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1 SOMMAIRE. INTRODUCTION GENERALE. CHAPITRE INTRODUCTIF. Section I. L’évolution chronologique du processus communautaire en Afrique centrale. Section II : Le traitement constitutionnel du processus d’intégration régionale en Afrique centrale. PREMIERE PARTIE. LA DIMENSION NORMATIVE DE L’INTEGRATION REGIONALE. Titre premier. Les techniques de mise en œuvre du droit communautaire en Afrique centrale. Chapitre premier. La distribution communautaire des compétences. Chapitre II. Les actes juridiques communautaires. Titre II. L’analyse critique de l’application des actes commu- nautaires dans les ordres juridiques internes. Chapitre premier. La réalisation effective du marché commun par la CEMAC. Chapitre II. L’uniformisation du droit des affaires par l’OHADA ou la prise en compte des difficultés inhérentes aux processus d’intégration afri- caine.

communautaire en Afrique centrale. - DALDEWOLF · l’élaboration et la sanction du droit international (auxquels le processus com-munautaire européen va permettre de donner un

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  • 1

    SOMMAIRE.

    INTRODUCTION GENERALE.

    CHAPITRE INTRODUCTIF.

    Section I. Lvolution chronologique du processus communautaire en

    Afrique centrale.

    Section II : Le traitement constitutionnel du processus dintgration

    rgionale en Afrique centrale.

    PREMIERE PARTIE. LA DIMENSION NORMATIVE DE LINTEGRATION REGIONALE.

    Titre premier. Les techniques de mise en uvre du droit

    communautaire en Afrique centrale.

    Chapitre premier. La distribution communautaire des comptences.

    Chapitre II. Les actes juridiques communautaires.

    Titre II. Lanalyse critique de lapplication des actes commu-

    nautaires dans les ordres juridiques internes.

    Chapitre premier. La ralisation effective du march commun par la

    CEMAC.

    Chapitre II. Luniformisation du droit des affaires par lOHADA ou la

    prise en compte des difficults inhrentes aux processus dintgration afri-

    caine.

  • 2

    DEUXIEME PARTIE. LE ROLE DE LA JUSTICE COMMUNAUTAIRE DANS

    LE PROCESSUS DINTEGRATION REGIONALE.

    Titre premier. La garantie des principes inhrents au droit

    communautaire.

    Chapitre premier. La garantie des droits qui dcoulent des disposi-

    tions du Trait : le contrle de leffet direct, de la primaut et de lapplicabilit

    immdiate du droit communautaire.

    Chapitre II. Les difficults inhrentes au contrle de lapplication des

    Traits communautaires par les juridictions supranationales.

    Titre deuxime. Laffirmation des principes protecteurs des

    droits fondamentaux par les juridictions communautaires.

    Chapitre premier. Lencadrement de lautonomie procdurale des

    Etat membres travers laffirmation des principes gnraux de droit commu-

    nautaire.

    Chapitre II. Les limites de la protection assure par les juridictions

    nationales.

    CONCLUSION GENERALE.

  • 3

    INTRODUCTION GENERALE.

    Le droit communautaire est aujourdhui une branche bien distincte

    du droit international public, or il apparat clairement que cette discipline

    nexistait pas au dbut du sicle dernier.

    Au sens littral du terme, ladjectif communautaire dsigne ce qui

    relve dune communaut 1, la communaut tant ltat ou le caractre de ce

    qui est commun2 . Cette dfinition est proche de celle propose par le Vocabu-

    laire juridique du doyen CORNU3.

    Le droit communautaire participe donc de ce phnomne

    dinternationalisation du droit, particulirement difficile saisir, tant ses mani-

    festations sont diverses et htrognes. Sur son fondement est apparue une ky-

    rielle despaces normatifs, divers dans leur objet, leur tendue et leur intensit.

    Les interfrences et interactions entre ces espaces normatifs se dveloppent con-

    sidrablement. Ces espaces alimentent une inflation sans prcdent, vritable

    pathologie que le doyen CARBONNIER dcrit comme prolifration, pullu-

    lement et finalement () pulvrisation du droit en une multitude de droits

    subjectifs () 4.

    Quest ce qui peut justifier une telle prolifration ? Dans ses travaux

    portant sur le processus dintgration europenne (plus gnralement sur la perte

    progressive dimportance des Etats face au contexte de la globalisation), le phi-

    losophe allemand Jrgen HABERMAS constate que les Etats-nations ont de

    moins en moins prise sur lvolution de la ralit sociale et que de ce fait, les

    1 Le petit LAROUSSE, Larousse-Bordas, Paris, 2005, p. 239. 2 Ibid. 3 CORNU (G.), (sous la direction de), Vocabulaire juridique, Paris, 7e dition, 2005, p. 181. 4 DELMAS-MARTY (M.), (sous la direction de), Critique de lintgration normative, Paris, P.U.F, p. 13.

  • 4

    citoyens qui ont cru pendant une certaine priode quils matrisaient leur destin,

    se dcouvrent impuissants face des phnomnes qui affectent directement leur

    vie au quotidien. A partir de l, la restructuration de lespace rgional voire con-

    tinental travers des entits nouvelles apparat comme la meilleure solution face

    cette situation. Il pose la question de savoir comment les collectivits plus

    vastes et plus htrognes que les Etats-nations peuvent agir sur elles-

    mmes5 alors quelles sont constitues de structures bien moins solides

    6?

    Cette question se pose bien videmment sur le continent europen,

    avec le dveloppement des institutions communautaires, lintroduction dune

    monnaie unique et plus rcemment le projet de Trait Etablissant une Constitu-

    tion pour lEurope (T.E.C.E). Lide trs sduisante dintgration de type com-

    munautaire sexporte ensuite en Amrique latine7 et en Afrique

    8 o elle fait

    lobjet dun rel engouement. HABERMAS remarque que la question de la

    capacit de la socit agir sur elle-mme9 se pose galement lchelle

    mondiale, chaque fois que les conflits arms mettent en lumire la situation d-

    plorable des relations internationales et voque mme lide dune Constitution

    de la socit monde10

    !

    5 Infra note 8. 6 Voir ce sujet Sur lEurope, recueil de textes de Jrgen HABERMAS portant sur la construction eu-ropenne, traduit de lallemand par Christian BOUCHINDHOMME et Alexandre DUPEYRIX, ditions BAYARD, Paris, 2006. 7 On pense notamment au March Commun de lAmrique Centrale (MCAC) institu en 1960, au March Commun des Antilles Orientales (MCAO, 1968), la Communaut des Carabes (1972) et surtout au Groupe Andin, cre par lAccord de Carthagne de 1969, largement inspir du modle CEE (Communaut Economique Europenne) dont a souvent vant la russite. Lire ce sujet entre autres tudes, Michel CARRAUD, Nature et porte de laccord dintgration sous-rgionale andine in Problmes dAmrique latine, tome XVI, La Documentation franaise, octobre 1977. 8 Les principales institutions dAfrique subsaharienne seront voques tout au long de ce travail. 9 GUIBENTIF (P.), FOUCAULT, LUHMANN, HABERMAS, BOURDIEU, une gnration repense le droit, LGDJ, collection Droit et Socit, Paris, 2010, p. 187. 10 Cest nous qui soulignons. Lexpression est emprunte HABERMAS qui se demande si lon peut imaginer que lorganisation du monde puisse obir une volont politique commune, et si les Etats peuvent renoncer leur souverainet et se soumettre deux-mmes aux exigences dune commu-naut cosmopolite. Il pense quil est toujours dlicat de dire lavance dune ide politique quelle est une utopie. Voir Sur lEurope, op.cit. Passim voir galement ce sujet Louis LOURME, Les catas-

  • 5

    Notre travail consiste donc examiner ces ralisations institution-

    nelles lchelle rgionale centrafricaine. Il sagit dessayer de comprendre

    comment celles-ci, articules entre elles et avec les Etats-nations selon une lo-

    gique spcifique, peuvent donner lieu des ensembles qui travers leur efficaci-

    t, tirent ces Etats vers le haut en tablissant les conditions favorables au dve-

    loppement conomique et politique11

    et linstauration dune paix durable.

    Les phnomnes dintgration rgionale, identifis comme une des

    causes principales de cette inflation qui caractrise la socit mondiale, en-

    tranent une restructuration de la socit internationale et suggrent sur le plan

    du droit de nouvelles appellations (ou de nouvelles divisions et subdivisions)

    quil est en effet important de dfinir. Lintitul de notre travail limpose.

    La mise en uvre des institutions dintgration conomique de type

    communautaire permet aujourdhui dtablir, on la dit, une sparation droit in-

    ternational public/ droit communautaire. Lvolution du processus communau-

    taire europen va fortement contribuer tablir cette sparation entre droit inter-

    national classique et droit communautaire. La description de la socit interna-

    tionale par KELSEN dans sa Thorie pure du droit12

    , qui est celle propose par

    la plupart des manuels de droit international, permet de confirmer lide selon

    laquelle le droit communautaire tel que nous lapprhendons aujourdhui est un

    phnomne qui se dveloppe au cours de la seconde moiti du sicle dernier.

    On peut la rsumer en disant que KELSEN distingue le droit interna-

    tional conventionnel du droit international gnral. Si ce dernier est dorigine

    coutumire, le droit conventionnel est quant lui constitu de traits tablissant

    trophes et la constitution progressive dun monde commun , rflexion critique portant sur le texte dHABERMAS Tirer la leon des catastrophes ? Rtrospectives et diagnostic dun sicle court, revue de philosophie et de sciences humaines, 2008. 11 Lintgration conomique rgionale intresse galement les questions lies la dmocratie et aux droits de lhomme et ce titre, elle peut tre un vecteur de dveloppement politique. 12 Cest nous qui soulignons, titre de louvrage de Hans KELSEN. Thorie pure du droit, traduit de lallemand par Henri THEVENAZ, 2e dition, Neuchtel, ditions de la BACONNIERRE, 1988.

  • 6

    des normes cres par des dclarations concordantes de volont manant des

    organes comptents de deux ou plusieurs Etats13

    . Ces Etats forment ainsi des

    communauts internationales partielles 14

    car les normes quelles posent ne

    sont valables que pour ceux des Etats qui prennent part aux traits. Il sagit donc

    dun droit international particulier 15

    , qui sapplique une communaut16

    dEtats. Le droit international gnral est lui-mme le droit de la communaut

    internationale. Ce droit international (gnral ou communau-

    taire/conventionnel)17

    est surtout un droit de coordination (et non de contrainte)

    qui se caractrise par labsence dorganes spcialiss pour la cration et

    lapplication des normes de droit et connait deux types de sanction, la guerre et

    les reprsailles18

    . Cest surtout partir de ces lments prcis savoir

    llaboration et la sanction du droit international (auxquels le processus com-

    munautaire europen va permettre de donner un contenu juridique diffrent),

    quon distingue aujourdhui le droit communautaire du droit international clas-

    sique ou droit des traits.

    Car le droit communautaire actuel est certes le droit dune communau-

    t particulire dEtats, mais il institue des organes chargs de mettre en uvre

    les normes qui rgissent le fonctionnement de cette communaut mais en plus, il

    cr une juridiction supranationale charge de sanctionner ces normes, et per-

    met ainsi dviter le recours la guerre et aux reprsailles. Cest justement la

    13 Hans KELSEN, Thorie pure du droit, op.cit. p. 176. 14 Ibid. 15 Ibid. 16 Cest nous qui soulignons, afin de mettre en vidence lutilisation du mot communaut dans louvrage suscit de KELSEN. 17 Communautaire au sens littral, droit dune communaut dEtat. Ce sens diffre de la dfinition actuelle du droit communautaire. 18 Il est cependant admis quil existe dautres formes de sanction en droit international. Elles sont de type politique, juridique ou conomique et la sanction militaire (la guerre ou les reprsailles) est une solution extrme ayant un caractre punitif, utilise gnralement aprs que les autres formes de sanction soient puises. Elles ont un caractre social et conomique (marginalisation, suspension des avantages de la coopration, embargo sur certains produits dtermins, etc.). De ce point de vue, elles se rapprochent des formes ayant cours actuellement en droit international.

  • 7

    volont dviter les formes violentes de rglement des conflits qui va animer les

    pres fondateurs du Trait de ROME. Par la suite la juridiction supranationale

    europenne, travers les arrts VAN GEND & LOOS et COSTA ENEL19

    , va d-

    terminer les principes inhrents de ce droit communautaire, savoir la primaut,

    leffet direct et lapplicabilit immdiate20

    , qui nous serviront daxiomes tout au

    long de ce travail. A travers ces principes les rgles communes vont dfinir de

    faon directe les droits subjectifs des citoyens nationaux, sans passer par

    lintermdiaire dun ordre juridique tatique. Il dcoule de ce qui prcde que le

    droit communautaire est volontiers assimil au droit de lUnion europenne21

    .

    Enfin, ces caractristiques de fond sajoute un lment formel quil

    est plus ou moins ais de dfinir, et qui sert galement de lien entre les Etats par-

    tis au Trait communautaire europen. La proximit gographique et/ou cultu-

    relle, un certain nombre de valeurs communes dcoulant de la philosophie des

    lumires ou encore lhritage chrtien, etc. ont t rgulirement voques. Mais

    toutes nont pas t formellement intgres aux diffrents Traits qui jalonnent

    lhistoire du processus dintgration en Europe.

    19 CJCE, 5 fvrier 1963, arrt St.VAN GEND & LOOS c/ ADMINISTRATION NEERLANDAISE, affaire 25-62, Recueil de jurisprudence de la Cour, p. 3 ; 15 juillet 1964, arrt COSTA c/ ENEL, affaire 6-64, Re-cueil de jurisprudence de la Cour 1964, p. 1141. 20 A lanalyse, ce nest pas tant lexistence dune juridiction supranationale qui distingue le droit communautaire du droit conventionnel classique, mais surtout le sentiment que le droit commun devient lui aussi un droit de subordination : subordination des normes nationales aux normes com-munes ayant le mme objet (la primaut), subordination des citoyens dont la situation est directe-ment et rgulirement influence par les rgles communes et donc subordination des Etats qui su-bissent une contrainte bien plus forte, en comparaison la situation qui prvaut en droit internatio-nal classique. Ce 2e aspect est fondamental car il y a lieu de reconnatre avec le Professeur DUBOUIS, quen ce qui concerne la primaut, elle a de tout temps t affirme par les juridictions internatio-nales comme inhrente lessence mme de toute rgle internationale . DUBOUIS (L.), Larrt NICOLO et lintgration de la rgle internationale et communautaire dans lordre juridique franais, RFDA, n 6, 1989, p. 1003. 21 Les dfinitions proposes par le Vocabulaire juridique : droit de lUnion europenne, ensemble de rgles matrielles uniformes applicables dans les Etats membres de lUnion () , ou par Le Petit LAROUSSE : qui a trait au March commun, la Communaut europenne, lUnion europenne () ; permettent de confirmer notre propos. CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 7e di-tion, 2005, p. 189 et Le petit Larousse, Paris, ditions Larousse-bordas, 2000, p. 239.

  • 8

    Sur la base de tous ces lments caractristiques, on peut affirmer que

    les institutions C.E.M.A.C ET O.H.A.D.A22

    en Afrique centrale, mettent en

    uvre un droit communautaire.

    Dabord les organes mis en place par ces institutions permettent de

    laffirmer : centralisation dans llaboration des normes communes, juridictions

    supranationales charges de sanctionner ces normes. De ce point de vue, elles

    sont vritablement des ordres juridiques. Il convient ds prsent, de prciser le

    sens que lon va donner aux mots ordre et systme. Le concept dordre

    juridique a une double signification, celle dordonnancement ou dorganisation

    et celle de norme ou de contrainte et ce dernier aspect implique lexistence dun

    organe charg de sanctionner les normes. Cest cet lment de contrainte qui

    permet de diffrencier lordre du systme23

    . Cependant par souci de simplifica-

    tion, nous utiliserons indiffremment les expressions ordre juridique ou systme

    juridique pour dsigner les institutions C.E.M.A.C et O.H.A.D.A24

    . Ces caract-

    ristiques de lordre juridique nous permettent dcarter de nos analyses la

    22 La CEMAC est la Communaut Economique et Montaire de lAfrique Centrale et lOHADA est lOrganisation pour lHarmonisation en Afrique du Droit des Affaires. La CEMAC regroupe 6 Etats : CAMEROUN, CONGO, CENTRAFRIQUE, GABON, GUINEE EQUATORIALE et TCHAD. LOHADA en compte 16 : BENIN, BURKINA-FASO, CAMEROUN, CENTRAFRIQUE, COMORES, CONGO, COTE DIVOIRE, GABON, GUINEE BISSAU, GUINEE CONAKRY, GUINEE EQUATORIALE, MALI, NIGER, SENEGAL, TCHAD et TOGO. Ladhsion de la RDC (Rpublique Dmocratique du Congo) interviendra dans les semaines qui suivent (voir les dveloppements relatifs cette adhsion au & 1, section II, chapitre II, titre II de la premire partie). Si lon tient compte des lments caractristiques que nous venons de dfinir, on peut affirmer que ces institutions mettent en uvre un droit commun. 23 Il convient de prciser que dautres critres sont proposs par la doctrine pour diffrencier lordre juridique du systme juridique : lordre juridique se distinguerait alors du systme par lexistence dune unit de type pyramidale entre ses normes (alors que celles du systme serait simplement cohrentes) et le caractre volontaire de son organisation (alors que le systme rsulterait dune organisation spontane, non-voulue). Voir galement la dfinition de lordre juridique propos par Guy ISAAC dans son manuel de Droit communautaire gnral (Paris, ditions MASSON, 1983, p. 105), qui intgre lide de sanction des normes comme lment caractristique de lordre juridique. 24 Plusieurs auteurs utilisent indiffremment ces 2 expressions, on peut citer titre dexemples, KELSEN, SANTI ROMANO ou TROPER.

  • 9

    C.E.E.A.C25

    , car le fonctionnement de ses instituions a t mis en veilleuse

    pendant toute une dcennie, et la Cour supranationale que le Trait institue na

    jamais vu le jour26

    . De plus, la redfinition de ses missions fait de la C.E.E.A.C

    une en gestation qui soriente dsormais vers des activits militaires de maintien

    de la paix et de la scurit, assez loignes des objectifs de dpart qui avaient

    trait au dveloppement conomique. La multiplication des conflits arms, qui

    sont autant de freins au dveloppement, justifie cette rorientation. Il sagit donc

    dune institution nouvelle, en pleine restructuration, ce qui nous autorise

    lcarter partiellement du champ des investigations qui nous intresse dans le

    cadre de ce travail. Ecarter la C.E.E.A.C du champ matriel danalyses nous au-

    torise retenir par souci de cohrence, la dlimitation de lespace gographique

    de lAfrique centrale propose par la C.E.M.A.C27

    .

    Ensuite llment de partage est sans doute pour la C.E.M.A.C la

    proximit gographique et culturelle (entre les Etats et entre les peuples),

    lenracinement profond du processus qui tire ses origines de la priode colo-

    niale28

    . Quant lO.H.A.D.A, la monnaie et la langue communes lient la plupart

    25 La CEEAC est la Communaut des Economique des Etats de lAfrique Centrale qui runit les Etats membres de la CEMAC et ceux de la CEPGL. Elle est constitue, en plus des Etats CEMAC, de lANGOLA, le BURUNDI, la RDC et SAO-TOME et PRINCIPE. 26 Linexistence dune juridiction autorise davoir un doute srieux sur la capacit de la CEEAC cons-tituer un ordre juridique, tout au moins si lon sen tient la dfinition de lordre juridique propos par la majorit de la doctrine (voir supra p. 5 et note 16). De plus la CEEAC na pas fonctionn durant les annes 1990-2000 et de nos jours, la faible densit de son activit ne permet pas de rendre compte de son volution dans le cadre de cette tude. 27 En effet, la CEMAC (6 Etats) et la CEEAC (10 Etats) proposent 2 dlimitations diffrentes de lespace Afrique centrale, sans que lon soit en mesure de privilgier, au regard des considrations gopoli-tiques actuelles, lune par rapport lautre. Nous nous en tiendrons celle propose par la CEMAC. 28On observe en effet que la CEMAC est lhritire de lUDEAC (Union Douanire des Etats de lAfrique Centrale cre en 1963), qui fait suite lUDE (Union Douanire Equatoriale, cre le 29 juin 1959). Cette dernire puise ses origines dans lAEF (Afrique Equatoriale Franaise, entit gocono-mique intgre cre ds 1910) et ce titre, le processus CEMAC a un enracinement plus lointain que lUnion europenne. Le partage dune monnaie unique ou lappartenance une Communaut (lAEF puis lUnion franaise en 1946 et la Communaut franaise tablie en 1958) attestent lide selon laquelle le processus remonte la 1e moiti du sicle dernier.

  • 10

    des Etats parties ce processus. Le franc C.F.A ou franc de la Communaut29

    franaise dAfrique, la langue qui est celle de la quasi-totalit des Etats

    membres30

    sont des lments assez solides qui permettent dtablir des liens

    entre les Etats membres. En dehors des similitudes ethnologiques qui peuvent

    exister entre les diffrents peuples dAfrique centrale et de louest, on peut con-

    sidrer que les lments conomique (la monnaie) et culturel (la langue) consti-

    tuent des vecteurs assez forts, susceptibles de favoriser un sentiment

    dappartenance une communaut unique et de susciter lide dun destin com-

    mun entre les populations de ces Etats. A ce titre, on peut affirmer que le pro-

    cessus O.H.A.D.A met en uvre une intgration de type communautaire et que

    le droit quil institue est bien un droit communautaire. Son objet est certes limit

    au droit des affaires ou droit conomique, mais les processus communautaires

    sus-voqus sont galement des processus dintgration conomique qui

    sappuient sur une intgration juridique des normes rgissant les activits co-

    nomiques31

    .

    Une fois tablies les premires certitudes sur les ordres juridiques

    communautaires C.E.M.A.C et O.H.A.D.A, il convient de sintresser leur ca-

    ractre effectif. Dune manire gnrale, le langage juridique donne de la notion

    deffectivit une dfinition qui diffre quelque peu de son acception ordinaire.

    Sur le plan du droit, une rgle est effective lorsquelle produit leffet recher-

    ch 32

    . Leffectivit ne se limite donc pas lapplication ou lentre en vi-

    29 Cest nous qui soulignons. 30 Seuls les GUINEES EQUATORIALE ET BISSAU ne sont pas des Etats francophones, le CAMEROUN tant quant lui un pays bilingue (francophone et anglophone). 31 En droit europen, les 2e et 3e piliers, qui concernent La politique trangre et de scurit com-mune et La coopration policire et judiciaire en matire pnale ont t intgrs progressivement et il est vident quau dpart la CECA est un projet bien plus limit que ne lest lOHADA aujourdhui. De la mme manire la CEMAC a intgr des politiques de coopration judiciaire au dbut des annes 2000 et la cration dune Force Multinationale de lAfrique centrale (la FOMUC devenu FOMAC de-puis juillet 2008 et transfre sous lgide de la CEEAC) a t commande par lurgence en 2002. 32 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, op.cit. p. 339.

  • 11

    gueur dune norme, elle implique que ladite norme produise des effets qui per-

    mettent la ralisation de son objet. De ce point de vue il y a un lien troit vident

    entre leffectivit et lefficacit dune norme, qui permet daffirmer que

    leffectivit et lefficacit sont des notions identiques. Parlant des Etats par

    exemple, KELSEN affirme que le principe deffectivit signifie que pour tre

    valable un ordre juridique tatique doit tre suffisamment efficace33

    , car il est

    difficile voire impossible que lensemble des normes dun systme donn soit

    efficace. La non-effectivit dune norme particulire dun systme, prise isol-

    ment, ne suffit pas disqualifier lensemble du systme normatif. Il doit cepen-

    dant exister une correspondance gnrale entre le systme normatif et les faits

    auxquels il sapplique. Cette conformit de la rgle de droit aux faits quelle est

    cense rgir contribue lui confrer son effectivit.

    Leffectivit de la rgle de droit autrement dit sa capacit raliser

    son objet, que le professeur DELMAS-MARTY appelle sa validit empi-

    rique34

    , suppose que la norme soit en vigueur dans lordre juridique concern.

    Pour cela elle doit respecter un certain nombre de procdures fixes par les

    normes suprieures, car il existe entre les rgles de droit un rapport de dpen-

    dance qui veut quune norme soit cre ou abroge conformment des proc-

    dures pralablement tablies, de manire ce quune loi soit le fondement de la

    validit dune autre norme qui lui est infrieure. Car les normes dun systme

    sont hirarchises et non pas juxtaposes et cest de cette faon que le systme

    tablit son unit. Le respect du cadre procdural qui gouverne sa cration rend la

    norme valide lintrieur du systme. On peut donc considrer que leffectivit

    suppose la validit et implique lefficacit. A ce titre, lanalyse de leffectivit

    dun systme juridique passe par ltude de ces deux aspects de sa dimension

    33 Hans KELSEN, Thorie pure du droit, op.cit. p. 128. 34 DELMAS-MARTY (M.), Critique de lintgration normative, op.cit. p. 20.

  • 12

    normative, des instruments qui lui permettent dagir sur les comportements, en

    confrant des droits et en imposant des obligations et des abstentions.

    Cette tude de la dimension normative des institutions exige donc que

    nos analyses portent sur les deux aspects sus-voqus de la norme de droit :

    -sa validit formelle autrement dit son caractre applicable dans un

    systme juridique donn. Cest elle qui permettra de dterminer la conformit

    dune norme aux rgles du systme qui gouvernent son laboration et son conte-

    nu35

    . La validit formelle des normes permet dtablir la rationalit des ordres

    juridiques que nous tudions. Cette cohrence interne de lordre sapprcie

    travers deux axes prcis : dune part lvaluation des techniques qui permettent

    aux normes communes de sinsrer dans les ordres internes et dautre part

    ltude de la nature et du rgime juridiques des instruments travers lesquels

    sexprime le pouvoir communautaire ;

    -son efficacit autrement dit le rsultat de la confrontation de la norme

    aux faits quelle rgit. Mais leffectivit des normes est dapprciation incertaine

    car on la vu, le systme juridique peut subsister bien que certaines de ses

    normes soient dpourvues defficacit36

    . Cependant, la recherche de lefficacit

    doit tre permanente car cest travers elle que la norme ralise son objet et de-

    vient lgitime. Cette reconnaissance de la norme par ses destinataires permet au

    droit de jouer son rle de rgulateur des rapports sociaux et contribue au main-

    tien et lunit de lordre juridique.

    Cependant, les techniques juridiques que constituent les normes de

    droit adoptes par les organes communautaires, ne sont pas les seuls instruments

    35 Voir notamment Franois OST et Michel van de KERCHOVE, Jalons pour une thorie critique du droit, Publications des facults universitaires de St-Louis, Bruxelles, 1987, p. 292. 36 De plus il est impossible dtablir une limite objective au-del de laquelle le systme doit tre d-clar invalide. A partir de l, toute apprciation relative la validit dun systme est forcment sub-jective, sauf dans des hypothses o un effondrement ou une implosion de lordre juridique entrane sa disparition et permet de constater son invalidit.

  • 13

    dont dispose le systme. Dans sa catgorisation des rgles secondaires37

    , HART

    dfinit ce quil appelle des rgles de dcision38

    , qui autorisent des personnes ha-

    bilites par le systme rgler la question de la transgression des rgles de droit.

    Ce sont galement elles qui sont en mesure de donner des rgles une interprta-

    tion qui simpose tous les acteurs du systme juridique39

    . Les procdures sont

    donc tablies en vue dassurer une application correcte et uniforme des rgles et

    concourent galement leffectivit du droit. Cela nous amne tudier la di-

    mension institutionnelle des organes dintgration, dans ses aspects concernant

    laction des juridictions communautaires.

    Dans un systme juridique donn, limportance du juge nest plus

    dmontrer. Laction de dire le droit na pas un simple caractre dclaratif au

    contraire, linterprtation par le juge dune norme est un vritable acte crateur

    de droit40

    . Il ne procde pas seulement la concrtisation des rgles de droit,

    lorsquil applique une norme abstraite pour sanctionner un comportement illicite

    galement dfini de manire abstraite, mais il prend galement soin dadapter

    linterprtation des rgles au rsultat social recherch. De cette faon, son action

    favorise directement leffectivit des normes de droit. Cette capacit

    dinterprter le droit, le rendre plus flexible 41

    , concourt galement ordon-

    ner le systme et introduit une variabilit dans le processus dlaboration des

    normes car le droit nest pas compos uniquement de normes gnrales42

    .

    37 Ainsi appeles par opposition aux rgles primaires. HART distingue alors 2 types de normes au sein dun mme systme, normes qui entretiennent des relations complmentaires. Voir infra note 38, louvrage de Herbert Lionel Adolphus HART, Le concept de du droit. 38 En plus des rgles de dcision, lauteur distingue des rgles de connaissance qui dterminent les conditions de validit des normes et les rgles de changement qui autorisent des organes adopter ou abroger des normes. Voir infra note suivante. 39 HART (H.L.A.), Le concept du droit, traduit de langlais par Michel Van De KERCHOVE, Bruxelles, Publications des facults de luniversit Saint-Louis 3e dition, 1988, p. 119. 40 Hans KELSEN, Thorie pure du droit, op.cit. p. 5. 41 Lexpression est emprunte au titre de louvrage du doyen CARBONNIER, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 1971. 42 Hans KELSEN, op.cit. P.135. Le juge fait galement acte de cration du droit.

  • 14

    Chaque acte dapplication du droit favorise la cration dun nouveau droit, car la

    rgle de droit est un cadre que le juge remplit en fonction de considrations ex-

    tra-juridiques43

    . De ce point de vue, le rle jou par le juge europen dans le

    processus dintgration est remarquable. Cest la raison pour laquelle la place du

    juge communautaire dans les ordres dintgration C.E.M.A.C et O.H.A.D.A sera

    lobjet de la deuxime partie de notre travail. Cette partie sera prcde des ana-

    lyses portant sur la dimension normative classique44

    des Traits communau-

    taires.

    Il nous a galement sembl utile de rendre compte de lvolution his-

    torique du processus, de son enracinement dans lpoque coloniale et des ap-

    ports successifs dont il a bnfici durant cette volution dans un chapitre intro-

    ductif.

    Les dveloppements qui vont suivre porteront donc essentiellement

    sur les rgles de droit communautaire. Non pas que le systme juridique se r-

    duise des rgles ou des normes. Mais ce niveau danalyse a t privilgi car

    la norme constitue de manire vidente llment le plus remarquable du sys-

    tme juridique. Dautres approches sont concevables mais celle-ci permettra,

    nous lesprons, de donner cette tude une exigence dunit rigoureuse dobjet

    qui facilitera sa comprhension.

    Cependant les autres aspects du systme nont pas t ngligs.

    Ltude des Communauts juridiques exige que lon sintresse galement aux

    organes communautaires. Leur dimension humaine a t rgulirement prise en

    compte et de ce point de vue, des carts considrables entre les processus afri-

    cains et le processus europen ont t relevs.

    43 Il y a lieu de relever, pour nuancer cette affirmation, que produire une norme dans le sens dinterprter un texte prexistant nest pas identique produire une norme dans le sens de formuler un texte ex novo. 44 Ladjectif classique est employ pour dire que la cration dune norme par le lgislateur est un moyen ordinaire, habituel, direct de cration de rgles de droit la diffrence de la cration qui se fait par le juge. Voir supra note prcdente.

  • 15

    Quel que soit lintrt du choix effectu, il apparat cependant quil

    nest pas exempt de difficults.

    La ncessit de mettre en perspective plusieurs processus

    dintgration communautaire a certainement constitu une des plus grandes dif-

    ficults de ce travail. Car si ltude porte sur les ordres C.E.M.A.C et

    O.H.A.D.A, il fallait faire des incursions en droit U.E.M.O.A ou C.E.D.E.A.O et

    des rfrences rgulires au droit europen, sans toutefois oublier les processus

    dintgration comptence spciale. Il fallait galement tenir compte de leur

    caractre dynamique, qui parfois rend incertain lapprciation des processus

    concerns. De mme ltude de ces systmes de droit passe ncessairement par

    lobservation et lanalyse du fonctionnement des Etats membres et ce titre,

    labsence de documentation permettant de procder une analyse rigoureuse des

    administrations africaines est toujours un obstacle extrmement difficile sur-

    monter.

    Sagit-il en dfinitive dune tude de droit compar ? Nous pouvons

    rpondre par laffirmative bien que lopration mystrieuse45

    quest la compa-

    raison fait toujours lobjet de controverses 46

    . Car il apparat vident que le

    lgislateur africain (O.H.A.D.A et surtout C.E.M.A.C) a trouv que dans cer-

    taines matires et au nom de lefficacit, de bonnes lois pouvaient tre produites

    en sinspirant de lgislations trangres (notamment celle relative au processus

    communautaire europen) ou mme pour penser le processus dintgration r-

    gionale dans son ensemble. Mais dans quelles mesures a-t-il tenu compte des

    spcificits de la loi trangre et du contexte africain, pour viter les risques de

    rejet ? Lanalyse nous a donc permis de rflchir aux limites de la comparaison

    45 Cest nous qui soulignons. Lexpression est emprunte au titre de louvrage dEsin RC, The Enigma of Comparative Law, cit par Marie-Claire PONTHOREAU, infra note suivante. 46 PONTHOREAU (M.-C.), Comparaison et raisonnement juridique , in Comparer les droits rsolu-ment, Pierre LEGRAND (sous la direction de), Paris, PUF, 2009, p. 539.

  • 16

    des droits et des dangers de la transposition des normes juridiques, favorise par

    des activits juridiques transfrontalires.

    Il sagit donc dun travail de description et danalyse de lapplication

    des ordres juridiques centrafricains suivant leur logique respective, avec en toile

    de fond le processus europen. Il intgre des comparaisons relatives la descrip-

    tion et lanalyse des institutions et des concepts juridiques utiliss dans les

    ordres juridiques susnomms. Ces comparaisons se justifient non seulement par

    lorigine des processus tudis47

    , mais aussi parce que lUnion europenne cons-

    titue un exemple travers le modle conomique quelle promeut et lidal d-

    mocratique quelle incarne. Mais elles nautorisent pas le lgislateur compara-

    teur centrafricain imposer dans son propre environnement ( travers les pro-

    cessus dinternationalisation du droit), des concepts et des notions qui ont fait

    leurs preuves ailleurs. Elles peuvent aider penser le processus communautaire

    en Afrique, mais ne doivent en aucun cas tre un simple instrument de propa-

    gande48

    . Les analyses qui vont suivre aboutissent la ncessit dune rfor-

    mation du processus dintgration dans son ensemble et dune prise en compte

    effective de llment humain.

    47 Les analyses du Titre introductif apportent des prcisions sur lorigine des processus CEMAC et OHADA et permettent dtablir que les 2 systmes juridiques empruntent au processus dintgration europen. 48 CARBONNIER (J.), A beau mentir qui vient de loin ou le mythe du lgislateur tranger , in Essai sur les lois, 2e dition, Paris, dition Defrnois, 1995, p. 201. En effet la mise en avant de concepts au timbre sduisant (subsidiarit, rglements cadres, libre concurrence, etc.) qui font leurs preuves en Europe ne suffit pas lgitimer le processus africain. En ce sens la comparaison peut-tre perue comme un instrument de propagande du lgislateur africain.

  • 17

  • 18

    CHAPITRE INTRODUCTIF. LHISTORIQUE DU PROCESSUS

    DINTEGRATION REGIONALE EN AFRIQUE CENTRALE.

    Lintgration rgionale en Afrique centrale tant lobjet de cette tude,

    il importe danalyser son volution, la manire dont elle a t entreprise depuis

    lpoque coloniale jusqu nos jours, en rendant compte des apports successifs

    qui ont gouvern et enrichi le processus.

    On observe quen Afrique centrale, le processus dintgration rgio-

    nale va tre soumis la double influence de la France et de la construction

    communautaire europenne.

    Dabord linfluence de la France, puissance colonisatrice49

    , qui va or-

    ganiser la gestion administrative et conomique de ses possessions territoriales

    en Afrique la manire dune fdration dEtats. Ces Territoires50

    , devenus in-

    dpendants, vont continuer ce mode de vie communautaire, en y apportant des

    inflchissements lis leur nouveau statut. Rappelons que la situation que nous

    dcrivons est globalement celle qui prvaut pour les colonies franaises

    dAfrique occidentale51

    , et que la Grande-Bretagne va adopter un modle

    dadministration sensiblement diffrent pour la partie africaine de son vaste em-

    pire colonial52

    .

    49 Des 6 Etats qui constituent lAfrique centrale, 4 taient des colonies franaises : GABON, CONGO, TCHAD et CENTRAFRIQUE. Le CAMEROUN a t administr par la France travers le Mandat de la SDN (en 1922) puis la Tutelle de lONU (ds 1946). Seule la GUINEE EQUATORIALE est une colonie espagnole. 50 Ds 1946, le mot Territoire sera utilis pour dsigner les colonies qui composaient lAEF, sur la base de la Constitution franaise de 1946. Le changement terminologique impliquait aussi un changement de statut. 51 On observe lexistence dinstitutions identiques cres par la France en vue de grer les colonies dAfrique occidentale (lAOF ou Afrique Occidentale Franaise) et dAfrique centrale (lAEF ou Afrique Equatoriale Franaise). 52 Les britanniques confient laspect administratif des colonies aux Autorits locales ou indignes (Na-tive Authorities), mais dterminent les grandes lignes et les principes qui gouvernent cette adminis-tration. Ils gardent la maitrise totale du commerce et de lexploitation des richesses. Ce modle de

  • 19

    Ensuite, il y a linfluence de la construction communautaire euro-

    penne, dont lappellation des organes les plus importants et les principes qui

    structurent son mode de fonctionnement vont tre repris par les Etats africains

    de succession coloniale franaise, lors de la mise en uvre des institutions

    communautaires U.D.E.A.C, C.E.M.A.C et O.H.A.D.A53

    , ou encore U.M.O.A

    et U.E.M.O.A54

    . Il sagissait pour ces Etats de reprendre leur compte le modle

    communautaire europen qui commenait porter ses fruits : le Trait

    U.D.E.A.C a t sign le 12 octobre 1964, soit sept ans aprs la signature du

    Trait de ROME55

    instituant le C.E.E56

    . Or le Trait de ROME est dj

    laboutissement dun processus qui commence ds la fin de la deuxime guerre

    mondiale avec le dbat sur la cration du Conseil de lEurope57

    , et la mise sur

    pied de la C.E.C.A en Avril 195158

    .

    Enfin, il est important de souligner la marque de la Constitution fran-

    aise de 1958, dont les dispositions qui traitent de linsertion dans lordre juri-

    gestion sera appel Indirect rule ou administration indirecte et cest ce qui la diffrencie fondamenta-lement du systme franais. 53 LUDEAC, Union Douanire et Economique des Etats de lAfrique Centrale ; la CEMAC, Communau-t Economique et Montaire de lAfrique Centrale et lOHADA : Organisation pour lHarmonisation en Afrique du Droit des Affaires. 54 LUMOA : Union Montaire Ouest Africaine, lUEMOA : Union Economique et Montaire Ouest Africaine. 55 En ralit, deux traits sont signs ROME le 25 mars 1957 : le Trait instituant la Communaut conomique europenne (C.E.E), entr en vigueur le 1e janvier 1958 et le Trait instituant la Commu-naut europenne de lnergie atomique ou Trait Euratom. Ces deux traits signent lacte de nais-sance symbolique de lUnion europenne. 56 Ibid. 57 Lorganisation internationale sera fonde le 5 mai 1949 par le Trait de LONDRES. Elle uvre dans le domaine des droits de lhomme, de la dmocratie et de la prminence de lEtat de droit en Eu-rope. Mais lide dune construction europenne est lance ds 1946 avec le discours de Sir Winston CHURCHILL lUniversit de ZURICH. Par la suite, la Convention de LA HAYE de 1948 va aboutir la signature du Trait de LONDRES. 58 La C.E.C.A ou Communaut Economique du Charbon et de lAcier runit six Etats de louest euro-pen (France, Rpublique Fdrale dAllemagne, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas). Elle a vu le jour par la signature du Trait de Paris le 18 avril 1951. Premire organisation fonde sur des prin-cipes supranationaux, elle pose les bases de lUnion europenne actuelle. Plusieurs ouvrages ren-dent compte de la naissance de lUnion europenne. On peut citer entre autres les manuels de BLUMAN (C.), Droit institutionnel de lU.E, Paris, Editions LITEC, 2007, pp. 17 et suivantes, ou de Jean Paul JACQUE, Droit institutionnel de lUnion europenne, 6e dition, Paris, Dalloz, 2010.

  • 20

    dique interne du droit public international, seront reprises par les Constitutions

    des Etats dAfrique francophone en gnral. Tout comme il est important

    dobserver que la plupart de ces Etats, la diffrence de la Constitution fran-

    aise de 1958, vont intgrer ds les indpendances, des rgles constitutionnelles

    qui autorisent lengagement des Etats dans un projet dintgration rgionale de

    type communautaire, voire dans une fdration dEtats. Et cest certainement

    une des raisons pour lesquelles la mise en uvre des projets communautaires ne

    va pas susciter les remous quon a pu observer dans certains Etats europens

    dont la FRANCE.

    On observe galement que le processus dintgration a toujours t

    encourag par les Organisations africaines successives, lO.U.A puis lU.A59

    ,

    qui nont cess de voir dans le mouvement communautaire une panace au

    sous-dveloppement du continent. Et lchec de certaines organisations

    dintgration des premires heures, na pas tu cette esprance chez les afri-

    cains60

    .

    Cest donc travers la double empreinte de la France et de la Com-

    munaut europenne que sera analys le processus dintgration rgionale en

    Afrique centrale. Le phnomne, tel que nous lobservons de nos jours, est sym-

    bolis par deux institutions vocation conomique et comptence gnrale : la

    C.E.M.A.C et lO.H.A.D.A. Mais depuis lpoque coloniale, les Etats dAfrique

    centrale taient administrs sur le modle de la communaut, travers lA.E.F,

    lAfrique Equatoriale Franaise. Il a donc fallu passer par des tapes succes-

    sives pour aboutir au rsultat que nous connaissons aujourdhui. Il sagit dans ce

    chapitre de rendre compte de cette volution. Dans un premier temps en dcri-

    59 LOUA ou Organisation de lUnit Africaine cre en 1963 et depuis 2002, lUA ou lUnion Africaine, cre suite la Dclaration de SYRTE en LIBYE de 1999. 60 On pense notamment lchec de la CAE, Communaut Est-Africaine (East African Community), mise sur pied ds 1963 (transforme en Communaut dintgration en 1967), dissoute en 1977 alors quelle avait suscit de rels espoirs. Elle sera reconstitue en 2001 ARUSHA en TANZANIE par trois Etats : TANZANIE, OUGANDA et KENYA. Ils seront rejoints en 2007 par le RWANDA et le BURUNDI.

  • 21

    vant le modle communautaire de la colonisation franaise. Et ensuite en expli-

    quant comment une fois indpendants, ces Etats vont continuer luvre

    dintgration rgionale en sappuyant sur des principes souvent emprunts la

    construction communautaire europenne, et en recevant lappui sans cesse re-

    nouvel de lU.A (section I).

    Mais il existe un point de rupture historique dans le processus. En ef-

    fet ds 1958, les colonies franaises de lAEF accdent lautonomie. Elles vont

    toutes devenir indpendantes en 1960. Alors que laccs la souverainet

    marque la fin de lAEF, les Etats nouvellement indpendants vont manifester

    clairement leur volont de poursuivre laventure communautaire. Ils vont

    dabord conserver les organes dintgration crs pendant la priode coloniale,

    tout en effectuant les rformes permettant dadapter ces institutions leur nou-

    veau statut dEtats souverains. Ils vont ensuite, pour la plupart dentre eux, int-

    grer les dispositions constitutionnelles qui fondent leur engagement dans un pro-

    cessus dintgration de type communautaire (section II).

    Section I. Lvolution chronologique du processus communautaire

    en Afrique centrale.

    Il convient de distinguer deux tapes fondamentales dans la mise en

    uvre de lide dintgration rgionale en Afrique centrale. Cette distinction r-

    sulte dun vnement majeur dans lhistoire de lAfrique en gnral : Laccs

    group de la plupart des Etats du continent lindpendance, au cours de lanne

    1960.

    La premire priode part de la fin du 19e sicle aux indpendances, en

    1960. Cest la priode de lAEF, durant laquelle la puissance tutlaire franaise

    organise lensemble de ses possessions territoriales en sinspirant globalement

    du modle dorganisation des communauts dEtats. Certains historiens et ju-

  • 22

    ristes vont parler du fdralisme de lAEF61

    , car la FRANCE va administrer ses

    possessions territoriales sur un modle proche de celui que lon observe dans

    les fdrations dEtats (paragraphe 1).

    Ensuite aprs les indpendances, les nouveaux Etats vont continuer le

    processus, mais en intgrant les modifications quimpose leur nouveau statut. Ils

    vont rorganiser les institutions existantes, en reprenant essentiellement les

    structures et les principes qui fondent le processus communautaire europen (pa-

    ragraphe 2).

    Paragraphe 1. Le fdralisme de lAEF (Afrique Equatoriale Fran-

    aise).

    LAfrique centrale62

    recouvre aujourdhui six Etats : le CAMEROUN,

    le GABON, le CONGO, le CENTRAFRIQUE, le TCHAD et la GUINEE

    EQUATORIALE. Les cinq premiers ont connu une administration coloniale ou

    tutlaire franaise. La GUINEE EQUATORIALE tait une colonie espagnole.

    Les dveloppements de ce chapitre concernent directement les Etats de succes-

    sion coloniale franaise. La GUINEE EQUATORIALE va intgrer le franc

    C.F.A (CFA)63

    et ensuite lU.D.E.A.C ds le dbut des annes quatre-vingt et

    61Cest nous qui soulignons. Lexpression a t utilise par de nombreux chercheurs, notamment par le Pre Joseph Roger de BENOIST dans son ouvrage publi en 1979, La balkanisation de lAfrique oc-cidentale. Jean SURET-CANALE et Jean ZIEGLER vont galement en faire usage. Voir notamment Jean SURET- CANALE, Afrique noire, lre coloniale, cit par MEMOLY AUBRY (C.), Les relations montaires entre la France et ses colonies dAfrique centrale, Thse de Doctorat en histoire, Universit Paris I, 2004, Passim. 62 Il nest pas facile de dterminer avec prcision les limites gographiques de lAfrique centrale. Plu-sieurs organisations internationales proposent des dlimitations diffrentes. Par souci de commodi-t, nous retiendrons celle de la CEMAC qui pouse les limites de lancienne AEF, lAfrique Equatoriale Franaise, en y ajoutant la GUINEE EQUATORIALE et le CAMEROUN. 63 Franc CFA ou Franc de la Communaut Franaise dAfrique, anciennement Franc des Colonies Franaises dAfrique.

  • 23

    ce titre, son volution conomique et sociale est galement intressante pour

    rendre compte du processus.

    Si lhistoire situe la prsence franaise dans cette rgion ds le milieu

    du 18e sicle

    64, lAfrique Equatoriale Franaise en tant quinstitution est cre

    par un dcret franais du 15 janvier 191065

    . Entre le dbut de la colonisation

    franaise et la mise sur pied de lAEF, il y a quatre dcennies au cours des-

    quelles la FRANCE va agrandir son empire colonial et poser les jalons de ce qui

    va tre un vritable projet communautaire66

    .

    De 1842 1883, la prsence franaise en Afrique quatoriale se limite

    un seul territoire : le GABON. Il est administr par un Officier de marine por-

    tant le titre de Commandant suprieur des tablissements franais du golfe de

    Guine. Ensuite, la conqute coloniale va stendre un nouveau territoire, le

    MOYEN-CONGO et par un arrt du onze dcembre 188867

    , le GABON sera

    runi au MOYEN-CONGO pour former la colonie du CONGO.

    Cette colonie du CONGO et celle de lOUBANGUI (dans sa partie

    occidentale, conquise en 1888) constituent le CONGO franais, administr ds

    1891 par un Commissaire gnral (sur la base dun dcret du Sous-secrtaire

    dEtat aux colonies du 30 avril 1891), tandis que les deux colonies sont diriges

    64 Voir ce sujet DARNAUT (P.), Missions de prospection des forces hydrauliques de lAEF, Paris, Edi-tions LAROSE, 1931, cit par MBAJUM (S.), Entretiens sur les non-dits de la colonisation : confidences dun administrateur des colonies, le Gouverneur SANMARCO, Paris, Editions de Lofficine, 2007, p. 45. 65 Voir PRISO ESSAWE (S. J.), Intgration conomique et droit en Afrique centrale, Thse de doctorat de droit public, Montpellier I, 1997, p. 176. La cration de lAEF fait suite celle de lAOF, lAfrique Occidentale Franaise, le 16 juin 1895. 66 Lagrandissement de lempire colonial fait suite ca quon a appel la course lAfrique, et la ges-tion communautaire des colonies rpond un besoin conomique et une exigence defficacit. Plus tard, le projet communautaire va tre consacr par les Prambules des Constitution de 1946 et 1958 et la Communaut institutionnelle va devenir lUnion franaise aprs laccs la souverainet des Etats africains. Le terme communaut est donc utilis par les autorits franaises pour dsi-gner la relation qui existe entre les Territoires et la mtropole. Il est galement celui qui sied pour dsigner les rapports entre les diffrents Territoires, puisque ceux-ci nont pas de lien avec la France titre individuel car les diffrentes entits constituent un seul ensemble. 67 Voir GUERNIER (E.), (sous la direction de), LAEF, cit par EPOMA (F.), Lintgration conomique sous/rgionale en Afrique : lexemple de lAfrique centrale, Thse de Doctorat de droit public, Univer-sit de REIMS, 2005, p. 87.

  • 24

    par des Lieutenant-gouverneurs68

    . Le GABON va ensuite tre dtach du

    CONGO pour constituer une colonie part. En 1900, la conqute du TCHAD

    va se terminer avec la bataille de KOUSSERI69

    . Et en 1903, lOUBANGUI sera

    dfinitivement conquise aprs la victoire sur le Sultanat dEGYPTE70

    .

    LAfrique quatoriale compte alors, au tout dbut du 20e sicle et la

    veille de la cration de lAEF, trois Territoires civils : le GABON, le CONGO

    et lOUBANGUI, plus un Territoire militaire, le TCHAD. Ce dernier gardera

    un statut militaire jusquen 1920, soit dix ans aprs la cration de lA.E.F.

    Tout lespace colonial, pourtant constitu de plusieurs territoires dis-

    tincts, fait lobjet dune administration centrale, ayant sa tte un Commissaire

    gnral qui prendra, en 1908, le titre de Gouverneur gnral. Il est assist par

    des Lieutenant-gouverneurs qui sont la tte des diffrentes colonies.

    LAEF est cre par un dcret du Ministre des colonies71

    , qui fixe les

    modalits de la rpartition des pouvoirs entre les Lieutenant-gouverneurs et le

    Gouvernorat gnral (A). Ce dcret cr un vritable statut pour les diffrentes

    colonies, regroupes pour former une entit administrative unique, jouissant

    dune autonomie certaine vis--vis de la FRANCE. Ce statut sera modifi aprs

    la deuxime guerre mondiale, la suite des changements importants intervenus

    au sein de la socit internationale et franaise. Les changements visaient essen-

    tiellement conduire les Territoires vers lautonomie et lindpendance (B).

    A. Un fdralisme colonial.

    68 Voir BAYA (D.), Histoire des archives des colonies franaises dAfrique noire, Thse de Doctorat dhistoire, Universit Lumire, Lyon, 1987, Pages 201 et s. 69 Voir ce sujet DENIS (M.E), Histoire militaire de lAEF, Paris, Imprimerie nationale, 1931, 516 p., cit par BAYA (D.), ibid. 70 Idem. 71 Il faut relever que le Ministre des colonies est cre par une loi du 20 mars 1894 en remplacement dun Sous-secrtariat aux colonies. Voir infra note 74, p. 23.

  • 25

    Le modle dorganisation des territoires coloniaux par la France pr-

    sente des similitudes avec la forme fdrale dorganisation de lEtat. La rparti-

    tion des pouvoirs se fait entre le Gouvernorat gnral de lAEF et les Lieute-

    nant-gouverneurs, nomms la tte des diffrents Territoires, sur la base du d-

    cret sus-voqu du 15 janvier 1910.

    Cest principalement pour des raisons conomiques que sera institue

    lAfrique Equatoriale Franaise. Le souci de la France tait que les colonies

    soient le moins onreuses possible pour la mtropole : La seule question qui se

    pose est celle de savoir comment il est possible dviter la mtropole le poids

    des charges coloniales. La colonie idale serait celle qui, non seulement ne co-

    terait rien la mtropole, mais lui procurerait des recettes substantielles 72

    . La

    gestion administrative et conomique va donc se faire au profit de la mtropole.

    1. Sur le plan administratif.

    On observe un double niveau de gestion communautaire :

    -Au niveau suprieur, il y a les grands ensembles coloniaux que sont

    par exemple lAEF et lAOF (Afrique Occidentale Franaise), qui disposent

    chacun dun pouvoir autonome, et dune reprsentation au Parlement de la

    France entre 1946 et 1958, date de lautonomie accorde ces Territoires (suite

    au passage en France la dmocratie parlementaire de la 4e Rpublique). Ces

    ensembles coloniaux sont statutairement rattachs la France et grs par le

    Ministre des colonies. Lexpression Communaut institutionnelle73

    est utilise

    pour dsigner la relation qui existe entre la France et ses Territoires coloniaux.

    Les possessions territoriales sont constitues en ensemble rgionaux qui sont

    72 MBAJUM (S.), op.cit. p. 121. 73 Cest nous qui soulignons. Au sujet de lutilisation du mot communaut par les autorits colo-niales franaises, voir supra les notes 61 et 64, p. 20.

  • 26

    relis la mtropole. Il ny a donc pas de lien statutaire entre la mtropole et un

    Territoire particulier, mais les rapports stablissent avec la Communaut qui

    comprend lensemble des Territoires dune rgion donne.

    -Au niveau infrieur, lensemble des possessions territoriales dune

    rgion gographique est organis sur le mode communautaire, aussi bien sur le

    plan administratif que sur le plan conomique.

    En ce qui concerne lAfrique centrale qui nous intresse ici, lAEF est

    le Gouvernement gnral dun espace territorial qui part du fleuve Congo au d-

    sert du SAHARA, et qui comprend les quatre Territoires sus-voqus. Il sagit

    en fait dun Conseil gnral prsid par le Gouverneur de lAEF. Il est assist

    dun Gouverneur-secrtaire gnral. Les deux responsables sont nomms par un

    dcret du Ministre des colonies. Le Conseil a une composition mixte qui com-

    prend des personnalits administratives, indignes (chefs de village et de can-

    tons) et celles issues du monde conomique (hommes daffaire europens instal-

    ls sur les Territoires concerns). Il sige BRAZAVILLE, capitale de lAEF74

    .

    Les diffrents territoires sont administrs par des Lieutenant-

    gouverneurs assists dun Conseil priv. Tous participent de plein droit au Gou-

    vernement gnral de lAEF et sont galement nomms par dcret du Ministre

    des colonies. Ils disposent de comptences propres et exercent sur leurs terri-

    toires respectifs, lensemble des pouvoirs permettant dassurer le bon fonction-

    nement du Territoire, lexception des comptences statutairement confres au

    Gouverneur gnral. Les Territoires font lobjet dune subdivision en districts.

    Le dcret susvis75

    sera complt par un autre dcret du onze d-

    cembre 191276

    . Ces deux textes vont servir de fondement la Fdration de

    lAEF.

    74 Par un Dcret du Ministre des colonies de 1910, Voir Charles DECHAVANNE, Les origines de lAEF, cit par BAYA (D.), op.cit. p. 47. 75Il sagit du dcret du 15 janvier 1910 qui institue lAEF.

  • 27

    Le premier dcret organise essentiellement les comptences adminis-

    tratives, militaires et de sant publique. Il attribue exclusivement au Gouverneur

    gnral les pouvoirs en matire militaire et dans le domaine de la sant pu-

    blique. Et ce pour deux raisons principales :

    -Sur le plan militaire, la conqute coloniale nest pas acheve. Non

    seulement il faut scuriser les territoires du TCHAD et de lOUBANGUI, mais

    les expditions franaises sont rgulirement en concurrence avec les autres em-

    pires coloniaux (Angleterre et Espagne notamment) et doivent faire face des

    rsistances locales. Surtout, la colonisation est une uvre de conqute militaire

    qui est codirige depuis la mtropole par les Ministres de la Guerre et des Co-

    lonies. Jusquau dbut du 20e sicle, la totalit des personnalits nommes la

    tte des colonies sont des officiers de marine77

    .

    Toutefois, il faut rappeler que ds aout 1940 la Fdration de lAEF,

    sous limpulsion du Lieutenant-gouverneur Flix EBOUE, va se rallier aux

    Forces Franaises Libres (FFL) pour devenir le centre des oprations militaires

    franaises en Afrique. Cette libert de choix est la preuve dune certaine auto-

    nomie dans la mesure o, tant directement rattache un Ministre franais,

    elle aurait d saligner sur les positions du Gouvernement de VICHY78

    .

    -Sur le plan sanitaire, la cration du Corps de Sant Colonial79

    date de

    1890 et visait au dpart, comme son nom lindique, assurer la sant des troupes

    coloniales. Il tait administr par des officiers de la Marine et dpendait donc de

    larme. Devant limmensit de la tche, il sera ouvert aux civils et va permettre

    de lutter contre les nombreuses pandmies comme la lpre, la tuberculose, etc.

    76 Ce 2e dcret organise laspect financier de la gestion coloniale franaise. Voir ce sujet ESSAWE PRISO (S. J.), op.cit. p. 98. 77 Ds 1710, le Bureau des colonies est rattache au Secrtariat dEtat la marine. Ce lien avec la marine se maintiendra pendant tout le 19e sicle au cours duquel ladministration coloniale tait une direction de ce Secrtariat dEtat. 78 EBOUE sera relev de ses fonctions et condamn mort par le rgime de Vichy. Voir ce sujet MPACKA (A.), Flix EBOUE, Gouverneur gnral de lAEF, Paris, Editions Lharmattan, 2008, p.219. 79 Cest nous qui soulignons.

  • 28

    La sant des troupes coloniales installes en Afrique et les problmes sanitaires

    existants dans les Territoires sont directement grs par le Ministre de la

    guerre. Celui-ci va transfrer ds 1910, lessentiel de ces comptences au Gou-

    vernement gnral de lAEF.

    Le Gouverneur gnral gre galement la ralisation des grands tra-

    vaux80

    (notamment la construction des lignes de chemin de fer) et les mouve-

    ments de population que cela implique.

    Il est le reprsentant lEtat franais, et permet la mtropole de con-

    trler le vaste ensemble colonial. Il doit rester un organe de direction suprieure

    et de contrle, suivant les dispositions de larticle 6 alina 3 du dcret de 1910

    qui disposent : Les colonies sont administres sous la haute autorit du Gou-

    verneur gnral, par des Gouverneurs de colonies portant le titre de Lieutenant-

    gouverneurs81

    .

    2. Sur le plan conomique.

    Sur le plan des finances publiques, la rpartition des comptences

    entre le Gouvernorat gnral et les Territoires se fait essentiellement sur la base

    du dcret susvis de 191282

    .

    Dune manire gnrale, chaque colonie dispose dune autonomie fi-

    nancire, sous rserve des droits et charges attribus au Gouvernement gnral

    par des dcrets organiques 83

    . Les Lieutenant-gouverneurs sont chargs de lever

    et de collecter les impts quils mettent la disposition de la Banque de

    lAfrique Occidentale qui joue le rle de Trsor public. Il sagit dun tablisse-

    80 Voir ce sujet THIERRY (R.), LAEF et le chemin de fer de BRAZAVILLE locan, Publication du Co-mit de lAfrique franaise, 1926, cit par MBAJUM (S.) op.cit. p. 178. 81 Voir MARAN (R.), BRAZZA et la fondation de lAEF, cit par MBAJUM (S. J), idem. 82 Dcret du 11 dcembre 1912, cit par MEMOLY-AUBRY (C), op.cit. p. 19 83 Projets de budgets, AEF, Gouvernement gnral, BRAZZAVILLE, Imprimerie du Gouvernement gn-ral, 1912-1916, rapports par MEMOLY AUBRY (C.), op.cit., p. 78.

  • 29

    ment financier priv qui bnficie dun privilge dmission accorde par lEtat

    franais et qui lautorise, ds 1920, mettre la monnaie pour lA.E.F84

    . Mais

    devant limportance des enjeux militaires et conomiques, cet tablissement va

    se muer en tablissement public suite son rachat par la Caisse de la France

    Libre en 1940, qui deviendra quelques annes ans plus tard la Caisse Centrale

    de la France dOutre-mer. Ensuite lInstitut dEmission de lAEF verra le jour le

    20 janvier 195585

    et posera les jalons de la monnaie unique que nous connais-

    sons aujourdhui, le franc CFA, anciennement franc des Colonies Franaises

    dAfrique. Bien que circulant depuis 1938, cette monnaie va connaitre une exis-

    tence officielle en 1944, lors des Accords de BRETTON-WOODS qui instituent

    la Banque Mondiale86

    .

    Le but vis par le dcret du 12 dcembre 1912, on la dit, est de per-

    mettre chaque colonie de sautogrer, de manire assurer lensemble des d-

    penses lies son fonctionnement. Les colonies devaient tre une source de re-

    venus pour la mtropole et pas linverse. A ce titre, le Gouverneur gnral doit

    approuver le budget de chaque colonie et des lois organiques, adopts par le l-

    gislateur franais, fixent les modalits de laffectation des recettes entre les Ter-

    ritoires et le Gouvernorat gnral.

    Le budget de lAEF est aliment par des recettes provenant des taxes

    douanires et fiscales rsultant des changes entre les Territoires et lextrieur,

    suivant les dispositions de larticle 7 du dcret du 11 dcembre 1912. Ces re-

    cettes servent dabord au budget fdral, le solde est ensuite revers aux budgets

    territoriaux sur la base des activits de production et de consommation qui,

    84 Voir ce sujet Jean Pierre GAMACHE, Gographie et histoire de lAEF, cit par MOREIRA (P. E.), Politiques dajustement structurel et intgration rgionale en Afrique centrale et de louest, Thse de Doctorat en sciences conomiques, Universit de NANCY II, 1995, p.321. 85 Ibid. 86 Si les Accords de BRETTON-WOODS sont signs ds juillet 1944, la Banque Mondiale est cre le 25 dcembre 1945 sous le nom de Banque Internationale pour la Reconstruction et le dveloppement.

  • 30

    dans chacun des territoires, ont provoqu la perception de ces recettes87

    . Par la

    suite, un systme forfaitaire sera mis en place sur la base des cours principaux

    des produits dexportation de chaque territoire.

    Une autre preuve de la gestion commune des territoires est lexcution

    par lAEF du Plan de 10 ans88

    , prvu par un dcret du Ministre Franais de

    lOutre-mer du trente avril 194689

    , relatif ltablissement, au financement et

    lexcution des plans dquipement et de dveloppement des Territoires.

    Lexcution de ce dcret relve de la comptence du Gouverneur gnral.

    Dans les faits, le tiers des sommes affectes au budget de lAEF sera

    consacr aux infrastructures de transport.

    Donc, dune manire gnrale, lAEF tait administre la faon

    dune fdration, qui respectait lindividualit de chaque territoire, tout en sau-

    vegardant lhomognit et lunit de lensemble rgional. Les pouvoirs du gou-

    verneur gnral marquaient les limites de lautonomie des colonies, et dmon-

    traient la volont du pouvoir central franais de contrler cet ensemble.

    Lorganisation de base est donc celle dune fdration de territoires

    coloniaux, grs au sommet par un Gouverneur gnral, sauf que la gestion se

    faisait pour le compte et au profit dune entit nationale extrieure qui est la

    FRANCE.

    B. Lvolution vers les indpendances.

    Cette structure fdrale va subir plusieurs modifications statutaires qui

    ne changent pas fondamentalement les comptences du Gouverneur gnral,

    87 Dcret du 30 dcembre 1912, Voir Projets de budgets, AEF, Gouvernement gnral, cit par MEMOLY AUBRY (C.), Op.cit. p. 267. 88 Cest nous qui soulignons. Voir infra note suivante. 89 Voir MAMATY (G.), Lapplication du 1e plan de modernisation et dquipement, Mmoire de Mai-trise, Universit de Nanterre, 1982, page 46.

  • 31

    mais accordent progressivement aux populations indignes un droit de regard

    sur la gestion des Territoires.

    1. Sur le plan administratif.

    Il y a au dpart la dcision de la Fdration de sallier aux Forces de

    la France libre, ce qui fait de lA.E.F le centre des oprations militaires en

    Afrique et le point de dpart de la reconqute de lEmpire franais90

    .

    Ensuite, le discours de BRAZAVILLE de 1944, prononc par le gn-

    ral de Gaulle et consacr en partie lmancipation des colonies va amorcer une

    nouvelle re.

    Au niveau de la Mtropole, lavnement de la 4e Rpublique ds 1946

    permet la cration de lUnion franaise par la Constitution du 27 octobre

    194691

    , qui modifie le statut des colonies qui deviennent pour loccasion des

    Territoires. Ce nouveau cadre juridique supprime le Code de lindignat92

    , et au-

    torise ces Territoires envoyer des dputs issus des Assembles locales nou-

    vellement cres, la grande Assemble de lUnion franaise.

    Enfin, il y a la volont des populations de prendre en mains leur des-

    tin. La cration de lONU offre aux leaders politiques locaux une tribune inesp-

    re et permet de mettre en lumire les horreurs de la colonisation. Pour les Na-

    tions-Unies comme pour une partie de lopinion publique internationale mais

    90 Cest de la Mairie de FORT-LAMY au TCHAD, le 26 aout 1940, que le Gouverneur de ce Territoire, EBOUE Flix, va proclamer le ralliement officiel du TCHAD lappel du 18 juin 1940. Nomm Gou-verneur Gnral de lAEF ds le 12 dcembre de la mme anne, il va rallier toute lAEF au Gnral de GAULLE. Voir Albert MPACKA, op.cit. p. 171. 91 Elle est approuve par le rfrendum du 13 octobre organis par le Gouvernement provisoire de la Rpublique Franaise (GPRF, du 3 juin 1944 au 26 janvier 1946) ayant sa tte le Gnral de GAULLE. 92 Le Code franais de lindignat fut officialis le 28 juin 1881 pour lAlgrie et gnralis toutes les colonies en 1887 par le Gouvernement franais. Initi ds 1830, il visait essentiellement tablir 2 catgories de personnes : les citoyens franais de souche mtropolitaine et les sujets franais, origi-naires des diffrentes colonies, assujettis aux travaux forcs et toutes formes de restrictions dgra-dantes qui autorisent dassimiler leur statut celui desclaves.

  • 32

    galement franaise, il apparait vident ds la fin de la guerre, que

    lindpendance des colonies est un processus irrversible.

    Bien que le changement se fasse sentir, les pouvoirs et les missions du

    Gouverneur gnral ne varient pas considrablement, puisquil demeure le

    responsable auprs du Gouvernement de la Rpublique de lordre public et de

    ladministration de lAfrique Equatoriale Franaise (dcret du 16 octobre

    1946)93

    .

    Au niveau local, un arrt du Ministre de lOutre-mer permet

    llection au suffrage indirect (sur la base dun double collge), des Assembles

    territoriales. Un grand Conseil, compos de cinq membres par Territoires, as-

    siste le Gouverneur gnral et marque, pour la premire fois, la participation in-

    directe des populations africaines la gestion des affaires de leurs territoires.

    En 1956 le 23 juin, ladoption de la Loi-cadre94

    donne une nouvelle

    impulsion lmancipation des peuples coloniaux. Elle institue une plus grande

    autonomie des Territoires travers llection des Assembles territoriales (mises

    sur pied en 1946) au suffrage universel direct95

    . Chaque Territoire est dirig par

    un Conseil de gouvernement dont les membres sont issus de lAssemble territo-

    riale. Cest le dbut de la dmocratie reprsentative pour les Territoires qui dis-

    paraitra juste aprs les indpendances pour laisser la place aux rgimes prsiden-

    tialistes dictatoriaux96

    . Cest galement cette Loi-cadre, mise en uvre sur la

    base de la Constitution franaise de 1958, qui fonde juridiquement les rfren-

    93Cependant, il faut relever que ledit dcret intervient avant la promulgation de la Constitution du 27 octobre qui instaure la 4e Rpublique. Il intervient donc durant une priode transitoire. 94 Elle est appele Loi-cadre car elle habilite le Gouvernement statuer par dcret dans un domaine en principe rserv la loi, sur lvolution du statut des territoires franais doutre-mer. 95 Cette lection au suffrage universel direct donne plus de lgitimit aux reprsentants locaux et les rend autonomes par rapport au pouvoir de la mtropole. 96 Tous ces Etats vont passer en lespace de 4 ans, du rgime parlementaire initi par la Loi cadre et renforc par le statut dautonomie adopt en 1958 travers des rfrendums populaires, la prto-rianisation de lEtat par ladoption de rgimes prsidentiels. Voir ce sujet Louis DUBOUIS, Le rgime prsidentiel dans les nouvelles constitutions des Etats africains dexpression franaise, Recueil PENANT, n690, 1962, pp. 218 247.

  • 33

    dums organiss dans les diffrentes colonies. Cest travers ces scrutins popu-

    laires que les Territoires accdent lautonomie en 1958 et choisissent par la

    mme occasion lappartenance la Communaut franaise.

    Ils vont mettre sur pied, ds 1959, une organisation appele lUnion

    des Rpubliques de lAfrique Centrale (URAC)97

    avant de devenir tous ind-

    pendants en 1960.

    Sur un plan administratif, que ce soit au moment de la colonisation ef-

    fective ou pendant la priode transitoire ayant mene aux indpendances, il y a

    une gestion communautaire de lensemble de lespace colonial en Afrique cen-

    trale qui ne sest jamais dmentie.

    2. Sur le plan conomique.

    La gestion communautaire se vrifie galement sur le plan cono-

    mique. On a vu que le dcret susvis du 12 dcembre 1912 organisait les comp-

    tences en matire financire entre les colonies et le Gouvernorat gnral. Dans

    les annes qui prcdent les indpendances, la mise en commun du destin des

    Territoires va se concrtiser sur le plan conomique par plusieurs projets :

    -Il y a dabord ladoption de la Convention fiscale et douanire en oc-

    tobre 195798

    , qui rgle les problmes relatifs aux mouvements des marchandises

    lintrieur de lAEF et cr un espace douanier unique, lchelle de

    lensemble des Territoires coloniaux. Elle sera remplace le 29 juin 1959 par

    lUnion Douanire Equatoriale (UDE), cre par des Territoires devenus auto-

    nomes en 1958. Lautonomie acquise va permettre de consolider les liens co-

    97 Voir BUCHMANN (J.), LAfrique noire indpendante, Paris, L.G.D.J, 1962, p.69. 98 Voir ce sujet AHANHANZO GLELE (M.), La prparation aux indpendances en Afrique noire fran-cophone, Encyclopdie juridique de lAfrique, t.1, 1982, pp. 22-52.

  • 34

    nomiques qui existaient dj lpoque coloniale. Cest le fait le plus marquant,

    puisque lU.D.E va aboutir la mise en uvre de lU.D.E.A.C en 1964.

    -Ensuite, une Agence trans-quatoriale de Communication (ATC) et

    un Office Equatorial des Postes et Tlcommunications vont voir le jour ds

    1959.

    -Enfin, sur le plan montaire, le franc CFA continue dtre la monnaie

    commune tous les Territoires indpendants. Cependant, il est dsormais le

    franc de la Communaut Franaise dAfrique et sa gestion est confie le 14 avril

    1959 une institution nouvelle, la Banque Centrale des Etats de lAfrique Equa-

    toriale et du Cameroun (B.C.E.A.E.C)99

    , dont le conseil dadministration intgre

    les reprsentants de chaque Territoire et de la FRANCE.

    On peut affirmer, sans risque de se tromper, que la C.E.M.A.C que

    nous tudions ici est lhritire de lU.D.E.A.C mais aussi de lU.D.E. Elle tient

    donc ses origines de la priode coloniale. Car lU.D.E va continuer dexister

    aprs les indpendances, pour disparaitre en 1964 au profit de lU.D.E.A.C.

    La prparation aux indpendances se fait galement sur le terrain co-

    nomique, et permet de constater que la France et la presque totalit des lites is-

    sues des Territoires, envisagent la vie en communaut une fois les indpen-

    dances acquises. Lautonomie obtenue sur la base des rfrendums populaires de

    1958 na pas coup les liens avec la puissance tutlaire, et na pas dsagrg les

    rapports existants entre les Territoires. Les indpendances proclames en 1960,

    ne vont pas changer fondamentalement cette situation.

    Simplement les leaders africains envisagent dorganiser diffremment

    la Communaut. A la place de lconomie extravertie impose par la FRANCE,

    ils proposent un modle plus solidaire, qui tiendra compte des forces et des fai-

    blesses de chaque Territoire. Ce modle sera rduit sa plus simple expression

    99 Voir au sujet des relations conomiques entre la France et ses colonies, MEMOLY AUBRY (C.), op.cit. Passim.

  • 35

    cause des dsaccords entre leaders politiques. Il prendra forme en 1964 avec la

    naissance de lU.D.E.A.C (Union Douanire des Etats de lAfrique Centrale).

    3. Le cas du CAMEROUN.

    Plac sous la Tutelle de la France ds la fin de la 2e guerre mondiale

    (qui fait suite au Mandat de la SDN de 1922), la situation administrative et mo-

    ntaire du CAMEROUN est comparable celle des autres Territoires de lAEF.

    En effet, la FRANCE administre sa tutelle de la mme manire que les

    colonies, en se fondant sur larticle neuf du Mandat qui lui a t attribu par la

    S.D.N (Socit Des Nations), et qui dispose que la puissance mandataire aura les

    pleins pouvoirs dadministration et de lgislation sur les contres faisant

    lobjet du Mandat. Ces contres seront administres selon la lgislation de la

    puissance mandataire comme partie intgrante de son territoire100

    .

    Le CAMEROUN francophone aura sa tte un Commissaire gnral,

    dont les comptences sont arrtes par le Ministre des colonies, comme celles

    du Gouverneur gnral de lA.E.F. Tout comme la partie occidentale de ce pays,

    sous tutelle britannique, sera administre de la mme manire que les colonies

    anglaises, dans la mesure o les rgles administratives appliques au NIGERIA

    seront strictement les mmes que celles en vigueur au CAMEROUN : en 1924,

    une Ordonnance tend au CAMEROUN les textes anglais applicables au

    NIGERIA et en 1954, un Arrt constitutionnel visant organiser

    ladministration judiciaire tablit de faon rigoureuse la Common Law dans les

    deux colonies anglaises. Son article onze rgissant la High Court dispose que la

    Common law, la doctrine relative lquit et les lois dapplication en vigueur

    100 PRISO ESSAWE (S. J.), Intgration communautaire et droit en Afrique centrale, op.cit. p. 264

  • 36

    en Grande-Bretagne au 1er janvier 1900 seront applicables dans le ressort des

    tribunaux tablis par larrt suscit.

    Sur un plan strictement conomique, le rapprochement des Territoires

    de lA.E.F avec le CAMEROUN va seffectuer travers la Convention de

    BANGUI du 23 juin 1961. Cette Convention va rgler les relations cono-

    miques et douanires entre les Etats de lU.D.E et le CAMEROUN101

    . Ensuite,

    le Tarif Extrieur Commun (TEC) mis en place partir du 1er juillet 1962 va

    aboutir la signature du Trait de Brazzaville en 1964, acte fondateur de

    lU.D.E.A.C. Le CAMEROUN fait partie des Etats signataires du Trait insti-

    tuant lU.D.E.A.C.

    Dans le but de parachever le processus dintgration conomique et

    montaire 102

    commence avec la cration de lU.D.E.A.C, ces Etats vont

    mettre sur pied la C.E.M.A.C le 16 mars 1994 par le Trait de NDJAMENA.

    Paragraphe 2. Le visage actuel de lintgration rgionale en Afrique

    centrale.

    Avant toute analyse il est utile de dterminer la place du droit dans les

    colonies au moment de laccs lautonomie et lindpendance (A). Ensuite

    les conditions qui ont prvalu la cration des institutions C.E.M.A.C (B) et

    O.H.A.D.A (C) seront analyses.

    A. Ltat du droit dans les Territoires : juridictions et droit applicable.

    1. Une situation de bijuridisme voire de trijuridisme103.

    101AHANHANZO GLELE (M.), op.cit. p. 223. 102 Article 1e, Trait instituant la CEMAC. Pour la quasi-totalit des textes CEMAC, voir le site officiel de linstitution www.cemac.int ou le site investir en Zone franc , www.izf.net.

    http://www.cemac.int/

  • 37

    Dans les Territoires qui composent lAEF et jusquen 1945 (Dcret

    du 22 dcembre) le Code de lindignat sapplique aux populations autochtones.

    Il sert de cadre lgal ladministration de la justice et comporte des dispositions

    se rapportant pour lessentiel au droit pnal mais on y dcle galement des

    normes relatives au droit civil et aux liberts publiques.

    Cependant, les citoyens franais et europens se voient appliquer des

    rgles assez proches de celles en vigueur en FRANCE104

    . Leurs relations de

    commerce sont gouvernes par le Code de commerce et en matire de proc-

    dure, le Code dinstruction criminelle, promulgu en 1936 alors quil est appli-

    qu ds 1920, dtermine la procdure en matire pnale.

    Subsistent galement des normes de droit coutumier dans la mesure o

    ils nentrent pas en contradiction avec les Codes prcits. Dans tous ces Terri-

    toires, le droit coutumier est tolr et continue de rgir les relations lintrieur

    des tribus et des clans, o lautorit des chefs traditionnels est maintenue et par-

    fois renforce lorsquils font allgeance au pouvoir colonial. Ils conservent un

    pouvoir de conciliation et sont la tte des juridictions du mme nom, au dessus

    desquelles on trouve les tribunaux de degrs (1er et 2

    e degr, prsids par une

    autorit coloniale) et une Chambre dhomologation. Cest de cette faon que

    sont organises les juridictions qui connaissent des litiges impliquant les indi-

    gnes et parfois les sujets franais lorsque ceux-ci renoncent leur nationalit105

    .

    103 Cest nous qui soulignons, par analogie au bijuridisme. Il existe en effet en ce qui concerne le CAMEROUN, en plus des droits franais et anglais, un droit coutumier. 104 Flix EBOUE ne dclare-t-il pas que lindigne a un comportement, une patrie, des lois qui ne sont pas les ntres. Nous ne ferons son bonheur, ni selon les principes de la rvolution franaise, qui est notre rvolution, ni en lui appliquant le code napolon, qui est notre code . Voir Alain MPACKA, op.cit. p. 72. Si on ajoute au code de lindignat les lgislations appliques aux citoyens franais et les rgles coutumires en vigueur, on se retrouve en situation de tri juridisme dans les colonies. 105 Voir ce sujet, Jacques POUMAREDE, Exploitation coloniale et droits traditionnels in Pouvoirs pu-blics et dveloppement en Afrique, Toulouse, ditions de lUniversit des sciences sociales, 1992, pages 141-147. Au sujet du pouvoir des chefferies traditionnelles africaines lpoque coloniale, voir Robert CORNEVIN, Lvolution des chefferies traditionnelles dans lAfrique noire dexpression fran-aise in Recueil PENANT, 1961, p. 385.

  • 38

    Le Code de lindignat encore appel Code de lesclavage par Henri

    CARTIER106

    , soumettait les sujets franais107

    aux diffrentes restrictions qui les

    ravalaient au rang desclaves. Cette situation tait accentue par lapplication

    quen faisaient les autorits coloniales. Ce qui a fait dire Hubert LYAUTEY

    que les colons agricoles franais ont une mentalit de pur Boche, avec les

    mmes thories sur les races infrieures destines tre exploites sans merci. Il

    ny a chez eux ni humanit, ni intelligence108

    . Le traitement des populations

    indignes indigne mme en mtropole car ds 1881, Paul LEROY-BEAULIEU

    fonde la Socit franaise pour la protection des indignes des colonies.

    2. Lexistence dun droit traditionnel.

    Ce Code de lindignat sera supprim par un Dcret du 22 dcembre

    1945 en ce qui concerne lAEF, puis progressivement dmantel.

    Quant ce quon a rgulirement appel droit coutumier109

    africain, il

    convient dabord de prciser que nous nattribuons pas lpithte coutumier

    le sens pjoratif que certains auteurs lui accordent. Ils se fondent sur le caractre

    non-crit et variable110

    des coutumes pour assimiler le droit du mme nom de

    simples usages et lui dnier de ce fait la juridicit. Ces usages deviennent de

    vritables rgles de droit lorsquelles font lobjet dune conscration par le lgi-

    106 Cest le titre de la brochure Comment la France civilise ses colonies, suivi de Code de lindignat, code de lesclavage, Henri CARTIER et autres, textes de 1928-1932, ditions les nuits rouges, Paris, 2006. 107Le Code tablissait une distinction entre les citoyens franais et les sujets franais. Institu par 2 Dcrets de 1874 et 1881, il a t appliqu la colonie dALGERIE puis tendu aux autres colonies de lEmpire franais. Il sera aboli en Afrique centrale par un Dcret du 22 dcembre 1945. 108 Cit par Patrick WEIL, Quest ce quun franais ? Histoire de la nationalit franaise depuis la rvo-lution, Paris, Grasset, 2002, p. 241. 109 Cest nous qui soulignons. 110 Variable en ce sens quelles peuvent changer dune tribu une autre.

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    slateur, travers la codification par exemple111

    . De ce point de vue le droit afri-

    cain de cette poque se rsumerait aux dispositions du Code de lindignat, aux-

    quelles on ajoute quelques rgles de nature civile et commerciale dfinies par le

    colon, qui sappliquent aux populations indignes lintrieur des tribus et des

    clans. Car le Code de commerce sus-voqu rgissait un type de relations com-

    merciales propres aux commerants trangers. Il ne concernait que trs peu les

    populations indignes. A partir de l certains thoriciens arrivent facilement la

    conclusion excessive pensons-nous, suivant laquelle ces socits traditionnelles

    africaines ne connaissaient pas de droit avant larrive des puissances colonisa-

    trices.

    On arrive forcment de telles conceptions lorsquon projette les ca-

    tgories conceptuelles du droit occidental moderne dans les socits tradition-

    nelles. Labsence de code et dcrit autorise pensent-ils, confrer au droit cou-

    tumier un caractre primitif et incohrent. Il faut reconnatre que ltablissement

    dun code recle des avantages vidents pour le dveloppement du droit112

    , dont

    le plus important est le fait quil pose des rgles claires, facilement identifiables

    et favorise une application uniforme du droit.

    Lexamen de la socit africaine prcoloniale permet cependant

    daffirmer quil existait (et il existe encore) en Afrique un vritable droit cou-

    tumier113

    , constitu de rgles qui se distinguent des simples usages par leur force

    111 Plusieurs tentatives de codification vont tre engages, dont celle du Gouverneur de lAOF Ernest Nestor ROUME (par ailleurs Matre de confrences) par exemple. Voir ce sujet, Bernard MOURALIS, Littrature et dveloppement : essai sur le statut, la fonction et la reprsentation de la littrature afri-caine dexpression franaise, Paris, ditions du Silex, 1984. 112 Jacques VANDERLINDEN dtermine un certain nombre dattributs qui sont autant davantages du code par rapport au droit non-crit : cohrence, clart, maniabilit, etc. voir ce sujet Jacques VANDERLINDEN, Le concept de code en Europe occidentale du XIIIe au XIXe sicle. Essai de dfinition, Bruxelles, 1967, p. 163 et suivantes. 113 Lexistence de tribunaux coutumiers le prouve.

  • 40

    contraignante et leur domaine dapplication114

    , et qui servent rguler les ten-

    sions sociales115

    . Mais labsence dcrits empche lindividualisation des

    sources de droit et partir de l elles se fondent dans la pratique et sont identi-

    fies comme de simples usages.

    Cette question est juge utile dans la mesure o au moment de laccs

    lautonomie puis lindpendance, ce droit coutumier constituait le socle sur

    lequel devait sappuyer le lgislateur africain116

    , aid dans sa tche par les auto-

    rits des pays de tutelle. Il existait bien au moment de laccs lautonomie des

    Territoires, un droit coutumier et surtout des pratiques commerciales identi-

    fies117

    qui pouvaient servir de substrat au droit communautaire ou avoir une va-

    leur suppltive par rapport ce droit. Tout au moins, ce droit coutumier et ces

    pratiques commerciales rglementes pouvai