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1 Ce que le genre apporte à l’analyse du syndicalisme Séminaire « Actualité des études de genre » Cécile Guillaume CLERSE - Université de Lille 1

Ce que le genre apporte à l’analyse du syndicalisme Séminaire « Actualité des études de genre »

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Ce que le genre apporte à l’analyse du syndicalisme Séminaire « Actualité des études de genre ». Cécile Guillaume CLERSE - Université de Lille 1. Genre et syndicalisme: une problématique révisitée - PowerPoint PPT Presentation

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Ce que le genre apporte à l’analyse du syndicalisme

Séminaire « Actualité des études de genre »

Cécile GuillaumeCLERSE - Université de Lille 1

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Genre et syndicalisme: une problématique révisitée

La sociologie du syndicalisme et des relations professionnelles est longtemps restée centrée sur l’analyse des institutions : les syndicats, le patronat, la négociation collective…

Ce biais institutionnaliste, dénoncé par les chercheuses britanniques (Wajcman, 2000), contribue à un aveuglement au genre, comme si la dynamique des relations professionnelles n’étaient pas structurée par les rapports sociaux de sexe (de race et de classe) et ne contribuaient pas à leur (re)production.

En France, cette cécité est en passe d’être remise en cause par de nouvelles recherches sur la féminisation des syndicats et les politiques d’égalité, la lutte contre les discriminations ou les mobilisations de salarié.e.s dans des secteurs précaires et/ou féminisés.

Ces recherches mobilisent le genre comme une catégorie analytique, pour penser la sexuation des trajectoires militantes et la représentation sélective des femmes (et des minorités) dans les appareils, mais aussi pour saisir le travail du genre dans le cours de l’action militante, entre reproduction des rapports sociaux de sexe (de classe et de race) et stratégies de résistance.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Focalisés sur le fonctionnement des institutions ou sur les orientations politiques des organisations, les travaux sur le syndicalisme ont surtout analysé les niveaux supérieurs des appareils syndicaux, où les femmes ont longtemps été rares, à l’exception de quelques enseignantes

- Pourtant les femmes ont été des militantes actives auxquelles Le Maitron fait une large place et les travaux pionniers de Madeleine Guilbert (1966) montrent que les ouvrières participent à des grèves entre 1881 et 1914, avec une ténacité et un courage devant la répression patronale qui surprennent souvent leur propre fédération.

- Le mythe de la difficulté à syndiquer les femmes, en raison de leurs contraintes familiales ou de l’influence de l’Église catholique, véhiculé par les syndicalistes eux-mêmes, a longtemps empêché de travailler sur les contraintes spécifiques de la syndicalisation dans les secteurs d’activité féminisés et d’appréhender le rôle des syndicats dans la sous-représentation des femmes.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Si l’articulation travail/hors-travail sont des facteurs à prendre en compte (Le Quentrec et Rieu, 2003), les syndicats sont aussi responsables de la moindre inclusion, voire de l’exclusion, des femmes.

- Malgré leur discours égalitariste, les syndicats ont longtemps été réticents à s'ouvrir aux femmes, oscillant entre proclamation du droit au travail des femmes et renvoi de la femme au foyer.

- En France, avant 1914, des débats passionnés agitent les premiers congrès syndicaux sur la concurrence des bas salaires féminins et la menace qu'elle fait peser sur l'emploi des hommes

- Ces réactions d’exclusion sont particulièrement typiques des métiers qualifiés traditionnellement masculins où le machinisme pouvait permettre aux employeurs de remplacer des hommes par des femmes – livre, imprimerie (Milkman, 2012, Cockburn, 1983).

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Les attitudes des syndicats s'avèrent plus nuancées dans des secteurs d'emplois féminins, où les femmes s'organisent peu et de manière fluctuante à l'occasion de grèves – industrie textile, habillement –, à l'exception de l'industrie des tabacs, très féminisée et très combative (Guilbert, 1966).

- L’historienne Dorothy Sue Cobble (1990) souligne comment, aux États-Unis, un syndicat dans le secteur de l’hôtellerie-restauration (le Hotel Employees and Restaurant Employees Union, HERE) a intégré dès les années 1950 des femmes dans le cadre de la représentation d’un métier très féminisé (les serveuses).

- La décentralisation des structures du syndicalisme de métier y a été un facteur favorable, permettant aux femmes de s’organiser de manière autonome et d’acquérir, dans des syndicats non mixtes, la confiance en leur capacité à s’organiser seules.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Après 1918, les femmes deviennent tolérées dans les syndicats par principe de réalité, dans un contexte de féminisation de la population active, mais aussi par souci d'efficacité, les grandes grèves de 1917-18 et de 1936 ayant acté la capacité de mobilisation de la main-d’œuvre féminine.

- Des pratiques d’inclusion limitée ou séparée se développent alors avec des modalités et une chronologie qui dépendent des contextes nationaux et sectoriels, mais aussi du cadrage idéologique dominant du syndicat (Zylberberg-Hocquart, 1978).

- Pendant la vague de creux du féminisme (1945-70), la CGT se démarque par son soutien affiché à l’égalité femmes-hommes, notamment salariale, et au droit au travail des femmes, relayée par sa revue pour femmes Antoinette [George, 2011]. Mais elle promeut un cadrage « égalitariste-conservateur » qui continue à donner la priorité au rôle maternel des ouvrières et met en priorité la lutte des classes.

- Au niveau local, cela peut se traduire par une mise sous tutelle paternaliste des collectifs féminins, avec une dévalorisation des « problèmes de bonnes femmes », accentué par la ségrégation sexuée entre ateliers et bureaux [Olmi, 2007].

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- De manière originale mais minoritaire, des syndicats chrétiens féminins non-mixtes se créent aussi, dès 1906, dans des secteurs féminisés (couture et textile, employées de bureaux et de commerce) et s'affilient souvent à la CFTC, qui comporte 37 % d'adhérentes dès sa création en 1919.

- À l’écart du mouvement féministe organisé, ces syndicats féminins réformistes essayent d'aider les employées et ouvrières à lutter contre les abus criants du patronat, au nom de la protection de la vie de famille. Ces syndicats non-mixtes cherchent à défendre les intérêts féminins par d'autres moyens que la grève et semblent offrir un espace de sociabilités féminines [Bard, 1993 ; Chabot, 2003].

- Le rapport des syndicats aux femmes et à l'égalité professionnelle va particulièrement changer avec la participation active des femmes aux grandes grèves des années 1970 [Maruani, 1979 ; Rogerat, 1995] et le rôle clé des militantes féministes de la deuxième vague.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Depuis les années 1970, les syndicats ont essayé de travailler sur leur « déficit démocratique », sous la pression des militantes féministes et pour des considérations instrumentales :  trouver de nouvelles cibles de syndicalisation (dans le tertiaire en expansion)

- Ils ont mis en place différents dispositifs souvent non mixtes, comme des « responsables femmes » (ou égalité, voire diversité), des formations pour les femmes, des congrès, réseaux ou rassemblements de femmes.

- Un débat très vif existe dans les pays anglo-saxons (et de manière moins explicite en France) autour de l’efficacité des structures d’égalité séparées (formations, conférences, réseaux). Le débat entre approche libérale ou radicale, intégrée ou séparée, est lié à des effets de période et de contexte.

- Si la CGT a eu une tradition d’organisation séparée (commissions féminines, revue Antoinette), mais sous tutelle de dirigeants hommes, la CFDT a toujours eu une certaine réticence à l’égard des structures séparées (CCF mixte) en raison d’un universalisme égalitariste et a privilégié une approche intégrée, tout en mettant en place une approche volontariste en matière de mixité dès les années 1980.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Selon certaines auteures, les structures séparées facilitent la conscientisation, la politisation et les capacités d’action de ces femmes – ou des minorités ethniques et sexuelles – et pourraient alors transformer les structures et la culture syndicales ainsi que l’agenda revendicatif (Colgan, 1999 ; Healy et Kirton, 2000 ; Kirton, 2006).

- D’autres travaux soulignent le risque d’enfermer ces militantes dans des structures périphériques au pouvoir syndical ou de les voir développer des revendications de type communautaire (Briskin, 2002 ; Mc Bride, 2001).

- Les quotas ou sièges réservés pour assurer la mixité ou la parité font également l’objet de controverses, sur la nécessité de « forcer » la représentativité des structures, au risque d’imposer des leaders féminines dont le « mérite » serait questionné par la base (Briskin, 2012).

- Si les quotas facilitent indéniablement la progression de certaines femmes, plutôt les plus qualifiées, qui elles-mêmes peuvent soutenir de futures militantes, ces mesures buttent souvent sur la difficulté à faire monter les plus précaires ou à les faire devenir de vrais sujets politiques (Guillaume et Pochic, 2009).

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- En dépit de ces politiques d’égalité et de la féminisation croissante des adhérents, les recherches comparatives soulignent la permanence d’une sous-représentation des femmes dans les structures syndicales, avec un effet de « plafond de verre » (Colgan, Ledwith, 2002 ; Silvera, 2006), certes plus ou moins accentué selon les secteurs (Milkman, 2007).

- Si la main d’œuvre féminine, largement sur-représentée dans le secteur public, contribue à stabiliser le taux d’adhésion syndicale, les femmes peinent à accéder aux positions les plus valorisées dans la hiérarchie syndicale.

- Parmi les facteurs explicatifs de cette sous-représentation des femmes, de nombreux travaux insistent sur les contraintes de disponibilité biographique des femmes et la nécessité d’un conjoint soutenant dans des organisations qui requièrent un investissement considérable en temps et en déplacements (Franzway 2000; Le Quentrec, Rieu, 2003).

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- Ces constats généraux cachent néanmoins une forte hétérogénéité des situations. Selon le type d’emploi et la configuration familiale, les militantes ont plus ou moins de facilité à se fondre dans une fonction de responsable syndicale qui s’apparente à celle d’un « cadre » tant sur le plan de l’autonomie que de la disponibilité temporelle.

- Ces difficultés à se mouler dans un modèle « masculin-neutre » de carrière sont ressenties différemment selon les conditions d’exercice des mandats syndicaux qui, selon les secteurs d’activité, offrent un accès plus ou moins aisé à des heures de délégation et des mandats de permanents.

- Si les femmes travaillant dans le secteur public, plus syndiqué et mieux doté en droit syndical, ont objectivement davantage de possibilité d’obtenir des moyens facilitant leur prise de responsabilité, les femmes souvent peu qualifiées, précaires et issues de l’immigration, travaillant dans le secteur privé et les petites entreprises, ont des difficultés à maintenir un engagement syndical construit sur du temps bénévole et dans un contexte de répression syndicale.

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- Au-delà des spécificités du salariat féminin et des contraintes familiales, et dans un contexte de syndicalisation croissante des femmes, les recherches menées dans les années 1970 ont montré l’importance des facteurs endogènes propres à l’organisation du travail militant pour comprendre cette sous-représentation (Dunezat, 2006).

- L’entrée par l’observation du fonctionnement des collectifs syndicaux permet de saisir concrètement comment s’opèrent les processus de sollicitation, de cooptation et de sélection des futurs dirigeants hommes, marginalisant les éventuels candidats issus des groupes minoritaires (femmes, salariés immigrés…).

- Les monographies de terrain révèlent comment la familiarité des militants hommes avec les routines organisationnelles et l’usage formaliste et parfois détourné des règles démocratiques internes contribuent à la captation des rôles valorisés par les hommes.

- Elles soulignent la prégnance des représentations sexuées de la division familiale du travail qui tendent à subordonner les intérêts des femmes (salaire d’appoint) et à disqualifier leur aptitude à représenter les adhérents hommes.

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- Certaines enquêtes révèlent aussi l’imbrication des mécanismes de ségrégation professionnelle qui cantonnent les femmes à un petit nombre d’emplois peu qualifiés et sans autonomie, et leur marginalisation dans l’organisation du travail militant.

- L’enquête ethnographique menée par Sheila Cunnison et Jane Stageman (1995) dans une section de la Confederation of Health Service Employees (COHSE) d’un hôpital du Nord de l’Angleterre, qui comporte 600 adhérent.e.s en 1977, en majorité des femmes employées peu qualifiées (femmes de ménages, cuisinières), souligne les difficultés des femmes à s’exprimer et peser sur les décisions.

- Du fait des caractéristiques de leurs emplois, les femmes n’acquièrent que rarement la légitimité pour représenter une main d’œuvre masculine diversifiée et plus qualifiée, ont moins accès à la formation syndicale, et ne sont pas en capacité d’avoir une expérience militante élargie indispensable à la fabrication d’une carrière syndicale.

- Les professions qualifiées ou semi-qualifiées semblent davantage offrir aux femmes la possibilité d’acquérir des compétences transférables dans une activité syndicale et d’accéder à une représentation autonome

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- Dans cette veine, d’autres recherches ont mis l’accent sur le rôle de la « culture syndicale » (machisme de certains délégués, voire harcèlement sexuel) et des pratiques militantes (lieu et horaires des réunions, mobilité géographique et déplacements) dans le découragement des « bonnes volontés » féminines.

- Plusieurs chercheuses ont plus spécifiquement analysé les processus formels et informels de fabrication des dirigeants syndicaux.

- Cette brèche a été ouverte par une enquête sur les étapes de la « carrière syndicale » au sein du syndicat anglais de l’imprimerie dans les années 1980, la Society of Graphical and Allied Trades (SOGAT) (Ledwith et al., 1990).

- Les auteures montrent comment le passage aux responsabilités locales demande un soutien actif des responsables en place, car les militantes viennent de milieux féminisés moins syndiqués et doivent dépasser les réticences des adhérents hommes à être représentés par une femme. L’accès aux responsabilités nationales s’avère réservé aux rares militantes très visibles qui se coulent dans la norme masculine d’une expérience longue, continue, avec de multiples mandats.

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- Cette perspective a été prolongée dans des contextes nationaux variés (Ledwith et Hansen, 2013), et notamment dans une comparaison entre la France avec la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et l’Angleterre avec les syndicats UNISON et GMB – à l’origine, General Municipal Boilermakers – (Guillaume, Pochic, 2011 et 2013), qui mettent l’accent sur la permanence de freins organisationnels discriminants pour les femmes, et notamment les effets de cooptation et de réseaux nécessaires pour accéder aux positions dirigeantes.

- Cette enquête dévoile aussi les différentes facettes de la féminisation des syndicats, avec des possibilités de carrières alternatives pour des femmes diplômées qui intègrent des postes d’experts salariés dans les structures syndicales, ou de carrières accélérées en cas de conflits politiques internes, occasion de renouvellement des responsables locaux.

- Mais ces deux profils restent souvent bloqués dans leur évolution, en l’absence de légitimité militante – et donc de base électorale.

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Les syndicats, des organisations (re)productrices des rapports sociaux de sexe

- Enfin, les politiques d’égalité interne ont également des limites, notammet l’articulation classe, race et sexe - et des effets inattendus.

- Souvent impulsée par le sommet des organisations, la mise en œuvre des mesures de mixité interne dépend de la « bonne volonté » des responsables syndicaux locaux et de la constance du portage politique par les dirigeants.

- En tant qu’organisations à la fois démocratiques et souvent fédéralistes, les syndicats accordent une grande autonomie à leurs différentes structures. À l’exception des mesures les plus radicales qui imposent des quotas ou des sièges réservés dans les instances dirigeantes, l’efficacité des autres mesures visant la proportionnalité, par exemple, repose sur la capacité des militants spécialisés (déléguée femmes ou égalité) à convaincre les équipes de terrain tout en évitant les effets de concurrence entre les différents groupes discriminés (femmes, immigrés, handicapés, lesbiennes gays bisexuels transsexuels LGBT).

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- Si l’impact des politiques volontaristes de recrutement, de formation et de promotion des femmes est visible dans la carrière de certaines militantes, des effets de plafonnement et de spécialisation des carrières syndicales féminines sont fréquents [Guillaume et Pochic, 2011].

- La légitimité de ces responsables, parfois sans expérience militante de terrain, qui ont bénéficié de ces mesures et qui ont pu être sollicitées dans des contextes de crise politique interne, reste problématique et s’accompagne d’une forte sélection sociale.

- Les recherches sur les mouvements sociaux montrent que les femmes tiennent souvent des positions de « leadership secondaire » et prennent en charge les tâches consacrées à l’entretien de la sociabilité et de la cohésion du groupe, celles-ci sont souvent invisibilisées par rapport à celles, publiques et formalisées, privilégiées par les hommes.

- Dans certains contextes, l’usage d’un répertoire d’action différent et/ou d’un discours différentialiste peut, pour les femmes, être un levier de légitimité dans des univers encore dominés par une génération vieillissante de militants [Guillaume, 2007], mais l’alignement sur le style dominant et la « neutralisation du genre » sont souvent plus efficaces.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

des relations professionnelles

- La féminisation des syndicats a-t-elle eu pour effet une meilleure prise en charge des intérêts des femmes ? Si de nombreux travaux insistent sur la circularité entre égalité interne et externe, le lien entre les deux processus est loin d’être mécanique.

- Alors que les femmes comptent pour plus de 50% des membres dans certains syndicats, les pratiques revendicatives continuent fréquemment de minorer voir d’invisibiliser les préoccupations spécifiques des femmes.

- Depuis les années 1970, les confédérations syndicales ont progressivement élargi leurs revendications à des « questions de femmes », comme le droit à l’avortement, la prise en charge de la petite enfance, les congés maternité ou parentaux ou la lutte contre les violences faites aux femmes, tout en revendiquant ensemble le droit au travail des femmes et le partage du travail domestique.

- Plus largement, les syndicats ont contribué à l’élaboration de lois en faveur de l’égalité hommes-femmes, et notamment de l’égalité salariale, mais aussi de lois visant la mise en place d’un revenu minimum obligatoire ou encore l’amélioration des droits des salariés à temps-partiel, mesures particulièrement favorables aux femmes peu qualifiées.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

des relations professionnelles

- Depuis le début des années 2000, sous l’impulsion de la doctrine européenne, les syndicats ont également contribué à l’extension de la législation anti-discriminatoire à d’autres publics, y compris dans les pays nouvellement entrés dans l’Union Européenne, plutôt héritiers d’une politique d’égalité formelle.

- Cette action menée par les confédérations syndicales dans leur travail de lobbying politique a également été relayée, en interne, par des campagnes de sensibilisation et de formation des militants de terrain, pour faciliter la mise en œuvre de ces textes réglementaires

- Pourtant, la plupart des études continuent de souligner la réticence des équipes syndicales de terrain à négocier des accords spécifiques (Laufer, Silvera, 2006) ou encore à faire usage du droit anti-discriminatoire (Guillaume, 2013).

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La fausse neutralité des « objets » du champ

des relations professionnelles

- Surtout, de nombreux travaux de sociologues et d’historiennes ont contribué à questionner la part active des syndicats dans la sous-représentation des intérêts des salariées et notamment dans la sous-évaluation du travail féminin.

- Dès le début des années 1980, les travaux de Danielle Kergoat sur les ouvrières (1978 et 1982) ouvrent la voie à une réflexion sur la « boîte noire » de la qualification, objet central des relations professionnelles (Daune-Richard, 2003).

- Dans des univers très masculins, comme l’imprimerie (Cockburn, 1983 ; Maruani et Nicole, 1989), les sociologues du travail dévoilent les processus qui contribuent à la déqualification du travail féminin. Elles montrent comment les représentants syndicaux participent au maintien des inégalités salariales, par une définition « neutre » de la qualification et une subordination des intérêts des ouvrières dans la négociation collective.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

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- L’identification entre les intérêts des hommes blancs qualifiés et le sens de l’action syndicale s’interprète comme la combinaison entre des facteurs idéologiques et des facteurs matériels relatifs aux stratégies des employeurs, à la mise en compétition des différentes catégories de salariés, à l’introduction de nouvelles technologies (Cockburn, 1983) et au contexte économique.

- Si les employeurs ont rapidement reconnu des « qualités » propres à la main-d’œuvre féminine ouvrière, souvent naturalisées (habilité, dextérité, minutie, patience…), ils se sont servis des femmes pour faire baisser le coût du travail et rationaliser les modes de production (Guilbert, 1966).

- Dans son étude historique sur une grève de femmes peu qualifiées chez Rover, à Coventry, en 1930, Laura Downs souligne ainsi l’imbrication entre recrutement d’une main-d’œuvre féminine, déqualification du travail, développement du contrôle managérial et volonté d’accroissement de la productivité, dans un système de gestion stratifiée de la main-d’œuvre avec des pratiques de paie et de négociation séparées, selon les catégories de salariés (Downs, 2002).

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- Si les centrales syndicales ont périodiquement soutenu la demande d’égalité salariale des femmes, notamment dans une visée de défense du niveau général des salaires, l’observation fine des pratiques de négociation collective (Cunnison et Stageman, 1995) et de mise en œuvre de démarches de reclassification (Rozenblatt et Sehili, 1999; Lemière, 2006) et l’analyse des mobilisations juridiques pour l’égalité salariale en Angleterre (Guillaume, 2013) révèlent combien la naturalisation et l’invisibilisation des compétences féminines restent ancrées dans les représentations des négociateurs.

- En tant que parties prenantes des relations professionnelles, les syndicats contribuent à reproduire les inégalités de sexe (et de race), par la mise en avant des intérêts des ouvriers qualifiés (masculins et blancs), la sous-évaluation du travail des femmes et le maintien de filières masculines de promotion.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

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- L’observation participante menée par Joan Acker, comme experte dans une démarche de « valeur comparable » dans l’État de l’Oregon aux États-Unis, révèle comment les relations de genre et de classe sont reproduites dans le cours des actions mises en œuvre pour les corriger (Acker, 1989).

- Au-delà des biais intrinsèques de la méthode d’évaluation du travail utilisée qui ne permet ni d’appréhender la complexité du travail féminin, ni de remettre en cause l’appréciation technique des emplois, Joan Acker montre comment les consultants s’allient avec le management pour ne pas augmenter les points attribués aux « compétences relationnelles » dans les emplois peu qualifiés (et féminisés).

- Elle révèle l’attitude ambivalente des syndicats qui sont réticents au gel salarial des hommes, condition posée comme nécessaire au rattrapage des salaires féminins. Par ailleurs, ils acceptent d’allouer du temps et des moyens à la démarche de re-classification, mais tentent aussi de préserver les intérêts des hommes (et des femmes qualifiées) dans un contexte de contraintes budgétaires et de stratégies patronales cherchant à diminuer leur pouvoir dans la négociation collective.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

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- Par ailleurs, de nombreuses études insistent sur les effets délétères des contextes de restructuration sur les emplois féminisés. En Angleterre par exemple, le processus de privatisation des services publics a eu pour effet l’introduction de primes qui ont principalement bénéficié aux hommes à bas salaires, alors que les femmes se sont vues imposer une détérioration de leurs conditions d’emploi en cas d’externalisation (Munro, 1999).

- De manière plus insidieuse, l’évolution de l’organisation du travail vers davantage de polyvalence, en partie soutenu par les syndicats en échange de la préservation des emplois, a conduit à une moindre capacité de mobilisation des femmes, du fait de la dilution de leur identité professionnelle.

- Ces évolutions qui se sont accompagnées à la fois d’une décentralisation de la négociation collective qui a contribué à une sous-représentation des intérêts spécifiques aux groupes dominés (y compris et surtout les femmes immigrées) au profit de la défense des intérêts généraux, principalement identifiés à l’aune de la situation des hommes qualifiés ou semi-qualifiés, détenteurs des mandats syndicaux.

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La fausse neutralité des « objets » du champ

des relations professionnelles

- De nombreuses enquêtes ont souligné la difficulté des syndicats à prendre au sérieux les revendications de certains groupes dominés, dans le travail comme dans les syndicats, et à ne pas relayer les stéréotypes de genre et de race dans la reformulation de leurs intérêts et dans l’évaluation de leur rapport au travail.

- L’enquête d’Anne Munro dans le secteur hospitalier britannique souligne ainsi les pratiques discriminatoires des syndicalistes à l’égard des femmes asiatiques peu qualifiées (aides-soignantes) dont les revendications sont minorées et même contestées par leurs collègues blancs et très peu relayées par les représentants syndicaux, alors que de nets progrès semblent avoir été faits en ce qui concerne les infirmières blanches (Munro, 1999).

- Comme l’ont relevé d’autres auteur.e.s (Holgate et al., 2006 ; Wajcman, 2000), l’ensemble de ces travaux ont permis de révéler les processus sociaux de classe, de genre et de race qui contribuent à façonner non seulement le travail et la qualification, mais également les institutions qui contribuent à les réguler.

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Du conflit secondaire à la revitalisation des luttes ?

- Si les grèves de femmes ont toujours existé, parfois même sous des formes très radicales (Guilbert, 1966), elles ont souvent été invisibilisées par les acteurs et les experts du syndicalisme, ou considérées comme secondaires.

- En dehors de quelques professions, combinant qualification et employeur public comme les cigarières des manufactures de tabac (Perrot, 1998), les mobilisations féminines ont souvent peiné à se stabiliser et ont connu moins de succès, n’aboutissant pas toujours à la création d’un syndicat ou à une forme pérenne d’organisation.

- Si ces luttes ont permis de gagner l’estime des militants masculins (Guilbert, 1966), elles ont bien souvent été encadrées et parfois pacifiées par des syndicalistes hommes (Benquet, 2011), ou ont entretenu des liens difficiles avec les organisations syndicales mixtes, privilégiant parfois des formes alternatives de coordination.

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Du conflit secondaire à la revitalisation des luttes ?

- Comme le souligne Danielle Kergoat dans son analyse de la coordination (mixte) des infirmières en 1988, l’institutionnalisation du syndicalisme est peu propice à l’émergence de collectifs de base avec des objectifs propres (Kergoat et al. 1992).

- L’indexation de l’« intérêt général » à la seule figure du travailleur manuel ouvrier a pour conséquence de minorer la diversité du salariat et de cantonner les revendications portées par les femmes à des luttes catégorielles.

- Comme le montre Sophie Béroud à propos d’une campagne de syndicalisation dans le secteur de l’emploi à domicile, la réussite relative de cette démarche tient aussi à sa relative marginalisation par rapport aux structures syndicales CGT, qui est à la fois le gage de son succès (éviter d’être confrontée aux rapports de pouvoir interne) et de ses limites (Béroud, 2013)

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Du conflit secondaire à la revitalisation des luttes ?

- Les femmes continuent de faire valoir leurs droits par le biais de mobilisations, parfois mixtes mais dominées par des femmes (Kergoat et al., 1992), mais le plus souvent exclusivement féminines, à l’image des grèves de femmes dans la grande distribution, le textile, l’hôtellerie ou le secteur de l’emploi à domicile. Quelle est la spécificité de ces luttes ?

- Dans sa comparaison de quatre grèves de femmes dans les années 1970, Margaret Maruani révèle à la fois des différences dans le degré d’institutionnalisation du conflit et des rapports très variables avec les syndicats en présence, mais aussi l’émergence, dans certains cas, de modes de participation plus horizontaux et plus attentifs aux questions de démocratie interne, prenant en considération les difficultés d’articulation avec la vie privée (Maruani, 1979).

- Cela dit, cette enquête montre aussi que les femmes ne choisissent que très rarement de définir leur mobilisation comme une « grève de femmes » pour éviter la dévalorisation de leur lutte. D’autres travaux ont montré combien la définition du « sujet femme » pouvait faire l’objet d’une controverse (Meuret-Campfort, 2010), selon les syndicats d’appartenance.

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Du conflit secondaire à la revitalisation des luttes ?

- D’autres travaux ont souligné la capacité des femmes à prendre appui sur leur réalité professionnelle et leurs contraintes familiales pour chercher de nouvelles formes d’action, en particulier dans le secteur des services.

- Dans son travail sur les aides à domicile, Christelle Avril montre ainsi comment les contraintes même de leur activité conduisent les femmes à choisir des modes de mobilisation innovants, hors des codes habituels des grèves « masculines », avec notamment une recherche d’alliance auprès des personnes âgées dont elles s’occupent (Avril, 2009).

- Les études américaines sur les campagnes de syndicalisation dans le secteur des services montrent aussi que les milieux de travail féminins ont des taux de succès élevés, notamment chez les femmes immigrées.

- A côté des revendications classiques (salaire, conditions de travail), elles portent aussi d’autres priorités (formation et promotion, lutte contre le harcèlement sexuel, respect pour leur travail). Ces mobilisations sont enfin des moments d’émancipation des femmes latinos qui peuvent devenir des leaders d’une communauté traditionnellement machiste.

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Du conflit secondaire à la revitalisation des luttes ?

- Cette sexuation des luttes est interprétée par certains auteurs comme le signe d’une dualisation du syndicalisme, liée au renforcement de la ségrégation professionnelle, avec l’émergence de syndicats qui représentent presque exclusivement des femmes (Milkman, 2007)

- Mais ces modes d’action plus discrets et moins institutionnalisés ouvrent des pistes de réflexion sur les voies possibles d’un renouveau des pratiques syndicales.

- La recherche de coalitions avec les usagers ou d’autres mouvements sociaux, souvent promus par les salariés issus des groupes minoritaires (femmes, minorités ethniques ou migrants, minorités sexuelles…), questionne le syndicalisme dans ses formes les plus institutionnalisés et trace des voies de renouveau, souvent regroupées sous le terme « organizing ».

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Le syndicalisme : un mouvement social sexué

- Danièle Kergoat (1992, p.122) : «  il ne s’agit plus de rajouter les femmes comme un plus qui viendrait colorer (le militantisme), l’analyse de celui-ci restant en dehors de toute prise en compte des rapports sociaux de sexe (…) Mais cela signifie que les rapports sociaux de sexe imprègnent en profondeur tous les militantismes et que cette considération doit toujours être présente quand on les analyse »

- Comprendre le genre comme un système politique qui organise les rapports de domination au sein des organisations syndicales et comme un processus que les militant-e-s mettent en oeuvre dans leurs pratiques et qui contribue à la reproduction des rapports sociaux de sexe (de classe et de race) (Dunezat, 2009).