircommentfriralepoisson, j’ai voulu être propriétaire en nompour lamoitié qui sera commune entre Pillerault, le bonhommeRagon et moi. Roguin sera sous le nom d’un monsieur Charles Claparon, mon copropriétaire, qui donnera,commemoi,unecontre-lettreàsesassociés.Lesactesd’acquisitionsefontparpromessesdeventesousseingprivé jusqu’à ce que nous soyonsmaîtres de tous les terrains. Roguin examinera quels sont les contrats quidevrontêtreréalisés,cariln’estpassûrquenouspuissionsnousdispenserdel’enregistrementetenrejeterlesdroits sur ceuxàquinousvendronsendétail,mais ce serait trop longà t’expliquer. Les terrainspayés,nousn’auronsqu’ànouscroiser lesbras,etdanstroisansd’icinousseronsrichesd’unmillion.Césanneauravingtans,notrefondsseravendu,nousironsalorsàlagrâcedeDieumodestementverslesgrandeurs.»(p.7-8)Mais,sonépouselemetengarde:«QuantàtonaffairedelaMadeleine,jem’yopposeformellement.Tuesparfumeur,soisparfumeur,etnonpasrevendeurde terrains.Nousavonsun instinctquinenous trompepas,nousautres femmes ! Je t’aiprévenu,maintenant agis à ta tête. Tu as été juge au tribunal de commerce, tu connais les lois, tu as bienmené tabarque, je te suivrai, César ! Mais je tremblerai jusqu’à ce que je voie notre fortune solidement assise, etCésarinebienmariée.Dieuveuillequemonrêvenesoitpasuneprophétie!(p.12)Mais, Birotteau suit son idée. Escroqué par du Tillet (Voir2.1.6.2), il est ruiné pour avoirtenté d’ajouter à son négoce les bénéfices d’une opération portant sur la plus-value deterrainsàbâtir.Saccard, dans La Curée, a trouvé, grâce à son frère Eugène, alors député, un emploi à lamairie de Paris qui lui permet d’avoir accès aux plans des grands travaux d’urbanisationmenésparlebaronHaussmann.Cesinformationsluipermettentd’acheterunebouchéedepaindesterrainsquivontêtrerachetésàprixd’orparlavilledeParis(Voirledélitd’initié,2.1.6.3.).Sapremièreaffaire,ill’afaitgrâceàlafortunedesonépouse:

«Maintenant,sescalculsétaient faits : ilachetaitàsa femme,sous lenomd’un intermédiaire, sansparaîtreaucunement,lamaisondelaruedelaPépinière,ettriplaitsamisedefonds,grâceàsascienceacquisedanslescouloirs de l’Hôtel de Ville, et à ses bons rapports avec certains personnages influents. S’il avait tressailli,lorsquelatanteÉlisabethluiavait indiquél’endroitoùsetrouvaitlamaison,c’estqu’elleétaitsituéeaubeaumilieudutracéd’unevoiedontonnecausaitencorequedans lecabinetdupréfetde laSeine.Cettevoie, leboulevard Malesherbes l’emportait tout entière. C’était un ancien projet de Napoléon Ier qu’on songeait àmettreàexécution,«pourdonner,disaientlesgensgraves,undébouchénormalàdesquartiersperdusderrièreun dédale de rues étroites, sur les escarpements des coteaux qui limitaient Paris. » Cette phrase officielle

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n’avouait naturellement pas l’intérêt que l’empire avait à la danse des écus, à ces déblais et à ces remblaisformidablesquitenaientlesouvriersenhaleine.»(p.58)

Puis, il s’associe avec «lesMignon, Charrier et Ce ces fameux entrepreneurs alors à leursdébutsetquidevaientréaliserdesfortunescolossales»(p.81)etspéculeaveceux:

«LaVille s’était déjà décidée à ne plus exécuter elle-même les travaux, à céder les boulevards à forfait. Lescompagniesconcessionnairess’engageaientàluilivrerunevoietoutefaite,arbresplantés,bancsetbecsdegazposés, moyennant une indemnité convenue ; quelquefois même, elles donnaient la voie pour rien : elles setrouvaient largementpayéespar lesterrainsenbordure,qu’ellesretenaientetqu’elles frappaientd’uneplus-valueconsidérable.Lafièvredespéculationsurlesterrains,lahaussefurieusesurlesimmeublesdatentdecetteépoque. Saccard, par ses attaches, obtint la concession de trois tronçons de boulevard. (…) Si Saccard lançal’affaire,l’animadesaflamme,desaraged’appétits,lessieursMignonetCharrier,parleurterreàterre,leuradministrationroutinièreetétroite, l’empêchèrentvingt foisdeculbuterdans les imaginationsétonnantesdeleur associé. (…) Les entrepreneurs, pour couper court à ces projets qui les effrayaient, décidèrent que lesterrainsenbordureseraientpartagésentrelestroisassociés,etquechacund’euxenferaitcequ’ilvoudrait.Euxcontinuèrentàvendresagementleurslots.Luifitbâtir.»(p;81-82)

Acejeu,ilfinitparacquériruneimmensefortune:

«Bientôt, remuant les capitauxà lapelle, il euthuitmaisons sur lesnouveauxboulevards. Il enavaitquatrecomplètement terminées, deux rue de Marignan, et deux sur le boulevard Haussmann ; les quatre autres,situéessurleboulevardMalesherbes,restaientenconstruction,etmêmeuned’elles,vasteenclosdeplanchesoù devait s’élever un magnifique hôtel, n’avait encore de posé que le plancher du premier étage. À cetteépoque, ses affaires se compliquèrent tellement, il avait tant de fils attachés à chacun de ses doigts, tantd’intérêtsàsurveilleretdemarionnettesàfairemouvoir,qu’ildormaitàpeinetroisheuresparnuitetqu’illisaitsacorrespondancedanssavoiture.Lemerveilleuxétaitquesacaissesemblait inépuisable.Ilétaitactionnairedetouteslessociétés,bâtissaitavecunesortedefureur,semettaitdetouslestrafics,menaçaitd’inonderPariscommeunemermontante,sansqu’onlevitréaliserjamaisunbénéficebiennet,empocherunegrossesommeluisant au soleil. Ce fleuve d’or, sans sources connues, qui paraissait sortir à flots pressés de son cabinet,étonnait lesbadauds,et fitde lui,àunmoment, l’hommeenvueauquel les journauxprêtaient tous lesbonsmotsdelaBourse.»(p.82)

Cettefortuneluipermetdefaireconstruireunmagnifiquehôtelparticulier,ducôtéduParcMonceau.Mais, insatiable, il finitparraterplusieursentreprises.AudébutdeL’Argent,onapprendqu’ilaétéruinédansdesspéculationshasardeuses.

2.1.5.3.Laspéculationfinancièreouboursière

Si les intermédiaires financiers jouent un rôle essentiel dans la distribution du crédit, uneautreinstitutionprendauXIX°uneplaceinédite:lesboursesdevaleursimmobilières.

DansCésarBirotteau,CésarapprendparClaparon,l’hommedemaindeduTillet,cequ’estlaspéculationboursière,defaçontrèsimagée:

«Tondezlepublic,entrezdanslaSpéculation.–Laspéculation?ditleparfumeur,quelestcecommerce?–C’est le commerceabstrait, reprit Claparon, un commercequi restera secretpendantunedizained’annéesencore,audiredugrandNucingen, leNapoléonde lafinance,etpar lequelunhommeembrasse lestotalitésdes chiffres, écrème les revenus avant qu’ils n’existent, une conception gigantesque, une façon de mettrel’espéranceencoupesréglées,enfinunenouvelleCabale!Nousnesommesencorequedixoudouzetêtesfortesinitiées, aux secrets cabalistiques de cesmagnifiques combinaisons. César ouvrait les yeux et les oreilles en

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essayantdecomprendrecettephraséologiecomposite.–Écoutez,ditClaparonaprèsunepause,desemblablescoupsveulentdeshommes.Ilyal’hommeàidéesquin’apaslesou,commetouslesgensàidées.Cesgens-làpensentetdépensent,sansfaireattentionàrien.Figurezvousuncochonquivaguedansunboisàtruffes!Ilestsuivi par ungaillard, l’hommed’argent, qui attend le grognement excité par la trouvaille.Quand l’hommeàidées a rencontré quelque bonne affaire, l’homme d’argent lui donne alors une lape sur l’épaule et lui dit :Qu’est-cequec’estqueça?Vousvousmettezdans lagueuled’unfour,monbrave,vousn’avezpas lesreinsassez forts ; voilàmille francs, et laissez-moimettre en scène cette affaire. Bon ! le banquier convoque lesindustriels.Mesamis,àl’ouvrage!desprospectus!lablagueàmort!Onprenddescorsdechasseetoncrieàsondetrompe:Centmillefrancspourcinqsous!oucinqsouspourcentmillefrancs,desminesd’or,desminesdecharbon.Enfintoutl’esbrouffeducommerce.Onachètel’avisdeshommesdescienceoud’art,laparadesedéploie,lepublicentre,ilenapoursonargent,larecetteestdansnosmains.Lecochonestchambrésoussontoitavecdespommesdeterre,etlesautressechafriolentdanslesbilletsdebanque.Voilà,monchermonsieur.Entrezdanslesaffaires.Quevoulez-vousêtre?cochon,dindon,paillasseoumillionnaire?Réfléchissezàceci:jevousaiformulélathéoriedesempruntsmodernes.»(p.163-164)Dans Eugénie Grandet, Grandet spécule en prêtant de l’argent à l’État qui lui versepériodiquementdesintérêts(systèmederentesd’État,existantsouslaRestauration):

«Après avoir fait un ou deux tours dans la salle, il monta promptement à son cabinet pour y méditer unplacementdanslesfondspublics.Sesdeuxmillearpentsdeforêtcoupésàblancluiavaientdonnésixcentmillefrancs ; en joignant à cette somme l’argent de ses peupliers, ses revenus de l’année dernière et de l’annéecourante,outrelesdeuxcentmillefrancsdumarchéqu’ilvenaitdeconclure,ilpouvaitfaireunemassedeneufcent mille francs. Les vingt pour cent à gagner en peu de temps sur les rentes, qui étaient à 80 francs, letentaient.Ilchiffrasaspéculationsurlejournaloùlamortdesonfrèreétaitannoncée,enentendant,sanslesécouter, les gémissements de sonneveu.Nanon vint cogner aumurpour inviter sonmaître àdescendre : ledînerétaitservi.Souslavoûteetà ladernièremarchedel’escalier,Grandetdisaitenlui-même:–Puisquejetoucheraimesintérêtsàhuit,jeferaicetteaffaire.Endeuxans,j’auraiquinzecentmillefrancsquejeretireraideParisenbonor.»(p.57-58)

Saspéculationestunevéritableréussite:

«Monsieur des Grassins, (…) lui avait annoncé la hausse des fonds publics. Ils étaient alors à 89, les pluscélèbrescapitalistesenachetaient,finjanvier,à92.Grandetgagnait,depuisdeuxmois,douzepourcentsursescapitaux, ilavaitapuré sescomptes,etallaitdésormais touchercinquantemille francs tous les sixmois sansavoir à payer ni impositions, ni réparations. Il concevait enfin la rente, placement pour lequel les gens deprovince manifestent une répugnance invincible, et il se voyait, avant cinq ans, maître d’un capital de sixmillionsgrossisansbeaucoupdesoins,etqui, jointà lavaleurterritorialedesespropriétés,composeraitunefortunecolossale.»(p.98)

DansL’Argent,Zolasontdécritslefonctionnementmêmedelabourseetlerôledetouslesprotagonistes. En premier lieu, on rencontre les abords extérieurs: le restaurantChampeaux, où déjeunent les agents de change (comme Mazaud) et divers affairistes(comme les spéculaeurs Pillerault, Moser et Salmon); le square rempli de femmes encheveuxetde spéculateurs louches; la rueNotre-Dame-des-Victoires«occupée toutepardes marchands de vin, des cafés, des brasseries, des tavernes, grouillant d’une clientèlespéciale, étrangementmêlée» (p.14); tous les commerces vivant des désastres boursiers,«des compagnies d’assurances mal famées, des journaux financiers de brigandage, dessociétés, des banques, des agences, des comptoirs, la série entière des modestes coupe-gorge,installésdansdesboutiquesouàdesentresols,largescommelamain»(p.14);mais,surtout,lapetiteBoursedesvaleursdéclassées,ditesdes«Piedshumides»:

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«Ilpénétraparl’anglededroite,souslesarbresquifontfaceàlaruedelaBanque,ettoutdesuiteiltombasurlapetiteboursedesvaleursdéclassées, les«Piedshumides»,commeonappelleavecunironiquemépriscesjoueurs de la brocante, qui cotent en plein vent, dans la boue des jours pluvieux, les titres des compagniesmortes. Il y avait là, en un groupe tumultueux, toute une juiveriemalpropre, de grasses faces luisantes, desprofilsdesséchésd’oiseauxvoraces,uneextraordinaireréuniondeneztypiques,rapprochéslesunsdesautres,ainsi que sur une proie, s’acharnant aumilieu de cris gutturaux, et comme près de se dévorer entre eux. Ilpassait,lorsqu’ilaperçutunpeuàl’écartungroshomme,entrainderegarderausoleilunrubis,qu’illevaitenl’air,délicatement,entresesdoigtsénormesetsales.»(p.11)

Plus loin,c’est ladescriptionde l’organisationspatiale internede laBourseetdesrôlesdechacun des protagonistes. Deux lieuxs’opposent : la coulisse, marché non officiel installésous lepéristyle; lacorbeille,marchéofficiel,situéaucœurdelasalleprincipale,avecsescoteurs et ses agents de change. Apparaît aussi la guitare, lieu où les employés et lesspéculateurssemettent«encontactdirectaveclesagents».

Lacorbeilleetlaguitare:«Arrivésdevant lacorbeille, levastebassincirculaire,encorenetdespapiersinutiles,desfichesqu’onyjette,ilss’arrêtèrentuninstant,appuyésàlarampedeveloursrougequil’entoure,continuantà sediredes chosesbanales et interrompues, tout enguettantdu coinde l’œil lesalentours. Lesquatretravées,enformedecroix,ferméespardesgrilles,sorted’étoileàquatrebranchesayantpourcentrelacorbeille,étaientle lieusacréinterditaupublic;et,entrelesbranches,enavant, ilyavaitd’uncôtéunautrecompartiment,oùsetrouvaientlescommisducomptant,quedominaientlestroiscoteurs,assissurdehauteschaises,devantleursimmensesregistres;tandisque,del’autrecôté,uncompartimentpluspetit,ouvertcelui-là,nommé«laguitare»,àcausedesaformesansdoute,permettaitauxemployésetauxspéculateursdesemettreencontactdirectavec lesagents.Derrière,dans l’angleformépardeuxautresbranches,setenait,enpleine foule, le marché des rentes françaises, où chaque agent était représenté, ainsi qu’au marché ducomptant,paruncommisspécial,ayantsoncarnetdistinct;carlesagentsdechange,autourdelacorbeille,nes’occupent exclusivement que desmarchés à terme, tout entiers à la grande besogne effrénée du jeu.Mais,apercevant, dans la travée de gauche, son fondé de pouvoir Berthier, qui lui faisait un signe, Mazaud allaéchangeravecluiquelquesmotsàdemi-voix,lesfondésdepouvoirn’ayantqueledroitd’êtredanslestravées,àdistancerespectueusedelarampedeveloursrouge,qu’aucunemainprofanenesauraittoucher.Chaquejour,Mazaud venait ainsi à la Bourse avec Berthier et ses deux commis, celui du comptant et celui de la rente,auxquelssejoignaitleplussouventleliquidateurdelacharge;sanscompterl’employéauxdépêches,quiétaittoujours lepetit Flory, (…). Et, justement, comme il descendait en courantdu télégraphe, installéaupremierétage, lesdeuxmainspleinesdedépêches, ildutfaireappelerparungardeMazaud,qui lâchaBerthier,pourvenircontrelaguitare.»(p.238-239)«Cependant,Mazaudrevintverslacorbeille.Mais,àchaquepas,ungardeluiremettait,delapartdequelqueclientquin’avaitpus’approcher,unefiche,oùunordreétaitgriffonnéaucrayon.Chaqueagentavaitsaficheparticulière,d’unecouleurspéciale,rouge,jaune,bleue,verte,afinqu’onpûtlareconnaîtreaisément.CelledeMazaudétaitverte,couleurdel’espérance;etlespetitspapiersvertscontinuaientàs’amasserentresesdoigts,danslecontinuelva-et-vientdesgardes,quilesprenaientauboutdestravées,delamaindesemployésetdesspéculateurs, touspourvusd’uneprovisiondeces fiches,de façonàgagnerdu temps.Comme il s’arrêtaitdenouveaudevantlarampedevelours,ilyretrouvaJacoby,qui,luiégalement,tenaitunepoignéedefiches,sanscessegrossie,desfichesrouges,d’unrougefraisdesangrépandu:sansdoutedesordresdeGundermannetdesesfidèles,carpersonnen’ignoraitqueJacoby,danslemassacrequisepréparait,étaitl’agentdesbaissiers,leprincipalexécuteurdeshautesœuvresdelabanquejuive.»(p.239-240)Lacoulisse:«– MonsieurMassiasvousdemande,vintdireungardeàMazaud.Vivement,cedernierretournaau bout de la travée. Le remisier, complètement à la solde de l’Universelle, lui apportait des nouvelles de lacoulisse, qui fonctionnait déjà sous le péristyle,malgré la terrible gelée.Quelques spéculateurs se risquaientquandmême, rentraientparmoments sechaufferdans la salle ;pendantque lescoulissiers,au fondd’épaispaletots, les collets de fourrure relevés, tenaient bon, en cercle comme d’habitude, au-dessous de l’horloge,s’animant,criant,gesticulantsifort,qu’ilsnesentaientpaslefroid.EtlepetitNathansohnsemontraitparmilesplusactifs,entraindedevenirungrosmonsieur,favorisédelachance,depuislejour,où,simplepetitemployédémissionnaireduCréditMobilier,ilavaiteul’idéedelouerunechambreetd’ouvrirunguichet.»(p.240)

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LapositiondetouslesacteursdelaBourseestdétaillée.Onrencontrelesagentsdechange(MazaudetsesdeuxcommisFloryetSédille);lesspéculateurs(PilleraultetMaugendre)lesspéculateursdesecondezone (Sabatani,Faveux); les remisiersqui recrutentuneclientèlepour les agents de change qui leur concèdent en échange une remise d’un tiers sur lescourtages facturés (Massias); les coulissiers, courtiers officieux, spécialisés dans lanégociationdevaleurétrangère,delarentepubliqueetdesopérationsayantlieuendehorsdesheuresofficiellesdelaBourse,souslepéristyle(Nathanson);lesfondésdepouvoir;lesliquidateurs;leshaussiers(dontlechefestMazaud;Moser);lesbaissiers(dontlechefestJacoby);etc.

D’autrepartlesmécanismesdelaBoursesontexpliqués,commecetteloiessentielle,néedel’expérienceboursière:toutespéculationsurdesactionsquisedéconnectetropdelavaleurréellereprésentéeparcesactionsentraîneàtermeunechutedescoursetunefaillitedelasociété.LadémonstrationenestfaiteàtraverslepersonnagedubanquierGundermann,«lemaîtredelaBourseetdumonde»(p.9),n’allantjamaisàlaBourse,maisyrégnantenmaîtreabsoluparungrandnombrede«soldats»:

«Cependant, le cours demille francs était encore raisonnable, et il attendait pour semettre à la baisse. Sathéorie était qu’on ne provoquait pas les évènements à la Bourse, qu’on pouvait au plus les prévoir et enprofiter,quandilss’étaientproduits.Lalogiqueseulerégnait,lavéritéétait,enspéculationcommeailleurs,uneforcetoute-puissante.Dèsquelescourss’exagéreraientpartrop, ilss’effondreraient: labaissealorsseferaitmathématiquement, il serait simplement là pour voir son calcul se réaliser et empocher songain. Et, déjà, ilfixait au cours de quinze cents francs son entrée en guerre. À quinze cents, il commença donc à vendre del’Universelle, peud’abord, davantageà chaque liquidation, d’aprèsunplanarrêtéd’avance. Pasbesoind’unsyndicatdebaissiers, luiseulsuffirait, lesgenssagesauraientlanettesensationdelavéritéetjoueraientsonjeu. Cette Universelle bruyante, cette Universelle qui encombrait si rapidement lemarché et qui se dressaitcommeunemenacedevantlahautebanquejuive,ilattendaitfroidementqu’elleselézardâtd’elle-même,pourlajeterparterred’uncoupd’épaule.»(p.157-158)

Gundermannaffirmeaveccertitudequ’ilyaunevaleurmaximumqu’uneactionnedoitpasdépasser:

«(…) et, dèsqu’elle ladépasse, par suitede l’engouementpublic, lahausseest factice, la sagesseestde semettre à la baisse, avec la certitude qu’elle se produira.Dans sa conviction, dans son absolue croyance à lalogique,ilrestaitpourtantsurprisdesrapidesconquêtesdeSaccard,decettepuissancetoutd’uncoupgrandie,dont la hautebanque juive commençait à s’épouvanter. Il fallait auplus tôt abattre ce rival dangereux, nonseulementpour rattraper leshuitmillionsperdusau lendemaindeSadowa,maissurtoutpournepasavoiràpartager laroyautédumarchéavecceterribleaventurier,dont lescasse-coussemblaientréussir,contretoutbonsens,commeparmiracle.EtGundermann,pleinduméprisde lapassion,exagéraitencoresonflegmedejoueurmathématique,d’uneobstinationfroided’hommechiffre,vendanttoujoursmalgré lahaussecontinue,perdantàchaqueliquidationdessommesdeplusenplusconsidérables,aveclabellesécuritéd’unsagequimetsimplementsonargentàlacaissed’épargne.»(p.209)

Et,dansceduelentreGundermamnetSaccard,lepremieraplusd’atoutscar:

«(…) lui avait dans ses caves son milliard, d’inépuisables troupes qu’il envoyait au massacre, si longue etmeurtrièrequefûtlacampagne.C’étaitl’invincibleforce,pouvoirrestervendeuràdécouvert,aveclacertitudedetoujourspayersesdifférences,jusqu’aujouroùlabaissefataleluidonneraitlavictoire.»(p.247)Finalement,Gundermannavaitraisonderespectercetteloi,puisque,dèsquel’actionatteintles3000francs,l’Universelles’effondreetqu’ilenressorttout-puissant:

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«Aprèslaliquidationdu15décembre,lescoursmontèrentàdeuxmillehuitcents,àdeuxmilleneufcents.Etcefut le21que le coursde troismille vingt francs futproclaméà laBourse,aumilieud’uneagitationde fouledémente. Iln’yavaitplusnivérité,ni logique, l’idéede lavaleurétaitpervertie,aupointdeperdretoutsensréel.»(p.232)«Alors,pendantladernièredemi-heure,cefutladébâcle,ladéroutes’aggravantetemportantlafouleenungalop désordonné. Après l’extrême confiance, l’engouement aveugle, arrivait la réaction de la peur, tous seruantpourvendre,s’ilenétaittempsencore.Unegrêled’ordresdeventes’abattitsurlacorbeille,onnevoyaitplusquedesfichespleuvoir;etcespaquetsénormesdetitres,jetésainsisansprudence,accéléraientlabaisse,unvéritableeffondrement. Lescours,dechuteenchute, tombèrentà1500,à1200,à900. Iln’yavaitplusd’acheteurs,laplainerestaitrase,jonchéedecadavres.(…)Unsilenceeffrayantrégna,lorsque,aprèslecoupdeclochedelaclôture,lederniercoursde830francsfutconnu.»(p.259-260)«Pendant les trois jours, ladébâcleà laBoursevenaitdes’aggraver terriblement, lesactionsde l’Universelleétaienttombées,coupsurcoup,au-dessousdupair,à430francs;etlabaissecontinuait, l’édificecraquaitets’écroulait,d’heureenheure.»(p.262)Ainsi,laBourseest-ellerégieuniquementparlaloidel’offreetdelademande.Deplus,lestitresnereprésententpas toujoursunevaleuréconomiqueréelle,puisque leurémissionaété décidée sur anticipation de bénéfices à venir, et qu’ils représentent donc une valeurstrictementvirtuelle.C’estpourquoi,l’argentdelaspéculation,quiprospèresanslecoûtdutemps et de l’effort et s’oppose à l’argent du travail, est-il présenté comme un argentdégradé,inexact,etdénoncécommeunfacteurd’imposture.

«Lamaison Sédille avait là sesmagasins et ses bureaux, tenant, au fond d’une cour, tout un vaste rez-de-chaussée.Aprèstrenteansdetravail,Sédille,quiétaitdeLyonetquiavaitgardélà-basdesateliers,venaitenfindefairedesoncommercedesoieundesmieuxconnusetdesplussolidesdeParis,lorsquelapassiondujeu,àlasuited’unincidentdehasard,s’étaitdéclaréeetpropagéeenluiavec laviolencedestructived’unincendie.Deuxgainsconsidérables,coupsurcoup,l’avaientaffolé.Àquoibondonnertrenteansdesavie,pourgagnerunpauvremillion,lorsque,enuneheure,parunesimpleopérationdeBourse,onpeutlemettredanssapoche?Dèslors, ils’étaitdésintéressépeuàpeudesamaisonquimarchaitparlaforceacquise; ilnevivaitplusquedansl’espoird’uncoupd’agiotriomphant;et,commeladéveineétaitvenue,persistante,ilengloutissaitlàtouslesbénéficesdesoncommerce.Àcettefièvre,lepisestqu’onsedégoûtedugainlégitime,qu’onfinitmêmeparperdrelanotionexactedel’argent.Etlaruineétaitfatalementaubout,silesateliersdeLyonrapportaientdeuxcentmillefrancs,lorsquelejeuenemportaittroiscentmille.»(p.76)

2.1.6.L’argentdespratiquesmalhonnêtes

Dès lorsque l’argentdevientune finensoi,nonun instrumentauservicedubien, ilpeutdonner lieuà toutes lesdérives.Dansnotre corpus, il apparaît comme l’agentde tous lescrimes,lesupportdetouteslespathologies.Leplussouvent,lespratiquesmalhonnêtessontlefaitdepersonnagescupidesetambitieux.L’arrivismeabsolu,danslasociétéduXIX°, lespousseà êtredes tricheurs sans scrupules, desmenteurs consommés,desmanipulateurs,desêtrescorrompusoudevéritablescrapules.

2.1.6.1Levol

Levolconsisteàobtenirquelquechosesansapparencededroit.C’estuneinfractionpénalequi consiste à s’approprier frauduleusement un bien mobilier (qui peut être déplacé)appartenantàautrui.

DansLesMisérables, ilestquestiondebeaucoupdevolsdictésparlamisère,commeceuxattribuésàJeanValjean.Sonhistoirecommence,unhiver,parlevoldepain(t.1,p.73),caril

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n’aplusd’argentpournourrirsesfrèresetsœurs.Ilestalorsenvoyéaubagne.Asasortie,iltouchetrèspeud’argentetsesentvolé:

«Etautourdecelabiendesamertumes.Ilavaitcalculéquesamasse,pendantsonséjouraubagne,auraitdûs’éleveràcentsoixanteetonzefrancs.Ilestjusted’ajouterqu’ilavaitoubliédefaireentrerdanssescalculslerepos forcé des dimanches et fêtes qui, pour dix-neuf ans, entraînait une diminution de vingt-quatre francsenviron.Quoiqu’ilenfût,cettemasseavaitétéréduite,pardiversesretenueslocales,àlasommedecentneuffrancsquinzesous,quiluiavaitétécomptéeàsasortie.Iln’yavaitriencompris,etsecroyaitlésé.Disonslemot,volé.»(t.1,p.83)Ilsefaitmêmevolerlorsdesonpremieremploi:«Lelendemaindesalibération,àGrasse,ilvitdevantlaported’unedistilleriedefleursd’orangerdeshommesquidéchargeaientdesballots.Iloffritsesservices.Labesognepressait,onlesaccepta.Ilsemitàl’ouvrage.Ilétaitintelligent,robusteetadroit;ilfaisaitdesonmieux;lemaîtreparaissaitcontent.Pendantqu’iltravaillait,ungendarmepassa,leremarqua,etluidemandasespapiers.Ilfallutmontrerlepasseportjaune.Celafait,JeanValjeanrepritsontravail.Unpeuauparavant,ilavaitquestionnél’undesouvrierssurcequ’ilsgagnaientàcettebesogneparjour;onluiavaitrépondu:trentesous.Lesoirvenu,commeilétaitforcéderepartirlelendemainmatin,ilseprésentadevantlemaîtredeladistillerieetlepriadelepayer.Lemaîtreneproférapasuneparole,etluiremitquinzesous.Ilréclama.Onluirépondit:celaestassezbonpourtoi.Ilinsista.Lemaîtreleregardaentrelesdeuxyeuxetluidit:Garelebloc!Làencoreilseconsidéracommevolé.Lasociété,l’état,enluidiminuantsamasse,l’avaitvoléengrand.Maintenantc’étaitletourdel’individuquilevolaitenpetit.»(t.1,p.83-84)Lorsqu’ilestaccueilliparMgrMyriel(MgrBienvenu),ilestattiréparsixcouvertsenargentmassifdontilpourraittirer«aumoinsdeuxcentsfrancs.–Ledoubledecequ’ilavaitgagnéen dix-neuf ans. (t.1, p.85). La nuit, il s’en empare et s’enfuit. Mais, il est arrêté par lesgendarmesetramenéauprèsdel’évêque:«– Ah!vousvoilà!s’écria-t-ilenregardantJeanValjean.Jesuisaisedevousvoir.Ehbien,mais!jevousavaisdonné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux centsfrancs.Pourquoinelesavez-vouspasemportésavecvoscouverts?JeanValjeanouvritlesyeuxetregardalevénérableévêqueavecuneexpressionqu’aucunelanguehumainenepourraitrendre.»(t.1,p.91)Devantcetteincroyablebonté,JeanValjeanresteincrédule:«– Monami,repritl’évêque,avantdevousenaller,voicivoschandeliers.Prenez-les.»(t.1,p.91)«L’évêques’approchadelui,etluiditàvoixbasse:– N’oubliezpas,n’oubliezjamaisquevousm’avezpromisd’employercetargentàdevenirhonnêtehomme.Jean Valjean, qui n’avait aucun souvenir d’avoir rien promis, resta interdit. L’évêque avait appuyé sur cesparolesenlesprononçant.Ilrepritavecsolennité:– JeanValjean,monfrère,vousn’appartenezplusaumal,maisaubien.C’estvotreâmequejevousachète;jelaretireauxpenséesnoiresetàl’espritdeperdition,etjeladonneàDieu.»(t.1,p.92)Aprèsavoircommisunderniervol,unepiècedequarantesousappartenantàPetit-Gervais,ildevientM.Madeleine,unindustrielrespectableet,desurcroîtmaire.Unjour,ilapprendpar Javertque lapoliceaarrêté JeanValjeanen lapersonned’uncertainChampmathieu,accuséd’unvoldepommes:

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«– Ah,dame!monsieurlemaire,l’affaireestmauvaise.Sic’estJeanValjean,ilyarécidive.Enjamberunmur,casserunebranche,chiperdespommes,pourunenfant,c’estunepolissonnerie;pourunhomme,c’estundélit;pourunforçat,c’estuncrime.Escaladeetvol,toutyest.Cen’estpluslapolicecorrectionnelle,c’est lacourd’assises. Ce n’est plus quelques jours de prison, ce sont les galères à perpétuité. (…) Lui, il n’a pas l’air decomprendre,ildit:JesuisChampmathieu,jenesorspasdelà!Ilal’airétonné,ilfaitlabrute,c’estbienmieux.Oh!ledrôleesthabile.Maisc’estégal,lespreuvessontlà.Ilestreconnuparquatrepersonnes,levieuxcoquinseracondamné.C’estportéauxassisesàArras.Jevaisyallerpourtémoigner.Jesuiscité.»(p.179-180)c’estalorsuntrèsgrandcasdeconsciencepourM.Madeleine,aliasJean-Valjean.Aprèsbiendestergiversions,ilvaautribunalsauverlepauvreChampmathieu:«M.Madeleine se tourna vers les jurés et vers la cour et dit d’une voix douce : – Messieurs les jurés, faitesrelâcherl’accusé.Monsieurleprésident,faites-moiarrêter.L’hommequevouscherchez,cen’estpaslui,c’estmoi.JesuisJeanValjean.»(p.239)«– Jeneveuxpasdérangerdavantagel’audience,repritJeanValjean.Jem’envais,puisqu’onnem’arrêtepas.J’aiplusieurschosesàfaire.Monsieurl’avocatgénéralsaitquijesuis,ilsaitoùjevais,ilmeferaarrêterquandilvoudra.»(p.242)DansLePèreGoriot, lechefdepolice,M.Gondureau,expliqueàMlleMichonneauetàM.PoiretqueVautrinestenfaitJacquesCollin,unvoleur,évadédubagnedeToulon:

«Eh bien ! Son Excellence amaintenant la certitude la plus complète que le prétendu Vautrin, logé dans laMaison-Vauquer,estunforçatévadédubagnedeToulon,oùilestconnusouslenomdeTrompe-la-Mort.(…)JacquesCollin,surnomméTrompe-la-Mort,atoutelaconfiancedestroisbagnesquil’ontchoisipourêtreleuragent et leur banquier. Il gagne beaucoup à s’occuper de ce genre d’affaires, qui nécessairement veut unhommedemarque.(p.115)«– Vouscomprenez,mademoiselle,repritGondureau.Legouvernementpeutavoirungrandintérêtàmettrelamainsurunecaisse illicite,que l’onditmonteràuntotalassezmajeur.Trompe-la-Mortencaissedesvaleursconsidérables en recelant non seulement les sommes possédées par quelques-uns de ses camarades, maisencorecellesquiproviennentdelaSociétédesDixmille…– Dixmillevoleurs!s’écriaPoireteffrayé.– Non, lasociétédesDixmilleestuneassociationdehautsvoleurs,degensquitravaillentengrand,etnesemêlentpasd’uneaffaireoùiln’yapasdixmillefrancsàgagner.Cettesociétésecomposedetoutcequ’ilyadeplusdistinguéparmiceuxdenoshommesquivontdroitencourd’assises.IlsconnaissentleCode,etnerisquentjamaisde se faireappliquer lapeinedemortquand ils sontpincés.Collinest leurhommede confiance, leurconseil. À l’aide de ses immenses ressources, cet homme a su se créer une police à lui, des relations fortétendues qu’il enveloppe d’unmystère impénétrable. Quoique depuis un an nous l’ayons entouré d’espions,nousn’avonspasencorepuvoirdans son jeu.Sacaisseet ses talents serventdoncconstammentà solder levice, à faire les fonds au crime, et entretiennent sur pied une armée de mauvais sujets qui sont dans unperpétuelétatdeguerreavec la société.SaisirTrompe-la-Mortet s’emparerdesabanque, ce seracouper lemaldanssaracine.»(p.116)DansCésarBirotteau,DuTilletaautrefoisvoléBirotteauetétérenvoyé:

«Lerenvoiducommisfutrésolu.Troisjoursavantdelecongédier,parunsamedisoir,Birotteaufitlecomptemensueldesacaisse,etytrouvatroismillefrancsdemoins.Saconsternationfutaffreuse,moinspourlaperteque pour les soupçons qui planaient sur trois commis, une cuisinière, un garçon demagasin et des ouvriersattitrés.Àqui s’enprendre?madameBirotteaunequittaitpoint le comptoir. Le commischargéde la caisseétait unneveudemonsieurRagon,nomméPopinot, jeunehommededix-neufans, logé chezeux, laprobitémême. Ses chiffres, en désaccord avec la somme en caisse, accusaient le déficit et indiquaient que lasoustractionavaitétéfaiteaprèslabalance.Lesdeuxépouxrésolurentdesetaireetdesurveillerlamaison.Lelendemain dimanche, ils recevaient leurs amis. Les familles qui composaient cette espèce de coterie se

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festoyaientàtourderôle.Enjouantàlabouillotte,RoguinlenotairemitsurletapisdevieuxlouisquemadameCésaravaitreçusquelquesjoursauparavantd’unenouvellemariée,madamed’Espard.–Vousavezvoléuntronc,ditenriantleparfumeur.RoguinditavoirgagnécetargentchezunbanquieràduTillet,quiconfirmalaréponsedunotaire,sansrougir.Leparfumeur,lui,devintpourpre.Lasoiréefinie,aumomentoùFerdinandallasecoucher,Birotteaul’emmenadanslemagasin,sousprétextedeparleraffaire.–DuTillet,luiditlebravehomme,ilmanquetroismillefrancsàmacaisse,etjenepuissoupçonnerpersonne;lacirconstancedesvieuxlouissembleêtretropcontrevouspourquejenevousenparlepoint;aussinenouscoucherons-nouspassansavoirtrouvél’erreur,caraprèstoutcenepeutêtrequ’uneerreur.Vouspouvezbienavoirprisquelquechoseencomptesurvosappointements.DuTilletditeffectivementavoirprisleslouis.Leparfumeurallaouvrirsongrandlivre,lecomptedesoncommisnesetrouvaitpasencoredébité.–J’étaispressé,jedevaisfaireécrirelasommeparPopinot,ditFerdinand.»(p.30-31)Birotteauarrange l’affaire, sans témoin.Mais,DuTillet se vengeen lemenantà la faillite(Voir2.1.4.1et2.1.6.3).

DansLeRougeetleNoir,quandJulienpénètredanslamaisondeM.Valenod,dedirecteurdudépôt,ilsentpartoutlevol:

«On la lui fit visiter.Toutyétaitmagnifiqueetneuf,eton luidisait leprixde chaquemeuble.Mais Julienytrouvaitquelquechosed’ignobleetquisentaitl’argentvolé.Jusqu’auxdomestiques,toutlemondeyavaitl’aird’assurersacontenancecontrelemépris.»(p.116)«Lepercepteurdescontributionsavaitentonnéunechansonroyaliste.Pendantletapagedurefrain,chantéenchœur:Voilàdonc,sedisaitlaconsciencedeJulien,lasalefortuneàlaquelletuparviendras,ettun’enjouirasqu’àcetteconditionetenpareillecompagnie!Tuauraspeut-êtreuneplacedevingtmillefrancs,maisilfaudraque,pendantquetutegorgesdeviandes,tuempêchesdechanter lepauvreprisonnier ; tudonnerasàdîneravecl’argentquetuaurasvolésursamisérablepitance,etpendanttondînerilseraencoreplusmalheureux!–Ô Napoléon ! qu’il était doux de ton temps de monter à la fortune par les dangers d’une bataille ; maisaugmenterlâchementladouleurdumisérable!(…)ilsmedonneraientlamoitiédetoutcequ’ilsvolent,quejenevoudraispasvivreaveceux.Unbeaujour,jemetrahirais;jenepourraisretenirl’expressiondudédainqu’ilsm’inspirent. Il fallutcependant,d’après lesordresdemadamedeRênal,assisteràplusieursdînersdumêmegenre.»(p.117)DansAuBonheurdesDames,MmedeBoves, prised’une irrésistible folie, est surprise entraindevoler:

«–Regardedonc,maman,disaitBlanchequifouillait,àcôté,uncartonpleindepetitesvalenciennesàbasprixonpourraitprendredeçapourlesoreillers.MadamedeBovesnerépondaitpas.Alors,lafille,entournantsafacemolle,vitlamère,lesmainsaumilieudesdentelles,entraindefairedisparaître,danslamanchedesonmanteau,desvolantsdepointd’Alençon.Elleneparut pas surprise, elle s’avançait pour la cacher d’unmouvement instinctif, lorsque Jouve, brusquement, sedressaentreelles.Ilsepenchait,ilmurmuraitàl’oreilledelacomtesse,d’unevoixpolie:–Madame,veuillezmesuivre.Elleeutunecourterévolte.–Maispourquoi,monsieur?–Veuillezmesuivre,madame,répétal’inspecteur,sanséleverleton.»(p.328-329)Aprèsbiendesoffuscationsetdesdénégations,ellefinitparse laisserfouilleretsignedesaveux:«(…)lesvendeusesfouillaientlacomtesseetluiôtaientmêmesarobe,afindevisitersagorgeetseshanches.Outre les volants de point d’Alençon, douze mètres à mille francs, cachés au fond d’une manche, ellestrouvèrent,danslagorge,aplatisetchauds,unmouchoir,unéventail,unecravate,entoutpourquatorzemille

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francs de dentelles environ. Depuis un an, madame de Boves volait ainsi, ravagée d’un besoin furieux,irrésistible.Lescrisesempiraient,grandissaient,jusqu’àêtreunevolupténécessaireàsonexistence,emportanttous les raisonnements de prudence, se satisfaisant avec une jouissance d’autant plus âpre, qu’elle risquait,souslesyeuxd’unefoule,sonnom,sonorgueil, lahautesituationdesonmari.Maintenantquecedernier luilaissaitvidersestiroirs,ellevolaitavecdel’argentpleinsapoche,ellevolaitpourvoler,commeonaimepouraimer,souslecoupdefouetdudésir,dansledétraquementdelanévrosequesesappétitsdeluxeinassouvisavaientdéveloppéeenelle,autrefois,àtraversl’énormeetbrutaletentationdesgrandsmagasins.–C’estunguet-apens!cria-t-elle,lorsqueBourdoncleetJouverentrèrent.Onaglissécesdentellessurmoi,oh!devantDieu,jelejure!À présent, elle pleurait des larmes de rage, tombée sur une chaise, suffoquant dans sa robemal rattachée.L’intéressérenvoyalesvendeuses.Puis,ilrepritdesonairtranquille:–Nousvoulonsbien,madame,étouffercettefâcheuseaffaire,parégardpourvotrefamille.Mais,auparavant,vous allez signer un papier ainsi conçu : « J’ai volé des dentelles au Bonheur des Dames, » et le détail desdentelles,etladatedujour…Dureste,jevousrendraicepapier,dèsquevousm’apporterezdeuxmillefrancspourlespauvres.»(p.329-331)DansL’Argent, l’artdelaspéculationestassimiléàdel’argentvolé,commeonleconstatedanslediscoursdeSigismond,lefrèreBusch:

«Plusd’argent,etdèslorsplusdespéculation,plusdevol,plusdetraficsabominables,plusdecescrimesquelacupiditéexaspère,lesfillesépouséespourleurdot,lesvieuxparentsétrangléspourleurhéritage,lespassantsassassinéspourleurbourse!…Plusdeclasseshostiles,depatronsetd’ouvriers,deprolétairesetdebourgeois,etdèslorsplusdeloisrestrictivesnidetribunaux,deforcearméegardantl’iniqueaccaparementdesunscontrelafaimenragéedesautres!…Plusd’oisifd’aucunesorte,etdèslorsplusdepropriétairesnourrisparleloyer,derentiersentretenuscommedesfillesparlachance,plusdeluxeenfinnidemisère!»(p.310)

Terminonsparunmondedevoleurstrèsspéciaux,celuidelapiraterie.DansL’Ileautrésor,lesquireexplique,enparlantdeFlint,quelespiratessontmusuniquementparl’argent:

«Maislaquestionestcelle-ci:Flintavait-ildel’argent?–De l’argent !...Vousendoutez?...Queveulent lesmisérablescomme lui, sinonde l’argent?Qu’aiment-ils,sinonl’argent?...Pourquoirisqueraient-ilsleursalepeau,sinonpourdel’argent?...– C’est ce que nous saurons bientôt, reprit le docteur. Mais vous vous emportez si vite et vous avez tantd’exclamationsàvotreservice,qu’iln’yapasmoyendes’expliquer.Voicicequejevousdemande:Supposéquej’aielàdansmapochequelqueindicesurl’endroitoùFlintcachaitsontrésor,cetrésor,àvotreavis,peut-ilêtreconsidérable?–Considérable,Monsieur?...Jenevousrépondraiquececi:Sivousavezl’indicequevousdites,jem’engageàfréterunnavireàBristol,pourm’embarqueravecvousetlejeuneHawkinsiciprésent,etalleràlarecherchedecetrésor,dussions-nousypasserunan!»(p.30-31)«Vousnevoyezdoncpasquenousavonsenmainlelivredecomptesdecescélérat?...Lescroixreprésententlesnomsdevillespilléesparlabande,oudenavirescoulésparelle.Lessommesd’argentreprésententlespartsde prise du gredin.Quand il craignait de ne pas s’y reconnaître, il ajoutait un détail comme : « au large deCaracas».Sansdoute,quelquemalheureuxnavireattaquédanscesparages.»(p.31)2.1.6.2.L’escroquerie

L’escroquerieest le fait detromperunepersonnephysiqueoumorale et de la déterminerainsi à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou àconsentirunacte,opérantobligationoudécharge.Pourcefaire,l’escrocused'unfauxnomoud'unefaussequalitéoubienencoreemploiedesmanœuvresfrauduleuses.

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DansManon Lescaut, finalement tous les moyens sont bons. Chez Manon, l’escroqueries’ajoute à la prostitution. Lescaut lui procure un riche amant, le vieux G…M…, qu’elle vagrugeravecl’aidedeDesGrieux,enlefaisantpasserpoursonfrère:

«Jel’yaimenéecematin,continua-t-il,etcethonnêtehommeaétésicharmédesonmérite,qu’ill’ainvitéed’abord à lui tenir compagnie à sa maison de campagne, où il est allé passer quelques jours. Moi, ajoutaLescaut, qui ai pénétré tout d’un coup de quel avantage cela pouvait être pour vous, je lui ai fait entendreadroitement queManon avait essuyé des pertes considérables ; etj’ai tellement piqué sa générosité, qu’il acommencépar luifaireunprésentdedeuxcentspistoles.Je luiaiditquecelaétaithonnêtepour leprésent;maisquel’aveniramèneraitàmasœurdegrandsbesoins;qu’elles’étaitchargéed’ailleursdusoind’unjeunefrère, qui nous était resté sur les bras après lamort de nos père etmère, et que s’il la croyait dignede sonestime,ilnelalaisseraitpassouffrirdanscepauvreenfant,qu’elleregardaitcommelamoitiéd’elle-même.Cerécitn’apasmanquéde l’attendrir. Il s’estengagéà louerunemaisoncommodepourvousetpourManon ;c’estvous-mêmequiêtescepauvrepetit frèreorphelin ; ilapromisdevousmeublerproprementetdevousfournirtouslesmoisquatrecentsbonneslivres,quienferont,sijecomptebien,quatremillehuitcentsàlafinde chaque année. Il a laissé ordre à son intendant, avant que de partir pour sa campagne, de chercher unemaisonetdelatenirprêtepoursonretour.VousreverrezalorsManon,quim’achargédevousembrassermillefoispourelleetdevousassurerqu’ellevousaimeplusquejamais.»(p.36-37)

Mais,bienmalacquisneprofitejamais,puisque,danslecouple,lafortune(acquisegrâceàdesprêtsjamaisremboursés,desvols,desescroqueries,etc.),nedurejamaislongtemps:oubien,elledisparaîtdansdesdépensesostentatoiresliéesauplaisiretauparaîtreoudansunincendie,dansdesvolsetdessaisies.

DansLesMisérables, lesThénardierescroquentbeletbienFantine, lamèredeCosetteetsontresponsablesdesamort.

«CependantleThénardier,ayantapprisparonnesaitquellesvoiesobscuresquel’enfantétaitprobablementbâtardetquelamèrenepouvaitl’avouer,exigeaquinzefrancsparmois,disantque«lacréature»grandissaitetmangeait,etmenaçantdelarenvoyer.«Qu’ellenem’embêtepas!s’écriait-il, jeluibombardesonmiochetoutaumilieudesescachoteries.Ilmefautdel’augmentation.»Lamèrepayalesquinzefrancs.»(t.1,p.133)

«Fantinegagnaittroppeu.Sesdettesavaientgrossi.LesThénardier,malpayés,luiécrivaientàchaqueinstantdes lettresdont lecontenu ladésolaitetdont leport laruinait.Un jour ils luiécrivirentquesapetiteCosetteétaittoutenueparlefroidqu’ilfaisait,qu’elleavaitbesoind’unejupedelaine,etqu’ilfallaitaumoinsquelamèreenvoyâtdixfrancspourcela.Ellereçutlalettre,etlafroissadanssesmainstoutlejour.Lesoirelleentrachezunbarbierquihabitaitlecoindelarue,etdéfitsonpeigne.Sesadmirablescheveuxblondsluitombèrentjusqu’auxreins.– Lesbeauxcheveux!s’écrialebarbier.– Combienm’endonneriez-vous?dit-elle.– Dixfrancs.– Coupez-les. Elle acheta une jupe de tricot et l’envoya aux Thénardier. Cette jupe fit les Thénardier furieux.C’étaitdel’argentqu’ilsvoulaient.IlsdonnèrentlajupeàÉponine.LapauvreAlouettecontinuadefrissonner.»(t.1,p.156)

Finalement,c’estM.MadeleinequisefaitescroquerenpayantpourfaireamenerCosette,auprèsdeFantinemourante:

«M.Madeleinesehâtad’écrireauxThénardier.Fantineleurdevaitcentvingtfrancs.Illeurenvoyatroiscentsfrancs,enleurdisantdesepayersurcettesommeetd’amenertoutdesuitel’enfantàMontreuil-sur-Meroùsamèremaladelaréclamait.Ceciéblouit leThénardier.–Diable !dit-ilà sa femme,ne lâchonspas l’enfant.Voilàquecettemauviettevadevenirunevacheàlait.Jedevine.Quelquejocrisseseseraamourachédelamère.Ilripostaparunmémoiredecinqcentsetquelquesfrancsfortbienfait.Danscemémoirefiguraientpourplusde trois cents francsdeuxnotes incontestables, l’uned’unmédecin, l’autred’unapothicaire, lesquelsavaientsoignéetmédicamentédansdeux longuesmaladiesÉponineetAzelma.Cosette,nous l’avonsdit,n’avaitpas

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étémalade.Cefutl’affaired’unetoutepetitesubstitutiondenoms.Thénardiermitaubasdumémoire:reçuàcomptetroiscentsfrancs.M.Madeleineenvoyatoutdesuitetroiscentsautresfrancsetécrivit:Dépêchez-vousd’amenerCosette.– Christi!ditleThénardier,nelâchonspasl’enfant.»(t.1,p.173)DansLePèreGoriot,AnastasieestescroquéeparMaximedeTraillesquilalaissepayersesdettes.

«– Eh bien ! dit la pauvre femme, monmari sait tout. Figurez-vous, mon père, il y a quelque temps, voussouvenez-vousdecettelettredechangedeMaxime?Ehbien!cen’étaitpaslapremière.J’enavaisdéjàpayébeaucoup.Vers lecommencementde janvier,monsieurdeTraillesmeparaissaitbienchagrin: ilnemedisaitrien;maisilestsifaciledeliredanslecœurdesgensqu’onaime,unriensuffit;puisilyadespressentiments.Enfinilétaitplusaimant,plustendrequejenel’avaisjamaisvu;j’étaistoujoursplusheureuse.PauvreMaxime!danssapensée,ilmefaisaitsesadieux,m’a-t-ildit,ilvoulaitsebrûlerlacervelle.Enfinjel’aitanttourmenté,tantsupplié, jesuisrestéedeuxheuresàsesgenoux. Ilm’aditqu’ildevaitcentmillefrancs!Oh!papa,centmille francs, je suis devenue folle. Vous ne les aviez pas, j’avais tout dévoré… – Non, dit le père Goriot, jen’auraispaspulesfaire,àmoinsd’allerlesvoler.Maisj’yauraisété,Nasie!J’irai.(…)– Pour sauver laviedeMaxime,enfinpoursauver toutmonbonheur, reprit lacomtesseencouragéeparcestémoignagesd’unetendressechaudeetpalpitante,j’aiportéchezcetusurierquevousconnaissez,unhommefabriquépar l’enfer, que riennepeut attendrir, cemonsieurGobseck, les diamants de famille auxquels tienttantmonsieurdeRestaud,lessiens,lesmiens,tout,jelesaivendus.Vendus!comprenez-vous?ilaétésauvé!Mais,moi,jesuismorte.Restaudatoutsu.»(p.162-163)Dans ce même roman, le baron de Nucingen, mari de Delphine, a monté une grandeescroqueriequecelle-ciexpliqueàsonpère

«Ilm’anettementproposé,lui,monmari,laliberté;voussavezcequecelasignifie?sijevoulaisêtre,encasdemalheur,uninstrumententresesmains,enfinsijevoulaisluiservirdeprête-nom.–Maislesloissontlà!MaisilyauneplacedeGrèvepourlesgendresdecetteespèce-là!s’écrialepèreGoriot;maisjeleguillotineraismoi-même,s’iln’yavaitpasdebourreau.–Non,monpère!iln’yapasdeloiscontrelui.Écoutezendeuxmotssonlangage,dégagédescirconlocutionsdontill’enveloppait:«–Outoutestperdu,vousn’avezpasunliard,vousêtesruinée,carjenesauraischoisirpourcompliceuneautrepersonnequevous;ouvousmelaisserezconduireàbienmesentreprises.»Est-ceclair?Iltientencoreàmoi.Maprobitédefemmelerassure;ilsaitquejeluilaisseraisafortune,etmecontenteraide lamienne.C’estuneassociation improbeetvoleuseà laquelle jedoisconsentirsouspeined’êtreruinée. Ilm’achètemaconscienceetlapaieenmelaissantêtreàmonaiselafemmed’Eugène.«Jetepermetsdecommettredesfautes;laisse-moifairedescrimesenruinantdepauvresgens!»Celangageest-ilencoreassezclair?Savez-vouscequ’ilnommefairedesopérations?Ilachètedesterrainsnussoussonnom;puis, ily faitbâtirdesmaisonspardeshommesdepaille.Ceshommesconcluent lesmarchéspour lesbâtissesavectouslesentrepreneursqu’ilspaienteneffetsàlongstermes,etconsentent,moyennantunelégèresomme, à donner quittance à mon mari qui est alors possesseur des maisons, tandis que ces hommess’acquittentaveclesentrepreneursdupésenfaisantfaillite.LenomdelamaisondeNucingenaserviàéblouirlespauvresconstructeurs.J’aicompriscela.J’aicomprisaussiquepourprouver,encasdebesoin,lepaiementdesommesénormes,NucingenaenvoyédesvaleursconsidérablesàAmsterdam,àLondres,àNaples,àVienne.Commentlessaisirons-nous?«(p.160-161)Dans César Birotteau, la spéculation sur les terrains de la Madeleine est une véritableescroquerie,montéeparduTilletqui,parvengeanceveutruinerBirotteau.

«Du Tillet inventa la spéculation relative aux terrains situés autour de laMadeleine.Naturellement les centmillefrancsdéposésparBirotteauchezRoguin,enattendantunplacement,furentremisàduTilletqui,voulantperdreleparfumeur,fitcomprendreàRoguinqu’ilcouraitmoinsdedangersàprendredanssesfiletssesamisintimes, – Un ami, lui dit-il, conservé des ménagements jusque dans sa colère. Peu de personnes savent

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aujourd’huicombienpeuvalaitàcetteépoqueunetoisedeterrainautourde laMadeleine,maiscesterrainsallaientnécessairementêtrevendusau-dessusdeleurvaleurmomentanéeàcausedel’obligationoùl’onseraitd’allertrouverdespropriétairesquiprofiteraientdel’occasion;orduTilletvoulaitêtreàportéederecueillirlesbénéfices sans supporter lespertesd’une spéculationà long terme.End’autres termes, sonplanconsistaitàtuer l’affairepours’adjugeruncadavrequ’ilsavaitpouvoirraviver.Ensemblableoccurrence, lesGobseck, lesPalma,lesWerbrustetGigonnetseprêtaientmutuellementlamain;maisduTilletn’étaitpasassezintimeaveceuxpourleurdemanderleuraide;d’ailleursilvoulaitsibiencachersonbrastoutenconduisantl’affaire,qu’ilpût recueillir les profits du vol sans en avoir la honte ; il sentit donc la nécessité d’avoir à lui l’un de cesmannequinsvivantsnommésdanslalanguecommercialehommesdepaille.»(p.42-43)Avecl’aided’unhommedepaille,Claparon,lenotaireRoguinescroqueBirotteauenpartantaveclesfondsqu’illuiavaitconfiés.

Claparonétaituncanichefortlaid,maistoujoursprêtàfairelesautdeCurtius.Danslacombinaisonactuelle,ildevait représenter unemoitié des acquéreurs des terrains commeCésar Birotteau représenterait l’autre. Lesvaleurs queClaparon recevrait deBirotteau seraient escomptéespar undesusuriers dequi du Tillet pouvaitemprunter le nom, pour précipiter Birotteau dans les abîmes d’une faillite, quand Roguin lui enlèverait sesfonds.LessyndicsdelafailliteagiraientaugrédesinspirationsdeduTilletqui,possesseurdesécusdonnésparleparfumeuretsoncréanciersousdifférentsnoms,feraitliciterlesterrainsetlesachèteraitpourlamoitiédeleurvaleurenpayantaveclesfondsdeRoguinetledividendedelafaillite.Lenotairetrempaitdansceplanencroyantavoirunebonnepartdesprécieusesdépouillesduparfumeuretdesescointéressés;maisl’hommeàladiscrétion duquel il se livrait devait se faire et se fit la part du lion. Roguin, ne pouvant poursuivre du Tilletdevantaucuntribunal,futheureuxdel’osàrongerquiluifutjeté,demoisenmois,aufonddelaSuisseoùiltrouva des beautés au rabais. Les circonstances, et non une méditation d’auteur tragique inventant uneintrigue,avaientengendrécethorribleplan.»(p.43-44)C’estaprèslabaldonnépourlemariagedesafillequeCésarapprend,parAlexandre,qu’ilestruiné«–Pourquoipuis-jevousfaireunesemblablequestion?PoursavoirsivosdeuxcentquarantemillefrancssontchezClaparonouchezRoguin.Roguinétait liédepuis si longtempsavecvous, ilauraitpupardélicatesse lesavoirremisàClaparon,etvousl’échapperiezbelle!maissuis-jebête!illesemporteavecl’argentdemonsieurClaparon,quiheureusementn’avaitencoreenvoyéquecentmille francs.Roguinestenfuite, ilareçudemoicentmillefrancssursacharge,dontjen’aipaslaquittance, je les luiaidonnéscommejevousconfieraismabourse.Vosvendeursn’ontpasreçuunliard,ilssortentdechezmoi.L’argentdevotreempruntsurvosterrainsn’existaitnipourvousnipourvotreprêteur,Roguinl’avaitdévorécommevoscentmillefrancs…qu’il…n’avaitplusdepuislongtemps…Ainsivoscentderniersmillefrancssontpris,jemesouviensd’êtreallélestoucheràlaBanque.LespupillesdeCésarsedilatèrentsidémesurémentqu’ilnevitplusqu’uneflammerouge.–VoscentmillefrancssurlaBanque,mescentmillefrancssursacharge,centmillefrancsàmonsieurClaparon,voilàtroiscentmillefrancsdesifflés,sanslesvolsquivontsedécouvrir.»(p.120-122)DansMadameBovary,LheureuxescroqueEmmaausujetdesamaisondeBarneville:

«Maistroisjoursaprès,ilentradanssachambre,fermalaporteetdit:– J’auraisbesoind’argent.Elledéclaranepouvoirluiendonner.Lheureuxserépanditengémissements,etrappelatouteslescomplaisancesqu’ilavaiteues.Eneffet,desdeuxbilletssouscritsparCharles,Emmajusqu’àprésentn’enavaitpayéqu’unseul.Quantausecond, le marchand, sur sa prière, avait consenti à le remplacer par deux autres, qui même avaient étérenouvelésàunefortlongueéchéance.(…)– Mais,sivousn’avezpasd’espèces,vousavezdubien.Etilindiquaune méchante masure sise à Barneville, près d’Aumale, qui ne rapportait pas grand-chose. Cela dépendaitautrefois d’une petite ferme vendue par M. Bovary père, car Lheureux savait tout, jusqu’à la contenanced’hectares,aveclenomdesvoisins.– Moi,àvotreplace,disait-il,jemelibérerais,etj’auraisencorelesurplusde l’argent. Elle objecta la difficulté d’un acquéreur ; il donna l’espoir d’en trouver ; mais elle demandacommentfairepourqu’ellepûtvendre.– N’avez-vouspaslaprocuration?répondit-il.Cemotluiarrivacomme

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uneboufféed’airfrais.– Laissez-moilanote,ditEmma.– Oh!cen’estpaslapeine!repritLheureux.Ilrevintlasemainesuivante,etsevantad’avoir,aprèsforcedémarches,finipardécouvriruncertainLangloisqui,depuislongtemps, guignait la propriété sans faire connaître son prix. – N’importe le prix ! s’écria-t-elle. Il fallaitattendre,aucontraire,tâtercegaillard-là.Lachosevalaitlapeined’unvoyage,et,commeellenepouvaitfairece voyage, il offrit de se rendre sur les lieux, pour s’aboucheravec Langlois.Une fois revenu, il annonçaquel’acquéreurproposaitquatremillefrancs.Emmas’épanouitàcettenouvelle.– Franchement,ajouta-t-il,c’estbienpayé.»(p.217)DansL’Argent,leprojetdelaBanqueUniverselleest,enfaitunevéritableescroquerie.

«Ilfautunprojetvaste,dontl’ampleursaisissel’imagination;ilfautl’espoird’ungainconsidérable,d’uncoupde loterie qui décuple lamisede fonds, quandelle ne l’emportepas ; et alors les passions s’allument, la vieafflue, chacunapporte sonargent, vouspouvez repétrir la terre.Quelmalvoyezvous là? Les risquescourussontvolontaires,répartissurunnombreinfinidepersonnes, inégauxetlimitésselonlafortuneetl’audacedechacun. On perd,mais on gagne, on espère un bon numéro,mais on doit s’attendre toujours à en tirer unmauvais,etl’humanitén’apasderêveplusentêténiplusardent,tenterlehasard,obtenirtoutdesoncaprice,êtreroi,êtredieu!»(p.86)

Au nom de la nécessité d’accroître les valeurs de la Banque, la crédulité des petitsactionnairesest abusée. Elle l’est encoreplus, lorsde la campagnepublicitaire lancéeparJantrouetSaccard:

«Et,de leurprodigalité,detoutcetargentqu’ils jetaientde lasorteenvacarme,auxquatrecoinsduciel,sedégageait surtout leur dédain immense du public, lemépris de leur intelligence d’hommes d’affaires pour lanoire ignorancedutroupeau,prêtàcroire tous lescontes, tellement ferméauxopérationscompliquéesde laBourse,quelesraccrochageslespluséhontésallumaientlespassantsetfaisaientpleuvoirlesmillions.»(p.137)

2.1.6.3.Lafraude

Lafraudeconsisteàobtenir,defaçon illégale,avecapparencededroit,quelquechosequiexisteuniquementsuiteàunesupercherieouàunmensonge.

DansCésarBirotteau, le jugePopinotmetengarde sonneveuAnselme,qui pourrait êtreamenéàfrauderensignantdeseffetsdecomplaisance:«–Monneveu,tonancienpatronpourraitsetrouverdansdesaffairestellementembarrassées,qu’il luifallûtenveniràdéposersonbilan.Avantd’arriverlà,leshommesquicomptentquaranteansdeprobité,leshommeslesplusvertueux,dansledésirdeconserverleurhonneur,imitentlesjoueurslesplusenragés;ilssontcapablesde tout : ils vendent leurs femmes, trafiquentde leurs filles, compromettent leursmeilleursamis,mettentengagecequineleurappartientpas;ilsvontaujeu,deviennentcomédiens,menteurs;ilssaventpleurer.Enfin,j’aivuleschoseslesplusextraordinaires.Toi-mêmeasététémoindelabonhomiedeRoguin,àquil’onauraitdonné le bonDieu sans confession. Je n’appliquepas ces conclusions rigoureuses àmonsieurBirotteau, je lecroishonnête;maiss’iltedemandaitdefairequoiquecesoitquifûtcontraireauxloisducommerce,commedesouscriredeseffetsdecomplaisanceetdele lancerdansunsystèmedecirculations,qui,selonmoi,estuncommencementdefriponnerie,carc’est lafaussemonnaiedupapier,promets-moideneriensignersansmeconsulter.Songequesituaimessafilleilnefautpas,dansl’intérêtmêmedetapassion,détruiretonavenir.SimonsieurBirotteaudoittomber,àquoibontombervousdeux?N’est-cepasvouspriverl’unetl’autredetoutesleschancesdelamaisondecommercequiserasonrefuge?–Merci,mononcle:àbonentendeursalut,ditPopinot,àquilanavranteexclamationdesonpatronfutalorsexpliquée.»(p.167)

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DansLesRougon-Macquart,onrencontrebeaucoupdefraudes,dontledélitd’initié,quiestundélitde marché que commet délibérément un investisseur en valeurs mobilières enutilisantdes informationssensibles,qui lui sontextérieuresetdenatureconfidentiellesetdontnedisposentpas lesautres investisseurs.Ledélitd’initiéest la spécialitédeSaccard.DansLaCurée,ilprofitedesonemploid’agentvoyeràl’HôteldevillepouraccéderaufuturplandeParisetspéculersurlesterrainsquiserontachetésetsurlesimmeublesquiserontdétruits:«IlconnaissaitsonParissurleboutdudoigt;ilsavaitquelapluied’orquienbattaitlesmurstomberaitplusdru chaque jour. Lesgenshabilesn’avaientqu’àouvrir lespoches. Lui s’étaitmisparmi leshabiles, en lisantl’avenirdanslesbureauxdel’HôteldeVille.Sesfonctionsluiavaientappriscequ’onpeutvolerdansl’achatetlaventedesimmeublesetdesterrains.Ilétaitaucourantdetouteslesescroqueriesclassiques:ilsavaitcommentou revend pour unmillion ce qui a coûté cinq centmille francs ; comment on paye le droit de crocheter lescaissesdel’État,quisouritetfermelesyeux;comment,enfaisantpasserunboulevardsurleventred’unvieuxquartier,onjongle,auxapplaudissementsdetouteslesdupes,aveclesmaisonsàsixétages.Etcequi,àcetteheureencoretrouble,lorsquelechancredelaspéculationn’enétaitqu’àlapérioded’incubation,faisaitdeluiun terrible joueur, c’était qu’il en devinait plus long que ses chefs eux-mêmes sur l’avenir demoellons et deplâtrequiétaitréservéàParis.Ilavaittantfureté,réunitantd’indices,qu’ilauraitpuprophétiserlespectaclequ’offriraient les nouveaux quartiers en 1870. Dans les rues, parfois, il regardait certainesmaisons d’un airsingulier,commedesconnaissancesdontlesort,connudeluiseul,letouchaitprofondément.»(p.55)Saccard s’était permis, un jour, de consulter, chez le préfet, ce fameux plan de Paris sur lequel « unemainauguste»avait tracéà l’encre rouge lesprincipalesvoiesdudeuxièmeréseau.Cessanglants traitsdeplumeentaillaient Paris plus profondément encore que la main de l’agent voyer. Le boulevard Malesherbes, quiabattait des hôtels superbes, dans les rues d’Anjou et de la Ville-l’Évêque, et qui nécessitait des travaux deterrassementconsidérables,devaitêtretrouéundespremiers.»(p.59)

Dans L’Argent, il fait de même dans l’affaire Sadowa. Ayant appris, par l’indiscrétion deHuretchezleministreRougon,quel’empereurd’AutrichecèdelaVénétieàl’empereurdesFrançais et que la guerre serait finie, il donne discrètement des ordres d’achat à desremisiers,àdescoulissiersetàdesagentsdechange,avantl’ouverturedelaBourse:

«(…) au début, les cours baissèrent encore. Puis, des achats brusques, isolés, comme des coups de feu detirailleurs avant que la bataille s’engage, étonnèrent.Mais les opérations restaient lourdesquandmême, aumilieu de la méfiance générale. Les achats se multiplièrent, s’allumèrent de toutes parts, à la coulisse, auparquet ; on n’entendait plus que les voix de Nathansohn sous la colonnade, de Mazaud, de Jacoby, deDelarocque à la corbeille, criant qu’ils prenaient toutes les valeurs, à tous les prix ; et ce fut alors unfrémissement, une houle croissante, sans que personne pourtant osât se risquer, dans le désarroi de cerevirement inexplicable. Les cours avaient légèrementmonté, Saccard eut le temps de donner de nouveauxordres à Massias, pour Nathansohn. Il pria également le petit Flory qui passait en courant, de remettre àMazaudunefiche,où il lechargeaitd’acheter,d’achetertoujours ;sibienqueFlory,ayant lu la fiche, frappéd’unaccèsdefoi,joualejeudesongrandhomme,achetaluiaussipoursoncompte.Etcefutàcetteminute,àdeuxheuresmoinsunquart,queletonnerreéclataenpleineBourse:l’AutrichecédaitlaVénétieàl’empereur,laguerreétaitfinie.(p.154).Ainsi,Saccardfait-ilungrandcoupdebourseetfaitperdrehuitmillionsàGundermann:Avantlecoupdeclochedelaclôture, ilss’étaientrelevésdequarante,decinquantefrancs.Cefutunemêléeinexprimable, une de ces batailles confuses où tous se ruent, soldats et capitaines, pour sauver leur peau,assourdis,aveuglés,n’ayantpluslaconsciencenettedelasituation.(…)Lechampdebataillerestaitjonchédeblessés et de ruines.Moser, le baissier, était parmi les plus atteints. Pillerault expiait durement sa faiblesse,pour l’unique fois qu’il avait désespéré de la hausse.Maugendre perdait cinquantemille francs, sa premièrepertesérieuse.LabaronneSandorffeutàpayerdesigrossesdifférences,queDelcambre,disait-on,serefusaità

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lesdonner;etelleétaittouteblanchedecolèreetdehaine,auseulnomdesonmari,leconseillerd’ambassade,quiavaiteuladépêcheentrelesmainsavantRougonlui-même,sansluienriendire.Maislahautebanque,labanque juive, surtout, avait essuyé une défaite terrible, un vrai massacre. On affirmait que Gundermann,simplement pour sa part, y laissait huitmillions. Et cela stupéfiait, comment n’avait-il pas été averti ? lui lemaître indiscuté du marché, dont les ministres n’étaient que les commis et qui tenait les États dans sasouverainedépendance!Ilyavaiteulàundecesconcoursdecirconstancesextraordinairesquifontlesgrandscoupsduhasard.C’étaituneffondrementimprévu,imbécile,endehorsdetouteraisonetdetoutelogique.Cependant, l’histoirese répandit,Saccardpassagrandhomme.D’uncoupderâteau, ilvenaitde ramasser lapresque totalité de l’argent perdu par les baissiers. Personnellement, il avaitmis en poche deuxmillions. Leresteallaitentrerdanslescaissesdel’Universelle,ouplutôtsefondreauxmainsdesadministrateurs.»(p.154-155)Afindemeneràbiensesaffairesdespéculation,Saccardutilisedesprête-nomsrétribués.C’estcequ’ilfait,dansLaCurée,pourlamaisondesonépousequ’ilarachetée:

«Quandilpossédalamaison,ileutl’habileté,enunmois,delafairerevendredeuxfoisàdesprête-noms,engrossissant chaque fois le prix d’achat. Ledernier acquéreurne lapayapasmoinsde trois centmille francs.Pendantcetemps,Larsonneau,quiseulparaissaitàtitredereprésentantdespropriétairessuccessifs,travaillaitles locataires. Il refusait impitoyablement de renouveler les baux, à moins qu’on ne consentît à desaugmentations formidablesde loyer. Les locataires, qui avaient ventde l’expropriationprochaine, étaientaudésespoir;ilsfinissaientparaccepterl’augmentation,surtoutlorsqueLarsonneauajoutait,d’unairconciliant,que cette augmentation serait fictive pendant les cinq premières années. Quant aux locataires qui firent lesméchants, ils furent remplacéspardes créaturesauxquellesondonna le logementpour rienetqui signèrenttoutcequ’onvoulut ; là, ilyeutdoublebénéfice : le loyer futaugmenté,et l’indemnitéréservéeau locatairepour sonbail dut revenir à Saccard. (…)Ainsi travaillée, lamaison triplade valeur.Grâceaudernieractedevente,grâceauxaugmentationsdeloyer,auxfauxlocatairesetaucommercedemadameSidonie,ellepouvaitêtreestiméeàcinqcentmillefrancsdevantlacommissiondesindemnités.»(p.59-60)Mais, ladernièreétapeestde faireacceptercettevaleurà lacommissiondes indemnités.Alors,Saccardn’hésitepasàencorrompredeuxmembres:

«Il s’agissait de rendre aveugles et bienveillants ces messieurs de la commission. Il jeta les yeux sur deuxhommes influents dont il s’était fait des amis par la façon dont il les saluait dans les corridors, lorsqu’il lesrencontrait. Les trentesix membres du conseil municipal étaient choisis avec soin de la main même del’empereur,surlaprésentationdupréfet,parmilessénateurs,lesdéputés,lesavocats,lesmédecins,lesgrandsindustrielsquis’agenouillaientleplusdévotementdevantlepouvoir;mais,entretous,lebaronGouraudetM.Toutin-LarocheméritaientlabienveillancedesTuileriesparleurferveur.»(p.61)

Enleurrendantdesservicesetens’arrangeantpourqu’ilssoientchargésdecetteaffaire,lamaisonestfinalementestimée600.000francsparlacommission.

DansL’argent,SaccardfaitdenombreusesfraudesdanslagestiondelabanqueUniverselle.Ilfaitfidelalégislationenvigueuravecunedésinvoltured’autantplusgrandequ’àl’époque,lescontrôlessontquasi-inexistants.Dèsledépart,Saccardfraudeendistribuantdesactionsavantmêmeleurémission,cequeluifaitremarquerMmeCaroline:

«– Alors,c’estpermis,n’est-cepas?deseréunirainsiàplusieurs,poursedistribuerlesactionsd’unebanque,avantmêmequel’émissionsoitfaite?Violemment,ileutungested’affirmation.– Mais, certainement, c’est permis ! Est-ce que vous nous croyez assez niais, pour risquer un échec ? Sanscompterquenousavonsbesoindegenssolides,maîtresdumarché,silesdébutssontdifficiles…Voilàtoujours

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lesquatrecinquièmesdenostitresplacésendesmainssûres.Onvapouvoirallersignerl’actedesociétéchezlenotaire.Elleosaluitenirtête.– Jecroyaisquelaloiexigeaitlasouscriptionintégraleducapitalsocial.Cettefois,trèssurpris,illaregardaenface.– VouslisezdoncleCode?Etellerougit légèrement,car ilavaitdeviné : laveille,cédantàsonmalaise,cettepeursourdeetsanscauseprécise,elleavaitlulaloisurlessociétés.Uninstant,ellefutsurlepointdementir.Puis,avouant,riant:– C’estvrai,j’ailuleCode,hier.J’ensuissortie,entâtantmonhonnêtetéetcelledesautres,commeonsortdeslivresdemédecine,avectouteslesmaladies.Maisluisefâchait,carcefaitd’avoirvouluserenseigner,laluimontraitméfiante,prêteàlesurveiller,desesyeuxdefemme,fureteursetintelligents.– Ah!reprit-ilavecungestequi jetaitbaslesvainsscrupules,sivouscroyezquenousallonsnousconformeraux chinoiseries du Code !Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrêtés par des entraves, àchaque enjambée, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, à toutes jambes ! Non, non, jen’attendraicertainementpasquetoutlecapitalsoitsouscrit;jepréfère,d’ailleurs,nousréserverdestitres,etjetrouveraiunhommeànousauquelj’ouvriraiuncompte,quiseranotreprête-nomenfin.– C’estdéfendu,déclara-t-ellesimplementdesabellevoixgrave.– Eh!oui,c’estdéfendu,maistouteslessociétéslefont.– Ellesonttort,puisquec’estmal.»(p.84-85)Normalement,lorsdel’augmentationducapital,l’émissiond’actionsnouvellesesttoujourscenséepermettreofficiellementdefinancerlesentreprisesdelaBanqueuniverselle(commepar exemple le projet de Trésor du Saint Sépulcre, p.56), mais officieusement, elle sertsurtout à libérer les actions anciennes et à accélérer la hausse des cours. Ainsi, Saccardfraude-t-il encoreenutilisantdesprête-nomspourpayer fictivementdesactions.Pour cefaire,ilsongealorsàSabatini,unagentdiscretetsansscrupules.C’estainsiquefutcréélecompteSabatini:

«Sabatani, avec son inquiétant sourirede caresse, sa souplessede couleuvre, laissaparler Saccard, qui, trèsnettementd’ailleurs,enhommequileconnaissait,luifitsaproposition.– Moncher,j’aibesoindevous…Ilnousfautunprête-nom.Jevousouvriraiuncompte,jevousferaiacheteurd’uncertainnombredenostitres,quevouspayerezsimplementparunjeud’écritures…Vousvoyezquejevaisdroitaubutetquejevoustraiteenami.Lejeunehommeleregardaitdesesbeauxyeuxdevelours,sidouxdanssalonguefacebrune.– La loi, chermaître,exiged’une façon formelle leversementenespèces…Oh!cen’estpaspourmoique jevousdisça.Vousmetraitezenami,etj’ensuistrèsfier…Toutcequevousvoudrez!(…)– Ah ! à propos, interrompit Saccard, nous aurons aussi besoin de signatures, pour régulariser certainesopérations,lestransfertsparexemple…Pourrai-jeenvoyerchezvouslespaquetsdepapiersàsigner?– Maiscertainement,chermaître.Toutcequevousvoudrez!Il ne soulevaitmêmepas la question de payement, sachant que cela est sans prix, lorsqu’on rendde pareilsservices;et,commel’autreajoutaitqu’onluidonneraitunfrancparsignature,pourledédommagerdesapertedetemps,ilacquiesçad’unsimplemouvementdetête.Puis,avecsonsourire:– J’espèreaussi,chermaître,quevousnemerefuserezpasdesconseils.Vousallezêtresibienplacé,jeviendraiauxrenseignements.»(p.88)Cecomptefonctionnealors,àchaquefoisquel’onveutaugmenterlaréservedelabanqueetsurtoutspéculer.Lesirrégularitéssemultiplient:

«Deuxjoursaprès,HamelinetSaccard,accompagnéscettefoisduvice-président,levicomtedeRobin-Chagot,retournèrentrueSainte-Anne,chezmaîtreLelorrain,pourdéclarerl’augmentationducapital,qu’ilsaffirmaientavoir été intégralement souscrit. La vérité était que trois mille actions environ, refusées par les premiers

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actionnairesàquiellesappartenaientdedroit,restaientauxmainsdelasociété,laquellelespassadenouveauaucompteSabatani,parunjeud’écritures.C’étaitl’ancienneirrégularité,aggravée,lesystèmequiconsistaitàdissimulerdanslescaissesdel’Universelleunecertainequantitédesespropresvaleurs,unesortederéservedecombat,quiluipermettraitdespéculer,desejeterenpleinebatailledeBourse,s’il lefallait,poursoutenirlescours,aucasd’unecoalitiondebaissiers.D’ailleurs,Hamelin,toutendésapprouvantcettetactiqueillégale,avaitfinipars’enremettrecomplètementàSaccard,pourlesopérationsfinancières(…).»(p.131)«Hamelinn’avaitpurevenird’Orient,pourprésiderl’assembléegénéraleextraordinaire,etilécrivitàsasœurunelettreinquiète,oùilexprimaitdescraintessurcettefaçondemenerl’Universelleaugalop,d’untrainfou.Ildevinaitbienqu’onavaitfaitencore,chezmaîtreLelorrain,desdéclarationsmensongères.Eneffet,touteslesactions nouvelles n’avaient pas été légalement souscrites, la société était restée propriétaire des titres querefusaientlesactionnaires;et,lesversementsn’étantpointexécutés,unjeud’écrituresavaitpassécestitresaucompte Sabatani. En outre, d’autres prête-noms, des employés, des administrateurs, lui avaient permis desouscrireelle-mêmeàsapropreémission ;desortequ’elledétenaitalorsprèsde trentemilledesesactions,représentantunesommededix-septmillionsetdemi.Outrequ’elleétait illégale, lasituationpouvaitdevenirdangereuse, car l’expérience a démontré que toute maison de crédit qui joue sur ses valeurs est perdue.»(p.156-157)«(…) les irrégularitéscontinuaient,s’aggravaientsanscesse :ainsi lecompteSabataniavaitgrossi, lasociétéjouaitdeplusenplus,souslecouvertdeceprête-nom,sansparlerdesréclamesénormesetmensongères,desfondations de sable et de boue qu’on donnait à la colossale maison, dont la montée si prompte, commemiraculeuse,lafrappaitdeplusdeterreurquedejoie.»(p.168)Hamelin,directeurdelaBanqueetfrèredeMmecarolinefinitpardécouvrirlavérité:«– N’importe!c’est incorrect,votrebilananticipé,dumomentque lesgainsnesontpasacquis…Jeneparlemême plus de nos entreprises, bien qu’elles soient à la merci des catastrophes, comme toutes les œuvreshumaines… Mais je vois là le compte Sabatani, trois mille et tant d’actions qui représentent plus de deuxmillions.Or,vouslesmettezànotrecrédit,etc’estànotredébitqu’ilfaudraitlesmettre,puisqueSabatanin’estquenotrehommedepaille.N’est-cepas?nouspouvonsnousdirecela,entrenous…Et, tenez ! je reconnaiségalementiciplusieursdenosemployés,mêmequelques-unsdenosadministrateurs,tousdesprête-noms,oh!jeledevine,vousn’avezpasbesoindemeledire…Celamefaittrembler,devoirquenousgardonsunsigrandnombredenosactions.Nonseulement,nousn’encaissonspas,maisnousnous immobilisons,etnousfinironsparnousdévorerunjour.»(p.191)«Leslivresétaientlà,ilenpénétraitaisémentlesmensonges.Ainsi,lecompteSabatani,ilsavaitqueceprête-nomcachaitlesopérationsfaitesparlasociété;etilpouvaitysuivre,moisparmois,depuisdeuxans,lafièvrecroissantedeSaccard,d’abordtimide,n’achetantqu’avecprudence,pousséensuiteàdesachatsdeplusenplusconsidérables, pour arriver à l’énorme chiffre de vingt-septmille actions ayant coûté près de quarante huitmillions. N’était-ce pas fou, d’une impudente folie qui avait l’air de se moquer des gens, un pareil chiffred’affairesmissouslenomd’unSabatani!EtceSabatanin’étaitpasleseul,ilyavaitd’autreshommesdepaille,des employés de la banque, des administrateurs même, dont les achats, portés au compte des reports,dépassaientvingtmilleactions,représentantellesaussiprèsdequarante-huitmillionsdefrancs.Enfin,toutcelan’étaitencorequelesachatsfermes,auxquelsilfallaitajouterlesachatsàterme,opérésdanslecourantdeladernièreliquidationdejanvier;plusdevingtmilleactionspourunesommedesoixante-septmillionsetdemi,dont l’Universelleavaitàprendre livraison ; sans compter,à laBoursede Lyon,dixmilleautres titres, vingt-quatremillionsencore.Cequi,enadditionnanttout,démontraitquelasociétéavaitenmainprèsduquartdesactionsémisesparelle,etqu’elleavaitpayécesactionsdel’effroyablesommededeuxcentsmillions.Làétaitlegouffre,oùelles’engloutissait.»(p.274)Après lafaillitede laBanque,Saccardpréparesadéfenseets’étonned’être leseulaccuséd’illégalités:"(…) il avait fait ce que fait tout directeur de banque, seulement il l’avait fait en grand, avec une carrured’homme fort. Pas un des chefs des plus solidesmaisons de Paris qui n’aurait dû partager sa cellule, si l’on

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s’était piqué d’un peu de logique. On le prenait pour le bouc émissaire des illégalités de tous. D’autre part,quelleétrangefaçond’apprécierlesresponsabilités!Pourquoinepoursuivait-onpasaussilesadministrateurs,lesDaigremont,lesHuret,lesBohain,qui,outreleurscinquantemillefrancsdejetonsdeprésence,touchaientledix pour cent sur les bénéfices, et qui avaient trempé dans tous les tripotages ? Pourquoi encore l’impunitécomplète dont jouissaient les commissaires censeurs, Lavignière entre autres, qui en étaient quittes pouralléguerleurincapacitéetleurbonnefoi?Évidemment,ceprocèsallaitêtrelaplusmonstrueusedesiniquités,caronavaitdûécarterlaplainteenescroqueriedeBusch,commealléguantdesfaitsnonprouvés,etlerapportremisparl’expert,aprèsunpremierexamendeslivres,venaitd’êtrereconnupleind’erreurs.Alors,pourquoilafaillite,déclaréed’officeàlasuitedecesdeuxpièces,lorsquepasunsoudesdépôtsn’avaitétédétournéetquetouslesclientsdevaientrentrerdansleursfonds?»(p.301-302)

Terminons par un autre genre de fraude, la tricherie au jeu, qui consiste à ne pas enrespecter des règles pour gagner le plus d’argent possible. Dans Manon Lescaut, pourtrouverdel’argent,DesGrieuxparticipeauxtricheriesdel’HôteldeTransylvanie:

«Leprincipalthéâtredemesexploitsdevaitêtrel’hôteldeTransylvanie,oùilyavaitunetabledepharaondansunesalle,etdiversautresjeuxdecartesetdedésdanslagalerie.CetteacadémiesetenaitauprofitdeM.leprincedeR…quidemeuraitalorsàClagny,etlaplupartdesesofficiersétaientdenotresociété.Ledirai-jeàmahonte?jeprofitaienpeudetempsdesleçonsdemonmaître.J’acquissurtoutbeaucoupd’habiletéàfaireunevolte-face, à filer la carte ; et m’aidant fort bien d’une longue paire de manchettes, j’escamotais assezlégèrementpourtromperlesyeuxdesplushabiles,etruinersansaffectationquantitéd’honnêtesjoueurs.Cetteadresseextraordinairehâtasifortlesprogrèsdemafortune,quejemetrouvaienpeudesemainesdessommesconsidérables,outrecellesquejepartageaisdebonnefoiavecmesassociés.»(p.32)

2.1.6.4.Lechantage

Lechantageestundélitconsistantàextorquerdesfonds,desvaleursoulasignatured’unacte, à une personne qui refuse, à l’aide de menaces, notamment de révélationscompromettantesoudiffamatoires.

DansMadame Bovary, Lheureux fait un chantage implicite à Emma: il gardera le silenceconcernantsonaventureavecRodolpheetenéchangeelledevracontinueràluiacheterdesmarchandises.

«C’étaitM.Lheureux,lemarchand,quis’étaitchargédelacommande;celaluifournitl’occasiondefréquenterEmma. Il causait avec elle des nouveaux déballages de Paris, demille curiosités féminines, semontrait fortcomplaisant, et jamais ne réclamait d’argent. Emma s’abandonnait à cette facilité de satisfaire tous sescaprices.Ainsi,ellevoulutavoir,pourladonneràRodolphe,unefortbellecravachequisetrouvaitàRouendansunmagasindeparapluies.M.Lheureux,lasemained’après,laluiposasursatable.Maislelendemainilseprésentachezelleavecunefacturededeuxcentsoixanteetdixfrancs,sanscompterlescentimes.Emmafuttrèsembarrassée:touslestiroirsdusecrétaireétaientvides;ondevaitplusdequinzejoursà Lestiboudois, deux trimestres à la servante, quantité d’autres choses encore, et Bovary attendaitimpatiemmentl’envoideM.Derozerays,quiavaitcoutume,chaqueannée,delepayerverslaSaint-Pierre.Elleréussitd’abordàéconduireLheureux;enfinilperditpatience:onlepoursuivait,sescapitauxétaientabsents,et,s’ilnerentraitdansquelquesuns,ilseraitforcédeluireprendretouteslesmarchandisesqu’elleavait.–Eh!reprenez-les!ditEmma.–Oh!c’estpour rire ! répliqua-t-il.Seulement, jene regretteque lacravache.Mafoi ! je la redemanderaiàMonsieur.–Non!non!fit-elle.–Ah!jetetiens!pensaLheureux.Et,sûrdesadécouverte,ilsortitenrépétantàdemi-voixetavecsonpetitsifflementhabituel:–Soit!nousverrons!nousverrons!»(p.140)

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DansL’Argent,BushvientprésenteràMmedeBeauvilliers lareconnaissancededettefait,ensontempsparsonmariàlajeuneLéonie,qu’ilavaitdébauchée.Mais,laprincesseruinéenepeutpaspayer.Pourarriveràrécupérerdel’argent,ilrecourtauchantageduscandale:

«– Mais,madame,cettefilleveutqu’onlapaye.Etellearaison,lamalheureuse,dedirequemonsieurlecomtedeBeauvilliersafortmalagiavecelle.C’estdel’escroquerie,simplement.– Jamaisjenepayeraiunepareilledette.– Alors,nousallonsprendreunevoiture,ensortantd’ici,etnousrendreauPalais,où jedéposerai laplaintequej’airédigéed’avance,etquevoici…Touslesfaitsquemademoisellevientdevousdireysontrelatés.– Monsieur,c’estunabominablechantage,vousneferezpascela.– Jevousdemandepardon,madame,jevaislefaireàl’instant.Lesaffairessontlesaffaires.Unefatigueimmense,unsuprêmedécouragementenvahitlacomtesse.Ledernierorgueilquilatenaitdebout,venaitdesebriser;ettoutesaviolence,toutesaforcetomba.Ellejoignitlesmains,ellebégayait.– Maisvousvoyezoùnousensommes.Regardezdonccettechambre…Nousn’avonsplusrien,demainpeut-êtreilnenousresterapasdequoimanger…Oùvoulez-vousquejeprennedel’argent,dixmillefrancs,monDieu!Buscheutunsourired’hommeaccoutuméàpêcherdanscesruines.– Oh!lesdamescommevousonttoujoursdesressources.Encherchantbien,ontrouve.Depuis unmoment, il guettait, sur la cheminée, un vieux coffret à bijoux, que la comtesse avait laissé là, lematin, enachevantde viderunemalle ; et il flairait despierreries, avec la certitudede l’instinct. Son regardbrillad’unetelleflamme,qu’elleensuivitladirectionetcomprit.– Non,non!cria-t-elle,lesbijoux,jamais!Et elle saisit le coffret, commepour le défendre. Ces derniers bijoux depuis si longtempsdans la famille, cesquelquesbijouxqu’elleavaitgardésautraversdesplusgrandesgênes,comme l’uniquedotdesa fille,etquirestaientàcetteheuresasuprêmeressource!– Jamais,j’aimeraismieuxdonnerdemachair!– Adieu,madame,nousallonsdecepasauparquet.Lerécitdétailléseradanslesjournaux,avanttroisjours.C’estvousquil’aurezvoulu.Danslesjournaux!Cethorriblescandalesurlesruinesmêmesdesamaison!Cen’étaitdoncpasassezdevoirtomber en poudre l’antique fortune, il fallait que tout croulât dans la boue ! Ah ! que l’honneur du nomaumoins fût sauvé !Et,d’unmouvementmachinal,elleouvrit le coffret. Lesbouclesd’oreilles, lebracelet, troisbaguesapparurent,desbrillantsetdesrubis,avecleursmonturesanciennes.»(p.292-294)Finalement,illuiprendsesbijouxcontrelareconnaissancededettedesonmari.Ilmontrelàtoutesacupiditéassassine.Il existe aussi un autre type de chantage, c’est le chantage affectif. Celui-ci est unemanœuvredestinéeàprofiterdes faiblessesoude la sensibilitéd’unepersonne.Lecas leplusexpliciteestceluifaitparlesfillesdupèreGoriot.Sursonlitdemort,alorsqu’ilespèreencorelesvoir,ilexpliquecombienellesontprofitédel’amourinfiniqu’illeurportait:

«–Ah!sij’étaisriche,sij’avaisgardémafortune,sijenelaleuravaispasdonnée,ellesseraientlà,ellesmelècheraientlesjouesdeleursbaisers!(…)L’argentdonnetout,mêmedesfilles.Oh!monargent!oùest-il?Sij’avaisdestrésorsàlaisser,ellesmepanseraient,ellesmesoigneraient;jelesentendrais,jelesverrais.(…)Ellesonttouteslesdeuxdescœursderoche.J’avaistropd’amourpourellespourqu’elleseneussentpourmoi!Unpèredoitêtretoujoursriche,ildoittenirsesenfantsenbridecommedeschevauxsournois.Etj’étaisàgenouxdevantelles.Lesmisérables!ellescouronnentdignementleurconduiteenversmoidepuisdixans.Sivoussaviezcommeellesétaientauxpetitssoinspourmoidanslespremierstempsdeleurmariage!(Oh!jesouffreuncruelmartyre !) Jevenaisde leurdonneràchacuneprèsdehuitcentmille francs ;ellesnepouvaientpas,ni leursmarisnonplus,êtrerudesavecmoi.(...).Enfinellessedisaientmesfilles,etellesm’avouaientpourleurpère.J’aiencoremafinesse,allez,etriennem’estéchappé.Toutaétéàsonadresseetm’apercélecoeur.Jevoyaisbienquec’étaitdesfrimes;maislemalétaitsansremède!(…)J’aibienexpiélepéchédelestropaimer.Ellesse

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sontbienvengéesdemonaffection,ellesm’onttenaillécommedesbourreaux.Ehbien,lespèressontsibêtes!jelesaimaistant(..;)jen’aipluseuquedeschagrinsàdévorer!Etjelesaidévorés!J’aivécupourêtrehumilié,insulté. Je les aime tant, que j’avalais tous les affronts par lesquels elles me vendaient une pauvre petitejouissancehonteuse.Unpèresecacherpourvoirsesfilles!Jeleuraidonnémavie,ellesnemedonnerontpasuneheureaujourd’hui!(…)Jen’aipassumeconduire,j’aifaitlabêtised’abdiquermesdroits.Jemeseraisavilipourelles!Quevoulez-vous? leplusbeaunaturel, lesmeilleuresâmesauraientsuccombéà lacorruptiondecette facilitépaternelle. Je suisunmisérable ! je suis justementpuni.Moi seulai causé lesdésordresdemesfilles!jelesaigâtées.(…)etquandmêmeellesviendraientparavarice,j’aimemieuxêtretrompé,jelesverrai…Jeveuxmesfilles!jelesaifaites!ellessontàmoi!dit-il,ensedressantsursonséant(…)Laragemegagne!Encemoment, jevoismavieentière. Jesuisdupe!ellesnem’aimentpas,ellesnem’ont jamaisaimé!celaestclair.Siellesnesontpasvenues,ellesneviendrontpas!Plusellesauronttardé,moinsellessedéciderontàmefairecette joie ! Je les connais !Ellesn’ont jamais riensudevinerdemeschagrins,demesdouleurs,demesbesoins,ellesnedevinerontpasplusmamort!ellesnesontseulementpasdanslesecretdematendresse.Oui,je le vois,pourelles, l’habitudedem’ouvrir lesentraillesaôtéduprixà tout ceque je faisais. Ellesauraientdemandéàmecreverlesyeux,jeleurauraisdit:–«Crevez-les!»Jesuistropbête.Ellescroientquetouslespèressontcommeleleur.»(p.187-190)

Lechantageaffectif,c’estaussi l’expédientqu’utilise lebarondeNucingenpours’emparerdelafortunedesafemme,commeellel’expliqueelle-mêmeàsonpère:«Ah,monpère,dit-elle,plaiseaucielquevousayezeul’idéededemandercomptedemafortuneassezàtempspourquejenesoispasruinée!(…)Votreavouénousafaitdécouvrirunpeuplustôtlemalheurquisansdouteéclateraplustard.(…).LorsquemonsieurDervilleavuNucingen luiopposermillechicanes, il l’amenacéd’unprocès,enluidisantquel’autorisationduprésidentdutribunalseraitpromptementobtenue.Nucingenestvenuce matin chez moi, pour me demander si je voulais sa ruine et la mienne. Je lui ai répondu que je ne meconnaissaisàriendetoutcela,quej’avaisunefortune,quejedevaisêtreenpossessiondemafortune,etquetout ce qui avait rapport à ce démêlé regardait mon avoué ; que j’étais de la dernière ignorance, et dansl’impossibilitéderienentendreàcesujet.N’était-cepascequevousm’aviezrecommandédedire?–Bien,réponditlepèreGoriot.–Ehbien, repritDelphine, ilm’amisau faitde sesaffaires. Il a jeté tous ses capitauxet lesmiensdansdesentreprises à peine commencées, et pour lesquelles il a fallumettre de grandes sommes en dehors. Si je leforçaisàmereprésentermadot,ilseraitobligédedéposersonbilan;tandisque,sijeveuxattendreunan,ils’engagesur l’honneuràmerendreunefortunedoubleoutriplede lamienne,enplaçantmescapitauxdansdesopérationsterritorialesàlafindesquellesjeseraimaîtressedetouslesbiens.Moncherpère,ilétaitsincère,ilm’aeffrayée.Ilm’ademandépardondesaconduite,ilm’arendumaliberté,m’apermisdemeconduireàmaguise,àlaconditiondelelaisserentièrementmaîtredegérerlesaffairessousmonnom.Ilm’apromis,pourmeprouver sabonne foi,d’appelermonsieurDerville toutes les foisque je levoudrais,pour juger si lesactesenvertu desquels il m’instituerait propriétaire seraient convenablement rédigés. Enfin il s’est remis entre mesmains,piedsetpoingsliés.Ildemandeencorependantdeuxanslaconduitedelamaison,etm’asuppliéedenerien dépenser pour mot de plus qu’il ne m’accorde. Il m’a prouvé que tout ce qu’il pouvait faire était deconserverlesapparences,qu’ilavaitrenvoyésadanseuse,etqu’ilallaitêtrecontraintàlaplusstricte,maisàlaplussourdeéconomie,afind’atteindreautermedesesspéculationssansaltérersoncrédit.Jel’aimalmené,j’aitoutmisendoute,afinde lepousseràboutetd’enapprendredavantage: ilm’amontréses livres,enfin ilapleuré.Jen’aijamaisvud’hommeenpareilétat.Ilavaitperdulatête,ilparlaitdesetuer,ildélirait.Ilm’afaitpitié.»(p.158-159)«Il est homme à s’enfuir avec tous les capitaux, et à nous laisser la, le scélérat ! Il sait bien que je nedéshonoreraipasmoi-même lenomque jeporteen lepoursuivant. Il està la fois fortetfaible. J’aibien toutexaminé.Sinouslepoussonsàbout,jesuisruinée.»(p.160)2.1.6.5.Ladélation

La délation est une dénonciation intéressée, méprisable, inspirée par la vengeance, lajalousieoulacupidité.

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DansLePèreGoriot,MademoiselleMichonneauetM.Poiretneserontpasenrestedanslacourseàlarichesse.Mais,ilsontchoisiuneformulebienparticulière:dénoncerVautrinaliasJean Collin ou Trompe-la-Mort pour empocher la mise promise à celui qui aidera àconfondrelebandit.EllemarchandelaprimeavecGondureauquiluidemandederécupérercertaineslettrespourvoirs’ils’agitbiendeCollin:

«– Mais je ne vois pas alors à quoi je suis bonne pour une semblable vérification, une supposition que jeconsentiraisàlafairepourdeuxmillefrancs.–Riendeplus facile, dit l’inconnu. Je vous remettraiun flacon contenantunedosede liqueurpréparéepourdonnerun coupde sangqui n’apas lemoindredanger et simuleuneapoplexie. Cettedroguepeut semêlerégalementauvinetaucafé.Sur-le-champvoustransportezvotrehommesurunlit,etvousledéshabillezafindesavoirs’ilnesemeurtpas.Aumomentoùvousserezseule,vousluidonnerezuneclaquesurl’épaule,paf!etvousverrezreparaîtreleslettres.–Maisc’estriendutout,ça,ditPoiret.–Ehbien!consentez-vous?ditGondureauàlavieillefille.–Mais,monchermonsieur,ditmademoiselleMichonneau,aucasoùiln’yauraitpointdelettres,aurais-jelesdeuxmillefrancs?–Non,–Quelleseradoncl’indemnité?–Cinqcentsfrancs.–Faireunechosepareillepoursipeu.Lemalest lemêmedanslaconscience,et j’aimaconscienceàcalmer,monsieur.– Je vous affirme, dit Poiret, quemademoiselle a beaucoup de conscience, outre que c’est une très aimablepersonneetbienentendue.–Ehbien ! repritmademoiselleMichonneau,donnez-moi troismille francs si c’estTrompe-la-Mort, et rien sic’estunbourgeois.–Çava,ditGondureau,maisàconditionquel’affaireserafaitedemain.–Pasencore,monchermonsieur,j’aibesoindeconsultermonconfesseur.– Finaude ! dit l’agent en se levant. À demain alors. Et si vous étiez pressée deme parler, venez petite rueSainte-Anne,auboutdelacourdelaSainte-Chapelle.Iln’yaqu’uneportesouslavoûte.DemandezmonsieurGondureau.»(p.117-118)

DansL’Argent,ClarisselafemmedechambredelabaronneSandorffoffreàDelcambredelasurprendreavecSaccard,danslelogementqu’illuipaie:

«Elleavaitd’abordexigécinqcents francs ;mais,comme ilétait fortavare,elledut,aprèsmarchandage,secontenterdedeuxcents francs,payablesde lamainà lamain,aumomentoùelle luiouvrirait laportede lachambre.Ellecouchaitlà,dansunepetitepièce,derrièrelecabinetdetoilette.Labaronnel’avaitprise,parunedélicatesse,pournepasconfierlesoinduménageàlaconcierge.Leplussouvent,ellevivaitoisive,n’ayantrienà faire entre les rendez-vous, au fond de ce logement vide, s’effaçant du reste, disparaissant, dès queDelcambreouSaccardarrivait.C’étaitdanslamaisonqu’elleavaitconnuCharles,quilongtempsétaitvenu,lanuit,occuperavecellelegrandlitdesmaîtres,encoreravagéparladébauchedelajournée;etmêmec’étaitellequil’avaitrecommandéàSaccard,commeuntrèsbonsujet,trèshonnête.Depuissonrenvoi,elleépousaitsarancune,d’autantplusquesamaîtresseluifaisaitdes«crasses»etqu’elleavaituneplaceoùellegagneraitcinqfrancsdeplusparmois.D’abord,CharlesvoulaitécrireaubaronSandorff;maiselleavaittrouvéplusdrôleetpluslucratifd’organiser,avecDelcambre,unesurprise.Et,cejeudi-là,ayanttoutpréparépourlegrandcoup,elleattendit.»(p.163)

2.1.7.L’argentduhasard

L’argent a toujours fait rêver, comme en témoigne les rêves de richesse que traduisentl’alchimieavec lapierrephilosophale, larecherchede l’Eldorado, lescontesdeféesetdes

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1001 nuits, ainsi que la ruée vers l’or. Ces thèmes ont été abondamment traités dans lalittérature.Mais,notrecorpusn’estpastrèsreprésentatifdecetargenthypothétique.

2.1.7.1.L’argentdudon

Ledondéfinit l'actepar lequelunepersonne,dansuneintentionlibéraleetsansespoirdecontrepartie, décide de se délester d'un bien en faveur d'une autre personne, cetteopérationétantréaliséedesonvivant.Généralement,etnécessairementlorsqu'ils'agitd'unbienoud'undroitimmobilier, la transmissionestréaliséedansunactenotarié (donation).Mais, lorsqu'il s'agit d'un bienmeuble, le don peut être manuel, c’est-à-dire qu’il résultealorsdelasimpletransmissionmatérielledel'objet.Dansnotrecorpus, ilyaquelquescasdedonsd’argent.

DansManonLescaut,audébutduroman,lenarrateur,quineconnaîtpasDesGrieux,luifaitundonpourqu’ilpuissesoulagerManon:

«Jenesuisembarrasséquepourm’yconduireetpourprocureràcettepauvrecréatureajouta-t-ilenregardanttristementsamaîtresse,quelquesoulagementsurlaroute.Ehbien,luidis-jejevaisfinirvotreembarras.Voiciquelqueargentquejevouspried’accepter.Jesuisfâchédenepouvoirvousservirautrement.Je luidonnaiquatre louisd’or, sansque lesgardess’enaperçussent :car je jugeaisbienques’ils lui savaientcettesommeilsluivendraientpluschèrementleurssecours.»(p.3)DansEugénieGrandet,Charlesvapartiraux Indespoury faire fortuneetEugénie,quiesttombéeamoureusedesoncousin,luifaitdondetoutsonargentetdespiècesdecollectionoffertesparsonpère:

«Elle y prit unegrossebourse en velours rougeàglandsd’or, et bordéede cannetille usée, provenantde lasuccessiondesagrand-mère.Puisellepesafortorgueilleusementcettebourse,etseplutàvérifier lecompteoubliédesonpetitpécule.Elleséparad’abordvingtportugaisesencoreneuves,frappéessouslerègnedeJeanV,en1725,valantréellementauchangecinq lisboninesouchacunecentsoixante-huit francssoixante-quatrecentimes,luidisaitsonpère,maisdontlavaleurconventionnelleétaitdecentquatre-vingtsfrancs,attendularareté,labeautédesditespiècesquireluisaientcommedessoleils.Item,cinqgénovinesoupiècesdecentlivresdeGênes,autremonnaierareetvalantquatre-vingt-septfrancsauchange,maiscentfrancspourlesamateursd’or. Elles lui venaient du vieuxmonsieur La Bertellière. Item, trois quadruples d’or espagnols de Philippe V,frappésen1729,donnésparmadameGentillet,qui,enlesluioffrant,luidisaittoujourslamêmephrase:–Cecherserin-là,cepetitjaunet,vautquatre-vingt-dix-huitlivres!Gardez-lebien,mamignonne,ceseralafleurdevotretrésor.Item,cequesonpèreestimaitleplus(l’ordecespiècesétaitàvingt-troiscaratsetunefraction),centducatsdeHollande,fabriquésenl’an1756,etvalantprèsdetreizefrancs. Item,unegrandecuriosité!…desespècesdemédaillesprécieusesauxavares,troisroupiesausignedelaBalance,etcinqroupiesausignedelaVierge,toutesd’orpuràvingt-quatrecarats,lamagnifiquemonnaieduGrand-Mogol,etdontchacunevalaittrente-sept francs quarante centimes au poids ; mais au moins cinquante francs pour les connaisseurs quiaimentàmanierl’or.Item,lenapoléondequarantefrancsreçul’avant-veille,etqu’elleavaitnégligemmentmisdanssabourserouge.Cetrésorcontenaitdespiècesneuvesetvierges,devéritablesmorceauxd’artdesquelslepèreGrandets’informaitparfoisetqu’ilvoulaitrevoir,afindedétailleràsafillelesvertusintrinsèques,commelabeautéducordon,laclartéduplat,larichessedeslettresdontlesvivesarêtesn’étaientpasencorerayées.Maisellenepensaitniàcesraretés,niàlamaniedesonpère,niaudangerqu’ilyavaitpourelledesedémunird’untrésorsicheràsonpère;non,ellesongeaitàsoncousin,etparvintenfinàcomprendre,aprèsquelquesfautesde calcul, qu’elle possédait environ cinqmille huit cents francs en valeurs réelles, qui, conventionnellement,pouvaientsevendreprèsdedeuxmilleécus.À lavuedesesrichesses,ellesemitàapplaudirenbattantdesmains,commeunenfantforcédeperdresontrop-pleindejoiedanslesnaïfsmouvementsducorps.»(p.80)

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C’estencoreundonqu’elleluifaitenpayanttouteslesdettesdesonpère,afinqu’ilpuisseépouserMlled’Aubrion(Voir2.1.3.2.)2.1.7.2.L’argentdutrésortrouvé

Dansnotre corpus,un romanentierest consacréà la recherched’un trésor.DansL’Ileautrésor,toutcommenceparlatrouvailled’uncoffrecontenantdespiècesd’oretunecarteautrésor,parlejeuneHawkinsetsamère:

«Lefondducoffreétaitoccupéparunvieuxcabandematelot,blanchiparleseldeplusd’uneplagelointaine.Mamèreletiraavecimpatience,etnousdécouvrîmesalorslesderniersobjetsquerecélaitlacaisse,unpaquetenveloppédetoileciréeetquinousparutremplidepapiers,puisunsacdetoiled’oùsortit,quandjeletouchai,un tintementd’or.«Nousallonsmontreràcescoquinsquenous sommesd’honnêtesgens !ditmamère. Jeprendraimondû,etpasunliarddeplus...Tiens-moilesacdemistressCrowley!.Etellesemitàcompterdespiècesd’or,qu’ellejetaitaufuretàmesuredanslesacquejetenaisouvert.Sonprojetétaitd’arriverautotalexactdelanoteduCapitaine.Maiscen’étaitpasuneopérationaussisimplequ’onpourrait lecroire:car lespiècesétaientdetoutmodèleetdetouspays,desdoublons,deslouis,desguinées,desonces,quesais-jeencore?Letoutpêlemêle.Encorelesguinéesétaient-elleslesplusrares,etlesseulesquemamèresûtcompter.»(p.22)LacarteestdécryptéeavecM.Dance,lesquireTrelawneyetledocteurLivesey:« Le reste, c’était lepapier, scellédeplusieurs cachetsdecire,avecundéàcoudreenguised’empreinte, lemêmedépeut-êtreque j’avaistrouvédans lapocheduCapitaine.Ledocteurouvritcetteespèced’enveloppeavec leplusgrandsoin: ilentombalacartemanuscrited’uneîle,avec latitudeet longitude,sondages,pointd’atterrissage,hauteursindicatrices,passesetbaies,enunmottouslesdétailsnécessairespourvenirentoutesûretéymouillerunnavire. (…) Lacarteparaissaitassezancienne,maisportaitdes indicationsdedateplusmoderne;notammenttroiscroixàl’encrerouge,deuxverslenorddel’île,uneausud-ouest;ettoutàcôtédecelle-ci,de lamêmeencreetd’uneécriture fine,biendifférentede la calligraphieenfantineduCapitainecesmots:«Icilegrosdutrésor».Audosdelacarte,lamêmemainavaittracécesindicationssupplémentaires:«Grandarbre,surlacroupedelaLongue-Vue;unpointauN.deN.N.-E.IleduSqueletteE.-S.-E.parE.Dixpieds.L’argentenbarresdans la cachetteduNord.Pour yarriver, suivre la valléede l’Est,àdixbrassesau suddurochernoirquiporteunefigure.Lesarmesetmunitionsfacilesàtrouverdanslesable,pointeNducapquifermelemouillagenord,unpointàl’E.quartN.»C’étaittout.Sibrèvesquefussentcesindications,pourmoiparfaitementinintelligibles,ellesremplirentlesquireetledocteurdelajoielaplusvive.»(p.32-33)La chasse au trésor est alors décrétée,mais une réflexion s’engage sur la légitimitéde cetrésor:«Tandisque le squires’abandonnaitàcemirage, la facepensivedudocteurs’était subitement rembrunie.«Vousn’oubliezqu’unpoint,Trelawney,dit-iltoutàcoup:c’estquecetorn’estpasnotrepropriété,etqu’ilestd’ailleursleproduitduvoletdumeurtre...–C’estmafoivrai! Jen’ysongeaispas,s’écria lesquireavecsafranchiseordinaire.Maisquoi!voulez-vouspourcelalelaisserinutileetimproductifdanscetteîle?»Ledocteursemblaitréfléchirprofondémentetposerenlui-mêmetouteslesdonnéesduproblème.

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«Non, jecroisquenousn’enavonspas ledroit,dit-ilenfin.Onpeutfairetropdebienavecuntrésorcommeceluiqu’ilyapeut-êtrelà,réparertropdecrimesetd’injustices;ilyadanslemondetropdemisèresàsoulager!Savez-vouscequejevouspropose,Trelawney?levoici:convenonsavanttoutquenousregarderonscetrésorcommeunetrouvailleordinairedemonnaiesanciennes,dontlamoitié,auxtermesdelaloi,appartientàceluiquil’afaiteetl’autremoitiéàl’État,c’est-à-direauroiGeorge.»(p.33-34)Finalement,aprèsbiendespéripéties,c’estladécouvertedutrésor:«Là-dessus nous entrâmes dans la caverne. Elle était vaste et bien aérée ; dans le fond, une jolie cascadeformaitunepetitepièced’eauentouréedefougères;lesolétaitcouvertdesable.Devantungrandfeualluméprèsdel’entrée,noustrouvâmeslecapitaineSmollett,couchésurunlitd’herbesetdemousse.Danslecoinleplusécarté,à la lueurde la flamme, je visétincelerungrand tasdepiècesd’oretunquadrilatèredebarresbrillantes.C’étaitlàcetrésordeFlint,quenousétionsvenuscherchersiloin,etquiavaitdéjàcoûtélavieàdix-septhommesde l’Hispaniola !... Etqui sait combiend’autres vies il avait coûtéespendantqu’on l’amassait,combien de sang et de tribulations, combien de bons navires coulés au fond desmers, combien de poudre,combiendebravesgensbrutalementenvoyésdansl’éternité,combiendecruautés,dehontes,demensongesetdecrimes?...Nuln’eûtpuledire.EtpourtantilyavaitencoredansPileaumoinstroishommes,Silver,MorganetBenGunn,quiavaientprispartàcescrimes,commechacunavaitespéréavoirpartautrésor.»(p.173)2.1.7.3.Legaindujeu

Dansnotrecorpus, il s’agitessentiellementde jeuduhasard, jeudont ledéroulementestpartiellementoutotalementsoumisàlachance.Celle-cipeutprovenird'untirageoud'unedistributiondecartes,d'unjetdedé,etc.

DansEugénieGrandet,onjoueauloto.

«–Nousallonsfairevotrepartie,madameGrandet,ditmadamedesGrassins.–Maisnoussommestousréunis,nouspouvonsdeuxtables…– Puisque c’est la fête d’Eugénie, faites votre loto général, dit le pèreGrandet, ces deux enfants en seront.L’ancien tonnelier, qui ne jouait jamais à aucun jeu, montra sa fille et Adolphe – Allons, Nanon, mets lestables.»(p.20»«AumomentoùmadameGrandetgagnaitunlotdeseizesous, leplusconsidérablequieût jamaisétépontédanscettesalle,etquelagrandeNanonriaitd’aiseenvoyantmadameempochantcetterichesomme,uncoupdemarteau retentit à la porte de lamaison, et y fit un si grand tapage que les femmes sautèrent sur leurschaises.»(p.21)Dans le PèreGoriot, labaronnedeNucingenpousseEugèneà jouerpour lui rapporterdel’argent,carelleenabesoindetouteurgence:

«– Avez-vousétéaujeu?dit-elled’unevoixtremblante.– Jamais.– Ah!jerespire.Vousaurezdubonheur.Voicimabourse,dit-elle.Prenezdonc!ilyacentfrancs,c’esttoutcequepossèdecettefemmesiheureuse.Montezdansunemaisondejeu,jenesaisoùellessont,maisjesaisqu’ilyenaauPalais-Royal:risquezlescentfrancsàunjeuqu’onnommela100roulette,etperdeztout,ourapportez-moisixmillefrancs.Jevousdiraimeschagrinsàvotreretour.– Jeveuxbienquelediablem’emportesijecomprendsquelquechoseàcequejevaisfaire,maisjevaisvousobéir,dit-ilavecunejoiecauséeparcettepensée:–Ellesecomprometavecmoi,ellen’aurarienàmerefuser.Eugèneprendlajoliebourse,courtaunuméroNEUF,aprèss’êtrefaitindiquerparunmarchandd’habitslaplusprochainemaisondejeu.Ilymonte,selaisseprendresonchapeau;maisilentreetdemandeoùestlaroulette.À l’étonnement des habitués, le garçon de salle lemène devant une longue table. Eugène, suivi de tous lesspectateurs,demandesansvergogneoùilfautmettrel’enjeu.

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– Sivousplacezunlouissurunseuldecestrente-sixnuméros,etqu’ilsorte,vousaureztrente-sixlouis,luiditunvieillardrespectableàcheveuxblancs.Eugènejettelescentfrancssurlechiffredesonâge,vingtetun.Uncrid’étonnementpartsansqu’ilaiteuletempsdesereconnaître.Ilavaitgagnésanslesavoir.– Retirezdoncvotreargent,luiditlevieuxmonsieur,l’onnegagnepasdeuxfoisdanscesystème-là.Eugèneprendunrâteauqueluitendlevieuxmonsieur,iltireàluilestroismillesixcentsfrancs,ettoujourssansriensavoirdujeu, lesplacesur larouge.Lagalerie leregardeavecenvie,envoyantqu’ilcontinueàjouer.Larouetourne,ilgagneencore,etlebanquierluijetteencoretroismillesixcentsfrancs.– Vousavezseptmilledeuxcentsfrancsàvous, luidità l’oreille levieuxmonsieur.Sivousm’encroyez,vousvousenirez,larougeapasséhuitfois.Sivousêtescharitable,vousreconnaîtrezcebonavis,ensoulageantlamisèred’unancienpréfetdeNapoléon,quisetrouvedansledernierbesoin.Rastignacétourdiselaisseprendredixlouisparl’hommeàcheveuxblancs,etdescendaveclesseptmillefrancs,necomprenantencorerienaujeu,maisstupéfiédesonbonheur.– Ah ça ! oùmemènerez-vousmaintenant, dit-il enmontrant les septmille francs àmadame deNucingen,quandlaportièrefutrefermée.»(p.99-100)

2.2.Lesrapportsàl’argent

Danslapremièrepartie,nousavonsvucommentlespersonnagesrecherchentetobtiennentde l’argent et combien, dans leur quête, la cupidité est importante. Dans cette secondepartie,nousétudierons,danscettepartie,leurrelationàl’argent,leurfaçondel’économiseroudeledépenser,qu’ilssoientpauvresouriches.

2.2.1.Larétentiondel’argent

Dansnotrecorpus,nombredepersonnagessontdesadeptesdelarétention,carpoureuxl’argentestsynonymedepouvoir.

2.2.1.1.L’économie

L’économieesticipriseaveclesensdediminutiondesdépensesetévitementdesdépensessuperflues. Elle peut être réalisée pour survivre, pour aider les autres, pour sauver lesapparences ou bien pour épargner. Au départ, Goriot est un riche rentier qui habite lepremierétagedelapensionVauquer.Mais,commeilseruinepeuàpeupoursesfilles,ilestobligédedemanderà lapropriétaired’habiterau2èmeétageetde réduire le coûtde sapension. «Il eut besoin d’une si stricte économie qu’il ne fit plus de feu chez lui pendantl’hiver.»(p.16).Malgréseséconomies,ilestcontraintderemonterencored’unétage,dansunappartementplusmodeste.Ils’astreintalorsàdenouvelleséconomies:«Verslafindelatroisièmeannée,lepèreGoriotréduisitencoresesdépenses,enmontantautroisièmeétageetensemettantàsoixantefrancsdepensionparmois.Ilsepassadetabac,congédiasonperruquieretnemitplusdepoudre.(…) Quand son trousseau fut usé, il acheta du calicot à quatorze sous l’aune pour remplacer son beau Sesdiamants,satabatièred’or,sachaîne,sesbijoux,avaientdisparuunàun.Ilavaitquittél’habitbleu-barbeau,toutsoncostumecossu,pourporter,étécommehiver,uneredingotededrapmarrongrossier,ungiletenpoilde chèvre, et unpantalongris en cuir de laine. Il devint progressivementmaigre ; sesmollets tombèrent, safigure, bouffie par le contentement d’un bonheur bourgeois, se rida démesurément, son front se plissa, samâchoire se dessina. Durant la quatrième année de son établissement rue Neuve-Sainte-Geneviève, il ne seressemblaitplus.»(p.19)

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DansL’Argent,lacomtessedeBeauvilliersetsafillefontbeaucoupd’économiesdeboutdechandelles pour sauver les apparenceset préserver leur rang, comme le constate MmeCaroline,enlesobservantdepuissonjardin:«Alors, intéressée, madame Caroline avait guetté ses voisines par une sympathie tendre, sans curiositémauvaise;et,peuàpeu,dominantlejardin,ellepénétraleurvie,qu’ellescachaientavecunsoinjaloux,surlarue.Ilyavaittoujoursunchevaldansl’écurie,unevoituresouslaremise,quesoignaitunvieuxdomestique,àlafoisvaletdechambre,cocheretconcierge;demêmequ’ilyavaitunecuisinière,quiservaitaussidefemmedechambre;mais,silavoituresortaitdelagrand-porte,correctementattelée,menantcesdamesàleurscourses,si latablegardaituncertain luxe, l’hiver,auxdînersdequinzaineoùvenaientquelquesamis,parquels longsjeûnes,parquellessordideséconomiesdechaqueheureétaitachetéecetteapparencementeusedefortune!Dansunpetithangar,àl’abridesyeux,c’étaientdecontinuelslavages,pourréduirelanotedelablanchisseuse,depauvresnippesuséesparlesavon,rapiécéesfilàfil;c’étaientquatrelégumesépluchéspourlerepasdusoir,du pain qu’on faisait rassir sur une planche, afin d’en manger moins ; c’étaient toutes sortes de pratiquesavaricieuses,infimesettouchantes,levieuxcocherrecousantlesbottinestrouéesdemademoiselle,lacuisinièrenoircissantàl’encrelesboutsdegantstropdéfraîchisdemadame;etlesrobesdelamèrequipassaientàlafille après d’ingénieuses transformations, et les chapeaux qui duraient des années, grâce à des échanges defleursetderubans.Lorsqu’onn’attendaitpersonne,lessalonsderéception,aurez-de-chaussée,étaientferméssoigneusement,ainsiquelesgrandeschambresdupremierétage;car,detoutecettevastehabitation,lesdeuxfemmes n’occupaient plus qu’une étroite pièce, dont elles avaient fait leur salle à manger et leur boudoir.Quandlafenêtres’entrouvrait,onpouvaitapercevoirlacomtesseraccommodantsonlinge,commeunepetitebourgeoisebesogneuse;tandisquelajeunefille,entresonpianoetsaboîted’aquarelle,tricotaitdesbasetdesmitainespoursamère.Unjourdegrosorage,toutesdeuxfurentvuesdescendantaujardin,ramassantlesablequelaviolencedelapluieemportait.»(p.47-48)Mais, malgré «les miracles d’économie sordide qu’elles accomplissaient, pour sauver lesapparencesetgarderleurrang»(p.270),enconfiantlerestedeleurfortuneàSaccard,ellessesontruinéesetnepeuventpluspréserverleurrang:«Mêmeenvendant leursactions, commentvivredésormais, comment faire faceà tous lesbesoins,aveccesdix-huitmillefrancs,l’épavedernièredunaufrage?Unenécessités’imposait,quelacomtessen’avaitpasvouluencore envisager résolument : quitter l’hôtel, l’abandonner aux créanciers hypothécaires, puisqu’il devenaitimpossibledepayerlesintérêts,nepasattendrequeceux-cilefissentmettreenvente,seretirertoutdesuiteaufonddequelquepetit logement,pouryvivreunevieétroiteeteffacée, jusqu’auderniermorceaudepain.Mais,silacomtesserésistait,c’étaitqu’ilyavaitlàunarrachementdetoutesapersonne,lamortmêmedecequ’elleavaitcruêtre,l’effondrementdel’édificedesaraceque,depuisdesannées,ellesoutenaitdesesmainstremblantes,avecuneobstinationhéroïque.LesBeauvilliersenlocation,n’ayantplusletoitdesancêtres,vivantchezlesautres,danslamisèreavouéedesvaincus:est-ceque,vraiment,ceneseraitpasàmourirdehonte?Etelleluttaittoujours.»(p.271)DansUneVie,RosalieestmiseenceinteparJulien,lemarideJeanne.ElleestalorsrenvoyéedespeuplesavecpourdédommagementlafermedeBarvillepoursonfilsetonluitrouveunmari.Pourelle,quin'apasunrangsocialélevé,l'argentestimportant.Elleéconomisedoncetfinitpars’enrichir.Plustard,alorsqueJeanneestveuveetpratiquementruinéeparsonfils, Rosalie revient auprès d’elle et l’amène à réduire son train de vie et à faire deséconomies:«Etelleexpliquasescalculs,sesprojets,sesraisonnements.UnefoislesPeuplesetlesdeuxfermesattenantesvendues à un amateur qu’elle avait trouvé, on garderait quatre fermes situées à Saint-Léonard, et qui,dégrevéesdetoutehypothèque,constitueraientunrevenudehuitmilletroiscentsfrancs.Onmettraitdecôtétreize cents francsparanpour les réparationset l’entretiendesbiens ; il resteraitdonc septmille francs sur

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lesquelsonprendraitcinqmillepourlesdépensesdel’année;etonenréserveraitdeuxmillepourformerunecaissedeprévoyance.Elleajouta:«Toutleresteestmangé,c’estfini.Etpuisc’estmoiquigarderailaclef,vousentendez;etquantàM.Paul,iln’auraplusrien,maisrien;ilvousprendraitjusqu’auderniersou.»Jeanne,quipleuraitensilence,murmura:–Maiss’iln’apasdequoimanger?–Ilviendramangercheznous,donc,s’ilafaim.Ilyauratoujoursunlitetdufricotpourlui.»(p.147-148)2.2.1.2.Lathésaurisation

Lathésaurisationestlefaitdevouloirgardersonargentendehorsducircuitéconomique.leplus souvent, l’argent qui stagne est discrédité. Dans Eugénie Grandet, Grandet, à forced’économies,s’estconstituéunvéritabletrésor,souslaformed’or,depiècesd’or.Cesontdes capitaux disponibles, qu’il peut investir à tout instant, dès qu’une opportunité seprésente.NotonsquecetraitducaractèredeGrandetestaussiceluiquifait laforcedelabourgeoisie. Nous trouvons, dans ce roman de nombreux décomptes d’argent. À forced’économies de bouts de chandelles,mais aussi de rêveries, d'obstination, et de passion,Grandetaréuniunefortunede17millions,unesommeénormeàl’époque.Ilfaitfructifiersa grande fortune tout en faisant croire à sa femme, à sa fille Eugénie, et à sa servanteNanonqu’ilsnesontpasriches.Ilconservesafortunedanssoncabinetpersonnel:

«Personne, pasmêmemadameGrandet, n’avait la permission d’y venir, le bonhomme voulait y rester seulcommeunalchimisteàsonfourneau.Là,sansdoute,quelquecachetteavaitététrèshabilementpratiquée,làs’emmagasinaientlestitresdepropriété,làpendaientlesbalancesàpeserleslouis,làsefaisaientnuitammentetensecret lesquittances, lesreçus, lescalculs ;demanièreque lesgensd’affaires,voyanttoujoursGrandetprêt à tout, pouvaient imaginer qu’il avait à ses ordres une fée ou un démon. Là, sans doute, quandNanonronflait à ébranler les planchers, quand le chien-loup veillait et bâillait dans la cour, quand madame etmademoiselleGrandetétaientbienendormies,venaitlevieuxtonnelierchoyer,caresser,couver,cuver,cerclerson or. Lesmurs étaient épais, les contrevents discrets. Lui seul avait la clef de ce laboratoire, où, dit-on, ilconsultaitdesplanssurlesquelssesarbresàfruitsétaientdésignésetoùilchiffraitsesproduitsàunprovin,àunebourréeprès.»(p.34)

SafilleEugéniethésauriseaussi:

«Lematin, monsieur Grandet, suivant sa coutume pour les joursmémorables de la naissance et de la fêted’Eugénie, était venu la surprendre au lit, et lui avait solennellement offert son présent paternel, consistant,depuis treizeannées,enunecurieusepièced’or.MadameGrandetdonnaitordinairementà sa filleune robed’hiveroud’été,selonlacirconstance.Cesdeuxrobes,despiècesd’orqu’ellerécoltaitaupremierjourdel’anetà la fête de son père, lui composaient un petit revenu de cent écus environ, que Grandet aimait à lui voirentasser.N’était-cepasmettresonargentd’unecaissedansuneautre,et,pourainsidire,éleveràlabrochettel’avarice de son héritière, à laquelle il demandait parfois compte de son trésor, autrefois grossi par les LaBertellière,enluidisant:–Ceseratondouzaindemariage.LedouzainestunantiqueusageencoreenvigueuretsaintementconservédansquelquespayssituésaucentredelaFrance.EnBerry,enAnjou,quandunejeunefillesemarie,safamilleoucelledel’épouxdoitluidonnerunebourseoùsetrouvent,suivantlesfortunes,douzepiècesoudouzedouzainesdepiècesoudouzecentspiècesd’argentoud’or.Lapluspauvredesbergèresnesemarieraitpassanssondouzain,nefût-ilcomposéquedegrossous.»(p.14-15)

Dans L’Argent, la thésaurisation de Gundermann s’oppose à l’impalpable liquidité deSaccard. Ce banquier, très prudent, veille a toujours avoir des liquidités, de l’argentdisponible:

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«Enmoinsd’unsiècle,lamonstrueusefortuned’unmilliardétaitnée,avaitpoussé,débordédanscettefamille,parl’épargne,parl’heureuxconcoursaussidesévènements.Ilyavaitlàcommeuneprédestination,aidéed’uneintelligence vive, d’un travail acharné, d’un effort prudent et invincible, continuellement tendu vers lemêmebut.Maintenant, tous les fleuvesde l’orallaientàcettemer, lesmillionsseperdaientdanscesmillions,c’étaitunengouffrement de la richesse publique au fond de cette richesse d’un seul, toujours grandissante ; etGundermannétaitlevraimaître,leroitout-puissant,redoutéetobéideParisetdumonde.»(p.66)«Alors, àquoi bonunmilliard ? (…) Pourquoi cetor inutileajoutéà tantd’or, lorsqu’onnepeutacheter etmangerdanslarueunelivredecerises,emmeneràuneguinguetteduborddel’eaulafillequipasse,jouirdetoutcequisevend,delaparesseetdelaliberté?EtSaccard,qui,danssesterriblesappétits,faisaitcependantlapartdel’amourdésintéressédel’argent,pourlapuissancequ’ildonne,sesentaitprisd’unesortedeterreursacrée,àvoirsedressercettefigure,nonplusdel’avareclassiquequithésaurise,maisdel’ouvrierimpeccable,sans besoin de chair, devenu comme abstrait dans sa vieillesse souffreteuse, qui continuait à édifierobstinément sa tour demillions, avec l’unique rêve de la léguer aux siens pour qu’ils la grandissent encore,jusqu’àcequ’elledominâtlaterre.»(p.70)2.2.1.3.L’avarice

L’avariceest un état d’esprit qui consiste à ne pas vouloir se séparer de ses biens etrichesses. Elle est l’un des sept péchés capitauxdéfinis par lecatholicisme. Elle peut setraduireparunethésaurisationcomplèted’argent,sansaucunevolontéde ledépenserunjour.DansEugénieGrandet,ilyaplusieursavares,dontlevieuxMonsieurLaBertellière,quientassesonargentpourpouvoirlecontemplersecrètementetqui«appelaitunplacementuneprodigalité,trouvantdeplusgrosintérêtsdansl’aspectdel’orquedanslesbénéficesdel’usure» (p.4).Mais, le plus grand avare est Grandet lui-même. Son avarice semanifestedanstoussesgestesdelaviequotidienne.Ils’arrangepourqu’onluifournissegratuitementlaplupartdesmarchandisesdontilabesoin:

«MonsieurGrandetn’achetaitjamaisniviandenipain.Sesfermiersluiapportaientparsemaineuneprovisionsuffisantedechapons,depoulets,d’oeufs,debeurreetdebléderente.Ilpossédaitunmoulindontlelocatairedevait,ensusdubail,venirchercherunecertainequantitédegrainset luienrapporter lesonet lafarine.LagrandeNanon, sonuniqueservante,quoiqu’ellene fûtplus jeune,boulangeaitelle-mêmetous les samedis lepain de la maison. Monsieur Grandet s’était arrangé avec les maraîchers, ses locataires, pour qu’ils lefournissent de légumes.Quant aux fruits, il en récoltait une telle quantité qu’il en faisait vendreunegrandepartieaumarché. Sonboisde chauffageétait coupédans seshaiesouprisdans les vieilles truissesàmoitiépourries qu’il enlevait au bord de ses champs, et ses fermiers le lui charroyaient en ville tout débité, lerangeaientpar complaisancedans sonbûcheret recevaient ses remerciements. Ses seulesdépenses connuesétaient le pain bénit, la toilette de sa femme, celle de sa fille, et le payement de leurs chaises à l’église ; lalumière, les gages de la grande Nanon, l’étamage de ses casseroles ; l’acquittement des impositions, lesréparationsdesesbâtimentsetlesfraisdesesexploitations.»(p.6)Pourlereste,ilfaitdeséconomiesdraconiennes:«Depuisquinzeans,touteslesjournéesdelamèreetdelafilles’étaientpaisiblementécouléesàcetteplace,dansuntravail,constant,àcompterdumoisd’avriljusqu’aumoisdenovembre.Lepremierdecederniermoiselles pouvaient prendre leur station d’hiver à la cheminée. Ce jour-là seulement Grandet permettait qu’onallumâtdufeudanslasalle,etillefaisaitéteindreautrenteetunmars,sansavoirégardniauxpremiersfroidsduprintempsniàceux,del’automne.Unechaufferetteentretenueaveclabraiseprovenantdufeudelacuisineque laGrandeNanonleurréservaitenusantd’adresse,aidaitmadameetmademoiselleGrandetàpasser lesmatinéesou lessoirées lesplus fraîchesdesmoisd’avriletd’octobre.Lamèreet la filleentretenaienttout lelingedelamaison,etemployaientsiconsciencieusementleursjournéesàcevéritablelabeurd’ouvrière,que,siEugénie voulait broder une collerette à samère, elle était forcée de prendre sur ses heures de sommeil en

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trompantsonpèrepouravoirdela lumière.Depuis longtempsl’avaredistribuait lachandelleàsafilleetà laGrandeNanon, demêmequ’il distribuait dès lematin le pain et les denrées nécessaires à la consommationjournalière»(p.11-12)QuandilexpliqueàCharlesletraindeviedelamaison,ilaffirmequ’ilestsanslesou,cequecroiravolontierslejeunehomme,vul’étatmisérabledelamaison:«Ici,nousdéjeunonsàhuitheures.Àmidi,nousmangeonsunfruit,unriendepainsurlepouce,etnousbuvonsunverredevinblanc;puisnousdînons,commelesParisiens,àcinqheures.Voilàl’ordre.Sivousvoulezvoirlaville ou les environs, vous serez libre comme l’air. Vous m’excuserez si mes affaires ne me permettent pastoujoursdevousaccompagner.Vous lesentendrezpeut-être tous ici vousdisantque je suis riche :monsieurGrandet par-ci,monsieurGrandet par-là ! Je les laisse dire, leurs bavardages ne nuisent point àmon crédit.Mais jen’aipas le sou,et je travailleàmonâgecommeun jeunecompagnonquin’apour toutbienqu’unemauvaiseplaneetdeuxbonsbras.Vousverrezpeut-êtrebientôtparvous-mêmecequecoûteunécuquandilfautlesuer.»(p.33)Enfin,quandsonépousetombemalade,ilrefusedefairevenirlemédecin.L’argentestplusimportantquelafamilleetlebien-êtredegens.D’ailleurs,safemmeenmeurt.«–Eh!maisvotrefemmeesttrèsmalade,monami.VousdevriezmêmeconsultermonsieurBergerin,elleestendangerdemort.Siellevenaitàmourirsansavoirétésoignéecommeilfaut,vousneseriezpastranquille,jelecrois.–Ta!ta!ta!ta!voussavezcequ’amafemme!Cesmédecins,unefoisqu’ilsontmis lepiedchezvous, ilsviennentdescinqàsixfoisparjour.»(p.109)

Grandetestsoumisàsapassiondévorante.Biensûr, ilnousapparaîtparfoisplushumain.parexemple,lorsqu’ilaséquestréEugéniepouravoirdonnésonoràsoncousin,ilnesouffrepasmoinsqu’elle.Ilvadanslejardin,etencachette,laregardeparlafenêtre,réduitcommeunmalfaiteuràvolerdesbribesduplaisird’êtrepère.Oubienencore,assisauchevetdesafemme,impassibleenapparence,ilestlepremieràsouffrirduvicequiletortureetluirongele cœur. Il est, à la fois bourreau et victime.Mais, cette passion ne cèdemême pas auxapprochesdelamort:frappédeparalysieaucoindesonfeu,ilrestedesheuresentièreslesyeux attachés à ses louis d’or étalés sur la table. Il déclare pour se justifier : « Ça meréchauffe»(p.117).

DansUneViedeMaupassant, Julien,dès lepremier jourdumariage,«luidéveloppaitdesprojetsdevieavecdesidéesd’économie;etcemotrevenuplusieursfoisétonnaitJeanne.»(p.42).Ensuite,lorsduvoyagedenoces,ilfaitpreuved’avaricemettantJeannemalàl’aise:«Julien,quiréunissaitlesbagages,demandatoutbasàsafemme:«C’estassez,n’est-cepas,dedonnervingtsousàl’hommedeservice?»Depuishuit jours ilposaitàtoutmomentlamêmequestion,dontellesouffraitchaquefois.Ellerépondit,avecunpeud’impatience:«Quandonn’estpassûrdedonnerassez,ondonnetrop.» Sans cesse il discutait avec les maîtres et les garçons d’hôtel, avec les voituriers, avec les vendeurs den’importe quoi, et quand il avait, à force d’arguties, obtenu un rabais quelconque, il disait à Jeanne en sefrottant les mains : « Je n’aime pas être volé. » Elle tremblait envoyant venir les notes, sûre d’avance desobservationsqu’ilallaitfairesurchaquearticle,humiliéeparcesmarchandages,rougissantjusqu’auxcheveuxsous le regardméprisantdesdomestiquesqui suivaient sonmaride l’œilengardantau fondde lamainsoninsuffisantpourboire.Ileutencoreunediscussionaveclebatelierquilesmitàterre.»(p.45-46)

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Plus tard, devenumaître des Peuples, il réorganise le domaine , en faisant preuve d’unegrandeavarice:

«(…),parmesured’économie.Julienavaitaccomplidesréformes,quinécessitaientdesmodificationsnouvelles.Le vieux cocher était devenu jardinier, le vicomte se chargeant de conduire lui-même et ayant vendu lescarrossierspourn’avoirplusàpayerleurnourriture.Puis,commeilfallaitquelqu’unpourtenirlesbêtesquandlesmaîtresseraientdescendus,ilavaitfaitunpetitdomestiqued’unjeunevachernomméMarius.Enfin,pourseprocurerdeschevaux, il introduisit,danslebaildesCouillardetdesMartin,uneclausespécialecontraignant les deux fermiers à fournir chacun un cheval, un jour chaque mois, à la date fixée par lui,moyennantquoiilsdemeuraientdispensésdesredevancesdevolailles.»(p.60)«Ellen’avaitd’ailleursrienautrechoseàfaire,Julienayantpristouteladirectiondelamaison,poursatisfairepleinementsesbesoinsd’autoritéetsesdémangeaisonsd’économie.Ilsemontraitd’uneparcimonieféroce,nedonnaitjamaisdepourboires,réduisaitlanourritureaustrictnécessaire;etcommeJeanne,depuisqu’elleétaitvenue aux Peuples, se faisait faire chaquematin par le boulanger une petite galette normande, il supprimacettedépenseetlacondamnaaupaingrillé.»(p.67)

2.2.2.Lepartagedel’argent

2.2.2.1.Labonté

La bonté est la qualité de celui qui fait preuve de bienveillance active envers autrui,susceptiblederendreréellementautruiheureux.LesparentsdeJeanne,dansUneVie,sontprofondément bons. Riches, car ils ont hérité des biens de toute leur famille, la famillePerthuisdesVauds,ilsdépensentsanscompter,sansmêmesansapercevoir:

«Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhomme de l’autre siècle, maniaque et bon.DiscipleenthousiastedeJ.-J.Rousseau,ilavaitdestendressesd’amantpourlanature,leschamps,lesbois,lesbêtes.Aristocratedenaissance, ilhaïssaitpar instinctquatre-vingt-treize;mais,philosophepartempéramentetlibéralparéducation,ilexécraitlatyrannied’unehaineinoffensiveetdéclamatoire.Sagrandeforceetsagrandefaiblesse,c’étaitlabonté,unebontéquin’avaitpasassezdebraspourcaresser,pour donner, pour étreindre, une bonté de créateur, éparse, sans résistance, comme l’engourdissement d’unnerfdelavolonté,unelacunedansl’énergie,presqueunvice.(p.1)Lebaron ramassa l’argent, et, le luiposant sur lesgenoux :«Voici,machèreamie, tout cequi restedemaferme d’Életot. Je l’ai vendue pour faire réparer les Peuples où nous habiterons souvent désormais. » Ellecomptasixmilleetquatrecentsfrancsetlesmittranquillementdanssapoche.C’était la neuvième ferme vendue ainsi sur trente et une que leurs parents avaient laissées. Ils possédaientcependantencoreenvironvingtmillelivresderentesenterresqui,bienadministrées,auraientfacilementrendutrentemillefrancsparan.Commeilsvivaientsimplement,cerevenuauraitsuffis’iln’yavaiteudanslamaisonuntrousansfondtoujoursouvert,labontéElletarissaitl’argentdansleursmainscommelesoleiltaritl’eaudesmarécages.Celacoulait,fuyait, disparaissait. Comment ? Personne n’en savait rien. À tout moment l’un d’eux disait : « Je ne saiscommentcelas’estfait,j’aidépensécentfrancsaujourd’huisansrienacheterdegros.»Cettefacilitéàdonnerétaitduresteundesgrandsbonheursdeleurvie;etilss’entendaientsurcepointd’unefaçonsuperbeettouchante.»(p.4-5)Leur bonté se traduit par le don de sommes d’argent de façon naturelle. Par exemple,lorsqueRosalieestmiseenceintepar Julien, il ladotepour s’ellepuisseéleverdignementsonenfant.

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DansLesMisérables, labontépousseM.MadeleineàaiderFantine, lamèredeCosetteetdépensesanscompterpourqu’ellepuisselarevoiravantsamort(Voir2.1.3.1):«M.Madeleinesehâtad’écrireauxThénardier.Fantineleurdevaitcentvingtfrancs.Illeurenvoyatroiscentsfrancs,enleurdisantdesepayersurcettesommeetd’amenertoutdesuitel’enfantàMontreuil-sur-Meroùsamèremaladelaréclamait.Ceciéblouit leThénardier.–Diable !dit-ilà sa femme,ne lâchonspas l’enfant.Voilàquecettemauviettevadevenirunevacheàlait.Jedevine.Quelquejocrisseseseraamourachédelamère.Ilripostaparunmémoiredecinqcentsetquelquesfrancsfortbienfait.Danscemémoirefiguraientpourplusde trois cents francsdeuxnotes incontestables, l’uned’unmédecin, l’autred’unapothicaire, lesquelsavaientsoignéetmédicamentédansdeux longuesmaladiesÉponineetAzelma.Cosette,nous l’avonsdit,n’avaitpasétémalade.Cefutl’affaired’unetoutepetitesubstitutiondenoms.Thénardiermitaubasdumémoire:reçuàcomptetroiscentsfrancs.M.Madeleineenvoyatoutdesuitetroiscentsautresfrancsetécrivit:Dépêchez-vousd’amenerCosette.–Christi!ditleThénardier,nelâchonspasl’enfant.CependantFantineneserétablissaitpoint.Elleétaittoujoursàl’infirmerie.»(p.173)2.2.2.2.Lacharité

Dansnotrecorpus,onrencontreplussouvent lacharitéet l’aumônequelabonté.Dans lareligionchrétienne,lacharitédésigneàlafoisl’amourdeDieupourlui-mêmeetduprochaincomme créature de Dieu. Avec la Foi et l’Espérance, elle est l’une des trois vertusthéologales.Beaucoupdechrétiensfontdoncœuvredecharité.Quantàl’aumône,elleestuneoffrandeàDieu.Dans le langageordinaire, lacharitéestunevertuquiporteàdésirerfaire le bien autrui, sans en attendre de contrepartie. Faire l’aumône signifie offrir del’argentauxnécessiteuxsanscontrepartie.

AuXIX°, la charitéestencore trèsen faveur.Chez lespersonnesaisées, il est coutumedeparticiperàdesœuvresdecharité. Ilenestainsid’EugénieGrandetquiases«pauvres».Lorsqu’elleveutentreraucouvent,aprèsl’annoncedumariagedesoncousinCharlesavecMlled’Aubrion,lecuré,voulantlapousseraumariage,leluirappelle:«Envoyantsonpasteur,Eugéniecrutqu’ilvenaitchercherlesmillefrancsqu’elledonnaitmensuellementauxpauvres,etditàNanondelesallerchercher;maislecurésepritàsourire.– Aujourd’hui, mademoiselle, je viens vous parler d’une pauvre fille à laquelle toute la ville de Saumurs’intéresse,etqui,fautedecharitépourelle-même,nevitpaschrétiennement.–Mon Dieu ! monsieur le curé, vousme trouvez dans unmoment où il m’est impossible de songer àmonprochain,jesuistoutoccupéedemoi.Jesuisbienmalheureuse,jen’aid’autrerefugequel’Église;elleaunseinassezlargepourcontenirtoutesnosdouleurs,etdessentimentsassezfécondspourquenouspuissionsypuisersanscraindredelestarir.»(p.128)«–Ilestnécessaire,mafille,delongtempsréfléchiràceviolentparti.Lemariageestunevie, levoileestunemort.–Eh!bien,lamort,lamortpromptement,monsieurlecuré,dit-elleavecuneeffrayantevivacité.–Lamort!maisvousavezdegrandesobligationsàremplirenverslaSociété,mademoiselle.N’êtes-vousdoncpas lamère des pauvres auxquels vous donnez des vêtements, du bois en hiver et du travail en été ? Votregrandefortuneestunprêtqu’il fautrendre,etvous l’avezsaintementacceptéeainsi.Vousensevelirdansuncouvent,ceseraitde l’égoïsme;quantàrestervieillefille,vousne ledevezpas.D’abord,pourriez-vousgérerseule votre immense fortune ? vous la perdriez peut-être. Vous auriez bientôt mille procès, et vous seriezengarriéeend’inextricablesdifficultés.Croyezvotrepasteur:unépouxvousestutile,vousdevezconservercequeDieuvousadonné.Jevousparlecommeàuneouaillechérie.VousaimeztropsincèrementDieupourne

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pasfairevotresalutaumilieudumonde,dontvousêtesundesplusbeauxornements,etauquelvousdonnezdesaintsexemples.leluirappelle;»(p.129)Finalement,aprèssonmariage(Voir2.1.3.1.),ellefaitalorsuneoffrandeàDieu:«Troisjoursaprès,monsieurdeBonfons,deretouràSaumur,publiasonmariageavecEugénie.Sixmoisaprès,ilétaitnomméconseilleràlaCourroyaled’Angers.AvantdequitterSaumur,Eugéniefitfondrel’ordesjoyauxsilongtempsprécieuxàsoncœur,etlesconsacra,ainsiqueleshuitmillefrancsdesoncousin,àunostensoird’oretenfitprésentàlaparoisseoùelleavaittantpriéDieupourlui.(p.133)Quant à Fadette, se souvenant d’avoir été malheureuse et délaissée, œuvre, après sonmariage,pourlespauvres:«Lesdeuxmariageseurentlieulemêmejouretàlamêmemesse,et,commelemoyennemanquaitpas,onfitdesibellesnocesquelepèreCaillaud,qui,desavie,n’avaitperdusonsang-froid,fitmined’êtreunpeugrisletroisièmejour.RiennecorrompitlajoiedeLandryetdetoutelafamille,etmêmementonpourraitdiredetoutlepays;car lesdeuxfamilles,quiétaientriches,et lapetiteFadette,qui l’étaitautantque lesBarbeauet lesCaillaudtoutensemble,firentàtoutlemondedegrandeshonnêtetésetdegrandescharités.Fanchonavaitlecœur trop bon pour ne pas souhaiter de rendre le bien pour le mal à tous ceux qui l’avaient mal jugée.Mêmementparlasuite,quandLandryeutachetéunbeaubienqu’ilgouvernaitonnepeutmieuxparsonsavoiretceluidesafemme,elley fitbâtirune joliemaison,à l’effetd’yrecueillir tous lesenfantsmalheureuxde lacommunedurant quatre heures par chaque jour de la semaine, et elle prenait elle-même la peine, avec sonfrèreJeanet,delesinstruire,deleurenseignerlavraiereligion,etmêmed’assisterlesplusnécessiteuxdansleurmisère.Ellesesouvenaitd’avoirétéuneenfantmalheureuseetdélaissée,et lesbeauxenfantsqu’ellemitaumonde furent stylés de bonne heure à être affables et compatissants pour ceux qui n’étaient ni riches nichoyés.»(p.136-137)Alorsque,dansLesMisérables,lacharitéestpleined’évangélismeetdebonsentiment,dansL’Argent,onentrouveunecondamnationexplicite,parl’intermédiairedeSigismond,lefrèredeBusch:

«L’idéedecharitéleblessait,lejetaithorsdelui:lacharité,c’étaitl’aumône,l’inégalitéconsacréeparlabonté;et iln’admettaitque la justice, lesdroitsdechacun reconquis,posésen immuablesprincipesde lanouvelleorganisationsociale.Aussi,àlasuitedeKarlMarx,aveclequelilétaitencontinuellecorrespondance,épuisait-ilses jours à étudier cette organisation, modifiant, améliorant sans cesse sur le papier la société de demain,couvrantdechiffresd’immensespages,basantsurlasciencel’échafaudagecompliquédel’universelbonheur.Ilretirait lecapitalauxunspour lerépartirentretous lesautres, il remuait lesmilliards,déplaçaitd’untraitdeplumelafortunedumonde(…).»(p.25-26)Pourlui,entantqu’institution,lacharité,sembleconforterlesstructuresinégalitairesdelasociétéetlibérerl’Etatdesmissionsquiluiincombent.

2.2.3.L’étalagedel’argent

2.2.3.1.Larecherchedelarespectabilitéetdelaprobité

Avoirdel’argentinspirelerespect.IlenestainsideGrandet:

«Quoique le vieuxCruchotetmonsieurdesGrassinspossédassent cetteprofondediscrétionquiengendreenprovincelaconfianceetlafortune,ilstémoignaientpubliquementàmonsieurGrandetunsigrandrespectquelesobservateurspouvaientmesurerl’étenduedescapitauxdel’ancienmaired’aprèslaportéedel’obséquieuseconsidération dont il était l’objet. (…)Ce langage secret forme en quelque sorte la franc-maçonnerie des

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passions.MonsieurGrandetinspiraitdoncl’estimerespectueuseàlaquelleavaitdroitunhommequinedevaitjamaisrienàpersonne(…)»(p.4-5)Dans La Petite Fadette, lorsque Fadette hérite de sa Grand-mère, cela transformeconsidérablement l’opinion des villageois et des parents de Landry.On approuve enfin saliaisonavecLandry.

«Parainsi,FanchonFadet,jeviensvousdemanderd’épousermonfils,etsivousditesoui,ilseraicidanshuitjours.Cetteouverture,qu’elleavaitbienprévue, rendit lapetiteFadettebiencontente ;maisnevoulantpastrop le laisser voir, parce qu’elle voulait à tout jamais être respectée de sa future famille, elle n’y réponditqu’avecménagement.EtalorslepèreBarbeauluidit:–Jevois,mafille,qu’ilvousrestequelquechosesurlecœurcontremoietcontrelesmiens.N’exigezpasqu’unhommed’âgevousfassedesexcuses;contentez-vousd’unebonneparole,et,quandjevousdisquevousserezaimée et estimée chez nous, rapportez-vous-en au père Barbeau, qui n’a encore trompé personne. Allons,voulez-vousdonnerlebaiserdepaixaututeurquevousvousétiezchoisi,ouaupèrequiveutvousadopter?LapetiteFadetteneputsedéfendreplus longtemps;elle jetasesdeuxbrasaucoudupèreBarbeau;etsonvieuxcoeurenfuttoutréjoui.»(p.126-127)Onatoujoursassociélaprobitéà l’aristocratie.Ainsi,dansL’Argent, lemarquisdeBohain,spéculateur bien connu pour ne pas payer ses dettes, conserve-t-il ce caractère derespectabilitédueàcetteclassesociale:

«C’était rue de Babylone que demeurait le marquis de Bohain. Il occupait les anciennes dépendances d’ungrand hôtel, un pavillon qui avait abrité le personnel des écuries, et dont on avait fait une très confortablemaisonmoderne. L’installationétait luxueuse,avecunbelaird’aristocratie coquette.Onnevoyait,du reste,jamaissafemme,souffrante,disait-il,retenuedanssonappartementpardesinfirmités.Cependant,lamaison,lesmeubles étaientàelle, il logeait engarni chezelle, n’ayantà lui que seseffets, unemallequ’il auraitpuemportersurunfiacre,séparédebiensdepuisqu’ilvivaitdu jeu.Dansdeuxcatastrophesdéjà, ilavaitrefusénettementdepayersesdifférences,etlesyndic,aprèss’êtrerenducomptedelasituation,nes’étaitpasmêmedonné la peine de lui envoyer du papier timbré. On passait l’éponge, simplement. Il empochait, tant qu’ilgagnait.Puis,dèsqu’ilperdait,ilnepayaitpas:onlesavaitetons’yrésignait.Ilavaitunnomillustre,ilétaitextrêmementdécoratifdans lesconseilsd’administration ;aussi les jeunescompagnies,enquêted’enseignesdorées, se ledisputaient-elles : jamais il ne chômait.À laBourse, il avait sa chaise, du côtéde la rueNotre-Dame-des-Victoires,lecôtédelaspéculationriche,quiaffectaitdesedésintéresserdespetitsbruitsdujour.Onlerespectait,onleconsultaitbeaucoup.Souventilavaitinfluencélemarché.Enfin,toutunpersonnage.»(p.75-76)Dans ladeuxièmemoitiéduXIX°, lesparvenusqu’unenouvelleetgrandefortuneamenéssur les cheminsdes grandsde l’AncienRégime, recherchent, pour se faire accepter, cettel’apparenteprobité.C’estainsiquefaitSaccarddansL’Argent,pourassurerlarespectabilitéde la BanqueUniverselle, en l’installant dans l’HôtelOrviedo (Voirp. 99). D’autre part, larespectabilitédelaBanqueuniverselleestaussiassuréeparl’achatd’unefeuillefinancièreàlaréputationd’honorabilité.

2.2.3.2.Legoûtduluxe

Vivre dans le luxe est lemoyen demontrer sa richesse. C’est ce que font la plupart desaristocratesetdeshautsbourgeois.DansMadameBovary,EmmaestfrappéeparleluxelorsdubaldelaVaubyessard:

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« (…) leMarquiss’avança,et,offrantsonbrasà la femmedumédecin, l’introduisitdans levestibule. Ilétaitpavé de dalles enmarbre, très haut, et le bruit des pas, avec celui des voix, y retentissait comme dans uneéglise.Enfacemontaitunescalierdroit,etàgaucheunegaleriedonnantsurlejardinconduisaitàlasalledebillarddontonentendait,dèslaporte,carambolerlesboulesd’ivoire.»(p.33)«Emmasesentit,enentrant,enveloppéeparunairchaud,mélangeduparfumdesfleursetdubeaulinge,dufumet des viandes et de l’odeur des truffes. Les bougies des candélabres allongeaient des flammes sur lescloches d’argent ; les cristaux à facettes, couverts d’une buée mate, se renvoyaient des rayons pâles ; desbouquetsétaientenlignesurtoutelalongueurdelatable,et,danslesassiettesàlargebordure,lesserviettes,arrangéesenmanièredebonnetd’évêque,tenaiententrelebâillementdeleursdeuxplischacuneunpetitpaindeformeovale.Lespattesrougesdeshomardsdépassaientlesplats;degrosfruitsdansdescorbeillesàjours’étageaient sur lamousse ; les cailles avaient leurs plumes, des fuméesmontaient ; et, en bas de soie, enculottecourte,encravateblanche,enjabot,gravecommeunjuge,lemaîtred’hôtel,passantentrelesépaulesdes convives les plats tout découpés, faisait d’un coup de sa cuiller sauter pour vous le morceau qu’onchoisissait.Surlegrandpoêledeporcelaineàbaguettedecuivre,unestatuedefemmedrapéejusqu’aumentonregardaitimmobilelasallepleinedemonde.»(p.34)«On versa du vin de Champagne à la glace. Emma frissonna de toute sa peau en sentant ce froid dans sabouche.Ellen’avaitjamaisvudegrenadesnimangéd’ananas.Lesucreenpoudremêmeluiparutplusblancetplusfinqu’ailleurs.(…)Surlalignedesfemmesassises,leséventailspeintss’agitaient,lesbouquetscachaientàdemilesouriredesvisages,etlesflaconsàbouchond’ortournaientdansdesmainsentrouvertesdontlesgantsblancsmarquaientlaformedesonglesetserraientlachairaupoignet.Lesgarnituresdedentelles,lesbrochesdediamants,lesbraceletsàmédaillonfrissonnaientauxcorsages,scintillaientauxpoitrines,bruissaientsurlesbrasnus.»(p.35)Emma veut alors sortir de sa petite vie étriquéede bourgeoise. Elle ne rêve quede luxe.L’argentluipermetderessembleràcequ’ellerêve.

Mais,lesarrivistesetlesparvenusnesontpasenreste.DansBel-Ami,M.Walter,directeurdeLaViefrançaiseetbanquier,devenutrèsricheaprèsl’affaireduMaroc,faitétalagedesarichesse:

«Iln’étaitpluslejuifWalter,patrond’unebanquelouche,directeurd’unjournalsuspect,députésoupçonnédetripotagesvéreux.IlétaitMonsieurWalter,lericheIsraélite.Illevoulutmontrer.Sachant lagêneduprincedeCarlsbourgquipossédaitundesplusbeauxhôtelsde larueduFaubourg-Saint-Honoré,avecjardinsurlesChamps-Elysées,illuiproposad’acheter,envingt-quatreheures,cetimmeuble,avecsesmeubles,sanschangerdeplaceunfauteuil.Ilenoffraittroismillions.Leprince,tentéparlasomme,accepta.Lelendemain,Walters’installaitdanssonnouveaudomicile.Alorsileutuneautreidée,unevéritableidéedeconquérantquiveutprendreParis,uneidéeàlaBonaparte.Toute la ville allait voir en cemoment un grand tableau du peintre hongrois KarlMarcowitch, exposé chezl’expertJacquesLenoble,etreprésentantleChristmarchantsurlesflots.Lescritiquesd’art,enthousiasmés,déclaraientcettetoileleplusmagnifiquechef-d’œuvredusiècle.Walter l’acheta cinq centmille francs et l’enleva, coupant ainsi du jour au lendemain le courant établi de lacuriositépubliqueetforçantParisentieràparlerdeluipourl’envier,leblâmeroul’approuver.Puis,ilfitannoncerparlesjournauxqu’ilinviteraittouslesgensconnusdanslasociétéparisienneàcontempler,chez lui, un soir, l’œuvremagistrale dumaître étranger, afin qu’onne pût pas dire qu’il avait séquestré uneœuvred’art.Samaisonseraitouverte.Yviendraitquivoudrait. Ilsuffiraitdemontrerà laporte la lettredeconvocation.»(p.222-223)

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DansLaCurée,lafortuneacquiseparSaccarddanslesspéculationsimmobilièresluipermetdefaireconstruireunmagnifiquehôtelparticulier,ducôtéduParcMonceau,etdedonnerdegrandesréceptions.

«Au parc Monceau, ce fut la crise folle, le triomphe fulgurant. Les Saccard doublèrent le nombre de leursvoituresetde leursattelages ; ilseurentunearméededomestiques,qu’ilshabillèrentd’une livréegrosbleu,avec culottemastic et gilet rayé noir et jaune, couleurs un peu sévères que le financier avait choisies pourparaîtretoutàfaitsérieux,undesesrêves lespluscaressés. Ilsmirent leur luxesur lafaçadeetouvrirent lesrideaux,lesjoursdegrandsdîners.Lecoupdeventdelaviecontemporaine,quiavaitfaitbattrelesportesdupremierétagedelaruedeRivoli,étaitdevenu,dansl’hôtel,unvéritableouraganquimenaçaitd’emporterlescloisons.Aumilieudecesappartementsprinciers,lelongdesrampesdorées,surlestapisdehautelaine,danscepalaisféeriquedeparvenu,l’odeurdeMabilletraînait,lesdéhanchementsdequadrillesàlamodedansaient,toute l’époque passait avec son rire fou et bête, son éternelle faim et son éternelle soif. C’était la maisonsuspecte du plaisir mondain, du plaisir impudent qui élargit les fenêtres pour mettre les passants dans laconfidence des alcôves. (…)Quant à Saccard, il touchait à son rêve ; il recevait la haute finance,M. Toutin-Laroche,M.de Lauwerens ; il recevait aussi lesgrandspolitiques, le baronGouraud, le députéHaffner ; sonfrère,leministre,avaitmêmebienvouluvenirdeuxoutroisfoisconsolidersasituationparsaprésence.»(p.96-97)

2.2.3.3.Lafoliedesgrandeurs

Avoirlafoliedesgrandeurs,c’estavoiruneambitiondémesuréeetlegoûtducolossal,parréférenceàFouquet,ministredeLouisXIV,dontl’aviditéetlegoûtduluxeontentraînélaperte.Dansnotrecorpus,nousparleronsdefoliedesgrandeurspourtousceuxquiaffichentunluxeau-delàdeleurspossibilitésetprovoquent,parlà,leurendettementouleurruine.DansCésarBirotteau,leparfumeur,alorsausommetdesacarrière,décidededonnerunbalpourfêtersaLégiond'honneuretlalibérationdupays.Légitimiste,adjointaumairedu2èmearrondissement de Paris, il est parvenu à cette enviable situation par le travail etl'honnêteté.«Lesmagnificencesdubalquepréparait leparfumeur,annoncéespar les journauxà l’Europe,étaient ;bienautrement annoncées dans le commercepar les rumeurs auxquelles donnaient lieu les travauxde jour et denuit.Icil’ondisaitqueCésaravaitlouétroismaisons,làilfaisaitdorersessalons,plusloinlerepasdevaitoffrirdesplats inventéspour lacirconstance ;par là, lesnégociants,disait-on,n’yseraientpas invités, la fêteétaitdonnéepourlesgensdugouvernement;parici,leparfumeurétaitsévèrementblâmédesonambition,etl’onsemoquait de ses prétentions politiques, on niait sa blessure ! Le bal engendrait plus d’une intriguedans ledeuxièmearrondissement ; lesamisétaient tranquilles,mais lesexigencesdes simples connaissancesétaienténormes.Toutefaveuramènedescourtisans.Ilyeutbonnombredegensàquileurinvitationcoûtaplusd’unedémarche.LesBirotteaufurenteffrayésparlenombredesamisqu’ilsneseconnaissaientpoint.»(p.99)Mais,safoliedesgrandeurs,valemeneràsaperte.«Fatigués,maisheureux,lestroisBirotteaus’endormirentaumatindanslesbruissementsdecettefête,qui,enconstructions, réparations, ameublements, consommations, toilettes et bibliothèque remboursée à Césarine,allait,sansqueCésars’endoutât,àsoixantemillefrancs.Voilàcequecoûtaitlefatalrubanrougemisparleroiàlaboutonnièred’unparfumeur.S’ilarrivaitunmalheuràCésarBirotteau,cettedépensefollesuffisaitpourlerendrejusticiabledelapolicecorrectionnelle.Unnégociantestdanslecasdelabanqueroutesimples’ilfaitdesdépenses jugéesexcessives. Ilestpeut-êtreplushorribled’allerà la sixièmechambrepourdeniaisesbagatellesoudesmaladresses,qu’encourd’Assisespourune immense fraude.Auxyeuxdecertainesgens, ilvautmieuxêtrecriminelquesot.»(p.115)

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DansL’Argent,cettefoliedesgrandeursseconcrétise,chezSaccard,danslaluttetitanesqueavec Gundermann. C’est la conquête du pouvoir, rêvée comme l’épopée napoléonienne,avecdesréférencesàAusterlitzetMarengo:«Uninstant,Saccard,avantdequitterlasalle,sehaussa,commepourmieuxembrasserlafouleautourdelui,d’uncoupd’œil.Ilétaitréellementgrandi,soulevéd’unteltriomphe,quetoutesapetitepersonnesegonflait,s’allongeait, devenait énorme. Celui qu’il semblait ainsi chercher, pardessus les têtes, c’était Gundermannabsent,Gundermannqu’ilauraitvouluvoirabattu,grimaçant,demandantgrâce;etiltenaitaumoinsàcequetoutes les créatures inconnues du juif, toute la sale juiverie qui se trouvait là, hargneuse, le vît lui-même,transfiguré,danslagloiredesonsuccès.Cefutsagrandejournée,celledontonparleencore,commeonparled’AusterlitzetdeMarengo.»(p.245)Mais, c’est aussi Waterloo. Son désir inextinguible de puissance et d’enrichissement leconduitàlafaillitedelabanque:«Toutd’uncoup,desavoixgutturale,légèrementenrouée,Delarocquesejetadanslalutte.– J’aidel’Universelle…J’aidel’Universelle…Et,enquelquesminutes,ilenoffritpourplusieursmillions.Desvoixluirépondaient.Lescourss’effondraient.– J’aià2400…J’aià2300…Combien?…Cinqcents,sixcents…Envoyez!Quedisait-ildonc?quesepassait-il?Au lieudessecoursattendus,étaitceunenouvellearméeennemiequidébouchaitdesboisvoisins?CommeàWaterloo,Grouchyn’arrivaitpas,etc’était latrahisonquiachevait ladéroute. Sous ces masses profondes et fraîches de vendeurs, accourant au pas de charge, une effroyablepaniquesedéclarait.»(p.259)«Nettement,elleluitinttête.– Vousn’aviezavecvousnilajustice,nilalogique,vousnepouviezpasréussir.Ils’étaitarrêtédevantelled’unmouvementbrusque,ils’emportait.– Pas réussir, allonsdonc ! L’argentm’amanqué, voilà tout. SiNapoléon, le jourdeWaterloo,avait eu centmillehommesencoreà fairetuer, il l’emportait, la facedumondeétaitchangée.Moi,si j’avaiseuà jeteraugouffrelesquelquescentainesdemillionsnécessaires,jeseraislemaîtredumonde.»(p.303)Néanmoins, Saccard est repris d’une plus grande folie et se plaît à rêver d’unevictoireprochaine:«Suppliante,ellevoulutl’empêcherdepoursuivre.Ils’étaitmisdebout,ilsegrandissaitsursespetitesjambes,criantdesavoixaiguë:– Les calculs sont faits, les chiffres sont là, regardez !…Des amusettes simplement, le Carmel et la Banquenationaleturque!Ilnousfautlevasteréseaudescheminsdeferd’Orient,ilnousfauttoutlereste,Jérusalem,Bagdad, l’AsieMineureentièreconquise,cequeNapoléonn’apufaireavecsonsabre,etcequenousferons,nous autres, avec nos pioches et notre or… Comment avez-vous pu croire que j’abandonnais la partie ?Napoléonestbienrevenudel’îled’Elbe.Moiaussi,jen’auraiqu’àmemontrer,toutl’argentdeParisselèverapourmesuivre;et iln’yaurapas,cettefois,deWaterloo, jevousenréponds,parcequemonplanestd’unerigueurmathématique,prévu jusqu’auxdernierscentimes…Enfin,nousallonsdonc l’abattre,ceGundermanndemalheur!Jenedemandequequatrecentsmillions,cinqcentsmillionspeut-être,etlemondeestàmoi!»(p.306-307)2.2.3.4.Ladansedesmillions

Dans L’Argent, Saccard a une relation particulière à l’argent: son plaisir n’est pas dansl’étalagedesesrichesses,maisdanslefaitdepouvoirjoueravecl’argentetd’enbrasserdes

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sommes énormes. Il aime à régler la folle danse desmillions, comme lorsqu’il décide detravaillerpourl’œuvredecharitédelaprincessed’Orviedo(Voir2.2.4.2.)«Seulement, dans ce gaspillage, au milieu des devis énormes, elle était abominablement volée ; une nuéed’entrepreneursvivaientd’elle,sanscompter lespertesduesà lamauvaisesurveillance ;ondilapidait lebiendes pauvres. Et ce fut Saccard qui lui ouvrit les yeux, en la priant de le laisser tirer les comptes au clair,absolument désintéressé d’ailleurs, pour l’unique plaisir de régler cette folle danse de millions quil’enthousiasmait.Jamaisilnes’étaitmontrésiscrupuleusementhonnête.Ilfut,danscetteaffairecolossaleetcompliquée, leplusactif, leplusprobedescollaborateurs,donnantsontemps,sonargentmême,simplementrécompenséparcettejoiedessommesconsidérablesquiluipassaiententrelesmains.»(p.36)Doublée de sa haine pour Gundermann, c’est encore cette relation extrêmement forte àl’argentquilepousseverslaspéculationboursière:«S’il ne thésaurisaitpas, il avait l’autre joie, la luttedesgros chiffres, les fortunes lancées commedes corpsd’armée, leschocsdesmillionsadverses,avec lesdéroutes,avec lesvictoires,qui legrisaient.EttoutdesuitereparutsahainedeGundermann,soneffrénébesoinderevanche:abattreGundermann,cela lehantaitd’undésirchimérique,chaquefoisqu’ilétaitparterre,vaincu.S’ilsentait l’enfantillaged’unepareilletentative,nepourrait-ildumoinsl’entamer,sefaireuneplaceenfacedelui,leforceraupartage,commecesmonarquesdecontrées voisines et d’égale puissance, qui se traitent de cousins ? Ce fut alors que, de nouveau, la Boursel’attira,latêteemplied’affairesàlancer,sollicitéentoussenspardesprojetscontraires,dansunetellefièvre,qu’ilnesutquedécider,jusqu’aujouroùuneidéesuprême,démesurée,sedégageadesautresets’emparapeuàpeudeluitoutentier.»(p.38)Son fils Maxime a bien compris cette relation que Saccard entretient avec l’argent etl’expliqueàMmeCaroline:«Oh!entendons-nous,iln’aimepasl’argentenavare,pourenavoirungrostas,pourlecacherdanssacave.Non!s’ilenveutfairejaillirdepartout,s’ilenpuiseàn’importequellessources,c’estpourlevoircoulerchezluientorrents,c’estpourtouteslesjouissancesqu’ilentire,deluxe,deplaisir,depuissance…Quevoulez-vous?ilaçadanslesang.Ilnousvendrait,vous,moi,n’importequi,sinousentrionsdansquelquemarché.Etcelaenhommeinconscientetsupérieur,carilestvraimentlepoètedumillion,tellementl’argentlerendfouetcanaille,oh!canailledansletrèsgrand!»(p.171)2.2.4.Ladilapidationdel’argent

2.2.4.1.Ladépenseinconsidérée

DansManonLescaut,lorsquedesGrieuxetManonontdel’argent,ilsledépensentbienvite,commeleconstateDesGrieux,aprèsqu’elleeûtquittédeB…:

«Monbonheurmeparutd’abordétablid’unemanièreinébranlable.Manonétaitladouceuretlacomplaisancemême.Elleavaitpourmoidesattentionssidélicates,quejemecrustropparfaitementdédommagédetoutesmes peines. Comme nous avions acquis tous deux un peu d’expérience, nous raisonnâmes sur la solidité denotrefortune.Soixantemillefrancs,quifaisaientlefondsdenosrichesses,n’étaientpointunesommequipûts’étendre autant que le cours d’une longue vie. Nous n’étions pas disposés d’ailleurs à resserrer trop notredépense.LapremièrevertudeManon,nonplusquelamienne,n’étaitpasl’économie.Voicileplanquejemeproposai.Soixantemillefrancsluidis-je,peuventnoussoutenirpendantdixans.Deuxmilleécusnoussuffirontchaque année, si nous continuons de vivre à Chaillot.Nous ymènerons une vie honnête,mais simple.Notreunique dépense sera pour l’entretien d’un carrosse et pour les spectacles. Nous nous réglerons. Vous aimezl’opéra ; nous irons deux fois la semaine. Pour le jeu, nous nous bornerons tellement, que nos pertes nepasseront jamaisdeuxpistoles. Ilest impossiblequedans l’espacededixans iln’arrivepointdechangement

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dansmafamille;monpèreestâgé,ilpeutmourir.Jemetrouveraidubien,etnousseronsalorsau-dessusdetoutesnosautrescraintes.Cet arrangement n’eût pas été la plus folle action dema vie, si nous eussions été assez sages pour nous yassujettirconstamment.Maisnosrésolutionsnedurèrentguèreplusd’unmois.Manonétaitpassionnéepourleplaisir ; je l’étais pour elle. Il nous naissait à tousmoments de nouvelles occasions de dépense ; et, loin deregretterlessommesqu’elleemployaitquelquefoisavecprofusion,jefuslepremieràluiprocurertoutcequejecroyaispropreàluiplaire.NotredemeuredeChaillotcommençamêmeàluideveniràcharge.»(p.24)Dans Bel-Ami, l’argent que rapporte à Duroy, son premier article écrit pour le journal,accumuléàsonacomptemensueldûàsonnouveautravail,élèvesamodestefortuneàtroiscentquarantefrancs.Mais,tellementheureuxdesaréussite,ildilapidecetargentaussivitequ'il l'agagné.Iln'apasconsciencequel'argentn'estpaséterneletseretrouvedeuxmoisplustarddéjàpromureportermaissanslesou.Ilvitcommeilpeutaujourlejour.«Ilvivaitmaintenantavecunepeineinfinie,avecplusdepeinequ’auxjoursoùilétaitemployéduNord,car,ayantdépensélargement,sanscompter,pendantsespremiersmoisdejournalisme,avecl’espoirconstantde gagner de grosses sommes le lendemain, il avait épuisé toutes ses ressources et tous les moyens de seprocurerdel’argent.(…)Ildevait,enoutre,centfrancsàForestier,troiscentsfrancsàJacquesRival,quiavaitlabourselarge,etilétaitrongéparunemultitudedepetitesdettesinavouablesdevingtfrancsoudecentsous.(…)Ilsedemandaitparfoiscommentilavaitfaitpourdépenserunemoyennedemillelivresparmois,sansaucunexcèsniaucunefantaisie;etilconstataitqu’enadditionnantundéjeunerdehuitfrancsavecundînerdedouzeprisdansungrandcaféquelconqueduboulevard,ilarrivaittoutdesuiteàunlouis,qui,jointàunedizainedefrancsd’argentdepoche,decetargentquicoulesansqu’onsachecomment,formaituntotaldetrentefrancs.Or, trente francspar jourdonnentneufcents francsà la findumois.Et ilnecomptaitpas là-dedanstous lesfraisd’habillement,dechaussure,delinge,deblanchissage,etc.Donc, le 14 décembre, il se trouva sans un sou dans sa poche et sans unmoyen dans l’esprit pour obtenirquelquemonnaie.»(p.70-71)En fait, Duroy aime l’argent pour ce qu’il représente, en tant que symbole de revanchesociale. Il n’accumule pas l’argent pareil à un avare pour le plaisir d’en posséder maisessentiellement pour jouir pleinement des plaisirs qu’offre Paris. Et pour pouvoir le fairepleinement,onavu,àtraverscedossier,comment,pousséparuncomplexed’infériorité,ils’estenrichiencoreetencore.2.2.4.2.Laprodigalité

Laprodigalitéestlapropensionauxdépensesexcessivesetinutiles,ainsiqu’àdesdonssansdiscernement,entraînantsouventuneruinefinancière.

Dans Le PèreGoriot, Goriot sacrifie sa fortune pour aider ses filles qui lui réclament sanscessedel’argent.C’estsapassionpourellesquilepousseàêtregénéreuxjusqu’ausacrifice.Alafin,ruiné,iltransformetoutcequ’ilpeutenor:

«Eugènecraignitquesonvoisinnesetrouvâtindisposé,ilapprochasonœildelaserrure,regardadansla

«Eugène craignit que son voisin ne se trouvât indisposé, il approcha sonœil de la serrure, regarda dans lachambre,etvitlevieillardoccupédetravauxquiluiparurenttropcriminelspourqu’ilnecrûtpasrendreserviceàlasociétéenexaminantbiencequemachinaitnuitammentlesoi-disantvermicellier.LepèreGoriot,quisansdouteavaitattachésur labarred’unetablerenverséeunplatetuneespècedesoupièreenvermeil, tournaituneespècedecâbleautourdecesobjets richementsculptés,en lesserrantavecunesigrande forcequ’il les

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tordaitvraisemblablementpour lesconvertiren lingots.–Peste,quelhomme!seditRastignacenvoyant lesbras nerveux du vieillard qui, à l’aide de cette corde, pétrissait sans bruit l’argent doré, comme une pâte.(…)L’étudiantappliquadenouveausonœilàlaserrure.LepèreGoriot,quiavaitdéroulésoncâble,pritlamassed’argent,lamitsurlatableaprèsyavoirétendusacouverture,etl’yroulapourl’arrondirenbarre,opérationdontils’acquittaavecunefacilitémerveilleuse.»(p.24).Même,sursonlitdemort,pourfairerevenirsesfilles,ilveutallertravaillerpourtrouverdel’or:

«Oh ! jevaisme remettreaucommerce. J’iraiàOdessapouryacheterdugrain. Lesblésvalent là trois foismoinsquelesnôtresnecoûtent.Sil’introductiondescéréalesestdéfendueennature,lesbravesgensquifontlesloisn’ontpassongéàprohiberlesfabricationsdontlesbléssontleprincipe.Eh,eh!…j’aitrouvécela,moi,cematin!Ilyadebeauxcoupsàfairedanslesamidons.»(p.174)Lacharitéetl’aumônepeuventêtre,elles-aussi,excessives.C’estlecas,dansL’Argent,avecla princesse d’Orviedo, qui redistribue, avec une prodigalité folle, les trois cent millionshéritésdesonmari.Eneffet,celle-civoueunehorreursacréeàl’argent,enparticulierceluidelaspéculation,qu’elleassimilepurementetsimplementauvol.Aussidécide-t-elledes’endébarrasserenlarestituantintégralementauxpauvres.Mais,cequiesttrèsparticulier,c’estqu’elle ne cherchepas à faire l’aumôneou acheter des biensutiles pour les pauvres. Elleveutleuroffrirleluxe,afinqu’ilprofitedumeilleurdelarichesse.

«Chez cette femme qui n’avait pas été amante et qui n’avait pu êtremère, toutes les tendresses refoulées,surtoutl’amouravortédel’enfant,s’épanouissaientenunevéritablepassionpourlespauvres,pourlesfaibles,lesdéshérités,lessouffrants,ceuxdontellecroyaitdétenirlesmillionsvolés,ceuxàquiellejuraitdelesrestituerroyalement,enpluied’aumônes.Dèslors,l’idéefixes’emparad’elle,lecloudel’obsessionentradanssoncrâne:elleneseconsidéraplusquecommeunbanquier,chezquilespauvresavaientdéposétroiscentsmillions,pourqu’ilsfussentemployésaumieuxdeleurusage;ellenefutplusqu’uncomptable,unhommed’affaires,vivantdans les chiffres, aumilieu d’unpeupledenotaires, d’ouvriers et d’architectes.Au-dehors, elleavait installétoutunvastebureau,avecunevingtained’employés.Chezelle,danssestroispiècesétroites,ellenerecevaitque quatre ou cinq intermédiaires, ses lieutenants ; et elle passait là les journées, à un bureau, comme undirecteur de grandes entreprises, cloîtrée loin des importuns, parmi un amoncellement de paperasses qui ladébordait.Sonrêveétaitdesoulagertouteslesmisères,depuisl’enfantquisouffred’êtrené,jusqu’auvieillardquinepeutmourirsanssouffrance.Pendantcescinqannées,jetantl’oràpleinesmains,elleavaitfondé,àlaVillette, la Crèche Sainte-Marie, avec des berceaux blancs pour les tout-petits, des lits bleus pour les plusgrands,unevasteetclaireinstallationquefréquentaientdéjàtroiscentsenfants;unorphelinatàSaint-Mandé,l’OrphelinatSaint-Joseph,oùcentgarçonsetcentfillesrecevaientuneéducationetuneinstruction,tellesqu’onles donne dans les familles bourgeoises ; enfin, un asile pour les vieillards à Châtillon, pouvant admettrecinquantehommeset cinquante femmes, et unhôpital dedeux cents lits dansun faubourg, l’Hôpital Saint-Marceau, dont on venait seulement d’ouvrir les salles. Mais sonœuvre préférée, celle qui absorbait en cemomenttoutsoncœur,étaitl’ŒuvreduTravail,unecréationàelle,unemaisonquidevaitremplacerlamaisondecorrection,oùtroiscentsenfants,centcinquantefillesetcentcinquantegarçons, ramasséssur lepavédeParis,dansladébaucheetdanslecrime,étaientrégénéréspardebonssoinsetparl’apprentissaged’unmétier.Cesdiversesfondations,desdonsconsidérables,uneprodigalitéfolledanslacharité,luiavaientdévoréprèsdecentmillionsencinqans.Encorequelquesannéesdecetrain,etelleseraitruinée,sansavoirréservémêmelapetiterentenécessaireaupainetaulaitdontellevivaitmaintenant.»(p.34-35)Aucontactdelaprincessed’Orviedo,Saccardlui-mêmerêvededevenirleroidelacharité:

«Onneconnaissaitguèreque luià l’ŒuvreduTravail,où laprincessen’allait jamais,pasplusqu’ellen’allaitvisitersesautresfondations,cachéeaufonddesestroispetitespièces,commelabonnedéesseinvisible;etlui,adoré, ilyétaitbéni,accablédetoutelareconnaissancedontellesemblaitnepasvouloir.Sansdoute,depuis

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cette époque, Saccard nourrissait un vague projet, qui, tout d’un coup, lorsqu’il fut installé dans l’hôteld’Orviedo comme locataire, prit la netteté aiguë d’un désir. Pourquoi ne se consacrerait-il pas tout entier àl’administrationdesbonnesœuvresdelaprincesse?Dansl’heurededouteoùilétait,vaincudelaspéculation,nesachantquelle fortunerefaire,cela luiapparaissaitcommeune incarnationnouvelle,unebrusquemontéed’apothéose:devenirledispensateurdecetteroyalecharité,canaliserceflotd’orquicoulaitsurParis.Ilrestaitdeuxcentsmillions,quellesœuvresàcréerencore,quellecitédumiracleàfairesortirdusol!Sanscompterque,lui, lesferaitfructifier,cesmillions, lesdoublerait, lestriplerait,sauraitsibienlesemployerqu’ilentireraitunmonde. Alors, avec sa passion, tout s’élargit, il ne vécut plus que de cette pensée grisante, les répandre enaumônessansfin,ennoyer laFranceheureuse;et ils’attendrissait,car ilétaitd’uneprobitéparfaite,pasunsou ne lui demeurait aux doigts. Ce fut, dans son crâne de visionnaire, une idylle géante, l’idylle d’uninconscient,oùnesemêlaitaucundésirderachetersesanciensbrigandagesfinanciers.D’autantplusque,toutdemême,aubout,ilyavaitlerêvedesavieentière,laconquêtedeParis.Êtreleroidelacharité,leDieuadorédelamultitudedespauvres,deveniruniqueetpopulaire,occuperdeluilemonde,celadépassaitsonambition.Quels prodiges ne réaliserait-il pas, s’il employait à être bon ses facultés d’homme d’affaires, sa ruse, sonobstination,sonmanquecompletdepréjugés!Etilauraitlaforceirrésistiblequigagnelesbatailles,l’argent,l’argentàpleinscoffres,l’argentquifaittantdemalsouventetquiferaittantdebien,lejouroùl’onmettraitàdonnersonorgueiletsonplaisir!»(p.36-37)Il propose même à la princesse d’Orviedo de se marier avec lui: «C’était une véritableassociationqu’iloffrait,ilsedonnaitcommeleliquidateurdessommesvoléesparleprince,ils’engageaitàlesrendreauxpauvres,décuplées.»(p.37)mais,ellerefuse:«sansdouteelleavait réfléchi qu’elle ne serait plus seule maîtresse de ses aumônes, et elle entendait endisposerensouveraineabsolue,mêmefollement.»(p.37).Cecimontrecombienl’actiondelaprincesseestirrationnelleetstérileettraduitbienlapathologiedelaprodigalité,qui,danscecas,chercheuniquementàsoulagersaconscience.Lesinstitutionsdispendieusesqu’ellefinance ne peuvent offrir une situation durable aux enfants qu’elle recueille, tout au plusaiguise-t-elle leur goût du faste, du facile, du luxueux, comme en témoigne l’échec del’éducation de Victor, le fils retrouvé de Saccard, qui disparaît après le viol d’Alice deBeauvilliers.Cetépisodemontrelastérilité,voirelaperversionprofondedel’entreprisedelacharité.A la fin du roman, la princesse se trouve ironiquement endettée et poursuivie par lescréanciers.Saclaustrationfinaleestperçuecommeunesortedefuitehorsdescircuitsdelavie, de l’échange, et qui font de la princesse une femmemutilée, séchée et jaunie avantl’âge.«Laprincessed’Orviedo,enfin,étaitruinée.Dixansàpeineluiavaientsuffipourrendreauxpauvreslestroiscentsmillions de l’héritageduprince, volés dans les poches des actionnaires crédules. S’il lui avait fallu cinqannéesd’abordpourdépenserenbonnesœuvresfolles lescentpremiersmillions,elleétaitarrivée,enquatreans et demi, à engloutir les deux cents autres, dans des fondations d’un luxe plus extraordinaire encore. Àl’Œuvre du Travail, à la Crèche Sainte-Marie, à l’Orphelinat Saint-Joseph, à l’Asile de Châtillon et à l’HôpitalSaint-Marceau,s’ajoutaientaujourd’huiuneFermemodèle,prèsd’Évreux,deuxMaisonsdeconvalescencepourlesenfants,sur lesbordsdelaManche,uneautreMaisonderetraitepour lesvieillards,àNice,desHospices,desCitésouvrières,desBibliothèquesetdesÉcoles,auxquatrecoinsdelaFrance;sanscompterdesdonationsconsidérablesàdesœuvresde charitédéjàexistantes.C’était,d’ailleurs, toujours lamêmevolontéde royalerestitution,nonpaslemorceaudepainjetéparlapitiéoulapeurauxmisérables,maislajouissancedevivre,lesuperflu,toutcequiestbonetbeaudonnéauxhumblesquin’ontrien,auxfaiblesquelesfortsontvolésdeleurpartdejoie,enfinlespalaisdesrichesgrandsouvertsauxmendiantsdesroutes,pourqu’ilsdorment,euxaussi,dans lasoieetmangentdans lavaisselled’or.Pendantdixannées, lapluiedesmillionsn’avaitpascessé, lesréfectoiresdemarbre,lesdortoirségayésdepeinturesclaires,lesfaçadesmonumentalescommedesLouvres,

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lesjardinsfleurisdeplantesrares,dixannéesdetravauxsuperbes,dansungâchisincroyabled’entrepreneursetd’architectes ; et elleétaitbienheureuse, soulevéepar legrandbonheurd’avoirdésormais lesmainsnettes,sans un centime. Même elle venait d’atteindre l’étonnant résultat de s’endetter, on la poursuivait pour unreliquatdemémoiresmontantàplusieurscentainesdemillefrancs,sansquesonavouéetsonnotairepussentréussiràparfaire la somme,dans l’émiettement finalde la colossale fortune, jetéeainsiauxquatreventsdel’aumône.Etunécriteau,clouéau-dessusdelaportecochère,annonçaitlamiseenventedel’hôtel,lecoupdebalaisuprêmequiemporteraitjusqu’auxvestigesdel’argentmaudit,ramassédanslaboueetdanslesangdubrigandagefinancier.»(p.286-287)

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Textesdes«Lesaviez-vous?»

N°1:Lethaler,ancêtredudollar?

Savez-vousquelethalerestl’ancêtredudollar?

AuMoyenAge,d’importantsfilonsd’argentfurentdécouvertsdanslevallonJoachimsthaler,enBohême. Dès1518,onappela lespiècestitrant25.985gd'argentfinetproduitesdanscette région sous l'égide du comte Stephan Schlick (1487-1526),Joachimsthaleret, paraphérèse,thaler.Avecl'usage,lemotthalers'appliquaàtouteslespiècesayantàpeu-prèslemême format. Le thaler est devenumonnaie de compte sous Charles Quint et eut ungrandimpactsurl’économiemondialeauXVII°etXVIII°. Ilrestal’unitémonétairedespaysgermaniques jusqu’au XIX°. Le thaler de Marie-Thérèse (TMT), pièce austro-hongroisereprésentant l’archiduchesse d’Autriche et reine de Hongrie, Marie-Thérèse 1ére (1740-1780),futfrappéduXVIII°auXX°etfutd’unegrandediffusion.Après 1598, les Espagnols se sont alignés sur le thaler et ont créé la pièce de huit (huitréaux),appeléepiastred’argentenfrançais.Cettepiècedehuitaétélargementutiliséeparde nombreux pays en tant qu'unité de compteinternationale pour les transactionscommercialesenraisondesoncaractèreuniforme,maissurtoutenraisonde lapuissanceespagnole,exploitantedesnouvellesminesd'argentsud-américaines.Cettepiècedehuitaétéappelé,parlesaméricains,spanishdollaroudollar,déformationdethaler.C’estàpartirdecettepiècedehuitqueledollaraméricainfutétablietsoncours légalrestaenvigueurauxEtats-Unisjusqu’en1857.N°2:Lesmécanismesfinanciers

Savez-vousquelssontlesdifférentsmécanismesfinanciers?

Leprêtd’intérêtetl’usure

Lorsqu’une personne (ou une entité) a besoin d’argent, elle peut demander de l’argent àquelqu’un (ou à un organisme), sous forme de prêt. Elle est l’emprunteur et l’autre leprêteur. Elle a alors envers ce dernier une dette. Cette mise à disposition d’argent sousformedeprêt,consentieparleprêteurestuncrédit(ouempruntquandladetteestàlongterme).Cedernierestalorslecréditeur.Lorsquel’emprunteursigneunereconnaissancededette,ildevientdébiteuretleprêteur(oucréditeur) devient créancier. Pour ce dernier, l’opération donne naissance àunecréance,représentéeparuntitredecréancesurl'emprunteur,envertudelaquelleilpourraobtenirremboursement des fonds et paiement d'une rémunération (intérêt) selon un échéancierprévu.Onparled’empruntquandladetteestàlongterme.Jusqu’auXIX°,l’usuredésignaittoutintérêtindépendammentdesontemps,commel’attesteson étymologie, usum, qui implique l'usage qu'on fait du capital prêté avant de signifierl'intérêtquel'onpaye.Denosjours,elledésignel’intérêtd’unprêtautauxexcessifetc’estl’Etatquifixeletauxàpartirduquellesintérêtsdeviennentusuraires.

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Ledébitetlecrédit

Lesmotsdébitetcréditsontnésde lapratiquede lacomptabilitédesentreprises.Sursoncahierdecomptes, lecomptabledressaituntableauoù ilconsacraitunecolonneàcequedevait le client et une colonneà ceque l’entreprise lui devait. Lapremière a été appeléedébit, de «debet» (il (nous) doit), du verbe latin «debere» (devoir). La deuxième a étéappelée crédit, de «credit» (il (nous) croit,il (nous) fait confiance), du verbe latin«credere»(croire,faireconfiance).Créditetdébitsontdeuxnotionscomplémentaires.Pourleclientd’unebanque,l'extraitdecomptequ’elleluifournitfonctionne«àl'envers»,parcequ'ilestétablidupointdevuede labanque.Lessommesverséessur lecompteduclient constituent pour elle une ressource, les sommes retirées constituent un débit. Dupoint de vue du client, s'il utilise une comptabilité en partie double lui-même, ce que labanqueappellecrédit(uneentréed'argent)estundébit(c'estuneutilisationdel'argent),etinversementundébitpourlabanqueestuncréditpourlui.L’escompteetleréescompte

Lorsqu’unepersonne(leplussouventuncommerçant)possèdeuntitredecréanceàterme(reconnaissancededettes, billets à ordre, etc.) sur undébiteur, il peut le remettre à unebanque ou à tout autre escompteur (usurier, etc.), qui lui en remet immédiatement lemontant,moyennantunintérêt.C’estl’escompte.L’escompteursefaitensuiterembourserparledébiteuràl’échéance.Mais,sicetescompteurrevendceteffetavantsonéchéanceàunautreescompteur,c’estleréescompte.L’agioetlecourtage

Lecourtage estunecommissionprisepar l’intermédiaired’une transaction, l’agio estunerémunérationdurisqueprisdansunespéculation,souventencherchantàspéculersur lesdifférences des cours au cours d’une même séance de bourse. Ainsi, la Bourse est-elleremplied’agioteurs.

N°3:LemondedelaBourse

Savez-vouscequ’estlaBourse?

Unebourse, au senséconomiqueetfinancier, est uneinstitution,privéeoupublique, quipermetdedécouvrir et d'afficher leprix d'actifsstandardiséset d'en faciliter les échangesdans des conditions de sécurité satisfaisante pour l'acheteur et le vendeur. Une bourseabrite un marché réglementé et organisé dont la présence est permanente. Les boursesétaientautrefoisabritéesdansdesbâtimentsdédiésdestinésàaccueillirlesopérateursquien assuraient le fonctionnement : courtiers, agents de change (aujourd'hui disparus), etautresmembres.Cesmembresassuraient lescotationsà laboursepardiverssystèmesdeformation des prix tels que criée, casiers ou boites. Les bourses se sont progressivementdématérialisées et ont migré sur des réseaux informatiques qui assurent les mêmesfonctions,sansqu'uneprésencephysiquedesopérateursenunmêmelieusoitnécessaire.Desopérateurspurementlogicielssontapparusdanslesdernièresdécennies.

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Les valeurs mobilières sont une catégorie des titres financiers: soit un titre de propriété(action), soit un titre de créance (obligation). L’obligation est la forme la plus limitée, entermes de risque et de gains. Elle constitue une créance sur son émetteur. Elle estreprésentatived’unedettefinancièreàmoyen,longterme,parfoisàperpétuité.Cettedetteestémisedansunedevisedonnée,pouruneduréedéfinieetelledonnedroitaupaiementd'unintérêtfixeouvariable,appelécouponquiestparfoiscapitaliséjusqu'àsamaturité.Lesobligationssontnotéesenfonctionduprofilderisquede leursémetteurspardesagencesdenotationetpeuventfairel'objetd'unecotationsuruneboursedesvaleurs.Danslecasdel’obligation,l’emprunteurn’estpasunparticuliermaisunebanqueouuneentreprise,etleprêteur n’est pas un usurier cherchant à spéculer sur les taux d’intérêt mais un simpleparticulier cherchant à faire travailler ses économies. L’action est un titre de propriété,représentantlapartducapitalsociald’unesociété(appeléesociétéparcapitaux)prêtéparunactionnaire,demanièreà constituer ce capitalouàen financier l’augmentation.Elleaunevaleurd’émission, laquellepeutêtremodifiéeencasd’augmentationducapitalde lasociété.Elleconfèreàsondétenteurlapropriétéd'unepartieducapital,aveclesdroitsquiy sont associés: intervenir dans la gestion de l'entreprise et en retirer un revenuappelédividende. Le détenteur d'actions est qualifié d'actionnaireet l'ensemble desactionnairesconstituel'actionnariat.

Lesvaleursmobilièressontnégociables,interchangeablesetfongibles.C’estpourquoi,ellessont aptes à être cotées sur les bourses dites de valeurs mobilières. Pour l’êtreeffectivement, elles doivent être soumises à une procédure d’admission, appeléeintroduction en bourse. On distingue les bourses de valeurs des bourses de matièrespremières(ouboursesdecommerce).Uneboursedesvaleursestunlieuoùs’échangentlesvaleursmobilières.

Uneboursedecommerceestunlieu,physiqueouvirtuel,oùsenégocientdesmarchandises,commelepétrole, lesucreouencore leblé. Ilexistedenos joursdesboursesspécialiséesdansdescontratsàterme(MATIF,LIFFE,etc.).Lemarchédeschanges(ouForex)estlelieusur lequel lesdevises,ditesconvertibles,sontéchangéesl’unecontre l’autreàdestauxdechangequi varient enpermanence. Lesboursesde commerceont souvent été lepremierlieu d’accueil des trois types de marché: la bourse de valeurs, la bourse de matièrespremièresetlemarchédeschanges.

Unkrachboursier est une baisse brutale des prix d'une classe d'actifs, comme unmarchéfinancieràlasuited'unaffluxmassifd'ordresdevente.

N°4:Latulipomanie

Savez-vouscequ’estlatulipomanie?

Latulipomanie(Tulpenmanieennéerlandais,Tulipmaniaenanglais,souventappelée«crisede la tulipe» en économie), est le nom donné à l'augmentation démesurée puisl'effondrement des cours de l’oignondetulipedans le nord desProvinces-Uniesau milieuduXVII°.

AuXVI°,enEuropeduNord,etplusparticulièrementdanslesProvinces-Unies,apparaîtunengouementextraordinairepour l’horticultureet lejardinage.Alorsque, jusqu’en1550, les

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jardiniers néerlandais cultivent principalement desroses, des lys, desiris, despivoines, etdesœillets,entre1550et1600,ilssetournentversdenouvellesespèces,commelejasmin,lelilasetsurtoutlatulipe.En1593,lebotanisteflamandCharlesdel'Éclusefaitplanter,dansl’Hortus academicusde l’université deLeyde, nouvellement créé, une série de bulbes detulipes suffisamment résistants pour survivre aux rigueurs du climat néerlandais. Si lespremières tulipes sont méconnues du grand public et ne sont mentionnées que par desbotanistesoudesamateursdeplantesrares,lavoguedestulipesserépanddusuddesPays-Basverslenordetl’engouementdevienttelqu’assezrapidementdesvoleurss’introduisentdansleJardinbotaniquedeLeydepourdéroberdesbulbes.AudébutduXVII°,lespremiersbulbes font leur apparition sur lemarché. Des bourgeois fortunés en plantent dans leursjardinsprivésàl’arrièredeleurmaison.L’époquesepassionnepourlacréationd’hybrideset de nouvelles variétés, créant une demande pour les livres illustrés de gravures, livresdestinésauxamateursetauxprofessionnelsdel’horticultureetnonplusauxbotanistes.

Auplus fort de la tulipomanie, en février 1637, despromessesde ventepourunbulbesenégocientpourunmontantégalàdixfoislesalaireannueld’unartisanspécialisé.Certainshistoriens ont qualifié cette crise de «premièrebulle spéculative» de l’histoire. Elle estrestéedanslesmémoires,toutaulongdel'Histoiredesboursesdevaleurs.

N°5:Laspéculationsoustoutessesformes

Savez-vousquellessontlesdifférentesformesdespéculation?

La spéculation est l’activité qui, sur un marché quelconque, consiste à tirer profit, paranticipationdel'évolutionàcourt,moyenoulongterme,duniveaugénéraldesprixoud'unprixparticulierenvued'enretireruneplus-valueouunbénéfice.Lesopérationsportentsurlesmatières premières, marchandises,actions,obligations, monnaies et changes, capitauxflottants,etc.

Laspéculationfinancièreestuneopération,ouuneséried’opérations,d’achatetdeventesdetitresfinanciers(placements,créances,etc.)et,parextension,monétaires(devises,etc.)sur unmarché organisé ou de gré à gré, d’en l’objectif d’en tirer un bénéfice grâce à lavariation de leurs cours, tout en prenant le risque de variation inverse. Sur un marchéorganisé (Bourse), on parle de spéculation boursière. Laspéculationmonétaireest un typedespéculationvisant à tirer un profit individuel de l'évolution des cours d'unedevise parrapportàuneautre,autrementditsurl'évolutiondestauxdechange.

La spéculation foncière désigne toute les formes de spéculations relatives à un fonds deterre,àsonexploitationetàsonimpositionquanddesagencesimmobilièresoufoncières,desbanquesoudes individus (Propriétaires fonciersouacheteursde foncier) cherchentàtirer des avantages financiers et/ou fiscaux et/ou politiques de lapropriété foncièreoud'unbienimmobiliersexistantoupotentiellementexistant.Ausensétroitdel'expression,laspéculationportesurlesterrainsàvocationagricole,minière,touristique,urbaineouayantvocation de protection de la nature, etc., mais au sens large, elle porte aussi sur desimmeubles et autres constructions ou infrastructures alors considérés comme biens«fonciers».

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Laspéculation immobilièreest uneopération économiquesur unbien immobilier, motivéepar l'augmentation attendue de sa valeur. Dans le langage courant, c'est une expressionpéjorative, relative à des opérations présentées comme abusivementprofitablescarréalisées pour un prix inférieur au prix «normal» du marché, par des opérateurs(promoteurimmobilier,agentimmobilier,particulier,financeur,responsablepolitique,etc.)dontlaparticipationaubiencommunestimplicitementouexplicitementmiseendoute.

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Textesdes«Clind’œil»

N°1:L’originedumot«monnaie»Lemotmonnaieestissudumotlatinmoneta(«monnaie»),crééàpartirdeMoneta(«Cellequi avertit»), surnom de la déesse Junon (épouse de Zeus),mot lui-même issu du verbemonere(«fairesesouvenir»,«conseiller»et«avertir»).JunonétaithonoréeàRomedansuntempleconstruitsurlacollineduCapitole.AuIV°avantJésus-Christ,yfutinstallélepremieratelierdefabricationdepiècesdemonnaiesromaines.Par habitude, les Romains utilisèrent le surnom de la déesse pour désigner les pièces demonnaiefabriquéessoussaprotection.Notonsqueleverbe«monere»adonnébeaucoupd’autresmotsfrançaisattachésàl’idéede «avertir»: prémonition, prémonitoire, admonester, moniteur ou à l’idée de«souvenir»:monument.N°2:Leseletlesalaire

AuxpremierstempsdelaRépubliqueromaine,leslégionnairesrecevaientunepartiedeleurrémunérationsousformedesel(enlatin,sal),carcetingrédientcoûteuxétaitindispensableàleurnourriturecommeàcelledetousleshommes.Cetterationdeselfournieestappeléelesalarium.Parlasuite,lesalariumdésignel’indemnitéenargentverséepouracheterleseletautresvivres.Cemotlatinestdevenusalaireenfrançais.

N°3:«Toucherlepactole»et«RichecommeCrésus»L’expression toucher le pactole signifie «gagner beaucoup d’argent». Son origine faitréférenceàunehistoirede lamythologiegrecque:«LedieuDionysosavaitpromisau roiMidasd’exaucer levœudesonchoix.Leroi luidemanda lepouvoirdetransformertoutcequ’iltoucheraitenor.Maiscelafitvitesonmalheur,carilnepouvaitplusnimangerniboire,car tout ce qu’il touchait se transformait enmétal précieux. Il demanda alors à Dionysosd’annulercevœu.Pourcela,ildutselaverlesmainsdanslePactole,fleuvedeLydie(Turquieactuelle), ce qui fut à l’origine de ces nombreuses pépites d’or que l’on trouvait dans cefleuve.Selonlalégende,c’estdecemêmefleuvequeCrésus,dernierroideLydie(561à547av. J.C.), tira essentiellement sa colossale richesse». Riche comme Crésus se dit donc dequelqu’undetrèsriche.N°4:Lesexpressionsdelamonnaie

Battremonnaie signifie «fabriquer les pièces demonnaie et les billets de banque». Sonorigine vientdu fait quepourbattre lespremièrespiècesmétalliques, il fallait réduire lesmétauxprécieuxutilisésenfeuillestrèsmincesenlesbattant.L’expression Etre monnaie courante signifie «être une chose habituelle, une pratiquecourante».Avoirdesoursinsdansleporte-monnaiesignifie«êtreradin(e)».

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Rendrelamonnaiedesapiècesignifie«sevenger».Sonorigineesthésitante.EllepourraitêtreuneréférenceàlaloiduTalion(«rendrecequiestdû»)oubienvenirdelamarine.Eneffet,à l'époquedelamarineàvoile,lessoldatsauraienteul'habituded'introduireunepièceàl'effigieduroidans lapoudre.Ainsi, lorsquelebouletfrappait lenavireennemi, la"pièce"étaitrendueetlavengeanceaccomplie.Payer enmonnaie de singe signifie «payer en grimaces ou en faussemonnaie au lieu depayerréellement».SonoriginedateduXIII°,lorsqueSaint-Louisdécidaqu'ilfaudraitpayerunetaxepouremprunterlepontqui,àParis,reliel'îledelaCitéàlarueSaint-Jacques,maisfituneexceptionà cette règlepour les forains,bateleursou jongleursquipossédaientunsinge.Ceux-cipouvaient,enguisedepaiement,fairefairesonnuméroàleuranimal.

N°5:NotresouLemotsoutrouvesonoriginedanslesolidus(«massif»enlatin),monnaieromainede4,5gd’or créée par l’empereur Constantin au IV°. Dans la langue française, le mot solidus aévoluéphonétiquementensoldus,ensolt(XI°),puisensol(XII°).AuXVIII°,sonorthographeestadaptéensou,pourmieuxcorrespondreà laprononciationqui s’était imposéedepuisdessiècles.Ainsi,utilisédepuisplusde1000ans,lemotsous’est-ilancrédanslelangageetles expressions françaises. Les sous sont devenus synonyme d’argent: «avoir des sous»,c’est «avoir de l’argent».Lemot latin«solidus» a aussi donné lesmots français solde etsoldat.Lasolde,désigneenfrançaislarémunérationhabituelled'unmilitaireousoldat(celuiquireçoitunesolde).

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Quizsurlethèmedenotrecorpus

Questions

1. Citezdeuxtypesdemonnaiefiduciaire.2. QuelleestlafamilledebanquiersfrançaislapluspuissanteauMoyenAge?3. Aquelleépoquesontnéeslesbanquespopulaires?4. Quelpersonnagedenotrecorpusarévolutionnélecommerce?5. Quelrégimematrimonialpermetàlafemmededisposerd’unepartiedesesbiens?6. Quelleest,dansL’Argent,laspécialitéfinancièredelaMéchain?7. Quelleestlavaleurmobilièrequiprésentelemoinsderisques?8. Dansquelsromansdenotrecorpusrencontre-t-ondesdélitsd’initié?9. Quelcommerçanta-t-ilétéacculéàunefaillitefrauduleuse?10. Aquelspersonnageslesfraudeursfont-ilsappelpournepasapparaîtrelégalement?

Réponses

1. Lalettredechangeetlebilletdebanque2. LafamillePisdoé3. AlafinduXIX°4. Mouret,dansAuBonheurdesdames5. Laséparationdesbiens6. Leréescompte7. LaCuréeetL’Argent8. L’obligation9. CésarBirotteau10. Adeshommesdepaille

MadeleineROLLE-BOUMLIC

Octobre2016