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1 Sarah Troubé M2 Cogmaster Directeur de stage : Pierre Jacob Laboratoire d’accueil : Institut Jean Nicod Cognition motrice et cognition sociale : Neurones miroir et mindreading Septembre 2007

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Sarah Troubé M2 Cogmaster Directeur de stage : Pierre Jacob Laboratoire d’accueil : Institut Jean Nicod

Cognition motrice et cognition sociale :

Neurones miroir et mindreading

Septembre 2007

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Je remercie chaleureusement Pierre Jacob pour sa disponibilité et son attention à l’égard de mon travail, pour ses conseils et ses relectures attentives. Je remercie également Pascal Mamassian pour ses précieux avis, tant sur mon travail que sur la poursuite de mes études.

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Table des matières INTRODUCTION........................................................................................................................................................... 4

I° LE MODELE DE LA RESONANCE INTERSUBJECTIVE ............................................................................ 8

1° COMPRENDRE UNE ACTION PAR LA RESONANCE MOTRICE..................................................................................... 8 a) Les NM : localisation et propriétés ................................................................................................................... 8 b) Représenter le résultat de l’action..................................................................................................................... 9 c) L’hypothèse de la résonance motrice ..............................................................................................................11

2° LE MODELE DES CHAINES DE NM LOGIQUEMENT RELIES ....................................................................................12 a) Les nouvelles données expérimentales ............................................................................................................13 b) Résonance motrice ou représentation de l’intention ?...................................................................................14

II° LA STRUCTURE HIERARCHIQUE DES INTENTIONS...........................................................................17

1° ACTION, MOUVEMENT ET INTENTION....................................................................................................................17 a) Actions basiques et non basiques ....................................................................................................................17 b) Intention préalable et intention en action .......................................................................................................18 c) L’intention motrice ...........................................................................................................................................19 d) Percevoir une intention à partir d’un mouvement ?.......................................................................................21

2° LA COMPLEXITE DES INTENTIONS PREALABLES....................................................................................................22 a) Les intentions préalables simples dirigées vers une cible inanimée .............................................................23 b) Les intentions préalables sociales ...................................................................................................................23 c) Les intentions préalables communicatives ......................................................................................................24 d) ) NM logiquement reliés et intention préalable ..............................................................................................25

III° UN DILEMME POUR LA THEORIE MOTRICE DE LA COGNITION SOCIALE............................28 1° SIMULATION DE BAS NIVEAU ET SIMULATION DE HAUT NIVEAU .........................................................................28 2° LES MECANISMES DE SIMULATION ........................................................................................................................30

a) Simulation et prédiction ...................................................................................................................................30 b) Simulation et rétrodiction ................................................................................................................................32

3° LES NM SONT-ILS UN MECANISME DE SIMULATION MOTRICE PURE ?.................................................................34 4° LES NM REMPLISSENT-ILS LES CONDITIONS POUR REALISER UNE VERSION PRIMITIVE DU MINDREADING ? ....35

CONCLUSION ET PERSPECTIVES.......................................................................................................................38

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................................40

ANNEXES ......................................................................................................................................................................43

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Introduction

La découverte, il y a une dizaine d’années, des neurones dits « miroir », (ci-après NM)

est l’une des découvertes des neurosciences cognitives qui a suscité le plus de questions et

discussions en sciences cognitives et en philosophie. Ces neurones, découverts par la méthode

d’enregistrement unitaire chez le macaque, ont été ainsi baptisés parce qu’ils possèdent

conjointement des propriétés sensorielles et motrices, les premières « reflétant » les secondes.

Ils ont d’abord été mis en évidence chez le singe dans l’aire F5 du cortex prémoteur inféro-

frontal et dans le cortex pariétal inférieur, puis des études en imagerie cérébrale ont également

abouti à la découverte d’un système miroir chez l’homme, dont la localisation est cohérente

avec celle du singe. Il s’agit de neurones moteurs, qui gouvernent l’exécution d’actions

« transitives » (dirigées vers une cible), et qui s’activent également lors de l’observation de

cette même action effectuée par un autre.

À quoi servent les NM ? Certains chercheurs1 ont supposé que les NM servent à

promouvoir l’imitation et l’apprentissage par imitation ou même l’émergence du langage.

Selon l’hypothèse défendue par Gallese et Goldman (1998), l’activité des NM dans le cerveau

d’un observateur opérerait une simulation motrice automatique des mouvements exécutés par

l’agent. Grâce à cette simulation motrice, l’observateur serait en position de représenter

l’intention de l’agent. Dans cette hypothèse, les NM contribueraient à ce que l’on nomme en

anglais le « mindreading2 », c’est-à-dire la compréhension psychologique d’autrui (ou

mentalisation) : la capacité de « lire » dans l’esprit des autres, de représenter leurs états

mentaux pour comprendre et prédire leurs comportements3.

L’hypothèse de Gallese et Goldman consiste donc à combiner l’approche

« simulationniste » de la compréhension psychologique et le mécanisme des NM. Plusieurs

années avant la découverte des NM, l’étude de la compréhension psychologique d’autrui (par

des psychologues du développement et des philosophes) a donné lieu à une controverse entre

deux points de vue : la « théorie-théorie » et la théorie de la simulation. Selon la « théorie-

théorie », notre capacité à attribuer des états mentaux s’appuie sur une théorie psychologique

1 Rizzolatti et al. (2001), Rizzolatti et Arbib (1998). 2 Dans la mesure où il n’existe pas de nom français équivalant exactement à une traduction de « mindreading », nous nous permettrons d’utiliser le terme anglais au cours de ce mémoire. 3 Le mindreading n’est pas limité à la compréhension d’autrui, mais comprend également notre capacité à expliquer nos propres comportements et à reconnaître nos états mentaux. Une théorie explicative du mindreading doit pouvoir rendre compte de ces deux perspectives, mais nous n’aborderons pas le mindreading en première personne dans le cadre de ce mémoire.

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naïve composée de lois et de concepts implicites, comparable à la « physique naïve ». En

revanche, la théorie de la simulation postule que notre capacité d’attribution consiste à simuler

les états psychologiques d’autrui en se mettant à leur place par l’imagination ou en « faisant

semblant » d’être autrui : on parviendrait ainsi à comprendre et à prédire les comportements des

autres en utilisant nos propres mécanismes psychologiques, ceux-là même qu’on utiliserait si

on était à leur place. Contrairement à la théorie-théorie, la théorie de la simulation repose donc

de manière cruciale sur une similarité entre nous et les autres, sans laquelle la réplication

d’autrui dans notre propre système ne serait pas possible4. En simulant dans son propre

répertoire moteur l’action exécutée par autrui, les NM permettraient à l’observateur de

représenter (et comprendre) par « résonance » l’action d’autrui observée.

L’hypothèse de Gallese et Goldman s’inscrit ainsi dans le programme de la cognition

incarnée défendu par Gallese en 2003, selon lequel la cognition motrice servirait de base à la

cognition sociale. Grâce au fait que les NM constituent un savoir moteur incarné de l’action, ils

offriraient une compréhension motrice de l’action. Dans la mesure où la capacité de

mindreading est au fondement de la cognition sociale humaine, qui regroupe l’ensemble des

représentations qui guident les relations d’un individu avec ses congénères, les NM seraient

supposés ancrer la cognition sociale dans la cognition motrice5. Ils constitueraient la base

neuronale de la similarité entre les perspectives en première et en troisième personne sur une

seule et même action.

Or, une action comporte au moins deux aspects complémentaires : des mouvements

corporels et un but (ou une intention), c’est-à-dire la représentation d’un état de choses possible

(non encore réalisé). Représenter une action, c’est donc représenter conjointement une

séquence de mouvements corporels et un but. Il existe des degrés dans la compréhension d’une

action : d’une part, un mouvement corporel peut être catégorisé et identifié, par exemple,

comme un acte par lequel un agent a saisi une pomme dans sa paume. D’autre part, l’agent peut

avoir saisi une pomme pour la manger ou pour la jeter à la poubelle. L’une des questions

centrales abordées dans ce mémoire sera de savoir si les données expérimentales recueillies sur

le fonctionnement des NM justifient l’hypothèse selon laquelle, grâce à un processus de

simulation motrice, l’activité des NM permettrait, à partir de l’observation des mouvements

exécutés, de représenter l’intention de l’agent, c’est-à-dire un état mental inobservable qui est

4 Les principaux articles touchant cette controverse sont rassemblés dans Davies et Stone, 1995a et 1995b. 5 L’hypothèse formulée par Gallese, Keysers et Rizzolatti (2004) d’une base motrice de la cognition sociale s’appuie également sur une compréhension motrice des émotions, à partir d’études montrant que la perception d’une émotion active chez l’observateur la zone activée lors du ressenti de cette émotion (Wicker et al., 2003). Nous n’aborderons pas cette question d’une résonance émotionnelle dans le cadre de ce travail.

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la cause des mouvements observés. Si cette hypothèse était attestée, alors les NM offriraient

une compréhension directe et immédiate de l’action d’autrui qui permettait de faire l’économie

de l’analyse théorique de son comportement, d’un point de vue externe.

Se demander si l’activité des NM peut représenter l’intention d’un agent, c’est se poser

trois types de questions. Premièrement, l’activité des NM est-elle assimilable à un mécanisme

de résonance ou de simulation motrice ? L’activité des NM engendre-t-elle ce que Jeannerod

(1994, 1999) nomme une « représentation motrice partagée » (par un agent et un observateur)?

Deuxièmement, un mécanisme de résonance ou de simulation motrice suffit-il à fournir une

représentation de l’intention d’un agent ? La réplication mentale des mouvements exécutés par

un agent permet-elle de représenter son intention ? Troisièmement, les NM peuvent-ils coder en

eux-mêmes une intention, ou font-ils partie d’un mécanisme plus large où ils contribueraient à

cette représentation sans pour autant suffire à la coder en eux-mêmes6?

Nous examinerons ces questions en confrontant les données expérimentales recueillies

sur les NM avec des travaux réalisés en philosophie de l’esprit et en psychologie du

développement. La philosophie de l’esprit nous permettra de clarifier le concept d’intention, et

les relations qu’une l’intention entretient avec les mouvements composant l’action. Nous

pourrons, à partir de ces travaux, dégager les différents niveaux hiérarchiques qui vont de

l’observation d’un acte moteur à l’identification de l’action, puis à la représentation de

l’intention de l’agent, pour nous demander dans quelle mesure l’intention peut être contenue

dans une représentation motrice de l’action. La psychologie du développement nous aidera à

définir le niveau pertinent de mindreading où les NM pourraient jouer un rôle : les NM ont été

découverts chez le singe, dont les capacités de mindreading sont controversées. Pour rendre

justice à l’hypothèse de Gallese et Goldman (selon laquelle l’activité des NM serait un

précurseur primitif du mindreading humain), nous ne considérerons que la question de savoir si

les NM pourraient sous-tendre la représentation d’états psychologiques de bas niveau (dont

l’intention d’un agent), non la représentation d’états psychologiques de haut niveau (comme

une croyance fausse).

L’activité des NM a d’abord été interprétée comme un mécanisme de résonance

intersubjective. Dans la première section, nous exposerons successivement les données

expérimentales sur lesquelles s’appuie cette interprétation et celles qui la remettent en cause.

Dans la deuxième section, on s’appuiera sur différents travaux en philosophie de l’esprit

6 Incidemment, la question se pose aussi de savoir si l’activité des NM est aussi nécessaire à la compréhension psychologique d’autrui. Certaines données issues de la psychologie du développement du bébé humain conduisent à en douter. Mais nous n’aborderons pas cette question dans les limites de ce mémoire.

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concernant la compréhension de l’action et des intentions pour distinguer différents niveaux de

compréhension et les conditions requises pour chaque niveau, afin de dégager le niveau adéquat

où les NM pourraient jouer un rôle. Dans la troisième section, nous combinerons les acquis des

sections précédentes afin d’évaluer la capacité des NM à représenter l’intention d’un agent,

c’est-à-dire la capacité du processus de simulation motrice à servir de base au mindreading.

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I° Le modèle de la résonance intersubjective

Depuis leur découverte dans les années 1990, l’activité des NM a été décrite comme un

mécanisme de résonance directe entre un agent et un observateur. Comme le disent Rizzolatti et

al. (2001), les neurones miroir permettraient une compréhension directe et immédiate d’une

action exécutée par autrui en offrant une représentation motrice de l’action observée grâce à

laquelle le système moteur de l’observateur est mis en résonance directe avec celui de l’agent.

Plus récemment, Gallese et al. (2004) ont affirmé que le mécanisme des NM « nous permet de

comprendre directement la signification des actions (…) d’autrui sans aucune médiation

réflexive explicite, grâce à une réplication (ou une “simulation”) interne des événements

observés ».

1° Comprendre une action par la résonance motrice

a) Les NM : localisation et propriétés

Les régions où des NM ont été découverts sont impliquées dans le contrôle et

l’organisation, à partir d’inputs somato-sensoriels, de mouvements effectués sur des objets :

l’aire F5 du cortex prémoteur inféro-frontal chez le singe, son homologue l’aire de Broca chez

l’homme, ainsi que la région PF, la partie rostrale du lobe pariétal inférieur (Rizzolatti et al.,

1995, Gallese et al., 2002). Ces régions sont organisées de manière somatotopique et

concernent essentiellement des mouvements de la main et de la bouche. L’aire F5 contient,

outre des NM, des neurones dits « canoniques » : ceux-ci s’activent lors de l’exécution d’une

action et lors de la perception d’objets associés à des types d’actions qui constituent ainsi une

affordance, mais ils ne répondent pas à l’observation d’actions. Leur rôle moteur serait lié à la

transformation visuo-motrice nécessaire à l’exécution d’une action et à une typologie des

mouvements selon des actions types (Rizzolatti et Arbib, 1998). Les propriétés de ces neurones

canoniques renvoient donc à une représentation pragmatique de l’action, contenant son but et le

mouvement permettant de l’atteindre. Dans la mesure où les propriétés motrices des NM

seraient proches de celles des neurones canoniques, ils coderaient donc une représentation

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motrice de l’action, un plan moteur pour préparer l’exécution d’une action (Gallese et

Goldman, 1998). Le cortex prémoteur ventral est de plus connecté indirectement avec la région

STS (sillon temporal supérieur), qui est impliquée dans la perception d’actions, notamment les

actions biologiques et les actions dirigées vers un but, mais ne possède pas de propriétés

motrices. Autrement dit, les neurones de STS ne déchargent pas lorsque l’animal exécute une

action mais seulement lorsqu’il observe une action exécutée par autrui (Perrett et al., 1989).

Les études réalisées sur les conditions d’activation des NM mettent en évidence deux

caractéristiques qui établissent un lien entre les réponses des NM et un codage d’actions types.

Tout d’abord, les études réalisées chez le singe montrent que les NM répondent sélectivement à

des catégories de mouvements dirigés vers une cible constituant des actions types, et possèdent

des degrés de congruence variables entre l’action qu’ils codent lorsque le sujet l’effectue, et

celle qu’ils codent lorsque le sujet perçoit la même action exécutée par un autre. Les NM qui

codent la même action sont dits strictement congruents : dans l’aire F5, ils représentent

environs le tiers des NM (Rizzolatti et Craighero, 2004). D’autres présentent un panel de

réponses plus large dans leurs propriétés sensorielles que dans leurs propriétés motrices : les

actions observées auxquelles ils répondent sont cependant liées fonctionnellement à l’action

dont ils gouvernent l’exécution : ces NM sont dit à large congruence (di Pellegrino et al.,

1992). Par ailleurs, les degrés de précision avec lesquels les NM représentent les actions sont

également variables : certains répondent sélectivement à la fois au but et au mouvement précis

permettant de l’atteindre (comme attraper un objet par une pince de précision), d’autres

présentent un degré plus large de généralisation et répondent à la même action abstraction faite

de la précision du mouvement effectué (Rizzolatti et Craighero, 2004).

b) Représenter le résultat de l’action

Cette congruence et cette précision plus ou moins larges des NM pose la question de

savoir quels aspects de l’action ils représentent : le mouvement en tant que tel ou le but de

l’action ? On peut penser que si les mouvements ne sont pas toujours codés par les NM avec la

même précision, c’est que les NM classent les actions en elles-mêmes selon leur signification,

et non selon les propriétés cinématiques des mouvements qui peuvent les constituer. Cette

interprétation a été défendue par Gallese et Goldman (1998) : les NM réaliseraient un codage

pragmatique des actions associant un mouvement avec un résultat. Différentes études ont été

menées chez le singe afin de préciser quel facteur déclenche l’activation des NM : lorsque le

singe exécute une action, les NM pourraient en effet être activés par la perception de son propre

mouvement plutôt que par l’action elle-même. Lorsqu’il observe une action, l’activation des

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NM pourrait être induite par la perception de la cible plutôt que par la signification de l’action.

Ces études visent à différencier ces facteurs en occultant les indices visuels constitués par le

mouvement et la cible. Umilta et al. (2001), ont ainsi constaté que les NM du cortex prémoteur

ventral codant la saisie d’un objet sont actifs lorsque le singe effectue le mouvement dans

l’obscurité, ainsi que lorsqu’il voit exécuter une action dont la cible et la phase finale du

mouvement sont dissimulées derrière un écran, s’il sait que la cible est présente et s’il peut

ainsi avoir une représentation mentale du but de l’action (Voir annexe 1). Dans la même

perspective, les études réalisées par Kohler et al. (2002) ont montré que les NM s’activent

également lors de la perception auditive du bruit d’une action, en l’absence de perception

visuelle. Ces données tendent à faire penser que les NM sont liés à l’action en tant que telle, et

qu’ils pourraient constituer un « vocabulaire » d’actions types classées selon leur signification,

selon la terminologie de Rizzolatti et al. (2000).

Si tel est le cas, leur fonction dépend du type d’actions auxquelles ils répondent. Chez le

singe, différentes études ont établi que les NM déchargent lorsque l’animal perçoit une action

dirigée vers une cible : dans l’expérience réalisée par Umilta et al. (2001), les NM répondent

lorsque le singe sait qu’une cible est présente, même si la cible est cachée à la vue de l’animal ;

les NM sont muets s’il n’y a pas de cible et si l’animal le sait, même si le mouvement observé

de l’agent est identique dans les deux conditions. La réponse des NM est donc conditionnée par

l’association entre un acte moteur et une interaction avec un objet, qui peut être interprétée

comme son résultat. Chez l'homme, différentes études ont mis en évidence un pattern plus large

de réponses des NM : ceux-ci ne seraient pas uniquement actifs pour des actions dirigées vers

une cible, mais également pour des actions de communication intransitives, dont le but ne

coïncide pas avec l’existence d’une cible, ainsi que pour des pantomimes d’actions (Fadiga et

al., 1995 ; Buccino et al., 2001). Là encore, ce type d’activation donne à penser qu’il existe une

corrélation entre la signification que l’action revêt pour le sujet, et la réponse des NM : dans la

mesure où les actions motrices de la vie courante sont généralement dirigées vers des objets, les

actions mimées permettent de mieux différencier une activation qui aurait été guidée par la

perception de l’objet et celle qui est liée à la signification de l’acte. Les NM ne constitueraient

donc pas uniquement un vocabulaire d’actes moteurs codés selon la commande motrice qui leur

correspond, mais d’actes moteurs spécifiques ayant une signification, et donc valant comme

action à part entière.

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c) L’hypothèse de la résonance motrice

Ces données donnent un sens à l’hypothèse selon laquelle les NM coderaient les actions

selon leur but, et non seulement selon les propriétés cinématiques des mouvements qui les

constituent, ce qui implique que les NM sont liés à la compréhension de l’action. Ils

permettraient de comprendre le sens du résultat de l’action. Cette supposition repose sur le

mécanisme de simulation motrice, dont les NM, par la congruence entre leurs propriétés

sensorielles et motrices, seraient une instance.

En effet, si l’on postule que les NM représentent un vocabulaire d’actions types, encore

faut-il expliquer pourquoi ce vocabulaire serait représenté dans un langage moteur. Grâce à leur

résonance avec les NM de l’agent, les NM de l’observateur effectueraient une simulation

motrice des mouvements effectués par l’agent7. Par cette simulation motrice (non suivie

d’exécution), un observateur comprendrait l’action exécutée par autrui et le but de cette action.

Cette implication de notre propre système moteur dans la perception de la dynamique de

l’action est particulièrement bien illustrée dans une expérience d’imagerie cérébrale, réalisée

par Buccino et al. (2004). Dans cette expérience, des sujets humains voient (sans entendre) des

actions buccales de communication réalisées tantôt par un homme, tantôt par un singe, tantôt

par un chien. Ils constatent que le système miroir n’est actif que pour les deux premières

actions (voir annexe 2). La compréhension de l’action par les NM constituerait un type

particulier de compréhension, ou du moins de perception, générant un « savoir personnel » en

résonant dans notre système moteur, alors que les actions que nous sommes incapables

d’exécuter sont représentées grâce à une analyse purement visuelle, qui serait sous-tendue par

des activités de la région STS et du lobe inféro-temporal. Il y aurait ainsi deux mécanismes de

compréhension de l’action, selon que notre système moteur peut ou non résonner avec l’acte

moteur observé. Cette résonance donnerait lieu à une compréhension par « simulation

incarnée 8» du comportement de nos congénères, basée sur la similarité et sur notre propre

expérience motrice. Le fait que les NM du singe ne soient pas activés lorsque l’action est

effectuée à l’aide d’un outil, dont l’usage ne peut être représenté dans son répertoire moteur,

semble attester le caractère fondamental de la compréhension de l’action par résonance

(réplication ou simulation) motrice . 7 Ce processus de simulation motrice est proche de la notion de contagion motrice, où la production d’un comportement par l’agent génère automatiquement, chez l’observateur, la production du même comportement, comme l’action de crier (Provine, 1989). Ces deux notions se différencient par le fait que la simulation motrice ne donne pas lieu à l’exécution de l’action répliquée. De plus, une simple contagion motrice peut ne pas donner lieu à une compréhension du comportement reproduit, alors que Gallese et Goldman donnent à la simulation motrice la fonction d’une compréhension directe de l’action. 8 Pour reprendre l’expression de Gallese (2004), qui a également recours pour désigner cette compréhension à l’expression de « mise en phase intentionnelle », qui constituerait une alternative à la conception cognitiviste de l’esprit comme système computationnel désincarné.

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Selon l’hypothèse proposée par Gallese et Goldman (1998), puis par Rizzolatti et al.

(2001), l’activité des NM est la source d’une compréhension des actions observées par un

« matching » moteur ou une résonance motrice directe. L’activation, pendant l’observation

d’une action, de la représentation motrice utilisée pour sa réalisation initierait chez

l’observateur une représentation de son résultat, ce dernier étant pour lui associé au mouvement

observé lorsque lui-même l’effectue (Gallese, 2004). Les NM codent un plan d’action qui, chez

l’agent, guide l’exécution, et que l’observateur attribue à l’agent lorsqu’il est mentalement

répliqué dans son système moteur, sans être exécuté (Gallese et Goldman, 1998). A partir de ce

plan d’action, l’observateur comprendrait la signification de l’action. Selon cette hypothèse, la

compréhension des actions de l’autre, quand cet autre est suffisamment similaire à nous d’un

point de vue moteur, serait un processus de résonance directe, immédiate et automatique. Le

caractère direct est fondé sur le fait que nous possédons, en vertu de notre propre expérience,

un savoir moteur des associations entre des mouvements dirigés vers certaines cibles et les

résultats obtenus. Cette hypothèse basée sur la congruence stricte des propriétés motrices et

sensorielles des NM peut être rapportée à la notion de représentation motrice « partagée »

élaborée par Jeannerod (1994, 1999), indépendamment de la découverte neurophysiologique

des NM. Lorsque nous préparons l’exécution d’un mouvement, notre système moteur forme

une représentation qui a pour fonction de guider et d’ajuster l’exécution de ce mouvement. Elle

représente les détails cinématiques du mouvement à effectuer à partir d’un codage pragmatique

du but à atteindre, c’est-à-dire d’une représentation de la cible comme une affordance, centrée

sur la position de l’agent. L’activation des NM, grâce à leur propriété de congruence, donnerait

ainsi lieu à une représentation motrice partagée entre l’agent et l’observateur, qui permettrait à

ce dernier de se mettre directement à la place de celui qui exécute le mouvement.

2° Le modèle des chaînes de NM logiquement reliés

Nous venons d’examiner des données expérimentales qui suggèrent que l’activité des

NM engendre une même représentation motrice d’une action dans le cerveau de l’agent et dans

le cerveau de l’observateur. Dans le premier cas, elle précède l’exécution. Dans le second cas,

elle constitue une simulation des mouvements observés. Selon l’hypothèse de Gallese et

Goldman, cette simulation est à la base de la compréhension des actions d’autrui. Mais il y a un

saut entre cette hypothèse et celle d’une contribution des NM à la représentation de l’intention

de l’agent. Comprendre l’action au moment où nous la simulons n’ajoute rien à cette action, et

requiert seulement de comprendre que l’agent est en train d’accomplir telle action. L’hypothèse

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d’une représentation de l’intention franchit une étape dans les niveaux de complexité de

compréhension d’autrui, car il s’agit de représenter un état psychologique, ou représentation

mentale, qui n’est pas directement observable. Dans le même temps, les propriétés des NM, et

notamment la sélectivité de leurs réponses aux actions dirigées vers une cible chez le singe,

semblent remplir l’une des conditions préalables à la représentation d’une l’intention, car pour

pouvoir représenter une intention, il faut déjà représenter le fait que l’événement observé est

une action intentionnelle et y réagir de manière particulière. Différencier les actions des autres

types d’événements et de mouvements constitue une première condition pour pouvoir jouer un

rôle dans la cognition sociale.

a) Les nouvelles données expérimentales

Fogassi et al. (2005) et Iacoboni et al. (2005) ont mis au point de nouvelles expériences

respectivement réalisées chez le singe et chez l’homme pour corroborer l’hypothèse de Gallese

et Goldman (1998) selon laquelle l’activité des NM engendrerait une représentation de

l’intention de l’agent. Les deux protocoles consistent à enchâsser l’exécution ou l’observation

d’un seul acte moteur à l’intérieur de deux actions globales complexes distinctes. Dans

l’expérience de Fogassi et al. (2005), un singe exécute puis observe un acte de préhension d’un

objet comestible ; cet acte d’extension du bras est suivi tantôt d’un geste de flexion du bras par

lequel l’agent porte l’objet à sa bouche, tantôt d’un geste par lequel l’agent dépose l’objet dans

un récipient ; ce récipient est lui-même tantôt placé à proximité de la cible, tantôt à proximité

de la bouche de l’agent. Lorsque le récipient est situé près de la cible, l’agent tend le bras ;

lorsque le récipient est situé près de sa bouche, l’agent fléchit le bras. Grâce à la technique

d’enregistrement unicellulaire, Fogassi et al. (2005) constatent que des NM distincts déchargent

lorsque le singe exécute un seul et même acte moteur de préhension selon qu’il sert à manger

ou à placer l’objet dans un récipient. Ils constatent également que des NM distincts déchargent

lorsque le singe observe un seul acte moteur de préhension selon la même modulation. La

présence ou l’absence d’un récipient est donc un indice contextuel susceptible de moduler la

réponse des NM en présence d’un seul et même acte moteur de préhension.

L’expérience réalisée par Iacoboni et al. (2005) en imagerie cérébrale met en scène trois

conditions observées par les sujets : dans la condition Action, les sujets voient tantôt une main

saisir une tasse avec une pince de précision, tantôt à pleine paume. La condition Contexte

oppose le décor d’une table où le thé n’a pas encore été consommé (« avant le thé ») à celui

d’une table où il est sur le point d’être desservi (« après le thé »). La condition Intention

présente l’action à l’intérieur de l’un des deux contextes : les sujets voient une main saisir la

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tasse tantôt dans le premier décor, tantôt dans le second décor. Iacoboni et al. (2005) constatent

que l’activation du système miroir, notamment celle du cortex frontal inférieur droit, est plus

importante dans la condition Intention que dans les deux autres. De surcroît, ils constatent que

les régions frontales inférieures droites sont plus actives dans la condition Intention dans

laquelle la tasse est saisie dans le contexte avant le thé que dans celle où la tasse est saisie dans

le contexte après le thé. Il n’est pas surprenant que le système miroir soit plus actif dans la

condition Intention que dans la condition Contexte, puisque dans cette dernière, les sujets ne

perçoivent aucune action (voir annexe 3). L’intuition suggère que la présence des indices

contextuels contenus dans la condition Intention (et absents de la condition Action) facilite la

discrimination entre deux intentions possibles de l’agent : l’intention de boire ou l’intention de

desservir. Du fait que les régions frontales inférieures droites sont plus actives dans la condition

Intention que dans la condition Action, Iacoboni et al. (2005) concluent que l’activité des NM

(contenus dans ces régions) sert à discriminer entre les deux intentions possibles de l’agent, et

donc à former une représentation de ce qu’ils nomment « l’intention globale » de l’agent.

Ces deux expériences parallèles soulèvent deux questions distinctes : (1) démontrent-

elles (comme l’affirment Fogassi et al., 2005 et Iacoboni et al., 2005) que l’activité des NM

engendre une représentation de l’ « intention globale » de l’agent ? (2) Ces résultats

expérimentaux sont-ils compatibles avec l’interprétation selon laquelle l’activité des NM est un

pur mécanisme de résonance motrice ?

b) Résonance motrice ou représentation de l’intention ?

Ces deux expériences mettent en évidence une activation des NM qui n’est pas

compatible avec une congruence stricte de leurs propriétés sensorielles et motrices. Comme le

reconnaissent Iacoboni et al. (2005), « cette propriété ne peut rendre compte des résultats

décrits ici, en particulier de la différence observée entre les modalités « boire » et

« débarrasser » de la condition Intention ». La congruence stricte exigerait que les NM codent

exactement le même acte moteur selon que le sujet l’exécute ou qu’il observe son exécution par

un autre. Fogassi et al. (2005) constatent que lorsqu’un singe observe un acte de préhension

d’une cible, les NM qui déchargent dans le cerveau de l’observateur ne sont pas ceux qui

gouvernent un acte de préhension, mais ceux qui gouvernent, par exemple, l’acte de porter

l’objet à sa bouche. Iacoboni et al. (2005) constatent que des NM distincts déchargent selon

qu’un seul et même acte moteur observé est suivi de deux actes moteurs distincts. Pour

expliquer leurs résultats, Iacoboni et al. introduisent un nouveau modèle de l’activité des NM,

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qu’ils nomment « le modèle des chaînes de NM logiquement reliés ». Selon ce modèle, les NM

qui déchargent dans le cerveau d’un observateur sont ceux qui guident non pas l’exécution de

l’acte observé mais celle de l’acte rendu le plus probable par l’acte observé (et par le contexte).

Ces chaînes permettraient donc de relier le mouvement observé à un plan d’action plus vaste,

en fonction des indices contextuels. Comme les indices contextuels jouent un rôle déterminant

dans la sélection du successeur le plus probable d’un acte observé, l’un des problèmes majeurs

soulevés par ce nouveau modèle est de savoir si les indices contextuels peuvent être traités par

l’activité des NM eux-mêmes.

Le modèle des chaînes de NM logiquement reliés semble difficilement conciliable avec

l’hypothèse de la résonance motrice directe, car celle-ci reposait sur la propriété de congruence

permettant une réplication stricte du mouvement observé. Or, une chaîne de NM logiquement

reliés aurait pour fonction non pas de répliquer, mais d’anticiper un acte moteur non encore

observé. Une telle anticipation ne peut reposer sur le partage strict d’une seule et même

représentation motrice (entre l’agent et l’observateur). Peut-être le modèle des chaînes de NM

logiquement reliés est-il compatible avec l’idée d’une représentation motrice partagée au sens

large (entre l’agent et l’observateur). Mais en tout état de cause, une chose est de prédire le

prochain acte moteur qu’exécutera un agent, à partir d’un acte moteur observé. Autre chose est

d’anticiper ou de prédire l’intention de l’agent. À partir de la perception d’un mouvement, on

peut sans doute inférer l’intention d’un agent ; mais au sens strict, il ne peut s’agir d’une

prédiction, puisque l’intention de l’agent est la cause de ses mouvements et qu’elle a donc

précédé les mouvements observés. Les nouvelles données expérimentales semblent donc exiger

une modification des modèles de simulation motrice. Deux questions se posent : 1) les résultats

expérimentaux de Fogassi et al. et Iacoboni et al. démontrent-ils que l’activité des NM

engendre une représentation de l’intention de l’agent ? 2) Comme le reconnaissent Iacoboni et

al., un mécanisme de résonance motrice pure ne permet ni de représenter l’intention d’un agent,

ni de prédire son prochain acte moteur, à partir de la perception d’un acte exécuté. La question

se pose donc de savoir si les NM peuvent être intégrés dans un mécanisme de simulation

mentale qui leur permettrait de contribuer au mindreading.

La seconde interrogation (la première des deux questions que nous avons évoquées)

concerne la capacité des NM à représenter l’intention de l’agent. Selon l’hypothèse de

Iacoboni, l’activation de la chaîne de NM logiquement reliés permet d’effectuer la liaison entre

un acte moteur et l’acte suivant, cet acte suivant équivalant à l’intention qui a guidé le premier

mouvement. Cette hypothèse est ambiguë, car l’acte moteur qui suit un premier mouvement

n’équivaut pas toujours à l’intention de ce premier mouvement. Le codage d’une intention,

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comme cause du mouvement, et celui d’un acte moteur sont deux représentations distinctes,

que l’activation des NM logiquement reliés dans l’expérience de Iacoboni et al. ne permettent

pas de différencier. Il faut donc savoir ce qui est mis en rapport par les chaînes de NM

logiquement reliés : deux mouvements, ou un mouvement et l’intention qui l’a guidé ? En tant

que telles, les expériences de Fogassi et al. et de Iacoboni et al. mettent en évidence une

corrélation entre la représentation d’une intention et l’activité des NM. L’existence de cette

corrélation ne suffit pas à établir que l’activité des NM est la source de la représentation de

l’intention. La représentation du but de l’action pourrait être générée indépendamment des NM

par la perception des indices contextuels, sans que les NM soient responsables de cette

représentation.

Cette hypothèse alternative n’est pas non plus éliminée par l’expérience réalisée par

Umiltà et al. (2001), qui met en évidence chez le singe une corrélation entre l’activité des NM

et celle de la présence d’une cible. Le singe pourrait en effet générer une représentation du but

de l’action par le fait de percevoir la cible, ou de connaître sa présence, sans que cette

représentation soit produite par les NM à partir de l’observation du mouvement de l’agent.

Selon Iacoboni, l’intention est codée au niveau du système miroir, à partir de l’analyse des

indices contextuels dans STS9. Mais ces expériences ne permettent pas d’éliminer l’hypothèse

que le codage de l’intention ait lieu hors du système miroir tout en conditionnant son activation.

De surcroît, Iacoboni et al. (2005) supposent que l’activité des NM code ce qu’ils

nomment l’intention « globale » de l’agent, c’est-à-dire l’intention qui guide les deux actes

moteurs et les intègre dans une seule et même action. Nous allons dans la section suivante nous

intéresser à la dynamique de l’action pour montrer qu’une telle intention globale n’existe pas :

une action met en jeu une hiérarchie d’intentions distinctes par leur nature et le rapport qu’elles

entretiennent avec l’action qu’elles causent. L’hypothèse de Iacoboni et al. peut alors être

évaluée à partir de deux interrogations solidaires: 1) à quel niveau, dans la hiérarchie des

intentions, les NM peuvent-ils jouer un rôle ? Quelle est la nature de l’intention qu’ils peuvent

représenter ? 2) Les NM réunissent-ils les conditions suffisantes pour représenter une intention

à partir du codage d’une représentation motrice ? Autrement dit, les rapports que l’action

entretient avec le mouvement qui la réalise nous permettent-ils d’assimiler le codage du

mouvement suivant avec le codage de l’intention de l’agent ? 9 Les informations concernant le contexte et l’objet manipulé seraient, selon Fogassi et al. (2005), envoyées aux NM du lobe pariétal inférieur par la région STS et le lobe inféro-temporal, impliqué dans le codage sémantique des objets, qui lui sont connectés. Le fait que lorsque l’objet manipulé est de la nourriture, mais que le récipient est présent, les NM codant l’action de manger soient également actifs en plus de ceux qui codent l’action de placer, est selon lui en faveur de cette hypothèse, car cela traduit une interaction entre les deux analyses, celle de l’objet et celle du contexte.

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II° La structure hiérarchique des intentions

Comprendre une action soulève au moins deux questions : la question « Quoi ? »

(« Quelle action l’agent a-t-il accomplie ? ») et la question « Pourquoi ? » (« Pourquoi l’agent

a-t-il fait ce qu’il a fait ? »). Comme l’a indiqué la section précédente, l’activité des NM a

d’abord été interprétée comme une réponse à la première question, c’est-à-dire comme un

mécanisme d’identification d’un acte moteur. Puis, elle a été interprétée comme une réponse à

la seconde question, c’est-à-dire comme un mécanisme capable d’engendrer une représentation

de l’intention de l’agent. Comme nous l’avons fait valoir et comme le reconnaissent

explicitement Iacoboni et al. (2005), cette seconde interprétation est difficilement compatible

avec l’idée que les NM constitueraient un mécanisme de pure résonance motrice. C’est

pourquoi Iacoboni et al. (2005) ont introduit le modèle des chaînes de NM logiquement reliés.

Dans la présente section, nous allons examiner la question de savoir si un tel mécanisme

pourrait sous-tendre la représentation de l’intention de l’agent en examinant en détail les

relations entre une intention et les mouvements observables d’un agent.

1° Action, mouvement et intention

Une action (ou un comportement) ne s’identifie pas à un mouvement corporel. D’une

part, comme l’ont souligné de nombreux philosophes de l’action (dont Goldman, 1970 et

Dretske, 1988), une action est composée à la fois de mouvements corporels et d’une

représentation mentale (un but ou une intention) qui est la cause des mouvements. D’autre part,

contrairement à ce que laissent entendre Iacoboni et al. (2005), ces mouvements ne résultent

pas d’une intention « globale » unique. Une action est un processus qui dépend d’une série

hiérarchisée d’intentions, dont chacune sert à expliquer différents aspects de l’action.

a) Actions basiques et non basiques

Lorsque nous observons une action, nous percevons le mouvement accompli par

l’agent, et la phase finale de ce mouvement qui constitue le résultat de l’action. Généralement,

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nous caractérisons l’action par ce résultat, dans la mesure où c’est la représentation de ce but

qui a guidé le mouvement, et qui constitue donc la fin de l’action, alors que le mouvement est

son moyen. Nous parlons ainsi de l’action de saisir un verre, plutôt que de l’action de tendre le

bras et de placer ses doigts autour du verre. Mais l’action de saisir un verre peut faire partie

d’une action plus large, comme celle de boire. Par rapport à cette action plus étendue, attraper

le verre n’est plus la fin ultime, mais le résultat d’un mouvement intégré dans une séquence

motrice plus vaste : ce geste constitue alors une sous-action, qui est à son tour un moyen en vue

de la fin (boire). On peut ainsi distinguer les actions basiques, qui ne requièrent pas d’autres

actions comme moyen, des actions non basiques, dont l’exécution met en œuvre des sous-

actions. Si l’on s’en tient à la distinction entre une action et une seule intention, qui est la

représentation mentale du but que doit réaliser l’action, nous ne pouvons rendre compte de cet

enchâssement d’actions dans des actions plus complexes. Si une action peut être aussi bien

composée d’un seul mouvement, ou d’une série complexe d’actes moteurs constituant des sous-

buts, attribuer un but à une action implique d’avoir déjà délimité l’extension de l’action, et

donc d’avoir choisi une certaine description de l’action. Poser la question : « Pourquoi Jean

fait-il cela ? » n’appelle pas la même réponse si je décris son action comme le mouvement

d’étendre le bras en direction de Jacques, ou comme le fait de lui serrer la main. Dans le

premier cas, nous répondrons « Il fait cela pour serrer la main de Jacques », dans le second,

nous aurons plutôt tendance à intégrer le mouvement dans une action plus vaste et à répondre :

« Jean serre la main de Jacques car ils se connaissent déjà». Les deux réponses sont des

réponses à la question « Pourquoi ?». Mais elles ne rendent pas compte de la même action car

le choix de la description de cette action est différent dans les deux cas10.

b) Intention préalable et intention en action

De nombreux travaux de la philosophie de l’esprit ont opéré des distinctions au sein de

la notion d’intention pour rendre compte de cette complexité de la structure de l’action. Searle11

a proposé de distinguer l’intention en action de l’intention préalable, en les différenciant à la

fois par leur contenu et par le rapport qu’elles entretiennent avec l’action qu’elles causent. Une

intention est une représentation mentale, qui représente et cause sa condition de satisfaction,

c’est-à-dire l’action : une intention est satisfaite si l’action qui constitue son contenu est

accomplie, et si cet accomplissement est bien causé par cette intention et non par des éléments

10 Cette idée que le caractère intentionnel d’une action et le contenu de l’intention dépendent du choix d’une description de l’action est soulignée par Anscombe, L’Intention, 1957. 11 Searle, L’Intentionalité, 1983.

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accidentels. J’accomplis mon intention de verser le café dans la tasse si mon action est guidée

par la représentation de ce but, non si je laisse tomber la cafetière et qu’en se renversant, elle

répand une partie de son contenu dans la tasse. La nature de l’intention se définit donc à la fois

par le fait qu’elle soit une représentation mentale, qui représente le but à réaliser, et par son

pouvoir causal. Mais on voit qu’une seule notion générale d’intention n’est pas suffisante pour

rendre compte d’une action si l’on étudie en détail cet exemple. Mon but de remplir la tasse,

défini de manière aussi large, est bien satisfait si je renverse accidentellement du café à

l’intérieur : ce qui n’est pas satisfait, c’est le moyen par lequel je comptais accomplir cette

action, qui ne comportait pas, dans ma représentation mentale, la chute de la cafetière. Searle

distingue pour expliquer cela une intention préalable, qui représente le but de l’action prise

dans son ensemble, de l’intention en action, qui intègre ce but dans un mouvement déterminé

pour le réaliser. L’intention préalable précède l’action, tandis que l’intention en action la guide

tout au long de son exécution. C’est donc cette dernière intention qui donne à l’action observée

son caractère intentionnel, car elle relie l’intention préalable au mouvement qui la constitue.

Alors que certaines actions peuvent ne pas avoir d’intention préalable (je me mets à arpenter la

pièce machinalement, sans but précis en dehors du fait de marcher), une action n’est pas

intentionnelle si elle est dépourvue d’intention en action (comme dans le cas où je remplis la

tasse en renversant la cafetière). Lorsque nous observons une action, c’est donc l’intention en

action qui nous apparaît immédiatement, à partir du moment où nous pouvons décrire le

mouvement accompli par l’agent. L’intention préalable n’est pas observable comme telle dans

l’action, car elle ne l’accompagne pas mais la précède : son contenu ne coïncide pas avec le

mouvement effectué.

c) L’intention motrice

Cette distinction permet de rendre compte du rapport entre une certaine description de

l’action et l’intention qui la guide. Pour reprendre notre exemple précédent, lorsque nous

demandons pourquoi Jean étend le bras vers Jacques, nous faisons référence à son intention en

action : la question « Pourquoi ce mouvement ? » correspond à la question « Quelle action est-

il en train d’accomplir ? ». Mais lorsque nous demandons pourquoi il sert la main à Jacques,

nous interrogeons son intention préalable, qui n’est pas déductible comme telle de son

mouvement, et qui répond à une question « Pourquoi ?» qui ne concerne plus les

caractéristiques motrices de l’action. Nous pouvons cependant noter que l’intention en action

met en lien le mouvement effectué avec un type d’action, mais ne renvoie pas aux

caractéristiques motrices du mouvement en tant que tel. Elle reste en ce sens indéterminée

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quant aux détails cinématiques du mouvement. L’analyse élaborée par Pacherie12 affine la

distinction de Searle en distinguant non plus deux, mais trois types d’intentions. L’intention

dirigée vers le futur équivaut à l’intention préalable telle que l’a définie Searle. Mais l’intention

en action est divisée entre une intention dirigée vers le présent et une intention motrice.

L’intention dirigée vers le présent ancre le but général représenté par l’intention dirigée vers le

futur dans une situation précise, où ce but peut concrètement être réalisé. Son contenu reste

donc conceptuel et permet un contrôle de haut niveau de l’action, en intégrant le but dans les

contraintes contextuelles. L’intention motrice constitue quant à elle un système à part entière,

qui ne se situe plus au niveau conceptuel, mais au niveau d’un codage moteur et pragmatique.

Pacherie assimile en effet le contenu de l’intention motrice à la représentation motrice telle que

la définit Jeannerod (1994, 1999). Comme nous l’avons mentionné dans la section précédente,

cette représentation motrice intègre des informations sur la position de l’agent, sur la dimension

pragmatique du but du mouvement, et sur les détails moteurs de ce mouvement. L’intégration

de ces informations permet un guidage fin de l’action et l’ajustement permanent du

mouvement, qui se situe à un niveau infrapersonnel, et qui est sous-tendu par des mécanismes

moteurs de contrôle de l’action. C’est l’intention motrice qui constitue la condition nécessaire

de l’action, car elle traduit la représentation conceptuelle du but dans un langage sensori-

moteur permettant sa réalisation.

Ces analyses révèlent un enchaînement temporel et causal des intentions : l’intention

préalable précède et cause l’intention en action (ou l’intention dirigée vers le présent). Cette

dernière cause alors l’intention motrice. Le contenu de ces intentions est de plus en plus

déterminé (du but général à sa traduction pragmatique, ancrée dans une situation), et, dans le

même temps, de moins en moins large (du but défini dans son ensemble aux caractéristiques

motrices du mouvement). On voit donc que selon le choix de la description de l’action, un type

donné d’intention sera mobilisé pour l’expliquer. (Voir annexe 4).

Nous sommes à présent en mesure de préciser l’hypothèse de Iacoboni et al. (2005) en

remplaçant le terme « d’intention globale » par celui d’intention préalable. Dans l’expérience

qu’ils ont mise au point, l’intention motrice correspond aux détails moteurs du mouvement de

l’agent (tendre la main et écarter les doigts de telle manière pour former une pince). L’intention

en action correspond au type d’action observée, assimilée au résultat du mouvement : saisir la

tasse. Seule l’intention préalable n’est pas observée dans l’action elle-même : elle répond à la 12Pacherie, (2000, 2003).

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question : « Pourquoi, dans ce contexte, l’agent saisit-il cette tasse » ? (Pour en boire le

contenu, ou pour desservir, selon les deux modalités du protocole expérimental).

d) Percevoir une intention à partir d’un mouvement ?

Comme nous l’avons fait valoir, les niveaux hiérarchiques d’intentions correspondent à

des rapports plus ou moins déterminés au mouvement effectué. Dans la mesure où l’activation

des NM code une représentation motrice, une condition préalable au rôle qu’ils pourraient jouer

dans la représentation des intentions est donc de se demander comment, lorsque nous observons

un mouvement, nous pouvons remonter la chaîne causale jusqu’aux différents types

d’intentions.

Le contenu non conceptuel de l’intention motrice représente le mouvement de manière

totalement déterminée : si tel n’était pas le cas, elle ne pourrait remplir sa fonction de guidage

et d’ajustement de ce mouvement. Elle est donc dans un rapport nécessaire avec ce dernier,

jusque dans les détails cinématiques les plus fins : cela signifie que lorsque nous percevons un

mouvement, nous ne pouvons le rapporter qu’à une intention motrice unique, et que, par

conséquent, nous pouvons représenter ce type d’intention directement. Son contenu correspond

en effet au contenu de la représentation motrice. L’élaboration de cette notion par Jeannerod

s’appuie sur des données expérimentales montrant un recouvrement presque total des zones

prémotrices et motrices activées lors de trois situations : l’observation d’une action, la

préparation de son exécution, et l’imagerie motrice, c’est-à-dire la représentation mentale de

l’exécution de l’action13. C’est à partir de cette équivalence neuronale que l’on peut postuler

une équivalence fonctionnelle entre ces trois activités, basée sur une même représentation

motrice de l’action. On peut ainsi penser que par leurs propriétés sensorielles et motrices, les

NM génèrent une représentation motrice partagée entre deux de ces trois activités : l’exécution

et l’observation. Les NM strictement congruents peuvent ainsi donner accès à l’intention

motrice de l’agent : la réplication chez l’observateur de la représentation motrice utilisée par

l’agent est suffisante pour représenter ce type d’intention, qui se situe à un niveau

infrapersonnel.

L’observation du mouvement et de son résultat nous donne également accès à

l’intention en action. La même intention en action peut être réalisée par des mouvements qui

diffèrent selon le détail de leurs caractéristiques cinématiques (on peut saisir une tasse à pleines

mains ou entre le pouce et l’index). Mais au résultat de l’action ne correspond qu’une seule

13 Roth et al. (1996), Lotze et al. (1999), Decety et al. (1996).

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intention en action (attraper cette tasse). La réplication, au moment où nous l’observons, du

mouvement et de son résultat nous permet donc de représenter cette intention. Comme nous

l’ont montré les données expérimentales sur la sélectivité de l’activation des NM, bon nombre

d’entre eux codent un type d’action indépendamment des différences cinématiques des

mouvements servant à l’effectuer (par exemple, l’action de saisie, quelle que soit la disposition

précise des doigts). Ces NM réuniraient les conditions suffisantes pour représenter l’intention

en action de l’agent par une simulation du résultat du mouvement chez l’observateur.

2° La complexité des intentions préalables

Le cas de l’intention préalable est plus complexe. Comme nous l’avons dit, cette

intention peut n’être pas observable dans le mouvement lui-même. Son contenu est de plus

indéterminé quant aux sous-actions permettant d’atteindre le but qu’elle représente. On peut

dire que le mouvement sous-détermine l’intention préalable. Lorsque nous percevons une

personne saisir un verre d’eau, l’intention préalable qui cause son mouvement n’est pas

déductible directement et de manière nécessaire de cette sous-action : elle peut le saisir pour

boire, pour arroser une plante ou le jeter sur quelqu’un. L’observation du mouvement et de son

résultat n’est pas suffisante pour comprendre ce type d’intention. Il faut pour cela analyser le

contexte et réaliser une inférence. Il ne s’agit donc plus d’un accès direct et immédiat, mais du

résultat d’un calcul qui ne prend pas uniquement pour point de départ l’intention motrice de

l’agent. Les éléments nécessaires à cette inférence sont d’autant plus importants et complexes

que l’intention préalable entretient des rapports lointains avec le mouvement. Dans le protocole

de Iacoboni et al., le choix entre les deux intentions préalables possibles pouvant causer le

mouvement est guidé par un contexte simple et stéréotypé. Les indices à extraire de ce contexte

pour déduire l’intention sont réduits et simples (disposition de la table). Mais plus une intention

préalable représente un but complexe et général, plus les circonstances à analyser sont larges, et

plus cette analyse requiert des ressources computationnelles importantes, qui demandent à un

certain niveau une réflexion consciente. Nous pouvons ainsi distinguer, au sein même des

intentions préalables, différents niveaux de complexité : nous en mentionnerons trois. (Voir

annexe 5).

a) Les intentions préalables simples dirigées vers une cible inanimée

Le premier niveau regroupe les intentions préalables du type de celle du protocole de

Iacoboni et al. : elles sont dirigées vers un objet et renvoient à une action courante. Par

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définition, elles sont sous-déterminées par le mouvement que l’on observe, mais elles peuvent

être inférées rapidement et simplement à l’aide de la situation, car elles sont liées à un contexte

canonique. Nous n’avons pas besoin d’une réflexion consciente et complexe pour déduire

qu’un homme saisissant un verre d’eau à la terrasse d’un café veut le boire, ou que le même

homme exécutant le même mouvement penché devant ses plantes vertes veut se servir du

contenu du verre pour les arroser. Ce type d’inférence n’exige que d’activer une association,

construite par expérience, entre un mouvement et une intention étant donné un certain contexte.

Il faut néanmoins noter que même dans ce cas, le rapport entre un mouvement et son intention

préalable n’étant pas nécessaire, nous pouvons nous tromper. Il ne s’agit que d’une association

basée sur l’apprentissage d’une probabilité : il n’est jamais possible de déterminer de manière

certaine l’intention préalable à partir d’une association fixe.

b) Les intentions préalables sociales

Le second niveau de complexité regroupe ce que nous pouvons nommer les intentions

sociales. Une intention préalable sociale est dirigée vers un congénère, dont elle cherche à

modifier le comportement ou les représentations mentales. Les deviner requiert donc de

prendre en compte un contexte plus vaste, qui ne se limite pas à la présence d’indices

physiques, mais qui inclut la connaissance d’une psychologie populaire minimale. Elles exigent

ainsi généralement de prendre en compte les états mentaux des autres (et non seulement des

faits non mentaux), et ne sont pas liées à un contexte canonique unique et fixe. Si je perçois un

homme alité et un autre homme lui versant dans une tasse le contenu d’un sachet, je peux faire

de nombreuses hypothèses qui, à partir du même geste, peuvent renvoyer à des intentions

sociales très différentes : s’agit-il de son médecin lui donnant un remède pour le guérir ? d’un

ami intéressé par l’héritage et cherchant à l’empoisonner ? Choisir entre ces différentes

possibilités demande de prendre en compte un contexte large, et des connaissances complexes

sur les comportements et états mentaux humains. L’intention motrice et l’intention en action à

elles seules ne peuvent suffire à déterminer ce choix.

c) Les intentions préalables communicatives

Le troisième niveau concerne un type spécifique d’intentions sociales, que nous

pouvons nommer les intentions communicatives. Comme l’a fait valoir Grice14, une intention

communicative I est une intention sociale réflexive, en ce sens que l’individu A qui forme

14 Grice (1969, 1989).

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l’intention I a l’intention de modifier les représentations mentales de son destinataire B en vertu

du fait que B aura reconnu l’intention I de A. Si l’on veut faire comprendre un fait à quelqu’un,

nous pouvons le mettre en présence d’indices qui l’informeront sur ce fait : cela n’exige pas

nécessairement qu’il comprenne que nous avions en effet l’intention de l’informer. Par contre,

comme l’a souligné Grice, communiquer à quelqu’un cette information exige, pour être

accompli, que l’autre comprenne que par ce discours nous avons en effet l’intention de lui

communiquer tel fait, et non simplement l’intention qu’il l’apprenne d’une manière ou d’une

autre. Dans le cadre de la théorie de la pertinence, Sperber et Wilson (1986) font une distinction

entre ce qu’ils nomment l’intention informative et l’intention communicative proprement dite.

L’intention informative est l’intention de rendre certains contenus mentaux manifestes à un

destinataire. L’intention communicative est l’intention de rendre l’intention informative

manifeste à un destinataire. Grâce à ce dédoublement entre l’intention informative et l’intention

communicative, cette dernière n’est pas à strictement parler « réflexive ». Mais l’intention

communicative n’en est pas moins une intention dans le contenu de laquelle est enchâssé le

contenu d’une autre intention : l’intention informative.

Pour reprendre l’exemple de Jacob et Jeannerod (2005)15, dans une soirée, Jill peut

pointer ostensiblement le doigt vers sa montre en regardant son mari pour lui signifier qu’il se

fait tard et qu’elle aimerait rentrer. Pour que l’intention de Jill soit comprise, deux éléments

doivent être présents : son mari doit comprendre qu’elle veut dire qu’elle veut rentrer, et non,

par exemple, que sa montre ne fonctionne plus. Il doit également comprendre qu’elle a eu

l’intention de lui faire comprendre cela. La compréhension des intentions communicatives

requiert donc de posséder le concept d’intention. Si je vois quelqu’un se diriger sur une

personne un couteau à la main, je peux comprendre le contenu de son intention sociale (blesser

ou tuer l’autre), qui n’est pas réflexive : mais il est difficile de distinguer cette compréhension

d’une prédiction (il va le tuer, si je ne l’en empêche pas). Les intentions non réflexives ne

permettent pas de distinguer de manière certaine une compréhension de l’intention comme état

mental d’une simple anticipation du résultat de l’action. À l’inverse, la compréhension d’une

intention réflexive ne peut être confondue avec une prédiction : elle exige une représentation

mentale de l’intention de l’autre, et donc une représentation de second niveau. Comprendre ce

type d’intention demande de prendre en compte le contexte, de faire des hypothèses sur les

états mentaux de l’autre, mais aussi de se demander ce que l’autre veut nous faire faire et donc

de s’interroger sur la perception que l’autre a de nous. (Répondre à la question « Qu’est-ce que

15 Voir également Jacob, (2007).

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Jill veut me faire comprendre ? » exige de se poser la question « Que pense-t-elle que je peux

comprendre étant donné son geste ? »).

Une intention préalable communicative n’est donc pas déductible de l’intention motrice,

ni de l’intention en action de l’agent. Plus l’action s’inscrit dans un contexte complexe, en

particulier dans un contexte social, plus sa compréhension met en œuvre des ressources

représentationnelles et computationnelles importantes. Même dans le cas où une action simple

et courante a lieu dans un contexte canonique, représenter l’intention préalable repose sur une

inférence basée sur l’analyse de ce contexte.

Les distinctions que nous avons exposées nous mènent à plusieurs conclusions

concernant l’hypothèse d’un rôle des NM dans la représentation de l’intention. La

représentation motrice que leur activation génère chez l’observateur contient les éléments

pertinents et suffisants pour lui permettre de se représenter l’intention motrice et l’intention en

action de l’agent, par une réplication du mouvement observé et de son résultat. Cette

compréhension est contemporaine à l’observation observée et peut être directe, car ces

intentions accompagnent l’action et leur contenu coïncide avec ce qui est perçu. Mais lorsque

nous exerçons notre capacité de mindreading et que nous comprenons psychologiquement le

comportement d’autrui, nous faisons en général référence aux intentions préalables. L’intention

motrice répond à la question « Comment cette action est-elle accomplie ? », et l’intention en

action à la question « Qu’est-ce que cette personne est en train de faire ? ». Ces niveaux

d’intentions restent donc limités au niveau de la compréhension de l’action, ou au niveau de la

raison du mouvement, et ne permettent pas de passer au niveau du pourquoi de l’action

observée. Ce dont nous prenons conscience dans la compréhension psychologique d’autrui

n’est pas l’intention motrice, qui se situe à un niveau infrapersonnel, ni l’intention en action,

qui ne fait que redoubler ce que nous percevons, mais l’intention préalable qui relie l’action à

une raison inobservable.

d) ) NM logiquement reliés et intention préalable

Nous sommes à présent en mesure de mentionner différents obstacles à un rôle des NM

dans le mindreading par une représentation de l’intention préalable. Pour ce qui est du codage

de cette intention, les NM, qui se situent au niveau moteur et activent une représentation

motrice infrapersonnelle, ne semblent pas posséder les ressources représentationnelles

suffisantes. La conception de Jeannerod est une conception représentationnelle de l’action au

sens où la préparation, l’imagination et l’observation d’une action génèrent une représentation

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de cette action. Mais il s’agit d’une représentation sensori-motrice qui, comme on l’a dit, code

le but de manière pragmatique et centrée sur l’agent. Comprendre une intention, et donc un état

psychologique, appelle une représentation conceptuelle et sémantique du but16, qui doit être liée

à une notion de causalité. Partager la représentation motrice de l’agent ne permet pas de

franchir ce passage pour accéder à une représentation mentale dotée d’un pouvoir causal, qui

n’accompagne pas l’action observée, mais qui la précède. L’assimilation, dans l’hypothèse de

Iacoboni, entre le mouvement suivant et l’intention préalable est pour cette raison

problématique. Comme on vient de le faire valoir, une représentation motrice (d’une action) et

une intention sont des représentations qui ne possèdent pas la même nature et qui ne

correspondent pas à la même acception du terme « représentation ». Il est donc difficile de voir

comment le même mécanisme (les NM) pourraient à la fois coder une représentation motrice et

une intention comme état mental de l’agent. Cela reviendrait en effet à demander au même

mécanisme de coder à la fois la cause (l’intention) et son effet (la représentation motrice).

Le second obstacle concerne non plus la capacité représentationnelle des NM à coder

l’intention préalable, mais la possibilité de la détecter à partir de l’action observée. Il s’agit

d’une inférence, d’un calcul, qui s’oppose donc à l’hypothèse de compréhension directe par

résonance. Les chaînes de NM logiquement reliés pourraient prendre l’acte moteur observé

comme point de départ d’un tel calcul. Mais il faut pour cela abandonner l’hypothèse d’une

compréhension motrice directe de l’action, et cette hypothèse semble incompatible avec le

caractère automatique de l’activation des NM. Même dans le cas d’une intention préalable

simple comme celle de l’expérience de Iacoboni, il faut une analyse sémantique du contexte : il

peut exister une association préexistante entre le mouvement de saisir une tasse, la présence

d’un liquide dans cette tasse et l’intention préalable de boire. Mais il semble bien qu’il faille

pour cela analyser sémantiquement ces indices contextuels, et non simplement les percevoir

comme une affordance : tout liquide peut être bu, mais si le liquide est placé dans un flacon

comportant l’inscription « détergent », l’inférence de l’intention préalable associée à

l’affordance « pouvant être bu » devient problématique. La structure hiérarchique des

intentions nous a montré qu’il ne pouvait exister de lien nécessaire et automatique entre le

mouvement le plus probable étant donné un contexte et l’intention préalable de l’agent. Une

association correspondant à une action courante peut guider l’hypothèse d’une intention, mais

celle-ci requiert une analyse qui ne peut être codée comme telle au niveau d’une représentation 16 De nombreuses données expérimentales recueillies sur la vision sont en faveur d’une indépendance relative entre un codage pragmatique des objets, correspondant à une « perception pour l’action » et d’un codage sémantique correspondant à une « perception pour l’identification » (voir Milner et Goodale, 1995). Or, l’identification d’une intention préalable requiert l’identification sémantique et conceptuelle de la cible.

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motrice. Il faudrait pour cela qu’à une action puisse correspondre de manière nécessaire une

intention dans un contexte canonique unique et figé : mais même pour les actions simples, les

contextes peuvent être divers. Extraire les indices pertinents pour caractériser un tel contexte

canonique demande des ressources qui ne sont pas accessibles au niveau de la représentation

motrice, et coder en son sein une multitude de contextes possibles pour chaque action type

demanderait des capacités de stockage qui rendent l’hypothèse peu vraisemblable.

Les rapports entre l’action et le mouvement d’une part, entre l’action et ses différentes

intentions d’autre part nous amènent donc à faire valoir la difficulté à passer d’une

compréhension de l’action observée à la représentation motrice de l’intention préalable de

l’agent. Nous allons à présent revenir aux modèles proposés par les partisans de la conception

simulationniste de la cognition sociale et poser deux types de questions : ces modèles

permettent-ils de prendre en compte les difficultés que nous venons de soulever et de

représenter une intention à partir de la simulation de l’action ? Les NM peuvent-ils être intégrés

dans ces modèles et constituer une instance du mécanisme de simulation motrice, malgré les

difficultés que nous avons mentionnées à ce propos à la fin de la première section ?

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III° Un dilemme pour la théorie motrice de la cognition sociale

Comme nous l’avons exposé dans la première section, l’hypothèse d’une contribution

des NM à la compréhension de l’action s’est d’abord appuyée sur l’assimilation entre l’activité

des NM et un processus primitif de simulation (ou de résonance) motrice, en vertu de la

congruence entre les propriétés motrices et sensorielles de ces neurones. L’activité des NM a

d’abord été interprétée comme un mécanisme de reconnaissance des actes moteurs, Puis, sous

l’influence de l’hypothèse de Gallese et Goldman (1998), elle a été tenue pour un mécanisme

capable de représenter l’intention d’un agent. Or, le modèle des chaînes de NM logiquement

reliés, censé corroborer cette hypothèse, n’est pas compatible avec la résonance motrice stricte.

Nous sommes donc confrontés à un dilemme : l’activité des NM ne semble pas pouvoir être

conjointement un mécanisme de résonance motrice et un mécanisme sous-jacent à la

compréhension psychologique d’autrui. Dans la deuxième section, nous avons mis en évidence

le fossé entre la représentation de l’intention motrice d’un agent et la représentation des

différentes catégories d’intentions préalables. Nous allons à présent rassembler les éléments des

deux sections précédentes en mettant en lumière les difficultés inhérentes à une conception

selon laquelle un processus de simulation motrice serait suffisant pour permettre à un

observateur de représenter les intentions préalables d’un agent.

1° Simulation de bas niveau et simulation de haut niveau

La théorie de la simulation, telle que l’a exposée Goldman (2006), repose sur les

notions de similarité et de représentation partagée. Lorsque nous cherchons à comprendre le

comportement des autres et à nous représenter leurs états mentaux, nous nous transposons

mentalement dans leur situation pour nous représenter ce que nous ferions à leur place.

Attribuer une représentation mentale à autrui consiste à faire appel aux mêmes mécanismes qui

ont généré chez lui cet état, pour parvenir au même résultat. Alors que la théorie-théorie

suppose que nous effectuons un calcul à partir de métareprésentations, c’est-à-dire à partir de

nos croyances que l’autre possède tel état mental, la simulation fait appel à des représentations

de premier ordre, à savoir les états mentaux eux-mêmes, que nous simulons mentalement (voir

annexe 6). Ce sens du terme « simulation » est distingué par Goldman d’un sens

computationnel : le premier repose sur la réplication d’une situation existante, donc sur la

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similarité, alors que le second consiste à représenter les paramètres pertinents d’une réalité,

pour effectuer un test ou comprendre un processus. La simulation réplicative repose donc de

manière cruciale sur une équivalence fonctionnelle de l’usage des mécanismes psychologiques

lorsque ceux-ci prennent pour objet des états mentaux authentiques ou des états mentaux

simulés. Goldman appuie ainsi sa théorie sur des études expérimentales montrant une telle

équivalence, notamment entre la perception et l’imagerie (l’imagination) visuelles17, entre

l’exécution d’une action et l’imagerie motrice18, ou encore entre le ressenti et l’observation

d’une émotion19.

Goldman (2006) distingue deux niveaux de mindreading, auxquels correspondent deux

types de simulation. Le mindreading de bas niveau concerne des états mentaux qui sont en

partie constitués par des manifestations physiques typiques, comme les émotions ou les

sensations. Le mindreading de haut niveau concerne les états mentaux qui ont un contenu

propositionnel, et qui demandent donc des ressources représentationnelles plus complexes. La

simulation de haut niveau repose, selon Goldman, sur un processus d’imagination, ou de « faire

semblant ». Si nous cherchons, par exemple, à prédire quelle décision une personne va prendre,

nous imaginons sa situation et ce que nous pensons être ses désirs et croyances. Ces états

simulés sont utilisés comme entrée de notre propre mécanisme de prise de décision, qui livre

comme résultat une décision simulée. Cette décision imaginée est alors inhibée en tant que

décision : elle ne donne pas lieu à une action et est attribuée à l’autre. Il s’agit d’un processus

qui se situe au niveau cognitif, et qui peut être contrôlé par la conscience.

La simulation de bas niveau repose sur la notion de résonance : lorsque nous percevons

un visage effrayé, la zone qui correspond chez nous au ressenti de cette émotion « résonne » :

l’activation de cette zone, là encore, ne se transforme pas en un ressenti de cette émotion, mais

nous permet de comprendre que l’autre ressent de la peur. Contrairement au processus de

l’imagination, la résonance se situe à un niveau automatique et infrapersonnel. Il ne s’agit pas

d’un processus qui produit un résultat à partir d’éléments choisis comme entrée, mais d’une

compréhension directe et immédiate. De plus, l’imagination est provoquée de manière

endogène : nous mettons en œuvre ce processus lorsque nous cherchons à comprendre l’autre.

À l’inverse, la résonance est déclenchée de manière exogène : c’est la perception de l’autre qui

cause automatiquement en nous la réplication. Le terme de « simulation » recouvre donc au

moins deux processus dont l’origine et le fonctionnement sont très hétérogènes. Selon

17 Kosslyn et al. (1997, 1999), Shepard et al. (1971, 1982). 18 Roth et al. (1996), Decety et al. (1989). 19 Wicker et al. (2003).

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Goldman, la simulation constitue un mécanisme unifié, permettant de penser à partir d’un cadre

commun l’ensemble de notre capacité à comprendre psychologiquement autrui. Il n’en reste

cependant pas moins que cette unification reste problématique dans la mesure où la seule base

commune entre la résonance et l’imagination réside dans la similarité. Or, il s’agit d’une notion

vaste et vague qui décrit un fait, mais qui n’a pas de valeur contraignante vis-à-vis du

fonctionnement des mécanismes utilisés.

Comme nous l’avons déjà exposé, les NM ont été liés à cette théorie en tant que base

neuronale de la résonance motrice. Ils concernent donc le mindreading de bas niveau tel que le

définit Goldman. L’intégration des NM dans les mécanismes de simulation a donné lieu à

plusieurs modèles, soutenant respectivement l’hypothèse d’une compréhension de l’action

observée par l’identification de son résultat, et celle d’une compréhension de l’intention qui a

causé cette action. Ces modèles ont parfois été combinés, mais par souci de clarté, nous allons

les examiner successivement.

2° Les mécanismes de simulation

a) Simulation et prédiction

Gallese (2003), ainsi que Miall (2003), ont proposé de combiner l’hypothèse de la

résonance directe avec les « modèles internes forward » de l’action. Un modèle forward

constitue un modèle interne de contrôle de l’action, qui a été élaboré par les travaux de

théoriciens computationnalistes de l’action20 pour rendre compte du guidage et de l’ajustement

effectués lors de l’exécution d’un mouvement. Chez l’agent, ce modèle consiste à intégrer le

programme moteur et les données sensorielles pour permettre au mouvement d’atteindre le but

désiré. Lorsque le système moteur envoie une commande motrice aux muscles, une copie de

cette commande, la copie d’efférence, est envoyée à un « comparateur » : ce dernier prédit, à

partir d’inférences basées sur des associations probabilistes, les conséquences sensorielles de ce

mouvement. Cette prédiction est alors comparée aux réafférences sensorielles observées et, en

cas de décalage, un ajustement du programme moteur peut avoir lieu (voir annexe 7). Selon

Gallese (2003), la résonance de la commande motrice chez l’observateur permettrait, par ce

même mécanisme, une compréhension et une prédiction du résultat de l’action, par la

prédiction des conséquences sensorielles du mouvement observé.

20 Notamment Blakemore et al. (2000), Miall (2003), Wolpert (1997).

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Cette intégration de la résonance motrice dans un mécanisme de contrôle moteur

soulève plusieurs difficultés. La première a trait au fait que la résonance ne semble pas

suffisante pour permettre une prédiction des conséquences sensorielles de l’action de l’agent.

Le modèle forward est déclenché chez l’agent par l’envoi de la copie d’efférence. Mais la

représentation motrice répliquée chez l’observateur n’est pas suivie d’exécution et ne donne

donc pas lieu à l’émission d’une copie d’efférence. La réplication permise par les NM donne

peut-être lieu à une représentation motrice partagée par l’agent et l’observateur : mais chez

l’observateur, elle ne permet pas les ajustements du mouvement que l’intégration des

réafférences sensorielles, centrées sur l’agent, permettent chez ce dernier. Ce système

d’intégration ne peut être accessible à l’observateur, alors qu’il est essentiel chez l’agent pour

atteindre le but de son action. Les éléments qui résonnent chez l’agent ne semblent donc pas

suffisants pour permettre de comprendre le but de l’action en accord avec le modèle forward21.

Une seconde difficulté tient à l’assimilation, dans cette hypothèse, du but de l’action

aux conséquences sensorielles du mouvement. Au niveau du contrôle moteur, le but, comme on

l’a vu, est codé de manière pragmatique et peut donc être assimilé aux conséquences

sensorielles du mouvement. Mais Gallese parle de compréhension de l’action par identification

du résultat, ce qui diffère d’une prédiction des conséquences sensorielles de l’action. Identifier

un but, par exemple l’interaction avec une cible, ne se réduit pas à une identification

sensorielle : il faut, par exemple, pouvoir ramener ce résultat à un type d’action, ce que le

système forward de contrôle moteur n’a pas pour fonction de réaliser.

La troisième difficulté que rencontre cette hypothèse concerne son usage de la notion de

résonance. Comme nous l’avons noté à la fin de la première section, résonner, au sens strict,

c’est, comme l’affirme Goldman, répliquer ou reproduire à l’identique. On résonne avec ce

qu’on perçoit. On peut certes prédire à partir de ce qu’on perçoit, mais ce qu’on prédit n’est pas

observé au moment où on le prédit : prédire n’est donc pas répliquer. Concilier la simulation

avec une fonction prédictive, qui correspond à la fonction du modèle forward, exigerait donc

d’élargir la notion de résonance. Cela semble se faire au détriment de la simulation elle-même :

le modèle forward est en effet un modèle de computation, qui prédit à partir d’un calcul

probabiliste. Il semble inévitable que la conciliation entre la résonance motrice et une

prédiction demande de faire appel à des mécanismes qui ne relèvent plus d’une simulation au

sens strict, ni donc d’une compréhension directe, mais d’une computation.

21 Voir Jacob, (2007).

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b) Simulation et rétrodiction

Le second modèle proposé pour concilier les NM avec une compréhension

simulationniste de l’action est exposé dans l’article de Gallese et Goldman (1998). Selon

l’hypothèse de cet article, les NM ne permettent pas seulement de comprendre le résultat de

l’action, mais la simulation motrice du plan moteur de l’agent chez l’observateur lui donnerait

un accès direct au but de l’action correspondant à l’intention de l’agent.

Comme le disent eux-mêmes les auteurs, la simulation n’a donc plus ici une fonction

prédictive, qui représenterait la phase finale du mouvement, mais une fonction rétrodictive : il

s’agit de remonter à un état mental qui, chez l’agent, a précédé l’action et a causé ses

mouvements. Nous pouvons d’emblée noter la difficulté d’une conciliation entre simulation et

compréhension par rétrodiction. Comme nous l’avons exposé, l’affirmation fondamentale de la

théorie de la simulation est que nous comprenons les autres en simulant leurs états mentaux

dans nos propres mécanismes pour parvenir au même résultat. Une condition essentielle de ce

processus est donc qu’il suive le même enchaînement temporel que chez l’agent : lorsque nous

voulons connaître la décision que l’autre va prendre et que nous simulons (par l’imagination)

ses désirs et croyances dans notre mécanisme de prise de décision, nous suivons les mêmes

étapes temporelles que l’agent. Nous ne pouvons faire fonctionner ce mécanisme

psychologique à rebours. Mais pour que la simulation puisse sous-tendre le mindreading et

donc nous donner accès à tous les types d’états mentaux, il est nécessaire qu’elle puisse

également nous permettre de connaître les états qui ont motivé une décision, à partir de

l’observation de cette décision. La compréhension de l’action par les NM relève de ce cas. À

partir de l’observation de l’action, nous devons remonter la chaîne causale dans l’ordre inverse

de l’exécution de l’action, jusqu’à la représentation mentale du but qui a causé et précédé

l’action. Pour résoudre cette difficulté, Gallese et Goldman proposent un modèle inverse, ou

encore un modèle de « génération et test ». Pour comprendre le but d’une action, nous posons

l’hypothèse d’un but donné, que nous simulons dans notre mécanisme de prise de décision, puis

nous comparons la décision simulée obtenue avec l’action observée. Si cette dernière

correspond à la décision simulée, l’hypothèse du but est confirmée et ce dernier est attribué à

l’agent. Sinon, nous posons une autre hypothèse. Nous utilisons ainsi notre mécanisme

psychologique dans son ordre naturel (voir annexe 8). L’article de Gallese et Goldman lie la

résonance motrice produite par l’activation des NM à ce modèle : l’accès direct au plan moteur

de l’agent permet de remonter de cette manière à la représentation de son intention.

Gallese et Goldman ne précisent pas clairement le rôle exact des NM dans ce processus,

et la combinaison du modèle de résonance directe avec le modèle de génération et test soulève

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plusieurs complications. La nécessité d’effectuer une rétrodiction pour comprendre l’intention

par simulation oblige à postuler un mécanisme de génération d’hypothèses sur le but de

l’action. De la même manière que pour le modèle forward, qui tentait de concilier simulation et

prédiction, cette combinaison conduit à postuler une analyse qui ne relève pas de la simulation.

En effet, même si les NM, et donc la résonance motrice, permettent de guider les hypothèses

sur le but, la formation d’une hypothèse relève d’un processus théorique, qui exige une

inférence cognitive. Pour faire l’hypothèse d’un but précis, il faut en ce sens posséder déjà une

certaine compréhension de l’action, et la simulation n’a dans ce processus qu’une fonction de

vérification : elle n’est pas responsable en elle-même de la formation de l’hypothèse du but.

La résonance motrice et le modèle de génération et test semblent donc sur ce point

inconciliables : l’une est une compréhension directe, immédiate et infrapersonnelle, mais qui ne

peut nous donner accès qu’à une réplication de la composante motrice de l’action. L’autre est

un processus cognitif complexe, qui n’est pas une pure simulation mais dépend d’une analyse

théorique. Le rapport entre mouvement et intention que nous avons étudié dans la section

précédente nous a montré que l’hypothèse d’une intention préalable exigeait une analyse du

contexte et des états mentaux de l’autre qui demande un traitement cognitif complexe. Pour

cette raison, l’hypothèse de cet article témoigne d’une certaine confusion entre les deux

niveaux de mindreading et les deux types de simulation que Goldman a distingués en 2006 : le

modèle de « génération et test » relève d’un processus cognitif de haut niveau, qui peut

difficilement être assimilé à la résonance motrice directe générée par les NM, car il s’agit,

comme Goldman le dit lui-même, de mécanismes très hétérogènes. L’hypothèse de l’article de

1998 ne préserve en ce sens ni la notion d’une compréhension directe, puisqu’elle postule un

processus de génération d’hypothèses, ni la simulation au sens strict, puisque cette dernière ne

produit pas en elle-même les hypothèses. Pour que la résonance motrice des NM puisse guider

l’hypothèse du but, il faudrait qu’ils réalisent déjà une certaine compréhension de l’action :

nous avons sur ce point fait valoir qu’il fallait pour cela analyser les éléments pertinents du

contexte et choisir une certaine description de l’action, ce qui ne relève pas de la représentation

motrice22.

Nous avions à la fin de la première section posé deux questions à propos de la

conciliation entre la conception simulationniste et les propriétés des NM : celle de savoir si la

simulation pouvait s’accommoder d’une remise en question de la réplication stricte (due au 22 Ce point, notamment le fait que les NM, pour initier une compréhension du but, doivent fournir une certaine description de l’action qui, à son tour, dépend de l’hypothèse d’un but, est développé par Csibra (In press).

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modèle des chaînes de NM logiquement reliés), et celle d’une conciliation entre simulation et

prédiction ou rétrodiction. Les deux modèles que nous avons présentés, celui de Gallese (2003)

et celui de Gallese et Goldman (1998) ne permettent pas de soutenir que la simulation peut

effectuer ces conciliations pour permettre une représentation de l’intention préalable. Pour

permettre une rétrodiction, la simulation doit se baser sur des processus d’inférence théoriques

de haut niveau, incompatibles avec l’hypothèse d’une compréhension directe par simulation

motrice. La remise en question de la congruence stricte permettant une résonance du plan

moteur de l’agent chez l’observateur rend quant à elle peu probable l’idée que ce plan moteur

puisse guider l’hypothèse du but de l’action.

3° Les NM sont-ils un mécanisme de simulation motrice pure?

D’après ce que nous venons de faire valoir, il semble difficile d’intégrer les NM dans

un mécanisme de simulation permettant une compréhension psychologique d’autrui. Les NM

devraient pour cela réaliser une représentation rétrodictive, ce qui exige des ressources qui

relèvent de l’imagination, et non de la résonance de bas niveau. On peut donc se demander si

les NM ont bien une fonction de pure résonance motrice. Comme nous l’avons déjà mentionné,

les résultats obtenus par Iacoboni et al. (2005) remettent en question la thèse de la congruence

stricte qui fondait l’hypothèse de la réplication directe. Il semble que d’autres données sur

l’activation des NM sont difficilement compatibles avec une réplication stricte, car elles

remettent en question l’idée que les NM ne sont actifs que lorsque le mouvement observé peut

être simulé dans le répertoire moteur de l’observateur.

Costantini et al. (2005) ont réalisé une expérience en IRMf, dans laquelle des sujets

humains observent des mouvements de doigts, tantôt appartenant au répertoire moteur humain,

tantôt absents de ce répertoire et donc impossibles à réaliser. Leurs résultats montrent que le

cortex prémoteur ventral, qui appartient au système miroir humain, est autant activé par les

deux conditions. Les auteurs en concluent que « le système prémoteur ne prend pas en compte

les contraintes biomécaniques que les mouvements observés impliqueraient s’ils étaient

exécutés ». L’activation des NM pendant l’observation d’une action n’est donc pas entièrement

dépendante, comme l’exigerait l’hypothèse de la résonance motrice, de la possibilité de

répliquer le mouvement observé dans notre système moteur.

Des études réalisées sur le singe conduisent à une remise en cause similaire d’une

fonction purement réplicative des NM. Lorsque le singe voit effectuer à l’aide d’un outil un

acte moteur auquel les NM répondent lorsqu’il est effectué avec la main, les NM restent muets.

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Ceci est bien en faveur d’une réplication du geste dans notre système moteur. Mais il a été

montré que si l’on habitue le singe à observer cette action, après un certain temps, les NM y

répondent, alors même que le singe n’a pas appris à se servir de l’outil23. Sa propre expérience

ne peut donc permettre de rendre compte de cette activation comme l’exigerait la théorie de la

simulation. Ces données montrent une corrélation entre la compréhension de l’action et

l’activation des NM qui ne passe pas par une simple réplication du mouvement dans le système

moteur (l’outil ne faisant pas partie du répertoire moteur), ni par une compréhension de l’action

par simulation (le singe n’ayant jamais accompli cette action de cette manière). Cela suggère,

comme nous l’avons déjà mentionné, que la compréhension de l’action n’est pas générée par

l’activité des NM : leur activation peut être conditionnée par une compréhension préalable de

l’action, ce qui expliquerait que l’action effectuée avec un outil finisse par déclencher leur

réponse, au moment où le singe devient capable d’anticiper son résultat. Même si les NM sont

bien responsables de la compréhension de l’action, cette compréhension n’est pas conciliable

avec la théorie de la simulation.

Csibra (In press) fait référence à un autre type de données, qui sont difficiles à concilier

avec le modèle de la résonance stricte. Il a été montré que les NM codant la préhension d’un

objet s’activent quelques centaines de millisecondes avant que la main ne touche l’objet24. Ce

résultat s’accorde mieux avec l’hypothèse d’une fonction prédictive, anticipative, que celle

d’une fonction réplicative des NM. Or, comme nous l’avons argumenté plus haut, prédire n’est

ni « résonner » ni effectuer une simulation de bas niveau car la prédiction repose sur une

inférence à partir du résultat de la perception. Là encore, il est possible que cette anticipation

reflète, et non produise, une compréhension de l’action effectuée hors du système miroir.

4° Similitude et compréhension psychologique

L’hypothèse que nous avons discutée postule que les NM constituent un précurseur de

notre capacité de mindreading grâce à une simulation de bas niveau. Contrairement à la

représentation d’une croyance, la représentation d’une intention peut en effet être rapportée à

un mindreading de bas niveau. En psychologie du développement, la distinction entre un

mindreading de bas niveau et un mindreading de haut niveau est souvent assimilée à la réussite

de la tâche de fausse croyance. Cette tâche requiert en effet de se représenter l’état mental de 23 Ferrari, (2005.) 24 Gallese et al (1996).

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l’autre (la fausse croyance) en faisant abstraction de notre propre croyance (vraie) sur la

localisation correcte de l’objet. Cette mise à l’écart de notre propre représentation requiert des

ressources cognitives importantes que les psychologues du développement rapportent au

contrôle inhibiteur25. Lorsqu’il distingue deux niveaux de mindreading, Goldman fait référence

à une notion proche, qu’il nomme « mise en quarantaine » de nos états mentaux. Pour pouvoir

réaliser une simulation de haut niveau par imagination, nous devons mettre entre parenthèses

nos propres représentations mentales pour laisser place aux états mentaux simulés. Comprendre

une intention à partir d’une action ne requiert pas un tel contrôle inhibiteur, au sens où

l’intention est réalisée dans l’action que l’on perçoit, et n’est donc pas en conflit avec notre

propre représentation de la réalité. Cette distinction de niveaux de mindreading effectuée par

les travaux de la psychologie du développement semble confirmée par une étude réalisée en

imagerie cérébrale par Saxe et al. (2004). Cette étude suggère que l’exécution de tâches de

mindreading implique des zones cérébrales distinctes selon qu’il s’agit de représenter une

croyance ou bien un but, une perception ou une émotion. La représentation des intentions et des

émotions constitueraient selon cette étude un système de mindreading à part entière, précoce et

de bas niveau.

Contester le fait que l’activité des NM engendre une représentation de l’intention

préalable revient donc à contester la possibilité d’une contribution des NM au mindreading de

bas niveau. Le mindreading consiste à expliquer le comportement d’autrui en lui attribuant des

états mentaux inobservables qui ont le pouvoir de causer ce comportement. Nous avons fait

valoir que la représentation d’un tel état mental n’était pas accessible à partir de la simulation

du mouvement de l’autre. Le processus de résonance motrice ne réunit pas les conditions

suffisantes pour fournir une explication psychologique du comportement d’autrui.

Nous avons exposé plusieurs résultats expérimentaux qui remettent en question la

fonction réplicative des NM. Si nous supposons néanmoins que les NM nous donnent accès à

une certaine compréhension de l’action par simulation motrice en représentant l’intention

motrice et l’intention en action de l’agent, il semble que cette compréhension de l’action ne

réunisse pas les conditions pour relever du mindreading. Le mindreading consiste en effet en

deux éléments : se représenter l’état mental de l’autre et le lui attribuer. Comme le souligne

Goldman26 dans une critique de la conception motrice de la cognition sociale de Gallese27,

former une représentation mentale semblable à celle d’autrui ne suffit pas à attribuer cette

25 Leslie et al. (1998). 26 Goldman, (2004). 27 Gallese, Keysers and Rizzolatti, (2004).

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représentation à autrui. Pour attribuer à autrui une expérience ou une représentation mentale, il

ne suffit pas de l’éprouver soi-même ou de la former soi-même ; il faut maîtriser le concept de

l’expérience ou de la représentation en question.

De plus, une représentation motrice partagée entre l’agent et l’observateur, par

définition, ne contient pas d’information spécifique sur l’agent, sans quoi elle ne serait pas

partagée par l’observateur. Une représentation motrice partagée ne peut représenter que ce que

Jeannerod et Pacherie28 nomment une « intention nue», c’est-à-dire non attribuée à un agent

particulier. Ce qui est partagé dans une telle représentation motrice, c’est ce qui est commun à

un agent et à un observateur, c’est-à-dire la préparation de l’action non suivie d’exécution.

Cette réplication ne peut donc nous donner accès qu’à une compréhension de la préparation de

l’action, non à ce qui distingue l’agent qui exécute l’action de son observateur. L’attribution se

situe donc en dehors du processus de simulation de bas niveau conçu comme un processus de

résonance. Le simple partage d’une représentation motrice n’est pas suffisant pour distinguer

une compréhension de l’action de l’autre d’un processus de contagion motrice, si cette

compréhension ne donne pas lieu à une reconnaissance du but et à une imputation de ce but à

l’agent.

La représentation motrice de l’action produite par les NM ne peut donc satisfaire les

deux réquisits nécessaires pour parler de mindreading, même dans une version primitive. La

simulation de la composante motrice de l’action ne contient pas les éléments nécessaires pour

inférer la cause du mouvement ni pour imputer cette cause à l’agent. Les NM, en activant chez

l’observateur la représentation motrice qui guide l’agent, produisent bien un savoir moteur ou

incarné, pour reprendre le terme de Gallese (2004), sur l’action, mais ce savoir ne contient pas

les éléments suffisants pour se transformer au niveau moteur en une connaissance de la

représentation mentale du but de l’action.

28 Jeannerod et Pacherie, (2004).

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Conclusion et perspectives

Nous avons discuté l’hypothèse d’une contribution des NM à une version primitive du

mindreading en considérant ce que nous pouvons nommer sa version faible (qui consiste dans

une compréhension de l’action à partir d’une résonance directe), et sa version forte (qui postule

une représentation de l’intention préalable de l’action à partir des chaînes de NM logiquement

reliés). Nous avons choisi d’organiser l’examen de ces deux hypothèses autour des trois

affirmations qui ont conduit leurs auteurs à les défendre : 1) selon le modèle du mécanisme

purement réplicatif, les NM constitueraient la base neuronale d’une forme primitive et motrice

de simulation ou résonance. 2) Selon la conception simulationniste du mindreading, fondée sur

la similarité, les NM permettraient de se mettre à la place de l’autre sans passer par la

médiation d’une analyse théorique. 3) Le mécanisme des NM aurait la capacité de coder non

pas seulement une représentation motrice de l’action, mais la cause mentale des mouvements

de l’agent. Ce sont ces trois éléments qui permettent de passer de l’idée d’un engagement de

notre système moteur dans la perception des actions d’autrui à celle d’une compréhension

motrice de l’action, puis à celle d’une forme primitive de mindreading.

Nous avons confronté ces trois affirmations aux données expérimentales obtenues sur

les NM et aux analyses détaillées de la dynamique de l’action élaborées en philosophie de

l’esprit. Nous avons alors été en mesure de mener une discussion critique de ces trois

suppositions. La représentation d’une intention préalable à partir d’un mouvement requiert plus

que la simulation de ce mouvement : on peut en ce sens parler d’un saut entre la compréhension

de la composante motrice de l’action et la détection de la représentation mentale qui a causé

l’action. Nous avons défendu l’idée que les modèles proposés par les partisans de la théorie de

la simulation ne permettaient pas de fonder une compréhension psychologique de l’autre

exempte d’une inférence théorique se situant à un niveau cognitif élevé. Nous avons enfin

montré que la fonction réplicative des NM était incompatible avec certaines données

expérimentales récentes. Il semble au regard de ces données que les NM ne puissent être

considérés comme une instance, et donc comme une confirmation, d’un mécanisme de

simulation motrice à la base du mindreading.

Il n’en reste pas moins que la découverte des NM a contribué à mettre en évidence la

contribution de la cognition motrice (ou d’un savoir moteur incarné) dans la perception et la

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représentation des actions. La contestation d’un lien entre la cognition motrice et la capacité de

mindreading ne diminue pas l’importance de la cognition motrice, ni son rôle dans la cognition

sociale. Contrairement à la conception de Gallese (2004), nous avons contesté l’idée que

l’activité des NM servirait de base à la compréhension psychologique d’autrui. Mais en

contribuant à la prédiction des mouvements d’un agent, l’activité des NM sert la cognition

sociale. L’engagement de notre système moteur lors de la perception d’une action

intentionnelle exécutée par un congénère confirme l’existence d’un rôle du savoir moteur dans

des situations qui mettent en jeu des aptitudes sociales, même si ce savoir moteur ne produit

pas une compréhension psychologique de l’action.

Ce questionnement sur la fonction des neurones miroir nous a permis de nous

interroger sur la capacité de mindreading en confrontant les perspectives de la philosophie de

l’esprit, de la psychologie du développement et des neurosciences cognitives. Ces trois

perspectives permettent de questionner à la fois les capacités conceptuelles et

représentationnelles que requiert la compréhension psychologique d’autrui, sur les mécanismes

psychologiques qui peuvent la sous-tendre, sur ses étapes de développement et sur ses bases

neuronales. Nous pensons poursuivre une réflexion sur l’attribution des états mentaux en nous

intéressant par la suite, dans le cadre d’un master de psychologie, aux pathologies qui touchent

cette capacité, notamment à la schizophrénie. Cette pathologie est en effet souvent caractérisée

par un dysfonctionnement dans la reconnaissance du sujet qui effectue une action, ou qui

produit une pensée, et donc dans l’attribution de l’agentivité. Ce mémoire nous a permis

d’élaborer une réflexion sur ce que signifie comprendre une action et reconnaître l’intention de

l’agent qui l’effectue. Il nous a également permis de nous intéresser aux mécanismes sensori-

moteurs qui permettent à un sujet de contrôler son action. Nous utiliserons cette réflexion pour

orienter notre questionnement sur la capacité d’un sujet à différencier ses propres actions de

celles d’autrui, et donc d’associer une action non plus seulement avec le contenu d’une

intention, mais avec l’agent qui possède cette intention.

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ANNEXES

ANNEXE 1 : Activation des NM chez le singe lors de la présence d’une cible cachée au regard (Umiltà et al. 2001).

Exemple d’un neurone répondant à l’observation d’une action lorsque la cible est perçue visuellement et lorsque la cible est cachée au regard, mais non lorsque l’action est mimée (absence de cible). A et B : l’expérimentateur saisit un objet. C et D : l’expérimentateur mime l’action de saisir un objet. A et C : l’action entière est perçue par l’animal. B et D : la phase finale du mouvement (l’atteinte de la cible) est cachée à la vue de l’animal.

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ANNEXE 2 : Activation du système miroir chez l’homme lors de l’observation d’actions appartenant au répertoire moteur humain (Buccino et al. 2004).

Action de mordre Actions de communication orale silencieuse

Mordre ANNEXE 3 : Activation du système miroir humain lors de l’observation d’actions intégrées dans un contexte (Iacoboni et al. 2005).

Les trois conditions du protocole expérimental : Contexte, Action, Intention.

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L’activation du système miroir est plus importante dans la condition Intention que dans les conditions Contexte et Action.

ANNEXE 4 : La hiérarchie des différentes intentions et leurs rapports aux composantes de l’action.

Mouvement

Atteinte de la cible = résultat

Représentation mentale Action observée

Intention préalable

Intention en action

Intention motrice

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ANNEXE 5 : La complexité des intentions préalables

ANNEXE 6 : Comment attribue-t-on des états mentaux à autrui ? Le processus de mindreading selon la théorie de la simulation et la théorie-théorie (Goldman, 2006). o Théorie de la simulation

o Théorie-théorie

Croyance que l’autre possède cet état mental => attribution de cet état à

l’autre

INTENTIONS PREALABLES

Intentions préalables dirigées vers une cible

inanimée

Intentions préalables sociales

Intentions sociales non réflexives

Intentions sociales réflexives =

communicatives

Etats mentaux de l’autre simulés

Mécanisme psychologique

Etat mental simulé

Attribution de cet état mental à l’autre

Croyances sur les états

mentaux de l’autre

Lois psychologiques

Inférence de l’état mental

recherché

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ANNEXE 7 : Le « modèle interne forward » de contrôle de l’action ANNEXE 8 : Les modèles de simulation par l’imagination (Gallese et Goldman, 1998 et Goldman, 2006).

o La préparation et l’exécution d’une action chez l’agent

Commande

motrice

mouvement Conséquences sensorielles = Résultat du mouvement

Copie d’efférence Comparateur

Désir du but, préférences et

croyances

Mécanisme de prise de décision

Décision

Action

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o Prédiction de la décision de l’agent par simulation

ο Rétrodiction du but à partir de l’observation d’une action

Désirs, Préférences

et croyances simulés

Mécanisme de prise de

décision

Décision simulée

Attribution de cette

décision à l’autre

Observation et

connaissance de l’autre

guidant des hypothèses

sur ses désirs, croyances et préférences.

Prédiction de l’action de

l’autre

Hypothèse d’un but

Mécanisme de prise de décision

Décision simulée

Comparaison avec l’action

observée. Si confirmation de l’hypothèse,

attribution du but à l’autre

Observation de l’action

Hypothèses sur les désirs et croyances

de l’autre

Compréhension de l’action par

rétrodiction

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