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0123 campus Universités: objectif emploi Recrutement : Du bon usage des réseaux sociaux Des pistes pour trouver un job d’été UPPLÉMENTAU « MONDE » DATÉ 30 MARS 2010, N°20 273. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT Chine, Inde, Brésil... Un marché du travail émerge

Chine, Inde, Brésil

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Universités: objectif emploi

Recrutement : Du bon usagedes réseaux sociaux

Des pistes pour trouver un job d’été

UPPLÉMENTAU « MONDE » DATÉ 30 MARS 2010,N°20 273.NE PEUTÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

Chine, Inde, Brésil...Un marché du travail émerge

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L’optimisme n’est guère à la mode. La véri-table reprise économique, en France, sefait toujours attendre. Le panel des entre-

prises interrogées chaque année par l’Associa-tion pour l’emploi des cadres (APEC) sur leursprévisions de recrutement a livré pour 2010 lepire pronostic concernant les jeunes diplômésdepuis sa création : de 21 000 à 23 000 embau-ches sont prévues, soit autant que lors de larécession de 1993. A ceci près qu’à l’époque68 000 titulaires d’un diplôme de l’enseigne-ment supérieur s’étaient présentés sur le mar-ché du travail. Ils seront 120 000 en 2010… Il est pourtant inutile de se couvrir la tête decendres ou d’hiberner. Car, pendant ce temps,le monde change. Les universités, qui ont long-temps considéré que l’insertion profession-nelle de leurs diplômés n’était pas leuraffaire, s’attellent véritablement à lapréparation de leurs étudiants à la vieactive par de multiples initiatives. Surtout, la crise ouvre de nouveauxhorizons aux détenteurs d’unequalification de haut niveau… et d’ungoût certain pour l’exotisme. Alors quela croissance stagne dans les pays riches,elle se poursuit en effetdans ces pays que l’onappelle émergents. LaChine, l’Inde, le Brésil,mais aussi derrière euxune foule de nations jeu-nes, dynamiques, avides dedéveloppement et de consom-mation, comme la Turquie, l’E-gypte, le Maroc, l’Indonésie, leMexique, ont généré des entreprisesgéantes dans tous les secteurs d’ac-tivité possibles. Pendant que les fir-mes occidentales se contractent,gelant investissements et embau-ches, pour mieux affronter lacrise, leurs concurrentes du Suds’internationalisent. La Chine vient par

exemple de signer avec l’Egypte l’implantationà Ain Soukhna, au bord de la mer Rouge, d’unesixième zone franche économique quiaccueillera des entreprises chinoises du texti-le, de l’automobile et de l’informatique : 180usines, 40 000 emplois à la clé pour l’Egypteet, pour les entreprises chinoises, le bénéficedes tarifs préférentiels accordés par les Etats-Unis et l’Europe aux exportations… égyptien-nes. Mais les multinationales émergentes ne secontentent pas de cette approche indirecte desmarchés occidentaux. Elles s’y implantentdirectement, soit sous leur propre nom, soit enfaisant tomber dans leur escarcelle des

marques connues, mais fragilisées par lacrise. L’aciériste indien Mittal avait

lancé le mouvement en 2006avec le rachat du franco-

luxembourgeois Arcelor ;d’autres ont suivi : lesindiens Tata Motors et

Tata Steel ont racheté,pour le premier les anglaisJaguar et Land Rover et pourle second l’anglais Corus ; lesChinois Geely et BAIC respec-

tivement les suédoisVolvo et Saab, etc.

Au fil des ans, de plusen plus de jeunesingénieurs et mana-gers français serontrecrutés par desentreprises dont les

dirigeants se situentà Pékin, New Delhi ou

Sao Paulo. Il va falloir sefamiliariser avec des noms,des cultures, des pratiquesmanagériales nouvelles. Le

monde bascule vers le Sud.

Antoine Reverchon

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édito

Basculement

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L’avenir passe parle Sud page 8

a La rude conquête du « Far East »page 10

a Entretien avec George Li, directeurdu cabinet de recrutement chinois Bo Le page 12

a La chasse aux cadres supérieurs brésiliens page 13 a Les sociétés indiennes s’arrachent les diplômés page 16a A l’étranger, les groupes français jouent la carte locale page 18

Mes collègues sont-ils mes amis ? page 22a Entretien avec Sylvie Sanchez-Forsans, psychologue du travail page 26

Payés pour ne pas travailler... chez le concurrent page 27

L’entreprise, autrement page 30a Wecena ou le mécenat de compétences page 32a Le service civil boudé par les étudiants page 34

Les DRH accros au « serious game » page 36

Universités : objectif emploi page 38 a Aix-Marseille, Bordeaux, Lille et Limoges, quatre BAIP dans le vent page 40a Redorer le blason des thésards page 42a Finance et dépendance page 44a Entretien avec Alain Renaut, philosophe page 46a La voie royale de l’apprentissage page 48

Du bon usage des réseaux page 50a Un puissant moteur pour les employeurs page 52a Entretien avec Dominique Cardon, sociologue page 54

Les jeunes cadres, angle mort syndical page 56

Design et recherche main dans la main page 61

Les jobs d’été n’échappent pas à la crise page 64a Entretien avec Katherine Khodorowsky, directrice de la communication du CIDJ page 66

Sommaire

Président du directoire, directeur de la publication : Eric Fottorino. Coordination rédactionnelle : Antoine Reverchon, Pierre Jullien.

Direction artistique : Sébastien Contocollias. Rédacteurs en chef techniques : Christine Laget, Alex Monnet (adjoint). Edition : Mathias Hosxe.

Illustrateurs : Jean-Michel Perrin, Nicolas Vial, Patrice Killoffer, Laurent Parienty

Publicité : Brigitte Antoine, Dominique Monet-Vincent. Fabrication : Philippe Seguin. Imprimeur: Brodard, Coulommiers.

SONDAGEDonnez-nousvotre avis sur« Campus » Voir p. 63

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Briefing

Le ministère de l’enseignement supérieur estime à37 000 le nombre de personnels non titulaires,c’est-à-dire n’ayant pas le statut de fonctionnaire,dans le supérieur et la recherche, selon le rapport2009 sur « L’état des lieux de l’emploi scientifique »(www.enseignementsup-recherche.gouv.fr). De son

côté, une intersyndicale de 19 organisations dusupérieur et de la recherche a estimé de « 45 000 à50 000 », dans les 83 universités françaises et lesorganismes de recherche, le nombre de précairesdans l’enseignement supérieur et la recherchepublics (www.precarite-esr.org).

Brosse à reluire ouperformancePlus d’un salarié interrogé sur trois (35 %) penseque le favoritisme constitue l’élément principalsur lequel se base son entreprise pour récom-penser les employés, le positionnant juste avantle critère même de performance (33 %), selon lesrésultats d’une enquête menée récemment parMonster auprès de 1 685 salariés français, du 23novembre au 6 décembre 2009, sur le site deMonster France, leader mondial de la gestion decarrière et du recrutement en ligne.

Des étudiants lillois fontla grève des loyers Pour protester contre l’insalubrité et la hausse ducoût des logements universitaires, environ300 étudiants occupant des chambres dans qua-tre résidences universitaires à Lille et Villeneuve-d’Ascq (Nord) ont décidé de ne pas verser leurloyer de février au Crous.

La formation : un bénéficeemployeurs-employésUne étude intitulée GoToTraining, qui a porté sur308 entreprises françaises et 1 000 salariés,publiée le 17 février par Citrix, indique que prèsde 90 % des salariés interrogés pensent que lesopportunités de formation sont importantespour leur carrière. 54,2 % affirment même qu’ilsprendraient en compte cet avantage dans larecherche d’un nouvel emploi. Point de vue par-tagé par plus de 80 % des employeurs. Les bénéfi-ces les plus visibles sont l’augmentation des com-pétences du personnel (39 %) et l’amélioration deleur moral et de leur loyauté (19,4 %).

L’Inde et la Chine adeptesdes nouvelles technologiesLa jeune génération bouscule les pratiques technolo-giques des entreprises en Chine et en Inde. Une étuded’Accenture (qui s’appuie sur un sondage réalisé auprèsde plus de 5000 étudiants et jeunes actifs dans treizepays à travers le monde), révèle que les nouveauxembauchés et les étudiants issus de la «génération Y»–âgés de moins de 28 ans– recourent beaucoup plusaux technologies de l’information en Chine et en Inde

que dans le reste du monde. L’utilisation de ces nou-velles technologies par les jeunes Chinois au travailreprésente en moyenne près de 34heures par semai-ne, contre à peine 11heures dans le reste du monde.Côté loisirs, les jeunes Chinois consacrent en moyenne14,8 heures par semaine aux jeux vidéo (contre 3,4-heures dans le reste du monde), 5,1 heures au shop-ping en ligne (contre 1 heure ailleurs), et 5,3 heures auxenvironnements virtuels (contre 0,4 heure dans lesautres pays). Une forte proportion de répondants en France, en Bel-

gique, aux Pays-Bas et en Italie considèrent que la tech-nologie exige trop de temps. Cette perception négati-ve en Europe de l’Ouest peut s’expliquer par la diffi-culté d’accéder à des outils performants. Seuls 18% à21 % des jeunes interrogés dans ces pays estimentdisposer des moyens technologiques dont ils ontbesoin au travail. 72 % des répondants en Inde, 52 %aux Etats-Unis et 45 % en Chine déclarent que l’utili-sation d’équipements dernier cri dans une entreprisereprésente un élément important pour le choix dulieu de travail.

DyscalculieEn France, près de deux millions d’adultes, soittrois fois plus que d’enfants, éprouvent de pro-fonds problèmes de calcul, selon une récenteétude du professeur de psychologie de NancyJean-Paul Fischer, qui qualifie la dyscalculie demaladie du siècle. Elle se définit par deux critè-res: d’abord, avoir des difficultés dans le raison-

37000nement numérique ; ensuite, être significative-ment meilleur en français, avoir des difficultésspécifiquement en maths. Sur un échantillonde plus de 10 000 personnes, âgées de 18 à65 ans, 2,95 % réunissent les deux critères. « Onleur demande par exemple la différence de tem-pérature entre – 5°C et 15°C: 20% répondent10°C », note Jean-Paul Fischer.

En 2010, 130 000 à 138 000 cadres devraient être recrutés, un chiffre en baisse comprisentre 10 % et 4 % par rapport à 2009 (–28 % en 2009 par rapport à 2008). Les débutants (moins d’unan d’expérience) seront en première ligne : les recruteurs devraient baisser de –20% à –27% leursembauches de jeunes diplômés au statut de cadre. En revanche, ils devraient favoriser les embau-ches de jeunes cadres (entre une et cinq années d’expérience) et de cadres confirmés (plus de cinqans d’expérience). Plus de huit recrutements sur dix concerneraient des cadres ayant plus d’un and’expérience, alors qu’à peine 16% concerneraient les débutants.

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Un accord a été conclu, le 14 janvier, entre l’uni-versité de Strasbourg, la direction régionale dela jeunesse et des sports, le Centre régional d’é-ducation populaire et de sport (Creps) et lafaculté des sciences du sport, destiné à amélio-rer l’accueil et les conditions d'étude de ses étu-diants sportifs de haut niveau.Ses étudiants identifiés « athlètes de hautniveau » pourront ainsi bénéficier de mesuresspécifiques concernant l’hébergement, l’amé-nagement des études, le soutien pédagogiqueet la valorisation universitaire des résultatssportifs. En contrepartie, ils devront notam-ment s’engager à porter les couleurs de l’uni-

Les Français et les languesA peine 34,4 % des étudiants français soumis autest d’anglais professionnel TOEIC dans unefilière bac+2 ont le niveau demandé au bac,selon l’organisme certificateur ETS Global,concepteur des tests TOEIC et TOEFL, à l’occa-sion du Salon Expolangues organisé en février àParis. « Ce n’est pas satisfaisant, car, dans cesconditions, il faut que les entreprises payentpour la mise à niveau de leurs collaborateurs »,indique Alain Daumas, directeur France d’ETSGlobal.

Etudiants à la question130 000 étudiants sont invités à répondre à unquestionnaire sur Internet jusqu’en juin sur lesconditions de vie des étudiants, lancé par l’Ob-servatoire national de la vie étudiante (OVE). Lequestionnaire en ligne de l’enquête, accessibleaux étudiants retenus dans l’échantillon(130 000), « abordera tous les aspects de la vieétudiante », souligne l’OVE.

Evénements et Salonsétudiants1155 aavvrriill :: Salon du recrutement et de l’emploiinformatique « Lesjeudis.com » à Paris, auCNIT - Paris - la Défense (www.lesjeudis.com).44 mmaaii :: 60e Carrefour des carrières commercia-les, à Paris, Espace Champerret(www.jobrencontres.fr).1111 mmaaii :: Job Fair d’Assas, à Paris, au Palais Bron-gniart-Bourse de Paris. Rencontre avec les pro-fessionnels du droit, de la gestion, des scienceséconomiques et des médias, en partenariatavec Le Monde (www.jobfair-assas-lemonde.fr).88 jjuuiinn :: Salon européen de l’ingénieur, au CNIT -Paris - la Défense.88 jjuuiinn :: Salon des 10 000 emplois, à Paris, Espa-ce Champerret (www.jobrencontres.fr).JJuuiilllleett :: Salon de l’étudiant, Espace Champerret,Paris (www.letudiant.fr).88--99 sseepptteemmbbrree :: Salon de la rentrée, à LilleGrand Palais (www.lavoixletudiant.fr).1133--1155 sseepptteemmbbrree :: Conférence IMHE (Institutio-nal Management in Higher Education) « L’Enseignement supérieur dans un mondeen profonde mutation. Faire plus avecmoins ». Organisée dans le cadre du centre deconférences de l’OCDE, 2 rue André-Pascal,75016 Paris (www.oecd.org/edu/imhe/generalconference).

Toujours plus de diplômésSelon l’édition 2009 de « Regards sur l’éducation »publiée par l’OCDE, le nombre des diplômés del’enseignement universitaire ou de l’enseigne-ment supérieur a augmenté, en moyenne, dansles pays de l’OCDE de 4,5 % par an entre 1998 et2006. En Irlande, en Pologne, au Portugal, enEspagne et en Turquie, cette hausse s’est élevée à7 % par an ou plus. Ainsi, en 2007, un tiers des

individus âgés de 25 à 34 ans dans les pays de l’OC-DE étaient titulaires d’un diplôme de niveau uni-versitaire. Au Canada, au Japon et en Corée, ce rap-port était d’un sur deux. Selon ce rapport, lesjeunes qui mettent un terme à leur scolarité àl’âge minimum légal sans avoir trouvé un emploiont plus de risques de connaître une longuepériode sans travail. Dans la plupart des pays, plusde la moitié des jeunes de 25 à 34 ans faiblementqualifiés et au chômage sont des chômeurs delongue durée (www.oecd.org/edu/rse2009).

versité lors des compétitions universitaires.A ce jour, 44 étudiants ont déposé un dossierde haut niveau. Deux d’entre eux préparentles Jeux Olympiques de Londres en 2012 (en tiret en aviron) et 60 % sont inscrits en filièreSciences et techniques des activités physiqueset sportives (Staps). Par ailleurs, l’école de management de Stras-bourg a annoncé le mois dernier qu’elle s’ap-prêtait à lancer en 2010 un nouveau MBApour former des gestionnaires et dirigeants declubs ou fédérations sportifs, un cursus quis’adresse aussi aux sportifs de haut niveaudésireux de se reconvertir.

Pari sportif à Strasbourg

51 %Les femmes disposentdésormais d’une meilleu-

re formation que les hommes, selonune étude de l’Insee publiée le23 février. « En 1984, seulement 19 %

des garçons et 20 % des filles entrésdans la vie active depuis moins de sixans possédaient un diplôme de l’ensei-gnement supérieur. En 2008, 37 % desgarçons et 51 % des filles sont diplômésde l’enseignement supérieur. »

25 % Près d’un diplômé sur qua-tre au niveau bac+2 ou +3

ne tire pas de profit direct de ses étudessupérieures, selon une étude de l’Edhec.Le rendement économique des études

n’est pas croissant avec le nombre d'an-nées. Les formations les plus valorisées,conduisant à la meilleure insertion pro-fessionnelle se situent à bac+2 (pour lesfilières les plus professionnelles) etbac+5 (pour les les plus prestigieuses).

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Campus de l’université Robert Schumann, à Strasbourg

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Emploi Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

Les économies émergentes ne semblent pas connaître la crise. Leurs firmemassivement et cherchent à s’offrir les services des diplômés occidentaux pou

L’avenir passe par

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Il va falloir commencer à apprendre leurs noms.Ils s’imposeront vraisemblablement dans les dixans à venir, via les annonces d’offres d’emploi desjournaux et des sites Internet, lors des salons derecrutement et des « amphis-retapes » sur les

campus. Geely, Huawei, Vale, Mahindra, Reliance, SAIC,Baosteel, Petrobras. Ce sont quelques-uns des pro-chains champions chinois, indiens et brésiliens del’économie mondiale.Tandis qu’en France la crise tarit les recrutements dejeunes diplômés – l’Association pour l’emploi des cadres(APEC) prévoit que 2010 sera pour eux la « pire » jamaisconnue, avec 21 000 à 23 000 recrutements pour120 000 diplômés se présentant sur le marché du tra-vail –, quelques chiffres « exotiques » font rêver : TataConsultancy Services, l’une des plus importantes socié-tés de services informatiques indiennes, annonce30 000 recrutements de cadres entre mars 2010 et mars2011, ses concurrents Infosys et Wipro respectivement24 000 et 7 500… Au Brésil, les entreprises du génie civilet de l’énergie craignent de ne pouvoir remplir les objec-tifs de construction d’infrastructures projetés, fauted’un nombre suffisant d’ingénieurs. En Chine, lesgrandes firmes commencent à recruter des cadres occi-dentaux pour forcer les portes des marchés extérieurs.Il ne faudrait cependant pas imaginer qu’un nouveleldorado s’ouvre tout à coup aux ambitions des jeunescandidats. Car ces « multinationales » obéissent à leurspropres logiques, mariant des traditions locales et devéritables stratégies managériales inédites, qui offrentà la fois obstacles et opportunités aux cadres de forma-tion et de culture occidentales. Pour Joël Ruet, chercheur au Centre d’études de laChine contemporaine, à Hongkong, président de l’Ob-servatoire des émergents et chroniqueur au « MondeEconomie », il existe ainsi de grandes différences entreles possibilités offertes par les entreprises chinoises etindiennes. Les grandes sociétés indiennes usent déjàde nombre d’outils de recrutement connus en Occi-dent, comme les cabinets de chasseurs de tête, lesannonces sur Internet, les partenariats avec les uni-versités. Elles recherchent des diplômés double cursus,dotés d’une formation technique immédiatement sui-vie d’une formation au management, de préférence unMBA. Etant donné la pénurie de diplômés desmeilleures universités indiennes, la concurrence entrerecruteurs est exacerbée et le turn-over élevé : aussi,nombre d’entre eux offrent d’emblée aux jeunesrecrues d’importantes responsabilités et des perspec-tives de carrière. Les entreprises indiennes préférerontle plus souvent un Indien revenant au pays après une

formation aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni à unoccidental « de souche », sauf pour des fonctions extrê-mement spécialisées ou certains postes de direction.En revanche, elles recruteront quasi exclusivement descadres locaux pour leurs activités à l’étranger, afin des’épargner les coûts d’expatriation.Les firmes chinoises, poursuit Joël Ruet, fonctionnentdifféremment : elles préfèrent les profils techniques etdotés d’une première expérience, plutôt que des mana-gers ou des débutants. Surtout, elles sont encore trèspeu ouvertes au recrutement d’occidentaux, sauf pourquelques rares postes de dirigeants très expérimentés,qui auront souvent pour rôle de former et coacher unéquivalent chinois, afin de le préparer à affronter legrand large des marchés étrangers. Lorsqu’elles s’im-plantent soit dans une autre province, soit à l’étranger,les entreprises chinoises recrutent des cadres locaux. Al’étranger, cependant, une proportion plus ou moinsimportante de cadres sont directement expatriés depuisla Chine, en fonction du vivier disponible sur place.Au Brésil, la situation faite aux occidentaux est encoredifférente, explique Frédéric Donier, patron français deCrescendo, une société de conseil installée à Sao Paulo.Tout d’abord, le cumul d’un diplôme local et d’un diplô-me occidental est fortement valorisé. Même si le recoursaux cabinets de chasseurs de tête, aux partenariats avecles universités et aux réseaux sociaux professionnels,comme LinkedIn, est de plus en plus fréquent, la prin-cipale porte d’entrée dans une grande firme brésilien-ne reste la recommandation par un salarié en place :celui-ci peut même être rémunéré à cet effet. La confian-ce est en effet le premier critère de recrutement pourdes firmes dont l’actionnariat et le management sontencore souvent familiaux. Pour les activités à l’étranger,les firmes brésiliennes privilégient le recrutement local,mais placent à leur tête soit des cadres expatriés, soitdes managers très expérimentés, étrangers ou brési-liens, débauchés ailleurs.Au final, pour un jeune diplômé français, rejoindre unemultinationale d’un pays émergent paraît plus facilevia une filiale ou une implantation européenne. Lerachat du sidérurgiste Arcelor par l’indien Mittal, en2006, n’était qu’un avant-goût d’un mouvement quis’amplifie. Dans les années qui ont suivi, les construc-teurs automobiles chinois Geely et SAIC ont rachetérespectivement Volvo en Suède et Land Rover auRoyaume-Uni. Renault et l’indien Mahindra sont deve-nus partenaires. Les chinois Huawei et ZTE se sontimplantés directement en France. Les occasions nemanqueront donc pas.

Antoine Reverchon

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Emploi

« J’étais le premier Occidental à les rejoindre, uncas d’autant plus exceptionnel qu’ils me recru-taient en tant que “general manager”, raconte cecadre expérimenté, qui a commencé sa carrièreil y a vingt ans dans la logistique. Depuis, noussommes cinq étrangers. » Une goutte d'eau. Car si Pékin a annoncé dans le Quotidien du Peupledu 26 janvier que 500 000 étrangers travaillaientlégalement en Chine, les visages blancs restent

Shanghaï, correspondance

Frédéric Houdoyer, le crâne rasé, la veste ajus-tée et l’air rassurant du manager qui sait cequ’il veut, s’est fait débaucher d’une PME

française de logistique installée en Chine par lenuméro un local du secteur, Sinotrans-CSC, quiemploie 100 000 personnes et dont cinq filialessont cotées en Bourse. C’était il y a deux ans.

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Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

La rude conquêtedu « Far East » Les Occidentaux, encore rares dans les entreprises chinoises,

sauf chez celles qui s’étendent à l’international, se heurtent à

la maîtrise de la langue et des réseaux relationnels

rares parmi les cadres des sociétés chinoises. Pour-tant, celles-ci cherchent de plus en plus à recruterailleurs : elles représentent maintenant 23 % dela clientèle du cabinet de recrutrement Bo Le, alorsqu’il y a cinq ans, elles atteignaient à peine 2 %. Apartir du moment où elles dépassent un milliardd’euros de chiffre d’affaires annuel ou qu’elless’installent sur des marchés internationaux, ellesont besoin de dirigeants, de directeurs financierset d’équipes resources humaines (RH) étofféespour les aider à organiser leur croissance. Il faut dire que ces entreprises privilégient lescadres asiatiques, de Hongkong ou Singapour, ouencore les Chinois ayant étudié à l’étranger. Ceux-là maîtrisent mandarin et anglais et connaissentles marchés étrangers. Ils sont aussi plus facile-ment prêts à « s’exiler » dans des sièges sociauxsouvent situés hors de Pékin ou de Shanghaï.Ainsi, si le constructeur automobile Chery affir-me que la nationalité de ses ingénieurs « impor-te peu », il n’a réussi à attirer que des Chinoisayant étudié à l’étranger à Wuhu, située à cinqheures de Shanghaï en train. Enfin, les sociétéschinoises ont du mal à confier un pouvoir déci-sionnel à un « laowai » («diable d’étranger»).Après un an chez Sinotrans-CSC, Frédéric Hou-

doyer a demandé à ne plus être manager. « Entant qu’étranger, on n’a pas de pouvoir de décision.On peut proposer, mais pas plus, sinon on risquel’inaction ou le conflit. » Il est désormais consul-tant permanent en charge du développementdans cette société. « Paradoxalement, je crois quecela m’offre plus d’influence et de visibilité. »Les Occidentaux peuvent en revanche avoir leurschances dans une société qui va se faire coter enBourse et cherche à internationaliser son conseild’administration pour rassurer les investisseurs.Le fabriquant électronique Delixi a passé à ceteffet des petites annonces. De même, pour cer-tains postes pointus : « Peu importe la nationa-lité, c’est l’expertise qui compte », affirme-t-onchez ChinaJob, un cabinet de conseil basé à Shan-ghaï qui organise des foires à l’emploi pour étran-gers. En octobre 2009, une cinquantaine de socié-tés ont ainsi recruté 600 emplois très techniques,en énergie et environnement notamment. C’esten raison de son expérience de manager de chan-tiers internationaux que Jean-Pierre Fouilleul aété embauché il y a sept ans par une branche de la China State Construction, la plus grande entre-prise de construction de Chine. « Ils m’ontdemandé de former de jeunes ingénieurs chinoisqu’ils envoient à l’étranger, explique-t-il. Et je par-

Les sociétés chinoises ont dumal à confier un pouvoirdécisionnel à un « laowai »,un «diable d’étranger»

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12 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

ticipe aux discussions lorsque des clients étran-gers nous contactent. »Cet ingénieur, qui a fait toute sa carrière dans lebâtiment, a été débauché après avoir longtempsété observé par la China State Construction. « EnChine, le relationnel est primordial », explique-t-il.Les « guanxi » (relations) qui peuvent vous recom-mander sont essentielles, et même incontour-nables dans le cas des sociétés d’Etat (SOE) commeSinotrans-CSC ou China State Construction. Lesgrandes entreprises privées, elles, s’en remettentplus facilement aux cabinets de recrutement. Toutce qui démontre un attrait du candidat pour laChine – une expérience passée, la maîtrise du man-darin, une épouse chinoise – est un plus.Mais la principale opportunité pour un Occidentalde travailler pour une firme chinoise est offertepar les multinationales chinoises qui s’implan-tent… en Occident. Car, contrairement aux Japo-

nais qui, dans les années 1980 expatriaient toutleur management, les Chinois commeAlibaba.com ou Lenovo s’appuient fortement surles locaux. La branche française de l’équipemen-tier télécom Huawei, 320 salariés, compte 56 % de

Marc Violo, 25 ans, chef de produit chezTencent (troisième plus important

acteur de l’Internet après Google et Amazonen capitalisation boursière) est l’exceptionqui confirme la règle. Arrivé à Shanghaïcomme stagiaire de l’école de commerce lil-loise, l’IESEG, il convainc Tencent de l’em-

baucher dix-huit mois plus tard pour créerune plate-forme destinée aux expatriés.Seul étranger parmi les 600 salariés de labranche shanghaïenne, il dit avoir eu beau-coup de chance : « Un de mes amis cherchaiten finance. Après deux petits boulots en huitmois, il n’a rien trouvé et va repartir. La maîtri-se du chinois, à notre niveau, est essentielle. »La plupart des jeunes diplômés qui rêventdu « Far East » se heurtent à une concur-rence exacerbée avec les diplômés chinois…et la difficulté à obtenir un visa de travail.

C. N.

Un rêve souvent inaccessible auxjeunes diplômés

Français, tous recrutés en France. « Les Françaissont présents dans le management car ils ont unevision plus internationale que les cadres envoyésde Chine », note Christian Paquet, vice-présidentde Huawei France, lui-même embauché pourassister le patron de pays, envoyé de Shenzhen.« Notre patron de filiale est français, et le ratio estde 60 salariés français pour 40 Chinois, expliqueKarine Sudan, directrice des RH de ZTE France,concurrent de Huawei. Notre objectif est de parve-nir à 80 % de Français : le siège sait qu’il est impor-tant de connaître ses clients, surtout dans un sec-teur aussi technique. Et donc d’embaucher deslocaux qui ont déjà approché Orange, SFR ouBouygues. » Cinquante embauches sont prévuespour 2010. « Je privilégie les recommandations quiremontent en interne, précise la DRH. Nous allonsposter des offres dans les moteurs de recherche

George Li, directeur du cabinet de recrutement de cadres Bo Le

« Les firmes chinoises ont du mal à faire confiance aux étrangers »Quels types de cadres les multinationaleschinoises recherchent-elles ?Pour les aider à gérer leur croissance, elles ontbesoin de cadres dirigeants qui ont une connais-sance pointue du marché, des finances, desfusions et acquisitions ; d’ailleurs, lors des entre-tiens de recrutement, on leur demande de dres-ser des « business plans » et d’exposer leurs vuessur l’avenir des entreprises. Quelle que soit leurnationalité, il faut que ces cadres aient une expé-rience dans une société étrangère. A des postesintermédiaires, il y a encore un grand manque degens talentueux et expérimentés ; les opportu-nités sont nombreuses pour les Occidentaux déjàprésents en Chine et qui ont des connaissances

précises : en parfumerie, en chimie du goût, dansla mode ou le marketing.

Y a-t-il une place pour des cadres dirigeantsoccidentaux dans les entreprises chinoises ?Les sociétés locales ont des difficultés à embau-cher un PDG occidental : elles savent qu’elles ontbesoin de plus de professionnalisme, mais ont dumal à faire confiance, à laisser réellement prendreles commandes de l’entreprise. Généralement,elles embauchent un Occidental pour assister unPDG chinois. Elles privilégient les titulaires d’unMBA – car souvent les fondateurs de ces entre-prises eux-mêmes en ont un. Quant aux entre-prises d’Etat, où le contexte est très politique, elles

n’embauchent quasiment pas de Blancs, elles pré-féreront faire appel ponctuellement à des cabi-nets internationaux de conseil en stratégie.

Un cadre étranger peut-il imaginer faire carriè-re au sein d’une entreprise chinoise?Le passage d’un cadre étranger dans une sociétéchinoise ne dépasse pas cinq ans pour un postede dirigeant, et une dizaine d’années pour ceuxqui occupent des postes plus techniques – et ceci,même pour les Asiatiques. Les entreprises chi-noises ont tendance à remplacer, dès qu’elles lepeuvent, les étrangers par des nationaux.

Propos recueillis par C. N.

« Les Français sont présentsdans le management carils ont une vision plusinternationale que les cadresenvoyés de Chine »

d’emploi et sur le site de l’Association pour l’emploides cadres (APEC), puis éventuellement, nous pas-serons par des chasseurs de tête. » ZTE recrute aussisur les campus, à Télécom-Paritech notamment.

Carrie Nooten

Pour en savoir plus:Un blog plein de conseils :http://chine-experience.over-blog.com/

Site des foires à l'emploi pour étrangers :http://jobfair.chinajob.com/

Moteurs de recherche d'emploi chinois : http://www.51job.com/http://www.chinahr.com/index.htm

Page 10: Chine, Inde, Brésil

mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

O13Emploi

Rio de Janeiro, correspondant

Assis à son bureau, Ricardo Guedes jouitd’une vue imprenable sur le Pain de Sucre,joyau naturel de Rio de Janeiro. Ce jeune

économiste (32 ans) dirige l’une des cinqantennes brésiliennes du cabinet de recrutementMichael Page International. Son cadre de travail, un immeuble haut degamme, bénéficie du privilège d’être à la foisesthétique et stratégique. Il abrite, sur plusieursétages, le siège de la holding que préside EikeBatista, l’homme d’affaires le plus riche du pays.Avoir ses clients pour voisins d’ascenseur est plu-tôt un atout pour un « chasseur de têtes ».Rarement les professionnels du secteur aurontautant mérité ce nom. Il s’agit bien d’une chas-se, dans tous les domaines et à tous les échelons,du maçon au cadre supérieur. Porté par l’élan desa forte croissance, le Brésil manque depuis plu-sieurs années d’une main-d’œuvre qualifiée. En 2009, la crise avait détendu un peu le marchédu travail. En 2010, l’offre d’emploi dépasse ànouveau, et de loin, la demande. Les entreprisesrecherchent désespérément des « global mana-gers » en gestion, marketing ou ressourceshumaines, capables de se mesurer, dans l’arènemondiale, à leurs homologues occidentaux.La pénurie d’ingénieurs est la plus sérieuse. Lepays en compte six pour mille citoyens écono-miquement actifs, contre vingt-cinq aux Etats-Unis ou au Japon. Il en forme 20 000 par an,alors qu’il a besoin du double. « Beaucoup d'in-génieurs sont des migrants, explique RicardoGuedes. Ils ont, dans le passé, déserté la profes-sion pour laquelle ils avaient été formés, fauted’une demande suffisante ou intéressante, quiexiste aujourd'hui. » D’où de gros manques danscertains secteurs comme le pétrole ou laconstruction civile. Plus du quart des contratsconclus à Rio via Michael Page concernent desingénieurs. Plus d’une recrue sur quatre rejointle secteur pétrolier et gazier.

La chasse aux cadres supérieurs brésiliensIngénieurs et managers manquent pour accompagner l’expansion économique. Si le recours

aux cabinets de recrutement et aux « amphis-retapes » va croissant, la cooptation reste

la principale porte d’entrée.

Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

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14 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

La demande va rester forte, à en juger par lalongue liste d’investissements publics et privésprogrammés pour les prochaines années danstous les domaines : infrastructures, pétrole eneau profonde, hydroélectricité, logement, assai-nissement, agro-négoce, environnement. Sans oublier les besoins générés par les deuxgrands événements sportifs planétaires : laCoupe du monde de football organisée au Bré-sil en 2014 et les Jeux Olympiques de Rio en2016. Selon les professionnels, seule la mise enplace d’un plan national de formation des ingé-nieurs par le ministère de l’éducation permet-tra, à moyenne échéance, de surmonter ce han-dicap, l’un des freins à la croissance.Les méthodes de recrutement varient au grédes besoins et des entreprises. Pour les cadresde haut niveau, le recours aux chasseurs de têteest quasiment la règle : « Dans 80 % à 90 % descas, on fait appel à des gens comme nous »,assure Ricardo Guedes. Les cabinets se spécia-lisent par « niches » (ingénierie, finances, droitfiscal, etc.). Chaque fois qu’elles le peuvent, les entreprises,brésiliennes ou multinationales, préfèrent

Les entreprises investissent de plus enplus dans la formation interne. « C’est

une vraie révolution culturelle », observel’ancien ministre de l’économie, AntonioDelfim Netto. C’est aussi une manière, pour lesemployeurs, de combler en partie et après-coup les carences d’un enseignementpublic – primaire et secondaire – jugémédiocre. 15 % des entreprises ont leurpropre « université », autant ont l’inten-tion d’en créer une avant trois ans. Le Bré-sil dépense 810 dollars par an pour la for-mation de chaque travailleur, soit, enchiffres absolus autant qu’en Europe etaux Etats-Unis. Ce qui demeure toutefoisquinze fois inférieur, en proportion, auchiffre d’affaires : 0,18 % contre 2 à 3 %. AuBrésil, 52 % du budget de formation profi-tent aux cadres, contre 36 % en Europe. Ledéveloppement d’Internet a dopé la for-mation « on line ». 59 % des entreprisesmélangent la formation « on line » et laformation traditionnelle.

J.-P.L.

Le boum des universités d’entreprise Recommandation avec

obligation de résultats

embaucher des citoyens du pays. Pour plu-sieurs raisons : maîtrise de la langue, meilleureconnaissance du milieu ambiant, limitation descoûts d’expatriation et difficulté d’obtenir cer-tains visas de travail.

Les grandes entreprises et les banques d’Etat,comme Petrobras ou la Banque nationale dedéveloppement économique et social (BNDES),recrutent par le biais des concours publics. « Cesépreuves sont très sérieuses. Elles sont un héritagede la rationalisation administrative introduitedès les années 1930-1950 », rappelle le professeurBianor Cavalcanti, directeur international de laFondation Getulio Vargas. Au sommet de ces établissements publics ouparapublics, comme de certaines compagniesprivées considérées comme « stratégiques », lechoix des directeurs est, en partie, politique. Iltient compte des subtiles relations entre partis,

dans un pays fatalement gouverné par une coa-lition, mais aussi du respect des équilibres régio-naux, dans cette immense fédération. Les entreprises familiales, de loin les plus nom-breuses, continuent de privilégier les élémentshumains – confiance, liens familiaux ou ami-caux – que le professeur Cavalcanti appelle le« facteur tropical », plutôt que les diplômes. Ellesfavorisent la cooptation, fruit de la solidité desréseaux. Certains dirigeants préfèrent rester« entre soi » pour décourager la curiosité du fisc.Tout est bon pour rechercher des candidats enpériode de pénurie : si Internet et les forumsde recrutement prennent le pas sur lesannonces de presse, les universités deviennentun vivier de plus en plus fréquenté pourl’« amphis-retape » : des DRH s’invitent pardizaines sur les campus lors de journées d’in-formation. « Nous allons directement dans legrenier universitaire, raconte Luiz EduardoRubiao, patron de Chem-tech, société qui formedes ingénieurs pour de gros clients commePetrobras ou Vale. Nos équipes identifient lesprofils professionnels recherchés, dans le cadrede partenariats noués avec les universités. »L’important, conclut-il, « c’est de conquérir lecœur des jeunes le plus tôt possible ».

Jean-Pierre Langellier

Les sociétés familialescontinuent de privilégier les éléments humains plutôtque les diplômes

La majorité des Brésiliens, cordiaux parnature, placent les liens de famille etd’amitié au dessus du reste. Nombre d’en-

treprises valorisent ce trait culturel dans leurpolitique de recrutement. Certaines en ontmême fait une véritable philosophie. C’est le casd’Odebrecht, le géant du génie civil, fondé en1944 (85 000 salariés dans 18 pays). « Chez nous,on ne fait pas appel aux chasseurs de tête »,déclarait fièrement, en février 2010 au quoti-dien Estado de Sao Paulo, le président de la com-pagnie, Marcelo Odebrecht, avant d’ajouter :« Pour moi, le plus important, c’est la recom-mandation. Lorsqu’on a le caractère qu’il faut, lereste s’apprend. »Qu’importe alors un solide diplôme, ou un joliCV ! Mieux vaut, selon lui, consacrer son tempsà former ses cadres qu’à le perdre en procéduresde recrutement. Pourvu que les heureux élussoient dignes de confiance et manifestent l’hu-milité et « l’envie de servir » qui fondent la cul-

ture de l’entreprise. Une culture systématisée etdiffusée dans les livres écrits par son grand-père, Norberto, fondateur de la compagnie.Marcelo, 41 ans, est heureux de travailler avecles enfants et petits-enfants de ceux qu’em-ployaient déjà son grand-père et son père. Laplupart des directeurs de l’entreprise y ont faittoute leur carrière. Beaucoup viennent de l’Etatde Bahia, berceau d’Odebrecht. Mais attention,confiance ne veut pas dire complaisance ounépotisme : la rigueur d’exécution et l’obliga-tion de résultats sont « absolues ».Le patron reconnaît que la croissance interna-tionale de l’entreprise impose de plus en plusd’exceptions à son modèle de recrutement. Pourla première fois, admet-il, « nous devons embau-cher du personnel plus expérimenté ». Un prin-cipe est intangible : chaque cadre doit formerlui-même son successeur avant de prétendre à une promotion.

J.-P. L.

Page 12: Chine, Inde, Brésil

16 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi

Cinq cent mille emplois devraient êtrecréés en Inde au cours des huit pre-miers mois de l’année 2010, d’aprèsune étude publiée par le cabinet derecrutement Manpower. Grâce à une

croissance économique nationale de 7,8 % surl’année fiscale se terminant le 31 mars 2010, lesentreprises indiennes affichent les intentionsd’embauche parmi les plus élevées du monde. Tous les secteurs, de la grande distribution à lafinance en passant par l’industrie, profitent decette embellie. Mais c’est dans le domaine des ser-vices que les intentions d’embauche sont les plusélevées. D’après Manpower, 47 % des entreprisesde ce secteur envisagent d’élargir leurs effectifsau premier trimestre 2010. Même l’informatique,après une année 2009 morose, renoue avec lacroissance et devrait créer 50 000 emplois en

2010. Tata Consultancy Services, un des leadersdu secteur, a annoncé vouloir embaucher 30 000ingénieurs d’ici mars 2011, et Wipro s’est engagéà en recruter 7 500 sur la même période. Avec plus de 500 000 jeunes ingénieurs qui sor-tent chaque année des universités, les recruteursne souffrent pas d’une pénurie de candidatures.« Le plus difficile est de trouver des candidats bienformés. On estime que seulement un quart desjeunes diplômés ont une formation suffisante »,affirme pourtant Cherian Kuruvila, directeur exé-cutif de Manpower en Inde. Les rares instituts de technologie ou de manage-ment, qui forment l’élite indienne, sont donc prisd’assaut par les entreprises. Sur les campus de ces

Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

prestigieuses universités, ce ne sont pas les étu-diants qui sont sélectionnés, mais plutôt lesentreprises. Lors des forums de l’emploi qui s’éta-lent sur plusieurs semaines, celles qui proposentles offres les plus attractives sont invitées les pre-mières, mais disposent d’une journée pour recru-ter via des tests écrits et des entretiens de grou-pe. Certaines écoles situées dans des zonesreculées, comme l’Institut de management de

Shillong, organisent des sessions de recrutementpar vidéoconférence. La plupart des grandes entreprises prévoient ensui-te des formations complémentaires. La société deservices informatique Infosys, qui va recruter24 000 ingénieurs au cours de l’année fiscale2010/2011, forme ses jeunes recrues pendant18 semaines dans un centre situé à Mysore, près deBangalore. A l’issue de cette première formation,

Les sociétés indiennes s’arrachent les diplômés Grande distribution, finance, industrie et informatique, ces secteurs devraient augmenter leurs

effectifs en 2010. La préférence est donnée au recrutement local.

« Ces postes sont souvent prispar des Indiens expatriésdepuis des décennies et qui veulent retourner dans leur pays d’origine »

Page 13: Chine, Inde, Brésil

Haro sur les CV truqués

mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

O17

Dans les locaux de l’entreprise Authbridge,surveillés par des caméras et accessiblespar une porte munie de lecteurs à

empreinte digitale, des milliers de curriculumvitae, scannés et stockés dans les ordinateurs,sont protégés comme un trésor de guerre. Cha-cun rapporte entre 15 et 200 dollars à la jeunestart-up indienne qui en vérifie le contenu pour lecompte de ses clients. Entre 15 % et 20 % des CVsont truqués et le marché du background scree-ning, apparu au lendemain des attaques de Bom-bay du 26 novembre 2008, double chaque annéedans le pays. La moitié des clients d'Authbridgesont des centres d’appel travaillant avec les Etats-Unis ou des entreprises de services informa-tiques. « Les employés ont accès à des informationssensibles et doivent donc être irréprochables »,explique Ajay Trehan, directeur de Authbridge.Mais aussi les chaînes d’hôtellerie qui, depuis l’at-taque de l’Hôtel Taj à Bombay, veulent se proté-ger des infiltrations de terroristes. Chez Authbridge, chaque service est spécialisédans la vérification de l’expérience profession-nelle, ou des informations personnelles, ou duparcours universitaire. Des agents se rendent éga-lement au domicile des candidats pour vérifierleur adresse et au commissariat du quartier pourprendre connaissance de leur casier judiciaire.« Environ 8 % des CV mentionnent des fauxdiplômes et 10 % à 12 % de fausses expériences pro-fessionnelles », précise Ajay Trehan. En temps de crise, lorsque les offres d’emploi sontplus rares, les falsifications ont tendance à aug-menter. Elles concernent tous les échelons : duserveur de thé au directeur général (DG). En 2007,25 employés ont été licenciés chez Wipro et 16

chez Tata Consultancy Services parce qu’ilsavaient menti sur leur expérience profession-nelle. Le DG d’une grande firme a été congédiépar son conseil d’administration après avoirmenti sur ses diplômes. Une société de servicesinformatiques s’était aperçue qu'une de sesemployées, de retour d’un congé maladie d’unmois, travaillait moins efficacement. En fait, elleétait morte d’une pneumonie foudroyante pen-dant son congé et sa sœur jumelle l’avait rem-placée au pied levé, en lui volant son identité. Le trafic de CV est parfois très élaboré. Des socié-tés factices font payer à des candidats le droit de

mentionner une expérience professionnelle àleur nom. D’autres vendent des lettres à en-têted’entreprises prestigieuses, avec de fausses signa-tures des responsables de ressources humaines.Authbridge a récemment lancé un nouveau ser-vice : un test de détection de consommation decannabis ou de cocaïne, auquel les candidats doi-vent se soumettre. Une intrusion de trop dans lavie privée des candidats ? « Nous ne faisons quedonner les informations, c’est à notre client dedécider quoi faire », répond Ajay Trehan.

J. B.

90 % des diplômés sont sélectionnés pour en pour-suivre une seconde, de deux mois. Mais quasiment aucun candidat n’est recruté àl’étranger. « Les jeunes diplômés indiens sontdavantage flexibles et sont prêts à travailler surtous les projets, contrairement aux étrangers quiaffichent dès le départ leurs préférences », esti-me Mohandas Pai, vice-président d’Infosys encharge des ressources humaines. « Nous recru-tons des étrangers uniquement dans nos filialesinstallées en Europe ou aux Etats-Unis car ilscomprennent mieux les besoins et la culture denos clients. Nous envoyons de moins en moinsnos ingénieurs indiens à l’étranger », poursuit-il. Au siège d’Infosys, à Bangalore, quelquescadres américains viennent pour de courtespériodes afin de mieux intégrer, et respecter, laculture de l’entreprise lors du retour dans leurpays d’origine.« Les entreprises indiennes vont chercher à l’étran-ger des compétences techniques très spécialisées,ou dans des secteurs qui viennent de s’ouvrir à laconcurrence et connaissent une forte croissan-ce », observe Cherian Kuruvila. Comme parexemple le transport aérien, qui manque cruel-

Le trafic est parfois trèsélaboré. Des sociétés facticesfont payer le droit dementionner une expérienceprofessionnelle à leur nom

lement de pilotes, ou encore la grande distribu-tion, qui se développe dans le pays. L’industrie automobile, qui devrait générer5 millions d’emplois d’ici à 2012, a prévu d’em-baucher cette année 500 expatriés en prove-nance du Japon, d’Europe, et de Detroit auxEtats-Unis, indique la Société des constructeursautomobiles indiens. Les constructeurs commeMahindra & Mahindra ou bien Bajaj sont à larecherche de compétences en recherche et déve-loppement. Le 16 février, le groupe Tata anommé à la tête de sa filiale Tata Motors Carl-Peter Forster, ancien président de GeneralMotors en Europe. Récemment, les chaînesindiennes de supermarché Reliance et Birla ontdébauché des cadres de Tesco, le géant anglaisde la grande distribution. Mais « ces postes sont

souvent pris par des Indiens expatriés depuis desdécennies et qui veulent retourner dans leur paysd’origine », précise Cherian Kuruvila. Les recru-tements de cadres se font parfois par l’intermé-diaire de chasseurs de tête, mais la majoritéd’entre eux sont suggérés par les employés del’entreprise elle-même. Tandis que les grandes entreprises indiennes setournent vers l’étranger pour recruter certains deleurs cadres, les grandes multinationales occi-dentales, notamment dans les biens de grandeconsommation, commencent à embaucher dansles villes indiennes de taille moyenne. Les salairesy sont plus bas que dans les grandes métropoles,et les candidats connaissent mieux les besoinsd’un marché rural en pleine expansion.

Julien Bouissou

Page 14: Chine, Inde, Brésil

Think global, act local » (« Penser globale-ment, agir localement »). Ce credo des mul-tinationales françaises qui étendent leurs

activités dans les pays émergents vaut tout aussibien pour leur gestion des ressources humaines(RH). La tendance s’accentue : l’expatriation lais-se de plus en plus la place au recrutement decadres et d’ingénieurs du pays. Ainsi Rhodia– 13 600 salariés dans le monde – compte 416cadres au Brésil, dont seulement 4 expatriés, et230 en Chine, dont seulement 31 viennent de Fran-ce ou d’Europe. Chez Alstom, qui emploie 78 000

personnes, dont 9 000 en Chine – deuxième paysaprès la France au niveau des effectifs –, 4 000 enInde et 3 500 au Brésil, on embauche en prioritélocalement pour la réalisation des projets qui sefont sur place : « Si certaines compétences fontdéfaut, nous allons les chercher ailleurs dans legroupe, explique Nicolas Jacqmin, chargé de la ges-tion des cadres. C’est essentiellement l’expertisetechnique que nous déplaçons, car nous n’avonspas de centres d’ingénierie dans tous les pays. »Les entreprises veulent en effet des managers quiaient un ancrage dans la culture locale : « Nos

concurrents sont des sociétés très régionales, voirefamiliales, relate Alan Burnside, chargé des RH dela zone Amérique au sein de Lafarge, qui compte80 000 salariés. Nous avons besoin de cadres quiconnaissent les réseaux d’influence. Aussi avons-nous accéléré depuis trois ans le développementde l’encadrement local, même si nous sommesencore dans une phase de transition, avec unnombre assez important d’expatriés, environ800 personnes. »Mais cette politique connaît parfois des limites.Chez Thales où, sur 68 000 employés, 700 tra-

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Emploi Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

A l’étranger, les groupes français jouent la carte localePlutôt que d’expatrier des cadres depuis l’Hexagone, les multinationales françaises présentes

dans les pays émergents recrutent sur place. Quitte à multiplier les avantages de toutes natures.

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Emploi

vaillent en Chine, 370 en Inde et 300 au Brésil, onaffirme ne pas avoir de « religion absolue » en lamatière. Selon Xavier Broseta, DRH International,tout dépend de la capacité à attirer et fidéliser descadres dans les zones émergentes et… de la natu-re plus ou moins sensibles des activités : « Danscertains pays, nous confions les postes stratégiques– patron d’entité, directeur financier ou technique –

à des cadres que nous connaissons bien. Le transfertde technologie fait l’objet de longues négociations,et il faut des gens de confiance pour veiller à l’équi-libre du contrat, qui protège les intérêts de chacun. »On se bouscule donc pour attirer des talentsindiens, chinois ou brésiliens, même si la crise acalmé le jeu sur ces marchés de l’emploi aupara-vant très dynamiques. Les multinationales fran-çaises s’y trouvent en concurrence avec les grandsgroupes occidentaux, mais aussi les entreprisesdu crû qui, dans certains secteurs, deviennent desgéants. Jean-Michel Herrewyn, directeur généralde Veolia Eau – 90 000 salariés au niveau mon-dial – assure ne pas rencontrer trop de difficultésde recrutement : « Dans le secteur du traitementde l’eau, il n’y a pas de grands noms chinois ouindiens. De plus, la préoccupation environnemen-tale est partagée par les jeunes ingénieurs des paysémergents ; cela joue en notre faveur. » Mais lemanque de notoriété et la taille modeste desfiliales locales demeurent des handicaps, comme

Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

le reconnaît M. Burnside : « A l’échelle de l’Inde,nous sommes… petits ! Et il y a beaucoup de socié-tés indiennes, plus grandes et très performantes. »Rhodia tourne la difficulté en recrutant… en Fran-ce ! « Les jumelages entre universités des paysémergents et françaises font que de plus en plusde jeunes, essentiellement chinois, étudient dansl’Hexagone, raconte Yolène Coppin, DRH du grou-pe. Nous en embauchons certains chez RhodiaFrance, avec l’idée de leur proposer un poste plustard dans leur pays. »Grâce aux partenariats avec les universités, aufinancement de chaires et de programmes derecherche, les entreprises occupent le terrainauprès des jeunes diplômés. Pour les attirer et lesfidéliser, elles font valoir certains atouts, commedes rémunérations dans la fourchette haute dumarché. Ou les possibilités de développementprofessionnel, un élément de rétention efficaceauprès des « job-jumpers » chinois, toujoursprompts à changer d’employeur. « Malgré la crise,nous avons maintenu le budget des formationspour les cadres en Chine, mais nous n’avons pasaugmenté les salaires », indique Mme Coppin.Thales a, par exemple, ouvert des antennes de sonuniversité interne à Shanghaï et Abou Dhabi. Les multinationales attirent aussi les candidatsétrangers avec des perspectives de carrière. Carils ont les mêmes ambitions que leurs homo-logues français : grimper dans la hiérarchie. Enco-re faut-il que ces perspectives soient réelles :« Nous le montrons en nommant à des postes-clésdes cadres issus des pays émergents, souligneM. Burnside. Les patrons de nos entités en Inde etaux Philippines sont indiens. Le responsable dumarketing d’une société rachetée en Inde est chi-lien. Ce sont des modèles à suivre. »Les entreprises ne peuvent se contenter de décli-ner une politique RH globale, bien que pour

L’objectif d’Areva en 2009 ? Embaucher3 000 collaborateurs dans les grands

pays émergents, dont environ un millier enChine. Pour ce faire, le groupe a mis lepaquet avec une campagne de communica-tion de recrutement mondiale et simulta-née dans six régions stratégiques, dont laChine, l’Inde et le Moyen-Orient. Entre mai et octobre 2009, avec des publici-tés dans la presse et des bannières sur denombreux sites de recrutement – Naukri enInde, Baidu ou BeijingMyJob en Chine –,l’entreprise a tenté de se faire un nom dans

des pays où elle manque de notoriété : « Lesjeunes ingénieurs, qu’ils soient chinois ouindiens, sont motivés pour travailler dans degrandes entreprises connues, juge SophieCrétal, directrice du marketing ressourceshumaines (RH). Dans les pays émergents,nous devons présenter le groupe de A à Z etfaire davantage connaître notre marqueemployeur pour attirer les meilleurs candi-dats. » Avec une difficulté : mener une cam-pagne globale et au même moment dansdes pays aussi différents que l’Allemagne etla Chine, les Etats-Unis et le Moyen-Orient :« Nous avons adapté les messages aux spé-cificités et aux cultures locales mais ils’agissait aussi de montrer que noussommes un groupe international, qui offredes opportunités de mobilité aux diplômés

du monde entier, précise Mme Crétal.Aujourd’hui, l’univers des jeunes ingé-nieurs n’est pas cloisonné ; ceux des paysémergents voyagent, ont parfois étudié enEurope ou aux Etats-Unis, et ne consultentpas seulement les sites de leur pays quandils effectuent leur recherche d’emploi. Ilnous paraissait important de nous adresserà tous, où qu’ils se trouvent, et d’établir unlien de proximité. » Areva se dit satisfait del’opération. Pendant les six mois de cam-pagne, marquée par la création de sitesInternet Areva locaux dans la langue dupays, 30 000 candidatures ont été enregis-trées, soit trois fois plus qu’à la même pério-de en 2008. 27 % provenaient de Chine, 22 %du Moyen-Orient et 7 % d’Inde.

N. Q.

« Com’ » globale pour recrutement mondial

M. Broseta, cet élément soit indispensable : « Lesjeunes des pays émergents veulent être traités dela même façon que les Français ou les Allemands ;chez nous, leur carrière est donc gérée avec lesmêmes outils, comme l’entretien annuel d’activi-té et celui de développement professionnel. »Mais pour les fidéliser, les DRH mettent en placeune batterie de mesures spécifiques. En Inde,Alstom offre des primes de rétention, dont leversement est différé dans le temps : « En Chine,nous proposons également un plan d’épargneassuré à 100 % par l’entreprise », précise M. Jac-qmin. Du côté de l’Inde, certains groupes jouentla carte de la couverture santé pour le collabo-rateur… et sa famille. Au Brésil, d’autres mettenten scène la reconnaissance de la performancepar des célébrations : prix de la meilleure équi-

pe, de la meilleure innovation de l’année, etc.Quelques-uns s’adaptent aux cultures etcontraintes nationales, comme Veolia Eau qui,en Inde, accorde aux salariés du temps pour laprière. Et dans son entité de Shanghaï, ville ten-taculaire, des horaires de travail flexibles ontété aménagés pour que le personnel puisse sedéplacer en dehors des heures de pointe. « Nousavons également créé un congé particulier, leHome Leave, car les Chinois travaillant à Shan-ghai viennent souvent de provinces lointaines »,relate M. Herrewyn. Une bonne illustration du« agir localement »…

Nathalie Quéruel

Grâce aux partenariats avec lesuniversités, au financement de chaires et de programmesde recherche, les entreprisesoccupent le terrain

« Les jeunes des paysémergents veulent être traitésde la même façon que les Français ou les Allemands »

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Think global, act local » (« Penser globale-ment, agir localement »). Ce credo des mul-tinationales françaises qui étendent leurs

activités dans les pays émergents vaut tout aussibien pour leur gestion des ressources humaines(RH). La tendance s’accentue : l’expatriation lais-se de plus en plus la place au recrutement decadres et d’ingénieurs du pays. Ainsi Rhodia– 13 600 salariés dans le monde – compte 416cadres au Brésil, dont seulement 4 expatriés, et230 en Chine, dont seulement 31 viennent de Fran-ce ou d’Europe. Chez Alstom, qui emploie 78 000

personnes, dont 9 000 en Chine – deuxième paysaprès la France au niveau des effectifs –, 4 000 enInde et 3 500 au Brésil, on embauche en prioritélocalement pour la réalisation des projets qui sefont sur place : « Si certaines compétences fontdéfaut, nous allons les chercher ailleurs dans legroupe, explique Nicolas Jacqmin, chargé de la ges-tion des cadres. C’est essentiellement l’expertisetechnique que nous déplaçons, car nous n’avonspas de centres d’ingénierie dans tous les pays. »Les entreprises veulent en effet des managers quiaient un ancrage dans la culture locale : « Nos

concurrents sont des sociétés très régionales, voirefamiliales, relate Alan Burnside, chargé des RH dela zone Amérique au sein de Lafarge, qui compte80 000 salariés. Nous avons besoin de cadres quiconnaissent les réseaux d’influence. Aussi avons-nous accéléré depuis trois ans le développementde l’encadrement local, même si nous sommesencore dans une phase de transition, avec unnombre assez important d’expatriés, environ800 personnes. »Mais cette politique connaît parfois des limites.Chez Thales où, sur 68 000 employés, 700 tra-

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Emploi Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

A l’étranger, les groupes français jouent la carte localePlutôt que d’expatrier des cadres depuis l’Hexagone, les multinationales françaises présentes

dans les pays émergents recrutent sur place. Quitte à multiplier les avantages de toutes natures.

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Emploi

vaillent en Chine, 370 en Inde et 300 au Brésil, onaffirme ne pas avoir de « religion absolue » en lamatière. Selon Xavier Broseta, DRH International,tout dépend de la capacité à attirer et fidéliser descadres dans les zones émergentes et… de la natu-re plus ou moins sensibles des activités : « Danscertains pays, nous confions les postes stratégiques– patron d’entité, directeur financier ou technique –

à des cadres que nous connaissons bien. Le transfertde technologie fait l’objet de longues négociations,et il faut des gens de confiance pour veiller à l’équi-libre du contrat, qui protège les intérêts de chacun. »On se bouscule donc pour attirer des talentsindiens, chinois ou brésiliens, même si la crise acalmé le jeu sur ces marchés de l’emploi aupara-vant très dynamiques. Les multinationales fran-çaises s’y trouvent en concurrence avec les grandsgroupes occidentaux, mais aussi les entreprisesdu crû qui, dans certains secteurs, deviennent desgéants. Jean-Michel Herrewyn, directeur généralde Veolia Eau – 90 000 salariés au niveau mon-dial – assure ne pas rencontrer trop de difficultésde recrutement : « Dans le secteur du traitementde l’eau, il n’y a pas de grands noms chinois ouindiens. De plus, la préoccupation environnemen-tale est partagée par les jeunes ingénieurs des paysémergents ; cela joue en notre faveur. » Mais lemanque de notoriété et la taille modeste desfiliales locales demeurent des handicaps, comme

Dossier /Chine, Inde, Brésil : le marché du travail émergent

le reconnaît M. Burnside : « A l’échelle de l’Inde,nous sommes… petits ! Et il y a beaucoup de socié-tés indiennes, plus grandes et très performantes. »Rhodia tourne la difficulté en recrutant… en Fran-ce ! « Les jumelages entre universités des paysémergents et françaises font que de plus en plusde jeunes, essentiellement chinois, étudient dansl’Hexagone, raconte Yolène Coppin, DRH du grou-pe. Nous en embauchons certains chez RhodiaFrance, avec l’idée de leur proposer un poste plustard dans leur pays. »Grâce aux partenariats avec les universités, aufinancement de chaires et de programmes derecherche, les entreprises occupent le terrainauprès des jeunes diplômés. Pour les attirer et lesfidéliser, elles font valoir certains atouts, commedes rémunérations dans la fourchette haute dumarché. Ou les possibilités de développementprofessionnel, un élément de rétention efficaceauprès des « job-jumpers » chinois, toujoursprompts à changer d’employeur. « Malgré la crise,nous avons maintenu le budget des formationspour les cadres en Chine, mais nous n’avons pasaugmenté les salaires », indique Mme Coppin.Thales a, par exemple, ouvert des antennes de sonuniversité interne à Shanghaï et Abou Dhabi. Les multinationales attirent aussi les candidatsétrangers avec des perspectives de carrière. Carils ont les mêmes ambitions que leurs homo-logues français : grimper dans la hiérarchie. Enco-re faut-il que ces perspectives soient réelles :« Nous le montrons en nommant à des postes-clésdes cadres issus des pays émergents, souligneM. Burnside. Les patrons de nos entités en Inde etaux Philippines sont indiens. Le responsable dumarketing d’une société rachetée en Inde est chi-lien. Ce sont des modèles à suivre. »Les entreprises ne peuvent se contenter de décli-ner une politique RH globale, bien que pour

L’objectif d’Areva en 2009 ? Embaucher3 000 collaborateurs dans les grands

pays émergents, dont environ un millier enChine. Pour ce faire, le groupe a mis lepaquet avec une campagne de communica-tion de recrutement mondiale et simulta-née dans six régions stratégiques, dont laChine, l’Inde et le Moyen-Orient. Entre mai et octobre 2009, avec des publici-tés dans la presse et des bannières sur denombreux sites de recrutement – Naukri enInde, Baidu ou BeijingMyJob en Chine –,l’entreprise a tenté de se faire un nom dans

des pays où elle manque de notoriété : « Lesjeunes ingénieurs, qu’ils soient chinois ouindiens, sont motivés pour travailler dans degrandes entreprises connues, juge SophieCrétal, directrice du marketing ressourceshumaines (RH). Dans les pays émergents,nous devons présenter le groupe de A à Z etfaire davantage connaître notre marqueemployeur pour attirer les meilleurs candi-dats. » Avec une difficulté : mener une cam-pagne globale et au même moment dansdes pays aussi différents que l’Allemagne etla Chine, les Etats-Unis et le Moyen-Orient :« Nous avons adapté les messages aux spé-cificités et aux cultures locales mais ils’agissait aussi de montrer que noussommes un groupe international, qui offredes opportunités de mobilité aux diplômés

du monde entier, précise Mme Crétal.Aujourd’hui, l’univers des jeunes ingé-nieurs n’est pas cloisonné ; ceux des paysémergents voyagent, ont parfois étudié enEurope ou aux Etats-Unis, et ne consultentpas seulement les sites de leur pays quandils effectuent leur recherche d’emploi. Ilnous paraissait important de nous adresserà tous, où qu’ils se trouvent, et d’établir unlien de proximité. » Areva se dit satisfait del’opération. Pendant les six mois de cam-pagne, marquée par la création de sitesInternet Areva locaux dans la langue dupays, 30 000 candidatures ont été enregis-trées, soit trois fois plus qu’à la même pério-de en 2008. 27 % provenaient de Chine, 22 %du Moyen-Orient et 7 % d’Inde.

N. Q.

« Com’ » globale pour recrutement mondial

M. Broseta, cet élément soit indispensable : « Lesjeunes des pays émergents veulent être traités dela même façon que les Français ou les Allemands ;chez nous, leur carrière est donc gérée avec lesmêmes outils, comme l’entretien annuel d’activi-té et celui de développement professionnel. »Mais pour les fidéliser, les DRH mettent en placeune batterie de mesures spécifiques. En Inde,Alstom offre des primes de rétention, dont leversement est différé dans le temps : « En Chine,nous proposons également un plan d’épargneassuré à 100 % par l’entreprise », précise M. Jac-qmin. Du côté de l’Inde, certains groupes jouentla carte de la couverture santé pour le collabo-rateur… et sa famille. Au Brésil, d’autres mettenten scène la reconnaissance de la performancepar des célébrations : prix de la meilleure équi-

pe, de la meilleure innovation de l’année, etc.Quelques-uns s’adaptent aux cultures etcontraintes nationales, comme Veolia Eau qui,en Inde, accorde aux salariés du temps pour laprière. Et dans son entité de Shanghaï, ville ten-taculaire, des horaires de travail flexibles ontété aménagés pour que le personnel puisse sedéplacer en dehors des heures de pointe. « Nousavons également créé un congé particulier, leHome Leave, car les Chinois travaillant à Shan-ghai viennent souvent de provinces lointaines »,relate M. Herrewyn. Une bonne illustration du« agir localement »…

Nathalie Quéruel

Grâce aux partenariats avec lesuniversités, au financement de chaires et de programmesde recherche, les entreprisesoccupent le terrain

« Les jeunes des paysémergents veulent être traitésde la même façon que les Français ou les Allemands »

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22 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Vie au travail

Mes collègues sont-ils mes amis ?La vie au bureau favorise l’émergence de relations fortes. Mais leur ambiguïté semble rendre

plutôt rare leur transformation en liens amicaux de long terme.

Travailler jour et nuit pourson entreprise… Un cau-chemar ? Pas pour ceconsultant spécialisédans les nouvelles tech-

nologies qui se remémore avec unbrin de nostalgie la fin des années1990, lorsque les start-up avaient levent en poupe. « Les salariés étaienttous jeunes, on travaillait par projetet en équipe, et même si on dormait

peu, j’en garde d’excellents souvenirsd’amitiés. » L’affaire était égalementavantageuse pour les entreprises :« Elles jouaient sur des valeurs d’en-gagement personnel, cela leur per-mettait d’être vraiment plus perfor-mantes », poursuit-il.Le temps des start-up et des« bandes de copains » n’est plus cequ’il était. Mais la valeur « amitié »a toujours la cote dans les services

de ressources humaines. « Tout cequi contribue à la cohésion des sala-riés est utile pour les équipes et pourl’entreprise, résume Michel Yahiel,président de l’Association nationaledes directeurs de ressourceshumaines (ANDRH). En ce sens,l’amitié a une vraie valeur écono-mique. » Un chef d’entreprise fran-cilien poursuit : « C’est un des artsdu management que d’assembler les

bonnes personnalités. » Des salariésd’un même service qui s’entendentbien, et c’est la notion d’équipe quiprend tout son sens. « Point positifpour leur société : ils vont pouvoirs’entraider au-delà de la relationcontractuelle, explique Loïck Roche,directeur adjoint de Grenoble Ecolede management. Ils seront capablesd’abnégation, de prendre sur eux-mêmes lorsqu’ils sont contrariés, ou

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mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

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de se dire les choses. » Les liens entremembres d’une même entrepriseont donc tout intérêt à être favori-sés. A tel point que des coachs dedirigeants peuvent aujourd’huiapprendre aux cadres supérieurs à« se livrer un peu », afin de ne pas« apparaître comme des êtres froidsrefusant de partager avec les autressalariés », explique l’un d’eux.Mais, toutes positives qu’elles soient

pour les entreprises, les relationsamicales échappent au contrôle deces dernières. « Vouloir les maîtriser,c’est comme déclarer qu’il ne faut pasavoir faim ou froid au bureau,tranche Hélène Vecchiali, psychana-lyste et dirigeante de DH Conseil,société de conseil en ressourceshumaines. On ne peut pas exiger delaisser son cœur à l’entrée de l’entre-prise et éviter tout lien affectif. » Il esten effet question ici de sentiments.« Or les dirigeants n’ont pas le pou-voir de contrôler ni d’encourager detelles relations, confirme LoïckRoche. En organisant des sorties àl’extérieur de l’entreprise, en faisantdes séminaires intenses, ils n’aurontque l’illusion d’avoir une influence.On se trouve là face au fantasme dela toute-puissance du manager. »L’amitié est d’autant moins contrô-lable par l’encadrement qu’elle peutnaître d’un besoin presque incons-cient et propre aux salariés. Elle faitparfois office de soupape de sécuri-té pour cadres sous pression. « Lors-qu’on subit un management exi-geant, on a besoin de se confier, dedire “sa” vérité, relève Loïck Roche.Or l’entreprise ne le permet pas. Ilfaut être “dans l’esprit”. On va doncchercher à partager avec un ami. »

« L’amitié nesupporte pas la hiérarchie. »Comment expliquerà un collègue prochequ’il ne sera pasnommé à un postequ’il convoitait ?

Cachez cette relation...

Ce besoin de communiquer face à ladureté du monde du travail pourradonc constituer un véritable accélé-rateur dans la formation de rela-tions affectives.Que valent, alors, les relations ami-cales nées sur le lieu de travail ? « Toutcomme sur les réseaux sociaux, il y ades amitiés virtuelles dans les entre-prises », juge Ivan Béraud, secrétairenational du pôle conseil-publicité dela CFDT. La solidité des liens ne seraitpas toujours au rendez-vous.« Lorsque les gens sont mis en concur-rence, tout le monde se rend biencompte que le “tous amis” prôné pardes entreprises du secteur de la publi-cité ou de la communication ne tientpas. » Il est même des secteurs oùl’amitié au bureau est un art des plusdélicats... Un manager travaillant dansl’audit confirme : « Les rapports hié-rarchiques sont très forts, il y a beau-coup de supérieurs, on est évalué enpermanence avec, à la clé, des promo-tions et des primes conséquentes. Dansce contexte, les relations amicales sontdifficiles et soumises à rude épreuve. »Pour autant, de réelles amitiés peu-vent naître au bureau. Selon l’Insee,le lieu de travail constitue un véri-table vivier de liens amicaux. On y

trouverait 20 % de ses amis, ce qui enferait la deuxième source d’amitiésderrière les études. Cadre dans le prêt-à-porter, Carole,38 ans, assure s’être fait des amis danstoutes les entreprises où elle a tra-vaillé. « Ce sont de véritables amitiésqui ont dépassé le cadre du travail. Jeles revois toujours, pour déjeuner, oupour des repas avec nos conjoints. » Lanaissance d’un lien affectif en terrainprofessionnel ne garantit toutefoispas toujours la pérennité de la rela-tion. « Ces amitiés peuvent être fortesmais se développent dans un contex-te particulier, relève Rachel, 31 ans,cadre dans la publicité. La compliciténaît surtout du partage d’un universcommun, celui du travail. » Les nou-veaux amis se retrouveront dans lerejet commun d’un choix de la direc-tion, dans un fou rire moqueur face àun collègue, dans des moments desolidarité face à un dossier à boucler.Mais au-delà ? « C’est en sortant ducadre du travail, lorsque l’un desamis quitte l’entreprise, qu’on verras’il s’agit d’une véritable amitié,poursuit Rachel. Et bien souvent, celien commun n’étant plus là, les élé-ments favorisant le rapprochementferont défaut. »

L’amitié née d’une aventure profes-sionnelle commune peut donc êtreparfois trompeuse. Elle peut aussiêtre périlleuse. « C’est une situationplus délicate à gérer qu’une relationhors du bureau, note Hélène Vec-chiali. En cas de brouille, la person-ne avec qui on est en froid sera tousles jours à proximité. On sera donc àla fois atteint sur le plan affectifmais peut-être, aussi, sur celui de laproductivité. »Autre difficulté : maintenir des liensavec un collègue qui n’est pas aumême échelon dans la société.« L’amitié ne supporte pas la hiérar-chie », résume Loïck Roche. Com-ment un manager parlera-t-il à sonami des objectifs qu’il n’a pastenus ? Comment expliquer à uncollègue proche qu’il ne sera pasnommé à un poste qu’il convoitait ?« Les situations rencontrées sontbien souvent ingérables, relève Hélè-ne Vecchiali. N’oublions pas qu’undirigeant doit parfois entrer dans lapeau d’un tueur ! » Comme ce DRHqui, chargé de gérer un plan de sup-pression d’emplois, a dû annoncerà un ami qu’il figurait sur la liste deslicenciés.

François Giolat

Si l’amitié au bureau est un artdélicat, que dire des relationsamoureuses ? Bien des couples

qui se sont rencontrés dans l’entre-prise où ils travaillent préfèrentcacher leur relation à leurs col-lègues. « Tout événement au bureauconcernant l’un d’eux sera croisé avecle fait qu’ils ont une relation, relèveLoïck Roche, directeur adjoint deGrenoble Ecole de management.Mieux vaut donc se montrer discret. »David, 30 ans, cadre dans l’événe-mentiel, confirme la complexité dela situation : « Je travaille dans lemême bureau que mon amie, etnous avons décidé de taire notre liai-son. Nous sentons bien que les rela-tions avec les autres collèguesdeviendraient très compliquées s’ilsnous percevaient comme un couple.

Mais nous avons conscience quenous ne pourrons pas éternellementagir ainsi… »L’entreprise, de son côté, ne voit pasforcément les idylles d’un œil favo-rable. Le couple constitue un sous-groupe qu’elle aura potentiellementdes difficultés à contrôler. « Certainesont pu interdire ouvertement les rela-tions amoureuses, note Hélène Vec-chiali, psychanalyste et dirigeante dela société DH Conseil. Mais commentproscrire quelque chose qui ne passepas par la raison? »Outre-Atlantique, certaines sociétésd’audit proscrivent les situationsqui amèneraient leurs salariés à tra-vailler directement avec leurconjoint. En France, ces mêmessociétés pratiquent parfois desrègles non écrites, notamment sur

l’interdiction d’avoir un lien hiérar-chique avec son conjoint. Mais cesont surtout les salariés qui évitentd’eux-mêmes pareilles situations,en demandant par exemple à nepas travailler dans le même service.Reste que les relations amoureusesnées au bureau ne sont pas toujoursles plus solides. « Des éléments arti-ficiels propres au cadre de l’entrepri-se interviennent, note Loïck Roche.Ces relations permettent de recons-truire du vivant dans des sociétés oùles échanges sont aseptisés. Demême, des salariés chargés de l’en-cadrement y disposent d’un pouvoirde séduction plus grand. » Dans lamajorité des cas, l’histoire d’amournée au bureau ne parvient guère àperdurer hors de ses murs.

F. G.

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Emploi Vie au travail

24 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Est-on amis dans l’entreprise comme on l’estdans la société ? Le devient-on de la mêmefaçon ?Le contexte de la rencontre entre deux personnesest important pour comprendre le lien qui existeentre elles. Le monde du travail place les indivi-dus dans des situations d’intérêt professionnel.C’est un cadre où l’on va passer une part trèsimportante de sa vie et qui donnera donc uneautre « couleur » qu’un contexte extraprofes-sionnel, comme un club de vacances.Dans le premier cas, on se trouve, dans des pro-portions variables, en représentation profes-sionnelle, alors que dans le monde des loisirs oudans la sphère privée, notre forme de représen-tation se base beaucoup plus sur l’identité per-sonnelle. La protection dont on se pare n’est pas lamême. Et on sait qu’un ressort plus authentiquepeut plus facilement perdurer. La façon d’abor-der une relation sera forcément différente.

Quelle importance les salariés accordent-ils à l’amitié ?Nous mettons énormément de force derrière lanotion d’amitié. Quand on est ami, dit-on, « c’estpour la vie ! ». Il s’agit d’une valeur fondamentalede notre existence, au même titre que la vie ou lamort. On peut donc parfois idéaliser cette notionqui, souvent, s’effrite au contact du monde du tra-vail. Au bureau, on trouve souvent des relations detype amical ou cordial. Elles sont moins fortes maisn’en sont pas moins fondamentales, notammentpour offrir une ambiance agréable au travail. Ellespeuvent par ailleurs se transformer en amitiés

authentiques. Mais n’oublions pas que l’impor-tance accordée à l’amitié au travail n’est pas portéepar l’ensemble des salariés. Certains estimerontqu’ils ne sont pas là pour copiner et que leurs amisse trouvent hors des murs de l’entreprise.

L’amitié est-elle une valeur aujourd’hui à lahausse ou à la baisse ?Elle semble plutôt à la hausse. Les managers sontde plus en plus jeunes et ils souhaitent établir desrelations et attachent de l’importance au bien-être au travail. Ils doivent toutefois prendregarde : manquant parfois d’expérience, ils peu-vent souhaiter reproduire le modèle qui s’impo-sait dans leur promo d’école, durant leurs études,qui est celui d’amitiés très fortes avec un petitnombre de personnes. Il leur faut apprendre àgarder une certaine distance.La volonté de se sentir bien au bureau est en toutcas clairement affichée. Dans les années 1980-1990, quand on demandait, lors des entretiens,ce qui était le plus important, c’est la notion detravail qui revenait le plus fréquemment.

Une évolution a eu lieu au tournant des années2000, lorsque les cadres ont assuré qu’ils accor-daient de l’importance à d’autres choses que letravail : la vie associative, la famille, les loisirs, parexemple. Au fait d’être bien dans leur peau éga-lement. C’était parfois plus un état d’esprit qu’uneréalité… Mais une évolution sur le sens de la vieet de la relation au travail n’en est pas moins sen-sible chez les salariés. Elle implique un désir detravailler dans de bonnes conditions, d’être atten-tif aux autres, de partager de bons moments avecson équipe…

Le vivre-ensemble propre à l’entreprise impo-se-t-il de la part des salariés un certainnombre de précautions dans leur comporte-ment au quotidien ?Il semble primordial de conserver sa propre per-sonnalité. Elle fait notre force. Toutefois, l’au-thenticité de notre style doit être « dosée » enfonction du contexte hiérarchique, de l’organisa-tion même des bureaux. Il faut parfois faire desefforts et s’adapter. Les extravertis pourrontapprendre à pondérer, les introvertis à mettremoins de distance avec leurs collègues. Il est aussibon d’avoir à l’esprit que l’on ne peut pas repro-duire les mêmes comportements que ceux quenous avons dans notre famille, depuis la petiteenfance : la façon dont on est frustré, celle donton se dispute… Au bureau, il ne faut pas perdrede vue qu’il est nécessaire de travailler ensemble.Les intérêts sont communs, les objectifs aussi. Laconvivialité sera, pour cela, un moteur fort.

L’approche de l’amitié au travail est-elle lamême à l’étranger ?Aux Etats-Unis, on peut déjeuner avec sonmanager au travail et être renvoyé du jour aulendemain. C’est une culture différente de lanôtre. Dans certains pays anglo-saxons, onreçoit une chaleur et une cordialité au premierabord qui n’enlèvent en rien à la dureté du tra-vail. L’aspect professionnel est toujours présenten filigrane. Notre culture latine, elle, peut voirdans l’amitié un risque de copinage. Il est néces-saire de passer outre cette représentation et dese dire qu’on pourra dans le même temps êtreprofessionnel.

Propos recueillis par François Giolat

Depuis 1991, Sylvie Sanchez-Forsans,psychologue du travail, est chargée del’enseignement supérieur en psychologie àl’université Lumière-Lyon-II. Responsabledu Centre d’applications psychologiques etd’accompagnement professionnel (Capap)à Lyon, elle y dispense une formation encommunication et en management desressources humaines auprès de cadresd’entreprise.

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Entretien avec Sylvie Sanchez-Forsans, psychologue du travail

« Une valeur fondamentale de notreexistence, au bureau comme ailleurs »

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Emploi Barreau O27

Megan Colmo (son nom aété changé à sa demande)aurait dû débuter sa car-

rière au sein du bureau new-yorkaisd’un grand cabinet d’avocats d’af-faires britannique en septembre2009. « J’y ai effectué à l’été 2008un stage de deux mois et demi quia débouché sur une offre d’em-bauche pour l’année suivante,comme cela se fait traditionnelle-ment dans le système américain »,explique-t-elle. Les cabinets anglo-saxons ont eneffet pour habitude de repérer lesjeunes diplômés à fort potentielbien avant la fin de leurs études,et de leur proposer des postesavant même qu’ils aient obtenuleur diplôme et passé l’examendu barreau. Cet été-là, l’ensemble des quarantestagiaires du cabinet – des étu-diants en provenance desmeilleures « law schools » améri-caines – ont reçu une offre, se sou-vient Megan. Mais, en avril 2009,une lettre de son futur employeurl’informe que sa date d’embauchea été reportée... de douze mois, jus-qu’en septembre 2010.« Ça n’était pas vraiment une sur-prise, car d’autres cabinets avaientdéjà annoncé ce genre de mesures.Pour moi, c’est un an, mais j’ai desamis qui ont été reportés de sixmois, d’autres de quinze mois, jus-qu’en janvier 2011 », précise-t-elle.Pour la dédommager de ce contre-temps, Megan s’est vu attribuer lasomme de 5 000 dollars(3 641,5 euros) par mois pendantdouze mois, à la seule conditionqu’elle n’accepte pas d’autre offred’emploi. « C’est une sorte d’inves-

Payés pour ne pas travailler…chez le concurrentAux Etats-Unis et au Royaume-Uni, de grands cabinets d’avocats frappés par la crise proposentaux jeunes diplômés des meilleures « law schools » de reporter leur date d’embauche de six àdouze mois... tout en les rémunérant confortablement pour qu’ils refusent d’autres offres.

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Emploi Barreau

tissement réalisé par le cabinet surma personne, s’amuse-t-elle, maisil ne s’agit en aucun cas d’un enga-gement de sa part à m’embaucher. »Megan n’est pas un cas isolé. ALondres ou à New York, la pratiquedu « stockage » de jeunes avocatss’est vite répandue parmi les cabi-nets les plus prestigieux. NortonRose, Pennington, Clifford Chanceou encore Baker & McKenzie onttous annoncé des reports d’em-bauche de six à douze mois enmoyenne. Les dédommagementsaccordés varient de 5 000 à 7 500dollars par mois. « Les cabinets d’avocats ont étéconfrontés à un retournement éco-nomique très violent. Plutôt que degeler les embauches, certains préfè-

rent les reporter en espérant avoirune meilleure visibilité dans six mois.Stopper les recrutements, c’estenvoyer un message négatif auxjeunes diplômés et hypothéquer sacapacité à attirer les hauts potentielslorsque la reprise arrivera », expliqueCharlotte Karila Vaillant, fondatricedu cabinet de conseil aux profes-sions juridiques Signe Distinctif.Dans cette optique, dépenser60 000 dollars par an pour« conserver » un bon élément per-met d’entretenir un vivier derecrues tout en réalisant des écono-mies par rapport au salaire normald’un « junior », qui se monte à160 000 dollars par an dans les cabi-nets new-yorkais.« Seuls les grands cabinets anglo-saxons ont fait ça », tempère AudeGoufrani, manager en charge desprofessions juridiques au sein ducabinet de recrutement Hays. Selon elle, le versement d’unecompensation s’explique égale-

ment par les charges financièresimportantes de ces jeunes diplô-més, qui ont souvent contracté unemprunt pour financer leur école– entre 20 000 et 40 000 dollarspar an – et qui comptent sur leurspremières années au sein d’uncabinet pour rembourser leurstrois ans de formation.En attendant d’être fixés sur leursort, les jeunes avocats font contremauvaise fortune bon cœur. « Cer-tains voyagent, d’autres prennentun job de “paralegal” [para-juri-dique] », note Aude Goufrani. AuxEtats-Unis, certains cabinets ontconditionné leur aide financière àla réalisation d’un stage nonrémunéré d’intérêt général, pro-posé par les tribunaux, les servicesd’aide juridique et les ONG. Unmoyen pour les jeunes avocats enerrance d’acquérir une expérien-ce de terrain et d’affiner leur pro-jet professionnel avant d’intégrerles hautes sphères. Dans le même esprit, l’école de droitde l’université de Californie à LosAngeles (UCLA) a conçu un pro-gramme, « Transition to Practice »,destiné à accompagner les jeunesdiplômés vers leur premier poste enleur proposant une formation pra-tique et des mini-stages dans desservices juridiques d’entreprises.Megan, elle, a décroché un stagedans une organisation internatio-nale. Confiante, elle attend uneconfirmation du cabinet qui doitl’embaucher en septembre. Maiselle sait qu’elle va devoir se montrerflexible : « Ceux de mes amis qui ontété reportés de six mois ont bien étéembauchés, mais pas forcémentdans le service de leur choix »,constate-t-elle.En outre, les reports d’embauche ris-quent de se généraliser avec la pro-motion 2010. « La situation va res-ter difficile pendant quelques annéespour les cabinets d’avocats d’af-faires », souligne Julie-IsabelleBinon, du cabinet de recrutementTeam RH, spécialisé dans les profes-sions juridiques.Et ces nouveaux diplômés pour-raient bien ne pas bénéficier desmêmes compensations financièresque leurs aînés.

François Schott

« Ceux de mes amisqui ont été reportésde six mois ont bien été embauchés,mais pas forcémentdans le service de leur choix »

Peine accrue pour les jeunesjuristes françaisDu fait du ralentissement économique, un tiers

des jeunes avocats cherchent toujours un emploi

trois mois après l’obtention de leur diplôme

en France ont gelé leurs recrute-ments l’année dernière, tandis que12 % ont réduit leurs effectifs.Les autres reconnaissent avoirréduit leur volume de recrute-ment. « Il y a beaucoup de mondesur le marché, mais nous avonsmoins de places à proposer. Noussommes, par conséquent, plus sélec-tifs », souligne Gilles Duquet, asso-cié chez Gide Loyrette Nouel. En2009, le cabinet a recruté quaran-te personnes à Paris.

Activités qui recrutentFidal, le plus gros employeur du sec-teur en France avec 1 200 avocats, ena embauché une centaine l’annéedernière, dont la moitié environ dejeunes diplômés. « Nous maintenonsun flux constant d’embauches, mêmesi c’est un peu moins qu’il y a deuxans », indique la responsable durecrutement, Muriel Meneguzzo. Là-encore, les jeunes diplômés se pres-sent au portillon : « Nous recevons4 000 à 5 000 candidatures par an »,témoigne-t-elle.La situation des jeunes avocats n’estcependant pas désespérée. « Cer-taines branches, comme le droitsocial, le droit de la famille ou le droitfiscal, sont très porteuses aujourd’hui.Nous incitons nos étudiants à s’orien-ter en priorité vers ces activités quirecrutent », indique Gérard Nicolaÿ.En revanche, un débouché se fermeavec la disparition prévue au 1er jan-vier 2011 de la profession d’avoué(juriste spécialiste de la procédured’appel), qui emploie aujourd’huiquelque 2 000 personnes.

F. S.

La crise n’épargne pas les jeunesavocats français. D’après unsondage réalisé début 2010 par

l’Ecole de formation du barreau (EFB)de Paris auprès de ses diplômés2009, près d’un tiers d’entre euxcherchent toujours une collabora-tion trois mois après l’obtention dudiplôme. Le taux d’insertion a chutéà 70 %, contre 90 % il y a deux ans.« Je suis plutôt rassuré par ce chiffre,tempère Gérard Nicolaÿ, directeurde l’EFB et président de l’Associa-tion française des écoles d’avocats.Cela montre que la profession conti-nue à absorber les jeunes qui arri-vent sur le marché, certes à un ryth-me plus lent. »Les cabinets d’avocats d’affaires, quireprésentent le principal débouchédes jeunes avocats, sont particuliè-rement touchés par le ralentisse-ment économique. Leurs activitésles plus lucratives – opérations defusions-acquisitions, montagesfinanciers, transactions immobi-lières – se trouvent réduites à la por-tion congrue, ce qui a forcément unimpact sur leur recrutement.« Les cabinets anglo-saxons, quiavaient beaucoup recruté avant lacrise, ont écrémé d’autant l’annéedernière, y compris en France. Lescabinets français, eux, ont moinslicencié mais le mot d’ordre est : onn’embauche pas », explique Musta-fa Sarioglu, consultant au cabinet derecrutement de profils juridiquesTeam RH.Un sondage réalisé par la société deconseil aux professions juridiquesSigne Distinctif révèle que 37 % descabinets d’avocats d’affaires établis

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30 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Social

L’entreprise, autrementEn réaction à la crise, mais sans rejeter pour autant le modèle capitaliste, l’entrepreneuriat social,

qui associe la rentabilité à la poursuite d’objectifs utiles à la société, a le vent en poupe. Il est

même entré dans les enseignements des écoles de commerce et à l’université.

En tant que manager, mon rôleest de contribuer au bien-êtregénéral en créant la valeur

qu’un individu ne peut pas créerseul; d’œuvrer pour une “prospéri-té durable”; de travailler “d’unemanière éthique”, en évitant lesdécisions qui ne servent que mesambitions personnelles. » C’est de l’intérieur de l’une des plusgrandes fabriques de dirigeants d’en-treprises que vient cet appel : en mai2009, un étudiant de la HarvardBusiness School lance ce « sermentdu MBA ». Depuis, plusieurs cen-taines d’étudiants ont signé ce texteet pris ces engagements symbo-liques. La crise aurait-elle ébréché lesvaleurs du tout-financier jusque dansles business schools ? En tout cas, ellea, un peu partout, donné un nouveausouffle aux discours sur la réformedu capitalisme. « L’idée d’une lucrati-vité restreinte gagne du terrain, aidéepar la crise », estime Jean-Marc Borel-lo, délégué général du groupe d’éco-nomie sociale SOS. 40 % des jeunesétudiants interrogés en février pourun sondage Essec/CSA disent vouloir« s’engager dans un projet social etsolidaire » ou encore concilier la ren-tabilité et le souci des autres. Plusgénéralement, 78 % d’entre eux sedisent prêts à travailler dans le sec-teur de l’économie sociale. Combienfranchiront ce pas ? Nombreux sontceux qui flirtent avec l’idée, maisoptent finalement pour les grandscabinets privés – et un salaire de 25 %à 30 % plus élevé. En tout cas, c’est aussi dans le mondede l’entreprise que certains espèrentdésormais exprimer des valeurs desolidarité. En témoigne le succès dudernier Salon de l’emploi respon-sable ou encore la promotion desentrepreneurs sociaux lors du Salondes entrepreneurs, dont l’un des évé-

Aux Etats-Unis, anciens champions du capital-risque ou jeunes entrepreneurs fortunés ne sereconnaissant pas toujours dans les fondationstraditionnelles, type Bill Gates, Moore ou Carne-gie, une nouvelle génération de philanthropes,désireuse d’utiliser sa fortune pour aider lesautres, veut aussi pouvoir en mesurer immédiate-ment les effets. Ainsi est née la venture philan-thropy ou « philanthropie à risques », par rappro-chement avec l’expression capital-risque (venturecapital). « Elle repose sur les mêmes principes quele capital risque, mais l’objectif poursuivi est socialet non pas financier », explique Serge Raicher, leprésident de l’European Venture PhilanthropyAssociation (EVPA). Le « venture philanthrope »ne se contente pas de donner de l’argent, maisapporte des conseils sur le business plan, la straté-

gie, le management. Surtout, il est très attentif aufait de mesurer le social return on investment(SROI), ou « impact social ». La venture philanthropy commence à faire desémules en Europe. En Belgique, la Fondation Roi-Baudouin, créée en 1976 à l’occasion des 25 ans derègne du roi Baudouin Ier (1930-1993), a mis enplace un fonds pilote destiné au financement decette pratique. En France aussi, les fondationscommencent à s’intéresser à ces initiatives. « Resteà savoir si elles sont adaptables en France, où l’in-tervention publique est plus forte et le monde desfondations moins développé qu’aux Etats-Unis »,note Hugues Sibille, président de l’Agence de valo-risation des initiatives socio-économiques (Avise)et directeur général délégué du Crédit coopératif,membre de l’EVPA. La création par la loi demodernisation de l’économie de « fonds de dota-tion » pourrait cependant constituer un premierpas vers la reconnaisance de ce type d’action.

C. P.

Les nouveaux philanthropes

nements aura été la très médiatiséevisite du Bangladais MuhammadYunus, Prix Nobel de la paix 2006 etcréateur de la banque de microcré-dit Grameen Bank. Plutôt que de poursuivre les béné-fices à tous crins, certains préfèrentdésormais favoriser l’accès à l’em-ploi et aux soins, la solidarité avecles handicapés ou les personnesâgées, développer le commerceéquitable, sans pour autant renon-cer à leurs envies entrepreneuriales.Concilier rentabilité et utilité, c’est pré-cisément la promesse de l’entrepre-neuriat social. La notion commenceà faire son apparition dans quelquesgrandes écoles françaises – Essec,HEC, Insead – et quelques universités,fédérées par le réseau Universitynet-work.org. Mais ce mouvement restetimide et encore bien souvent can-tonné à un cours optionnel ou à unechaire spécialisée. « En lui faisant uneplace dans leurs cursus, les grandes

écoles donnent ses lettres de noblesseà l’entrepreneuriat social », estimenéanmoins Hugues Sibille, présidentde l’Agence de valorisation des initia-tives socio-économiques (Avise).« Une entreprise à finalité sociale,sociétale et environnementale et àlucrativité limitée permet de réconci-lier l’économie de marché, le fait d’en-treprendre et l’intérêt collectif, quiparaissent aujourd’hui séparés. »Les promoteurs d’une autre façond’entreprendre ont déjà derrière euxune longue histoire – à commencerpar celle de l’économie sociale et soli-daire ; mais ils semblent aujourd’huivouloir changer d’échelle et fairedavantage entendre leur voix enréponse à la crise. En témoigne latransformation de l’ancien Comitépour développer l’entrepreneuriatsocial (Codès) en un Mouvement desentrepreneurs sociaux. « On passed’un club de réflexion fermé à unmouvement. Nous avons aussi

dépassé la question des statuts– coopératives, mutuelles, associa-tions – qui, jusqu’ici, délimitaient lesfrontières du secteur de l’économiesociale et solidaire », résume Jean-Marc Borello, à la tête de cette nou-velle organisation, née en février.« Nous nous sommes créés en parlantd’“entrepreneuriat”, alors que l’éco-nomie sociale se définissait commeun mouvement collectif. Cela a étélongtemps source de tensions, se rap-pelle Arnaud Mourot, directeurd’Ashoka France, un réseau d’aideaux entrepreneurs sociaux. Or, beau-coup de gens sont prêts à poursuivreun but social mais sans renoncer àcréer une entreprise. » Précisément,Ashoka aide les porteurs de projets àdévelopper des structures qui répon-dent à un besoin social (comme favo-riser l’insertion professionnelle via lesport, imaginer des outils pédago-giques pour les personnes sourdes…).Il propose notamment les conseils

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d’experts de grands cabinets inter-nationaux, par exemple pour élabo-rer les « business plans sociaux ».« Alors que le secteur social s’est long-temps concentré sur les fins, ces nou-veaux entrepreneurs s’interrogentaussi sur les moyens, estime MarieTrellu- Kane, directrice d’Antropia, l’in-cubateur social de l’Essec et de la Cais-se d’épargne Ile-de-France. Cela veutdire réfléchir à son positionnementpar rapport aux autres acteurs, à unmodèle économique viable, mais aussià l’impact social attendu. » De leurcôté, les pouvoirs publics semblentvouloir encourager ces démarches :dans le cadre du grand emprunt, unfonds pour l’entrepreneuriat social etsolidaire a été doté de 100 millions. Etune mission parlementaire a étéconfiée en octobre dernier au députédu Nord (Nouveau Centre) FrancisVercamer : il devra remettre au pre-mier ministre des propositions « en

vue de favoriser la création, le déve-loppement et la pérennisation desentreprises sociales ». Les entrepreneurs sociaux réfléchis-sent aujourd’hui à la manière de faire

valoir leur spécificité auprès dugrand public et des milieux écono-miques. Pour cela, le Mouvement desentrepreneurs sociaux plaide pourun label accordé aux entreprisessociales sur la base de leurs pratiques.

O31

Dans La Nouvelle Economie sociale,(Odile Jacob, 216 p., 23 €), l’avocatDaniel Hurstel estime que la défini-tion légale d’une société est, dans ledroit actuel, contradictoire avec lapoursuite d’une gestion désintéres-sée. Il préconise donc de modifier lestextes pour qu’une société puissechoisir entre un but lucratif ou unbut social. Autre piste envisagée parl’auteur, la création d’un régime par-ticulier – la « société d’intérêtsocial » – comme l’ont fait les légis-lateurs en Belgique, aux Etats-Unisou encore au Royaume-Uni, où lescommunity interest companies per-mettent aux entrepreneurs « d’as-surer les tiers (investisseurs finan-ciers) du but social de leurs activitésconduites dans le cadre de l’écono-mie de marché », rappelle-t-il. Car l’enjeu ici est certes de fairereconnaître l’innovation sociale,mais c’est aussi, et peut-être surtout,

la capacité à mobiliser des fondspour permettre de la développer. La diminution des subventions despouvoirs publics au secteur associatif,jusqu’ici principal acteur de l’économiesocial, a rendu indispensable la mobi-lisation d’autres sources de finance-ment pour perpétuer les objectifs dedéveloppement social et humain. Denouveaux acteurs –entreprises privées,fondations, « venture philanthropes »(voir encadré)– semblent prêts à finan-cer des projets sociaux. Mais ils atten-dent un retour sur investissement – sice n’est financier, du moins social. Resteà savoir comment mesurer la valeursociale générée par ces « autres entre-prises ». L’Essec et Ashoka travaillentactuellement sur des outils de moné-tisation de l’impact social. Mais lesméthodes de calcul et d’évaluation dela performance sociale promettent devifs débats.

Catherine Pétillon

« La diminution dessubventions ausecteur associatif arendu indispensablela mobilisationd’autres sources definancements»

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Emploi Social

Wecena ou le mécénat de compétencesComment une société met les compétences d’ingénieurs à la disposition d’associations et d’ONG

qui se consacrent à la solidarité ou à la santé.

D’un côté, des associations quin’ont pas les moyens de s’of-frir les compétences d’ingé-

nieurs et le « temps-homme »nécessaires au développementinformatique de leurs projets. Del’autre, des ingénieurs de sociétés deservices et d’ingénierie informa-tique (SSII) inoccupés entre deuxmissions, tout en restant payés parleur entreprise. Chaque jour, entre7 000 et 10 000 ingénieurs seraientainsi en « intercontrat ». C’est cedouble constat qui a poussé JeanMillerat à créer en 2008 Wecena(www.wecena.com). Son idée : utili-ser le mécénat de compétences eninformatique pour répondre auxbesoins de qualifications technolo-giques des associations de solidarité.Quand, à la fin des années 1990, cetingénieur sort de l’Ecole centrale deLille, il s’est déjà impliqué dans denombreuses associations. « Mais àl’époque j’avais encore du mal à voircomment faire le lien entre mon enviede création d’entreprise et les besoinsque j’avais pu identifier dans les quar-tiers de banlieue », raconte-t-il. Lemonde associatif ne semble pas nonplus répondre à ses attentes de jeunediplômé. « La professionnalisation dece secteur reste lente. Les structures lesplus développées sont souvent assezinstitutionnelles. L’innovation est plu-tôt du côté des jeunes et petites asso-ciations, mais elles manquent demoyens », estime Jean Millerat. Il selance alors dans le conseil, crée sasociété avant de rejoindre Saint-Gobain, puis Motorola. C’est après avoir découvert auxEtats-Unis la notion d’entrepreneu-riat social que le jeune ingénieurdécide de créer Wecena, avec l’idée

que l’ « on peut se fixer comme prio-rité de résoudre un problème social...sans pour autant renoncer à fairevivre sa famille. Cela implique detrouver un modèle économiqueviable ». En pratique, Wecena s’ap-puie sur la loi de 2003 sur le mécé-nat. Les entreprises partenaires met-tent à la disposition d’associationsbénéficiaires leurs ingénieurs enintercontrat ; elles leur versent éga-lement l’économie d’impôt accor-dée par la loi.Grâce à cette idée, Jean Millerat estdevenu l’un des vingt-six porteursde projets accueillis depuis 2005 parAntropia, l’incubateur social de l’Es-sec et de la Caisse d’épargne Ile-de-France. « Son modèle économiqueétait original, commente SophieKeller, chargée de projet à Antropia.Et nous voulons accompagner desprojets avec un impact social, quisoient ambitieux et potentiellement

dupliquables. » Grâce à cet accom-pagnement, Jean Millerat a pu déve-lopper un « business plan social »,recevoir des conseils juridiques surles contrats et les aspects fiscaux ettravailler sur des outils de mesurede l’impact social. Il a aussi obtenuun prêt d’honneur d’Antropia d’unmontant de 18 000 euros, grâceauquel il peut se consacrer à pleintemps à son projet.Parmi les premières associationsbénéficiaires de Wecena, on trouvela Free Sotftware Foundation Fran-ce, une association de promotiondu logiciel libre, ou encore l’Ares,une association d’entreprisesd’insertion. Pour faire fonctionner ces partena-riats, il a fallu aussi résoudre desquestions d’organisation, car lesintercontrats sont courts et leurdurée indéterminée. A toutmoment, une SSII peut demander à

son ingénieur de revenir travaillerpour un client. « Les projets doiventdonc être réalisables avec des parti-cipants nombreux et occasionnels.Or, c’est précisément la façon dontfonctionnent les communautésopen source : un logiciel est élaboréen grande partie par des informati-ciens qui ne contribuent qu’unefois. » Wecena a donc adopté leurlogique et leurs outils collaboratifs. « A la fin d’une mission, mon entre-prise m’a proposé de faire du mécé-nat auprès de Dyspraxique maisfantastique, une association d’aideaux enfants atteints de dyspraxie[un trouble de l’apprentissage]. Audépart, je ne voyais pas bien ce queje pouvais apporter ; mais il s’agis-sait de trouver une solution infor-matique pour adapter les manuelsscolaires aux besoins de ces enfants.Et ça, c’est bien bon métier », racon-te Pascal Colombani. Plutôt habituéà intervenir dans le monde de lafinance, cet ingénieur de la sociétéde conseil Neoxia a été l’un des pre-miers à travailler pour cette asso-ciation. Quand il est reparti en mis-sion chez un client, un autreingénieur a pris la suite. « Chaqueintervenant dispose d’un outil d’au-toformation et peut travailler surune partie d’un manuel », préciseJean Millerat. De leur côté, « les socié-tés de conseil sont de plus en plussouvent interrogées par leurs clientssur leurs actions socialement res-ponsables. Et c’est aussi une bonneréponse aux tensions sociales et auxproblèmes de management queposent les intercontrats », rappelleJean Millerat pour convaincre sespartenaires potentiels.

Catherine Pétillon

Une « cantine ouvrière écolo-gique », La Marmite d’Eugène ;l’Académie Christophe Tiozzo,qui accompagne l’insertionsociale et professionnelle dejeunes de quartiers ditsensibles ; Arborescences, qui« lutte contre l’échec scolaire et lasouffrance psychologique desenfants diagnostiqués pré-coces », ou encore Erasm, quiprépare la sortie de personnesincarcérées « dans de meilleuresconditions et de façon durable ».Toutes ces structures ont– comme Wecena – été soute-nues par Antropia, incubateursocial créé par l’Essec en 2005.

« Nous accompagnons le passa-ge de l’idée au projet », raconteMarie Trellu-Kane, sa directrice. En effet, alors qu’Ashoka sou-tient le développement de pro-jets déjà lancés, Antropia appor-te une aide au démarraged’activité. En 2008, l’associationa permis la création d’un fondsd’amorçage philanthropique.Désormais, Antropia proposeaux entrepreneurs sociaux– d’Ile-de-France exclusivement –un accompagnement straté-gique et un soutien technique etlogistique, en mettant à leur dis-position experts et bureaux ; enleur attribuant des bourses oudes prêts d’honneur.

C. P.

« Incubateur »

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Emploi Social

Le « service civil »boudé par les étudiants La possibilité d’effectuer un stage long au service d’une cause sociale ou humanitaire ne

recueille pas, pour l’instant, les faveurs des étudiants. Malgré l’atout qu’un tel engagement

peut représenter sur un CV, il est encore difficile de rivaliser avec les offres de stage chez

Procter & Gamble ou Ernst & Young...

Depuis 2004, Bordeaux écolede management (BEM),s’implique dans un sujet

désormais à la mode : la responsa-bilité globale. « Ça n’est pas unequestion d’image mais de mission »,assure François Dubreu, directeurde l’Ecole supérieure de commerce(ESC), une des trois branches de laformation initiale à BEM.L’ESC attire le plus grand nombred’étudiants de BEM (3 000 sur les4 000 inscrits). Depuis la rentrée2008, grand chamboulement : lesdouze masters post-bac sont com-posés à la carte. L’étudiant choisitses unités de valeur à créditer, sesstages, leur période et leur durée.BEM a ajouté en septembre 2009une corde à son arc pédagogique, enphase avec sa philosophie affichéede « manager responsable » : la pos-sibilité de faire, en deuxième et troi-sième années de master, un servicecivil, via l’ association Unis-cité, soitun stage de six à neuf mois. Uneconvention entre Unis-cité et l’éco-le a été signée en juin 2009. Après deux années à Bordeaux etVienne (en Autriche) pour son pre-mier stage, Marie-Rose Asker aentamé en octobre 2009 un stagede neuf mois dans la banlieue estde Paris, avec Unis-cité Ile-de-Fran-ce. Dans une équipe de huitjeunes, elle est chargée de réaliserun livret de témoignages de retrai-tés sur leur jeunesse. Le documentdoit être ensuite imprimé et diffu-sé. Elle devrait piloter deux autresmissions d’ici à la fin de son stage.

« J’ai toujours été attirée par l’asso-ciatif et je me suis dit que c’étaitmaintenant ou jamais, à mon âge,surtout sur une période très courtede neuf mois. »La convention avec BEM est unepremière nationale. Des contactssont pris avec l’Institut d'étudespolitiques (IEP) de Bordeaux.D’autres conventions devraient voir

le jour d’ici la fin de l’année entreUnis-cité et de grandes écoles, àMarseille et Lille.La formule semble pourtant avoirdu mal à convaincre. Marie-Rose esten effet la seule, sur les 600 étu-diants de deuxième année de mas-ter, à avoir choisi cette option... Cer-tains préjugés semblent persister.En premier lieu, le fait que le servi-ce civil soit un héritage du servicemilitaire. Unis-cité est en effet unestructure liée à l’armée. Cette asso-ciation loi 1901 encourage lesjeunes de 18 à 25 ans, quels quesoient leurs origines sociales et leur

niveau d’étude, à consacrer uneétape de leur vie à la collectivité :une mairie, un établissementpublic, une association caritative,une résidence pour personnesâgées, des établissements sociauxou éducatifs spécialisés…Quatre thématiques sont propo-sées : la solidarité intergénération-nelle, la lutte contre les précarités,la lutte contre les discriminationsdont le handicap, et les sujets liésà l’environnement. Chaque volon-taire touche une « bourse de volon-tariat » de 600 euros net mensuels.« Après avoir défini les projets avecles collectivités locales ou les asso-ciations, nous donnons un cadre,des outils, une méthode de travailet un accompagnement »,explique Olivier Lenoir, directeurrégional d’Unis-cité Aquitaine, unancien de… l’Essec. Au volontaireensuite de mettre en place le pro-jet, d’atteindre, voire de dépasserles objectifs fixés. « C’est une impli-cation où l’humain est au centre »,insiste le directeur. D’autres préjugés freinent le choixdes étudiants pour ce type destage : nombre d’entre eux sedemandent comment valorisercette expérience dans un CV, etcomment les entreprises vontaccueillir ce type d’initiative. « Lesentreprises souhaitent toutes unstandard minimum dans les exper-tises revendiquées, mais elle recher-chent aussi de l’originalité et unengagement personnel qui distin-guera un candidat d’un autre »,

affirme pourtant François Dubreu,qui compte recruter une dizained’étudiants volontaires d’ici à la finde l’année universitaire.Au-delà des étudiants à convaincre,Olivier Lenoir pose plusieursconditions pour faire fructifiercette convention : « Il faut êtremobilisé des deux côtés, avoir unresponsable pédagogique intéressépar l’expérience humaine, avoir dela souplesse dans l’organisation ducursus universitaire et donner desmoyens pour une plus grande visi-bilité de l’action », dit-il.

Difficile cependant de rivaliseravec un stage chez Procter &Gamble ou Ernst & Young… « Lareconnaissance et la rémunérationne sont pas les mêmes et les oppor-tunités potentielles d’emploi diffé-rentes », admet Marie-Rose Asker.« Certainement, reconnaît Stépha-nie Dulout, directrice du marketinget de la communication globale deBEM, mais travailler sur le terrain,avec des gens d’horizons sociauxdifférents, avec de vrais projets etdes clients sérieux, c’est une vraieexpérience de vie. »

Claudia Courtois

« Les entreprisesrecherchent aussi de l’originalité et un engagementpersonnel qui distinguera un candidat d’un autre »

Chaque volontairetouche une « boursede volontariat » de 600 euros net mensuels

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Technologies

On n’arrête pas le progrès. Ily avait déjà les simulateursde vol des astronautes et

des pilotes, capables de faire res-sentir aux pros du manche à balaiun décollage parfait ou un alunis-sage olé olé. Désormais, même lescommerciaux ont leurs logiciels de

formation. Des « serious games »certes moins spectaculaires, maistout aussi efficaces. Serious game ?Traduisez par « jeu sérieux », ouplutôt par application utilisant lesressorts d’écriture et les techniquesdu jeu vidéo à des fins nonludiques. En somme, un jeu vidéo

« utilitaire », conçu pour faireapprendre et connaître. Le concept est véritablement né auxEtats-Unis en 2002, l’année du lan-cement d’America’s Army, unesimulation de guerre financée parune armée américaine en manquede recrues. En France, tout a décollé

il y a deux ou trois ans. « En 2007, lesdirecteurs de ressources humaines(DRH) nous prenaient encore pourdes fous furieux. Mais leurs juge-ments ont très vite évolué : l’arrivéede la Wii et d’autres consoles commela Nintendo DS a prouvé que les jeuxvidéo n’étaient pas l’apanage des

Les DRH accrocs au « serious game »L’utilisation des techniques les plus sophistiquées des jeux vidéo permet de renouveler les bonsvieux jeux d’entreprise et logiciels de simulation. L’industrie du jeu a trouvé là un débouchéinespéré et les entreprises, l’espoir de réconcilier les jeunes cadres avec l’impératif de formation.

Formation

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jeunes mâles et qu’ils pouvaient tou-cher un public très large », expliqueSébastien Beck, directeur exécutifde Daesign, une entreprise spéciali-sée dans les serious games. Depuis,le jeu vidéo n’est plus cantonné àson aspect ludique. Il s’aventuredans la publicité, la communication,la formation. « Le jeu est le supportde tous les apprentissages, rappellele psychiatre et psychanalyste SergeTisseron : l’enfant joue pour testerses limites, pour découvrir sa per-sonnalité et l’affirmer, pour dévelop-per son langage et, plus tard, pourdécouvrir comment gérer ses rela-tions avec les autres et apprendre àvivre ensemble. »Application « productive » du jeu, leserious game permet aussi de lais-ser une place à l’échec, à la décou-verte et au plaisir. « Par contre, ilcomporte les limites liées aux prin-cipes mêmes d’une simulation, àsavoir la réduction du réel à unmodèle. Il pose aussi la question dupassage du virtuel au réel », tempèreEtienne Armand Amato, chercheurà Paris-VIII. Ces bémols n’empêchent pas lesgrandes entreprises de se ruer sur lefilon. SFR l’utilise pour apprendre àses managers comment mener unentretien d’évaluation. L’Oréal s’ensert pour soigner son image etdétecter les jeunes talents sur laToile. Chez Thales, le serious gamerépond également à un besoin pré-cis: « Développer l’attractivité dugroupe sur le marché de l’emploi,notamment hors de France »,explique Jean-Louis Onnis, direc-teur groupe du recrutement et de lamobilité. Résultat, 18 mois après lasortie de «Moonshield», 250 000personnes ont tenté de sauver laTerre d’un météore en utilisant lestechnologies Thales. Le jeu en lignea apporté l’équivalent de deux moisde trafic sur le site recrutement dela firme, depuis listée dans diffé-rents classements parmi le top 20des employeurs européens par lesjeunes ingénieurs. De son côté, l’équipe e-learningd’Axa France a vendu le sujet eninterne depuis trois ans déjà. Paspour recruter, mais pour former.L’assureur utilise des jeux dans lecadre de la formation de ses jeunes

cadres commerciaux, mais aussilors des lancements de nouveauxproduits financiers. « Un tel lance-ment demande une formationlongue et contraignante. Le côtéludique améliore l’envie d’ap-prendre. Au final, nous constatonsune amélioration de l’efficacitécommerciale », se félicite José Mila-no, directeur du développementdes ressources humaines d’AxaFrance. Mais pour lui, le seriousgame ne reste qu’une modalitépédagogique parmi d’autres, qui neconvient ni à tous les contenus ni àtous les participants. Pour lesmêmes raisons, Thales ne l’utilisepas pour former ses ingénieurs àdes techniques très pointues. Tropcompliqué, trop cher. Mieux vaut,dans ce cas, s’en tenir aux forma-tions classiques, des élèves avec unenseignant dans une salle. Dans les groupes du CAC 40, l’équa-tion économique est pourtant viterésolue: un bon serious game coûteentre 250 000 et un million d’euros.Raisonnable s’il s’agit de former plu-sieurs milliers de salariés éparpillésdans l’Hexagone. « Un serious gamepeut se révéler très rentable pour unegrande entreprise. Les DRH recher-chent une solution attractive de for-mation à distance, qui réduise lesdépenses liés à l’hébergement et auxdéplacements des participants, ainsiqu’à la mobilisation des intervenantset de locaux d’accueil », remarque

O37

Les rives de l’Escaut devien-dront-elles la Mecque du

serious game à la française ?C’est, en tout cas, la fermevolonté de la Chambre de com-merce et d’industrie du Valen-ciennois (CCIV), qui va bientôtréunir sur une même zone sestrois écoles consulaires :Supinfocom, Supinfogame etl’Institut supérieur de design.Soit 700 jeunes créateurs relo-gés sur une friche industriellede dix hectares, située en pleincœur de Valenciennes. A leurscôtés devraient s’installer d’ici

à 2013 des laboratoires derecherche, des incubateursd’entreprises innovantes, desrésidences d’artistes façonVilla Médicis, le tout accompa-gné d’outils communs de puis-sance de calcul. L’objectif ?D’abord créer plus de2 000 emplois, mais aussi sedifférencier des dizaines detechnopoles qui fleurissentpartout en France. Preuve de ladétermination de la CCIV,douze projets ont reçu l’an der-nier 500 000 euros d’aide. Cequi a déjà permis à quelquesstart-up de s’installer dans leHainaut. Et à Valenciennes dese rêver un avenir en 3D.

J. D.

Valenciennes se rêve en 3D

Pascal Debordes, directeur des solu-tions e-learning de la Cegos, unorganisme de formation. Surtout, certains DRH auraient notéles nouvelles attentes de leurs sala-riés en matière de formation conti-nue: « La génération Y [née après lenumérique] veut pouvoir se formerquand, comment et où elle veut »,constate Pascal Debordes. Consciente de l’intérêt de combinerdifférents supports, la Cegos a inves-

ti 250 000 euros pour lancer « Mis-sion to sell », une simulation d’actesde vente et d’entretiens commer-ciaux, dont la licence annuelle estvendue 300 euros par utilisateur.Un prix qui devrait permettre auxpetites entreprises d’y accéder. En attendant, le serious game fran-çais demeure au stade artisanal.« Quand nous avons créé la société ily a cinq ans, c’était encore un marchéaccessible aux petites structures. Il

faut être nombreux pour réaliser desjeux sur PC ou console, mais pas for-cément pour faire un bon seriousgame, du moment que l’on maîtriseles technologies, souligne MathieuRichez, créateur de CCCP, six salariés.Les serious game sont des projets ren-tables et sans risques, puisqu’ilsrépondent généralement à une com-mande. » Le contraire d’un « blockbuster » pour Xbox ou PlayStation,qui demande des années de travailet jusqu’à plusieurs dizaines de mil-lions d’euros de budget.L’évocation de telles sommes est sus-ceptible de donner le tournis auserious game made in France. Dae-sign, reconnu comme l’un des plusgros producteurs du pays, ne comp-te que 25 salariés pour un chiffred’affaires 2009 à peine supérieur aumillion d’euros. Le sérail français sebat donc pour faire émerger unescène nationale capable de rivaliseravec les Etats-Unis et la Grande-Bre-tagne, en avance sur le sujet. La secrétaire d’Etat au numériqueNathalie Koziuscko-Morizet a lancéen 2009 un appel à projets doté de20 millions d’euros. 160 candida-tures communes ont été déposées,48 ont été retenues. « L’enjeu est defaire vite émerger en France unedizaine de grosses PME », expliqueJean Menu, créateur du salon e-vir-tuoses, consacré au serious game.Avec d’autres, ce dernier vient de

mettre en place le Serious GameLab, une association de promotionet d’échange réunissant les acteursdu secteur, producteurs, comman-ditaires, chercheurs, pédagogues etpuissance publique. Car le tempspresse. « Il règne une véritable effer-vescence mondiale autour de ce seg-ment de marché qui va rapidementdevenir un secteur à part entière. Lemarché du jeu vidéo représente envi-ron 50 milliards annuels. Le seriousgames englobe la communication,la formation et l’information, etpeut donc largement dépasser cemontant », avance LaurentMichaud, spécialiste du jeu vidéo àl’Idate, une société d’études spécia-lisée sur le marché des technologiesde l’information. Surtout si l’on semet à jouer sérieusement sur nostéléphones portables.

Julien Dupont

« Le côté ludiqueaméliore l’envied’apprendre. Au final, nousconstatons une amélioration de l’efficacité commerciale »

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Universités : objectif emploiLa loi sur l’autonomie des universités confie à l’enseignement supérieur une mission d’inser-

tion professionnelle de ses étudiants. La préparation aux carrières juridiques, médicales et ensei-

gnantes ne date pas d’hier. Mais certains craignent une mainmise des entreprises.

L’objectif n’est pas nouveau, mais il a étéfermement rappelé depuis 2007 et laloi relative aux libertés et aux respon-sabilités des universités (LRU). Les uni-versités doivent préparer leurs étu-

diants à un emploi.Si de nombreux universitaires estiment quel’université doit ouvrir les esprits avant de for-mer à un métier, Valérie Pécresse, la ministre del’enseignement supérieur et de la recherche, n’aeu de cesse de marteler ce message. La loi LRU ad’ailleurs officiellement confié aux universitésune mission d’insertion professionnelle de leursétudiants. Et pour que le message passe mieux,le ministère de l’enseignement supérieur a ajou-té à l’intitulé de sa direction générale de l’ensei-gnement supérieur la mention « insertion pro-fessionnelle » (DGESIP).Ce message répétitif a le don d’agacer. « Toutcela, c’est de la démagogie ! », s’insurge PierreDubois, ancien directeur de l’Observatoire desformations et des insertions professionnelles(Ofipe) de l’université de Marne-La-Vallée.« Toute l’histoire de l’université a été marquéepar la préparation à l’emploi. »Depuis plusieurs siècles, les facultés de méde-cine ou de droit, voire, plus récemment, lesécoles d’ingénieurs internes aux universités,préparent leurs étudiants à des métiers. Demême, les universités forment traditionnelle-ment les futurs enseignants. A cela, se sont ajoutées tout au long des cin-quante dernières années, sous l’effet des poli-tiques universitaires successives, de nombreusesfilières professionnalisantes.En 1966, l’Etat a créé les instituts universitairesde technologie (IUT) ; puis, en 1971, les maîtrisesde sciences et techniques (MST) et de sciencesde gestion (MSG) ; en 1974, les diplômesd’études supérieures spécialisées (DESS). Dix ansplus tard, sont venus les diplômes d’études uni-versitaires de sciences et techniques (Deust),puis les magistères, en 1985. Enfin, dans le cadre

de la nouvelle architecture licence-master-doc-torat (LMD), se développent depuis 1999 deslicences professionnelles, tandis que lesanciens MST, MSG ou DESS ont été rebaptisés« masters professionnels »… Si les grands pôles universitaires traditionnelsoffrent quelques-uns de ces nouveaux diplômes,les nouvelles universités, créées depuis lesannées 1970 comme à Mulhouse, Lorient,Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise, se sont fait une

spécialité des formations professionnalisantes,en recourant souvent massivement à l’appren-tissage. Dans le même temps, les universités se sontdotées d’outils plus spécifiques d’insertion.« Nous n’avons pas attendu la création, par la loiLRU, des bureaux d’aide à l’insertion profession-nelle (BAIP) pour faire de l’insertion profession-nelle, rappelait Philippe Augé, le président del’université Montpellier-I, lors d’un séminairesur ce thème en novembre 2009. Les premièrescellules d’information et d’orientation remontentà 1975. » Les services communs d’orientation ontensuite été créés dans les années 1980, les obser-vatoires de l’insertion professionnelle dans lesannées 1990, et les écoles doctorales, qui doiventdésormais assurer l’insertion professionnelle deleurs docteurs, dans les années 2000… Depuis 2006-2007, la dynamique en faveur des

questions d’insertion professionnelle a bienchangé. Les universités ont défini leur stratégieet coordonné leurs différents services. Là où il yavait plusieurs services éparpillés, a été mise enplace une structure unique, rattachée le plussouvent à un vice-président de l’université. Bref,l’insertion professionnelle et le rapprochementavec le monde de l’entreprise sont devenus desaxes stratégiques des universités.« Nos rapports ont bien changé avec les universi-tés, témoigne Jacky Chatelain, le directeur géné-ral de l’Association pour l’emploi des cadres(APEC). Entre 1998 et 2003, nous avions des rela-tions avec elles, mais nous déplorions de nom-breuses annulations d’interventions et unmanque de suivi des étudiants les plus fragiles.Désormais, la préoccupation de l’orientation avéritablement émergé dans les universités. »Depuis la rentrée 2009, l’APEC a multiplié lesconventions de partenariat avec des universités,proposant des conseils, des formations ou denouveaux outils d’aide à l’insertion des étu-diants offerts justement, dans le cadre des BAIP.Cette nouvelle dynamique ne doit rien auhasard. Depuis cette année, le ministère de l’en-seignement supérieur dote en partie les univer-sités en fonction de leurs « performances ».Pour l’instant, cette performance prend encompte, selon le ministère, « la valeur ajoutéedes établissements en matière de réussite en licen-ce et au DUT et du nombre de diplômés de mas-ter, et la notation des unités de recherche effec-tuée par l’Aeres [Agence d’évaluation de larecherche et de l’enseignement supérieur], ainsique le nombre de doctorats délivrés ». Mais àmoyen terme, elle inclura les taux d’insertion deleurs diplômés. Pour bénéficier de données standardisées auniveau national, les universités interrogentdepuis décembre 2009 leurs diplômés de mas-ter et d’IUT de 2007 dans le cadre d’une vasteenquête demandée par le ministère sur le deve-nir professionnel de leurs anciens.

« A l’avenir, les moyensfinanciers que l’Etat alloueraaux universités serontfonction des objectifsd’insertion qui leurseront fixés »

Valérie Pécresse,

ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Formation Dossier/Orientation

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mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

Les premiers résultats devraient être présentés à l’été2010. Les universités se sont d’autant plus mobili-sées que Valérie Pécresse leur rappelait en octobre2009, dans le quotidien Le Parisien, que « si elles neprésentent pas d’indicateur [d’insertion profession-nelle], les étudiants se détourneront naturellementet iront voir ailleurs. Ensuite, parce qu’à l’avenir lesmoyens financiers que l’Etat leur allouera seront fonc-tion des objectifs d’insertion qui leurs seront fixés ».

Cependant, ce mouvement général vers la« professionnalisation » encouragé fortementpar le gouvernement continue d’inquiéter unepartie de la communauté universitaire. Encréant des formations professionnelles, « onprétend créer un système idéal, dans lequel laprévision des besoins du marché du travail per-mettrait de planifier les formations, et d’ap-porter aux entreprises exactement ce qu’il leur

faut comme ressources humaines », remarquePaolo Tortonese, professeur de littérature fran-çaise à l’université Paris-III-Sorbonne nouvel-le. De même, les universitaires estiment quele rapprochement avec les entreprises néces-site des garde-fous, afin que les universitésconservent la maîtrise de leur recherche et deleurs diplômes.

Philippe Jacqué

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40 / Le Monde Campus mardi 130 mars 2010

Quatre BAIP dans le ventA Aix-Marseille, Bordeaux, Lille et Limoges, étudiants et diplômés commencent à utiliser les services des tout nouveau bureaux d’aide à l’insertion professionnelle. Conseils, ateliers deCV, rencontres avec les entreprises, offres d’emplois et de stages sont au programme.

Depuis août 2007 et la loi relative aux liber-tés et responsabilités des universités (LRU),qui a inscrit dès son article 1, parmi les «mis-

sions du service public de l’enseignement supérieur»,non plus seulement la formation et la recherche,mais aussi « l’orientation et l’insertion profession-nelle », chaque université se doit de mettre en placeun bureau d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP). Voici à Aix-Marseille, Bordeaux, Lille et Limoges,quatre visions de ces BAIP naissants.

Université de Limoges, au « carrefour desétudiants »Petits déjeuners entre étudiants et représen-tants d’entreprises, forums thématiques, ate-liers de CV et de recherche d’emploi, centre degestion des stages, observatoire de l’insertionprofessionnelle et chaîne de télévision Canal-SUP emploi (Web TV consacrée à l’emploi)…Avec ses vingt salariés, le « carrefour des étu-diants », le BAIP de Limoges, concentre depuis

septembre 2009 l’ensemble des actions– mises en place depuis la fin des années1990 – en matière d’aide à l’orientation et d’in-sertion professionnelle.Après des années de méfiance à l’égard desquestions d’insertion professionnelle, la greffesemble prendre dans les rangs universitaires.Non seulement le forum des métiers a étérebaptisé sans protestation aucune « rencontresétudiants-entreprises », mais les étudiants n’y

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mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

vont plus en touristes. « Lors des dernières ren-contres, les étudiants étaient bien préparés. Ilssavaient pour quels métiers se présenter bienhabillés, un CV sous le bras », explique SylvainBenoît, son directeur. Au-delà de l’insertion, le carrefour gère égale-ment « RE/AGIR », un dispositif de réorienta-tion des étudiants « décrocheurs ». Cette année,ils sont cinquante-quatre à bénéficier d’une ses-sion de seize semaines de remise à niveau : huitsemaines de formation (connaissance de l’en-treprise, technique et recherche d’emploi, etc.)et huit semaines en entreprise. Environ 80 % deces étudiants se réorientent en IUT ou BTS.

Philippe Jacqué

A Aix-Marseille, un « guichet unique » Un « gui-chet unique » pour l’orientation et l’insertion :c’est ainsi qu’a été conçu le BAIP de l’université

Paul-Cézanne (Aix-Marseille-III). Sur cette plate-forme d’orientation et d’insertion professionnel-le (POIP), on trouve tous types de services ouvertsautant aux lycéens qu’aux étudiants et auxjeunes actifs. La POIP forme aux techniques de recherche d’em-ploi, met en lien étudiants et entreprises sur sonsite interactif d’offres d’emplois et de stages, orga-nise des conférences métiers et des forums. Pourceux qui n’ont pas encore de projet profession-nel défini, la plateforme informe, conseille, éta-blit des bilans de compétences. Pour les futursentrepreneurs, elle tisse des partenariats exté-rieurs, afin de les accompagner dans leursdémarches et la recherche de financement. Pourles doctorants, la prise en charge est la même,avec le collège doctoral du pôle de recherche etd’enseignement supérieur (PRES).L’université Paul-Cézanne n’a pas attendu la loi LRUpour s’intéresser à l’avenir de ses étudiants. Avantl’ouverture de la POIP, en octobre 2008, plusieursservices coexistaient, mais « leur actions étaientmal coordonnées, explique Basile Sircoglou, vice-président de l’université et directeur de la POIP. Enrestructurant la chaîne, nous avons cherché à créerune synergie ». Pour lui, aucune chance d’insertionréussie sans « un travail en amont. C’est pour celaqu’il fallait décloisonner les missions d’orientationet d’insertion ».Pour autant, si les étudiants de licence ou de mas-ter 1 viennent rechercher des idées d’orientation,les étudiants de master 2 hésitent encore à fran-chir le pas du POIP pour préparer leur entréedans la vie active.

Aurélie Collas

A Bordeaux, les directeurs de masterss’engagentA l’université Montesquieu (Bordeaux-IV), ladirection de l’orientation, des stages et de l’in-sertion professionnelle réunit le bureau desstages, l’observatoire de la vie étudiante et lecentre d’information et d’orientation. Le servicereçoit 20 000 visites d’étudiants par an, une per-formance pour une université qui en compteprès de 13 800… Reste que l’insertion profes-sionnelle est, elle, déléguée aux directeurs demasters, les mieux à même de gérer ces tâches.Ainsi, le BAIP se concentre sur la mise en placede « modules d’insertion professionnelle » danschaque master. « Ces formations auront pourmissions d’aider à la recherche de stages et dedévelopper la connaissance du monde du tra-vail », précise Martine Cogné, responsable admi-nistrative de la direction de l’orientation, desstages et de l’insertion professionnelle (Dosip).Si un quart des masters ont déjà intégré cemodule dans leur maquette, la totalité devra l’in-tégrer d’ici à la rentrée 2010. Les masters serontégalement en première ligne pour la mise en

place de réseaux d’anciens. « Nous sommes entrain de réfléchir à des outils informatisés pourgérer des listes d’anciens étudiants et permettreles contacts entre les anciens et nos étudiants »,confie Gérard Bordenave, le directeur de la Dosip. Autre outil d’insertion, un diplôme universitaired’insertion professionnelle, qui sera mis en placeà la rentrée 2010 pour les nouveaux diplômés enrecherche d’emploi. « L’idée d’un tel diplôme sejustifie par un besoin, explique M. Bordenave. Nosanciens étudiants doivent pouvoir accéder enco-re, pendant un an, aux services de l’université. »

A. C.

Lille-II : concilier proximité et rationalitéC’est à une sorte de grand écart que se livre l’uni-versité Lille-II. Lorsqu’il s’est agi, il y a quelquesmois, de réorganiser le service d’orientation dece campus qui accueille 27 000 étudiants en

santé et en droit, l’établissement s’est attaché àla fois à « aller au plus près de l’étudiant », selonles termes de Patrick Pelayo, vice-président à l’in-sertion professionnelle, et à harmoniser lesstructures existantes dispersées. Le résultat, c’estun BAIP « sous forme de réseau » : un bureau cen-tral qui regroupe les principales missions et descorrespondants locaux dans chaque composan-te de l’université. Gérer le loin aussi bien que leproche. Pour y parvenir, Lille-II mise résolumentsur Internet. Un site web a été créé. Sa concep-tion repose sur l’idée de carrefour. « L’idée, cen’était pas de repeindre les murs, mais d’abattredes cloisons, et notamment celles qui séparent lemonde de l’entreprise de celui de l’université »,explique M. Pelayo. Les entreprises peuventaccéder au site et déposer des offres d’emploidétaillées. Les étudiants ont une partie dédiéeoù ils peuvent déposer leur curriculum vitæ rédi-gé, voire filmé. Ils peuvent également trouverdes conseils pour rédiger leur CV… « Tout com-mence en ligne mais, rapidement, ils peuventavoir un rendez-vous individuel ou collectif, suivredes sessions de formation. Quatre à cinq centsétudiants en ont déjà bénéficié », précise PatrickPelayo. Le site est aussi ouvert aux anciens élèves.C’est tout le défi de cette organisation « deréseau » : toucher tout le monde et offrir, dansle même temps, un seul interlocuteur.

Benoît Floc’h

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«Plusieurs servicescoexistaient, mais « leuractions étaient malcoordonnées. En restructurantla chaîne, nous avons cherchéà créer une synergie »

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Le taux d’insertion fait rêver. Avec 98 % dedocteurs placés, le diplôme d’ingénieriedes projets innovants (IPI) de l’université

de Strasbourg, réservé aux seuls docteurs ensciences, est pour l’instant un succès. « Initiépar le conseil régional d’Alsace en 2005, ce diplô-me avait pour ambition de mettre le pied àl’étrier à nos docteurs tout en irriguant le tissude PME et PMI et les structures en charge de l’in-novation », explique Patrick Llerena, l’un desresponsables de cette formation continueinédite qui accueille chaque année une dou-zaine de docteurs. « Notre idée est de capitali-

ser sur le savoir-faire et les compétences des doc-teurs et de les former à la gestion de projets »,poursuit l’économiste, spécialiste de la gestionde l’innovation. Après une mise à niveau engestion, les docteurs obtiennent un contrat desix mois en entreprise pour y mener un projeten situation. Plus d’une centaine de docteurs postulentchaque année pour bénéficier de cette forma-tion. Preuve que la question de l’insertion pro-fessionnelle est devenue majeure au niveaudu doctorat. Sur les 10 000 docteurs français formés chaqueannée, seuls 60 % trouvent un poste dans larecherche, et 39 % dans une structure publique.« Pendant les années 1970, un étudiant prépa-

rant une thèse ne se posait pas de question. Ildevait se destiner à l’enseignement supérieur oula recherche. A la fin de cette décennie, faute depostes, les chercheurs se sont rendu compte qu’ilfallait trouver de nouveaux débouchés », consta-te Fabrice Martin, de l’Association Bernard-Gre-gory (ABG), qui travaille à l’insertion profes-sionnelle des docteurs depuis les années 1990. Vingt ans plus tard, l’Etat et les universités ontprogressivement pris la mesure de cette nou-velle donne. En créant d’abord, au tournant desannées 2000, les écoles doctorales, des struc-tures qui réunissent leurs thésards par grandesdisciplines. Puis, en demandant à ces écolesd’assurer l’insertion professionnelle de leursdocteurs. Une petite révolution. « Evaluées surcette mission, les écoles doctorales n’ont pu faireautrement que s’y plier en proposant des for-mations complémentaires », relève M. Llerena. Objectif : préparer les jeunes scientifiques àl’après-thèse et notamment à se mettre envaleur pour entrer dans une entreprise, débou-ché désormais incontournable. « Pendant leurthèse, expérience professionnelle de recherche,ces scientifiques développent des compétencestransférables, comme gérer de nombreux pro-blèmes en même temps, gérer l’échec d’expé-rience, ou travailler en équipe. Les entreprisesont besoin des ces compétences, mais il fautconvaincre les docteurs de les mettre en valeur »,explique Philippe Denoulet, directeur de l’Ins-titut de formation des doctorats de l’UniversitéPierre-et-Marie-Curie (UPMC).Il faut surtout convaincre les entreprises. Lesingénieurs sont toujours préférés aux docteurs.Bien formaté, le diplôme d’ingénieur est toutde suite lisible pour le privé. « Les industrielsconnaissent beaucoup mieux le monde desgrandes écoles que celui des universités », confir-me Jean-Claude Lehmann, ancien directeur dela recherche de Saint-Gobain. Les docteurs

apparaissent en revanche, selon le Centred’études et de recherches sur les qualifications(Céreq), comme de « purs esprits, probablementréticents à s’intégrer dans un collectif et une réa-lité productive ».Pour casser les stéréotypes et rapprocher lesentreprises des universités, ces dernières ontdéfini leur propre stratégie en piochant dansles outils mis à disposition par le ministère,comme les thèses en entreprise (conventionsindustrielles de formation par la recherche),qui permettent de financer plus d’un millier dedoctorants par an. A Lyon, le pôle de recherche et d’enseigne-ment supérieur (PRES) offre ainsi aux5 000 doctorants de la métropole un choixd’une cinquantaine de modules de formationcomplémentaire, de la prise de parole enanglais à la création d’entreprise, en passantpar la gestion de crise ou les enjeux de la pro-priété industrielle… Les PRES d’Aix-Marseille ou de Bretagne ontopté pour les « doctoriales », popularisées parl’ABG. Sur une semaine, 70 à 80 doctorants d’un

ou plusieurs établissements se réunissent pourun séminaire résidentiel. Au menu : des ren-contres, des visites d’entreprises et des simula-tions de création d’entreprises innovantes.Réunis par groupes, les doctorants doivent pré-parer et défendre des projets d’entreprises.« Une vingtaine de doctoriales sont désormaisorganisées chaque année », explique FabriceMartin, de l’ABG.Enfin, en plus de son offre de formations com-plémentaires, l’UPMC a décidé de créer, enfévrier 2010, un doctorat « science et manage-ment », en coopération avec le collège des ingé-nieurs, une structure de formation financée parl’industrie. Selon Philippe Déroulet, son res-ponsable, « ce double cursus permet à onze denos doctorants de suivre en parallèle à leursrecherches, des formations de gestion. Au boutde trois ans, ils obtiendront un doctorat ainsiqu’un MBA. A terme, ces personnes pourrontprétendre à des postes de responsabilité dansdes grandes entreprises ».

Philippe Jacqué

Redorer le blason des thésardsLes entreprises continuent à préférer les ingénieurs aux docteurs.

Les écoles doctorales, créées au début des années 2000, s’effor-

cent de casser des stéréotypes bien ancrés.

« Ce diplôme avait pourambition de mettre le pied àl’étrier à nos docteurs. Notreidée est de capitaliser sur lesavoir-faire et les compétencesdes docteurs et de les former àla gestion de projets »

« Pendant leur thèse, expérienceprofessionnelle de recherche,ces scientifiques développentdes compétences transférables,comme gérer l’échecd’expérience, ou travailler enéquipe. Les entreprises ontbesoin de ces compétences »

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Finance et dépendance

Pour Gérard Blanchard, président del’université de La Rochelle, cela ne faitpas un pli : resserrer les liens avec les

entreprises pour favoriser l’insertion profes-sionnelle des étudiants, « c’est plus qu’unechance, c’est absolument nécessaire. Nousavons très fortement développé les relationsavec les entreprises ».L’une de ses initiatives les plus embléma-tiques est la création d’un diplôme d’univer-sité (DU, non reconnu par l’Etat) avec l’entre-prise Alstom, l’un des leaders mondiauxdans les infrastructures de production d’élec-tricité et de transport ferroviaire. « Alstoms’est rendu compte que les ingénieurs sortisd’écoles sont souvent trop spécialisés,explique M. Blanchard. C’est un handicappour un grand groupe. D’où l’idée de créer uneformation plus globale. » Pour les étudiantsde master, ces 130 heures de cours sur deuxans permettent de valider un « master + » :une carte de plus dans leur jeu avant d’entrersur le marché du travail. Ce projet de DU a pu voir le jour grâce, notam-ment, à la fondation créée en juillet 2009 par

De plus en plus d’entreprises sponsorisent des formations via desfondations. La liberté desuniversitaires est-elle menacée ?Les présidentsd’université affirmentque la maîtrise de ces projets est biende leur côté.

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Formation Dossier/Orientation

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l’université. Alstom y apporte son soutien, parmid’autres entreprises. La création d’une telle struc-ture est l’une des nouvelles dispositions prévuespar la loi sur l’autonomie des universités de 2007(dite « LRU » pour loi relative aux Libertés et res-ponsabilités des universités). La Rochelle, parmi les vingt premières univer-sités à accéder à l’autonomie, n’a pas hésité àprofiter de cette opportunité. « Grâce à cette fon-dation, explique le président de l’université, il

est possible de financer toutes sortes de pro-jets. Nous, nous mettons l’accent sur l’insertionprofessionnelle des étudiants. Avec les entre-prises, par exemple, nous travaillons pour faireévoluer les diplômes. » Le financement du DU(quelque 20 000 euros par an) par Alstom, viala fondation, permet à l’université d’offrirune totale gratuité aux cinquante étudiantsqui en bénéficient.D’autres universités ont pris des initiatives simi-laires, quoiqu’avec des modalités différentes.L’université d’Auvergne (Clermont-Ferrand-I) amonté un DU avec le laboratoire Sanofi pourformer des médecins qui se destinent à l’indus-trie pharmaceutique. Ce « diplôme de notoriéténationale a été adoubé » par le secteur, se félici-te Philippe Dulbecco, président de l’université.La mise en place d’une formation « à visibilitéinternationale » sur les politiques agricoles esten préparation avec le quatrième semenciermondial, Limagrain. L’université de Paris-EstMarne-la-Vallée a, quant à elle, monté deslicences professionnelles en coopération avecVéolia, leader des services à l’environnement,ou avec le constructeur Bouygues.Bien d’autres liens existent entre entrepriseset universités, garantie aux yeux de ces der-nières de la pertinence et de la qualité profes-sionnelles des formations dispensées. De nom-breux cursus sont élaborés en lien avec lesentreprises du secteur d’activité concerné.Beaucoup de formateurs de licence ou de mas-ter pro sont des cadres du privé. Les stages etformations en alternance (comme l’apprentis-sage) se développent grâce à des partenariatsmontés entre les universités et les entreprises.L’apprentissage ne concerne cependant que 3 %à 4 % des étudiants.Cette évolution, pourtant, n’a pas que des par-tisans. « Sans la dramatiser, cette tendance, quis’inscrit dans la logique de la LRU, est plutôt

inquiétante, estime Azwaw Djebara, responsabledes questions universitaires à l’Union nationaledes étudiants de France (UNEF, syndicat majo-ritaire). La professionnalisation, c’est donner desoutils d’insertion professionnelle. Ce n’est pasjuste une présence plus forte des entreprises dansles universités. » L’UNEF ne s’y oppose pas parprincipe. Mais le syndicat refuse une « logiquepurement “adéquationniste” » selon laquelle lesentreprises financeraient certaines formationsen fonction de leurs besoins de recrutement àcourt terme. Mêmes craintes au Snesup (FSU),syndicat majoritaire des enseignants-cher-cheurs, pour qui « les entreprises profitent d’unesituation de sous-financement des universitéspar l’Etat ». « Or, met en garde Stéphane Tassel,secrétaire général, l’argent public permet de seprotéger de l’intérêt particulier et de se projeterdans le temps long. On ne mesure pas les consé-quences de cette tendance dangereuse pour l’en-seignement supérieur ! Ce sont des pans entiersde la recherche qui vont disparaître au profit derecherches qui rapportent. » En définitive, dit-il,« l’entreprise achète le tampon de l’université ».« Fantasmes ! », proteste le président de l’uni-versité d’Auvergne. « C’est nous qui pilotons ! Lesentreprises, ça ne les intéresse pas de piloter. Elles

peuvent se passer de nous ; nous, non. C’est plu-tôt l’université qui va vers l’entreprise que lecontraire. Et ce n’est pas contradictoire avec lesouci de financer un master en droit romain,pour lequel nous nous battons par ailleurs ! »M. Dulbecco ne perd pas de vue que « [son]métier, c’est de former des jeunes pour qu’ilstrouvent un emploi. Et ça, l’université ne peut lefaire en vase clos ».Quant aux formations avec Limagrain ou Sano-fi, elles sont totalement sous le contrôle del’université, assure-t-il : contenu, expertisepédagogique, financement par les droits d’ins-cription payés par les étudiants. « Les entre-prises se contentent de fournir certains interve-nants et de faire la promotion du diplôme »,explique le président. « Un assujettissement dans le domaine de la for-mation ? Je ne vois pas trop, assure Nicole Nico-las, pour la Conférence des présidents d’uni-versité. Dans certaines formations enalternance, c’est parfois le cas. Certaines entre-prises essaient de se faire leur propre licence vial’apprentissage. Mais nous pourchassons cegenre de chose. Dans tous les cas, les universitésdoivent être vigilantes. »

Benoît Floc’h

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L’argent public permet de se protéger de l’intérêtparticulier et de se projeterdans le temps long

Business plans étudiantsà Villeneuve-d’Ascq

Au 4e étage de ce bâtiment,planté au beau milieu dela cité scientifique de Vil-

leneuve-d’Ascq (Nord), une dizai-ne d’étudiants tapotent, l’airsérieux, sur des ordinateurs por-tables. Ils peaufinent leur projetd’entreprise. Nicolas souhaitecréer un logiciel capable deconcevoir des applications pourtéléphones mobiles. Florian veutconcurrencer MSN avec unemessagerie instantanée nouvel-le génération... Tous ont usé leursfonds de culottes sur les bancsde la fac. Et rêvent d’y trouversalariés et idées.Bienvenue chez Cré’Innov, lepréincubateur de l’Universitédes sciences et de technologie deLille-I. Depuis 2002, Cré’Innovaccueille des porteurs de projetsen lien avec les chercheurs et lesétudiants du cru. « Notre comité

de sélection a examiné environ130 projets, qui ont donné vie àune trentaine d’entreprises », sefélicite Dominique Droma, ledirecteur des lieux. La quasi-totalité d’entre elles existe enco-re. La première entreprise épau-lée, Osyris, s’est fait un nom dansle domaine du laser médical etcompte désormais 80 salariés. Le rôle de Cré’Innov ? Laisser letemps aux entrepreneurs d’affi-ner leurs projets, en mettant àleur disposition, pendant un anou deux, un espace de travail, unréseau et des conseils – la struc-ture est soutenue par les collec-tivités locales, la Chambre decommerce et d’industrie –, sansoublier des investisseurs.« Cré’Innov nous a aussi permisde prendre en stage des étu-diants en graphisme, des tech-niciens informatiques et des

commerciaux », expliqueGuillaume Houdé, 24 ans, diri-geant de Doonia, qui commer-cialise un logiciel de gestiondes télécommunications, ins-tallé dans une ruche d’entre-prises située à quelques enca-blures seulement.« Cette incitation à la créationprocure des débouchés moti-vants pour les étudiants et leschercheurs, souligne Isam Shah-rour, vice-président de Lille-I.Nous avons eu des retombéesdirectes des entreprises crééesau cours des dernières années,que ce soit en termes de dépôtsde brevets, de financements deprojets par l’Agence nationale dela recherche, ou encore deconventions industrielles de for-mation par la recherche (Cifre)pour les chercheurs. »

Julien Dupont

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46 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Entretien avec Alain Renaut, philosophe

« Nous avons trop longtemps diabolisé le monde de l’entreprise »

Avec la loi relative aux libertés et aux respon-sabilités des universités (LRU) votée en 2007,les universités françaises ont pour missionl’insertion professionnelle. Est-ce leur voca-tion de trouver un job à leurs étudiants ? Il faut distinguer les disciplines. Depuis toujours,certaines facultés des universités avaient pourmission de transmettre des formations directe-ment professionnalisantes : la faculté de droit,celle de médecine et, jadis, celle de théologie,ouvraient sur des métiers. Durant les premierssiècles des universités, ce qui ressemblait le plusaux formations relevant aujourd’hui des huma-nités était rassemblé dans la faculté des arts (gram-maire, rhétorique, dialectique, etc.), qui constituaitune sorte de propédeutique aux savoirs profes-sionnalisants. Les choses changent quand, à par-tir de la fin du XVIIIe siècle, apparaissent à côté desuniversités (qui seront supprimées en 1793), desécoles expressément professionnalisantes (Mines,Polytechnique, etc.). Du même coup, quand lesuniversités proprement dites renaissent en 1896,la question de leurs finalités se posera en destermes tout différents, particulièrement quandles facultés des lettres et sciences humaines vontvoir affluer de plus en plus d’étudiants – posantainsi le problème de leur devenir social en destermes inédits. Après le vote de la loi LRU, le débata été relancé de manière vigoureuse. Pour certains,notamment en sciences humaines, cette nouvellemission est en rupture avec les missions univer-sitaires classiques de formation à des savoirs dehaut niveau et de recherche. La crainte s’exprimeque cette mission nouvelle n’entraîne la profes-sionnalisation de toutes les formations, donc ne

les dévie de la recherche en les soumettant à lalogique du marché.

Est-ce un danger ? S’il s’agissait de « professionnaliser » toutes les for-mations et d’en définir le contenu directement selonleur finalité professionnelle, ce serait très inquiétant.La philologie, la philosophie, les lettres ou le latin nesurvivraient pas à une telle logique. Les choses seprésentent autrement. Avoir le souci de l’insertionprofessionnelle des étudiants n’impose pas une pro-fessionnalisation des contenus. Il existe – indépen-damment de la médecine, du droit ou des forma-tions dispensées par les Instituts universitaires detechnologie (IUT) – des licences et des masters pro-fessionnels, dont les programmes sont déterminéspar la considération explicite de métiers. Ce n’est pasle cas de l’immense majorité des formations, oùnous ne pouvons pas indexer les contenus sur des

professions précises. Nous ne pouvons pas non plusne pas nous soucier du devenir – social et profes-sionnel – de tant d’étudiants inscrits, pour la plu-part, dans les premières années en scienceshumaines et sociales.

Comment envisagez-vous cette mission ?Classiquement, la solution était trouvée dans lesmétiers de l’enseignement. Pour des raisons mul-tiples, nous savons aujourd’hui que la plupart de nosétudiants dans les humanités ne deviendront ni pro-fesseurs ni chercheurs. On sait que beaucoup dediplômés dans ces secteurs trouvent des emploisdans l’édition, la presse ou la fonction publique. Onconnaît trop mal encore leur devenir. A mieux leconnaître, il deviendrait plus aisé de compléter lesformations par des modules optionnels rendant lescompétences acquises plus lisibles, plus déchiffrablespar les recruteurs publics ou privés. Par exemple, dansun master de philosophie politique et d’éthique, enproposant un module optionnel autour de métiersdu conseil. De telles solutions, qu’il faut inventer sec-teur par secteur, ne touchent en rien au contenu desformations, qui ne sont pas « professionnalisées »,mais elles rendent les compétences des étudiants plusopératoires dans des contextes différents et montrentdans quelles fonctions ils peuvent s’insérer.

A la faveur de ce souci de l’insertion, les uni-versités doivent-elles craindre les entreprises? En France, les liens entre le monde universitaire etcelui de l’entreprise sont historiquement tendus…Nous avons trop longtemps diabolisé le monde del’entreprise et le marché, craignant que les entre-preneurs ne viennent débaucher des étudiants deleur formation au savoir... Il y aurait quelque choseà craindre du monde économique si l’intégrercomme un partenaire des réflexions sur nos for-mations signifiait que toutes doivent être profes-sionnalisées dans leurs contenus et s’adapter à lademande économique. A l’université belge de Lou-vain-la-Neuve, l’un de mes collègues philosophe esttitulaire depuis des années d’une chaire puissante,qui est une chaire d’entreprise. Financée par Hoo-ver, elle est l’une des plus actives en Europe dans lesdomaines de pointe en philosophie politique et enéthique, et ce qui s’y trouve défendu par ses ensei-gnants et ses chercheurs exprime tout autre choseque les « intérêts du marché ».

Propos recueillis par Philippe Jacqué

Alain Renaut est professeur dephilosophie à l’université Paris-Sorbonne(Paris-IV). Il dirige l’Observatoire européendes politiques universitaires. Il met enchantier avec plusieurs partenairesl’élaboration d’un nouvel « indice dudéveloppement académique » desdifférents pays.

2009 Alain Renaut est membre du Conseildes humanités et des sciences sociales.2008 Il participe à la Commission deréflexion sur l’avenir des personnels del’enseignement supérieur qui a rendu sonrapport public en juin 2008.Il publie Quel avenir pour nosuniversités ? Essai de politique universitaire(Timée Editions).1995 Les Révolutions de l’université. Essaisur la modernisation de la culture(Calmann-Lévy).

« DR

Formation Dossier/Orientation

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La voie royale de l’apprentissageL’apprentissage séduit des étudiants de plus en plus nombreux. Ils considèrent que cette voieleur facilite l’entrée dans le monde du travail. Ils bénéficient du statut de salarié et sont rémunérés. Mais ils n’ont droit, à ce titre, qu’à cinq semaines de congés.

Julien Lepreux, aujourd’hui âgé de 26 ans, ingé-nieur d’études et de développement en électro-nique dans l’aviation, a passé sa deuxième année

de master en apprentissage, chez Thales. « Très vite,se souvient-il, j’ai été pris par le projet d’entreprise etintégré à 100 % dans l’équipe. Ma mission était liéeà de gros enjeux techniques. C’était donc assez pre-nant et il n’était pas facile, au début, de concilierétudes et entreprise. J’ai été embauché dans la fou-lée. L’apprentissage, c’est vraiment le meilleur moyende trouver du travail. D’une manière générale, eneffet, les diplômes ne sont pas toujours adaptés aumarché du travail, mais là, ce que je faisais chezThales était parfaitement adapté à la théorie appri-se à l’université. Mon insertion professionnelle s’estdonc faite naturellement. »Le contexte est différent pour Chloé Szopinski, maisla jeune femme a pu vérifier, comme Julien, com-bien l’apprentissage permettait de donner du sensaux études. Aujourd’hui en master de gestion dupatrimoine à l’Institut d’administration des entre-prises Gustave-Eiffel (université Paris-Est-Créteil),Chloé a pu tester ses goûts et affiner son projet pro-fessionnel grâce à l’alternance. «J’ai passé une annéeen apprentissage en ressources humaines dans uncabinet de recrutement, raconte-t-elle. Je me suisaperçue que je ne voulais pas faire de ressourceshumaines. C’est l’avantage de l’alternance, qui sert àvoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas. Et sansrisque, car je continuais mes études. »Comme Julien et Chloé, nombreux sont les étudiantsqui optent désormais pour l’alternance. Certes, ils neconstituent toujours qu’une faible minorité. Sur les97 000 jeunes apprentis de l’enseignement supé-rieur, la moitié prépare un brevet de technicien supé-rieur (BTS), formation dispensée en lycée. Le tauxd’apprentis à l’université tourne donc autour de 3 %des effectifs. Mais c’est une minorité qui grossit à vued’œil. Entre 2000 et 2007, la part des apprentis enlicence professionnelle est passée de 5 % à 23 %, enmaster professionnel, de 0 à 6 %.Il faut dire que, sur le papier, les formations enapprentissage présentent bien des avantages. « C’est d’abord un facteur d’insertion professionnelle

hors pair », commente Eric Monmasson, vice-pré-sident chargé des formations professionnelles etdes relations avec les entreprises de l’université deCergy-Pontoise. Deux ans et demi après être sortisde licence pro (qui se prépare en majorité par l’ap-prentissage), 77 % des diplômés ont un emploi, 12 %continuent leurs études et 10 % cherchent unemploi. « Au niveau master, le taux est encoremeilleur, assure M. Monmasson. A bac+ 5, on estquasiment au plein-emploi. » L’université pluridis-ciplinaire de Cergy-Pontoise, « une jeune fac detroisième couronne », c’est-à-dire de lointaine ban-lieue parisienne, peut donc se réjouir du choix stra-

tégique opéré lors de sa création : « Compte tenudu milieu social des étudiants que nous accueillons,souvent modestes, nous avons très vite misé sur toutce qui est formation professionnelle, explique levice-président. Cela constituait également unmoyen de se distinguer des universités parisiennes. »Sur les 160 diplômes proposés aux 17 000 étu-diants, 72 ont un label professionnel et, parmi eux,50 se préparent en apprentissage.Josiane Tatin, directrice du CFA SUP 2000 – « le pre-mier centre universitaire de formation par l’appren-tissage de France avec 2 800 apprentis dans l’ensei-gnement supérieur, 1200 entreprises, 8 universités, le

Al’issue de sa Licence 3 à Jussieu en2009, Axel Gastineau, 23 ans, passe

des entretiens avec succès, après avoir étéprésélectionné sur dossier, pour intégrerun master de Méthodes informatiquesappliquées à la gestion des entreprises(Miage) à Paris-Dauphine. Pour cette occa-sion, il a acheté son premier costume... Uninvestissement qu’il n’a pas regrettéquand il a vu les autres prétendants crava-tés de frais. Si sa candidature a été retenue,son statut de sportif de haut niveau – enrugby – n’y est pas pour grand-chose. Onlui a bien fait comprendre que « le sportn’est pas la priorité ».Il entre alors en alternance pour « s’insérerdans la vie active en douceur et accumulerplusieurs années d’expériences, ce que lesentreprises apprécient. L’apprentissage per-met de poursuivre ses études tout en com-mençant à gagner un minimum sa vie». Par séquences de deux semaines, il tra-vaille chez SysRailData (filiale de la SNCF),une des sociétés auxquelles le Centre de

formation d’apprentis partenaire de l’uni-versité, avait envoyé son CV.Son contrat de deux ans signé avec SysRailDa-ta prévoit une rémunération – qu’il a négo-ciée – de 1 200 euros mensuels la premièreannée et 1 400 euros l’année suivante. Axelvit encore chez ses parents et met de côté cetargent qui lui servira plus tard à s’installer.Chez SysRailData, Axel est chef de projetsous la supervision d’un maître de stage.« C’est de la gestion de projet pure et dure,pas de la technique informatique »,explique-t-il. Il attend d’être formé pouracquérir de l’expérience et être opération-nel pour son prochain emploi.Pour la suite, Axel envisage de se lancerdans un mastère spécialisé, plutôt que d’en-trer dans la vie active car il craint d’être troppeu rémunéré. Grâce à l’alternance, l’entreprise lui paie saformation. Ce qui n’est pas négligeable : unmastère spécialisé en informatique à l’Essecrevient à près de 15 000 euros.Le plus dur, pour Axel ? « L’absence desvacances universitaires et le régime salariéstandard des cinq semaines de congés paran » car, quand il est à la fac, l’entrepriseconsidère qu’il est en formation.

P. J.

La vie active en douceur

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CNAM et deux écoles partenaires » – présente aussides chiffres avantageux. Le taux d’insertion global àcinq mois est de 86%. «Le taux de réussite à l’examen,précise encore Mme Tatin, est de 96 %. Donc, oui, pources 3 % d’étudiants, c’est une voie royale. »D’autant que, d’une part, «l’étudiant a le statut de sala-rié et touche un salaire, de l’ordre de 50 % du smic pourcommencer», ajoute Eric Monmasson et que, d’autrepart, «la mission en entreprise le valorise, le responsa-bilise et donne du sens à sa formation ».Devant tant d’éloges, il n’est pas étonnant de constaterque ces formations se soient développées dans dessecteurs où on ne les y attendait guère. On trouve, àl’université de Cergy, un master professionnel droitpénal et financier: «Il n’y avait pas d’apprentissage endroit il y a quelques années encore, relève Eric Mon-masson. Aujourd’hui, certains de nos étudiants sontapprentis dans des cabinets d’avocats ou des banques.Et ça marche. Avant, ils effectuaient des stages, non

cadrés, et ils en pâtissaient. L’apprentissage offre uncadre et la garantie d’un meilleur statut. Certains cabi-nets jouent le jeu. Mais il a fallu d’abord les convaincre.Maintenant, ça y est. »Tout le monde ne peut pas jouir de ce sésame pourle marché du travail, reconnaît pourtant le vice-pré-sident de Cergy. « C’est une filière plus coûteuse entemps et en investissement pour les équipes péda-gogiques, rappelle M. Monmasson. On ne peut pasimaginer ça pour tous les étudiants de licence. Lesmoyens de l’université ne nous le permettent pas. Etil faudrait aussi que les entreprises nous accompa-gnent. » Pour l’heure, cependant, tout se passe bien,poursuit-il : il y a « un équilibre » entre l’offre et lademande émanant des étudiants. Certes, «ponc-tuellement, dans certains secteurs, il y a quelques ten-sions parce que les équipes ne peuvent pas se démul-tiplier. Mais cela reste marginal.»Quoi qu’il en soit, l’alternance reste une filière sélec-tive de plus. Dans le même temps, précise Mme Tatin,l’apprentissage est « un mode de formation qui cor-respond à une forme d’intelligence plus concrète dejeunes qui ne supportent plus l’école et arrivent ainsià renouer avec une formation. S’ils étaient allés en pre-mier cycle ordinaire, ces jeunes risquaient de grossirles rangs des étudiants en échec. Et pour certains, cesont des jeunes qui n’auraient pas fait d’études supé-rieures. Sans compter la diversité. Les entreprises sont

souvent très frileuses pour embaucher ces jeunes. Lapériode d’alternance leur laisse le temps de les obser-ver, de se rendre compte qu’ils sont des jeunes commeles autres. L’embauche se fait donc en douceur. »Le problème, c’est que comme pour toute filière sélec-tive aux taux d’insertion flatteurs, le risque existe queles places ne soient finalement préemptées par lesmeilleurs étudiants qui n’auraient de toute façonguère de difficultés à trouver du travail. L’alternancepeut-elle suivre la même tendance déviante que lesInstituts universitaires de technologie (IUT), en prin-cipe destinés aux bacheliers technologiques, maispris d’assaut par ceux issus des filières générales? «Audébut, constate Nicole Nicolas, de la Conférence des

présidents d’université, l’apprentissage était fait pouraider des jeunes sans ressources et ayant besoin d’uneautre pédagogie. Puis des dérives sont apparues. Cer-taines universités en font une voie d’excellence pourdes étudiants qui auraient réussi de toute façon. »« Prudence, tempère l’entourage de Valérie Pécresse,ministre de l’enseignement supérieur et de larecherche, le choix de l’apprentissage est extrêmementastreignant. Il n’y a qu’un mois de vacances, parexemple. Beaucoup de jeunes y regardent donc à deuxfois quand ils ont les moyens de faire leurs études sansces inconvénients. » Ecarter les héritiers et les privi-lèges… Lourd défi pour une voie royale.

Benoît Floc’h

« Les entreprises sont souventtrès frileuses pour embaucherces jeunes. La périoded’alternance leur laisse letemps de les observer, de serendre compte qu’ils sontcomme les autres. L’embauchese fait donc en douceur.»

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Emploi

Actuellement en stagechez Bouygues Construc-tion, Maxence Ducro-quet sera sur le marchédu travail dans quelques

mois, diplôme de l’ESC Toulouse enpoche. Pour trouver un poste à songoût, il s’est inscrit sur LinkedIn etViadeo. Comme une évidence. « Jen’ai rien à perdre, et je m’en voudraisde manquer une offre qui pourraitêtre proposée via ce genre de site.» Cesdeux réseaux sociaux permettent àleurs membres de nouer en lignedes relations professionnelles, surle modèle de Facebook. On y échan-ge des contacts et des idées, on ydéniche des clients et des emplois. Les « Meetic du travail » sont en plei-ne expansion. Viadeo, premierréseau professionnel français, comp-te aujourd’hui 25 millions d’inscrits,dont 3,3 millions en France. Son pre-mier concurrent, l’américain Linked-In, rassemble plus de 55 millions demembres, dont 12 millions en Euro-pe. « Avec la crise, les annonceurs etles recruteurs sont moins présents surnotre site. Mais les membres conti-nuent d’affluer », atteste OlivierFécherolle, directeur général de Via-deo. Résultat, la moitié des inter-nautes inscrits sur le site de l’Asso-ciation pour l’emploi des cadres(APEC) sont également membres deViadeo. Tous les profils de cadres etd’agents de maîtrise y sont repré-

sentés. Et ce, quel que soit le secteurd’activité, même si les acteurs de lacommunication, de la vente et de lahigh-tech prisent particulièrementles réseaux virtuels. Viadeo et ses concurrents seraient-ils devenus des passages incontour-nables pour trouver un travail ? Possible : on trouve aujourd’huidavantage de candidats sur Viadeoque sur Monster, le plus connu dessites « traditionnels » de recherched’emploi. Ces derniers, appelés « jobboards », permettent uniquement

de consulter des annonces et demettre son CV en ligne. Selon uneenquête de l’organisme de sondageet d’étude marketing Novamétriepubliée en septembre 2009, 82 %des salariés interrogés estiment queles réseaux sociaux représentent unmoyen efficace de trouver unemploi. Par contre, seulement 5 %d’entre eux ont obtenu leur posteactuel par ce biais. Un taux quidevrait grimper très vite : selonl’étude, un cinquième des candidats

chercheront un emploi par lesréseaux en ligne en 2011. « Du côtédes recruteurs comme des candidats,le potentiel des réseaux sociaux faitl’unanimité », souffle ChristopheExcoffier, directeur de Novamétrie.L’APEC en semble également convain-cue. « Les réseaux sociaux profession-nels sont d’une importance crucialepour trouver un emploi et être visiblesur Internet, même s’ils ne doivent passe substituer au réseau physique »,explique Elisabeth Shemtov, ladirectrice générale adjointe del’APEC. Deux ans après avoir passéun partenariat avec LinkedIn, celle-ci vient de s’engager avec Viadeo.Les chercheurs d’emploi peuventdésormais lier leur compte APEC àleur compte Viadeo. L’objectif ?Savoir immédiatement si quelqu’unde votre réseau numérique connaîtl’entreprise à l’origine de telle outelle annonce. « Les réseaux en lignereprésentent une nouvelle manière defaire connaissance entre le recruté etle recruteur. Ils permettent de créeravec les recruteurs potentiels des rela-tions d’égal à égal et d’être beaucoupplus subtil dans la recherche d’em-ploi », note Mme Shemtov. Soit préci-sément ce que recherchent lesprimo-demandeur d’emploi. « A la sortie de l’Edhec, les réseauxsociaux étaient pour moi le moyen leplus simple d’atteindre le “marchégris”, c’est-à-dire les offres qui ne sont

pas publiées », se rappelle ThibaultDegroote. En passant par Viadeo, cediplômé de l’Edhec a réussi à tou-cher directement l’encadrementopérationnel des entreprises, ensautant la case DRH: « Cela m’a per-mis de faire comprendre plus facilementà mes interlocuteurs les particularités demon parcours.»«Contacter les bonnespersonnes permet d’en apprendrebeaucoup sur une entreprise. Surtout,on peut savoir comment faire pourpostuler de la manière la plus efficacepossible, selon la culture de l’entreprisevisée », souligne Patrice Malaurie,consultant en gestion des talentschez Talentys, une société deconseil. Ce que les « job boards » nepermettent pas de faire.Mais, un simple clic de temps entemps peut s’avérer contrepro-ductif. Les recruteurs n’aiment pasles profils inachevés. « Soigner sonidentité numérique est un travail defond, qui se poursuit tout au longd’une carrière. Il ne suffit pas de s’ins-crire et indiquer être en recherched’emploi. Il faut également être actif,remplir entièrement son profil,envoyer des liens intéressants sur son

Recrutement

« Il ne suffit pas des’inscrire et indiquerêtre en recherched’emploi. Il fautaussi être actif »

Du bon usagedes réseaux Si Facebook et Twitter nécessitent une véritable

rigueur pour la recherche d’un emploi, l’utilisation

d’outils Internet plus professionnels, comme

LinkedIn et Viadeo, peut s’avérer efficace...

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domaine d’activité, participer à des dis-cussions, se créer un réseau en trou-vant de nouveaux contacts parmivotre entourage, vos professeurs, voscamarades... », avertit Mme Shemtov. Un réseau étendu multiplie lesopportunités, mais il peut aussireceler quelques dangers. « Pourjouer la sécurité, n’acceptez ou n’invi-tez que les personnes qui ont votrecarte de visite. Et si par hasard vousvous apercevez qu’être en contact avecUntel pose problème, n’hésitez pas àrompre immédiatement le lien »,conseille Olivier Fécherolle. Attention aussi à ne pas se prendre

les pieds dans le tapis de la confi-dentialité des données. Sur lesréseaux professionnels, cela va desoi : le profil est un véritable CVamélioré, donc sans fantaisie. Enrevanche, il faut savoir gérer lesparamètres d’un compte Facebook :les photos de la dernière soirée oude la dernière conquête ne doiventêtre accessibles qu’aux « amis ».Seules les informations du compte– adresse mail, diplômes, expé-riences ou emplois – peuvent (etdoivent) être visibles par les « amisdes amis » et par « tout le monde ».En respectant cette prudence, aucun

recruteur potentiel ne pourra s’ef-faroucher de votre vie privée. « Sijamais l’un d’entre eux veut devenirvotre ami, renvoyez-le vers votre pro-fil Viadeo », suggère Jacques Frois-sant, directeur d’Altaïde, un cabinetde conseil en recrutement.Passées ces précautions d’usage,reste à savoir où placer sa carte devisite numérique. LinkedIn est sou-vent considéré comme l’endroitidéal pour les profils internatio-naux. Xing, le concurrent allemandde Viadeo, se focalise sur les paysgermanophones et l’Europe de l’Est.Enfin, Viadeo reste incontournable

en France et cherche à se dévelop-per dans les pays émergents et enEurope du Sud. « Pour assurer l’es-sentiel et ne pas perdre trop de temps,il suffit de gérer un profil sur Viadeoou LinkedIn, sans oublier de mettreson CV en ligne sur l’APEC et les jobboards », estime Jacques Froissant.Les réseaux sociaux généralistespeuvent enfin se montrer utiles auxjeunes diplômés. Le dernier arrivé, Twitter, encoreconfidentiel en France, trusté pourle moment par les professionnels dela communication et du Web, per-met en une heure de récolter plusd’une centaine d’annonces grâce aumoteur de recherche du site. A l’in-verse, Facebook, qui regroupe déjà15 millions de Français, évolue rapi-dement : les entreprises commen-cent à y créer des « pages fans ». Etu-diante au Ceram (Nice), CamilleDupont s’y est risquée. « Je me suisinscrite à tous les groupes des cabinetsd’audit financier, puis j’ai envoyé desmails aux membres. La plupart m’ontrépondu et j’ai pu obtenir des conseils,des entretiens et même un stage. »

Julien Dupont

Quasiment toutes les écolesde commerce, la plupart

des écoles d'ingénieurs... Noncontent de récupérer des pro-motions entières, Viadeo s'at-telle à développer des partena-riats avec les associationsd'anciens élèves. Comme avecl'Essec. Environ un quart des

diplômés en activité de la pres-tigieuse école de commerce estinscrit sur un réseau socialprofessionnel : 1 300 sur Lin-kedIn, 3 100 sur Viadeo. «Notre communauté de diplô-més est un réseau physique. Iln'est pas toujours évidentd'être en contact. Les réseauxsociaux facilitent les choses»,souligne Marie-Anne Coste-Devigne. responsable marke-

ting d'Essec Alumni. CommeXing et LinkedIn, Viadeo a pro-posé à l'association un parte-nariat sous la forme d'unecommunauté Essec hébergéesur le site. Celle-ci est réservéeuniquement aux diplômés àjour de leur cotisation, quivoient ainsi leur profil créditédu logo Essec Alumni. Afind’éviter les usurpations.

J. D.

Les anciens sur le Web

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Emploi

Achacun sa stratégie… et samorale. « Pas question pourmoi d’aller chasser sur Face-

book ! » Ce recruteur adepte desnouvelles technologies l’assure : lecélèbre réseau social aux 350 mil-lions d’inscrits n’est pas un terrainoù il pratique la traque du cadre.« Les candidats sont ici dans leursphère privée », dit-il. Il se contentedonc de mener sur Facebook unecommunication régulière sur sonactivité pour assurer une visibilitéà son cabinet. Et se concentre surdes sites dits « professionnels ».Pour les spécialistes de la Toile, eneffet, tous les réseaux sociaux ne seressemblent pas. Alors que Face-book ou Copains d’avant sont per-çus comme des espaces ludiques,d’autres, comme LinkedIn ou Via-deo, ont une visée professionnelle.Pourtant, quelle que soit leur finali-té, tous connaissent l’affluencecroissante de recruteurs à larecherche de nouveaux profils ouen quête d’informations sur despostulants. Une étude américainepubliée en 2009 sur le site Carreer-builder.com est explicite : 45 % desrecruteurs interrogés ont indiquéconsulter les réseaux sociaux avantd’embaucher un candidat. 29 % sontallés sur Facebook, 26 % sur Linke-dIn, 21 % sur MySpace, 11 % sur desblogs, 7 % sur Twitter. Alain Gavand,président d’A compétence égale,association de cabinets de recrute-ment, résume la situation : « Le Webet les réseaux sociaux ont envahi lemonde du recrutement. »Créateur d’Altaïde, société de conseilen recrutement, Jacques Froissantest de ceux qui utilisent abondam-

Recrutement

Cet atout peut rapidement devenir undanger : tout utilisateur non expéri-menté risque de se perdre totalementparmi la multitude des profils pré-sents. Autre écueil à éviter : « Tousceux qui sont sur ces sites ne doiventpas être considérés comme des candi-dats », note Maryvonne Labeille, pré-sidente du Syntec Recrutement, l’or-ganisation représentative de la

profession. Seul un habitué des solu-tions Web, comme Jacques Froissant,y trouvera donc son compte : « Lesprofils sont assez complets et me per-mettent d’aller plus vite qu’avec unepile de CV : la lecture est facilitée parune présentation identique. »Mais l’atout majeur des réseauxsociaux est ailleurs : ils ne coûtentpas un centime à leurs utilisateurs.

Pour tenter de contenir lesdérives liées à l’utilisation

des réseaux, les initiatives pour« moraliser » leur usage semultiplient. L’association Acompétence égale a ainsi missur pied une charte de bonneconduite, signée par le Medef,l’Association nationale desdirecteurs des ressourceshumaines (ANDRH) ou encorele syndicat du conseil en recru-tement Syntec Recrutement.Elle leur demande de privilé-gier l’utilisation des réseauxprofessionnels, de limiter lerecours aux réseaux person-nels (Facebook, Copainsd’avant) « à la seule diffusiond’informations, plus particuliè-rement d’offres d’emploi, à desutilisateurs ayant manifestéleur intérêt pour de telles infor-mations et de ne pas solliciter decontact dans un but profession-

nel sans leur consentement ».Les recruteurs sont égalementinvités à « ne pas utiliser lesmoteurs de recherche ni lesréseaux sociaux comme outilsd’enquête pour collecter (…) desinformations d’ordre personnel,voire intime ».Voilà pour l’engagementmoral. Mais comment vérifier que,devant son ordinateur, unchasseur de têtes ne chercherapas à connaître une partie de lavie privée d’un candidat, acces-sible en quelques clics ? La pro-blématique existe depuis plu-sieurs années. La Commissionnationale de l’informatique etdes libertés (CNIL) rappelleque, au regard de la loi, et saufsi la spécificité d’un poste l’im-pose, « il est interdit de collecteret de conserver des données per-sonnelles qui (…) font appa-raître les origines raciales ouethniques, les opinions poli-tiques, philosophiques ou reli-gieuses ou les appartenancessyndicales, les informationsrelatives à la santé ou à la vie

sexuelle des personnes ». Au-delà des textes, l’applicationpratique semble bien délicate.« C’est difficile, reconnaît PaulHébert, adjoint au chef du ser-vice juridique de la CNIL. Maisnous effectuons des contrôles etdes preuves peuvent être trou-vées : impression d’un profil,suivi de mails…»Un nouvel arsenal législatifpourrait par ailleurs voir lejour. Une proposition de loivisant à « mieux garantir ledroit à la vie privée à l’heure dunumérique » devrait êtredébattue courant avril auSénat. Elle cherchera à impli-quer les gestionnaires des siteshébergeant les réseauxsociaux, afin qu’ils offrent uneinformation claire, notam-ment sur la durée de conserva-tion des données. Mais, là enco-re, l’opération s’annoncedélicate : extraterritorialitéoblige, les sièges sociaux amé-ricains de ces réseaux sont d’or-dinaire peu sensibles auxinjonctions des lois françaises.

F. G.

La difficilemoralisationdes usages

ment ces fameux réseaux. Ils lui ontpermis de trouver 70 % des candi-dats recrutés ces six derniers mois.« Les potentialités sont considérables :un site comme Viadeo regroupe plusde 3 millions de profils en France,indique-t-il. Et ils sont de plus en plusvariés : on va du responsable marke-ting Web à l’infirmière, en passant parl’ingénieur en plasturgie. »

Un puissant moteur pour les employeursDe plus en plus de DRH et de chasseurs de têtes ont recours aux réseaux sociaux « professionnels ».

L’objectif est de trouver la perle rare pour des emplois très ciblés et pointus, et limiter le coût de la

recherche. Au risque de franchir la frontière entre sphères privée et publique.

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En temps de crise, le détail n’a riend’anecdotique. « Les outils de publi-cation d’offres d’emploi sont devenustrès onéreux, explique un recruteur.Le prix d’une annonce va de 800 à900 euros, ou 500 à 600 euros pourun grand compte après négociation.Les entreprises ont vite fait le calcul.Pour ma part, j’ai investi les réseauxsociaux et réduit de moitié moncontrat avec le site de recherched’emploi Monster. »Le bénéfice est d’autant plus impor-tant si le recrutement se fait à l’inter-national. PDG de Masa, un éditeur delogiciels pour professionnels, PatrickSamama a pu, grâce à LinkedIn, partirà la recherche du responsable de safiliale américaine. « Il s’agissait d’unposte pointu. Sans les réseaux sociaux,j’aurais dû trouver un chasseur de têtespertinent dans mon secteur. Cela m’au-rait coûté au moins 20 000 euros. »Depuis, il a procédé de cette manièreà deux recrutements. Et des membresde son réseau l’ont également mis enrelation avec des candidats potentiels.Le site consulté ne fait toutefois pas

tout. « Le travail de conseil en recru-tement reste à faire : l’évaluation, lamotivation, la présentation desopportunités ou encore la sélection »,relève Maryvonne Labeille. Pourautant, elle confirme la tendance durecours aux réseaux : « Ils sont utili-

sés par les cabinets de recrutementdepuis plusieurs années. Ils offrentun accès à des candidats potentielsde manière plus élargie et rapide, etfavorisent la diversité des profils. » Ausein de l’Association nationale desdirecteurs des ressources humaines

« Les profils sontassez complets etpermettent d’allerplus vite qu’avec unepile de CV : la lectureest facilitée par une présentationidentique »

(ANDRH), on minore toutefois lephénomène. Les réseaux ne seraientpas prépondérants dans lesembauches menées par les entre-prises elles-mêmes. « Leur utilisationpar les sociétés est faible, au regarddu flux des recrutements », estimeMichel Yahiel, président de l’ANDRH.Peuvent-ils servir pour « enquêter »sur de futurs collaborateurs ?« Oui », répond un DRH. Mais celan’a rien de vraiment nouveau, selonlui : « Les entreprises ont toujoursréalisé des enquêtes, notammentdans des secteurs stratégiquescomme l’énergie ou la santé. Lesréseaux sociaux ne font que com-pléter l’arsenal existant. »Quelle que soit l’intensité de l’usa-ge de ces réseaux, ils peuvent doncêtre déterminants dans le sort réser-vé à une candidature. Spécialiste dela question, le sénateur centristeYves Détraigne confirme : « Lesrecruteurs l’avouent eux-mêmes :dans certains cas, c’est une informa-tion trouvée sur le Net qui fait qu’ilsne vont pas retenir un candidat qui

remplissait les conditions nécessairesà son embauche. » L’étude de Career-Builders aux Etats-Unis ne dit pasautre chose : 35 % des DRH recon-naissent avoir renoncé à uneembauche après avoir consulté unsite. Sont invoqués, pêle-mêle, desphotos ou informations provo-cantes ou déplacées, des propos dis-criminatoires, la preuve d’unmanque de communication ouencore l’évocation d’une prise dedrogue ou d’alcool.La difficulté d’établir une limite clai-re entre les sphères privée et pro-fessionnelle rend donc périlleuse,pour les postulants, leur présencesur certains réseaux sociaux. Maisle danger existe aussi… pour lesrecruteurs eux-mêmes ! « C’est l’in-convénient de ces outils, relèvePatrick Samama, la frontière est par-fois difficile à saisir. Lorsque je mesuis rendu compte que des contactsprofessionnels suivaient mes envoissur Twitter, je me suis dit qu’il fallaitque je redevienne sérieux ! »

François Giolat

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54 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Recrutement

Les internautes se disent soucieux des risquesd’utilisation de leurs données sur Internet,mais ils s’exposent de plus en plus sur lesréseaux sociaux. Comment analysez-vous ceparadoxe ?On peut même parler d’un certain activisme de ladémonstration de soi sur les réseaux sociaux, dansla mesure où ces pratiques doivent s’inscrire dansle temps : participer, ce n’est pas juste écrire untweet ou un post de temps à autre, mais produireune conversation. S’exposer ne veut pas dire pourautant ne pas maîtriser son image. Le plus souvent,ce que montrent les internautes est très calculé etrépond à une stratégie : certains veulent mettre enavant leur réseau social ou professionnel, d’autrescherchent à montrer qu’ils sont cool. Il est donc fré-quent que les utilisateurs ouvrent plusieurscomptes différents. S’exposer ainsi est une maniè-re d’afficher différentes facettes de soi, d’affirmersa singularité, mais aussi de faire reconnaître etvalider cette identité par les autres. Reste que se dévoiler de manière contrôlée etendosser la figure de « l’individu réseau », cool ettransparent, demande un certain savoir-faire. Ilfaut être capable de se connecter à de l’hétérogè-ne, d’être dans un univers relationnel très circu-lant. Et surtout savoir se mettre à distance de soi-même – à travers le récit notamment. En effet,beaucoup se singularisent par l’humour et les qua-lités d’écriture de leurs tweets ou de leurs statutssur Facebook.

Comment les utilisateurs de réseaux sociauxcréent-ils leur identité numérique ? On se montre certes, mais pas tout le temps nià tout le monde. Il y a différents niveaux devisibilité qui sont autant de manières diffé-rentes de produire son identité. Il existe parexemple des espaces que l’on peut qualifier declairs-obscurs où les internautes rendentvisibles des informations personnelles, mais àun réseau de proches. D’autres plates-formesservent, elles, à conquérir une audience au-delàdu groupe de connaissances. Parfois, l’espace de la conversation et celui oùl’on se montre peuvent s’entremêler. Sur Face-book, on peut écrire dans ses statuts une blaguequi ne sera comprise que par les proches, puis

poster une information d’intérêt général quetout le monde pourra voir. C’est en mélangeantdes écrits destinés à nos liens forts et à nosliens faibles que l’on crée des « respirations »de l’identité.

De quelle manière les réseaux sociaux ont-ilschangé la façon dont les internautes se dévoi-lent ?Désormais, les figures de réussite sont celles del’individu, qui n’hésite pas à raconter sa vie per-sonnelle au travail, et à emporter du travail chezlui : les frontières sont de plus en plus ouvertes.Mais ces transformations du capitalisme ontcommencé bien avant le Web 2.0 ! Sur lesréseaux, le résultat est que l’on voit des chosesjusqu’alors invisibles : la vie privée des collègues,leur photo, leurs connaissances… De plus en plus,les utilisateurs ont de nouvelles manières de pro-duire leur identité : en présentant ce qu’ilsaiment ou pas, ou en donnant un accrochagepublic à des éléments comme leurs opinionspolitiques ou religieuses.

N’est-ce pas porteur de risques ?Les nouveaux médias provoquent une sorte de« panique morale » qui s’accompagne d’un dis-cours assez paternaliste : il faudrait protéger lesgens contre eux-mêmes. Il est certes possible queles recruteurs utilisent des informations trouvéessur Facebook, mais dans la réalité, la plupart deshistoires se dégonflent. Et l’on devrait plutôts’étonner du faible nombre d’affaires. Surtout, àl’avenir, la critique devrait se déplacer de celui quimontre vers celui qui regarde : viendra unmoment où c’est le recruteur qui aura des soucisparce qu’il n’a pas le droit de recruter en s’ap-puyant sur ce qui est visible sur les réseauxsociaux. Pour l’instant, les problèmes se mesu-rent surtout aux petits accrochages quotidiens,aux frottements et vexations. Surtout, avec lesréseaux sociaux, on laisse des traces, alors quel’on a vécu ces échanges comme une conversa-tion. A l’avenir, il sera nécessaire que le droit àl’oubli s’applique aussi aux conversations.

Propos recueillis par Catherine Pétillon

Entretien avec Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usages de France Télécom et à l’EHESS

« La figure de “l’individu réseau”demande certains savoir-faire »

« Dominique Cardon est sociologue auLaboratoire des usages de France TélécomR & D et chercheur associé au Centred’étude des mouvements sociaux de l’Ecoledes hautes études en sciences sociales(CEMS/EHESS).

1988 Diplôme de l’Institut d’étudespolitiques de Paris.1994 Entre au Laboratoire des usages duCentre national d’études des Télécom(aujourd’hui Orange Labs).1999 Publication d’une enquête collectivesur le Téléthon.2009 Dirige les numéros de la revueRéseaux sur « Les réseaux sociaux del’Internet » et « Le Web 2.0 ».

DR

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56 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi

C’est loin d’être le grand amourentre les jeunes cadres et lesyndicalisme. Selon une

enquête de l’Association pour l’em-ploi des cadres (APEC) publiée enjuillet 2009, seuls 2 % des diplômésde master 2 en 2006 disent adhérerà un syndicat. Rappelons que 8 % desalariés français et environ 12 % descadres sont syndiqués. Si 26 % desjeunes interrogés pensent franchirpeut-être le pas un jour ou l’autre,près des trois quarts d’entre euxn’en ont aucunement l’intention.Car la vie syndicale n’intéresse toutsimplement pas 68 % de ces réfrac-taires et 60 % ne ressentent pasl’utilité de se syndiquer. Comme Hugues, 24 ans, diplômé del’Institut supérieur d’électroniquede Paris (ISEP), embauché il y a sixmois comme ingénieur dans unepetite société de services informa-tiques : « J’ai un a priori négatif surles syndicats, dont l’image est pourmoi celui de la grève. Ils ne devraientpas faire de politique et se concen-trer davantage sur la défense concrè-te des intérêts des salariés. »Patricia, 35 ans, contrôleuse de ges-tion chez SFR, se sent davantageencline aujourd’hui à s’investir dansla vie citoyenne. Mais elle a choisi demiliter dans une association deparents d’élèves : « Je ne sais pas àquel syndicat adhérer ! Je ne me recon-

nais dans aucun. Dans certains tracts,je lis des revendications qui me sem-blent incongrues, comme la gratuitéde la machine à café ; je les trouvedécalées par rapport à ce qui se passeactuellement dans mon entreprise,autour de l’harmonisation des tempsde travail et des rémunérations, à lasuite de la fusion avec Neuf/Cegetel. »Les jeunes cadres sont-ils des indi-vidualistes forcenés qui ne pensentqu’à leur carrière ? En tout cas, les

Engagement

Les jeunes cadres,angle mort syndicalSeulement 2 % des diplômés de 2006 en activité sont aujourd’hui

syndiqués. Un manque d’intérêt dicté par la crainte de gêner

sa progression de carrière et l’ignorance du rôle exact du syndicalisme.

« Dans certainstracts, je lis desrevendications quime semblentincongrues, commela gratuité de lamachine à café »

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58 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Engagement

premières années dans la vie activene sont guère favorables à l’adhé-sion syndicale. « Les jeunes diplômésveulent faire leurs preuves dans leurposte et, au-delà de la période d’inté-gration, ils cherchent à rebondirassez vite, note Pierre Lamblin,directeur des études de l’APEC. Cetengagement dans le travail estprioritaire, contrairement au syndi-calisme. » Selon Michel Vakaloulis,maître de conférences en sciencespolitiques à Paris-VIII, les diplômésbac+5 s’estiment capables de sedéfendre seuls pour négocier

salaires ou horaires de travail : « Lesyndicalisme de combat qui prédo-mine en France au détriment d’unsyndicalisme de services ne leurparaît guère utile. »La crainte que la carrière pâtissed’un engagement syndical est unfrein pour certains. Dans l’étude del’APEC, 28 % des sondés pensent quece n’est pas bien vu dans l’entrepri-

se. Simon, 33 ans, consultant dansun petit cabinet de conseil auprèsdes collectivités locales, est déléguédu personnel sans étiquette, mêmes’il a adhéré à la CFDT dans son pré-cédent job chez EDF, « par principeet pour découvrir ». Il ajoute: « Jepense qu’une approche syndicalemettrait de la tension avec monpatron ; or, je passe déjà pour celuiqui râle souvent ! » Pour François Bille, 32 ans, ingénieurd’études dans un grand groupe dehaute technologie, la cohabitationentre syndicalisme et carrière estdevenue difficile quand il a pris lesfonctions de délégué syndical en2008, quatre ans après avoir adhé-ré à la CFE-CGC : « A la suite d’unconflit social, mes évaluations de per-formance ont chuté ; j’ai été changé deposte et je l’ai vécu comme une miseau placard. Depuis quelques moiscependant, ma situation évolue posi-tivement, j’ai réintégré mon service ini-tial, mais j’ai encore des doutes sur lebon déroulement de ma carrière. »A contrario, Fabrice Hallais, 32 anschef de projet informatique et délé-gué syndical CGT chez BNP Paribas,ne voit pas ses fonctions comme unobstacle, même s’il y a parfois des« incompréhensions » avec la hié-rarchie de proximité : « Elle s’agacede mes absences liées à mes activitéssyndicales, mais, au niveau de ladirection, ce n’est pas mal vu. Je neme sens pas discriminé. »

« La hiérarchies’agace de mesabsences liées à mesactivités syndicales,mais, au niveau dela direction, ce n’estpas mal vu »

Du côté des organisations syndi-cales, on reconnaît que les jeunesdiplômés ne se laissent pas séduirefacilement. Et de pointer leurméconnaissance de l’univers syndi-cal : « Leur formation ne donne aucu-ne place à l’histoire sociale, à la placeet au rôle des syndicats, au paritaris-me, au système de protection sociale,etc. », souligne Bernard Van -

Craeynest, président de la CFE-CGC.Il ne reste dans les têtes que lesimages du 20 heures, celles d’un syn-dicalisme désuet, d’obstruction sys-tématique et de pouvoir de nuisan-ce. A moins... d’avoir des parentssyndiqués : « L’héritage familial estun élément qui favorise l’adhésion,explique M. Vakaloulis. Deux autresfacteurs jouent : la rencontre avec unebonne équipe syndicale sur le terrainet un événement déclencheur dans lavie de l’entreprise : injustice, harcèle-ment, conflit social… »Cette ignorance complique l’adhé-sion des jeunes cadres. Selon Lau-

« Adhérer donneaccès à un autreréseau, qui peut êtreune ressource pourson développementprofessionnel »

rent Mahieu, secrétaire généraladjoint de la CFDT-Cadres, ceux-ciconfondent la figure de l’adhérentavec celle du militant : « Ce n’estpourtant pas le même niveau d’en-gagement. » Bref, prendre sa cartene veut pas dire devenir déléguésyndical du jour au lendemain, ou« tracter » tous les jours. A cause de ce fossé, les syndicats ontdu mal à faire valoir les atouts de cetype d’engagement : « Il donne uneouverture sur la vie de l’entreprise,son organisation, sa stratégie, ce quiest important pour un cadre »,défend M. Van Craeynest. De plus,« adhérer donne accès à un autreréseau – 45 000 cadres à la CFDT –,qui peut être une ressource pour sondéveloppement professionnel »,indique M. Mahieu. Charles Keller,29 ans, ingénieur performance chezTotal et représentant syndical CFE-CGC au comité d’entreprise, s’estlancé dans l’aventure pour« défendre les cadres, souvent entrele marteau et l’enclume », mais aussi« par curiosité et par ambition :j’avais envie de prendre du recul surl’activité globale de l’entreprise ».Mais les syndicats ne doivent-ils pasbalayer devant leur porte ? Car ilexiste un substantiel décalage entreles discours des uns et les attentesdes autres. C’est ce que ressentSébastien, 35 ans, commercial dansune PME de la région parisienne,non syndiqué : « Ce que j’entendsme fait penser que les syndicatsreprésentent surtout les ouvriers oules employés ; ce qu’ils disent ou pro-posent ne concerne pas vraiment lescadres. » Jean-François Bolzinger,secrétaire général adjoint de la CGT-Cadres, reconnaît qu’il faut aller à larencontre des jeunes diplômés pourmieux connaître leurs aspirations.Donc, arpenter les Salons de l’em-ploi, avoir un profil sur Facebook,expérimenter l’adhésion en lignepour remédier à l’absence d’im-plantation dans les entreprises, etc.« Il faut multiplier les points d’entréepour permettre aux jeunes cadres decréer leur syndicalisme, dit-il. Ces ini-tiatives montrent qu’il n’y a pas réel-lement de rejet de leur part, maisnous sommes encore très loin d’unedynamique de masse ! »

Nathalie Quéruel

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mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

Formation O61

Avant d’arriver, j’avais uneimage du chercheur enfermédans son laboratoire. Et puis

comment allions-nous communi-quer ? “Eux” parlaient de nano-mètres, de rendement lumineux,quand nous évoquions l’ergonomieou les scénarios usages... », se rap-

pelle Océane Delain. Comme onzeautres étudiants en design de l’Eco-le nationale supérieure de créationindustrielle (ENSCI - Les Ateliers),elle vient de passer six mois au seindu Minatec, le campus européend’innovation dans le domaine desmicro et nanotechnologies, créé à

Grenoble en 2006 par la directionde la recherche technologique duCommissariat à l’énergie atomique(CEA) et l’Institut national polytech-nique de Grenoble (INPG). « Eux », ce sont les chercheurs duCEA, et en particulier les membresdu Laboratoire d’électronique et de

technologie de l’information (LETI),avec qui ils ont travaillé. La collaboration aura permis defaire tomber quelques mythes et detrouver un langage commun. Maispar cette initiative – « une premièremondiale », revendique l’ENSCI –, ils’agissait surtout de penser diffé-

Créativité

Design et recherche main dans la mainA la rentrée 2009, des étudiants de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle se sont

installés dans les laboratoires de Minatec à Grenoble, au cœur de l’innovation en matière de

micro et nanotechnologies. Une première qui permet d’associer l’usage aux concepts.

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62 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Formation Créativité

remment les usages de la technolo-gie. « On ne peut plus se contenter defaire travailler les designers après leschercheurs, comme pour donner uncoup de pinceau : ils doivent interve-nir dès la conception. Mettre tout lemonde sur un même plateau permetde traiter les contraintes ensemble etnon pas successivement, insisteSophie Pène, directrice de larecherche à l’ENSCI. Et puis nos étu-diants travailleront encore en 2050 :ils doivent dès maintenant être enlien avec des technologies avancées,avec la physique expérimentale, lesbiotechnologies, le numérique. »« La coopération a, en fait, démarréen 2007, avec un atelier d’étudiantssur des projets d’innovation de ser-vices dans le domaine des objetscommunicants », rappelle HughesMetras, le directeur adjoint duLETI/CEA. A la rentrée 2009,quelques apprentis designers s’ins-tallent cette fois dans un espace situéau cœur même des laboratoires derecherche. « C’était une opportunitéde sortir un peu des Ateliers à Paris etd’imaginer ce que pourrait être unerésidence dans un centre qui n’est pashabitué à cela », raconte Loïc LeGuen, l’un des étudiants ayant fait levoyage. Six mois plus tard, « le bilanest extrêmement positif. Pourtant lesrelations avec les chercheurs ne pro-mettaient pas d’office d’être idéales.

Dans son activité quotidien-ne, le designer fait de la

recherche : il a, lui aussi, voca-tion à créer des connaissances,des savoirs capitalisables ettransférables. Mais au Conseilnational des universités (CNU),où sont représentées toutes lesdisciplines universitaires, il n’ya pas de section « design ».« Comment élaborer une poli-tique de recherche dans uneécole comme la nôtre ?» C’estpar cette interrogation qu’AlainCadix, le directeur de l’ENSCI,ouvrait fin janvier une journéede rencontres entre designerset chercheurs. A l’ENSCI, « tout est organisédans une position de recherche,

mais il n’y a pas de temps quilui soit dédié. Les designers ontun fort pouvoir créatif, mais cene sont pas des gens de l’écrit, etvalider la recherche n’a pas devaleur particulière. La disposi-tion institutionnelle à larecherche ne fait pas partie desmurs ; or, c’est devenu unenécessité aujourd’hui », consta-te Sophie Pène, recrutée endébut d’année à l’école pourimpulser des activités derecherche. Désireuse d’aller ence sens, l’école y est aussi enpartie contrainte par l’évolu-tion de l’environnement acadé-mique. L’école a ainsi fait unedemande en début d’annéeauprès de l’Agence d’évaluation

de la recherche et de l’enseigne-ment supérieur (Aeres) pourpouvoir délivrer le grade demaster. Elle cherche à se rap-procher d’un pôle de rechercheet d’enseignement supérieur,et a d’ores et déjà rejoint l’asso-ciation Paris Universitas, pourparticiper aux négociationsentre universités et écoles fran-ciliennes. L’ENSCI a égalementlancé le Paris Design Lab(http://parisdesignlab.hypo-theses.org), un laboratoire derecherche inséré dans l’équipe« Esthétique et design des envi-ronnements » de l’universitéParis-I, qui regroupe designerset chercheurs.

C. P.

De l’académisme du design

Au départ, certains se demandaientce que nous faisions là… ».Pour cette première session, les étu-diants étaient invités à se penchersur le thème de la lumière. Ils ont

donc commencé par des recherchessur l’histoire de la lumière, de l’éclai-rage en ville et de ses rôles – entermes de convivialité comme desécurité. Des approches nourriesd’anthropologie et de sociologie.« Au début, les chercheurs étaient sur-pris de voir des créatifs dans leurslocaux, occupés à faire des brainstor-mings autour des manières de rendrela nuit agréable : ils semblaient trou-ver notre démarche et nos idées farfe-lues, raconte Océane Delain. Puis ilsse sont montrés curieux de ce que l’onpouvait faire : quand ils ont comprisnotre vision, qui se concentre non passur les techniques, mais sur les pro-blématiques d’usage, cela leur a parunouveau et intéressant. »Visites de laboratoires, conférences,échanges informels avec les cher-

cheurs : lors de leur résidence àMinatec, les étudiants ont pu décou-vrir les différentes technologies dis-ponibles et leurs champs d’applica-tion, en particulier dans le domainedes LED (light emitting diodes, oudiodes électroluminescentes).« Nous avons travaillé avec les inter-locuteurs que nous aurons plus tarddans nos vies professionnelles. Etconnaître les contraintes techniques– comme par exemple la nécessité derefroidir les LED – nous a permis de lesintégrer à nos travaux », souligneAlexandre Kournwsky, l’un des étu-diants-résidents. Chacun d’entreeux a en effet mené à bien un pro-jet autour de nouvelles optionsd’éclairage public. Celles-ci devaientêtre soucieuses d’économies d’éner-gie et intégrer les pratiques des pas-sants. L’une des étudiantes a ainsitravaillé sur le mobilier urbain etconçu un lampadaire sous forme demodule décomposable – afin defaciliter le passage des lampes àsodium aux LED. Un autre a imagi-né une façon d’allier la technologiedes LED à des auvents. D’autresencore ont réfléchi aux interactionsentre piétons, vélos et voitures, etélaboré des bornes intelligentes quiéclairent les passants. « Le fait d’êtreen relation permanente avec leschercheurs nous a permis de conce-voir des projets avancés dans les

concepts, mais réalistes d’un pointde vue technique, résume le desi-gner Christophe Chedal-Anglay,directeur d’atelier et responsable dela résidence. En validant au fur et àmesure la faisabilité de leurs projets,les étudiants ont atteint une plusjuste anticipation des usages desnouvelles technologies. »L’objectif de la résidence était ausside mettre les étudiants en relationavec un ensemble de partenaires.« La réflexion est partie du CEA puiss’est nourrie de tout ce qu’il y avaitautour, d’échanges avec la ville, lesindustriels, les associations de pro-

tection de l’environnement… », listeAlexandre Kournwsky. Les étu-diants ont également suivi à l’uni-versité Stendhal-Grenoble-III unesérie de cours consacrés au mondenumérique, à l’innovation, au mar-keting, aux biotechnologies, etc. Du côté du CEA, l’expérience aurapermis de mettre en lumière desbesoins nouveaux et d’explorer lesdétournements d’usage des tech-nologies. « L’intérêt est d’apporterun regard complémentaire à nosvisions d’ingénieur, lors de l’élabo-ration de démonstrateurs et de pro-duits innovants. Cela permet aussid’identifier de nouvelles applica-tions pour nos technologies et faci-lite la communication avec la socié-té civile », analyse Hughes Métras.Surtout, les projets pourraient exis-ter grandeur nature sur le futurcampus d’innovation technolo-gique Grenoble Isère Alpes Nano-Technologies (GIANT). En tout cas,« ce type de collaboration aura uneincidence sur la culture des étu-diants : ils sont mieux préparés àtravailler en interface avec d’autresdisciplines », estime Sophie Pène.L’école réfléchit déjà à de nouvellesenseignements dans lesquellesimmerger les futurs designers.

Catherine Pétillon

« Au début, les chercheursétaient surpris de voir des créatifsdans leurs locaux »

« Ce type decollaboration aura une incidence sur la culture des étudiants »

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64 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi

Chaque année, à l’approche desgrandes vacances, ils fleuris-sent dans les secteurs du tou-

risme, de l’hôtellerie-restauration ouencore de l’agriculture. Les jobs d’étéont toujours été nombreux et relati-vement accessibles aux étudiantsprêts à sacrifier un repos estivalcependant bien mérité. Pourtant, la crise affecte aussi l’em-ploi saisonnier, selon ThiébautWeber, secrétaire confédéral de laCFDT en charge de la politique endirection des jeunes. « Notre dernièrecampagne d’été nous a confirméqu’il y avait eu une contraction del’emploi saisonnier, mais de quelleampleur… c’est difficile à dire. »Chaque année en juillet-août, un busdu syndicat sillonne les routes deFrance pour informer les travailleurssaisonniers de leurs droits. « A qua-siment chaque étape, des jeunesvenaient au bus demander si nousavions des jobs saisonniers pour eux,y compris lors des dernières étapes,fin août », témoigne-t-il.Pôle emploi a recensé 70 000 offresde contrats « occasionnels » (infé-rieurs à un mois) en juillet-août2009, contre 89 000 à la mêmepériode de l’année précédente. Laquasi-totalité des offres a été satis-faite alors que plus de 10 000d’entre elles n’avaient pas trouvépreneur en 2008.Certains secteurs ont été plus tou-chés que d’autres. L’hôtellerie-res-tauration, victime d’une baisse defréquentation, a moins recruté queles années précédentes. « Les vacan-ciers ont moins consommé, ce qui aforcément eu un impact sur l’emploidans les cafés-restaurants. Quant à

Saisonnier

Darantière, directeur délégué del’Association pour faciliter l’inser-tion professionnelle des jeunesdiplômés (AFIJ). Un constat que ne partage pas Isa-belle Guérif, responsable de la com-munication du Centre d’informa-tion et de documentation pour lajeunesse (CIDJ), qui organise chaqueannée des bourses de jobs d’été, àParis et en province. « Nous n’avonspas manqué d’offres en 2009, sim-plement on les a reçues un peu plustardivement. Beaucoup d’entreprises

nous ont contactés quinze joursavant le lancement de l’opération,alors qu’habituellement elles éta-blissent leur planning d’été dès lesmois de décembre-janvier », sou-ligne-t-elle. Les deux-tiers environ des offresproposées par le CIDJ et Pôle emploiconcernent le secteur de l’animation.Celui-ci reste un gros pourvoyeurd’emplois saisonniers, notammentdans les centres aérés, les campings,les colonies de vacances ou encoreles parcs de loisirs. « Nous recrutons

la baisse de la TVA, elle n’a pas crééd’emplois », indique ThiébautWeber.Même constat dans le commercede détail, où les soldes de juillet sesont avérés décevants – le chiffred’affaires du prêt-à-porter, notam-ment, a baissé par rapport à 2008. « D’une manière générale, les entre-prises sont plus attentistes. Cer-taines, comme les banques, revien-nent à la tradition de recruter enpriorité les enfants du personnelpendant l’été », note Christian

Les jobs d’été n’échappent pas à la criseEn période de ralentissement économique, trouver un petit boulot, même pour un mois ou deux,

peut s’avérer compliqué. Car les étudiants ne sont plus les seuls à convoiter ce type d’emplois :

ils sont en concurrence directe avec les chômeurs et les précaires plus âgés.

Pour trouver, mieux vaut s’y prendre tôt

Bien qu’associé aux vacances,un job d’été ne se décroche pasforcément à la dernière minu-

te. Les entreprises planifient en effetbien à l’avance leurs embauches esti-vales, et les meilleurs postes partentvite. « Il faut s’y prendre le plus tôtpossible, à partir de mars-avril », sou-ligne Valérie Guérif, chargée decommunication au Centre d’infor-mation et de documentation jeu-nesse (CIDJ). Chaque année à la fin mars, le CIDJ etPôle emploi organisent à la Cité dessciences de La Villette, à Paris, unSalon destiné aux jeunes qui recher-chent un job d’été, avec plusieurs mil-liers d’offres d’emplois proposées.L’opération est relayée en provincepar les Centres régionaux d’infor-

mation jeunesse, qui organisent desbourses d’emploi tout au long dumois d’avril. « Il y a égalementquelques opérations en mai pour lesretardataires », précise Valérie Guérif.Pour ceux qui ne peuvent pas sedéplacer, un site Internet, Jobete.com,recense les offres proposées par leCIDJ et Pôle emploi, mais il n’estaccessible que de mars à septembre.Cette adresse s’ajoute aux autres sitesd’offres de petits boulots, consul-tables toute l’année : Animjobs.com,Emploi-saisonnier.com, Jobetu-diant.net. Ces sites gratuits proposent tous desannonces par secteur et par région,ainsi que des informations pra-tiques (droits des travailleurs sai-sonniers, annuaire des formations

au Brevet d’aptitude aux fonctionsd’animateur, etc.). On y trouve lesoffres d’emplois les plus variées,depuis les grands classiques de l’hô-tellerie-restauration, de la vente oude la cueillette, jusqu’à des emploisdécalés comme celui de « dog sit-ter » (garde de chiens) ou de répara-teur de vélo en libre-service…Par ailleurs, des sites commeSummerjobs.com, Jobs-ete-euro-pe.com ou encore Teli.asso.fr pro-posent des offres d’emplois et desconseils aux jeunes désireux des’expatrier pendant leurs vacances– un bon moyen de pratiquer leslangues tout en se faisant un peud’argent de poche. Attention, cer-taines prestations sont payantes.

F. S.

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mardi 30 mars 2010 Le Monde Campus

O65

environ 1 200 personnes chaqueannée pour la saison d’été, qui vad’avril à novembre », témoigne SoniaMerbouh, responsable de l’emploidu Parc Astérix, situé dans la régionparisienne. « Ce sont généralementdes contrats de deux mois à tempsplein, mais nous proposons aussi destemps partiels, notamment les week-

ends. » Comme pour la plupart desjobs d’été, les salaires du village gau-lois ne décollent pas du smic, maisles étudiants répondent présent :« 30 % à 40 % de nos effectifs revien-nent d’une année sur l’autre», préci-se Sonia Merbouh.Autre secteur en croissance lors dela dernière saison estivale : les ser-

vices à la personne. Accompagne-ment de personnes âgées, jardina-ge, gardiennage, les possibilitéssont nombreuses et parfois sous-exploitées par manque de visibili-té de ces emplois à domicile.Au final, il est difficile de dire si lenombre de jobs d’été a baissé forte-ment ou non avec la crise. « Le

caractère saisonnier de ces emploisfait qu’ils sont, par définition, moinsaffectés que d’autres par la conjonc-ture », souligne Julien Genestoux,responsable du site Jobetudiant.net,créé en 2003.Le véritable problème, selon Thié-baut Weber, c’est que la demandepour ces emplois, elle, est en fortehausse. « En 2009, et sûrementencore plus en 2010, on voit arriverun nouveau public aux côtés desétudiants et des saisonniers : ce sont

les personnes licenciées dans l’annéequi ont besoin de retrouver unemploi, même temporaire. »Entre la fin 2008 et la fin 2009, lenombre de jeunes de moins de25 ans inscrits à Pôle emploi a eneffet progressé de 17 %. En atten-dant de retrouver du travail, unepartie d’entre eux se reporte sur lemarché des emplois saisonniers.Or, « la crise a eu pour conséquen-ce une dégradation des conditionsde travail des saisonniers, avecnotamment un recours plus fré-quent au temps partiel et à desheures supplémentaires non comp-tabilisées », poursuit ThiébautWeber. Dans le secteur agricole, cer-tains employés n’ont obtenu quedes contrats journaliers et devaientappeler tous les matins pour savoirs’il y avait du travail pour eux, notela CFDT.Une évolution inquiétante, d’au-tant que la précarité est déjà fortedans le secteur saisonnier. D’aprèsune enquête menée en 2008 par lemouvement Jeunesse ouvrièrechrétienne, près de 14 % des jeunesqui travaillent l’été n’auraientaucun contrat et un quart d’entreeux ne se feraient jamais payerleurs heures supplémentaires...

François Schott

Le véritableproblème, c’est que lademande pour ces emplois est enforte hausse

Page 50: Chine, Inde, Brésil

Quel rôle joue le CIDJ dans l’organisation dumarché des jobs d’été en France ?Nous avons créé avec Pôle emploi les Journéesnationales jobs d’été, qui se tiennent chaque annéefin mars à Paris et durant tout le mois d’avril enprovince. C’est le principal lieu de rencontre entredes jeunes, étudiants ou non, et des entreprisesqui recherchent des employés pour l’été. Nous sommes partis du constat qu’il n’y avait pastoujours adéquation entre ces deux publics, alorsque la demande est forte de part et d’autre.De nombreux jeunes veulent faire leurs premierspas dans le monde du travail, mais ils ne saventpas forcément comment s’y prendre. D’un autrecôté, beaucoup de sociétés ont du mal à trouverdes jeunes pendant l’été. Or, le contact physiqueest essentiel, même pour des jobs qui sont, pardéfinition, à durée déterminée.Pendant deux jours, les entreprises qui ont despostes à pourvoir ont la possibilité de rencontrerdes centaines de jeunes en un même lieu (à Paris,les rencontres ont lieu à la Cité des sciences de laVillette). Elles les reçoivent sur leur stand et fontune présélection. Certaines firmes proposent 100,200, voire 500 postes, pour des emplois allant deun à quatre mois. Chaque jeune peut, de son côté, rencontrer dix,vingt ou trente employeurs en une journée.Même si ça ne débouche pas forcément surune embauche, c’est un bon galop d’essai pourplus tard.

L’offre et la demande de jobs d’été s’équili-brent-elles, ou existe-t-il une forme de chôma-ge sur ce marché ?C’est difficile à dire, dans la mesure où de nom-breuses offres de jobs d’été ne transitent pas parles canaux traditionnels. De plus, nous ne fai-sons pas de statistiques, au CIDJ. Ce que nous avons observé depuis deux ans,c’est une chute des offres confiées à Pôle emploi.Les secteurs qui recrutent habituellement leplus en été – hôtellerie-restauration, tourisme,animation – attendent le dernier moment pourfaire connaître leurs besoins, en fonction desréservations pour la période estivale. D’autre part, la demande s’est élargie. Audépart, les jobs d’été étaient réservés aux étu-diantss afin qu’ils puissent payer leurs études.Mais petit à petit, on a vu arriver des jeunes quiétaient déjà sur le marché du travail et avaientdu mal à trouver un emploi. C’est bien sûr unmoyen pour eux de gagner de l’argent, maisaussi de mettre un pied dans une entreprise etde prouver qu’ils sont capables. Le marché desjobs d’été est donc touché par la problématique

plus large du chômage des jeunes, qui est parti-culièrement élevé en France.

Les mineurs peuvent-ils postuler à des jobs d’été ?Bien sûr. La loi autorise le travail des jeunes à par-tir de 16 ans. Nous recevons beaucoup de jeunesen rupture scolaire, souvent issus de quartiers dif-ficiles. Lorsqu’ils ont quitté l’école à 16 ans, ils ontbesoin de travailler, et un job d’été peut être unbon tremplin. Mais il faut savoir que les entre-prises rechignent à recruter des mineurs en jobd’été : elles préfèrent que le jeune ait le bac. Nous conseillons aux mineurs de rechercherdans leur proximité, chez les commerçants qu’ilsconnaissent, plutôt que dans les grandes entre-prises. Ils peuvent, par exemple, faire des livrai-sons d’eau minérale chez les vieilles dames, pro-mener des chiens ou arroser des jardins.Ce genre d’expérience professionnelle peut êtrevalorisé sur un CV et auprès des employeurs.

Quelles sont les compétences les plus recherchées ? Il faut savoir que le premier secteur en volumed’offres est l’animation : c’est près de 70 % despostes. Les centres de loisirs et de vacancesrecherchent de nombreux animateurs titulairesdu Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur(BAFA) ou du Brevet d’aptitude aux fonctions dedirecteur (BAFD). C’est d’ailleurs l’un des rares sec-teurs à recruter des mineurs, car on peut passerson BAFA à partir de 17 ans. Les langues étrangères sont un atout décisif : ellessont exigées dans plus de la moitié des postes(tourisme, hôtellerie-restauration). L’expériencecompte également. Mais le plus important est la motivation. Lors desJournées nationales jobs d’été, les entretiens sonttrès courts, ils durent entre cinq et dix minutes.Mais c’est souvent suffisant pour l’employeur. Enquelques minutes, il est capable de déceler si lejeune est motivé, s’il a la petite flamme dans l’œil,s’il pose la bonne question. CV et lettre de moti-vation sont de rigueur.

Propos recueillis par François Schott

Entretien avec Katherine Khodorowsky, directrice de la communication du CIDJ

« Le plus important, c’est la motivation »

1992 De formation juridique et en scienceshumaines, Katherine Khodorowsky estsecrétaire générale de la Jeune Chambreéconomique française (JCEF), une ONG quia un siège à l'ONU.1994 Devient directrice de lacommunication du Centre d’informationet de documentation de la jeunesse (CIDJ).2009 Ecrivain gastronomique, publie avecle Docteur Hervé Robert son vingtièmeouvrage, Tout sur le chocolat (Odile Jacob).

«66 / Le Monde Campus mardi 30 mars 2010

Emploi Saisonnier

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