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Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains Portail Nouveauté s Etudes straté giques Publications ISC - CFHM - IHCC Liens Contacts - Adhé sion Dossiers : . Thé orie de la straté gie . Cultures straté giques . Histoire militaire . Gé ostratégie . Pensé e maritime . Pensé e aé rienne . Profils d'auteurs . Outils du chercheur . BISE . Bibliographie straté gique Publications de réf érence Stratégique Histoire Militaire et Stratégie Correspondance de Napoléon RIHM CHAPITRE V : LE MOYEN AGE (Du Vème au XVème siècles) LOCALISATION ET PERIODE. A. Localisation. Nous devons souligner le fait que ce qui suit concernera essentiellement - sauf quelques pages consacrées à la prodigieuse aventure mongole - la zone européenne ou ses abords immédiats : nous ne savons rien de l'Afrique au delà de la frange bordant la Méditerranée; ni pratiquement de notre point de vue ( et pour cause ) des Amériques; et nous ne détenons que des renseignements trop vagues et fragmentaires pour ce qui concerne l'Extrème Orient. B. Chronologie d'ensemble. La plupart des historiens placent les débuts du Moyen Age à la fin du Vème siècle de notre ère : 476, Odoacre fondant son royaume d'Italie après avoir déposé le jeune empereur d'Occident, Romulus Augustule. ( Mais certains font le partage entre la période des "royaumes barbares" - les "dark ages" des anglo-saxons - et le "vrai" Moyen Age, qu'ils font débuter à l'extrème fin du VIIème siècle avec l'essort des carolingiens). ! Pour notre étude, le choix d'une date précise importe peu; d'ailleurs cet Empire d'Occident n'était plus qu'une sorte de décor, masquant l'installation progressive d'envahisseurs barbares ; nous serions portés à dire que le Moyen Age ( sous la forme des "dark ages" ) a commencé dans telle ou telle région lorsque l'autorité réelle de Rome y a disparu : selon les zones considérées, cette transition va en gros du milieu du IVème à la fin du Vème siècles. ( Le retrait de Dacie avait ét é un repli voulu, non subi). Faute de mieux, nous nous en tiendrons à la fin du Vème siècle. Passant à l'autre extrémité du chapitre, se rencontre le problème de décider quand il doit s'arrêter. A la Renaissance, évidemment; mais quelle Renaissance ? Celle de la Florence des Médicis, ou celle qui se répand dans l'Europe ultérieurement ? Ou bien, autre solution, choisir la date d'un évènement politico-militaire, comme la fin de la Guerre de Cent Ans - 1453 - qui coï ncide d'ailleurs avec la prise de Constantinople ? Mais notre point de vue n'est pas celui de l'historien, puisque nous avons un souç i très particulier : science/technique et application à la guerre. Ceci facilite notre choix : le chapitre s'achèvera au moment où des armes à feu, les canons, seront arrivés à un premier degré de maturité : fonctionnement sûr ou presque ( y compris pour la sécurité de l'utilisateur ); large diffusion; techniques et instruments de visée; déplacement facile, ( l'affût, avec l'"escuage" des rouesa fait de rapides progrès pendant la seconde moitié du XVème siècle)., Notre borne sera donc la fin de ce XVème siècle, c'est à dire la première guerre d'Italie - 1494 -, la fin de la "Reconquista" espagnole - 1492 - et, la même année, la découverte des Amériques, qui innaugure les trajets maritimes hauturiers à très grande distance. Nous trouvons d'ailleurs, à quelques années près - 1500 - la naissance de Charles Quint, dont la combinaison des héritages va donner lieu à une lutte séculaire entre la France et l'Espagne, puis la Maison des Habsbourgs. ( Malgré des trèves et des rapprochements passagers, le fait que Marie-Antoinette soit l'"Autrichienne" sera largement exploité pendant la Révolution)., Le chapitre s'achève donc lorsque les canons de Charles VIII, alors la plus puissante artillerie du monde, ébranlent les routes de l'Italie. C. La chute du monde romain, et ses conséquences. Du IIIème au VIème siècles de gigantesques migrations ont déferlé sur le territoire de l'Empire d'Occident (a), le faisant disparaî tre, mais - surtout - détruisant ses structures, sa culture et ses connaissances. Que ces migrations aient revètu une forme rapide, violente ou acceptée par le pouvoir central, ou encore celle d'une infiltration progressive, leur résultat fut la dislocation du cadre administratif du Bas Empire - rongé d'ailleurs par la routine et la prévarication - le pillage et la destruction des villes, ( c'est à dire des seuls centres de culture avant les monastères ), l'abandon de tout entretien des routes, ponts et acqueducs 167 . ( Ce qui, par parenthèse, révèlera la vulnérabilité des grandes villes à la romaine non forcément bâties le long d'un cours d'eau, donc alimentées par captations à grandes distances). La misère s'étendant sur l'Occident, la famine y devient presque endémique : on a pu écrire ( P.Ducassé ) de manière à peine excessive, que pendant plusieurs siècles les peuples que Rome avait civilisés retombèrent bien au dessous de la culture et de la puissance de l'Antiquité, même pré-hellénique. Par endroit ils descendirent à un niveau comparable à celui des derniers âges de la Préhistoire. La débacle fut si profonde qu'elle obligea l'Europe de l'Ouest et Centrale à reprendre presque tout l'effort technique, depuis ses humbles origines. , Cette oeuvre fut très généralement encouragée par les chefs politiques - rois qui, pour "barbares" qu'ils fussent, firent preuve d'une grande intelligence le plus souvent - et qui en attendaient l'accroissement de leur puissance; et essentiellement induite par l'Eglise, seule structure ayant encore conservé une organisation administrative, une tradition intellectuelle et, à travers les livres saints, une image ( enjolivée, sans doute ) de la haute civilisation antique. En résumé, le processus de colonisation du néolitique, puis de civilisation de l'Antiquité, doit être repris. Mais il aura lieu à une vitesse "foudroyante" - en comparaison. Ceci, grâce au "presque" que nous avons indiqué plus haut; les invasions barbares n'avaient pas entierement anéanti les lumières intellectuelles. Nos ancètres, cette fois, n'avaient donc pas à repartir du zéro absolu et ils savaient à peu près où il fallait aller, au lieu de perdre un temps précieux en tatonnements stériles. D. Subdivisions du Moyen Age. Encore une fois, baptiser "Moyen Age" le millénaire qui va de la fin du Vème siècle à celle du XVème est une simplification commode mais quelque peu abusive, et qui ne correspond pas toujours exactement aux buts de cette étude. Il pourrait donc être subdivisé en deux sous-périodes, mais avec le grave inconvénient de limites très floues, car largement différentes selon la

Chapitre v Le Moyen Age

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Stratégique

Histoire Militaire et Stratégie

Correspondance de Napoléon

RIHM

CHAPITRE V : LE MOYEN AGE

(Du Vème au XVème siècles)

LOCALISATION ET PERIODE.

A. Localisation.

Nous devons souligner le fait que ce qui suit concernera essentiellement - sauf quelques pages consacrées à la prodigieuse aventure mongole - la zone européenne ou ses abords immédiats : nous ne savons rien de l'Afrique au delà de la frange bordant la Méditerranée; ni pratiquement de notre point de vue ( et pour cause ) des Amériques; et nous ne détenons que des renseignements trop vagues et fragmentaires pour ce qui concerne l'Extrème Orient.

B. Chronologie d'ensemble.

La plupart des historiens placent les débuts du Moyen Age à la fin du Vème siècle de notre ère : 476, Odoacre fondant son royaume d'Italie après avoir déposé le jeune empereur d'Occident, Romulus Augustule. ( Mais certains font le partage entre la période des "royaumes barbares" - les "dark ages" des anglo-saxons - et le "vrai" Moyen Age, qu'ils font débuter à l'extrème fin du VIIème siècle avec l'essort des carolingiens). ! Pour notre étude, le choix d'une date précise importe peu; d'ailleurs cet Empire d'Occident n'était plus qu'une sorte de décor, masquant l'installation progressive d'envahisseurs barbares ; nous serions portés à dire que le Moyen Age ( sous la forme des "dark ages" ) a commencé dans telle ou telle région lorsque l'autorité réelle de Rome y a disparu : selon les zones considérées, cette transition va en gros du milieu du IVème à la fin du Vème siècles. ( Le retrait de Dacie avait été un repli voulu, non subi).

Faute de mieux, nous nous en tiendrons à la fin du Vème siècle.

Passant à l'autre extrémité du chapitre, se rencontre le problème de décider quand il doit s'arrêter. A la Renaissance, évidemment; mais quelle Renaissance ? Celle de la Florence des Médicis, ou celle qui se répand dans l'Europe ultérieurement ? Ou bien, autre solution, choisir la date d'un évènement politico-militaire, comme la fin de la Guerre de Cent Ans - 1453 - qui coïncide d'ailleurs avec la prise de Constantinople ? Mais notre point de vue n'est pas celui de l'historien, puisque nous avons un souç i très particulier : science/technique et application à la guerre. Ceci facilite notre choix : le chapitre s'achèvera au moment où des armes à feu, les canons, seront arrivés à un premier degré de maturité : fonctionnement sûr ou presque ( y compris pour la sécurité de l'utilisateur ); large diffusion; techniques et instruments de visée; déplacement facile, ( l'affût, avec l'"escuage" des rouesa fait de rapides progrès pendant la seconde moitié du XVème siècle)., Notre borne sera donc la fin de ce XVème siècle, c'est à dire la première guerre d'Italie - 1494 -, la fin de la "Reconquista" espagnole - 1492 - et, la même année, la découverte des Amériques, qui innaugure les trajets maritimes hauturiers à très grande distance. Nous trouvons d'ailleurs, à quelques années près - 1500 - la naissance de Charles Quint, dont la combinaison des héritages va donner lieu à une lutte séculaire entre la France et l'Espagne, puis la Maison des Habsbourgs. ( Malgré des trèves et des rapprochements passagers, le fait que Marie-Antoinette soit l'"Autrichienne" sera largement exploité pendant la Révolution)., Le chapitre s'achève donc lorsque les canons de Charles VIII, alors la plus puissante artillerie du monde, ébranlent les routes de l'Italie.

C. La chute du monde romain, et ses conséquences.

Du IIIème au VIème siècles de gigantesques migrations ont déferlé sur le territoire de l'Empire d'Occident (a), le faisant disparaître, mais - surtout - détruisant ses structures, sa culture et ses connaissances. Que ces migrations aient revètu une forme rapide, violente ou acceptée par le pouvoir central, ou encore celle d'une infiltration progressive, leur résultat fut la dislocation du cadre administratif du Bas Empire - rongé d'ailleurs par la routine et la prévarication - le pillage et la destruction des villes, ( c'est à dire des seuls centres de culture avant les monastères ), l'abandon de tout entretien des routes, ponts et

acqueducs167 . ( Ce qui, par parenthèse, révèlera la vulnérabilité des grandes villes à la romaine non forcément bâties le long

d'un cours d'eau, donc alimentées par captations à grandes distances).

La misère s'étendant sur l'Occident, la famine y devient presque endémique : on a pu écrire ( P.Ducassé ) de manière à peine excessive, que pendant plusieurs siècles les peuples que Rome avait civilisés retombèrent bien au dessous de la culture et de la puissance de l'Antiquité, même pré-hellénique. Par endroit ils descendirent à un niveau comparable à celui des derniers âges de la Préhistoire. La débacle fut si profonde qu'elle obligea l'Europe de l'Ouest et Centrale à reprendre presque tout l'effort technique, depuis ses humbles origines. , Cette oeuvre fut très généralement encouragée par les chefs politiques - rois qui, pour "barbares" qu'ils fussent, firent preuve d'une grande intelligence le plus souvent - et qui en attendaient l'accroissement de leur puissance; et essentiellement induite par l'Eglise, seule structure ayant encore conservé une organisation administrative, une tradition intellectuelle et, à travers les livres saints, une image ( enjolivée, sans doute ) de la haute civilisation antique.

En résumé, le processus de colonisation du néolitique, puis de civilisation de l'Antiquité, doit être repris. Mais il aura lieu à une vitesse "foudroyante" - en comparaison. Ceci, grâce au "presque" que nous avons indiqué plus haut; les invasions barbares n'avaient pas entierement anéanti les lumières intellectuelles. Nos ancètres, cette fois, n'avaient donc pas à repartir du zéro absolu et ils savaient à peu près où il fallait aller, au lieu de perdre un temps précieux en tatonnements stériles.

D. Subdivisions du Moyen Age.

Encore une fois, baptiser "Moyen Age" le millénaire qui va de la fin du Vème siècle à celle du XVème est une simplification commode mais quelque peu abusive, et qui ne correspond pas toujours exactement aux buts de cette étude. Il pourrait donc être subdivisé en deux sous-périodes, mais avec le grave inconvénient de limites très floues, car largement différentes selon la

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question et la région168 étudiées :

a/ du VIème au X ou XIèmes siècles ( selon précisément les régions ) si nous connaissons bien les bouleversements politiques; généralement les dates et lieux des batailles décisives; les armes et équipements employés, en revanche nous ignorons

Par exemple, pour la France - dans ses limites actuelles - la civilisation et la culture ovccitanes eurent jusqu'à 2 siècles, environ, d'avance sur les régions du Nord de la Loire à certaines périodes : il suffit de comparer les dates de création des universités - Paris mis à part - pour s'en rendre compte.

peu près tout du déroulement de ces batailles : tactiques utilisées, effectifs engagés, etc : Tolbiac, 496; Tertry, 687... Poitiers fait exception, encore que les détails qui nous sont parvenus ne soient ni très fournis, ni très cohérents.

Jusqu'à un certain point, en somme on pourrait dire que cette première période rapelle celle du deuxième chapitre : la Haute Antiquité.

b/ à partir des X / XIèmes siècles, nous commençons, avec une précision croissante, à connaitre la composition des armées et les effectifs - hommes à pied, dont archers, halebardiers, piquiers...Hommes à cheval...- et le déroulement du combat, ( quoique bien des chroniqueurs n'aient pas été des acteurs, mais aient rédigé sur des on-dits plus ou moins fiables).

Aurions-nous donc dù scinder ce chapitre en deux parties ? Après hésitations, nous y avons renoncé. En effet, les premiers siècles du Moyen Age ont été consacrés en Occident à retrouver en gros le niveau technique de l'antiquité grèco-romaine : nous aurions été amenés, mutatis mutandis, à reprendre une large partie de ce qui avait été déjà exposé, alors que nous pourrons nous limiter, à cet égard, à de brefs résumés au lieu de reprendre une longue et fastidieuse énumération. ce que nous cherchons, c'est bien l'application des sciences et des techniques à la guerre et, mis à part les équipements, dont la forme et la composition suivirent plus des "modes" que des perfectionnement, les progrès décisifs furent rarissimes : le plus important - nous y reviendrons - fut sans doute l'introduction de l'étrier, faisant tache d'huile depuis Bysance.

(…)

1. L'ETAT DES SCIENCES ET DES TECHNIQUES.

Remarque préliminaire : les connaissances et leur transmission.

A. Europe.

Les connaissances venant de l'antiquité furent très généralement oubliées dans les zones les plus touchées par les "séismes sociaux" que furent les invasions. Pourtant bon nombre existaient encore, mais fragmentaires et "dormantes" dans tel ou tel monastère. A l'Est, elles furent conservées par l'Empire d'Orient et dans la fameuse bibliothèque-université d'Alexandrie malgré un premier incendie, heureusement d'ampleur limitée semble-t-il, en -47, à l'occasion de la main-mise romaine, Dans la période considérée ici un phénomène nouveau, et durable, apparait : pendant des millénaires la quasi totalité des progrès scientifiques et techniques étaient !venus des Proche et Moyen Orient. Puis le "relais" avait été pris par le monde grec, c'est à dire le bassin oriental de la Méditerranée, et les "colonies" greques- Sud de Italie, Sicile et Egypte. De nouvelles découvertes viendront encore de l'Est, mais à partir des XIIIème / XIVème siècles, cette source va se tarir, cependant que Occident va acquérir une sorte de monopole de la pensée scientifique et de l'innovation qui durera presque jusqu'à nos jours. Le retard initial de l'Europe occidentale provient, certes, du total effondrement structurel et administratif de l'Empire sous les poussées barbares, mais il faut y ajouter d'autres causes. Nous citerons ( liste non exhaustive ) :

le fait que le monde romain se soit satisfait des seules applications utilitaires; ce dont tout son territoire s'est imprégné : la recherche théorique, gratuite est pratiquement inconnue, et la culture générale scientifique de l'élite intellectuelle est nulle;

- le déclin - dont nous avons déjà parlé - des centres de culture et de recherche : Alexandrie reconstitue sa prestigieuse bibliothèque après l'incendie de -47 ( elle sera dévastée, brûléee et rasée lors de la conquète arabe ) mais est déjà gagnée par la torpeur hellénique. L'Empire d'Orient loin de reprendre le flambeau, montre une sorte d'impuissance intellectuelle scientifique qui croit à mesure que se développent les querelles politico-religieuses qui ont donné leur nom aux spéculations byzantines ; - la pesante chappe scolastique universitaire, qui s'étendit jusqu'au XVIème siècle dans bien des domaines : elle consista - en résumé - après qu'aient été retrouvés les écrits des philosophes grecs ( XIIème et XIII ) à refuser de trouver matière à réflexion et enseignement ailleurs que dans ces écrits. Pendant des siècles le seul critère de véracité sera du type : Aristote a dit... (b)169 le fait qu'il ne peut exister de centre culturel - dpassant la simple conservation et copie des textes - que dans des cités

d'une certaine importance. Or les invasions barbares avaient saccagé, ruiné et presque fait disparaitre de très nombreux centres urbains : en périodes d'insécurité - elles furent longues et multiples - le citadin a le réflexe de fuite dans la campagne. A titre d'exemple, Anderitum, la ville gallo-romaine la plus importante - 15 à 20 000 habitants - sur !la Via Agrippa entre Lyon et Toulouse, fut réduite à ce qui reste encore ( Javols, de : Gabalum ) un hameau d'une quinzaine de maisons. Pourtant, une relative période de sécurité s'instaura avec la dynastie carolingienne; mais elle disparut avec la terreur qu'inspirèrent les raids vikings au nord et musulmans au Sud -en zone surtout côtière pour les seconds - et les évènements politiques du IXème siècle., En définitive, les cités ne se développeront vraiment, surtout au Nord, qu'à partir du XIème siècle. La création des universités suivra le renouveau de l'urbanisation avec un retard de l'ordre de 200 ans environ. Pour ne prendre que la France ( dans ses limites actuelles ) nous trouvons :

- 5 universités antérieures à l'an 1300: Montpellier Paris Toulouse Angers Orléans;

- 5 créers au XIVème siècle : Avignon Cahors Orange Grenoble Perpignan;

- 7 créées au XVème siècle : Caen Nantes Poitiers Bourges Bordeaux Valence Aix. On notera la nette prépondérance du Sud de la Loire, malgré les saccages de la croisade anti-cathares, ( qui offrit l'occasion à la couche dirigeante franque du Nord d'éliminer ou soumettre celle, wisigothe, du Sud-Ouest).

B. La science "arabe".

Un siècle et demi après la mort de Mahomet les frustes guerriers du Prophète, qui avaient galopé jusqu'à l'Espagne et une partie du Sud de la France d'un côté et jusqu'à l'Inde de l'autre, avaient largement commencé à dépouiller leur farouche rudesse, et par le contact avec les vestiges de grandes civilisations, reçu le désir de s'instruire. Ceci, tout particulierement au niveau des hauts chefs politiques. Citons, par exemple, Al-Mansour; Haroun-al-Raschid; Al-Mamoun, etc. ( Ce dernier - 783-833 - s'intéressait tellement à la science que dans le traité signé avec l'empereur d'Orient Michel III - probablement éberlué de cette exigence - un ticle stipulait la livraison de la copie de tous les livres grecs détenus par Bysance. La première traduction des

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"Eléments" d'Euclide parut en 813; celle de la "Grande Syntaxe Arithmétique" ( l'Almageste ) de Claude Ptolémée en 827... On a dit qu'il n'y a pas eu de science arabe mais relais de transmission des connaissances grecques et des progrès mathématiques

indiens. L'affirmation mérite discussion. Il est certain qu'il serait préférable de parler de "science musulmane"170 : la plupart des

grands noms de "découvreurs" sont ceux d'hommes appartenant à des nations conquises, et converties de manière souvent autoritaire. Mais ( et malgré les destructions initiales, de la période des conquètes ), c'est en effet beaucoup plus à travers le

monde musulman que par Bysance, que nous est parvenue la science de l'antiquité.171 Relevons le fait, capital pour l'avenir de

toute science et toute technique, que nous est arrivé de l'Inde le système ( décimal ) de numération de position, ainsi que l'"invention" du zéro, et les premières notions de l'algèbre. ( La place manque ici pour détailler, mais du Vème au IXème siècles de notre ère, Inde eut des mathématiciens de haut niveau pour l'époque. Nos esprits imprégnés d'une glaciale rigueur sont toutefois surpris de la maniere "poétique" dont les calculs sont exposés; le nom même de l'arithmétique est évocateur : "Lilâvati" : la Séduisante. On ne sait pourquoi cette école indoue disparut brusquement).

Enfin, outre la fonction de transmission des connaissances, les peuples musulmans du Moyen Age ont apporté une contribution importante notamment : - à la chimie, quoique très généralement à travers l'alchimie. ( Al-kohol, Al-qualid, - à l'astronomie, et à travers elle à la trigonométrie; ( Cf. le grand nombre étoiles portant des noms arabes : Aldebaran, Algol, Mizar et Alcor, Merak, Kochab.. - à la médecine, essentiellement par les médecins juifs - plus ou moins convertis - de l'Espagne musulmane. ( Premiers nets progrès depuis Hippocrate).

En fait, trois siècles après la mort du Prophète, la langue arabe était celle de la science. Cordoue comptait près d'un million d'habitants, avec 80 écoles supérieures et des bibliothèques dont l'ensemble comptait environ 600 000 volumes. C'était, en somme, la nouvelle Alexandrie. Notons encore - et à titre d'exemple - à l'autre extrémité du monde musulman, la véritable passion d'Ouloug-Beg, petit-fils de Tamerlan donc porteur de sang mongol, pour l'Astronomie. Son admirable observatoire de Samarkande date du milieu du XVème siècle.

C. Extrème Orient.

Malgré l'école mathémathique chinoise de l'époque de l'an mil qui eut ( venue de Inde ou de maniere indépendante ? ) les premières notions d'équations algébriques, et malgré les remarquables observations astronomiques des astrologues - nous leur devons la première description détaillée de l'apparition et de l'évolution d'une super-nova galactique, "l'étoile invitée" de 1054 - la science et la technique de Extrème-Orient, après avoir égalé voire surpassé celles de l'antiquité, vont passer r une très longue période de stagnation. Pourtant, les dynasties T'ang, puis Song, connaitront des apogées culturelles : artistiques, littéraires et philosophiques; mais pas scientifiques. On a invoqué la langue-écriture, assez comparable à une "bande

dessinée"172 qui entraînerait une forme de pensée très particuliere ? Mais les actuels progrès japonais et chinois surtout - les

scientifiques japonais utilisent l'anglais le plus souvent - ont su se greffer sur cette forme de pensée... Une autre raison pourrait ( tenir encore une fois au système de numération; plus exactement, à sa représentation semi-décimale : le boulier fait appel à un complexe de boules-unités et de boules de valeur 5. ( Addition et soustraction sont simples, mais la multiplication l'est moins, et la division très complexe. Ne parlons pas de l'extraction de racines carrées ou cubiques; du traitement de très grands nombres).

D. Conservation et apport de connaissances dans l'Occident.

Nous venons de parler des voies de transmission arabes. Tout, pourtant, n'avait pas été détruit ou oublié en Europe - Un certain niveau de connaissances techniques s'était maintenu dans les zones les moins touchées par le premier et brutal choc des invasions. Ce fut notamment le cas en Italie; ce qui explique pourquoi le début du renouveau mathémathique et technique ( par les "ingineors ou "engigneurs" ) sera surtout le fait d'italiens.

- L'apport des "barbares" n'avait pas été nul, au moins au plan des techniques : le monde romain leur était redevable ( Celtes ) du fer à cheval, notamment, et de divers progrès de la métallurgie, tel l'emploi des "fondants". L'agriculture leur doit la charrue, à roues, coutre et versoir, qui permet les labours profonds et ceux des terres lourdes à où l'araire serait impuissante; la moissonneuse primitive, aussi, qui sera oubliée dans la période de "tornades" des Vème et VIème siècles. ] L'invention du moulin à eau, peu avant le début de notre ère, leur est attribuée, etc. Bref, les "barbares" n'avaient pas été seulement - ou tous - des guerriers brutaux : leur descendance sera apte à développer les connaissances, comme l'avaient été les descendants des frustes envahisseurs de la Grèce.

- Un point particulie - qui mérite réflexion - est celui de la transmission, par copie, des textes en Occident. Textes sacrés le plus souvent, mais aussi profanes et parfois scientifiques ou techniques. Pendant longtemps la seule structure ayant conservé à peu près sa solidité fut l'Eglise, et nous avons cru - beaucoup le pensent et le disent encore - que les moines avaient été les seuls artisans de cette transmission par leurs travaux de copistes. - Ce n'est que depuis quelques dizaines d'années que l'étude

systématique des colophons173 ( Catalogue des colophons de l'Université de Fribourg ) a montré que les copistes, en grande

majorité, furent des femmes : moniales, mais aussi et surtout, laïques travaillant à domicile sur commandes de monastères.

Dans les faits, les moines - alors très nombreux - de certains ordres furent surtout chefs de chantiers de défrichement et de la reprise agricole. D'autres se spécialisèrent dans les Ponts et Chaussées réouvrant des routes à l'abandon, dirigeant la construction de ponts, etc.

Nous profiterons ce cette occasion pour rappeler que dès 1883 Karl Bartoch écrivait qu'au Moyen Age les femmes lisaient et crivaient beaucoup plus que les hommes, grce à un niveau d'instruction moyen nettement supérieur. Mais, cent ans après Bartoch - Education Nationale et M.L.F. aîdant - nous en sommes encore à la vision du moine copiste; du seigneur dévastant les récoltes au cours de ses chasses - oubliant qu'il en bénificiera d'une partie; du serf-esclave passant le jour au travail et la nuit à battre l'eau des douves - à grand bruit - pour que le coassement des grenouilles ne gène pas le repos des châtelains...Quant à la femme, cantonnée aux continuelles maternités et à l'ignorance, elle est la serve du mari, quelle que soit la condition sociale de ce dernier. En réalité, et comme l'ont montré les travaux de quelques historiens courageux - car il est risqué d'aller contre les idées reçues - l'Eglise avait agi de maniere déterminante pour la promotion sociale de la femme, ( comme pour la disparition de l'esclavage ), mais à partir de la fin du XIVème siècle, la redécouverte des philosophes et du juridisme anciens lui fit perdre peu à peu la majorité des droits acquis . P. ex, exercer un métier "intellectuel" ( médecin, chirurgien ), exercer une autorité ( voter pour l'élection des consuls autorité des régentes ), accès à l'instruction. L'arrêt - "édit Lemaire" -

de 1593 consacra cette régression.174 ( Ceci donc, bien avant le Code Napoléon imprégné des idées romaines certes, mais

voulant surtout lutter contre la licence révolutionnaire et son corollaire : la dénatalité).

1. LES SCIENCES.

Ce que nous venons de dire suffirait presque pour sauter ce paragraphe. Nous ajouterons pourtant quelques points particuliers.

Mathématiques.

Cette science, fondement de toute autre, était tombée dans un état lamentable en Occident jusqu'à sa réintroduction à travers, surtout, l'Espagne musulmane. Nous ne !savons pratiquement rien des débuts de sa renaissance ; toutefois un repère

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existe : en 1366 le pape Urbain V, ( pape à Avignon, moine originaire du Gévaudan, fils d'un chevalier-paysan chose banale aux débuts du XIVème siècle ), décida que tout candidat à la license devrait possèder un certain niveau en géométrie plane et en arithmétique. ( Pour se faire une idée de l'état de cette science, quelques 150 ans plus tôt en !Europe du Nord, de la Bretagne aux pays Baltes, il suffit de savoir que, localement, un jeune étudiant - par exemple, fils et futur successeur d'un gros marchand - ne pouvait apprendre que l'addition et la soustraction. Pour la multiplication, il devait être envoyé dans une université méridionale : Sud de la France, Italie, Espagne. Celle de Salerne jouissait d'une réputation enviable : elle avait des professeurs capables de mettre la division à la portée d'un élève doué).

Une mention spéciale semble nécessaire, sur une question relevant de la mécanique des corps - et de la présente étude - la Balistique: Les problèmes de balistique interne ne concernent que les armes à feu; ils ne seront étudiés de manière rigoureuse qu'à la fin du XIXème siècle. Mais la balistique externe joue pour tous les projectiles, quel que soit leur mode de lancement.

sez bizarrement, l'antiquité ne s'est guère intéressé au problème des trajectoires, sauf les combattants, lesquels cherchaient :

- de maniere empirique, à augmenter les portées en tir tendu et tir plongeant

- et par l'entraînement, à améliorer la précision. Au XIVème siècle le problème intéressa enfin des théoriciens, mais qui voulant rester strictement dans le cadre des "catégories" aristotéliciennes se lancèrent dans une voie radicalement fausse bien qu'elle ait été examinée et discutée avec passion. Cette notion (erronée) fut celle de l'impetus qui tentait de relier les deux mouvements d'Aristote : le "naturel" et le "violent". Vers le milieu du siècle, et appuyée sur l'autorité de Nicolas de Cues, la majorité des penseurs adopta cet impetus, inhérant au mouvement violent, mais éphémère ce qui, dès son épuisement, se traduit pour le projectile en mouvement naturel. ( L'impetus n'a jamais reçu de traduction; le mot le plus voisin de cette notion pourrait être : élan). Mais, comment se traduisait son action sur la trajectoire des projectiles ? Après de nouvelles, longues et passionnées discussions, à la fin du XVème siècle - donc aussi la fin du présent chapitre - le monde savant universitaire tomba d'accord sur la onclusion suivante : - tant que l'impétus n'est pas épuisé, le projectile est soumis au mouvement violent; il décrit une droite inclinée selon l'angle de tir; - dès qu'il est nul, le mouvement naturel ( en gros, notre pesanteur ) reprend ses droits et le projectile tombe verticalement. Certains "voyaient" donc la trajectoire sous la forme de deux portions de droites, la première inclinée sous l'angle de lancement, la seconde verticale. D'autres, qui sans doute avaient regardé une flèche en vol, ou le projectile d'un trébuchet, avaient bien été obligés de constater que la "cassure" des deux droites n'existait , ,s. Ces schismatiques plaçaient donc une portion de courbe entre les deux trajets rectilignes. Naturellement, courbe la plus parfaite, l'arc de cercle, intercalé dans les catégories aristoteliciennes : le ( scandaleux ) "media quies".

Ce qui parait étrange à nos esprits modernes est que, malgré Bacon et ses idées, nul

n'ait été surpris de constater qu'une flèche est retrouvée fichée obliquement dans le sol, alors que la théorie de l'impetus voudrait qu'elle soit plantée verticalement. Seuls les archers, arbalétriers, servants de machines de jet - ignorant tout des catégories d'Aristote, voire son nom - eurent une notion expérimentale assez claire de la trajectoire réelle et surent donner à leurs tirs l'angle de hausse convenable pour atteindre le but selon la distance. , Il fallut attendre les "Principia mathematica" de Newton - 1687 - pour que les lois de la mécaniques des corps soient définies. Mais le moins que l'on puisse dire est u'il fallut bien longtemps pour comprendre qu'elles s'appliquaient aussi au projectiles ( en supposant nulle la résistance de l'air ): les "Oeuvres militaires" de M. de Sionville, publiées en 1746, comportent encore les trois phases du mouvement des boulets : "violentus" ( rectiligne ), "mixtus" ( arc de cercle ), et naturalis vertical, avec croquis explicatifs à l'appui, tout à fait comparables à ceux que l'on peut trouver dans les "carnets" de Léonard de Vinci.

Nous avons quelque peu développé cette question pour montrer à quel point les hommes de la fin du Moyen Age, de la Renaissance, et jusqu'au siècle des lumières, furent prisonniers des idées de l'Antiquité. Avant de les critiquer, il faudrait balayer devant notre porte : les distinctions entre force, énergie et puissance, entre masse et poids, sont encore bien mal saisies par la

majorité de nos contemporains, y compris - pour ne pas dire surtout - dans les milieux de l'"intelligentzia".175

Nous sourions des personnes âgées, qui s'étonnent qu'un missile puisse continuer à célerer dans le vide, là où il ne peut plus appuyer sur l'air ; mais nos petits neveux riront de notre ignorance sur des questions qui, jugeront-ils, devraient nous être évidentes.

Physique.

Au plan théorique, elle ne fit pratiquement aucun progrès. En revanche les ingénieurs découvrirent certaines applications de principes connus depuis un !millénaire. Par exemple, le simple levier, muni à une extrémité d'une lourde masse, à l'autre d'une sorte de poche de fronde, très agrandie, conduisit à la création des machines lourdes de jet, à contrepoids, le trébuchet et le mangonneau, ignorés de l'antiquité. C'est encore le principe du levier qui servit au gouvernail d'étambot, beaucoup plus efficace que les grands avirons verticaux de flanc, traditionnels. , Mais, au total, il faudra attendre la fin du XVIème siècle - une centaine d'années après celle de ce chapitre - pour que de nouveaux principes théoriques de la physique se fassent jour.

Chimie.

Nous en avons touché un mot. En fait le Moyen Age ne connut pas le chimiste, au sens où il peut être entendu seulement vers la fin du XVIIIème siècle. Mais les travaux des alchimistes, en Espagne musulmane d'abord, puis en Europe occidentale et centrale, conduisirent à des résultats non négligeables. Outre l'amélioration de la composition de la poudre noire, qui permit de passer de la propulsion des fusées chinoises à l'emploi dans les armes à feu ( nous aurons à y revenir ) les (al)chimistes eurent les premières notions d'éléments, de corps simples et purs, de mélanges miscibles, et arrivèrent à isoler, précisément, un certain nombre de corps purs; par exemple l'alcool, l'acide sulfurique... Leur erreur, à nos yeux, résida dans la croyance à la possibilité de transmutation chimique des éléments. Il n'empèche que cette science fit, du XIIème au XVème siècles, de très réels progrès. Au plan militaire, nous aurons aussi à évoquer le fameux et quelque peu mystérieux "feu grégeois".

Astronomie et cartographie.

Rappelons qu'Eudoxe, Appolonius de Perse, Hipparque et surtout Claude Ptolémée avaient fait triompher la thèse de la Terre centre de l'Univers contre Aristarque et Philolaïus partisans de l'héliocentrisme . Cette idée, fausse, dut en partie son succès à la logique religieuse populaire spéciale du Moyen Age : Jérusalem centre de la Terre et par extension, la Terre centre du Monde. Mais Hipparque avait eu le mérite de dresser un catalogue ( ascension droite et déclinaison ) beaucoup plus complet - 800 étoiles - que celui d'Aristyle et Timochangis ( et oeuvrant 150 ans après eux, de découvrir le phénomène de precession des équinoxes). Ce sont les astronomes musulmans, nous l'avons dit, tels Al-Fergani, Albategne, Thébit Ben Korrah, Aboul-Wiffa, qui reprirent le flambeau, avec considérable accroissement du catalogue d'Hipparque. A noter qu'ils reprirent sa répartition en 6 classes de luminosité qui, d'ailleurs, correspond de près à nos mesures scientifiques magnitude . ( Les corps de magnitude 7, et au delà, ne sont pas visibles à l'oeil nu). Ce sont aussi les stronomes musulmans qui, les premiers, observèrent l'objet céleste le

plus lointain visible à l'oeil nu : la galaxie d'Andromède, M.31 dans le catalogue de Messier, à 2,2 millions d'années lumiére.176 Ils

la décrivaient comme un petit nuage faiblement lumineux, comparable à une lointaine lumière vue à travers une ince lame de corne. Avec la disparition de l'Empire d'Occident, la cartographie, elle aussi, subit une regression par rapport aux tracés

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d'Erathostène et de Ptolémée. Ici encore les connaissances des anciens reviendront en Europe occidentale et centrale à travers le monde musulman. La fin du Moyen Age, toutefois, "reprit le flambeau" avec l'établissement des portulans, comparables à nos cartes marines jusqu'à un certain point puisque, destinés aux navigateurs, ils ne prenaient en compte que le tracé des côtes, la position des îles et îlots, et celle des ports. Ces portulans sont assez précis, en pariculier pour la Méditerranée. En revanche les essais de planisphères, à partir du XIème siècle, toujours centrés sur Jérusalem, furent très médiocres. Malgré ses déformation la vieille carte romaine découverte à la fin du XVème siècle à Worms, et offerte à Conrad Peutinger, ( "Tabula Peutingeriana" ) fut abondamment copiée, faute de mieux au moins pour les déplacements à l'intérieur de l'Europe ( distances et étapes entre villes).

On peut encore citer - l'"Atlas catalan" de 1375, à échelle beaucoup trop petite pour être utile à un voyageur, mais qui démontre une certaine connaissance de l'Afrique du Nord Ouest, depuis le Maghreb jusqu'au Niger - la réimpression, en 1477 à Bologne, de la très vieille "carte du monde" (connu), de Claude Ptolémée, assez exacte pour la Méditerranée et ses approches terrestres; et, à l'Est, jusqu'à la Péninsule Arabique et la Mer Noire. ( Mais, ici aussi, l'échelle est beaucoup trop petite pour être d'une quelconque utilité à un déplacement par voie de terre).

Le plus ancien globe terrestre177 connu est celui de Martin Behaim, de Nuremberg. ! Par une de ces ironies dont le cours de

l'Histoire est si fréquent, achevé en 1492, l'année même où Colomb découvrit les Amériques, ce globe représente exactement l'idée que l'on se faisait alors du Monde : circonférence sous-estimée et Eurasie très sur-estimée d'Ouest en Est, si bien que Cipango - le Japon - et Cathay - la Chine, se trouvent de l'autre côté "d'un" Atlantique, lui même nettement moins large qu'en réalité. Il semblait donc assez facile d'aller des Açores ou du Cap-vert vers Cipangu insula et de là vers le continent asiatique.

Relevons enfin le fait que les cartographes du Moyen Age ignoraient - ou plus exactement, avaient oublié ce que connaissaient ceux d'Alexandrie - à savoir, l'impossibilité du "développement" de la sphère sur un plan. Les pemiers systèmes de jection rationnels, ( mais nécessairement "non conformes" ), devront attendre la fin du XVIème siècle avec Mercator, ( Gerhard Kremer ).

12. LES TECHNIQUES.

Ici encore nous retrouvons les conséquences des grandes invasions. Plus, d'ailleurs sans doute par l'anéantissement de structures sociales et administratives séculaires que par les destructions : l'abandon de l'entretien, de l'"investissement" en travail quotidien, conduit un peu moins vite, mais aussi sûrement à la ruine de ce qui existe que le saccage volontaire.

Travail du bois.

Passées les grandes invasions/migrations, un monde nouveau était à rebâtir; plus exactement, à reconquérir; et pour la France, plus particulièrement dans les zones les moins anciennement romanisées. Après 200 à 250 ans d'abandon, la majorité du sol européen occidental n'était plus que landes, marécages - drainages disparus - et forêts. Les monastères devinrent des centres d'opérations dont les moines, encadrant la population, se mirent à raser les broussailles, brûler des montagnes de ronces et de

taillis, et pour ce qui nous concerne, à abattre les arbres.178 Un prodigieux volume de bois fut donc disponible et à valeur

marchande nulle, ce qui lui donna des emplois presque universels : habitations; premiers châteaux forts où tout, murailles tours et même le dominium ancètre du donjon, était fait de troncs équarris; roues hydrauliques; ponts; engrenages de moulins ( à "lanternes" );grues primitives et chèvres de levage; araires; chariots; seaux et récipients divers; sabots; métiers à tisser;

conduites d'eau179 ... sans parler de ce qui, à cette époque, ne pouvait être fait d'un autre matériau que le bois : barques,

navires, etc.

- - Le menuisier-charpentier du Moyen Age a exécuté des réalisations admirables, compte tenu de l'outillage dont il disposait: que l'on songe, par exemple, aux gigantesques échafaudages qui furent nécessaires à partir des XIIème/ XIIIème siècles pour construire les cathédrales ou les énormes châteaux forts de pierre !

Métallurgie.

Dans un premier temps - du Vème au Xème siècles environ - le métal était redevenu rare, donc précieux, tant en raison de l'effondrement du nombre des spécialistes que par l'abandon de nombreuses mines. Il était donc réservé aux seuls emplois que le bois ne pouvait asolument pas assurer : lames des outils; écailles ou mailles des cuirasses; serrures... Le système de production était celui, rudimentaire, de l'antiquité. Vers 700/750 fut mis au point le procédé dit du four catalan qui fournissait le fer en plus grandes quantité à chaque mise en oeuvre, mais toujours sous la forme de la loupe mélangée de scories qui devaient être chassées par martelage à chaud - ce qui exigeait plusieurs réchauffes.

est l'emploi de la puissance hydraulique ( après une passagère stagnation due aux "craintes de l'"an mil" notamment ) qui contribua le plus à l'augmentation de la production du fer, favorisée par une demande toujours croissante. Cette puissance servit à mouvoir des premiers marteaux-pilons ( soulevés par d'énormes arbres à cames, de bois ), à actionner les soufflets des fours et des forges. On obtint ainsi des températures plus élevées que dans l'antiquité - qui, rappelons- le, ne semble pas avoir dépassé 1300° C. La hauteur des rours allant en augmentant, parallèlement à la puissance de soufflerie, le jour vint où, pour la première fois le minerai laissa s'écouler de la fonte liquide. ( Fin du XIIIème ou début du XIVème siècle. A Siegen, dans la Rhur, pour les uns; en pays flamand pour d'autres ? ) Cet évènement était capital pour la sidérurgie, puisqu'il était enfin possible de couler des pièces à base de fer. Mais le problème de la décarburation se posait plus que jamais ; la fonte est très dure, peu

sujette à la corrosion, maiscassante. Il fallait donc procèder à une laborieuse décarburation par le "puddlage"180 Vers 1350, le

four atteignait une hauteur de 5,50 m environ, et dans la mesure du possible on ne l'éteignait plus qu'à longs intervalles, pour entretien : il était devenu un haut-fourneau, produisant de l'ordre de 3/4 de tonne de métal par jour.

Cet essort quantitatif et, dans une certaine mesure, qualitatif ( il ne reste pas de scories dans la fonte ), allait correspondre à un rapide accroissement de la demande. Pour ce qui nous intérêsse, aux équipements de protection et aux armes, notamment les armesà feu et leurs munitions : le boulet de pierre reçoit vite un cerclage de fer, puis cède la place à celui de fonte. Notons, pourtant, le fait que le canon "de fer" - en fait, de fonte plus ou moins bien décarburée - allait se révéler dangereux pour l'utilisateur ( surpris qu'une matiere aussi dure soit fragile ). Il faudra revenir pour très longtemps - malgré le coût - à l'emploi du bronze : en 1914 nos arsenaux détenaient encore, bonnes de guerre des pièces de bronze, notamment le fameux 10-culasse et surtout des mortiers, plusieurs fois centenaires parfois, mais qui rendirent des services dans la phase initiale de la guerre de tranchée.

Travail de la pierre.

Ici encore la chute de l'Empire fut suivie d'une période de régression qui se prolongera en Europe occidentale selon les régions de la fin du Xème au milieu du XIIème siècles. Elle avait plusieurs causes : la disparition/dispersion des spécialistes - du tailleur de pierre à l'architecte; la mauvaise qualité des outils de taille, et aussi la facilité et l'économie de l'emploi du bois puisque sa valeur marchande fut à peu près nulle pendant la longue période de défrichag. Les techniques de travail de la pierre ne reviendront que peu à peu; par diffusion depuis surtout l'Espagne islamisée, mais aussi depuis l'Italie. Le progrès sera accéléré, après 1100, par la fortification et la construction des édifices religieux.

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Machines et engins.

Là encore les débuts du Moyen Age occidental marquent une régression à peu près totale, tant pour les machines à usage civil que pour les engins de guerre. ( Avec toutefois une certaine exception dans l'Italie génoise et lombarde, qui avait conservé quelques traditions techniques de l'antiquité). Par exemple, la grue décrite par Vitruve dans son manuel d'architecture ( rédigé vers -10 ), ne sera plus utilisée avant le IXème siècle, bien que ce modèle ne soit pas un engin de travaux publics complexe. Il faudra attendre le XVème siècle pour voir apparaître la grue à flèche inclinable dans le plan vertical, et pouvant pivoter sur

360°.181 En allant au fond des choses, ces engins ne diffèrent guère dans leur principe des grues actuelles, sauf par l'emploi du

bois au lieu de profilés d'acier, et surtout par la souce d'énergie : les moulins de discipline semblables à d'énormes cages d'écureuils actionnées par des hommes. ( Appellation venant du fait que ces roues étaient mues le plus souvent par des condamnés à l'équivalent des "travaux forcés"). C'est à la charniere des X/XIèmes siècles que fut retrouvé le principe du treuil à levier, nécessaire pour dresser les colonnes des cathédrales sans recourir - comme les constructeurs des menhirs, à l'établissement d'énormes talus puis basculement du monolithe. ( Datation par la représentation sur des "vignettes" de manuscrits).

Le vérin - à vis de bois - fut inventé en France ou y arriva ? ) vers 1250.

Les machines de guerre subirent également en Occident une éclipse à peu près totale jusqu'aux débuts du IXème siècle. Les engins de siège renaîtront peu à peu grâce aux quelques notions conservées en Italie, puis plus vite au contact de l'Islam - mais !lors des croisades, et non depuis l'Espagne musulmane - et dans une certaine mesure, e l'Empire byzantin. De nouveaux engins - nous y reviendrons - apparurent vers 1150. Leur particularité était d'utiliser l'"énergie potentielle" de chute ( celle d'un contre-poids ) au lieu de l'élasticité d'arcs ou celle de la torsion d'un écheveau.

Mais l'artillerie de campagne, mobile, à la romaine, disparut des champs de bataille pour plusieurs siècles. Elle ne reviendra qu'avec les bouches à feu, quand elles seront montées sur des affûts à roues, c'est à dire à l'extrème fin de la période couverte par ce chapitre.

Problèmes d'énergie.

A. L'être humain.

Parallèlement à l'émancipation de la femme - sans verser dans la licence ce qui, on l'avait déjà vu et on le verra depuis, constitue un équilibre délicat - la diffusion du christianisme (c) avait agi pour faire disparaitre l'esclavage. Transformation progressive, car s'attaquant à des habitudes millénaires. Dans un premier temps les conciles avaient exigé que l'esclave soit considéré comme un être humain, au moins au plan familial : mariage, interdiction de la dispersion de la famille. La phase suivante fut celle de la libération. Le concile d'Orléans ( 511 ) décide que pour l'esclave en fuite l'église est un refuge inviolable. Puis le rachat de l'esclave, pour émancipation, se répand rapidement puisqu'il ne peut être refusé à l'autorité clésiastique. Or la main d'oeuvre servile avait été une constante "énergétique" de l'antiquité. En moins de deux siècles cette ressource disparait en Occident, ce qui provoque - bien avant le "serpent de mer" pétrolier - une véritable crise de l'énergie. Mais, selon le slogan, quand on n'a pas d'énergie, il faut avoir des idées . Ces idées se traduisirent par une meilleure utilisation de la force de traction animale (Cf.infra), la multiplication des moulins à eau - pour bien d'autres emplois que la seule meunerie; plus tard, celle des moulins à vent. , A titre d'exemple, si nous connaissons très mal ce qu'il en était sur le territoire actuel de la France, en revanche le Domesday Book cadastre établi sur l'ordre de Guillaume le Conquérant montre qu'en Angleterre où l'esclavage a disparu un siècle et demi, environ, après la France, en 1086 on ne recense pas moins de 5624 moulins à eau. ( De rivieres et "moulins à marées"). Or cette Angleterre - hors Ecosse, Pays de Galles et Irlande - représente moins de la moitié de la surface de la France ( dans ses limites actuelles ) et moins du quart ( env. 1,4 M ) de notre population d'alors.

Remarque : Non sans une certaine part idéolologique sous-jacente, on a assimilé et on assimile encore la condition du serf à celle de l'esclave. Pourtant les différences sont considérables : l'esclave depuis l'antiquité a toujours été un "non-humain"182 .

Le serf est le plus bas échelon du système féodal, avec ce que ce système implique comme devoirs, mais aussi comme droits.

Le serf doit :

- rester attaché à la terre, sauf autorisation du seigneur

- verser au seigneur une sorte de loyer en nature ( part de récoltes sauf sur le lopin alloué à son profit exclusif )183 et en

travail.

En contre-partie, le seigneur doit :

- la protection, en cas de conflit ou de passage de pillards

- rendre, ou faire rendre, justice ( selon coutumes régionales ) au serf en cas de crime ou délit commis à son encontre ou à celle de sa famille. Les travaux à exécuter par le serf au profit de son seigneur - en fait, travaux d'intérêt général : entretien des chemins, renforcement des défenses, etc - furent définis par le concile d'Eauze qui décida que si le seigneur a abusé de son autorité, le serf devient automatiquement un homme libre : le "contrat" doit être respecté par les deux parties. On a souvent comparé, à assez juste titre, la condition du serf à celle du paysan en régime marxiste, encore qu'intéressé au rendement de la terre qu'il cultivait, le serf s'y consacrait avec plus de motivation que le paysan-ouvrier d'Etat soviétique.

L'homme libre de la campagne est le "vilain" - mot qui ne prendra un sens péjoratif que par intelligentzia urbaine - c'est à dire l'habitant de la "villa" au sens latin. Dans les faits un modus vivendi s'établissait entre vilain et seigneur voisin : protection éventuelle et refuge dans le château en cas de besoin, et utilisation des installations "banales" - chemins, four, lavoir...- contre un loyer en nature ou monnaie. Mais le vilain est entièrement libre de vendre son bien, de se déplacer, etc, ce qui le différencie du serf lié à la terre qu'il exploite.

L'animal.

Certains auteurs font remonter l'invention du collier d'épaule - appliqué au chameau avant de l'être au cheval - au IIème siècle et au Moyen-Orient. Puis il aurait gagné vers l'Ouest, pour être généralisée en Europe aux débuts du IXème siècle. Des délais aussi longs - plus de 600 ans - nous semblent parfaitement invraisemblables pour un objet mobile par définition, et utile au premier chef : la progression de cette découverte, intérêssant le commerce, n'aurait été que de 3 à 4 km par an ! En tout état de cause, ce collier d'épaule remplaçant la courroie de cou va permettre à l'animal de déployer une puissance moyenne 4 à 5 fois supérieure, et désormais le cheval va concurrencer avantageusement le boeuf dans les travaux agricoles et les charrois, ne seraît-ce que par sa vitesse moyenne, en traction de force, de 5 à 5,5 km/h au lieu de 3,5 à 4. L'attelage en file, par le palonnier vint rapidement remplacer l'attelage de front - jusqu'à 6 animaux - seul pratiqué dans l'antiquité.

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C'est au début du XIIIème siècle, semble-t-il, qu'à l'imitation de l'Espagne musulmane commença à se pratiquer la sélection pour obtention de races bien adaptées à leur emploi. Mais, dès lors, aussi bien pour le cheval de trait d'une part que pour les diverses races destinées au combat d'autre part. ( Le cheval de guerre de l'Islam est une bète souple, rapide. Le destrier occidental, "plate-forme" d'une lourde charge et quelque peu "blindé" lui-même, sera surtout un animal puissant).

Le cheval n'élimina pas le boeuf comme bête de trait, notamment dans les régions à sol pauvre et à climat froid - dont montagne entre 700 et 1800 m : en hiver le bovidé peut se contenter d'un mélange de foin et de paille de seigle, alors que le cheval est plus exigeant. Le joug "sur mesure" date de la fin du IXème ou du début du Xème siècle. Il permet à l'animal d'ajouter la poussée du front à la traction par les cornes, seule autorisée par l'ancien joug qui n'est guère qu'un morceau de madrier fixé à demeure sur le timon de l'instrument à tirer, et "ficelé" aux cornes. On peut estimer que ce nouveau joug, permettant aux bètes de déployer toute leur puissance, doubla leur possibilité de traction sans le risque de blessure - corne cassée par un effort accidentel trop violent - mettant le boeuf dans l'impossibilité définitive d'emploi. Le revers de la médaille tient au fait que le nouveau joug doit être retouché, voire remplacé, en cas de changement de l'un des boeufs de l'attelage. Le paysan pauvre emploie l'âne, le mulet, ou attelle des vaches: mais la vache qui travaille ne donne que très peu de lait. Ici encore la sélection a

permis de créer des races de mieux en mieux adaptées aux besoins. Elle s'est poursuivie jusqu'à nos jours.184

Moulins à vent.

La machine aurait été inventée, avec axe vertical évitant les renvois, en Iran entre le Vème et le VIIème siècles. Nous ne savons pas quand et qui eut l'idée du moulin à axe horizontal, qui est susceptible de recevoir un système de sécurité automatique pour le cas de tempète. , Le moulin "turquois" fut sans doute rapporté de la première croisade par les hommes Robert de Normandie, puisque c'est dans cette province que les premiers apparurent au début du XIIème siècle. L'appareil reçut de multiples perfectionnements que nous ne détaillerons pas puisqu'il n'eut pas d'applications à l'armement.

Moulins à eau ( et à marée ).

Nous en avons touché un mot plus haut, et nous avons indiqué au chapitre IV qu'ils remontent au moins au premier siècle avant notre ère. Mais, après les grandes invasions la première mention de l'une de ces machines remonte au Vème siècle. La crise de l'énergie conduisit à les multiplier : pour la meunerie d'abord ( moulin "banal" ); puis pour de multiples applications dont certaines vite appliquées à la production d'armes et équipements militaires : entraînement des soufflets de fours et de forges; affûtage; polissage des armes et armures. Plus tard, broyage de la poudre noire par pilon soulevés par des cames; alésage des armes à feu, etc.

Chimie.- Nous ne reviendrons pas sur cette science en général, mais sur deux de ses applications : le "feu grègeois" et la poudre noire.

A. Le feu grègeois.

C'est une composition incendiaire, liquide qui aurait été mise au point au VIIème

Kalinikos, d'Héliopolis, pour l'Empire d'Orient. En réalité cette tradition esttrès douteuse. Ce qui est certain est que dès la fin de ce VIIème siècle Byzance a disposé d'une arme incendiaire qui a fortement contribué à sa défense contre les attaques

musulmanes, aussi bien à terre qu'en mer185 : dans le premier cas, par machines de jet lançant des pots contenant la mixture;

dans le second, par lancement aussi, à la main, de petits pot-grenades et également par arrosage direct des navires ennemis à l'aide de pompes et lances incendiaires. ( En fait, c'est surtout en guerre navale, ou contre des bâtiments de débarquement, que le feu grègeois fut employé). Ce monopole byzantin fit l'objet d'un secret tel que nous ignorons la composition exacte du liquide incendiaire. On peut supposer que le mélange comprenait du naphte, du souffre, du salpètre - apport oxydant : nitrate de potassium - peut-être de la poix et sans doute de la chaux vive, pour provoquer l'inflamation au contact de l'eau. Très récemment des auteurs "ont ajouté" de l'aluminium en poudre, voire du magnésium ou du phosphore, mais quoiqu' hypothèses séduisantes ( non extinction par l'eau ) elles ne sont pas vraisemblables : il faudra attendre près d'un millénaire pour isoler le phosphore, et plus encore pour obtenir aluminium et magnésium - en très faibles quantités au début, car par voie chimique : l'aluminium n'est devenu un métal banal qu'à partir de sa production par électrolyse. Les moyens de l'époque ne permettant pas de préparer une mixture incendiaire par seul contact de l'air, mais seulement de l'eau, on peut supposer que les "pots" endiaires comprenaient en fait deux récipients isolés et étanches : l'un contenant le produit, l'autre une quantité d'eau suffisante pour assurer l'inflamation au moment où l'ensemble se brise sur l'objectif.

Le secret finira par percer chez les Arabes et les Turcs - les croisés en feront l'amère expérience - mais en partie seulement : les effets décrits par les chroniqueurs ne correspondent pas exactement à ceux du "vrai" feu grègeois

( Les liquides incendiaires ne reverront le jour que pendant le conflit 1914-1918).

B. La poudre noire.

Il est pratiquement certain que les premiers mélanges de charbon de bois, salpètre et souffre, ont été réalisés en Chine vers la moitié du premier millénaire, donnant les "lances à feu" - Huo Sang - que l'on pourrait assimiler jusqu'à un certain point à nos lances-flammes modernes, mais à effets plus spectaculaires que pratiques. Les soldats munis de la lance à feu avaient constaté la force de recul produite en sens inverse de la direction des flammes. Entre les VIIème et Xème siècles furent mises au point les "flèches à feu" des archers chinois. C'étaient la combinaison de flèche d'arc et fusée d'appoint, donnant une plus grande portée, mais au détriment de la précision. Toutefois elle offrait deux avantages : effrayer les chevaux, voire les hommes, en bataille rangée; servir de projectiles incendiaires dans le cas de siège d'une ville. Un texte de 969 donne le détail de la fabrication des engins : composition du mélange propulsif, dimensions du cylindre-fusée le contenant et type de papier ( déjà inventé alors en Chine ) pour le confectionner; mèche imprégnée de salpètre puis séchée, position du propulseur sur la flèche, etc. On voit donc s'ébaucher la roquette qui n'aura plus besoin d'être lancée par arc. En Europe, Marcus Graecus ( Liber ad comburandos hostes ) donne au IXème siècle e recette pour la poudre de lance à feu : 1 part de charbon de tilleul, 6 de souffre et 6 de salpètre. On était donc encore assez loin des proportions optimales classiques : 2 pour le charbon, 1 pour le souffre et 6 pour le salpètre; mais les composants définitifs étaient bien présents. Dès le XIIIème siècle les armées de Gengis Khan utilisent des "pots à feu" venus sans aucun doute de la technique chinoise; mais nous ne savons pas exactement quel type d'arme désigne cette expression. ( En Occident, les "pots à feu" furent les premiers mortiers; ici, on peut penser qu'il s'agissait de grenades primitives). Notons encore que certaines traditions indiquent que les effets explosifs de la poudre noire - ou d'une composition très voisine - auraient été utilisés dans les mines du Hartz à l'extrème fin du XIIIème siècle ou au début du XIVème. Toutefois les preuves de son emploi banalisé dans cet usage ne remontent qu'à 1625 - mine de Schemnitz - et 1630 - mine de Freiberg., Pourtant, s'il n'y avait eu ni emplois civils, ni armes àfeu, l'existence démontrée d'une poudrerie à Augsbourg en 1340 serait une absurdité. Absurdité aussi le décrèt florentin de 1328 dont nous reparlerons; absurdités encore l'existence de marchands de poudre à Lille, à Rouen et dans plusieurs villes flamandes ( qui vers 1330/1340 ont le monopole pratique d'exportation vers l'Angleterre).

En définitive, s'il semble bien que l'Orient ait, le premier, remarqué et utilisé les propriétés déflagrantes du fameux mélange

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charbon-souffre-salpètre, c'est sans doute en Europe, à la "charniere" des XIIIème/ XIVème siècles que fut à peu près mise au point la composition optimale de ce mélange. Que le "découvreur" soit Roger Bacon ou le moine Schwartz, ou tout autre adepte de l'alchimie, importe peu : cette de dégagement brutal d'énergie "était dans l'air" au début du XIVème siècle.

Navires et navigation.

A. Navires.

Pour les bâtiments de guerre la Méditerranée reste le domaine presque exclusif de la galère - avec voile(s) latine(s) auxiliaire(s) sur mat(s) repliable(s). L'époque du gigantisme à la Démétrios est révolue : le dromon, navire byzantin presque standard est très proche des liburnes qui avaient battu la flotte d'Antoine à Actium. Les navires "arabes" ( musulmans ), qui apparaissent dès la seconde moitié du VIIème siècle, sont très analogues, puisque construits dans les arsenaux maritimes conquis ( par voie de terre ) par les ouvriers qui travaillaient pour Byzance avant cette conquète : la côte levantine est prise après les batailles d'Adjnâdein et de Yarmouk Alexandrie après Héliopolis Barka en 640, etc. Néophytes en matiere navale, les Arabes utiliseront longtemps les services de "renégats" pour le commandement technique du navire, et des esclaves non musulmans comme rameurs. Il y a lieu de noter que la voile méditerrannéenne, latine en raison de son centre de poussée situé plus haut que la voile carrée, ainsi que le poids de la longue vergue - à surface égale de voilure - qui impose à son tour un mât robuste, tend à faire chavirer le navire si l'on n'a pas strictement limité ses dimensions. En revanche elle est plus maniable que les "phares" carrés des mers nordiques et permet donc d'utiliser le vent sous des "allures" moins "portantes". ( En clair : d'utiliser le vent arrivant non seulement par le travers, mais légèrement de l'avant, d'un bord ou de l'autre). Dans les mers du Ponant, ces voiles latines équiperont des bâtiments de faible tonnage ou serviront d'auxiliaires aux grands "phares" carrés pour â ines manoeuvre délicates : entrer dans un port, remonter un estuaire, etc.

A partir de la fin du VIIIème siècle se développa pe phénomène viking; raids de pillages côtiers d'abord, puis - par remontée des fleuves - attaque d'une grande partie de l'intérieur de l'Europe continentale.

Les premiers drakkars étaient de grandes barques - une quinzaine de m - non pontées mais munies de "quilles d'échouage". Il

étaient construits selon la technique du bordé à clins186 . Par vent favorable ( aux allures "portantes" du vent ) les hommes

associent une petite voile carrée à la propulsion à la rame. Plus tard les dimensions du drakkar s'accroitront, et il sera ponté. Devenu alors le drakkar kn rr il reçoit une voile ( toujours carrée) de dimensions relativement importantes et qui, orientée par écoutes et tangon, permet de tenir un certain "près" c'est à dire de remonter quelque peu au vent. Les kn rrs serviront de navires de charge pour le transport du butin, y compris de chevaux dont les guerriers-marins ont très vite saisi l'utilité pour les "raids" fulgurants à terre. Ces flottes vikings offrent un paradoxe : elles sont conçues pour des opérations guerrieres mais les navires ne sont pas des bâtiments de combat, et les batailles navales semblent avoir été tout à fait exceptionnelles. Les drakkars sont des navires de transport de troupe, robustes tout en étant rapides et légers, pour des combats livrés à terre. ( Le drakkar est si léger qu'il sera transbordé par voie de terre depuis les cours d'eau du Nord à ceux du Sud de la Russie).

Le gouvernail d'étambot constitua une innovation capitale : les traditionnels avirons verticaux, placés de part et d'autre de la

poupe ne permettaient pas de manoeuvrer rapidement des navires de plus de 200 à 300 tonnes.187 Il est apparu dans les mers

"du Ponant" vers la fin du IXème siècle, quoique les marines non méditerranéennes aient connu une certaine éclipse après les grandes ions - dont celles, navales, des Jutes Angles et Saxons vers la Grande-Bretagne. Pendant longtemps ce gouvernail d'étambot ( qui nécessite un nouveau concept de proue hors eau : un "mur" plan vertical ), sera commandé par une barre franche c'est à dire actionnée directement par le timonier, fixée sur la "mèche" de gouvernail dont les "aiguillots" tournent sur les "femelots" fixés à l'étambot. Au XVème siècle, et avec l'accroissement continu des tonnages, l'action directe sur la barre ne suffit plus : le timonier agira sur elle par l'intermédiaire d'un levier pivotant dans un plan vertical, perpendiculaire à l'axe du navire, et dont l'extrémité inférieure comporte une fourche métallique qui coiffe la barre. Ce dispositif permet de tripler, environ, l'effort exercé sur la barre. ( Plus tard encore, et avec les tonnages toujours croissants, il faudra en arriver à la roue, qui est en fait un cabestan pouvant haler la barre vers la droite ou la gauche).

Il n' empèche que le timonier fut jusqu'à nos jours l'"homme de barre".

A l'usage des puristes, ajoutons que la partie immergée du gouvernail est le safran qui peut être compensé, c'est à dire dépasser quelque peu vers l'avant de son axe de rotation, ce qui diminue l'effort à appliquer.

La prise de ris diminuant la surface de voilure en cas de vent trop violent, a peut-être été connue de l'antiquité, mais aucun texte ne permet de l'affirmer. Elle diffusa, ici encore dans les marines du Ponant - parce que essentiellement à voiles - vers la limite XIème / XIIème siècles. Les enfléchures, ces "échelons" de cordage disposés entre deux haubans pour faciliter l'escalade du mât pour un travail direct sur la voilure ( par exemple. la ferler ) avaient été utilisées dans l'antiquité, mais oubliées, semble-t'il, puis retrouvées et diffusées en même temps que la technique de prise de ris.

Drakkar mis à part, les bâtiments n'évoluèrent guère jusqu'au Xème siècle : nous avons dit que le dromon était très semblable

aux liburnes d'Actium ( -31 )., Pour la façade Atlantique-Mer du Nord de l'Europe le navire moyen la hourque188 , semble avoir

été très analogue ( Cf. tapisserie dela Reine Mathilde ) à ceux utilisés par les Vénètes contre les galères de César : lourde coque oblongue, pontée, à proue et poupe pratiquement symétriques ( légèrement relevées ) de 18 à 25 m de longueur pour une largeur de l'ordre de 5 à 6 m au maître couple; gréement constitué soit d'une grand'voile carrée sur les petits modèles à mât unique; soit d'une grand'voile sur mât arrière et d'un taille-vent - lui aussi carré - sur le mât avant. Le timonier agit sur un seul aviron de grande taille, non plus vertical mais légèrement incliné vers l'arrière, qui parait avoir toujours été placé sur le côté gauche de la proue. T Tant par la voilure que par le système de gouverne, la hourque fut sans doute peu manoeuvrante, et capable tout au plus d'utiliser le vent de travers. ( D'ailleurs, l'absence d'une quille ou de dérives latérales eut été rédibitoire pour tenter de tenir même le "près bon plein").

A partir du XIème siècle en Méditerranée, du XIIème pour les mers septentrionales, parait la Cogghe ( ou Cog ), qui porte un "château" avant et un "gaillard" arrière. Les cogs de Méditerrannée ont en général deux mats portant chacun une voile latine. Elles sont plus fines que celles du Nord et en cas d'urgence - par exemple, rencontre de pirates - la vitesse peut être accélérée à la rame : jusqu'à 60 rameurs pour 15 à 20 hommes de pont ( gabiers aptes au combat). La Cog du Nord et Ouest fut munie d'un seul mat au début, avec voilure carrée. Plus tard, d'un second mat équipé souvent d'une petite voile latine; ( pour les manoeuvres délicates notamment). Très vite le grand mât puis l'autre porteront une plate-forme, la hune, permettant l'observation à grande distance ( côte, récifs, navires suspects) et qui au combat reçoit des archers et arbalétriers - en attendant les arquebusiers - dont le rôle, plus facile que pour les tireurs placés dans le château et le gaillard, est de tenter d'abattre les combattants du bâtiment ennemi par tirs plongeants.

Navigation.

Depuis toujours, à défaut de voir des rivages, les marins n'avaient guère eu que le soleil ( en tenant compte approximativement de l'heure ) et les étoiles pour se guider. En particulier l'Etoile polaire. Le barreau aimanté, donnant la direction du Nord

magnétique189 aurait été découvert en Chine aux débuts de notre ère. Vers le passage du XIIème au XIIIème siècles l'Europe

mit au point une boussole primitive : fine aiguille aimantée placée dans un brin de paille flottant sur l'eau d'une écuelle. Cette

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écuelle fut vite soutenue par une sorte de montage à la cardan pour conserver l'horizontalité malgré tangage et roulis. ( Première mention de l'aiguille aimantée, en France, en 1200 et en 1207 pour l'Angleterre). Dès 1269 l'"ingigneur" Pierre de Méricourt monte l'aiguille sur pivot, l'enferme dans une boité étanche à couvercle transparent, colle une gradution sur le fond de cette boite et fixe sur le côté une alidade : la boussole primitive est devenue un compas permettant des relèvements. ( A noter que l'on savait qu'aucun objet de fer ne devait être approhé de la boussole primitive, sous peine de bouleverser ses indications). La vitesse étant appréciée à l'estime (le loch ne surviendra qu'au XVIIème siècle ) la combinaison de la longueur des trajets estimés parcourus et de leur orientation permet de faire un point...très approximatif. Mais l'astrolabe, des astronomes arabes du Xème siècle, détermine assez exactement la latitude par visée sur le soleil de midi - sous réserve de disposer d'un almanach tenant compte de la date, ou de la polaire la nuit. ( L'écart entre Nord vrai et polaire - 58' - est déjà connu avec une précision surabondante si l'on tient compte des conditions d'observation depuis un navire, même par mer d'huile). En revanche la détermination de la longitude restera plus que médiocre jusqu'à l'invention ( Chap. VI ) d'un garde-temps d'une extrème précision.

Un problème s'est posé à propos des Vikings, défricheurs de l'Atlantique par l'Islande, le Groënland, Terre-Neuve et la côte N-E de l'Amérique, alors qu'ils ne disposaient pas encore de la boussole. (Elle n'est mentionnée dans les sagas - le leidarstein - qu'à la fin du XIIIème siècle). Or le ciel de l'Atlantique Nord est uvent couvert pendant des semaines : le navigateur pourrait "tourner en rond". Mais les sagas font état d'une "pierre du soleil" - solarstein - permettant de connaitre la direction de l'astre malgré les nuages. Ce n'est que récemment que l'on s'est avisé du fait qu'il devait s'agir d'une variété de feldspath, proche de la tourmaline, qui a la propriété de polariser la lumière et permet de déterminer la direction du soleil par temps couvert. ( Mais pas son élévation).

C. Cartographie.

Nous en avons indiqué l'état plus haut. Rappelons que : - celle de la Méditerranée est très supérieure à celle des autres côtes et des zones terrestres; - la difficulté d'appréciation des longitudes donne lieu à une exagération des distances Est-Ouest; exagération qui malgrès les progrès des garde-temps sera encore sensible à la fin du XVIIIème siècle.

D. Imprimerie.

Le parchemin est un matériau noble, très solide190 , mais coûteux. Le papier avait été découvert en Chine au VIème siècle. Il

est connu en Perse au VIIIème, et, par le monde musulman, gagne vers l'Ouest, jusqu'en Espagne et Languedoc au XIIème, puis toute l'Europe.

La technique de copie des manuscris eut à s'adapter à ce nouveau matériau, mais si le support était plus abondant, et moins cher, le travail du copiste restait aussi lent.

L'invention de l'imprimerie fut progressive : elle commença par la xylographie, connue en Chine au VIIIème siècle et parvenue en Occident à peu près en même temps que le papier. L'utilisation de la presse à bras dériva de celle de la presse à essorer les feuilles de papier. La grande nouveauté, au XVème siècle, fut le concept du caractère mobile, groupé pour l'impression d'une page mais réutilisable pour une autre. Sa mise au point fut retardée, semble-t-il, par les longs essais nécessaires pour déterminer la nature puis la composition exacte de l'alliage - plomb, antimoine, arsenic - devant être fondu dans une matrice frappée avec un poinçon d'acier. Le premier ouvrage imprimé par Gutemberg ( Johanes Genfleisch ) en 1447 fut un almanach astronomique, et non la Bible, ouvrage trop important pour ces débuts. Rapidement - puisque l'on en trouve dans les incunables - furent imprimés des traités des ingénieurs les plus réputés de l'époque, ainsi que des éditions des architectes-ingénieurs latins ; par exemple, Frontin, Vitruve.

Les connaissances étaient donc à la disposition de chacun ? Nullement, car bon nombre d'utilisateurs potentiels ne savaient pas

lire.191

L'imprimerie était donc née; mais elle avait encore à faire de grands progrès. Par exemple les "carnets" de Léonard de Vinci furent très vite édités, mais sans les figures et dessins en raison de la difficulté de leur reproduction en cours de texte. Au début du XIXème siècle encore, beucoup d'ouvrages techniques comprenaient d'une part les tomes de texte, d'autre part un ou plusieurs tomes d'atlas c'est à dire oquis. ( Ex : Encyclopédie moderne Didot, 1852, qui comprend 3 tomes d'"atlas").

2. LES FONCTIONS MILITAIRES AU MOYEN AGE.

Ici à nouveau nous devons résumer en un seul chapitre les progrès accomplis pendant un millénaire. Mais la tâche nous sera facilitée par le fait qu'il fallut la moitié de ce temps, environ, pour retrouver le niveau technique militaire atteint par Rome : sauf rares exceptions, les véritables nouveautés n'apparurent qu'à partir du XIème siècle, et la lenteur de l'évolution nous permettra de couvrir sans difficultés excessives la péride allant de ce XIème jusqu'à la fin du XVème siècle.

On objectera le cas de l'Empire Romain d'Orient : il n'avait pas eu à subir de plein fouet les grandes invasions - encore qu'il ait dù largement compter avec la menace que représentaient les Huns. Mais, répétons-le, si sur certains plans - administratif et culturel notamment - l'Empire d'Orient a su conserver l'acquis, voire progresser, sur celui de la science et de la technique il s'est "endormi" au point qu'à la fin de la période considérée l'Occident avait non seulement rattrapé son retard, mais pris largement la tête dans l'ensemble de ces domaines. ( A la décharge des Byzantins, il faut reconnaitre que peu après les menaces des grandes invasions venues du Nord et de l'Est, l'Empire se trouva confronté en permanence à celle du monde musulman : pendant des siècles, et jusqu'à sa disparition il sera, comme on l'a dit, une "forteresse assiègée").

21. PROTECTION.

Les seuls mots "Moyen Age" sont puissament évocateurs de charges de chevaliers porteurs de brillantes armures et montés sur de robustes destriers, eux-mêmes bardés acier. En arrière-fond se profile, énorme, menaçante et imprenable, la masse du château fort...Nous allons voir que, devant prendre en compte les diverses époques et aussi les "niveaux sociaux" des divers combattants, il faut bien constater que évolution de la protection fut considérable, autant et peut-être plus que celle des mes.

A. Protection individuelle.

Cuirasse.

dans la Rome du Bas-Empire, une machine temporelle avait permis d'y transporter quelques guerriers de Charles Martel ou même de Charlemagne, ils n'auraient guère excité la curiosité des badauds : tout au plus eussent-ils été pris pour des troupes auxiliaires de passage venues d'une lointaine frontière. Ces combattants, en effet, portaient généralement une "broigne" très semblable à celle des fantassins et cavaliers auxiliaires, voire d'une partie des légions dites romaines : vètement de cuir ou d'étoffe très solide, doublé d'écailles métalliques se recouvrant partiellement. La souplesse de cette cuirasse ou de celle de mailles quasiguesnée en prolongera l'emploi jusqu'au XIVème siècle, seule pour l'homme de pied ou en complément - gorgerin, dossière - pour celui en armure. ! La cuirasse de maille "treslie" ( entrelacée ) avait d'ailleurs été connue de Rome, qui en

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attribuait l'invention aux Gaulois. C'était la "lorica hamata" ou, modèle très

(…)

voisin, la "lorica concerta". Techniquement quelque peu oubliée, sa fabrication difficile - il faut réaliser un fil de diamètre constant; le plier en anneau et ménager les plats, perforés pour rivetage; acierer ( carburer ) les anneaux; les river en les entrelaçant - la réserva longtemps aux personnages les plus riches. Mais sa souplesse et le fait qu'elle soit moins pénible à porter par temps chaud la mit très en faveur au moment des croisades. ( Portée sous un "surcot" réduisant l'échauffement du métal par le soleil. ) D'ailleurs, à la fin du XIème siècle les progrès réalisés en tréfilage - filieres successives d'excellent acier; traction forte et réguliere par moulin à eau - rendirent la cuirasse de maille treslie accessible à des bourses plus modestes., Cette cotte de maille offrait des avantages non négligeables : elle était très facilement réparable, et par moyens de fortune en cas d'urgence ( solide cordelette ) en attendant de pouvoir la confier à l'homme de l'art. Par ailleurs elle était ajustable, d'un individu à l'autre ou en cas de prise - ou perte - de poids : par suppression ou adjonction de rangées d'anneaux. Mais la protection offerte avait une efficacité limitée contre les coups d'estoc, les flèches du puissant long bow et surtout le carreau d'arbalête à mesure que crût la puissance de l'arme. Objectivement la broigne à écailles résiste mieux : il suffit d'augmenter l'épaisseur des mailles-écailles qui seront fixées sur leur support de cuir par rivetage au lieu de laçage à travers deux trous. La maille rivée, en fait un disque, est dite : "maille pleine". Ce sera la protection des hommes les exposés aux traits des arbalêtes, les sapeur-mineurs, malgré le pavois.

Dans les faits, à une époque où la notion de tenue-équipement uniforme n'existait pas, nombreux seront les combattants

préférant la souplesse de la maille treslie.192

C'est après 1350 que s'affirma la transition entre la cuirasse de plattes écailles et mailles de tous types ) et celle constituée de pièces d'acier articulées, constituant une sorte de "scaphandre" métallique. On en était arrivé à l'armure, ou ô harnois blanc . Transition, en effet, car pendant longtemps les armures comporteront des parties en mailles treslies aux emplacement des

articulations : brigandine de col; sous-épauliere, etc. Vers 1420 les armuriers193 avaient résolu les problèmes de souplesse des

articulation par des joints rotatifs et l'armure classique entrait en service. , Malgré de tenaces légendes leur masse n'était pas écrasante, au moins au début : 25 kg était un ordre de grandeur courant. Toutefois les articulations, conçues pour le combat à cheval, gènaient beaucoup l'homme qui, tombé à terre, voulait se relever, et monter en selle sans aide était presque un exploit.

Par la suite, les armures et leur masse évolueront dans deux directions : - celles de parade des hauts personnages, élégantes, ornementées, véritables statues en creux d'une quinzaine de kg; - celles de combat, avec "arrêt de cuirasse" servant à soutenir la lance. Elles iront jusqu'à une quarantaine de kg, dans une vaine tentative de lutte contre le pouvoir de perforation des balles d'armes à feu portatives.

Toutes les armures d'une même époque eurent plus de points communs que de différences : parce qu'elles représentent un état de la technique du sidérurgiste et de celle de l'armurier très voisines depuis l'Espagne jusqu'à l'Europe centrale. ( Avec, naturellement, des "modes" locales; par exemple. les armures allemandes à "jupes" des débuts du XVème siècle, rappelant un peu la "panoplie de Dendra" mycéenne, et leur "pansieres" en coffres anguleux, protégeant le bas de la poitrine).

Mais nous parlons là des cuirasses des personnages assez riches pour s'offrir le "dernier cri". Dans les faits, et comme dans la majorité de la période antique, les hommes d'armes peu fortunés devaient s'accomoder de la cuirasse-héritage familial, ou de celle achetée à bon compte à un pillard de champ de bataille. Un petit artisan armurier était capable de "marier" au mieux - au moins mal - des restes assez disparates.

On doit étendre le problème de la protection du cavalier à celle de son cheval, puisque l'homme démonté se trouvait très vulnérable. Déjà les montures des clibanarii du Bas Empire avaient reçu une sorte de "nasal" protégeant le dessus de la tête ( yeux, front, museau ), et un caparaçon d'écailles montées sur une étoffe solide, en deux parties : zone du cou d'une part, depois les oreilles jusqu'au haut du poitrail; d'autre part, vaste "manteau" couvrant le bas du poitrail les flancs et le dos. L'ensemble - de l'ordre d'une cinquantaine de kg - laissait évidemment les pattes libres, ainsi que la croupe, les côtés et le dessous de la tête jusqu'au museau. Cette cuirasse, qui devait en principe protéger l'animal des flèches. ne ea guère pendant un millénaire pour les forces de l'Empire byzantin. En Occident, et jusqu'au XIVème siècle, le cheval ne reçut en général qu'une protection partielle, de cuir particulierement épais, qui couvrait essentiellement le dessus de la tête et le poitrail de l'animal. Ceci, d'une part, parce que la souplesse de la broigne ou de la cotte de maille permettait au cavalier démonté de se relever immédiatement pour continuer le combat à pied, et d'autre part - jusqu'aux débuts du XIVème siècle - l'esprit de chevalerie ne concevait pas que l'on puisse chercher chercher la victoire en s'en prenant au cheval : il n'était normalement blessé qu'accidentellement. ( Notons toutefois que pendant les croisades, la chaleur interdisant de faire porter une protection sérieuse au cheval, de nombreuses victoires des Sarrasins viendront des pertes infligées par leurs archers montés aux animaux des croisés).

C'est au cours de la Guerre de Cent ans qu'en Occident la monture va devoir être protégée, et ce pour deux causes - l'action en masse des archers anglais, qui cloue littéralement une charge de cavalerie; - le port de l'armure : comme nous l'avons dit plus haut, le cavalier jeté à terre ne se relève que très difficilement car cette armure n'est pas, ou mal, articulée pour ce mouvement.

La protection du cheval devient alors vitale.

Vers 1440 il est couvert par un ensemble de plaques métalliques, les bardes qui forment une véritable armure ( sauf pour les pattes ). Malgré la sélection de races robustes la mobilité du destrier se ressentira du port de cet attirail, par sa raideur et aussi, le temps passant, par la tentative là encore, de mettre en échec les projectiles d'armes à feu par des bardes plus épaisses : outre le cavalier et son armure, la protection propre du cheval passa de quelques 120 kg en 1440 à plus de 200 la fin du siècle. Dans ces conditions, les charges étaient quelque peu différentes "des "reconstitutions" cinématographiques : elles ne dépassaient pas, en vitesse de pointe 12 à 15 km.h. ( D'ailleurs même une bête "herculéenne" ne saurait prendre le grand galop : ses pattes avant se heurteraient aux bardes).

Naturellement, la protection de la "piétaille" était le plus souvent aussi périmée u'hétéroclite. Dans certains cas ces "gens de pié" durent se contenter de moyens de fortune : c'est ainsi qu'à leurs débuts les milices suisses - qui allait acquérir une réputation "terrifiante" - utilisèrent souvent, pour parer les coups, un simple fagot de branches, liées serrées et faisant office de bouclier.

Casque.

La question ne peut être traitée que soit par un bref résumé, soit par une copieuse étude en raison de l'extraordinaire variété des modèles utilisés. Dans le présent cadre, c'est évidemment la première solution qui s'impose. ( Quoique le casque soit en fait une partie de l'équipement, un examen à part est intéressant car cette pièce, plus encore, représente un état de la technique

sidérurgie-armurerie, en particulier face au problème de la réalisation de surfaces "non développables".194

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Les casques des "ages obscurs" sont le plus souvent des calottes, plus ou moins bombées, éventuellement pointues - cône rivé - avec parfois ébauche de couvre-nuque, mais sans gardes-joues. Les "ornements" - cornes, ailes - sont réservés au casque de parade ou amovibles : au combat ils constitueraient une gène, et un danger puisqu'un choc sur eux pourrait arracher le casque. La plupart de ces équipements - de ceux qui nous sont parvenus, ce qui peut tromper, le bronze résistant mieux au temps que le fer - étaient en bronze coulé en plaques, découpé en disque, puis battu à chaud pour obtenir le bombement. Les calottes de fer se composaient de 4 ou 6 triangles isocèles mais dont les côtés égaux étaient légèrement incurvés ( convexes) rivés eux et se raccordant aussi à la base sur une bande circulaire;

De l'époque carolingienne jusque vers l'an mil le casque occidental revient, en gros, aux formes du Bas Empire. Il y eut pourtant de multiples modèles les plus ntéressants furent :

- pour le cavalier une calotte formée de deux coquilles rivées, avec garde-joues;

- pour le fantassin un modèle très ingénieux, obtenu de la maniere suivante :

* calotte obtenue par martelage prolongé ( plusieurs réchauffes )

* bande circulaire rivée au bas de la calotte * très large couvre-nuque, faisant aussi fonction de garde-joues, tenu par le rivetage de la bande circulaire * deux bandes de renforcement se croisant audessus de la calotte, rivées aussi. La bande arrière-avant se prolonge jusqu'à la hauteur de la lèvre supérieure, formant donc un "nasal". Ce casque, lourd mais donnant une excellente protection, témoigne d'une imagination et d'un savoir-faire remarquables. Rappelant, mis à part le nasal, les formes du casque allemant introduit pendant le premier conflit mondial - ou le casque suisse, l'américain très récent ( de kelvar) - il sut contourner dès le VIIIème siècle le problème général des surfaces non développables. ( Forger d'un seul tenant calotte et protège-nuque eut été impossible alors).

Du XIème au XIIIème siècles prend place le heaume195 , contemporain en gros de la maille treslie. Il supprime radicalement ce

fameux problème de surface développable; en effet, et allant au fond des choses, le heaume est semblable à une de nos boites de conseve : une bande d'acier, de largeur convenable, est enroulée en cylindre. Elle protègera le tour de la têtr. Une plaque ronde plane, ou un cône très plat - autre surface développable - est fixée sur l'extrémité supérieure pour garantir le haut du crâne. Dans son principe le heaume est achevé; mais dans les faits il faut entendre - même mal - voir, parler, respirer. Le heaume reçoit donc des fentes de vision et sera percé, à la hauteur de la bouche, de petits trous permettant de parler et respirer; dans une moindre mesure, d'entendre. Au XIIIème siècle une partie de l'avant du cylindre sera entaillée et remplacée par un volet monté sur charnieres, pouvant donc s'ouvrir en pivotant horizontalement. On trouve aussi des modèles à ventailles dispositif rappelant une sorte de minuscule jupe pivotant verticalement autour de rivets placés sur les côtés, à mi-hauteur. En position basse elle couvre le bas du visage, depuis le bas du nez jusqu'au menton; en position haute elle se relève jusqu'au dessus des fentes de vision. Le cou, entre heaume et cotte de maille, est protégé par la brigantine, que l'on peut assimiler à une sorte d'écharpe mais en très fines mailles du meilleur acier. Suspendue au heaume, elle est nouée sur elle-même, à l'arrière. , ( La brigantine s'étendra jusque sur les épaules, doublant ainsi la cotte; à partir de 1250 environ, elle y sera renforcée par les ailettes plaques se cuir épais ou d'acier. Ceci laisse penser qu'une "botte" favorite de l'époque devait consister en un violent coup d'estoc - ou de masse d'arme - asséné de haut en bas sur l'une ou re épaule de l'adversaire).

Le casque allant avec l'armure est l'armet ou ses voisins, "bassinet bicoquet" etc, ne différant les uns des autres que par des détails si l'on va au fond des choses. Ce sont en général des casques ovoïdes, suivant de près la conformation du crâne et de la face, prolongés par un large col allant jusqu'à la naissance des épaules, fixe d'abord puis pouvant - peu après 1450 - pivoter sur un "gorgerin" !circulaire. Un, et plus souvent deux volet(s) sur charniere permet ( permettent ) d'ouvrir le casque pour introduire la tête. Plus rarement l'ouverture se fait par volet latéral, pivotant verticalement. Au repos la visiere, qui couvre la zone allant de la bouche aux yeux, peut être soulevée pour donner un certain confort. Elle est évidemment rabattue pour le combat, et alors verrouillée.

Ce n'est pas un hasard si ce casque survient en même temps que l'armure : c'est à la fin du XIVème /début du XVème siècle qu'à l'imitation des sidérurgistes quelques 30 ans plus tôt, les armurier "montent en température" ( par soufflerie énergique de leur vaste foyer de forge ). Ils obtiennent ainsi un acier malléable qui, enfin, se laisse travailler facilement pour obtenir les formes non développables. Cette capacité technique était indispensable pour obtenir les admirables armures aux mesures, stature et conformation, exactes du client, et qui en sont les "statues creuses" selon la belle expression de S.Grancey, dont la

contrefaçon est impossible car les tours de main se sont perdus.196 Disposant de techniques très élaborées, les armuriers, tout

naturellement, les ont appliquées au très vieux problème du casque.

Reste le problème du casque de la "piétaille". Sauf pour les unités levées et équipées par des souverains ou grands seigneurs197

équipés assez uniformément, les soldats des milices ou les quelques hommes d'arme du modeste baron portent des équipements disparates, souvent des restes des siècles précédents plus ou moins bien rafistolés . Une mention particuliere doit être faite pour le casque : il peut être réalisé par le forgeron de village ou celui du petit château sous la forme du "chapel de fer" simplifié. L'artisan fabrique d'abord une calotte peu profonde. Ensuite il découpe une couronne de métal, bande circulaire, dont il supprime une partie, de maniere à ce qu'en rivant entre elles les extrémités, cette couronne se transforme en un tronc de cône de faible hauteur qui est fixé à la calotte. Avec le temps, la couronne deviendra plus large et le cône plus "pentu". Le chapel de fer devient plus enveloppant, au point de masquer les yeux, ce qui oblige à prévoir des fentes de vision ou à découper une partie de l'avant. A ce stade il est assez performant pour être adopté pour les soldats des souverains et grands seigneurs...Avec l'avantage d'un prix de revient faible. Espagne optera, plus tard mais pendant très longtemps, pour la salade constituée de deux demi-calottes rivées l'une à l'autre selon un plan longitudinal.

Le paysan réfugié dans le château et participant au combat défensif n'a aucune protection ou, au mieux, les "restes des restes".

Bouclier.

Pl y a lieu de distinguer entre le bouclier normal toujours porté par le bras gauche, et les grands boucliers posés au sol, déplaçables selon les nécessités du combat.

Au Moyen Age le bouclier du cavalier, encore souvent circulaire pendant les âges sombres se "standardise" en l'"écu" - du mot latin scutum - en forme d'arc d'ogive S'il fait partie de l'équipement de combat, l'écu a également une fonction de parade, portant les armoiries de son propriétaire s'il est noble, ou celles du seigneur qui utilise leurs services s'il s'âgit de gens d'armes

recrutés par un haut personnage.198 Au combat, passé au bras gauche, qui tient les rennes, l'écu doit protéger ce bras et le

flanc gauche. Dans les faits bon nombre de cavaliers n'utilisaient pas l'écu pour le combat : la cuirasse, et plus encore l'armure, sont déjà gènantes pour diriger convenablement le cheval dans la mèlée qui suit la charge. Le port de l'écu viendrait encore compliquer les choses : il est donc souvent laissé avec les bagages. Pour les croisés le problème était différent en raison de la cavalerie légère sarrasine et de sa tactique de harcèlement à l'arc. Le chevalier croisé est donc muni d'un écu de grandes dimensions qui, pour la charge, est rejeté dans le dos où tenu par une large courroie il ne gènera pas.

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Pour le combattant à pied - du moins celui qui intervient dans la mèlée - en règle générale peu protégé, l'emploi du bouclier était de règle. Au VIIIème siècle le modèle rectangulaire, de grandes dimensions, était favori : les auteurs évoquent le mur de boucliers de l'armée de Charles Martel à Poitiers - 732 . Trois siècles plus tard, à Hastings - 1066 - autre mur de bouclier, celui des hommes de Harold.

Avec la chevalerie le bouclier du fantassin évolue aussi vers la forme en écu, mais de taille très supérieure à celui du cavalier. En fait, nous ne savons pas quelle était la proportion des hommes munis d'un bouclier, ni - trop souvent - s'il ne s'agissait pas de modèles de fortune bricolés par les intéressés à partir de quelques planches : ce que nous pouvons voir dans les musées ne représente que les modèles de haut de gamme conservés à ce titre.

Orient, qu'il s'agisse de l'Empire byzantin ou du Monde musulman, resta très généralement fidèle au bouclier circulaire; de plus grand diamètre, naturellement, pour le fantassin que pour le cavalier.

De maniere générale cet équipement commence à se raréfier à la fin de la période couverte par le présent chapitre : un bouclier capable de résister à une balle d'arquebuse eut été trop lourd.

Il nous reste à parler du bouclier géant, déplaçable, mais statique pendant telle ou telle phase du combat. Il s'agit du pavois et du mantelet. , L'un et l'autre sont rectangulaires mais présentent généralement une encoche ou une fente assez large pour permettre non seulement l'observation mais le tir à l'arc ou l'arbalète; plus tard, à l'arme à feu portative individuelle. ( Le pavois de l'archer comporte souvent deux fentes : une, horizontale et étroite pour observer et viser; l'autre, verticale et évasée de l'extérieur vers l'intérieur, pour le tir).

Pavois comme mantelet ont des dimensions de l'ordre de 0 95 _ 1 70 m. Ils sont fichs dans le sol par deux crocs métalliques et soutenus par un étai léger pour le pavois; deux, beaucoup plus robustes, pour le mantelet. ( Il exista également un tit pavois, dit "dossier" - transportable sur les épaules - d'environ 0 70 _ 1 00 m qui pouvait servir un arbalétrier se tenant à genoux).

Malgré un poids relativement faible - une trentaine de kg - le pavois arrêtre toutes les flèches d'arc et, à une centaine de pas, les carreaux des arbalètes les plus puissantes. Il est constitué des deux couches de planchettes, collées perpendiculairement ; la pointe de flèche ou carreau tend à écarter les fibres de la première, mais elles sont solidement maintenues par celles, transversales donc, de la seconde. Mais le pavois n'avait cette efficacité que s'il avait été construit - collé surtout - avec le plus grand soin, ce qui le rendait onéreux. C'est le compagnon inséparable de l'archer, ou l'arbalétrier, protègeant le sapeur mineur par ses tirs pendant les opérations de siège. , Le mantelet, de forme analogue, est beaucoup plus lourd : on obtient une protection du même ordre, mais avec des madriers de 5 à 7 cm d'épaisseur, reliés par deux solides traverses. Son poids, avec les étais, était dans la gamme des c80 à 120 kg. Le prix de revient est très inférieur à celui du pavois mais, malgré l'adjonction de deux petites roues - amovibles en général - à la base, il faut deux hommes pour le déplacer d'un point à un autre, manoeuvre toujours difficile et souvent dangereuse.- La puissance des arquebuses à crocs de défense, de la fin de la période considérée mit fin, ou pesque, aux pavois et mantelets : la balle perfore en brisant les fibres au lieu de les écarter. On tenta de prolonger la "vie" de ces protections semi-mobiles avec des mantelets nettement plus épais, voire doublés d'une plaque de fer. Mais la masse - plus de 250 kg - était telle qu'il fallait alors 4 hommes pour déplacer ces monstres. Ne pounant être tous couverts pendant la manoeuvre de placement ces hommes formaient des cibles particulierement recherchées par l'adversaire.

Mantelets et pavois disparaissent donc à la fin du XVème siècle, sauf pour de rares !emplois, tels que la couvertured'une tête de galerie de sape; avec déplacement de l'appareil seulement de nuit.

( Le mantelet fera une réapparition, futive, en 1915 : sous la forme d'une plaque d'acier pouvant abriter un tireur à genoux, montée sur deux roulettes pour le déplacements. On peut en voir un exemplaire à Paris, aux Invalides. Les essais sur le champ de bataille montrèrent que ce matériel était "suicidaire". D'un certain point de vue, pourtant, c'était un ancètre du char d'assaut).

B. Protection collective.

( Nous nous limiterons ici au château fort et à ce qui constitue, en somme, son extension : la ville fortifiée).

Après les invasions et jusque vers la fin du IXème siècle, le fort dit carolingien - avec abus, puisqu'existant bien avant Charlemagne - est entièrement réalisé en bois : enceinte extérieure; pont ( rapidement destructible ) au dessus du fossé; petites tourelles de garde de la porte; éventuellement tourelles d'angles de l'enceinte; enfin, et à l'intérieur de cette enceinte, les bâtiments de la vie courante : écuries, logements, etc; et le dominium refuge suprème : une sorte de "maison "forte". L' ensemble fait irrésistiblement penser aux fortins des guerres indiennes, popularisés par les "westerns"., Au Xème siècle apparait une ébauche nettement plus élaborée, mais toujours de bois. Le dominium fait place à un véritable donjon, rectangulaire, beaucoup plus important que ce dominium, comportant une haute tourelle de guet et, surtout, bâti sur une colline aux flancs à forte pente, soit naturelle mais aménagée, soit artificielle par apport de terre fortement tassée. C'est la motte dont l'existence donnera lieu à de nombreux toponymes - par exemple : La Mothe-Beuvron - en France, Espagne, Grande- etagne. Le sommet des pentes de cette colline est couronné d'une seconde enceinte, la communication en pente douce avec la surface plus ou moins plane ( beaucoup plus vaste ) située à l'intérieur de la première enceinte se faisant par une sorte de rampe-passerelle facile à incendier. ( L'accès à cette rampe est défendu par deux tours placées à la partie inférieure; son extrémité supérieure est aménagée en pont-levis qui, relevé, complète le périmètre de l'enceinte supérieure.

L'intérieur de l'enceinte inférieure constitue la basse-cour ù s'élèvent !toujours les écuries - à chevaux et à bovins - bergeries, granges, forge, four, etc, et les logements des hommes d'arme et serviteurs ( et de leurs familles). Ces personnels ne se réfugient à l'abri de l'enceinte supérieure qu'au cas de forcement de la première. C'est aussi la basse-cour qui reçoit - dans des conditions de fortune - les paysans en cas de situation menaçante. , En période normale, en effet ( usage qui se maintiendra pendant des siècles ) n'ont accès audonjon et y vivent avec le seigneur et sa famille, que les hommes d'arme et serviteurs dont la fidélité est considérée comme absolue : ceux qui, au service des ancètres du seigneur depuis des générations sont

considérés comme faisant partie de la famille.199 Un puit dans la basse-cour, un autre dans le donjon.

A la fin du Xème siècle environ ( car décalage temporel important selon les régions ) commence à réapparaitre la pierre. Tout d'abord pour les donjons puisque le bois est trop sensible aux flèches incendiaires. Le plan général reste rectangulaire ou carré. Mais en raison de la masse, le château-fort de pierre ne peut être bâti que sur une "motte" naturelle, rocheuse de préférence. ( Dans notre Massif central, chaque "dyke" - petit cône éruptif n'ayant pas évolué jusqu'à l'état de volcan - se couronne d'un château).

( Remarque : le très grand nombre de sites à mottes retrouvés en Angleterre - les Motte-and-baileys - explique par le fait que les conquérants normands, numériquement très minoritaires, eurent à quadriller le pays en multipliant les points forts pour intervenir rapidement contre tout début de révolte locale : il s'agira plus de surveillance et d'appuis réciproques que de féodalité à la maniere française pendant au moins deux siècles).

Assez vite, et à leur tour, les palissades d'enceintes devinrent des murailles renforcées par des tours au moins aux angles et à

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l'entrée dans la basse-cour. La seconde enceinte disparait dès que l'on réalise qu'à coût égal de pierres taillées, une muraille puissante est préférable à deux faibles. Peu à peu le chateau-fort évolue vers sa forme "classique" : forte muraille coupée de tours permettant les tirs de flanquement, renfermant les logis, chapelle, écurie, généralement adossés à cette muraille, et donjon de plus en plus volumineux, soit isolé, soit constituant une tour particuliere de la muraille. Si la totalité du château-fort ne peut prendre place sur une colline rocheuse, en terrain plat la muraille est doublée vers l'extérieur par un fossé mis en eau; ( les douves ). Dans certains cas, et s'il est isolé, le donjon bénéficie d'un second ssé. La défense des entrées fait l'objet de soins tout particuliers : deux tours, reliées au dessus d'un passage voûté par une épaisse muraille contenant une herse métallique et son mécanisme, ainsi que celui du pont-levis. Par surcroît de précautions la voie d'accès est elle-même défendue par une double muraille précédée d'un ouvrage avancé : "chatelet barbacane"., Ceci n'empèche pas que soit prévu un système de défense très élaboré pour le donjon, suprème refuge. En règle générale son accès domine la (basse)-cour de plusieurs mètres; il lui est relié par un plan incliné de bois, léger et facile à détruire, et cet accès est défendu avec un luxe d'imagination exacerbé par la crainte d'un oubli ou d'une erreur., Puis le donjon, lui-même, sera souvent protégé par un ultime obstacle, renouveau de l'ancienne seconde enceinte, la chemise rempart détaché qui le couvre jusqu'à mi- hauteur environ. Les défenseurs de la chemise guettent notamment les travaux de sapes sous-terraines : à l'oreille, mais aussi en surveillant la surface de l'eau contenue dans une vaste bassine, que le coup de pic du sapeur fait frémir. La chemise peut aller de la simple muraille avec courtine continue et merlonage percé de créneaux, jusqu'à un ouvrage qui, comme à Chateau-Gaillard, est constitué de tours jointives.

Vers la fin du XIIIème siècle - environ, toujours en raison d'importantes différences entre les régions - les tours ( d'angle ou de porte ) et le donjon reviennent au très vieux plan circulaire ( Jéricho ) ou semi-circulaire - souvent pour le rempart - semblable aux ouvrages wisigoths. Ce plan offre en effet une meilleure résistance aux travaux de minage, ( et plus tard, à l'action du canon ). Pour les murailles rectilignes, des arcs de décharge dissimulés sous un épais parement-camouflage visent aussi à minimiser les actions de minage, sauf si assaillant a a chance de s'attaquer précisément à un pied de l'arc - mais le mineur risque alors d'être écrasé dès le début de son travail sans grand dommage à la muraille à ce stade. ( Il s'agit ici, naturellement, du minage classique, avant emploi de la poudre noire). Dans toute la mesure du possible le donjon au moins est bâti sur le roc : à la fois pour prévenir le minage et pour éviter l'établissement d'un volume de fondations considérable, car la terre ne saurait soutenir uniformément son énorme masse; il serait exposé à des glissements de terrain, avec fissuration de l'ouvrage.

Le gigantisme culmine à la période de la fin du XIIIème / débuts du XIVème siècles; le "record" appartenantt au château de Coucy, bâty d'un seul jet, de 1323 à 1330, par l'ambitieux Enguerrand III puis remanié légèrement en 1400 : les tours d'angle mesuraient 36 m de hauteur pour un diamètre de 19 m - plus que tous les donjons de France, ( sauf celui du Louvre, de diamètre 20 m ) et le donjon s'élevait à 54 m, avec un diamètre de 31 m ! On a calculé que ce seul donjon représentait, vides

déduits, 22 000 t de pierre, ordre 3 fois le poids de la Tour Eiffel.200

A partir du XVème siècle la poudre noire, sous la forme du canon et plus encore peut-être du minage explosif, allait faire prendre l'avantage à l'attaque sur la défense pour ce type de fortification. Mais beaucoup furent lents à saisir cette transformation radicale : il leur semblait qu'un ouvrage colossal et bien situé devait résister à ces nouveautés. Un bon exemple est constitué par le formidable château de Bonaguil - Quercy - dont la construction, lancée en 1447 par Bérenger de Roquefeuille201 n'aboutit

qu'en 1516, du fait des difficultés à hisser les pierres jusque sur une sorte de nid d'aigle. Malgré le temps, les démolitions pratiquées à époque de Richelieu, les frénétiques tentatives de dévastation de la Révolution, il reste le témoin du dernier défi de la féodalité à la monarchie centralisatrice.

Une description quelque peu détaillée des mutiples dispositifs de défense des châteaux nécessiterait un ouvrage copieux. Soulignons pourtant le fait que les diverses machinations, loin d'être standards, faisaient l'objet de raffinements imagination au point que la visite d'un donjon était considérée comme une marque de confiance absolue - que la politesse la plus élémentaire interdisait de demander - et qui n'était souvent pas autorisée même à de très proches parents. De même, en période normale seuls les hommes d'arme et serviteurs de toute confiance avaient accès au donjon. En cas de menace, les autres hommes d'arme y pénétraient, mais conduits directement à leurs postes de guet ou de combat, sans autorisation de circuler pour avoir une idée claire des multiples pièges tendus à l'assaillant.

Nos cerveaux modernes ont le droit d'être surpris à la fois par le volume des travaux, l'ingéniosité des architectes, et leur maîtrise des formes à une époque où la géométrie descriptive, permettant de réaliser des plans ou coupes sous tous les angles, n'existait pas.

Les villes fortifiées - notamment les bastides érigées dans le Sud-Ouest par les rois de France et d'Angleterre - étaient en somme des châteaux forts dont l'enceinte était assez vaste pour que la basse-cour contienne le coeur de la cité. Leur "donjon" était le plus souvent une église fortifiée. ( La cathédrale de Rodez est un bon exemple, malgré les remaniements, de ces édifices à double fins).

22. MOBILITE.

A. Mobilité terrestre

Rappelon les inventions :

- sous l'Empire, et d'origine celtique probablement, du fer à cheval; - au IVème/ Vème siècles, de la selle à troussequin et panneaux, dans laquelle le cavalier est, pour ainsi dire, emboité; - au VIIème siècle, et à Byzance, de l'étrier moderne inspiré des boucles de cuir dans lesquelles les peuples des steppes de Russie du Sud passaient le gros orteil des eds; - au IXème siècle : du collier d'épaule pour le cheval; puis de l'attelage en ligne par paires - grâce au palonnier - qui permet d'employer "2 N" chevaux; - à la fin du IXème / début du Xème siècles, du joug frontal adapté à chaque boeuf. ( Par sa fonction "binaire" même, le joug permet aussi l'attelage en ligne : il y a moins de 50 ans, dans les régions pauvres et montagneuses françaises on pouvait voir 2 et parfois 3 paires de boeufs attelés à la lourde "locomobile" - c. machine à vapeur sur roues - "moteur" de la batteuse; cette dernière un peu moins lourde puisque 2 paires de boeufs lui suffisaient, et une seule pour le "lieur").

Ces découvertes peuvent paraître secondaires. En fait, le complément de la selle par les étriers assure l'"assiette" du cavalier. Sans ces deux arceaux métalliques reliés à la selle par les étrivières, le "chevalier-blindé" n'aurait pas pu être le maître du champ de bataille pendant quatre siècles. D'autre part, sans le collier d'épaule et l'attelage en ligne, le déplacement des pièces d'artillerie de campagne eut été impossible; et impossible aussi celui des pièces lourdes sans les attelages multiples de boeufs. ( Mais rappelons que le bovin, il peut donner la traction, ne peut modifier sa vitesse : physiologiquement - sauf pour quelques pas après le coup d'aiguillon - le boeuf avance très régulierement à un eu moins de 4 km/h).

Notons aussi la mise au point, à l'extrème fin du XIVème siècle, de l'avant-train rotatif pour les chariots - mot pris au sens large pour tous véhicules à 4 roues. Jusqu'alors les tournants ne pouvaient être pris que par ripage des roues avant, effort supplémentaire pour les animaux, et dangereux pour la solidité ( et l'usure ) de ces roues avant. Cette invention, qui sera reprise pour le "train avant" amovible des canons de campagne, paraît s'être répandue très lentement du Sud vers le Nord de l'Europe : en 1518 Dürer dessine, comme exemples, un carrosse et un canon à trains orientables : une nouveauté à Nurmberg, semble-t-il, en ces débuts du XVIème.

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Enfin, il convient de signaler l'invention bien française vers 1480, de la roue à escuage . L'escuage consiste à implanter les rayons dans le moyeu non pas perpendiculairement à l'essieu, mais avec un certain angle, faible, vers l'extérieur. - En somme ces rayons sont des arètes d'un cône très ouvert. Au passage sur une bosse ou une pierre assez grosse, le véhicule penche vers l'autre côté; côté dont la roue supporte alors un net supplément de poids. Sans l'escuage, cet effort serait appliqué sur un ou deux rayons non verticaux, qu'il faudrait nettement renforcer - comme tous les autres, ce qui rendrait les roues plus lourdes

et moins maniable. L'escuage permet aux rayons en cause d'"encaisser" l'effort à peu près verticalement.202

Si les moyens de la mobilité n'avaient pas régressé du fait des grandes invasions, en revanche l'infrastructure léguée par Rome s'était dégradée au point d'être néantie, ou presque, dans certaines régions. En effet, la plupart des chemins de terre avaient radicalement disparu - comme ils sont en passe de le faire de nos jours. Beaucoup de ponts avaient été minés par les crues et s'étaient effondrés; enfin, même la robuste voie romaine avait gravement souffert : les dalles, grossierement équarries, ne sont pas rigoureusement jointives et sans un entretien régulier des herbes sauvages poussent dans ces fissures, puis des arbrissaux qui, à partir d'un certain diamètre interdisent le passage. ( Les tronçons les mieux conservés se trouvent dans les zones très sèches, ou froides). En outre les voies romaines ont servi localement, jusqu'au XIXème, de "carrières" où le travail était plus qu'à demi fait.

C'est à partir de la fin du VIème siècle, une fois les envahisseurs fixés, que reprirent les travaux d'établissement ou de rétablissement de routes sous l'impulsion et l'encadrement d'ordres monastiques spécialistes Les impératifs n'étant plus ceux des voies romaines - couper au plus court pour acheminer rapidement des troupes - on peut penser que de nouveaux tracés furent adoptés, mais nous les connaissons mal, sauf les itinéraires des grands pélerinages. En revanche le tracé des routes créées à partir du Xème siècle ne varia guère pendant près d'un millénaire. Ceci pour une raison technique : le collier d'épaule pour le cheval, le joug emboitant pour le boeuf, permirent la traction de lourdes charges, mais seulement sur terrain plat ou de faible pente. En conéquence, dans les ions mouvementées il fallait multiplier les "zig-zag" pour que l'attelage puisse escalader une zone à forte déclivité par une route de faible pente. Ce n'est guère que depuis les années 1960, et la généralisation du

tracteur, que l'Equipement a pu rectifier ces routes, surtout en régions pauvres et montagneuses.203

De ce fait, les routes postérieures au Xème siècle ont abouti aux mêmes points de franchissement des cours d'eau. A part de rares ponts romains, il n'existe en Europe aucun pont de pierre, ou presque, antérieur au XIIème siècle. Nous n'avons pratiquement aucun renseignement technique sur les ponts de bois qui les ont précédés. Pour les cours d'eau importants on peut supposer que ces ponts étaient établis comme ceux lancés sur le Rhin par César : piles de pilots "battus" et tablier de poutres. Ils furent certainement renforcés, voire refaits, à partir du Xème siècle, pour laisser passer les charrois enfin lourds. Un des premiers ponts de pierre de grande ampleur fut le Pont Saint-Benezet, d'Avignon, construit de 1178 à 1188 par la "Confrérie des Hospitaliers-Pontifes".

Le pont de pierre ne se généralisa que lentement, pour diverses aisons :

- la durée d'établissement et son coût - et le coût d'entretien;204

- les difficultés d'établissement de piles de pierre sur fonds non rocheux; - le fait que le pont de pierre ne peut être détruit rapidement, alors que celui de bois peut être incendié. Or très souvent un cours d'eau formait la limite entre les territoires de seigneurs rivaux, ou tout au moins méfiants; et même situé dans le territoire d'un seul et même personnage, il pouvait faire barrière à l'invasion de forces adverses ou à de fortes bandes de pillards: le pont de pierre créait une sorte de continuité inquiétante. Le résultat fut que, pour une riviere-frontière chaque intéressé avait tendance à s'opposer à l'édification du pont de pierre, ou bien ils n'y consentaient qu'en fermant le passage aux deux extrémités, par l'établissement d'un ouvrage défensif, ce quimajorait nettement le coût et faisait parfois renoncer, au moins temporairement. Même pour un cours d'eau interne le seigneur local décidait souvent, dans le cadre de cette méfiance exacerbée, la construction d'un châtelet à l'une ou l'autre des extrémités du pont, ou sur l'emplacement d'un îlot intermédiaire s'il en existait un. ! Le pont "de la Calendre" - nom actuel : pont Valentré - de Cahors, terminé en 1251, est un bon exemple des ces franchissements fortifiés.

De manière générale, et au moins autant que les Romains, les bâtisseurs des ponts du Moyen Age construisaient trop solide pour être certains de l'être assez, ce qui explique pourquoi ceux de ces ouvrages qui n'ont pas été démolis ultérieurement, pour faire place à des ponts mieux adaptés au trafic, ou par faits de guerre, nous sont parvenus souvent dans un excellent état de

conservation.205

A la fin de la période considérée ici, la plupart des cours d'eau, même les plus importants, sont franchis par des ponts de pierre, mais là seulement où leur établissement - celui des piles et culées - ne dépassait pas les capacités techniques disponibles. ( Le travail sous cloche à plongeur et le béton faisant prise sous l'eau étaient encore à venir, sans parler des pilots de béton armé).

Il faut ajouter que, pour diminuer les dépenses ( et pouvoir construire des piles légères sur fonds médiocres ), pouvoir couper très vite un passage, laisser passer s embarcations par travées levantes, on prit parfois le parti de n'élever en pierre que ces piles, et de les joindre par un tablier de poutres. Tel fut longtemps, par exemple, le pont de Nantes.

B. Mobilité maritime.

Nous avons vu plus haut - navires et navigation - l'état technique de la mobilité maritime au Moyen Age.

Nous avons mentionné, en résumé :

- le maintien de la galère en Méditerranée le bâtiment lourd, de haut bord mais de médiocre maniabilité, dérivé de l'équivalent du navire vénète de l'antiquité, pour les mers du Ponant - l'apparition du Drakkar, dont le dérivé lourd, le Kn rr supplantera le précédent pendant un certain temps depuis la Bretagne jusqu'à la Baltique

- les débuts du bâtiment à gouvernail d'étambot, Cog, Carrague, Caravelle. , En réalité les distinctions régionnales étaient moins tranchées. P. ex. les croisés se sont embarqués pour traverser la Méditerranée sur navires de charge très analogues à ceux des mers nord-occidentales. On produira alors, presque en série, des bâtiments spécialisés pour le transport des forces de cavalerie : avec rampes et ouvertures "d'embarquement des animaux; "écuries" dans l'entrepont. Quoique datée du VIIIème siècle, l'épave découverte près de Fos-sur-Merdonne une bonne idée de ce que pouvaient être ces navires car on a pu montrer qu'elle avait été construite pour le transport de chevaux. Caractéristiques principales :

- longueur 16 m, pour un maître-bau de 6; - mât unique, sans doute ( et curieusement, en Méditerranée ) à voile carrée, manoeuvrée par palans de cargue pour les coins inférieurs; lourde vergue hissée par un fort palan agissant sur balancines;

- deux avirons-gouvernails latéraux, actionnés chacun par un levier; - entrepont de 2 m de hauteur pour les chevaux. ( Les entreponts de navires pour voyageurs à pied ne dépassaient que rarement, et de peu, une hauteur de 1,55 m : on ne pouvait se tenir droit que sur le pont). Le navire de Fos présente la particularité, sans doute alors très récente, d'avoir une pompe à bras d'épuisement, beaucoup plus pratique que l'écopage traditionnel. Les textes et vignettes laissent penser que les navires

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des cavaliers croisés étaient un peu plus importants, et munis de deux mâts à voiles latines.

De la cog et de la carague dérivera, à la fin de la période couverte par ce chapitre, la caravelle. Le plus souvent de tonnage inférieur au début - gamme des 50 à 300 t aux alentours de l'an 1500 - à celui de la caraque, mais mieux adaptée à la navigation hauturiere, car très stable et pouvant, de ce fait, recevoir une voilure importante par rapport au tonnage.

C. Franchissement des cours d'eau.

Nous avons déjà parlé des ponts civils sur voies commerciales. Mais sur les cours d'eau importants, même non géables, ces ponts étaient rares et en général bien défendus; partiellement destructibles - travées de bois - dans certains cas. D'autre part leur situation, fonction d'impératifs commerciaux, ne correspondait pas toujours aux besoins des mouvements d'une armée en campagne. Pendant la majeure partie du Moyen Age cette question fut résolue plus ou moins "bien par la "réquisition" d'embarcations riveraines, utilisées seules pour les gens de pied; accouplées par 2, 3, voire plus, sous un plancher de fortune, pour constituer les "portieres-radeaux" nécessaires au passage des chevaux et des charrois, ces derniers alors individuellement légers. Mais ce problème prit une toute autre ampleur avec l'apparition de l'artillerie, avec des masses unitaires pouvant très largement dépasser la tonne. Trois solutions s'offrirent : - prendre ( par surprise en raison des défenses ) un pont civil ; mais en acceptant à la fois le risque d'échec de l'opération surprise, et un long détour pouvant représenter des journées supplémentaires de marche; - établir un pont de circonstance, sur pilots : opération réclamant un "ingigneur" spécialiste au moins, et lente; ( le savoir-faire des légions avait été quelque peu oublié ); - établir le pont sur appuis flottants, ancrés, dans la mesure où l'armée possèdait et faisait suivre sur haquets un "pont d'équipage" de force portante suffisante. Ce fut là une innovation anglaise des "chevauchées" en France pendant le dernier tiers de la Guerre de Cent Ans. A défaut, un pont flottant pouvait être improvisé, mais s'il y avait certitude de pouvoir "réquisitionner" sur place un nombre suffisant de teaux de la portance indispensable. Trouver les poutres de liaison et les madriers du platelage était facile : au besoin en démolissant les maisons. Mais le bordé des

d'embarcations non prévues pour cet emploi devait être renforcé pour supporter les poutrelles. Par ailleurs l'armée en cause était rarement munie d'ancres en nombre suffisant. Un autre système d'amarrage pouvait consister à relier chaque barque à un très long et très solide cordage, tendu en travers de la riviere un peu en amont : la cinquenelle . Mais si l'armée ne transportait pas avec elle ce type de cordage il était peu probable d'en trouver un sur place, et difficile d'en constituer un, assez long et

solide à partir des morceaux de faible échantillon, en état douteux, trouvés sur place;206 - la remontée ou la descente du cours

d'eau jusqu'à un gué; détour possible surtout en belle saison, mais lent et enlevant le bénéfice de la surprise; - enfin, reprendre le vieux principe du passage discontinu, mais avec des radeaux- portières de grande force portante pour les pièces d'artillerie, ce qui impliquait la chance de trouver des embarcations assez importantes... non détruites de manière préventive par l'adversaire.

Ce problème du pontage pour l'artillerie stimula les inventeurs. Dès le XVème siècle nombreux furent ceux qui proposèrent des ponts flottants, à base de pontons montés sur roues et s'assemblant facilement les uns aux autres, à la manière de nos modernes matériels du type Gillois. Il semble que très peu de ces dispositifs, fort ingénieux mais complexes et trop souvent fragiles, furent réalisés. Souvent on conjugua le passage par portières, pour les charges unitaires lourdes, avec des ponts légers sur supports flottants pour les charrois ordinaires, hommes à pied, cavaliers tirant leurs monture par la bride.

Quelques exemples :

- pont de pilots sur la Seine, pour le siège de Château-Gaillard;

- pont sur barques, sur le Rhone, pour celui de Tarascon; - pont sur tonneaux pour le passage de l'Escaut par l'armée du duc de Bourgogne en 1452 : Il fist mander ouvriers de toutes pars, pour faire un pont sur tonneaux, cordes et à planches; et, pour

déffendre le-dict pont, fist, oultre l'eau, un gros boulevard de bois et de terre.207 ( Mmoires d'Olivier de La Marche. I.25).

23. SOUTIEN.

Comme dans bien d'autres domaines, l'organisation méticuleuse romaine avait disparu. Il faudra une dizaine de siècles, environ, pour que l'on comprenne à nouveau tous les avantages découlant d'un soutien préparé et acheminé en lieu et temps utile.

C'est sans doute la poudre noire, et plus particulierement l'artillerie, qui fera le plus pour cette reprise de conscience : on ne fabrique pas de la poudre, on ne taille pas les boulets de pierre bien sphériques ou l'on ne fond ceux de métal à l'arrivée sur le champ de bataille, alors que les quartiers de rochers des machines de jet pouvaient être très vite dégrossis, et les flèches taillées lors des haltes, le soir, pendant les jours de marche au combat.

A. Logistique.

Vivres.

De maniere générale les conflits du Moyen Age en Europe ne mirent en ligne que des effectifs très limités. Très généralement les problème des vivres pour les hommes, du fourrage pour les animaux, furent résolus par la "réquisition" dans les régions traversées. Cette "réquisitoion" - c'est pourquoi le mot est placé entre guillemets - pouvait aller ( rarement ) de l'achat de gré à gré, en passant ( parfois) par la réquisition forcée mais payée, jusqu'au trop fréquent pillage pur et simple. Dans certains cas, même, et sans égards aux souffrances des populations, il fut considéré comme de bonne guerre de pratiquer la politique de la "terre brûlée" : de maniere à ne laisser derriere soi qu'un désert sur lequel les forces ennemies ne pourront plus se ravitailler, se déplacer, agir. On trouve notamment des exemples de cette politique de la terre brûlée pendant la Guerre de Cent Ans : les

"chevauchées" ises en territoire français, et françaises en Guyenne.208 Dans le cas de sièges de longue durée, tel celui de

Calais ( en 1346/47 ) le ravitaillement pouvait être organisé sur des bases plus rationnelles, ce qui n'empêchait pas d'organiser quelques pillages locaux. (e)

Remarque. La pratique du pillage, trop souvent accompagné de violences, découlait alors tout naturellement de la non existence d'une armée permanente, non soldée ni régulierement approvisionnée. , Au moyen Age - et pendant longtemps encore, ensuite -les campagnes militaires sont annuelles. Elles prennent place pendant la belle saison. Une majorité numérique des hommes - des "gens de pied" - se compose de bandes mercenaires soumises à l'autorité d'un chef qui s'est imposé par la force et la ruse. Il loue ses services au plus offrant. Ces "compagnies" sont recrutées au printemps; licenciées à l'automne. ( Une même compagnie peut se battre une année pour un parti, l'autre pour l'adversaire). Ces hommes, qui ne connaissent et ne veulent connaitre que le métier des armes, sont donc "en chômage" six mois par an, au mieux; parfois pendant plusieurs années faute de conflits en cours. Or, il faut survivre, si possible vivre bien, ce que seul peut offrir le pillage. C'est ainsi que se formèrent les bandes

d'"écorcheurs tuchins" et autres "grandes compagnies" en France - et analogues ailleurs .209

Une exception mérite d'être signalée : celle des troupes d'Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon; troupes précisément permanentes, et soldées de manière régulière. La reine - en pratique chef politique de l'Union des deux Etats, le roi étant

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surtout, outre son mari, le général en chef - arriva à mettre au point un système de convois de ravitaillement d'une ampleur suffisante pour que les troupes n'aient pas à se soucier de leur subsistance : elle avait fort bien réalisé que ces troupes devaient se comporter en libérateurs des populations, et non en pillards. d'ailleurs une discipline très stricte - autre nouveauté pour les "gens de pied" - y veillait soigneusement. Naturellement, il serait surprenant que les soldats ne se soient pas livrés à quelques rapines mineures, malgré la menace de sévères punitions.

Munitions.

Nous y avons fait allusion : à la fin du Moyen Age, et avec la banalisation de 'arme à feu, de l'artillerie surtout, se posa un problème jusqu'alors inconnu, celui de l'approvisionnement en matiere et objets - poudre et munitions - qui ne pouvaient être ni

produits, ni réquisitionnés sur place210 , problème qui ira sans cesse en augmentant : à cette époque et selon les calibres, le

rapport entre poids de poudre et celui du projectile allait de 1 à 3 à, 1 à 5. Quantité de poudre donc importante. æ Mais la cadence de tir était assez faible pour que lors d'une bataille en rase campagne les arquebusiers n'aient pas l'occasion, en général, d'épuiser leurs balles leurs charges de poudre "pré-préparées" en petits récipients cylindriques pendus à la ceinture, les "coffins". Il n'en était pas de même pour un siège de quelque durée : l'armée assiègeante devait soit transporter un volume et poids importants de poudre et munitions, soit être assurée du réapprovisionnement depuis l'arrière, ce qui posait en termes beaucoup plus aigus que par le passé le problème de l'existence et de la sécurité des lignes de communication Pour l'artillerie, toutefois, et pendant un siècle environ, l'emploi du boulet de pierre permit de limiter les masses à transporter pour un siège : s'il était possible d'organiser des ateliers de taille - tant chez l'assaillant qe le défenseur - mais sous réserve de disposer à cet effet d'un personnel nombreux et compétent. Mais dès que le boulet de fonte prit la place de celui de pierre, il ne fut plus question de fabrication sur place. Malheureusement les textes disponibles ne donnent guère de renseignements sur cet aspect de la logistique de la fin du Moyen Age. Toutefois il est plus que probable que ce furent les difficultés rencontrées qui peu après ( par l'ordonnance de 1552, préparée par le Maître et Capitaine-général de l'artillerie de Henri II, Jean d'Estrée ) amenèrent à la première tentative de normalisation des calibres. ( Il faudra attendre l'ordonnance de 1732 et le "système Vallieres" pour obtenir la normalisation totale; malgré de multiples édits royaux à ce sujet : Blois 1572, etc..).

En pratique les "entrepreneurs" en artillerie du Moyen Age, puis les Grands Maîtres, mis au fait de la campagne projetée, évaluaient par l'expérience de rencontres ou sièges précédants les masses de poudre, nombre de boulets des divers calibres, et poids de plomb pour couler les balles ( le plus souvent, moule individuel, vendu evec l'arme ), à faire suivre. Méthode très empirique; toutefois rares furent les exemples où une armée se fût trouvée à cours de munition : prévisions faites, on ajoutait un supplément de sécurité Au combat en rase campagne l'arquebusier, comme nous venons de le dire, portait en principe assez de munitions pour la durée de la bataille : une douzaine de "coffins" contenant chacun la charge pour un coup; la douzaine de balles correspondantes; la "poire" à poudre fine - pulvérin - pour emplir le bassinet; un écheveau de mêche, d'une toise ( environ 2 m ) de long; ( corde longuement trempée dans une solution saturée de salpètre, puis séchée ); moule à balles. En cas de prolongation de la bataille, ou de siège, l'arquebusier venait se ravitailler en poudre, pulvérin, plomb et mèches auprès des charrois de l'artillerie. La cadence moyenne de tir, aussi bien pour les canons de calibre modéré que pour l'arme individuelle, était de l'ordre de un coup toutes les 3 minutes. Il y avait grande consommation de mèche lente, car le début de la bataille pouvait se faire attendre pendant des heures - le temps de la rituelle canonade préalable - or il ne pouvait être question d'allumer ces mèches à l'improviste. Les artilleurs, pour leur part, préféraient la mise à feu à la "lumière" de la pièce par emploi d'une ge métallique chauffée par une sorte de brasero. ( La rigidité et la longueur de cette tige offraient la sécurité vis à vis du violent recul...mais pas de l'explosion du canon, accident relativement fréquent dans la période étudiée ici).

Rappelons que le signe-symbole de la victoire - il le sera longtemps - était le fait de rester maître du champ de bataille, et non les pertes infligées à l'ennemi. Il y eut donc bon nombre de victoires à la Pyrrhus mais les artilleurs du parti vainqueur pouvaient rechercher et récupérer les boulets qu'ils avaient tirés, voire ceux de l'adversaire pour ceux dont les calibres convenaient à leurs pièces ou à celles que l'ennemi avait abandonnées sur le terrain.

B. Soutien des matériels.

Pendant la longue période qui précède l'a arition des bouches à feu, toutes les machines de siège, très lourdes211 et

volumineuses plus encore, ne pouvaient qu' être construites sur place. Il en était de même pour les ponts de bois construits sur pilots ( et pour la "sonnette" sur portiere-radeau servant à l'enfoncement de ces pilots). En conséquence, toute armée envisageant un siège de quelque importance ou/et le franchissement d'un cours d'eau hors pont permanent ou gué, devait se déplacer avec un stock des pièces nécessaires : plaques métalliques, tire-fonds, clameaux à une et à deux têtes crémaillères,

roues dentées, cliquets, poulies, ainsi que les cordages que nous avons évoqués plus haut.212 Il fallait aussi disposer des

personnels de mise en oeuvre : ingigneurs artisans, aides; et de l'outillage bois et fer, y compris forges, enclumes, etc. ( Mais la remise en état d'une armure ne pouvait qu'être un "rafistolage" : le métier d'armurier - au sens d'alors : faire ou réparer une armure - est une spécialité pointue avec outillage très spécial. De même, quand les armes à feu firent leur apparition il ne pouvait être question de !réparer autre chose que les dispositifs annexes : affût et roues pour les pièces d'artillerie; crosse et - quand il apparut, 1470 - "serpentin" pivotant porte-mèche).

Au total le soutien des matériels - au sens large, puisqu'il y eut lieu de les construire sur place très longtemps - pouvait représenter un charroi relativement considérable dès lors qu'il s'agissait d'une armée de quelque importance. A titre d'exemple, lors de la puissante ( et vaine ) "chevauchée" d'Edouard III en 1360, le bon peuple s'émerveillait de voir, en un convoi de plus de deux lieues, des chariots portant des bateaux de cuir bouilli sur armature de bois; des cordages; des forges de campagne; de multiples plaques, tiges, barres, leviers de fer; de l'outillage de menuisier et charpentier, etc...Sans compter les meules à bras pour le blé, les provisions de bouche non périssables, et, naturellement, les tentes, lits et bagages du roi et des hauts personnages. ( De violentes chutes de pluie vinrent accabler l'armée anglaise; elle fut contrainte d'abandonner la majorité de ses chariots, embourbés jusqu'aux essieux : on était loin des solides voies romaines).

L'adoption de l'artillerie à poudre fit abandonner les problèmes de construction des lourdes machines balistiques à contrepoids, mais de maniere progressive : pendant ngtemps on estima plus facile cette construction que le déplacement de grosses pièces de siège. Par exemple. les seuls tubes des "Michelettes" anglaises, abandonnées après le siège infructueux du Mont Saint Michel en 1434 pesaient 2; 3,5 et 5,5 tonnes. La "Dulle Griet" gantoise de 1452 pesait 16,4 t, mais séparable en culasse-chambre à poudre, et canon, réunis par un énorme pas de vis. Un des défauts essentiels des énormes bombardes résidait en effet dans le fait qu'en cas de sortie victorieuse des assiègés, couplée le plus souvent à l'intervention externe d'alliés, il ne pouvait être question de se retirer en emportant ces lourdes pièces : il fallait de solides engins de levage - et des heures - pour les soulever des leurs chariots à 4 roues et les poser sur les affûts-boites constitués d'énormes madriers. Autant pour les remettre en position de transport. La perte d'un trébuchet ou un magonneau était relativement peu de chose ( et on pouvait l'incendier avant de l'abandonner ); mais une grosse bombarde représentait un investissement considérable, même pour un souverain ou l'un des très grands feudataires.

C. Soutien santé.

Pendant la période considérée ici, le "Service de Santé" se limita pratiquement aux personnels attachés dès la période normale aux hauts personnages : chirurgiens- barbiers ( dont parfois des femmes jusqu'à la fin du XIVème siècle) et médecins ( le plus souvent peu ou prou astrologues, alchimistes, voire sorciers ). Les soins ( prodigués aux seigneurs s'étendaient normalement à la "partie noble" de l'armée, c'est à dire aux personnels des lances ( au sens d'unités tactiques à cheval). En revanche, et

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comme depuis l'aube des temps, la piétaille ne pouvait compter que sur le bon vouloir et l'expérience des vétérans pour les soins urgents, puis ceux des s nombreuses femmes - épouses, concubines, ribaudes - qui suivaient rituellement les armées ( comme le faisait aussi une foule de trafiquants, marchands, recéleurs et autres détrousseurs de cadavres).

A ce sombre tableau, deux exceptions notables toutefois :

- Celle de l'Armée byzantine, suivant en gros la tradition romaine. Ainsi nous savons qu'au VIème siècle chaque unité élémentaire - "pentarchie" : compagnie - comportait deux infirmiers. Au niveau du régiment - 5 compagnies - existait un médecin, un chirurgien et 8 infirmiers ( "depoutatoï" ) qui avaient pouvoir de se faire aîder, après le combat, par les soldats indemnes pour le brancardage. L'organisation était poussée jusque dans des détails surprenants par rapport à ce qui était ( et resta longtemps ) la norme en Occident. Non seulement des brancards ( pliables ) étaient prévus, mais chaque infirmier était muni d'un paquet de charpie propre et d'éclisses; de gourdes d'eau pour laver les blessures, etc. Outre les brancards à bras, destinés aux aides, chaque infirmier menait par la bride un robuste et calme cheval muni d'un bât portant latéralement deux civieres. Ces infirmiers recevaient une prime pour chaque homme ramassé sur le champ de bataille. ( Prime sans doute partagée avec les aides désignés pour aider au ramassage).

- Beaucoup plus tard, celle de l'organisation mise sur pied par Isabelle de Castille pour la dernière phase de la "Reconquista". Les détails, malheureusement, nous manquent, mais il a été prouvé que la reine avait fait inclure dans les impedimenta de l'Armée des tentes-infirmeries, des trousses d'instruments chirurgicaux, des ballots de charpie, etc. On peut d'ailleurs relever que pour les sièges s'étendant jusqu'à la mauvaise saison, et parce qu'il peut faire très froid en zone montagneuse espagnole, Isabelle faisait construire de véritables villes-cantonnement : baraquements de bois mais avec !cheminée; couchage sommaire mais chaud ( paille sur bas-flancs isolés du sol ), etc, les hommes pouvaient se reposer à l'abri du froid ou de la pluie, faire sécher leurs vètements, dormir et se nourrir dans des conditions convenables. , La reine avait compris que des soldats bien entraînés constituent un investissement de l'Etat; investissement qui, non comptées les raisons humanitaires, mérite d'être préservé au

mieux.213 Cette notion était parfaitement négligée en Europe Occidentale et Centrale, et le restera jusqu'au XIXème siècle,

voire jusqu'à nos jours.214

24. COMMANDEMENT.

De manière générale le Moyen Age fut une période de régression presque totale dans le domaine du Commandement par rapport à ce qu'il avait été à la grande époque romaine; ( en Europe, du moins : en Asie Gengis Khan ou Tamerlan furent comparables aux plus "grands capitaines" de l'histoire).

A ceci, plusieurs raisons :

- Trop souvent le commandant en chef ( qui est en général le chef politique, souverain ou grand feudataire en lutte sontre son souverain ), sauf s'il est trop jeune ou trop âgé, se limite à donner des directives tactiques à ses principaux subordonnés. Puis il se doit de payer d'exemple en combattant à la tête de son armée au lieu de prendre le recul qui lui permettrait de modifier la manoeuvre selon la situation, et de coordonner les efforts. ( C'est l'erreur, nous l'avons vu, du commandant de la phalange grecque classique; mais pas celui du général romain, lequel ne participe de sa personne que brièvement et pour relancer l'ardeur de ses hommes en un point et un moment critiques). Si les forces sont menées par le connétable, mais que le roi, agé, soit présent, cette présence peut infléchir en mal des options saines. Enfin, les coalitions se distinguent - encore à la manière grecque - par de multiples et interminables conseils de guerre qui laissent échapper des occasions favorables et où les talents d'orateur l'emportent sur la compétence. La mort au combat du commandant en chef entraîne très généralement la débandade; mais ce n'est là qu'une bataille perdue. Plus grave est la capture du souverain, puisqu'elle permet à l'ennemi de dicter ses conditions. ( Par exemple. après Poitiers, 1356, ouard III ayant fait prisonnier Jean le Bon il fallut se résigner au désastreux traité de Brétigny).

- A une époque où la durée moyenne de vie était aussi brève que dans l'antiquité, le souverain accèdait souvent au pouvoir à peine sorti de l'adolescence. Son expérience militaire est alors limitée aux récits de chevalerie ce qui est mince par rapport au cursus normal du commandant de légion et à celui du consul qui, quoique civil le plus souvent passé une partie de sa jeunesse comme officier; ( peut-être sans grandes responsabilités; mais il a appris ce qu'est la guerre réelle).

- Enfin, et plus particulierement en France, du XIème aux débuts du XVème siècles, la noblesse - du roi au simple chevalier-bachelier - est tenue par le code de chevalerie à faire passer la forme du combat avant sa finalité. En d'autres termes, ceux qui, dispersés dans les unités, auraient dù être les cadres naturels des armées pour mener une action coordonnée, restent groupés pour lancer une belle charge laissant les gens de pied, archers, arbaletriers, piquiers, etc, les artilleurs aussi plus tard, agir plus ou moins à leur initiative. ( Description non caricaturale, puisque l'on peut citer des batailles où, trop pressée de charger, la cavalerie n' hésita pas à passer sur le corps de ses propres gens de pied, ou à masquer totalement le tir de son artillerie). A ce culte presque exclusif de la bravoure où le résultat est presque secondaire si l'honneur est sauf (Tout est perdu,

fors l'honneur ! ),215 s'oppose dans une large mesure les concepts byzantins, qui visent la finalit. Peut-être parce que

l'Empereur n'est presque jamais présent, ou par un reste des habitudes romaines ? Quoi u'il en soit, ce concept a certainement contribué à la survie de l'Empire d'Orient pendant un millénaire. Les succès des armées de Constantinople reposent sur une analyse objective des facteurs : potentiels ami et ennemi; terrain; forme de combat de l'ennemi; logistique, etc. C'était là, mutatis mutandis, un travail comparable à celui de nos E-M. Ceci apparaît plus encore si l'on considère - Cf. S/Ch.5, infra - qu'au Moyen Age l'Occident n'a guère produit que des mémoires d'anciens combattants alors que Bysance a su tirer profit de l'expérience en rédigeant de véritables "manuels" didactiques : Strategicon vers 590; Tactica vers 900; manuel sur la guerre aux frontières en 960, etc. Ces ouvrages montrent d'ailleurs que si les principes militaires généraux de l'Empire d'Orient n'ont guère évolué au cours des siècles ( on !retrouve cette curieuse torpeur intellectuelle, opposée à tout changement profond ), l'analyse des campagnes, objective et détaillée, conduisit à de nombreuses adaptations de détails, parfois loin d'être négligeables. Mais les défaites de Manzikert, 1171, puis de Mysiocephalon, 1176, vont priver Empire des régions où se recrutait la meilleure troupe, fruste, robuste, frugale et disciplinée. Dès lors - et parce que comme le Romain du Bas Empire, le Byzantin méprise le métier des armes - cet Empire d'Orient est condamné malgré le "sursis" résultant de l'écrasement des armées de Bajazet par celles de Tamerlan le 24 juillet 1404.

Remarque :

- Les concepts exagérés de bravoure et d'honneur de la chevalerie ( pas de recherche du renseignement, pas de surprises, pas de ruses...sauf, et de manière contradictoire assez bizarre, s'il s'agit d'un siège ) iront en s'affaiblissant à la fin de la ngue période traitée ici : spécialement sous le règne de Charles VII et - plus encore - de Louis XI pour lequel la fin justifie les moyens. Après avoir été longtemps décrié, ce souverain sans panache, entouré de conseillers roturiers, préférant la ruse et le succès à une vaine gloriole, a été redécouvert depuis peu par Histoire qui lui rend enfin justice en le considérant comme le premier Chef d'Etat moderne de la France. ( De même que, plus récemment encore, Louis XVI et Napoléon III commencent à faire l'objet d'études objectives). Mais certains des successeurs de Louis XI se voudront encore rois-chevaliers concept périmé dans un monde définitivement changé, et qui conduira à des catastrophes militaires.

- Nous reporterons en annexe - fin du chap. - ce qui concerne le phénomène mongol en particulier pour le domaine du

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Commandement. En effet, et par exception à la règle générale fixée, nous devrons mêler assez étroitement l'histoire - au sens habituel du terme - à l'art militaire pour éclairer notre propos.

25. LIAISONS-TRANSMISSIONS.

C'et encore un point de très nette régression par rapport à l'époque romaine.

Au plan tactique: La raison essentielle est la même que celle des défauts du Commandement sur le champ de bataille : si le chef

de l'armée prend place systématiquement au premier rang dans la mêlée216 , toute vue d'ensemble lui échappe et il a déjà fort à faire pour combattre. Dans ces conditions il n'a même pas à prévoir un système de liaisons qui lui permettrait de recevoir des

informations et d'envoyer des ordres. En définitive, outre les facteurs du courage et du nombre217 le gain d'une bataille peut

souvent revenir à l'initiative heureuse d'une de ces formations très généralement méprisée que sont les gens de pied Ce n'est que peu à peu, au cours de la Guerre de Cent Ans - et après bien des revers qui eussent pu être évités - que cette désastreuse pratique commença à diminuer. Un du Guesclin donne l'exemple et entraîne ses gens quand il le faut; mais il sait aussi se tenir informé de l'évolution de la bataille, envoyer des ordres, faire donner les réserves à bon escient : à Cocherel - 1364 - par exemple, il réserve 200 hommes d'arme - malgré leur impatience - et les lance dans une charge de flanc au moment opportun. Cette charge surprend totalement l'armée anglo-navarraise, et sera décisive pour son écrasement malgré le faible nombre de ces cavaliers. Le Connétable, un des premiers en France, a compris que la guerre n'est pas un de ces tournois, supervisés par le chevalier-d'honneur arbitre, c'est à dire une belle geste mais une affaire qui engage l'avenir pour longtemps. ( Du Guesclin, ailleurs, se verra reprocher, plus ou moins ouvertement, par ses compagnons d'arme sa tendance systématique à utiliser le renseignement, la surprise et la ruse).

Au plans opératique et stratégique : Les liaisons, à ce niveau, sont des notions parfaitement étrangères à l'esprit du Moyen Age occidental. ( Ce qui ne veut pas dire qu'elles n'eurent jamais lieu, mais par le fait du hasard et non selon un système soigneusement organisé comme celui des "cavaliers-flèches" mongols). Les nouvelles parviennent lentement ou vite, au gré des circonstances, souvent récédées de rumeurs. Empire d'Orient avait su, pour sa part, conserver les relais de messagers qui permettent à l'autorité centrale d'avoir une information rapide, et de réagir en fonction de ces informations., De l'autre côté de l'Atlantique, mais nous l'ignorions et pour cause, l'Empire Inca avait aussi son système de relais rapides, mais par coureurs faute de montures.

3. LA FONCTION AGRESSION.

Nous avons déjà noté qu'il est rare qu'une arme disparaisse brusquement de la "panoplie" militaire. Le plus souvent elle évolue, elle se perfectionne - ou, du moins, le croit-on - et n'est abandonnée que lorsqu'il devient évident qu'elle n'a plus aucune utilité pratique; ou bien qu'elle est définitivement surclassée par une tre. Et, même dans ce cas, l'abandon peut ne pas être définitif : l'intervention d'une technique nouvelle peut permettre de donner une nouvelle jeunesse à l'arme que l'on croyait définitivement dépassée. Ainsi, les lanceurs lourds névrobalistiques de l'antiquité cèderont la place aux machines - encore plus puissantes, mais en tir courbe ( plongeant ) - à contrepoids ( puis aux énormes bombardes à poudre lançant encore, au début du moins, des boulets de pierre).

A. AMELIORATION DES ARMES DEJA CONNUES.

a/Cavalerie.

Des unités de cavalerie lourde, cuirassée ( clinabarii ), existaient dans les armées romaines depuis l'an 70 environ. Quoique non assuré par les étriers, le cavalier était muni d'une lance assez légère - faible diamètre, longueur 3,50 m - qui pouvait être bloquée sous le bras, mais tenue le plus souvent au combat au dessus de l'épaule, main appuyée à cette épaule, ce quipermettait l'emploi soit comme arme d'hast, soit comme javelot lourd. Pratiquement sans modification cette lance sera celle des cavaleries de l'époque mérovingienne et des débuts de la dynastie carolingienne. En fin du VIIème / début du VIIIème siècles la diffusion de l'étrier en Occident, associé à la selle boitante plus vieille de 400 ans environ, va donner au cavalier une "assiette" inconnue jusqu'alors, ce qui va permettre ( progressivement ) le port d'une cuirasse plus lourde, et d'appuyer le choc d'une lance plus longue, lourde et beaucoup plus robuste, bloquée sous le bras, de tout le poids du cavalier. Pendant plus d'un demi millénaire le sort des batailles en Europe va se jouer essentiellement sur l'intervention de la cavalerie lourde. Ce n'est qu'à partir du XIVème siècle que la longue pique du fantassin et l'arc commenceront à faire cesser une domination telle que le mot "lance" était devenu un terme désignant à la fois l'arme, l'unité tactique qui l'employait, et souvent la charge elle-même. Cette unité-lance selon l'époque et la région, a désigné un nombre d'hommes quelque peu variable, combattant à cheval pour les uns, à pied pour les autres, mais tous montés pour les déplacements. Au minimum une lance comprenait le "chevalier- bachelier" et son écuyer - combattants à cheval - en général un archer, parfois deux, un page et un valet. En 1445 la lance fournie règlementaire de Charles VII, comprend un homme d'arme et son page, un coutillier, deux archers et un valet. Au total un minimum de 6 hommes dont 4 combattants. En outre l'homme d'arme est souvent doublé d'un écuyer qui, au combat, charge avec lui. ( A noter l'obligation de présence de deux archers : à cette époque leur efficacité est reconnue). Du XIIème au XIVème siècles 4 à 6 lances forment une banniere, commandée par un chevalier banneret ; et la bataille aux ordres d'un haut personnage, peut comprendre de 5 à 15 bannieres.

( On notera les faibles effectifs : à Cassel - 1328 - les Français mettent en ligne

11 "batailles rassemblant 192 "bannieres". Au taux moyen de 5 "lances" par banniere on arrive à 1500 hommes d'arme environ et

3000 à 4000 combattants à pied.218

L'arme recevra une nouvelle jeunesse quand Napoléon rapidement imité hors de France, la remit en service dans certaines unités de cavalerie - ex : lanciers polonais à Somo Sierra. , Cette "mode" persistera jusqu'au début du premier conflit mondial : en 1914 sur les 72 324 cavaliers de l'armée d'active française on comptait 25 399 dragons armés du sabre, du mousqueton - pour le combat à pied - mais aussi de la lance. En 1939 enfin, des lanciers polonais lanceront des charges désespérées contre les chars allemands à l'Ouest, soviétiques à l'Est.

b/ Infanterie.

La lance du fantassin est généralement appelée "pique". Elle se présenta sous des formes assez diverses : - La grande pique, d'une longueur de 5 m environ. Son talon planté dans le sol y est maintenu par le pied droit du piquier, qui pointe cette lance sous un angle de 15 à 20 degrés. Elle est destinée à protéger les archers et arbalétrers, plus tard les arquebusiers puis mousquetaires, contre une charge de cavalerie. ( Le piquier reçoit, en outre, une épée). L'armée anglaise faisait l'économie de ces piquiers : les archers préparaient leur propre défense en fichant solidement dans le sol, toujours sous un angle d'une

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vingtaine de degrés, de longues branches appointées. Il y avait donc là impossibilité de manoeuvre, mais ce qui peut nous paraître un inconvénient ne l'était pas si l'emplacement avait été bien choisi : les gens d'arme adverses chargaient leurs ennemis là où ils se trouvaient, sans chercher à "finasser" en les prenant à revers.

- La pique du fantassin ordinaire du coutillier, etc, revèt de très nombreuses formes : les spécialistes en distinguent plus de 60. Nous nous limiterons à citer : * la pique simple, une des armes, par exemple du coutillier, ( dont la coutille n'est pas un coutelas, mais une sorte de sabre court)

* la pertuisane, dont le fer comporte des ailerons

* la fourche de guerre * la halebarde, combinaison d'un fer de hache, d'une lame pointue et coupante, et d'un croc ( destiné à accrocher un cavalier et le faire tomber de son cheval )

* la hache-pique, à long manche : une halebarde simplifiée, et sans croc * la guisarme, proche de la halebarde, mais où un fer de serpe remplace celui de che

* etc.

Epée et sabre.

De maniere générale le Moyen Age utilise des épées-sabres si l'on peut dire, c'est à dire pouvant frapper de taille et d'estoc. ( Cf. tapisserie de Bayeux). Des mentions spéciales peuvent être faites du "fauchon" britannique, assez semblable aux actuelles machettes, et de l'épée à une main et demi d'une longueur totale de l'ordre de 1,40 m, dont 25 cm pour la poignée, pouvant être employée soit d'une seule main - par un individu très robuste - soit à deux mains. Cette arme se rencontrait surtout chez les montagnards suisses et écossais aux XIVème et XIVème siècles.

Il y eut même des "épées à deux mains" ( utilisées exclusivement pour le coup de taille ), dont la longueur pouvait atteindre 1,60 m. Naturellement ces armes, à 1 main 1/2 et à 2 mains, ne pouvaient être portées au ceinturon, mais dans un fourreau de cuir fixé aux épaules. De telles épées, lourdes et maniées par de solides gaillards, étaient redoutables même contre un homme en armure; mais il fallait quelques instants pour les dégainer : elles ne pouvaient faire face aux situations de surprise où les fractions de seconde comptent.

De manière générale l'Orient marqua sa préférence pour les sabres à lame courbe, qui ne permettent guère que le coup de taille : depuis les yatagans, saïfs, chachekas, shamshirs ( cimetères ) des Proche et Moyen Orient jusqu'aux tachis et katanas japonais, en passant par le talwar - ou tulxar - indou et le dha sino-birman. Ce n'est plus par dizaines, mais par centaines, que les spécialistes distinguent sabres et épées de cette époque : lame, courbure, piognée, garde, longueur. Soulignons la réputation des aciers de Damas, et surtout l'extraordinaire qualité des sabres japonais constitués de bandes, soudées, d'acier et de fer doux pour obtenir un tranchant extrèmement dur porté par un "coeur" d'acier doux souple, lui- même pris entre un dos et des flancs d'acier demi-dur. Les techniques modernes n'ont guère permis de dépasser la perfection d'une arme capable de trancher net une tige de bronze d'un demi pouce de diamètre.

Revenant en Occident, la seconde mitié du XVème siècle commence à voir l'évolution vers l'épée classique longue et fine, qui ne permet que le coup d'estoc, mais dont légèreté se prête à un exercice plus savant que puissant. C'est donc à cette époque qu' apparaissent les maîtres d'armes, ( "maîtres en fait d'armes" ), c'est à dire les professeurs d'escrime, qui créeront un vocabulaire très particulier.

Hache à lancer.

Dès la période romaine, certains "barbares" germaniques ripostaient au pilum par le jet de petites haches. Elles seront une des armes favorites, au moins pendant les âges sombres de certaines peuplades, dont les Francs; d'où le nom de francisque. Cette hachette de guerre était très étudiée pour avoir l'équilibre souhaitable; mais son emploi nécessitait un long et constant entraînement : il ne suffit pas que la francisque touche l'ennemi, mais qu'elle le fasse par le tranchant. Puisqu'elle tournoie sur sa trajectoire, il faut que ce soit par une sorte de véritable réflexe que le lanceur règle la direction et la hauteur de jet, et la vitesse de rotation, en fonction de la distance. ( Le guerrier porte aussi une épée et, parfois un épieu). La plupart des armes blanches lancées à la main, tranchantes ou perforantes, disparaissent à partir du VIIIème siècle : elles étaient devenues impuissantes contre les cuirasses et casques. ( Toutefois le pot incendiaire - feu grégeois - et plus tard les grenades explosives viendont prendre la relève des armes de jet à la main, mais leurs principes d'action, feu ou éclats sont radicalement différent : le jet n'est que le "moyen de transport").

Fronde.

Elle ne se maintaint dans les forces byzantines jusqu'au VIIème siècle, mais disparut avec la prise de Rhodes par les Arabes en 649. La fustibale de principe voisin, fera une ( timide )apparition en Occident du Xème au XIIème siècles. Elle est constituée d'un manche de bois prolongé par une poche de cuir qui reçoit le projectile. Une laniere, relachée, permet à ce projectile s'échapper. Le lanceur la fait pivoter, d'un geste très sec d'arrière en avant, à bout de bras par dessus l'épaule : c'était, appliqué à une "balle" de pierre ou de plomb, le très vieux principe du propulseur qui "allongeait le bras" du chasseur de la préhistoire pour le lancement des javelines.

Par rapport à la fronde, la fustibale : - était beaucoup plus précise en azimut et permettait d'envoyer des projectiles très nettement plus lourds : ordre de 250 à 400 g contre 50 à 60

- mais avait une portée faible : une quarantaine de m. Les représentations de fustibales, rares d'ailleurs, les montrent le plus souvent employées en combat naval, juste avant l'abordage.

Arc.

Il se maintint pendant les dark ages et même se développa dans des régions ou chez des peuples qui, sans l'ignorer, ne l'employaient guère. ( Par exemple, dans la péninsule italienne et les zones très anciennement romanisées). A cela, une raison pratique : la chute de la production sidérurgique. L'arc, ( si l'on n'exige pas du bois d'if ) sa corde et les flèches - sauf les pointes - peuvent être fabriqués avec des matériaux qui se trouvent partout. Par ailleurs la pointe de flèche ne consomme que très peu de métal. ( Dans certaines régions on revint à des pointes de silex ou d'obsidienne). Hastings - 1066 - Guillaume disposait d'un important corps d'archers qui contribua fortement à briser le "mur" de boucliers de l'armée de Harold : le duc, constatant que le tir direct était sans efficacité, fit pratiquer - pour la première fois dans l'histoire ? - un tir idirect, plongeant. ( Nous ne savons pas si ces archers étaient des Normands, ou appartenaient aux multiples aventureux/aventuriers qui, depuis la (Petite) Bretagne jusqu'aux Flandres s'étaient enrôlés pour cette conquète).

A la suite des multiples campagnes contre les Gallois - archers réputés - l'arc va enir une arme plus particulierement anglaise.

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Edouard 1er créa les premières unités permanentes d'archers en 1280. A la tactique galloise de l'embuscade, il substitua le tir de masse, mais précis. Les lourdes défaites françaises de la Guerre de Cent ans seront dues pour beaucoup au nombre, à la puissance, à la précision et à la grande cadence de tir des arcs anglais (f) : la protection de maille "treslie" ne résistait pas à 200 m, et l'armure de plaques de fer était perforée à 60 m environ.219 ( Ne parlons pas de l'hécatombe des montures des

hommes d'armes). On comprend mieux le résultat de Crécy - 1346 - plutôt que par la présence ( très controversée ) de 3 bombardes, par celle de 6000 archers tirant une flèche toutes les 10 secondes - tir ajusté, car en tir sur zone la cadence peut monter à une flèche toutes les 5 secondes - ce qui représente une grèle de 36 000 par minute, débit pratique d'une centaine de

mitrailleuses.220 Chaque archer portait 3 à 6 douzaines de flèches, ce qui permet de tirer pendant 6 à 12 minutes : on peut

estimer qu'à Crécy plus de 300 000 projectiles étaient disponibles pour la bataille.

Cette efficacité entraîna la création d'unités d'archers français après Poitiers, mais vite dissoutes sous la pression de la noblesse. ( Juvenal des Ursins :...et si ensemble se fussent mis, ils auroient est plus puyssans que le prince et les nobles. Et pour ce, fust enjoint par le roy qu'on les cassât. )

( Dissolution de ces unités, premières formations royales permanentes, d'ailleurs provisoire puisque Charles VII décida successivement la création des "compagnies d'ordonnance à cheval" en 1445, puis de l'infanterie réguliere, dont les compagnies de francs archers en 1448).

De maniere générale l'arc "continental" sera nettement moins puissant que le "long bow" britannique qui exige un entraînement continu, et commencé dès l'enfance.

Arbalète.

Nous ne saurons jamais si l'"arbalestre" ( ou arc-balestre ) fut une invention "ab nihilo" de l'Occident vers l'an 1000; ou la retrouvaille du très ancien et éphémère gastraphète grec (ch.3); ou encore, une "importation" depuis la Chine, où elle semble avoir été d'un usage courant dès le IIIème siècle avant notre ère et le restera presque jusqu'à nos jours. ( Des exemplaires munis d'un ingénieux système à répétition furent employés lors du conflit de 1894/95 contre le Japon). L'arme nouvelle sera interdite par le concile de 1139, au moins pour les conflits entre chrétiens; mais l'interdiction restera lettre morte.

L'arme est composée d'un arc de faible envergure, mais très puissant - à partir du XIVème siècle ce sera une lame des meilleurs aciers - monté sur un fût, l'arbrier qui est muni d'un dispositif rotatif à cran et rainure, la noix retenant le milieu de la corde : l'arc peut donc rester bandé "indéfiniment" sans effort du tireur. Le moment venu, l'arbalètrier presse une détente-gachette qui lachant le cran, permet à la noix de tourner; la corde, libérée de la rainure projette un "carreau". C'est une fléchette courte, 25 cm environ, mais trapue et à lourde pointe métallique. ( Le rreau pesa de 160 à 250 g; son nom vient du fait que la pointe métallique - parfois le corps de bois - avait en général une section carrée assurant mieux la stabilité sur l'arbrier, avant tir, que ne l'aurait fait une section ronde). Divers dispositifs furent utilisés pour obtenir la mise sous tension d'arcs des arbalètes de plus en plus puissants : - à deux mains tirant sur la corde, arme maintenue en position verticale par le pied du tireur passé dans un étrier fixé à l'avant de l'arbrier; - par corde, fixée au ceinturon et passant sur une poulie munie d'un crochet : en fait, système voisin du précédent, mais traction donnée par les muscles des jambes et de l'abdomen, le système à poulie doublant la force exercée; - par pied de biche ou par levier-pousseur adaptables; ( ou levier fixé en permanence sur l'arbrier); - par tour c'est à dire treuil miniature, s'emboitant sur l'extrémité arrière de l'arbrier; -enfin, par cranequin appareil à crémaillère et pignon, s'adaptant lui aussi sur l'arbrier. Ces deux derniers dispositifs, les plus puissants, ne furent pratiquement jamais utilisés en campagne, car trop lourds et encombrants, et n'offrant qu'une très faible cadence de tir : les arbalètes correspondantes étaient celles de défense de châteaux ou de villes fortifiées.

L'arme fut surtout utilisée par l'Europe continentale, l'Angleterre lui préférant de loin l'arc et sa grande cadence de tir. Cet emploi - très souvent par troupes mercenaires, ( par exemple, les arbalètriers gènois étaient très réputés ) - s'étendit de la fin du Xème aux débuts du XVIème siècles.

L'emploi des deux armes, arc et arbalète, dans une même période peut surprendre. En effet il s'agit bien d'armes individuelles portatives, lançant des projectiles agissant par perforation. Mais elles diffèrent grandement par des caractéristiques es que le tableau suivant va tenter de résumer :

Caractéristique. ARC ARBALETE

- Mise sous tension. Très rapide, mais exige long entraînement musculaire

Lente, mais bref entraînement.

- Conservation de la tension. Effort permanent, sinon perte 2 à 3 s pour bander l'arc et viser.

Aucun effort.( Arme d'attente à vocation surprise / défense).

- Coût de l'arme. Faible pour arc non composite occidental genre "long bow".

D'élevé à très élevé.

- Coût projectiles. Très faible à modéré.( Selon précision requise).

Relativement élevé.

- Précision. Excellente si entraînement précoce et permanent. Sinon de passable à médiocre ( qui permet pourtant tir s. zone)

Bonne après entraînement relativement bref.

- Cadence de tir. 6 / min. en tir précis 12 / min. en tir sur zone. ( Bon archer moyen).

Selon système mise en tension:

3/min. XIIème siècle

2/min. XIIIème

1/min. XIVème siècle

1/2 à 3 min. XVème siècle

- Portée utile. Europe continentale : 125 m, Long bow : jusqu'à 200 m (réduire au 1/2 contre un

adversaire protégé par cotte de maille).

150 m au XIIème siècle

200 m au XIIIème siècle

250 m au XIVème siècle

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La disparition progressive de l'arbalète au profit des "canons à main scopeti" et autres "faustb hsen" à partir de la seconde moitié du XVème siècle s'explique par une raison très simple, malgré les graves défauts de ces premières armes à feu individuelles : celle du coût; pour une arme dont la qualité première est de pouvoir rester "indéfiniment" prète à tirer, en embuscade ou en défense de fortification. A titre d'exemple, un document anglais de 1396 indique un prix de 3 shillings pour un canon à main, ( encore au stade du trait à poudre ou du "bâton à feu" à cette date ), contre 66 pour une arbalette. Or, avec la puissance, les prix de la seconde augmenteront encore au XVème siècle...non compris l'accessoire devenu indispensable, "tour" ou "cranequin" de mise en tension.

Par ailleurs les balles de plomb peuvent être coulées facilement par l'utilisateur se servant d'un moule de très faible prix221 ,

alors que la fabrication d'un carreau est l'affaire d'un spécialiste.

Toutefois, en début du XVème siècle, la portée pratique de l'arme à feu n'était que quelques dizaine de m, notamment par absence de dispositif rationnel de visée. Mais l'armure contemporaine était perforée à une vingtaine de m.

Artillerie névrobalistique.

- En Occident elles disparut pour des siècles. Ses principes furent retrouvés par les croisés au contact des ingénieurs byzantins, mais peu exploités. Nous n'avons pas retrouvé d'exemple en Europe d'emploi d'engins légers de ce type comme artillerie de campagne intervenant dans la bataille. Les nouvelles et puissantes machines à contrepoids, construites à partir du XIIème siècle, seront une artillerie de siège. ( Il faudra donc un millénaire pour voir ré-apparaitre, avec les pièces à poudre noire, une artillerie de champ de bataille : quand elle sera devenue assez mobile pour suivre l'armée. Mais il faudra encore des siècles - fin du XVIIIème - pour que soit découvert l'emploi rationnel de cette artillerie, comme on le verra plus loin).

- L'Extrème Orient ne semble pas avoir connu les gros engins de siège. En revanche, peu après l'an mil on y trouve des catapultes légères qui lancent des projectiles de type radicalement nouveau : tubes de carton remplis d'un mélange explosif qui "préfaçait" la poudre noire, avec mèche. Ces engins, comparables à nos "bombes" de feux d'artifice, ne produisaient pratiquement aucun dégat : le but était d'effrayer les chevaux, éventuellement les soldats ennemis; ou bien - charge fusante, comparable à nos feux de bengale de provoquer des incendies dans une ville assiègée.] ( Les artilleurs-artificiers chinois n'eurent guère de succès contre les Mongols; mais Gengis Khan, toujours "à l'affût" de ce qui pouvait servir à ses conquêtes, crutera - de force - dans l'empire Kim un corps de ces spécialistes. Par ailleurs il veillera à faire habituer les petits chevaux mongols au fracas des explosions).

- Le Proche et le Moyen Orient ( incluant Byzance ) semblent avoir porté l'effort sur les engins classiques puissants de siège et de contre-siège, notamment du type des onagres ( Cf. Ch.4) lançant en tir parabolique des boulets pouvant atteindre 80 kg environ. Plus que les traits lourds de l'antiquité, les petites catapultes furent utilisées pour le tir de pots incendiaires, remplis de la mixture feu grègeois ; à défaut, d'un erzatz et à défaut encore, du simple naphte. Les Croisés furent souvent les cibles de ces tirs incendiaires qui ne semblent avoir été utilisés qu'exceptionnellement pendant des batailles, sauf pour appuyer des "sorties" de garnisons de villes assiégées.

C'est pendant la campagne de 1219 à 1225 contre l'empire musulman du Kharechm que les Mongols s'initièrent à la polyorcétique proche/moyenne orientale : béliers, tours d'assaut, engins de jet. Des ingénieurs musulmans furent recrutés et comme leurs homologues chinois, placés sous les ordres d'Ogodei ( ou Ogotaï ), troisième fils de Gengis Khan, qui, passionné pour ces engins mécaniques, fut en somme le Commandant en chef des formation d'Artillerie et du Génie de son père. ( Les chroniques persannes rapportent que pour la campagne menée de Boukhara vers Tabriz, nécessitant la prise de Merv et celle de la forteresse de Nichapour, Touli, le plus jeune des fils légitimes du Khan, reçut une artillerie de 3000 lanceurs de traits incendiaires ( chinois ), 700 engins lançant des pots incendiaires, 300 catapultes lourdes, et comme matériel du Génie, 4000 échelles d'assaut. ( Plus personnels de mise en oeuvre).

Mais la tactique mongole, toute de vitesse, surprise, simulacre de fuite suivi d'un â tour en force, ne pouvait s'accomoder du minimum de délais de mise en place d'une rtillerie pour la bataille en rase campagne.

B. ARMES NOUVELLES.

Nous ne reviendrons pas sur le fameux - et encore mystérieux - feu grégeois, question traitée plus haut ( s/ch.1. Chimie sinon pour rappeler que, donnant un avantage considérable à ses détenteurs, il contribua sans doute à retarder de plusieurs siècles la chute de l'empire byzantin.

Artillerie "à torsion".

Le principe des machines "à torsion" avait été retrouvé, nous l'avons dit, par les Croisés. Pourtant l'Occident ne revint pas exactement aux machines de l'antiquité. Deux machines reçurent une large diffusion :

- la "pierriere, ou "chaable"222 , caable voire chat lanceur de boulets assez proche dans ses dimensions et possibilités de

l'onagre ancien, mais avec différences portant sur les points suivants : * remplacement de la poche, suspendue à la verge pivotant dans le plan vertical, par une émorme "cuillère" creusée dans le trnc dont la verge a été tirée; * outre l'effet de torsion de l'écheveau de pied de verge, la violence de la rotation est accrue par la traction exercée par un arc gigantesque, ( composite de lames de bois et nerfs, collés et ligaturés ) fixé sur la traverse qui reçoit le choc de la verge;, * le système de gachette, en extrémité de cuillère est différent, et plus simple, que celui de l'onagre. Le réglage de trajectoire était opéré par modification de l'épaisseur de l'amortisseur de choc sur la traverse : des plaques de cuir. Si l'"obstacle" est mince, la verge arrive en position presque verticale, ce qui donne un tir tendu mais de portée limitée. Si l'obstacle-amortisseur est épais, la verge est arrêtée sous un le inférieur : 8O°; 75°; 70°...donnant alors au projectile une trajectoire parabolique ( tir "plongeant" ). Nous ne disposons guère de renseignements sur la masse des boulets tirés par ces pierrieres. Toutefois nous savons qu'ils étaient réputés avoir "frisé" ( froissé, détruit ) les murailles - ou les merlon entre créneaux ? - au siège de Césarée par les Croisés ( Guillaume de Tyr. L.6 ), ce qui suppose plusieurs dizaines de kg. Mais ces engins pouvaient être déplacés sur roues ( massives ) par traction d'un attelage. La masse de la machine devait donc être limitée, d'où celle du boulet : 50 à 70 kg, peut-être pour les plus gros engins. ( Le graveur du croquis du Dictionnaire raisonné de l'Architecture, de Viollet-le-Duc - Tome V, p. 223 - a volontairement exagéré le diamètre du boulet : en fait, il disparaitrait dans la "cuillère").

- l'"arbalète à tour" rapelle la catapulte lourde à traits de l'antiquité. Mais la corde, au lieu d'être soumise à l'effort de deux bras pivotants - eux-mêmes mus par la torsion d'écheveaux - est tendue par un arc géant très analogue à celui de la pierriere. C'est donc une colossale arbalète, montée sur un support pouvant pivoter sur trois roues ( autour d'une crapaudine fixe ) pour le réglage de tir en azimut, et inclinable pour celui en site. La mise en tension se fait par crémaillere agissant sur la corde.

( Précision illusoire à partir de 150/200 m : tir au but sur homme en armure).

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Par extension chaable désigna la forte corde de l'arc, puis un solide cordage, donnant otre "cable".

Les textes qui nous sont parvenus laissent comprendre que les arbalètes à tour étaient surtout des engins de "contre-siège". Le trait, métallique, d'une longueur de 2, 5 à 3,5 m selon puissance du lanceur, pouvait traverser les mantelets et palissades des assiègeants, fendre les poutres des engins de siège, clouer une file de soldats, etc. Certaines de ces super-arbalètes étaient adaptées au tir de barres rougies au feu, capables d'enflammer une tour d'assaut.

La cadence de tir des pierrieres et arbaletes à tour était de l'ordre de 1 coup toutes les 3 minutes; ( assez variable en fait, selon la puissance de l'engin. ) On peut noter que, malgré l'écheveau de pied de verge de la pierriere, ces engins à arc étaient beaucoup moins sensibles à la pluie ou à l'air humide que les lanceurs analogues de l'antiquité : ils étaient faits pour les climats d'Europe occidentale et centrale, alors que les machines gréco-romaines avaient été conçues, à l'origine du moins, pour des campagnes d'été en zone méditerrannéenne.

Remarque : Nous avons suivi l'opinion de la majorité des historiens en estimant que les machines de jet ne furent retrouvées en Occident - même si elles y furent modifiées - u'avec les croisades : la Chanson de Roland des débuts du XIIème siècle, est le premier texte connu faisant allusion aux pierrieres :

Vu il avez tuz ses castels toluz

Od vos caables avez fruiset ses murs...

( Vous lui avez pris tous ses châteaux; par vos caables avez détruit ses murs... )

Mais les Annales de Saint Bertin parlent d'engins inconnus jusqu'alors à propos du siège d'Angers en 873. Malheureusement ces Annales ne donnent aucunes précisions r ces engins inconnus : il peut s'agir de béliers sous "tortues" roulantes, d'échelles d'assaut basculantes du genre sambuque de l'antiquité...localement inconnues jusqu'à ce siège. ( En 843, le château et la muraille de pierres taillées sont encore à inventer en France).

Artillerie à contrepoids.

Dans la première moitié du XIIIème siècle - date non déterminée - furent inventées en Occident223 des machines de jet faisant

appel à un tout autre principe que celui du "ressort" ( au sens large ) : le principe du contrepoids.

Ces engins nouveaux étaient comparables à des frondes, et plus exactement, à des fustibales - Cf.supra - géantes. Elles pouvaient lancer des projectiles beaucoup plus lourds que tout autre système jamais réalisé, mais pas en trajectoire tendue ( une caractéristique défavorable à la précision mais utile pour passer au dessus d'une haute muraille) et à des distances relativement faibles : ordre de 120 / 150 m à charge maximale, de 180 à 220 m avec boulet "léger".

Il exista deux engins, se présentant sous des formes d'ailleurs assez voisines puisque dans les deux cas l'axe de rotation de la verge est porté par deux poutres verticales, elles-mêmes fixées sur un bâti posé au sol; bâti qui comporte les systèmes de treuils et ceux de maintien / libération de la verge. Par ailleurs les poches contenant le projectile et leurs cordages de fixation au bout des verges ( ils allongent le bras de levier de la verge, comme le propulseur ou la fronde allongeaient le bras humain ) sont à peu près identiques. Identique aussi le très ingénieux système de basculement de la poche, donc de libération du projectile sous -divers angles de position de la verge - corde de longueur règlable, agissant sur un crochet spécial - ce qui permettait le réglage en portée...sous réserve d'utiliser des boulets de masse identique.

Ces deux machines sont - le trébuchet dont le bras est traversé par l'axe de rotation, et dont le contrepoids - jusqu'à 20 /25 t - est suspendu, par une articulation, sous l'extrémité courte de la verge; - le mangonneau pour lequel l'axe de rotation passe à travers une pièce décalée du bras de verge et dont le contrepoids ( 5 à 15 tonnes ) est solidaire de l'extrémité courte.

L'un comme l'autre sont des applications du principe du levier : entraînement par le bras court mais chargé d'une masse considérable, qui fait pivoter à grande vitesse l'extrémité du bras long - et plus encore la poche, reliée à ce bras par un cordage

de longueur égale à sa moitié environ - qui, outre son propre poids, "ne porte que" le boulet.224

TREBUCHET MANGONNEAU

La puissance de ces engins, du trébuchet surtout, devait être considérable. En effet si les textes ne donnent pas d'indications fiables sur le poids des projectiles, ( en un temps où les poids et mesures n'étaient pas standardisés ) nous savons qu'il fut de pratique courante d'utiliser une poche spéciale pour lancer dans une ville siègée le cadavre en décomposition d'un cheval, dans le but d'y développer une épidémie ( guerre bactériologique avant le mot ). On peut donc estimer que les engins les plus puissants pouvaient lancer des boulets de l'ordre de la demi-tonne.

Ces énormes machines ne pouvaient être construites que sur place, donc pour un siège de longue durée. Elles posaient certainement un difficile problème, en raison de leur masse, de déplacement en direction pour le pointage. Il est plus que probable que le bâti horizontal ne reposait pas directement sur le sol, où il se serait enfoncé, mais sur une orte de "plancher" de poutres enduites de graisse pour faciliter cette mise en direction : pointage en azimut. , D'après Viollet-le Duc, après arrivée au point le plus bas - que la rotation aurait fait dépasser, avec longue période de balancement - le contrepoids aurait été freiné par un un ingénieux système de torsion de gros madriers, servant simultanément à emmagasiner de l'énergie pour aîder à la remontée de ce contrepoids.

La construction et la mise en oeuvre était dirigée par un entrepreneur -ingigneur, ou engineor, engignor, assisté de maîtres

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charpentiers, forgerons, et leurs aides.

Ces deux machines ont été reconstituées dans les temps modernes, en modèles réduits. Mais - nous connaissons mal ( si elles ont existé ) les proportions "standards" des deux poutres verticales, de la verge de part et d'autre du l'axe, de la corde de "fronde" et de la masse du contrepoids; - et en modèle réduit seulement car il devient difficile de trouver les troncs de longueur et grosseur suffisante, et parfaitement rectilignes, pour constituer cette !verge : celle du trébuchet pouvait dépasser 25 m, avec, à l'extrémité la plus mince, celle vers la poche une section de l'ordre de 40 _ 40 cm.

L'étude "théorique" s'ajoutant à celle des textes paraît montrer que : - le trébuchet devait être utilisé sous un angle de départ d'au moins une quarantaine de degrés, pour lancer dans une ville assiègée, plutôt que des boulets, d'énormes barils de mixture incendiaire; ou un "paquet" de grosses pierres, suffisantes pour démolir au moins les toitures des maisons; ou encore - comme nous l'avons dit - des cadavres d'animaux en décomposition; - le mangonneau devait être utilisé pour des tirs semi-tendus avec angle de départ d'une vingtaine de degrés, avec boulets de 150 à 250 kg destinés à démolir le hourdage des fortifications sur une certaine longueur, avant d'y commencer des travaux de sape.

Les cadences de tir paraissent avoir été de l'ordre de un coup toutes les heures pour les plus petits mangonneaux, à deux coups par jour, seulement, pour les trébuchets lus puissants.

Outre la lenteur de construction, l'inconvénient majeur de ces énormes machines se trouvait dans l'impossibilité radicale de les déplacer une fois montées. Et, même, il ne semble pas que l'on ait cherché à procèder à des déplacements par démontage puis remontage : dans le cas, rare, de deux sièges successifs, il était plus rapide d'envoyer uu détachement précurseur couper les arbres nécessaires et les équarrir, pendant que l'on démontait et récupérait les pièces métalliques - peu nombreuses - plutôt que d'affronter le transport sur longue distance d'énormes et longues poutres sur de mauvaises routes.

Roquettes.

De l'italien rochetta, fusée, qui a donné rocket en anglais, rakete en allemand et raketa en russe. Actuellement l'usage s'est établi de réserver l'appellation aux engins militaires non guidés - sinon ils sont des missiles - et de fusées à ceux des feux d'artifice.

Nous avons vu que vers le Xème siècle, peut-être avant, les Chinois avaient découvert la force de réaction des gaz de combustion d'"une poudre" brûlant progressivement dans un tube de carton ou un bambou. Dans un premier temps ( Cf. l'Arc ) il semble que cette découverte n'ait été utilisée que pour augmenter la portée des flèches. De plus, si la combustion n'était pas terminée lorsque la flèche touchait le sol, elle pouvait effrayer les hommes et les chevaux ( explosions assez fréquentes, plus ou moins prévues par le processus de fabrication ), ou provoquer des incendies dans le cas du siège d'une ville. Ce trait à feu flèche d'arc à poussée auxiliaire, sera utilisé par les Arabes dès avant l'"an mil" : les contacts étaient fréquents entre Chine et Islam, par la "route de la soie". Il est connu en Occident à l'occasion des croisades.

( Toutefois cette flèche-fusée n'y aura guère de succés : le trait de feu a une dispersion peu prévisible, au point de revenir parfois vers les lanceurs. L'archer européen préfère, et de loin, la précision).

On réalisa vite, en Chine encore, que le trait de feu peut s'auto-propulser sans intervention de l'arc si la baguette de stabilisation est légère et le "moteur-fusée" assez puissant. On arrive ainsi à la roquette qui, n'ayant plus à être lancée par arc, peut croître largement en dimensions et masse.

Elle sera employée plus particulierement par les Arabes pendant les croisades : par exemple au siège de Damiette de 1218 - Chroniques de Joinville - ou lors de la défense d'un bras du Nil, en 1250, contre l'Armée de Louis IX : Dragons volant en l'air, jectant une grande lumière. ( Tirs de nuit ?)

Le Moyen Age Européen va utiliser la roquette "pure" mais, évidemment, pour les emplois qui ne demandent qu'une médiocre précision : - en campagne, pour tenter d'effrayer les chevaux par des engins tirés au ras du sol, mais qui par ricochet reviennent parfois effrayer les bètes amies ; - pour les sièges de villes fortifiées, dans le but de provoquer des incendies. ( A cette époque les maisons des personnes modestes - l'énorme majorité - étaient faites de bois, au moins pour la plus grande partie, ou torchis de paille et colombages ); - pendant les sièges, encore, mais par les défenseurs, essayant d'incendier les tours d'assaut, béliers etc, lorsque ces engins sont arrivés assez près pour que le tir, presque à bout portant, ne souffre pas de la médiocre précision; - en combat naval, là aussi en tir au ras de l'eau ( tube de caron revètu de poix ) ur tenter d'incendier la la médiocre précision; - en combat naval, là aussi en tir au ras de l'eau ( tube de caron revètu de poix ) ur tenter d'incendier la flotte adverse. Mais ici encore les ricochets sur vagues donnèrent des résultats décevants et parfois catastrophiques.

( La roquette incendiaire est inutilisable contre un château-fort : seuls les hourds, s'ils sont fait de bois, pourraient être enflammés; mais le coup au but est fort improbable et, eut-il réussi, les défenseurs n'ont guère de mal à éteindre un petit incendie, très localisé).

Nous relèverons qu'au siège d'Orléans, en 1429, et malgré l'existence d'armes à feu déjà évoluées, de nombreuse roquettes furent échangées : tirées par les assaillants pour provoquer des incendies dans la ville; par les défenseurs contre les "bastilles" de bois élevées par l'adversaire.

L'utilisation des roquettes déclinera pourtant rapidement quand les armes à feu seront devenus des engins sûrs - peu de ratés; éclatements rares - et relativement précis. Elles ne réapparaitront guère en Europe qu'aux débuts du XIXème siècle, ramenées des campagnes des Indes par W.Congrève ( "fusées à la Congrève" ); subiront une nouvelle éclipse, non totale toutefois, puis s'imposeront pour les concentrations brutales sur zone au cours du second conflit mondial. Ensuite, les missiles...

Artillerie.

Le moteur-fusée puis la roquette libre étaient employés depuis quelque siècles déjà quand, soit fortuitement, soit par réflexion "on" - qui ? où ? quand ? questions très controversées et qui ne seront jamais résolues - s'avisa du fait que l'énergie des gas d'éjection pourrait être utilisée - avec corps de "fusée" à parois solides, éjection dirigée vers l'avant, tenu fermement ou fixé sur support - pour lancer un projectile. Un tel dispositif serait beaucoup plus léger et compact ( tout est relatif ) que les énormes engins à contrepoids ou, dans la gamme inférieure, ceux faisant appel aux s principes de "ressort". Le lanceur à poudre serait déplaçable et réutilisable

particularité tout à fait nouvelle pour les gros calibres; par ailleurs son coùt serait faible pour les armes individuelles portatives. ( Nous résumons, bien entendu, très grossièrement : les qualités des armes à feu - et leurs défauts - ne se présentèrent pas d'emblée aux esprits comme une sorte d'illumination).

Une longue tradition veut que la première intervention d'armes à feu sur le champ de bataille ait eu lieu à Crécy, en 1346 : trois bombardes mises en ligne par les Anglais auraient décidé du sort du combat. ( On oublie les 6000 archers ! ) Les historiens modernes ont montré que ces bombardes ne furent transportées sur le continent que l'année suivante; pour le siège de Calais,

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où elles se montrèrent à peu près inutiles en raison de leur trop faible portée. Pourtant, il est par ailleurs certain que dès le XIIIème siècle les mongols ont utilisé des "pots à feu" produits et mis en oeuvre par des techniciens chinois. Mais il se peut qu'il

se soit agi là de "lances à feu"225 importantes, utilisables en appui au sol seulement. Il y a donc matiere à discussion, d'autant

plus que si, via les connaissances chinoises, les mongols avaient disposé d'une artillerie à poudre noire, on comprend mal la construction de si nombreuses machines de jet pour la campagne contre l'empire du Khareshm.

En revanche, on ne peut discuter contre des textes précis : décret florentin de 1326 qui nomme des hommes chargés de la

fabrication de "cannones de metallo" ( de canna tube ), de boulets et flèches de fer pour ces "cannones".226 Citons aussi les

décomptes de la ville de Rouen, en 1338, sur l'achat d'un "pot à traire" ( tirer ) garrots à feu avec 48 garrots empennés et ferrés; ou encore ceux de Lille, de 1340, pour fournir la ville en "tuyaux de bombarde" ( bruit violent analogue à celui du tonnerre ) pour garrots etc. Enfin, nous trouvons divers dessins, en Italie, représentant des mortiers en début du XIVème siècle. Plus particulierement un dessin d'Angelucci montre très clairement un mortier portant, en relief, sa date de fabrication, 1322. Nous dirons donc que pour l'Europe, les bouches à feu remontent aux premières décennies du XIVème siècle.

Les tous premiers "quennons" semblent avoir été coulés en bronze : moule pour l'extérieur, noyau d'argile et paille hachée pour l'âme, tel celui retrouvé en Suède à Lashut. C'était la technique des fondeurs de cloches. Mais l'ignorance de la technique d'alésage ne permettait que la production de pièces de calibre assez irrégulier le long de la volée, défaut très dangereux en cas de coïncement du projectile. Pour obtenir un calibre plus précis les artisans imaginèrent très vite un procédé consistant à assembler de nombreuses lames de fer, jointives ( à la façon des douves d'un tonneau ) maintenues par de nombreux cerclages de fer posés à chaud. Mais cette fabrication était lente et très coûteuse...sauf à utiliser des lames de bois dur : il y eut des bombardes de bois. Par ailleurs, le problème de la fixation solide d'une culasse sur ce tube ne fut jamais bien résolu : le plus souvent un cylindre plein, maintenu par un coin traversant le tube.

Les bombardes de lames cerclées présentaient l'inconvénient d'une faible résistance à la pression interne, puisque ces lames n'étaient maintenues que par les cerclages. Il arrivait donc qu'il y eut explosion de la pièce, mais réparation relativement peu coûteuse : remplacer la lame ou les deux lames abimées, refaire des cerclages.

Restait le problème de la culasse, résolu de lui-même pour les canons coulés. On revint à cette voie grâce à des noyaux précuits et retouchés de manière à obtenir une âme "parfaitement" cylindrique. Mais le bronze était cher. Or, précisément vers la fin du XIIIème /début du XIVème siècles, les métallurgistes venaient enfin d'obtenir la coulée de la fonte grâce aux hautes températures de fours de plus en plus hauts et soufflés. Le métal, très dur et peu oxydable, parut être le substitut idéal au bronze : on coula des pièces de fonte. A la stupeur générale, ces pièces, à calibre et épaisseur de paroi égale, éclataient plus souvent que celles de bronze : on avait confondu dureté et non-fragilité. Pour obtenir des bombardes de fonte non dangereuses, il fallait leur donner des épaisseurs de parois telles que le tube pesait 2 à 3 fois plus que celui de bronze de même calibre, ce qui constituait un grave obstacle à la mobilité.

Pendant cette période de tatonnement, et en raison des trop fréquentes explosions, les bombardes étaient placées pour le tir dans des sortes de caisses de très forts madriers, ouvertes seulement à l'avant et sur le dessus, qui protègeaint plus ou moins l'homme chargé de bouter le feu en cas d'éclatement. Le pointage en site se faisait en calant la caisse sous l'angle voulu à l'aide de coins : on "affustait" la rde. ( Mais le recul obligeait à reprendre cet affustage à chaque coup).

Par ailleurs la visée en azimut était peu précise, pour deux raisons :

- absence de tout système de visée autre que repérer à l'oeil la direction du tube;

- non coïncidence - sauf hasard heureux - entre l'axe du canon et celui de l'âme. , En définitive la visée était un art, pratiqué par un affusteur connaissant bien les caractéristiques de son engin, donc tenant compte de ses défauts.

En définitive, et notamment parce qu'il fallait réduire au maximum la masse des pièces dès qu'elles furent montés sur roues - il ne pouvait plus alors être question de coffres protecteurs d'ailleurs - le bronze fut généralisé pour les calibres quelque peu importants entre 1450 et 1470. Il le restera pendant 5 siècles !

Nous verrons les armes portatives individuelles plus loin. Mais il convient de dire un mot des pièces de calibre relativement faible, veuglaires canons de rempart de défense de navires, etc, le plus souvent maintenus sur lecréneau ou le bastingage par un croc, et servi par deux ou trois hommes. Ces petites pièces pouvaient être réalisées en fer forgé - décarburé - souvent par enroulement d'une lame de fer plate, roulée à chaud autour d'un mandrin et soudée bord à bord par martelage. Par précaution ce tube recevait normalement des cerclages. Il y eut aussi des petits canons de fonte coulée, qui "inexplicablement" n'

explosaient pas ( ou très rarement ) !227

On peut noter que, dans le but d'accélérer le tir, beaucoup de ces petits canons étaient composée d'un tube ( guidant le projectile ) et d'une boite-culasse amovible contenant la poudre et ce projectile. Elle était encastrée à l'arrière du cylindre et fortement maintenue par des coins ou des clavettes. Il y avait deux ou trois boites par canon. Pendant la mise en place et le tir, des aides rechargeaient l'autre ou les s boites-culasses.( La jonction, médiocre, donnait lieu à des jets de gaz).

Quoique plus coûteux, et impossible à produire en campagne, le boulet métallique de fonte commença à remplacer celui de pierre à partir de 1370, environ, pour les raisons suivantes : - à masse égale du boulet, le calibre peut être réduit dans le rapport de l'ordre de 1,50 à 1, ce qui entraîne une première réduction de la masse de la pièce, dans le même rapport: volume métal = Longueur _ _ D/1 Epaisseur paroi; - mais, exprimentalement, on constata peu à peu que l'on pouvait réduire aussi l'épaisseur du tube - cf. note précédente - sans augmentation des risques d'explosion : il s'en suivit une seconde réduction du poids des canons; - quoique la fonte soit cassante, le boulet de métal risque moins de se fragmenter au choc contre une fortification de pierre. Expérimentalement, encore, on constata que "la fonte "aigre" ( très carburée ) quoique très dure est fragile : on procéda à une certaine décarburation du métal des boulets. ( Opération impossible sur un objet de la dimension d'un canon ); - enfin on constata que à masse et vitesse égale, et hors questions de fragmentation du projectile, le "petit" boulet métallique a des effets destructeurs sur les murailles très nettement supérieurs à ceux du "gros" boulet de pierre.

Mais, encore une fois, le prix de revient de chaque boulet de métal était bien supérieur à celui de pierre, et il ne pouvait être question de trouver ce genre de munitions chez le forgeron de village : si l'on est vainqueur, on s'efforce de récupérer le maximum de boulets; pratique qui subsistera encore pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire. ( Mais la bombe, puis l'obus, explosifs sont mmés définitivement).

( Il y a lieu de signaler des tentatives, sans suite, de cerclage de boulets de pierres par de solides bandes d'acier).

Pour donner une idée des progrès réalisés en moins d'un siècle, on peut comparer les 3 bombardes du siège de Calais, 1347, dont la portée, nous l'avons dit, ne dépassait guère une centaine de m, au fameux canon anglais du siège d'Orléans, 1428, qui envoyait son projectile de 55 kg à quelques 800 m : aucune machine de jet, que ce soit de technique névrobalistique ou de technique à contrepoids, n'avait jamais atteint la moitié de cette portée.

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Si pour les pièces de très gros calibre228 , tel le célèbre canon de Mahomet II du siège décisif de Constantinople - 66 cm - il

fallut continuer à utiliser la "boite" de madriers posée au sol et affustée par coins, l'invention des tourillons, venus de fonderie avec le tube ( vers 1470 / 1480 ), permit enfin le pointage facile du canon monté sur affût à deux roues, de masse limitée permettant un facile déplacement au cours d'une campagne. C'est vers cette époque, aussi, que l'on réalisa l'intérêt, pour

l'attaque de cibles dures, de la vitesse du projectile229 : jusqu'alors, on comptait uniquement sur la masse. Il en résultera un

allongement de la volée des pièces spécialisées dans la perforation/démolition : les "couleuvrines".

Quelques précisions sur les projectiles ne sont sans doute pas inutiles :

a/ Nous avons fait allusion au "vent" du boulet. Le terme signifie que, de manière systématique le calibre réel de ce boulet était légèrement inférieur à celui du tube: à la fois parce que les boulets n'étaient pas parfaitement sphériques, et parce que la méthode de fabrication des canons ne donnait pas à l'âme une surface parfaitement cylindrique. Un coïncement eut inévitablement provoqué l'éclatement; or on savait que malgré le "vent" ce type d'incident, longtemps fréquent, était fort

dangereux pour l'équipe de pièce.230 b/ Nous ne saurons jamais quand et où germa l'idée du tir d'une "boite à mitraille"

primitive : en général un sac ( déchiqueté par le départ du coup ), fixé sur un tampon de bois et contenant si possible des balles; à défaut - et le plus souvent - des débris de métal voire des pierres. Les textes montrent que ce type de projectile, très efficace à courte distance - briser une charge notamment - fut utilisé à partir des débuts du XVème siècle. Le 17 juillet 1453, ce fut la mitrailles des canons de Bureau et Giribault qui, à Castillon, règla le sort de la Guerre de Cent ans. ( Mais, sauf en cas

d'urgente nécessité, les artilleurs n'aiment guère utiliser la boite à mitraille, qui abime l'âme de la pièce. )231

A partir de la seconde moitié du XVème siècle - et notamment au vu des étonnants succès français - les souverains comprirent l'avantage qu'il y avait à remplacer les gigantesque machines à contrepoids et les énormes bombardes par des canons et des mortiers capables de suivre l'armée, de participer aux sièges et aux batailles en se campagne. ( Encore que, nous y avons fait allusion, le meilleur emploi de l'artillerie de campagne ne fut "codifié" que trois siècles plus tard). En particulie, enfermé dans son château ou sa ville fortifiée, un vassal rebelle ne peut plus narguer pendant des mois la puissance de son suzerain : l'artillerie de siège et le minage explosif ( auquel on ne pense sans doute pas assez ) vont ravaler la fortification millénaire - murailles antiques et acropoles; murailles du Moyen Age et donjons - au niveau de curiosités architecturales.

On peut dire que la poudre a été une des causes premières, sinon la principale, de la fin de la féodalité, une fois mis au pas les très grands feudataires, seuls à pouvoir envisager la possession d'une artillerie rivale de celle du souverain. Il y a lieu de noter, à l'opposé de l'intérêt des souverains pour l'artillerie de siège et de campagne, la très longue répugnance de la noblesse à servir dans une Arme qui avait débuté sous la direction de roturiers, ou même à consentir sa prise en compte tactique. De Castillon à Reichshoffen le dédaim de l'Arme noble la Cavalerie, pour l'Artillerie et ses effets, lui coûtera très cher...Comme l'écrivit Goethe : Wir sind gewohnt das die Menschen verhhnen was sie nicht verstehen. ( Nous sommes habitus à voir les ignorants mépriser ce qu'ils ne comprennent pas. )

Vers la fin du XVème siècle - et celle de ce chapitre - le canon, monté sur roues, muni de dispositifs de pointage en site, en était arrivé à ce que l'on peut appeler une première "maturité". Il restait, certes, à inventer l'avant-train, la bombe de mortier et l'obus sphérique explosifs, à savoir aléser l'âme, mais fondamentalement le canon des années 1490 est l'ancètre direct de ceux que l'on utilisera jusque vers le milieu du XIXème siècle.

Nous n'avons pas cherché à dresser une liste, même simplifiée, des différents types de pièces : à l'origine un nom était donné par le fondeur à l'arme qu'il avait créée, et réussie ce qui était plus rare. Elle était alors plus ou moins ouvertement copiée par d'autres fondeurs. Mais la signification des mots évoluait : par exemple, canon de petit calibre à l'origine, portable par deux hommes avec son affût trépied, la couleuvrine évolua dans deux directions opposées : d'une part des pièces toujours plus puissantes - longueur, calibre - pour les tirs de démolition ou à grande portée; d'autre part, une arme individuelle de masse et calibre réduits ( la couleuvrine à main ) qui devint l'arquebuse.

Armes à feu individuelles.

L'idée d'employer de très petits quennons pouvant être portés et mis en oeuvre par un seul homme, était bien naturelle, mais soumise à des contraintes et facilités.

Parmi les inconvénients on trouve :

- La faible cadence de tir, comparable à celle des arbalètes de la même époque.- L'imprécision de l'arme : mise à part l'bsence de dispositif de visée, il est difficile pour un homme seul ( sauf strabisme prononcé et entraînement ) d'avoir un il pour braquer l'engin en direction d'une cible - qui peut être mouvante - et l'autre réservé à la mise à feu . Cette seconde opération sera facilitée lorsque l'on s'avisera d'élargir en "bassinet" l'extrémité supérieure, externe, de la lumière- L'inclinaison accidentelle de l'arme, ou le vent, peuvent chasser la poudre du bassinet; la pluie peut la mouiller : l'emploi est donc difficile par mauvaises conditions atmosphériques, même après invention du couvre-bassinet. . ( Ce sera une raison de plus pour continuer longtemps à ne faire campagne qu'en belle saison).

Les avantages principaux sont :

- Le très faible coût, par rapport à l'arbalète et ses accessoires.- - La facilité à fabriquer des balles en campagne, chose impossible pour les carreaux et qui pour les flèches ne donne que des projectiles de valeur médiocre. , - Le fait que, pourvu que le tireur ait une mêche lente assez longue, il peut rester prèt à tirer à tout instant, comme celui de l'arbalète, sans avoir à perdre les quelques secondes inévitables pour encocher la flèche et bander l'arc. A ses débuts, l'arme à feu individuelle des débuts était donc surtout apte à la défense de fortifications, ou à tendre une embuscade.

Mais, point non négligeable, ces armes nouvelles heurtaient profondément les préjugés de ce qui restait de l'esprit "chevalerie" :

un "vilain" quelconque pouvait "navrer" un homme d'arme !232

C'est donc dans les forces communales ( milices ) de roturiers que vont se développer d'abord les "quennons de main" ou "hast à feu" français, les "scopettes" italiennes et les "faustbüschen" allemands, un peu après le milieu du XIVème siècle. Ainsi un document de 1364 vante l'excellente qualité des scopettes produites en série à Pérouse.

Le canon des premières armes était très court par rapport au calibre : on avait adopté à peu près les mêmes proportions que pour les bombardes. Mais dans les unes les gaz de combustion chassent le boulet sur quelques mètres, dans les autres le projectile ne suivait le tube que sur une vingtaine de cm. Ce canon est soit prolongé par une tige de fer que le tireur appuie sur sa cuirasse, soit fixé sur un fût de bois qui, dans ces débuts, n'est souvent qu'un bâton serré sous le bras : de toute évidence le recul ne pose pas encore des problèmes importants.

A la différence des pièces d'artillerie, les armes portatives seront presque exclusivement fabriquées en fer ou acier légèrement carburé, comme indiqué plus haut par forgeage à chaud autour d'une tige cylindrique . La culasse est un "bouchon" au calibre,

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soudé ou/et claveté.

Nous avons dit que l'un des problèmes était de réussir simultanément la visée et la mise à feu : l'arme perd la plus grande partie de son intérêt si elle ne peut être utilisée que presque à bout portant. Aux débuts du XVème siècle le remède fut trouvé dans l'invention du serpentin pièce métallique en forme de S fixée sur le fût en son milieu, autour duquel elle peut pivoter. Ce serpentin porte à une extrémité, pincée dans un minuscule étau, la mêche à combustion lente. En tirant sur l'extrémité re ( celle du bas ) du serpentin, il bascule et vient appliquer la mèche exactement sur la "lumière" - plus tard, le bassinet - de mise à feu. Le tireur peut donc consacrer toute son attention à la visée. T Perfectionnement appréciable, mais ces premiers systèmes laissaient la poudre du bassinet totalement exposée aux intempéries; et de nuit le faible point lumineux de la mèche révélait la présence et la position du/des tireur(s).- Au cours du XVème siècle sera mise au point une première "platine" d'arme individuelle : l'action sur une détente libère deux ressorts qui, simultanément, écartent un couvre-bassinet et font basculer le serpentin. Un peu plus tard le dispositif sera légèrement modifié : le serpentin, placé plus en avant, bascule vers l'arrière. Le point de combustion de la mèche n'est donc plus visible par l'ennemi.

Ce type de platine restera très longtemps en usage, malgré un grave inconvénient : pour "lente" que soit la mèche, il faut la déplacer fréquemment; soit : dévissser la vis-papillon du mini-éteau, avancer la mèche, resserrer la vis. Le tireur peut être pris au dépourvu pendant cette manoeuvre, qui est d'ailleurs dangereuse pour lui et surtout ses voisins si, dans la hâte, il vient à enflammer accidentellement des grains de poudre débordant du bassinet.

La France, traditionnellement en retard pour l'armement individuel, sera le dernier des grands pays à renoncer totalement à la platine à mèche : en 1701, alors que la Suède avait adopté celle àsilex depuis plus de 80 ans. Et pourtant... la meilleure platine à silex qui ait existé - et qui servira encore assez loin dans le XIXème siècle - avait été inventée en France en 1610 !

Autres applications de la poudre noire.

Nous croyons devoir citer encore deux applications de la poudre noire, dont une aux quences majeures et à laquelle nous avons fait une trop brève allusion :

La première est relative au minage explosif. On sait que la poudre noire fait partie des explosifs déflagrants ; ceux qui à l'air libre

brûlent sans exploser, contrairement aux "brisants".233 Mais la vitesse de combustion s'accroit de manière considérable sous

pression, ce qui est le cas en enceinte close, au point que cette combustion devient "quasi-brisante". C'est cette propriété, dangereuse si par exemple un baril de poudre prend feu, qui fut exploitée dans le minage explosif à poudre noire. ( Seul disponible jusqu'au milieu du XIXème siècle). Jusqu'alors, en effet, le minage comprenait deux opérations importantes successives: - creuser une sape de section importante ( nous allons voir pourquoi ) arrivant aux fondations de la fortification attaquée, ou à son pied si elle avait été bâtie sur le roc; - puis dessertir les pierres, les évacuer vers l'arrière - d'où nécessité de la sape de forte section : il faut de la place pour déplacer rapidement un grand nombre d'énormes blocs - de maniere à créer une grande cavité dont le "plafond" est soutenu, au fur et à mesure, par de très fortes poutres de bois sec, les étançons. Des fagots de branches sont placés entre les étançons, puis on creuse des "cheminées" et le feu est mis à l'ensemble poutres-fagots. Le plafond et avec lui la partie de fortification qui le surmonte, s'écroule lorsque les étançons ont été affaiblis par l'incendie : la brèche est créée. , Mais la fumée a attiré l'attention des défenseurs et l'assaillant doit tenir ses forces prètes pour un écroulement dont il est difficile de prédire le moment : une furieuse mèlée s'engage sur la brèche.

Ajoutons le fait que ces importants travaux ne passent rarement inaperçus : le défenseur a le temps de construire en arrière une muraille de fortune, voire une simple barricade, pour arrêter le premier élan des attaquants.

Le minage explosif ne demande qu'une petite cavité ( quoique assez profonde : vers le milieu de l'épaisseur estimée de la muraille). On retirera donc un nombre faible de pierres de construction, ce qui ne réclame pas une sape très importante, et le travail pourra se faire assez discrètement si l'assaillant veille à organiser une "sorte de "bruitage" suffisant : détonations, roulements de tambour, appels de trompettes...aux moments utiles. La poudre est mise en place - en petits barils étanches le plus souvent - puis il faut "bourrer" solidement pour que la pression puisse croitre très vite dans la cavité. Le feu est mis par une mèche - on en place plusieurs en réalité, par mesure de sécurité - relativement rapide : tube d'étoffe enduite de poix ( contre l'humidité ) empli de poudre. Un avantage supplémentaire est ù au fait que l'assaillant est parfaitement maître du moment de l'explosion : si le terrain est sec, on peut attendre plusieurs jours, de manière à ce que se relache l'attention non impossible des défenseurs; voire les duper en ouvrant une fausse sape peu discrète sur un tout autre point.

En définitive, le minage explosif se montra si rentable que certaines villes fortifiées se rendirent sur la simple menace d'y avoir recours.

Une autre application de la poudre, assez fréquente à partir des débuts du XVème siècle, semble-t-il, fut défensive. Il s'agit de la fougasse-pierriere lointain ancètre de nos mines terrestres modernes; mais applicable seulement si le défenseur disposait du temps suffisant pour organiser sa machination du terrain.

Il s'agit d'une excavation creusée très en oblique, dont les parois sont revètues de madriers. Une forte charge de poudre est disposée au fond, disposée dans des récipient étanche surmonté d'un épais plateau de bois. Ensuite, l'essentiel de la cavité est rempli de pierrailles de la gamme de 1 à 2 kg environ. En surface ce dispositif est soigneusement camouflé. La mise à feu se fait à distance par mêche !très rapide : poudre fine tassée dans un tube de toile enduite de poix. Cette mêche, elle aussi, doit être dissimulée : dans une petite saignée sur laquelle on ramène le zon.I Allumées au moment opportun, quelques fougasses-pierrieres peuvent arrêter net l'assaut d'une charge avançant en rangs serrés, et mieux encore une charge de cavalerie. L'effet psychologique est sans doute plus important que les pertes infligées, encore que si le nombre des morts ou des grands blessés

est faible, celui des "éclopés" peut être considérable.234

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En résumé :

A la fin de la période considérée ici

- l'artillerie, avec ses canons de campagne et de siège, ses mortiers, en est arrivée à une première maturité technique qui, sauf procédés de fabrication, projectile explosif et standardisation des "systèmes" à venir, ne changera pas fondamentalement pendant trois siècles et demi. L'emploi rationnel - mais ce n'est plus, là, de la technique - est pourtant encore à venir : il y faudra près de 300 ans.

- l'arme individuelle s'est déjà largeent diffusée, notamment en raison de son faible Format coût; mais elle n'a pas encore atteint le degré de maturité technique que montre une période de stagnation ( mis à part quelques perfectionnements). Elle ne la trouvera qu'avec les platines à silex; ( et à ce moment, elle devra attendre encore deux siècles pour recevoir de véritables organes de visée). En tir sur zone, pourtant, son pouvoir vulnérant est déjà reconnu : dès 1430 Pietroni Belli décrit l'effet dévastateur d'une salve : les balles percent les armures, foudroient les chevaux, traversent successivement deux hommes non munis de protection...

4. TACTIQUE, OPERATIQUE, STRATEGIE.

Sur ces questions nous ne disposons, sauf rares exceptions, de renseignements quelque peu fiables et détaillés qu'à partir du XIème siècle, mais surtout pour l'Europe, les rivages de la Méditerrannée, et le Proche Orient. Naturellement, lorsque nous faisons référence à des périodes ( Nème au Pème siècles ), elles sont à considérer comme des repères : dans la réalité il peut exister d'importants décalages de temps entre diverses régions.

41. TACTIQUES.

41.A. Tactiques terrestres.

A.1. Du Vème au début du VIIIème siècles.

- Aux Vème et VIème siècles, primitive comme celle des Gaulois cisalpins des débuts de Rome, la tactique des envahisseurs germaniques - dont les Francs - se limite à une ruée en formation serrée pour l'attaque; à un déploiement assez désordonné pour la défensive. Défensive à laquelle, d'ailleurs, ils ne sont guère portés en raison de ce que l'on a appeléla "religion du courage" de ces peuples. Malgré cette incontestable bravoure, il arrive que l'échec du premier élan fasse renoncer. Par ailleurs le "barbare" germain ne dédaigne nullement la surprise, l'embuscade, la rupture de la parole donnée pour une trève. Ce dernier comportement, à l'opposé de ce que seront plus tard les "règles" de chevalerie, semble être une constante chez les peuples nomades ( ou en nomadisme).

- Dès le VIIème siècle, les Arabes, ( qui viennent de découvrir le cheval ), adoptent une tactique reposant sur la mobilité : le harcèlement à l'arc - celui, de petite taille, à double courbure, de l'archer monté - suivi du choc violent à l'arme anche quand l'ennemi donne des signes de désarroi. Pour leurs chevaux, vifs mais de faible stature, le port d'une lourde protection par le cavalier est exclu; à plus forte raison celle de l'animal.(g), Cette tactique du harcèlement par une cavalerie légère qui, in fine, charge un ennemi affaibli, sera séculaire puisqu'elle persistera longtemps après l'invention de l'arme à feu ( laquelle remplace alors l'arc).

- Le cas de l'Empire d'Orient est à mettre à part : son armée continue à appliquer les tactiques du Bas Empire Occidental mais avec une proportion croissante de cavaliers lourds, protégés ainsi que leurs montures par des cottes d'écailles. Cette cavalerie, fractionnée en escadrons, lance des charges coordonnées de manière à ne pas laisser à l'ennemi une possibilité d'esquive. ( Si possible, on l'accule à une portion de terrain non praticable à ses chevaux). Les cavaliers portent la lance, épée, ( et aussi un arc, mais seulement au titre de capacité de riposte aux tirs de harcèlement).

- Au début du VIIème siècle - et ce n'est pas le moindre de ses mérites - Charles Martel réussit à imposer une discipline de combat à ses Francs : à Poitiers, face aux cavaliers d'Abd-er-Rahman, ses hommes - mieux protègés que leurs ancètres : jaserans, casques, grands boucliers - se contraignent à attendre de pied ferme formant une sorte de bastion vivant. L'ennemi, dérouté par ce comportement inhabituel, hésite pendant longtemps. ( Les chroniqueurs, parlant de plusieurs jours d'expectative, nous semblent exagérer). Les Arabes passant enfin à l'attaque, se heurtent au "mur de fer"

des Austrasiens et Neustriens, puis sont "broyés" entre cette infanterie lourde et les charges convergeantes de la cavalerie franque et de celle d'Aquitaine qui est arrivée juste à temps sous les ordres du duc Eudes. Poitiers restera malheureusement "exemplaire". En effet, les Croisés notamment oublieront le rôle, obscur mais essentiel, de butoir qu'a joué le "mur de fer" de

l'infanterie lourde235 et l'on en arrivera à croire que la cavalerie légère même très supérieure numériquement, ne peut qu'être

écrasée par la lourde : ce ne sera vrai que si elle ne peut manoeuvrer; par exemple, si elle s'est laissée surprendre dans un défilé étroit.

A.2. Du VIIIème au Xème siècle.

- Les armées des Carolingiens : en Occident, à partir de Pépin et surtout de Charlemagne, la manoeuvre tactique se ranime quelque peu. La cavalerie - comme à Byzance - se développe rapidement pour les raisons indiquées plus haut : avec la selle emboitante et les étriers le cavalier fait bloc avec sa monture. Il peut consacrer toute son attention et sa force à se battre contre l'adversaire - lance, lourde épée, masse d'arme - et non plus contre la perte d'équilibre. D'autre part, l'extension de

l'Empire - ordre de 1 200 000 km2 - impose le développement de cette cavalerie ainsi que de fantassins montés, pour pouvoir

déplacer rapidement des troupes sur longues distances., Dans leurs détails les tactiques de la dynastie carolingienne sont mal connues. D'après les rares textes qui y font allusion on peut penser que deux procédés surtout étaient employés :

a/ si l'ennemi peut être surpris en train de se former en bataille, l'armée concentre son fort sur le centre, perce et, profitant du désordre, se sépare en deux éléments qui se rabattent de flancs ( fantassins) et sur les arrières (cavaliers);b/ si l'ennemi est déjà formé en une ligne solide, le gros des forces attaque l'aile jugée la plus vulnérable, l'écrase, puis se rabat de flanc et de revers sur le centre puis l'autre aile.

( C'est, en gros, la manoeuvre d'Alexandre, et plus tard de Frédéric II et de Napoléon : créer l'évènement puis l'exploiter).

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Dans le cas d'un siège les matériels utilisables - balistes et catapultes, béliers, tours d'assaut - ayant été à peu près ignorés de cette époque, l'assaut de vive force ( échelles et poteaux d'escalade ) était préféré au siège en règle ; ce à quoi aidait d'ailleurs la regression de l'art de la fortification : talus de terre tassée, palissade et donjons de bois.

- Les Vikings : la tactique, toute primitive, des premières petites expéditions de pillards vikings reposait sur la surprise, l'assaut mené avec un paroxisme de violence, et aussi sur la terreur inspirée aux populations par les récits d'attaques similaires. Ces Vikings aussi, malgré leur légendaire bravoure, leurs "guerriers-fous" ( les "Berserkers" ) inspirés par Thor, ne rejetaient nullement toutes les ruses pouvant faciliter leurs entreprises.

A leur sujet, si le mépris de la mort va de soi, le résultat qui compte est la victoire, qui se traduit par le butin et l'enlèvement de jeunes gens qui serviront comme esclaves.

( On peut noter qu'au plan technique dans ces débuts de l'aventure viking, il est permis de supposer que les connaissances sidérurgiques de ces peuples étaient pauvres : ils se procuraient - par la force ou par des intermédiaires bien payés - des lames d'épées dans Empire même, notamment chez les Frisons et Saxons. Charlemagne interdit ce commerce clandestin sous peine de mort. ( Qui fut appliquée, à titre exemplaire, avec la plus grande rigueur). Plus tard - grâce peut-être aux connaissances des esclaves - les hommes du Nord assurèrent leur équipement, notamment par les excellents fers suèdois; mais on peut noter que les drakkars et les kn rs ne comportèrent jamais que très peu de pièces métalliques).

Avec le temps, la diminution des luttes internes et les alliances, les effectifs vikings mis en ligne s'accrurent à la mesure des objectifs : avec une centaine d'hommes on peut piller une abbaye isolée, ou une bourgade, mais pas attaquer Coblence, Paris ou Toulouse. Vers la fin du IXème siècle, ce sont donc de véritables armées qui sont amenées par voie de mer et les raids font place à la conquète de territoires. C'est l'époque de la création des duchés et royaumes normands : Angleterre, Normandie, Deux-Siciles, "Empire" de Kiev. On peut rappeler ici que si les Vikings comprirent très vite l'utilité du cheval comme moyen rapide de déplacement, ils continuèrent à livrer les combats à pied, toujours sous la forme d'assauts d'une violence paroxismique.

ais, une fois fixés en Europe occidentale ou méridionale, ils adoptèrent rapidement les formes de combat en usage localement.

La faculté d'adaptation de ces marins-paysans nordiques à l'agriculture de zone tempérée est remarquable. Ils se fondirent d'ailleurs rapidement dans les populations des régions conquises...ce qui explique le type physique scandinave qui réapparait encore parfois jusqu'en Sicile).

- Les Musulmans : Après la phase initiales de rapides conquètes - la chevauchée sainte jusqu'en Espagne et Laguedoc à l'Ouest; au delà de l'Indus et du Syr-Daria à l'Est - les Arabes restent la classe sociale dominante ( car ils ne se mèleront que

lentement aux peuples conquis ), mais assimilent vite les civilisations des régions qu'ils contrôlent : le Monde islamique.236 Leurs

tactiques admettent désormais l'appoint de fantassins, recrutés presque exclusivement chez les nouveaux convertis237 . Elles

évoluent vers celles des forces de type carolingiennes : choc, percée, enveloppement. Toutefois la cavalerie légère, très mobile, si bien adaptée à la vieille et rentable pratique du harcèlement, est préférée aux robustes destriers des Francs puissants, capables de porter outre le cavalier blindé une protection propre, mais peu agile et inapte tant aux manoeuvres rapides qu'au galop prolongé.

élevage du cheval "arabe" fera très vite l'objet d'une sélection savante, pour obtenir les montures les mieux adaptées à cette forme de combat qui privilégie le mouvement. Pendant très longtemps les haras seront surveillés et gardés avec autant de méfiance que les harems.

- L'Empire d'Orient : L'équipement, l'armement et les tactiques de l'armée byzantine ne diffèrent guère de ceux de l'époque de Justinien. Mais - et c'est un fait nouveau dans la chose militaire - les manoeuvres possibles et le travail d'état-major sont désormais codifiés par les manuels que nous avons évoqués, et sur lesquels nous aurons, plus loin, à donner quelques détails.

A.3. Du XIème au XIIIème siècles.

Par excellence, et tout spécialement en France, c'est en Occident l'époque des armées féodales, soumises à un code de chevalerie strict, assez comparable à celui qui avait existé en Chine avant les royaumes combattants Quoique numériquement

très limitée, la cavalerie lourde est considérée comme la composante essentielle de l'armée238 , les gens de pié méprisés,

n'étant considérés que comme des auxiliaires aux missions assez floues dans la bataille rangée. Leur intérêt est toutefois reconnu pour le défense des châteaux et villes fortifiées, et le corps des archer anglais, grâce aux multiples affrontements contre ceux du pays de Galles, commence à être pris très au sérieux, mais seulement outre-Manche.

Divers "cas de figure" peuvent se présenter sur le champ de bataille :

- L'ennemi - un occidental - possède aussi un corps de cavalerie lourde. L'action s'engage normalement par des escarmouches entre fantassins des deux camps - les archers et arbalètriers - puis on passe à la "véritable" bataille : le choc frontal des deux cavaleries ù la lutte dégénère en une mêlée anarchique de combats singuliers plus ou moins appuyée par des fantassins porteurs de haches, hallebardes, dont le rôle concerne plus dans cette ase l'attaque des montures que leurs cavaliers. Cette

mêlée n'a rien qui puisse être qualifié de tactique. Par définition, le vainqueur est celui qui reste maître du terrain.239

- L'ennemi ne possède pas de cavalerie lourde mais - c'est le cas des Sarrasins face aux premiers Croisés - une cavalerie légère. Comme par le passé, les agiles cavaliers légers harcèlent les chevaliers par des tirs à l'arc; puis, quand les hommes d'arme et leurs montures sont épuisés par de vaines tentatives de charges, et ont subi des pertes non négligeables, les Sarrasins cherchent la décision par l'attaque générale, au cimetère. Mais si le terrain interdit cette tactique très mobile, la supériorité du choc des "Francs" et de leurs puissants chevaux est irrésistible. C'est ainsi qu'en 1099, près d'Antioche, Bohémond de Tarente - ce Franc est un Normand du royaume de Sicile - avec quelques centaines de chevaliers balaye littéralement une importante armée de secours, surprise dans un défilé. ( Pour pallier leur insuffisante mobilité, les Croisés recruteront sur place les turcopoles cavaliers légers combattant comme, et contre, leurs ex-coreligionnaires).

- Les malheureuses expériences de Palestine servirent pourtant en Europe, les rares fois ù la cavalerie lourde consentit à se prêter à une ébauche de manoeuvre. Ce fut le cas à Bouvines, 1214, avec une manoeuvre d'aile d'une partie des chevaliers, pendant que le gros de la cavalerie attaquait de face les coalisés, Flamands, Anglais et Allemands. Mais les milices flamandes n'oublièrent pas la leçon de cette journée : la charge des hommes d'arme est irrésistible pour une infanterie, sauf s'ils peuvent être attirés sur un terrain qui ne convient pas à cette charge. A Courtrai, 1302, les milices se postent en arrière d'une bande marécageuse; la cavalerie française s'y empètre, les montures s'effondrent. Le reste n'est plus qu'une boucherie qui laissera un nom sinistre au lieu du combat : Blood-Meersh, le Marais de Sang.

- Le cas du siège est très différent : l'orgueil de caste est obligé de reconnaitre que :

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* le cheval ne présente guère d'intérêt

* les effectifs nécessaires tant à l'assaillant qu'au défenseur ne peuvent se limiter aux

seuls nobles., Et certains travaux - ceux de sape et contre-sape en particulier - doivent être confiés à des spécialistes roturiers, rares donc précieux, aîdés par des hommes habitués à travailler la terre, à la boiserie et à la manipulation des grosses pierres.

Pour l'attaquant, la prise d'une fortification peut se faire : a/ par assaut, après créaton d'une brèche; mais le travail de minage doit être repris pour chaque enceinte s'il y en a plusieurs, successives; et pour le donjon in fine;b/ par une attaque-surprise, avant que les défenseurs aient réalisé l'imminence de la menace. Mais le donjon est toujours en alerte, avec garnison réduite mais formée d'hommes de confiance;c/ par trahison de certains défenseurs : c'est encore une fois la question de la "mule chargée de sesterces" de Philippe de Macédoine.( A cet égard, pour les sièges les principes de la Chevalerie paraîssent avoir souvent souffert quelques accomodements). d/ par l'attente de la reddition imposée par la famine. Mais un châtelain prévoyant, ou les consuls d'une ville fortifiée, accumulent un stock de provisions non périssables - blé, viandes salées ou fumées, etc - et font forer ( dans le donjon pour un château ) un ou usieurs puits qui peuvent atteidre des profondeurs extraordinaires, eu égard

aux moyens techniques disponibles.240

- Reste le cas de l'Asie, et plus particulierement des tactiques utilisées par les Mongols dans leur prodigieuse expansion : cette question sera traitée en annexe.

A.4. Les XIVème et XVème siècles.

- La Guerre de Cent ans : pendant plus de cent ans - 1337 à 1453 - mais avec des trèves, les rois de France vont s'opposer à leurs vassaux, ( vassalité seulement pour les territoires situés sur le continent ), les rois d'Angleterre. Compliqués par les ambitions et les alliances changeantes des autres grand vassaux - Bourgogne, Flandres, Bretagne, Bourgogne - les évènements

sont trop complexes pour être résumés ici.241 Les origines officielles du conflit remontent à 1328 ( contestation de la légitimité des Valois ) mais elles ont leur source, en fait, au milieu du XIème siècle : Henri II Plantagenêt, est roi Angleterre, mais simultanément vassal en France de territoires plus vastes que ceux elevant du roi et de ceux de ses autres vassaux.

La flotte française étant détruit à la bataille de l'Ecluse, 1340, le conflit s'engage de manière favorable pour Edouard III : il peut librement - niveau opératique - déplacer ses forces entre l'Angleterre, les Flandres et l'Aquitaine.

Les principales défaites françaises, Crécy, 1346, Poitiers, 1356, Azincourt, 1416, s' expliquent par le fait qu'aux charges lancées avec la plus grande bravoure, mais aussi la plus grande anarchie, s'opposa un corps d'archers exceptionnel, et par la précision de ses tirs, et par la puissance du long bow qui brisa littéralement ces charges : Commence sous les flèches, l'hécatombe de la chevalerie française fut achevée à l'épée et à la hache par les hommes d'armes ( à pied ) anglais. ( J.Favier, propos d'Azincourt). A ces trois batailles, pourtant, la supériorité numérique était du côté français; mais le code de l'honneur faisait une sorte d'obligation de se refuser à toute manoeuvre; à ne tenir aucun compte du terrain, de l'ennemi, des conditions météorologiques et de l'état de fatigue des hommes et des chevaux. ü On sait que l'on distingue en général 4 phases pour cette guerre : celle des graves revers initiaux; celle de rétablissement passager sous la conduite de Du Guesclin, plus soucieux d'efficacité que de glorieuses défaites - mais le connétable meurt le 16 juillet 1380 au cours d'une obscure campagne en Gévaudan; la troisième, à nouveau désastreuse pour les français, déchirés par la guerre civile entre "Armagnacs" et Bourguignons Enfin la dernière phase : de manière surprenante, alors que l'armée française se dégage peu à peu de ses mauvaises habitudes, son adversaire va tendre à les adopter : après le désastreux ( pour la France ) traité de Troyes, 1420, les chefs des armées anglaises vont verser à leur tour dans l'idée de la prédominance de la cavalerie lourde. A Formigny et surtout à Castillon, sous la mitraille crachée par l'artillerie et les charges raisonnées, uvrantes, des français, les résultats sont

catastrophiques.242

Remarque : Il faut noter que l'intervention de Jeanne d'Arc fut brève ( 20 avril 1429 au 24 mai 1430 ); mais sa capture et sa mort furent suivies d'une extraordinaire réaction chez Charles VII qui, réussissant à rétablir les finances du royaume : * crée ( ordonnances de 1439 et 1445 ) une armée permanente. Or le professionnel, loin de voir dans la guerre la concrétisation d'un rève héroïque et brutal est payé pour obtenir la victoire à "ses" moindres frais - c'est à dire un minimum de pertes : ceci suppose des campagnes bien préparées et bien conduites, ce que facilite l'exercice d'une stricte discipline...au moins pendant le combat; * constitue l'artillerie la plus moderne et puissante d'Europe, sous la direction de Pierre Bessonneau jusqu'en 1444 puis

des frères Bureau, dont l'aîné, Jean, est en même temps trésorier du roi et maître des comptes.243 (h)

Nous nous sommes quelque peu étendus sur ce long conflit parce qu'il nous semble avoir été "exemplaire" sur trois points:

* le courage est peu efficace s'il ne s'accompagne pas de la discipline; * la préparation et la conduite du combat, notamment la manoeuvre, prévue ou improvisée, ont une influence capitale sur le résultat : ce fut, à cette époque, une sorte de redécouverte d'un principe longtemps perdu de vue; o * la surprise technique constituée par la mise en oeuvre d'un armement nouveau - ou utilisé de manière nouvelle - par l'un des adversaires, alors qu'il est mégligé par l'autre. Dans le cas d'espèce, l'emploi massif du puissant arc anglais, puis l'artillerie de campagne.

( Sans revenir sur le minage explosif et l'artillerie lourde rappelons qu'en 16 mois de campagne, 1449/1450, les places fortes anglaises de Normandie tombèrent au rythme moyen e tous les huit jours).

Les armées turques.

( Elles nous sont assez bien connues, notamment par les descriptions de Bertrandon de la Bracquiere dans ses Voyages de 1433).

Remarque : Par rapport aux forces arabes :

Le rapport Infanterie/Cavalerie augmente très nettement en faveur de la première.

Les Ottomans portent la cotte de maille et un "chapel" doublé de plaques de fer.

L'armement individuel comporte l'arc à double courbure, le cimetère, parfois la masse.

L'artillerie ne comprend guère que des pièces de très gros calibre, destinées aux sièges. Elles sont "déplaçables, mais non "mobiles".

La discipline des mamelouks et janissaires est très stricte.

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L'armée turque ( facteur opératique ) comporte toujours un corps d'éclaireurs entraînés à agir avec la plus grande discrétion. Ils doivent découvrir l'ennemi et le garder à vue pendant que des messagers alertent le gros des force qui rejoint à marches forcées et lance une attaque surprise menée avec le maximum de violence. ( Ex : Nicopolis 1396).

Ces précautions ne suffiront pas, pourtant, face à Tamerlan qui, après avoir épuisé les forces de Bajazet en vaines poursuite, les écrase en 1402 à Angora

Face aux Européens, la tactique favorite reste proche de celle des arabes des siècles précédents, en quelque sorte passée aux Turcs avec la nouvelle religion : harcèlement; simulacre de fuite; retour et nouvel harcèlement, jusqu'à l'attaque en force d'un ennemi désorganisé et démoralisé par de vaines tentatives d'en venir au corps-à-corps.

A noter que pour la bataille rangée les Turcs utilise abondamment les roquettes, qui ne présentent pratiquement aucun danger

mais achèvent de semer le désordre dans la cavalerie chrétienne.244

- L'Armée byzantine : pendant les deux derniers siècles de son existence la force principale de l'Empire d'Orient est constituée par sa cavalerie "semi-lourde". Le cataphracte reçoit une instruction très complète, spécialement pour le tir à l'arc en pleine vitesse de la monture, ( ce qui désigne clairement son adversaire : le cavalier léger musulman).

Les fantassins constituent en majorité, eux aussi, des unités d'archers. Celles d'infanterie lourde - qui comportent une certaine proportion d'archers - portent la cotte de maille, le grand bouclier ovale, mais plus souvent un simple bonnet au lieu d'un casque. L'armement est constitué d'une pique et d'une épée; mais tout soldat, entraîné à cet effet, peut utiliser un arc avec efficacité...au moins en tir sur zone

Nous ne disposons pas de textes précis, officiels sur les tactiques employées aux XIVème et XVème siècles - les manuels byzantins déjà évoqués sont très antérieurs - peut-être parce qu'ils ont disparu dans le sac de Constantinople. Toutefois les armes et équipements laissent penser qu'elles devaient être assez proches de celles de l'ennemi principal du moment, mais non sans survivances des siècles précédents : bien qu'il se soit écoulé un millénaire le soldat byzantin n'aurait guère attiré l'attention dans la Rome du

Bas Empire : autre signe de la torpeur intellectuelle séculaire de l'Empire d'Orient.

Ce si rapide renouveau tient notamment au fait que l'Europe catholique abandonne presque totalement la Byzance orthodoxe à son sort, mais aussi au désintérêt général du citoyen de Constantinople pour la chose aire (i) ce qui rappelle exactement le comportement de celui de Rome au Bas Empire.

- Les milices suisses. Le "phénomène" des milices suisses constitue le cas remarquable d'une infanterie qui, à partir du XIVème siècle, se tailla une réputation terrifiante au moment même où disparaissait l'éclat fugitif des milices flamandes. ( Rappelons que la nation était née en 1291, de la confédération de trois cantons forestiers, Schwiz, Uri et Unterwalden, auxquels se joignirent rapidement Lucerne, Zurich, Glasis, Zug; puis Berne).

L'infanterie suisse tenait à la fois - de la phalange, par la formation prise, et par ses 3 ou 4 (selon les batailles) premiers rangs de piquiers; - de la légion, par les rangs suivants, munis d'armes de taille, haches, hallebardes, ou longues et lourdes épées à une main et demi voire à deux mains toutes armes lourdes et solides, mais ne pouvant être maniées que par des hommes très robustes.

L'esprit civique de cette infanterie ne peut trouver de comparaison que dans celui de Sparte, ou celui des vieux Romains.245

Après une brève prière, la charge au pas cadencé se faisait dans un silence total qui, par lui-même, constituait pour l'ennemi un fait démoralisant, car contraire aux habitudes de l'époque.

Dans ses débuts la Confédération était si pauvre que les hommes n'avaient d'autre protection, pour les piquiers des premiers rangs, qu'un simple fagot de branches, fixé au bras gauche. Par la suite les miliciens s'"enrichirent" peu à peu des équipements des multiples armées vaincues, mais la protection ne prit jamais le pas sur la mobilité et, surtout, sur la facilité du maniement des armes.

La tactique élémentaire était aussi efficace que simple : les premiers rangs - munis s piques - arrêtaient la charge ennemie, qu'il s'agisse de fantassins ou de cavaliers. Les halebardiers et manieurs d'épée se glissaient alors entre les piquiers et massacraient

l'adversaires empêtré par ses propres lances ou piques.246 Une telle tactique ne pouvait, évidemment, être adoptée que par des

hommes d'une exceptionnelle solidité morale et physique qui, à cette époque déjà, se trouvait plus dans les zones pauvres et rudes que dans les régions riches.

Le courage helvétique n'empèchait pas la prise de précautions, visant non seulement à éviter la surprise, mais à en bénéficier : si possible, se présenter devant l' !adversaire en un lieu où la "phalange-légion" ne pouvait être tournée par les ailes; garder des réserves pour attaquer de flanc une fois le combat principal engagé, etc. , Une seule fois - Arbedo, 1422 - l'armée suisse fut surprise et encerclée en terrain plat par la puissante cavalerie du duc de Milan. Il fallut se replier en terrain montagneux, mais la défaite ne se transforma pas en déroute. La leçon ne fut pas perdue, tant sur le plan des éclaireurs désormais "battant "l'estrade" à plus grande distance, que sur celui des armes : piques portées à 6 m, et premières armes à feu, adoptées alors plus pour effrayer les chevaux que pour leurs effets vulnérants.

Ce ne sera que sous le feu écrasant des canons de Marignan, concentrant leurs tirs sur les trois seules digues qui pouvaient être empruntées pour donner l'assaut, u'une armée suisse connaîtra une grave défaite, non sans avoir déployé des prodiges de valeurs : sans compter les blessés capables de se retirer, elle perdit plus de la moitié de ses effectifs. On peut ajouter que les multiples victoires des Confédérés, remportées le plus souvent à 1 contre 2, voire conre 3, eurent un énorme retentissement. La pauvreté de leurs montagnes s'ajoutant à une forte natalité, de nombreux souverains - et tout particulierement les rois de France - sollicitèrent leurs services comme troupes mercenaires. Mais, et là réside la nouveauté, mercenaires d'un type inconnu jusqu' alors : très disciplinés et rigoureusement fidèles à la parole donnée, même - et en dépit du faux proverbe - lorsque la solde due se faisait attendre pendant des mois, parfois des années. En quatre siècles, les Cantons ont fourni à la France près

d'un million de soldats. Les trois quarts y laissèrent la vie.247

( Reste à se demander ce qu'aurait donné une rencontre entre miliciens suisses et archers anglais. A notre avis, malgré de lourdes pertes sur les 200 derniers mètres avant le corps à corps, ce seraient les Suisses qui, par la puissance du choc, auraient remporté cet hypothétique combat).

- Les Hussites : leurs forces méritent ici un examen en raison de l'originalité de leur tactique.

( Il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'après l'exécution de Jean Huss, 1415, ses partisans tchèques se révoltèrent contre Sigismond et, plus généralement, contre Allemands. Leur armée populaire, commandée par Zizka puis les frères Procope après sa

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mort, va repousser de 1419 à 1437 les cinq "croisades" impériales, voire prendre l'offensive. Ce sont les troupes hussites bien que - et pour cause - Jean Huss ne les ait jamais commandées).

Cette tactique hussite semble due au génie de Zizka, qui avait réussi à unifier les bandes populaires en une armée remarquable par sa discipline, et soutenue par une foi religieuse...quelque peu confinant au fanatisme. A défaut de détenir les moyens dont disposaient les nations riches, les hussites imaginèrent la tactique "défensive-offensive" en rase campagne, grâce à l'obstacle

mobile. Cet obstacle est constitué par des chariots-fortins, rapidement disposés en carré ou en cercle248 pour la bataille, et

occupé par des fantassins armés d'arcs et de petits canons à main. Les charges de cavalerie se heurtent en vain à cet obstacle, y subissant de lourdes pertes; puis l'assaillant, qui a souvent alors perdu sa monture, est attaqué au corps à corps par les hussites jaillissant de leur retranchement, et si possible appuyés par des cavaliers restés dissimulés, en réserve, à quelque distance des chariots.

Ce "Wagenburg" fut imité ailleurs en Allemagne, mais se trouva impuissant quand les assaillants disposèrent d'une artillerie mobile assez puissante pour démolir les chariots avant l'attaque. ( Dans une certaine mesure ce système sera repris par les immigrants américains, quoique leurs "Conestoga wagons" soient conçus pour le transport et non pour la bataille).

En résumé :

A la fin du VXème siècle, en Europe, l'artillerie de campagne a commencé à influer sur les tactiques : la bataille va désormer s'engager par une canonnade visant à désorganiser le front ennemi; si possible y créer des brèches que pourront exploiter cavaliers et fantassoins. Par ailleurs - notion parfaitement étrangère à la chevalerie d'antan - sont conservées des réserves d'infanterie et de cavalerie. Les premières, selon la situation, se porteront aux points critiques où le front ami tisque d'être enfoncé, ou bien seront lancées en renfort d'une colonne d'assaut. Les secondes peuvent âider aussi à redresser une situation localement compromise, ou prononcer une attaque frontale; mais elles seront employées de préférence pour une action d'aile ou/et de revers.

L'artillerie est donc largement entrée dan la panoplie des armées. Pourtant il faudra encore trois siècles pour découvrir son principe d'emploi optimal : celui de la concentration des feux qui, à Castillon comme plus tard à Marignan, n'a joué que par le fait du hasard, dù aux particularités du terrain. Néanmoins la réputation du canon ne cesse de grandir : pour les contemporains, c'est elle qui fait de l'armée de Charles VIII, entrant en Italie; "un objet de terreur".

L'infanterie, par ailleurs - en grande partie à cause de l'exemple suisse - a commencé à retrouver la notoriété qui lui avait été déniée si longtemps. Elle adopte l'arquebuse, déjà très meurtriere mais qui ne peut se passer de la protection des piquiers pendant le lent rechargement.

Les faiblesses de la cavalerie lourde traditionelle, se révèlent de plus en plus. Enfin, signe de promotion sociale le fantassin n'est plus désigné par des alificatifs méprisants ( goujat, coquin.).. mais devient le soldat : soldé dans le cadre d'une armée réguliere permanente.

- Extrème Orient. De maniere inexplicable, puisque la Chine semble bien avoir inventé la poudre, ses armées ont relativement peu utilisé le canon jusqu'au XVIIIème siècle. Toutefois il semble possible que le Grand Khan mongol, Qubilaï, ait utilisé des bouches à feu et des armes portatives pour la conquête du royaume Song, donc dès les années 1268/69. Par la suite, l'armement, l'équipement et les tactiques montreront un immobilisme séculaire qui, roquette et lances à feu mises à part, sont peu différent de ceux des premiers siècles de notre ère.

L'immobilisme du Japon, en matière d'armement, sera encore plus net : pour n'avoir pas y revenir au chapitre VI, indiquons que l'arquebuse à mèche, introduite par les Portugais et Hollandais au XVIème siècle, ne changera pratiquement plus que pour passer à la fin du XIXème siècle pendant quelques années à celui à percussion interne puis, très vite, au fusil à répétition dérivé du Mauser 98 : le "Meiji 38+ année".

L'armure japonaise classique, le "do maru" remonte au moins au XIIème siècle. ! L' armement type du soldat comporte souventun arc, très curieusement dissymétrique, d'une longueur de 2,20 m, et toujours un sabre., Le samouraï porte deux sabres : le katana long, et le tachi ou le wakizaschi très nettement plus courts.

La bataille se réduisait, sans la moindre idée tactique, après un échange de flèches à une juxtaposition de féroces duels. Elle se livrait exclusivement à pied : le chaval, muni d'hipposandales ne sert qu'à acheminer l'aristocrate au lieu du combat.

(…)

41.B. Tactiques navales.

Ce sous-paragraphe sera nécessairement bref. La tactique navale n'a guère évolué tout au long du Moyen Age pour une raison simple, après l'abandon de l'éperon : aucun armement embarqué ne permet de couler un navire adverse par perforation de la coque.

L'action élémentaire se déroule en deux phases : - Depuis le pont, et surtout les points hauts du navire - "chateau" (avant), gaillard ( arrière), hune(s) dès qu'elle(s) existe(ront) - cribler de flèches, carreaux, balles de fustibales - plus tard d'armes à feu - le navire ennemi : les hommes de pont sont les principales victimes de cette grèle meurtriere, l'homme de barre en particulier, spécialement visé : ceci au point que sur certains navires son emplacement était quelque peu protégé par des pavois. Les meilleurs archers tirent des flèches lourdes, munies d'une lame tranchante au lieu d'une pointe : ils s'efforcent de couper les

cordages sous tension.249 ( Une autre méthode, qui nécessite de frôler l'adversaire, consiste à trancher ces cordages avec des

lames portées au bout de longues perches. C'est exactement la technique décrite par César pour la bataille contre les vaisseaux vénètes).

- Une fois le bâtiment ennemi affaibli en hommes et plus ou moins immobilisé, c'est l'abordage et la bataille s'achève en combat de style terrestre.

Une variante, dont la mode a subi des éclipses et des renouveaux, consiste en Occident à tirer des flèches incendiaires. Le commandant de flotte recommandait donc de faire asperger cordages et voiles par les gabiers juste avant de parvenir à la distance réciproque de tir. Autre varaiante, utilisable par position et vent avorable contre une escadre ennemie à l'ancre ou trop

serrée250 : la mise à l'eau de brûlots, radeaux portant un bûcher enflammé qui pouvait mettre le feu aux coques.

De manière générale, toujours en Occident, les flottes anglaises - à nombre égal - avaient le dessus. Ceci pour deux raisons : - la nette supériorité des archers, provoquant des pertes si importantes que les équipages ennemis étaient très diminués au moment de l'abordage. ( Par ailleurs, couper un cordage, exploit pour un continental, était à la portée d'une bonne proportion de ces archers anglais spécialement entraînés au tir de flèches lourdes ); - la supériorité manoeuvriere ( en moyenne ). Mieux

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dirigés, les navires anglais se regroupaient par deux ou trois pour accabler un seul adversaire ( trop vite pour qu'il puisse être

secouru par ses "matelots"251 ), puis un seul suffisait pour l'abordages tandis que les autres s'en prenaient à une autre victime.

En Méditerrannée, et malgré la différence existant entre galère et bâtiment à voile, la tactique élémentaire est très proche de celle des mers du Nord et de l'Ouest : tir d'affaiblissement précédant l'abordage et le corps à corps. ( Certaines nations avaient conservé l'éperon, plus à titre de tradition d'ailleurs que pour un emploi pratique, peut-on penser d'après les textes qui n'en font guère état).

Collectivement, les navires s'efforcent de s'appuyer mutuellement, puisque l'expérience démontrait que le bâtiment isolé est condamné s'il ne peut fuir. La formation typique est "en croissant" sur plusieurs rangs, concavité vers l'ennemi afin d'avoir le maximun de tireurs à portée du centre adverse: ici encore l'expérience avait montré que la rupture de ce centre se traduit généralement par la victoire; à tel point que si cette percée réussit, bon nombre de navires des ailes ennemies prennent la fuite sans attendre. ( Fait remarquable, si dans la période par excellence de la chevalerie - c'est à dire du XIème aux débuts du XIVème siècle - la tactique terrestre fut à peu près ignorée, le combat naval s'efforça plus ou moins d'être rationnel).

La mise en place des premières armes à feu sur les navires commença par renforcer cette tendance : tant que ces navires n'eurent pas une largeur - c'est à dire un tonnage - suffisante, permettant de disposer les plus puissantes en batteries latérales, elles furent placées, par force, aux extrémités. ( Pièces "de chasse" à l'avant; de retraite ou d'arcasse moins nombreuses et puissantes à l'arrière en raison de l'encombrement de la barre et de la place à laisser libre pour sa noeuvre). Il était donc normal de disposer l'escadre de telle sorte que les canons les plus puissants ne voient pas leurs champs de tir masqué par d'autres bâtimets amis. ( Il semble que le tir de ces pièces principales ait été pratiqué à courte distance, et à mitraille pour "balayer" le pont de l'adversaire).

Un cas très particulier est celui de l'emploi naval du feu grégeois byzantin qui parait avoir été utilisé d'abord sous la forme de "pots" incendiaires contenant la mixture, puis à l'aide de l'équivalant de nos modernes lance-flammes, les siphones montés à l'avant des rapides et maniables galères dites "dromons". ( Ce qui laisse supposer que le mélange se présentait sous la forme d'un liquide peu visqueux ). Nous ignorons la portée des ces siphones, mais, alimentés nécessairement par pompes à bras, elles ne sauraient avoir été supérieure à celles des premiers lance-flammes du conflit 1914-1918 : une quinzaine de mètres est le

maximum admissible. Il n'empèche que cette arme mystérieuse se montra très efficace pendant des siècles.252

Comme nous l'avons indiqué, sans détenir le "véritable" feu grégeois, au moment des croisades les Sarrasins utilisèrent des substances incendiaires contre les croisés. , Vers cette même époque Bizance paraît avoir perdu / oublié / égaré le secret de son arme centenaire puisque lorsque Constantinople fut prise d'assaut par ces Croisés en 1204 ( 4ème croisade ) l'attaque fut menée essentiellement par la mer et la baie de la Corne d'Or. Or les bâtiments "Francs" étant venus se placer juste au dessous des murailles du front de mer - moins élevées que celles du front de terre - échelles d'assaut reposant sur les ponts de ces navires, le simple jet de pots incendiaires aurait fait échouer cette attaque si le feu grégeois avait encore été disponible.

42. OPERATIQUE.

42.A. OPERATIQUE TERRESTRE.

En Occident, de la période allant de l'écroulement de l'Empire jusqu'aux Carolingiens, l'opératique se limita à des actions pour le moins simplistes :

- pour les vagues successives d'envahisseurs barbares, savoir réunir au moment voulu les guerriers des hordes cheminant plus ou moins parallèlement, afin d'aligner le maximum de combattants pour le choc que les éclaireurs ont rapportée être imminent; -

pour leurs adversaires, ( peuples constitués le plus souvent des populations implantées de très longue date253 puis peu à peu

mèlées aux anciens envahisseurs sédentarisés ), généralement alertés par l'arrivée de réfugiés, battre le rappel de tous les hommes en état de porter les armes, et les porter au devant des nouveaux arrivants pour tenter de les repousser - de les détruire si possible - en limitant au plus loinla zone dévastée. , Au cours de cette période, et malgré la religion du courage à défaut de savantes combinaisons les deux adversaires ne s'embarassaient pas de scrupules chevaleresques; qu'il s'agisse de serments non tenus, d'embuscades, de surprises, de pillages et massacres systématiques, ou de réduire les survivants à un état

plus ou moins proche de celui d'esclaves... pour un temps, d'ailleurs : jusqu'à la fusion.254

Avec la dynastie carolingienne et plus spécialement Charlemagne - n'oublions pas qu'il est le quatrième de la dynastie, puisque dès son bisaïeul les Mérovingiens ne sont plus rois qu'en titre - s'amorcent des progrès : chaque fois que possible, et grâce à un bon réseau de renseignement, les forces savent manoeuvrer pour saisir ennemi à un moment délicat de sa progression. Plusieurs fois deux armées carolingiennes sauront combiner leur progression de manière à prendre l'adversaire en tenaille.

Du XIème au XIIIème siècles - aux débuts du XIVème pour la France, s'instaura la période régie ( en principe au moins ) par l'idée chevaleresque. L'opératique est réduite à néant, ou presque : les deux armées marchent l'une vers l'autre tout à fait ouvertement. Quand elles sont en vue, un usage fréquent veut par entrevue directe, ou par hérauts interposés, que l'on s'accorde sur le jour de la bataille qui, en quelque sorte, sera conçu comme un gigantesque tournoi, mais "poussé à fond". ( Encore qu'il n'y ait guère de tournois "courtois" - c.à.d. sportifs - sans quelques morts et blessés graves). Le Chef de guerre qui ne se conforme pas à ces règles est quelque peu méprisé par ses pairs, et tout spécialement en France.

Comme nous l'avons relevé, ce comportement pour la bataille en rase campagne est en contraste radical avec celui des sièges, où toutes les ruses, toutes les duperies sont de bonne guerre. Contraste, aussi, avec l'usage de laisser les "gens de pié" massacrer les ennemis non en mesure de payer une rançon, puis dépouiller les corps. Les règles "courtoises" sont appliquées parfois, rarement toutefois, vis à vis des infidèles : musulmans et, moins encore, adeptes des hérésies.

Les choses commencèrent à changer avec la Guerre de Cent Ans :

- Dans les débuts, les Anglais possèdaient la maîtrise de la mer ( grâce à leur victoire de l'Ecluse). Il leur fut donc possible de jouer alternativement de leurs !forces à partir de l'Aquitaine d'une part, des deux rives dela Manche d'autre part : on a écrit que les Français pouvaient craindre qu'une même armée déferle soit du Nord, soit du Sud-Ouest. Ce "balancement" éventuel nous semble exagéré : il était théoriquement possible, mais ( et avec les navires de l'époque ) la succession des opérations de regroupement, embarquement, transport et débarquement, était nécessairement plus compliquée que les trajets par voie de terre; en outre le trajet maritime était encore, même en belle saison, une entreprise trop soumise aux aléas d'une tempète imprévisible. La mer servit donc surtout à l'acheminement de renforts depuis l'Angleterre, et non au transport du gros des forces, pour lequel fut préférée la "chevauchée" ( qui présentait l'avantage supplémentaire de pouvoir ravager systématiquement les portions de territoire ennemi traversées). Ces "chevauchées" se déroulèrent parfois sur de très grandes distances. Ainsi, celle de 1356, partie de l'estuaire de la Gironde, passa par Périgueux, le Limousin, Bourges, puis se rabattit vers Poitier, où Jean le Bon fut fait prisonnier.

- Charles V tente de reconstituer la flotte française à l'arsenal de Harfleur, pour contrer les capacités évolutives maritimes anglaises. Mais après quelques succès, dont des opérations limitées de débarquement et de ravage sur les côtes de Angleterre,

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la guerre civile entre "Armagnacs" et "Bourguignons" ruina la nouvelle

- Toutefois, à la reprise de la guerre la menace semble bien avoir porté, puisque dès u'il le peut - 1415 - Henri V débarque dans l'estuaire de la Seine une armée chargée de raser Harfleur. , Opération pensée, et réussie, mais qui, paradoxalement, constituera à long terme un des facteurs de la défaite finale. En effet, après la destruction de cet arsenal, puis la victoire d'Azincourt, l'Angleterre juge superflu d'entretenir une marine importante : dépenses inutiles puisque cette marine n'aurait pas d'adversaire. Mais à cette époque et dans les mers concernées, le navire de guerre n'est encore u'un bâtiment de transport armé. C'est donc en grande partie faute de renforts venus d'Angleterre directement par mer que la dernière province anglaise tenue en France finira par tomber en 1453 : l'armée de Talbot, défaite à Castillon, ne comptait guère que des hommes de Guyenne et Gascogne. Après la défaite il ne reste plus sur place de quoi former de nouvelles forces - par manque d'armes, plus

que d'hommes255 - pour s'opposer à l'avance des Français sur Bordeaux.

A partir de la fin du XVème siècle, l'opératique redevient le prélude normal à toute action tactique. Le renseignement, les éclaireurs, permettent d'orienter la marche des armées pour tenter d'aborder la phase tactique, c'est à dire la bataille, dans des conditions favorables. Naturellement, après des siècles d'abandon complet de cet intermédiaire entre tactique et stratégie, il faudra très longtemps pour retrouver la maîtrise qu'avaient possédé, par exemple, Alexandre, Hannibal ou César; maîtrise de cette "Grande Tactique" qu'au demeurant peu d'hommes détiendront dans l'histoire : une chose est d'organiser des opérations de maniere rationnelle; une autre de le faire de telle sorte que la future bataille soit, en quelque sorte, inéluctablement gagnée par cette préparatoire

42.B. OPERATIQUE NAVALE.

Ce paragraphe ne peut qu'être très bref : l'opératique navale n'exista pas au Moyen Age, tout au moins au sens où nous l'entendons. ( A moins de baptiser "action opérationnelle" la décision d'envoyer une flotte d'un point A à un point B, où elle devra.).. On ne peut guère citer que deux types d'actions maritimes pour cette époque en Occident :

- Les batailles navales, dont nous avons vu qu'elles s'apparentent beaucoup à un combat terrestre. Avec cette différence toutefois, très grande pour certaines époques, que ce combat est exclusivement mené - et pour cause - par des "gens de pied" auxquels, fait à noter, ne dédaignent pas de participer des chevaliers...dont l'attirail guerrier était fort mal adapté pour ce type de combat demandant agilité et souplesse, ( et plus encore - c'est un euphémisme - le cas de chute dans la mer. Il est vrai que rares étaient alors les hommes sachant nager, même chez les marins professionnels). Ce type de combat explique facilement la domination anglaise navale pendant l'essentiel de la Guere de Cent Ans, tant par son corps d'archers d'élite que par les qualités

manoeuvrieres de ses marins.256 En résumé, la guerre navale au Moyen Age ne dépasse pas le niveau tactique en Occident. -

Le transport de forces terrestres jusqu'aux rivages d'une zone accessible seulement ( ou facilement )par voie de mer. Par exemple, les raids puis les conquêtes des Vikings, la conquête de l'Angleterre, les croisades. Ce sont bien là des opérations, mais pour lesquelles la marine n'est qu'un moyen, relevant de la fonction mobilité puisqu'elle n'intervient pas dans un débarquement ve force. ( Par exemple, celui de Guillaume de Normandie).

C'est en Méditerranée orientale seulement que la marine trouve un rôle opérationnel, et seulement dans les "opérations combinées" semble-t-il : telles les multiples assauts combinés musulmans - voie de terre et voie de mer - contre l'Empire byzantin qui ne réussissent définitivement qu'après 8 siècles, ou presque, de tentatives. ( En revanche, la prise de Constantinople par la 4ème croisade est menée uniquement par voie de mer. Nous ne savons pas qui, au sein des Croisés, eut l'idée de s'en prendre à la façade maritime de la ville, nettement moins bien protégée que par la longue muraille terrestre).

Autre opération intéressante que celle dont nous avons parlé à la page précédente : la mise à terre d'une armée chargée de détruire les chantiers navals de Harfleur. Mais, plus que d'opératique, il s'agit de stratégie, et de celle que nous appelons maintenant, "des moyens". ( Dans le cas d'espèce, stratégie anti-moyens).

Comme toujours, les limites entre tactique et opératique d'une part, entre opératique et stratégie ( militaire) d'autre part, sont floues. Beaucoup d'actions ressortissent de l'une ou de l'autre selon le point de vue envisagé.

43. STRATEGIE.

Rappelons que la stratégie militaire est un des volets - recours à la violence - de la stratégie générale, ou projet politique. Au Moyen Age ce recours à la force n' était pas, déjà, le seul moyen de la stratégie générale. Y concoraient aussi : - la diplomatie, nouant des alliances permettant de faire cèder par la simple menace; - l'argent ( l'or le plus souvent ), qui "facilitait" les alliances, mais aussi pouvait permettre l'achat d'une province; - enfin, très souvent, les combinaisons matrimoniales : la loi des Franc saliques que ne pratiquaient pas les Francs rupaires ) était ignorée en Europe et tombée en désuétudeen France.( Rappelons qu'elle ne fut rétablie en France que comme prétexte pour exclure du trone la fille de Lous X, en 1322 : ce fut l'origine de la Guerre de Cent Ans). Ailleurs, les femmes pouvant hériter du trone, d'un duché, etc, ces combinaisons

matrimoniales qui nous paraissent souvent extravagantes par les différences d'âge des époux257 , permirent des acquisitions

considérables parfois, encore que leurs résultats, controversés, furent bien souvent la cause de conflits., Mais nous sommes ici pour parler de stratégie militaire, volet de la stratégie générale. Cette dernière, à tous les niveaux, était simple : conquérir tout ou partie des terres du voisin, ou lui reprendre celles dont il s'est emparé lors d'un précédent conflit entre les deux "Maisons". La stratégie militaire était aussi claire et simple, une fois levée l'hypothèque de tortueuses négociations pour s'assurer l'alliance, ou au moins la neutralité des autres voisins ( quand la balance des forces paraît favorable ) lever des troupes ns le domaine - chaque groupe de N "feux" doit fournir un combattant, mais pour une durée limitée, en renfort des forces permanentes...si elles existent - réunir ost ; rencontrer l'armée ennemie; livrer la bataille qui, jusqu'à un certain point constituait une sorte de Jugement de Dieu A l'époque des "ages obscurs" cette recherche systématique de l'extension allait de soi, si l'on peut dire. pour

la France du Nord où la forte natalité s'était traduite par une explosion démographique258 , elle était une nécessité.

Plus tard, avec la féodalité, l'idéal chevaleresque ne s'opposa nullement aux idées de conquête : si le chevalier doit protèger le faible, rien ne lui interdit de s'en prendre aux forts pour tirer puissance et gloire du conflit., A dire vrai, les choses étaient quelque peu plus compliquées, en raison des multiples liens existant non seulement entre alliés, mais aussi entre antagonistes : - liens de vassalité, qui s'"emboitent" de manière pyramidale : un vassal doit, ( ou devrait ) refuser de soutenir son supérieur qui se placerait en rébellion contre son propre supérieur dans cette hiérarchie; - liens familiaux, souvent très complexes : un individu peut se trouver être le frère de l'un des adversaires et le gendre de l'autre, par exemple; - influence féminine familiale, très loin d'être négligeable souvent : comme nous l'avons dit, au Moyen Age, sous l'influence de l'Eglise et des coutumes germaniques, la femme - à tous niveaux - n'est plus la "mineure à vie" de l'antiquité. - influence considérable de l'Eglise sur des peuples à la foi si profonde qu'elle surprend notre scepticisme blasé. La menace de l'excommunication, qui fait de l'individu un paria si haut soit-il placé, fut particulièrement efficace.

La guerre de la bravoure, pour l'honneur autant que pour les conquêtes, va changer avec la quatrième et dernière phase de la Guerre de Cents Ans. L'ex "gentil dauphin" et ses conseillers réalisent pour la première fois depuis des siècles - que la stratégie militaire ne consiste pas seulement en prouesses chevaleresques, mais surtout à vaincre : le courage irréfléchi doit laisser place à des plans de campagne établis soigneusement; - que le projet politique forme un tout : celui de la France ne peut réussir sans une complète remise en ordre de ce qui reste du royaume : administration, économie, et finances ( avec l'aide de Jacques

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Coeur ). Et ce sont les ressources financières qui vont pouvoir permettre la mise sur pied d'une armée permanente, soldée,

disciplinée, qui disposera de l'artillerie la plus moderne de l'époque.259

Prenons, justement la fin de la Guerre de Cent Ans comme exemple : Un choix s'impose; Normandie ou Aquitaine d'abord ? A première vue la reconquête de la Normandie peut sembler plus risquée, puisque si proche de l'Angleterre l'envoi de renforts y est facile. Mais l'ennemi a laissé péricliter sa marine; d'autre part - Guillaume et Hasting sont déjà loin dans le passé - en Normandie les Anglais sont des occupants qui ne peuvent compter sur la fidélité de la population dont une partie se rendra utile par le renseignement sur les emplacements, effectifs, mouvements des troupes adverses, voire leur moral. Or si l'artillerie va jouer le rôle souvent décisif que l'on attend d'elle, sa mobilité reste encore médiocre : seul le renseignement pourra permettre de l'acheminer en temps et lieu voulus.

Donc, plutôt que l'Aquitaine, la Normandie va servir de "banc d'essai" à la jeune armée française. Elle s'y "rodera" et prendra confiance en elle-même dans une ambiance politique favorable. C'est une campagne de libération; alors que pour l'autre, si la situation sera la même en Poitou, Marche, Limousin ou Rouergue, il faut s'attendre à l'hostilité des populations de Guyenne et

Gascogne.260 Mais l'armée, déjà victorieuse au Nord-Ouest, aura gagné expérience et assurance.

Le choix de la Normandie en premier est donc, stratégiquement, très logique.

Nous avons fait mention de l'habileté de Charles VII à ne pas traiter l'Aquitaine en pays conquis, mais en nouvelle province; en moins d'un demi siècle sa population se sentira française. Louis XI suivra la même politique que son père vis à vis de ses multiples acquisitions directes au cours du règne - Maine, Anjou, Provence, Picardie, Bourgogne, Franche-Comté, etc - A sa mort, 1483 le sentiment national s'est fait jour, dominant les particularismes locaux quoique la superficie de la France ait presque doublé en 54 ans. Le roi n'est plus le primum inter pares obligé de ménager tel ou tel puissant vassal mais souverain incontesté. La féodalité a disparu. Autre conséquence, la France unifiée, nation la plus peuplée d'Europe et la plus riche, est devenue pour ses voisins à l'aube du XVIème siècle - toutes proportions gardées - ce qu'ont été les Etats-Unis de 1945 : une "Super Puissance" : ce concept transparait dans Macchiavel ou Guichardin ( Francesco Guicciardini ).

Le roi de France devient monarque - étym. seul à commander - quand le concordat de 1516 étend son autorité au domaine religieux par le droit du choix des évèques.

43 bis : STRATEGIE NAVALE.

Il est bien difficile de parler de stratégie maritime à propos du Moyen Age. En effet, si cette longue période a vu se continuer ou se créer des flottes militaires ( par exemple. Byzance, les Vikings, les Arabes puis les Turcs, Pise, Gènes, Venise, etc ) parfois d'ailleurs exclusivement, ou presque, de transport, aucune thassalocratie n'a vu le jour, comparable à ce qu'avaient été la Crète, la Phénicie puis Carthage dans l'antiquié.

D'autre part, la notion de réseau de bases navales, lointaines, n'existait pas encore, et pour deux raisons : - sauf vers l'extrème fin de cette période, la navigation resta limitée aux seules mers très fréquentées, bien connues, qui ne représentaient que des surfaces et distances relativement faibles : Méditerranée, rivages européens de l'Atlantique et des mers du Nord; - le canon de gros calibre n'a pas encore été embarqué; et puisque la marine à voile n'a pas besoin de carburant, le volume des munitions et de la poudre ne représente que peu de chose : les bases de ravitailleent sont inutiles.

On peut dire que les marines furent surtout un "moyen" supplémentaire des forces terrestres, en particulier pour leur transport ou/et celui de la logistique : sans les navires, par exemple, les croisades eussent été presque impossibles. Malgré les risques des

tempêtes, l'inconfort et le manque d'hygiène à bord, les armées choisissant la voie de terre exclusive261 arrivèrent

généralement très affaiblies.

nous relèverons pourtant ( Cf.supra). l'origine d'un phénomène qui allait marquer les siècles à venir : il a été indiqué plus haut

que l'état de la marine anglaise ait été une des causes de la défaite au cours de la dernière phase de la guerre de Cent Ans.262

Les Anglais tireront de cette carence une leçon séculaire : l'impérieuse nécessité pour leur nation insulaire de donner la priorité ( financiere ) aux forces navales.

Ce choix permettra, jusqu'aux débuts du XXème siècle : - de considérer que les frontières du Royaume Uni sont les rivages de tout antagoniste; - d'obliger cet ennemi à disperser une grande partie de ses forces terrestres pour la mission de garde des côtes; - d'être en mesure de débarquer des forces, ou au moins des moyens matériels, au profit de l'allié continental du moment.

5. LA PENSEE MILITAIRE.

Nous avons déjà évoqué les manuels byzantins, "codifiant" de manière détaillée pour l'époque, mais s'en tenant d'abord aux tactiques héritées du Bas Empire, puis s'efforçant de s'adapter - plus ou moins en le copiant- au nouvel adversaire séculaire, Arabe puis Turc, sans chercher l'innovation prenant cet adversaire "à contre-pied".

En Europe Occidentale la littérature d'inspiration militaire reste longtemps très pauvre, pour ne pas dire nulle si l'on prétend la limiter aux seuls théoriciens. Pratiquement tous les auteurs ( Joinville, Guillaume de Tyr, Ambroise, Villehardouin, etc ) se limitent à leurs souvenirs de campagnes d'anciens combattants sans analyse critique des raisons profondes des résultats de combats. Du moins ces récits présentent-ils pour nous l'avantage de savoir qui, où, quand, comment . Mais, pour la presque totalité du Moyen Age, la guerre étant l'affaire de personnages beaucoup plus à l'aise dans le maniement des armes que dans celui de la plume, qui aurait pensé à proposer une quelconque théorie à des guerriers-nés, dont la pensée tactique reposait à peu près exclusivement sur la bravoure ? Les "penseurs" n'auraient pu être que les personnes les plus instruites; mais il s'agissait d'universitaires, de moines de certains ordres...et de femmes : individus qui, par définition étaient totalement étrangers aux questions militaires. , ( Il convient pourtant de signaler, dans le "Règlement" des moines Templiers, divers passages relatifs à leurs activités militaires. Nous noterons les dispositoions !concernant l'habillement-équipement ( vètements, chaussures, cottes de maille etc), i doit être tel qu'il puisse être revètu en quelques instants pour le cas d'alerte. Dispositions auxquelles on souhaiterait que l'Intendance française - devenue le Commissariat de l'Armée de Terre depuis peu - se soit intérêssée).

Notons quelques exceptions, dont aucune n'est antérieure au XIIIème siècle:

- Jean de Mung, qui en 1284 traduit le "De re militari" de Végèce en y ajoutant ses commentaires critiques formulés sous le titre : L'art de la chevalerie .

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- Le frère Plan du Carpin qui, envoyé en embassadeur auprès des Mongols de la deuxième génération ( Batou, Souboetei ), rédige à son retour - vers 1240 - un mémoire sur les caractéristiques tactiques du combat de ces envahisseurs de l'Europe orientale; les déficiences des armées occidentales par rapport à ces tactiques inconnues, et les moyens de remédier à ces déficiences. Comme on peut s'y attendre, ce travail resta lettre morte; mais l'Occident fut sauvé ( sans le savoir ) par la mort prématurée du Grand Khan, Oegedei, successeur de Gengis Khan comme chef suprème.

- Le seul ouvrage théorique à peu près digne de ce nom est ( titre surprenant ) le Rosier des Guerres rédigé collectivement sur l'ordre de Louis XI - et nous retrouvons là son esprit moderne - peu avant sa mort ( 1483 ). L'oeuvre sera imprimée et assez largement diffusée au début du XVIème siècle, mais souffrira du fait que plusieurs des successeurs de Louis XI, voulant encore être des "rois-chevaliers" de manière plutôt romanesque, n'en tiendront pas compte, ou n'y prendront que ce qui paraît flatter leur conception de chef de guerre. L'ouvrage est essentiellement du niveau tactique; toutefois il veut montrer, bien avant Clauzewitz, que :

* la stratégie militaire n'est qu'un des volets du projet politique * et, réciproquement, que la guerre n'est que la suite de la politique, menée par d's moyens.

De prime abord le "Rosier des guerres" est d'apparence médiévale ; mais sont soigneusementpris en compte l'ennemi, le terrain, le renseignement, la sûreté en déplacement et en stationnement, la conservation du secret, etc, toutes notions fort étrangères à l'idéal chevaleresque, mais bien dans l'esprit calculateur du roi. L' ouvrage prône la surprise le choix d'une bonne position, la

supériorité de l'artillerie, l'emploi rationnel de l'infanterie, la prise en compte de la situation météorologique263 . Il se penche sur

la cohésion morale sur le bon état physique des hommes et des chevaux, leur ravitaillement, et jusqu'à leur repos, c'est à dire la logistique du sommeil notion qui ne sera reprise en compte - bien timidement - dans l'Armée de Terre que dans les années

1980 !264

Citons ces quelques lignes, destinées au chef de guerre :

" Constance (l'exprience) aide plus bataille (l'armée) que vertu (le courage); souvent lieu (la position) aide plus que vertu, et vertu que multitude."

A l'autre extrmité de l'Eurasie, nous devons citer - parce que devenu très à la mode depuis quelques mois au moment où nous écrivons - Les 36 stratagèmes .

( Trad. François Kircher, Ed. J.C.Lattès).

Cet ouvrage a une origine mal dfinie, et nous ne savons pas s'il eut un ou plusieurs auteurs, quoiqu'il semble présenter une unité de rédaction. Les exemples cités, allant jusqu'à la dynastie Song, 1227-1279, le font dater, en gros, de l'époque Ming, soit 1368-1640, ce qui peut le faire sortir de la limite que nous nous sommes fixée : la fin du XVème siècle. Mais 1640 est encore très largement le Moyen ê Chine. Nous placerons donc Les 36 stratagèmes dans le présent chapitre.

A dire vrai, la mode actuelle de cet ouvrage nous quelque peu surpris : il s'agit surtout d'une sorte de recueil de "recettes" sous forme de proverbes suivis chaque fois d'un court texte, d'une citation du Yijing ( ancien texte divinatoire ) et d'anecdotes en principe justificatives du bien-fondé du proverbe. Bon nombre de ces proverbes n'ont d'ailleurs rien à voir avec les questions militaires, et les exemples guerriers justificatifs sont d'un niveau purement tactique où n'intervient guère que le bon sens le plus élémentaire.

Le niveau nous donc paru "archi-inférieur" à celui de l'Art de la Guerre de Sun-Tzé, mais, mode oblige, nous n'avons pas cru pouvoir passer cet ouvrage sous silence.

6. CONCLUSIONS PARTIELLES.

61. LA PENSEE TECHNIQUE AN MOYEN AGE

Passant, évidemment, sur les "âges sombres" qui suivient les invasions, le Moyen Age est surtout une période pour laquelle, comme Rome, il serait difficile de citer un scientifique du niveau de ceux de la diaspora grecque de l'antiquité. A partir des Xème / XIème siècles, pourtant ( selon les régions ), les progrès, ou le rattrapage sont indéniables, mais ils sont essentiellement le fait d'ingénieurs, d'artisans aussi, dont les connaissances scientifiques sont pour le moins élémentaires, notamment en mathématiques pourtant indispensables dès qu'il s'agit d'innover en science et en technique.

( On retrouve encore ici la difficulté de l'emploi de la numération romaine, une des moins opérationnelles qui se puissent imaginer. Certes, dès 830 les Arabes avaient découvert la numération indienne, décimale et de position, mais ce n'est que vers la fin du XIIème siècle que cette notion commença à être appliquée de maniere aisée, avec des adjonctions ingénieuses, comme la barre de fraction que l'on ne trouve pas avant 1200 ( en espagne musulmane ). Ces nouvelles facilités ne commenceront à pénètrer, progressivement, dans l'Europe Occidentale qu'aux XIIIème et XIVème siècles, et n'y seront utilisées pleinement - sauf par quelques spécialistes récurseurs - qu'au cours du XVIème siècle).

Byzance, certes, avait conservé de nombreuses copies de manuscrits grecs, mais ne les utilisa bien peu, et ne produisit guère d'apports nouveaux. Il faut citer pourtant à son actif la rédaction d'ouvrages généraux, comparables - mutatis mutandis à nos modernes encyclopédie. Par exemple le "manuel" de Héron ( dit le jeune, pour le distinguer de celui de l'antiquité ), encore qu'il reconnaisse très honnètement l'avoir rédigé surtout à partir d'emprunts faits à Apollodore, Biton, Philon, Aeneas, Héron l'Ancien etc. Autre oeuvre, plus importante : l'encyclopédie rédigée par divers auteurs sur l'ordre de Constantin Porphyrogénète, mais toujours essentiellement à partir des oeuvres d'auteurs de l'antiquité. Nous savons qu'elle comportait une importante partie consacrée à l'art de la guerre - y compris un chapitre sur la guerre navale - confiée à la rédaction du patrice Basile. Malheureusement cette partie du texte a disparu; vraisemblablement lors du sac de Constantinople après sa rise par Mahomet II. Du XIème siècle encore, nous détenons quelques manuscrits gréco-byzantins; par exemple, le Grec 2442 de la Bibliothèque Nationale, relié ensuite aux armes de Henri IV. Ils "constituent un "fond" antique, mais qui servit aux ingénieurs-dessinateurs qui, au XIVème et au XVème siècles, en tirèrent des croquis de fortifications et de machines de guerre. ( Sans qu'il soit possible d'expliquer le fait, bon nombre de ces dessinateurs étaient des Allemands.

citons pourtant en France : - Villard de Honnecourt, dont le "carnet" est le type même des aides-mémoire de cette époque : multiples croquis avec brèves notes explicatives;, - Guy de Vigenave, d'abord médecin de Jeanne de Bourgogne, puis ingénieur au service de Philippe V : traité consacré aux machines de guerre.( Bib.Nat.Lat.11 015 ); - Hugues de Saint Victor, Vinant de Beauvais, Raymond Lulle, Hugues de Méricourt, etc.

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Ces "carnets" sont d'une interprétation difficile pour le non-spécialiste actuel : les auteurs, faute de connaitre souvent la perspective, et jamais - pour cause - la ométrie descriptive, font le plus souvent des plans-croquis ou tout est "mis à plat".( Par exemple, vu de dessus un chariot est entouré de quatre roues, bien circulaires)

A noter que bien après la mise au point de grosses bombardes sûres, ces ingénieurs ont encore souvent représenté des trébuchets et mangonneaux. Peut-être parce que, maîtrisantla complexité des ces engins ( du système de freinage et récupération d'énergie pour le relevage du contre-poids en particulier ), ils pensaient donner ainsi la preuve de leur compétence.

Une question qui reçut brusquement une vogue, non encore disparue de nos jours, est celle de l'impossible machine à mouvement perpétuel. Il semble que tout ingénieur de cette époque, ou presque, ait voulu inventer un de ces mécanismes miraculeux; ce qui, soit dit au passage, montre le besoin d'une énergie non aléatoire - comme celle du vent - là où l'installation d'un moulin à eau n'était pas possible. , Ne nous moquons pas : bien que depuis plus de cent ans on ait démontré qu'il y a là une impossibilité au niveau macroscopique ( entropie ), et depuis 1948 seulement, au miveau fondamental ( "microscopique" - N. Wienert réfutant le paradoxe du démon de Maxwell - ) il ne se passe guère demois sans qu'un génie méconnu propose un dispositif qui, utilisant les forces cosmiques le champ bio-psychique ou toute autre faribole, pense avoir tourné l'inexorableloi de

l'entropie.265

62. PROGRES TECHNIQUES D'ORIGINE MILITAIRE.

Les grandes invasions avaient gravement affecté la production métallurgique, mais peu son niveau technique : certains envahisseurs y tenaient un rang tout à fait comparable à celui de Rome. Par ailleurs, et contrairement à ce qui s'est vu de nos jours - cas des Khmers Rouges, par exemple - nul n'était assez fou pour massacrer, par erreur ou dans la fureur du combat, les bons artisans.

Dès la fin du VIIème siècle la qualité des armes, cuirasses et casques est égale en Occident, parfois supérieure à celle du Bas Empire. Rappelons que Charlemagne interdit l'exportation d'armes, mesure qui visait les Vikings au premier chef, mais aussi l'Empire d'Orient, ce qui laisse penser que Byzance était quelque peu en retard, ou considérée comme l'étant.

Vers la fin du XIVème siècle, et en même temps que la solution au problème des surfaces non développables, ce sont les armuriers qui découvrirent la haute résistance des aciers étirés très légèrement au delà de la limite d'élasticité. Ceci permit de réduire quelque peu la masse des armures... à résistance égale, mais les progrès de la perforation obligèrent à reprendre la "course" aux épaisseurs. , Rappelons aussi les nouvelles méthodes de tréfilage des fils d'acier, qui permirent de vulgariser la cotte de maille treslie puis de porter, sous les vètements civils une chemisse de mailles très fine, légère mais formant une bonne protection contre le poignard d'un assassin.

Les armes, de l'épée au canon ( y compris les boulets ), et les équipements de protection, se traduisirent par une très forte demande de la production en fer, bronze et plomb. Mais cette production, à son tour, impliquait la disponibilité de

...a retenu mon attention, mais le niveau prévisible des crédits à moyen terme ne permet pas...

paraît être de la compétence du Ministère de l'Industrie, auquel il semble que vous pourriez...

...que je ne suis pas en mesure de faire apprécier pleinement, mais l'Académie des Science...

minerais à une époque où le transport de masse, à grande distance, était impossible. Mais le faible coût de la main d'oeuvre permettait l'exploitation de multiples petits gisements de faible teneur : nous avons parlé des fers de Bretagne. Un autre exemple est celui des mini-gisements de plomb argentifère du Sud du Gévaudan, métal indispensable pour les armes à feu individuelle, qui ne furent pas étrangers aux campagnes conduites alternativement par les Anglais et les Français dans cette région pourtant si pauvre. Nous noterons encore le fait que l'expérience des boulets de fonte trop aigre donc fragiles au choc sur les fortification, incita à rechercher les meilleurs minerais et les procédés de décarburation donnant un bon compromis entre dureté et fragilité : à la fin du Moyen Age la notion de "nuance" des produits sidérurgiques n'est encore qu' expérimentale, mais elle existe et est largement répandue.

A propos du travail de boiserie il n'est pas inutile de revenir sur la maîtrise technique des charpentiers de l'époque : même avec nos moyens modernes, scies à chaine, perçeuses lourdes, etc, entraînés par groupes électrogènes, rares seraient ceux de nos contemporains qui seraient capables de réaliser rapidement sur le terrain, et à partir d'arbres prélevés sur la forêt la plus voisine, les tours roulantes d'assaut, béliers sous tortue et, surtout, les énormes et complexes trébuchets ou mangonneaux.i D'ailleurs, si ces artisans travaillaient sous la direction d'ingénieurs les plans côtés, précis, qui nous semblent aller de soi, n'existaient pas. Une "école" suppose l'existence de modèles réduits, démontables, qui auraient été réalisés par tonnement, et donnant une fois pour toutes les divers angles de coupe et rapports !de dimensions... mais aucun de ces modèles n'a jamais été retrouvé, et les textes n' en font pas mention.

Problème analogue pour l'extraordinaire complexité de certains donjons : on peut aussi supposer que l'architecte réalisait d'abord un modèle réduit, démontable, de bois. Modèle naturellement livré au feu après réalisation...mais nous ignorons comment le "client" s'assurait de la discrétion de son architecte : le temps n'était plus, comme dans certaines nations de l'antiquité, à l'"élimination physique" de ceux qui auraient pu livrer les secrets des communications intérieures, trappes, meurtrieres internes, etc. Un exemple remarquable est celui du donjon du château d'Arques, dont la description explicative ne demande pas moins de 11 pages de textes et 10 plans de coupes et croquis à Viollet-le-Duc.

Le navire de guerre polyvalent, en fait bâtiment marchand aménagé, arrive presque à ses dernières années à la fin du XVème siècle : pour installer en "batteries" latérales des bouches à feu puissantes, les dimensions, et donc le tonnage, vont augmenter brusquement, ce que permet désormais le gouvernail d'étambot. La boussole ne permet pas, seule, de savoir où l'on est. Mais elle donne la route suivie avec une assez bonne précision. Direction et vitesse estimée d'une part, mesure de la latitude d'autre part, permettent de "faire le point"... approximatif.

63. LE "CROISEMENT" DES FONCTIONS MILITAIRES.

Le système d'arme au sens actuel du terme, où chaque "fonction" militaire est indispensable pour que l'ensemble puisse réaliser l'action attendue, n'existe pas. Ou plus exactement il n'est encore que très rudimentaire. Certes, nous trouvons le cavalier blindé ( protection ), avec ses armes ( agression ) et son destrier lui â protégé ( mobilité ). Mais l'homme d'arme peut agir en mode dégradé sans sa

...[1] Du Guesclin y mourut un 16 juillet, ayant pris froid lors d'un assaut sur Chateauneuf de Randon.

sans sa monture, ou sans sa protection : ce que nous appelons le "mode dégradé" pour nos engins modernes.

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Quoiqu'à la fin de la période considérée l'Artillerie soit arrivée à un premier degré de maturité - ce qui n'est pas encore le cas pour l'arme individuelle - degré qui lui permet d'être, à côté de l'Infanterie, de la Cavalerie et du "pré-Génie" une nouvelle "Arme" ( au sens de la subdivision des spécialités ), elle ne donna guère naissance, et pour très longtemps, à des systèmes d'arme : tout au plus pourrait-on citer :

- les chariots de combat hussites, avec leur armement de petites pièces pouvant tirer à mitraille : protection, mobilité, agression;

- les multiples tentatives de réalisation de pièces de calibre moyen/petit montées sur une sorte de charrette poussée par un robuste cheval; l'ensemble, y compris cavalier menant la bète, et tireur, étant protégé sur l'avant par un très robuste pavois de madriers à travers lequel passe le tube du canon. C'était, avant l'heure et l'appellation, une sorte de canon d'assaut, et plus exactement, de contre-assaut car destiné à être porté rapidement face à une charge de cavalerie, à balayer par la mitraille. On retrouve ici aussi la trilogie protection, mobilité et agression. ( Et même, la liaison, en ce sens que l'équipage est mieux à même de recevoir des ordres que l'homme d'arme assourdi par son casque enveloppant). Malgré l'intérèt pratique l'idée, mainte fois reprise, fut abandonnée en raison de la vulnérabilité des personnels et du cheval aux tirs de flanc. ( Une protection totale de madriers eut excédé la force de traction du "groupe moteur").

( Dans le même ordre d'idée, on peut signaler le ribaudequin comportant sur un essieu léger une rangée de petits canons à main. L'inflamation rapide des divers tubes était commandée par une simple traînée de poudre. Il semble que cet ancêtre de la mitrailleuse n'ait pas donné beaucoup de résultats. Le principe sera repris lors de la Guerre de Secession, avec les canons de pont destinés - en principe - à balayer un pont que les défenseurs veulent conserver intact, mais qui risque d'être pris par une charge de cavalerie ennemie).

RESUME :

Au plan militaire, au moins des matériels, la grande nouveauté du Moyen Age fut l'invention et l'emploi de la poudre noire, simultanément comme agent propulsif des projectiles - encore que l'arme à feu individuelle ne trouvera une première maturité qu'avec les platines à silex, et progressivement seulement, à partir de la seconde moitié du XVIème siècle - et comme agent de minage explosif. C'est la poudre noire, "Reine" des combats jusque vers la fin du XIXème siècle, qui va bouleverser radicalement la fortification et dévaloriser rapidement la protection individuelle.

ANNEXE : LE PHENOMENE MONGOL.

Par exception, nous avons cru devoir placer le "phénomène mongol" à part, notamment parce que nous devrons faire une place nettement plus importante à l'histoire - au sens habituel du terme - mais aussi parce que, plus que des moyens matériels inédits, nous rencontrerons des principes militaires radicalement différents de ceux de l'Occident; principes "asiates" qui jusqu'à nos jours furent appliqués peu ou prou par les forces armées de l'U.R.S.S. et celles de la Chine Populaire.

Si l'Europe avait été largement touchée aux premiers siècles de notre ère par l'expansion des Huns ( soit directement, soit sous l'effet des migrations de "peuples barbares" eux-mêmes refoulés vers l'Ouest par cette expansion, en revanche elle n'eut, sauf à l'Est et au Centre-Est, concernés, que de très vagues échos du fantastique développement de l'Empire mongol au Moyen Age. Cette méconnaissance fut telle qu'en 1221, avec l'écrasement de l'empire musulman du Kareshm, et pendant plusieurs années, les occidentaux crurent à l'arrivée d'une formidable armée chrétienne aux ordres d'un mythique roi David, lui même descendant d'un non moins mythique roi-prètre Jean, armée venue depuis les profondeurs de l'Asie pour prèter main forte aux croisés. Le "roi David" n'était autre que Gengis Khan; l'armée "chrétienne" était mongole, et la survie des petits royaumes chrétiens de Palestine était parfaitement indifférente au Grand Khan; ( si même leur existence lui était connue, ce qui est douteux).

Rappelons qu'à la fin du XIIème siècle - et depuis longtemps sans doute - des peuplades mongoles ou ngoloïdes ( Mongols proprement dits, ou Mongols Bleus ; Keraïtes; Naïmans; Merkites; Ouriates, etc ) vivaient en continuelles migrations, et continuels conflits internes, dans une zone allant en gros du Karakoroum au Sud jusqu'à la taïga sibérienne au Nord, et d'Est en Ouest depuis le cours supérieur de Iéniseï jusqu'aux sources du fleuve Amour. Périodiquement, d'ailleurs, plusieurs de ces peuples concluaient une trève passagère pour aller ensemble razzier très au delà de leurs zones habituelles d'errance, notamment en Chine du Nord.

Ces peuplades de pasteurs nomades, elles-mêmes divisées en groupes d'importance variable (et changeante ) sous la direction d'un chef élu, se livraient à de fréquentes luttes fratricides pour disposer des meilleures zones de pâture. L'écriture leur était inconnue, ainsi que toute forme de civilisation intellectuelle : puisqu'elle ne peut se développer que dans la stabilité urbaine, que le Mongol méprise car génératrice de mollesse et de lâcheté.

Dans le monde mongol tout homme libre, s'il est un pasteur, est surtout un guerrier. On a souvent dit que l'enfant mongol nait l'arc à la main et se tient en selle avant de savoir marcher. C'est évidemment plus u'exagéré, mais on peut tenir pour certain qu'à l'âge de 10 ans le mongol est déjà un archer redoutable et un cavalier émérite. La femme mongole en remontrerait à bien des archers occidentaux. Le Mongol monte des petits chevaux à longs poils, trappus, de piètre mine selon nos critères, mais infatigables, indifférents au froid et capables par eux mêmes de se nourrir là où le cheval occidental meurt de faim : par instinct, ils grattent la neige jusqu'à découvrir les restes d'herbe jaunâtres et glacés de l'hiver, ou le lichen. Leurs estomacs acceptent comme boisson la neige qu'ils avalent avec cette misérable pitance.

Témoujine, futur Gengis Khan, naut en 1155 - ou 1162 selon les annales chinoises . Il est âgé de 13 ans lorsque son père, Djessoughaï, chef d'un important "ourdou" (j) meurt, empoisonné lors d'un séjour dans l'ourdou des Tchaïtchoutes, importante peuplade relevant des Tatars.( Notons que les "lois sacrées" de l'hospitalités n'existent guère alors en Asie Centrale. Témoujine- Gengis Khan vengera plus tard son père de manière impitoyable). Les vassaux - terme employé ici faute d'un meilleur - abandonnent la famille du chef disparu. Le jeune ( Témoujine est capturé par les Taïchoutes et promis à une mort certaine, mais réussit à s'évader dans des conditions telles que les rumeurs de la steppe commencent à parler de cet adolescent, presqu'un enfant encore, extraordinaire. Quand il rejoint sa famille, l'ourdou est misérable : quelques tentes, 9 chevaux et 2 moutons. Mais en quelques années le tout jeune homme va se tailler - dans un peuple où le courage n'est pas une qualité, mais une chose qui ne peut qu'aller de soi - une telle réputation de bravoure, d'intelligence, de sens du combat, que Daï Setchen, chef d'un ourdou de 40 000 tentes, n'hésite pas à lui donner sa fille, Bürté, en mariage, avec une "dot" d'un ourdou assez important : chevaux, tentes, serviteurs et bétail. ( Fait assez remarquable, par calcul ou loyauté, Daï Setchen respecte ainsi la parole donnée du vivant de Djessoughaï : Bürté et Témoujine avaient été fiancés enfants, au temps de la puissance du père du marié).

La réputation de Témoujine s'étendant toujours, de nombreux jeunes guerriers viennent se joindre à lui nouveauté extraordinaire, presque inouie pour la mentalité mongole, la volonté de fer du très jeune arrive à transformer radicalement l'"outi de guerre" traditionnel :

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a/ Par la création de formations permanentes :

- pelotons de 10 cavaliers, dont un chef;

- escadrons de 100, dont le chef commande son peloton et les chef des 9 autres;

- régiments de 1000, ( les "gouranes");

- plus tard, "divisions" de 10 000, ( les "toumanes" ). (k)

Une armée mongole comprendra 2; 3; 4...N toumanes ( jusqu'à 25 ), regroupées à partir d'un certain nombre en corps d'armée de 2 à 4 toumanes, ou armées menant une campagne indépendante; plus des auxiliaires non mongols : artilleurs et sapeurs pour les sièges. ( Le Kha Khan qui a réalisé l'importance de ces spécialistes lors de la première campagne en Chine, enrégimente de force des chinois et des musulmans, puis se les attache par des récompenses : titres et parts importantes de butin).

b/ Par son commandement :

- création d'un Etat-Major Général, le Iourt-Tchi, qui prépare les campagnes avec une minutie sans exemple jusqu'à Napoléon, voire le XXème siècle, et plus particulièrement au plan du renseignement : populations ennemies, leurs armées, leurs tactiques; les places fortes; les ressources locales; les caractéristiques géographiques et climatiques des zones à traverser, etc;

- création, aussi, d'un corps d'officiers et de gradés soumis à une instruction et un entraînement militaire constants, mais modifiés en fonction des caractéristiques prévisibles de la prochaine campagne;

c/ Par une discipline plus que stricte :

- de la troupe et des cadres : de grade en grade, chacun sait qu'il doit obéir à son chef sous peine de mort. Mais, simultanément, cette obéissance absolue à l'esprit des ordres s'accompagne d'un encouragement à l'initiative personnelle pour leur exécution;

- des chefs des corps d'armées, ou armées menant une campagne indépendante selon le cas. Il s'agit des 9 oerleuks - que l'on pourrait comparer aux maréchaux du 1 er Empire - choisis à la foi pour leur compétence et pour leur fidélité absolue, auxquels le Khan sait qu'il peut faire une confiance totale. Ceci explique que la totalité des initiatives leur soit déléguée pour les campagnes secondaires auxquelles Gengis Khan ne participe pas de sa personne. Allant plus loin, quand les jeunes princes fils du Khan, feront leurs premières armes lointaines à la tête de plusieurs toumanes, un des oerleuk leur est systématiquement attribué, servant officiellement de chef d'Etat-Major et conseiller. Mais il devra tenir son maître informé, sans aucune flatterie, des capacités réelles du jeune chef, de ses revers, ses erreurs, comme de ses succès. Sur le rapport de son oerleuk, Gengis Khan sévit s'il le faut, sans considérations familiales. C'est ainsi que son propre gendre est brusquement ramené du rang de chef d'armée à celui de simple soldat.( Il semble que les interventions de la fille et de la femme du Khan ont évité une punition encore plus radicale. Ce gendre sera tué, toujours simple soldat, dans un conflit ultérieur).

d/ Par, enfin, son système de liaisons rapides.

Nous avons évoqué le corps des cavaliers-flèches, capables de traverser l'Asie à la vitesse moyenne de 1400 à1800 km par semaine sauf au coeur de l'hiver ou en terrain très difficile. On peut dire qu'ils vivent, dorment, s'alimentent en selle. La résistance des montures n'étant pas infinie, le cavalier-flèche a le pouvoir de réquisitionner le meilleur cheval du plus haut dignitaire qui se trouve sur sa route. Les ochettes pendues au harnachement servent de "klakson" : du plus loin qu'elles sont entendues, les voyageurs doivent se ranger surle bord de la piste afin de ne pas risquer de ralentir la chevauchée. Les hommes sont choisis parmi les plus robustes et endurants. Ils portent un "équipement" spécial, bandes soutenant les reins et la nuque.( Nous pouvons penser qu'il existait pourtant un système de relais des hommes, mais il ne nous est pas connu). L'importance de ce système de liaisons à grande distance fut considérée comme telle que l'un des oerleuks en reçut la responsabilité pour veiller à la constante amélioration des capacités de ce corps de courriers à mesure de l'extension de l'Empire.

e/ Par ses moyens:

Comme nous venons d'y faire allusion, si lors de la première campagne contre la Chine du Nord ( Empire Kin ), Gengis Khan avait constaté qu'en rase campagne et malgré leur infériorité numérique - pour la totalité de son règne, il n'aura des effectifs supérieurs à ceux de l'adversaire que pour deux batailles - ses troupes anéantissent l'une après l'autre les armées chinoises qui lui sont opposées, en revanche ses cavaliers étaient impuissants contre les grandes villes fortifiées. Il crée donc rapidement, à partir des population conquises ( car le Mongol répugne à ce type de travail; par ailleurs, ce serait se priver d'un grand nombre des ces "supers-guerriers" pour la phase de choc ) des corps de sapeurs, de pontonniers, d'artilleurs - machines de jet -, de fuséens encadrés par des ingénieurs de valeur car lors fdes pires massacres tous les artisans et ingénieurs, ainsi que leurs familles, sont soigneusement épargnés. ( Un Archimède aurait eu la vie sauve, mais aurait été couvert d'honneurs : les espions infiltrés dans les villes à prendre ont notamment pour mission de dresser la liste des spécialistes à épargner).

appelons que c'est Oegedaï, troisième fils et futur Grand Khan, et quoique pur mongol est attiré par les techniques, qui a la charge de ces forces auxiliaires.

f/ Par la sécurté de l'Armée en déplacement, et des grands arrières :

Toute armée mongole en déplacement est précédée, outre les espions déjà implantés de longue date, par de nombreux éclaireurs auxquels rien ne doit échapper ( ennemi, trajets, passages difficiles ou risqués, lieux d'étapes, pâturages, disponibilités en ravitaillement, etc ). Viennent ensuite des avant-gardes capables de mener déjà des engagements de niveau non négligeable afin de donner au gros des forces le temps d'intervenir. L'armée est également escortée de flanc-gardes, et suivie d'une forte arrière-garde. ( On peut retrouver cette pratique "asiate" de reconnaissances lointaines, des avant-gardes, flanc-gardes et arrières-gardes puissantes dans les forces soviétiques). D'autre part, les peuplades du coeur de l'Empire doivent rester soumises à une très stricte surveillance. Elle est assurée par des forces peu nombreuses, mais constituées, comme la garde personnelle du Khan, d'une "élite de l'élite" aux ordres de la régente. La "Dame Bürté" la mène en personne pour les opérations

très rapides - une révolte locale doit être "étouffée dans l'oeuf" - et impitoyable : on ne se rebelle pas contre le grand Khan.

g/ Par la disponibilité constante et immédiate de l'Armée, c'est à dire de tous les hommes que leur âge ou leurs infirmités ne dispense pas des campagnes lointaines : le peuple mongol est - comme la Rome des premiers siècles - une nation en armes. Le guerrier doit tenir prêt ses armes et ses chevaux ( 4 par homme en moyenne ). Le devoir civique le plus important de sa, ou des ses, femmes(s) est de veiller à l'état de l'équipement, des vètements de guerre, et de maintenir une réserve de nourriture non

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périssable - viande séchée, etc - pour que son mari puisse partir quelques minutes après que le cavalier-flèche ait lancé l'ordre de "mobilisation" à l'ourdou local. (l)

h/ Enfin, par un complexe tactique-opératique rappelant les pratiques arabo-turques, mais s'effectuant sur de beaucoup plus grandes distances et durées - des heures, des journées, au lieu de minutes : harcèlement, simulacre d'attaques faibles, puis de fuite, amenant l'armée ennemie à se disperser dans ce qu'elle croit être une poursuite, puis regroupement, et assaut réel avec un choc "paroxysmique" qui anéantit le gros des forces de l'adversaire. Il faut y ajouter une variété extraordinaire de stratagèmes, qu'il s'agisse du combat en rase campagne ou de la prise d'une ville fortifiée, qui déroute l'ennemi accoutumé à de de vénérables usages militaires. ces stratagèmes, loin d'être improvisés sauf cas d'urgence, sont essayés, mis au point et répétés pendant l'instruction militaire des gradés et officiers. ( On peut noter que Gengis Khan encourage le plus obscur des cadres à proposer des idées nouvelles : la scipline est stricte, mais la hièrarchie ne rejette pas automatiquement, loin de là, une

proposition ingénieuse parce qu'elle émane d'un chef d'escadron, voire de peloton. )266

A ces dispositions, purement militaires, s'ajoute l'emploi raisonné de la terreur. La cruauté, le massacre, loin d'être de sinistres fantaisies ( comme ce sera trop souvent le cas pour Tamerlan ) doivent être soigneusement pesés, tout autant que la clémence, pour faciliter les campagnes ou s'assurer de la docilité des populations conquises. Toute action dans ce domaine doit être exemplaire_ Si la sévérité - le mot est faible - a été décidée, les choses sont poussées jusqu'au bout. L'extermination est systématique, comme la destruction : des villes importantes ont été rasées ( notamment à l'Est de la Caspienne ) au point que nos moyens modernes ne nous ont pas permis d'en retrouver l'emplacement exact. On peut noter que Gengis Khan, en principe adorateur du "Grand Ciel Bleu" - c'est un Mongol bleu - a toujours fait preuve d'une entiere tolérance religieuse : peu lui importe que tel ou tel sujet, ou spécialiste membre de ses armées, soit musulman, ou chrétien ( Nestoriens surtout dans la zone en cause ), ou adepte d'une religion orientale, pourvu qu'il soit compétent et fidèle.

C'est en 1206 qu'à l'occasion d'une "kouriltaï" ( assemblée du peuple, des chefs en fait ) exceptionnelle, Temoudjine fut élu Kha-Khan, c'est à dire chef des chefs, sous son nouveau nom de Gengis, dont le sens est très controversé. Il est et restera illétré ( d'ailleurs la langue mongole n'a pas écriture ), mais il réalise vite l'intérêt de cet art pour établir un "code" de lois. Il choisit donc comme Grand Chancelier un ouigour - le Ouigour s'écrit - Tatatoungou, à qui il dicte la Iassa ( ou Yassa ) qui constituait un corps de textes relatifs aux devoirs civils et militaires des peuples mongols, loïdes et sujets. Malheureusement la Iassa s'est perdue au cours des siècles et ce que nous en savons nous est parvenu surtout à travers les chroniques chinoises et divers commentaires d'auteurs musulmans des régions conquises. Un point remarquable est que si la Iassa admet le partage des territoires conquis entre les descendants directs - ce sont leurs ourlous à ne pas confondre avec les ourdous - quoique devant rester dans la famille des gengiskanides, la suzeraineté ne se transmet pas du père au fils aîné. A chaque génération une kouriltaï s'assemblera pour décider qui est le plus digne, c'est à dire le plus compétent, d'être le nouveau Kha-Khan. C'est ainsi que nous trouvons successivement comme Grand Khan mongol :

- Gengis Khan

- son troisième fils, Oegodei

- Guyük, fils aîné d'Oegedei

- Mong-Ke, cousin du précédent, fils de Touli, lui même le plus jeune fils de Gengis-Khan

- Quoubilaï, le plus jeune des trois frères de Mong-Ke.

( A noter que peu avant sa mort, Gengis Khan avait noté l'intelligence précoce et la sagesse de Quoubilaï, alors âgé d'une dizaine d'année et le plus jeune de ses petits-fils. Il aurait alors dit à ses fils et petits-fils adultes : Si, aprs ma mort, des dissenssions surviennent entre vous, suivez les conseils de l'enfant Quoubilaï. )

Nous ne nous tendrons pas sur le détail des conquètes mongoles, par Gengis Khan puis ses descendants, depuis la mer de Chine jusqu'en Russie, aux Indes, en Syrie... D'ailleurs les Mongols pénétrèrent jusqu'en ( Pologne - victoire de Liegnitz - en Hongrie - victoire de Sajo - et en Yougoslavie ( Adriatique). Ce fut sans doute la mort d'Ogodei, 1241, obligeant Batou et Suboetei à revenir d'urgence pour la kourilta, qui préserva l'Occident : à Leignitz et à Sajo les chevaleries européennes avaient été littéralement balayées.

En résumé, Témoudjine a sans doute été un des plus grands génies militaires de tous les temps, sans avoir à faire appel au bouleversement technique d'armes nouvelles, ce qui est la caractéristique des très rares Grands Capitaines . Partant de tribus nomades à demi sauvages, en continuelles luttes fratricides, en 30 ans il édifia le plus vaste empire que la Terre ait jamais connu, empire que ses descendants augmenteront encore de 50 % environ en surface, mais doubleront largement en populations soumises.

Mais si les Mongols avaient pour eux l'organisation, la discipline, la bravoure sans limites et l'imagination tactique et opératique, le nombre leur faisait défaut : 3 millions d'individus environ, dont moins de 500 000 Mongols Bleus femmes, enfants et vieillards compris, soit un maximum de 25 toumanes. Par la force des choses, ils se fondront dans les populations conquises, et au XVIème siècle la zone réellement mongole sera revenue à la faible portion des steppes de l'Asie centrale.

Une fois de plus, comme pour Sparte et Rome, le facteur démographique se sera montré déterminant.

NOTES-COMMENTAIRES DU CHAPITRE CINQ.

a/ L'Empire d'Orient, bénéficiant notamment de défenses naturelles, en particulier pour deux des trois flancs de sa capitale, et qui ne se trouvait pas sur la route naturelle Est-Ouest, des grandes migrations barbares, va se maintenir pendant un millénaire. Mais, quoique bénéficiant pleinement des connaissances de l'antiquité, feu grégeois mis à part il ne produisit aucune innovation scientifique ou technique. Cette longue torpeur le fera dépasser par l'Europe Occidentale et centrale dès qu'elle aura retrouvé un minimum d'assises sociales et politiques. Si Byzance avait progressé, d'emblée, à la même vitesse que le fit l'Europe à partir du XIème siècle ( à peu près ) on peut penser qu'en 1453 elle aurait eu un niveau scientifique et technique du même ordre que celui que nous avions à la fin du XIXème siècle, c'est à dire, avant les grandes périodes américaine, puis, de nos jours, japonaise. Cette stagnation, cette "stupor" scientifique, comme on l'a qualifiée, rendit l'Empire d'Orient de plus en plus vulnérable à l'expansion musulmane qui, au contraire, sut exploiter les sciences et techniques. Il y a lieu de noter, sans pouvoir l'expliquer, que cet effort du monde musulman se relacha précisément au moment où il venait enfin de triompher de son ennemi séculaire.

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b/ A titre d'exemple, donnons cette "profession de foi" pour le respect des Anciens, formulée en 1576, donc en pleine Renaissance, par Jérome Borrius, professeur à la célèbre université de Pise : Je dis mes auditeurs : voila ce qu'Aristote enseigne; voici ce que dit Platon; Galien s'exprime ainsi; Hippocrate a dit cela, ( Ceux qui m'entendent sont bien forcés de reconnaitre que la parole de Borrius t digne de toute confiance, puisqu'elle n'est pas de lui, mais que ce sont les hommes les plus illustres qui parlent par sa bouche. ( Si je ne trouve pas les idées qui me viennent à l'esprit dans les recueils des Anciens, j'abandonne aussitôt ces idées comme suspectes d'erreur; ou je les réserve jusqu'à ce qu'elles vieillissent, et s'éteignent avant d'avoir vu le jour.

Rapporté par A. Lalande, dans Lectures sur la philosophie des sciences Hachette Ed).

Le moins que l'on puisse dire est que, pendant des siècles la chappe de plomb des Anciens sur les universités a réservé science et technique à des "francs-tireurs".

c/ A propos de la diffusion du christianisme en Europe, rappelons que de nombreux chefs barbares, et leurs guerriers - Wisigoths, Vandales, Burgondes...- étaient devenus chrétiens, mais adeptes de l'hérésie arienne. ( Le Christ est bien fils de Dieu, mais n'est pas divin lui-même. D'autres, les Francs notamment, restèrent "païens" plus longtemps. La "catholisation" des uns et des autres viendra en partie des avantages diplomatiques - donc matériels - que les chefs y trouvent, et souvent, aussi, de l'influence d'épouses catholiques. Le cas Clothilde - Clovis est bien connu, mais on peut citer bien d'autres exemples : Théolinde, pour le roi lombard Agilulf; Théodosia, pour Léovigilde, en Espagne; Berthe de kent pour Ethelberg; Olga, pour Igor, fils du varègue Rurik... Une fois le prince converti ses guerriers, sans doute peu sujets aux angoisses métaphysiques, l'imitaient en masse. ( Il n'est pas impossible que, hiérarchiquement, le "volontariat" pour la conversion ait été vivement...encouragé. )

d/ On peut citer l'opinion de François de la noue ( 1531-1591) exprimée dans ses Discours à propos des armures. C'est un homme qui parle d'expérience, non d'un théoricien en chambre, puisqu'en dépit de son armure un p up d'arquebuse l'amputa de la main gauche : Or, ils ont eu bonnes raisons, cause de la violence des arquebuses et piques, de rendre les harnois ( armures ) plus massifs et à meilleure épreuve qu'auparavent. Ils ont toutefois passé si fort mesure que la plupart se sont couverts d'enclumes au lieu de se couvrir d'armures.

/ Cf. La guerre de Cent Ans . J.Favier à propos des pillages locaux lors du siège de Calais :...de temps en temps, lancer de brves chevauchées, tant pour se dégourdir les jambes que pour améliorer l'ordinnaire. ette pratique du pillage, au moins de la rapine, s'est maintenue pratiquement jusqu'à nos jours dans certaines armées. Au cours du premier conflit mondial, les montagnards de la Macédoine trouvaient normal

car habituel aux armées de passage, de voir réquisitionner leur bétail. Mais ce qui les plongeait dans la stupéfaction fut d'être payés. ( Pour les troupes françaises, en billets bleus de 10 francs, alors aussi connus en Europe que l'est le dollard dans le monde de nos jours). (Assez bizarrement, lorsque l'amélioration des services de l'Intendance et l'élaboration de Règlements très sévères à l'égard du pillage et autres exactions font disparaitre cette très vieille coutume, la popularité du militaire s'effondre dans l'opinion publique).

f/ Le Long Bow est fabriqué "sur mesure" : sa longueur, corde placée, soit être égale à l'envergure de l'archer, ou très légèrement supérieure. La flèche, de 120 à 150 grammes, donc nettement plus lourde que celle de l'antiquité, a une longueur égale à la moitié de celle de l'arc, plus 2 pouces environ - soit 5 centimètres. A puissance maximale la force de traction sur la corde est de l'ordre de 50 kg; parfois plus même, pour les individus les plus robustes. Ceci demande un entraînement long et permanent pour développer les muscles mis en jeu : épaules, bras, et index-médius-annulaire de la main droite. Ce même entraînement, en prime développe une précision de tir extraordinaire. Par comparaison, nos arcs de compétition les plus puissants sont limités à une force de traction de 55 livres anglaises, soit 25 kg, pour tirer des flèches de 15 à 25 grammes vite freinées par le frottement latéral de l'air. L'entraînement commençait le plus souvent dès l'enfance - on était archer de père en fils - ce qui conduisait pour les "champions" à des résultats tels que de mettre 8 flèches au but en une minute dans une uette humaine placée à 180 m. ( 200 yards). Le tir à l'arc fut longtemps un sport national, et obligatoire, en Angleterre. Un édit de Henri VIII rappela l'obligation pour tous les hommes de 12 à 50 ans, de s'entraîner pendant au moins deux heures chaque dimanche après l'office religieux. Les autorités locales étaient rendues responsables du respect de cet édit. La puissance de pénétration du Long Bow n'a été reconnue que depuis peu : les récits de chroniqueurs, faisant état de cavaliers cloués à leurs montures par un projectile ayant traversé successivement une cuisse, l'abdomen du cheval, et l'autre cuisse, ont longtemps passé pour des exagérations fantaisistes. Or les performances suivantes ont été enrégistrées aux Etats-Unis dans les années 1920, lors d'exériences menées avec des répliques aussi fidèles que possibles de l'arc et de ses flèches : - la flèche à pointe d'acier, de 150 g, perce un madrier de chène frais de 3 pouces 1/2 - près de 9 cm - à bout portant. A 200 m, elle perfore encore une planche de chène frais de 1 pouce - 2,5 cm.- pour la cadence de tir, le spécialiste S. Pope montre, en 1923, qu'il peut décocher 5 flèches ajustées avant que la première ait atteint la cible placée à 220 yards ( 200 m ). ( Un aide, toutefois, lui tendait les flèches).- En 1924, enfin, le général Thord-Gray, autre spécialiste, place 70 flèches sur 72, en 5 minutes et 13 secondes, dans une cible de 65 cm de diamètre placée à 75 m. Or, venu à l'arc à l'âge mur, il s'estimait très inférieur aux archers du Moyen Age. ( Le même jour, et pour comparer, 11 spécialistes du pistolet automatique - le Colt 45 en l'espèce - tirèrent sur cible identique et même distance, temps de visée illimité, 72 balles chacun, soit 792 au total, n'obtenant que 67 coups au but).

g/ Nos contemporains, sans doute en raison de l'idée qu'ils se font du poids des armures et de celui de la otection du cheval, se représentent en général le destrier comme une bête géante - encore que les films relatifs à cette époque montrent des animaux du gabarit "concours hippique". En réalité nos percherons pèsent au moins 50 % de plus. Toutefois, dès le XIIIème siècle le cheval de bataille européen fit l'objet d'une sélection, comme l'avaient fait les Arabes, mais pour obtenir ici la force et la masse, non l'agilité. Ce cheval, et son emploi par les occidentaux, paraissent avoir été mal connus à Byzance jusqu'aux croisades. Les écrits de la Princesse Anne Comnène, fille de l'empereur Alexis, constituent une précieuse source sur les premiers croisés, ( qu'elle appelle tous tantôt "Celtes tantôt "Francs" et qu'elle semble considérer comme encore semi barbares ). Les Francs sont invincibles dans le premier assaut de leurs puissants chevaux. Mais par la suite ils peuvent tre facilement battus, car leurs armes et leurs équipements sont lourds, et aussi parce qu'ils se comportent de façon téméraire à cause de leur nature impulsive.

Elle dcrit la cotte "treslie" de ces "Celtes / Francs" comme une nouveauté, inconnue à Constantinople.

( On notera que le mot "Francs" pour dsigner les croisés ne semble pas constituer un anachronisme : pour

la France proprement dite, il sera normal jusqu'au XIIème siècle. C'est ainsi qu'après sa séparation d'avec Louis VI et son remariage avec Henri II d'Angleterre, Aliénore d'Aquitaine écrit : Aprs avoir été séparée de mon Seigneur Louis, très illustre Roi des Francs... ( et non, de France, ou des Franais).

h/ Créée presque ex nihilo rapidement, cette artillerie est la plus moderne de l'époque. Quoique composée en partie par des pièces de siège, de calibres importants - qui feront tomber les villes plus ou moins fortifiées de Normandie - elle comprend aussi les premiers canons de campagne, facilement déplaçables. Vers 1440 la bouche à feu "moderne" est fixée sur un fût de bois articulé à l'avant - par les flasques - sur une autre poutre, plus longue, qui constitue l'affût proprement dit. L'essieu, en bois aussi, puis en fer, est fixé à cette poutre qui, à l'arrière reçoit de robustes crocs de fer dont l'enfoncement dans le sol limite le

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recul. La visée en site est obtenue par soulèvement du fût de canon qui, à l'arrière, repose sur une forte tringle engagée à la hauteur désirée dans les séries de trous de deux plaques verticales fixées à l'affût de roues. Vers 1470 Louis Géribault imagine de ramener l'articulation à la hauteur, à peu près, du centre de gravité de l'ensemble bouche à feu - fût de canon. Le pointage en site est facilité par le fait qu'il y a équilibre, ou à peu près, sur cette articulation. Puis à la fin du siècle on passe au tube à tourillons venus de coulée, vis de pointage, roues légères ( tout est relatif ) à "escuage". C'est la première maturité, puisque, fondamentalement le canon ne changera plus jusqu'au XIXème siècle.

Formigny, c'est l'action préalable, tir à mitraille depuis une portée que ne pouvaient atteindre les archers anglais, qui poussa Kyriel, plutôt que de laisser massacrer ses hommes, à lancer la charge qui fut anéantie par les 300 "lances" et les 800 archers français. ( On compta soigneusement 3774 cadavres d'anglais, puis les chroniqueurs dispotèrent gravement pour savoir si les pertes françaises avaient été de 5, de 6 ou de 12 morts. ) A Castillon, le vieux Talbot décida d'écraser les Français, mal retranchés, par une "bonne vieille charge". Elle fut reçue et balayée par la mitraille des pièces de Bureau

i/ On peut souligner, à propos de la chute de Constantinople, que :

- La population, résignée, ne contribua guère à la défense : pour une ville de 600 000 habitants il y aurait eu 4973 volontaires. Si cette population comptait sur la clémence de Mahomet II, elle fut tragiquement déçue. Dans Ste Sophie, le sang montait jusqu'aux chevilles. Le vainqueur y trempait la main et l'appliquait sur les murs, laissant des traces... assez semblables à la forme de notre fameux récent badge, le Touche pas à mon pote .

- L'aide des nations chrétiennes aux "shismatiques" - la tentative de réunion, au concile de 1274 à Lyon avait échoué - fut plus que limitée : quelques milliers de Gènois et de Vévitiens. La garnison était très insuffisante pour tenir, outre le "mur" de Théodose du côté terrestre, les murailles maritimes - 21 km au total. Ce dont on peut être surpris, c'est bien que l'Armée de Mahomet II n'ait pas balayé une si faible garnison dès le premier assaut... Si la population n'avait pas été frappée de cette torpeur résignée, elle aurait pu fournir de quoi décupler, au moins, le nombre des défenseurs : pour la Guerre de Secession, le Sud, peuplé de 5 735 000 blancs, 3 500 000 noirs et indiens environ, eut sous les armes 1 449 000 hommes;

iens et noirs compris).

j/ Le mot "ourdou" a une acception beaucoup plus large que "camp". Il désigne l'ensemble des personnes et des biens - nécessairement mobiliers puisqu'il s'agit de nomades - relevant d'un chef mongol et se déplaçant avec lui : chevaux, bétail, chariots, tentes, esclaves, et, naturellement la population mongole elle-même. ( Avec la puissance croissante de Gengis-Khan, il arriva vite un moment où il ne fut plus question d'un unique ourdou, se déplaçant en bloc). Traditionnellement, à la mort du chef d'un ourdou ses subordonnés immédiats, s'ils ne pouvaient s' accorder sur le choix d'un nouveau chef des chefs se dispersaient en amenant avec eux leur "sous- ourdou" : ce qui leur appartenait plus personnellement; d'ailleurs ils ne se gènaient pas pour se partager les biens du chef défunt, laissant sa famille dans le dénuement. Le mot mongol est passé en français, mais avec une signification différente : la Horde d'Or, c'est à dire du Sud de l'Ouest, de Batou était à la fois son ourlous - héritage territorial - et son groupe de ourdous. ( Les mongols désignaient les points cardinaux par une couleur. Par exemple, l'Ouest était le Blanc, et jusqu'en 1917, par le "Grand Tsar Blanc" les asiates parlaient du souverain résidant à l'Ouest).

k/ L'organisation de l'Armée mongole en multiples de 10 semble en contradiction avec le nombre sacré 9. ( Etendard à 9 queues de cheval; limitation du nombre des oerleuk à 9, etc).

En réalité cette organisation repose bien sur 9 et ses multiples :

- peloton, 9 cavaliers et un chef;

- escadron, 99 cavaliers et un chef, ( commandant son propre peloton et les chefs des 9 autres);- gourane, à 999 plus le chef, commandant l'ensemble, son escadron et son peloton ( qui lui sert d'ailleurs plutôt de garde personnelle );- toumane, à 9999 plus le chef, dont l'escadron sert plus ou moins, aussi, de garde d'ensemble et le peloton de garde rapprochée;

- 9 oerleuks, coiffés par le Grand Khan.

Ce n'est qu'au niveau de l'Armée que l'on peut trouver un nombre variable de toumanes.

Nous connaissons mal le système de dévolution du commandement quand le chef d'un certain niveau est tué pendant le combat. Vraisemblablement l'"adjoint-remplaçant" était pré-désigné, son successeur éventuel, etc, comme le plus compétent de la formation de rang immédiatement subordonné. ( L'esprit minutieux de ( Gengis Khan n'avait certainement pas négligé ce problème, crucial car le chef, à chaque échelon, donnait de sa personne donc pouvait être tué tout autanbt que le simple guerrier).

La garde personnelle de Gengis Khan était une super-élite fanatiquement dévouée. A sa mort, tuant absolument tout sur un large passage pour préserver le secret, c'est elle, avec seulement la Dame Bürté les parents les plus proches et les oerleuks encore vivants, qui inhuma le Kha Khan en un lieu ( sommet d'une colline, d'une montagne dit-on ), qui n'a jamais été retrouvé.

l/ La femme mongole, au moins jusqu'à la domination incontestée du Grand Khan, participe au combat, mais nière statique, comme archer. ( Ce qui ne l'empèche pas d'être une cavaliere émérite). , C'est ainsi qu'à l'époque où Témoudjine ne pouvait encore aligner que 13 gouranes de 1000 cavaliers, son ourdou fut attaqué par Targoutaï avec 30 000 Taïtchoutes : le jeune chef ayant survécu, et prospéré, il fallait l'abattre avant qu'il soit en mesure de venger l'assassinat de son père. Témoudjine rompit avec la tactique ( ? ) traditionnelle de charge contre charge dans le plus grand désordre. Il aligne ses 13 gouranes de front, appuyant une aile sur un bois impénétrable, et l'autre sur l'ourdou hâtivement fortifié. ( Cercle de chariots renforcé de branches appointées). La défense de cet ourdou est confié aux femmes, aux enfants et aux vieillards, tous agissant à l'arc. , Sans entrer dans les détails, la farouche défense de l'ourdou - plus spécialement attaqué, en vue d'être dans les premiers à saisir le butin - et la discipline des gouranes, qui agissaient en 13 "blocs" contre une multitude de petits groupes dispersés, donna la victoire totale. 6000 Ta tchoutes, environ, auraient été tués. Témoudjine avait donné l'ordre de capturer les chefs vivants, dans la mesure du possible. 70 furent pris, dont Targoutaï. Ces chefs furent ensuite exécutés - avec d'ingénieux raffinements - au lieu, selon la coutume, d'être libérés après réception d'une forte rançon. Témoudjine n'avait pas oublié l'assassinat de son père, mais plus encore, il tenait à montrer qu'il traitait ces hommes en rebelles contre sa légitime supériorité de fils de Djessoughaï, et non en ennemis "ordinaires".

Remarque : Nous avons adopté une des nombreuses manieres de transcrire les noms mongols, ce qui peut dérouter le lecteur habitué à une autre transcription de noms dont la prononciation est difficile pour les langues indo-européennes. Ainsi, au lieu de Djessoughaï on peut trouver Jessougheï, Yesügeï, etc, et Temüjin, p jin, au lieu de Temoudjin.

Revenant à la femme mongole, la "première épouse" légitime a sur son mari une influence qui, pour devoir rester discrète, est considérable. On peut dire que les seules personnes dont Gengis Khan ait toléré de dures critiques, et admis souvent leur bien fondé, furent sa mère, Oelen-Eké, tant qu'elle vécut, et sa femme, la "Dame Bürté". Il prenait toutefois conseil de ses oerleuk,

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dont il tenait plus compte, semble-t-il, que des avis de ses propres fils.

________

Notes:

167 Plus tard, il ne fallu que 8 annnées de gabégie - 1791 à 1799 - pour que la France trouve ses routes transformées en pistes

défoncées, ses ports ensablés, ses canaux inutilisables.

168

169 Cette omnipotence / omniscience des Anciens sera pourtant refuse par certains hommes - Occam, Buridan, Oresme...- qui,

suivi de leurs élèves, jugerons préférable d'examiner personnellement un fait plutôt que d'en chercher description et explication dans des ouvrages vieux d'une quinzaine de siècles. Mais ces idées, révolutionnaires, ne perceront que très lentement, et ne s'épanouiront qu'avec les cartésiens.

170 De même que, de nos jours, la "Ligue Arabe" comprend une majorité de musulmans non arabes : perses, coptes, berbères

divers, descendants lointains de turcs et de mongols, etc. ( La dénomination de "Ligue Musulmane" serait plus exacte, encore qu'elle excluerait les nombreux musulmans de l'U.R.S.S et de l'me Orient, non membres de la Ligue Arabe).

171 La faiblesse des relations culturelles entre l'Empire d'Orient et l'Europe Occidentale pose d'ailleurs un problème que

n'expliquent ni les querelles religieuses croissantes - jusqu'au Grand Shisme - ni le sac de Constantinople par les croisés.

172 S'agissant de bandes dessinées écriture est la même, à des détails près, partout en Chine, et très voisine au Japon. Mais

elles ne s'y "lisent" pas de la même façon : le même dessin, muet, se lira en français l'homme dort et en anglais "the man sleeps". A noter la combinaison des signes chinois : mme sur riziere signifie l'homme riche. Homme petit, bouche grande : l'enfant pleure ( ou crie ). Une femme est bien une femme, mais 2 signes femme représentent la dispute, et 3 signifient la médisance !

173 le colophon est, en somme, le "mot de la fin" que se réservait le ou la copiste très souvent, quand ou elle, avait achevé un

texte. Par exemple : Priez pour moi, qui ai écrit ce livre . Suivait le prénom et pour les laïques, souvent la qualité ( épouse de... ).

174 Désormais, p.ex. il ne suffira pas d'avoir été l'élève d'un médecin pour le devenir, mais il faudra avoir suivi les cours

universitaires. Or l'accès à l'Université est désormais interdit aux femmes : par ce biais assez hypocrite, elles ne pourront plus exercer la médecine.

175 Et aussi, à cette tendance de l'Homme de se vouloir le "nombril du Monde" : malgré les idées, d'ailleurs purement

spéculatives, de l'anglais Thomas Wright en 1740, popularisées plus tard par Kant, il fallut attendre la mise en service du télescope du Mont Wilson et 1924, pour que E.Hubble montre que les galaxies lointaines ne sont pas des objets célestes faisant partie de la notre. Le dernier repli, actuel, de l'antropocentrisme est l'affirmation - elle s'effrite - du fait que l'intelligence n'a pu apparaitre ur la troisième planète d'une médiocre étoile située dans la "banlieu" de notre Galaxie.

176 1 A.L. vaut, en arrondissant, 10 000 milliards de km.

177 Rappelons que le mot mappemonde désigne une carte plane, représentant la terre ( divisée en deux hémisphères ), bien que

ce terme tende de nos jours, à tort, à s'appliquer à un globe terrestre.

178 Les terres récupérées sont les essarts du bas latin sarire sarcler, et non du vieux français arser brûler ( du XIème siècle). Le

mot servit à de nombreux toponymes. Ex : Les Essarts-le-Roi.

179 La métallurgisation avant la matiere-plastiquation est un phénomène relativement récent à échelle du l'histoire : aux débuts

du XIXème siècle par exemple, les simples clous, forgés un par un, étaient employés que là où la cheville de bois ne pouvait convenir; l'araire, qui en fait de métal ne comprend qu'une tige d'acier, était encore utilisée dans toutes les régions à terres "légères" (et le sera â e quelques décennies après le commencement de notre siècle).

180 Le puddleur doit être un homme très robuste. Il a toujours eu un salaire élevé en raison de la pénibilité de son travail, mais

aussi parce que sa vie professionnelle - et trop souvent sa vie tout court - était brève.

181 On trouve de très fidèles représentations de ces grues sur des tableaux et gravures. P.ex, les deux Tours de Babel de

Bruegel l'Ancien; dans les oeuvres d'autres artistes, le plus souvent flamands : Pieter Bourgus, Roeland Savery, etc.

182 Ce qui n'implique pas, loin de là, que l'esclave soit systématiquement traité avec cruauté, ou mis à mort sur un simple

caprice : il représente un "investissement" trop précieux pour être gaspillé. ( Il faut pendant distinguer entre le traitement accordé aux esclaves "de la famille" - nourrice, précepteur, comptable, domestiques etc - et celui des esclaves travaillant dans les champs ou les mines).

183 Cette contribution en nature fut souvent échangée par contrat contre un loyer en argent que l'inflation ( phénomène très

ancien ) finissait par réduire à une somme symbolique.Ceci explique en partie enthousiasme pour les croisades : sauver son âme, certes; trouver gloire et réputation; mais aussi espoir de butin permettant de "relever" financierement la lignée. ( Le départ à la croisade ne pose guère de problèmes de gestion : c'est traditionnellement la mère ou l'épouse du seigneur d'un petit fief qui, sachant mieux lire, écrire et compter, fait fonction d'intendant-comptable).

184 Sélection actuelle excessive d'après certains spécialistes, avec la disparition en cours de races non rentables pour la viande

et médiocres laitières, mais très résistantes aux maladies, aux intempéries et peu exigentes pour la nourriture : leur survie

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permettrait de pratiquer des croisements améliorant la robustesse. ( Assez curieusement, l'écologiste moyen se passionne pour la conservation de telle race de cormoran du Golfe Persique, mais ignore radicalement la vache de l'Aubrac ou la Tarentaise).

185 Bataille navale des Cyziques, 668; premier siège de Constantinople, 673, etc.

186 Dans la construction à bordé à clins nordique, chaque rangée de planches du bordé recouvre partiellement celle du dessous;

( un peu comme des tuiles, mais très faible recouvrement). Ce bordé à clins a subsisté sur les côtes du Nord et de l'Atlantique - pour les faibles tonnages - jusque dans les 1950. La Méditerranée n'a pratiquement connu que le bordé à francs bords . L'avantage du bordé à clins est qu'il autorise une certaine souplesse de la coque sur houle longue. ( Il n'est plus alors parfaitement étanche : les sagas nordiques, à propos des longues traversées vers l'Islande et le Groenland, décrivent souvent une partie de l'équipage occupée sans cesse à écoper).

187 En particulier, les navires à voile : dans le cas des galères la chiourme de l'un des flancs peut ramer en arrière pour aider à un virement rapide.

188 A ne pas confondre avec les lourds deux-mats de transport, de même nom, qui furent utilisés en navigation côtiere sans

grands changement - sauf augmentation de tonnage - du XVIIème siècle jusqu'aux â s du XIXème.

189 Direction quelque peu différente de celle du Nors géographique. Rappelons que la "déclinaison" varie dans le temps et dans

l'espace.

190 Jusque dans le XIXème siècle, sur les bâtiments de la Marine Nationale, le Capitaine d'Armes ( sous- officier ancien, chargé de la discipline et surnommé le Bidel ) notait les punitions au crayon sur un parchemin : le puni était mis à la peau de bouc .( De mouton, en fait).

191 La lecture nous semble aller de soi - encore que l'illétrisme, incapacité à comprendre le sens d'un texte ( à distinguer de

l'analphabétisme ), parait se développer de réforme en réforme - mais le lettré du Moyen Age ne formait pas la majorité de la population; et surtout dans la période des "dark ages" : passant par Rome, Saint Augustin ( pourtant très grand écrivain ) y découvrit avec surprise qu'il était possible de lire à voix basse pour soi-même.

192 Il y a peu, encore, certains hauts personnages, chefs d'Etas, etc, plus spécialement exposés à des tentatives d'assassinat,

portaient de très fines cottes de maille, d'excellent acier sous leur chemise. En France, notamment, jusqu'en 1914, une société de vente par correspondance proposait son "protège-corps vulnérable" pour la somme non négligeable de 500 francs-or, mais réalisé sur mesure. En fait cet équipement, convenable contre les poignards et les balles de cartouches à poudre noire, n'avait déjà plus d'efficacité contre les armes de poing tirant à grande vitesse initiale. ( P.ex, cartouches Mauser 7 63 ou Parabellum 9 mm).

193 L'armurier fut longtemps le fabricant d'armures; et non d'armes. ( En réalité, l'armurier ajouta souvent la vente d'armes, qu'il

produisait lui-même ou revendait).

194 Nous y avons déjà fait allusion : une surface non développable ne peut, malgré toutes les découpes imaginables, être mise à plat. Un cylindre, un cône, sont développables. Une sphère, un ellipsoïde, un paraboloïde, etc, ne le sont pas.

195 Qui a donné les termes actuels anglais "helmet allemand "helm" et russe "chlem".

196 Nos pseudo sculpteurs ( ? ) modernes d'acier, présentant comme oeuvres d'art des bouts de ferraille soudés entre eux ou

des "mobiles" tournoyants, seraient bien en peine de produire une armure, même très simpliste. Il vaudrait mieux s'adresser pour des copies pas trop grossieres, à des ouvriers carrossiers et chaudronniers.

197 Pendant des générations, p.ex, le duc de Bourgogne est plus riche que le roi de France, son suzerain.

198 L'héraldique devient une science, avec son langage particulier : "en chef" = en haut; "de sable" = noir; "de sinople" = vert,

etc. Le petit nombre des combattants montés, ainsi que leur parfaite connaissance des armoiries, évite qu'au combat se produisent de fâcheuses méprises. Si le cavalier ne porte pas son écu, du moins sont-elles souvent reproduites en taille réduite sur la poitrine de la sse, ou bien sur le "mantel" de caparaçon du cheval, ou encore sur le surcot.

199 position sociale, mutatis mutandis assez analogue à celle qu'auront les esclaves noirs dits de la famille dans les états

sudistes américains, qui, aux côtés de leurs jeunes maîtres avec lesquels ils ont joué dans leur enfance, combattront contre les "Yankees" avec un acharnement inconnu des rares noirs du enrégimentés par l'Union.

200 Muraille de 7 m d'épaisseur. Les trois salles internes superposées - voûtées - avaient un diamètre de 17 m pour une hauteur

de 14 m. La masse de ce donjon avait fatigué le temps puisqu'il était encore en bon état en 1914, mais il fut détruit pendant le conflit par une explosion accidentelle : les troupes allemandes en avaient fait un gigantesque dépot de munitions. , Voir coupe, plans et description détaillée dans le Dictionnaire raisonné de l'Architecture de Violet- Duc, è "donjon". ( Ouvrage souvent critiqué mais dont Ph. Truttman a écrit qu'il reste le maître incontestable, que ses détracteurs ont été trop heureux de piller . - 10 volumes, Ed. Bancé, 1858-1868).

201 Par Mgr Jsus et tous les saints de son glorieux Paradis, j'éleverai un chastel que ni les vilains, ou mes sujets, ne pourront

jamais prendre; ni les Anglois s'ils ont l'audace de revenir; voire mesme les plus puyssants soldats du Roy !

202 Dans l'"Art de la guerre" - 1520 - Machiavel fait exposer par son orateur Fabrizio Colonna, à ses auditeurs les avantages de

la surprenante forme de roue des canons des troupes françaises. ( Art de la Livre septième. )

203 En région parisienne, la Route des Gardes par Meudon, avec ses pentes à 13 % ne conenait que pour les cavaliers allant des

bureaux du "Palais Cardinal" à ceux de Versailles. Les carrosses et charrois suivaient la vallée du Ru de Marivel par Sèvres, où se trouvaient des relais de chevaux.

204 D'où les droits de péage, remplacés aujourdhui par le budget du ministère intéressé: 120 Mds F en 1991

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205 La théorie de la résistance des matériaux est relativement très récente. P.ex, l'ancien pont de Sèvres, sur la Seine,

remplacé dans les années 1960, datait du 1er Empire et était destiné aux charrois les plus lourds de cette époque - qui ne pouvait prévoir le moteur à explosion. Pendant le conflit ce pont fut touché par plusieurs bombes et "retapé" par les moyens disponibles alors. Son âge et les bombes ne l'empéchèrent pas de supporter en 1944 le passage des blindés allemands en retraite, dont des Pz.VI.B, de 68 tonnes, puis un flot de chars français et américains. (Il ne fut remplacé que parce que trop étroit).

206 Nous profitons de cette occasion pour souligner l'importance du matériel "cordages" depuis l'antiquité jusqu'à la fin du

XIXème siècle ( avec la diminution de plus en plus rapide de la marine à voile). Pendant des millénaires les cordages ont eu une place considérable dans toutes les activités de construction, du bâtiment civil ou de défense, de la construction navale, de celle des machines de guerre, etc : au stade de liaisons temporaires ou définitives; pour les engins de levage, de traction, de lancement balistique...Nos câbles d'acier ou de fibres synthétiques et les machines automatiques de production nous masquent beaucoup les difficultés que rencontra l'homme pendant très longtemps, tant dans la fabrication de cordages uniformément solides que pour leur conservation en bon état. L'ensemble des cables, chaines, poulies, ancres, etc, d'un petit bâtiment de la Marine Nationale est la charge placée pour la conservation, le rangement et la mise en oeuvre, d'un officier marinier, ( sous- officier ), ancien et particulierement compétent. ( Dans les faits, il récupère peu à peu une "charge" non officielle, donc non comptabilisée, qui est celle utilisée normalement; la "charge" officielle étant soigneusement rangée dans les meilleures conditions de conservation, prète à être présentée, à l'état aux inspections du Commissariat. Le "Pacha" est censé ignorer que l'on emploie normalement la "charge" non officielle..qui disparait mystérieusement pendant ces inspections).

207 Le mot "boulevard" est employé ici avec son sens originel : ouvrage ou zone de défense extérieure d'une ville fortifiée le plus

souvent, parfois d'un château. ( De l'allemand, burg-warte, qui en flamand a donné bol-werc, boulevard et bullwark en anglais, bulvar en russe, et boulevard en français. Ce boulevard, formant un tour de ville beaucoup plus large et aéré que les rues de l'époque, devint vite un lieu de promenade en période de paix).

208 Pratique qui s'est conservée jusqu'à nos jours à travers les siècles. Par exemple :

209 Certaines de ces bandes, menées par des chefs d'une indéniable envergure, arrivèrent à former de petites armées capables

de ravager et terroriser de vastes régions. On peut citer ainsi celles d'Aimerigot ( Marcheix, sillonnant le Haut Languedoc, l'Auvergne et le Limousin; de Rodrigue de Villando, ravageant le â epuis le Roussillon jusqu'à la Provence, et allant jusqu'à menacer Lyon...

210 P. ex, à défaut de balles de fronde en plomb, il est possible d'employer des cailloux plus ou moins oblongs, voire, en zone

dépourvue de roche, de cuire des boulettes d'argile. L'arquebuse et le canon ne peuvent admettre ce type de projectiles sans grands risques d'explosion, ou bien portée ridicule.

211 On estime, par exemple, qu'il eut des trébuchets dont le seul contrepoids - chargé de terre - pouvait peser de l'ordre de 25

tonnes.

212 Matériels dont le total était important, mais pouvant être réparti dans des chariots de masse unitaire relativement faible.

213 Pour Isabelle, les plus belles choses terrestres qui puissent se voir étaient : Un saint prètre disant sa messe; une mariée

attendant un époux bien-aimé dans le lit conjugal; un courageux soldat se préparant à la bataille.

214 Pendant la phase française de la guerre d'Indochine les troupes au combat furent, en règle générale, à peu près

radicalement abandonnées au plan sanitaire : peu de médecins et moins encore de médicaments. ( On se souvient des campagnes menées en France contre les collectes de sang : affichettes Pas de sang pour les fascistes d'Indochine ). , Ceci explique - hors prisonniers morts de misère physiologique - la proportion anormale du rapport morts / blessés : beaucoup de ces derniers, guérissables, moururent faute de soins, de médicaments, de transfusions.

215 Penchant très français : nous célébrons souvent plus les glorieuses défaites que les victoires. ( Le cas de Camerone à mettre à part : défaite tactique; victoire stratégique : le précieux convoi passa).

216 Le consul romain chef de l'armée ( à 4 légions normalement), le commandant de légion savent que leur rôle est de

commander, non de manier le glaive. Pour cela, il doivent être renseigné. Malheureusement - - dans la Guerre des Gaules César, si abondant en détails attachants, ne dit rien de son système de renseignement pendant la bataille. En revanche il indique - ou le contexte le montre - qu'il se place autant que possible sur un point haut, de manière à tout voir, et sans doute à être facilement rejoint par ceux qui auront à lui apporter un compte-rendu ou venir prendre un ordre.

217 Et facteur technique quand intervient une arme nouvelle ou employée de maniere nouvelle : p.ex, l'artillerie de campagne,

mobile, à la fin de la période considérée ici; par exemple aussi la nuée de précises et puissantes, des archers anglais un siècle plus tôt.

218 Plus tard, le groupemenyt d'une centaine de lances formera une "compagnie d'ordonnance". Ces compagnies, la

"Gendarmerie" seront le noyau de l'armée permanente royale.

219 L'énergie cinétique - 1/2 MV2 - d'une flèche de 120 g à 90 m/s est du même ordre, 500 Joules, que celle d'une balle de 9

mm, de pistolet, revolver ou pistolet-mitrailleur, à 320 m/s.

220 Nous verrons, beaucoup plus loin, qu'il ne faut pas confondre la cadence de tir instantannée d'une trailleuse - ordre de 800

cps/mn pour les modèles classiques - avec le débit pratique : il faut de précieuses secondes pour remplacer les bandes de cartouches vidées, et plus encore pour les chargeurs de fusils-mitrailleurs ou les actuels fusils d'assaut. ( Chargeurs de 25 ou de 30 coups).

221 Et même, nécessairement, car on était encore bien loin de la standardisation des calibres : en pratique le "canon à main" se

vendait avec son moule "au calibre". Le plomb fond à 327+ C : il suffit casserole de fer posée sur un fourneau très ordinaire.

222 Le mot vient du bas-latin chatabela lui-même dérivé du grec kataballô renverser, et qui a donné le verbe capita capvira etc

de certains dialectes occitans : faire tomber quelqu'un. ( Faire tomber quelque chose : "toumba" ou "faïré toumba").

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223 Et d'après bon nombre d'historiens - français - en France. Sans verser dans un "cocorico" national, la France ( en limites

actuelles ) étant alors de très loin le pays d'Europe le plus peuplé, si la faculté d'invention est proportionnelle à la population, cette assertion peut être exacte...

224 Les contrepoids étant des "récipients" de fort madriers, remplis de terre tassée, il est plus facile d'évaluer leur masse que

celle des boulets.

225 La "lance à feu" fut une arme spécifiquement chinoise, employée du XIème au XIIIème siècle puis abandonnée en raison de

ses maigres effets sur des adversaires l'ayant déjà affrontée : on peut la comparer à un feu de Bengale fixé au bout d'une tige, et dirigé vers l'ennemi. La portée dangereuse - â ûlures - n'est que de l'ordre de 2 à 3 m. Les effets sont surtout psychologiques, et le plus médiocre archer ou piquier peut abattre le porteur de lance à feu s'il garde son sang-froid.

226 Outre les boulets de pierre, les premières bouches à feu furent utilisées pour lancer de courtes mais fortes flèches de fer,

dont l'empennage était une sorte de disque épais, de cuir, "au calibre".

227 Ce n'est qu'à la fin du XVIIIème siècle qu'une application très simple du calcul intégral montra qu'à pression égale interne,

l'épaisseur du tube doit être proportionnelle au calibre. La démonstration est maintenant du niveau d'un élève de terminale scientifique.

228 Ces pièces monstrueuses, si difficiles à déplacer, à mettre en visée, à charger, vont disparaitre avec la fin du XVème siècle.

Il faudra attendre les gros canons de marine de la fin du XIXème siècle, puis Artillerie sur voie ferrée ( A.L.V.F). de 1914-18 pour retouver des calibres de l'ordre de 40 cm. La mégalomanie de Hitler le poussera à avoir les canons les plus fantastiques jamais construits : deux s de 800 mm, dont une seule eut l'occasion de tirer : une quarantaine d'obus au siège d'Odessa. , ( En règle générale, le gigantisme - pour une période donnée - en matiere de matériels militaires est un signe de dégénérescence : le "diplodocus" est peu mobile et très vulnérable).

229 Il faudra encore quelques siècles pour arriver à la formule 1/2 M V2, mais l'idée se faisait jour.

230 Beaucoup plus tard, malgré l'alésage de l'âme et des boulets à la sphéricité presque parfaite, on conservera encore un léger

"vent" de sécurité, quoique cette fuite de gaz se traduise par une perte énergie, donc de portée : au combat il suffirait de quelques résidus de combustion de la poudre des coups précédents pour provoquer l'accident.

231 Le 2 décembre 1805, sur le plateau du Pratzen, le colonel ( artilleur) Fontenay, envoyé par Soult utenir la division Saint-

Hilaire de six pièces de 12, craint qu'elles ne puissent résister longtemps au tir à mitraille. Thiébault, commandant la brigade à soutenir, lui rétorque : F..! Qu'elles durent dix minutes et cela me suffira ! De fait, les quatre rgiments de Kollowarth et Kamenski, hachés littéralement, purent être mis en déroute par les trois bataillons de Thiébault.

232 Bayard faisait pendre les prisonniers porteurs d'une arme à feu ( mais mourra d'une balle). Blaise de Montluc dénonce "cette

invention du démon" et l'Arioste fustige la diabolique invention... le vil instrument de mort . Pour Cervantes, l'arme à feu individuelle permet à un lache - c.à.d. un roturier- de tuer le plus brave des gentilhommes. Une balle perdue, venue de nulle part, on ne sait comment, tirée cidentellement par un poltron que la détonation de son vil instrument met en fuite, peut en un instant réduire à néant les plus vastes desseins. Nous pourrions citer Montaigne et bien d'autres.

233 Par extension, toutes les substances servant au tir de projectiles, les mono-propergols solides des moteurs-fusées, sont

dits "poudres" plus souvent qu'explosifs déflagrants. Une tonne de poudre noire brûlant à l'air libre échauffera un rail, par exemple, mais ne le brisera pas, alors qu'il y suffit de quelques centaines de grammes de T.N.T ou de mélinite... bien disposés.

234 Pendant la période française de la guerre d'Indochine, 1946-1954, certains chef de postes, conseillés par des sapeurs, ont

réalisé des fougasses-pierrieres avec des explosifs modernes, ne craîgnant pas l'humidité, et des détonateurs électriques

235 Problème de discipline, mais technique aussi : il fallait que cette infanterie ( au moins ses premiers rangs ) bénéficie d'une

bonne protection. A Poitiers, il semble que comme pour les hommes de Harold à Hastings, trois siècles plus tard, ce soient les grands boucliers rectangulaires qui aient joué le rôle principal de protection. ( Si le Maures avaient eu l'idée du tir plongeant, qu'eut Guillaume, il est probable que les fantassins de Charles Martel n'auraient pas supporté longtemps des pertes sans passer à action. Se seraient-ils rués en bon ordre ? De toutes façons, la cavalerie d'Aquitaine ne serait pas arrivée à temps...

236 Ce qui est encore vrai de nos jours : l'appellation de "Ligue Arabe" permet d'éviter une référence religieuse; mais l'ensemble

des états membres comprend plus de Perses, Coptes, Berbères, etc, que d'Arabes â ement dits. ( A évacuer la référence religieuse, on tombe d'ailleurs dans la référence de race).

237 Et, plus tard, par enlèvement, conversion, et formation militaire exclusive d'enfants de non- croyants : les fameux

Janissaires, "recrutés" essentiellement dans les populations chrétiennes des Balkans.

238 Comme actuellement le sont les unités blindées... à tort, pensons-nous : l y aura lieu de revenir à ce problème au dernier

chapitre.

239 On notera une certaine analogie avec le combat de la période grecque classique : escarmouche des peltastes, puis choc

des deux phalanges, ( mais qui étaient minutieusement rangées en bon ordre).

240 Saint-Flour, la "Pucelle" d'Auvergne car elle ne fut jamais prise d'assaut, disposait de deux puits, avec multiples plate-formes

intermédiaires pour hisser les seaux plus facilement, qui descendaient jusqu'à la cote de la riviere ( le Lander ) c'est à dire 100 m au dessous de la ville haute, fortifiéesur falaise de basalte presque verticale pendant les 15 à 25 premiers mètres.

241 Le lecteur intéressé consultera l'ouvrage, passionnant malgré son volume - 678 p - de Jean FAVIER : uerre de Cent Ans .

242 Cette évolution tient, sans doute, à l'emploi croissant par l'Angleterre de troupes recrutées dans ses provinces de France,

et non venues d'outre-Manche : ces hommes en sont restés aux "bons vieux" principes des temps de la chevalerie, alors que les français, un moment dans une situation désespérée, sont bien contraints de rechercher l'efficacité.

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243 La France aurait sans doute subi moins de glorieuses défaites si le ministère des Finances et celui de la Défense avaient

toujours été réunis sous la direction d'un seul et même ministre ?

244 Malgré le désastre d'Angora et les ravages opérés par l'armée de Tamerlan, l'Empire osmanli se relève très vite, et reprend la

poussée sur l'Empire Bizantin : victoire de Narva en 1444, prise de Constantinople en 1453. puis poussée dans les Balkans d'une part, l'Egypte d'autre part.

245 Un blessé ne peut quitter le combat que s'il est absolument hors d'état de continuer à se battre; il lui est strictement

interdit de crier, et même de gémir; tout milicien a l'ordre et le devoir d'abattre immédiatement celui qui manifesterait par son attitude la moindre hésitation, et la famille du lâche est frappée d'indignitée pendant trois générations. Il est normal d'imiter le comportement d'Arnold Struttman plus célébré en Suisse que Guillaume Tell ), qui innova en se sacrifiant délibérément pour créer la e décisive qu'exploitèrent ses camarades contre les piquier de Léopold...

246 Les hallebardes, fourches de guerre, corsèques, marteaux d'arme à long manche, étaient très utiles pour, d'abord, faire

tomber les cavaliers de leurs montures.

247 Le lecteur intéressé consultera : LES SUISSES AU SERVICE DE LA FRANCE, de Louis XI à la Légion Etrangère . Jérome

BODIN. ( Ed : Albin Michel).

248 "Cercle" : au sens mathémathique dit "moderne". Rappelons que respectivement la circonférence ( ligne) cercle ( surface)

sont devenus le cercle et le disque.

249 Une seule flèche ne suffit pas à couper un cordage en général, mais elle l'affaiblit. De plus la stupéfiante habileté des

archers professionnels - les "reconstitutions cimématographiques" sont au dessous de la réalité - permet de tirer plusieurs flèches successives à peu près exactement au même point : le cordage est vite "haché". Sa tension fait le reste.

250 A la bataille de l'Ecluse, au début de la Guerre de Cent Ans, les navires français étaient attachés les uns au autres, pour

former une sorte de forteresse flottante. Les "long bows" firent un massacre car pouvant tirer et tuer depuis une distance que ne pouvaient pas atteinde nos faibles arcs. La résistance à l'abordage ultérieur fut plus un combat pour l'honneur que pour l'espoir d'une victoire. Froissart donne des nombres de 24 000 morts français pour 4000 anglais : exagération manifeste, mais le rapport de 6 à 1 â raisemblable.

251 "Matelot". Mot qui désige ici un navire a/ ami; b/ de la même escadre; c/ de même type et la même classe de tonnage.

Employé familièrement, mais de manière très courante jusqu'aux années 1940. En voie de disparition.

252 Premières mentions à propos des offensives navales arabes annuellesdes années 674 à 679; mais les pertes devaient être

limitées, puisqu'après chaque hivernage dans l'île de Cysique ( en Mer de Marmara ), la flotte musulmane repartait à l'assaut, jusqu'à sa destruction par une tempète en 679. Ces assauts annuels reprirent en 718 et 719, mais avec des pertes plus lourdes semble-t-il - effet des siphones déjà ? Pour comble de malchance la flotte arabe de 719 fut, à nouveau, détruite par une tempète pendant son trajet de retour, à peu près au moment où l'armée progressant par voie de terre était repoussée.

253 Nos ancètres les Gaulois rappelons-le, avaient été des envahisseurs; des Celtes dont le nom de ( Gaulois avait été donné par les Romains à ceux implantés dans le Nord de l'Italie, puis s'était étendu à leurs "cousins" installés dans la zone couverte en gros actuellement par la France et la Belgique. Mais ces "Gaulois" étaient déjà largement fondus avec les populations vivant antérieurement dans ces zones.

254 Fusion beaucoup plus lente au noveau des couches dirigeantes. Vers 1000 /1100, l'aristocratie est encore essentiellement

franque au Nord de la Loire, wisigothe en Aquitaine, par exemple.

255 Car l'Aquitaine, loin d'être une province occupée est fidèle au roi d'Angleterre. Le mérite de Charles VII sera de la traiter en

nouvelle province française, et non en "pays conquis"..

256 Si l'Angleterre de cette époque ne règne pas encore sur l'Ecosse et l'Irlande, et a une population qui ne représente qu'une

fraction de celle de la France, il n'empèche que cette population est déjà rès maritime ce qui s'explique par son insularité.

257 Essentiellement, cependant, aux plus hauts niveaux de la hiérarchie féodale.

258 La loi franque, contrairement à celle des Wisigoths, permettait le mariage entre conquérants et conquis sas autorisation

spéciale.

259 La notion se répand vite en Europe : moins de trois quarts de siècle plus tard le maréchal Trivulzi rit : Pour faire la guerre, il

faut trois choses : premièrement de l'argent; deuximement, de l'argent; et troisièmement, encore de l'argent.+ C'est dire : pour avoir des alliés; pour avoir des soldats; pour avoir des armes, dont la si coûteuse artillerie qui venait alors de montrer ses capacités à Marignan.

260 Les habitants de l'Aquitaine voyaient fort bien l'intérêt qu'il y a à dépendre du souverain le plus lointain; à continuer de

commercer librement avec l'Angleterre.

261 P.ex, forces allemandes de la 3ème croisade, dont le trajet maritime se limita à la traversée du Bosphore.

262 En sens inverse, l'absence d'une puissante marine française interdit le débarquement qui aurait permis la conquête de

l'Angleterre, en fort mauvaise posture à ce moment. ( En définitive, cette Guerre de Cent Ans se termine donc par un "match nul". On peu regretter que l'un ou l'autre parti ne l'ait pas emporté : même dans le cas d'une victoire anglaise, par le seul fait de la population plusieurs fois supérieure, l'Angleterre se serait "franç isée". L'ensemble du "château" français, et du "donjon" outre-Manche eut constitué une puissance telle que l'Europe unie ( et sous prédominance française ) eut été réalisée depuis trois à quatre siècles, ce qui aurait changé le sort du monde et épargné sans doute bien des guerres...Mais ceci est de la politique-fiction).

263 Notamment, avoir autant que possible, le soleil de dos, au pire, de cté; le vent, aussi, de dos : la fumée - considérable au

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temps de la poudre noire - de l'artillerie masquera à l'ennemi les mouvements tactiques de l'arùmée, favorisant ainsi une action de surprise : c'est la prise en compte de la météorologie par rapport à l'arme nouvelle.

264 L'auteur peut témoigner que de nombreux "Grands Chefs" - certains individus se jugent "Grands chefs" avec un nombre de

galons que les doigts d'une main suffisent amplement à compter - demandent si les hommes ont mangé mais il ne se souvient que d'un seul exemple où un "vrai" haut supérieur s'était inquièté du manque de sommeil des hommes et des cadres en cours d'opération de longue durée.

265 A l'époque où l'auteur avait l'honneur de servir au Centre de Prospective et d'Evaluation des Armées, il avait notamment la

charge de répondre aux multiples inventeurs qui proposaient au ministre d'ingénieux systèmes à mouvement perpétuel. Comme il est assez délicat de répondre avec courtoisie à des absurdités, quelques réponses-type avaient été mises au point:

266 Cette mentalité existait encore, plus ou moins, en France jusqu'au premier conflit mondial, en gros : un commandant, voire

un capitaine, pouvait encore adresser un "mémoire" aux plus hauts échelons. L'expérience nous a montré que depuis 1945 il faut porter au moins trois étoiles pour se livrer à une tentative de cet ordre, sous peine de sacrifier presque automatiquement la fin de carrière. Pour être juste, il convient de dire que la Marine Nationale est beaucoup plus ouverte que l'Armée de Terre aux idées novatrices des jeunes officiers. L'Armée de l'Air, pour sa part, semble être essentiellement axée sur les questions techniques).

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