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Chapitre 4 Droit de vivre en famille Chapitre 4 Droit de vivre en famille De plus en plus de personnes vivent une vie de famille qui se déroule dans différents pays. C’est une conséquence logique de la migration. Dans ce chapitre, Myria analyse les changements législatifs belges et une partie de la jurisprudence sur le regroupement familial, et leur conformité avec le droit de vivre en famille. Dans un premier temps, il analyse les chiffres sur les visas pour regroupement familial de 2015 (qui sont plus élevés qu’en 2014) et ceux sur les titres de séjour sur base de regroupement familial délivrés en 2014 (dont un peu plus de la moitié sont délivrés à des membres de famille de citoyens de l’UE).

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Chapitre 4 Droit de vivre en famille

Chapitre 4 Droit de vivre en famille

De plus en plus de personnes vivent une vie de famille qui se déroule dans différents pays. C’est une conséquence logique de la migration. Dans ce chapitre, Myria analyse les changements législatifs belges et une partie de la jurisprudence sur le regroupement familial, et leur conformité avec le droit de vivre en famille. Dans un premier temps, il analyse les chiffres sur les visas pour regroupement familial de 2015 (qui sont plus élevés qu’en 2014) et ceux sur les titres de séjour sur base de regroupement familial délivrés en 2014 (dont un peu plus de la moitié sont délivrés à des membres de famille de citoyens de l’UE).

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134 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

1. CHIFFRES

1.1. | Le regroupement familial à partir de différentes sources de données

Le regroupement familial peut être étudié à partir de deux sources de données principales : les données relatives aux décisions sur les visas d’une part (2), et les données sur la délivrance des titres de séjour d’autre part (3). Si elles se recoupent en partie, ces deux bases de données ne portent pas exactement sur les mêmes individus294. 295

Tableau 11. Synthèse comparative des données utilisées pour étudier le regroupement familial en Belgique

Visas long séjour (visas D) dans le cadre du regroupement familial

Titres de séjour (cartes pour étrangers et documents de séjour délivrés dans le cadre

du regroupement familial)

Date des données disponibles 2010-2015 2010-2014

Diffusion des données SPF Affaires étrangères Office des étrangers

Contenu des données

Décisions prises au cours de l’année (positives et négatives), selon la date de demande de visa et selon quelques caractéristiques du bénéficiaire (sexe, âge, nationalité).

Délivrance des titres de séjour, avec des informations selon la nationalité, l’âge et le sexe du bénéficiaire, ainsi que selon le lien de parenté avec la personne qui ouvre le droit au regroupement familial.

Nationalités concernées Uniquement les nationalités soumises au régime des visas, c’est-à-dire les ressortissants de pays tiers295

Tous les étrangers (ressortissants de pays tiers et citoyens de l’UE)

Population inclueIndividus ayant introduit une demande de visa dans le cadre du regroupement familial (que l’issue soit positive ou négative).

Individus ayant accédé au territoire belge avec un visa pour regroupement familial ainsi que ceux qui se trouvent en Belgique par le biais d’un autre titre de séjour et qui ont obtenu par la suite un titre de séjour dans le cadre d’un regroupement familial.

Population non inclue

Individus ayant accédé au territoire belge soit par le biais d’un autre type de visa, soit de manière irrégulière, et qui introduisent une demande de regroupement familial une fois sur place.

Individus à qui un titre de séjour dans le cadre du regroupement familial a été refusé.

294 Les deux sources de données sont détaillées et comparées dans le chapitre 2. Cependant, les données sur les titres de séjour présentées dans ce chapitres sont différentes des données sur les premiers titres de séjour présentées au chapitre 2.

295 La liste complète des nationalités soumise au régime des visas est disponible sur le site de l’Office des étrangers : https://sif-gid.ibz.be/FR/les_pays_tiers_dont_les_ressortissants_sont_soumis_a_l_obligation_de_visa.aspx.

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135

Encadré 16.

Définitions

Le regroupant désigne la personne qui ouvre le droit au regroupement familial, c’est-à-dire la personne déjà présente en Belgique et qui est rejointe par des membres de sa famille.

Le regroupé désigne le bénéficiaire du regroupement familial, c’est-à-dire la personne qui rejoint le regroupant, déjà présent en Belgique.

-

-

- Lorsque le regroupant est un ressortissant d’un pays tiers, la base légale qui régit le regroupement familial est l’article 10 (lorsque son séjour est illimité) ou l’article 10bis (lorsque son séjour est limité) de la loi sur les étrangers.

- Lorsque le regroupant est un citoyen de l’UE, la base légale qui régit le regroupement familial est l’article 40bis de cette même loi.

- Lorsque le regroupant est de nationalité belge, la base légale qui régit le regroupement familial est l’article 40ter de cette même loi.

1.2. | Les visas

Dans la base de données sur les visas, le regroupement familial est essentiellement étudié à partir des visas long séjour (visas D) dont le motif est le regroupement familial (art. 10/10bis ou art. 40bis/40ter). La distinction entre les articles 40bis et 40ter n’est pas possible dans la base de données visas.

1.2.1. | 11.876 visas pour regroupement familial délivrés en 2015, un chiffre en légère hausse par rapport à 2014

Entre 2011 et 2012, le nombre de visas délivrés dans le cadre d’un regroupement familial avait chuté de 30%296. Cette diminution reflétait très probablement les effets de la loi sur le regroupement familial entrée en vigueur le 22 septembre 2011297. Les statistiques de l’année 2013 montraient toujours une diminution, même si elle était moins marquée que précédemment : 9.810 visas délivrés pour regroupement familial en 2013 contre 10.176 en 2012 (-5%). Cette légère baisse s’expliquait toutefois essentiellement par une diminution du nombre total des décisions (qu’elles soient négatives ou positives) et

296 Les chiffres présentés pour les années 2010-2014 dans le présent rapport diffèrent légèrement de ceux présentés dans les rapports antérieurs, car une harmonisation des données (notamment des catégories à prendre en compte dans le regroupement familial) a été effectuée.

297 La loi du 8 juillet 2011 modifiant la loi du 15 décembre 1980 et entrée en vigueur le 22 septembre 2011 a inséré de nouvelles conditions matérielles pour le regroupement familial, tant avec un ressortissant de pays tiers (article 10/10bis) qu’avec un citoyen européen (article 40bis) ou avec un Belge (article 40ter).

non pas par une augmentation des taux de refus, comme c’était le cas en 2012. Cette diminution du nombre de décisions pourrait notamment refléter une diminution du nombre de demandes de visa298. En effet, on peut penser qu’en 2013, les conditions plus strictes introduites par la nouvelle loi en matière de regroupement familial étaient

298 Rappelons que le SPF Affaires étrangères fournit les données sur base de la date de décision et non pas en fonction de l’année de la demande. Il n’est dès lors pas possible d’examiner l’évolution du nombre de demandes de visa.

Figure 36. Évolution du nombre de visas délivrés dans le cadre d’un regroupement familial, toutes nationalités confondues, 2010-2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

12.534

14.642

10.315 9.810

10.176

11.876

0

2.000

4.000

6.000

8.000

10.000

12.000

14.000

16.000

2010 2011 2012 2013 2014 2015

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10.315
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136 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

mieux connues et ont pu, de ce fait, influencer le nombre de demandes à la baisse. En 2014 et 2015, on observe une légère hausse du nombre de visas délivrés, pour atteindre 11.876 visas en 2015.

1.2.2. | Une évolution contrastée selon le pays d’origine

Parmi les titulaires d’un visa pour regroupement familial, quelques nationalités se distinguent des autres. En 2015, les Marocains, les Indiens, les Syriens, les Afghans, les Turcs et les Japonais occupent le haut du classement (Figure 37).

Figure 37. Principales nationalités des titulaires d’un visa pour regroupement familial en 2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

290 (2%)

307 (3%)

412 (3%)

427 (4%)

442 (4%)

457 (4%)

793 (7%)

1.152 (10%)

1.322 (11%)

1.715 (14%)

0 500 1.000 1.500 2.000

Chine

RD Congo

Irak

Guinée

Japon

Turquie

Afghanistan

Syrie

Inde

Maroc

Pour ces quelques nationalités, l’évolution du nombre de visas délivrés pour regroupement familial n’est pas similaire (Figure 38).

- Les Marocains et les Turcs se démarquent par une diminution importante au cours des cinq dernières années. En particulier une diminution considérable dans le nombre de visas délivrés à ces deux nationalités entre 2011 et 2012 peut être observée. Ils ont en effet été particulièrement touchés par la réforme de 2011. Depuis 2012, on observe une certaine stabilisation. Entre 2010 et 2015, c’est une diminution de 40% qui est enregistrée pour les Marocains, et de 60% pour les Turcs.

Figure 38. Évolution du nombre de visas délivrés dans le cadre d’un regroupement familial pour les principales nationalités, 2010-2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

0

500

1.000

1.500

2.000

2.500

3.000

2010 2011 2012 2013 2014 2015

Turquie Maroc

0

500

1.000

1.500

2.000

2.500

3.000

2010 2011 2012 2013 2014 2015

Japon Inde

0

500

1.000

1.500

2.000

2.500

3.000

2010 2011 2012 2013 2014 2015

Syrie Afghanistan

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- Les Japonais et les Indiens ont quant à eux connu une augmentation du nombre de visas délivrés pour regroupement familial. Les Japonais, qui ne figuraient pas parmi les dix principales nationalités en 2010, se retrouvent en 6ème position en 2015.

- Un dernier élément marquant concerne les Syriens et les Afghans. Le nombre de visas pour regroupement familial délivrés à des Syriens était très bas avant 2014 (entre 60 et 120 visas chaque année), alors qu’ils arrivent en troisième position en 2015 avec plus de 1.100 visas délivrés. Cette évolution, particulièrement marquée dans le cas des Syriens est sans doute en partie liée aux conditions plus favorables accordées aux réfugiés reconnus et aux bénéficiaires de la protection subsidiaires (statut qu’ont obtenu bon nombre de Syriens et d’Afghans en 2014 et 2015) au cours de la première année de leur reconnaissance pour se faire rejoindre par les membres de leur famille (conjoints et enfants).

1.2.3. | Les visas pour regroupement familial connaissent des refus plus fréquents et un traitement plus long que les autres types de visas

Les visas sollicités dans le cadre du regroupement familial se distinguent des autres types de visas pour deux raisons au moins. D’une part, ils sont plus souvent refusés et d’autre part, leur durée de traitement est plus longue. Avec la réforme du droit au regroupement familial entrée en vigueur en 2011, l’année 2012 s’affiche clairement comme une année de transition : par rapport aux années précédentes, les proportions de refus sont plus importantes alors que la durée de traitement de ces dossiers a globalement diminué. En 2012, 41% des visas délivrés sur base de l’article 10/10bis étaient refusés et 52% des visas sur base de l’article 40bis/40ter (contre 26% et 32% l’année précédente). Ces proportions de refus ont légèrement diminué ces dernières années, pour atteindre respectivement 23% et 40%. Cela dit, les taux de refus sont largement supérieurs aux autres types de visas (1% de refus pour les visas liés à des raisons professionnelles et 15% de refus pour les visas d’étude)299.

En termes de durée moyenne de traitement, on observe une diminution importante de la durée moyenne de traitement des visas pour regroupement familial. De 2011 à 2015, ces durées sont passées de 26 semaines à 16 semaines pour les visas articles 10/10bis et de 27 semaines à 15 semaines pour les visas articles 40bis/40ter. C’est

299 Voir chapitre 2, Raisons migratoires, figure 17.

en particulier les décisions prises entre 3 et 6 mois qui ont considérablement augmenté, reflétant les effets de la réforme de 2011. Celle-ci prévoit le raccourcissement du délai dans lequel une décision doit être prise en matière de visa pour regroupement familial pour les ressortissants de pays tiers (de 9 mois vers 6 mois) et introduit un délai de six mois pour les Belges et les citoyens européens. Toutefois, il faut rappeler que ces délais de traitement calculés par l’administration représentent la période entre la réception du dossier complet et la prise de décision. En réalité, les candidats au regroupement familial doivent souvent, avant l’introduction formelle de leur demande, effectuer des démarches administratives et parfois des procédures judiciaires souvent longues pour réunir les documents exigés. Ensuite, un temps parfois non négligeable sépare la prise de décision de la prise de connaissance de celle-ci par les personnes concernées. Ces délais de traitement administratifs sont donc beaucoup plus courts que le temps d’attente effectivement subi par les familles concernées300. Notons par ailleurs que les durées de traitement sont en moyenne plus longues lorsqu’elles se soldent par une décision négative.

300 Voir Évolutions récentes de ce chapitre, point 2.2.

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138 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

Tableau 12. Nombre de décisions, proportion de refus et durée moyenne de traitement pour les visas long séjour, selon le motif, 2011-2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

2011 2012 2013 2014 2015No

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tal d

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cisi

ons

Duré

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oyen

ne d

e tr

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men

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Prop

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Nom

bre

tota

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Duré

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oyen

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e tr

aite

men

t (en

sem

aine

s)

Prop

orti

on d

e re

fus

Raisons professionnelles 3.610 2 2% 3.438 2 2% 3.795 2 1% 3.480 1 1% 3.532 1 1%

Études 8.902 3 26% 9.091 3 25% 9.249 4 24% 9.387 4 21% 8.963 3 15%

Regroupement familial avec un ressortissant de pays tiers (art. 10/10bis)

10.812 26 26% 11.192 19 41% 9.111 15 29% 8.973 20 26% 11.352 16 23%

Regroupement familial avec un citoyen de l'UE ou avec un Belge (art. 40bis et 40ter)

9.779 27 32% 7.672 18 52% 5.956 15 44% 5.835 20 39% 5.218 15 40%

Autres visas long séjour 2.622 8 9% 2.769 7 11% 2.702 9 10% 3.029 8 10% 3.444 8 9%

Total des visas long séjour 35.725 34.162 30.813 30.704 32.509

1.2.4. | Un délai de traitement qui varie selon la nationalité du bénéficiaire

En moyenne, toutes nationalités confondues, la grande majorité (85%) des décisions sur les visas pour regroupement familial sont prises au cours des six premiers mois qui suivent la demande de visa, l’essentiel étant pris entre trois et six mois après la demande (Figure 39). Pour les Marocains et les Turcs, le timing de décision de leur demande de visa suit globalement la courbe observée en moyenne : environ 85% des décisions prennent entre un et six mois. Le calendrier des décisions pour les visas demandés par des Afghans est également assez proche

de cette moyenne, si ce n’est qu’une part importante des décisions (37%) sont prises après six mois. Les Syriens se démarquent légèrement, avec un traitement de dossier globalement plus court : l’essentiel des décisions (75%) tombe entre le premier et le troisième mois après la demande. Enfin, les Indiens et les Japonais tranchent très nettement avec la moyenne puisque les demandes de visas sont très rapides. 36% des décisions de visas pour les Indiens et 67% des décisions pour les Japonais sont prises dans les premiers jours suivant leur demande (moins d’une semaine). Pour les Japonais, aucune décision n’est prise au-delà de trois mois, et en ce qui concerne les Indiens, 29% des décisions sont prises entre 3 et 9 mois, mais pas au-delà.

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139

Figure 39. Durée de traitement administratif des demandes de visas (ayant abouti à une décision positive ou négative) dans le cadre du regroupement familial pour quelques nationalités, 2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

Maroc (2.836 décisions)

Turquie (816 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

Maroc (2.836 décisions)

Turquie (816 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

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moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

Afghanistan (1.092 décisions)

Syrie (1.281 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

Afghanistan (1.092 décisions)

Syrie (1.281 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

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10%

20%

30%

40%

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60%

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moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

Inde (1.540 décisions)

Japon (442 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

0%

10%

20%

30%

40%

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60%

70%

80%

moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

Maroc (2.836 décisions)

Turquie (816 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

moins d'une

semaine

entre 1 semaine et

1 mois

entre 1 et 3 mois

entre 3 et 6 mois

entre 6 et 9 mois

plus de 9 mois

Inde (1.540 décisions)

Japon (442 décisions)

Moyenne toutes nationalités confondues

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140 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

1.2.5. | Les regroupements familiaux avec un Belge ou un citoyen de l’UE sont moins nombreux

Comme l’indique la Carte 11, quelle que soit la nationalité du regroupé, la majorité des décisions porte sur des demandes de visa dans le cadre d’un regroupement familial avec un ressortissant de pays tiers (art. 10/10bis). Toutefois, en ce qui concerne les nord-africains et les européens (hors UE), les décisions d’octroi de visa comptent un peu plus de regroupements

familiaux avec un Belge ou un citoyen de l’UE. C’est en particulier, le cas pour les Marocains et les Turcs. Cela peut notamment s’expliquer par le fait que les migrations marocaines et turques en Belgique sont plus anciennes et davantage de ces migrants sont devenus Belges ou sont nés Belges. Si les décisions prises pour des visas de regroupement familial avec un Belge ou un citoyen de l’UE sont moins nombreuses, ces visas sont aussi moins souvent accordés. En moyenne, les décisions prises en 2015 pour des visas sollicités dans le cadre des art. 40bis/40ter affichent 40% de refus, contre 23% dans le cas des art. 10/10bis.

Carte 11. Nombre de décisions et % positif/négatif pour les visas D dans le cadre d’un regroupement familial en Belgique (art. 10/10bis et art. 40bis/40ter), selon l’origine du regroupé en 2015 (Source : SPF Affaires étrangères)

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1.3. | Les premiers titres de séjour

Depuis quelques années, l’OE publie annuellement des statistiques sur les titres de séjour délivrés dans le cadre du regroupement familial, tant pour les ressortissants de pays tiers que pour les citoyens UE. Contrairement aux autres motifs légaux de la migration, le regroupement familial peut donc être étudié pour toutes les nationalités.

Dans ces premiers titres, sont aussi bien pris en compte :

- les cartes et documents délivrés à des personnes arrivant de l’étranger.

- les cartes et documents délivrés à des personnes qui séjournaient précédemment de manière illégale sur le territoire. Parmi ces personnes, certaines disposent d’un titre de séjour temporaire (il s’agit notamment de personnes disposant d’une attestation d’immatriculation, d’une annexe 15 ou d’une annexe 35).

- les cartes et documents délivrés à des nouveau-nés en Belgique, ces derniers étant repris dans la catégorie « descendants » du regroupement familial. Ils représentent 31% de l’ensemble des 52.486 titres de séjour pour regroupement familial. Pour étudier le regroupement familial, il faudrait idéalement ne pas inclure ces enfants nés en Belgique, mais ne disposant pas de la base de données complète de l’OE, nous ne sommes pas en mesure d’identifier ces enfants en fonction des différentes caractéristiques (et notamment en fonction de la nationalité)301.

Les statistiques présentées ici sont toutefois différentes de celles sur les premiers titres de séjour présentées dans le chapitre 2 (Raisons migratoires), car elles incluent les citoyens UE, alors que les données disponibles sur Eurostat ne portent que sur les ressortissants de pays tiers.

301 Pour plus de précisions concernant ces données : https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Documents/ Statistiques/Stat_A_RGF_Fr_2014.pdf.

1.3.1. | Le regroupement familial en nette baisse pour les Turcs et les Marocains

En 2014, toutes nationalités confondues, 52.486 titres de séjour ont été délivrés dans le cadre du regroupement familial. Pour la majorité de ces titres, les regroupés sont des ressortissants de l’UE (56%). Les Roumains étaient les premiers bénéficiaires avec 5.045 titres pour raisons familiales, suivis de près par les Néerlandais (4.927), les Français (4.377) et ensuite, les Marocains (4.142).

Les évolutions observées pour la période 2010-2014 sont très contrastées (Tableau 13). Entre 2010 et 2014, on observe une diminution de 24% pour les ressortissants de pays tiers et, inversement, une augmentation de 32% pour les citoyens de l’UE. Quelques nationalités tirent en particulier ces extrêmes. Les Turcs (-53%) et les Marocains (-47%) sont les seules nationalités issues de pays tiers parmi les 10 principales, et elles ont toutes deux connu une diminution importante du nombre de titres délivrés pour raisons familiales. Par contre, une augmentation importante est observée pour quelques nationalités, dont les Roumains (+65%), les Italiens (+60%), les Espagnols (+45%) et les Français (+44%).

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142 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

Tableau 13. Premiers titres de séjour de séjour délivrés dans le cadre du regroupement familial selon la nationalité des bénéficiaires, 2010-2014 (Source : OE)

Nationalités 2010 2011 2012 2013 2014 Évolution 2010-2014

Roumanie 3.063 3.774 4.122 4.132 5.045 +65%

Pays-Bas 3.947 4.161 4.055 3.907 4.927 +25%

France 3.046 3.171 2.914 3.086 4.377 +44%

Maroc 7.816 6.715 5.002 4.005 4.142 -47%

Pologne 2.804 2.639 2.666 2.692 3.031 +8%

Espagne 1.752 1.910 2.088 1.924 2.537 +45%

Italie 1.329 1.495 1.532 1.587 2.120 +60%

Bulgarie 1.771 1.910 1.885 1.855 1.963 +11%

Portugal 1.052 1.036 1.302 1.428 1.411 +34%

Turquie 2.515 2.328 1.576 1.278 1.184 -53%

Autres 23.637 24.820 21.756 20.085 21.749 -8%

Total UE 22.186 23.521 23.838 23.713 29.372 +32%

Total non UE 30.546 30.438 25.060 22.266 23.114 -24%

Total 52.732 53.959 48.898 45.979 52.486

1.3.2. | Les regroupements familiaux concernent surtout les enfants

Sur l’ensemble des 52.486 titres délivrés en 2014 dans le cadre du regroupement familial, environ un quart concernait des regroupements entre conjoints (27%). Les enfants représentent quant à eux 71% des regroupements familiaux. Les enfants nés en Belgique représentent une part non négligeable (31%), alors qu’il ne s’agit pas réellement de regroupement familial. Les enfants nés à l’étranger qui rejoignent un parent déjà présent en Belgique représentent quant à eux 40%. Les regroupements familiaux d’ascendants rejoignant leurs enfants sont très minoritaires (2%)302.

La répartition des regroupements familiaux selon le type de lien qui unit les personnes concernées varie fortement

302 Cela s’explique en partie par le fait que pour les ressortissants de pays tiers seuls les ascendants souhaitant rejoindre un mineur étranger non accompagné bénéficiant d’une protection internationale ont le droit d’obtenir un titre de séjour pour motif de regroupement familial, à l’exception des citoyens turcs qui ont la possibilité, dans des cas particuliers, de se faire rejoindre par des ascendants à charge en vertu de l’article 11 de l’accord bilatéral entre la Belgique et la Turquie relatif à l’occupation de travailleurs turcs en Belgique.

selon la nationalité des regroupants. En particulier, les regroupements familiaux avec des Belges (art. 40ter) se distinguent nettement des regroupements familiaux avec un citoyen de l’UE (art. 40bis) ou avec un ressortissant d’un pays tiers (art. 10 et 10bis).

- Les regroupements familiaux avec des Belges concernent très majoritairement des regroupements entre conjoints (66%). 22% des premiers titres concernent en revanche des enfants, parmi lesquels la majorité sont des enfants nés à l’étranger. La délivrance de titres de séjour pour regroupement familial à des ascendants qui désirent rejoindre leur(s) enfant(s) est proportionnellement moins importante (12%). Elle est cependant non négligeable, dans la mesure où il s’agit exclusivement de parents rejoignant leurs enfants mineurs d’âge. Il n’est pas exclu que cette proportion reflète un effet de rattrapage  : avant la réforme du regroupement familial (2011), les parents étrangers d’enfants belges mineurs ne pouvaient obtenir de séjour que sur base d’une demande de régularisation, qui est une procédure plus aléatoire303.

303 Voir : Focus, Chapitre III : Les visas de court séjour pour visite familiale, Rapport annuel, La migration en chiffres et en droits, 2015.

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- Les titres de séjour délivrés dans le cadre d’un regroupement familial à des ressortissants de l’UE ou de pays tiers présentent davantage de similitudes. Respectivement 78% et 79% de ces titres de séjour concernent des enfants. Parmi ces enfants regroupés, environ la moitié correspond à des enfants nés en Belgique.

De façon générale, on observe une importante diminution des titres de séjour délivrés dans le cadre de regroupements entre conjoints (entre 2011 et 2014 : -30%). Cette forte baisse illustre sans doute les effets de la réforme de 2011, et notamment les exigences matérielles et économiques qui s’appliquent de façon beaucoup moins souples que pour les demandes de regroupement familial avec des enfants304.

Figure 40. Répartition des titres de séjour délivrés dans le cadre du regroupement familial selon la nationalité du « regroupant » et le lien familial du « regroupé », 2014 (Source : OE)

Belges (N=6.961) Citoyens UE (N=31.731)

66% 20%

12%

21%

32%

46%

21%

42%

37%

Conjoints Descendants nés en Belgique Descendants nés à l'étranger Ascendants

Citoyens non UE (N=13.794)

304 ADDE, Edito, Newsletter n° 113, octobre 2015.

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144 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

2. ÉVOLUTIONS RECENTES

En 2014, la Commission européenne a fourni un certain nombre de lignes directrices305 sur les modalités d’application de la directive sur le regroupement familial des ressortissants de pays tiers306. Elle a rappelé l’un des principes majeurs de la directive, à savoir « la marge d’appréciation reconnue aux États membres ne doit pas être utilisée d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de la directive, qui est de favoriser le regroupement familial, et à l’effet utile de celle-ci »307. Myria a vu paraître récemment plusieurs modifications de lois et des arrêts relatifs au droit au regroupement familial. Dans cette section, nous commenterons un certain nombre de ces arrêts et nous examinerons si les modifications de loi ont effectivement pour effet de favoriser le droit au regroupement familial.

2.1. | Un projet de loi modifie plusieurs articles relatifs au regroupement familial

En mars 2016, un projet de loi portant des dispositions diverses et proposant plusieurs modifications à la loi sur les étrangers a été soumis à la Chambre308. Un grand nombre de ces modifications concernent le droit au regroupement familial. Dans un souci d’exhaustivité, celles-ci sont présentées ci-dessous.

305 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif.

306 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial (ci-après : la directive sur le regroupement familial).

307 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif, point 1 Introduction.

308 Ch. repr., Projet de loi portant des dispositions diverses en matière d’asile et de migration et modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers, Doc 54K1696/006, 14 avril 2016.

2.1.1. | Prolongation du droit de séjour temporaire pour les membres de la famille de ressortissants de pays tiers

Le droit de séjour des membres de la famille des ressortissants de pays tiers en séjour régulier est actuellement temporaire pendant les trois premières années de séjour. Durant cette période, le droit au séjour peut être retiré si l’intéressé ne satisfait plus aux conditions de son séjour309 ou s’il a commis une fraude pour l’obtention de celui-ci. Le projet de loi propose de porter ce délai à cinq ans, comme c’est le cas pour les membres de la famille de Belges et de citoyens de l’UE. Au bout de cinq ans de séjour temporaire, le membre de la famille peut solliciter un séjour illimité si la famille satisfait encore à toutes les conditions liées à son séjour. Mais que se passe-t-il si ces conditions ne sont pas remplies ? Dans ce cas, le membre de la famille conserve son séjour temporaire pendant un an. Si, au bout d’un an, il répond aux nouvelles conditions310, il obtient un droit de séjour permanent, sinon il perd son droit de séjour. Lorsque le ministre ou son délégué envisage de mettre un terme au séjour de membres de la famille, ou de celui du regroupant lui-même, il doit tenir compte de la nature et de la solidité du lien familial, de la durée du séjour en Belgique et d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec le pays d’origine311.

Myria se pose des questions quant à la prolongation du séjour temporaire après le délai de cinq ans. La directive sur le regroupement familial stipule très clairement312 qu’au plus tard après cinq ans, le membre de la famille a droit à un titre de séjour autonome, indépendamment de celui du regroupant. Les États membres ont uniquement la liberté de définir eux-mêmes les conditions d’octroi et le délai (de cinq ans maximum) permettant d’obtenir ce titre de séjour autonome313.

309 Loi sur les étrangers, art. 13, §1, 3ème alinéa : « (…) à l’expiration de laquelle elle devient illimitée, pour autant que l’étranger remplisse encore les conditions de l’article 10. »

310 Ch. Repr., op.cit., pp. 8-9: Art. 13§1, 3ème alinéa est complété par : « (…) et octroie un nouveau séjour pour une durée limitée dont le renouvellement est subordonné à la possession de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour les pouvoirs publics et d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques et pour autant que l’étranger ne constitue pas un danger pour l’ordre public et/ou la sécurité nationale. »

311 Un nouveau paragraphe 3 est ajouté à l’article 13, en conformité avec l’article 17 de la directive sur le regroupement familial. Pour plus d’information sur cette prolongation à cinq ans, voir: Ch. repr., Exposé des motifs, Doc 54K1696/001, 2 mars 2016, p. 25.

312 Art. 15, 1 de la directive sur le regroupement familial.313 Art. 15, 4 de la directive sur le regroupement familial.

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2.1.2. | Abaissement du critère de l’âge pour les membres de la famille de citoyens de l’UE et de Belges

En exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle de septembre 2013314, le projet de loi abaisse de 21 ans à 18 ans le critère de l’âge pour les citoyens de l’UE et leur conjoint si la relation préexistait à la venue en Belgique du citoyen de l’UE. Afin d’éviter une différence de traitement, ceci s’applique également au Belge et à son conjoint s’ils cohabitaient déjà depuis au moins un an à l’étranger.

2.1.3. | Notion de moyens de subsistance dans le cadre d’une analyse individuelle des besoins

Le projet de loi modifie en profondeur les dispositions relatives à l’examen individuel des besoins que l’Office des étrangers (OE) doit effectuer dans le cadre de la condition de ressources. La nouvelle condition, préalable à cet examen, est formulée comme suit : « Si le caractère suffisant des ressources (…) n’est pas rempli ». Il ressort de l’exposé des motifs que si le pourcentage de 120% du revenu d’intégration sociale n’est pas atteint, l’OE doit déterminer le montant qui évitera aux personnes concernées de devenir une charge pour les pouvoirs publics. L’exposé des motifs poursuit : « Toutefois, il n’y a lieu de vérifier le caractère suffisant que pour autant que les ressources satisfassent déjà au caractère stable et régulier. Si ce n’est pas le cas, l'OE ne doit pas pousser plus loin son analyse des ressources de l’étranger. Ceci est conforme à la jurisprudence du Conseil d’État (…) arrêt n° 230 222 du 17 février 2015 »315.

Pour Myria, ce raisonnement semble un peu court. Dans son avis sur ce projet de loi, le Conseil d’État se demandait ce qui justifie que la nouvelle disposition se limite à faire état du  « caractère suffisant » des ressources alors que la condition de revenus parle de moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants316. L’exposé des motifs (voir ci-dessus) indique que les ressources doivent être stables et régulières avant que l’OE ne procède à une analyse des besoins. Il se réfère pour cela à un arrêt317 du Conseil d’État dans lequel ce dernier indiquait que si aucun moyen

314 CC, 26 septembre 2013, n° 121/2013.315 Ch. repr., Exposé des motifs, Doc 54K1696/001, 2 mars 2016, p. 23.316 Ch. repr., Avis du Conseil d’État n° 57.881/4, DOC 54 1696/001, 16

septembre 2015, pp. 134-135.317 Conseil d’État, 17 février 2015, n° 230 222. Cet arrêt renvoie lui-même à

un arrêt de 2013: Conseil d’État, 11 juin 2013, n° 223 807.

de subsistance n’était présenté, il ne fallait pas effectuer une analyse individuelle des besoins. Le regroupant avait en effet fourni des preuves d’une allocation de chômage sans démontrer qu’il recherchait activement un emploi. Le Conseil d’État s’est aussi référé à un arrêt de 2013, où seules des attestations d’une allocation du CPAS avaient été déposées. Il en a conclu dans les deux cas qu’il ne s’agit pas d’éléments pouvant être acceptés comme des preuves de moyens de subsistance qui satisfont à la condition de ressources et que, dès lors, il ne fallait pas procéder à une analyse individuelle des besoins. Le Conseil d’État n’établit donc aucun lien entre le caractère stable et régulier des ressources et l’analyse individuelle des besoins. Il affirme uniquement qu’il faut apporter la preuve des moyens de subsistance pour que l’Office des Étrangers doive procéder à l’analyse en question.

De plus, la directive sur le regroupement familial318 stipule que toute décision de rejet ou de retrait de séjour doit faire l’objet d’une évaluation de la situation individuelle. La Cour de justice de l’Union européenne a fixé les principes de base de l’examen de la condition de ressources dans son arrêt Chakroun, dans lequel elle s’est référée à ce principe et a affirmé que toute demande de regroupement familial devait être traitée individuellement319. L’avocat-général P. Mengozzi a lui aussi réitéré ce principe : dans chaque cas, il faut tenir compte des circonstances spécifiques des intéressés320.

Toute décision de rejet ou de retrait de séjour doit faire l’objet d’une évaluation de la situation individuelle.

318 Art. 17 de la directive sur le regroupement familial.319 CJUE, R. Chakroun c. Ministère des Affaires étrangères, 4 mars 2010,

C-578/08, §48.320 CJUE, Conclusion de l’Avocat-général P.Mengozzi, 23 décembre 2015,

C-558/14, §25.

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146 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

2.2. | Allongement du délai de traitement pour les demandes de regroupement familial des membres de la famille des ressortissants de pays tiers

Le 18 mars 2016, un projet de loi321 portant de six à neuf mois le délai pour traiter une demande de regroupement familial introduite par les membres de la famille des ressortissants de pays tiers a été présenté à la Chambre. La disposition permettant de prolonger de trois mois ce délai à deux reprises dans des circonstances exceptionnelles est maintenue, ce qui signifie que le délai de traitement pour ces familles est le même que celui d'avant la modification de la loi de 2011.

La directive sur le regroupement familial invite les États membres322 à veiller à ce que les procédures de traitement des demandes de regroupement familial soient efficaces, gérables, transparentes et équitables afin d’offrir un niveau adéquat de sécurité juridique aux personnes concernées. Dans sa communication323, la Commission européenne a précisé que le traitement de ces demandes devait tenir compte de la charge normale de travail des administrations des États membres. Pour la Commission, « en règle générale, dans une situation normale de la charge de travail, une demande ordinaire doit être traitée rapidement et sans retard inutile. Si la charge de travail dépasse exceptionnellement les capacités administratives ou si la demande nécessite un examen approfondi, le délai maximal de neuf mois peut être justifié. » La directive sur le regroupement familial prévoit que ce délai de neuf mois peut être prolongé dans des circonstances particulières, notamment en raison du caractère complexe d’une demande, mais la Commission estime que cette dérogation doit être interprétée de manière stricte et au cas par cas. Ainsi, « les problèmes de capacités administratives ne sauraient justifier une prolongation exceptionnelle du délai ». Sont cependant acceptés comme cas exceptionnels : « la nécessité d’évaluer les liens familiaux dans le cadre de plusieurs unités familiales, une grave crise dans le pays d’origine entravant l’accès aux documents administratifs,

321 Ch. repr., Projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, DOC 54 1726/001, 18 mars 2016.

322 Considérant 13 de la directive sur le regroupement familial.323 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au

Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif, point 3.3. Durée de la procédure.

des difficultés dans l’organisation des entretiens avec des membres de la famille dans le pays d’origine en raison de l’état de la sécurité, la difficulté d’accès aux missions diplomatiques ou la détermination du droit de garde légal si les parents sont séparés ».

Même si la prolongation du délai de traitement est conforme à la directive sur le regroupement familial, Myria tient à souligner que la longueur des délais de traitement est lourde à supporter pour les familles concernées. En effet, leur délai réel d’attente ne se limite pas à la durée de l’examen de leur dossier par l’Office des Étrangers : avant de pouvoir introduire leur demande de regroupement familial, elles doivent passer par des démarches administratives ou parfois des procédures judiciaires qui peuvent prendre beaucoup de temps pour pouvoir réunir les documents requis. Or, une complication supplémentaire est précisément apparue depuis 2015 aux yeux de Myria et de ses partenaires. Le 22 janvier 2015, le SPF Affaires étrangères a publié au Moniteur belge la circulaire du 14 janvier 2015 relative à la légalisation et à l’examen des documents étrangers. Alors qu’une circulaire se contente normalement de clarifier une législation, celle-ci y ajoute des conditions, ce qui n’est juridiquement pas correct. Deux sujets y sont abordés : la légalisation et l’examen des documents étrangers.

Le principe de la légalisation reste le même : une légalisation ne fait que vérifier la véracité de la signature, la qualité dans laquelle le signataire a agi et l’identité du sceau ou du timbre dont le document est revêtu324. Une légalisation peut donc être refusée si : 1) la signature n’est pas celle du fonctionnaire compétent, 2) le signataire n’est pas compétent, 3) le sceau ou le timbre est faux, falsifié ou inusité. La circulaire ajoute néanmoins la condition suivante :  « la légalisation peut aussi être refusée si le document présenté est jugé contraire à l’ordre public belge ». Le point d’appui néerlandophone en droit international privé325, s’est interrogé sur la base légale et la portée précise d’une telle condition : s’agit-il de la notion d’ordre public en droit interne326 ou de la notion d’ordre public international327 ?

Par ailleurs, la circulaire décrit la procédure à suivre si l’administration veut faire examiner un document

Les délais réels d’attente pour les demandes de regroupement familial ne se limitent pas à la durée de traitement de leur dossier par l’OE et sont lourds à supporter pour les familles concernées.

324 Art. 30§1, 2e § de la loi portant le Code de droit international privé (ci-après : Code de droit international privé).

325 STEUNPUNT IPR, AGENTSCHAP I-I, Onduidelijkheid over legalisatie na nieuwe omzendbrief 18 augustus 2015, disponible sur: www.kruispuntmi.be/nieuws/onduidelijkheid-over-legalisatie-na-nieuwe-omzendbrief.

326 Art. 6 du Code civil.327 Art. 21 du Code de droit international privé.

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étranger328. Malheureusement, cet examen n’est assorti d’aucun délai. La Commission européenne a pourtant répété dans sa communication qu’une décision en matière de regroupement familial devait être prise le plus rapidement possible, sans quoi le droit au regroupement familial des intéressés serait entravé329. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé en 2014 que des vérifications anormalement longues du lien de parenté constituent une violation du droit à la vie de famille330.

Pour Myria, il est important 1) de veiller à un délai de traitement aussi court que possible pour les demandes de regroupement familial ; 2) d’éviter que la légalisation d’un document puisse être refusée en vertu de la notion d’ordre public (ou, à tout le moins, de clarifier cette notion) ; 3) de prévoir un délai de traitement pour l’examen par l’administration de documents étrangers.

2.3. | La Cour constitutionnelle clarifie le droit au regroupement familial pour les cohabitants légaux ainsi que la protection des victimes de violences domestiques

En 2015, la Cour constitutionnelle a examiné deux questions importantes, présentées ci-dessous.

Y a-t-il une discrimination entre des personnes mariées et des cohabitants légaux quant à leur droit au regroupement familial ?

Est-il légitime que des époux ne doivent répondre qu’aux conditions générales pour pouvoir ouvrir un droit au regroupement familial alors que les cohabitants légaux se voient imposer des conditions supplémentaires, comme une relation stable et durable ? C’est la première question sur laquelle la Cour constitutionnelle s’est penchée.

328 Myria a déjà mentionné cette nouvelle possibilité prévue dans le Code consulaire en soulignant les dangers de vérifications excessivement détaillées et de délais d’examen trop longs, voir : La migration en chiffres et en droits 2015, pp. 109-110.

329 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif, point 3.3. Durée de la procédure.

330 Cour eur. D.H., Senigo Longue c. France, 10 juillet 2014, n° 19113/09.

Le 26 mars 2015, la Cour a affirmé qu’il n’y a pas de discrimination entre les couples mariés et les cohabitants légaux :  « Dès lors que, contrairement à ce qui est le cas lors d’un mariage, l’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration de cohabitation légale (…) ne pouvait vérifier si les parties faisaient cette déclaration dans le seul but d’obtenir un titre de séjour et étant donné qu’il peut être mis fin unilatéralement à la cohabitation (…) »331. C’est le Conseil du contentieux des étrangers qui avait soumis cette question à la Cour constitutionnelle le 17 mars 2014 dans le cadre du recours d’un couple qui avait fait sa déclaration de cohabitation légale avant l’entrée en vigueur de la législation relative aux cohabitations légales de complaisance. Depuis lors, le Code civil connaît le principe de la cohabitation légale de complaisance332, qui permet à l’officier de l’état civil de vérifier les intentions du couple qui souhaite conclure une cohabitation légale et notamment de voir si l’un des deux partenaires cherche uniquement à obtenir un titre de séjour. On peut dès lors se demander s’il n’y a pas une différence de traitement injustifiée entre un couple marié et un couple de cohabitants légaux puisque ce dernier doit satisfaire à un plus grand nombre de conditions pour pouvoir ouvrir un droit de séjour sur la base d’un regroupement familial.

Les victimes de violences domestiques sont-elles traitées différemment ?

Est-il légitime que les victimes de violences domestiques mariées avec un citoyen de l’UE ou un Belge doivent démontrer, si elles décident de ne plus cohabiter avec leur agresseur, qu’elles ne sont pas à la charge du système d’assistance sociale et qu’elles possèdent une assurance-maladie pour pouvoir conserver leur droit de séjour alors que les victimes mariées avec un ressortissant de pays tiers ne doivent pas le faire ?

Ici aussi, il n’y a pas de discrimination, selon la Cour constitutionnelle : un étranger non européen qui a cessé de cohabiter avec son époux belge, en raison des violences domestiques qu’il a subies, et qui ne répond donc plus aux conditions de séjour, ne dispose pas d’un droit au maintien de son séjour. Mais il ne perd pas automatiquement ce droit de séjour.

Le ministre a un pouvoir discrétionnaire dans son appréciation de la situation de séjour de toutes les victimes de violence domestique.

331 CC, arrêt n° 43/2015, 26 mars 2015, B.11.332 Loi modifiant le Code civil, la loi du 31 décembre 1851 sur les consulats

et la juridiction consulaire, le Code pénal, le Code judiciaire et la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, en vue de la lutte contre les mariages de complaisance et les cohabitations légales de complaisance, 2 juin 2013, MB, 23 septembre 2013. Pour plus d’informations, voir: Rapport annuel Migration 2013, p. 108.

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148 Chapitre 4 - Droit de vivre en famille

La Cour affirme en effet que le ministre est légalement compétent pour se prononcer à ce sujet et qu’il doit tenir compte de tous les éléments qui lui sont communiqués : en particulier les raisons pour lesquelles le ressortissant de pays tiers ne vit plus avec son conjoint belge, en l’occurrence les violences domestiques qu’il a subies. La Cour confirme que le ministre a le même pouvoir discrétionnaire dans son appréciation de la situation de séjour de la victime de violences domestiques qui est mariée avec un ressortissant de pays tiers333.

2.4. | Une condition d’intégration ne peut pas empêcher ou rendre très difficile le droit au regroupement familial pour des ressortissants de pays tiers

La Cour de justice de l’Union européenne a clarifié le 9 juillet 2015 la condition d’intégration334 de la directive sur le regroupement familial. Elle a jugé dans deux affaires conjointes (pour lesquelles, dans les deux cas, le même tribunal avait  « jugé contraire à l’article 7, paragraphe 2,

de la directive sur le regroupement familial le fait d’exiger d’un ressortissant d’un pays tiers qui introduit en dehors de l’Union européenne une demande (…) qu’il satisfasse à l’exigence d’intégration civique préalablement à son

admission aux Pays-Bas »335. Dans le cadre des procédures de recours, le ministère néerlandais des Affaires étrangères a fait valoir qu’il ressort du Livre vert336  « que la Commission ne considère pas inconditionnellement comme contraire à l’article 7, paragraphe 2, de la directive l’obligation, pour les conjoints des regroupants, de réussir un examen d’intégration civique avant la délivrance de l’autorisation d’entrée et de séjour sur le territoire de l’État membre concerné »337. Dans sa question préjudicielle à la Cour,

L’exigence d’intégration peut seulement avoir pour

objet l’intégration des membres de famille dans

leur nouvelle société.

333 CC, arrêt n° 121/2015, 17 septembre 2015, B.5.2 – B.5.3.334 Art. 7, § 2 de la directive sur le regroupement familial: « Les États membres

peuvent exiger des ressortissants de pays tiers qu’ils se conforment aux mesures d’intégration, dans le respect du droit national. »

335 CJUE, Minister van Buitenlandse Zaken c. K et A, 9 juillet 2015, C-153/14,§40.336 Livre vert relatif au droit au regroupement familial pour les ressortissants

de pays tiers qui séjournent dans l’Union européenne (directive 2003/86), COM(2011) 735 définitif.

337 CJUE, op.cit., §41.

la juridiction de renvoi relève que le Livre vert indique que  « l’admissibilité des mesures d’intégration dépend des points de savoir si elles servent ou non à faciliter l’intégration et si elles respectent ou non les principes de proportionnalité et de subsidiarité »338.

En vertu de la législation néerlandaise, l’étranger doit réussir un examen d’intégration civique avant l’introduction d’une demande de regroupement familial. Par ailleurs, il doit payer 110€ pour le matériel de cours servant à préparer l’examen ainsi que 350€ chaque fois qu’il doit le (re)passer. Les autorités néerlandaises ont inclus dans la législation une clause d’équité qui permet à une personne d’être exemptée de la mesure d’intégration « si, par la suite d’une combinaison de circonstances individuelles très particulières, le ressortissant de pays tiers n’est durablement pas en mesure de réussir l’examen de base d’intégration civique »339.

Selon la Cour de justice de l’UE (et la Commission européenne340), la condition d’intégration ne peut avoir pour objectif que l’intégration des membres de la famille dans leur nouvelle société. L’obligation de réussir l’examen d’intégration civique permettra aux ressortissants de pays tiers d’acquérir des connaissances qui seront incontestablement utiles pour créer des liens avec le pays d’accueil. Mais en vertu du critère d’équité, la mesure d’intégration ne peut pas aller plus loin que ça. La demande de regroupement familial ne devrait donc pas être refusée si les membres de la famille échouent à cet examen après avoir fait tous les efforts possibles pour le réussir. En effet, la mesure d’intégration ne serait alors rien d’autre qu’un instrument pour accepter ou non la demande de regroupement familial et elle perdrait son objectif initial, qui est de favoriser l’intégration. Il faut également tenir compte des conditions individuelles du demandeur : son âge, son niveau de formation, sa situation financière ou son état de santé341.

La Cour en conclut qu’il n’y a rien de mal à exiger de ressortissants de pays tiers qu’ils réussissent un examen d’intégration civique avant de leur autoriser l’entrée et le séjour sur le territoire de l’État membre en question. Cet examen comprend l’évaluation d’une connaissance élémentaire tant de la langue que de la société de l’État membre concerné et implique le paiement de différents frais. Toutefois, les modalités pratiques de cet examen ne peuvent pas avoir pour effet de rendre impossible ou

338 CJUE, Ibid., §42.339 CJUE, Ibid., §27.340 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au

Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif, point 4.5. Mesures d’intégration.

341 CJUE, op.cit., §§53-60.

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excessivement difficile l’exercice du droit au regroupement familial. Ceci est pourtant le cas aux Pays-Bas dans la mesure où : (1) il n’est pas tenu compte de circonstances particulières qui empêchent

objectivement un individu de réussir cet examen, et (2) le montant des frais afférents à cet examen est trop élevé342.

L’examen d’intégration civique ne peut pas rendre

le droit de regroupement familial impossible ou extrêmement difficile.

2.5. | La condition de ressources pour les ressortissants de pays tiers et les Belges continue à susciter des remous

Durant la période 2015-2016, plusieurs juridictions ont apporté des éclaircissements sur la condition de ressources dans le cadre des demandes de regroupement familial avec un ressortissant de pays tiers ou un Belge343. La jurisprudence est divisée concernant l’appréciation de l’origine des ressources344, et le CCE a réprimandé l’OE concernant sa manière d’évaluer les revenus obtenus suite à une incapacité de travail345.

Le CCE a jugé en 2014-2015346 que l’origine des ressources est sans importance pour satisfaire à la condition de ressources imposée aux Belges et aux ressortissants de pays tiers, à la condition que le regroupant puisse prouver qu’il peut disposer de manière effective de ces sources de revenus. Ainsi, le regroupant peut présenter comme preuve non seulement ses propres revenus au moment d’introduire la demande, mais aussi ceux de son partenaire. En 2015, le Conseil d’État a rappelé à l’ordre le CCE en se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle de septembre 2013, qui cite les travaux préparatoires à la réforme du droit au regroupement familial en Belgique

342 CJUE, Ibid., §71.343 Pour une analyse plus approfondie de cette condition de ressources, voir

S.SAROLÉA et J.HARDY, « Le regroupement familial: la jurisprudence belge au croisement de sources internes et européennes. Section 2. Les Conditions d’octroi. §3. Les conditions socio-économiques et les principes transversaux de l’arrêt Chakroun », Questions actuelles en droit des étrangers, Anthemis, 2016, pp. 22-26.

344 Conseil d’État, 20 octobre 2015, n° 232.612; CCE, n° 150 168, 29 juillet 2015; CCE, n° 160.902, 28 janvier 2016.

345 CCE, n° 146.813, 29 mai 2015.346 Entre autre: CCE, n° 126.996, 14 juillet 2014 ; CCE, n° 145.915, 21 mai

2015 ; CCE, n° 150.168, 29 juillet 2015 ; CCE, n° 151.113, 20 aout 2015.

pour préciser que seuls les revenus du regroupant lui-même peuvent être pris en considération347. Le CCE reste cependant sur ses positions, et a établi en janvier 2016348 que le regroupant belge doit pouvoir disposer (c’est-à-dire, jouir) de moyens de subsistance suffisants pour ne pas tomber à charge de la sécurité sociale. Le CCE renvoie ensuite au Code civil349 qui prévoit que chaque conjoint contribue aux charges de son ménage selon ses moyens, et que par conséquent le regroupant belge, selon le CCE, peut aussi utiliser les moyens de subsistance de son conjoint pour prouver qu’il répond aux conditions de ressources.

Dans sa communication350 d’avril 2014, la Commission européenne s’est prononcée aussi sur cette problématique en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE sur la condition de revenus. Cette dernière a en effet estimé  « que ce sont, en principe, les ressources du regroupant qui font l’objet de l’examen individualisé des demandes de regroupement (…) et non les ressources du ressortissant de pays tiers (…) ». « Parallèlement, en utilisant les termes ‘en principe’, la Cour sous-entend que les États membres peuvent choisir de tenir compte des ressources des membres de la famille ou que des exceptions à cette règle, motivées par des circonstances particulières, peuvent être accordées dans des cas spécifiques ». Le principal objectif de cette condition est d’éviter que le regroupant et les membres de sa famille ne deviennent à charge du système d’aide sociale de l’État membre concerné, comme l’a aussi rappelé le CCE dans ses arrêts. Si les États membres sont obligés de tenir compte des ressources des membres de la famille au moment de renouveler le titre de séjour351, aucune disposition de la directive sur le regroupement familial ne les empêche de prendre également en considération les ressources des membres de la famille au moment de l’introduction de la demande.

Fin décembre 2014, l’OE a refusé le séjour du membre de la famille d’un Belge parce que ce dernier ne pouvait apporter la preuve de ses ressources qu’au moyen d’une allocation d’incapacité de travail. L’OE a affirmé qu’il ne disposait pas de moyens de subsistance suffisamment stables et réguliers parce que ceci suppose une perspective d’avenir minimale qui n’était pas présente dans ce cas-ci. Il en a conclu qu’il ne pouvait pas prévoir quels seraient

347 Conseil d’État, 23 avril 2015, n° 230.955 ; Conseil d’État, 20 octobre 2015, n° 232.612; CC, 26 septembre 2013, arrêt 121/2013, B.52.3 en B.55.2-4.

348 CCE, n° 160.902, 28 janvier 2016; CCE, n° 166.218, 21 avril 2016.349 Code Civil, art. 221.350 Communication du 3 avril 2014 de la Commission au Conseil et au

Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, COM (2014)210 définitif, Point 4.4. Exigence de revenus suffisants.

351 Art. 16, § 1 a) de la directive sur le regroupement familial.

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les revenus de l’intéressé une fois qu’il serait guéri et qu’il ne toucherait donc plus son allocation. Cette prémisse de l’OE est préoccupante étant donné qu’une allocation de maladie pour incapacité de travail n’est pas légalement exclue de moyens de subsistance qui peuvent être pris en considération pour satisfaire à la condition de revenus. Le CCE a annulé cette décision le 29 mai 2015 parce qu’il n’est pas exclu que des ressources qui ne constituent pas une garantie de revenus futurs puissent être stables, suffisantes et régulières. Il a d’ailleurs fait remarquer que « même un salarié ayant un contrat de travail à durée indéterminée n’est pas en mesure de garantir des ressources stables, suffisantes et régulières dans un avenir proche étant donné qu’il est largement dépendant de son employeur »352.

2.6. | Les membres de la famille revendiquent le droit d’être entendus

Myria s’est déjà penché sur la question du droit à être entendu, tant au niveau européen que belge353. La Cour de justice de l’UE reconnaît effectivement ce droit, même si celui-ci n’est pas absolu. Néanmoins, la Cour se montre stricte quant aux conséquences d’une violation de ce droit : l’intéressé doit démontrer que la décision aurait pu connaître une autre issue s’il avait eu l’occasion d’être entendu.

Le Conseil d’État a en 2015 cité cette jurisprudence européenne dans une série d’arrêts concernant le retrait du droit de séjour de membres de la famille de citoyens de l’UE354. Il dit que cette analyse individuelle est cruciale pour octroyer ou retirer un titre de séjour à un membre de la famille d’un ressortissant de l’UE (ou d’un Belge

352 CCE, n° 146 813, 29 mai 2015.353 La migration en chiffres et en droits 2015, Focus: le droit d’être entendu,

pp. 193-200. Le droit d’être entendu y est analysé à la lumière de la jurisprudence relative à l’application de la directive relative retour.

354 La directive sur la libre circulation des ressortissants de l’UE prévoit en son art. 28, 1 une analyse de la situation individuelle avant de prendre une décision sur l’octroi ou le retrait du titre de séjour. Ce principe a été transposé en droit national à l’article 42quater, §1, al 3 de la loi du 15 décembre 1980 (loi sur les étrangers) qui oblige l’OE à prendre en considération la durée du séjour en Belgique de l’intéressé, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle et l’intensité de ses liens avec son pays d’origine. Voir: Conseil d’État, 19 février 2015, n° 230.257; Conseil d’État, 24 février 2015, n° 230.293; Conseil d’État, 19 janvier 2016, n° 233.512. Pour une analyse plus approfondie du droit d’être entendu, voir S.SAROLÉA et J.HARDY,  « Le regroupement familial: la jurisprudence belge au croisement de sources internes et européennes. Section 1. Questions transversales. §6. Le droit d’être entendu », Questions actuelles en droit des étrangers, Anthemis, 2016, pp. 17-19.

ou d’un ressortissant de pays tiers). Il faut pour cela que cette analyse soit effectuée correctement. Or, c’est là que le bât blesse.

L’OE part du principe que l’intéressé doit transmettre spontanément toutes les informations pertinentes sur sa situation personnelle, sans quoi il est dans l’impossibilité de statuer. Mais le Conseil d’État lui répond:  «  Il lui appartient (…) d’inviter l’étranger à être entendu au sujet des raisons qui s’opposeraient à ce que l’OE mette fin à son droit au séjour et l’éloigne du territoire (…). Seule une telle invitation offre, par ailleurs, une possibilité effective et utile à l’étranger de faire valoir son point de vue »355. L’OE est donc obligé de récolter lui-même des informations. Dans son arrêt, le Conseil d’État se réfère à l’arrêt Khaled Boudjlida dans lequel la CJUE avait mis les points sur les i à propos du droit à être entendu pour que l’intéressé puisse exercer son droit à un recours effectif356.

Le CCE se réfère ensuite à cette jurisprudence du Conseil d’État et précise que même l’envoi d’un courrier demandant davantage d’informations sur la situation personnelle de l’intéressé ne suffit pas en cas de retrait du titre de séjour d’un citoyen de l’UE357. L’OE doit entreprendre toutes les démarches possibles pour vérifier que cette lettre soit réellement parvenue à l’intéressé. Il doit par ailleurs procéder à un examen détaillé de la situation personnelle de l’intéressé et il ne peut pas se contenter de déclarer que c’était impossible pour lui étant donné que l’intéressé n’a pas fourni d’informations358.

L’OE doit lui-même faire un examen détaillé de la situation individuelle de la personne concernée.

2.7. | Une interdiction d’entrée peut-elle entraver le droit au regroupement familial pour des Belges ?

L’OE a pour pratique d’exclure de la régularisation humanitaire ou du droit au regroupement familial avec un Belge les étrangers faisant l’objet d’une interdiction d’entrée qui n’a pas été suspendue ou levée. Il n’applique néanmoins pas cette procédure restrictive aux membres de la famille

355 Conseil d’État, 19 janvier 2016, n° 233.512, point 12.356 CJUE, Khaled Boudjila c. Préfet des Pyrénées-Atlantiques, C-249/13,11

décembre 2014, points 34, 36, 37 et 59.357 CCE, n° 144 652, 30 avril 2015.358 CCE, n° 157 132, 26 novembre 2015.

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de ressortissants de l’UE étant donné qu’ils relèvent du droit communautaire : une demande de regroupement familial équivaut pour eux implicitement à une demande de levée de l’interdiction d’entrée. Myria a déjà formulé la recommandation d’appliquer ce raisonnement également aux autres demandeurs de regroupement familial et aux demandeurs d’une régularisation humanitaire359. Le CCE a affirmé en 2015 qu’un refus de prendre en considération une demande de regroupement familial faite par le membre de la famille d’un Belge faisant l’objet d’une interdiction d’entrée ne reposait sur aucun fondement juridique dans la loi sur les étrangers et a annulé la décision de l’OE360. De plus, il s’est référé à cette même loi qui stipule qu’une demande de regroupement familial avec un Belge ne peut être refusée que dans deux situations spécifiques361 : si elle ne répond pas aux conditions du regroupement familial ; ou en cas d’abus, de fraude ou pour des raisons d’ordre public. Le CCE applique donc pour le membre de famille d’un Belge les mêmes principes que ceux qu’il a invoqués pour les membres de la famille de citoyens de l’UE362.

2.8. | Le Conseil du contentieux des étrangers clarifie les conditions de séjour pour les parents du citoyen mineur de l’UE

En mars 2014, les conditions d’obtention d’un droit de séjour par le ressortissant d’un pays tiers qui est le parent d’un enfant mineur citoyen de l’UE ont été reprises dans

359 Rapport annuel Migration en chiffres et droit 2015, pp. 147-148. Pour plus d’information, voir aussi : AGENTSCHAP I-I, Aanvraag gezinshereniging met Unieburger of Belg mogelijk ondanks inreisverbod, 28 avril 2015, disponible sur: www.kruispuntmi.be/nieuws/aanvraag-gezinshereniging-met-unieburger-of-belg-mogelijk-ondanks-inreisverbod?. Pour une analyse plus approfondie de la jurisprudence récente concernant la pratique de l’OE vis-à-vis des demandes de regroupement familial malgré une interdiction d'entrée voir S.SAROLÉA et J.HARDY,  « Le regroupement familial: la jurisprudence belge au croisement de sources internes et européennes. Section 1. Questions transversales. §2. Interdiction d’entrée », Questions actuelles en droit des étrangers, Anthemis, 2016, pp. 12-14.

360 CCE, n° 150 096, 28 juillet 2015, point 3.2.2.; CCE, n° 142 68, 22 avril 2015, point 3.2.4.

361 Ces deux situations spécifiques sont prévues aux articles 42septies et 43 de la loi sur les étrangers. Voir : CCE, n° 150 096, 28 juillet 2015, points 3.3.1. et 3.3.2. et CCE, n° 139 567, 26 février 2015, points 3.9-3.12.

362 Voir aussi l’arrêt du CCE sur la non prise en considération, en raison d’une interdiction d’entrée, d’une demande de regroupement familial introduite par le membre de la famille d’un ressortissant de l’UE : CCE, n° 135 627, 19 décembre 2014, points 3.13 – 3.16.

la législation relative au droit de séjour363. Les conditions sont les suivantes :

- avoir effectivement la garde de l’enfant ; - avoir des ressources suffisantes et une assurance-

maladie ; - l’enfant doit être à charge du parent qui en a

effectivement la garde.

L’OE a interprété cette disposition ainsi  : l’enfant mineur devait en outre être inscrit comme citoyen de l’UE économiquement non actif. Dans deux arrêts364, le Conseil du contentieux des étrangers (CCE) a recadré cette interprétation. Il ressort des travaux parlementaires préparatoires, affirme le CCE, que la raison d’être de cette disposition repose clairement sur le fait que le parent et l’enfant mineur ne peuvent pas tomber à la charge des finances publiques de l’État membre d’accueil. Par ailleurs, le CCE souligne qu’aucune disposition légale n’empêche l’enfant de bénéficier d’un droit de séjour sur une autre base, par exemple comme étudiant, tant qu’il dispose de ressources suffisantes et d’une assurance-maladie. Enfin, le Conseil affirme qu’il n’y a aucune exigence quant à l’origine365 des moyens de subsistance de l’enfant.

RECOMMANDATIONS

Myria recommande que :

- les membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers obtiennent après maximum 5 ans de séjour (et donc sans conditions supplémentaires) un droit de séjour autonome et indépendant du regroupant;

- l’OE effectue une analyse individuelle des besoins lorsque la preuve des moyens de subsistance est apportée et indépendamment du fait que ces moyens soient stables et réguliers;

- les délais de traitement des demandes de regroupement familial pour les membres de familles des ressortissants de pays tiers soient le plus court possible;

- un délai contraignant soit introduit dans le cadre de l’examen de documents étrangers;

- la légalisation d’un document ne puisse pas être refusée en vertu de la notion d’ordre public (ou, à tout le moins, que cette notion soit clarifiée).

363 Art. 40bis§2, 5° de la loi sur les étrangers. À ce sujet, voir : La Migration en chiffres en droits 2015, pp. 108-109.

364 CCE, n° 145 025, 7 mai 2015 et CCE, n° 148 088, 18 juin 2015. 365 Le Conseil se réfère ici à CJUE, Zu et Chen c. RU, C-200/02,§30.