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1944 ACTES DÉSESPÉRÉS Un détenu d’Auschwitz est étendu près de la clôture de barbelés électrifiée qui a mis fin à sa vie. APRÈS des travaux de recherche considérables, l’historienne Danuta Czech, spécialiste de la Shoah compila une Chronique d’Ausch- witz 1939-1945. Son livre, de 855 pages, décrit en détail l’anéantissement de plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants – dont 90% étaient juifs – assassinés dans ce camp de la mort. Au 24 mai 1944, D. Czech mentionne 2 000 prisonniers juifs de Hon- grie déportés à Auschwitz. Ils reçurent les numéros d’identification allant de A-5729 à A-7728. L’un de ces numéros – A-7713 – fut tatoué sur le bras gauche d’un adolescent juif de Sighet, une bourgade roumaine de 26 000 habitants passée sous contrôle hongrois en 1940. Ce garçon, Élie Wiesel, survécut à Auschwitz, devint un écrivain célèbre et reçut le prix Nobel de la paix en 1986. « À Auschwitz, a dit Wiesel, c’était non seule- ment l’homme qui mourait, mais également l’idée de l’homme… C’était son propre cœur que le monde incinérait à Auschwitz. » Wiesel est l’auteur de La nuit, l’un des deux livres les plus lus sur la Shoah. Évoquant les mois terrifiants qu’il passa à Auschwitz en 1944, cet ouvrage bio- graphique montre que Wiesel, son père, sa mère et sa petite sœur Tzipora furent déportés de Sighet un dimanche. Leur train était l’un des quatre qui envoyèrent les Juifs de Sighet à Auschwitz du 16 au 22 mai. Les convois de Sighet faisaient partie d’une déportation en masse des Juifs de Hongrie dont l’importante population juive – 725 000 âmes, en 1941, avait été épargnée par les pires aspects de la Shoah. La situation changea du tout au tout le 19 mars, lorsque les forces alle- mandes occupèrent la Hongrie pour empêcher leurs collaborateurs hési- tants de négocier un armistice avec les Alliés. Plus de 60 000 Juifs vivant en Hongrie avaient été massacrés avant l’occupation allemande. Adolf Eichmann supervisa l’attaque. En quelques semaines, le temps jouant au détriment des nazis, car leur situation militaire se dégradait sur le front oriental, tous les Juifs de Hongrie, à l’exception de ceux qui habitaient à Budapest, furent enfermés dans des ghettos. Leur biens furent expropriés et les déportations commencèrent. Du 15 mai au 9 juillet, plus de 140 trains transportèrent 437 000 Juifs de Hongrie à Auschwitz. L’immense majorité, y compris la mère et la petite sœur de Wiesel, furent gazés. Loin d’Auschwitz, le 25 mai, le lendemain du jour où Wiesel reçut son numéro tatoué dans le camp, une autre adolescente juive, Anne Frank, tenait son journal. Cette jeune auteur ne rencontra jamais Wiesel, mais elle pensait à des gens comme lui et comme sa famille lorsqu’elle fit 505

Chronique de la Shoah · Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardement par les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, près de Monowitz-Buna, la partie du complexe

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1944ACTES DÉSESPÉRÉS

Un détenu d’Auschwitz est étendu près de la clôturede barbelés électrifiée qui a mis fin à sa vie.

APRÈS des travaux de recherche considérables, l’historienneDanuta Czech, spécialiste de la Shoah compila une Chronique d’Ausch-witz 1939-1945. Son livre, de 855 pages, décrit en détail l’anéantissementde plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants – dont 90%étaient juifs – assassinés dans ce camp de la mort.

Au 24 mai 1944, D. Czech mentionne 2 000 prisonniers juifs de Hon-grie déportés à Auschwitz. Ils reçurent les numéros d’identification allantde A-5729 à A-7728. L’un de ces numéros – A-7713 – fut tatoué sur lebras gauche d’un adolescent juif de Sighet, une bourgade roumaine de26 000 habitants passée sous contrôle hongrois en 1940. Ce garçon, ÉlieWiesel, survécut à Auschwitz, devint un écrivain célèbre et reçut le prixNobel de la paix en 1986. « À Auschwitz, a dit Wiesel, c’était non seule-ment l’homme qui mourait, mais également l’idée de l’homme… C’étaitson propre cœur que le monde incinérait à Auschwitz. »

Wiesel est l’auteur de La nuit, l’un des deux livres les plus lus sur la Shoah.Évoquant les mois terrifiants qu’il passa à Auschwitz en 1944, cet ouvrage bio-graphique montre que Wiesel, son père, sa mère et sa petite sœur Tziporafurent déportés de Sighet un dimanche. Leur train était l’un des quatre quienvoyèrent les Juifs de Sighet à Auschwitz du 16 au 22 mai. Les convois deSighet faisaient partie d’une déportation en masse des Juifs de Hongrie dontl’importante population juive – 725 000 âmes, en 1941, avait été épargnée parles pires aspects de la Shoah.

La situation changea du tout au tout le 19 mars, lorsque les forces alle-mandes occupèrent la Hongrie pour empêcher leurs collaborateurs hési-tants de négocier un armistice avec les Alliés. Plus de 60 000 Juifs vivanten Hongrie avaient été massacrés avant l’occupation allemande.

Adolf Eichmann supervisa l’attaque. En quelques semaines, le tempsjouant au détriment des nazis, car leur situation militaire se dégradait sur lefront oriental, tous les Juifs de Hongrie, à l’exception de ceux qui habitaient àBudapest, furent enfermés dans des ghettos. Leur biens furent expropriés etles déportations commencèrent. Du 15 mai au 9 juillet, plus de 140 trainstransportèrent 437 000 Juifs de Hongrie à Auschwitz. L’immense majorité, ycompris la mère et la petite sœur de Wiesel, furent gazés.

Loin d’Auschwitz, le 25 mai, le lendemain du jour où Wiesel reçut sonnuméro tatoué dans le camp, une autre adolescente juive, Anne Frank,tenait son journal. Cette jeune auteur ne rencontra jamais Wiesel, maiselle pensait à des gens comme lui et comme sa famille lorsqu’elle fit

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remarquer que « le monde est sens dessus dessous. Des gens convenablessont envoyés dans les camps de concentration, dans les prisons, ou encoretremblent dans des cellules solitaires, tandis que la lie gouverne jeunes etvieux, riches et pauvres. » Les propos d’Anne Frank allaient bientôt s’ap-pliquer à elle et à sa famille. Mais, tandis qu’Élie Wiesel et les Juifs deSighet atteignaient Auschwitz et l’odeur de chair brûlée, Anne Frank dor-mait dans sa cachette à Amsterdam, au 263 Prinsengracht.

Née le 12 juillet 1929, environ neuf mois après Wiesel, Anne Frank,accompagnée de sa famille, quitta l’Allemagne, leur pays natal, pour les Pays-Bas, après la prise du pouvoir par les nazis, en 1933. Sa vie relativementinsouciante changea le 10 mai 1940, lorsque l’Allemagne envahit et occupales Pays-Bas. Début juin 1942, les conditions s’étaient considérablementdétériorées pour les Juifs néerlandais. Avec l’aide d’amis comme Miep Gies,les Frank s’installèrent dans leur cachette. Environ un quart des 25 000 Juifsnéerlandais qui se cachèrent furent par la suite arrêtés et déportés. Les Frankfurent trahis (l’identité de la personne qui les dénonça demeure inconnue) et

arrêtés par le SD (Service de la Sûreté), le 4 août 1944. Unmois plus tard, le 3 septembre, Anne Frank et sa famille fai-saient partie des 1 019 prisonniers juifs du dernier convoipour Auschwitz qui quitta Westerbork, le camp de transitnéerlandais d’où quelque 107 000 Juifs avaient été déportésdepuis juillet 1942.

La Chronique d’Auschwitz établit que 549 Juifs duconvoi des Frank en provenance de Westerbork furentgazés à leur arrivée à Auschwitz. Anne Frank fut épargnéeet envoyée dans le camp des femmes d’Auschwitz-Birke-nau. Le 28 octobre 1944, 1 308 femmes juives, dont Anne,furent transférées à Bergen-Belsen, un camp de concen-tration situé en Allemagne même, où elle mourut du

typhus en mars 1945. Anne Frank commença à rédiger son journal le 14 juin 1942, deux jours

après que son père Otto le lui eut offert pour son 13ème anniversaire.Sauvé par Miep Gies, le journal est devenu le livre le plus lu sur la Shoah.Son dernier texte est daté du 1er août 1944. Moins de trois semaines plustôt, le 15 juillet, Anne avait écrit les mots les plus connus de son journal.Elle savait que le monde devenait « un désert » et elle entendait « tou-jours plus fort le grondement du tonnerre qui approche, et qui annonceprobablement notre mort. » Mais elle écrivit cependant : « Je continue àcroire à la bonté innée de l’homme. »

Il était difficile de partager la conviction d’Anne Frank sur la bontéhumaine, en 1944. La fin du Troisième Reich approchait, mais les nazisétaient déterminés à gagner la guerre contre les Juifs. Auschwitz demeurace qu’Élie Wiesel appela : « le lieu de la nuit éternelle… la tombe du cœurde l’homme. »

Le 6 juin, lorsque Anne Frank entendit l’émission de la BBC sur le JourJ, le grand débarquement des Alliés en Normandie, des milliers de Juifshongrois continuaient à être envoyés à Auschwitz. Le 20 juin, des officiersallemands attentèrent en vain à la vie d’Adolf Hitler, mais ce jour-là, 2 000Juifs de Grèce arrivèrent à Auschwitz. Au début de la semaine, les troupessoviétiques libérèrent le camp de la mort de Majdanek en Pologne, ainsique la ville polonaise de Lublin, mais il ne restait plus qu’une poignée deJuifs sur les 40 000 habitants juifs de Lublin avant la guerre.

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Des Juifs hongrois attendent aupoint de rassemblementd’Auschwitz-Birkenau, en 1944,avant d’être gazés.

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Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardementpar les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, prèsde Monowitz-Buna, la partie du complexe d’Auschwitzdans laquelle son père Shlomo et lui-même avaient étéenvoyés travailler. Accompagnés par des avions de chasseMustang, 127 bombardiers américains lâchèrent 1 336bombes de plus de 200 kilogrammes sur l’usine. À moinsde cinq kilomètres de distance, le camp d’exterminationd’Auschwitz-Birkenau ne fut pas touché. Après la guerre,l’analyse des photographies aériennes prises lors du raiddu 13 septembre contre I. G. Farben indique que 65wagons se trouvaient sur les rails de Birkenau et qu’unefile de gens – peut-être 1 500 – semblaient se diriger versles chambres à gaz.

La controverse demeure sur la question de savoir si les Alliés auraient dû bom-barder Auschwitz ou les voies ferrées menant à ce camp d’extermination. L’histo-rien David Wyman affirme que, dès le mois de mai 1944, l’armée de l’air desÉtats-Unis aurait pu bombarder Auschwitz et les voies ferrées y conduisant. Ce futd’ailleurs demandé tout au long de l’année 1944. Le porte-parole du ministèrede la Guerre des États-Unis, le secrétaire adjoint à la guerre John J. McCloy,déclara le 14 août qu’« après enquête, il devenait évident qu’une telle opération nepourrait être exécutée qu’en détournant un soutien aérien considérable, indis-pensable au succès de nos forces aujourd’hui engagées ailleurs dans des opérationsdécisives et serait de toute façon d’une efficacité si incertaine qu’elle ne justifieraitpas l’utilisation de nos ressources. L’opinion est largement partagée qu’une telleopération, en admettant qu’elle soit réalisable, risquerait de provoquer une actionplus vindicative de la part des Allemands. »

Auschwitz-Birkenau ne fut pas bombardé. Moins de deux semainesaprès la déclaration de McCloy, les Alliés libéraient Paris, mais pas avantque les nazis aient effectué une descente dans des homes d’enfants juifsdans la région parisienne et déporté 250 garçons et filles à Auschwitz. Les3 et 4 septembre, les Alliés libérèrent les villes belges de Bruxelles etAnvers. Entre-temps, les Frank étaient en route pour Auschwitz.

Tandis que le convoi transportant la famille Frank se dirigeait vers l’est, envi-ron 200 000 Juifs hongrois demeuraient à Budapest. Le 15 octobre, peu aprèsla répression, le 7 octobre, d’une révolte de prisonniers d’Auschwitz-Birkenaupar les SS, les Croix fléchées (un parti fasciste hongrois fanatiquement antisé-mite qui bénéficiait du soutien allemand) firent régner la terreur parmi lesJuifs de Budapest. Les opérations de gazage à Auschwitz ralentissaient, mais, àl’automne 1944, le travail forcé, les marches de la mort et les tirs au hasardcoûtèrent la vie à plusieurs dizaines de milliers de Juifs de Budapest. Des mil-liers d’autres furent massacrés sur les rives du Danube par les Croix fléchéesqui jetèrent ensuite les corps dans le fleuve. Le diplomate suédois Raoul Wal-lenberg utilisa des « passeports de protection » et des maisons protégées poursauver des milliers de Juifs de Budapest. Lorsque les forces soviétiques libérè-rent la ville, début 1945, 120 000 Juifs étaient encore en vie.

Dans son journal, aujourd’hui célèbre, Anne Frank nota, le 15 juillet 1944qu’elle « compatissait à la douleur de millions de gens. Et pourtant, poursuivait-elle, quand je regarde le ciel, je pense que ça changera et que tout redeviendrabon, que même ces jours impitoyables prendront fin, que le monde connaîtrade nouveau l’ordre, le repos et la paix. » La fin de la Shoah était effectivementproche, mais elle ne survint pas en 1944. Cette année-là, plus de 600 000 Juifseuropéens périrent.

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Les Alliés bombardèrentd’innombrables cibles dansl’Europe occupée, mais furent criti-qués pour n’avoir pas bombardéAuschwitz.

André Trocmé, pasteur du villagedu Chambon-sur-Lignon, donnarefuge à plusieurs centaines de Juifsen quête de sécurité.

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1944•1944 : L’industrie d’extermination nazieatteint son point culminant et emploie àplein temps 47 000 personnes qualifiées. •L’espérance de vie d’un travailleur à l’usined’I.G. Farben Bunawerk (usines Buna) quiproduit de l’essence et du caoutchouc syn-thétique à Auschwitz (Pologne), est de troisà quatre mois ; dans les mines de charbon,un mois. • Le roi Gustave de Suède et lepape Pie XII exercent des pressions sur laHongrie pour mettre fin aux déportations

des Juifs. • La domination de l’Axe dans l’Eu-rope occupée, un livre du juriste RaphaëlLemkin, décrit le régime nazi et le massacredes Juifs comme un retour à la barbarie.Lemkin forge le mot « génocide » à partirdu grec genos (nation / peuple) et du latincide (tuer).

• Début 1944 : Le ministère nazi de laPropagande lance un film intitulé LeFührer donne une ville aux Juifs, une

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De nombreux camps et ghettos conservaient des rapports détaillés sur lenombre de décès intervenus. Cet histogramme du 1er janvier 1944 montre lenombre de décès survenus à Theresienstadt – le ghetto et camp de concen-tration « modèle » en Tchécoslovaquie – entre le 24 novembre 1941 (débutde la construction du camp), jusqu’à la fin 1943. Environ 33 000 personnespérirent à Theresienstadt. En outre, près de 88 000 détenus du camp furentenvoyés à la mort dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

Proche du président Franklin Roo-sevelt, Henry Morgenthau Jr., secré-taire d’État au Trésor, était le Juifoccupant le poste le plus élevé augouvernement. Début 1944, Morgen-thau reçut un document émanant deplusieurs de ses subordonnés, intitulé« Rapport au ministre sur le consente-ment de ce gouvernement au meurtredes Juifs. » Apportant le rapport auprésident, Morgenthau mit en placele War Refugee Board qui réussit àsauver environ 200 000 âmes dansles derniers mois de la guerre.

Sara Lamhaut (à gauche), juive,prépare sa première communioncatholique sous le nom de Jeanninevan Meerhaegen. Les parents deSara, Icek Leib et Chana Laja Gold-wasser, combattirent avec les parti-sans belges jusqu’à ce qu’ils soientdénoncés, arrêtés, puis envoyés àla mort à Auschwitz. Cachée dansdivers couvents, entre autres celuides Sœurs de Sainte Marie, près deBruxelles, Sara survécut à la guerreet retrouva des amis de ses parentsqui devinrent ses tuteurs. Œuvrantensemble, la Résistance juive et l’É-glise catholique belge réussirent àcacher environ 4 000 enfants juifsbelges.

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description en grande partie inventéede la bonne vie prétendument menéepar les Juifs dans le camp / ghetto deTheresienstadt, en Tchécoslovaquie.

• 10 janvier 1944 : Le professeur Vic-tor Basch et son épouse sont exécutésprès de Lyon, en représailles à lamort d’un collaborateur français tuépar des partisans français.

• 12 janvier 1944 : Frau Hanna Solf,la veuve de Wilhelm Solf (ancienambassadeur allemand à Tokyo) et safille, la comtesse Lagi von Ballestrem– toutes deux membres de laRésistance antinazie – sont arrêtéesquatre mois après avoir assisté à uneréunion de la Résistance infiltrée parun informateur de la Gestapo.

• 13 janvier 1944 : Deux fonctionnairesdu ministère des Finances des États-Unis – Josiah DuBois et Randolph Paul– menacent de démissionner et derendre public leur rapport sur les acti-vités scandaleuses du Départementd’État à l’égard des Juifs. Ce rapport,intitulé à l’origine Rapport au ministre[des Finances] sur le consentement de cegouvernement au meurtre des Juifs,

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Le War Refugee BoardLes efforts internationaux investis en vue de

sauver les Juifs d’Europe s’intensifièrent avecla création, en janvier 1944, du War RefugeeBoard (WRB, Comité des réfugiés de guerre)américain. Après plus d’un an d’atermoiements,le président Franklin Roosevelt finit par réagirà la pression de l’opinion publique et ordonnade créer le Comité en question. Il demanda auWRB de prendre « toutes les mesures en sonpouvoir pour sauver les victimes de l’oppres-sion ennemie se trouvant en imminent dangerde mort. »

Ni le président, ni le Département d’État,cependant, ne s’étaient engagés à aider le WRB

et ils n’accordèrent passuffisamment de fondspour son activité. Lamajeure partie du finan-cement fut demandée àdes organisations juivesprivées.

Dirigé par John Pehle(photo), le War RefugeeBoard coordonnait lesefforts de sauvetagegrâce à quelques agents

secrets en poste à l’étranger. Leur stratégie desauvetage consistait à organiser l’évacuationdes Juifs des régions occupées par les nazis, àtrouver des endroits pour les reloger, à empê-cher les déportations prévues et à poster descolis d’urgence aux prisonniers dans les campsnazis. En août 1944, le WRB réussit à mettre ensécurité aux États-Unis 982 réfugiés d’Italie,dont 874 Juifs. Durant l’année 1944, le WRBs’attacha principalement à sauver les Juifs hon-grois de la déportation par les nazis et des vio-lences perpétrées par les Croix fléchées. Endépit d’efforts courageux qui permirent de sau-ver probablement plus de 200 000 vieshumaines, le WRB, selon son directeur, fit« trop peu et trop tard. »

En anglais et enhébreu, cette afficheexhorte les membresdu yishouv (la com-munauté juive enPalestine) à rejoindrela Brigade juive.Depuis le début de laguerre, des Juifs dePalestine s’étaientenrôlés dans l’arméebritannique. Mais lanouvelle desmassacres en masseexacerba le désir decréer une unité dis-tincte, selon des cri-tères sionistes, pourcombattre les forcesde l’Axe en Europe.

Yad Vashem décerna à Ona Simaite le titre de Justeparmi les nations. Bibliothécaire à Vilnius (Lituanie), ellese rendit régulièrement dans le ghetto de la ville, sousle prétexte de récupérer des livres de bibliothèque nonrestitués. Elle apportait en fait des vivres et autres ravi-taillements aux habitants du ghetto, tout en aidant laRésistance. Capturée par les nazis en 1944, elle refusade livrer la moindre information à ses ravisseurs endépit des tortures atroces qu’elle subit. Par la suite, lesnazis l’envoyèrent dans un camp en France où elle futlibérée par les Alliés.

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1944accusait les responsables du Départe-ment d’État de « tentatives délibéréesd’empêcher toute entreprise de sauverdes Juifs des griffes d’Hitler. »

• 18 janvier 1944 : Trois cents Juifscachés dans les forêts près de Buczacz,en Ukraine, sont cernés par les tanksnazis et massacrés.

• 20 janvier 1944 : 1 155 Juifs sontdéportés du camp de transit de Drancy,dans la banlieue parisienne, à Auschwitz.

• 22 janvier 1944 : Cédant aux pressions,le président américain Franklin Roose-velt crée le War Refugee Board.

• 25 janvier 1944 : Hans Frank, gouver-neur général de la Pologne occupée,

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Le village plein de sollicitudePendant l’hiver 1940-41, Magda Trocmé

entendit frapper à la porte et alla ouvrir. Unefemme terrifiée se présenta comme une Juiveallemande. Elle avait entendu dire qu’ellepourrait trouver de l’aide au Chambon. MagdaTrocmé lui dit : « Entrez. »

Le Chambon est un village de montagnesitué en Haute-Loire. De nombreux villageoisétaient des descendants des Huguenots quis’étaient enfuis sur ce haut plateau afin de pou-voir pratiquer le protestantisme sans encourirde punition. La méfiance de longue date deshabitants à l’égard de l’autorité et leur tradi-tion d’écouter leur conscience chrétienne lesdéterminèrent à aider les Juifs.

Cinq mille Juifs persécutés trouvèrentrefuge au Chambon, mais la réaction du villagene se produisit pas du jour au lendemain. Lesgermes du courage et de l’altruisme se déve-loppaient dans cette population depuis desannées, car André Trocmé, le pasteur de lacommunauté, avait prêché les leçons fonda-mentales du christianisme : paix, entente etamour. Son message était celui de la non-vio-lence, mais une non-violence qui rejetait l’inac-tion et condamnait l’injustice. La population duChambon adhéra à ce message.

Alors qu’on encourait la mort en cachant desJuifs, la population du Chambon ouvrit sesportes. « Aucun d’entre nous ne pensait quenous étions des héros, dit Magda Trocmé. Nousn’étions que des gens qui tentaient de faire deleur mieux. »

Les troupes britanniques arrivent sur la plage d’Anzio, enItalie, le 22 janvier 1944. Après avoir rencontré unefarouche résistance de la part des Allemands à Anzio,Monte Cassino et la ligne Gustave, les forces alliées avancè-rent vers le nord. Rome tomba le 4 juin et Florence fut prise àla mi-août. En un curieux revirement, août marqua aussi ledébut de la campagne italienne contre l’Allemagne, son alliéd’antan. Les Alliés pénétrèrent en Italie et, le 6 juin, aprèsavoir traversé la Manche, attaquèrent en Normandie ; cescombats marquèrent le début du déclin du Troisième Reich.

Ceux qui ne périrentpas des expériencesmédicales nazies en subi-rent souvent les effets àtout jamais. Cette femme,détenue pendant laguerre dans le camp deconcentration de Ravens-brück, en Allemagne,montre les résultat del’opération au cours delaquelle le muscle de sonmollet fut retiré de sajambe droite. Dans lecadre du projet dirigé parle docteur Karl Gebhardt,les expérimentateursamputaient souvent des membres de prisonniers prétendu-ment au profit des soldats blessés. Près de la moitié des 24femmes qui subirent ces expériences particulières moururent.

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note dans son journal qu’il reste environ100 000 Juifs dans la région sous soncontrôle, alors qu’il y en avait 3,4millions à la fin de l’année 1941.

• 29 janvier 1944 : À Cracovie, enPologne, un tribunal nazi condamne àmort cinq Polonais pour avoir aidé desJuifs. L’un des accusés, Kazimierz Joze-fek, est pendu sur la place publique.

• 30 janvier 1944 : 700 Juifs de Milan(Italie) sont déportés à Auschwitz.

• Février 1944 : Adam Goetz, un ingé-nieur de Hambourg qui avait considé-rablement contribué à la mise au pointdes dirigeables, meurt dans le ghettode Lodz. • Moïse Fingercwajg, un diri-geant de la Résistance juive âgé de 20ans, est exécuté en France.

• 4 février 1944 : 365 Juifs deSalonique (Grèce), placés sous la pro-tection du gouvernement espagnol,quittent le camp de concentration deBergen-Belsen, en Allemagne, pourse rendre en Espagne, en sécurité.

• 8 février 1944 : 1 015 Juifs desPays-Bas sont déportés à Auschwitz.Parmi eux se trouvent des enfants

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La conviction religieuse conduisitde nombreux Témoins de Jéhovah àéviter de prêter allégeance au gou-vernement nazi. Aux jours sombresde la guerre, en 1943, uneemployée de bureau Mary Smigiel(photo) devint Témoin de Jéhovah àGdynia, en Pologne. Estimant queseul Jéhovah devait être glorifié ethonoré, M. Smigiel refusa de taperHeil Hitler sur toute correspondancecomme l’exigeait son patron alle-mand. Sa désobéissance fut dénon-cée et elle fut envoyée au camp detravail de Stutthof, en Pologne. Ellesurvécut à la guerre, se maria ets’installa par la suite aux États-Unis.

Pour certains Juifs des Pays-Basoccupés, le simple fait de se cacherdes nazis était un exploit – commece fut le cas pour ce couple âgé,Coen et Ella van Eekeres-Jünge, quise réfugièrent dans cette minusculecave d’Amsterdam. L’inconfort et lesdésagréments étaient les moindresdes périls dans les cachettes ; leshabitants de l’immeuble devaientêtre entièrement acquis à la sécuritéde leurs hôtes juifs et conscients desgraves risques qu’ils encouraienteux-mêmes. Ils devaient se méfierdes voisins antisémites et même deproches, ainsi que des inévitablesenquêtes des autorités nazies.

Même dans les effroyablesconditions prévalant dans les campsde concentration, les détenus cher-chèrent à préserver un semblantd’humanité. Cette broche en laine,fabriquée par une détenue du campde Bergen-Belsen, en Allemagne, futofferte à Ruth Wiener pour sonanniversaire.

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1944atteints de scarlatine et de diphtérie ;voir 10 février 1944.

• 10 février 1944 : Sur les 1 015 Juifsd’un train de déportation des Pays-Bas qui arrive à Auschwitz, 800 –dont tous les enfants – sont immédia-tement gazés. 1 229 Juifs sont dépor-tés de Westerbork (Pays-Bas) àAuschwitz.

• 14 février 1944 : Le ReichsmarschallHermann Göring envoie un télégrammeau ministre de l’Armement et des muni-tions, Albert Speer. Il demande le plusgrand nombre possible de détenus descamps de concentration pour les fairetravailler dans les usines de l’industrieaéronautique.

•20-25 février 1944 : Au cours de laGrande semaine (Opération Argument),

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En janvier 1944, le fonc-tionnaire SS Adolf Eichmannexpédia un télégrammesecret à tous les chefs de laSicherheitspolizei et duSicherheitsdienst, àBruxelles. Il ordonnait quetous les Juifs argentins rési-dant en Belgique soientenvoyés au camp de concen-tration de Bergen-Belsen, enAllemagne. Pendant laguerre, plusieurs Juifs furentprotégés par les documentsargentins qu’ils possédaient.Après la guerre, denombreux nazis et quelquessurvivants juifs se retrouvè-rent en Argentine.

La déportation des Juifs néerlan-dais commença en 1942 et était engrande partie achevée deux ansplus tard. La plupart des déportésfurent envoyés à Westerbork, puis àAuschwitz ou Sobibor. En 1944, ilrestait peu de citoyens juifs aux Pays-Bas et leurs choix étaient limités : secacher, verser des sommes exorbi-tantes à des extorqueurs qui promet-taient de différer ou d’annuler desordres de déportation, ou résister.Ici, des membres de la Résistancenéerlandaise cachent un fusil et desmunitions de 9mm sous le sol d’unesalle de bains.

Le corps tenu par deux kapos, unprisonnier dans un camp attend ladouleur cinglante du fouet sur sondos nu. Le moindre délit pouvaitconduire à de cruels châtiments sus-ceptibles d’affaiblir un détenu aupoint qu’il ne pouvait plus travailleret était donc envoyé à la mort. Cedessin de l’artiste hongrois GyorgyKadar, qui survécut à cinq camps,traduit puissamment les souffranceset le supplice du détenu.

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des unités aériennes américainesengagent le combat avec les aviateursallemands afin d’attirer la Luftwaffe dansune guerre d’usure qu’elle ne peutgagner. Les Alliés s’assurent de la supério-rité dans les airs au-dessus de l’Europeoccidentale avant le Jour J.

• 24 février 1944 : S’attendant à desévasions, les SS déportent 200 prison-niers d’un Sonderkommando d’Ausch-

witz au camp de la mort de Majdanek,en Pologne, où ils sont tous abattus.

•Mars 1944 : Les forces allemandesenvahissent et occupent la Hongrie.L’usine d’ustensiles de cuisine de l’indus-triel Oskar Schindler se trouve àproximité et Schindler intercède àplusieurs reprises auprès des autoritéslocales pour empêcher l’arrestation et la

déportation de ses employés juifs ; voirété 1944. • Trois cents orphelins juifs de larégion de Transnistrie, en Roumanie,reçoivent l’autorisation de se rendre enPalestine. • Les Juifs de l’île de Rab, aularge de la côte dalmate en Serbie, sontarrêtés et déportés à Auschwitz. • LesAllemands commencent à évacuer lesdétenus juifs des camps de concentrationvers l’ouest, au fur et à mesure de

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Pierre Marie BenoîtAlors que bien des hommes d’Église choisi-

rent le silence et la sécurité pendant la Shoah,quelques rares héros se souvinrent de l’injonc-tion d’aimer son prochain, qu’il soit juif ouchrétien. Un moine capucin de l’ordre desFranciscains, le père Pierre Marie Benoît,sauva des Juifs, d’abord en France, puis àRome.

À l’abri dans son monastère à Marseille, lepère Benoît fut témoin des rafles de Juifs nonfrançais voués aux camps de concentration. Àl’instar du pasteur protestant André Trocmé,Benoît estimait possible une véritable action.Son monastèredevint un centre desauvetage pour lesJuifs cherchant àfuir dans des paysneutres commel’Espagne ou laSuisse.

Après l’occupa-tion de la Francede Vichy par lesnazis, Benoît pré-para une auda-cieuse entreprise de sauvetage, de concert avecles autorités françaises et italiennes pour sau-ver les 30 000 Juifs vivant à Nice et pour lesmettre à l’abri en Afrique du Nord. Ce plan futcontrarié par l’occupation du nord de l’Italiepar les nazis. De tels obstacles incitèrent Benoîtà prendre de nouvelles initiatives de sauvetage,en particulier en faveur des Juifs de Rome. Tra-vaillant avec des organisations juives et sous unfaux nom, Benoît sauva plus de 100 Juifs enleur fournissant de faux papiers d’identité et enpersuadant diverses ambassades d’aider sonentreprise. Après la guerre, Yad Vashemdécerna à Benoît le titre de « Juste parmi lesnations. »

Contrairement à de nombreuses victimes du nazismequi n’avaient aucun espoir de liberté, les membres desTémoins de Jéhovah n’avaient qu’à signer une Erklä-rung (déclaration) pour être libérés de Dachau oud’autres camps de concentration. Bien que les nazisaient cherché à séparer les Témoins les uns des autreset à briser leur moral, la plupart demeurèrent inébran-lables et refusèrent de prêter allégeance à Hitler. LesTémoins de Jéhovah considéraient la persécutioncomme un signe de l’approche du Jugement dernier.

NahumGoldmann contri-bua à la création duCongrès juif mon-dial (CJM) en 1936.L’organisation, dontle siège se trouvaitaux États-Unis, cher-chait à « assurer lasurvie du peuple juifet à promouvoir sonunité ». La Shoah nefit qu’intensifier laconviction de Gold-mann qu’un État juifdevait être créé enPalestine.

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1944l’avance des Soviétiques. Le Reichordonne la destruction des documentsdes camps, ainsi que des corps.

• 4 mars 1944 : Quatre femmes juivesdécouvertes dans la partie « aryenne » deVarsovie sont assassinées par lesAllemands. Sont tués également 80 Polo-nais non juifs. Les corps, ainsi que les per-sonnes encore en vie, sont brûlés.

• 5 mars 1944 : Max Jacob, âgé de 60ans, catholique baptisé contraint deporter l’étoile jaune, meurt à Drancyd’une pneumonie en attendant ladéportation. Max Jacob, filleul dePablo Picasso, était un poète réputé.

• 7 mars 1944 : L’historien polonais,archiviste du ghetto de Varsovie,Emanuel Ringelblum, fait partie des

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GisiFleischmannEnvoyée dans un wagon

classé Rückkehr unerwünscht(retour non souhaité), la mili-tante sioniste Gisi Fleisch-mann faisait partie desderniers juifs acheminés àAuschwitz. Elle qui avaitsauvé tant de vies, ne putsauver la sienne.

Travaillant à Bratislava, enSlovaquie, G. Fleischmanndirigeait la section de l’aliyah(immigration) du Centre juif,organisant l’émigration juiveen Palestine. À la tête du« groupe de travail », ellesauva des vies en soudoyantdes fonctionnaires nazis avecdes fonds privés collectés auxÉtats-Unis. Lorsque lesdéportations cessèrent enSlovaquie en octobre 1942,G. Fleischmann contribua àmettre au point le « planEuropa » destiné à échangerdes Juifs contre des mar-chandises dont les Allemandsavaient besoin, tout en conti-nuant à organiser un cheminde fer clandestin pour éva-cuer les Juifs qui fuyaient lesghettos.

Même lorsque les SS res-serrèrent le filet autour d’elleà Bratislava, G. Fleischmanncontinua son travail de sau-vetage, refusant la possibilitéde se rendre dans unecachette. Elle fut gazée le 18octobre 1944.

Avec le titre pompeux de Reichge-sundheitsführer (chef de la Santé duReich), Leonardo Conti dirigea le pro-gramme de santé nazi. À ce poste, ilordonna le meurtre d’adultes maladesmentaux. Pour inciter d’autres méde-cins à suivre ses traces, Conti procédalui-même aux premières injectionsmortelles. Membre du parti nazi dèsles débuts, Conti fonda l’Ärztebund(Association des médecins nationaux-socialistes) avant qu’Hitler ne lenomme à la tête des médecins de lanation en 1939. Capturé à la fin dela guerre et détenu avant son procès àNuremberg, il choisit de se suiciderplutôt que de répondre des milliers demeurtres qu’il avait ordonnés souscouvert d’euthanasie.

Rédigée en anglais et enhébreu, cette affiche invite leslecteurs à faire des dons poursauver les Juifs de l’Europe sousdomination nazie. Publiée par laHIAS (Hebrew Sheltering andImmigrant Aid Society), l’afficheexhortait la population à aiderles Juifs à fuir la mort et à trouverrefuge aux États-Unis. Conscienteque des millions de personnesétaient menacées, la HIASœuvra avec d’autres organisa-tions et déploya une intense acti-vité pour assurer la traversée auxenfants juifs, tout en continuantcette croisade après la guerre enfaveur des Juifs dans les campseuropéens de personnes dépla-cées. La HIAS faisait partie d’uneorganisation plus importante, seconsacrant aux secours et à l’im-migration, la HICEM, fondée en1927.

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38 Juifs capturés par la Gestapo dansun bunker du côté « aryen » de Var-sovie. Ringelblum et sa famille sonttorturés et tués. • Le poète DavidVogel est déporté de Drancy à Ausch-witz. Dans ce même convoi, se trou-vent, parmi les enfants, HenrietteHess, âgée de 17 ans et son frèreRoger, âgé de 9 ans. Tous deux sontdéportés sans leurs parents.

• 3 800 Juifs tchèques sont gazés àAuschwitz quelques jours après unevisite du camp organisée pour unedélégation de la Croix-Rouge, au coursde laquelle les administrateurs ducamp offrent des assurances quant aubien-être des détenus. Pendant legazage, les Juifs qui résistent à mainsnues sont conduits dans les chambres àgaz à coups de crosses de fusils et delance-flammes. Ils meurent en chantant

l’hymne national tchèque et la Hatikvaqui deviendra par la suite l’hymne del’État d’Israël. Onze couples dejumeaux sont épargnés pour les expé-riences servant à la « recherche » dudocteur Josef Mengele. • Quinze centsJuifs sont déportés de Drancy à Ausch-witz. • Anne Frank observe que « celuiqui ne perd ni courage ni confiance nepérira jamais dans la misère ! »

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Mobilisée pour une guerre totale, l’Armée rouge eut recours à des femmescombattantes – entre autres ces Polonaises de la Division Kosciuszko. En février1944, les forces soviétiques avaient refoulé les Allemands de plusieurs régionsde Pologne et continuaient leur progression vers l’ouest. Mais l’offensive destinéeà libérer l’Europe orientale ne pouvait se dérouler que par étapes et prenait dutemps. Les sourires légitimement triomphants de ces soldates ne peuvent faireoublier que d’innombrables prisonniers de la Shoah allaient encore mourir ; enoutre, plusieurs Juifs polonais qui survécurent découvrirent que l’antisémitismen’avait pas disparu de leur pays.

Au camp de Westerbork, auxPays-Bas, des policiers juifs transpor-tent une vieille femme jusqu’à un trainen partance pour Auschwitz. Le 10février 1944, un train contenant unmillier de détenus de Westerborkarriva au camp de la mort. 800d’entre eux furent gazés, les autresastreints au travail, leur mort n’étantque différée.

Paul Celan, né en Roumanie en1920, composa une poésie obsé-dante sur la Shoah. Pendant l’occu-pation nazie, ses parents furentdéportés en Transnistrie où son pèremourut du typhus et où sa mère futabattue. Celan passa 18 mois dansun camp de travail. Ses expérienceset la mort de ses parents furent àl’origine de son poème le pluscélèbre « Fugue de mort ». Cepoème évoque les images d’unesouffrance incessante, par exempleles mots « Lait noir de l’aube, nousle buvons le soir. »

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1944• 15 mars-2avril 1944 : LesAllemands entreprennent une granderafle de Juifs en Grèce continentalepour les déporter à Auschwitz.

• 19 mars 1944 : La Hongrie passesous domination allemande, ce quiplace 725 000 Juifs sous un contrôleallemand plus direct. Les unités SSdu Sonderkommando Eichmann char-gées de débarrasser la Hongrie de

ses Juifs entreprennent les déporta-tions. • Deux cents médecins et avo-cats juifs choisis au hasard dans unannuaire téléphonique en Hongriesont déportés au camp de concentra-tion de Mauthausen, en Autriche. • Àl’approche des troupes soviétiques, lecamp de la mort de Majdanek estévacué. Les prisonniers malades sonttransportés à Auschwitz et gazés.

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La Shoah en GrèceL’anéantissement des Juifs de Grèce est l’un

des chapitres les plus sombres de la Shoah. Surplus de 58 000 Juifs qui furent déportés deGrèce entre mars 1943 et juillet 1944, moins de2 000 revinrent.

Le massacre des Juifs de Grèce s’opéra entrois étapes. En mars 1943, les Juifs de Thrace(photo) et de Macédoine, deux régionsgrecques annexées par la Bulgarie, furentdéportés à Treblinka. Environ 4 200 Juifsfurent gazés à leur arrivée.

Au cours de la deuxième étape, les Juifsvivant dans les régions de Grèce occupées parles Allemands furent isolés dans des ghettossitués à Salonique, puis transportés à Ausch-witz. Quelque 45 000 Juifs furent déportésentre les mois de mars et août 1943. Environ34 000 furent gazés immédiatement et plus de12 000 sélectionnés pour le travail forcé.

La dernière étape des opérations meur-trières contre les Juifs de Grèce eut lieu aprèsla reddition de l’Italie, en septembre 1943. Lesdéportations depuis Athènes et de nombreusesvilles plus petites du continent acheminèrentplus de 9 000 Juifs à Auschwitz.

Des Juifs grecs résistèrent à l’oppressionnazie. Des prisonniers grecs contribuèrent àfaire sauter le four crématoire III d’Auschwitz,et un homme, Albert Errera, s’évada aprèsavoir blessé ses gardiens.

Environ 60 000 des 75 000 Juifs de Grèce furentenvoyés à la mort. Ces Juifs du nord de la Grèce furentrassemblés en mars 1944 au cours d’une rafle.Pendant un certain temps, les Juifs habitant dans lesrégions de Grèce sous occupation italienne furent pro-tégés par l’armée italienne. Cependant, les Allemandsfinirent par occuper aussi ces régions. La plupart desJuifs furent envoyés à la mort en Pologne.

L’orphelinat du ghetto de Kovno (Lituanie) fut camou-flé en service de pédiatrie de l’hôpital du ghetto. Lesorphelins étaient l’une des cibles privilégiées des Alle-mands. En octobre 1941, les Allemands murèrent leghetto et assassinèrent 9 000 Juifs dont près de la moi-tié étaient des enfants. L’« Action des enfants » des 27et 28 mars 1944 aboutit à la mort de 1 300 Juifs.

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•Printemps 1944 : Le réseau de campsprès de Stutthof, en Allemagne, est agrandiau point de comprendre 74 camps annexes.

• 22 mars 1944 : Sous la direction deShlomo Kushnir, près de 100 Juifs s’éva-dent du camp de travail de Koldichevo,en Biélorussie. Les rebelles laissent der-rière eux une charge explosive qui tuedix gardes SS. La plupart des évadés évi-

tent la capture et rejoignent le groupede résistance de Bielski dans la forêt deNaliboki. Kushnir se suicide après avoirété capturé.

• 23 mars 1944 : Dans la région deBialystok, en Pologne, un groupe departisans juifs placés sous la directiond’Andrei Tsymbal détruit un trainmilitaire allemand transportant des

blindés sur le front Est. • Près de6 500 Juifs de Grèce, dont 1 687 deJannina sont déportés à Auschwitz.

• 24 mars 1944 : Huit cents Juifsd’Athènes (Grèce) sont assassinés àAuschwitz. • Près des catacombes, à lasortie d’Ardea, dans les environs deRome, les Allemands massacrent 335civils dans les Fosses ardéatines en

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En mars 1943, presque tous les Juifs vivant dans le Generalgouvernementavaient été tués. Heinrich Himmler décida alors de ralentir l’opération Reinhard(l’extermination des Juifs de la région) qui prit fin officiellement le 19 octobre1943. En août, les 25 000 derniers Juifs vivant dans le ghetto de Bialystokfurent transportés à Treblinka où ils furent massacrés. Les nazis fermèrent lecamp à l’automne, puis le rasèrent pour dissimuler leurs crimes. Lorsque lesSoviétiques arrivèrent dans la région en juillet 1944, ils découvrirent qu’unefamille de paysans ukrainiens s’était installée dans une maison (photo) construitesur le terrain du camp par les SS. L’Armée rouge contraignit les Ukrainiens àsortir, puis mit le feu à la maison.

Depuis son QG dans un imposantimmeuble de Paris, la milice, uneunité paramilitaire, fut fondée en jan-vier 1943 à l’initiative de JosephDarnand. Elle fonctionna en partiecomme l’équivalent de la SS. Char-gée de la sécurité intérieure dans laFrance occupée par les nazis, lamilice s’attacha principalement àdébusquer des Juifs et des membresde la Résistance française.

L’homme d’affaires Saly Mayerétait le président de la Schweizeri-scher Israelitischer Gemeindebund(Fédération des communautés juivesde Suisse) de 1936 à 1942. Ils’aventura sur le terrain dangereuxdes négociations avec les nazis poursauver des Juifs hongrois tout en refu-sant les exigences des nazis concer-nant des ressources qui auraientprolongé la guerre. En 1940, ildevint le représentant du Jewish Dis-tribution Committee (JDC) en Suisse.À ce poste, il chercha à acheminerdes fonds provenant de Juifs suissespour soutenir les Juifs des pays occu-pés et négocier leur libération.

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1944représailles à la résistance antinazie ;plus de 250 victimes sont catholiques,78 sont juives. • Le président des États-Unis Franklin Roosevelt avertit lesauteurs de crimes de guerre qu’ilsn’échapperont pas au châtiment.

• 27 mars 1944 : 1 000 Juifs sontdéportés de Drancy (régionparisienne) à Auschwitz.

• 27-28 mars 1944 : Au camp de Zezma-riai, en Lituanie et dans les environs deKovno, tous les enfants juifs sont rassem-blés et assassinés. Parmi les survivants, lepetit Zahar Kaplanas, âgé de cinq ans,emporté en lieu sûr dans un sac portépar une Lituanienne non juive. Unefemme, à laquelle un Allemand avaitdéclaré qu’elle ne pouvait garder qu’unseul de ses trois enfants, ne parvient pas

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Récemment mariés, DonnaHabib et Peppo Levi posent pourune traditionnelle photo demariage. Après la reddition de l’Ita-lie, les Juifs grecs, dont ce jeunecouple de Rhodes, furent confrontésà de nouvelles menaces. Leur bon-heur conjugal prit fin brutalement,un mois plus tard lorsqu’ils furentenvoyés à Auschwitz avec quelque1 700 autres Juifs de Rhodes. Lamajeure partie de ce groupe alladirectement dans les chambres àgaz et environ 400 personnesfurent astreintes au travail.

Sur cette photographie officielle,Hans Frank apparaît comme undignitaire de la hiérarchie nazie.Après mars 1942, cependant,Frank ne détenait plus guère depouvoir véritable, bien qu’il aitconservé son titre de gouverneur duGeneralgouvernement, les régionspolonaises conquises, mais nonincorporées au Reich. Dans leGeneralgouvernement, la véritableautorité appartenait aux SS. Début1944, Frank nota fièrement dansson journal qu’il ne restait que100 000 Juifs dans sa région, alorsqu’on en comptait 3,5 millions en1941.

Sont photographiés (de gauche à droite) dans le bureau du secrétaire d’ÉtatCordell Hull (à gauche), le secrétaire d’État au Trésor Henry Morgenthau Jr. et lesecrétaire d’État à la guerre Henry L. Stimson. Ces trois membres du gouverne-ment se réunirent le 21 mars 1944, lors de la troisième rencontre du War Refu-gee Board. Cette instance, mise en service sur ordre du président FranklinRoosevelt en janvier 1944, avait reçu pour mandat d’élaborer une politique desauvetage des victimes de l’agression nazie.

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à choisir et les regarde partir tous lestrois dans un camion.

• 31 mars 1944 : Le fonctionnaire SSAdolf Eichmann affirme auxdirigeants juifs hongrois que les rela-tions judéo-allemandes seront norma-lisées après la guerre.

• Avril 1944 : Aux fosses communes de

Ponary, en Lituanie, Isaac Dogim, l’undes Juifs qui reçurent l’ordre d’exhumeret de brûler les corps des Juifsmassacrés, découvre les corps en décom-position de sa femme, ses trois sœurs etses trois nièces. • L’ancien chef des parti-sans des marécages de Pripet, enUkraine, désormais membre de l’Arméesoviétique, est tué en tentant de franchirun champ de mines. • Neuf cents orphe-lins juifs de la région de Transnistrie en

Roumanie sont autorisés à se rendre enPalestine. • Max Josef Metzger, unprêtre catholique allemand dont l’appelde 1942 en faveur d’un nouveau gouver-nement allemand avait été interceptépar la Gestapo, est exécuté àBrandebourg, en Allemagne. • Uneusine d’essence synthétique à Blechham-mer, en Pologne, qui comprenait 5 500esclaves juifs à son ouverture en 1942,n’en compte plus que 4 000 vivants. Ce

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Massacre aux Fossesardéatines

C’est aux Fosses ardéatines situées à la sortiede Rome que fut perpétré le meurtre de 335otages italiens, dont 78 Juifs. Le massacre eutlieu en représailles à une attaque de partisansqui avait coûté la vie à 33 soldats allemands, viaRasella à Rome. Le lieutenant Herbert Kapplerordonna le massacre le 24 mars 1944.

Cinq mois plus tôt, le 16 octobre 1943 (le« samedi noir »), Kappler avait ordonné la rafledes Juifs de Rome. Plus d’un millier furentdéportés à Auschwitz où plus de 800 furentassassinés. Après la guerre, Kappler fut jugépar un tribunal militaire italien et condamné àla prison à vie. Il s’évada dans le coffre de lavoiture de sa femme en 1977, mais mourut peuaprès en Allemagne.

Le capitaine SS Erik Priebke, qui dirigea lesmassacres des Fosses, fut extradé d’Argentineen Italie en 1996. Une cour martiale italiennele jugea, mais refusa de l’accuser de crimes deguerres, soutenant qu’il n’avait fait qu’obéiraux ordres et qu’il y avait prescription. Jugé ànouveau par une autre cour martiale en 1996,Priebke fut condamné à cinq ans de prisondont il ne purgea que six mois.

Cette tête de mort, emblème SS, retrouvée au campde concentration de Dachau, en Allemagne, illustrel’extrême cruauté de ceux qui choisirent de la porter.Dans les derniers mois de la guerre, Dachau s’étenditen recevant des milliers de détenus des camps de l’Est.La maladie et la mort y régnaient, faisant des crânes etdes ossements la réalité dominante du camp.

Le rabbin Abba HillelSilver, originaire de Litua-nie, l’une des voix les plusnettes et les plus puissantesde la communauté juive,immigra aux États-Unis àl’âge de neuf ans. Devenurabbin à l’Hebrew UnionCollege en 1915, Silveraccepta un poste dans unecommunauté à Cleveland(Ohio) où il demeuradurant toute sa carrière.Très sioniste, Silver fut unporte-parole éloquent etpassionné en faveur d’unepatrie juive. En 1938, il futnommé à la tête de l’UnitedPalestine Appeal, une collecte en faveur de la Palestine.Par la suite, il devint, avec le rabbin Stephen Wise, le co-président de l’American Zionist Emergency Council.

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1944mois-là, Blechhammer est appelé Ausch-witz IV.

• 4 avril 1944 : Les États-Unis pren-nent les premières photos aériennesde reconnaissance d’Auschwitz.

• 5 avril 1944 : Sur les 835 Juifsdéportés de Fossoli (Italie) à Ausch-witz, 692 sont gazés à leur arrivée.

Parmi les victimes, Sara Klein, âgéede 71 ans et Rosetta Scaramella, âgéede 5 ans.

• 6 avril 1944 : Trois mille soldatsallemands se déploient dans le secteur« aryen » de Varsovie, en Pologne, pourdénicher des Juifs fugitifs. Soixante-dixhommes et trente femmes sont arrêtés etseront assassinés. • Un détachement de la

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Itzhak KatzenelsonLe poète Itzhak Katzenelson et son fils Zvi,

âgé de 18 ans, furent assassinés avec des milliersd’autres personnes dans les chambres à gaz d’Au-schwitz, au printemps 1944. À une époque plusheureuse, en Pologne, Katzenelson avait été unécrivain prolifique en yiddish et en hébreu, dansplusieurs genres, depuis les comédies jusqu’auxlivres pour enfants. Sous l’occupation allemande,

d’abord à Lodz, enPologne, puis à Varso-vie, Katzenelson ralliala communauté dughetto par des œuvresexprimant la ténacitéface aux épreuvesécrasantes, notammentla déportation à Tre-blinka de sa proprefemme et de deux deses enfants.

Pendant le soulèvement du ghetto de Varso-vie, Katzenelson et son fils, protégés par desfaux papiers honduriens, furent envoyés aucamp de concentration de Vittel, en Francedans le cadre d’un échange de prisonniers avecles Alliés. L’horreur dont Katzenelson avait ététémoin l’incita à continuer à écrire. Dans sonjournal, il témoigne du courage des déportésdu ghetto et de l’héroïsme des combattants deVarsovie. Ses poèmes de Vittel expriment laprémonition poignante que l’échange allaitéchouer et que lui-même et son fils allaientpérir. Dans « Le chant du peuple juifassassiné », Katzenelson souffre : « Une tellemoisson bénie, d’un seul coup – un peuple toutentier réuni. »

Les Allemands firent périrent Katzenelson etson fils en avril 1944.

Portant leurbébé, un jeunecouple juifd’Afrique duNord seprépare àembarquer surle bateau qui lesconduira versune vie nouvelleen Palestine.Partis de diversendroits, dont lePortugal, desbateaux affrétéspar des organi-sations juives desauvetage

emmenèrent des Juifs d’Afrique du Nord en Palestine.Cependant, même à l’arrivée des troupes américaines,les Juifs, dans des villes comme Casablanca, au Maroc,continuèrent à subir arrestations et violences, parfois dela part des autorités françaises antisémites de droite.

Walter Schellen-berg atteignit de nou-veaux sommets en1944 en tant quechef des services desécurité de la SS etde la Wehrmacht. Sanomination suivit ladissolution de l’Ab-wehr et l’arrestationde son chef, l’amiralWilhelm Canaris.Autrefois aided’Heinrich Himmler,Schellenberg assumadiverses responsabilités durant la guerre, notamment àla tête du RSHA Amt VI chargé de recueillir des rensei-gnements dans les pays étrangers. Sa nouvelle nomina-tion en 1944 en fit le deuxième personnage de la SS,juste après Himmler.

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Gestapo dirigé par Klaus Barbie procèdeà une perquisition dans la maisond’enfants d’Izieu, en France, près de lafrontière suisse et arrête sept éducateurset 44 enfants juifs. La plupart sont trans-portés à Drancy, puis à Auschwitz. L’unedes petites filles emmenées à Auschwitz,âgée de 11 ans, Liliane Berenstein, écritune lettre à Dieu pour le supplier qu’Ilfasse revenir ses parents.

• 8 avril 1944 : En ce premier soir de laPâque, le rabbin polonais Mosze Fried-man, récemment arrivé à Auschwitz,saisit un lieutenant SS et le maudit pourses crimes, promettant l’existence éter-nelle des Juifs et l’imminente destruc-tion du nazisme.

•10 avril 1944 : Deux Juifs slovaques,Alfred Wetzler, âgé de 26 ans et Rudolf

Vrba, âgé de 19 ans, s’évadent d’Auschwitz.Tous deux fourniront plus tard aux Alliésles premiers récits de témoins oculaires dela « solution finale », ainsi qu’un avertisse-ment sur l’intention des nazis d’exterminerles Juifs hongrois. • L’Armée rouge s’em-pare d’Odessa, en Ukraine.

• 13 avril 1944 : 1 500 Juifs sont déportésde Drancy (région parisienne) à

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Max Josef Metzger était un prêtrecatholique pacifiste. Chapelain del’armée allemande pendant la Pre-mière Guerre mondiale, il fonda etdirigea l’Alliance des catholiques alle-mands pour la paix. Pendant laguerre, il appela à un gouvernementnon nazi pour l’Allemagne. Arrêté etcondamné pour haute trahison par leTribunal du peuple farouchement pro-nazi, il fut exécuté en avril 1944.

Le 13 avril 1944, l’un des der-niers convois de Juifs du camp detransit de Drancy (régionparisienne) partit pour Auschwitz.Quinze cents prisonniers arrivèrentà Auschwitz le 16 avril, dont lafamille Brin (photo). Tous, sauf 388personnes périrent dans leschambres à gaz.

« J’ai vu plusieurs internés s’attacher à leurdignité humaine jusqu’à l’extrême fin.Les nazis réussissaient à les dégraderphysiquement, mais ne parvenaient pas à lesavilir moralement. Grâce à ces quelquespersonnes, je n’ai pas entièrement perdu mafoi en l’humanité. Si, même dans la jungle deBirkenau, tous ne furent pas nécessairementinhumains envers leurs prochains, alors il y avraiment de l’espoir. »

—Olga Lengyel, Souvenirs de l’au-delà (traduit du hongrois, paru enanglais sous le titre Five Chimneys : The Story of Auschwitz)

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1944Auschwitz. L’une des survivantes dugroupe, Simone Jacob, âgée de 16 ans,deviendra ministre de la Santé en France(Simone Veil) et, en 1979, présidente duparlement européen à Strasbourg.

• 15 avril 1944 : Les travailleurs juifscontraints d’exhumer les corps des Juifset des prisonniers de guerre assassinésà Ponary (Lituanie), près de Vilnius,

tentent une évasion. Sur les 40 qui par-viennent à pénétrer dans un tunnelsecret creusé sur le côté de la fossecommune, 15 gagnent les forêtsvoisines. La plupart d’entre eux rejoin-dront les partisans ; voir 20 avril 1944.• En Hongrie, des dizaines de milliersde Juifs sont contraints de quitter leurmaison pour emménager dans desghettos.

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1 9 4 4 • A C T E S D É S E S P É R É S

SLOVAQUIE

0 100 miles

0 200 kilomètres

CROATIE

SERBIE

GENERAL-GOUVERNEMENT

HAUTE SILÉSIE

BOHÊME &MORAVIE

ROUMANIE

HONGRIE

GRANDE ALLEMAGNE

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Kosice

Miskolc

Uzhgorod

Munkács

Nyíregyháza

Satu MareSighet Marmatiei

OradeaCluj

Dej

Tirgu Mures

Debrecen

Besztercze

Budapest

Szeged

Szombathely

Székesfehérvár

Kaposvár

Danube

Drava

Tisza

N

PRINCIPAUX GHETTOS EN HONGRIE, 1944

Après l’occupation de la Hongrie par l’Allemagne, le 19 mars 1944, lesJuifs du pays (à l’exception de ceux de Budapest) furent contraints d’habiterdans des ghettos. Du 15 mai au 9 juillet, plus de 430 000 Juifs hongroisfurent déportés, principalement dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

Le 19 mars 1944, les nazis occu-pèrent la Hongrie et commencèrentà préparer l’extermination des725 000 Juifs de ce pays, engrande partie épargnés jusqu’alors.La majeure partie de ces Juifs furentdéportés à Auschwitz, le plus grandcamp de la mort. Cette carte montreles districts de police créés par lesnazis en Hongrie pour assurer ladéportation « efficace » des Juifs dela nation.

Le processus de ghettoïsation etde déportation se déroula extrême-ment rapidement en Hongrie et lesJuifs furent en général déportésquelques jours seulement aprèsavoir emménagé dans les ghettos.Cette photographie montre MoritzGoldstein et son fils Endre, dans leghetto de Debrecen. Moritz et safemme Matilde avaient quatre fils ;un seul, Ernst, survécut à la guerreet immigra aux États-Unis en 1946.

Page 19: Chronique de la Shoah · Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardement par les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, près de Monowitz-Buna, la partie du complexe

• 20 avril 1944 : Vingt-neuf Juifsastreints au travail, restés en arrièreaprès une évasion partiellement réus-sie depuis Ponary (Lituanie) sont abat-tus par les surveillants SS.

• 22 avril 1944 : Cinquante enfants fontpartie des 250 Juifs et prisonniers deguerre soviétiques qui travaillent à l’usined’appareils électriques de Siemens Schuc-kert à Bobrek, en Pologne.

• 28 avril 1944 : Adolf Eichmannrépartit les 1 500 premiers travailleursjuifs de Hongrie réduits en esclavagedans les usines d’armements d’Ausch-witz et des environs.

•29 avril 1944 : Première déportation àAuschwitz de Juifs hongrois de Kistarcsa.• 1 004 Juifs du camp de transit deDrancy (région parisienne) sont déportés

à Auschwitz, dont le poète yiddish Itz-hak Katzenelson et son fils aîné.

• 30 avril 1944 : Deux mille Juifsrobustes de Topolya (Hongrie) sontdéportés à Auschwitz.

• Mai 1944 : Christian Wirth, Sturm-bannführer et commandant du campde la mort de Belzec, en Pologne, est

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Des hommes et des femmes de laRésistance polonaise partagent unmoment de camaraderie avant deretourner au combat. Utilisant destactiques de guérilla, ces combat-tant aidèrent l’Armée russe en har-celant les troupes allemandes dansla région de Vilnius, en Lituanie.Certains Juifs, opérant depuis laforêt de Rudninkai et d’autresendroits secrets, participèrent à laRésistance, préparant la voie à lalibération de Vilnius, en juillet.

Hermann Göring avait compté parmi les personnali-tés les plus influentes de l’Allemagne, mais en 1944, ilétait complètement drogué à l’héroïne et son influencedéclina. Il avait aussi considérablement grossi et pesaitplus de 135 kg. Hitler, qui accusa Göring d’être à l’ori-gine du retournement de la situation militaire contrel’Allemagne, refusa souvent de le rencontrer. Göringperdit son prestige antérieur au profit de Joseph Goeb-bels, Heinrich Himmler et Martin Bormann.

Joseph Darnand, vétéran de la Première Guerre mon-diale, avait longtemps fréquenté les groupes antisémites dedroite, en France. Il fonda le Service d’ordre légionnaire(SOL), un groupe paramilitaire collaborationniste d’environ15 000 membres. Darnand devint par la suite le chef de lamilice de la France de Vichy et fut donc chargé du maintiende l’ordre. On le voit ici, le 16 avril 1944, à un rassemble-ment organisé à Paris pour encourager la collaboration ausein de la population de la ville.

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1944assassiné par des partisans à Fiume, enYougoslavie. • De nombreux Juifs fontpartie des troupes polonaises et destroupes alliées à l’abbaye de MonteCassino, en Italie. • Liquidation dughetto de Lodz (Pologne). • Alors quecommencent les déportations des Juifsde Hongrie dans les camps de la mort,plusieurs centaines de Juifs hongroisde Sátoraljaújhely et Miskolc sont

abattus pour avoir refusé d’embarquerdans les trains pour Auschwitz.• 33 000 Juifs de Munkács (Hongrie)sont assassinés à Auschwitz.

• 3 mai 1944 : À Gleiwitz (Pologne),près d’Auschwitz, les Allemandsouvrent une usine avec de la main-d’œuvre réduite en esclavage pourproduire de la « fumée noire » utili-sée pour créer des écrans de fumée.

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Trois Juifs emmènent une vieille Juive à la chambre à gaz d’Auschwitz.Ces hommes souhaitaient probablement éviter une réaction violente desgardes SS qui figurent à l’arrière-plan. Jusqu’au tout dernier moment, denombreux Juifs s’accrochaient à l’espoir que ce qu’ils avaient entendu surAuschwitz n’était pas vrai.

Le commandant SS ChristianWirth prit l’initiative d’utiliser dugaz toxique pour tuer les victimesdu programme d’« euthanasie ». Iladministra les camps de la mort deBelzec, Treblinka et Sobibor. À Bel-zec, il possédait une grande boîtecontenant des dents prises aux Juifsassassinés. « Voyez vous-mêmes lepoids de cet or ! » se vantait-il.« C’est seulement d’hier et d’avant-hier. Vous n’imaginez pas ce quenous trouvons chaque jour – desdollars, des diamants, de l’or ! »Par la suite, il fut chargé du campde concentration italien La Risieradi San Sabba où il organisa 22convois de déportés pour Ausch-witz. Il fut tué par des partisans ita-liens, près de Fiume (Yougoslavie),en mai 1944.

Soigneusement disposés et entre-posés, ces services de porcelaineavaient autrefois été la fierté defamilles juives de Prague (Tchécoslo-vaquie). Ils faisaient partie d’uneimmense collection d’objets, y com-pris des livres et des meubles, pilléspar les nazis dans l’une des commu-nautés juives les plus réputées d’Eu-rope, et destinés à constituer lacollection du futur Musée central dela race juive éteinte. Malheureuse-ment, les objets survécurent à bonnombre de leurs propriétaires.

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• 13 mai 1944 : L’Armée rouges’empare de Sébastopol, en Ukraine.• Dans l’ensemble des camps nazis, lesnuméros tatoués sur le corps des déte-nus entament une nouvelle série précé-dée de la lettre « A ». Il s’agit de cacherle nombre de prisonniers à Auschwitz.

• 15 mai 1944 : Les Allemands com-mencent la déportation à Auschwitz

des Juifs hongrois de Ruthénie et deTransylvanie. • 878 Juifs de Drancy(région parisienne) sont déportés aucamp de travail de Reval, en Estonie.

• 15 mai-9 juillet 1944 : Plus de430 000 Juifs sont déportés à Ausch-witz. Plus d’une centaine sont entas-sés dans des wagons de marchandisesavec un seul seau d’eau et un autre

seau pour les besoins. Suicides et casde folie font des ravages pendant lestransports.

• 18 mai 1944 : Le chef des partisans juifsAleksander Skotnicki est tué pendant uncombat de son unité contre les chars de ladivision SS Viking près de la forêt deParczew, en Pologne. • Un train dedéportation parti de Paris arrive à Kovno,en Lituanie ; voir 19 mai 1944.

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1 9 4 4 • A C T E S D É S E S P É R É S

« Canada»Tandis que leurs victimes périssaient dans les

chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau, les nazispillaient les effets personnels des morts. Dansune certaine section du camp de Birkenau, leséquipes de travail, principalement constituéespar des femmes juives, triaient le butin. Cettepartie du camp était appelée « Canada », cyni-quementcomparée àun paysconnu pourses richesseset son abon-dance.

Jour etnuit, des« comman-dos » de prisonniers triaient et classaient systé-matiquement vêtements, valises, couvertures,ustensiles, objets de valeur et nourriture. Cer-tains prisonniers triaient les chaussures,d’autres seulement les vêtements d’hommes. Ilsséparaient valises, couvertures et même voi-tures d’enfants qu’ils entassaient en monceauxgigantesques. Dans le bâtiment appelé « bara-quement de ravitaillement », d’énormes quan-tités de nourriture, par exemple du salamihongrois et du fromage de Hollande moisirentet pourrirent.

Avides d’argent et de bijoux, les SS ordonnè-rent aux prisonniers de presser les tubes dedentifrice dans des seaux pour chercher desdiamants cachés. Même des objets personnelscomme rubans pour cheveux, montres, lunetteset prothèses dentaires furent pillés. Le butintrié était chargé sur des trains et des camionset acheminé en Allemagne. Contraints d’éva-cuer le camp, début 1945, les nazis laissèrentderrière eux 349 820 costumes d’hommes,836 255 ensembles pour femmes et environ38 000 paires de chaussures masculines.

Éclipsées par le monceau de chaussures se dressantdevant elles, des détenues d’Auschwitz trient les chaus-sures en plusieurs tas en fonction de la pointure. La duréede vie de ces chaussures était bien souvent supérieure àcelle des femmes qui les triaient. Après un premier tri, leschaussures étaient emportées au « Canada », le dépôt.Puis, les femmes du Schuhkommando (équipe des chaus-sures) se mettaient au travail, séparant les empeignes dessemelles et le cuir du caoutchouc. La majeure partie deces produits était envoyée en Allemagne.

Les Aufräumungskommandos (commandos de nettoyage), dont la plupart des membres étaient juifs,recevaient la tâche macabre de trier les affaires desvictimes des chambres à gaz. Les détenus du camp surnommaient les dizaines de baraquements où étaiententreposés ces objets « Canada », les associant auxrichesses de ce pays.

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1944• Les déportations de Theresienstadt(Tchécoslovaquie) à Auschwitz prennentfin avec un convoi de 2 500 Juifs.

• 19 mai 1944 : Les Juifs de Parisdéportés à Kovno (Lituanie) sontmitraillés par des gardes dans un péri-mètre enclos après que quelquesprisonniers ont attaqué des SS. • LesAllemands acheminent le Juif hongrois

Joel Brand en Turquie avec une propo-sition d’Adolf Eichmann d’échangeravec les Alliés 10 000 camions contreun million de Juifs d’Europe orientale.Eichmann appelle cette transaction« du sang contre des camions. » Arrêtépar les Britanniques, Brand est envoyéà Lord Moyne (ministre résident duMoyen-Orient) qui commente : « Etque ferais-je d’un million de Juifs ? »

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« Je suis née en mai. Je suismorte en mai, » écrit IsabellaLeitner dans ses souvenirs de laShoah intitulés Fragments d’Isa-bella. « Nous avons commencé levoyage de l’horreur, le 29 mai.Nous allions à Auschwitz. Noussommes arrivés le 31 mai. »

Même au début de 1944, les725 000 Juifs de Hongrie sem-blaient relativement en sécurité.Les dirigeants de cette dernièregrande commu-nauté juive d’Eu-rope avaiententendu parler dusort des Juifs sousl’occupation nazie,et les Juifs hongroisvivaient dans unesituation précairedu fait de l’alliancede ce pays avec Hit-ler. Mais, par rap-port à la situationd’autres communau-tés juives, pour laplupart exterminéesen 1944, les Juifshongrois semblaientavoir de la chance.De fait, jusqu’au 19mars 1944, date de l’occupationpar les Allemands du territoirede leur allié hésitant, de nom-breux Juifs de Hongrie souffri-rent de ce que l’écrivain IdaFink, autre rescapée de la Shoah,appela « la pauvreté de l’imagina-tion. » Ils ne croyaient pas que cequi était arrivé aux Juifs dansl’Europe occupée par les nazispourrait leur arriver aussi.

Le cauchemar commençacependant en avril 1944. Les pre-miers Juifs hongrois furent parquésdans des ghettos, puis, les 29 et 30avril, deux convois de 3 800hommes et femmes quittèrent laHongrie et arrivèrent à Auschwitz,le 2 mai. La « sélection » épargna486 hommes et 616 femmes pourle travail. Les 2 698 autres furentgazés. Vers la mi-juillet, 147 trainsavaient déporté à Auschwitz plus

de 430 000 Juifs hongrois. Plus de75% furent assassinés à leur arri-vée. Avant la libération de la Hon-grie, début 1945, plus de 560 000Juifs hongrois avaient péri.

Le 20ème anniversaire d’Isa-bella Leitner tombait ledimanche 28 mai 1944. Elle le« célébra » tout en préparant ladéportation du lendemain. Aucours de ce voyage, I. Leitner et

ses quatre sœurs, son frère et samère, ainsi que plusieurs cen-taines d’autres Juifs hongrois dughetto de Kisvárda furent emme-nés à Auschwitz. Sa mère et saplus jeune sœur furent assassi-nées à l’arrivée. Une autre sœurpérit à Bergen-Belsen, mais Isa-bella, son frère et ses autressœurs survécurent. Par la suite,elle retrouva également son père.Désespéré, il était parti pour les

États-Unis pour ten-ter de sauver safamille en obtenantun visa pour eux.Les atrocités nazieslui furent épar-gnées, mais pour lerestant de sa vie, ileut le sentiment den’avoir pas fait assezpour sauver lessiens.

Après sa libéra-tion et son arrivéeaux États-Unis, I.Leitner fut inca-pable d’oublier« l’autre vie » dansle ghetto, dans letrain, dans les

camps. « Vous avez une vision dela vie, dit-elle au cours d’uneinterview, j’en ai deux. » Parlantau nom de plusieurs rescapés dela Shoah, elle ajoute que « nousavons ces… ces doubles vies.Nous ne pouvons pas le suppri-mer. Cela ne s’en va pas… C’esttrès pénible. »

L’extermination des Juifs hongrois

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• 21 mai 1944 : La Gestapo emprisonneles 260 Juifs de La Canée (Khania enCrète) à Rethymnon, sur l’île.

• 22-27 mai 1944 : Les Juifs préparéspour être transportés en train deMunkács (Ukraine) et de la villehongroise de Sátoraljaújhely résistent.Certains sont abattus.

• 25 mai 1944 : À Auschwitz, desJuifs hongrois menés à la chambre àgaz se dispersent, mais sont abattuspar les SS ; voir 28 mai 1944.

• 27 mai 1944 : Deux Juifs, ArnostRosin, de Tchécoslovaquie, etCzeslaw Mordowicz, de Pologne,s’évadent d’Auschwitz.

• 28 mai 1944 : Renouvellement del’incident du 25 mai ; les Juifs menésà la chambre à gaz d’Auschwitz cou-rent vers les forêts, mais sont abattus.

• 29 mai 1944 : Plusieurs milliers deJuifs de Baja, en Hongrie, arrivent à lafrontière allemande après un voyage entrain de trois journées et demi ; 55 sontmorts et environ 200 sont devenus fous.

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Au printemps 1944, les nazisentreprennent la déportation des725 000 Juifs de Hongrie,pour la plupart à Ausch-witz. Ces trois photos mon-trent des Juifs hongrois àAuschwitz-Birkenau. Sur lapremière, à gauche, figurele rabbin Naftali ZviWeiss, de la ville de Bilke.Sur la deuxième photo,des femmes et enfants hon-grois, peut-être d’unemême famille, sont assem-blés pour une photogra-phie devant la clôtureélectrifiée, attendant leursort. La troisième photomontre une femme et sestrois petits-enfants en routepour la chambre à gaz, enmai 1944. Toutes les per-sonnes photographiées surcette page furent parmi lespremiers des quelque400 000 Juifs hongrois quipérirent à Auschwitz.

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1944• Fin mai 1944 : À l’embranchementd’Auschwitz, des soldats allemands quirencontrent un train de déportation clostransportant des Juifs hongrois au campde la mort de Birkenau, au mépris desmenaces des gardes SS, donnent de l’eauet des vivres aux prisonniers implorants.• Un SS tombé amoureux d’une jeuneJuive réussit pendant des mois à lui épar-gner la chambre à gaz, mais lorsque leur

liaison est découverte, tous deux sontexécutés.

• 31 mai 1944 : Le SS Edmund Veesen-mayer, général de brigade, précisedans son rapport à Berlin que 204 312Juifs ont été déportés de Hongrie.• Près de la frontière allemande, untrain de déportation hongrois s’arrêtepour retirer 42 corps.

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La petite ville hongroise de Kös-zeg ne comptait que 80 Juifs lors-qu’un ghetto y fut créé, le 11 mai1944. La population totale dughetto, qui incorpora les Juifs desbourgades environnantes, ne s’éle-vait qu’à 103 habitants. Cette pho-tographie montre le chargement dela population du ghetto dans destrains en partance pour Auschwitz.On remarque la présence de sol-dats de l’organisation fasciste deHongrie, les Croix fléchées. Lesmembres de cette organisation,dont bon nombre étaient pauvres etsans instruction, participèrent auxdéportations avec enthousiasme.

« Autour de nous, tout le mondepleurait. Quelqu’un commençaà réciter le Kaddish, la prièrepour les morts. Je ne sais pas sic’est jamais arrivé auparavant,au cours de la longue histoiredes Juifs, qu’un peuple ait récitépour lui-même la prière pour lesmorts. »

—Le chroniqueur de la Shoah Élie Wiesel,rappelant ce qu’il a vécu, adolescent, lors du convoi

le menant à Auschwitz au printemps 1944

Deux enfants s’agrippent à la main de leur père, tan-dis que leur mère, se maintenant sur des béquilles, tentede suivre pendant la déportation des Juifs du ghetto hon-grois de Sighet. Du 16 au 22 mai 1944, la majeurepartie des 8 600 Juifs qui avaient été entassés dans leghetto de la ville sont déportés à Auschwitz. Parmi ceuxqui sont envoyés de Sighet, le jeune Élie Wiesel quidevait plus tard décrire ses expériences dans La nuit.

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• Juin 1944 : Un sondage d’opinionpublique organisé aux États-Unisrévèle que 57% des Américains s’at-tendent à « une grande campagnedans ce pays » contre les Juifs.• 13 500 Juifs de Miskolc (Hongrie)sont déportés à Auschwitz.

• 1er juin 1944 : Alors que 55 000quotas d’immigration en provenance

de l’Europe occupée n’ont pas étéutilisés, le président Franklin Roose-velt n’autorise qu’un millier de réfu-giés juifs à pénétrer aux États-Unis.Ils seront hébergés à Fort Ontario, àOswego, dans l’État de New York.

• 2 juin 1944 : Itzhak Gruenbaum, prési-dent du comité de sauvetage de l’Agencejuive, réclame le bombardement des

voies ferrées menant à Auschwitz. • LesAlliés entreprennent de bombarder lesBalkans (opération Frantic) en vue defaire diversion pour les Allemands avantles atterrissages alliés en France. Lesbombardiers survolent les lignes de che-min de fer menant de Hongrie à Ausch-witz. L’opération dure quatre mois,durant lesquels plusieurs dizaines de mil-liers de Juifs hongrois sont déportés à

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Les parachutistespalestiniens

Environ 250 Juifs palestiniens se portèrentvolontaires pour être parachutistes dans l’ar-mée britannique – mission extrêmement dan-gereuse. Ceux qui furent choisis comptaientparmi les Juifs d’Europe orientale les plusbrillants, ceux qui parlaient les langues balka-niques et connaissaient les coutumes et la géo-graphie des Balkans.

Aprèsavoir subi unentraîne-ment, 32Juifs furentparachutésdans les Bal-kans, enAutriche eten Francepour espionner au profit des Britanniques.Lorsque les Juifs eurent terminé leurs missionspour les Alliés, les Britanniques les autorisèrent àaider leurs coreligionnaires juifs. Bien qu’opposéau début à l’entraînement au combat de Juifspalestiniens, le vice-ministre britannique au Caire,Lord Walter Moyne, finit par accepter. Il recon-nut cyniquement que le parachutage des Juifs lesplus courageux dans des missions-suicides enEurope orientale leur ferait quitter définitivementla Palestine.

L’une des parachutistes juives palestiniennesles plus célèbres fut Hannah Szenes, une poétessenée en Hongrie. Comme la plupart de ses cama-rades, elle réalisa sa mission pour les Britanniquesavec succès. Mais, une fois sa tâche achevée, ellefut capturée et exécutée par les Allemands. Unautre membre du groupe, Enzo Sereni, futentraîné par les Britanniques et parachuté dans lenord de l’Italie en mai 1944. Portant l’uniformed’un capitaine britannique, il fut capturé etenvoyé dans le camp de concentration de Dachau,en Allemagne où il fut l’une des principales per-sonnalités parmi les prisonniers.

Ayant quitté sa Slova-quie natale pour immi-grer en Palestine en1939, Haviva Reik rejoi-gnit la Haganah (organi-sation militaire juive)pour combattre lesnazis. Après ce service,H. Reik se porta volon-taire pour des missionsde parachutage encoreplus dangereuses, espé-rant retourner dans sonpays natal pour sauverses frères juifs. Parachu-tée le 21 septembre

1944 près de Banská Bystrica, en Slovaquie, elle cher-cha à joindre les chefs de la Résistance juive à Brati-slava. Des combats acharnés l’en empêchèrent et H.Reik, ses camarades parachutistes et des partisanslocaux se retirèrent dans les montagnes. Capturée parles SS, elle fut exécutée le 20 novembre.

Hannah Szenes sedétend dans sa villenatale de Budapest(Hongrie), avant laguerre. Très douée,Hannah excellait dansses études avant d’im-migrer en Palestine oùelle rejoignit unkibboutz. Son journalintime et ses poèmesreflètent un amour de lavie que dépasse seule-ment son farouchedévouement pour lepeuple juif. Membred’un groupe d’audacieux parachutistes envoyés en You-goslavie pour sauver des pilotes alliés et encourager larésistance juive, elle fut capturée après avoir franchi lafrontière hongroise. Torturée, elle refusa de révéler lescodes de la radio. Son poème « Bénie soit l’allumette »devint l’emblème de son héroïque abnégation. Ilcomprend le vers suivant : « Bénie soit l’allumette qui s’estconsumée dans une flamme brûlante. »

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1944Auschwitz. Les voies ferrées transportantles Juifs ne furent jamais prises pour cible.

• 4 juin 1944 : Libération de Romepar les Alliés.

• 6 juin 1944 : Les forces alliées débar-quent en France sur les plages de Nor-mandie ; c’est la première étape de lalibération de l’Europe par les Alliés

occidentaux. Lorsque les autorités alle-mandes prennent conscience que lanouvelle du débarquement allié circuleparmi les Juifs du ghetto de Lodz, enPologne, une perquisition est menée àla recherche de radios illégales. SixJuifs sont arrêtés. • Les 1 800 Juifs del’île de Corfou, à l’ouest de la Grèce,sont arrêtés par la Gestapo et déportésà Auschwitz où 1 600 d’entre eux sont

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Des Juifs contre des camionsAu plus fort des déportations de Hongrie, en 1944, un « plan » alle-

mand fut élaboré pour échanger des Juifs contre des camions. HeinrichHimmler, lui-même, architecte en chef de la « solution finale », envisa-geait volontiers une rançon. Il futproposé d’échanger un million deJuifs contre 10 000 camions et descentaines de tonnes de thé, café etsavon.

Les négociations, valant cequ’elles valaient, furent menéespar Joël Brand, un Juif ; desmembres du War Refugee Board ;et des membres du ministère bri-tannique des Affaires étrangères.Les Alliés ne considérèrent pas sérieusement la proposition. Non seule-ment ils n’avaient pas confiance en Himmler, mais les Britanniques esti-maient que la libération de tant de Juifs conduirait à des pressions pourleur immigration en Palestine que la Grande-Bretagne tentait de limiter.Les Soviétiques s’opposèrent au plan parce que les nazis auraient uti-lisé les camions contre eux. Pendant les négociations, plus de 1 600 Juifshongrois (dont ceux de la photo) furent libérés et trouvèrent la sécuritéen Suisse.

Joël Brand était un dirigeant juifdu Comité de secours et de sauve-tage en Hongrie. Approché parAdolf Eichmann avec un projet detransaction apparemment truquéconsistant à échanger la vie desJuifs hongrois contre 10 000camions des Alliés, Brand tenta decommuniquer cette offre aux Alliésqui la rejetèrent et arrêtèrent Brand.Libéré en 1944, Brand rejoignit leGroupe Stern en Palestine où il par-ticipa à des activités contre les Bri-tanniques et contre l’Agence juive. Ilmourut en 1964.

En 1943, le gouvernement de laFrance de Vichy créa la Milice, uneorganisation paramilitaire collabo-rationniste dirigée par Joseph Dar-nand qui souhaitait assurer lemaintien de l’ordre en France, laremodeler à l’image nazie et com-battre les ennemis du régime deVichy. La plupart de ses membres, ycompris des groupes pour lesfemmes et les enfants, provenaientdu Service d’ordre légionnaire, ungroupe de vétérans de guerre qui seconsacraient à la protection durégime de Vichy. Cette photogra-phie montre des troupes de laMilice faisant défiler des membresde la Résistance dans un camp d’in-ternement, le 2 juin 1944.

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gazés et les 200 autres astreints au tra-vail. • Un bateau allemand déportantenviron 260 Juifs de La Canée est couléau large de la Crète. Les récitsd’aujourd’hui donnent des précisionscontradictoires : selon une version, lebateau transportait les corps de Juifsassassinés par les nazis qui envoyèrentle bateau puis le coulèrent pour suppri-mer les traces de leur crime. Selon une

autre, le bateau se rendait à Auschwitz,mais fut torpillé et coulé par un sous-marin britannique. Outre les Juifs, lebateau transportait 300 prisonniers deguerre italiens et 400 civils grecs.

• 7 juin 1944 : Achèvement de la pre-mière phase de la déportation et del’extermination des Juifs hongrois. Prèsde 290 000 Juifs ont été assassinés en23 jours.

• 9 juin 1944 : Arrestation de la poé-tesse juive hongroise, parachutiste dePalestine, Hannah Szenes enHongrie, alors qu’elle vient de termi-ner sa mission pour les Britanniquesen Yougoslavie. Elle tentait d’aiderles Juifs hongrois qui allaient êtretransférés à Auschwitz.

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Les troupes et les tanks américains entrèrent dansRome le 4 juin 1944. Les deux parties avaient convenuque Rome était une ville ouverte, préservant ainsi lagrande capitale d’autres destructions. La campagneitalienne avait été conçue comme un raccourci pour lesforces alliées se rendant en Allemagne, mais elles’avéra être une longue opération âprement disputéecontre une résistance allemande obstinée, inflexible etbrillamment dirigée. Huit mille Juifs s’étaient cachésdans Rome, mais en octobre 1943, les Allemands pro-cédèrent à la rafle d’un millier de Juifs « sous le nez dupape » et les envoyèrent à la mort à Auschwitz.

Des Juifs néerlandaissont déportés début juin1944. De mars à sep-tembre 1944, les nazisdéportèrent chaquemois plusieurs centainesde Juifs néerlandais, et1 019 dans le derniertrain (qui comprenaitAnne Frank) enseptembre. Sur les107 000 Juifs déportésdes Pays-Bas, 5 200seulement survécurent àla Shoah.

Des soldats américains poussent des prisonniers deguerre allemands, les mains en l’air et leur équipementencore sur le dos, hors de portée du feu de tireurs iso-lés, tandis que les Alliés traversent Cisterna, en Italie.La longue campagne italienne aboutit à d’importantesvictoires pour les Alliés, début 1944. Les troupes améri-caines pénétrèrent dans Rome le 4 juin, sous le com-mandement du général Mark Clark.

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1944• 10 juin 1944 : Dans le village françaisd’Oradour-sur-Glane, les Allemands mas-sacrent 642 habitants en représailles à lamort d’un officier SS abattu par untireur de la Résistance. Femmes etenfants sont brûlés vifs dans une égliseet les hommes sont mitraillés. Sur les 642victimes, sept sont des réfugiés juifs quiavaient échappé à la déportation àAuschwitz grâce à la compassion des vil-

lageois d’Oradour-sur-Glane. Parmi lesmorts, Serge Bergman, âgé de huit ans.

• 11-16 juin 1944 : Les Allemandsacheminent 50 805 autres Juifs hon-grois à Auschwitz.

• 14 juin 1944 : Deux mille Juifs deCorfou (Grèce) sont déportés àAuschwitz. • Le résistant juif Léon

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Vivre dans lacrasse

Les Allemands tentèrent dedétruire le cœur, l’âme, l’esprit etle corps des Juifs de différentesfaçons, y compris par les excré-ments. L’un des aspects de la poli-tique allemande consistait à avilirles Juifs en les forçant à vivre et àmourir dans un environnementdominé parla crasse.Les soldatsenfer-maient lesdéportésdans deswagons demarchan-dises sansrien fournir pour faire ses besoins.

Des ruisseaux d’ordures, deboue, de vomissures et d’excré-ments coulaient dans les baraque-ments des camps. Dans le camp deBergen-Belsen, en Allemagne, uneseule latrine desservait 30 000 pri-sonnières. Dans presque tous lescamps, les prisonniers contractè-rent le typhus et/ou la dysenterie,deux maladies qui provoquaientdes diarrhées. De nombreux pri-sonniers attachaient une ficelle enbas de leur pantalon pour retenirleurs excréments, évitant ainsid’être battus ou tués pour avoirpris le temps de se rendre auxlatrines. Reska Weiss écrivit quecertains prisonniers n’étaient « pasmême des animaux, mais descorps en putréfaction se déplaçantsur deux jambes. »

Des troupes américaines, britanniques, canadiennes et autres troupes alliéesdébarquèrent en Normandie, le 6 juin 1944. Ce débarquement contraignit l’Al-lemagne à une guerre sur deux fronts (les Soviétiques attaquant à l’est), guerrequ’elle ne pouvait gagner. Bien que retardés pendant plusieurs semaines sur ledifficile terrain normand, les Alliés finirent par opérer une brèche. Ils déferlèrentensuite rapidement à travers la France et atteignirent les frontières de l’Allemagneen décembre. Au fur et à mesure qu’ils conquéraient du terrain, les Alliés arrivè-rent dans des camps de concentration et les libérèrent.

La veille de 6 juin, jour J du débarquement, des Juifs se réunirent sur lesmarches de la synagogue de l’hôpital et du foyer pour personnes âgées deBrooklyn (New York). Portant leurs châles de prière et soufflant dans le cho-far (corne de bélier) pour appeler le peuple à la prière, ces Juifs âgés inter-cédèrent pour une victoire rapide des Alliés qui mettrait fin au régime nazi etaux souffrances des Juifs d’Europe.

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Sakkis est abattu par une mitrailleuseallemande tandis qu’il aide un cama-rade blessé en Thessalie (Grèce).

• 16 juin 1944 : Les habitants du ghettode Lodz, en Pologne, reçoivent l’ordre de« s’inscrire volontairement pour le travailà l’extérieur du ghetto. » En réalité, il n’yaucun travail, mais seulement la mort aucamp d’extermination de Chelmno, en

Pologne, où les Allemands prévoient d’as-sassiner 3 000 Juifs par semaine, pendanttrois semaines. • En France, l’historienjuif Marc Bloch, dirigeant du groupe derésistants Francs-tireurs et partisans(FTP), est exécuté par des soldatsallemands. • Les forces allemandes com-mencent à battre en retraite au-delà de laDouve (Cotentin).

• 17 juin 1944 : Les Juifs de Budapest(Hongrie) sont confinés dans des« immeubles juifs » désignés.

• Été 1944 : Plus de 500 Juifs sontsecrètement protégés par l’industrielOskar Schindler.

• 22 juin 1944 : L’Armée rouge lanceune offensive sur 300 kilomètres sur

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Ces 38 écolières comptaientparmi les 634 victimes du régimentSS Der Führer, le 10 juin 1944, àOradour-sur-Glane, en France.Dans leurs représailles, les nazistuaient en général femmes etenfants, estimant que l’impact sur laRésistance serait plus fort.

Sylvester Stadler commandait lerégiment SS Der Führer qui assas-sina 634 personnes, dont des Juifs,dans le village français d’Oradour-sur-Glane. Les victimes furent ras-semblées dans l’église du village,puis massacrées, en représailles àla mort d’un officier SS abattu parla Résistance.

Séparés les uns desautres, les membres d’unefamille cherchaient desmoyens de maintenir lecontact et de prendre desnouvelles. La plupart des nou-velles cependant, brisaient lecœur. Est reproduite ici unelettre de Marian Watnicki àson frère Mietek, à Ausch-witz. Marian raconte à Mie-tek que, si quelques membresde la famille se trouvent dansun camp de concentration,d’autres sont morts ou dispa-rus. Détenu en tant que pri-sonnier politique, Mietekréussit à cacher à ses gar-diens qu’il était juif.

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1944les fronts baltes et biélorusses. Lapremière cible est Vitebsk (Biélorus-sie) située sur la ligne de chemin defer Riga-Moscou. • Les SS ferment lecamp de concentration de Riga-Kai-serwald, en Lettonie.

• 23 juin 1944 : Reprise des opérationsau camp de la mort de Chelmno. • LesAlliés apprennent que plus de 430 000

Juifs hongrois ont été déportés à Ausch-witz et assassinés depuis le mois de mai.Il ne reste que 300 000 Juifs en vie enHongrie. • Une délégation de la Croix-Rouge, qui visite le camp / ghetto deTheresienstadt, en Tchécoslovaquie, estapparemment abusée par l’atmosphèresuperficiellement affable. Cependant,presque simultanément, la Croix-Rouge envoie à la Hongrie une protes-

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Les faux papiers étaient indis-pensables pour les Juifs cachésdans la population non juive. Cettecarte d’identité française, détenuepar Lina Donoff, la faisait passerpour Denise Alice JoséphineRochard. La mère de Lina fit fairecette carte pour protéger sa fille dela déportation. Des faux papiersde ce genre n’étaient pas rares etapportaient souvent à leurs déten-teurs la protection souhaitée. Cequi, bien évidemment, soulignel’absurdité de l’affirmation nazieselon laquelle les Juifs étaient ins-tantanément reconnaissables àleurs caractéristiques physiques.

La Libération de laFrance conduisit, entreautres, à l’arrestation deceux qui avaient colla-boré avec les Allemands.Certains furent poursuivisen justice, d’autres furentexécutés sommairementpar la Résistance. Ici, descollaborateurs sontregroupés dans une villefrançaise non identifiée.Un jeune Français jugécoupable de collabora-tion avec l’ennemi estfusillé par un pelotond’exécution à Grenoble.Il fut l’un des six habitantsde cette ville fusillés cejour-là.

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tation officielle contre la déportation desJuifs hongrois.

• 24 juin 1944 : L’armée de l’airaméricaine déclare que le bombardementdes voies ferrées menant à Auschwitz est« irréalisable » parce qu’il ne pourrait sefaire qu’en détournant des soutiens aériensd’ « opérations décisives » en cours, parexemple, le bombardement des usines alle-

mandes d’essence synthétique. Le fait estque nombre de ces usines sont situées prèsd’Auschwitz. • Les amoureux EdwardGalinski, un Polonais non juif, et MalaZimetbaum, juive, s’évadent d’Auschwitz-Birkenau dans des uniformes SS volés etrestent en liberté pendant deux semaines.

• 25 juin 1944 : Le pape Pie XIIenvoie un télégramme à l’amiral

Miklós Horthy lui demandant destopper la déportation « vers une des-tination inconnue » de Hongrois àcause de leur race. Le pape n’utilisepas le mot « Juif » dans ses messages.

• 27 juin 1944 : L’un des chefs de larésistance juive en France, David« Dodo » Donoff, âgé de 24 ans, estabattu près de Lyon.

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Le 6 juin 1944, les soldatsaméricains précipitèrent la fin dela Seconde Guerre mondiale enEurope en rejoignant les troupesbritanniques et canadiennes, lejour J du débarquement en Nor-mandie. Seule la défaite de l’Alle-magne nazie allait stopper laShoah, et les États-Unis jouèrentun rôle décisif dans l’écrasementdu Troisième Reich. Néanmoins,le gouvernement américain ne fitjamais du sauvetage des Juifseuropéens une priorité absolue.

L’Allemagne ne déclara laguerre aux États-Unis que le 11décembre 1941. À cette date, lesEinsatzgruppen avaient déjàabattu plusieurs centaines de mil-liers de Juifs européens ; les opé-rations de gazage avaientcommencé à Chelmno, enPologne, et les nazis avaientassassiné près d’un million deJuifs depuis le début de l’année1941. Qualifiant le « meurtre enmasse systématique des Juifs » de« crimes les plus noirs detoute l’histoire », le prési-dent américain FranklinRoosevelt (photo) pritl’engagement, le 24 mars1944, que les assassins ne demeureraient pas« impunis. » Le sort tra-gique des Juifs d’Europene fut cependant jamaisconsidéré comme uneraison déterminante del’entrée en guerre del’Amérique.

Sur une plaque appo-sée sur la statue de la

Liberté à New York, figurent lesmots de la poétesse juive améri-caine Emma Lazarus : « Donne-moi tes pauvres, tes exténués, Quien rangs pressés aspirent à vivrelibres, Le rebut de tes rivages sur-peuplés ».

En dépit de ces mots, de puis-sants courants antisémites, oppo-sés à l’immigration et, à l’époque,isolationnistes, déferlèrent auxÉtats-Unis. Au cours des troisannées et demi durant lesquellesle pays mena la guerre contrel’Allemagne nazie, le Départe-ment d’État n’autorisa que21 000 réfugiés à pénétrer dansle pays, à peine 10% de ceux quiauraient pu légalement êtreadmis en vertu des quotas envigueur, déjà très restrictifs. Cene fut qu’à l’été 1944 que lesÉtats-Unis prirent des disposi-tions spéciales pour amener desréfugiés juifs en Amérique, dis-positions d’ailleurs inadéquates.

Roosevelt donna pour instruc-

tions que le groupe « compren-drait un pourcentage raisonnabledes diverses catégories de popu-lations persécutées. » Le 9 juin1944, il annonça que 1 000 réfu-giés supplémentaires, en plus duquota d’immigration, seraientaccueillis temporairement dansun « abri d’urgence pour les réfu-giés », à Fort Ontario, des instal-lations militaires archaïquessituées à une soixantaine de kilo-mètres au nord-ouest de Syra-cuse, dans l’État de New York.982 personnes arrivèrent effecti-vement, dont 89% étaient juives.

L’antisémitisme étant large-ment répandu aux États-Unis, lesattitudes américaines à l’égard dece geste purement symboliquefurent mitigées. De 1938 à 1941,les sondages d’opinion indi-quaient qu’un tiers à la moitiédes Américains avaient le senti-ment que les Juifs disposaient de« trop de pouvoir aux États-Unis. » Après 1941, et tout au

long des années deguerre de l’Amérique, lepourcentage de per-sonnes en accord aveccette affirmation atteignitles 50%. Tandis que lesAméricains menaient laguerre qui allait vaincrel’Allemagne nazie etmettre fin à la Shoah, 15à 24% des personnesinterrogées déclarèrentque les Juifs représen-taient « une menace pourl’Amérique. »

L’Amérique et les Juifs

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1944•28 juin 1944: Alors que l’Armée rouges’approche du camp de concentration deMaly Trostinets, en Biélorussie, près deMinsk, les troupes SS régulières rempla-cent les gardes auxiliaires SS nonallemands. Tous les prisonniers survivants– Juifs et civils russes non juifs – sont par-qués dans un baraquement qui est incen-dié. Les prisonniers qui tentent de sortirdu bâtiment en flammes sont abattus.

Une vingtaine de Juifs du camp / ghettode Theresienstadt (Tchécoslovaquie) àMaly Trostinets s’évadent dans les bois ;voir 4 juillet 1944. • Fermeture du campde concentration de prisonniers deguerre soviétiques de Vaivara, en Estonie.

• 30 juin 1944 : Les fours crématoiresd’Auschwitz fonctionnent à pleine capa-cité avec l’arrivée de 2 044 Juifs de

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TheresienstadtLe 4 juin 1942, Pavel Friedmann, âgé de 21

ans, terminait un poème sur le dernier papillonqu’il avait vu. « Les papillons, concluait l’écri-vain juif, ne vivent pas ici, dans le ghetto. »

Quelques semaines auparavant, les Allemandsavaient déporté Friedmann à Terezin (There-sienstadt en allemand), la ville militaire fortifiéede Tchécoslovaquie où ils avaient commencé àparquer les Juifs tchèques dans des ghettos àl’automne 1941. Un an plus tard, 50 000 Juifs lut-taient pour survivre dans les conditions en dété-rioration constante de Theresienstadt.

Theresienstadt devint aussi un camp deconcentration et de transit pour les Juifs d’Alle-magne et d’Europe occidentale qui furent ulté-rieurement déportés à Auschwitz. Vers la mi-mai,les nazis embellirent temporairement Theresien-

stadt pourabuser lesdélégués de laCroix-Rougeen visite etréaliser unfilm de propa-gande repré-sentant le

ghetto comme un cadeau d’Hitler aux Juifs. Laréalité était fort différente. Sur plus de 140 000Juifs envoyés à Theresienstadt, plus de 33 000périrent et environ 88 000 furent déportés etassassinés. Seulement 20 000 environ survécurent.

Les Juifs de Theresienstadt comptaientparmi eux de nombreux artistes, écrivains,scientifiques, musiciens, intellectuels et profes-seurs de Tchécoslovaquie, Allemagne etAutriche. Durant leur séjour à Theresienstadt,des enfants et des jeunes gens écrivirent despoèmes sur leurs sentiments et produisirent desdessins représentant leurs expériences. PavelFriedmann mourut à Auschwitz, le 29 sep-tembre 1944, mais son poème intitulé « Je n’aiplus jamais vu un autre papillon » illustre lesexpressions artistiques de Theresienstadt.

Ces enfants, qui semblent avoir été bien traités, furentphotographiés dans un jardin à Theresienstadt. Les naziscréèrent ce ghetto et camp de concentration « modèle »en Tchécoslovaquie, en partie comme un stratagème depropagande destiné à donner l’impression que les campsnazis étaient des endroits plaisants. Ce fut le seul campdont les nazis autorisèrent la visite à des étrangers,notamment des représentants de la Croix-Rouge interna-tionale. Sur les 15 000 enfants qui furent internés dans cecamp, une centaine seulement survécurent à la guerre.

Cette photo extraite d’un film de propagande sur The-resienstadt, intitulé Le Führer donne une ville aux Juifs,montre des femmes et des enfants lisant dans leurs bara-quements, début 1944. Plusieurs organismes sociaux, enparticulier la Croix-Rouge, furent escortés durant leurvisite à Theresienstadt. Les nazis insistaient sur le fait queles Juifs vivaient bien, alors que la plupart des détenusallaient être abattus. Sur les 140 000 prisonniers quipassèrent par Theresienstadt, 90 000 furent conduitsdans des camps de la mort, en premier lieu, Auschwitz.

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Corfou et d’Athènes (Grèce). Vers la finde la journée, les paratonnerres instal-lés sur les cheminées des crématoiressont gauchis par la chaleur produitepar les fours.

•Juillet 1944 : Des partisans juifssoviétiques de Pologne et de Lituanieopèrent derrière les lignes du front àLublin (Pologne) et Kovno, Vilnius et

Siauliai (Lituanie), tandis que les troupessoviétiques approchent depuis l’est.• L’Armée rouge libère Lvov, en Ukraine.• Les SS achèvent l’évacuation du campde la mort de Majdanek. • Les SSévacuent le camp de concentration deKovno, en Lituanie. • Le lieutenant-colo-nel Murray C. Bernays, un Juif américain,est chargé par la section des affairesciviles de l’armée américaine de recueillir

des témoignages sur les crimes de guerreperpétrés contre les militaires américains.Bernays commence par définir le nazismeen tant que conspiration criminelle,concept qui sera déterminant pour le tri-bunal de Nuremberg de 1945-46. • LaSuisse, pays neutre, met fin aux normestrès restrictives de l’immigration juive envigueur de longue date et admet tous lesréfugiés juifs se présentant aux frontières.

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En juin 1944, les Juifs demeurantà Budapest, en Hongrie, furentcontraints d’emménager dans desmaisons marquées d’une étoilejuive. À compter du 8 novembre1944, environ 70 000 Juifs hon-grois furent contraints par les SS etles fascistes hongrois des Croix flé-chées de marcher depuis Budapestjusqu’à la frontière autrichienne.Des milliers de Juifs de Budapestpérirent durant ces marches de lamort.

Marc Bloch, éminent historien juiffrançais, est l’auteur de L’étrangedéfaite, une analyse des causes dela défaite de la France, en 1940. Ilfut également l’un des chefs de laRésistance à Lyon où il fut arrêté,torturé et fusillé, le 16 juin 1944,dix jours après le débarquementdes Alliés en Normandie.

Attestant la méticulosité des médecins nazis, ce document daté de fin juin1944 était attaché à la tête d’un enfant tsigane âgé de 12 ans. Signé parJosef Mengele et envoyé de l’infirmerie du camp tsigane d’Auschwitz, ildemandait que la tête fasse l’objet d’un examen plus approfondi.

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1944• 2-3 juillet 1944 : Trois mille Juifs deVilnius – des travailleurs d’usine etles derniers Juifs de la ville – sontexécutés par les SS près de Ponary.

• 3 juillet 1944 : L’Armée rouge s’em-pare de Minsk, en Biélorussie. • LeCabinet de guerre britanniqueaccepte d’examiner la requête dudirigeant sioniste Haïm Weizmann

concernant la constitution d’une Bri-gade juive combattant dans l’arméebritannique, sous un étendard bleu etblanc frappé de l’étoile de David.

•4 juillet 1944 : Les unités de l’Arméerouge atteignent le camp de concentrationde Maly Trostinets, en Biélorussie. Unevingtaine de Juifs évadés dans les bois sixmois plus tôt sont pris par les soldats de

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Sont représentés ici les dirigeantsdu FPO (Fareynikte Partisaner Organ-zatsye), Organisation unifiée de par-tisans. Le FPO tenta en vain depréparer le ghetto de Vilnius (Litua-nie) à la libération : les membres dugroupe furent contraints de battre enretraite dans les forêts voisines et d’yorganiser la résistance.

Alfred Rosenberg, principal théo-ricien nazi, ministre du Reich pourles Territoires occupés de l’Est, étaitun adepte convaincu des théoriessur la supériorité du sang aryen etallemand. Après avoir rédigé denombreuses brochures racistes –souvent achetées par les Allemands,mais rarement lues – Rosenberg diri-gea l’Institut nazi pour l’étude de laquestion juive, et prévoyait de prési-der un congrès antijuif international,en juillet 1944.

Les premiers enfants arrivèrent à Auschwitz en juin 1940, mais ce fut durantles six derniers mois de 1944 qu’arriva le plus grand nombre. Ici, des enfantspolonais regardent dehors par la clôture en barbelés d’Auschwitz. Les enfantspolonais et russes considérés comme dotés de caractéristiques physiques« aryennes » – cheveux blonds et yeux bleus – étaient arrachés à leurs parentset envoyés dans les bureaux de Réinstallation. Des milliers d’enfants polonais,garçons et filles, furent détenus à Auschwitz avant d’être transférés enAllemagne pendant la Heuaktion (Action des foins).

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l’Armée rouge ; voir 1946. • Un millier defemmes juives d’Auschwitz sont envoyées àHambourg, en Allemagne pour déblayer lesdécombres des édifices endommagés par lesbombardements alliés. • 250 détenus, pourla plupart des Juifs français du campd’Alderney dans les Îles anglo-normandesoccupées, sont tués par des coups de feutirés de bâtiments de guerre britanniquesalors qu’ils sont transportés sur le continent.

• 4-5 juillet 1944 : 2 565 Juifs de Pápa,en Hongrie, sont envoyés à Auschwitz,juste au moment où le gouvernementhongrois est prêt à s’opposer aux Alle-mands en cessant les déportations. 30seulement des 2 800 Juifs de Pápa sur-vivront à la guerre.

• 7 juillet 1944 : Le premier ministrebritannique Winston Churchill informele ministre des Affaires étrangères

Anthony Eden qu’il est favorable au bom-bardement d’Auschwitz par la Royal AirForce. Du 7 juillet 1944 au 19 janvier1945, les Alliés bombarderont des ciblesindustrielles situées près d’Auschwitz, aumoins à quatre reprises, y compris lebombardement accidentel d’Auschwitz.

• 8 juillet 1944 : Le gouvernementhongrois déclare à Berlin qu’il a l’in-tention de stopper les déportations de

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En dépit de sa vocation humani-taire dans le monde, le Comitéinternational de la Croix-Rouge(CICR), dont le siège se trouve enSuisse, n’investit que des effortssporadiques pour aider les Juifsd’Europe pendant la SecondeGuerre mondiale. Les responsablesde la Croix-Rouge craignaientqu’une condamnation publique desatrocités nazies ne se retournecontre eux et ne mette en péril letravail de l’organisation en faveurdes prisonniers de guerre et desinternés civils.

Le CICR était convaincu qu’ilne pouvait pas faire grand-chosepour véritablement sauver desJuifs. Incapable même de

connaître le sort de la plupart desdéportés, le CICR tenta de soula-ger les souffrances en envoyantquelques colis de vivres, de vête-ments et de médicaments aux déte-nus dont on connaissait le lieu dedétention. Les envois ne parvinrentpas à ceux qui en avaient le plusbesoin. Les nazis firent obstructionà la plupart des tentatives de laCroix-Rouge de visiter les campsde concentration et d’extermina-tion. Ce ne fut qu’après des pres-sions croissantes qu’en 1944, lesnazis autorisèrent à contrecœur laCroix-Rouge à inspecter le camp /ghetto de Theresienstadt, en Tché-coslovaquie. L’« inspection »,cependant, ne fut qu’une masca-

rade, les nazis ayant brièvementtransformé la prison en un confor-table ghetto « modèle ». Abusés, lesinspecteurs de la Croix-Rouge rédi-gèrent un rapport favorable sur lesconditions.

Le CICR protégea plus efficace-ment les Juifs grâce au travail deson représentant à Budapest, Frie-drich Born, qui participa auxefforts internationaux investis pourmettre fin aux déportations depuisla Hongrie, en 1944. Plus de 50 ansaprès la Shoah, les responsables dela Croix-Rouge internationalereconnaissaient qu’on aurait pu etdû agir davantage et que les piètresefforts de l’organisation tradui-saient un « échec moral ».

La Croix-Rouge

Les potences de Vught, aux Pays-Bas, dominent le paysage, symboledu tournant radical intervenu en1943 dans ce camp de transit et detravail lorsque le SS-Sturmbannfüh-rer Adam Grünewald en prit le com-mandement. Des partisans belges etnéerlandais furent pendus à cespotences. Le nombre de prisonniersde Vught ne cessa de diminuer àpartir de la mi-1943, lorsque lesnazis voulurent exterminer tous lesJuifs qui y étaient internés. Débutmai 1943, le camp comprenait8 684 prisonniers juifs ; il en restaitmoins de 500 au début de l’été1944. La plupart des Juifs de Vughtfurent envoyés à la mort à Ausch-witz et Sobibor, via Westerbork.

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1944Juifs dans ses frontières. Quelque300 000 Juifs (dont plus de 170 000 àBudapest et dans les environs) sontsauvés, mais plus de 430 000 ont déjàété assassinés. • Marianne Cohn, unemilitante juive qui aidait les Juifs àpasser de France en Suisse, estexécutée par les Allemands à Ville-La-Grand.

• 8-13 juillet 1944 : Les troupes del’Armée rouge et des partisans juifstuent environ 8 000 soldats allemandsà Vilnius.

• 9 juillet 1944 : Le diplomate suédoisRaoul Wallenberg arrive à Budapest avecune liste de plus de 600 Juifs hongroismunis de visas suédois en règle. Avecl’aide d’autres diplomates en Hongrie,

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Le complot contre HitlerLe 20 juillet 1944, près d’Adolf Hitler, le colonel Claus von Stauf-

fenberg faisait exploser une bombe qui n’endommagea que les tym-pans du Führer, le blessa au bras droit et le brûla sans le tuer.L’échec de cette tentative d’éliminer Hitler déclencha une réactionimmédiate et sanglante.

Les conspirateurs comptaient dans leurs rangs d’importants per-sonnages de l’establishment militaire allemand. Ils cherchaient àmettre fin à « la direction incompétente et sans scrupules » d’Hitler.Stauffenberg ayant directement accès à Hitler, il sembla tout désignépour assassiner le dirigeant allemand.

Après l’explosion de la bombe, les conspirateurs crurent avoirréussi à tuer Hitler. Ils allèrent prendre le contrôle du ministère de laGuerre à Berlin et donner l’ordre d’arrêter les dirigeants nazis et lesmembres de la SS. La survie miraculeuse d’Hitler, cependant, contre-carra les projets de renverser le régime nazi.

La vengeance d’Hitler fut rapide et violente. Les participants aucomplot furent arrêtés et pendus avec du fil de fer, mourant dans deterribles souffrances. Les exécutions furent filmées pour Hitler qui,dit-on, se réjouit de regarder les hommes se tordre de douleur. Plusde 7 000 autres personnes furent capturées par la Gestapo, dont 200furent exécutées.

Officier allemand, Claus von Stauf-fenberg déposa la bombe destinée àtuer Hitler. Stauffenberg, héros deguerre issu d’une prestigieuse famillearistocratique, avait été gravementblessé. Mais, comme la plupart desAllemands conservateurs impliquésdans le complot du 20 juillet, il esti-mait qu’Hitler était « allé trop loin. » Ilfut exécuté par un peloton d’exécutionaprès l’échec du complot.

Illustrant la cruauté de la vie, mêmeau camp de travail de Vught auxPays-Bas, cette table de dissectionétait utilisée lors de l’autopsie de pri-sonniers. Pour certains détenus,notamment ceux qui travaillaient pourla société Philips (fabricant de compo-sants électriques), le camp offrait unemeilleure chance de survie, dans lamesure où Philips cherchait à protégerses travailleurs et leur fournissait unenourriture adéquate. Entre autresmaladies, la pneumonie et la scarla-tine se répandaient rapidement dansle camp, au fur et à mesure que lesconditions empiraient.

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d’un soutien financier extérieur et grâce àson propre courage et sa propre imagina-tion, Wallenberg sauva des dizaines demilliers de Juifs hongrois.

• 10 juillet 1944 : Trente Juifs sontabattus après avoir été découvertsdans la partie aryenne de Varsovie.

•12 juillet 1944 : Sur les 8 000 Juifs

demeurant dans le ghetto de Kovno, enLituanie, plusieurs sont massacrés et leghetto est incendié. Non loin, un menuisierlituanien nommé Jan Pauvlavicius donnerefuge à, au moins, huit Juifs de Kovnodans une cachette qu’il a construite dans sacave.

•14 juillet 1944 : Des Juifs hongrois déte-nus au camp de travail de Reval, en Esto-nie, sont abattus dans une forêt voisine.

• Les Allemands assassinent plusieurscentaines de prisonniers de guerre et departisans juifs dans le Vercors (Alpes fran-çaises) • 42 Juifs travaillant dans lesateliers de la prison de Pawiak à Varsoviesont exécutés par les Allemands qui s’at-tendent à une attaque de l’Armée rouge.

• 15 juillet 1944 : Les Allemandsdéportent 7 000 Juifs du ghetto deSiauliai (Lituanie) dans le camp de

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Le bras droit trem-blant après l’explosion,Hitler inspecte lesconséquences de l’at-tentat du 20 juillet. À ladroite d’Hitler, se tientson allié, Benito Musso-lini, le dictateur italiendestitué qui évita la pri-son grâce à une opéra-tion de sauvetageordonnée par Hitler.Entre eux, se trouvePaul Schmidt,diplomate et interprètepersonnel d’Hitler.Schmidt écrivit par lasuite un essai décrivantla personnalité d’Hitler.

Carl FriedrichGoerdeler, ancienmaire de Leipzig,en Allemagne, etancien dignitairenazi, fut impliquédans la tentatived’assassinat d’Hit-ler. Goerdeler,élément unifica-teur parmi lesconspirateurs dejuillet, avait l’in-tention de devenirchancelier alle-mand, en rempla-cement d’Hitler, sile complot avaitréussi. Il fut arrêté, jugé devant le tribunal du peuple etexécuté en février 1945.

Ludwig Beck étaitle chef d’état-major del’armée allemande.Accueillant à l’originefavorablement la prisedu pouvoir en Alle-magne par Hitler,Beck craignit uneguerre prolongée etdémissionna de sesfonctions en 1938.Par la suite, il parti-cipa au « club du mer-credi » qui regroupaitdes intellectuels, deséconomistes et deshommes politiquesopposés à Hitler. Étant

l’un des principaux conjurés du 20 juillet, Beck était considérécomme un candidat potentiel pour remplacer Hitler à la têtede l’État allemand. Avant d’être arrêté, il manqua une tenta-tive de suicide. Un soldat du bataillon de la garde l’acheva.

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1944concentration de Stutthof, enAllemagne. Une centaine de Juifssont laissés en arrière et tués là où ilsse trouvent ; voir 27 juillet 1944.

• 19 juillet 1944 : Mille deux cents Juifshongrois de Kistarcsa sont emmenésdans des camions à Rákoscsaba, enHongrie, puis en train pour Auschwitz.• Angelo Roncalli, le futur pape Jean

XXIII, lance un appel à l’amiral Miklós Horthy en faveur de 5 000 Juifs hongrois disposant de visas pales-tiniens. Roncalli fournit des certificatsde baptême à des Juifs cachés.

• 20 juillet 1944 : Des membres duhaut commandement allemand et desconservateurs organisent un attentatà la bombe contre Hitler dans le

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Roland Freisler (au centre) présida le Volksgericht (tribunal du peuple) de1942 à 1945. Ici, il ouvre le procès des conspirateurs du 20 juillet. Nazi delongue date, Freisler était fanatiquement antibolchevique, après avoir étéfait prisonnier par les Russes pendant la Première Guerre mondiale et détenupendant cinq ans en Sibérie. Il se rendit célèbre pour les réprimandes qu’iladressait aux inculpés lors des procès. Freisler fut tué par une bombe desAlliés le 3 février 1945, alors qu’il présidait le procès d’un conspirateur ducomplot du 20 juillet.

Le général de corps d’armée Frie-drich Olbricht était l’un des chefs duhaut commandement de l’armée.Profondément religieux et aimantl’Allemagne, Olbricht prit l’initiativedu complot contre Hitler de juillet1944 et l’organisa. Le 15 juillet,date originelle choisie pour attenterà la vie du Führer, Olbricht se com-promit en ordonnant prématurémentaux troupes de marcher sur Berlin. Ilfut blâmé pour cette action et arrêtélorsque le complot échoua le 20juillet. Olbricht fut fusillé par un pelo-ton d’exécution quelques heuresplus tard, en même temps que Clausvon Stauffenberg, autre conjuré.

Otto Mueller comptait parmi lesthéologiens catholiques romains lesplus influents d’Allemagne. Il créa laMaison Ketteler qui devint le cœurdes activités catholiques antinazies dela ville de Cologne. Cet acte le mit enconflit avec des courants de l’Églisecatholique qui haïssaient etredoutaient les forces sociales préten-dument incarnées par les Juifs : libéra-lisme, socialisme et – la pire de toutes– le communisme. La relation entrel’Église catholique allemande et legouvernement d’Hitler commença, en1933, dans l’ambivalence (plutôt quedans l’hostilité) et se poursuivit de lamême façon. Mueller n’en continuapas moins ses efforts et devint bienconnu des autorités nazies. Il fut arrêtéaprès le coup manqué contre Hitler, le20 juillet 1944 et mourut en prison.

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« repaire du loup » à Rastenburg, enAllemagne. Protégé de la bombe parune table en bois massif, Hitler estsecoué, provisoirement assourdi,mais pas grièvement blessé. Lamajeure partie des conspirateurs etleurs partisans sont des conservateursqui estiment qu’Hitler mènel’Allemagne à sa perte en continuantla guerre en dépit d’obstacles insur-

montables. • Les troupes allemandescommencent les déportations desJuifs des îles italiennes (par la suitegrecques) de Rhodes et Kos.

• 21 juillet 1944 : Les troupes sovié-tiques se dirigent à vive allure versBrest-Litovsk, en Biélorussie, etLublin, en Pologne.

• 22 juillet 1944 : Les survivants d’uneexécution en masse de travailleurs juifs,le 13 juillet, à Bialystok (Pologne),gagnent les lignes de l’Armée rougeaprès avoir rampé pendant neuf nuits.• Les troupes allemandes se retirent dela forêt de Parczew (Pologne) où eurentlieu d’innombrables recherches defugitifs juifs et de partisans. • L’Arméerouge occupe Chelm (Pologne), à l’estde Lublin.

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« Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du crime le plus colossal et le plushorrible jamais commis dans toute l’histoire du monde. »

—Le premier ministre britannique Winston Churchill, à propos des atrocités dans les camps d’extermination, été 1944

Les nazis utilisèrent souvent desincinérateurs, comme ceux-ci à Maj-danek, pour brûler les corps deleurs victimes. À la fin, cependant,le nombre de victimes s’avéra tropimportant, même avec cetteméthode relativement « efficace »pour faire disparaître les corps. LesAlliés trouvèrent plusieurs centainesde milliers de cadavres dans lescamps qu’ils libérèrent.

À Theresienstadt, le ghetto et camp de concentration« modèle » des Allemands en Tchécoslovaquie, plusieursexpériences furent tentées pour créer une illusion de nor-malité. Cette photo du plateau d’un film de propagandeallemand, montre l’orchestre des « Swingers du ghetto ».Les « Swingers » n’étaient certainement pas aussi libresque le suggère cette photo, mais Theresienstadt hébergeaitun cercle musical animé qui produisit certaines œuvresremarquables comme l’opéra de Victor Ullman sur un livretde Peter Kien, Der Kaiser von Atlantis, (L’empereur de l’At-lantide) ; la sonate pour piano d’Ullman n° 6, opus 49 ; etl’opéra pour enfants de Hans Karasa, Bundibar.

Le camp de la mort de Majdaneken Pologne orientale fut le premiercamp libéré par les Alliés, le 23 juillet1944. Cette photo, prise à Majda-nek, montre des corps exhumés parles Allemands qui espéraient les brû-ler avant l’arrivée des Russes. Sou-vent, comme ce fut le cas ici, lesoffensives soviétiques se déroulaientsi rapidement que l’Armée rougeapparaissait avant que les Allemandsaient pu achever leur sinistre tâche.

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1944• 23 juillet 1944 : Les troupes sovié-tiques libèrent le camp de Majdanekabandonné où environ 500 détenussont encore en vie. • Les nazis dépor-tent à Auschwitz 1 700 Juifs deRhodes (sous domination italienne).

• 24 juillet 1944 : 258 orphelins juifs deParis et de la banlieue sont appréhen-dés. • À Bourges (dans le Cher), des

agents de la Gestapo et des miliciensmassacrent 36 Juifs (28 hommes et 8femmes) actifs dans la Résistance. Cer-taines victimes sont jetées vivantes dansun puits. • L’armée allemande adoptele salut nazi, abandonnant le salut mili-taire ordinaire.

•25 juillet 1944 : Trois navires-citernestransportant plus 1 600 Juifs de l’île de

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Ces corps partiellement brûlés racontent la macabrehistoire de Maly Trostinets, un village situé près de Minsk,en Biélorussie, où les derniers déportés du ghetto deMinsk trouvèrent la mort. À l’approche des forces sovié-tiques, les Allemands exécutèrent à la hâte des prison-niers qui avaient été utilisés pour détruire les traces demilliers d’autres morts. Les prisonniers, aussi bien des Juifsque des civils russes non juifs, furent parqués dans unbaraquement et les Allemands y mirent le feu. En dépitdes efforts nazis, quelques Juifs survécurent pour raconterles massacres en masse perpétrés à Maly Trostinets etdans le village voisin de Bolshoi Trostinets.

Ce monceau d’ossements fournissent une macabrepreuve du nombre de morts à Majdanek. Pendant plu-sieurs années, à la fois camp de concentration etcamp de la mort, Majdanek reçut environ 500 000détenus dont 360 000, pour la plupart juifs, périrentgazés, pendus, ou par suite de la faim, des maladieset de l’excès de travail. Lorsque l’Armée rouge libérale camp, les soldats ne trouvèrent qu’environ 500détenus encore en vie.

Des soldats russes et des civilspolonais, y compris une religieuse,sont accablés par la douleur et l’hor-reur devant les ruines du camp de lamort de Majdanek. Les administra-teurs du camp, craignant d’être cap-turés et redoutant que la finalité ducamp ne soit révélée, s’enfuirent hâti-vement en juillet 1944 avant l’arrivéede l’armée russe, emmenant aveceux un millier de prisonniers. Ilsmirent le feu au camp, espérantdétruire les traces de leurs crimes,mais ne parvinrent pas à effacer leschambres à gaz, témoignage majeurdes objectifs du camp.

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Rhodes (sous domination italienne)s’arrêtent à l’île de Kos où 94 autres Juifssont contraints d’embarquer ; voir 30 juillet1944. • Trente et une fausses cartes postalesde déportés arrivent au ghetto de Lodz(Pologne). Les auteurs affirment avoir étéréinstallés avec bonheur, alors qu’en réalité,ils ont été gazés à Chelmno. • Hitler nommeJoseph Goebbels ministre du Reich pour laguerre totale. • Lord Walter Moyne, princi-

pal responsable britannique au Moyen-Orient, finit par approuver l’entraînementmilitaire par les Britanniques de Juifs pales-tiniens qui seront envoyés dans des missionssuicides dans l’Europe occupée. Il écrit :« Ce projet ferait partir de Palestine un cer-tain nombre de Juifs actifs et ingénieux…Les chances que nombre d’entre euxreviennent à l’avenir causer des troubles enPalestine semblent faibles. »

• 27 juillet 1944 : Libération de Siauliai,en Lituanie, par l’Armée rouge, 12 joursaprès la déportation de 7 000 Juifs del’endroit et le meurtre de 100 autres surplace. • Libération de Dvinsk (Lettonie)par l’Union soviétique. • La Wehrmachtquitte Lvov, en Ukraine. Seuls, quelquesJuifs de la ville, dont plusieurs se sontcachés dans les égouts, ont survécu àl’occupation allemande.

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Bien que de nombreuses personnes en Allemagneet en Europe occupée fussent au courant de ce quiarrivait aux Juifs, les nazis s’efforcèrent de cacher leurcrimes. Les étrangers, par exemple, étaient dissuadésde s’approcher des camps et il était quasiment impos-sible d’en visiter un. Ce panneau à Majdanek, rédigéen allemand et en polonais, dit : « Attention !Périmètre du camp. Stop ! Interdiction de photogra-phier ! Tirs sans sommation ! »

Le 9 novembre 1942, 4 000 Juifsde Lublin, en Pologne, furent les pre-miers à périr dans les chambres à gazde Majdanek. À l’instar d’Auschwitz,l’usine de la mort de Majdanek utili-sait le pesticide Zyklon B pour assassi-ner les victimes. Ici, en 1944, deuxemployés du camp portent des boîtesde cristaux qui, à la température de lapièce, se transformeront en gaz mor-tel. Ces deux Allemands furent par lasuite exécutés pour les crimes qu’ilsavaient commis au camp.

Neuengammemai 1945

Ravensbrückavril 1945

Flossenbürgavril 1945

Dachauavril 1945

Buchenwaldavril 1945

Mauthausenmai 1945

PAYS-BAS

SUISSE

mer duNord

mer Baltique

Neman

Bug

Vist

ule

OderElbe

Weser

Danube

GRANDE ALLEMAGNE

Sachsenhausenavril 1945

N REICHS-KOMMISSARIAT

OSTLAND

GENERAL-GOUVERNEMENTPROTECTORAT

DE BOHÊME & MORAVIE

�Bergen-Belsenavril 1945

Dora-Mittelbauavril 1945

�Stutthofmai 1945

Auschwitzjanvier 1945

Majdanekjuillet 1944

Rhin

Ruhr

Libéré par les États-UnisLibéré par la Grande-Bretagneet le CanadaLibéré par l’Union soviétique

Westerborkavril 1945

Landsbergavril 1945

Gusen mai 1945

Ginskirchenmai 1945

EbenseeMay 1945

Gross-Rosenfévrier 1945

Ghetto deTheresienstadtOhrdruf avril 1945

0 150 miles

0 150 kilomètres

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Ebenseemai 1945

LIBÉRATION DES PRINCIPAUX CAMPS DECONCENTRATION, 1944–1945

Les troupes alliées avançant en Allemagne arrivèrent dans les camps deconcentration nazis et libérèrent les prisonniers. Les Soviétiques découvrirentd’abord les atrocités de Majdanek, près de Lublin (Pologne), le 23 juillet1944, tandis que les troupes américaines virent pour la première fois lesatrocités de la Shoah à Ohrdruf, en Allemagne, le 4 avril 1945.

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1944• 28 juillet 1944 : L’Armée rouge s’em-pare de Brest-Litovsk, en Biélorussie.

• 29 juillet 1944 : 3 520 Juifs de Varso-vie sont astreints à une marche de lamort vers l’ouest. Plus de 200 périssent.

• 30 juillet 1944 : Trois bateaux-citernes transportant quelque 1 750Juifs des îles de Kos et de Rhodes,

sous contrôle italien, arrivent auPirée, en Grèce, où les passagers sontentassés dans des camions et conduitsau camp de détention de Haidar, prèsd’Athènes. • Plus de 100 Juifs de Tou-louse sont déportés à Auschwitz.

• 31 juillet 1944 : Parmi les 1 300Juifs déportés de Drancy (nord-est deParis) à Auschwitz, se trouvent 258

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Les nazis ne cherchaient pas seulement à exterminer tout Juif en Europe,mais également à supprimer les preuves que les Juifs aient un jour existé.Cette photographie montre deux soldats de l’Armée rouge inspectant un rou-leau de la Torah en partie brûlé, vestige de la culture que le Troisième Reichcherchait à détruire. Le rouleau fut retrouvé lorsque les troupes soviétiqueslibérèrent le camp de la mort de Majdanek.

Quelques semaines après ledébarquement, le secrétaire d’État àla guerre L. Stimson, montrefièrement la progression alliée enterritoire sous occupation nazie.Après avoir visité plusieurs fronts,Stimson informa le peuple américain,dans un discours radiodiffusé, que lavictoire était en vue, malgré lesripostes acharnées de l’ennemi. Bienplus acharnées d’ailleurs que Stimsonne l’imaginait : quoique le jour J aiteffectivement marqué le début de lamarche des Alliés vers la victoire, lestroupes allemandes résistèrent pen-dant encore 11 mois extrêmementéprouvants. Encouragés par Hitler,les Waffen-SS et la Wehrmacht endéroute détruisirent souvent ce qu’ilsne pouvaient défendre, privant lesAlliés de logements, d’essence etd’autres matériels.

Cette jeune femme, l’une des quelque 20 000 Tsiganes enregistrées à Ausch-witz-Birkenau, est photographiée sous divers angles comme pour une photogra-phie d’identité judiciaire. Le traitement réservé à la jeune femme par les nazis futdéterminé en partie par la « pureté » ou le « mélange » de son sang. Paradoxale-ment, ceux qui étaient considérés comme Mischlinge (sangs mêlés) souffrirentdavantage que les « purs » Tsiganes curieusement considérés comme Aryens.Ceux qui se trouvaient dans le camp pour familles, peut-être cette jeune femmeelle-même, furent envoyés à la mort durant l’été 1944.

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enfants juifs raflés dans Paris et labanlieue le 24 juillet. À leur arrivéeau camp, 500 enfants et 300 adultessont gazés. C’est le dernier convoi deJuifs du camp de Drancy à Auschwitz.Au total, au départ de Drancy, 73 853Juifs auront été conduits à la mort àAuschwitz et Sobibor.

• Fin juillet 1944 : Le Juif françaisMaurice Löwenberg, fondateur dugroupe de résistance Mouvement delibération national, est torturé à mortpar la Gestapo. • Le général SSRichard Baer devient le nouveaucommandant d’Auschwitz. • 46 000détenus juifs sont gazés et incinérés àAuschwitz.

• Août 1944 : Des Juifs nonpratiquants libérés à Berlin en 1943sont à nouveau arrêtés et déportés àAuschwitz. • Auschwitz III (usine decaoutchouc synthétique) est bombardépar les appareils alliés basés en Italie.• Soulèvements juifs à Castres etMazamet, dans le Tarn. • À cette date,il ne reste que 4 000 Tsiganes en viedans la Grande Allemagne.

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La politique britanniqueen Palestine

Pendant la Seconde Guerre mondiale, lapolitique britannique en Palestine se fondaitsur le Livre blanc de mai 1939. Ce documentofficiel émanant du gouvernement revenait surle soutien accordé de longue date par laGrande-Bretagne à un État juif et fixait desrègles draconiennes pour les transferts deterres en Palestine. La clause du Livre blancqui affecta le plus les Juifs européens était cellequi limitait l’immigration juive.

Redoutant une escalade de la violence en Pales-tine, le gouvernement restreignit l’immigration juiveà 75 000 personnes sur une période de cinq ans.Après ces cinqannées, la pour-suite de l’immi-gration seraitsoumise à l’ap-probation desArabes. Ne sous-crivant qu’enparoles à l’idéede fournir auxJuifs d’Europeun refuge, laGrande-Bre-tagne ne menajamais une poli-tique délibéréequi aurait permisla création d’un tel havre au Moyen-Orient.

Pendant les deux premières années de laguerre, la Grande-Bretagne interdit aux réfugiésjuifs l’accès aux routes d’évasion. Des bateauxchargés de personnes qui fuyaient la persécutionnazie se virent refuser l’entrée en Palestine etretournèrent dans les pays dangereux d’où ilsvenaient. Le ministre britannique des Affairesétrangères, Anthony Eden, était particulièrementrésolu dans son refus de faire de la Palestine unrefuge pour les Juifs. Indirectement du moins, lesBritanniques contribuèrent à la mort de plusieursdizaines de milliers de Juifs.

Ce dessin d’un survivant de la Shoah, Gyorgy Kadar,exprime les conditions extrêmes de la vie dans les camps deconcentration, notamment le contraste entre les prisonniersdécharnés et démoralisés, et le garde du camp bien nourriet arrogant. Si certains gardes ne maltraitaient pas ouverte-ment les détenus, d’autres utilisaient leur position de pouvoirpour infliger des châtiments et des humiliations sadiques auxhommes et aux femmes sous leur contrôle. Un comportementde ce type, bien qu’alimenté par l’antisémitisme et attisé pardes années de guerre, provenait aussi de certaines sombresfailles de la conscience humaine où s’étaient enracinés laforce brute, la soif de domination et le mépris complet pourla dignité et la vie d’un « ennemi » désarmé.

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1944• 1er août 1944 : L’Armée rouge libèreKovno, en Lituanie. Pendant la libéra-tion, des habitants non juifs assassinentJan Pauvlavicius, un charpentier de laville qui avait donné abri à des Juifstrois semaines plus tôt. • À Pise, en Italie, le philanthrope catholique Giu-seppe Pardo Roques, quatre non Juifset sept Juifs qu’il avait hébergés sontassassinés par les nazis.

• 1er août-4 octobre 1944 : La Résistancepolonaise et un millier de Juifs se révol-tent contre les Allemands à Varsovie. LeNew York Times publie, presque chaquejour, de longs récits de ce soulèvement,certains à la une. Les Alliés font degrands efforts pour aider les Polonais,tout en étant conscients que le parachu-tage de matériel de guerre à Varsovieaboutirait à de lourdes pertes aériennes

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Voici la mai-son, située au263 Prinsen-gracht danslaquelle AnneFrank et safamille secachèrent pen-dant environdeux ans. Maisfinalement, uninformateurdéclara auxautoritéslocales quedes Juifs secachaient dansla maison. Le 4août 1944, lesSS et la police de la Sûreté arrêtèrent les huit personnescachées dans « l’annexe secrète » de la maison. Ilsarrêtèrent également deux des personnes qui lesavaient aidés, Victor Kugler et Johannes Kleiman. Annefut transférée à Auschwitz le 3 septembre et fut par lasuite envoyée au camp de Bergen-Belsen, enAllemagne. Elle y mourut au début du printemps 1945,quelques semaines à peine avant la libération du camppar les Britanniques.

L’escaliermenant à« l’annexesecrète »d’Anne Frankétait dissimuléderrière unebibliothèque.Cacher desJuifs était uneentrepriseextrêmementdifficile etpérilleuse ; il

fallait souvent prendre des mesures compliquées pourassurer le succès de la dissimulation.

Anne Frank et les Juifsdes Pays-Bas

Sur les 140 000 Juifs vivant aux Pays-Baslorsque cette nation fut envahie par les nazis,en mai 1940, 75% périrent par la suite. 5 200Juifs seulement sur plus de 100 000 qui furentdéportés vers l’Est survécurent à la guerre.

La population juive des Pays-Bas comprenaitégalement plus de 14 000 Juifs d’Allemagnequi, tentant d’échapper aux nazis, avaient fran-chi la frontière. Parmi eux, Anne Frank, âgéede 11 ans, et sa famille s’ins-tallèrent à Amsterdam. LesFrank, qui avaient quitté l’Al-lemagne en 1933, se retrouvè-rent subitement pris au piègepar la conquête des Pays-Baspar les nazis. Lorsque lesrafles et les déportations com-mencèrent, en 1942, lesFrank, se cachèrent. Pendantdeux ans, Anne et sa sœur, samère et son père vécurentsecrètement dans un minuscule espace man-sardé qu’ils partageaient avec quatre autrespersonnes. Ils dépendaient d’amis non juifs quirisquaient leur propre sécurité pour les appro-visionner.

Dans un journal qu’elle reçut pour son 13ème

anniversaire, Anne nota les émotions, lesappréhensions et les difficultés quotidiennes del’existence pénible du groupe. En août 1944,cependant, un informateur anonyme révélaleur cachette à la police. Les SS arrêtèrent leshuit Juifs et les transférèrent au camp de tran-sit de Westerbork ; de là, les prisonniers furentemmenés à Auschwitz. Edith, la mère d’Anne, ypérit en janvier 1945. Après avoir contracté letyphus, Anne et sa sœur Margot moururent àBergen-Belsen, en mars 1945. Leur père, Otto,survécut et, par la suite, publia le remarquableet désormais célèbre journal d’Anne.

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et à la saisie par les Allemands de lamajeure partie du matériel parachuté.Une centaine de bombardiers sont retirésd’autres opérations militaires pendantdeux mois, ce qui interrompt la campagnestratégique des Alliés consistant à bombar-der l’Allemagne.

• 2 août 1944 : 2 897 Tsiganes sontassassinés à Auschwitz.

• 2-30 août 1944 : Au moins 60 000Juifs du ghetto de Lodz (Pologne) sontdéportés à Auschwitz.

• 4 août 1944 : Des Juifs de Varsovie sontévacués par un train de la mort au campde concentration de Dachau, enAllemagne ; voir 9 août 1944. • À Amster-dam, agissant sur un renseignement fournipar un informateur de quartier, un briga-

dier SS – un Autrichien nommé Karl Sil-berbauer – et cinq membres de la Policede la sûreté néerlandaise font irruptiondans l’annexe secrète où se cachent lajeune auteur Anne Frank et sa famille au263 Prinsengracht. Tous sont arrêtés ;voir 3-5 septembre 1944.

• 5 août 1944 : Les forces polonaiseslibèrent le camp de Gesiowka, dans

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« Nous, Juifs, n’avons pas le droitde faire valoir notre sentiment; il ne nous reste qu’à être forts etcourageux, à accepter tous lesinconvénients sans rouspéter, ànous en tenir à ce qui est ennotre pouvoir, en faisantconfiance à Dieu. Un jour, cetteterrible guerre prendra fin, unjour, nous serons des genscomme les autres, et non passeulement des Juifs. »

—Anne Frank, 11 avril 1944

Anne Frank était, à bien des égards, une jeune fille typique qui tentait de se raccrocher à quelque chose qui res-semblerait à une vie normale. Sur ce mur de sa chambre, elle avait apposé des photos de vedettes de cinéma, ainsique des cartes postales décrivant un monde extérieur qu’il lui était interdit de fréquenter.

Est représenté ici le jour-nal, probablement le pluscélèbre de l’histoire,celui d’Anne Frank.L’adolescente tint cejournal du 12 juin1942 au 1er août1944. Publié pourla première fois en1947, ce journaldécrit non seule-ment les expé-riencesexceptionnelles vécues parla famille durant ces années de dissi-mulation, mais également la vie intérieure d’une jeunefille véritablement remarquable. Le 15 juillet 1944, elleécrivit : « Malgré tout, je continue à croire à la bontéinnée de l’homme. »

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1944leur pays, et libèrent 324 Juifs et 24Juives.

• 6 août 1944 : Devant la progressionde l’Armée rouge vers l’Ouest, les SScommencent à transférer les détenusdes camps de concentration dePologne orientale dans le camp deStutthof, en Allemagne.

• 6-8 août 1944 : Quarante-quatreJuifs détenus dans le camp de Kaiser-wald, près de Riga (Lettonie), sontchargés sur des bateaux pour unvoyage de deux jours le long de la côtebalte à Stutthof, en Allemagne.

•9 août 1944 : Un train de la mort de Var-sovie en route pour Dachau (Allemagne)depuis le 4 août arrive au camp ; 2 000 des3 600 passagers ont péri en route.

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Une longue file de Juifs s’étenddu ghetto de Lodz (Pologne) vers lagare pour la déportation à Ausch-witz. Le 7 août 1944, HansBiebow, l’administrateur du ghetto,annonça aux Juifs rassemblés le« transfert du ghetto » pour le travaildans des usines de munitions etautres industries de guerre. Pourentretenir la duperie et calmer lescraintes, Biebow demanda mêmeaux déportés d’emporter des usten-siles, des casseroles, etc., afin qu’ilspuissent reprendre la vie de famille,une fois arrivés à destination.

Joop Westerweel (photo), un Néer-landais non juif, et Joachim Simon,juif, supervisèrent une opération clan-destine à partir des Pays-Bas. Ils sau-vèrent des Juifs néerlandais en leurfaisant traverser la frontière françaisepour les acheminer en Espagne, paysneutre. De là, nombre de ces réfugiéstraversèrent l’Atlantique pour trouverabri dans les Amériques. Les nazisfinirent par capturer Westerweel etl’exécutèrent le 11 août 1944, met-tant fin à cette opération réussie.

En France, la joie de la Libération fut suivie par un déferlement de colèrecontre les nazis et leurs collaborateurs. À Laval, en Bretagne, cette femme,accusée d’avoir aidé les Allemands, est contrainte par des résistants et lapopulation locale de marcher à travers la ville en arborant une grande croixgammée sur ses vêtements.

Page 47: Chronique de la Shoah · Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardement par les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, près de Monowitz-Buna, la partie du complexe

• 15 août-25 août 1944 : Soulèvementgénéral à Paris qui est libéré par lesAlliés le 25 août.

• 16 août 1944 : Arrivée à Auschwitzd’un train de déportation transportantdes Juifs des îles de Rhodes et de Kos,sous domination italienne.

• 17 août 1944 : Départ pour Buchen-

wald du dernier convoi de Drancyavec 51 Juifs.

• 20 août 1944 : L’armée de l’Air desÉtats-Unis bombarde Auschwitz III(usine d’essence et de caoutchouc), àmoins de 5 kilomètres d’Auschwitz I(camp principal) et à 8 kilomètres deBirkenau, le camp de la mort d’Ausch-witz. 127 bombardiers escortés par

100 avions de chasse (qui n’affrontentque 19 appareils allemands) larguentplus de 1 300 bombes de plus de 200kilos. Un seul bombardier est abattu.

• 22 août 1944 : La Gestapo lance unecampagne de terreur, l’opérationOrage, contre les fonctionnaires alle-mands antinazis. Cinq mille personnessont arrêtées. • 261 bombardiers des

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Le comité juifantifasciste

Créé à Moscou en avril 1942, l’Evreiski Anti-fashistski Komitet (comité juif antifasciste) futapprouvé par le dirigeant soviétique JosephStaline parce qu’il tentait de gagner le soutiendes Juifs du monde à l’Union soviétique pen-dant la guerre. Le comité diffusa de la propa-gande antifasciste et répondit également auxbesoins proprement juifs.

Son magazine en yiddish, Eynikeyt (Unité),rapportait les atrocités perpétrées par les nazispendant la Shoah et donnait des informationssur la vie juive en Union soviétique pendant etaprès la Shoah. D’éminents dirigeants de cecomité furent des personnalités du monde lit-téraire et intellectuel yiddish, comme BernardMark, historien juif ; Ilya Grigoryevich Ehren-bourg, auteur du Livre noir du judaïsme sovié-tique, qui détaillait les atrocités nazies contreles Juifs soviétiques ; Shlomo Mikhoels, direc-teur du théâtre national juif de Moscou ; etl’éminent écrivain Peretz Markish (photo).

Le comité fut détruit en 1948 lors despurges et des assassinats des intellectuels juifspar Staline. Nombre d’entre eux étaient encoreà la tête du comité, notamment Mikhoels etFefer.

Achevant leur long périple vers la liberté, les Juifs du« train Kasztner » arrivent en Suisse. Portant le nom deRezso Kasztner, l’un des dirigeants du comité de sauve-tage et de secours de Budapest, le voyage avait été orga-nisé par le comité après de longues négociations avec lesnazis dans le cadre de la transaction appelée « des Juifscontre des camions ». Bien que l’accord portant surl’échange de camions et d’autres marchandises contre lavie des Juifs de Hongrie n’ait pas abouti, le comité réussità mettre en sûreté ce groupe de 1 684 Juifs.

Des tanks allemands circulent dans les rues de BanskáBystrica, en Slovaquie, tandis que des soldats allemands ethongrois pronazis sont alignés le long du trottoir. Interrom-pue en octobre 1942, la déportation des Juifs reprit aprèsl’échec du soulèvement contre la garde Hlinka et les nazis,à l’automne 1944. Si certains Juifs parvinrent à se cacher,d’autres furent découverts et massacrés. Plus de 13 000furent envoyés à Auschwitz et dans d’autres camps.

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1944États-Unis lançant un raid aérien contredes raffineries de pétrole allemandespassent à 60 kilomètres d’Auschwitz.

• 23 août 1944 : Renversement durégime du dictateur roumain Ion Anto-nescu. La Roumanie rejoint les Alliés.

• 24 août 1944 : Trois mille travailleursréduits en esclavage sont assassinés à

Mielec, en Pologne. • Une rescapéejuive de la ville de Lvov libérée(Ukraine) note dans son journal que3% seulement des Juifs de la régionsont encore en vie.

• 25 août 1944 : Reddition des forcesallemandes à Paris. Un grand nombrede Juifs rejoignent les Forcesfrançaises libres dans les combats

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Yohovet et AbrahamAlcana, des Juifsséfarades de l’île deRhodes, posent solennel-lement pour lephotographe. Les effortsdes nazis pour éliminerles Juifs de l’île s’intensi-fièrent durant l’été 1944,lorsque Adolf Eichmannenvoya son assistant,Anton Burger, à Rhodes.

Les Juifs furent rassemblés à divers endroits et envoyés par bateau à Athènesoù ils furent emprisonnés avant d’être acheminés à Auschwitz. Abraham,âgé de 70 ans et Yohovet, âgée de 60 ans, furent parmi ceux que les nazisconsidérèrent comme trop vieux pour travailler. Ils furent dirigés vers leschambres à gaz à leur arrivée à Auschwitz.

Avec des étiquettes attachées à leurs vêtements, des réfugiés arrivent aucamp de Fort Ontario, dans l’État de New York. Ouvert en 1944, ce campservit de refuge temporaire à près d’un millier de Juifs européens, ainsi qu’àquelques non Juifs. Ayant peu d’espoir de rester aux États-Unis après laguerre, les réfugiés étaient démoralisés et anxieux pour leur avenir. Endécembre 1945, le président Harry Truman leva les restrictions, autorisantles réfugiés à demeurer aux États-Unis s’ils le souhaitaient.

Fort OntarioÀ partir d’août 1944, Fort

Ontario à Oswego, dans l’Étatde New York, offrit un abri à982 réfugiés, pour la plupartjuifs, originaires de 17 pays.Libérés par les Alliés dans lesud de l’Italie, ils reçurentasile dans le « port franc » àcondition qu’ils retourne-raient dans leurs patries res-pectives à la fin de la guerre.Le nombre de détenus étaitlimité pour apaiser lescraintes que les États-Unis nesoient submergés par unafflux de réfugiés juifs sans lesou à la fin de la guerre.

Confinées dans le camp,plusieurs personnes se déses-péraient. Une mère, dont lesdeux fils avaient émigré pré-cédemment et combattaientdans l’armée américaine,était confrontée au dilemmenavrant de ne plus jamais lesrevoir si elle était rapatriée.La femme du président,Eleanor Roosevelt, était pro-fondément touchée par lesort douloureux des réfugiés,mais fit remarquer « qu’entemps de guerre, les gens nesont pas logiques et leCongrès agit comme le sou-haitent les habitants. »

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pour la libération de Lyon. • AdolfEichmann et son équipe quittent laHongrie, ce qui met fin aux déporta-tions des Juifs hongrois par les nazis.

• 28 août 1944 : À l’approche destroupes soviétiques venant de l’est,les camps de travail de Narva, Revalet Klooga, sur la côte estonienne,sont évacués vers le sud par bateauau camp de Stutthof, en Allemagne.

• 29 août 1944 : Plus de 800 Juifs assi-gnés au travail sont transportés d’Au-schwitz au camp de Sachsenhausen, enAllemagne, pour travailler dans lesusines des environs. Ailleurs, en Alle-magne, environ 72 Juifs – des maladesou des femmes enceintes – sont emme-nés d’un camp de travail près de Leip-zig et acheminés jusqu’aux chambres àgaz d’Auschwitz.

• 31 août-3 septembre 1944 : LesJuifs auparavant internés au camp detravail de Nováky se battent contreles Allemands au cours d’un soulève-ment des Slovaques. Au total, plus de1 500 Juifs rejoignent 16 000 soldatsslovaques et partisans. Une femmejuive, Edita Katz, qui commandait unbataillon de partisans, couvre laretraite de ses hommes avec une

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L’une des choses qui firent d’Au-schwitz le camp le plus terrifiant étaitla sélection effectuée dès l’arrivée desprisonniers. Cette photographiemontre un SS décidant qui mourraimmédiatement dans les chambres àgaz et qui travaillera jusqu’à la morten tant qu’esclave de la « race supé-rieure. » Enfants et femmes enceintes,qui représentaient l’avenir de la« race » juive, furent systématique-ment sélectionnés pour les chambresà gaz.

Il était interdit – et extrêmement dangereux – de pho-tographier ce qui se passait dans les camps de la mort.Mais les membres de la Résistance considéraientcomme une priorité absolue de conserver des traces dece qui se passait, afin que personne ne puisse douterdes témoignages sur ce que les nazis avaient infligéaux Juifs d’Europe. Cette photographie d’un groupe defemmes conduites aux chambres à gaz d’Auschwitz futprise par un membre de la Résistance. Toutes cesfemmes périrent peu après la prise de la photo.

Les détenus des camps de concentration et descamps de la mort subissaient une « vie en commun » laplus rigoureuse et la plus avilissante. L’idée même d’inti-mité, qui aurait pu donner aux prisonniers un soupçond’espoir ou de dignité, était une impossibilité comptetenu des objectifs mêmes des camps. Cette rangée delatrines non isolées, à Auschwitz comme ailleurs, obli-geait les détenus à se soulager le plus vite possible, enparticulier parce que certains gardiens profitaient deces brefs instants pour infliger d’abjectes humiliations.

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1944mitrailleuse et des grenades à mainjusqu’à ce qu’elle soit tuée par lesAllemands et la Garde Hlinka. Unautre partisan juif, Tibor Cifea, estabattu par les Allemands qui lelaissent pendu pendant trois jours.

• Septembre 1944 : Cinq mille femmes etcinq cents hommes sont évacués d’Ausch-witz vers le nord, à Stutthof, en Allemagne.

Trois mille femmes détenues à Auschwitzsont évacuées vers le nord-ouest à Neuen-gamme, en Allemagne. • Après lebombardement par les Américains desusines d’Auschwitz, les SS accordent auxdétenus d’excellents soins médicaux, ainsique des fleurs et du chocolat – ruse depropagande destinée aux médiasallemands. Une fois guéris, les détenussont exterminés. • À Przemysl (Pologne),

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Pourquoi Auschwitz nefut-il pas bombardé ?

Le 9 août 1944, John McCloy, le secrétaireadjoint à la Guerre, aux États-Unis, reçut un mes-sage d’Ernst Frischer, un Juif membre duConseil national tchécoslovaque en exil àLondres. Frischer demandait qu’Auschwitz soitbombardé. Dans les milieux Juifs comme chez lesAlliés, l’opinion était divisée sur la possibilité deréaliser une telle action, mais l’appel de Frischern’était ni le premier ni le dernier dans ce sens.

McCloy reconnaissait les « motifs humani-taires » inspirant la requête, ce qui ne l’empêchapas de la rejeter. « Une étude », affirma-t-il, mon-trait que le bombardement d’Auschwitz, « néces-siterait de détourner un soutien aérienconsidérable ». Un bombardement serait d’une« efficacité incertaine » et risquerait de provoquerune action encore plus vindicative de la part desAllemands. »

Les arguments peu précis de McCloy mas-quaient la politique confidentielle préparée enjanvier par le département de la Guerre. Lesforces américaines ne seraient pas « utiliséespour sauver des victimes de l’oppression enne-mie, à moins que de tels sauvetages soient lerésultat direct d’opérations militaires menées envue de vaincre les forces armées de l’ennemi. »

En juin 1944, les Alliés commencèrent à envi-sager le bombardement des usines de fabricationd’essence et de caoutchouc synthétiques liées àAuschwitz. Par la suite, des photographiesaériennes prises au cours de missions de recon-naissance montrèrent le complexe d’Auschwitz.Durant un raid effectué le 20 août, des appareilsaméricains larguèrent 1 336 bombes de plus de220 kg sur le site des usines, à moins de 8 km deschambres à gaz d’Auschwitz.

La controverse demeure à propos de la réti-cence à bombarder Auschwitz. Il semble aujour-d’hui évident qu’un bombardement au printempset à l’été 1944 eût sauvé de nombreuses vies.

Les missions aériennes de reconnaissance des Alliésvolèrent régulièrement au-dessus du camp de la mort d’Au-schwitz et le photographièrent. Les fours crématoires et leschambres à gaz, ainsi que de nombreux baraquements ettours de contrôle sont nettement visibles. On aperçoitmême quelques prisonniers et les voies ferrées qui ame-naient les victimes au camp. Les Alliés, qui décidèrent quele meilleur moyen de mettre fin aux atrocités commises àAuschwitz était de terminer rapidement la guerre, ne firentaucun effort pour bombarder le camp.

Des soldats russes sont joyeusement accueillis par lesRoumains à Bucarest, en août 1944. Mais la libérationintervenait trop tard pour des centaines de milliers deJuifs roumains qui furent massacrés par des antisémitesautochtones et des Einsatzgruppen allemands. Au total,plus de 420 000 Juifs de Roumanie périrent sous ladomination nazie.

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la Gestapo et les SS exécutent huitmembres d’une famille polonaise non juive,ainsi qu’une petite fille juive après les avoirtous découverts en train de jouer ensembledans une cour. • Winston Churchill, parti-san de l’idée depuis le début, ordonne enfinla création d’une Brigade juive de Juifspalestiniens dans l’armée britannique. Leministre des Affaires étrangères, AnthonyEden, continue à s’y opposer.

•Début septembre 1944 : À Auschwitz, ladétenue Gisella Perl observe un vieux Juifnéerlandais tendre au chef d’une équipe detravail une sacoche de diamants en échangede quelques pommes de terre crues. Lesmains tremblantes, l’homme mange immé-diatement les pommes de terre.

• 2 septembre 1944 : Environ 2 000Juifs déportés de Plaszów (Pologne)

sont gazés à Auschwitz.

• 3 septembre 1944 : Libération deBruxelles (Belgique) par les troupesalliées. • Les Alliés commencent àévacuer par avion les Juifs des régions deYougoslavie sous le contrôle despartisans pour les acheminer en Italie,pays occupé par les Alliés. • Un officierde police italien nommé Giovanni Pala-

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Célébrant la libération de Paris tant attendue, le 25août 1944, des jeunes femmes radieuses embrassent unsoldat allié. S’adressant aux habitants de la capitale, legénéral Charles de Gaulle, chef des forces françaiseslibres, proclama fièrement : « Paris outragé, Paris brisé,Paris martyrisé, mais Paris libéré ! Libéré par lui-même,libéré par son peuple. »

Le général Charles de Gaulle marche en tête dudéfilé victorieux de l’Arc de triomphe aux Champs-Ély-sées, à Paris, le 26 août 1944. Symbole imposant dela volonté française de vaincre les nazis, de Gaulledevint le chef du gouvernement provisoire de la Franceà la fin du mois.

Abattus, des officiers de la Wehr-macht sont assis dans le hall de l’hô-tel Majestic, leur ancien QG àParis. Le commandant allemand deParis, le général Dietrich von Chol-titz, ignora l’ordre d’Hitler dedétruire la ville, estimant que ceserait un acte dénué de valeur etaccablant. Après quelquescombats, son armée se rendit auxpremières forces françaises entréesdans Paris le 25 août 1944, ladeuxième Division blindée (2ème DB)commandée par le général JacquesLeclerc. Quatre ans de dominationallemande en France prirent finlorsque la Wehrmacht vaincue battiten retraite.

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1944tucci, arrêté dans la ville yougoslave deFiume pour avoir aidé des Juifs, estenvoyé au camp de concentration deDachau, en Allemagne, où il meurt.

• 3-5 septembre 1944 : Anne Frankfait partie des 1 019 Juifs déportés àAuschwitz dans le dernier convoi ducamp de Westerbork, aux Pays-Bas ;voir 6 septembre 1944.

• 4 septembre 1944 : À Lugos, enHongrie, des centaines de Juifs sontmassacrés par les fascistes hongrois.• Les Alliés s’emparent du port d’An-vers, en Belgique.

• 5 septembre 1944 : De faussesrumeurs sur l’imminente libération desPays-Bas suscitent la fuite des nazisnéerlandais. Cette journée est appelée

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En août 1944, larésistance polonaise,désormais en grandepartie non juive, serévolta contre lestroupes allemandesdans la ville de Varso-vie. Quelquesvictoires au début,comme la capture deces soldats allemands(photo), revêtirent unegrande importancepsychologique, et lesPolonais furentensuite encouragéspar la proximité destroupes soviétiques.Au lieu d’envoyer sesforces à Varsovie leplus rapidement pos-sible, le dirigeantsoviétique Joseph Staline ordonna à ses troupes d’attendre à l’extérieur de la ville, jusqu’à ce que les Allemands aientécrasé le soulèvement. Cependant, en septembre, Staline autorisa effectivement les avions britanniques et américains à utili-ser les terrains d’aviation soviétiques pour larguer des vivres et du matériel aux Polonais en difficulté. Une grande partie dece qui fut parachuté tomba entre des mains allemandes et Staline suspendit l’usage des terrains d’aviation russes par lesAlliés, au bout d’une semaine seulement. D’autres vols des Alliés, partis de Foggia, en Italie, furent aperçus par des Juifs etd’autres personnes internées à Auschwitz. En octobre, la révolte de Varsovie avait été écrasée.

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le Dolle Dinsdag (mardi fou). • Les SSferment le camp de concentration des’Hertogenbosch, aux Pays-Bas.

• 6 septembre 1944 : Zalman Gradowski,membre d’un Sonderkommando à Ausch-witz, enterre le journal de la vie au campqu’il a tenu depuis son arrivée en février1943. • Un Einsatzkommando commandépar le capitaine SS Hauser pénètre à

Topolcany, en Slovaquie, pour réprimerun soulèvement juif. Plusieurs dirigeantsde la communauté juive locale sont arrê-tés et assassinés, entre autres, l’ancienvice-maire Karl Pollak et son épouse, etMoritz Hochberger, attaqués par des sol-dats SS. • 549 Juifs néerlandais du convoid’Anne Frank sont gazés. Anne est provi-soirement sauvée, parce qu’elle a 15 ans.Si elle n’en avait eu que 14, elle aurait été

tuée immédiatement. Comme pour tousles autres prisonniers, un numéro est ins-crit sur son bras et sa tête est rasée ; voir30 octobre 1944.

• 7 septembre 1944 : Les autoritéshongroises autorisent Ottó Komoly,un Juif, à louer des immeubles àBudapest pour y protéger des enfantsjuifs. Komoly protègera finalement

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Ce Schutzpass (sauf-conduit) futdélivré à Lili Katz, une Juivehongroise, par des représentants sué-dois à Budapest. Le Schutzpass proté-geait le détenteur de la déportationvers une mort quasi certaine dans l’undes camps. On remarquera le « W »en bas à gauche, indiquant qu’il futdélivré par Raoul Wallenberg.

Les Alliés œuvrèrent de concert pourréunir des preuves des crimes contrel’humanité perpétrés par les Alle-mands. Ici, des enquêteurs russes exa-minent les corps exhumés de quelquesvictimes du camp de Treblinka, enPologne. Malgré tous leurs efforts, lesnazis ne purent camoufler leurs crimesatroces et des photos comme celle-cifurent utilisées aux procès de Nurem-berg et dans d’autres procès pourcrimes de guerre.

Klaus BarbieChef de la Gestapo, à Lyon, Klaus Barbie fut un nazi convaincu

remplissant ses fonctions impitoyablement et jusqu’à la fin. Barbie supervisa le dernier convoi de Juifs de Lyon à Auschwitz,

début août 1944, quelques semaines seulementavant la libération de la ville par les Alliés.Quelques mois auparavant, en avril, Barbie avaitenvoyé 41 enfants juifs d’Izieu au camp. L’opiniâ-treté de Barbie à déporter les Juifs n’avait d’égalque son acharnement à traquer les membres de laRésistance française. Sur son ordre, par exemple, lechef de la Résistance Jean Moulin fut capturé ettorturé.

Après la guerre, Barbie s’enfuit en Bolivie où, sous un nom d’em-prunt, il tenta d’échapper à la justice. Après des années d’effortsinvestis par des organisations juives, il fut extradé en France. Barbie,le « boucher de Lyon », fut jugé en 1987 pour crimes contre l’huma-nité. Il fut condamné à la prison à vie et mourut en 1991 en déten-tion.

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19445 000 enfants dans 35 immeubles ;voir début 1945.

• 9 septembre 1944 : Des SS gardant lestravailleurs de la carrière du camp deMauthausen, en Autriche, torturent etassassinent 39 Néerlandais, septBritanniques et un agent secret américain.• Depuis le début des déportations dughetto de Lodz (Pologne) au camp de la

mort de Chelmno, le 23 juin 1944, 775montres-bracelets et 550 montres degousset ont été volées aux Juifs avant leurmort.

• 10 septembre 1944 : Cinquante-deux Juifs, faits prisonniers à Topol-cany, en Slovaquie, sont contraintspar un Einsatzkommando et des uni-tés auxiliaires slovaques de creuser

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1 9 4 4 • A C T E S D É S E S P É R É S

Les traitements barbaresadministrés de sang-froid auxenfants juifs durant la Shoah relè-vent du mal absolu. Non seule-ment les bouchers nazis et leurscomplices massacrèrent plus d’unmillion d’enfants juifs, mais ils enmirent d’innombrables autresdans des situations qu’aucun êtrehumain, encore moins un enfant,ne devrait connaître.

La création des ghettos enPologne marqua un profondchangement dans la vie desenfants juifs. Toute caractéris-tique de l’enfance – l’innocence,la liberté et la sécurité – étaitabsente de leur vie. La désinté-gration de la cellule familialedans les ghettos signifiait que lesparents ne pouvaient plus assurerla subsistance de leurs enfants oules protéger. Des dizaines de mil-liers de Juifs succombèrent, vic-times de la faim et des maladies.Un observateur contemporains’exclama que les changementsles plus douloureux affectaient levisage des enfants. Ils étaient« exténués au dernier degré parla misère, le manque de nourri-ture, de vitamines, d’air et d’exer-cices ; [leurs visages étaient]défigurés par les soucis écrasants,l’anxiété, les malheurs, les souf-frances et les maladies. »

Lorsque les épidémies fai-saient rage dans les ghettos etque les parents étaient déportés,des milliers d’enfants devenaientorphelins. L’absence d’équipe-ments sanitaires, de nourrituresuffisante et d’abri adéquat rédui-

sait nombre d’entre eux à errerdans les rues. Selon Haïm Kaplan,du ghetto de Varsovie, chaquematin, « on pouvait voir leurspetits corps gelés dans les rues dughetto. » Un rapport sur la situa-tion sociale, rédigé en février1942, résumait la situationcomme suit : « La faim, la maladieet la misère sont leurs compa-gnons de tous les instants, et lamort est l’unique visiteur de leurfoyer. »

L’interminable politique deterreur pratiquée par les nazis fitdes ravages chez les enfants juifs.La plupart passèrent leur vie tra-giquement brève sans jouer dansun jardin ou dans une piscine.Pire encore, la fermeture des

écoles dans les ghettos priva lesjeunes de la stimulation intellec-tuelle indispensable à l’enfance.

Une fois la « solution finale »commencée, en 1941, seuls lesJuifs qui pouvaient travaillerfurent gardés en vie. Comme lesenfants ne pouvaient assumeraucune tâche productive, la plu-part furent assassinés immédiate-ment à leur arrivée dans lescamps. Les jeunes qui purent sefaire passer pour des adultes sur-vécurent au tristement célèbreprocessus de sélection. Quoi qu’ilen soit, les centres d’extermina-tion brûlèrent impitoyablementles enfants juifs. Des pré-adoles-cents accompagnaient leursmères dans les chambres à gaz,tandis que les bébés étaient sou-vent jetés dans des fosses rem-plies de corps en train de brûler.

Les jeunes qui survécurent auprocessus de sélection furentréduits en esclavage. Ils furentalors affamés, battus et contraintsà travailler jusqu’à la mort. Selonles mots de Jack Rubinfeld, unrescapé des camps : « Je devaisserrer les dents et supporter, ten-ter de montrer que j’étais solide,que j’étais exactement comme lesadultes. »

Le système de terreur nazisupprima brutalement l’idéemême d’enfance pour des mil-lions de Juifs. Ceux qui survécu-rent, par exemple AljoschaLebedew (photo), vécurent avecl’horreur pour le restant de leursjours.

Les enfants et la Shoah

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leurs tombes avant leur exécution.Parmi les victimes, six enfants dontun bébé de trois mois.

• 12 septembre 1944 : Destravailleurs juifs réduits en esclavageprès de Lieberose, en Allemagne,sont astreints à construire un centrede vacances pour les officiersallemands ; voir décembre 1944.

• 13 septembre 1944 : Les soviétiquesparachutent des vivres aux résistantsqui combattent dans Varsovie. L’actionest sans effet.

• 15 septembre 1944 : Libération deNancy par les troupes alliées.

• 16 septembre 1944 : La Bulgariedéclare la guerre à l’Allemagne aprèsun coup d’État communiste.

• 17 septembre 1944 : Les Allemandsentreprennent l’évacuation de lamine de cuivre du camp de Bor, enHongrie. Soixante travailleurs sontabattus pendant la marche et 600après être arrivés à destination, lefour d’une briqueterie à Cservenka,en Hongrie. • Près de Vérone, en Ita-lie, Rita Rosani, une Juive de 23 ansqui dirige un groupe de partisans ita-

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Le 8 juillet 1944, trois semaines avant la libération du ghetto de Kovno (Litua-nie) par les Soviétiques, les nazis débusquèrent les Juifs des bunkers souterrainsavec des chiens, des grenades fumigènes et des bombes incendiaires. Deux milleJuifs périssent et quatre mille autres sont déportés dans des camps en Allemagne.Si les Allemands réussirent tant d’opérations en Lituanie, c’est à cause des élé-ments qui, dans toutes les couches de la société lituanienne, collaborèrent aveceux pour « débarrasser la nation » de la « vermine » juive.

C’est dans le neuvième fort, élémentdu système de défense d’origine deKovno, en Lituanie, que les Allemandset les Lituaniens massacrèrent près de10 000 Juifs en octobre 1941. Par lasuite, plusieurs dizaines de milliersd’autres Juifs de toute l’Europe y furenttués également. Cette photographiemontre des graffitis laissés par des Juifsavant d’être assassinés. Quelques mes-sages étaient de simples souvenirs,d’autres réclamaient vengeance.D’autres encore soulignaient que lesJuifs « mouraient avec fierté pour notrenation juive. »

Les soldats de l’armée des États-Unisdébarquent avec des approvisionne-ments sur une plage dans le sud de laFrance pour soutenir le débarquementdes Alliés dans la région, le 30 août1944. Cette attaque coïncidait avec lapoursuite de l’attaque en Normandie.Le débarquement dans le sud libérapar la même occasion les Juifs cachésdans la zone contrôlée par Vichy, maisl’impact sur la Shoah fut limité, lamajeure partie des Juifs se trouvant enEurope orientale.

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1944liens, est tuée dans un combat contredes troupes allemandes.

• 18 septembre 1944 : Mille quatrecents garçons juifs d’Auschwitz sontemmenés de leurs baraquements dansle block des enfants, puis sont gazés.

• 19-23 septembre 1944 : Les troupessoviétiques se rapprochant, les SS assas-

sinent 2 400 Juifs et 100 prisonniers deguerre soviétiques au camp de travailde Klooga, en Estonie. 85 détenus seu-lement survivent.

• 22 septembre 1944 : Les troupes sovié-tiques libèrent Arad, en Roumanie.

•24 septembre 1944 : Alors que lesdéportations à Auschwitz connaissent unralentissement, les nazis gazent 200

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Marion Kaufmann (à l’arrière-planau centre) se trouve au milieu de lafamille tsigane qui la cacha et la pro-tégea en septembre 1944. Marionconnut des années de peur, decachette et d’évasion à partir de1942, lorsqu’elle s’enfuit avec samère dans le sud de l’Allemagne.Aidées par des chrétiens à s’évaderaux Pays-Bas, elles découvrirent queles nazis occupaient ce pays. Sépa-rée de sa mère, qui se cacha pen-dant un an dans une grange, Mariontrouva refuge auprès de la Résistancejusqu’à la libération par des troupescanadiennes.

Deux femmes à Strasbourg lisentle premier journal français qu’ellesont vu depuis le début de l’Occupa-tion. Derrière elle, sur le mur, uneinscription en allemand dit : « Juifs,démocrates et bolcheviques sont lesfossoyeurs de l’humanité. C’estpourquoi nous les combattrons jus-qu’à la victoire finale. »

Des soldats américains chantent gaiement sur un manège à Verviers, enBelgique. Pour les Juifs belges, la vie n’était pas aussi joyeuse et la libérationdes nazis ne fut que la première étape d’une longue reconstruction de leurvie. Les rescapés luttèrent pour retrouver des membres de leur famille et récu-pérer leurs biens confisqués. Durant les mois qui suivirent la libération, lesaumôniers juifs des armées alliées et les membres de la Brigade juive aidè-rent les survivants à se procurer l’essentiel et à rechercher leurs proches.

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membres des Sonderkommandos. Lescorps sont brûlés ultérieurement dans lajournée. Le nombre total de membres deSonderkommandos demeurant dans lecamp s’élève à 661.

• 26 septembre 1944 : En ce jour deKippour, 1 000 jeunes garçons sontrassemblés à Auschwitz en présencedu docteur Josef Mengele. Tout gar-

çon dont la tête n’atteint pas uneplanche que Mengele a clouée à unpoteau est mis sur le côté pour êtregazé ; voir 28 septembre 1944.

• 28 septembre 1944 : Les garçons jugéstrop petits par le médecin d’Auschwitz,Josef Mengele, sont gazés. • Après uneinterruption de quatre mois, les nazisreprennent les déportations à partir du

camp / ghetto de Theresienstadt (Tchécoslo-vaquie) vers Auschwitz. Parmi les 2 499 pri-sonniers déportés ce jour-là, Petr Ginz, unadolescent tchèque d’origine juive qui avaitdirigé Vedem (En tête), un « magazine »secret créé et distribué dans Theresienstadt.Plus d’un millier de ces 2 499 prisonnierssont gazés immédiatement. • Josef Bürckel,commissaire du Reich en Autriche, se sui-cide avec sa femme. • Libération du camp

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WesterborkCréé près de la frontière

allemande par le gouverne-ment néerlandais, Wester-bork fut à l’origine un camppour les réfugiés juifs. Enoccupant les Pays-Bas, enmai 1940, les nazis firent deWesterbork un camp de tran-sit dont la population chan-gea constamment, tout enmaintenant au camp unepopulation stable de tra-vailleurs.

À partir de juillet 1942,Westerbork devint, pour100 000 Juifs néerlandais,une étape sur la route descamps de la mort de l’Est.Les baraquements furent ledernier toit que connurentdes milliers de familles, dontcelle d’Anne Frank. En géné-ral le mardi, des milliersd’hommes et de femmesétaient entassés dans deswagons à bestiaux pour leurdernier voyage. Personne nefut épargné. Après avoir ététémoin de l’infernal proces-sus de la déportation, EttyHillesum, qui allait elle-même être envoyée à Ausch-witz, rapporta qu’« une autrepartie de notre camp a étéamputée. »

Le camp de transit de Vittel joua un rôle déterminant dans l’assassinat des Juifsde France. Des milliers d’entre eux, dont plusieurs n’étaient pas citoyens français,passèrent par ce camp avant d’être envoyés dans des camps de concentrationfrançais plus grands ou à Auschwitz pour y être exterminés. Les personnes photo-graphiées ici faisaient partie des 2 087 prisonniers trouvés à Vittel par lesarmées alliées qui libérèrent le camp le 12 septembre 1944.

Un policier juif serre la main del’un des mille Juifs qui vont quitter lecamp de concentration de Wester-bork, aux Pays-Bas, débutseptembre 1944. Sur les 1 019 pri-sonniers de Westerbork qui arrivè-rent à Auschwitz début septembre,549 furent immédiatement envoyésdans les chambres à gaz. Parmiceux qui furent admis dans le camp,se trouvait Anne Frank, la jeuneauteur du célèbre journal. Lesmeurtres allaient se poursuivre àAuschwitz pendant encore cinqmois, fait particulièrement terribleparce que l’aviation alliée avait lacapacité de bombarder l’ensembledu camp depuis l’automne 1943.

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1944de Klooga (Estonie) par les Soviétiques.

•29 septembre 1944 : Quinze centsprisonniers du camp / ghetto deTheresienstadt, en Tchécoslovaquie, sontdéportés à Auschwitz. 750 sont gazés à leurarrivée. • Le syndicaliste allemandWilhelm Leuschner est pendu par lesnazis. • Des Juifs se réunissent dans la villeukrainienne de Kiev libérée pour commé-

morer le troisième anniversaire du mas-sacre de leurs frères à Babi Yar (Ukraine)par les nazis.

•Octobre 1944 : Environ 15 000 Juifs ducamp / ghetto de Theresienstadt (Tchéco-slovaquie) sont déportés à Auschwitz.• Les Allemands contraignent les prison-niers d’Auschwitz à entreprendre desmarches de la mort vers des camps situés

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Au fur et à mesure que laguerre s’éternisait, les besoins enmain-d’œuvre des nazis augmentè-rent, tandis que leur réservoirs’épuisait. En 1944, un nombre deplus en plus important d’Allemandsfurent enrôlés dans l’armée, aug-mentant encore le besoin de tra-vailleurs.

Hésitant à contraindre desfemmes (celles de la photo pei-naient au camp de Ravensbrück,en Allemagne) à travailler dans lesindustries de guerre, les nazis ten-tèrent de combler le fossé enrecrutant des travailleurs étran-gers. Ceux-ci provenaient de lapopulation civile dans les paysoccupés, des rangs des prisonniersde guerre et des Juifs emprisonnésdans les ghettos et les camps de tra-vail. Les contingents fixés début1944 nécessitèrent la mobilisationde millions de travailleurs supplé-mentaires affectés à l’effort deguerre. Vers la fin de l’année, plusde neuf millions de civils étrangerset prisonniers de guerre tra-vaillaient dans le Reich. Pendanttoute la durée de la guerre, cechiffre atteignait au moins 12 mil-lions. Les nazis mobilisèrent destravailleurs étrangers (Fremdarbei-ter) pour le travail forcé et dansl’agriculture et dans l’industrie,tandis que, dans les camps deconcentration, les Juifs trimaientexclusivement au profit de l’indus-trie allemande.

Un décret de 1942 sur la main-d’œuvre servile permit à FritzSauckel, plénipotentiaire généralau recrutement et à l’emploi de la

main d’œuvre, de rassembler impi-toyablement les « recrues ». Sesagents cueillaient les gens dans lesrues, les places, à la sortie deséglises et des cinémas pour lesdéporter en Allemagne. Détermi-nés par des considérations raciales,le traitement et les conditions detravail de ces travailleurs variaient.Les nazis considéraient les tra-vailleurs d’Europe orientalecomme des « sous-hommes » infé-rieurs, les soumettant à descontrôles draconiens, à des puni-tions rigoureuses et à un travailexténuant. Contraints à porter des

insignes pour qu’on les recon-naisse, Polonais et Russes rece-vaient des salaires extrêmementbas, ne pouvaient fréquenter desAllemands et étaient confinés dansleurs baraquements après le tra-vail. Par contre les travailleursd’Europe occidentale recevaientdes salaires plus élevés et un bienmeilleur traitement.

Bien pire, cependant, était lacondition des Juifs en Pologneoccupée qui étaient exploités parles nazis dans les ghettos et notam-ment dans les camps de travail spé-cialement construits. Sous l’autoritédes SS, le taux de mortalité était

extrêmement élevé parmi les déte-nus qui trimaient 12 heures parjour, sans nourriture ni abri adé-quats. Un certain nombre d’indus-tries allemandes profitaient de lamain-d’œuvre servile immédiate-ment disponible en installant leursusines près des camps de concen-tration ou même à l’intérieur.

Durant la première moitié de1944, les usines de la région d’Au-schwitz se développèrent et utilisè-rent, outre les Juifs des prisonniersde guerre. Les usines Krupp rédui-saient en esclavage la main-d’œuvre pour produire de l’acier.L’entreprise Rheinmetall, de Düs-seldorf, qui fabriquait des muni-tions, s’installa à Buchenwald. I.G.Farben, le géant de la chimie quiproduisait des teintures, des explo-sifs, du caoutchouc synthétique, etde nombreux produits liés à laguerre, créa tout un système decamps annexes près d’Auschwitz,notamment les usines Buna où lamain-d’œuvre réduite en esclavageproduisait du caoutchouc synthé-tique et du kérosène.

Le camp de travail de Myslo-wice fournissait 1 300 esclaves auxmines de charbon de Fürsten-grube. À Sosnowiec, les prisonniersfabriquaient des canons de fusil etdes obus pour les usines Ost-Maschinenbau Gesellschaft. Lasociété Siemens-Schukert utilisades enfants pour produire despièces électriques pour les avionset les sous-marins. Lorsqu’ilsétaient épuisés et devenaientinaptes au travail, les travailleursétaient aisément remplacés.

Travail forcé et esclavage

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en Allemagne, notamment Dachau, Ber-gen-Belsen et Sachsenhausen. • Au campde concentration de Stutthof enAllemagne, début des exécutions de pri-sonniers juifs. Les premières tueries sontperpétrées de la façon suivante : les déte-nus sont assemblés dos au mur de l’infir-merie sous prétexte d’examens médicaux.Des fentes dans le mur derrière la tête dechaque détenu permettent de leur tirer

une balle dans le cerveau depuis la piècevoisine. • Il reste quelque 150 jumeaux,pour la plupart des enfants, dans le blockmédical du docteur Mengele à Auschwitz-Birkenau.

• 4 octobre 1944 : Toutes les femmeset tous les enfants d’un train venu deTheresienstadt (Tchécoslovaquie) àAuschwitz sont gazés à l’arrivée.

• 6 octobre 1944 : L’Armée rougepénètre en Hongrie.

•6-7 octobre 1944 : Des Juifs de Pologne,de Hongrie et de Grèce, membres du Son-derkommando, contraints de transporter lescorps gazés au four crématoire d’Auschwitz,attaquent les gardes SS avec des marteaux,des pierres, des pics, des pinces et deshaches. Ils font également sauter l’un des

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Énergique organisateur nazidans la Sarre et le Palatinat depuis1925, Josef Bürckel gravit les éche-lons du pouvoir pour devenir Gau-leiter (chef du parti nazi) de larégion. Après l’Anschluss(annexion) de l’Autriche en 1938,Bürckel devint Gauleiter de Vienneet Reichstatthalter (gouverneur)d’Autriche. Il œuvra assidûmentpour consolider l’union avec l’Alle-magne, encourageant notammentles décrets antijuifs et la saisie desbiens juifs. Il mourut, probablementen se suicidant, le 28 septembre1944.

Le camp de concentration de Klooga, situé au nord de l’Estonie, fut crééen 1943. Le 19 septembre 1944, alors que les forces soviétiquesapprochaient du camp, les nazis eurent recours à ce qui devint la réactiontype à la libération imminente : le meurtre précipité, délibéré. Les détenusfurent emmenés par groupes dans la forêt voisine et exécutés. Environ 2 400détenus juifs du camp et une centaine de prisonniers de guerre soviétiquesfurent assassinés de cette façon. Parmi les victimes, il y avait cette femmeenceinte et son enfant pas encore né. Lorsque l’Armée rouge libéra le campde Klooga (Estonie), le 28 septembre, 85 détenus seulement étaient encoreen vie, dont les quatre Russes photographiés ici.

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1944quatre fours crématoires avec des explosifsintroduits clandestinement d’une usine demunitions voisine. Des prisonniers deguerre russes jettent un SS vivant dans unfour crématoire. Les SS ripostent avec desmitrailleuses, des grenades à main et deschiens. 250 Juifs sont abattus à l’extérieurdes barbelés du camp. 12 autres qui tententde s’évader seront repris et exécutés ; voir9octobre 1944.

• 9 octobre 1944 : Les SS arrêtent troisfemmes juives à l’usine de munitionsd’Auschwitz pour complicité dans l’in-troduction clandestine d’explosifs utili-sés lors du soulèvement des 6 et 7octobre ; voir 10 octobre 1944.

•10 octobre 1944 : Quatre autresfemmes impliquées dans l’introductiond’explosifs utilisés lors du soulèvement

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Le soulèvementnationalslovaque

Lorsque les Allemandsconquirent la Tchécoslova-quie, en 1938, ils créèrent unterritoire conquis appelé leProtectorat de Bohême et deMoravie, ainsi qu’un Étatfantoche allié à l’Allemagne,appelé Slovaquie. Le gouver-nement de Slovaquie, unedictature totalitaire dirigéepar le prêtre catholiqueJozef Tiso, collabora à lacampagne allemande desti-née à déporter à Auschwitzles deux-tiers des 90 000 Juifsde Slovaquie.

En août 1944, plusieursgroupes, dont le gouverne-ment tchèque en exil et leparti communiste, appelè-rent à une révolte nationale.Seize mille membres de l’ar-mée nationale slovaque yrépondirent – comme égale-ment un grand nombre departisans et de Juifs descamps de travail. Au coursd’une bataille sanglante, uneunité juive du camp de tra-vail de Nováky combattitvaillamment contre les nazisavant d’être écrasée.

La révolte fut répriméepar les nazis, le 27 octobre1944. Plus de 1 500 Juifs yavaient participé.

Inébranlable dans son oppositionaux nazis, Wilhelm Leuschner payade sa vie l’échec de la tentatived’assassinat d’Hitler, en juillet1944. Avec Julius Leber, Leuschnerétait à la tête de l’opposition socia-liste aux nazis, puis rejoignit leCercle Kreisau, un réseau de résis-tance. Ses camarades résistants lenommèrent vice-chancelier du gou-vernement qu’ils voulaient établiraprès le renversement d’Hitler.Après l’échec du complot, il subit unprocès truqué devant le Tribunal dupeuple, fut condamné à mort etpendu le 29 septembre 1944.

Petr Ginz, souriant, est photographié ici avec ses parents et sa soeur.Adolescent lorsqu’il fut déporté au camp / ghetto de Theresienstadt, en Tché-coslovaquie, Petr rejoignit d’autres garçons de talent, dirigés par le profes-seur Valter Eisinger, pour publier un « magazine » secret appelé Vedem (Entête). Risquant leur vie, ils copièrent méticuleusement, à la main, des dessins,de la poésie et des nouvelles, de nuit, dans leurs baraquements. Puis, ils dis-tribuèrent le magazine dans le ghetto. En septembre 1944, Petr fut l’un des2 499 prisonniers déportés dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

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des 6 et 7 octobre à Auschwitz sont arrê-tées, notamment une détenue appeléeRosa Robota. Quatorze hommes del’unité du Sonderkommando du camp sonteux aussi arrêtés. Le seul survivant, unJuif grec du nom d’Isaac Venezia, mourrade faim par la suite, après l’évacuation desdétenus d’Auschwitz par leurs gardiensvers Ebensee, en Autriche ; voir 6 janvier1945.

•13 octobre 1944 : Libération de Riga(Lettonie) par les troupes soviétiques.

•14 octobre 1944 : En Hongrie, le gou-vernement Horthy s’engage à libérer lesparachutistes juifs palestiniens emprison-nés ; voir 15 octobre 1944.

• 15 octobre 1944 : Le groupefasciste hongrois des Croix fléchées

est installé au pouvoir par les nazisaprès une requête du dirigeant hon-grois l’amiral Miklós Horthy adresséeaux Alliés sur les conditions d’unarmistice. Un nazi hongrois, FerencSzálasi, est nommé régent.

• 16-26 octobre 1944 : Les Allemands etdes membres du groupe fasciste Nyilasinterdisent aux Juifs de Budapest

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Oskar Schindler pose avec son che-val à Emalia, son usine d’ustensiles enémail. Connu pour son cosmo-politisme et son goût du luxe, Schind-ler reconnut aussi le besoin autour delui, tendant la main à ses ouvriers parde petits gestes d’humanité. Léon Ley-son, alors enfant travaillant dansl’usine, garde un vif souvenir de lafaçon dont Schindler intervint à plu-sieurs reprises pour le sauver, lui et safamille, et se rappela même d’ordon-ner de servir une ration de soupe sup-plémentaire au garçon affamé.

Cette usine, située au 4 de la rue Lipowa à Cracovie (Pologne), fournit unrefuge aux Juifs qui eurent la chance de travailler pour Oskar Schindler, unAllemand des Sudètes, membre du parti nazi. Utilisant de la main-d’œuvrejuive bon marché, Schindler réussit à faire fortune, mais dépensa ensuite sonimmense richesse pour épargner à ses travailleurs la déportation et la mort.En octobre 1944, alors que les nazis accéléraient l’extermination des Juifsde Cracovie, Schindler soudoya les autorités nazies pour lui permettre dedéplacer son usine et quelque 1 100 travailleurs en sécurité à Brünnlitz,dans les Sudètes.

Le secrétariat de l’usine d’usten-siles en émail d’Oskar Schindler àCracovie pose pour une photo degroupe. Extrêmement loyal envers lesgens qui travaillaient pour lui,Schindler risqua sa propre vie poursauver ses 300 ouvrières lorsqu’ellesfurent par erreur embarquées dansun train pour Auschwitz, au lieud’être emmenées en lieu sûr à Brünn-litz, dans les Sudètes, où Schindleravait ouvert sa propre usine.

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1944(Hongrie) de quitter leur domicile. Denombreux Juifs réduits en esclavage sontmassacrés par les membres du Nyilas surun pont reliant Buda et Pest.

• 17 octobre 1944 : Le fonctionnaire SSAdolf Eichmann retourne à Budapest(Hongrie) pour se procurer 50 000 Juifs enbonne santé qui seront contraints de serendre à pied en Allemagne pour ytravailler ; voir 20 octobre 1944. • Le doc-

teur Josef Mengele supervise d’autressélections de détenus pour la chambre àgaz à Auschwitz.

• 18 octobre 1944 : Sept cents déportés dePlaszów (Pologne) sont envoyés du campde Gross-Rosen, en Allemagne au camp deBrünnlitz, dans les Sudètes. Oskar Schind-ler, propriétaire d’une usine de munitionsqui vient d’ouvrir à Brünnlitz, convainc lesSS de lui donner les 700 Juifs comme tra-

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Natzweiler-Struthof, situé enAlsace, était un camp de concentra-tion tristement connu pour ses car-rières de pierres et d’ardoise, ainsique pour ses usines souterrainesconstruites par les détenus, astreintsau travail jusqu’à ce que mort s’en-suive. Les activités du camp étaienten fait suffisamment développéespour faire travailler plusieurs campsannexes ; le complexe dans sonensemble exploitait au moins20 000 personnes. Ce document futtrouvé à Natzweiler à l’automne1944. Sous forme de tableau, ilrépartit les prisonniers masculinspar âge et par catégorie, montrantun mélange très divers : socialistes,prêtres, criminels, Tsiganes, prison-niers de guerre, anarchistes,travailleurs civils étrangers, Espa-gnols, Témoins de Jéhovah, homo-sexuels, soldats, « Aryens » et,fatalement, Juifs.

À l’automne 1944, la situation des Allemands en Pologne se détérioraitrapidement, tandis que les forces soviétiques avançaient vers l’ouest à tra-vers le pays, en direction de l’Allemagne. Ainsi, les nazis, les maîtres abso-lus des habitants polonais peu auparavant, se retrouvèrent en train de menerune guerre défensive à l’issue prévisible. L’horreur, bien sûr, c’est que cerevirement intervint trop tard pour empêcher l’extermination de trois millionsdes Juifs sur les 3,3 millions que comptait la Pologne. Ici, des combattantspolonais armés de mitrailleuses visent des troupes nazies à Praga, une ban-lieue de Varsovie.

Un soldat de la Bri-gade juive enseignel’hébreu à des enfantsde la hakhshara Risho-nim (école agricole) deBari, en Italie, près dela côte adriatique. Pre-mière école agricole dugenre, celle de Bari,comme celles qui suivi-rent, avait pour missionde préparer les réfugiéset les rescapés à unnouvel avenir en Pales-tine. Parvenus en Italieen novembre 1944, lessoldats de la Brigadeparticipèrent à la der-nière offensive alliée auprintemps suivant.

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vailleurs. Schindler organise également letransfert de 300 femmes juives d’Ausch-witz à son usine ; voir 21-29 janvier 1945.

• 18 ou 19 octobre 1944 : Gisi Fleisch-mann qui, avant la guerre, était à latête du mouvement des femmessionistes en Slovaquie, est gazée àAuschwitz.

• 20 octobre 1944 : Les administrateursnazis d’Auschwitz brûlent les documentsconcernant les prisonniers et leur destin.• Les nazis entreprennent, par desmarches de la mort, la déportation desJuifs de Budapest (Hongrie), en Alle-magne. • 22 000 Juifs sont embarquésdans des trains pour être déportés àAuschwitz. • Six cents garçons juifs d’ungroupe de 650 enfermés dans unbaraquement à Auschwitz-Birkenau vont

être gazés. Plusieurs courent à travers lecamp, nus et paniqués, avant d’êtrematraqués par les SS qui les poursuivent.Les 50 survivants sont mis au travail àdécharger des pommes de terre dans desautorails. • Des hommes de l’armée polo-naise de l’intérieur attaquent des maisonsjuives dans le village d’Ejszyszki, à peinelibéré. Les Juifs du village exerceront parla suite des représailles contre lesPolonais.

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Les assassins sont en liberté !Ils parcourent le monde / Tout aulong de la nuit, oh Dieu, tout aulong de la nuit.

Gertrud Kolmar, brillanteauteur juive, inclut ces mots dansun poème qu’elle intitula« Meurtre ». La date exacte de samort à Auschwitz – elle futdéportée de Berlin durant l’hiver1943 – demeure inconnue, maisson cri persiste.Dans son angoisse,elle se lamente surles meurtres impi-toyables de millionsde femmes, princi-palement desJuives, pendant la« solution finale ».

Les listes desdéportés et desmorts dressées parles Allemands pré-cisaient souvent lesexe. Femmes ethommes étaientséparés dans lescamps de concen-tration et dans lescamps de la mort et, au début, lesfemmes juives furent mieux trai-tées que les hommes. Cependant,avec le déclenchement de laSeconde Guerre mondiale en1939 et la solution finale en coursen 1942, les femmes juives furentde plus en plus menacées.

Les autorités allemandesjugeaient les Juives âgées inutilesà l’effort de guerre. Elles furentdonc condamnées à mourir defaim, de maladies, d’une balle ou

par le gaz. Les femmes juives enâge de porter des enfantsposaient un problème plus préoc-cupant. D’une part, leur travailpour le Troisième Reich pouvaitêtre productif, de l’autre, ellesfaisaient peser une menace plussérieuse parce qu’elles pouvaientengendrer des enfants juifs. Lasolution finale fit en sorte d’évitercette issue.

Des centaines de milliers defemmes juives furent assassinéesà Treblinka. Des centaines demilliers d’autres furent extermi-nées par le travail ou gazées àAuschwitz. D’autres encoreastreintes au travail, aux expé-riences médicales barbares ettuées à Ravensbrück, un camp deconcentration pour femmes quiavait ouvert en mai 1939 près deFürstenberg, à 80 kilomètres aunord de Berlin. Destiné à

accueillir plusieurs milliers deprisonnières, sa populationdépassait les 40 000 personnes en1944.

Plus de 100 000 femmes deplus de 20 pays furent emprison-nées à Ravensbrück à différentesépoques. Environ 13,5% d’entreelles étaient juives et 5,5% tsi-ganes. Sur l’ensemble des prison-nières du camp, environ 92 000

périrent. Environ6 000 femmesfurent gazées dansles derniers moisdu camp, lorsqueles Allemands choi-sirent Ravensbrückcomme destinationdes prisonniersévacués des campsde l’Est, l’Arméerouge contraignantl’Allemagne àbattre en retraite.Aucun autre campde concentrationen Allemagne n’eutun pourcentage deprisonniers assassi-

nés aussi élevé. Myrna Goldenberg, spécialiste

de la Shoah résume à propos lasituation : L’enfer était peut-êtrele même pour les femmes et pourles hommes pendant la Shoah,mais les horreurs étaient diffé-rentes selon les sexes. GertrudKolmar aurait certainementacquiescé à ces propos comme lesuggèrent les derniers mots deson poème La poétesse – « m’en-tends-tu ressentir ? »

Les femmes et la Shoah

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1944• Les nazis astreignent 35 000 Juifs hon-grois (25 000 hommes et 10 000 femmes)à creuser des tranchées antitanks pourentraver l’avance de l’Armée rouge. .

• 21 octobre 1944 : Les troupes amé-ricaines s’emparent d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne.

• 23 octobre 1944 : À Budapest, leconsul suédois Raoul Wallenberg etle consul suisse Carl Lutz continuentà délivrer des papiers aux Juifs, enpartie en réaction à un décret selonlesquels les Juifs de nationalité étran-gère ou détenant des passeportsétrangers en Hongrie seront exemp-tés de travail forcé.

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Roza RobotaRoza Robota occupe une

place privilégiée dans lesannales de l’héroïsme pendantla Shoah. Militante de la Résis-tance sioniste en Pologne, ellefut déportée à Auschwitz en1942. Son moral ne fut pasbrisé par les horreurs d’Ausch-witz-Birkenau, et elle assurales relations entre le camp desfemmes et la Résistance qui se

constituaitdans le campdes hommes.Affectée àune usine defabricationde bombes,elle com-

mença, avec d’autres femmescourageuses, à faire sortirclandestinement des petitesquantités de poudre aveclaquelle la Résistance avaitprévu de faire sauter un fourcrématoire à Birkenau, le 7octobre. Prise et interrogéeavec trois autres femmes del’usine, Roza refusa de divul-guer la moindre informationmalgré d’interminables tor-tures.

Son exécution par pendai-son devant tous les prison-niers du camp était destinéeà éteindre toute velléité derésistance. Roza laissa à sescamarades un souvenir parti-culièrement vif lorsqu’ellehurla « Nekama ! », (ven-geance !) juste avant de mou-rir.

Ala Gertner, l’une des héroïnes dusoulèvement du Sonderkommando àAuschwitz-Birkenau, en 1944, poseavec chic sur cette photographied’une époque plus heureuse, avant laguerre, à Bedzin, en Pologne. Dépor-tée à Auschwiz avec son mari, elle futastreinte à travailler dans l’usine demunitions. Là, avec deux de ses com-pagnes de travail, elle réussit à déro-ber et à cacher les explosifs qu’utilisale Sonderkommando pour faire sauterle four crématoire, le 7 octobre. Arrê-tée, détenue dans un bunker et tortu-rée, elle mourut sans avoir trahi sescamarades.

L’amiral Miklós Horthydirigea un gouvernementautoritaire durant unegrande partie de laguerre. Bien qu’il fût anti-sémite, les Allemandsconsidéraient Horthycomme trop souple sur laquestion juive. Parexemple, il s’opposa à laghettoïsation des Juifs deHongrie. Finalement, lors-qu’il proposa un armisticeaux Soviétiques àl’automne 1944, le mou-vement des Croix fléchéessoutenu par les Allemandsrenversa son gouverne-ment, établissant une dic-tature fasciste violemmentantisémite.

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•26 octobre 1944 : Libération de Munkács,en Hongrie, par les troupes soviétiques.

• 27 octobre 1944 : Des nazis parcou-rant le ghetto de Varsovie découvrentun bunker caché. Ils tuent les septJuifs qui s’y trouvent et qui venaientd’ouvrir le feu.

• 28 octobre 1944 : Un train parti de

Bolzano, en Italie, arrive à Auschwitzavec 301 prisonniers. 137 d’entre euxsont immédiatement gazés.

• 30 octobre 1944 : Le dernier train partide Theresienstadt (Tchécoslovaquie)arrive au camp d’Auschwitz. Sur les 2 038prisonniers du convoi, 1 689 sont immé-diatement gazés. • Les Allemands transfè-rent Anne Frank à Bergen-Belsen ; voirmars 1945.

• Fin octobre 1944 : Jonathan Stark,Témoin de Jéhovah âgé de 18 ans, estpendu par les nazis à Sachsenhausen(Allemagne) où il a été interné pouravoir refusé de prêter serment d’allé-geance à Hitler.

•Novembre 1944 : Douze mille Juifs deStutthof (Allemagne), dont 4 000 femmes,entreprennent une marche de la mort

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Le 15 octobre 1944, l’organisa-tion fasciste hongroise des Croixfléchées organisa un coup d’État,avec le soutien allemand, contre legouvernement de l’amiral MiklósHorthy considéré par eux comme« un larbin des Juifs et un traître àson pays. » Les nazis soutinrent lenouveau gouvernement du fait duviolent antisémitisme de sesdirigeants. Cette photographiemontre la prestation de serment deFerenc Szálasi, chef du mouvementdes Croix fléchées, en tant que nou-veau dirigeant de la Hongrie.

L’un des objectifs premiers du nou-veau gouvernement des Croix fléchéesen Hongrie était de coopérer avec lesAllemands en matière d’exterminationdes Juifs hongrois. Sont représentés iciles dirigeants du mouvement des Croixfléchées lors d’un rassemblement orga-nisé à l’époque du coup d’État qui ren-versa le gouvernement Horthy. Onremarquera la similitude entre le salutdes Croix fléchées et celui des nazis,ainsi que la similitude des insignes etde la symbolique.

Après le coup d’État du 15 octobre, le gouvernement des Croix fléchéesdonna libre cours à la haine de longue date que ressentait la populationhongroise à l’égard des Juifs. On voit ici des membres des Croix fléchéesbattant des Juifs, place Kalman Tisza, à Budapest. Une série d’actions vio-lentes contre la population juive de Budapest caractérisa les journées quisuivirent la prise du pouvoir par les Croix fléchées. Les SS et les Croixfléchées rassemblèrent des milliers de Juifs. Cependant, des protestationsinternationales contraignirent le gouvernement hongrois à libérer les Juifs,qui échappèrent (du moins temporairement) à une mort quasi certaine.

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1944vers le sud-ouest. Plusieurs centaines sonttués ou meurent d’épuisement durant letrajet de plus de 800 kilomètres. • Les 400derniers travailleurs réduits en esclavage àPiotrków, en Pologne, sont contraints demarcher jusqu’à Buchenwald (Allemagne),Bergen-Belsen (Allemagne), Mauthausen(Autriche) et d’autres camps de concentra-tion. • Des parachutistes juifs recrutés parles Britanniques en Palestine sont largués

derrière les lignes allemandes. • Unmédecin polonais non juif, Stanislaw Swi-tala, abrite dans son hôpital sept anciensdirigeants de l’Organisation juive de com-bat, notamment Yitzhak Zuckerman etTouvia Borzykowski. • Le gouvernementhongrois accepte de créer un ghetto juifinternational à Budapest où, dans 72immeubles, les Juifs seront placés sousprotection suisse ; voir 31 décembre 1944.

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La tête basse dans la défaite, le colonel Gerhard Wilck,commandant de la garnison allemande à Aix-la-Chapelle, enAllemagne, accompagné de trois de ses officiers, est assisdans une jeep de l’armée américaine après sa capture.Certes, les Allemands allaient se battre encore pendant plu-sieurs mois, y compris durant la Bataille dite du Saillant, maisla défaite allemande n’en apparaissait pas moins comme unequestion de temps aux Alliés occidentaux avançant vers leRhin et aux Soviétiques évoluant en Prusse orientale. Avec laprise d’Aix-la-Chapelle, le 21 octobre, les troupes américainesse trouvèrent pour la première fois en territoire allemand.

Haïm Weizmannprend la parole à TelAviv, en Eretz Israël(alors appelé Pales-tine), devant unpublic de volontairesde la Brigade juive.Weizmann était ledirigeant de l’Orga-nisation sionistemondiale qui avaitpour objectif d’en-courager les Juifs àémigrer en Palestineet à y créer un Étatjuif. Ayant fui l’anti-

sémitisme tant en Russie qu’en Allemagne où il avait étéprofesseur de chimie, Weizmann devint le premier pré-sident de l’État d’Israël, en février 1949.

Raoul WallenbergGrâce à sa détermination et à son énergie,

le diplomate suédois Raoul Wallenberg sauvaplusieurs milliers de Juifs hongrois d’une mortcertaine dans les chambres à gaz d’Auschwitz.

Envoyé à Budapest par le ministre suédoisdes Affaires étrangères, Wallenberg œuvrapour sauver les 200 000 Juifs restant dans laville des déportations prévues pour juillet 1944.Il délivra des milliers de « passeports de pro-tection » spécialement estampillés par l’ambas-sade suédoise à des Juifs hongrois. Doté defonds fournis par le War Refugee Board, Wal-lenberg acheta également à Budapest desimmeubles dont il fit des « abris » pour ceux qui

étaient sauvés desconvois. Organisant unréseau de centaines dejeunes agents juifs, ilréussit à distribuer desvivres et des médica-ments aux Juifs cher-chant refuge dans cesabris.

Ayant recours à seslettres de créancediplomatiques ou au

bluff, Wallenberg fit même pression sur les SSpour qu’ils lui restituent certains prisonniersdéjà embarqués dans les trains de déportation.Alors qu’Adolf Eichmann avait ordonné desmarches de la mort pour des milliers de Juifsvers la frontière autrichienne, Wallenbergpoursuivit les colonnes qui partaient, obtenantla libération de bon nombre de ceux qui étaienten possession de passeports suédois. Début1945, tandis que l’armée soviétique approchaitde Budapest, il dissuada le commandant des SSde perpétrer le massacre des Juifs restés dansla ville.

Après la libération de Budapest, Wallenbergdisparut, vraisemblablement arrêté par lesSoviétiques qui l’accusèrent d’espionnage. Sonsort demeure un mystère.

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• 3 novembre 1944 : Un train chargéde Juifs du camp de travail de Sered,en Slovaquie, arrive à Auschwitz. Leschambres à gaz du camp étantdémantelées, les 990 Juifs sontenvoyés au travail ou dans lesbaraquements au lieu d’aller à lamort.

• 4 novembre 1944 : Libération deSzolnok, en Hongrie, par les troupessoviétiques. • Après avoir été contraintsde creuser leurs propres tombes, descentaines de Juifs affectés à la mine decuivre du camp de travail de Bor, enHongrie, sont exécutés ou battus à mortà Györ, en Hongrie. Parmi les victimes,se trouve un poète réputé MiklósRadnóti, âgé de 35 ans.

• 6 novembre 1944 : Les Croix fléchéesde Hongrie assassinent 19 Juifs à Buda-pest et en emmènent près de 30 000vers l’ancienne frontière autrichienne.

• 7 novembre 1944 : La poétesse sio-niste Hannah Szenes est exécutée parles Croix fléchées à Budapest, enHongrie, après avoir été parachutéedans le pays, en mission de la Résis-tance pour les Britanniques.

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Eliyahou Dobkin, membre de l’exécutif de l’Agencejuive, dépasse d’une tête ses jeunes protégés qui se pré-parent à embarquer de Lisbonne (Portugal) pour laPalestine à bord du navire portugais le Guine. Évacuésclandestinement de France par la Résistance française,ces enfants avaient déjà échappé à un terrible péril. Endépit de tous les obstacles, l’exécutif de l’Agence juiveréussit à obtenir des bateaux et à acheminer plus de3 500 réfugiés en Palestine, vers la fin de l’année 1944.

Cette photographie, prise depuis l’automobile deRaoul Wallenberg, montre des Juifs de Budapest sauvésde la déportation dans un camp de la mort. Lorsqu’ilsarrivèrent à la gare pour leur voyage fatidique, les Juifsreçurent des Schutzpässe distribués par la délégationdiplomatique suédoise de Raoul Wallenberg. Ici, ilsretournent au ghetto international à Budapest, peupléde Juifs non hongrois.

Des Juifs sont rassemblés sur lequai de la gare Jósefváros à Buda-pest. On aperçoit à droite RaoulWallenberg, les mains derrière ledos. Ces Juifs reçoivent des Schutz-passen qui leur épargneront ladéportation. Plusieurs furent sauvés,mais bien d’autres ne le furent pas.Même les détenteurs de sauf-conduits délivrés par Wallenberg etpar d’autres diplomates « neutres »n’étaient pas ipso facto en sécurité,les bandes des Croix fléchées choi-sissant, en fonction de leur humeur,de respecter ou d’ignorer lespapiers présentés.

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1944•8 novembre 1944 : Les Allemands obli-gent des Juifs de Budapest à entreprendreune marche de la mort vers la frontièreautrichienne. L’intervention de Raoul Wal-lenberg sauve plusieurs dizaines de milliersde Juifs. • Les résistants du groupe Sternassassinent Lord Walter Moyne, ministrede Grande-Bretagne au Moyen-Orient.• John W. Pehle, chef du War RefugeeBoard, qui diffère depuis plusieurs moisune demande pour qu’Auschwitz soit bom-

bardé, change d’avis. Il affirme qu’unbombardement détruirait les chambres àgaz, ainsi que les usines allemandes, etque les soldats dans la région encourage-raient la résistance et libèreraient des pri-sonniers. Le secrétaire adjoint à laGuerre John J. McCloy rejette le raison-nement de Pehle, prétendant à tort que lebombardement d’Auschwitz entraveraitl’effort de guerre.

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Raphaël LemkinJuriste polonais, Raphaël Lemkin forgea le terme « génocide »

pour désigner l’extermination systématique des Juifs européens parles nazis. Le mot apparut pour la première fois en 1944 lorsqu’ilpublia La domination de l’Axe dans l’Europe occupée, lois d’occupa-tion – analyse du gouvernement, propositions deréparations.

Né dans une famille juive de Galicie orien-tale, Lemkin avait étudié à l’université de Lvov.Après la montée d’Hitler au pouvoir, Lemkins’intéressa encore davantage aux meurtres enmasse et à la persécution des minorités. Il com-pila son analyse pionnière de la législationraciale nazie alors qu’il vivait en Suède. Il lapublia en 1944 après être arrivé aux États-Unispar un périple compliqué via la Suède, l’URSS, le Japon et leCanada.

Après la guerre, Lemkin aida les États-Unis à poursuivre en jus-tice les criminels de guerre nazis à Nuremberg et dans d’autres pro-cès pour crimes de guerre.

Adjoint au secrétaire de laguerre, John J. McCloy joua un rôledéterminant dans l’établissementdes priorités militaires des États-Unis. McCloy fut prié à maintesreprises par le War Refugee Board,l’Emergency Committee to Save theJewish People of Europe et d’autresgroupes d’ordonner le bombarde-ment des voies ferrées menant àAuschwitz, ainsi que les chambresà gaz du camp. McCloy refusa,affirmant à tort que la cible se trou-vait hors d’atteinte des bombardiersaméricains et britanniques.

Utilisant son statut diplomatiquecomme une arme, Carl Lutz intervintpour sauver la vie de milliers deJuifs de Budapest (Hongrie), entre1942 et 1945. En tant que consulsuisse responsable de l’octroi devisas, il délivra quelque 50 000passeports suisses, plaçant des Juifssous la protection du gouvernementsuisse. Risquant d’être assassiné parles SS, Lutz s’acharna à sauverautant de vies que possible dans lesderniers mois de la guerre. Par lasuite, il se joignit lui-même à lamarche de la mort de 70 000 Juifs,en novembre 1944, en sauvantquelques-uns en leur accordant descertificats de nationalité salvado-rienne.

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• 14 novembre 1944 : Bernhard Let-terhaus, dirigeant travailliste catho-lique, membre de la Résistance, estpendu par les Allemands.

• 18 novembre 1944 : Leparachutiste juif palestinien EnzoSereni est exécuté par les Allemandsà Dachau, en Allemagne.

• 20 novembre 1944 : Les para-chutistes juifs palestiniens HavivaReik, Rafael Reiss et Zvi Ben-Yaakovsont exécutés en Tchécoslovaquie.

•21 novembre 1944 : Saarburg, en Alle-magne, est pris par les troupes alliées.

• 22 novembre 1944 : Les protecteursdes Juifs à Budapest (Hongrie) rencon-

trent le diplomate suédois Raoul Wal-lenberg à la légation suédoise de laville ; voir 23-27 novembre 1944.• Libération de Mulhouse par les Alliés.

• 23-27 novembre 1944 : Les respon-sables du consulat suisse LeopoldBreszlauer et Ladislaus Kluger déli-vrent 300 documents protecteurs àdes Juifs hongrois rassemblés à la

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À l’Institut d’anatomie de Strasbourg, le docteur August Hirt dirigeait un programme spécial exhibant 86 squelettesjuifs à des fins « éducatives ». Les Juifs avaient été spécialement choisis à Auschwitz et acheminés au Struthof, enFrance, pour y être gazés. Les corps juifs furent immergés dans des cuves d’alcool pendant plus d’un an avant quel’équipe de Hirt ait la possibilité de détacher la chair des os. Les directeurs de l’institut tentèrent à la dernière minutede détruire les preuves, mais les Alliés arrivèrent à temps.

Au camp de concentration deNeuengamme, une enfant lève le braspour montrer la cicatrice consécutive àl’ablation de ses ganglionslymphatiques, opération effectuée dansle cadre d’une expérience nazie desti-née à mesurer les effets de la tubercu-lose sur le système immunitaire. Laplupart des détenus de Neuengamme,camp situé près de Hambourg, en Alle-magne, travaillaient dans une usined’armements. Quelques-uns, une cen-taine d’adultes et vingt enfants, envoyésd’Auschwitz, furent choisis pour subirdes expériences médicales. Sur l’ordredu docteur Kurt Heissmeyer, la tubercu-lose fut inoculée aux enfants. Lorsquel’imminente défaite de l’Allemagnedevint évidente, la plupart furent tuéspour éviter qu’ils ne témoignent des hor-reurs qu’ils avaient subies.

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1944frontière austro-hongroise.

• 25 novembre 1944 : Début de ladémolition par les prisonniers du fourcrématoire II d’Auschwitz. Desconduites et des moteurs de ventilationsont démontés et envoyés dans lescamps de Mauthausen, en Autriche, etde Gross-Rosen, en Allemagne.

• 27 novembre 1944 : « Le procès et lechâtiment des criminels de guerreeuropéens », un rapport rédigé par lesecrétaire d’État américain à la Guerre,Henry Stimson, et le secrétaire d’ÉtatCordell Hull, est soumis au présidentFranklin Roosevelt.

•Décembre 1944 : Après trois mois detravaux à Lieberose, en Allemagne, lesnazis interrompent le travail des détenus

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Comme un grandnombre d’Allemandsétaient au front ouavaient été tués à laguerre, les nazis comptè-rent de plus en plus surle travail servile pourleur production. C’étaitle cas, comme le montrecette photo, même dansles opérations de techno-logie de pointe. Dansl’usine d’armement sou-terraine du complexe deDora-Mittelbau, près deNordhausen, en Alle-magne, ces prisonnierseffectuent un travailextrêmement complexeintervenant dans laconstruction de la fuséeV2.

Les Allemands devinrent de plus en plus acharnés au fur et à mesure que leurdéfaite se confirmait. Les dirigeants de l’Allemagne placèrent toute leur confiancedans les armes « Vengeance » dernièrement conçues qui, croyaient-ils, allaientretourner l’issue de la guerre. La fusée V2 était destinée à ravager Londres. Sides centaines de V1 et de V2 pleuvaient sur Londres à la fin de la guerre, elleseurent peu d’influence militaire ; les fusées mettaient cependant les nerfs des Bri-tanniques à rude épreuve et en tuèrent environ 5 500.

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qui construisaient un centre de vacancespour les officiers allemands. Ils évacuentles travailleurs juifs à pied vers le camp deconcentration de Sachsenhausen, en Alle-magne, situé à 160 kilomètres au nord-ouest. Sur les 3 500 détenus qui commen-cent la marche, 900 seulement arrivent àdestination. Plusieurs centaines demalades, dans l’incapacité d’entreprendrela marche, sont abattus là où ils sont cou-chés. • La France libérée organise une

« semaine de l’Absent » à la mémoire desinnocents encore entre les mains des nazis.• Le spécialiste américain des sondagesElmo Roper avertit que l’antisémitisme acontaminé les États-Unis, en particulier,dans les grandes villes et leurs banlieues.

• 11 décembre 1944 : Des travailleursjuifs réduits en esclavage à Auschwitz III(Monowitz-Buna) célèbrent silencieuse-ment Hanoukka.

• 16 décembre 1944 : Sur un front de65 kilomètres de long dans la forêtdes Ardennes, au Luxembourg,300 000 soldats allemands, y comprisles cinquième et sixième divisionsPanzer lancent une offensive surprisecontre les cinquième et neuvièmearmées américaines. Manquant d’ex-périence, les troupes américaines enpremière ligne sont submergées, lesAllemands risquant le tout pour le

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Dora-Mittelbau/NordhausenConstruit en tant qu’annexe du camp de concentration de

Buchenwald, Dora-Mittelbau, situé près de la ville de Nordhausenen Allemagne orientale, devint un camp indépendant à l’automne1944. À partir de 1943, des milliers de prisonniers furent affectés àDora pour élargir les tunnels d’une ancienne mine de sel profondé-ment enfouie dans les montagnes du Harz. Ils construisirent uneusine souterraine qui produisit en secret les fusées V1 et V2. La viehumaine ne signifiait rien pour les nazis uniquement préoccupés àéviter la défaite.

Même d’après des normes des camps de concentration, les prison-niers de Dora étaient traités particulièrement brutalement par leurs gar-diens. Ils ne voyaient jamais le soleil, ne disposaient d’aucune installationsanitaire et travaillaient jusqu’à ce qu’ils s’effondrent. Les corps, cou-verts de poux et ne pesant souvent que 35 kg, étaient renvoyés àBuchenwald pour y être brûlés au rythme d’un millier par mois.

Lorsque l’usine de fusées fut terminée, Mittelwerk GmbH, entre-prise étatisée, utilisa des milliers de prisonniers comme ouvriers,notamment de nombreux Juifs. Eux aussi travaillaient dans des condi-tions lamentables, buvant l’eau des fuites dans des canalisations. Lahantise du sabotage servait de prétexte aux gardes pour avoir recoursà un sadisme exceptionnel, les prisonniers étant pendus ou torturéspar simple caprice. Des milliers de détenus dont on ne parla jamais,périrent à Dora et lors des marches de la mort à partir du camp,durant les derniers jours de la guerre.

Comme le montre cette photo, lesnazis mirent au point un systèmeélaboré pour se débarrasser descorps de leurs victimes. Ce soldataméricain et un membre de la Résis-tance française observent le fourcrématoire du camp libéré de Natz-weiler-Struthof, en France, le 2décembre 1944. On remarquerales pinces qui servaient à manipulerles corps lorsqu’on les mettait dansles fours.

Le corps une fois incinéré, il res-tait des cendres, ce qui présentaitun problème pour les assassins dela Shoah, notamment si l’on consi-dère le nombre de leurs victimes.On voit ici un résistant français quiinspecte les urnes que les nazis utili-saient pour enterrer les cendres deleurs victimes au camp de Natzwei-ler-Struthof.

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1944tout pour s’emparer du portstratégique d’Anvers, en Belgique.Cette action prit le nom de « Batailledu saillant » par suite de la pochecréée au début par les Allemandsdans les lignes américaines.

• 17 décembre 1944 : Quatre-vingt-six prisonniers de guerre américainssont massacrés par des troupes SS àMalmédy, en Belgique.

•Hiver 1944 : Des centaines de femmesjuives malades et affamées meurent lente-ment dans des tentes à part du camp deconcentration de Stutthof, en Allemagne.• Création, en France, d’Organisationtechnique, un groupe clandestin collabo-rationniste.

• 26 décembre 1944 : Lancée le 16décembre, l’ultime offensive des Alle-

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La Brigade juive La Brigade juive était un régiment de l’ar-

mée britannique composé exclusivement devolontaires juifs de Palestine. Officiellementcréé en septembre 1944, le groupe combattitsur le front italien, puis contribua aux effortsd’immigration juive clandestine en Palestine.

Précurseur de la Brigade juive, le Régimentde Palestine, fut créé en août 1942. Il étaitcomposé de quatre bataillons : trois juifs et unarabe. La pression exercée par l’Organisationsioniste mondiale, ainsi que le soutien apportépar Winston Churchill et Franklin Roosevelt,aboutit à la création de la Brigade juive indé-pendante. Dirigée par le général Ernest Ben-jamin, cette Brigade combattait sous drapeausioniste. Cinq mille Juifs palestiniens servirentdans cette unité.

L’idée de créer un régiment juif fut à l’ori-gine écartée par les Britanniques qui crai-gnaient de s’aliéner la population arabe dePalestine. Les contingences du temps de guerrecontraignirent cependant le gouvernement etl’establishment militaire britanniques à chan-ger d’avis.

Ce GI amé-ricain, l’un deceux qui libérè-rent le campde Natzweiler-Struthof, ins-pecte lesmarques sur levêtement d’unprisonnier. Leslettres « NN »signifientNacht und

Nebel (Nuit et brouillard). Le décret Nuit et brouillard,adopté par Hitler le 2 décembre 1941, devait être uti-lisé à l’encontre des organisations de sabotage et lespersonnes accusées d’espionnage. Elles devaient êtreexécutées dès leur capture, ou, si ce n’était pas réali-sable, déportées dans le Reich pour y être jugées. Laplupart de ces prisonniers furent envoyés à Natzweiler.

Encore habillés en civils, des recrues rejoignent laBrigade juive au parc Méir, à Tel Aviv, en Eretz Israël(Palestine). Portant des brassards les désignant comme« volontaires », ils voulurent rejoindre les forces juivesdéjà envoyées de Palestine un mois plus tôt pour com-battre durant la campagne italienne. Certains membresde l’Armée juive, la Résistance juive en France, avaientdéjà franchi les Pyrénées pour se rendre en Espagnel’année précédente, en vue de gagner la Palestine pourcontinuer le combat pour la liberté.

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mands contre les troupes américainesdans la forêt des Ardennes, auLuxembourg, prend fin après dixjours de succès impressionnants.L’objectif de cette offensive – la prised’Anvers – n’est pas atteint. Près de250 000 soldats allemands ont ététués, blessés ou faits prisonniers, etplus de 1 400 tanks allemands etpièces d’artillerie lourde ont été per-

dus. L’Allemagne mène désormaisune guerre exclusivement défensive.

• 28 décembre 1944 : Des membresdes Croix fléchées enlèvent 28 Juifsdans un hôpital de Budapest. Ils lesassassineront deux jours plus tard.

•31 décembre 1944 : Des membres desCroix fléchées hongroises font irruption

dans un foyer protégé par la Suisse àBudapest et attaquent les habitants àl’arme automatique et à la grenade. TroisJuifs sont tués, mais les autres sont sauvéspar une unité militaire hongroise ; voir11-14 janvier 1945.

• 1944-47 : La guerre civile s’intensi-fie dans la Pologne soviétisée et coûtela vie à plusieurs milliers de Juifs.

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Ces panneaux indiquant Malmédy et Saint-Vith enBelgique, témoignent d’un autre épisode barbare de laguerre. Dans un ultime stratagème pour éviter la défaite, àla mi-décembre, Hitler envoya dans les Ardennes autantd’hommes et de tanks qu’il put réunir contre les Alliés occi-dentaux. Près de Saint-Vith, la sixième division blindée SSse heurta à une farouche résistance américaine qui freinasa progression. En violation flagrante des lois de laguerre, les soldats de la première division blindée qui setrouvait à Malmédy retournèrent leurs fusils contre lesAméricains qu’ils avaient fait prisonniers, en tuant 86.

Les mains en l’air en signe de reddition, des soldats améri-cains marchent devant leurs vainqueurs allemands. La der-nière grande offensive allemande de la guerre était destinéeà séparer les deux armées alliées sur le front occidental. Ser-vis par un temps nuageux qui cloua au sol les avions améri-cains et britanniques, les Allemands remportèrent au débutdes succès. Mais leur avance prit fin lorsque les renforts arri-vèrent pour les Alliés et que les avions purent recommencer àbombarder l’intendance allemande.

Les corps de soldats allemandsjonchent le champ de bataille deBastogne, en Belgique, site de l’undes affrontements les plus acharnésde la Bataille du saillant. Ayant reçule renfort de parachutistes, les forcesalliées refusèrent de se rendre alorsqu’elles étaient encerclées et ennombre très inférieur. Lorsque lesnuages se dissipèrent les avionsalliés larguèrent du ravitaillement etBastogne fut libéré le lendemain deNoël.

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