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CollÚge au théùtre Saison 2011/2012
Fiche pédagogique n°14
CELLES QUI SAVAIENT
Autour du spectacle : Rencontre Avec lâĂ©quipe artistique Mardi 17 avril 2012 Ă lâissue de la reprĂ©sentation
SOMMAIRE
1. Claude Pujade-Renaud
2. Celles qui savaientâŠ, recueil de poĂ©sie 3. Cinq femmes visionnaires de lâAntiquitĂ©
3.1. Cassandre 3.2. Oenone 3.3. Okyrrhoe 3.4. Jocaste 3.5. IsmĂšne
4. Le travail de la compagnie Le Turlupin
4.1. La compagnie thĂ©Ăątrale Le Turlupin 4.2. Note dâintention dâElvire Ienciu 4.3. Danser le texte 4.4. ScĂ©nographie 4.5. CrĂ©ation sonore 4.6. LumiĂšre
5. Pistes pédagogiques
1. Claude Pujade-Renaud Danseuse, chorĂ©graphe, professeur, Claude Pujade-Renaud a contribuĂ© Ă la diffusion de la danse moderne amĂ©ricaine en France. Un problĂšme de santĂ© la contraint Ă arrĂȘter la danse. Elle se consacre alors Ă lâĂ©criture et devient rĂ©dactrice en chef de Nouvelles Nouvelles, revue aujourdâhui disparue. Elle publie son premier roman, La Ventriloque, en 1978, aux Ă©ditions Des Femmes. Ses nouvelles et romans ont Ă©tĂ© distinguĂ©s par de nombreux prix littĂ©raires dont le Goncourt des lycĂ©ens pour Belle mĂšre en 1994 et le prix de lâEcrit intime pour Le Sas de lâabsence en 1998. En dĂ©cembre 2004, la SociĂ©tĂ© des gens de lettres lui a dĂ©cernĂ© le grand prix Poncetton pour lâensemble de son Ćuvre. Claude Pujade-Renaud vit Ă Paris. Elle a publiĂ© la quasi-totalitĂ© de son Ćuvre chez Actes Sud.
Portrait © John Folay - Opale
Claude Pujade-Renaud a publiĂ© une Ćuvre consĂ©quente. Ă la fois romanciĂšre et nouvelliste, elle a aussi publiĂ© quelques essais et deux recueils de poĂ©sie dont Celles qui savaient⊠(Actes sud, 2000). Les portraits de femmes dominent son Ćuvre. Chaque fiction, souvent inspirĂ©e de faits rĂ©els ou historiques, nous dĂ©peint des figures de femmes, leurs rĂ©sistances, leurs dĂ©terminations, leurs obstinationsâŠ
2. Celles qui savaientâŠ, recueil de poĂ©sie Cinq monologues de Femmes de lâAntiquitĂ©...
CASSANDRE, OENONE, OKYRRHOE, JOCASTE, ISMENE
Ces cinq femmes de lâAntiquitĂ© grecque ont en commun dâĂ©noncer des vĂ©ritĂ©s enfouies que les hommes ne veulent pas ou nâont pas voulu entendre. Entre poĂšme narratif, chant mythologique et monologue thĂ©Ăątral, par cinq soliloques elles opposent Ă la version officielle de leur ignorance lâintuition dâun savoir visionnaire, la discrĂšte et lucide perception dâune destinĂ©e collective soi-disant gouvernĂ©e par la seule action des dieux et des hommes. Une perception quâelles paieront au prix fort du silence et, comme la moitiĂ© du genre humain, par leur Ă©viction â combien durable â du champ politique... »
(4e de couverture, Ă©ditions Actes Sud)
Aussi sâopposent-elles Ă lâaveuglement des hommes, Ă leurs conventions, Ă leurs calculs ou encore Ă leur Ă©goĂŻsme. Dans une langue poĂ©tique et Ă©mouvante, Claude Pujade-Renaud, traverse et commente les destins de ces femmes visionnaires, en Ă©cho Ă celui de la femme contemporaine. 3. Cinq femmes visionnaires de lâAntiquitĂ©
3.1. Cassandre
a. PrĂ©ambule : dans la mythologie grecque, Cassandre (en grec ancien ÎαÏÏÎŹÎœÎŽÏα / KassĂĄndra) est la fille de Priam (roi de Troie) et d'HĂ©cube. Elle porte parfois le nom d'Alexandra en tant que sĆur de PĂąris-Alexandre. Elle reçut d'Apollon le don de prĂ©dire l'avenir, mais elle se refusa Ă lui, et le dieu dĂ©crĂ©ta que personne ne croirait Ă ses prĂ©dictions. Certaines sources en font Ă©galement la sĆur jumelle du devin HĂ©lĂ©nos.
UNE PREDICTION DE CASSANDRE Ă propos dâUlysse avant son dĂ©part sur le vaisseau dâAgamemnon
Le malheureux Ulysse ne prévoit pas tous les maux qui l'attendent. Les miens et
ceux des Phrygiens lui sembleront doux en comparaison. AprĂšs dix ans de travaux ajoutĂ©s Ă ceux qu'il a passĂ©s devant Troie, il reviendra seul dans sa patrie, s'il Ă©chappe au dangereux dĂ©troit qu'habite la terrible Charybde, au sauvage Cyclope qui se repaĂźt de chairs crues, Ă l'enchanteresse CircĂ©, qui change les hommes en pourceaux, aux naufrages de la mer orageuse, au fruit sĂ©duisant du lotos et aux bĆufs sacrĂ©s du Soleil, dont la chair mugissante le remplira d'effroi ; enfin il descendra vivant dans l'empire des morts, et n'Ă©chappera aux dangers de la mer que pour voir sa maison en proie Ă mille calamitĂ©s.
Mais Ă quoi bon raconter les aventures d'Ulysse? Pars, pour que je m'unisse au plus tĂŽt Ă mon Ă©poux. Tu auras une triste sĂ©pulture digne de toi, enveloppĂ©e des ombres de la nuit et dĂ©robĂ©e Ă la lumiĂšre du jour, gĂ©nĂ©ral des Grecs, qui te crois dans une si haute fortune. Et moi, mon corps sans vie, jetĂ© dans les vallĂ©es qu'arrosent les torrents, sera couchĂ© prĂšs du tombeau nuptial, et la prĂȘtresse d'Apollon servira de pĂąture aux animaux sauvages. Adieu, ĂŽ couronnes du dieu que j'ai chĂ©ri entre tous ; ornements prophĂ©tiques, adieu! J'abandonne les fĂȘtes qui faisaient mes plaisirs. Loin de mon corps pur et sans tache ces ornements inutiles; arrachĂ©s par mes mains, j'en livre les lambeaux aux vents rapides, pour qu'ils te les portent, ĂŽ dieu prophĂšte. OĂč est le vaisseau des Atrides? Sur lequel dois-je monter? EmpressĂ© d'ouvrir tes voiles aux vents favorables, emporte-moi au plus tĂŽt loin de cette terre commune des trois Furies. Adieu, ma mĂšre, arrĂȘte tes larmes. O chĂšre patrie, et vous mes frĂšres, habitants des enfers, et toi mon pĂšre, je 'vous rejoindrai bientĂŽt. Je viendrai victorieuse parmi les morts, aprĂšs avoir dĂ©truit la maison des Atrides-, auteurs de notre ruine.
Les Troyennes dâEuripide, vers 424-460)
b. Le mythe
- Avant la guerre : alors que sa mÚre est encore enceinte, Cassandre lui prédit que le fruit de sa chair causera la perte de Troie. Sa mÚre écartera donc Pùris de la ville si chÚre à ses yeux. Elle prévient ensuite son frÚre Pùris, à son retour, que son voyage à Sparte l'amÚnera à enlever HélÚne et causera ainsi la perte de Troie. Lorsque Pùris ramÚne HélÚne à Troie, elle [Cassandre] est la seule à prédire le malheur, les Troyens étant subjugués par sa beauté. Elle prédira également que le fameux cheval utilisé par les Grecs est un subterfuge qui conduira Troie à sa perte. Plus Cassandre voit l'avenir avec précision, moins on l'écoute. En transe, elle annonce des événements terribles dans un délire qui la fait passer pour folle. De ce fait, chacun la fuit. Elle répand aussi le malheur : les princes étrangers qui la courtisent, luttant aux cÎtés des Troyens, tombent sous le coup des guerriers grecs ; Cassandre est ainsi vouée à rester seule, elle ne se mariera pas.
- Ă la suite de la guerre : pendant que tous les soldats grecs envahissent la ville, Cassandre, qui s'Ă©tait rĂ©fugiĂ©e prĂšs du Palladium, est violĂ©e par Ajax le Petit alors mĂȘme qu'elle sâagrippait Ă la statue d'AthĂ©na.
Ajax le Petit arrachant de force Cassandre du Palladium auprÚs duquel elle s'était réfugiée, intérieur d'une coupe à figures rouges du Peintre de Codros, v. 440-430 av. J.-C., musée du Louvre
à la suite du drame, Cassandre est retrouvée par les Grecs qui décident de l'épargner à la demande d'Agamemnon, qui la trouve à son goût (voir texte encadré 1). Durant le voyage qui les ramÚne à MycÚnes, elle a de lui deux enfants, Télédamos et Pélops II. Rentré dans son royaume, il se fait assassiner par Egisthe, l'amant de sa femme Clytemnestre qui est furieuse de cette liaison et de l'immolation de sa fille Iphigénie. Elle poursuit Cassandre et l'assassine à son tour. Cassandre avait au préalable eu une vision de son meurtre et de celui d'Agamemnon, mais ce dernier n'avait pas voulu la croire. Elle meurt sans regrets, ayant assisté au massacre de sa famille.
3.2. Oenone
a. PrĂ©ambule : dans la mythologie grecque, Ćnone, fille du dieu fleuve CĂ©bren, est une nymphe.
Elle est la premiĂšre femme de PĂąris, Ă qui elle prĂ©dit qu'il serait blessĂ© au combat et qu'elle seule pourrait le soigner. PĂąris l'abandonne cependant pour Ă©pouser HĂ©lĂšne. Plus tard, lorsqu'il est blessĂ© pendant la guerre de Troie, il lui demande de l'aider, mais Ćnone refuse ou bien arrive trop tard pour le soigner, selon les versions.
Prise de remords, elle se suicide.
Ćnone tenant une flĂ»te de Pan, PĂąris et Ăros, dĂ©tail d'un sarcophage, Ćuvre romaine du IIe siĂšcle, Palais Altemps
b. Le mythe : Fille du dieu-fleuve Cébren, Oenone, était une Nymphe du mont Ida, prÚs de Troie, en Phrygie. Comme toutes les nymphes elle était fort belle mais de plus elle avait des dons appréciables.
Rhéa lui avait conféré le don de prophétie et Apollon qui l'avait courtisée sans succÚs, lui avait appris l'art de soigner avec des simples.
Pùris et Oenone d'aprÚs Jacob de Wit Pùris suppliant Oenone de le guérir d'aprÚs Henri Justice Ford
Alexandre (PĂąris) beau jeune homme, gardait le troupeau de moutons de son pĂšre adoptif. Lorsqu'il vit la jolie nymphe il en tomba follement amoureux, enleva Oenone Ă son pĂšre, lâemmena sur lâIda oĂč se trouvaient ses Ă©tables, et la prit pour Ă©pouse. Il se montrait trĂšs affectueux Ă son Ă©gard, et lui jurait que jamais il ne la laisserait, et quâil lâhonorerait toujours plus. Alors elle lui expliquait que mĂȘme s'il l'aimait trĂšs fort, viendrait le jour oĂč il l'abandonnerait pour s'enfuir avec une Ă©trangĂšre qui serait la cause d'une effroyable guerre pendant laquelle il serait gravement blessĂ©. Personne dâautre quâelle ne serait alors capable de le guĂ©rir. Mais il ne l'Ă©coutait pas et prĂ©fĂ©rait lui clore la bouche d'un baiser. Le temps passa. Lors de sa participation aux jeux funestes, PĂąris fut reconnu par sa famille et Ă partir de lĂ les prĂ©dictions d'Oenone se rĂ©alisĂšrent. Il tomba amoureux HĂ©lĂšne qu'il enleva et l'Ă©pousa puis il dut participer Ă la guerre de Troie.
Oenone pleine de rancoeur retourna chez son pÚre pour élever le fils qu'elle avait eu d'Alexandre. Puis Pùris fut blessé, exactement comme l'avait prévu Oenone, par une flÚche d'HéraclÚs que lui décocha PhiloctÚte. Il fut amené devant Podalirios qui se déclara incapable de soigner la blessure empoisonnée. Alors il se souvint des paroles de sa premiÚre épouse. IL alla voir Oenone, la Nymphe refusa de le soigner. Puis, prise de remords tardifs, elle partit pour Troie avec tous ses remÚdes mais arriva trop tard pour le sauver. De désespoir elle se suicida.
3.3. Okyrrhoe
a. PrĂ©ambule : dans la mythologie grecque, OcyrhoĂ© (en grec ancien ᜚ÎșÏ Ï(Ï)Ïη / Ăkur(r)hoĂȘ, « courant rapide ») est la fille du centaure Chiron et de Chariclo. Son histoire n'est attestĂ©e que dans les MĂ©tamorphoses d'Ovide. Son nom lui aurait Ă©tĂ© donnĂ© par sa mĂšre, parce qu'elle la met au monde au bord d'un fleuve tumultueux. Elle possĂšde en outre, Ă sa naissance, le don de prophĂ©tie tout comme sa mĂšre.
b. Le mythe : un jour quâelle se rend Ă la caverne de son pĂšre et le trouve en compagnie d'AsclĂ©pios encore enfant, Elle prĂ©dit au jeune dieu son destin, lui rĂ©vĂ©lant qu'il aura le pouvoir de ressusciter les mortels mais qu'il provoquera, en l'utilisant, le courroux de Zeus par qui il sera foudroyĂ©, avant de connaĂźtre une nouvelle existence. Elle rĂ©vĂšle aussi Ă Chiron qu'il perdra son immortalitĂ©, pour ne pas souffrir Ă©ternellement par le poison de l'Hydre. Cela le fĂącha, ainsi que Zeus.
Comme elle s'apprĂȘte Ă en dire davantage, elle est changĂ©e en jument par la « colĂšre divine », en punition de son indiscrĂ©tion. Cette mĂ©tamorphose constituait Ă©galement le sujet d'une tragĂ©die perdue d'Euripide.
Les PrĂ©dictions dâOcyrhoĂ©
OcyrhoĂ©, C hiron et Esculape Cependant le Centaure s'applaudissait d'ĂȘtre le prĂ©cepteur d'un rejeton des dieux ; et l'honneur de son emploi semblait en adoucir les peines. Un jour il vit venir sa fille aux cheveux blonds, flottant Ă©pars sur ses Ă©paules. La nymphe Chariclo lui donna le jour sur les bords d'un fleuve rapide, et la nomma OcyrhoĂ©. C'Ă©tait peu pour elle d'avoir appris les secrets de son pĂšre. Elle connaissait aussi l'art de lire dans le livre obscur des Destins. En ce moment, agitĂ©e de fureurs prophĂ©tiques, et pleine du dieu qui l'inspirait sans doute : "Crois, merveilleux enfant, s'Ă©cria-t-elle en fixant le nourrisson de son pĂšre, crois pour le salut du monde. Souvent les mortels te seront redevables de la vie. Ton pouvoir ira mĂȘme jusqu'Ă les rendre au jour qu'ils auront perdu. Mais les dieux seront jaloux de te voir opĂ©rer ce prodige, et la foudre de ton aĂŻeul t'empĂȘchera de le renouveler. Tout dieu que tu es, tu mourras. Tu ne seras plus qu'un corps inanimĂ© ; mais, dans la suite, reprenant ton immortalitĂ©, tu redeviendras dieu ; et tu renouvelleras ainsi deux fois ta destinĂ©e. Et vous aussi, mon pĂšre, vous que je chĂ©ris, et qui, par la loi de votre naissance, devez voir des siĂšcles la succession Ă©ternelle, vous regretterez de ne pouvoir mourir, alors que tous les poisons de l'hydre, circulant dans vos veines, vous feront souffrir d'horribles douleurs. Mais les dieux attendris vous soumettront Ă la loi des mortels, et les triples dĂ©itĂ©s couperont le fil de vos jours." [655] Il lui restait encore d'autres Ă©vĂ©nements Ă prĂ©dire. De profonds gĂ©missements s'Ă©chappent de son sein ; les pleurs inondent son visage ; elle s'Ă©crie : "Le Destin me prĂ©vient et m'arrĂȘte ; il m'interdit l'usage de la voix. Ătais-je donc assez avancĂ©e dans les secrets des dieux, pour exciter leur haine et leur vengeance ? Ah ! qu'il m'eĂ»t Ă©tĂ© plus utile d'ignorer l'art de lire dans l'avenir ! DĂ©jĂ je sens s'Ă©vanouir les traits de ma figure. DĂ©jĂ l'herbe me plaĂźt pour aliment. Un mouvement inconnu m'entraĂźne dans les campagnes. En cavale changĂ©e, je participe de la nature de mon pĂšre ; mais pourquoi la mĂ©tamorphose est-elle entiĂšre ? et pourquoi deviens-je tout Ă fait ce que mon pĂšre n'est qu'Ă demi ?" Telles sont ses plaintes, dont la fin s'exhale en sons inarticulĂ©s et confus. BientĂŽt ce n'est plus la voix d'une femme ; ce n'est pas encore le cri de la cavale, mais la voix d'un homme qui voudrait imiter ce cri. Un instant aprĂšs, ce sont de vĂ©ritables hennissements. Les bras d'OcyrhoĂ© s'agitent sur l'herbe, ses doigts se resserrent, ses ongles s'unissent sous une corne lĂ©gĂšre ; sa bouche s'agrandit, son col s'allonge ; l'extrĂ©mitĂ© de sa robe devient une queue flottante ; ses cheveux Ă©pars ne sont qu'une Ă©paisse criniĂšre. Sa forme et sa voix Ă©taient changĂ©es, et ce prodige fit aussi changer son nom.
Les mĂ©tamorphoses dâOvide, livre II, 633-675
3.4. Jocaste
Dans la mythologie grecque, Jocaste, Iocaste (en grec ancien áŒžÎżÎșÎŹÏÏη / IokĂĄstĂȘ) ou Ăpicaste (áŒÏÎčÎșÎŹÏÏη / EpikĂĄstĂȘ) dans lâOdyssĂ©e, fille de MĂ©nĂ©cĂ©e et sĆur de CrĂ©on, est l'Ă©pouse de LaĂŻos puis de son propre fils, Ćdipe, de qui elle aura quatre enfants, deux garçons (ĂtĂ©ocle et Polynice) et deux filles (Antigone et IsmĂšne). Elle se pend lorsqu'elle apprend la vĂ©ritĂ©
des liens l'unissant Ă Ćdipe. Jocaste apparaĂźt toujours au second plan dans les mythes comme dans les tragĂ©dies grecques. Deux piĂšces conservĂ©es la mettent en scĂšne en tant que personnage : lâĆdipe roi de Sophocle et Les PhĂ©niciennes d'Euripide.
Les intuitions de Jocaste OEDIPE. -- Tu sais, femme : l'homme que tout Ă l'heure nous dĂ©sirions voir et celui dont il parle... JOCASTE. - Et n'importe de qui il parle ! N'en aie nul souci. De tout ce qu'on t'a dit, va, ne conserve mĂȘme aucun souvenir. A quoi bon ! OEDIPE. - Impossible. J'ai dĂ©jĂ saisi trop d'indices pour renoncer dĂ©sormais Ă Ă©claircir mon origine. JOCASTE. - Non, par les dieux ! Si tu tiens Ă la vie, non, n'y songe plus. C'est assez que je souffre, moi. OEDIPE. -- Ne crains donc rien. Va, quand je me rĂ©vĂ©lerais et fils et petit-fils d'esclaves, tu ne serais pas, toi, une vilaine pour cela. JOCASTE. - ArrĂȘte-toi pourtant, crois-moi, je t'en conjure. OEDIPE. - Je ne te croirai pas, je veux savoir le vrai. JOCASTE. - Je sais ce que je dis. Va, mon avis est bon. OEDIPE. - Eh bien ! Tes bons avis m'exaspĂšrent Ă la fin. JOCASTE. - Ah ! Puisses-tu jamais n'apprendre qui tu es ! OEDIPE. - N'ira-t-on pas enfin me chercher ce bouvier ? Laissons-la se vanter de son riche lignage. JOCASTE. - Malheureux ! Malheureux ! Oui, c'est lĂ le seul nom dont je peux t'appeler. Tu n'en auras jamais un autre de ma bouche. Elle rentre, Ă©perdue, dans le palais.
Oedipe roi de Sophocle
3.5. IsmĂšne
Tydée et IsmÚne, amphore corinthienne à figures noires, v. 560 av. J.-C., musée du Louvre
Dans la mythologie grecque, IsmĂšne (en grec ancien ጞÏÎŒÎźÎœÎ· / IsmáșżnĂȘ) est la fille incestueuse d'Ćdipe et de Jocaste et la petite-fille de LaĂŻos et Jocaste. Elle est la sĆur d'ĂtĂ©ocle, de Polynice, et d'Antigone. Mythe
AprĂšs le dĂ©part dâĆdipe, ĂtĂ©ocle et Polynice devaient rĂ©gner sur ThĂšbes un an chacun Ă tour de rĂŽle. Mais EtĂ©ocle voulait la place pour lui seul. Sept grands princes Ă©trangers que Polynice avait gagnĂ©s Ă sa cause furent dĂ©faits devant les sept portes de ThĂšbes. Les deux frĂšres ennemis s'entre-tuĂšrent sous les murs de la ville. CrĂ©on, leur oncle et nouveau roi, ordonna qu'Ă ĂtĂ©ocle, le bon frĂšre, il serait fait d'imposantes funĂ©railles, mais que Polynice, le vaurien, le rĂ©voltĂ©, le voyou, serait laissĂ© sans pleurs et sans sĂ©pulture, la proie des corbeaux et des chacals. Quiconque oserait lui rendre les devoirs funĂšbres serait impitoyablement puni de mort.
Ă la diffĂ©rence de sa sĆur Antigone, IsmĂšne n'a pas le courage de braver l'ordre impie de CrĂ©on. Mais quand Antigone est condamnĂ©e Ă mort par CrĂ©on, prise peut-ĂȘtre de remords, IsmĂšne veut partager son sort. Elle se heurte cependant au refus de sa sĆur.
Dans les Ćuvres de Sophocle, il y a une opposition rĂ©currente entre les deux sĆurs Antigone/IsmĂšne. Si Antigone reprĂ©sente la libertĂ© et le primat de l'individu sur la sociĂ©tĂ©, en revanche IsmĂšne reprĂ©sente le respect de l'autoritĂ©. Elle ne dĂ©sobĂ©it pas Ă la loi de la citĂ© et se soumet au fatum. Contrairement aux hĂ©roĂŻnes tragiques, elle s'efface et ne dĂ©fie pas le destin.
Une rĂ©Ă©criture dâAntigone par un auteur moderne ISMĂNE, est entrĂ©e, appelant. Antigone !⊠Ah !, tu es lĂ ! ANTIGONE, sans bouger. Oui, je suis lĂ . ISMĂNE. Je ne peux pas dormir. J'avais peur que tu sortes, et que tu tentes de l'enterrer malgrĂ© le jour. Antigone, ma petite sĆur, nous sommes tous lĂ , autour de toi, HĂ©mon, nounou et moi, et Douce, ta chienne Nous t'aimons et nous sommes vivants, nous, nous avons besoin de toi. Polynice est mort et il ne t'aimait pas. Il a toujours Ă©tĂ© un Ă©tranger pour nous, un mauvais frĂšre. Oublie-le, Antigone, comme il nous avait oubliĂ©es. Laisse son ombre dure errer Ă©ternellement sans sĂ©pulture, puisque c'est la loi de CrĂ©on. Ne tente pas ce qui est au-dessus de tes forces. Tu braves tout toujours, mais tu es toute petite, Antigone. Reste avec nous, ne va pas lĂ -bas cette nuit, je t'en supplie.
Antigone de Jean Anouilh
4. Le travail de la Compagnie Le Turlupin
4.1. La compagnie théùtrale Le Turlupin
a. Elvire Ienciu : comĂ©dienne et metteuse en scĂšne. Avant dâarriver en Bourgogne en 1989, Elvire Ienciu pratique, Ă Paris, le thĂ©Ăątre, lâacrobatie et la danse. Ses rencontres en RĂ©gion Grand Est ont replacĂ© ses centres dâintĂ©rĂȘts au cĆur de la littĂ©rature. Elle a participĂ©, en tant que metteur en scĂšne, ou comme comĂ©dienne Ă plusieurs spectacles en direction du jeune public. Elle crĂ©e la Cie Le Turlupin en 1994, Ă Auxonne. Dans Celles qui savaientâŠ, elle est Ă la fois metteuse en scĂšne et interprĂšte.
b. Vincent Lebegue : musicien, compositeur et ingĂ©nieur du son. Vincent LebĂšgue joue de la flĂ»te traversiĂšre depuis 30 ans, pratique les percussions, se plait Ă fabriquer toutes sortes dâinstruments et chante. Il a participĂ© en tant que flutiste Ă deux crĂ©ations avec Eric Ferrand : Suite et actuellement Oedipe.
Photo réalisée au Nouveau Relax à Chaumont
c. Téo Fdida : chorégraphe
De formation classique et contemporaine, ces vingt derniĂšres annĂ©es TĂ©o Fdida a Ă©tĂ© danseur au Centre ChorĂ©graphique Nationale de Bourgogne. Il danse lors dâexpĂ©riences plus brĂšves, pour la publicitĂ©, la mode et la tĂ©lĂ©vision. Il fonde sa compagnie, crĂ©e diffĂ©rentes piĂšces chorĂ©graphiques.
d. Jean-Jacques Ignart : crĂ©ateur lumiĂšre et rĂ©gisseur Il a travaillĂ© avec de nombreuses compagnies de thĂ©Ăątre de la rĂ©gion. Il conçoit les lumiĂšres pour les concerts dâYves Jamait (chanson française) et sâinitie aux nouvelles technologies des projecteurs asservis.
4.2. La note dâintention dâElvire Ienciu « CASSANDRE, OENONE, OKYRRHOE, JOCASTE, ISMENE » PlutĂŽt que de demander Ă cinq femmes de porter chacune un monologue, je me propose dâĂ©clairer ce qui relie ces personnages par une voix unique. Il ne sâagit pas dâinterprĂ©ter mais de porter la parole de chacune. 5 femmes de lâAntiquitĂ©, 5 figures canoniques inspirĂ©es de la mythologie grecque, 5 monologues contemporains. Toutes les 5 sont des femmes visionnaires. Elles Ă©noncent toutes des vĂ©ritĂ©s qui ne sont pas entendues. Ce recueil les rĂ©unit. 5 femmes : Une vierge, Une femme trahie, Une adolescente mĂ©tamorphosĂ©e, Une mĂšre incestueuse, Une jeune femme enceinte ; Chacune Ă une Ă©tape diffĂ©rente de la vie. Les deux premiĂšres Cassandre et Oenone prĂ©disent la guerre de Troie et « son cortĂšge dâĂ©pouvante » mais les hommes nâĂ©coutent pas leur mise en garde. OkyrrhoĂ©e (OcyrhoĂ©e dans les MĂ©tamorphoses dâOvide) annonce le destin du fils dâApollon, AsklĂ©pios, la mort de son propre pĂšre le centaure Chiron, pourtant immortel, et lâerrance de son frĂšre TirĂ©sias, aveugle guidĂ© par sa fille ; analogie de lâerrance dâOEdipe. Les dieux la punissent lui ĂŽtant la parole en la transformant en cheval. Les deux derniĂšres, la mĂšre et la fille. Jocaste, mĂšre incestueuse sait lâinterdit, sait quâelle rĂ©alise lâoracle de Delphes. IsmĂšne, la petite derniĂšre « sait obscurĂ©ment », son prĂ©nom signifie «nous savons ». Elle, choisit dâĂ©teindre la lignĂ©e des Labdacides, de mettre fin Ă la tragĂ©die de cette famille maudite et par son suicide efface le nom.
4.3. Danser le texte
Les cinq monologues portent un rythme donnant le sentiment de mouvements. Il y a dans ce recueil un travail de forme littĂ©raire important... Chaque monologue a sa forme, son mouvement, son rythme, son propre souffle ; correspondant Ă chacune de ces femmes. Ces figures fĂ©minines sont toutes en filiation plus ou moins directe avec une divinitĂ©. Le rapport au geste dansĂ© permettra dâĂ©voquer lâailleurs, le mystĂšre. Toutes ces formes et femmes se rejoignent dans la tragĂ©die. Une spirale descendante vers lâinĂ©luctable.
4.4. Scénographie
Un grand vĂ©lum Ă©cru posĂ© sur un tapis de danse noir, se dĂ©plie, sâouvre telle la page blanche. Suivant lâĂ©volution des personnages, il se froisse, se dĂ©ploie, sâenroule, devient partenaire de jeu. Tour Ă tour, il Ă©voque, lâonde, le paysage, le drap, le voile, le linceul, lâenfermement, la citĂ©... Il faut noter lâimportance de la lumiĂšre dans la transformation de lâespace : transparence, ombres projetĂ©es, pĂ©nombres, isolements, centrages, effets dâeau et de nuages.
4.5. Création Sonore
La musique est comme un lien entre les diffĂ©rents personnages, Ă©volutive. FlĂ»te, percussions, et voix deviennent matĂ©riaux pour les transformations techniques. La prĂ©sence du musicien sur le plateau permet transformations et traitements en direct. Pendant le spectacle, il apparait et disparait. «Dans une approche au plus prĂšs du corps, jâai voulu une musique qui soit en interaction constante avec la comĂ©dienne danseuse et qui ne soit pas le carcan que constituerait pour elle une bande-son Ă©crite et enregistrĂ©e dĂ©finitivement. Le dispositif a donc Ă©tĂ© articulĂ© autour dâun seul intervenant, placĂ© sur le plateau, jouant deux instruments dans une semi-improvisation. Un instrument acoustique, la flĂ»te, sans doute le plus vieil instrument de lâhistoire pour faire Ă©cho Ă la syrinx de Pan et, au delĂ de lâanecdote, une voix gracieuse et fine pour moduler les mouvements et les paroles de ces femmes, et un instrument Ă©lectronique contenu dans un ordinateur afin de traiter progressivement les sons du plateau (flĂ»te et voix) captĂ©s par un microphone, pour marquer lâĂ©volution de la dramaturgie. La musique Ă©volue ainsi vers une forme plus Ă©lectronique et dense, en alternant les rendez-vous Ă©crits Ă des phases dâimprovisations et de dialogues avec la comĂ©dienne-danseuse. » (Vincent LebĂšgue)
4.6. LumiĂšre
« Jâai imaginĂ© la lumiĂšre comme un livre dont on tourne les pages, qui ouvre et ferme chaque chapitre. Dans un espace thĂ©Ăątral contemporain vide, en dessinant avec la lumiĂšre un lieu antique fait de colonnes grecques, jâai âprojetĂ©â de tirer un fil entre le prĂ©sent et le passĂ©. Cet espace lumiĂšre apparaissant et disparaissant Ă mesure du rĂ©cit, ponctue ces paroles de femmes qui traversent les siĂšcles jusquâĂ nous. Dans chaque chapitre, la lumiĂšre par ses effets, plonge chaque personnage dans le prĂ©sent de sa tragĂ©die et de son inĂ©luctable destinĂ©e. Tour Ă tour le ciel est inversĂ©, la forĂȘt sâefface pour la pĂ©nombre, lâeau de la source devient glauque... Et par ce cheminement, nous nous immergeons alors avec elle. » (Jean-Jacques Ignart)
Pistes pédagogiques
PrĂ©monitions, ProphĂ©ties ? Quel sens dans notre monde moderne ? La marche du monde nâest pas modifiĂ©e par la connaissance des pĂ©rils encourus. Aujourdâhui encore, leur prĂ©diction ne modifie pas toujours les actes et les comportements humains. Quelle est la propension des hommes Ă ne pas Ă©couter ce qui se sait, ce quâils pourraient entendre ? Devant la tragĂ©die, quelle part de connaissance tout un chacun possĂšde-t-il ? Dans Celles qui savaient, les femmes pressentent, savent, disent ce qui nâa pas Ă©tĂ© entendu. Elles tĂ©moignent. Elles se dĂ©voilent, et lâabsence dâĂ©coute a Ă©tĂ© comme un voile quâon leur aurait fait porter. Quel poids est donnĂ© Ă la parole des femmes ? Et pourquoi les fait-on taire ici ou ailleurs ? Qui peut prĂ©tendre ne jamais avoir souffert dâune absence dâĂ©coute ? Pour ĂȘtre entendu? Sâagit-il uniquement dâĂȘtre Ă la bonne place ? A vous de rĂ©flĂ©chirâŠ
Sources et éléments bibliographiques
Les documents réunis dans ce dossier proviennent de : -
- Claude Pujade-Renaud, Celles qui savaient, Actes sud, 2000. - Celles qui savaient, Compagnie Le Turlupin, dossier de présentation - Cassandre, Oenone, Okyrrhoe, Jocaste, IsmÚne, articles de Wikipédia consultables sur
le site : http://fr.wikipedia.org/wiki/ - Claude Pujade-Renaud, biographie proposée par Actes sud (extrait) :
http://www.actes-sud.fr/contributeurs/pujade-renaud-claude