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Presses Universitaires du Mirail Présentation: Chanter le bandit en Amérique latine. «Seja marginal, seja héroi » Author(s): Enrique FLORES and Jacques GILARD Source: Caravelle (1988-), No. 88, Chanter le bandit. Ballades et complaintes d'Amérique latine (juin 2007), pp. 7-10 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40854325 . Accessed: 14/06/2014 19:27 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.107 on Sat, 14 Jun 2014 19:27:41 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Chanter le bandit. Ballades et complaintes d'Amérique latine || Présentation: Chanter le bandit en Amérique latine. « Seja marginal, seja héroi »

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Présentation: Chanter le bandit en Amérique latine. «Seja marginal, seja héroi »Author(s): Enrique FLORES and Jacques GILARDSource: Caravelle (1988-), No. 88, Chanter le bandit. Ballades et complaintes d'Amérique latine(juin 2007), pp. 7-10Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40854325 .

Accessed: 14/06/2014 19:27

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GM.H.LB. Caravelle n° 88, p. 7-10, Toulouse, 2007

Présentation

Chanter le bandit en Amérique latine. « Seja marginal seja héroi »

Enrique FLORES Universidad Nacional Autónoma de México

Jacques GILARD Université de Toulouse-Le Mirail

II est malaisé de condenser dans un titre la réalité latino-américaine très particulière qu'aborde le présent dossier de Caravelle : « Chanter le bandit. Ballades et complaintes d'Amérique latine ». Cette réalité n'est pas spécialement rétive, mais le lexique français a du mal à la nommer, et le titre retenu semblera décalé par rapport à ce qu'il prétend traiter : question de genres, insoluble dans le passage d'une langue à l'autre. Pourtant, le réfèrent premier, le(s) bandit(s) de l'espace compris entre les anciens territoires mexicains du nord du Rio Bravo et la Terre de Feu, est familier à quiconque participe de la culture occidentale. Le réfèrent ou plutôt sa représentation, celle qui s'incarne dans le chant populaire et finit par valoir réalité. C'est elle qui intéresse ici, sous ses diverses modalités : Eric Hobsbawm n'a-t-il pas étudié le bandit à travers ce qui fut chanté plutôt qu'à travers le document d'archives ? Même protéiforme, le bandit ne fait pas vraiment problème, mais les chants latino-américains qui l'évoquent désarçonnent les mots venus du dehors.

Dans la culture française, la ballade est d'abord le poème médiéval d'essence lyrique, alors que c'est un chant narratif qui importe ici. La ballade narrative est une notion anglo-saxonne (le sens a changé dans l'usage qu'ont fait du mot les Britanniques) adoptée par le romantisme français pour désigner une poésie aux textes courts et à tonalité épique, mais aussi ce que l'on pourrait tout aussi bien appeler chansonnette. Un argument pour utiliser tout de même l'idée de ballade narrative, épique : avec l'énorme capital de leurs romances, les Espagnols admettent

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que ce genre, leur genre, s'inscrit dans la tradition européenne de la ballade. On s'en tiendra donc ici à ballade, en laissant de côté le trop ancien et trop vieilli cantitène.

L'idée de la complainte présente la difficulté inverse. Si balhde n'est pas assez français, complainte le serait trop. La chanson triste que le mot désigne correspond grosso modo à la tonalité des chants qui, en Amérique latine, évoquent des bandits morts ou des morts de bandits. Mais compkinte, qui n'a pas d'équivalent exact dans les langues espagnole {endecha serait « à côté ») et portugaise, d'Europe et d'Amérique, projette sur un univers autre des connotations trop françaises.

Ainsi reste-t-on dans l'approximatif. L'idée de ballade, au sens où l'entendent Anglo-saxons et Espagnols, recouvre les récits chantés de vies entières - mort comprise, souvent -, où l'exploit héroïque est motif central. Généreux ou odieux, le bandit est programmé pour mourir jeune de mort violente, fait objectif propre à stimuler les imaginaires et susciter le chant. Aussi la mort est-elle un thème insistant, et parfois le motif essentiel : l'idée d'une modalité latino-américaine de la complainte est acceptable dans de tels cas. Ballade et complainte, célébration et déploration, souvent réunies et parfois distinctes, rendent compte de destins qui, s'ils brillent d'un grand éclat aux yeux des cantores et de leur public, n'en sont pas moins tragiques dans leur issue.

***

Eric Hobsbawm a publié Les bandits en 1969, dix ans après avoir abordé le thème avec Les primitifs de L· révolte dans l'Europe moderne. Ces ouvrages admirables de bien des façons semblent aujourd'hui obsolètes. Non que le banditisme ait disparu sous l'inévitable poussée de la conscience historique : maintenant plus que jamais, le crime est l'expression par excellence de la guerre sociale, de la barbarie économique et de l'anarchie politique. C'est ce qu'exprime, du moins, l'écrivain et cinéaste Arnaldo Jabor avec une interview apocryphe1 dans laquelle Marcola, chef du PCC brésilien - Primer Comando de L· Capital, avant-garde non du prolétariat mais des classes criminelles paulistas-, expose lucidement la «vision historique »

qui les inspire :

Eu sou um sinal de novos tempos. Eu era pobre e invisível... vocês nunca me olharam durante décadas... Ε antigamente era mole resolver o problema da miséria [...]. Que fizeram? Nada [...]. Agora, estamos ricos com a multinacional do pó. Ε vocês estão morrendo de medo... Nós somos o início tardio de vossa consciência social... Viu? Sou culto. Leio Dante na prisão...

« Solution ? », demande Marcola. « Pas de solution, mon frère... L'idée même de solution est déjà une erreur. » Et il ajoute : « Vous avez vu l'étendue des 560 favelas de Rio ? Vous avez survolé en hélicoptère la banlieue de São Paulo ? » II faudrait des millions et une mutation psychosociale profonde dans la structure sociopolitique. « Autrement dit : impossible. Il n'y a pas de solution. » Chants, croyances et rituels (aspects que Hobsbawm interprète sous un angle historiciste et romantique, presque jamais textuel ou proprement poétique) resurgissent associés aux bandits et criminels de notre temps - représentations clandestines de

1 « Entrevista dada ao jornal O Globo por Marcola, o líder do PCC ». Cette interview a circulé abondamment sur internet comme conversation authentique et peut être consultée dans de nombreuses pages en portugais et espagnol.

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transgressions et d'illégalités. Une fois l'idéologie morte, régnent la peur, l'instinct de mort, les prémonitions infernales :

Você é que tem medo de morrer, eu não. Aliás, aqui na cadeai vocês não podem entrar e me matar... Mas eu posso matar vocês lá fora. nós somos homes-bomba. Na favela tem cem mil-homens-bomba... Estamos no centro do Insolúvel, mesmo... Já somos uma outra espécie, já somos outros bichos, diferentes de vocês. A morte para vocês é um drama cristão numa cama, no ataque do coração... A morte para nós é o presunto diário, desovado numa vala... Vocês intelectuais não falavam em luta de classes, em Seja marginal, seja herói? Pois é: chegamos, somos nós! Vocês nunca esperavam esses guerreiros do pó, né?

Seja marginal seja herói était le slogan d'une célèbre affiche de l'artiste néoconcret Hélio Oiticica, dédiée en 1968 à Cara de Cavah, « le dernier bandit romantique » qui, comme Robin des Bois et les « bandits sociaux » de Hobsbawm, volait aux riches pour donner aux pauvres, assassiné à 23 ans dans la favela de l'Esqueleto, après une chasse implacable menée quatre mois durant, de mai à août 1964, par deux mille policiers, avec plus de cent impacts de balle, dont vingt-cinq dans la seule région de l'estomac. Plus qu'un poème, l'hommage d'Hélio Oiticica2 était une image-poème, un protest-pohme, qui représentait pour lui un « moment éthique », une « attitude anarchique », un chant à la « révolte individuelle sociale », une vision du crime comme « quête désespérée du bonheur authentique ». C'est la vision de Marcola quand il mentionne Dante et annonce une « mutation » sociale et un « nouveau langage » :

Meus soldados são estranhas anomalias do desenvolvimento torto desse país. Não há mais proletários, ou infelizes ou explorados. Há uma terceira coisa crescendo aí fora, cultivado na lama, se educando no absoluto analfabetismo, se diplomando nas cadeias, como um monstro Alien escondido nas brechas da cidade. Já surgiu uma nova linguagem [...]. É outra língua. Estamos diante de uma espécie de pós-miséria. Isso. A pós-miséria gera uma nova cultura assassina, ajudada pela tecnologia, satélites, celulares, internet, armas modernas. É a merda com chips, com megabytes. Meus comandados são uma mutação da espécie social, são fungos de um grande erro sujo.

Avec ses méthodes calquées sur les guérillas urbaines et les bandes terroristes des années 70 et 80, le PCC inverse la logique inlassablement postulée par Hobsbawm : la transformation de la « révolte primitive » en conscience et organisation de classe. Bien que Hobsbawm n'en dise rien, les chants de bandits relèvent de cet univers primitif et rebelle qui attire et repousse l'historien et qui a imposé sa logique violente et impitoyable par-dessus l'idée de Révolution. Ce sont des chants primitifs, des chants rituels - offerts comme des ex-voto (les cas de Jesus Malverde et du gauchito Gil), changés en fétiches ou en amulettes et transférés en enfer (comme Ventrée de Lampião en enfer). C'est comme tels, comme chants, qu'ils doivent être écoutés (pour en finir avec l'absence d'une « poétique » dans les chants de bandits). Chants que l'on chante à nouveau et qui, comme les narcocorridos (qui ont pris, au Mexique, la place des vieux corridos de la Révolution), réveillent les interdictions et condamnations que suscitaient les anciens romances de bandoleros

2 Cf. le catalogue de l'exposition Whitechapel Experience, d'abord publié à Londres en 1969 et réédité par la préfecture de Rio de Janeiro en 1996. Egalement consultable sur internet.

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- comme celles de don Agustín Durán,3 pour qui ces chants populaires étaient de graves symptômes de la « dégénérescence » de la populace, des délires et des « égarements de la raison », de Γ« anarchie » et du « communisme » :

Este y los demás nombres que le siguen son de bandoleros y sugetos célebres por su arrojo y costumbres desaforadas [...]. A tal punto de degradación había llegado aquel pueblo libre, fiero y caballeroso, que en tiempos anteriores solo oia y can taba el heroísmo del Cid y otros célebres capitanes. El pufial, el trabuco y la pistola traidores habían substituído a Ias preciadas lanzas dei Cid [...]..

Todos ellos son el ejemplo vivo de los extravios de Ia razón [...]. Todos ellos aparecen como el desaguadero que tomo el pueblo para vengarse y reírse de Ia autoridad despótica que le privaba de otros médios de desahogo [...]. El contrabandista, el ladrón, el asesino, que rompia con la sociedad, rompia también con la autoridad sierva del poder, y cuando se burlaba y asesinaba a punaladas o a trabucazos a los agentes del gobierno, el vulgo se consideraba vengado, y cantaba tan inmorales hechos como triunfos obtenidos contra un enemigo [...]. ,;Cómo, si no, puede explicarse el vértigo que sobrecogió todas las cabezas?

De ce « vertige », de ces « égarements de la raison » (impossible de ne pas penser aux tableaux de bandits de Goya), il faut rapprocher en notre temps les chants de bandits. La geste de Lampião dans l'au-delà, en enfer. Bandits saints, narcos, révolutionnaires. La mythologie et la folie. L'exemple et la transgression. Violences, crimes et châtiments. H y a, dans les chants de bandits, un aspect « primitif» que nous pouvons sauver de l'oubli - et ce n'est pas sans raison qu'en inventant l'ethnopoétique, Jerome Rothenberg a placé les chants de fous et de bandits à côté des chants tribaux. Comme le dit Marcola en conclusion de la fausse interview de Jabor, il n'y a pas place pour l'espoir. Ne sont possibles que la désespérance, la descente infernale, « l'ici et le maintenant de la mort » :

Vocês só podem chegar a algum sucesso se desistirem de defender a «normalidade». Não há mais normalidade alguma [...]. Estamos todos no centro do Insolúvel. Só que nós vivemos dele e vocês... não têm saída. Só a merda. Ε nós já trabalhamos dentro dela. Olha aqui, mano, não há solução. Sabem por quê? Porque vocês não entendem nem a extensão do problema. Como escreveu o divino Dante: «Lasciate ogni speranza voi ehe entrate!»

* * *

3 Agustín Durán, Romancero general, vol. Il, «Romancero de romances vulgares», p. 365, 383 et 389.

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