Claude Simon_フランドルへの道extrait_1854

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  • 8/3/2019 Claude Simon_ extrait_1854

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    CLAUDE SIMON

    LA ROUTEDES FLANDRES

    suivi de

    LE TISSU DE MEMOIREpar

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    I

    Je croyais apprendre a v iv r e, j 'appre -nais a mourir .L eONARD DE V INC I.

    1960/1982 by LEs :omONS DEMINUrr7 , ru e B em ard -P alis sy , 7 50 06 P ariswww.leseditionsdeminuit.frEn application des articles L. 12210 a L. 12212 du Code de la propriete in-teIlectuelle, toute reproduction a usage collectif par photocopie, integralementou partiellement, du present ouvrage estinterdite sans autorisation du Centrefran~ais d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des GrandsAugustins,75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, integrale ou partiel le , estegalement interdite sans autorisation de I'editeur.

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    11tenait une lettre a la main, i1 leva les yeux meregarda puis de nouveau la lettre puis de nouveaumoi, derriere lui je pouvais voir aller et venir passer lestaches rouges acajou ocre des chevaux qu'on menait al'abreuvoir, la boue etait si profonde qu'on enfon~aitdedans jusqu'aux chevilles mais je me rappeUe quependant la nuit i1 avait brusquement gele et Wackentra dans la chambre en portant le cafe disant Leschiens ont mange la boue, [e n'avais jamais entendu

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    petre) mais de supprimer cette distance: cela etiraseulement un peu sa petite moustache dure poivre etsel, il avait cette peau du visage tannee des gens quivivent tout Ie temps au grand air et mate, quelquechose d'arabe en lui, sans doute un residu d'un queCharles Martel avait oublie de tuer, alors peut-etrepretendait-il descendre non seulement de Sa Cousinela Vierge comme ses nobliaux de voisins du Tarn maisencore par-dessus Ie marche sans doute de Mahomet,il dit Je crois que nous sommes plus ou moins cousins,mais dans son esprit je suppose qu'en ce qui me con-cerne le mot devait plutOt signifier quelque chosecomme moustique insecte moucheron, et de nouveauje me sentis rougir de colere comme lorsque j'avais vucette lettre entre ses mains, reconnu le papier. Je nerepondis pas, il vitsans doute que j'etais en rogne, jene leregardais pas lui mais la lettre, j'aurais voulupouvoir la lui prendre et la dechirer, il agita un peu lamain qui la tenait depliee, les coins battirent commedes ailes dans l'air froid, ses yeux noirs sans hostiliteni d6dain, cordiaux. meme mais distants eux aussi :peut-etre etait-il seulement tout aussi agace que moi,me sachant gre de mon agacement tandis que nouscontinuions cette petite ceremonie mondaine plantes11dans la boue gelee, faisant cette concession aux usa-ges aux convenances par egard tous deux pour unefemme qui malheureusement pour moi etait ma mere,et a la fln il comprit sans doute car sa petite mousta-che remua de nouveau tandis qu'il disait Ne lui enveuillez pas 1 1 est tout a fait normal qu'une mere Elle abien fait Pour ma part je suis tres content d'avoirl'occasion si jamais vous avez besoin de, et moi Mercimon capitaine, et lui Si quelque chose ne va pasn'h~itez pas a venir me, et moi Qui mon capitaine, ilagita encore une fois la lettre, il devait faire quelquechose comme environ moins sept ou moins dix dans le

    petit matin mais ilne semblait meme pas s'en aperce-voir .Apres avoir bu les chevaux repartaient en trot-tant, par deux, les hommes courant au milieu jurantapres eux et s'amusant a se suspendre aux bridons, onpouvait entendre Ie bruit des sabots sur la boue gelee,lui rep6tant Si quelque chose ne va pas je serais heu-reux de pouvoir, pliant ensuite la lettre la mettantdans sa poche m'adressant de nouveau quelque chosequi dans son esprit devait etre encore un sourire et quitirailla simplement une nouvelle fois sur le cOte lamoustache poivre et sel apres quoi il touma les talons.Par la suite je me contentai simplement d'en faireencore moins que je n'en faisais deja, j'avais simplifiela question a l'extreme, decrochant les deux etrivieresen descendant de cheval, debouclant la sous-gorge desque je lui avais coupe l'eau une ou deux fois et alorsenlevant toute la bride d'un seul coup, trempant letout dans l'abreuvoir pendant qu'il fmissait de boire,et ensuite il rentrait tout seul a l'ecurie, moi Marchanta cOte pret a l'attraper par une oreille, apres quoi jen'avais plus qu'a passer un chiffon sur les aciers et detemps en temps un petit coup de toile emeri quand ilsetalent vraiment trop rouilles, mais de toute f~on~ne changeait pas grand'chose parce que sur ce point-lama reputation etait faite depuis longtemps et U savaient renonce a m'embeter et je suppose d'ailleursqu'en ee qui le concerne il s'en fichait pas mal et quefaire semblant de ne pas me voir quand il passait l'ins-pection du peloton etait une politesse faite a ma meresans trop d'effort, a moins que l'astiquage ne fit aussipartie pour lui de ces choses inutiles et irrempla~bles,de ces reflexes et traditions ancestralement conservescomme qui dirait dans la Saumur et fortifi~ par lasuite, quoique d'apres ce qu'on racontait elle (c'est-a-dire la femme c'est-a-dire I'enfant qu'll avait epou-see ou plutOt qui l'avait epouse) s'ewt chargee en seu-

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    lement quatre ans de mariage de lui faire oublier ou entout cas mettre au rancart un certain nombre de cestraditionnelles traditions, que cela lui plOt ou non,mais mame en admettant qu'il eOt renonce 8 un cer-tain nombre d'entre elles (et peut-etre non pas tant paramour que par force ou si I'on prefere par la force deI'amour ou si l'on prefere force par I'amour) ily a deschoses que Ie pire des abandons des renoncements nepeut faire oublier meme si on le voulait et ce sont engeneral les plus absurdes .les plus vides de sens cellesqui ne se raisonnent ni ne se commandent, comme parexemple ce reflexe qu'il a eu de tirer son sabre quandcette rafale lui est partie dans Ie nez de derriere lahaie : un moment j 'ai pu le voir ainsi le bras leve bran-dissant cette anne. inutile et derisoire dans un gestehereditaire de statue equestre que lui avaient proba-blement transmis des generations de sabreurs, sil-houette obscure dans le contrejour qui le decoloraltcomme si son cheval et lui avaient ete coules toutensemble dans une seule et meme matiere, un metalgris, le solei! miroitant un instant sur la lame nue puisIe tout- homme cheval et sabre - s'ecroulant d'unepiece sur le cOtecomme un cavalier de plomb com-men~anta fondre par les pieds et s'inclinant lentementd'abord puis de plus en plus vite sur le flanc, dispa-raissant Ie sabre toujours tenu a bout de bras derrierela carcasse de cecamion brOle effondre la, indecentcomme un an ima l une chienne pleine trainant son ven-tre par terre, les pneus creves se consumant lentementexhalant cette puanteur de caoutchouc crame la nau-seeuse puanteur de la guerre suspendue dans l'eclatantapres-mid! deprintemps, flottant ou plutOt stagnantvisqueuseet transparente mais aurait-on dit visiblecomme une eau croupie dans laquelle auraient baigneles maisons de.brique rouge les vergers les haies : uninstant l'eblouissant reflet de solei! accroche ou plutOt

    condense, comme s'il avait capte attire a lui pour unefraction de seconde toute la lumiere et lagloire, surl'acier virginal ... Seulement, vierge, il y avait bellelurette qu'elle ne l'etait plus, mais je suppose que cen'etait pas cela qu'il lui demandait esperalt d'elle lejour ou il avait decide de 1'6pouser, sachant sansdoute parfaitement des ce moment ce qui I'attendait,ayant accepte par avance ayant assume ayant paravance consomme si l'on peut dire cette Passion, aveccette difference que le lieu le centre l'autel n'en etaitpas une colline chauve, mais ce suave et tendre et ver-tigineux et broussailleux et secret repli de la chair ...Quais: crucifie, agonisant sur I'autel la bouchel'antre de... Mais apres tout n'y avait-il pas aussi uneputain la-bas, 8 croire que les putains sont indispensa-bles dans ces sortes de choses, femmes en pleurssetordant les bras et putains repenties, a supposer qu'illui ait jamais demande de se repentir ou du moinsattendu espere qu'elle le tit qu'elle devtnt autre choseque ce qu'elle avait la reputation d'@tre et doneattendu de ce mariage autre chose que ce qui devaitlogiquement s'ensuivre, prevoyan; marne peut-etre oudu moins ayant peut-etre envisage jUSqU'8cette ultimeconsequence ou plutOt conclusion, ce suicide que laguerre lui donnait l'occasionde perpetrer d'une f~onelegante c'est-a-dire non pas melodramadquespecta-culaireet sale comme les bonnes qui se jettentsous lemetroou les banquiers qui salissent tout leur bureaumais maquille en accident si toutefois on peut conside-rer comme un accident d'@tretue 81aguerre, profitanten quelque sorte avec discretfon et opportunite deI'occasion offerte pour en fmir avec ce quin'auraitjamais dOcommencer quatre ans auparavant ..J'ai compris cela, j'ai compris que tout ce qu'ilcherchait esperait depuis un moment c'etait de se fairedescendre et pas seulement quand je I'ai vu rester 18

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