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1 ère journée thématique du Nord-Est de la France sur la Communication marketing : "Les modes de communication non traditionnels : communication événementielle, parrainage, mécénat, lobbying, rumeurs, placement de produits, relations publiques" La communication et l'information comme leviers de la stratégie politique des entreprises Mourad Attarça Université Nancy2 – GREFIGE IUT Charlemagne 2 ter boulevard Charlemagne 54000 Nancy e-mail : [email protected] tél : 03 83 91 31 97 ou 06 77 61 46 23 Résumé La communication est un des leviers sur lequel repose les opérations de lobbying conduites par les entreprises. Si elle ne diffère pas totalement de la communication commerciale dans les moyens qu’elle met en œuvre, la communication politique se distingue par sa finalité et par ses enjeux. Sur la base d'une enquête conduite auprès d'acteurs chargés du lobbying et de plusieurs études de cas, nous nous proposons dans cet article d’explorer les différentes formes de communication politique ainsi que leur usage dans le cadre des stratégies de lobbying des entreprises. Nous avons ainsi identifié huit catégories d'actions de communication ou d'information dont nous précisons les finalités dans le lobbying et dont nous donnons les caractéristiques. Il s'agit des actions suivantes : lancement de campagne de publicité politique, coordination d'actions de lobbying de terrain ("grass-roots"), organisation de manifestations de relation publiques, prise de position publique, lancement de campagne d’information politique, diffusion de dossier d’argumentation politique, organisation de conférences et colloques, et réalisation de dossier d’information technique. Nous discutons également dans cet article l'efficacité des différentes formes de communication politique. Nous proposons un modèle des facteurs qui peuvent déterminer le recours par les entreprises aux différentes actions de communication et d'information politique. 1

Communication Politique Des Entreprises

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1ère journée thématique du Nord-Est de la France sur la Communication marketing :

"Les modes de communication non traditionnels : communication événementielle, parrainage, mécénat, lobbying, rumeurs,

placement de produits, relations publiques"

La communication et l'information comme leviers de la stratégie politique des entreprises

Mourad Attarça

Université Nancy2 – GREFIGE IUT Charlemagne

2 ter boulevard Charlemagne 54000 Nancy e-mail : [email protected] tél : 03 83 91 31 97 ou 06 77 61 46 23

Résumé La communication est un des leviers sur lequel repose les opérations de lobbying conduites par les entreprises. Si elle ne diffère pas totalement de la communication commerciale dans les moyens qu’elle met en œuvre, la communication politique se distingue par sa finalité et par ses enjeux. Sur la base d'une enquête conduite auprès d'acteurs chargés du lobbying et de plusieurs études de cas, nous nous proposons dans cet article d’explorer les différentes formes de communication politique ainsi que leur usage dans le cadre des stratégies de lobbying des entreprises. Nous avons ainsi identifié huit catégories d'actions de communication ou d'information dont nous précisons les finalités dans le lobbying et dont nous donnons les caractéristiques. Il s'agit des actions suivantes : lancement de campagne de publicité politique, coordination d'actions de lobbying de terrain ("grass-roots"), organisation de manifestations de relation publiques, prise de position publique, lancement de campagne d’information politique, diffusion de dossier d’argumentation politique, organisation de conférences et colloques, et réalisation de dossier d’information technique. Nous discutons également dans cet article l'efficacité des différentes formes de communication politique. Nous proposons un modèle des facteurs qui peuvent déterminer le recours par les entreprises aux différentes actions de communication et d'information politique.

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Introduction Depuis une quinzaine d’années, les entreprises françaises ont de plus en plus recours au lobbying pour défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics. L’importance prise par les institutions communautaires dans la régulation économique a fortement contribué à ce phénomène (Van Den Hoven, 2002). La communication est un des leviers sur lequel repose les stratégies de lobbying -et plus généralement les stratégies politiques- des entreprises (Baldi, 1990 ; Clamen, 1995 ; Farnel, 1994). Nous pouvons qualifier cette communication de politique car elle s’exerce dans le champ socio-politique. Si elle ne diffère pas totalement de la communication d’entreprise traditionnelle dans les moyens qu’elle met en œuvre, la communication politique se distingue par sa finalité et par ses enjeux. La communication politique vise à promouvoir des positions idéologiques de l’entreprise et à défendre des intérêts économiques en rapport avec des décisions publiques1. Les choix des modes de communication politique ne sont pas anodins ni sans conséquences, pour l'entreprise comme pour la société. En effet, le lobbying n'est pas toujours perçu, par l'opinion publique comme par les dirigeants politiques, comme une pratique totalement légitime (Lorho, 1994). En France, la pratique du lobbying n'est pas réglementée et la défense d’intérêts particuliers reste entourée de certains tabous. Aussi, le recours à des actions de communication "ouvertes" (par exemple à des campagnes de publicité politique), traduit la volonté de l’entreprise de quitter -au moins temporairement- le terrain de l’influence discrète et de la négociation, pour aller sur le terrain, plus risqué, de la controverse et de l’affrontement politique. Dans ce cas, l'entreprise cherche ainsi à rallier l'opinion publique -ou une frange de l'opinion publique- à ses propres positions pour faire pression indirectement sur les responsables publics. Dans quelles mesures ces actions de communication politique sont-elles efficaces et contribuent réellement à la stratégie d'influence de l'entreprise ? Des actions de communication politique peuvent-elles être sans effet, voire contre-productives ? Nous nous proposons dans cet article d’explorer les différentes formes de communication politique ainsi que leur usage dans le cadre des stratégies de lobbying conduites par des entreprises. Il s'agit donc d'identifier et de caractériser les différentes initiatives en matière de communication et d'information politique. Il s'agit également de discuter les enjeux pour les entreprises de leur mise en œuvre ; par exemple, quelles sont les spécificités de la communication politique par rapport à la communication commerciale traditionnelle ? quels sont les risques qui sont attachés à ce type de communication ? quels sont les déterminants des choix des actions de communication politique ? Cet article est structuré en quatre parties. La première partie est consacrée aux définitions de la notion de lobbying et, plus généralement, à la notion de stratégie politique des entreprises qui intègre la

1 Il peut s’agir par exemple de : s’opposer à une réglementation contraignante (p.e. concernant le recyclage des véhicules pour les constructeurs automobile), favoriser l’adoption de mesures protectionnistes (p.e. les industriels de la sidérurgie aux Etats-Unis ont obtenu, grâce au lobbying, l’adoption de mesures protectionnistes vis-à-vis des concurrents japonais et européens), bénéficier de mesures fiscales favorables (p.e. l’obtention d’une TVA à taux réduit réclamée pour les restaurateurs français), bénéficier de meilleures conditions concurrentielles d’exercice d’activité (p.e. obtenir une autorisation d’ouverture le dimanche pour les distributeurs de meubles ou de produits de bricolage ), etc.

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dimension managériale du lobbying. Dans la deuxième partie, nous préciserons la problématique de l'article et nous exposerons la méthodologie utilisée pour le recueil des données empiriques. Les résultats du travail empirique sont présentés sans la troisième partie sous forme d'une synthèse des différentes formes d'actions de communication et d'information politique mises en œuvre dans les processus de lobbying. Nous discuterons dans la quatrième et dernière partie de l'efficacité des actions de communication et d'information politique. Nous formulerons des propositions quant à l'utilisation des différentes actions de communication politique et nous proposerons un modèle explicatif des choix tactiques des entreprises.

La notion de lobbying Définition Dans son sens originel, le lobbying désigne la pratique qui consiste à intervenir auprès des élus du Congrès américain ou de la Chambre des Communes britannique, afin d’influencer leurs votes. Le terme de "lobbying" trouve sa racine dans le mot "lobby" qui désigne en langue anglaise, un vestibule, l’entrée d’un bâtiment ou un couloir. Au milieu du 19ème siècle, les représentants des groupes de pression privilégiaient les rencontres informelles avec les élus du Congrès dans les halls d’hôtels (Ornstein et Elder, 1978). En Angleterre, le terme de lobbying renvoie à la pratique qui consiste à intercepter les élus dans les couloirs de la Chambre des Communes pour s'entretenir avec eux au sujet de décisions en cours. La notion de lobbying s'est peu à peu généralisée pour désigner toute initiative d'influence d'un décideur public. Clamen (1995) précise qu' "il y a lobbying dès qu'il y a initiative privée en vue de changer ce qui tient lieu collectivement de règle du jeu". Il n'est pas rare par ailleurs que le terme de lobbying soit utilisé comme simple synonyme d'une action d'influence, quelle que soit la cible (publique ou privée) et quelle que soit l'instigateur de l'action (acteur privée ou public). Nous considérerons pour notre part que le lobbying est un processus d'actions d'influence mis en œuvre par un acteur privé en direction d’institutions ou d'acteurs publics. Toute action de lobbying renvoie donc à des intérêts privés et à des décisions publiques.

Lobbying et légitimité Les Etats-Unis sont considérées comme la partie du lobbying. On y évalue ainsi à 42000 le nombre de lobbyistes en exercice dont 35000 basés à Washington (Deysine, 1996). La conception américaine de l’intérêt particulier, garantie dans le Premier amendement de la Constitution, légitime en effet l’intervention de tous types de lobbies dans les processus de décision législatifs. La pratique du lobbying et le métier de lobbyiste sont non seulement légitimés mais aussi réglementés. Le développement du lobbying n’est pas sans poser de problèmes puisque cette pratique donne lieu à de nombreuses dérives : pression exercée sur les élus, corruption, utilisation de méthodes d’influence

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douteuses, etc. La construction européenne a également constitué -et constitue toujours- un terrain favorable au développement du lobbying (Van Den Hoven, 2002). Le processus de décision communautaire favorise en effet la confrontation des intérêts et donc l’émergence et le renforcement du pouvoir des lobbies (Rideau, 1993). En France, le lobbying a une connotation péjorative. Il s'agit d'une pratique "grise" : ni tout à fait interdite sur le plan légal, ni tout à fait acceptée et reconnue comme une démarche normale et légitime. Le rejet moral et politique du lobbying (Basso, 1983) s’explique par la conception républicaine de l'intérêt général, transcendant les intérêts particuliers2. L'émergence des enjeux et des institutions communautaires a cependant contribué à dédramatiser la pratique du lobbying en France. A la fin des années 80, plusieurs cabinets spécialisés dans le lobbying ont proposé leurs services aux entreprises et aux autres groupes d'intérêt (Boucher, 1993). Certains responsables publics ont même encouragé les lobbies français dans leur démarche d’influence auprès des institutions européennes, dans le sens où les lobbies peuvent constituer des relais efficaces du gouvernement français auprès de ces institutions (Van Den Hoven, 2002). Ces évolutions se traduisent en particulier par une plus grande visibilité de la pratique du lobbying. Alors que traditionnellement, les dirigeants français privilégiaient un lobbying discret et fondé sur des réseaux relationnels (Eugène, 2002), un recours plus important à la médiatisation a pu être constaté3 ces dernières années. La communication devient alors un levier important dans les actions de lobbying. Le lobbying relève ainsi de plus en plus de tactiques -voire de stratégies- d'influence complexe. S'agissant des entreprises, le terme de lobbying cède ainsi le pas à la notion plus large de stratégie politique.

Du lobbying à la stratégie politique des entreprises Pour Basso (1992), la technique du lobbying s’assimile à un "ratissage persuasif des couloirs ", c’est-à-dire à un travail d’influence informel auprès de responsables politiques auxquels on a accès par des voies parallèles. Le lobbying repose effectivement -au moins en partie- sur le recours à un réseau relationnel informel. En France, les réseaux d’anciens des grandes écoles (ENA, X, HEC…) constituent un support idéal pour la mise en oeuvre d’actions de lobbying (Suleiman, 1979). Cette conception "relationnelle" du lobbying est cependant mise en cause par de nombreux praticiens et en particulier par les lobbyistes professionnels. Le travail relationnel est présenté comme étant une des dimensions –nécessaire mais non suffisante- du lobbying. Ainsi, Legrelle (1988), donne la "recette" du lobbying : "c’est 20% de droit, 20% de politique, 20% d’économie, 20% de diplomatie et 20% de communication ". Ceci amène certains auteurs à introduire la notion de "lobbying-mix" (Clamen, 1995) et à faire ainsi le parallèle entre la démarche marketing et la démarche de lobbying. Le lobbying-mix se décline en cinq stratégies : stratégie juridique, stratégie économique, stratégie politique, stratégie diplomatique et stratégie de communication. Plusieurs auteurs ont montré l'importance du lobbying dans -et pour- la stratégie des entreprises (Baron, 1995 ; Buchholz et al, 1994 ; Yoffie, 1988). Le lobbying est non seulement un moyen pour l’entreprise de 2 Le rejet du lobbying et des lobbies s’est manifesté par exemple par l’adoption de la loi Le Chapelier en 1791 qui interdit les corporations (des lobbies) considérés comme une menace pour la République et pour l’intérêt général. 3 Voir par exemple les articles : "Les nouveaux visages du lobbying", Lisa Telfizian, Entreprendre, n°1870, 7 septembre 2000

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résister aux contraintes et menaces socio-politiques (Pfeffer et Salancik, 1978), mais également le levier de stratégies pro-actives et opportunistes de capture des décisions publiques pour la consolidation et la construction d’avantages concurrentiels (Marcus, 1984). Par ailleurs, la mise en œuvre d’une action de lobbying conduit l’entreprise à évoluer dans un environnement socio-politique complexe (Martinet, 1984), dans lequel elle est en relation avec des acteurs de différentes natures : des institutions publiques (Etats, institutions internationales…), des entreprises, des lobbies économiques (coalition d’entreprises, organisations professionnelles), des lobbies "civils" (syndicats de salariés, ONG, associations …), des médias, etc. L’entreprise est ainsi amenée à mettre en œuvre une véritable stratégie d’influence, tenant compte des différents acteurs et des différents intérêts en jeu. Nous désignons par stratégie politique, le comportement d’une entreprise qui est confrontée à une décision publique dont elle cherche à en influencer l’issue (Boddewyn et Brewer, 1994 ; Hillman et Hitt, 1999). La mise en œuvre d’une stratégie politique repose sur un ensemble d’actions politiques que nous pouvons classer selon qu’elles sont "ouvertes" ou "fermées" , directes ou indirectes. Les actions ouvertes sont des actions transparentes, assumées, voire revendiquées par l’entreprise (par exemple, par l’intermédiaire de communiqués de presse). A contrario, les actions fermées sont des actions volontairement engagées de manière discrète et souterraine. Les actions directes sont dirigées vers les décideurs publics ou les acteurs publics impliqués dans le processus de décision que l’entreprise souhaite influencer. Les actions indirectes sont dirigées vers d’autres acteurs que les responsables publics (médias, opinion publique, leader d’opinion…) considérés comme des relais dans l’influence des décideurs publics. Tableau 1 : Une typologie des actions politiques Directes Indirectes Ouvertes

Lobbying formel Information politique

Mobilisation politique Information politique Communication politique Constitution de coalitions Actions juridiques

Fermées

Lobbying informel

Communication politique (propagande, rumeurs, manipulation)

• Le lobbying formel et informel ; au sens strict du terme, il s'agit de toutes les actions d'influence directement engagées au niveau des décideurs publics. Ce sont "tous les efforts (...) pour établir des voies de communication avec les institutions réglementaires ou législatives" dans le but d'orienter leurs décisions (Keim et Zeithaml, 1986). Nous pouvons distinguer le lobbying basé sur des voies de communications formelles (rencontres officielles avec des responsables publics, auditions publiques, participation à des groupes de travail…) du lobbying plus informel (déjeuner

"Lobbying : la regrettable exception française", Michel Revol, Le Point, n°1433, 3 mars 2000

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avec un décideur public, envoi de courriers privés, organisation de manifestations de relations publiques,...).

• La mobilisation politique ("constituency building") ; ce sont "les efforts pour identifier, sensibiliser et motiver à l'action politique des individus qui peuvent être affectés par une politique publique qui concerne (également) l'entreprise" (Keim et Zeithaml, 1986 ). Parmi les acteurs pouvant être mobilisés : les salariés, les actionnaires, les fournisseurs, les clients, les entreprises concurrentes, etc. L'objectif de la mobilisation politique est de susciter plusieurs réactions convergentes qui renforcent le lobbying de l'entreprise : manifestation de salariés4, protestation des citoyens, pétition de dirigeants d'entreprises, etc. Dans cette activité, l'entreprise joue un rôle d'entrepreneur politique.

• La communication politique ; il s'agit d'une forme particulière de mobilisation, visant la société civile et l'opinion publique (ou une frange de cette opinion). L'objectif est de faire pression sur les pouvoirs publics en médiatisant le débat portant sur une décision publique (Keim et Zeithaml, 1986; Pasquero, 1979). L'entreprise peut ainsi influencer le processus réglementaire en exerçant une pression indirecte sur les décideurs politiques. La communication permet à l'entreprise d'exposer ses arguments, de démonter les arguments de ses adversaires politiques, ou de mettre en cause les positions des pouvoirs publics.

• L’information politique ; cela consiste pour une entreprise à diffuser des informations pouvant contribuer à influencer, directement ou indirectement, un processus de décision publique. Ces informations peuvent être issues d’une expertise interne à l’entreprise, d’études techniques, économiques ou juridiques réalisées spécifiquement, de sondages d’opinions, etc. L’objectif de la diffusion d’information est de légitimer les intérêts et les prises de position de l’entreprise (Bourgeois et Nizet, 1995).

• La constitution de coalitions ad hoc ; les coalitions ad hoc sont des structures collectives regroupant un ensemble d'acteurs (entreprises à titre individuel, organisations professionnelles, associations...) ayant des intérêts devant une décision publique donnée. Il s'agit de structures ponctuelles, dont la durée de vie est souvent liée à la prise d'une décision publique, ou à l'aboutissement de l'action collective d'influence.

• Les activités juridiques ; selon Baron (1995) et Epstein (1969), l'action juridique (procédures devant les tribunaux ou devant l'administration) rentre également dans les activités politiques de l'entreprise. Le recours aux règles de droit peut s'inscrire dans une tactique visant à contester la légalité d'une décision publique, ou à en retarder l'application.

4 Par exemple, en 1995, la direction d'un magasin Leroy-Merlin, dont l'autorisation d'ouverture avait été annulée par le maire, avait organisé une manifestation de ses salariés pour dénoncer l'atteinte à l'emploi.

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La stratégie politique de l’entreprise peut reposer sur d’autres activités comme le financement politique, la veille institutionnelle ou la participation aux activités d’organisations professionnelles ou d’associations. Ces activités politiques, contrairement aux précédentes, ne sont pas liées à une décision publique donnée et donc à une action de lobbying précise. Il s’agit d’activités politiques permanentes, qui s’inscrivent dans la durée et qui peuvent être ainsi vues comme un investissement effectué par l'entreprise dans le champ politique.

Problématique et méthodologie de recherche Problématique Le lobbying n'est pas une activité banale pour l'entreprise. Par définition, l'entreprise qui fait du lobbying quitte son champ économique naturel pour évoluer dans le champ social et politique. Nous avons vu précédemment que, dans le contexte français, le lobbying n'est pas totalement reconnue comme une pratique légitime. La frontière entre le lobbying relevant de la défense d'intérêts légitimes et celui relevant de la défense d'intérêts égoïstes au regard de l'intérêt général semble ténue. Le recours à la communication et à la médiatisation dans un processus de lobbying peut avoir des conséquences importantes pour l'entreprise : positives comme négatives. L'entreprise peut par exemple utiliser les médias ou l'opinion publique comme des relais pour la défense de ses intérêts, pour autant que ceux-ci adhèrent à ses positions de principes et sont convaincus par ses arguments. Cette même tactique peut également avoir des conséquences néfastes pour l'entreprise : par exemple, si l'opinion publique ou les leaders d'opinion estiment que les intérêts de l'entreprise sont contraire à l'intérêt général, ou encore si les responsables publics sont irrités par la démarche adoptée par l'entreprise ou par les positions défendues publiquement. Nous pouvons alors légitimement nous interroger sur les enjeux pour l'entreprise de l'utilisation de la communication dans ses démarches de lobbying. Pour cela, nous devons identifier et caractériser les différentes formes de communication dans les stratégies de lobbying. Il conviendra ensuite d'analyser les conditions dans lesquelles la communication peut être un atout pour l'entreprise dans sa stratégie d'influence des pouvoirs publics.

Méthodologie de collecte des données

Le travail empirique que nous avons réalisé est basé sur deux types de travaux : - Une enquête conduite auprès de parties prenantes des processus de lobbying : responsables

chargés du lobbying au sein d'entreprises, lobbyistes professionnels, décideurs publics ; - La réalisation d'études de cas, c'est-à-dire l'analyse des processus de lobbying mis en œuvre lors

de décisions publiques données.

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L'enquête a été conduite sur la base d'entretiens semi-directifs réalisés sur la base de la litterature académique et professionnelle traitant des pratiques du lobbying (Baldi, 1990 ; Clamen, 1995 ; Farnel, 1994 ; Keim et Zeithaml, 1986 ; Lamarque, 1994 ; Legrelle, 1988). Compte tenu de la relative récente professionnalisation de l'activité de lobbyiste en France, nous avons exploité les fichiers d'adhérents des deux principales organisations professionnelles existantes : l'Association des chargés des Relations avec les Pouvoirs Publics (ARPP) et l'Association Française des Conseils en Lobbying (AFCL). Le fichier de l'ARPP nous a permis de prendre contact avec des responsables du lobbying au sein d'entreprises (publiques ou privées) ou d'organisations professionnelles. Le fichier de l'AFCL nous a permis de toucher les lobbyistes professionnels français intervenant aussi bien en France qu'auprès des institutions européennes. Nous avons interrogé 14 responsables de lobbying au sein d'entreprises (sur 19 contactés), 6 responsables au sein d'organisations professionnelles (sur 18 contactés) et 11 lobbyistes professionnels (sur 25 contactés). Par ailleurs, nous avons rencontré 10 responsables publics (des chefs de bureau au sein du ministère de l'Industrie et du ministère de l'Economie) ainsi que le chef de cabinet du président du Sénat. Les entretiens réalisés ont été exploités sous forme d'une analyse thématique afin de faire ressortir les caractéristiques des pratiques de lobbying des entreprises en France. Parallèlement à l'enquête, 5 études de cas5 ont été conduites afin d'analyser plus finement les processus de lobbying des situations de décision publique donnée. Les études de cas ont été choisis de manière à respecter deux contraintes : d'une part, couvrir des situations suffisamment variées en terme d'enjeux pour les entreprises ou de type de décisions publiques ; d'autre part, aborder des situations ou l'accès aux données (primaires et secondaires) est possible. Cette dernière contrainte renvoie à la nature particulière de l'objet de recherche "lobbying en France". En effet, si certaines entreprises souhaitent rester discrètes sur leurs manoeuvres politiques, d'autres, au contraire, peuvent avoir tendance à utiliser le chercheur ou l'enquêteur dans leur stratégie de communication politique. Il faut noter par ailleurs que nous avons complété notre collecte de données par un dépouillement systématique du journal Le Monde6 sur une période trois années (1999, 1999 et 2000). Ce dépouillement nous a permis de sélectionner un grand nombre d'articles (5088) relatant des pratiques politiques d'entreprises en France. Sur 375 "dossiers politiques" identifiés, une centaine ont été analysés à ce jour. Ce travail, encore partiel, nous a permis de compléter les analyses issues de l'enquête et des études de cas.

5 Il s'agit des cas concernant les décisions publiques suivantes : réglementation sur l'utilisation des édulcorants chimiques dans l'alimentation, réglementation du travail dominical, réglementation de l'usage des CFC, directive sur les droits d'auteurs informatiques, processus de suppression du commerce hors-taxes intra-communautaires. Pour une présentation détaillée de ces études de cas, voir : Attarça, Mourad (1999), "Une introduction au concept de stratégie politique d'entreprise : une étude du lobbying pratiqué par les entreprises en France", thèse de doctorat en gestion, HEC 6 Ce journal a été choisi après un premier travail exploratoire qui a permis de comparer la qualité de différentes sources d'informations : Le Monde, Les Echos, La Tribune, L'Usine Nouvelle, etc.

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La communication et l’information dans la stratégie politique des entreprises

Nous présentons dans cette partie les différentes actions relevant de la communication politique telles que nous les avons identifiées à travers notre recherche de terrain. Nous avons complété nos observations avec les différentes contributions académiques -ou émanent de praticiens- sur thème de la communication dans les processus de lobbying (Baldi, 1990 ; Boyé, 2002 ; Clamen, 1995 ; Keim et Zeithaml, 1986 ; Lamarque, 1994 ; Legrelle, 1988). Communication ou information politique ? Boyé (2002) définit la communication mise en oeuvre lors d’une opération de lobbying comme étant la "transmission intentionnelle -accompagnée de techniques d’influences appropriées à l’environnement socio-politique et aux interlocuteurs ciblés- d’une série d’informations ayant pour vocation de mieux renseigner afin de convaincre et par voie de conséquence de pouvoir influencer ". Cette définition ne recouvre selon nous qu’une facette de la communication politique. En effet, si l’objectif du lobbying, et donc de la communication politique, est effectivement d’influencer un processus de décision publique, il existe au moins deux modes d’influence : la persuasion ou la légitimation des intérêts de l’entreprise, et l’exercice de la pression (Bourgeois et Nizet, 1995). La définition proposée par Boyé (2002) appelle également la clarification d’une ambiguïté qui est, volontairement ou involontairement, largement véhiculée en particulier par de nombreux praticiens. Il s’agit de la distinction entre communication politique et information politique. Dans la définition précédente, la communication s’identifie à de l’information. Il nous semble, au regard de notre recherche empirique, qu’il est nécessaire de distinguer les deux notions. En effet, dans les processus de lobbying, les entreprises cherchent à transmettre des "messages" à des cibles variées : décideurs publics, responsables de lobbies adverses, leaders d’opinion, etc. La nature de ces "messages" peut être de deux natures : des "messages" concernant le contenu même de la décision publique en jeu : une entreprise peut

par exemple informer les pouvoirs publics sur les conséquences potentielles pour elle de la décision, faire des contre-propositions, développer des arguments pour légitimer ses positions , etc. La finalité des "messages" transmis est de convaincre, de persuader, de légitimer les intérêts de l’entreprise. Ce sont en règle générale des informations vérifiables.

des "messages" concernant le processus de lobbying : l’information qui est transmise ici est d'ordre tactique. Il ne s’agit pas de convaincre, mais d’orienter in fine le comportement des différentes cibles visées. Par exemple, une entreprise peut proférer une menace, dénoncer l’activisme des lobbies adverses, montrer sa capacité de mobilisation, etc. Les "messages" ne portent pas sur le fond de la décision en cause mais plutôt sur le processus.

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Nous désignerons par information politique, la première catégorie de messages, et par communication politique la seconde catégorie. Il faut toutefois reconnaître que la distinction entre les deux catégories n’est pas toujours aisée, certains messages ou certaines actions politiques pouvant avoir une double vocation.

Les actions de communication et d'information politique Nous avons identifié huit types d’actions politiques relevant de la communication politique ou de l’information politique (tableau 2), certaines actions politiques ayant une double vocation : d’information et de communication. Ce classement suggère que ces deux catégories d’actions politiques doivent être appréhendées simultanément du fait de leur complémentarité. Nous présentons ci-après les caractéristiques des différentes actions de communication ou d'information politique qui ont été identifiées. Campagne de publicité politique Le lancement de campagnes publicitaires dans le cadre d’opération de lobbying est un phénomène relativement récent en France. En effet, la culture française du lobbying privilégie la discrétion et les relations directes avec les responsables publics (Basso, 1983 ; Farnel, 1993). Dans les années 80, les établissements Leclerc ont été les précurseurs de ce type d’actions de lobbying. Plusieurs campagnes ont été lancées dans la presse quotidienne française pour dénoncer le monopole des pharmacies pour la vente de produits parapharmaceutiques (lait maternisé, vitamines…) ou le monopole de compagnies pétrolières pour la distribution d’essence. Avec le développement des pratiques de lobbying constatées dans les années 90, le recours à la publicité politique a été croissant. Récemment encore, les organisations professionnelles de la restauration ont largement utilisé la publicité politique pour réclamer l’abaissement de la TVA pour la restauration de 19,6% à 5,5%. La publicité politique a comme objectif principal d’interpeller et de prendre à parti publiquement les pouvoirs publics au sujet d’un dossier politique, de médiatiser un dossier, bref de susciter le débat. Il s’agit par exemple de provoquer la mise sur l’agenda public d’un problème, de relancer ou d’accélérer un processus de décision publique. La publicité politique cherche également à prendre à témoin l’opinion publique et les leaders d’opinion (intellectuels, élites économiques et politiques). En ce sens, la publicité politique est un moyen de mobilisation des autres parties prenantes -effectives ou potentielles- de la décision publique. C’est surtout un moyen d’exercer une pression sur les décideurs publics. L’enjeu de la publicité politique est moins d’informer objectivement que de communiquer sur les positions de principe de l’entreprise sur un sujet donné. Aussi, les techniques de communication politique sont-elles proches de celle de la publicité traditionnelle : attirer l’attention, provoquer, susciter des interrogations. Ceci passe le plus souvent par une simplification du message et des arguments Par exemple, les producteurs de margarine ont publié une publicité sous forme d’une "lettre ouverte" adressée au ministre du Budget, titrant "la prévention des maladies cardio-vasculaires est-elle un

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luxe ? "7. Cette "lettre ouverte" expose en fait des arguments en faveur d’une baisse de la TVA pour la margarine. Tableau 2 : Les actions politiques de communication et d’information Actions politiques…

Contenu Cibles privilégiées

Objectifs / décideurs publics

Objectifs / parties prenantes

Types d’activités

Campagne de publicité politique

Publicité à caractère politique, par voie de presse, d’affichage ou de radio-télévision

Public en général Leaders d’opinion

Pression Prendre à témoin l’opinion publique

Communication politique

Coordination de "grass-roots" lobbying

Organisation de pétitions, coordination d’envois de courriers (lettres, cartes, fax, email).

Responsables publics

Pression Multiplier les sources de pression sur les décideurs publics

Communication politique

Organisation de manifestations de relation publiques

Organisation de rencontres informelles, visites d’usines, démonstrations de produits…

Responsables publics Leaders d’opinion Journalistes

Information-persuasion (légitimation)

Créer-entretenir un réseau relationnel Informer les parties prenantes

Communication/ Information politique

Prise de position publique

Diffusion de communiqué de presse, publication de tribune libre dans la presse, entretien avec des journalistes

Décideurs publics Responsables des autres lobbies (concurrents ou alliés) Leaders d’opinion

Pression Information-Persuasion

Médiatiser le dossier Informer indirectement les responsables publics

Communication/ Information politique

Campagne d’information politique

Réalisation de dossiers d’information : (données, études, sondages …)

Journalistes Leaders d’opinion

Pression sur les décideurs publics

Médiatiser le dossier Influencer d’autres parties prenantes et les utiliser comme relais de pression

Information/ Communication politique

Diffusion d’un dossier d’argumentation politique

Rédaction et diffusion d’un "livre blanc "

Décideurs publics Leaders d’opinion

Information -Persuasion Pression (si médiatisation du "livre blanc ")

Informer toutes les parties prenantes des positions et des arguments de l’entreprise

Information politique

Organisation de conférences et colloques

Organisation de colloques et de réunions publiques

Responsables des autres lobbies Leaders d’opinion

Information-Persuasion

Informer les parties prenantes privées ou publiques

Information politique

Réalisation de dossier d’information technique

Rédaction d’amendements parlementaires "clé en main", rédaction d’argumentaires

Décideurs publics

Prescription Aide à la prise de décision des pouvoirs publics

Information politique

7 Le Monde, 20 octobre 1999.

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Coordination de "grass-roots" lobbying Le "grass-roots" lobbying ou "lobbying de terrain" consiste à recourir à la démocratie locale comme support de la stratégie politique de l’entreprise. L’organisation d’une pétition est un exemple typique de ce type de lobbying. Par exemple, en 1993, Virgin Store a demandé à ses clients de signer une pétition réclamant la possibilité d’ouverture le dimanche de son magasin des Champs Elysées. Les signatures recueillies ont été ensuite adressées à Mme Aubry, ministre du Travail, pour légitimer la demande de l’entreprise. Plus généralement, les signataires d’une pétition peuvent être tous les alliés objectifs de l’entreprise dans un dossier : salariés, clients, concurrents, fournisseurs, actionnaires, riverains, etc. Une variante de ce type de lobbying consiste à rédiger des courriers-types et à demander aux alliés de l’entreprise de les adresser directement à des responsables publics que l’on aura identifiés : ministres, députés, sénateurs, etc. Si l’usage du courrier postal est le plus courant, d’autres modes de communication sont possibles, en particulier l’envoi de fax et, de plus en plus, le recours aux emails. L’objectif du "grass-root" lobbying est de faire pression sur les responsables publics en mettant l’accent sur l’effet de masse8. Il s’agit également pour l’entreprise de légitimer sa demande par un soutien quasi-populaire, atténuant ainsi la dimension "privée" des intérêts défendus par l’entreprise. Dans le cas de Virgin, l’ouverture dominicale a été "réclamée" aussi bien par les salariés de l’entreprise, par les clients que par les artistes eux-mêmes. Selon une enquête menée auprès des membres du Congrès américain (Keim, 1996), l’activisme de terrain (grass-roots lobbying) est perçu comme étant l’activité la plus efficace politiquement pour 60% des personnes interrogés9. Organisation de manifestations de relations publiques Les relations publiques peuvent constituer un support pour la stratégie de communication et d’information politique (Hannaford, 1988), même si de nombreux lobbyistes professionnelles tiennent à distinguer le lobbying des relations publiques (Farnel, 1994). Les manifestations de relations publiques ont pour finalité de permettre des rencontres, plutôt informelles, entre les responsables de l’entreprise (dirigeants, cadres, actionnaires) avec des décideurs publics clés, des prescripteurs politiques (journalistes, leaders d’opinion…) et, éventuellement, avec les responsables d’autres parties prenantes de l’opération de lobbying. Les principales manifestations de relations publiques qui nous ont été décrites par les professionnels du lobbying sont : l’organisation de réceptions thématiques (inauguration de nouveaux locaux, anniversaires10…), l’organisation de déjeuners ou de petits-déjeuners débats , invitation spéciales (par exemple à des spectacles ou à des manifestations sportives), la visite de sites (usines, laboratoires de R&D, filiales à l’étranger…) ou l’invitation à des démonstrations de nouveaux produits ou de prototypes (automobile, télécommunication…). Par exemple, un responsable chargé des affaires publiques de Renault nous a précisé organiser chaque mois une réunion sous forme de petits-déjeuners débat pendant laquelle les principaux dirigeants de l’entreprise -dont le PDG- rencontrent un panel de personnalités politiques (élus, membres de cabinets

8 Soulignons que de nombreuses associations citoyennes ont recours à ce type de lobbying : associations écologistes, associations de protection des animaux, etc. 9 Très loin devant le lobbying direct conduit par les dirigeants d’entreprise (28%), le financement politique par les PAC (5%) et la publicité politique -advocacy advertising- avec 2% seulement. 10 Dans le cas des organisations professionnelles, il est courant d’inviter des responsables politiques (ministres, élus, voire Président de la République) à l’inauguration de journées thématiques : p.e. lors des universités d’été organisées par le Medef.

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ministériels, hauts fonctionnaires…) et de leaders d’opinions. Un autre exemple : lors de la négociation entre les dirigeants de Disney et l’Etat français pour l’implantation d’un parc d’attraction à Marne-la-Vallée, les responsables de l’entreprise américaine ont invité en Floride l’ensemble des élus locaux et des responsables publics en charge du dossier pour une visite du parc DisneyLand. L’objectif de ces activités de relations publiques est double : d’une part, provoquer des occasions pendant lesquelles l’entreprise communiquera ou divulguera une information ciblée (position de principe arguments concernant une décision publique) ; d’autre part, créer et développer un réseau relationnel de personnalités influentes (décideurs publics ou privés) au courant des enjeux économiques et techniques de l’entreprise. La dimension récréative de ces manifestations de relations publiques est censée crée un climat propice à la communication, à l’information et à la persuasion. Il faut souligner que ces manifestations de relations publiques peuvent être spécifiques à un dossier politique ponctuel ou, plus généralement, s’inscrire dans la stratégie relationnelle de l’entreprise (Attarça, 1998). Prise de position publique La prise de position publique consiste, pour une entreprise, à faire une ou plusieurs déclarations, à un moment donné du processus de lobbying, et à veiller à ce que cette déclaration soit connue des parties prenantes publiques (décideurs publique) ou privées (autres lobbies) du processus. Les médias (radio, télévision, presse quotidienne, presse magazine) constitue le principal support pour la prise de position publique. Celle-ci peut prendre plusieurs formes : communiqué de presse, interview d’un dirigeant ou d’un responsable, publication d’une "tribune" dans un quotidien ou un magazine, prise de parole dans une réunion publique reprise par des journalistes, etc. Les objectifs de la prise de position publique rejoignent en partie ceux de la publicité politique : il s’agit d’exposer publiquement -et d’assumer-la position de l’entreprise et ses arguments au sujet d’un dossier politique donné. Sur le plan pratique, la prise de position est utilisée à des moments clés du processus de décision publique pour le réorienter, l’accélérer ou, au contraire, le ralentir ou le bloquer. Par exemple, dans le dossier de la télévision numérique terrestre, les dirigeants des grandes chaînes de télévision ont très largement eu recours à la prise de position publique pour infléchir les débats à l’Assemblée Nationale ou les décisions du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Dans un entretien accordé au journal Le Monde sous le titre "Pour Jérôme Seydoux, un lobbying est nécessaire sur le numérique hertzien" le Président du groupe Pathé expose ses positions concernant la télévision numérique terrestre qui sont autant d’orientations souhaitées formulées aux responsables publics11. En écho, Rémy Pflimlin, Directeur général de France 3, accorde un entretien au quotidien L’Alsace dans lequel il dénonce "le lobbying phénoménal de TF1 et M6 "12. La prise de position publique se situe à mi-chemin entre la communication et l’information. Un entretien ou une tribune libre peuvent permettre à un dirigeant d’entreprise d’exposer une argumentation et d’informer réellement les responsables publics sur les enjeux stratégiques d’une décision publique. Mais la prise de position publique peut également procéder de la communication de messages ayant peu valeur informationnelle pour les décideurs publics13.

11 Le Monde, 8 novembre 2001 12 L’Alsace, 10 juillet 2002 13 Par exemple, dans le dossier de la TNT, le PDG de TF1 a régulièrement dénoncé la démarche qualifiée de "marxiste" adoptée par les pouvoirs publics.

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Campagne d’information politique Au delà des prises de position publique, les entreprises ont besoin, dans certains cas, de diffuser des informations plus larges, plus exhaustives ou plus étayées à destination des médias et des leaders d’opinion. La réalisation d’un dossier de presse consiste à produire, collecter, organiser et présenter des informations permettant d’exposer et de justifier les positions de l’entreprise face une décision publique. Ce type de dossier peut être transmis à d’autres parties prenantes : des leaders d’opinion, des responsables économiques, voire directement aux décideurs publics. Il a une vocation informative, l’objectif étant d’informer pour susciter des articles dans la presse, des commentaires ou des reportages dans les médias. La finalité de cette activité bien entendu de provoquer, d’orienter ou d’infléchir le débat. Dans le cas du dossier de l’ouverture dominicale des commerces évoquée précédemment, l’association "Le Dimanche ", dont les adhérents sont des entreprises comme Leroy Merlin ou Conforama, a diffusé aux principaux journalistes spécialisés un dossier de presse contenant : les revendications de cette association, un sondage d’opinion validant les positions des entreprises adhérentes à l’association, et une argumentation détaillée pour contrer les positions des opposants à une libéralisation du travail dominical. Par ailleurs, l’association a publié une lettre d’information mensuelle recensant les principaux faits concernant le processus de décision ainsi que les initiatives de l’association et de ses adhérents. Si ce type de support a une vocation informative, il n’en demeure pas moins que les informations, les données et les interprétations fournies aux médias sont nécessairement orientées dans le sens des intérêts de l’entreprise. Selon certains lobbyistes professionnels que nous avons interrogés, les campagnes d’informations politiques peuvent être particulièrement efficaces dans le sens où certains journalistes reprennent à leur compte les informations des dossiers de presse et relayent ainsi les positions défendues par le lobby. Ceci est vrai dans le cas des décisions publiques à caractère technique et ne suscitant pas de controverses majeures14. Lorsqu’une controverse est au cœur de la décision publique (par exemple celle sur les OGM), le dossier d’information a un impact limité ; il permet à l’entreprise, à défaut de légitimer ses positions, au moins de contenir celles des lobbies adverses. Réalisation et diffusion de dossier d’argumentation politique La réalisation d’un dossier politique d’argumentation est relativement comparable à celle d’un dossier de presse. L’entreprise expose et argumente dans un dossier écrit, ses positions par rapport à une décision publique. L’entreprise présente également tous les éléments permettant de justifier ou de valider ses positions : études, analyses, expertises, sondages, etc. Il est d’usage de qualifier ce type de dossier de "livre blanc ". Les destinataires des livres blancs sont les décideurs publics ainsi que tous les responsables directement en charge du processus de décision. Il faut souligner que certains lobbyistes ne font pas la distinction entre le "livre blanc" et le dossier d’information politique : le "livre blanc" servant de dossier de presse. Nous préférons insister sur la différence entre ces deux supports d’information. En effet, les cibles sont différentes et les objectifs des supports sont différents : le "livre blanc" est le support privilégié de la stratégie de persuasion du lobby. Les

14 Par exemple, dans le dossier de la normalisation internationales de règles comptables.

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arguments présentés dans le "livre blanc" soient censés orienter la décision publique dans un sens favorable aux intérêts de l’entreprise. La nature des arguments utilisés peut être différents selon que l’entreprise s’adresse à un élu ou à un journaliste. Par ailleurs, un "livre blanc" peut comporter des rubriques techniques à l’usage exclusif des décideurs publics : par exemple, quel type de décision (loi, décret, normalisation, réglementation…), les obstacles constitutionnels ou politiques possibles, etc. Dans le cas de la controverse sur l’ouverture du Virgin Megastore, l’entreprise a élaboré un "livre blanc" intitulé "Pour la liberté du commerce des biens culturels ". L’entreprise y expose de manière subtile ses revendications en matière d’ouverture dominicale, et y développe une argumentation économique, juridique et sociale, tenant compte des différentes positions des autres parties prenantes (concurrents, syndicats, associations familiales…). Organisation de conférences et colloques L’organisation de conférences ou de colloques thématiques peut constituer un levier d’une stratégie de lobbying pour plusieurs raisons. Un colloque ou une conférence peut permettre de réunir un ensemble de personnalités en rapport avec le processus de lobbying (responsables des parties prenantes privées, experts, leaders d’opinion, journalistes, responsables publics…). Le colloque peut ainsi représenter l’occasion de mobiliser certaines prenantes et de faciliter les alliances entre lobbies : mettre en exergue les enjeux de la décision publique, informer sur les conséquences attendues de la décision, informer sur les actions politiques menées, etc. Un colloque peut aussi constituer également un lieu d’échange d’informations, voire de négociation, entre responsables des lobbies et responsables publics. Par exemple, dans le cas du lobbying concernant l’interdiction du commerce hors-taxes intracommunautaire, les responsables des lobbies cette profession15 ont organisés plusieurs colloques sur le thème de l’avenir du duty-free, en invitant des personnalités politiques (commissaires ou fonctionnaires à la Commission européenne, députés au Parlement européen, responsables politiques nationaux) à intervenir dans ces manifestations. Les colloques ou les conférences peuvent également être une "boite de résonance" pour le discours des lobbies en particulier en direction des médias. Ils peuvent être l’occasion d’une prise de parole publique pour des dirigeants d’entreprise ou des représentants de lobbies collectifs. La médiatisation d’un colloque est ainsi un levier de communication et d’information politique. Les médias peuvent effectivement relayer reprise les conclusions du colloque ou de la conférence, diffuser des informations sur le degré de mobilisation des lobbies ou sur la nature de leurs initiatives. Le "bruit" médiatique ainsi généré constitue un moyen d’influence, voire de pression, sur les décideurs publics et le processus de décision publics. Il faut noter que certains lobbies (entreprises ou organisations collectives) organisent des colloques ou des conférences dans le cadre d’opération de lobbying tout en veillant à ne pas apparaître comme les instigateurs de ce type de manifestation. Les motivations de ce comportement peuvent être multiples : donner plus de crédibilité aux informations communiquées (par exemple, si une conférence est présentée comme ayant un caractère académique), ménager les relations avec les décideurs publics (par exemple, en cas de prises de paroles virulentes contre la décision publique), ménager les relations avec d’autres parties prenantes du processus de lobbying. Nous avons par exemple rencontré les

15 International Duty-Free Confederation (à l’échelle européenne) et Association Française de Commerce Hors-Taxes (en France).

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responsables d’un cabinet de communication spécialisé dans ce type d’action de lobbying. Les consultants, mandatés par une entreprise qui garde l’anonymat, prennent en charge : la définition du thème du colloque, l'identification et l'invitation des personnalités politiques clés, l'identification et l'invitation des autres intervenants au colloque (experts, scientifiques, responsables privés…), la médiatisation de l’événement (diffusion de communiqués de presse, invitation de journalistes, publication des débats). Dans le cas précis de ce prestataire, les colloques sont organisés au sein même des locaux de l’Assemblée Nationale ou du Sénat pour donner un caractère public à l’événement16. Réalisation d’un dossier ou d’une note d’information technique Les dossiers techniques (scientifiques, économiques, juridiques, constitutionnels…) sont de véritables outils d’aide à la décision que les lobbies transmettent aux décideurs publics, en règle générale, dans des phases clés du processus de décision publique. Par exemple, dans le lobbying qui a porté sur la loi sur l’audiovisuel préparée par Mme Trautman, ministre de culture et de la communication en 1998, la Générale des Eaux (principal actionnaire à l’époque de Canal plus) a eu recours à ce type de lobbying. L’opérateur a commandé au juriste Guy Carcassonne17 une note technique sur la faisabilité constitutionnelle d’une modification de la loi sur l’audiovisuel, laquelle a été ensuite transmise au chef du gouvernement18. Mais la manifestation la plus remarquable du lobbying technique est sans nul doute la rédaction de projets de loi entiers ou de projets d’amendements de loi ou de textes réglementaires (décrets, circulaires). Ces documents techniques présentent aux décideurs publics (membres des cabinets ministériels, membres de commissions parlementaires, députés, sénateurs), des documents "clé-en-main" : textes législatifs, argumentaires techniques, argumentaires politiques. La proposition d’amendements "clé-en-main" faites à des députés est, selon plusieurs lobbyistes que nous avons rencontrés, une pratique courante en France et au niveau du Parlement européen19. Contrairement aux autres outils d’information politique, la note ou le dossier technique ont pour vocation de se substituer à l’expertise et au jugement des pouvoirs publics. Il s’agit de dire aux décideurs publics, avec plus ou moins de subtilité dans la forme, ce qu’il convient de décider ou de ne pas décider. Il s’agit en ce sens d’un levier d’information très particulier qui pose bien entendu avec acuité des problèmes de légitimité -voire de légalité- ainsi que des problèmes d’exercice de la démocratie.

16 Il s’agit du cabinet M&M. Les colloques sont organisés sous l’égide d’un ou plusieurs élus qui acceptent ainsi de parrainer ces manifestations. 17 Juriste constitutionnaliste, ancien conseiller de Michel Rocard. 18 Le Monde, 14 janvier 1998. 19 Par exemple, un lobbyiste professionnel nous décrit ainsi cette pratique : "lors de la discussion d’un texte de loi, nous rédigeons des propositions d’amendements et nous recherchons des personnes pour les déposer" (…) : "nous proposons toujours quelque chose de ficelé : une proposition complète d’amendement avec un exposé des motifs. Cela permet aux élus d’avoir tous les éléments de décision en main".

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Discussion : l'efficacité des actions de communication et d'information politique Au delà des objectifs et de l'intérêt pour une entreprise de recourir à l'information et à la communication politique dans un processus de lobbying, il est intéressant de s'interroger sur l'efficacité réelle de telles actions et les conditions qui permettent d'assurer cette efficacité.

Les limites du recours à la communication et à l'information politique dans le lobbying La mise en œuvre d'actions de communication ou d'information politique n'est pas sans poser des problèmes et peut avoir des effets contre-productifs pour l'entreprise. En ce qui concerne la publicité politique, nous pouvons partager avec Baron (1995) son scepticisme quant à l'efficacité avec réelle d'actions de communication dirigées vers un large public. Plusieurs professionnels interrogés doutent également de l'efficacité de ces actions. En effet, en exposant publiquement ses arguments, une entreprise s’expose également : elle assume des intérêts particuliers et des demandes formulées aux responsables publics. Trois types de risques sont encourus. D'abord, la demande formulée par l’entreprise et ses positions de principe peuvent ne pas rencontrer un écho favorable auprès de l'opinion publique ou des autres cibles visées. La demande peut même apparaître comme illégitime et susciter l’effet inverse de celui qui est souhaité20. Ensuite, la médiatisation d’un dossier politique peut conduire à la cristallisation des antagonismes entre lobbies concurrents. Enfin, la pression exercée sur les pouvoirs publics par l'intermédiaire de la publicité peut irriter et provoquer une réaction inverse de celle qui est recherchée. Les décideurs publics peuvent en effet rejeter la demande de l’entreprise pour ne pas prendre le risque d’apparaître comme les otages d’un lobby. Un février 2004, les établissements Leclerc ont lancé une vaste campagne de publicité politique dénonçant les effets supposés pervers de la loi Galland sur la distribution. L'annonceur, contredisant les pouvoirs publics, estimait que le pouvoir d'achat des français avait régressé en 2003, et laissait supposer qu'il s'agissait d'une conséquence indirecte de la loi interdisant la répercussion des "marges arrière" dans le prix de vente au public. Cette campagne a suscité une controverse avec les pouvoirs publics, non seulement interpellés publiquement au sujet d'une loi jugée inefficace, mais également accusés de mensonge envers les français (sur l'évolution du pouvoir d'achat). A cours terme, cette campagne publicitaire ne semble avoir atteint ses objectifs affichés, sauf à considérer qu'elle s'inscrit dans une campagne publicitaire commerciale destinée à renforcer l'image des établissements Leclerc dans leur positionnement de prix bas. D'autres actions de communication politique peuvent également présenter des risques ou s'avérer être contre-productives dans leur mise en œuvre. Les campagnes de pétitions ou d'envois de courriers massifs aux responsables publics ("grass-roots" lobbying) peuvent par exemple indisposer décideurs publics et conduire à l'effet inverse de celui qui est recherché. Les responsables publics accordent

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souvent peu de crédits aux courriers-types qui n’apparaissent pas comme étant des demandes spontanées de citoyens. Ils peuvent également voir dans ce type d'initiative une certaine forme de manipulation. L'utilisation de l'information politique présente également ses risques, que ce soit dans le cadre de campagne d'information, de production de dossiers d'argumentation ou de note technique. La manipulation de faits, l'utilisation d'informations biaisées (extrapolations), voire la production de fausses informations, peuvent décrédibiliser les positions de principes l'entreprise et jeter la suspicion sur la légitimé des intérêts défendus. Les risques liés à ces pratiques ne se limitent pas à l'action de lobbying conduite ponctuellement mais peuvent entachés durablement les relations entretenues par l'entreprise avec les pouvoirs publics. Par exemple, en 1994, l'association "Le Dimanche", regroupant plusieurs enseignes de la grande distribution avait lancé une vase campagne de communication et d'information politique en faveur de l'ouverture dominicale des commerces. L'association, dont les initiatives ont été coordonnées par J. Ségela, a fondé son argumentation sur des informations issues de sondages d'opinion, prouvant l'approbation des consommateurs français pour l'ouverture dominicale des commerces, ainsi que sur des projections de créations d'emplois estimées à 60 000. Ces informations très contestables, et les campagnes qui ont été menées, n'ont pas contribué positivement au débat sur l'ouverture des commerces le dimanche, voire ont décrédibilisé l'action collective engagée par les entreprises de la grande distribution. Cet exemple montre bien que les leviers de la communication et de l'information doivent être utilisés avec précaution et discernement dans tout processus de lobbying.

Communication politique, information politique et tactique de lobbying Au-delà des risques liés à la mise en œuvre des actions de communication et d'information politique, le recours à de telles actions de la part d'une entreprise doit s'inscrire dans une tactique de lobbying tenant compte des différents leviers d'influence. Une tactique de lobbying peut être définie comme l'agencement dans le temps et dans l'espace de différentes actions visant à influencer, directement ou indirectement, un processus de décision publique. Pour une entreprise, formuler une tactique de lobbying consiste à répondre à des questions comme : quelles actions d'influence mettre en œuvre ? visant quels acteurs ? et à quel moment ? L'efficacité des actions de communication et d'information politique ne peut donc être appréciée que dans le cadre plus large des choix de tactique de lobbying. Nous pouvons ainsi formuler les propositions suivantes concernant les actions de communication et d'information politique identifiées précédemment : - Proposition n° 1 : L'efficacité réelle des actions de communication et d'information politique peut

dépendre du moment où ces actions sont mises en œuvre lors d'un processus de lobbying ;

20 Par exemple, les entreprises de la distribution hors-taxes ont annulé en 1992 une campagne appelant à la non interdiction de ce type de commerce car le risque d’apparaître comme défendant un privilège réservé à une certaine élite existait alors.

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- Proposition n° 2 : Les différentes actions de communication et d'information sont complémentaires

et leur efficacité doit être appréciée globalement et dans leur interaction. La première proposition renvoie à la dimension dynamique des actions d'influence qui sont mises en œuvre lors d'un processus de lobbying. Si on considère comme facteur explicatif les différentes étapes traditionnellement retenues pour les processus de décision publique (Buchholz, 1992), il est possible d'apprécier la pertinence de recourir à telle ou telle action de communication ou d'information politique (tableau 3). En effet, la finalité du lobbying change selon l’évolution du processus de décision publique et de l’évolution des actions d'influence des autres parties prenantes. Par exemple, en phase d’émergence d’une problématique publique, le lancement d’une campagne d’information politique peut favoriser l’initiation d’un processus de décision favorable aux intérêts de l’entreprise et son inscription sur l’agenda public, ou, a contrario, empêcher ou retarder un processus de décision défavorable. Nous avons recensé dans le tableau 3 des propositions d'utilisation pertinente de la communication et de l'information politique dans une tactique de lobbying. Ces propositions correspondent à autant d'hypothèses méritant d'être validées par un travail empirique plus spécifique. La seconde proposition renvoie à la complexité des processus de lobbying et à la complémentarité des différentes actions d'influence. L'influence des pouvoirs publics résulte de l'interaction entre plusieurs types d'actions mises en œuvre par l'entreprise : des actions individuelles ou collectives, des actions de pression ou de légitimation, des actions ouvertes ou fermées. Les différentes activités de communication politique et d’information politique que nous avons identifiées peuvent être mises en œuvre simultanément ou successivement dans le cadre d’une stratégie d'influence global. Considérons, par exemple, le lobbying de l'entreprise lorsque les pouvoirs publics sont dans la phase de recherche de solution à une problématique socio-économique (tableau 3). L'objectif du lobbying, pour l'entreprise, consiste à promouvoir certaines décisions plutôt que d'autres, c'est-à-dire celles qui répondent le mieux à ses propres intérêts. Cet objectif peut être atteint en conjuguant l'effet successif de plusieurs actions de communication et d'information qui apparaissent comme étant complémentaires : par exemple l'organisation de manifestations de relation publiques dirigées vers des responsables politiques (sensibilisation aux intérêts de l'entreprise, la diffusion d’un dossier d’argumentation politique (persuasion et légitimation des solutions proposées par l'entreprise), la coordination de "grass-roots" lobbying et la conduite de campagne d'information politique (sensibilisation et mobilisation d'autres acteurs pour renforcer les positions défendues par l'entreprise). Nous avons proposé dans le tableau 3 des combinaisons possibles d'actions de communication et d'information politique en fonction des étapes du processus de décision publique. Il serait intéressant de tester empiriquement l'efficacité réelle de ces combinaisons pour, éventuellement, parvenir à de combinaisons types selon les objectifs recherchés du lobbying.

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Tableau 3 : Choix d’action de communication et d’information et processus de décision publique Phase du processus de décision publique

Emergence du problème

Recherche de solutions

Prise de décision Mise en œuvre de la décision

Objectifs du lobbying

Inscrire ou retarder l’inscription d’un problème sur l’agenda public

Influencer, légitimer : orienter le choix de solutions

Faire pression pour l’adoption d’une solution ou bloquer la décision

Retarder-bloquer la mise en œuvre, limiter l’impact de la décision sur les intérêts de l’entreprise

Actions de communication et/ou d’information politique

Campagne d’information politique Organisation de conférences et colloques Prise de parole publique

Organisation de manifestations de relation publiques Coordination de "grass-roots" lobbying Diffusion d’un dossier d’argumentation politique Campagne d’information politique

Réalisation d’un dossier d’information technique Prise de position publique

Réalisation d’un dossier d’information technique

Facteurs déterminant les choix d’actions de communication et d’information politique Nous avons vu précédemment que le choix des actions de communication et d'information politique pouvait dépendre de la dynamique du processus de décision publique. Il est clair que les choix tactiques de l'entreprise ne dépendent pas cette seule variable exogène. Par exemple, plusieurs professionnels du lobbying suggèrent que le recours à la publicité politique est moins efficace dans le contexte institutionnel français qu'il ne l'est dans un contexte américain ou anglo-saxon de manière générale. L'environnement institutionnel, mais aussi la nature de la décision publique en jeu (loi, réglementation, normalisation…), constituent a priori des variables exogènes pouvant orienter les choix tactiques de l'entreprise. Sur la base de notre travail empirique, mais aussi en intégrant différentes contributions académiques, nous proposons un modèle explicatif des déterminants les choix d’actions de communication et d’information politique (schéma 1). Ce modèle est inspiré d'une modélisation des déterminants de la stratégie politique des entreprises proposée par Rehbein et Schuler (1999). Ce modèle propose une vision contingente des choix -mais aussi de l'efficacité potentielle- des actions de communication et d'information mises en œuvre dans un processus de lobbying. Les facteurs qui déterminent le choix de recourir à une ou plusieurs actions de communication ou d’information politique, peuvent être regroupées en 3 catégories :

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• Les facteurs contextuels ; il s'agit des caractéristiques de l'environnement dans lequel vont être mises en œuvre les actions de lobbying. Nous pouvons distinguer deux types de facteurs contextuels :

- D'une part, l'environnement institutionnel ; nous avons vu précédemment que la légitimité

du lobbying était différente selon, par exemple, que l’on considère l’environnement constitutionnel américain, français ou européen. En France, où la légitimité du lobbying est encore assez faible, le recours à la publicité politique et à la médiatisation des actions de lobbying reste assez limité21. L’environnement institutionnel conditionne donc le choix des actions de communication ou d’information à privilégier.

- D'autre part, la nature de la décision publique, la nature du processus de décision

publique et la nature des acteurs publics ciblés ; Le recours à la publicité politique se justifie par exemple dans le cas de décisions ayant une visibilité et un sens pour le public. Les décisions plus techniques (par exemple, la mise en place de normes) peuvent conduire l’entreprise à privilégier l’information et l’argumentation. La nature des acteurs publics ciblés est également critère de décision : les relations publiques sont par exemple plutôt utilisées dans les relations avec des élus politiques qu’avec des fonctionnaires ;

• Les facteurs dynamiques exogènes ; Il s'agit également de facteurs liés à l'environnement dans lequel se développe l'action de lobbying. Mais, à la différence des facteurs contextuels, ces facteurs peuvent évoluer au cours du processus de lobbying et sont donc soumis à des incertitudes. L'évolution de ces facteurs peut par ailleurs dépendre des choix tactiques de l'entreprise. On peut distinguer deux types de facteurs dynamiques :

- La dynamique du processus de décision publique ; nous avons vu précédemment que les

choix des actions de communication et d'information politique pouvait varier selon les étapes du processus de décision publique;

- Les stratégies politiques des autres lobbies ; le processus de lobbying est un processus

complexe (interventions de multiples acteurs aux rationalités différentes) et soumis à des incertitudes politiques (agendas électoraux, changements des majorités politiques, changements des priorités politiques, crises, catastrophes…). Le recours à certaines actions de communication ou d’information politique peut être imposé par les actions politiques engagées par les autres lobbies (adversaires ou alliés). Une campagne d’information politique peut par exemple être conduite pour tenter de neutraliser une campagne médiatique lancée par des lobbies adverses.

21 Voir par exemple l’article de Lisa Telzifian : "Les nouveaux visages du lobbying ", Entreprendre, n°1870, 7 septembre 2000

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• Les facteurs endogènes ; ce sont des caractéristiques propres à l'entreprise qui mène l'opération de lobbying. Nous pouvons distinguer deux types de facteurs endogènes :

- Les ressources politiques de l’entreprise ; la mise en œuvre d’actions de communication ou

d’information politique nécessite des ressources politiques (Attarça, 2001; Dahan, 2003) : financières, organisationnelles, symboliques. Une entreprise ne disposant pas de ces ressources ou ne disposant que de peu de ressources privilégiera vraisemblablement une stratégie politique ne reposant pas sur la communication ou l’information politique. Elle mettra l’accent sur un lobbying plus relationnel, voire déléguera sa stratégie politique à une organisation professionnelle.

- La culture d’entreprise et la culture des dirigeants ; la communication et l’information

politique relèvent aussi de choix culturels. Certaines entreprises ou certains dirigeants d’entreprises peuvent privilégier des démarches d’influence discrètes par habitude (tradition de la mobilisation des réseaux relationnels) ou par choix culturels (ne pas s’opposer publiquement aux pouvoirs publics).

Schèma 1 : Les facteurs déterminant les choix d’actions de communication et d’information politique

1. Environnement institutionnel 2. Nature de la décision publique, du processus de décision publique, et des acteurs publics ciblés

3. Dynamique du processus de décision publique 4. Stratégie politique des autres lobbies

5. Ressources politiques de l’entreprise 6. Culture d’entreprise

Choix des actions de communication et d’information politique :

• Campagne de publicité politique

• Coordination de "grass-roots lobbying"

• Organisation de manifestations de relation publiques

• Prise de position publique

• Campagne d’information politique

• Diffusion d’un dossier d’argumentation politique

• Organisation de conférences et colloques

• Réalisation d’un dossier d’information technique

Conclusion

Sur le plan des moyens, les actions de communication et d’information politique semblent être similaires aux actions de communication d’entreprise traditionnelles : publicité commerciale, information commerciale, communication institutionnelle, relations publiques. Il existe néanmoins des spécificités à la communication politique que nous pouvons être situer à quatre niveaux :

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- La finalité de ces actions dépasse le cadre économique et technique, et se situe dans le champ socio-politique ; il ne s’agit pas de promouvoir un produit ou un service mais des idées qui peuvent avoir des conséquences sociales, politiques ou sociétales.

- Les cibles des actions de communication et d’information politique sont variées et hétérogènes ;

par définition ces actions peuvent viser toutes les parties prenantes d’un processus de décision publique. Ces parties prenantes ne font pas partie pour la plupart du champ économique traditionnel de l’entreprise, et relèvent de structures et des rationalités spécifiques : institutions publiques, organisations professionnelles syndicats, associations civiles, etc. L’entreprise doit donc adopter ses méthodes et ses "messages" à chacune de ces parties prenantes.

- La temporalité des actions de communication et d’information politique est spécifique. Nous

avons vu qu’il existe deux catégories d’activités politiques : des activités spécifiques et ponctuelles liées à une décision publique donnée, et des activités permanentes (veille institutionnelle, constitution d’un réseau relationnel et de relations durables avec les parties prenantes). Dans le cas des activités de lobbying, la mise en œuvre des actions de communication et d’information politique est liée à l’adoption d’une décision publique. Or, l’entreprise n’a pas de maîtrise sur la durée et la dynamique de ce processus de décision. Ceci qui rend particulier la formulation et la préparation de ces actions politiques.

- Les possibilités de mise en œuvre des actions de communication et d’information politique sont

différentes. Dans une stratégie politique, une entreprise a la possibilité de privilégier une démarche individuelle, une démarche collective (par exemple, au sein d’une coalition) ou de coupler les deux démarches, simultanément ou alternativement. Cela laisse de très grandes marges de manœuvre à l’entreprise dans ses choix d’actions de communication et d’information politique.

Le développement au sein des entreprises ou des cabinets de lobbying de la fonction "affaires publiques" (public affairs) correspond à la reconnaissance, sur le plan professionnel, des spécificités de la communication et de l’information politique. En effet, au sein des entreprises, ce sont les services "affaires publiques" -et non les services de communication- qui prennent en charge la mise en oeuvre des actions de communication et d’information politique (Attarça, 1998 ; Cameron, 1990 ; Windsor, 2002). De même, plusieurs agences de communication proposent à leur clientèle des prestations spécifiques en matière de lobbying. Sur le plan académique, les spécificités de la communication et de l'information politique ne sont pas encore clairement reconnues. Ceci s'explique par le fait que l'objet de recherche "entreprise en action politique" est encore relativement peu exploré comparativement à d'autres thématiques du management. L’analyse des activités politiques des entreprises est en effet au confluent de plusieurs disciplines managériales (stratégie, marketing, ressources humaines…) et au confluent de plusieurs

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disciplines scientifiques (gestion, économie, politique, droit, sociologie). Ceci rend vraisemblablement plus difficile la prise en charge académique de ce type de problématique (Getz,1997). Pourtant, les enjeux socio-politiques (dérégulation, protection de l’environnement, développement durable…) prennent de plus en plus d’importance dans la formulation et la mise en œuvre des stratégies d'entreprise, et se traduisent par de plus en plus d'initiatives de communication et d'information non conventionnelles. Cet article a permis d’explorer les comportements de l’entreprise en matière de communication en tant qu’acteur socio-politique. Nous avons cherché à clarifier la notion de communication politique en caractérisant l’ensemble des actions de communication qu’une entreprise peut mettre en œuvre lors d’un processus de lobbying. Nous avons également discuté certaines conditions de mises en œuvre de ces actions et nous avons proposé un modèle explicatif des choix de l’entreprise en matière de communication politique. Les propositions que nous avons formulées, ainsi que le modèle proposé, laissent la place à plusieurs pistes de recherche et à plusieurs approfondissements possibles. Une validation empirique des propositions et du modèle proposé constitue une première piste de recherche. Par ailleurs, nous pouvons insister sur deux thématiques qui méritent selon nous des approfondissements. Il s'agit, d'une part, des ressorts utilisés dans la publicité politique. Du fait de sa finalité et de ses spécificités, la publicité politique ne repose pas nécessairement sur les mêmes leviers que la publicité commerciale. Une analyse fine des contenus des messages publicitaires politiques, des supports utilisés et des résultats obtenus permettrait de mieux caractériser ce type de publicité et de la comparer aux autres formes de publicité. Il s'agit, d’autre part, de l’utilisation de l’expertise comme source d’information politique. Face à la complexité et les incertitudes de certaines problématiques (réchauffement planétaire, OGM, clonage…), l’expertise technique et scientifique apparaît comme une ressource informationnelle décisive pour l’influence des décisions publiques. Une recherche approfondie sur ce thème permettrait, par exemple, d’évaluer l’efficacité relative de ce type d’information politique. Références bibliographiques Attarça, M., (1998), "La fonction Affaires publiques", Revue Française de Gestion, Juillet-Août-Septembre

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