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Christopher Lasch : La culture du narcissisme. La vie américaineà un ùge de déclin des espérances
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Cet article est la version revue et augmentĂ©e dâune recension parue sur ce site il y a deux ans. Je remercie ThibautGress de le publier sous cette nouvelle forme. (juillet 2014)
Autoportrait de Narcisse
Dans son livre Un art moyen 1, Pierre Bourdieu montre que la pratique de laphotographie, art apparemment trĂšs libre et trĂšs indĂ©terminĂ© quant Ă son objet, est enfait fortement dĂ©terminĂ© socialement. On ne prend pas de photographie nâimportequand, alors mĂȘme que les appareils individuels le permettraient, mais lors des tempsforts de la vie sociale : mariage, fĂȘtes, bal de promotion etc. Le regard et la pratique duphotographe ordinaire, loin dâĂȘtre neutres et spontanĂ©s, sont selon Bourdieu marquĂ©spar des pratiques et des attentes sociales trĂšs conventionnelles.
Presque un demi-siĂšcle aprĂšs ce livre, lâĂ©poque des photographies avec lâappareilKodak-PathĂ© semble lointaine, maintenant que nous pouvons prendre en permanencedes photos avec un tĂ©lĂ©phone. Ce nâest pas seulement la technologie qui a Ă©voluĂ©, ceaussi sont les mentalitĂ©s et les pratiques. Nous continuons bien, comme le disaitBourdieu, à « Ă©terniser et solenniser les temps forts de la vie collective » (le mariage,les vacances, mais aussi le concert, la soirĂ©e en boĂźte de nuitâŠ) mais la photographiene sert plus seulement, et plus dâabord, Ă fabriquer « des images privĂ©es de la vieprivĂ©e ».
Au contraire, la plupart des photographies sont vouĂ©es aujourdâhui Ă ĂȘtre misesaussitĂŽt sur Instagram, repostĂ©es sur Facebook et stockĂ©es sur un profil Google+. DelĂ la mode des selfies, ces autoportraits diffusĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux. Ils participedâune mise en scĂšne permanente de soi Ă travers une image exposĂ©e publiquement auplus grand nombre. La façon mĂȘme de prendre la photo a profondĂ©ment changĂ©.Comme lâexplique trĂšs bien cet article « Weâre all narcissists now » : « Today, no onebothers to use the remote shutter trigger or even the timer to make a self-portrait. Wecontemporary narcissists simply hold the camera or the phone in front of our faces andpush the button ». « Aujourdâhui, plus personne ne prend la peine dâutiliser ledĂ©clencheur Ă distance ou mĂȘme le retardateur pour faire un autoportrait. Nous lesnarcisses contemporains tenons juste lâappareil ou le tĂ©lĂ©phone devant notre visageavant dâappuyer sur le bouton ». Lâappareil nâest plus ouvert sur le monde mais braquĂ©sur nous. Le point de fuite nâest plus Ă lâhorizon, dans le prolongement du bras quitient lâappareil, mais situĂ© directement sur nous : « The vanishing point is not off in thedistance, but on our bodies ».
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La photographie actuelle nâest pas moins conventionnelle ni moins normĂ©e socialementquâĂ lâĂ©poque du livre de Bourdieu. Mais il est incontestable que ces normes ontchangĂ© dans le sens dâun renfermement du photographe sur lui-mĂȘme. LâĂ©tonnementde Bourdieu quant Ă lâabsence dâ« anarchie de lâimprovisation individuelle » vauttoujours. Alors que nous pouvons prendre un nombre gigantesque de photos avec lemoindre smartphone, nous prenons tous Ă peu prĂšs les mĂȘmes images : les vacances,les soirĂ©es entre amis, la petite qui fait ses premiers pas, le hublot de lâavion aumoment du dĂ©collage etc. Nous ne sommes pas plus objectifs ni « artistes » quâil y acinquante ans, alors mĂȘme que nous aurions encore plus les moyens technologiques delâĂȘtre. Cela montre que ce nâest pas lâĂ©volution des appareils qui nous a rendus plusauto-centrĂ©s. En revanche, il est indĂ©niable que la complaisance envers soi trouve unvecteur privilĂ©giĂ© de satisfaction grĂące aux smartphones et aux rĂ©seaux sociaux.
De plus, nous savons dĂ©sormais prendre la pause spontanĂ©ment car on peut nousphotographier Ă chaque instant. Et par cette posture faussement spontanĂ©e, nousinvitons les autres Ă chercher avec nous le lieu invisible de lâintĂ©rioritĂ©, Ă partir duquelprendrait sens et vie notre enveloppe corporelle. Cette tentative de mettre au jour lavie intĂ©rieure voudrait rĂ©vĂ©ler ce qui irradie de notre personnalitĂ©. Elle pourraitcependant rĂ©vĂ©ler dâabord la vanitĂ© de cette quĂȘte dâun au-delĂ authentique desapparences. Lâironie est que plus on traque ce soi intime, plus on se complait dans uneimage de soi Ă©phĂ©mĂšre et mise en scĂšne -plus on se perd, en fait, dans les mirages dece que Christopher Lasch appelait la culture du narcissisme.
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Robert Cornélius, autoportrait (1839)
La pratique de la photographie prise spontanĂ©ment et massivement diffusĂ©e, est unindice probant de la montĂ©e du narcissisme comme trait typique de lâindividucontemporain. De fait, depuis une quinzaine dâannĂ©es, de nombreuses Ă©tudes ont parusur ce trouble de la personnalitĂ©, notamment autour du pervers manipulateur, dansson rapport Ă autrui 2, au travail 3 ou dans le couple 4. Si lâintĂ©rĂȘt pour ce sujet relĂšveen partie dâun effet de mode, il est aussi le signe dâune inquiĂ©tude quant Ă lâĂ©volutionde nos sociĂ©tĂ©s et des comportements qui sây dĂ©veloppent. Pourquoi notre Ă©poqueserait-elle propice Ă lâapparition de pervers de cette sorte ?
Câest lâintĂ©rĂȘt du livre de Christopher Lasch, La culture du narcissisme 5, de montrerque le narcissisme, au-delĂ des cas strictement cliniques, est devenu un phĂ©nomĂšnesocial gĂ©nĂ©ralisĂ©. Lasch Ă©tablit de façon trĂšs convaincante un lien de cause Ă effetentre ce profil psychologique et lâorganisation de la sociĂ©tĂ© moderne.
Sâappuyant sur une description psycho-sociologique des troubles engendrĂ©s par laculture de masse, sa thĂšse tranche avec les thĂ©ories habituelles sur le traitement despathologies : loin de dĂ©fendre une meilleure prise en charge institutionnelle descitoyens, Lasch montre que câest bien justement la mise en place dâune sociĂ©tĂ© deprotection qui est Ă lâorigine du narcissisme sous sa forme actuelle : « A mesure queles points de vue et les pratiques thĂ©rapeutiques acquiĂšrent une audience de plus enplus vaste, un nombre sans cesse accru de gens se trouvent disqualifiĂ©s, en fait,lorsquâil sâagit dâendosser des responsabilitĂ©s dâadultes ; et ils tombent sous ladĂ©pendance dâune autoritĂ© mĂ©dicale quelconque. Le narcissisme est lâexpressionpsychologique de cette dĂ©pendance 6 ».
Le narcissisme est le rĂ©vĂ©lateur dâun malaise plus diffus mais gĂ©nĂ©ralisĂ© et qui touchetous les secteurs de la vie sociale. Lasch met en lumiĂšre une crise dans notre culture,qui sâavĂšre dĂ©sormais incapable de former des individus accomplis et autonomes. Sonlivre est un saisissant portrait de Dorian Gray de « lâhomme psychologique », cetindividu contemporain moyen qui se trouve de plus en plus dessaisi de sa propre vie.
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La figure de Narcisse, de la mythologie Ă la psychanalyse
Il convient dâĂ©viter un contresens massivement rĂ©pandu sur ce terme de narcissisme,que lâon prend communĂ©ment pour un synonyme dâĂ©gocentrisme ou de vanitĂ©. Pourcela, il faut revenir Ă la lĂ©gende grecque. On sait que Narcisse, fascinĂ© par son reflet,finit par trop se pencher, tombe Ă lâeau et se noie. A trop sâaimer, il aurait provoquĂ© saperte.
Dans le langage courant, lâidĂ©e est restĂ©e : est dit narcissique lâindividu qui a une tropgrande estime de soi : il veut toujours ĂȘtre le centre de lâattention, il ramĂšne tout Ă lui.Lorsquâon accuse un Ă©crivain ou un cinĂ©aste de tomber dans ce travers, on lui reprochede faire des oeuvres nombrilistes, de se mettre outrageusement en scĂšne. Lâhistoire deNarcisse pourrait donc ĂȘtre lue comme une mise en garde contre lâamour excessif desoi.
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NĂ©anmoins, le sens clinique du terme est Ă lâopposĂ© de cette vision populaire. La clefdu mythe est que Narcisse ne sâest pas reconnu dans lâeau. Il ne savait pas que câĂ©taitlui quâil contemplait : « Narcisse se noie dans son reflet sans jamais comprendre quâilsâagit dâun reflet, explique Lasch. Il prend sa propre image pour quelquâun dâautre etcherche Ă lâembrasser sans penser un instant Ă sa sĂ»retĂ©. La leçon de lâhistoire nâestpas que Narcisse tombe amoureux de lui-mĂȘme mais que, incapable de reconnaĂźtre sonpropre reflet, il ne possĂšde pas le concept de la diffĂ©rence entre lui-mĂȘme et sonenvironnement. »
Câest pourquoi au sens clinique, le narcissisme est une pathologie de la personnalitĂ©.Lâindividu qui en souffre a sans cesse besoin dâattirer lâattention sur lui non parsatisfaction mais par manque. Il se montre Ă©touffant pour les autres, dont il ne sait pasprendre en compte les dĂ©sirs, du fait de son manque dâempathie. Câest pourquoi, il necherche dans la relation Ă autrui que sa satisfaction. Il a tendance Ă se comporter enparasite de son entourage ; il vampirise leur Ă©nergie, leur bonne volontĂ©, tout leurtemps parce quâil est fonciĂšrement incapable de se supporter. Il veut les placer sous sadĂ©pendance et se donner le sentiment de les dominer, afin de compenser ses proprescarences en terme dâestime de soi.
Une culture de lâinfantilisation
A lâopposĂ© de tout Ă©goĂŻsme (qui suppose au moins la capacitĂ© Ă dĂ©finir rationnellementson intĂ©rĂȘt et ses chances de rĂ©ussite), le type du narcissique se caractĂ©rise donc parla dĂ©tresse et lâanxiĂ©tĂ© permanentes face au monde, en particulier par une incapacitĂ© Ă constituer un rapport apaisĂ© Ă son environnement.
« MalgrĂ© ses illusions sporadiques dâomnipotence, Narcisse a besoin des autres poursâestimer lui-mĂȘme ; il ne peut vivre sans un public qui lâadmire. Son Ă©mancipationapparente des liens familiaux et des contraintes institutionnelles ne lui apporte pas,pour autant, la libertĂ© dâĂȘtre autonome et de se complaire dans son individualitĂ©. Ellecontribue, au contraire, Ă lâinsĂ©curitĂ© quâil ne peut maĂźtriser quâen voyant son « moigrandiose » reflĂ©tĂ© dans lâattention que lui porte autrui, ou en sâattachant Ă ceux quiirradient la cĂ©lĂ©britĂ©, la puissance et le charisme »7.
Pensons par exemple Ă lâapprenti-comique jouĂ© par De Niro, dans King of Comedy deScorcese, dont le seul rĂȘve est de passer dans le show tĂ©lĂ©visĂ© Ă la mode et qui, pourarriver Ă ses fins, finit par prendre en otage le prĂ©sentateur quâil idolĂątre.
La société contemporaine, estime Lasch, nous maintient ou nous ramÚne dans un était
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immature en nous promettant, via la publicitĂ© ou la propagande pour le progrĂšs, dessatisfactions illusoires, engendrant de ce fait un surcroĂźt de frustrations et dâangoisses.Pourquoi ne suis-je pas Ă©panoui, riche et gĂ©nial comme on me lâa promis ? se demandele narcisse dâaujourdâhui, dĂ©sarçonnĂ© quand ses rĂȘves finissent par se heurter Ă larĂ©alitĂ©.
Il nâest donc pas si certain que notre civilisation des LumiĂšres soit encore Ă mĂȘmedâamener tout homme Ă lâĂ©tat de maturitĂ© : elle croit ĂȘtre sorti pour de bon delâenfance de lâhumanitĂ©, des conflits avec la nature et des drames de lâhistoire 8
Incapable de combler ses dĂ©sirs, repliĂ© sur lui-mĂȘme, le narcissique Ă©prouve toutessortes de reprĂ©sentations dĂ©primantes : peur de vieillir en particulier, peur de ladĂ©crĂ©pitude physique et de la mort. CoupĂ© des autres, sans relations stables, lenarcissique comprend que lâavancĂ©e dans lâĂąge ne peut ĂȘtre synonymedâaccomplissement, mais dâaffaiblissement et de solitude accrue. Pour contrer cesimages, il dĂ©veloppera des fantasmes qui serviront de dĂ©fenses psychiques : exaltationidĂ©alisĂ©e de sa personne, espoirs dĂ©lirants dâune fusion cosmique (mentalitĂ© New Age),quĂȘte spirituelle de puretĂ© (gnosticisme), rejet du passĂ© et attentes irrĂ©alistes quant Ă lâavenir (idĂ©ologie progressiste) etc.
« En prolongeant le sentiment de dĂ©pendance jusque dans lâĂąge adulte, la sociĂ©tĂ©moderne favorise le dĂ©veloppement de modes narcissiques attĂ©nuĂ©s chez des gens qui,en dâautres circonstances, auraient peut-ĂȘtre acceptĂ© les limites inĂ©vitables de leurlibertĂ© et de leur pouvoir personnels â limites inhĂ©rentes Ă la condition humaine â endĂ©veloppant leurs compĂ©tences en tant que parents et travailleurs 9 ».
Lasch dĂ©crit tout le contraire dâune culture de lâĂ©gotisme ou de lâorgueil. BercĂ©dâillusions quant Ă la possibilitĂ© dâĂȘtre en paix avec lui-mĂȘme et de sâaccomplir, lenarcissique ne fait que sâenfoncer dans ses troubles. Le remĂšde semble donc aggraverle mal : câest pourquoi Lasch pointe la responsabilitĂ© de lâinstitution psychanalytique.
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Le Caravage, Narcisse (vers 1597-1599), Galerie nationale dâart ancien, Rome
La psychalyse, une religion pour notre temps ?
La psychanalyse sâest diffusĂ©e dans une sociĂ©tĂ© sĂ©cularisĂ©e, qui recherche son salutnon plus dans la religion mais dans la cure psychologique. Sâagit-il encore bien dâunevoie de salut ?
« Assailli par lâanxiĂ©tĂ©, la dĂ©pression, un mĂ©contentement vague et un sentiment devide intĂ©rieur, âlâhomme psychologiqueâ du XXe siĂšcle ne cherche vraiment ni sonpropre dĂ©veloppement ni une transcendance spirituelle, mais la paix de lâesprit, dansdes conditions de plus en plus dĂ©favorables. Ses principaux alliĂ©s, dans la lutte pouratteindre un Ă©quilibre personnel, ne sont ni les prĂȘtres, ni les apĂŽtres de lâautonomie,ni des modĂšles de rĂ©ussites du type capitaines dâindustrie ; ce sont les thĂ©rapeutes. Ilse tourne vers ces derniers dans lâespoir de parvenir Ă cet Ă©quivalent moderne dusalut : la âsantĂ© mentaleâ. » 10.
Lasch met en lumiĂšre la responsabilitĂ© des psychanalystes dans la formation dâunscientisme mĂ©dical. Prendre soin de son corps, avoir une bonne image de soi, assumerses dĂ©sirs, dĂ©passer sa culpabilité⊠La thĂ©rapie serait-elle devenue notre religion, unereligion dâaprĂšs la mort de Dieu ?
« LâatmosphĂšre actuelle nâest pas religieuse mais thĂ©rapeutique. Ce que les genscherchent avec ardeur aujourdâhui, ce nâest pas le salut personnel, encore moins leretour dâun Ăąge dâor antĂ©rieur, mais la santĂ©, la sĂ©curitĂ© psychique, lâimpression,lâillusion momentanĂ©e dâun bien-ĂȘtre personnel. MĂȘme le radicalisme des annĂ©es 1960a Ă©tĂ© utilisĂ©, non comme une religion de remplacement mais comme une forme dethĂ©rapie par un grand nombre de ceux qui lâont embrassĂ©, pour des raisons plutĂŽtpersonnelles que politiques. Une politique « radicale » donnait but et signification Ă des existences vides 11. »
Si les mouvements post-freudiens proposent bien de donner un nouveau sens Ă lâexistence, par une meilleure comprĂ©hension des conflits intĂ©rieurs du sujet, câestquâils prĂ©tendent dĂ©passer les illusions religieuses. Il nâest pourtant pas certain,montre Lasch, que la thĂ©rapie soit plus bĂ©nĂ©fique que le maintien de ces illusions. Il sepourrait au contraire quâelles nâaient fait quâaggraver cet Ă©tat de minoritĂ© de lâhomme :
« La thĂ©rapie sâest Ă©tablie comme le successeur de lâindividualisme farouche et de lareligion ; ce qui ne signifie pas que le âtriomphe de la thĂ©rapeutiqueâ soit devenu une
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nouvelle religion en soi. De fait, la thĂ©rapie constitue une antireligion, non pas parcequâelle sâattache aux explications rationnelles ou aux mĂ©thodes scientifiques deguĂ©rison, mais bien parce que la sociĂ©tĂ© moderne ânâa pas dâavenirâ, et ne prĂȘte doncaucune attention Ă ce qui ne relĂšve pas de ses besoins immĂ©diats. MĂȘme lorsque lesthĂ©rapeutes parlent de la nĂ©cessitĂ© de âlâamourâ et de la âsignificationâ ou du âsensâ,ils ne dĂ©finissent ces notions quâen termes de satisfaction des besoins affectifs dumalade [âŠ] LibĂ©rer lâhumanitĂ© de notions aussi attardĂ©es que lâamour et le devoir, telleest la mission des thĂ©rapies postfreudiennes, et particuliĂšrement de leurs disciples etvulgarisateurs, pour qui santĂ© mentale signifie suppression des inhibitions etgratification immĂ©diate des pulsions » 12.
Analyse pas terminĂ©e, analyse interminable : en privant lâhomme de ses illusions, on nelui a pas dessillĂ© les yeux ; on nâa fait quâengendrer des illusions plus douces, plusaliĂ©nantes. La pratique thĂ©rapeutique finit par produire des effets pervers, contrairesaux objectifs grandioses annoncĂ©es : les premiĂšres victimes de la rĂ©duction de lâhommeĂ ses pulsions sont alors les pulsions elles-mĂȘmes. Il ne peut y avoir dâaccomplissementdu dĂ©sir sâil ne se fait pas au nom dâun idĂ©al qui dĂ©passe la simple satisfactionorganique. Le sujet, en qui affluent et grouillent les pulsions, ne peut leur trouver unsens que sâil parvient Ă les sublimer dans un idĂ©al. Câest en ce sens que, pour Lasch, lareligion Ă©tait paradoxalement une cure meilleure que la psychanalyse, en ce quâelleobtenait, au moins de certains de ses adeptes, une sublimation des pulsions (quĂȘte deDieu, ravissement extatique, amour de lâhumanitĂ©âŠ) et quâelle mettait lâhomme face Ă ses limites, en vexant sa propension Ă se croire tout-puissant.
La critique du thĂ©rapeutisme montre Ă la fois comment le monde de la cure a permisde repĂ©rer lâexpansion dâun trouble ; puis comment sâest constituĂ© en rĂ©ponse unscientisme dâun type nouveau. La psychanalyse nâest pas Ă lâorigine du narcissismemais a contribuĂ© Ă lâaggraver.
Le miroir du narcissisme
Pour Narcisse, le monde nâest que le miroir de ses dĂ©sirs. Et si le monde ne le satisfaitpas, câest quâil est mauvais. La psychanalyse post-freudienne, ne permet plus, selonLasch, au sujet de sortir de lui-mĂȘme ; au contraire, elle lâenfonce dans ses turpitudes.Lâexaltation du moi entraĂźne en fait un effondrement de ce dernier. Lasch voit ceprocessus mortifĂšre Ă lâoeuvre dans la littĂ©rature, qui lui sert ici de miroir grossissantpour un phĂ©nomĂšne plus gĂ©nĂ©ral :
« La popularité du genre autobiographique et de la confession témoigne, évidemment,
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du nouveau narcissisme qui sâĂ©tend Ă toute la culture amĂ©ricaine. Pourtant, lesmeilleures Ćuvres dans cette veine, parce quâelles dĂ©voilent le moi prĂ©cisĂ©ment,tentent dâĂ©tablir une distance critique par rapport Ă ce moi et de mieux apprĂ©henderles forces historiques â reproduites sous forme psychologique â qui ont rendu leconcept mĂȘme dâidentitĂ© de plus en plus problĂ©matique. Le seul fait dâĂ©crireprĂ©suppose dĂ©jĂ un dĂ©tachement envers le moi. De plus, lâobjectivation de sa propreexpĂ©rience, ainsi que lâont montrĂ© les Ă©tudes psychiatriques sur le narcissisme, permetaux « sources profondes du grandiose et de lâexhibitionnisme â aprĂšs avoir Ă©tĂ©convenablement inhibĂ©es dans leurs projets, apprivoisĂ©es et neutralisĂ©es â de trouverun accĂšs » Ă la rĂ©alitĂ©. Pourtant, lâinterpĂ©nĂ©tration croissante de la fiction, dujournalisme et de lâautobiographie montre de façon indĂ©niable que de nombreuxĂ©crivains parviennent de plus en plus malaisĂ©ment Ă atteindre ce dĂ©tachementindispensable Ă lâart » 13.
En rompant les barriĂšres imposĂ©es au dĂ©sir, notre sociĂ©tĂ© engendre chez lâindividu dessentiments dâimpuissance et de rage rentrĂ©e. LâĂ©crivain, parce quâil pousse jusquâaubout un processus que lâhomme ordinaire ne vit pas complĂštement, est le premier Ă exprimer parfaitement cette misĂšre existentielle :
« Le voyage intĂ©rieur ne rĂ©vĂšle que le vide. LâĂ©crivain ne voit plus la vie reflĂ©tĂ©e dansson esprit mais, au contraire, le monde, mĂȘme vide, comme son propre miroir.Lorsquâil rend compte de ses expĂ©riences « intĂ©rieures », ce nâest pas pour nousdonner un tableau objectif dâun fragment reprĂ©sentatif de la rĂ©alitĂ©, mais pour sĂ©duireafin quâon sâintĂ©resse Ă lui, quâon lâacclame, quâon sympathise, quâainsi lâon conforteson identitĂ© chancelante 14 ».
En France, la vogue de lâautofiction a certainement marquĂ© lâaboutissement de cerenfermement de lâĂ©crivain sur lui-mĂȘme.
La littĂ©rature, quand elle ne veut ĂȘtre que le miroir de lâĂ©crivain qui nous parle de lui,nâest plus capable dâoffrir une quelconque image du monde. La quĂȘte intĂ©rieure de soiest bien un miroir aux alouettes : « Plus lâhomme sâobjective dans son travail, plus larĂ©alitĂ© prend lâapparence dâune illusion. [âŠ] Pour le moi-acteur, la seule rĂ©alitĂ© estlâidentitĂ© quâil parvient Ă construire Ă partir de matĂ©riaux fournis par la publicitĂ© et laculture de masse, de thĂšmes de films et romans populaires [âŠ] Afin de polir et deparfaire le rĂŽle quâil sâest choisi, le nouveau Narcisse contemple son propre reflet, nonpas tant pour sâadmirer que pour y chercher sans relĂąche les failles, les signes defatigue ou de dĂ©crĂ©pitude. [âŠ] Tous, tant que nous sommes, acteurs et spectateurs,
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vivons entourĂ©s de miroirs ; en eux, nous cherchons Ă nous rassurer sur notre pouvoirde captiver ou dâimpressionner les autres, tout en demeurant anxieusement Ă lâaffĂ»tdâimperfections qui pourraient nuire Ă lâapparence que nous voulons donner.Lâindustrie de la publicitĂ© encourage dĂ©libĂ©rĂ©ment ce souci des apparences » 15.
A mesure que lâidentitĂ© individuelle vacille, le monde, note Lasch, devient une suiteconfuse dâimages tremblotantes. La culture du narcissisme est, on le voit, unimpitoyable miroir de nous-mĂȘmes.
La moralisation du sport
Un terrain dâĂ©tude privilĂ©giĂ© du narcissisme est celui, justement, du terrain de sport.Quand lâactivitĂ© sportive nâest plus considĂ©rĂ©e comme un moyen pour lâhommedâĂ©prouver ses forces dans un jeu rĂ©glĂ©, quand la compĂ©tition est assujettie Ă desexigences morales, financiĂšres et politiques, elle devient un instrumentdâembrigadement. Le sport perd son sens initial, ĂȘtre une occasion dâĂ©prouver noscapacitĂ©s et dâadmirer des performances exceptionnelles 16. Il vire Ă son tour Ă larecherche de la performance et de la victoire calculĂ©e :
« Le dicton de George Allen â « Gagner nâest pas le plus important, câest la seule chosequi compte » â reprĂ©sente la derniĂšre dĂ©fense de lâesprit dâĂ©quipe contre sadĂ©tĂ©rioration. GĂ©nĂ©ralement citĂ© comme preuve de lâhypertrophie de la compĂ©tition, cegenre dâaffirmation peut, au contraire, la garder dans des limites raisonnables. [âŠ]Aujourdâhui, les gens associent la rivalitĂ© Ă lâagression sans frein ; il leur est difficile deconcevoir une situation de compĂ©tition qui ne conduise pas directement Ă des pensĂ©esde meurtre. [âŠ] A lâorigine de ces propos gĂźt la conviction que lâexcellence, de fait,sâatteint au dĂ©triment dâautrui ; la compĂ©tition tend Ă devenir meurtriĂšre, Ă moinsdâĂȘtre tempĂ©rĂ©e par la coopĂ©ration ; et la rivalitĂ© sportive, si elle nâest pas contrĂŽlĂ©e,exprimera la rage intĂ©rieure que lâhomme contemporain cherche dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă Ă©touffer (pages 157-158).[/efn_note] ».
Dans un monde oĂč les individus sont montĂ©s les uns contre les autres, il devientdifficile de maintenir un rĂ©seau dâamis, de camarades, de partenaires de jeux.Lâassociation libre et fraternelle devient lâexception, la mĂ©fiance gĂ©nĂ©ralisĂ©e et laconcurrence larvĂ©e, la rĂšgle :
« Dans une sociĂ©tĂ© bureaucratique, la fidĂ©litĂ© Ă une organisation perd de sa force. Siles sportifs sâappliquent encore Ă subordonner leurs propres performances Ă celles delâĂ©quipe, ce nâest pas parce que celle-ci, en tant quâentitĂ©, transcende les intĂ©rĂȘts
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individuels, mais simplement pour conserver des rapports harmonieux avec leurscollĂšgues. Dans la mesure oĂč il distrait les foules, le sportif cherche avant tout Ă promouvoir son propre intĂ©rĂȘt, et vend ses services au plus offrant. Les meilleurs setransforment en cĂ©lĂ©britĂ©s ; ils deviennent alors des supports publicitaires et touchentdes sommes qui dĂ©passent souvent leurs salaires dĂ©jĂ Ă©levĂ©s 17 ».
Le dĂ©clin de lâesprit sportif touche Ă une dimension essentielles de notre existence :celle du corps, des bases physiques, matĂ©rielles de notre vie. Le sport doit maintenantservir Ă entretenir une bonne image de soi (squash en milieu de semaine avec lescollĂšguesâŠ). Il nâest pas valorisĂ© pour lui-mĂȘme, pour le plaisir du jeu oĂč lâon Ă©prouveses forces, mais pour ses bienfaits sur la santĂ© et pour lâimage quâil vĂ©hicule :motivation et dynamisme.
LâĂ©tude du sport sert Ă montrer un dĂ©clin de lâesprit dâĂ©quipe qui sâĂ©tend au monde dutravail en gĂ©nĂ©ral. Lasch montre comment la mentalitĂ© du capitalisme avancĂ© ruine lamentalitĂ© industrieuse des origines. Lâauteur nâest donc pas tant critique ducapitalisme que de la concentration de la production entre de grandes firmes 18. LacompĂ©tition sur le terrain ne se fait plus seulement pour jouer et gagner, mais au profitdes annonceurs, des politiques et des thĂ©rapeutes, qui cherchent Ă promouvoir par cebiais la conformitĂ© des individus Ă des normes de bonne santĂ© morale et physique.
Ce qui se manifeste dans le sport est une dĂ©gradation de lâesprit dâentreprise, uneperte du sens de lâinitiative : le capitalisme, en se âbureaucratisantâ travaille Ă sapropre disparition.
Ce que lâindividu perd en se salariant pour une grande entreprise, il sembleraitnĂ©anmoins quâil le rĂ©cupĂšre par lâautonomie promue par un mode de vie libĂ©ral.
Ămancipation ou aliĂ©nation de lâindividu ?
LâĂ©mancipation de lâindividu apparaĂźt, au dĂ©part, comme un effet bĂ©nĂ©fique de lamontĂ©e du niveau de vie et des opportunitĂ©s permises par un marchĂ© libre. Laschmontre que cette libĂ©ration, provoquĂ©e par lâextension du capitalisme industriel, finitpar ĂȘtre nuisible aux individus : libĂ©rĂ©s de leurs attachements, de plus en plusinterchangeables, ils ne peuvent sâengager sĂ©rieusement dans une voieprofessionnelle. Le travail devient moins une affaire de compĂ©tence et de dĂ©vouementpersonnel quâun jeu de mise en scĂšne de soi. LâemployĂ© des grandes firmes anonymesdoit jouer un rĂŽle, se montrer plus malin que les autres, gruger ses collĂšgues et sessupĂ©rieurs.
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La distance au rĂŽle est amoindrie : il faut ĂȘtre personnellement, affectivement, investidans son travail, faire des dĂ©clarations amoureuses Ă son entreprise 19. Cette exigencede sincĂ©ritĂ© provoque chez ceux qui en sont victime des angoisses. La distance au rĂŽlene peut ĂȘtre artificiellement rĂ©tablie quâen surjouant son personnage, ironiquement, enessayant, dans son for intĂ©rieur, de ne pas se laisser « coloniser » par les mots dâordrede la âmotivationâ.
Lâindividualisme sert dâexpression Ă un dĂ©sir de retrait dans la sphĂšre privĂ©e, loin de lafamille et du bureau. Illusoire façon de retrouver une autonomie que le travail nepermet plus dâacquĂ©rir :
« La critique de la « privatisation », bien quâelle contribue Ă maintenir en Ă©veil lebesoin dâune existence plus communautaire, devient fallacieuse alors que diminue lapossibilitĂ© dâune authentique vie privĂ©e. Il se peut quâĂ lâinstar de ses prĂ©dĂ©cesseurs,lâAmĂ©ricain contemporain se montre incapable dâĂ©tablir aucune sorte de vie commune,mais les tendances Ă la concentration de la sociĂ©tĂ© industrielle moderne nâen ont pasmoins sapĂ© son isolement. Ayant livrĂ© ses compĂ©tences techniques aux grandesentreprises, il ne peut plus pourvoir lui-mĂȘme Ă ses besoins matĂ©riels. 20. »
Le rapport Ă lâentourage se fait sur le mode de la dĂ©rision : je les frĂ©quente mais justedans mon intĂ©rĂȘt ; je vais au travail mais juste pour gagner ma vie, sans y croire :
« Ce qui est Ă dĂ©noncer dans le mouvement de prises de conscience, ce nâest pas quâiltraite de problĂšmes banals ou irrĂ©els, mais quâil fournit des solutions qui vont Ă lâencontre de ses propres intentions. NĂ© dâun profond malaise, dĂ» Ă la dĂ©tĂ©rioration desrelations personnelles, ce mouvement conseille aux gens de ne pas trop sâengager enamour et en amitiĂ©, dâĂ©viter de devenir trop dĂ©pendant des autres et de vivre danslâinstant âalors que ce sont, prĂ©cisĂ©ment, ces comportements qui sont Ă lâorigine dumalaise » 21.
Le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© narcissique a lieu dans une sociĂ©tĂ© qui a rompuses liens avec le passĂ© et se trouve, de ce fait, incapable de prĂ©parer lâavenir.Lâindividu, privĂ© de conscience historique, est enfermĂ© dans un prĂ©sent rĂ©trĂ©ci 22.
Dans un autre essai, Le moi assiĂ©gĂ© Lasch Ă©crit : « Dans une Ă©poque troublĂ©e commela nĂŽtre, la vie quotidienne se transforme en un exercice de survie. Les gens vivent aujour le jour. Ils Ă©vitent de penser au passĂ©, de crainte de succomber Ă une ânostalgieâdĂ©primante ; et lorsquâils pensent Ă lâavenir, câest pour y trouver comment se prĂ©munirdes dĂ©sastres que tous ou presque sâattendent dĂ©sormais Ă affronter. [âŠ] AssiĂ©gĂ©, le
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moi se resserre jusquâĂ ne plus former quâun noyau dĂ©fensif, armĂ© contre lâadversitĂ©.LâĂ©quilibre Ă©motionnel requiert un moi minimal, et non plus le moi impĂ©rial dâantan »23.
Plusieurs passages de La culture du narcissisme sont Ă©crits en Ă©cho aux thĂšses deFreud sur les frustrations provoquĂ©e par la domestication de lâhomme dans lacivilisation (je souligne) :
« Aujourdâhui, les AmĂ©ricains sont dominĂ©s, non par le sens de possibilitĂ©s infinies,mais bien plutĂŽt par la banalitĂ© de lâordre social quâils ont Ă©rigĂ© contre de tellespossibilitĂ©s. Comme ils ont intĂ©riorisĂ© les contraintes sociales au moyen desquelles ilstentaient, jadis, de garder leurs appĂ©tits dans des limites civilisĂ©es, ils se sententmaintenant annihilĂ©s par lâennui, Ă lâinstar de ces animaux dont lâinstinct sâĂ©tioleen captivitĂ©. Le retour Ă la sauvagerie les menace si peu quâils rĂȘvent prĂ©cisĂ©mentdâune vie instinctive plus vigoureuse. Les gens se plaignent dâĂȘtre incapables desensation. Ils sont Ă la recherche dâimpressions fortes, susceptibles de ranimer leursappĂ©tits blasĂ©s et de redonner vie Ă leur chair endormie. Ils condamnent le surmoi etexaltent la fiĂšvre perdue des sens. Les peuples industrialisĂ©s du XXe siĂšcle ontconstruit tant de barriĂšres psychologiques pour faire piĂšce aux Ă©motions fortes, et ilsont investi dans ces dĂ©fenses tant dâĂ©nergie, Ă©manant dâimpulsions interdites quâilssont incapables de se souvenir de lâimpression que lâon ressent lorsquâon est inondĂ©par le dĂ©sir. Ils ont plutĂŽt tendance Ă se consumer, dâune rage issue de dĂ©fensesĂ©rigĂ©es contre le dĂ©sir, laquelle donne, Ă son tour, naissance Ă de nouvelles dĂ©fensescontre elle-mĂȘme. Apparemment incolores, soumis et sociables, ils bouillonnent dâunecolĂšre intĂ©rieure Ă laquelle une sociĂ©tĂ© bureaucratique, dense et surpeuplĂ©e, ne peutoffrir que peu dâexutoires lĂ©gitimes 24. »
LâĂšre de lâindividualisme ne marque pas le triomphe mais lâeffondrement de lâindividu.
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La guerre des sexes
Autre Ă©chec pointĂ© par Lasch, celui de la libĂ©ration sexuelle. Celle-ci a voulu satisfairedes demandes dâĂ©mancipation de la femme par rapport Ă son rĂŽle de mĂšre. Mais ilnâest pas si certain, selon Lasch, que cela ait fait leur bonheur : au lieu dâĂȘtre soumisesĂ leur mari, elles se sont retrouvĂ©es de plus en plus sous la coupe de leur patron, deleur banquier. Qui plus est, les revendications fĂ©ministes nâont pas eu les effetsescomptĂ©s : au lieu dâun apaisement des relations de couple, elles ont dĂ©clenchĂ© une
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nouvelle guerre des sexes. Lâhomme, faute de correspondre Ă lâami idĂ©al, au tendrecompagnon, est considĂ©rĂ© Ă prĂ©sent comme un rival, un phallocrate. Le mĂȘmemĂ©canisme narcissique est encore Ă lâoeuvre : des dĂ©sirs excessifs ne peuvent ĂȘtresatisfaits et engendrent en retour des frustrations inĂ©dites. Le mythe du princecharmant continue donc de faire des dĂ©gĂąts⊠Lasch ne parle pas en misogyne quiproposerait un retour de la femme au foyer. Il montre que lâĂ©quilibre ancien du couplea Ă©tĂ© rompu au profit dâune situation de rivalitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e entre hommes et femmes :la libĂ©ration annoncĂ©e nâa pas su aboutir Ă un Ă©quilibre meilleur 25
Pire, la sexualisation inconditionnelle de la relation amoureuse (droit Ă lâorgasme) sefait au prix de ce que Lasch appelle une fuite devant les sentiments (flight fromfeeling). Les individus ne ressentent plus rien, ni des sentiments des autres ni dâeux-mĂȘmes. Ils voudraient ĂȘtre des machines Ă jouir, sans entraves, mais leur chair est plustriste que jamais⊠LâidĂ©al dâĂ©panouissement absolu par la sexualitĂ© aboutit Ă deshommes et des femmes nĂ©vrosĂ©s, hostiles les uns aux autres.
Le modĂšle du libertinage bourgeois, en « contaminant » les diffĂ©rentes couches de lasociĂ©tĂ©, fait sauter toute la distance polie quâhommes et femmes avaient su Ă©tablirentre eux. Chaque sexe ne se faisait pas trop dâillusions sur les faiblesses de lâautre. Ilapprenait Ă les accepter, avec un mĂ©lange dâironie et de bonhomie. En sâattaquant Ă lavie de famille prĂ©cairement maintenue dans les milieux modestes, lâidĂ©ologie libertairea constituĂ© une nouvelle forme de lutte des classes.
Lorsquâil montre que les dĂ©sordres narcissiques proviennent des couches socialessupĂ©rieures et dĂ©stabilisent les classes populaires, Lasch semble pointer un complotdes Ă©lites. Tout le mal viendrait des dirigeants, qui auraient trouvĂ© le moyendâoppresser la masse par les moyens dâune bureaucratie tentaculaire. De plus, pourquâelle soit contente de son sort, on lâabrutirait par la tĂ©lĂ©vision, la thĂ©rapie et despromesses dâĂ©panouissement illusoires. Lasch rĂ©pond Ă ce soupçon :
« Quâon ne se mĂ©prenne pas. Je ne veux pas donner Ă entendre quâil existe une vasteconspiration contre nos libertĂ©s. Toutes ces actions Ă©tĂ© entreprises en pleine lumiĂšreet, dans lâensemble, avec de bonnes intentions. Elles nâont pas Ă©tĂ© non plus le faitdâune politique cohĂ©rente de contrĂŽle social. Les gens qui formulent une politiquevoient rarement au-delĂ des problĂšmes immĂ©diats. [âŠ] Ce qui donne cohĂ©rence auxactions entreprises par les directeurs et professionnels qui gĂšrent le systĂšme, câest leurvolontĂ© de promouvoir et de prĂ©server le capitalisme des grandes sociĂ©tĂ©s dont ilstirent, eux-mĂȘmes, le plus grand profit. Les besoins de ce systĂšme modĂšlent lapolitique mise en Ćuvre, et circonscrivent les limites des discussions publiques sur ce
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sujet. Si nous sommes, pour la plupart, conscients de lâexistence de ce systĂšme, nousignorons, en revanche, la classe qui le gĂšre et qui monopolise la richesse quâil crĂ©e.Nous nous refusons Ă faire une analyse « de classe » parce quâelle pourrait ressemblerĂ une explication par la « thĂ©orie de la conspiration ». Mais nous nous interdisons, dumĂȘme coup, de comprendre comment sont nĂ©es nos difficultĂ©s prĂ©sentes, pourquoielles persistent, et comment elles pourraient ĂȘtre rĂ©solues 26 ».
Mettre les dirigeants face Ă leur responsabilitĂ© nâest pas les accuser dâintentionsmalveillantes. Le rĂŽle des dominants dans le dĂ©clin de lâAmĂ©rique contemporaine estprĂ©cisĂ© par Lasch dans son dernier livre, La rĂ©volte des Ă©lites 27.
LâĂ©clatement de la famille
Tout son projet de Lasch est de retracer une Ă©volution sociale qui ne date pas de ladĂ©cennie oĂč il Ă©crit, les annĂ©es 1970, mais qui a commencĂ© Ă la fin du 19Ăšme siĂšcle.Dans la postface, lâauteur revient sur son projet pour exposer son hypothĂšse de dĂ©part.Il y explique pourquoi la famille est un lieu privilĂ©giĂ© de comprĂ©hension dâune culture,en quoi son Ă©tude est dĂ©terminante pour une sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e, et quelles sont lesrĂ©percussions de son dĂ©clin lâAmĂ©rique dâaujourdâhui (je souligne) :
« Le narcissisme de la culture et de la personnalitĂ©, tel que je lâai compris, nâĂ©tait passimplement synonyme dâĂ©goĂŻsme [âŠ] LâĂ©cole, les groupes dâaffinitĂ©s, la communicationde masse et les « travailleurs sociaux » avaient minĂ© lâautoritĂ© parentale et sâĂ©taientemparĂ© dâun grand nombre de fonctions familiales touchant Ă lâĂ©ducation des enfants.Je me suis dit que des changements dâune telle ampleur, dans une activitĂ© dâuneimportance aussi fondamentale, devaient avoir eu des rĂ©percussions psychologiquestrĂšs Ă©tendues. La Culture du Narcissisme Ă©tait une tentative dâanalyse de cesrĂ©percussions â dâexploration de la dimension psychologique des changements Ă long terme dans la structure de lâautoritĂ© culturelle. Mes hypothĂšses de baseprovenaient dâun ensemble dâĂ©tudes, dues pour la plupart Ă des anthropologues, Ă dessociologues et Ă des psychanalystes qui sâintĂ©ressaient Ă lâĂ©tude de la culture et quianalysaient les effets de celle-ci sur la personnalitĂ©. Les chercheurs appartenant Ă cette Ă©cole maintenaient que chaque culture Ă©tablit des modĂšles distinctsdâĂ©ducation et de socialisation des enfants qui ont pour effet de produire untype de personnalitĂ© distinct adaptĂ© aux besoins de cette culture [âŠ] Un certainnombre dâautres observateurs Ă©taient parvenus Ă des conclusions semblables quant Ă la direction que prenaient les changements subis par la personnalitĂ©. Ils parlaient delâeffondrement des « contrĂŽles pulsionnels », du « dĂ©clin du surmoi » et de lâinfluencecroissante des groupes dâaffinitĂ©s. Les psychiatres, en outre, constataient une
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transformation dans les symptĂŽmes quâils dĂ©tectaient chez leurs patients. LesnĂ©vroses classiques traitĂ©es par Freud, disaient-ils, Ă©taient remplacĂ©es par desdĂ©sordres de la personnalitĂ© de type narcissique. Sheldon Bach a fait remarqueren 1976 : âNous avions lâhabitude de voir arriver des gens ayant des pulsions, commelâobsession de se laver les mains, des phobies et des nĂ©vroses bien repĂ©rĂ©es.Aujourdâhui, on voit arriver surtout des Narcisses contemporainsâ » 28.
Narcisse au cinéma : la fuite devant les sentiments
Je voudrais pour finir illustrer le propos de Lasch par deux exemples pris au cinĂ©ma.Puisque Narcisse aime outrageusement se mettre en scĂšne, il nâest pas surprenant quele monde de fiction crĂ©Ă© par Hollywood regorge de personnages souffrant de ce mal. Side plus, ces films se passent dans le milieu de la tĂ©lĂ©vision, on peut ĂȘtre assurĂ© dâytrouver un vivierâŠ
Jâai dĂ©jĂ Ă©voquĂ© King of Comedy de Scorcese, dont un cĂ©lĂšbre critique de cinĂ©ma a ditquâil est « one of the most arid, painful, wounded movies Iâve ever seen [âŠ] It isfrustrating to watch, unpleasant to remember, and, in its own way, quite effective 29 ».En transposant, on en dirait autant du livre de Lasch, si dans les deux cas, cettevexation infligĂ©e au narcissisme nâavait pas un cĂŽtĂ© salutaire.
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La prostituĂ©e du film dâAlan J. Pakula, Klute (1971), jouĂ©e par Jane Fonda, consulterĂ©guliĂšrement une psychanalyste. Elle lui raconte que, pour satisfaire les fantasmes deses clients, elle est parvenue Ă simuler parfaitement ses Ă©motions. Elle joue sur mesurele rĂŽle quâils veulent. Si elle a choisi de gagner sa vie par la prostitution, affirme t-elle,câest pour obtenir une parfaite maĂźtrise sur ses dĂ©sirs. Elle confesse finalement, facecamĂ©ra, le vide intĂ©rieur de son existence : sa sexualitĂ© simulĂ©e lâa privĂ©e de toutsentiment.
La productrice de tĂ©lĂ©vision jouĂ©e par Faye Dunaway dans Network, de Sidney Lumet(1976), est elle aussi incapable de sentiments humains sincĂšres. Elle mĂšne sa viecomme si elle Ă©tait un personnage de show tĂ©lĂ© : « If I stay with you, lui lance sonamant horrifiĂ©, Iâll be destroyed [âŠ] like everything you and the institution of televisiontouch is destroyed. You are television incarnate, Diana : indifferent to suffering,insensitive to joy. You are madness, Diana, virulent madness, and everything you touchdies with you 30 ».
Ces deux hĂ©roĂŻnes jouent un rĂŽle en permanence. Câest mĂȘme leur seule personnalitĂ© :quand elles ne jouent plus leur personnage, elles ne retrouvent aucune personnalitĂ©propre. Elles sont devenues de parfaites crĂ©atures de fiction.
Câest peut-ĂȘtre dans ces moments oĂč Hollywood fait des films qui sont des miroirs sanscomplaisance de son temps, quâil Ă©chappe le plus Ă sa tendance inhĂ©rente aunarcissisme.
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La productrice de tĂ©lĂ©vision (Faye Dunaway) dans Network de Sidney Lumet(1976) et la prostituĂ©e (Jane Fonda) dans Klute dâAlan J. Pakula (1971). DeuxhĂ©roĂŻnes qui pratiquent cette âfuite devant les sentimentsâ dont parle Lasch :la premiĂšre au nom de ses ambitions professionnelles, la seconde poursatisfaire les fantasmes de ses clients. ExubĂ©rantes dans leur travail, elles sontfroides et indiffĂ©rentes en privĂ©, incapables dâĂ©motions vĂ©ritables.
LâAnti-Narcisse
Depuis quarante ans, les essais dĂ©nonçant les maux contemporains nâont pas manquĂ©.On a critiquĂ© pĂȘle-mĂȘle la sociĂ©tĂ© de consommation (ou du spectacle), lâĂšre du vide,lâhomo festivus, le dĂ©sordre amoureux ou encore la fin de la valeur-travail et la mort delâathĂ©isme⊠On ne cesse Ă©galement de protester contre lâassistanat, la perte du sensdes valeurs⊠On a identifiĂ© Ă chaque fois les effets du mal, sans vraiment trouver lescauses. Je crois que Lasch, en un seul livre, a fait mieux que toutes ces analysesrĂ©unies, car il a rĂ©ussi Ă montrer les conditions sociales dâapparition de la pathologiepsychologique spĂ©cifique de notre temps. ComplĂ©tant en somme Freud par Marx etWeber, il a brossĂ© un portrait sans fard de lâhomme contemporains -nous- non pour leplaisir dâĂȘtre vexant, mais pour faire la lumiĂšre sur les tendances les plus mortifĂšres denotre culture. Le portrait de Dorian Gray rĂ©vĂ©lait les tares et les vices du personnage ;le portrait de Narcisse rĂ©vĂšle lâinfantilisation dâun individu qui ne sait plus se prendreen charge et faire sa vie.
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Dans sa postface, lâauteur Ă©crit :
« Les critiques ont accueilli La Culture du Narcissisme comme une « jĂ©rĂ©miade »supplĂ©mentaire sâattaquant au sybaritisme, comme un constat sur les annĂ©es soixante-dix. Ceux qui ont trouvĂ© le livre trop sinistre ont annoncĂ© quâil serait de toute façonbientĂŽt dĂ©passĂ©, puisque la dĂ©cennie qui allait commencer nĂ©cessiterait bientĂŽt unnouvel ensemble de tendances, de nouveaux slogans et de nouveaux mots dâordre, afinde se distinguer des dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes » 31. Il nây a bien sĂ»r pas un mot Ă changerĂ ce livre, qui est sans doute encore plus actuel aujourdâhui quâhier. Le narcissismenâest pas quâun travers superficiel dâune Ă©poque trop tournĂ©e sur elle-mĂȘme mais lesymptĂŽme dâune crise profonde. Aux discours optimistes et satisfaits, il oppose unedĂ©marche qui ne flatte personne et qui est, pour cette raison, anti-narcissique.
Le constat peut paraĂźtre dĂ©sespĂ©rant et mĂȘme profondĂ©ment pessimiste. NĂ©anmoins, ilnây aurait pas de sens de la part de Lasch Ă faire ce constat sâil ne croyait pas en noscapacitĂ©s Ă prendre conscience de nos aveuglements quant aux bienfaits automatiquesde lâidĂ©ologie du progrĂšs. En voulant mettre fin Ă tous les conflits et en nouspromettant un avenir de satisfactions illimitĂ©es, notre sociĂ©tĂ© sâest enfermĂ©e dans desillusions grandioses et dĂ©risoires, oublieuse des limites de lâĂȘtre humain, de ce queJean-Claude MichĂ©a appelle sa part de tragique « non pas centrale mais irrĂ©ductible »32.
Un art moyen. Essai sur les usages sociaux de la photographie, Minuit, 1965.1.cf. Albert Eiguer, Le pervers narcissique et son complice, Dunod, 2003.2.cf. Marie-France Hirigoyen, Le HarcĂšlement moral : la violence perverse au3.quotidien, La DĂ©couverte, 1998.cf. Pascale Chapaux-Morelli et Pascal Couderc, La manipulation affective dans le4.couple : Faire face Ă un pervers narcissique, Albin Michel, 2010.Christopher Lasch, The Culture of Narcissism : American Life in an Age of5.Diminishing Expectations, 1979 ; La culture du narcissisme : la vie amĂ©ricaine Ă un Ăąge de dĂ©clin des espĂ©rances, 2006, Flammarion, ChampsPage 284.6.Page 37.7.Câest pourquoi on peut accueillir avec scepticisme la profession de foi optimiste8.de Luc Ferry dans son dernier essai, Lâinnovation destructrice (Plon, 2014), quivoit dans la civilisation occidentale la seule et unique Ă avoir sorti lâhomme de sonĂ©tat de minoritĂ©. Dâune part, notre civilisation nâest peut-ĂȘtre pas la seule Ă lâavoir fait ; de plus, il nâest pas certain quâelle ait dĂ©finitivement rĂ©ussi. Il se
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pourrait que le culte du progrĂšs nous aveugle largement. Lâessai de Ferry nâestdâailleurs, dans ce rappel de lâimportance des traditions, quâune reprise non-ditedes thĂšses de Lasch et MichĂ©a. Or, il termine, malgrĂ© cette mise en garde, surune dĂ©fense inconditionnelle de lâinnovation et du progrĂšs, quâil considĂšre commeindispensables. Lâalerte aura Ă©tĂ© donc chaude mais de courte durĂ©e. Sa rĂ©flexionest au moins lâoccasion pour lui de se moquer des contradictions delâentrepreneur « moderne », qui veut en revenir aux bonnes vieilles mĂ©thodes demanagement tout en appelant sans cesse ses employĂ©s Ă rĂ©volutionner leursoutils de production.Page 284-285.9.Page 40.10.Page 34.11.Pages 40-4112.Page 46.13.Page 50.14.Page 129.15.Jean-Claude MichĂ©a a montrĂ© les dĂ©rives du sport sous lâinfluence de la mentalitĂ©16.utilitariste, dans son essai Le plus beau but Ă©tait une passe (Climats, 2014). [Lireune recension du livre sur cesite->http://www.actu-philosophia.com/spip.php?article541]. La coupe du mondeau BrĂ©sil ne nous a-t-elle pas montrĂ© nombre de matchs oĂč les Ă©quipes jouaientnon pour gagner, mais pour ne pas perdre, et oĂč la violence sournoise a Ă©tĂ©utilisĂ©e comme tactique pour dĂ©stabiliser lâadversaire ?Page 159.17.On retrouve lĂ des critiques proches de celles portĂ©es par John Kenneth18.Galbraith. Voir Le nouvel Ă©tat industriel, 1968.Sur cette forme de soumission nouvelle induite par les mĂ©thodes de management19.de pointe, voir le livre de FrĂ©dĂ©ric Lordon, Capitalisme, dĂ©sir et servitude. Marxet Spinoza, La Fabrique, 2010.Pages 36.20.Page 57.21.Je forme cette expression de « prĂ©sent rĂ©trĂ©ci » Ă partir de la notion22.bergsonienne de prĂ©sent Ă©largi. Se placer dans le prĂ©sent Ă©largi signifie pourBergson ressaisir le passĂ© (mĂ©moire), qui presse sur le prĂ©sent comme durĂ©eactuelle (attention) et qui sâouvre sur lâavenir (volontĂ©). On pourrait dire que lenarcissique, Ă©touffĂ© dans une durĂ©e de plus en plus pauvre, est au contraireamnĂ©sique, indiffĂ©rent et aboulique.Christopher Lasch, Le moi assiĂ©gĂ©. Essai sur lâĂ©rosion de la personnalitĂ©, Climats,23.
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2008. Dans ce livre, Lasch retrouve une Ă©tymologie possible de narcisse : du grecnarkĂš, la torpeur. Le narcissisme est un narcotique. Ce point est essentiel : lenarcissisme ne tĂ©moigne pas dâune suractivitĂ© mais bien dâun dĂ©sir dâapaisementdes tensions, de la quĂȘte dâun âNirvanaâ comme Ă©chappatoire aux conflits etcontradictions de lâexistence. Narcisse ne rĂȘve que dâune chose : vivre sa viecomme un songe. Bergson pointait dans le Rire ce risque pour lâĂȘtre vivant de selaisser aller au somnambulisme. Nietzsche pointait pour sa part un âbouddhismeeuropĂ©enâ, lâEurope dĂ©signant le monde occidental au sens large, et leâbouddhismeâ un instinct de dĂ©pression profonde, menant au nihilisme. Voir laGĂ©nĂ©alogie de la morale, avant-propos, §5, ou encore Fragments posthumes, X,25 [222].Pages 38-3924.Voir le livre de Lasch, Les femmes et la vie ordinaire : Amour, mariage et25.fĂ©minisme, Climats 2006.Page 275.26.La rĂ©volte des Ă©lites et la trahison de la dĂ©mocratie, Champs, Flammarion, 2010.27.Voir sur ce site [un compte-rendu de celivre->http://www.actu-philosophia.com/spip.php?article374].Pages 294-296.28.« Lâun des films les plus arides, pĂ©nibles et douloureux que jâai jamais vu. Le voir29.est frustrant, sâen souvenir est dĂ©sagrĂ©able et, Ă sa maniĂšre, il est trĂšs efficace ».Lire [la chronique de RogerEbert->http://rogerebert.suntimes.com/apps/pbcs.dll/article?AID=/19830515/REVIEWS/50420001/1023] sur le film.« Si je reste avec toi, je serai anĂ©anti, anĂ©anti comme tout ce que toi et la30.tĂ©lĂ©vision touchez. Tu es la tĂ©lĂ©vision incarnĂ©e, Diana : indiffĂ©rente Ă lasouffrance, insensible Ă la joie. Tu es folle, Diana, folle Ă lier et tout ce que tutouches meurt avec toi ».Page 293.31.Jean-Claude MichĂ©a, Orwell Ă©ducateur, Climats 200332.