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1 Les analyses Les besoins de l’humanité

Compilation Socialisme & Souveraineté : Chapitre I

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Le premier chapitre de la compilation 2009-2011 de Socialisme & Souveraineté, consacré aux besoins globaux de l'humanité.

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Les analyses

Les besoins de l’humanité

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Ce chapitre réunit plusieurs études et un numéro du mensuel « Socialisme & Souveraineté » qui semblent a priori ne pas avoir de liens entre eux : l’alimentation de l’humanité, l’énergie et les matières premières, la santé, l’éducation, les inégalités…Ce qui a suscité ces travaux, c’est qu’avant tout avis sur le capitalisme ou n’importe quel autre système qui serait censé organiser la planète, il faut d’abord se demander : 1) ce que sont les besoins de l’humanité ; 2) en quoi ils sont satisfaits ou non de par le monde ; 3) si leur assurance est accessible et le restera à l’avenir ou non ; 4) quels sont les pays qui y parviennent le mieux, selon le besoin en question. La puissance des économies nationales, qu’on puisse ou non les qualifier de « capitalistes » (terme que nous définirons dans le chapitre suivant « Sortir du capitalisme ») se mesure généralement par le PIB par habitant, comparable d’un pays à l’autre en prenant un niveau de prix de référence (parité de pouvoir d’achat). Il est donc inévitable de faire la comparaison entre les capacités d’une économie à financer des besoins quelconques pour chaque habitant (donc le PIB par habitant) et la satisfaction réelle du besoin. On commencera donc par enquêter sur les besoins les plus vitaux : l’humanité est-elle correctement alimentée ? Et dans quel pays ? Est-ce durable ? La qualité d’une vie humaine peut se mesurer par sa longueur et plus encore sa longueur en bonne santé. Ensuite, c’est la richesse de l’expérience intellectuelle ou des choix de vie que chacun de nous peut faire, et la principale voie est l’accès à une éducation solide, et la mise en relation avec nos semblables. C’est donc ainsi qu’après l’alimentation et l’énergie (et la question des transports qui y est étroitement liée), nous nous sommes penchés sur la santé, l’éducation et la communication. Mais pour continuer à alimenter cette humanité toujours plus nombreuse (même si en ralentissement démographique), il faut encore que les économies disposent de carburant et de briques, d’énergie et de matières premières. Et si le discours des décroissants, des prophètes de l’apocalypse prédisant l’effondrement de l’activité humaine par une pénurie générale d’énergie ou de métaux, était vrai ? Alors que resterait-il de la croissance numérique de l’espèce humaine ? Et à quelle misère se réduirait chacune de nos vies ?

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Etude - L’alimentation de 9 milliards d’humains

Commençons par le besoin le plus fondamental : se nourrir. En 2000, la Déclaration des Objectifs du Millénaire par les Nations-Unies prévoyait huit grands buts à atteindre d’ici 2015. Le premier d’entre eux était l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim. En 2005, le rapport d’avancement des Nations-Unies rend un constat plutôt pessimiste : si l’Asie du Sud et de l’Est ainsi que l’Amérique latine ont bel et bien vu la sous-alimentation reculer de 1990 à 2001, l’Afrique noire enregistre un recul trop modéré (la proportion d’africains subsahariens sous-alimentés est passée sur cette période de 36% à 33%). En Asie Occidentale (on pense notamment à l’Afghanistan, à l’Iraq, aux républiques ex-soviétiques d’Asie Centrale) la faim augmente tant par le nombre des victimes que par la fraction de population qu’elles représentent dans ladite zone. La seconde partie de la période, 1997-2001, a même vu, selon le rapport, le nombre de sous-alimentés augmenter dans le monde, alors que le taux de croissance de la population ralentit. Et tout cela avant la crise alimentaire de 2007-2008. Celle-ci a commencé par une hausse drastique et généralisée des prix agricoles, tant sur la viande, les produits laitiers, céréaliers ou sucriers. Elle atteint son summum au Printemps 2008, avant de décroître à l’Eté, pour demeurer au printemps 2009 à un niveau supérieur en moyenne des deux tiers à leur niveau de 2006, d’après l’indice des prix alimentaires de la FAO. Et une nouvelle hausse eut lieu dans la deuxième moitié de 2009. L’organisation internationale prévoit la permanence de la volatilité des prix sur les années à venir. Cette flambée des prix a généré le risque de famine sur plusieurs dizaines de pays, Chine comprise, mais le plus violemment en Afrique subsaharienne. Divers coupables comparurent au jugement : la hausse de la demande mondiale due à l’enrichissement des populations indienne et chinoise, asiatiques et latino-américaines plus généralement ; le recul des terres agricoles sous l’effet de l’urbanisation ; l’érosion des sols sous l’effet d’un abus d’engrais ; ou encore le détournement de terres au profit des biocarburants. Si le recours aux biocarburants comme alternative aux carburants fossiles appelés à disparaître n’a été qu’un choix marginal dans les pays développés et amendé par la crise alimentaire, en revanche les autres facteurs (urbanisation, croissance de la demande, pertes de terres arables) semblent appelés à se maintenir au cours des décennies qui viennent. L’objet

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de ce premier chapitre sera donc de répondre à deux questions : à l’heure actuelle, à partir de quelle niveau de richesse (entendu au premier abord comme la production de valeur ajoutée enregistrée dans le PIB) un pays assure-t-il le confort alimentaire de– le terme « sécurité » étant toujours relatif, un confort pouvant être réel même s’il est passager - sa population ? Et peut-on attendre de ces phénomènes une tension croissante à venir sur le marché alimentaire mondial, voire à des crises alimentaires chroniques ? Le confort alimentaire

Rappelons d’abord qu’on ne peut avoir de chiffre arrêté quant au

besoin calorique d’une population, puisque ces besoins dépendent de la proportion d’hommes et de femmes dans la population, mais aussi de l’intensité des efforts physiques qu’ils ont à effectuer chaque jour. Une personne ayant peu ou pas d’activité physique devra absorber de 2100 calories si c’est un homme et 1800 pour une femme ; si cette personne accomplit de trente minutes d’efforts dans une journée, elle nécessitera de 2500 calories pour un homme, et 2000 pour une femme ; plus de 2400 pour une femme et plus de 3000 pour un homme si la durée de l’effort dépasse une heure. Le besoin moyen en calories par adulte est donc plus élevé dans les pays en développement, parce qu’une fraction élevée de leur population est encore employée dans le secteur agricole, et l’équipement mécanique encore faible implique une charge lourde pour l’organisme. L’industrialisation récente des pays d’Asie ou d’Amérique latine – industrie lourde donc – n’arrange pas ce phénomène, alors que le passage à une industrie à forte productivité dans les pays développés a réduit l’exigence d’efforts (sans la supprimer pour autant, comme en témoigne la croissance des troubles musculo-squelettiques chez les employés et ouvriers en France).

Sur l’ensemble de la population, l’effet du sous-développement est à plusieurs tranchants. D’abord, les populations des pays pauvres sont plus jeunes (plus faible espérance de vie, même si elle est en hausse, plus forte natalité, même si décroissante). Or les hommes sont plus nombreux que les femmes à la naissance, et, par une mortalité masculine généralement supérieure à celle des femmes, ils le restent jusque vers l’âge de 30 à 40 ans. Donc une population plus jeune sera plus masculine. S’ajoute à cela la répression des naissances féminines en Asie méridionale et orientale (Chine et Inde notamment), qui y crée un déficit de dizaines de millions de femmes. Ensuite la forte natalité s’accompagne d’une proportion importante de

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mineurs, dont les besoins caloriques, rapportés à leur poids, sont supérieurs à ceux des adultes. Les adolescents ont donc des besoins caloriques plus élevés encore que ceux des adultes (au moins 50 calories quotidiennes par kilogramme, contre 40 chez l’adulte). Dans les pays où la natalité se réduit (cas de la grande majorité des pays en développement), la proportion d’adolescents, issus des générations nombreuses précédents, sera encore plus élevée parmi les mineurs que dans les pays qui connaîtraient encore une explosion des naissances.

Donc le double effet de la pauvreté – ou même du statut de pays en cours d’industrialisation – est de générer de forts besoins alimentaires et de limiter la possibilité de les satisfaire. La croissance économique, et les effets que l’on peut en attendre – baisse de la natalité, espérance de vie plus longue, emplois à moindre charge physique – réduit le problème par les deux bouts. Il semblerait en effet évident que la croissance de la valeur ajoutée soit corrélée avec un accès plus grand de la population à l’alimentation, et si possible à une alimentation de qualité et diversifiée. C’est globalement le cas, mais globalement seulement.

L’Organisation des Nations-Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) publie chaque année les disponibilités alimentaires de chaque état, produites ou importées, ramenées à la population locale (mesurant ainsi une disponibilité moyenne en calories par jour et habitant). Comparons les données de la FAO avec celles du revenu par habitant en parité de pouvoir d’achat : il s’agit d’une réestimation du PIB par habitant, en standardisant le niveau des prix aux niveaux américains, ce qui revient à rehausser la majorité des revenus par tête des nations en développement où les prix sont généralement plus bas qu’aux USA. Notons qu’il s’agit bien de la disponibilité alimentaire après prise en compte du commerce extérieur (ce n’est donc pas la capacité productive du pays qui est mesurée). Et les usages autres que l’alimentation humaine (alimentation animale, semences, etc…) ont été décomptés.

La question que nous devons nous poser est : à partir de quel niveau de production de valeur ajoutée par personne une économie atteint-t-elle la capacité de couvrir les besoins du peuple?

Les comparaisons surprennent : si, en 2007, les USA trônent en première place avec 3700 calories par jour et personne, soit sans doute un niveau surabondant, et si les nations développées d’Europe ou l’Australie se concentrent autour de 3500, des états aux niveaux économiques forts divers se rencontrent ensuite entre 3000 et 3500 calories journalières. On y trouve la

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Pologne (3400) et la Russie (3300) devant la Corée du Sud (3000). Le Japon lui-même se situe en dessous des 3000 (2900), et ce en comptant bien les importations alimentaires et une variation de stocks négative. La FAO accorde aux cubains 3100 calories quotidiennes, ce qui nous éloigne des histoires effrayantes sur la quasi-famine que subirait l’île castriste, et surtout montre que la carte de rationnement (la libreta) dont l’apport calorique est bien inférieur à ce chiffre, est loin d’assurer toute l’alimentation des cubains. On pourrait avoir des doutes sur la fiabilité des chiffres de la FAO. Mais ceux-ci ont déjà le mérite de retracer les grandes catastrophes alimentaires, et ce dans des régimes pourtant avares d’informations. La Chine de 1961, où la famine du Grand Bond en Avant faisait toujours rage, n’avait que 1500 calories journalières à disposition des forçats de la faim. L’Ethiopie de 1984 n’en disposait que de 1400 (et est toujours à 1980 en 2007). La ration nord-coréenne est évaluée à 2200 calories, soit un quart de moins que sa voisine sudiste.

Précisons qu’il s’agit des disponibilités moyennes de chaque état, qui ne tiennent pas compte des inégalités internes. On peut aussi l’interpréter comme un indice de capacité alimentaire de chaque pays. Cependant, si l’on veut mesurer réellement l’apport de la valeur ajoutée enregistrée dans le PIB dans le confort alimentaire de chaque pays, il faut tenir compte du fait que l’intégralité du PIB n’est pas consacrée à la consommation finale. Et que cette consommation finale n’est pas uniquement celle des ménages, dont on peut considérer que, dans la plupart des pays du monde, ils achètent eux-mêmes leur alimentation. Une fraction de la consommation alimentaire est assurée par les administrations, dans les écoles notamment, ou dans les entreprises : mais même les restaurants collectifs font souvent l’objet d’une tarification individuelle, donc se décomptent du budget des ménages. En France, le revenu disponible des ménages, potentiellement utilisé pour la consommation finale, représente 70% du PIB. En y enlevant l’épargne des ménages, leur consommation finale représente 57% du PIB. En Chine, ce chiffre est de 36%. On peut donc faire la comparaison des revenus et des disponibilités alimentaires sur une version puriste (en ne gardant du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat que la fraction qui correspond à la dépense finale des ménages), ou sur une version élargie (le PIB par habitant moins l’investissement, public ou privé, pour conserver la consommation finale assurée par les administrations).

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On sait également que la fraction du budget des ménages consacrée à l’alimentation est variable d’un état à l’autre, et tend à se réduire au fur et à mesure que le revenu augmente. Aux extrêmes les plus riches, on trouve les ménages américains ou luxembourgeois, qui ne consacrent que 11% de leurs dépenses au poste alimentaire. Les français et la plupart des ouest-européens sont à 15-16% ; les Européens de l’Est, les tunisiens ou les ménages aisés des pays en développement tels que Madagascar sont à 30%. La situation est très variable pour la majorité des ménages du tiers-monde, consacrant 60, 70% ou nettement plus à leur pitance. L’idéal serait de faire la comparaison entre les disponibilités alimentaires et le montant estimé des dépenses des ménages vouées à ce poste. Mais ce serait oublier 1) les dépenses alimentaires assumées par la collectivité ou les employeurs, 2) que les données relative au coefficient budgétaire de l’alimentation sont rarement disponibles pour un grand nombre de pays. Cependant, on peut déjà tirer de ces faits que, théoriquement, les disponibilités alimentaires dans chaque pays devraient augmenter de façon logarithmique par rapport au revenu, c’est-à-dire que plus le revenu augmente, plus l’alimentation devient généreuse, mais de moins en moins vite. Pour voir ce qu’il en est, retenons les indicateurs de dépenses et de calories disponibles dans plusieurs dizaines de pays réunissant la majorité de l’humanité. Sur le graphique suivant, les points ont pour abscisse les dépenses de consommation finales totales par habitant (nous observons les choses avec la vision « élargie ») et en ordonnée les calories quotidiennes. On rajoute une courbe de tendance logarithmique – dont les points devraient être proches si ce type de progression correspondait bien à celui de l’ensemble de la planète :

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Source : FAO & Perspectives Monde – Université de Sherbrooke

Et l’on note bien une cohérence d’ensemble entre progression du

revenu et progression de la capacité alimentaire d’un pays. Le coefficient de corrélation, qui mesure la qualité de l’estimation d’une relation entre deux variables numériques par une fonction (comme ici, la fonction logarithme) est de 0,77, ce qui n’est pas négligeable. Si l’on n’avait pris en compte que les disponibilités caloriques d’origine végétale, le nuage aurait été nettement plus dispersé, et le coefficient n’aurait plus été que de 0,3. A l’inverse, en ne tenant compte que des disponibilités animales, il aurait été de 0,7. Certains pays ont une très faible disponibilité en viande (Inde, Indonésie, Bangladesh, Nigeria) tandis que la France atteint les 1200 calories animales quotidiennement disponibles. L’accroissement global de la capacité alimentaire en fonction des dépenses de consommation par habitant est surtout un accroissement de la transformation des productions végétales en productions animales.

On distingue tout de même un bloc au dessus de la courbe et situé sur sa gauche, regroupant principalement des pays de l’ex-bloc soviétique, ainsi que la Chine et le Brésil. Dans ces pays, une ration alimentaire décente est accessible ou pourrait l’être pour chaque habitant (le « pourrait » a son

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importance pour des pays aux fortes inégalités internes tels que le Brésil, qui luttent toujours contre la faim des plus défavorisés). Sur le plan alimentaire, la Pologne a les mêmes capacités que l’Espagne ou l’Australie, même si elle n’a que la moitié de leurs PIB et dépenses en consommation finale par tête.

On le voit, atteindre une capacité à nourrir sa population est à la portée de nations au niveau de développement moyen, et dans ces pays, la fraction du revenu des ménages consacrés à l’alimentation reste au niveau du tiers. Mais ces indicateurs ne permettent pas, à eux seuls, de rendre compte du phénomène de la faim. Si on s’intéresse aux cas les plus extrêmes, ceux de famines, l’économiste Amartya Sen nous a déjà mis en garde depuis les années 90 : on ne peut généralement pas expliquer des catastrophes alimentaires par des baisses de production agricole ou d’importations. Si certaines famines (celle de Russie en 1920, ou la famine maoïste de 1960) sont incontestablement liées à un effondrement agricole, en revanche, ce n’est pas le cas de la famine du Bengale en 1943, ni de la province éthiopienne du Wollo en 1973, ou la famine bangladaise de 1974. Cette dernière fut imputable aux inondations qui frappèrent le pays, mais pas en ce qu’elles dévastèrent la production de riz, mais en ce qu’elles liquidèrent nombre d’emplois, mettant des millions de gens en difficulté pour acheter leur nourriture. Même la famine irlandaise de 1847, si elle démarre par un recul dramatique de la production de pommes de terre, ne peut plus s’expliquer par une pénurie alimentaire globale si l’on remonte au niveau des Iles Britanniques. Sen insiste donc sur la cause la plus souvent déterminante des famines, la chute des revenus des classes les plus défavorisées. Plus que sur un système de redistribution alimentaire planifié, il montre en exemple les politiques de créations d’emplois publics provisoires, tels les cinq millions d’emplois créés par l’état indien du Maharastra en 1973.

Sen reste un libéral, et ne fait nullement l’apologie d’une collectivisation agricole, même s’il met en évidence les imperfections du marché à garantir la sécurité alimentaire. L’un de ses principaux apports fut de pointer le rôle de la démocratie dans la lutte contre la famine, affirmant que jamais une famine ne s’est produite dans une démocratie. Cette affirmation, pour sympathique qu’elle soit, n’en souffre pas moins quelques contradicteurs. D’abord, Olivier Rubin, qui, dans un article de 2009, relève plusieurs famines que la théorie de Sen ignore. Comme celle qu’a connue l’état du Bihâr, dans le Nord-est de l’Inde, en 1967. Cette famine intervint après deux ans de mauvaises récoltes, et frappa en pleine période électorale, généra de multiples débats qui firent diversion pendant que plusieurs dizaines

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de milliers de personnes succombaient. De même, l’état du Maharastra cité par Sen n’a pas échappé non plus à une surmortalité estimée par Rubin à 130.000 personnes en 1971-1973.

Ensuite, la thèse de Sen ne traite que des cas extrêmes de la faim, les famines, alors que sur le plan de la malnutrition en général, il y a bien des cas de démocraties où la faim taraude plus fortement et durablement les populations que dans maintes dictatures. La faim est moins répandue en Chine qu’en Inde. L’URSS a réussi à échapper aux famines après celle de 1947. Il est cependant tout à fait juste qu’une famine, par le scandale qu’elle provoque, et par la discussion qu’elle permet sur les moyens de la prévenir à long terme, est un évènement relativement rare en démocratie, même s’il se peut, comme dans le cas du Bihâr, que soudainement la presse se désintéresse d’un évènement aussi grave ou tergiverse au lieu de le traiter. Et l’on peut dire aussi que, globalement, les exemples de famines cités par Rubin font pâles figures en nombre de morts, comparés aux drames décomptés en millions de victimes des famines soviétiques, chinoises, irlandaise, indiennes du temps de l’Empire Britannique, où de celles que connut l’Europe continentale jusqu’au 18ème siècle.

En revanche, pour les maux chroniques et qui ont perdu depuis longtemps leur caractère spectaculaire, la démocratie et la pluralité des médias et des partis ne constituent malheureusement pas un remède miracle. Surtout si par « pluralisme » des médias, on entend seulement le fait qu’ils ne soient pas contrôlés par l’Etat dans leur majorité. Des médias majoritairement privés peuvent se retrouver pris dans une concentration financière menant à placer la concurrence commerciale au dessus de toute autre mission d’information. Dans les années 2000, selon P. Sainath, cette situation est concrétisée en Inde, au point que les journaux nationaux (dans un pays qui compte 18 langues nationales) titrent sur les concours de beauté plutôt que sur la sous-alimentation. Crise alimentaire : toujours plus de souci à se faire ?

La crise de 2007-2008 n’est nullement imputable à une baisse de la production agricole mondiale. Leur production comme leur utilisation crurent de 1 à 2% en 2007-2008 par rapport à l’année précédente, la FAO annonçant même une année record en 2008 dans la récolte céréalière mondiale. La croissance des échanges fut plus forte que celle de l’offre, amenant à la

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réduction des stocks. Ce n’est donc pas à une décroissance de la production imputable à une érosion de terres que l’on peut imputer le déclenchement de la crise. En revanche, des évènements climatiques nocifs, tels des hivers rudes en Chine ou en Argentine, une sécheresse en Australie en 2007, ont limité la progression des moissons au niveau mondial. Une des inconnues de ce début de siècle est l’origine de ces évènements climatiques, et leur possible connection avec le réchauffement global qu’annoncent toujours la majorité des climatologues.

L’impact de la consommation alimentaire croissante des populations sino-indiennes doit être relativisé. D’abord en termes actuels, puisque, selon la Banque Mondiale, la hausse des quantités de céréales et de riz consommées à l’échelle mondiale n’est que de 1% par an, soit moins qu’à la fin des années 90. En suite, sur le long terme, avec une population mondiale dont la progression ralentit, et dont l’urbanisation est déjà majoritairement accomplie, la destruction de terres arables en raison de la construction de villes sera un phénomène passager dans l’histoire du XXIème siècle, sauf en Afrique subsaharienne où la ruralité est encore majoritaire. D’ailleurs, en France même, la seconde moitié du XXème siècle a vu une réduction de 20% des surfaces agricoles utilisées. Et ce sans une quelconque réduction de la production alimentaire.

Le facteur énergétique va intervenir sur une durée beaucoup plus difficile à estimer, car le problème de base est ici rien de moins que la reconversion de la production mondiale d’énergie. D’abord, la montée du prix du baril jusqu’à 130 dollars à l’aube de 2008, a renchéri l’utilisation du matériel agricole motorisé. Le retournement des prix en 2008, avec une chute en-dessous de la barre des 80 dollars, ne change pas le fait que la hausse tendancielle du prix du pétrole sera inéluctable, en raison de la limitation des stocks et de la faiblesse des découvertes de réserves depuis les années 60. Cette cherté de l’énergie a incité au développement des biocarburants, jusque-là trop coûteuse pour être rentable. Deux pays arrivent en tête de la production de céréales destinées aux biocarburants : il s’agit des Etats-Unis et du Brésil, lui-même précurseur de l’utilisation de l’éthanol comme tentative de remplacement du pétrole. Mais l’Union Européenne, la Chine ou encore le Canada étaient également dans la course.

Le FMI, la Banque Mondiale et le département de l’agriculture se sont accordés pour imputer à cette croissance des biocarburants l’essentiel de la hausse des prix, notamment pour le maïs, dont l’essentiel de la croissance de la production a servi à la production d’Ethanol. Pour le Brésil, la

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croissance de la production de sucre, servant déjà la production d’éthanol à usage domestique, n’a pas empêché la hausse des exportations, ce qui fait que la Banque Mondiale n’attribue pas aux biocarburants brésiliens une responsabilité dans la hausse des prix agricoles, encore moins des céréales. C’est surtout en Amérique du Nord et en Europe que les subventions ont soutenu la croissance de la production céréalière destinée aux biocarburants.

Ce n’est cependant pas la seule cause relevée par la Banque Mondiale, qui voit également dans les restrictions d’exportations pratiquées parc certains pays en développement (l’Inde par exemple, sur le riz). Interviennent encore la baisse du dollar (monnaie dans laquelle les prix agricoles sont libellés) face à d’autres devises comme l’euro, poussant donc les exportateurs à monter leurs prix, et la spéculation des investisseurs institutionnels, fonds d’investissement, fonds de pensions, à une époque où la bulle immobilière américaine commençait à se dégonfler et où ces investisseurs cherchaient une autre source de profits. Mais il s’agirait là d’une contribution à la hausse des prix, pas d’une cause fondamentale : si les spéculateurs jouent sur la hausse des prix, c’est parce que cette hausse existait déjà avant leur action ; les prix eussent-ils été orientés à la baisse, ils auraient pu spéculer à la baisse ou n’auraient pas choisi ce marché.

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Etude - La santé

Comme pour l’agriculture, on peut désigner un niveau de santé que l’on peut considérer comme « satisfaisant ». Non pas parce qu’il y aurait, comme pour les calories, une quantité nécessitée et à ne pas dépasser, bien au contraire : on ne peut que vouloir vivre plus vieux, et on ne connait pas avec certitude de limite à l’âge que peut atteindre un être humain. Ou plutôt une humaine, puisque, dans des situations de paix, et dès lors qu’un pays commence à sortir du sous-développement, l’espérance de vie féminine devient quasiment toujours supérieure à celle des hommes.

Définitions Commençons donc par distinguer la notion de « longévité » et

« d’espérance de vie » : la longévité est l’âge maximal qu’un individu d’une espèce peut atteindre, dans des conditions « idéales », c’est-à-dire en l’absence de mort accidentelle, violente, imputable à une maladie, et en l’absence de suicide bien entendu. Même s’il ne s’agit pas d’un maximum, la longévité humaine actuelle reste, en l’absence de confirmations d’autres records, à 122 ans, âge atteint par Jeanne Calment. L’espérance de vie est l’âge moyen auquel les habitants d’un pays décèdent. La mortalité est la fraction d’une population qui succombe dans un temps donné : le taux de mortalité annuel en France est le rapport entre le nombre de décès survenus dans l’année. On l’exprime généralement en décès pour 1000 habitants. La notion de mortalité infantile, qui est un indicateur important de l’état sanitaire d’un pays, rapporte le nombre de décès d’enfants de moins de 1 an sur la population des moins de un an. Pour les décès de un à cinq ans, on parle de mortalité juvénile.

Les notions de mortalité, si elle concerne l’ensemble de la population, ou d’espérance de vie sont délicates à manier pour les comparaisons entre pays. Parce qu’elles sont dépendantes de la structure par âge de la population. Par exemple, au grand étonnement de certains lecteurs, le taux de mortalité de la Bande de Gaza est inférieur à ce qu’il est en France. Cela ne veut pas dire que les gazaouis soient mieux soignés ou en meilleure santé qu’en France. Cela révèle principalement que les gazaouis sont nettement plus jeunes que les français. En partie du fait que les vieux gazaouis vivent moins vieux que les vieux français, mais surtout à cause

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d’une très forte natalité (nombre de naissances rapportées à la population) et donc du grand nombre d’enfants. Et comme les jeunes gazaouis ont une moindre propension à mourir que les vieux français, la mortalité gazaouie est nettement tirée à la baisse. Cet effet d’âge joue aussi sur l’espérance de vie : dans un pays où les jeunes sont très nombreux, le nombre de décès de jeunes est mécaniquement plus élevé, et tire davantage à la baisse l’âge moyen de décès (l’espérance de vie). Lors d’une famine où les enfants sont massivement fauchés, on peut voir l’espérance de vie tomber à 20 ans ou moins (c’est ce qui arriva en Russie bolchévique lors de la famine de 1920-1922). Mais cet effet de structure d’âge sera moins significatif dans un pays où le niveau de soins est élevé : si la France, où la mortalité infantile est très basse, connaissait subitement une explosion des naissances, il y aurait sans doute une croissance du nombre de décès infantiles et juvéniles dans les années qui suivraient, mais ils resteraient rares, et l’espérance de vie française serait peu affectée. Donc on peut penser que si deux pays ont un écart d’espérance de vie notable, cela témoigne d’un problème sanitaire dans le pays qui a le chiffre le plus bas, par exemple d’une mortalité infantile et/ou juvénile forte, ou d’une autre calamité (guerre, famine, épidémie, mauvais état sanitaire général).

Les mesures d’espérance de vie ou de mortalité ont cet avantage pratique que leur mesure repose sur un critère facilement constatable : la mort. Mais ces statistiques, même si elles sont prioritaires, sont loin de résumer l’ensemble de l’état sanitaire d’une population. Différentes organisations, telles que l’OMS ou en France l’INSEE, utilisent un autre concept en complément qu’est l’espérance de vie en bonne santé. La définition que donne l’INSEE pour cette moyenne est la durée qu’un individu peut s’attendre à vivre sans limitations ou incapacités majeures liées à des affections chroniques, aigues ou des traumatismes. Le calcul fait par l’INSEE n’est pas tout à fait le même que celui utilisé par l’OMS, puisque l’institution française attribuait en 2007 63 ans d’espérance de vie en bonne santé aux hommes français, et 64 aux femmes, quand l’OMS leur en attribuait 69 et 75 en 2003. Un Observatoire Européen des Espérances de santé explore diverses méthodes de calcul de l’espérance de vie en bonne santé selon le point de vue que l’on souhaite aborder. Sont ainsi distinguées les durées de vie sans limitations sévères, relatives ou faibles. Ou encore selon le niveau de santé perçu par la personne elle-même. Il est également plus pertinent de mesurer cet indicateur à partir d’un âge relativement élevé, par exemple 65 ans comme le fait l’Observatoire : en effet, dans les pays européens, c’est surtout

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à partir de cet âge que la proportion de personnes subissant des incapacités partielles commence à devenir majoritaire. Et cela permet d’éliminer les incapacités survenues accidentellement, ou pour des raisons professionnelles, et de ne garder que celles imputables au vieillissement.

Une dernière constatation : l’espérance de vie globale d’un pays couvre la question des inégalités sociales. On le sait par exemple en France, où un ouvrier vit huit ans de moins qu’un cadre. Mais cela peut prendre des formes plus perverses encore dans d’autres pays. Appuyons nous sur la question de la faim, et de la sous-alimentation dont nous avons vu la prise encore trop grande dans le chapitre sur l’agriculture. L’effet de la sous-alimentation sur l’espérance de vie est indiscutablement et largement négatif, ne serait-ce que par la moindre résistance qu’il permet aux organismes. Mais, dans la comparaison graphique entre niveau de sous-alimentation et la précocité moyenne de la mort, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de linéarité : il existe des cas paradoxaux de pays où il y a plus de mal nourris que dans d’autres pays où l’espérance de vie est plus basse. La cause en sera généralement l’existence de fortes inégalités entre une population correctement alimentée, dont les vieux jours compenseront les décès prématurés de la minorité ne mangeant pas à sa faim. C’est pourquoi, parmi les pays qui présentent le cas paradoxal en question, on trouve des états à fortes disparités de revenus, tels que les républiques latinoaméricaines comme le Nicaragua, le Panamá, ou encore l’Equateur ou le Venezuela. On y trouve aussi des pays des pays comme le Vietnam où les inégalités sociales ne sont pas au plus haut niveau par rapport à leur région du monde, mais où des efforts nationaux sur la santé ont porté leurs fruits malgré la persistance de la faim. Malgré toutes ces constatations, nous considèrerons toujours l’espérance de vie comme notre premier indicateur. Elle l’emporte sur l’espérance de vie en bonne santé car nous préfèrerons un pays qui a moins de morts jeunes qu’un pays qui a moins d’invalides jeunes. Et l’opacité que cet indice jette sur les inégalités sociales est limitée, en raison du caractère logarithmique de la relation santé/revenu : les riches d’un pays gagneront toujours de la vie en s’enrichissant, mais de moins en moins, tandis que les pauvres en perdront en s’appauvrissant, mais de plus en plus. A moyen terme, un pays à fortes inégalités sociales et au système de santé délabré (comme la société elle-même) aura une médiocre espérance de vie. La Russie exemplifie très bien cela.

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Etat du monde La mesure de l’espérance de vie recoupe généralement les clivages

de développement mondiaux : l’Afrique subsaharienne reste très en retard avec une espérance de vie inférieure à cinquante ans, tandis que les états arabes et moyen-orientaux ont dépassé les 70 ans. L’Amérique Latine est autour de 75 ans, suivie plus difficilement par les états d’Amérique Centrale, avec la notable exception d’Haïti, qui n’atteint pas les 60 ans. L’Asie compte en son sein des situations très inégales : le sous-continent indien progressait lentement au début des années 2000, avec environ 63 ans, pas mieux en Birmanie, moins de 70 ans en Indonésie et aux Philippines, tandis que le Vietnam et la Chine avaient dépassé les 70 ans. Les chiffres nord-coréens sont très incertains, compris entre 60 et 70 ans, mais de toute façon très en retard par rapport à la voisine sudiste qui a dépassé les 75 ans. Voilà pour ce qu’on appelait jadis le « Tiers-Monde ».

Le « Second Monde » qu’était le bloc soviétique, a offert le triste spectacle d’une régression de l’espérance de vie, partant de près de 70 ans à la fin des années 60, déclinant déjà sous la période soviétique finissante, mais plongeant brutalement lors de la « transition » au capitalisme. Si aujourd’hui, les femmes russes ont à nouveau l’espérance de vivre plus de 75 ans, leurs compatriotes masculins meurent toujours en moyenne avant 60 ans, occasionnant le plus grand écart intergenres du monde. D’autres pays du bloc ex-soviétique s’en sont mieux sortis, tels que la Pologne ou la République Tchèque, qui réduisent leur écart avec le « premier monde ». D’autres pays, comme la Roumanie ou la Bulgarie, sont dans une situation intermédiaire. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie Centrale ont plutôt suivi le chemin de la Russie.

Et ensuite vient le premier monde. Où le chiffre de 75 ans, tous sexes confondus, fait figure de limite basse. Les japonais, australiens, italiens, islandais, approchent ou dépassent les 80 ans, et même les 85 ans pour les japonaises. Mais, dans ce groupe privilégié, les écarts ne suivent plus nécessairement, voire plus du tout, les écarts de revenus. Ainsi, les européens qui peuvent s’attendre à mourir le plus tard ne sont ni les irlandais, ni les britanniques bénéficiaires du « miracle » thatchéro-blairiste et de sa croissance à 3% (sévèrement écornée depuis 2008…). Ce ne sont pas non plus les danois, pourtant un des pays riches parmi les riches. Les suédois et les rois du pétrole norvégiens atteignent des chiffres élevés, mais c’est aussi le cas de nations plus pauvres, à l’autre bout de l’Europe : en Espagne, en

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Italie, et dans la Grèce surendettée, on vit près de 80 ans, dépassant la France, qui stagne à 78 ans, dont 75 seulement pour les hommes. Quant aux américains, leur moyenne (77 ans) leur vaut d’être talonnés… par Cuba ! Enfin selon les chiffres officiels… de la CIA.

Si l’on s’intéresse à l’espérance de vie en bonne santé telle que la calcule l’OMS, on s’aperçoit également d’une légère différence entre les différents continents. En Europe, aux USA et au Japon, l’espérance de vie en bonne santé n’est inférieure que de sept à huit ans à l’espérance de vie tout court. Pour les pays émergents tels que la Chine ou l’Inde ou encore la Pologne, cette différence est plus proche des neuf – dix ans. Au Brésil, en 2003, la différence était de douze ans. En Ethiopie, en 2003 toujours, la vie « en pleine possession de vos moyens » vous lâchait à 42 ans. C’était également le cas au Nigéria, où la vie tout court ne durait pas plus de 49 ans cette même année.

De quoi meurt-t-on ? Généralement, la mortalité des pays pauvres est une mortalité

infectieuse, frappant le système pulmonaire ou digestive (la diarrhée étant une cause majeure de mortalité dans le monde en développement), favorisée par l’insuffisante alimentation, hygiène et vaccination de l’organisme. En Chine, les campagnes d’hygiénisation menées à l’époque maoïste ont eu un effet important contre la mortalité nationale. L’épidémie de SIDA se range également dans ces catégories, le VIH favorisant des maladies infectieuses, dans des proportions d’autant plus fortes que les conditions d’hygiène et de prévention sont basses. Le professeur Luc Montagnier, découvreur du VIH, l’a d’ailleurs affirmé lui-même : avant même d’espérer un sérum ou vaccin contre le VIH, l’amélioration des conditions sanitaires générales des pays les plus touchés par l’épidémie (principalement l’Afrique Centrale et Australe) réduirait considérablement la mortalité des séropositifs.

Le passage à une mortalité « de pays riches » signifie une mortalité associée à l’abondance (corrélée avec les maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaire) où l’obésité joue un rôle croissant, et une mortalité cancéreuse. Même si la pollution atmosphérique a eu tendance à décroître dans les métropoles des pays développés depuis trente ans, les maladies pulmonaires sont aussi des causes létales majeures : le responsable prioritaire en est bien sûr la cigarette. Le nombre de morts que le tabagisme à concouru à causer serait de l’ordre de cent millions au XXème siècle. L’OMS a lancé

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l’estimation d’un milliard de décès prévisibles au siècle qui commence, en suivant les tendances actuelles de consommation. D’autres décès dus aux addictions sont également croissantes avec le niveau de vie, comme ceux liés à l’alcoolisme.

Plus généralement, la mortalité cancéreuse n’a pas connu la montée fulgurante que lui prêtent certains groupes écologistes, l’imputant notamment à la pollution atmosphérique, voire aux pesticides. Le rapport de l’Académie nationale de médecine de 2007 sur les causes du cancer a constaté que la progression du nombre absolu de cancers en France depuis 1945 s’explique avant tout 1) par le vieillissement de la population, l’incidence des cancers croissant avec l’âge, 2) par un meilleur dépistage, révélant des cancers qui autrefois tuaient sans avoir été identifiés. En enlevant l’effet du vieillissement, la mortalité par cancers a bel et bien augmenté, mais chez les hommes seulement, et jusqu’en 1985, et a régressé ensuite. Pour les deux sexes, de 1968 à 2007, la mortalité cancéreuse, hors vieillissement de la population, a baissé de 13%. Les causes de ces pathologies restent massivement le tabac, l’alcool, et plus marginalement l’insuffisance d’efforts physiques, et l’exposition à des menaces dans le cadre professionnel, comme l’amiante ayant déclenché, entre autres, des milliers de cancers broncho-pulmonaires.

Le fait de vivre dans un pays riche n’expose pas moins au risque de mourir violemment que dans un pays pauvre : en effet, la guerre et les morts lors des combats ne représentent qu’une cause marginale de décès dans le monde, derrière les homicides, mais plus loin encore derrière les suicides, dont la fréquence croît globalement avec le niveau de développement. Ce dernier résultat peut paraître surprenant : le suicide n’est-t-il pas plutôt le symptôme d’une condition sociale précaire ? En fait, le suicide est fréquent parmi les populations les plus fragiles (chômeurs, ouvriers, séniors) des sociétés riches. Le taux de suicide explose dans des sociétés profondément déstabilisées, comme l’ont été les pays de l’ex-URSS au début des années 1990 (le taux de suicide atteignait 38 cas pour 100 000 habitants en Lituanie, contre 20 pour 100 000 en France). Mais il n’en reste pas moins que la tendance profonde est à la montée du taux de suicide au fur et à mesure qu’un pays se développe économiquement. Le cas de Cuba, où l’espérance de vie est forte, où le PIB par habitant est faible, et le taux de suicide relativement élevé, va davantage dans le sens de l’idée selon laquelle le suicide est un mal frappant des sociétés où l’on vit vieux, plus encore que des sociétés où l’on est riche.

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De combien a-t-on besoin pour vivre vieux ? Il semble tomber sous le sens que, plus on est riche, plus vieux on

vivra. Les inégalités d’espérances de vie en Europe ont pourtant montré que le tableau est plus complexe : les « pauvres » du Sud de l’Europe vivent plus longtemps que les « riches » des iles Britanniques ou d’Allemagne (ou, plus relativement, de France). On peut aussi remarquer que les dépenses consacrées à la Santé sont relativement variables d’un pays à un autre. Comprises entre 5 et 11% du PIB en Europe, elles dépassent 15% du PIB aux USA, sans performance particulière en espérance de vie. Ce que nous avons vu sur les causes des décès doit déjà nous mettre en garde : les causes de la progression de l’espérance de vie ne résident pas entièrement dans l’investissement dans l’appareil sanitaire, loin s’en faut. L’hygiène générale de l’alimentation, de la vie domestique et du travail jouent un rôle primordial, sans apparaître au budget d’un ministère de la santé, d’une caisse d’assurance–maladie ou d’une compagnie d’assurance-santé. Aussi, le montant énorme des dépenses de santé américaines apparaissent-elles comme ce qu’elles sont : en partie, un énorme gaspillage, ou du moins des dépenses somptuaires dérisoires au regard des priorités du pays, que seraient plutôt la réduction des inégalités sanitaires entre états et entre catégories de population (ethniques notamment, la surmortalité des noirs américains, à âge égal, étant avérée aux USA). En France également, le niveau de dépenses sanitaires, bien que plus modéré (11% du PIB), ne réduit pas l’écart de mortalité entre genres, ni entre catégories socioprofessionnelles (l’espérance de vie d’un ouvrier non qualifié étant en France de 8 ans inférieure à celle d’un cadre). D’autres pays européens font mieux à moindre frais (les suédois ne dépensent que 8% de leur PIB pour la santé, les Espagnols de même, les italiens 9%). L’Allemagne a l’excuse du coût de la remise à niveau des infrastructures sanitaires de l’ex-RDA (dont les performances sanitaires n’étaient pourtant pas pitoyables, talonnant sa rivale de l’Ouest avant de décrocher dans les années 70). Connu pour sa forte propension à la prescription de médicaments, le système sanitaire français semble bien réaliser une inutile surdépense. Celle-ci se voit dans le poste des médicaments, avalant 2,1% du PIB en France, contre 1,6% en Allemagne et 1,2% au Royaume-Uni en 2003, selon une étude comparative du professeur Claude Le Pen en Avril 2007. Même si les dépenses ont tendances à converger avec les autres pays européens, l’écart de consommation est très fort dans les psychotropes ou les antibiotiques. Au modèle français où la consultation se finit généralement par une prescription,

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s’oppose des systèmes au recours nettement plus réduit à la pharmacie, comme celui des Pays-Bas. Une autre clé expliquant l’état des choses en France est le niveau des prix des médicaments, globalement inférieur de 20% à ce qu’il est dans les autres grands pays européens.

Certes, cet écart entre la France et ses voisins européens est moins surprenant que ne l’est celui des USA avec le Vieux Continent. La médiocrité relative de l’espérance de vie américaine ne s’explique même pas par un plus haut niveau de morts violentes, ce qui dédouanerait le système de santé et les conditions sanitaires générales : si les homicides et les accidents de la route restent relativement fréquents aux USA en comparaison de l’Europe et du Japon, le taux de suicide y est en revanche inférieur.

On peut considérer également la santé comme un bien de luxe, ce qui signifie que sa part dans le revenu national progressera plus vite encore que ne progressera le revenu lui-même. Mais ce fait ne justifie toujours pas l’hyperdépense américaine : les norvégiens et les suisses ne sont qu’à 10% du PIB en dépenses, malgré leurs PIB par tête comparables aux niveaux américains, voire supérieurs dans le cas norvégien.

On peut en revanche extraire une particularité du « modèle américain » : c’est le seul pays développé où la majorité des dépenses de santé sont privées. Oui, le seul. Aucun autre pays riche ne les a imités. Même Thatcher et Major n’ont pas supprimé le National Health Service, pourtant longtemps décrit – à juste titre – comme un désastre de délais d’attente, de carences et de rationnement sanitaire. Le système de santé espagnol est resté également étatisé. Au Japon même, pourtant l’un des exemples de pays à « état léger » et faibles prélèvements obligatoires (mais dette publique énorme), les trois quarts des dépenses de santé sont sous financement public.

Et pourtant, que n’ont écrit les auteurs libéraux de textes assassins contre la santé sous l’égide de l’Etat ! La prise en charge des dépenses par la collectivité mène à la surconsommation, et l’Etat devra y répondre par le rationnement des dépenses ! Certes, la France illustre très bien ces critiques. Mais les USA le font encore bien mieux pour ce qui est de la surconsommation. Et on peut se demander si les politiques de lutte contre les consultations et prescriptions abusives que tente de mettre en place l’Etat français sont en soi monstrueuses dans un cadre d’abondance des soins.

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Dans le monde en développement Si l’on regarde la courbe reliant les revenus et l’espérance de vie, on

voit une progression logarithmique d’ensemble. Mais plusieurs pays cassent ce rythme. On a vu que l’URSS et les pays du bloc soviétique avaient commencé à régresser, dès la fin des années 60, vingt ans avant d’entamer leur destruction économique. Mais ces mêmes pays avaient pourtant connu une évolution différente au cours des décennies précédentes, surtout l’URSS. Les habitants de l’Empire russe périssaient en moyenne à 35 ans en 1900, soit vingt ans de moins que les français contemporain. Réduite à un état misérable en 1922, la population soviétique va gagner 30 années d’espérance de vie en 40 ans, soit l’une des progressions les plus rapides de l’Histoire. Et ce malgré la famine de 1933 et la Seconde Guerre Mondiale. La Chine est également passée de 35 à 66 ans depuis la famine catastrophique de 1960 jusqu’à 1977, puis arriva à 70 ans en 1990. Soit un doublement en l’espace d’un demi-siècle. Le Vietnam a atteint des chiffres comparables en dépit de trente années de guerres et de disettes. En dehors de l’effondrement soviétique, les progrès chinois sont devenus plus lents depuis vingt ans, principalement en raison de ce que la vie s’allonge moins vite que ne progresse le revenu. Mais ce n’est pas la seule et unique cause : dans les pays du « miracle asiatique », la plupart des dépenses de santé sont encore privées. La Corée du Sud est passée à un système majoritairement public, consommant 6% du PIB dont 4% est assumé par le secteur public. La Chine, elle, stagne à 4% du PIB en majorité privée, à mettre en lien avec la stagnation de la part du revenu national chinois consacré à la consommation des ménages (36% du PIB). C’est un taux inférieur à celui du Vietnam, où la dépense privée domine également, mais égal à celui de la Thaïlande, où la part du public est plus forte (60% des dépenses de santé).

C’est en cas plus qu’on ne le trouve en Indonésie, Philippines, Inde ou Bangladesh. Dans tous les pays du sous-continent indien, la part de l’offre publique de santé ne dépasse pas 1% du PIB. Seules exception : le Sri Lanka, qui ressemble plus au « modèle chinois » par ses niveaux de dépenses. Et le Kérala, modèle de la gauche communiste et altermondialiste : dirigé par les communistes depuis les années 50, l’état du Sud-Ouest de l’Inde affiche une espérance de vie de 75 ans, et des taux de mortalité infantile parmi les plus bas d’Asie. Dérogeant complètement au lien PIB/espérance de vie, le Kérala a fait l’objet d’analyses critiques des économistes : d’abord, la pauvreté de l’Etat à été mise en doute. De part les centaines de milliers de travailleurs

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kéraliens émigrés dans le Golfe Persique, les revenus perçus par le Kérala sont supérieurs de 25% aux revenus issus de l’activité économique de l’état, en faisant l’état le plus riche d’Inde. Cela n’enlève rien cependant à la performance sanitaire, si on la compare à celle d’états ayant des revenus comparables à ceux du Kérala, même avec majoration pour les revenus des émigrés. Par exemple, le Sri Lanka et la Chine font moins bien avec des revenus supérieurs.

Les progrès chinois ont le mérite d’avoir permis à des centaines de millions d’êtres humains de rattraper le niveau sanitaire de régions qui paraissaient plus avancées en 1960. Ainsi, le Brésil, n’est passé que de 55 (soit 19 ans de plus que la Chine en 1960) à 73 ans d’espérance de vie en 2005. L’Algérie sortait également de la guerre d’indépendance avec dix ans d’avance sur la Chine, avance aujourd’hui perdue. On n’en nierait pas pour autant les progrès des pays du Proche-Orient : du Maroc à l’Iran, un quart de siècle de vie a été gagné sur 45 ans. L’Amérique latine, hors des pays du « cône Sud » (Chili-Argentine-Uruguay), déjà plus avancés au milieu du XXème siècle, a fait les mêmes progrès. Avec cette fois-ci un autre cas exceptionnel, celui de Cuba. Non pas que l’île soit partie de très bas aux débuts de la révolution castriste (les cubains vivaient déjà 64 ans en moyenne à cette époque, l’île étant en 1959 le plus riche pays latino-américain), mais elle a réussi à prolonger l’existence de ses habitants jusqu’à des niveaux nord-américains. Et ce malgré son devenir économique catastrophique, par sa croissance faible dans les années 70 et 80, et plus encore dans les années 90, où la disparition du partenaire soviétique a entrainé une chute de 30% du PIB. Cuba a fait l’objet d’attaques en règle de la part des exilés cubano-américains. Les pénuries de médicaments, le délabrement et la saleté des hôpitaux, la pauvreté des médecins les amenant à quitter leurs missions, les épidémies de dengue cachées : les affirmations accablantes nourrissent une abondante littérature contre le « mythe » sanitaire cubain. Mais si l’île a réellement connu des carences de toutes sortes pendant la décennie noire des années 90, surtout pendant les années 94-95, l’île a su néanmoins les réduire par sa propre production pharmaceutique. Sa situation sanitaire fait l’objet de contrôles de l’organisation panaméricaine de la Santé, et le vieillissement réel de sa population (dû tant à une forte dénatalité qu’à l’allongement de la vie) est attesté par les statistiques des Nations-Unies et des USA même.

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Comparaisons statistiques générales Pour finir, regardons les comparaisons entre espérance de vie et

quelques indicateurs décrivant l’offre de santé, privée ou publique. L’observation de la relation entre dépenses de santé et âge moyen de la mort reprend tout ce que nous avons vu plus haut : progression logarithmique de l’allongement de la vie à mesure que le revenu national progresse ; existence de pays « déviants » de cette courbe, notamment pour former un coin dans l’angle convexe. Il s’agit de pays où l’on vit vieux en dépensant peu. La différence avec les comparaisons faites plus haut est que les dépenses ne sont plus exprimées en fraction du PIB, mais en volume de dépenses, en parité de pouvoir d’achat, et par habitant.

Coefficient de régression (R²) : indice, compris entre -1 et 1, mesurant l’adéquation entre une série de données et une courbe de tendance censée la résumer.

Source : Banque Mondiale, chiffres 2005

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D’autres facteurs facilement disponibles concernent l’offre médicale, en nombre de lits d’hôpitaux disponibles, en nombre de médecins par millier d’habitants. En France, les lits d’hôpitaux sont un point d’affrontement rhétorique entre droite et gauche. Alors que la gauche considère les suppressions de lits comme une politique antisociale, la droite les juge à l’angle des comparaisons avec d’autres pays européens qui en sont plus avares, sans avoir de pires résultats que les nôtres.

Le nuage suivant montre une relation globalement positive entre la capacité d’accueil permanente des établissements de soins et l’espérance de vie. On pourrait penser que cette relation n’apporte rien, puisqu’elle ne fait que reprendre la corrélation avec le PIB par habitant. Ce qui n’est pas tout à fait vrai : en 2005, les USA (3,2 pour 1000 habitants) ont un plus faible nombre de lits que la France (7,3 pour 1000) ainsi que la Suisse (5,5 pour 1000). Mais le champion du monde est le Japon (14,1 lits pour 1000 habitants).

Source : Banque Mondiale, chiffres 2005

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Il existe aussi un peloton de pays ayant entretenu un grand nombre de lits, sans aucun rapport avec l’état général de la santé de leur population. Il s’agit des pays de l’ex-bloc soviétique, en premier lieu la Russie, la Biélorussie ou l’Ukraine. Dans leur cas, étant donné les fléaux qui ont fait plongé le peuple dans les bras de la faucheuse (alcoolisme, suicides, homicides), ce n’est pas sur le système médical en lui-même qu’il faut faire porter la responsabilité du désastre. Mais la configuration de ces pays montre que le nombre de lits ne saurait être un objectif qualifiant un bon système de santé. Parmi les pays d’Europe où l’on vit le plus vieux, l’Italie et l’Espagne ne dépassaient pas, en 2005, les 4 lits pour 1000 habitants. Après tout, même à Cuba, pourtant l’un des modèles médicaux de la gauche, une politique d’externalisation des prises en charge médicales lors des années 90, quand les hôpitaux étaient affectés de toutes les pénuries, a mené à une réduction des lits, qui étaient à moins de 60 000 pour 11 millions de personnes en 2005.

La Russie reste dans le haut du classement pour le nombre de médecins par habitants. Cuba a en revanche conservé sa fierté qu’est son armée de médecins, en nombre plus élevés encore que les lits d’hôpitaux, ce dont peu de pays peuvent se vanter. Deux catégories de pays ont de fortes démographies médicales : les pays d’Europe de l’Ouest, France, Allemagne ou Italie, et les pays de l’ancien bloc soviétique, Cuba inclus. Dans ces pays, la proportion de médecins par habitants est comprise entre 3 et 4 (6 à Cuba) au début des années 2000. Mais plusieurs pays assurent un haut niveau de soins sans avoir autant de médecins : s’y trouvent les USA (malgré son énorme marché de la santé), le Japon ou la Finlande.

Bien sûr, les médecins ne sont qu’une partie – le plus souvent minoritaire – de la population des professionnels de santé. Ils n’en sont pas moins l’élément le plus crucial, celui qui fait le plus défaut aux pays les plus déshérités : sur 40 pays africains dont les chiffres sont disponibles pour 2005, seuls 4 ont plus de 30 médecins pour 100 000 habitants, des pays insulaires comme le Cap-Vert ou l’île Maurice, ou l’Afrique du Sud et son voisin enclavé botswanais.

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Source : Banque Mondiale, chiffres 2005

Conclusion Si l’on devait choisir un système de santé « idéal » au vu des

performances « toutes causes de décès confondues », on pourrait choisir parmi les systèmes de pays différents que le Japon, la Suède, l’Italie ou l’Espagne. Et encore, tout dépend de si l’on souhaite se focaliser sur une capacité d’assistance maximale à la population, surtout si elle est vieillissante, ou uniquement sur la réduction de la mortalité, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Selon que l’on choisit la première ou la seconde option, on choisira la forte capacité d’accueil du système japonais, ou plutôt les économies imposées au système italien, mais on peut tenter également la politique de prévention scandinave. Mais plusieurs choses sont sûres : on évitera la surmédicamentation française, et le modèle américain, du moins tout modèle reposant sur une majorité de dépenses privées, modèles qui sont peu nombreux à obtenir des résultats satisfaisant dans le monde, y compris en développement. On aura bien l’exemple du Chili, où la moitié seulement des dépenses de santé son publiques. Mais cet exemple a, dans le monde latinoaméricain, la concurrence de deux pays forts différents, mais où l’on vit

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aussi vieux avec une santé majoritairement financée par le public : le Costa Rica, et surtout Cuba.

Malgré les dénigrements successifs qu’ils ont rencontrés, et leur fin tragique pour le bloc soviétique, les systèmes de santé des anciennes économies planifiées ont au moins eu le mérite de montrer que par des méthodes collectives, l’intervention étatique (précédant donc une demande individuelle), on arrivait à des progrès considérables : vaccinations, éducation, médecine préventive…Ces méthodes ne coûtent pas extrêmement cher, et un pays ayant le revenu par habitant de la Chine, voire moins, peu tout à fait assurer à ses administrés trois quart de siècles d’existence en moyenne.

Bien sûr, la plupart des états du monde, et c’est plutôt une bonne nouvelle, vont devoir gérer le vieillissement de leur population. Ce qui s’accompagnera presque partout d’une hausse des coûts des soins. Pour savoir à quoi ressemblera cette évolution, dans un immédiat avenir, la France peut observer deux pays proches : l’Italie et la Suède, où les vieux sont plus nombreux (surtout en Italie, pays où la population active est également plus faible qu’en France). Dans ces deux pays, on dépense moins que nous ne le faisons. On peut toujours rêver d’une technologie supérieure, qui justifierait de nouveaux budgets. Mais dans l’état actuel, consacrer à la santé de chaque personne l’équivalent de 10% du PIB par tête d’un pays ouest-européen semble un seuil qu’il n’est pas nécessaire de dépasser, et qu’il n’est même pas nécessaire d’atteindre si l’on voulait (presque) éradiquer la mortalité juvénile (ou même celle des moins de 30 ans) de la surface du globe.

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Etude - L’éducation et l’information L’éducation et l’information sont des richesses qui présentent cette double faculté d’être particulièrement pénalisantes quand elles font défaut, et de ne pas suffire en soi à sortir de la pauvreté. En bref, sans éducation, rien n’est possible, avec l’éducation, tout reste à faire. En font l’expérience de plusieurs pays qui ont atteint des niveaux de formation relativement élevé, et sont restés sur le carreau du développement. Le nombre de cadres, de techniciens et d’ingénieurs formés était l’un des seuls domaines où le bloc soviétique réussissait à concurrencer ses rivaux occidentaux. A l’inverse, l’investissement dans la recherche et l’enseignement de haut niveau est un stimulant majeur de la réussite économique, mais on peut être un pays relativement développé dans une économie d’imitation des découvertes des autres. Au sujet de l’éducation, on peut dire qu’il existe des niveaux de richesses, pas nécessairement très élevés, qui assurent l’accès de toute une population à un niveau décent. Mais pour la formation d’excellence et la recherche, en revanche il n’y a jamais de niveau suffisant. Sur ce volet, on peut donc rapidement arriver à la conclusion que le niveau d’activité économique le plus haut possible est nécessaire, et que l’on peut difficilement avoir un exemple concret de réussite que ce qu’offrent les états occidentaux, le Japon, ou progressivement la Chine et l’Inde. Les pays de l’ex-bloc soviétique ont parfois obtenu des avancées fulgurantes, sur la recherche spatiale, en mathématiques et en informatique, et les cubains revendiquent des découvertes thérapeutiques en ophtalmologie et dermatologie qui leur valent un rentable tourisme médical. Mais ce bilan est nettement plus limité que celui des pays de l’OCDE. Ce chapitre se focalisera donc sur l’accès à une éducation primaire ou secondaire, et sur l’accès général à la communication et l’information. L’accès à l’éducation En 2007, l’Organisation des Nations Unies pour le développement humain évaluait l’analphabétisme des plus de 15 ans sur le continent africain entre 12% (au Botswana) et 74% (au Mali), et de nombreux pays se situent au-delà de 40%. L’analphabétisme reste compris entre 10 et 15% dans de plusieurs pays d’Amérique latine, et au Moyen-Orient (de la Turquie en Iran). Le sous-continent indien est marqué par une différence entre l’Inde (dont un

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tiers des habitants ne savent ni lire ni écrire après 15 ans), et ses voisins bangladais et pakistanais, où ce taux monte à 45%. L’Asie du Sud-Est et la Chine sont passés en dessous des 10%. Le plongeon dans la misère de l’ex-URSS n’a cependant nullement entamé l’alphabétisation quasi générale de la population. Au-delà du simple accès à la lecture, la fraction d’une classe d’âge étant inscrite dans l’enseignement primaire et secondaire reste comprise entre 40 et 60% dans la plupart des états d’Afrique subsaharienne (où cette fraction reste à peine supérieure à 50%), avec quelques exceptions telles que le Gabon (80%). La croissance économique ne récompense pas toujours les pays ayant fait le plus d’efforts pour scolariser leur jeunesse : la Chine n’émarge qu’à 68%, le Vietnam à 62%, la l’Indonésie à 68%, et ne s’en tirent pas plus mal que la Thaïlande (78%) et les Philippines (79%). L’Inde n’arrive qu’à 61%, contre 52% au Bangladesh et 39% au Pakistan. L’Amérique latine envoie la majorité de sa progéniture sur les bancs de l’école (80% au Mexique, en Colombie, 85% au Venezuela, 87% au Brésil). L’ancienne URSS s’accroche aux 90%...sauf la Russie, tombée à 82%. Le volet féminin de ces statistiques est encore moins réjouissant : en Afrique, si l’on passe du taux global au taux féminin de scolarisation, les proportions chutent de 2 (Sénégal) à 9 points (Tchad). En Chine et au Bangladesh, cet écart est quasiment nul ; il est de 5 points au Pakistan, de 3 points en Inde. Les pays occidentaux et l’Amérique latine donnent dans l’écart négatif : on enregistre des taux de scolarisation inférieurs chez les garçons. Une autre mesure de l’accès à l’éducation est l’espérance de vie scolaire, c’est-à-dire le temps réel moyen passé dans l’ensemble des structures éducatives. Il couvre les formations allant du niveau CITE 1 (primaire) au niveau 6 (doctorat). Cet indicateur n’en a pas moins des lacunes en cela qu’il ne distingue pas les années de redoublement (un élève sur deux redouble au moins une fois en France) et encore moins les différences de qualité d’enseignement entre les états. Il se situe à huit-dix ans pour la plupart des états du continent africain, avec un creux à 5 ans seulement au Burkina Faso. La vie entre les murs de l’école ou de l’université approche de quatorze ans pour la Tunisie, de 11 ans pour la Chine, 10 pour l’Inde. La Russie a régressé là encore à 14 ans seulement, quand la plupart des pays du bloc de l’Est sont à 15 ou 16 ans, tout comme la France ou le Japon. Les records sont détenus par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui font passer 20 ans en moyenne de scolarité à leurs rejetons.

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Dépenses par habitant en éducation, et fraction consacrée au primaire En dépit de ce qui pourrait être attendu de ce qui précède, l’Afrique subsaharienne n’est pas l’une des régions du monde qui dépense le moins pour l’éducation de sa population, en fraction de son PIB. Elle y investit 4,5% du PIB (en 2004) selon l’UNESCO, contre 3.6% pour l’Asie du Sud (le sous-continent indien dont les moyens financiers sont pourtant nettement supérieurs), plus que l’Asie Orientale, et notamment la Chine (à 3%). Mais cette «performance » africaine est plus une obligation et doit être rapportée à la très grande jeunesse de la population : c’est en Afrique subsaharienne que la fraction des dépenses éducatives allant à l’enseignement primaire est la plus élevée. Les états du monde arabe et moyen-oriental ont mis à profit leurs ressources, pétrolières, gazières ou touristiques, pour faire monter leurs dépenses publiques éducatives à 5% de leur revenu national. L’Europe orientale et ex-soviétique s’accroche aux 4%, avec des niveaux disparates. Pour la seule dépense publique, entre la Russie ou la Roumanie (de 3 à 4%) et la Pologne et la Hongrie (à 5%).

Dans les chiffres à venir, on se réfèrera surtout à la dépense publique, généralement majoritaire dans l’éducation, parce que c’est encore la plus simple à mesurer (la dépense privée d’éducation, surtout lorsqu’il s’agit d’enseignement parallèle, ne peut qu’être estimée). Pour ce qui est des comparaisons en valeurs absolues, on se limitera aux pays ayant des niveaux de consommation comparable, puisque l’essentiel de la dépense d’éducation est une dépense humaine, et non en matériel durable ou intermédiaires comme peuvent l’être les établissements médicaux et la pharmacie pour la santé. Les états européens accordaient en 2006 à leur éducation publique environ 2000 euros par an et par habitant, en raisonnant à parité de pouvoir d’achat. Certains pays font nettement moins : 1300 euros en Espagne, 1200 euros au Portugal, moins de 1500 euros en Allemagne… Peuvent l’expliquer : une plus forte part du privé dans l’enseignement (très minoritaire en France, où la dépense est de 1750 euros par habitants) et aussi, ce qui est sensible dans des pays à faible natalité tels que l’Allemagne, l’Espagne ou le Portugal, un plus faible nombre d’élèves en proportion de la population. En France, près de huit millions d’élèves et d’étudiants coûtent plus de 110 Mds d’euros, soit près de 14 000 euros par apprenant (coût réparti en moitié dans le budget de l’Etat, et en moitié dans les collectivités territoriales). Certains pays d’Europe font mieux : la Finlande, les Pays-Bas où la Suède, qui n’ont

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pas une natalité sensiblement plus basse que la France, y consacrent 6% (Finlande) à 7% (Suède) de leur revenu national.

Mais si à l’inverse, on ne cherche que le minimum à partir duquel l’alphabétisation générale est atteinte, dans des pays où le PIB est suffisamment faible pour empêcher les particuliers de recourir grandement à l’éducation privée, on a également des exemples, plus à l’Est par exemple. Le Kazakhstan ne consacre que 3% de son PIB aux dépenses publiques d’éducation, ce qui n’empêche pas l’Organisation des Nations-Unies pour le développement humain de lui attribuer un indice d’éducation supérieur à 0,9, ce qui le situe au niveau des pays d’Europe de l’Ouest. Mais cet indice ne mesure juste que l’accès à un enseignement de base…Plus proche de nous, la Lettonie scolarise quasiment toute sa jeunesse avec l’équivalent de 750 euros de dépense par habitant à prix standardisés. Mais même le niveau kazakh (260 euros par habitant pour l’éducation publique, dans un pays où le PIB en parité de pouvoir d’achat est de 9 500 euros, soit 3.5 fois moins qu’en France) est encore très élevé pour les pays du continent africain, malgré les efforts qu’ils tentent d’accomplir. Les pays latinoaméricains, en ne consacrant à l’éducation publique que 350 à 500 euros par habitants à prix standardisés, ont réalisés d’importants progrès contre l’analphabétisme, même si celui-ci touchait toujours en 2007 10% des brésiliens de plus de 15 ans, 2,5% des argentins et 5% des vénézuéliens selon l’UNESCO. Nous pourrons finir nos constats par l’observation des liens entre niveau de revenu et différentes performances dans l’éducation de base. D’abord sur le niveau général de l’analphabétisme après 15 ans. Il décroît avec le niveau du PIB, mais on constate dans le coin inférieur gauche du graphique suivant un nuage assez dense de points, représentant des états où l’analphabétisme est très faible malgré une pauvreté générale (et une espérance de vie parfois fort limitée). On y remarque notamment (et principalement en fait) des pays de l’ex-URSS, dont certains en Asie Centrale. Bien sûr, cet indicateur de l’analphabétisme reprend la situation de toute la population adulte, dont une majorité a été éduquée à l’époque soviétique. Si cette comparaison avec le revenu national par habitant avait été faite au plus profond de l’abîme dans lequel sont tombés les états ex-soviétiques, par exemple en 1994 ou 1999, alors il y aurait eu un biais important (puisque les générations en question auraient été élevées dans un cadre de richesse supérieure). En 2007, l’ex-URSS avait rattrapé ses revenus d’avant 1991, mais avec des inégalités beaucoup plus fortes. Cuba se situe également dans cette zone.

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Source : Human Development Report, 2010

Le niveau de scolarisation dans l’enseignement primaire donne lieu

lui aussi à des décalages par rapport à une courbe ascendante en fonction du revenu. Par enseignement au primaire, nous entendons celui des classes d’âges de 6 à 12 ans, bornes en vigueur dans la plupart des pays du monde. Certains pays relativement riches ont un niveau de scolarisation incomplet : par exemple, Oman où cette proportion n’est que de 72. Mais dans le coin inférieur droit, on trouve des pays aussi divers que le Mexique (13 000 euros de PIB / habitant en 2006, à prix standardisés), la Tunisie (près de 7000 euros) ou le Sri Lanka (moins de 4000 euros) qui ont atteint des hauts niveaux d’inscription au primaire.

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Source : UNESCO, 2007

L’enseignement primaire couvre des durées plus variables, de 6 à 8

ans, à partir de l’âge de 11 à 12 ans. La perte de scolarisation est fortement liée au PIB : plus un pays est riche, plus la perte est faible. Mais il existe des exceptions, là encore principalement situées dans l’ancien bloc soviétique. Sur le graphe reliant le PIB et la scolarisation en secondaire, le nuage de points apparaît moins compact : à l’exception de plusieurs points en ordonnée basse (faible PIB par tête) et avec un taux d’accès au secondaire de l’ordre 80 à 87%, les points sont nettement plus alignés sur la tendance que pour l’accès à l’éducation primaire. Ce nuage d’exceptions recouvre principalement des pays de l’ex-bloc soviétique. Plus en avant dans les taux de scolarisation, on trouve la Pologne et la Lithuanie (15 000 et 14 000 euros de PIB) et même l’Ouzbékistan (2 100 euros seulement) où le secondaire incorpore plus de 90% de ses effectifs théoriques.

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Source : UNESCO, 2007

Source : UNESCO, 2007

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Pour l’espérance de vie scolaire, en revanche, si un grand nombre de pays relativement développés arrivent à 15 ans de scolarité, les progrès pour dépasser ce niveau requièrent un haut revenu national. Mais comme nous le disions précédemment, l’espérance de vie scolaire est un indicateur imprécis, notamment par le biais des redoublements. Le constat que l’on peut faire est qu’entre les Pays-Bas (où l’espérance de vie scolaire est de 16,9 ans en 2007) et l’Uruguay (15,7 ans), trois fois moins riche, il n’y a pas d’écart significatif. Diffusion de la communication écrite (journaux) Au-delà de l’éducation, la communication et l’information est, relativement, un indicateur de développement. Relativement seulement, car la corrélation entre richesse et accessibilité de l’information écrite ou en ligne, si elle est significative, n’en est pas moins imparfaite. Nous nous intéresserons au volume diffusé de périodiques, même si cet indicateur est biaisé par le fait qu’un même numéro puisse être lu par plusieurs personnes. Mais cette utilisation collective est encore plus facile pour la télévision. Le recours à internet, mesuré par le nombre d’internautes (au moins occasionnels) évite ce biais. Dans le cas des périodiques non quotidiens, on trouve dans les dix pays arrivant en tête pour le nombre de non quotidiens par habitant, deux régions d’Europe : l’ex-Urss (Russie, Ukraine, Bélarus, Lituanie, Lettonie) ainsi que la Slovaquie, ainsi que les îles britanniques et les Pays-Bas.

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Source : UNESCO, 2010

Source : UNESCO, 2010

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Les quotidiens rétablissent en revanche la corrélation avec le niveau de développement économique, rien qu’à lire le coefficient de corrélation inscrit sur le graphe. Le pays le plus pauvre à dépasser la barre des 200 exemplaires par millier d’habitants est la Hongrie. Arrivent en tête de la consommation les états anglo-saxons d’Europe et les pays scandinaves. Selon les pays, il suffit parfois de très peu de titres pour abreuver en lectures un peuple entier. Ainsi, au Japon, les 108 quotidiens retenus dans les statistiques de l’UNESCO ont une publication moyenne de 650.000 exemplaires. Vient ensuite Cuba, où la publication moyenne par titre est de 370.000 exemplaires, mais pour deux titres (Granma et Juventud Rebelde). Diffusion de la communication par Internet et téléphones

L’accès au téléphone fixe sépare encore deux mondes : le graphique suivant montre deux nuages, l’un comprimé à l’origine du graphe, comprenant la plupart des états du continent africain, et plusieurs pays d’Amérique centrale. On aperçoit en marge de la courbe, en dessous du nuage occidental en haut à gauche, un groupe de pays fortement dotés en téléphonie fixe, malgré des revenus faibles : s’y inscrivent plusieurs pays d’Europe orientale (la Bulgarie), la Chine, le Viet Nam, l’Iran.

Source : CIA World Factbook, 2010

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L’émergence de la téléphonie mobile a donné lieu à une surproduction phénoménale. Si le portable représente un gain en sécurité, permettant de fournir des renseignements d’urgence sur une grande partie de la planète et d’éviter des déplacements inutiles, on a cependant dépassé la fourniture pour chaque individu depuis longtemps dans de nombreux pays. Le nuage supérieur droit du graphique qui suit rassemble des pays où 1000 personnes auront entre 1000 et 2000 mobiles. Cette production, largement diffusée sur le globe, s’est répandue sur le globe. En Chine, au Pakistan et en Inde, en 2008 on comptait entre 470 et 520 portables par milliers d’habitants, alors qu’en 2006 le revenu par habitant ne dépassait pas les 6000 euros en Chine, ni les 3000 dans le sous-continent indien. Notons que même un pays dévasté par une guerre civile récente et classé parmi les plus pauvres du monde tel que la République Démocratique du Congo dispose d’un téléphone portable pour huit habitants. A l’opposé, parmi les pays du monde occidental, la nécessité du mobile n’est pas ressentie partout de la même manière : mille canadiens se satisfont de 640 portables quand il en faut 1500 pour autant d’italiens…

Source : CIA World Factbook, 2010

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Ce qu’on appelait encore dans les années 90 et au début des années 2000 la « révolution Internet » est devenu un quotidien banal dans nombre de pays émergents, parfois plus qu’en Europe, ou à des niveaux comparables : les malais sont internautes aux deux tiers, comme les français, eux-mêmes nettement dépassés par les sud-coréens, dont les trois quarts sont utilisateurs réguliers du Net ; la moitié des jamaïcains le sont, soit autant que les slovènes pourtant trois fois plus riches. Cependant, les proportions restent inférieures au dixième des africains (entre 70 et 100 pour 1000 sud-africains, sénégalais ou kenyans), et varient du dixième à la moitié des latinoaméricains selon le pays.

Source : CIA World Factbook, 2010

Si 30 à 40% des colombiens ou des uruguayens se connectent, seuls

un équatoriens sur dix le peut, et un cubain sur huit en a reçu l’autorisation. Les indiens et pakistanais ne sont guère plus joignables par le réseau mondial que les africains, et le reste de la progression s’ordonne comme les revenus : un algérien sur neuf, un chinois sur quatre, un turc sur trois bénéficient de

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l’information en ligne. A condition bien sûr de ne pas évoquer le filtrage des recherches en vigueur dans des pays tels que la Chine.

Conclusion On eut souvent tendance, dans le camp se réclamant du communisme, à passer l’éponge sur nombre de méfaits des régimes que l’on soutenait en invoquant l’éducation et les hôpitaux gratuits. Pour ce qui est de la santé, on a vu que l’offre en termes de personnels et de lits était effectivement abondante, mais échoua largement à résoudre les maux affectant la population. Notamment parce que la prévention sur les comportements était défaillante. Mais, pour la santé comme pour l’éducation, ce n’était pas le personnel qui manquait : après tout, l’URSS était le pays qui comptait le plus de diplômés du tertiaire en Europe, au moins autant que les cinq plus grands pays d’Europe de l’Ouest réunis. Et la Fédération de Russie était toujours en tête du classement pour les effectifs à la fin des années 2000. Mais cet état de fait n’a pas suffit à dégager le bloc de l’Est de l’impasse dans laquelle s’étaient engoncées les économies de plan. Le « second monde » a pourtant laissé en héritage un fort développement du niveau éducatif, à coût relativement bas, pour des durées comparables à celles des pays capitalistes industrialisés, exception faite de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui prolongent à vingt ans la scolarité de leurs rejetons. La qualité de l’enseignement supérieur soviétique n’a pas été remise en cause, pas plus que dans ses anciens satellites – les anciens diplômés étant devenus les bureaucrates puis les nouvelles élites du capitalisme triomphant. Mais cette accumulation d’un personnel enseignant de qualité était également favorisée par l’impossibilité pour la majorité des enseignants du monde soviétique de passer de l’autre côté du rideau de fer. Dans le contexte des années 2000, la mobilité des chercheurs et enseignants est plus forte, et leur poursuite naturelle des meilleurs sites de recherche, des meilleurs collaborateurs aboutit à assécher des pôles universitaires de second ordre, lorsqu’ils ne sont plus protégés par les frontières. Aussi un investissement massif dans l’éducation devient indispensable, et rend caduque le modèle qui, à frais modérés, avait extrait de l’ignorance des centaines de millions de personnes dans le tiers « communiste » de l’humanité. Le cas idéal de l’enseignement, en termes de qualité et de coûts, tant pour le primaire, le secondaire et le supérieur, se situe nettement plus dans le Nord de l’Europe, quand les pôles d’excellence sont concentrés par

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les USA, mais à coûts nettement supérieurs. Pour rester sur le modèle nord-européen, cela place le coût à environ 8% du PIB d’un état relativement développé, et beaucoup plus encore pour l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique centrale. Si la situation du sous-continent indien semble pouvoir s’améliorer par une décroissance rapide de la fécondité et une croissance rapide du revenu national, en revanche le continent noir, qui fait déjà ce qu’il peut pour assumer ses vagues de naissances récentes, ne pourrait accéder à une éducation primaire et secondaire à court terme que par une aide extérieure, par exemple l’abolition de sa dette. Rappelons pour conclure que l’éducation ne sert pas qu’à faire vivre l’esprit, ni à promouvoir in fine la croissance économique. Comme Cuba, le Kérala, et jadis l’URSS en ont fait l’expérience, l’éducation est aussi indispensable au recul de la mortalité. En bref, l’éducation est aussi une question de vie ou de mort.

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Etude - Les besoins énergétiques et matériels de l’humanité Après l’agriculture, la santé et l’éducation, un sujet qui soulève des défis majeurs pour le siècle qui commence. Nous avons vu qu’un PIB « moyen » suffisait à assurer le confort alimentaire d’une population. Pour ce qui est de l’énergie, la situation ne peut pas se poser dans ces termes : il n’y a pas de niveau de consommation d’énergie qui puisse être arrêté comme « suffisant », contrairement à l’alimentation. On pourrait bien sûr essayer de répertorier les utilisations plus ou moins utiles de l’énergie, et définir un « idéal de consommation énergétique ». Mais il n’aurait de sens qu’à condition de raisonner à technologie figée. L’apparition des technologies de l’information a permis des transformations des modes de vie sur lesquelles nous ne serions pas prêts à revenir. A l’avenir, d’autres innovations pourraient changer les êtres humains eux-mêmes : exosquelettes, prothèses bioniques, utilisation des nanotechnologies…qui pourraient également modifier notre longévité, et qui pourraient être alors considérées comme un droit pour tous, sauf à créer –irrémédiablement cette fois-ci - une humanité à deux vitesses. On peut donc supposer que l’emploi de procédés consommant de l’énergie sera sans cesse croissant. Mais ce n’est pas la même chose que de supposer que la consommation d’énergie par personne va monter également, comme nous allons le voir. Ce que nous pouvons faire, c’est répondre à une question « fatale » : est-ce que notre consommation d’énergie ne va pas entrer en contradiction avec l’épuisement des ressources fossiles, sans parler de la contrainte imposée par le –probable- réchauffement climatique ? Si nous partons du principe que les humains vivant dans des économies avancées –qui seront encore plus nombreux avec la croissance des pays émergents- vont inévitablement consommer toujours plus d’énergie, et que les sources de celles—ci, principalement d’origine fossile sont limitées, alors la consommation individuelle doit baisser. Et peut-être avec elle la consommation de biens et services consommateurs d’énergie. On rentre alors dans le discours de la décroissance. Pour répondre à la question posée plus haut, nous devons examiner d’abord s’il est vrai que notre mode de vie « de pays riche » suppose nécessairement de consommer toujours plus d’énergie, et s’il faudra passer par la décroissance nous conformer à la finitude du monde.

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D’où tirons-nous notre énergie ? La production énergétique mondiale semble vouée à un désastre à moyen terme. Jamais elle n’avait connu un développement tel – et même de développement tout court – avant le milieu du 19ème siècle. Vapeur, charbon, pétrole, nucléaire, la production totale d’énergie primaire1, mesurée en Tonne Equivalent Pétrole (l’équivalent de l’énergie qui puisse être tirée d’une tonne de pétrole), est passée de 1 milliards de tonnes en 1900 à 2 milliards en 1950, puis 9 milliards en 2000. Et elle devrait atteindre 10,5 milliards en 2010. En ce qui concerne les sources d’énergie primaire, en 2000, elles sont à 35% issues de la combustion du pétrole, 25% du charbon, 21% du gaz, 9% de sources électriques dont le nucléaire et l’hydraulique. La production due à la biomasse se limite à 10% du total.

La consommation d’énergie primaire a pour unité de référence la tonne équivalent pétrole (tep), qui correspond à un nombre de joules (unité d’énergie – une tonne de pétrole lourd correspond à 42 gigajoules). Pour mesurer la valeur en gigajoules des autres sources énergétiques, on utilise des coefficients de substitution théoriques pour mesurer la quantité équivalente de pétrole qui aurait été nécessaire pour produire la même quantité d’énergie. La production électrique (mesurée en watts/heure, plus souvent en mégawatts/heure) est une fraction de cette production énergétique. Dans le cas français, où la production nucléaire occupe 78% de la production électrique totale. Mais la production électrique nucléaire ne se retrouve, du fait des coefficients de substitution (un MWh vaut 0.26 tep pour le nucléaire, 0.86 pour la géothermie, 0.086 pour les autres formes d’électricité) à ne représenter que 23% de la consommation finale d’énergie française. Les énergies fossiles sont donc encore très largement la base de la production énergétique mondiale, et pas seulement elle, car l’industrie est toujours largement dépendante d’intrants « fossiles » comme le pétrole. Aussi la demande de pétrole augmente-t-elle de 2% par an2, stimulée par l’accès de centaines de millions d’asiatiques à la consommation de masse, de logements chauffés, d’Internet et d’automobiles. Les réserves de pétrole sont par natures

1 L’énergie finale est l’énergie directement livrée au consommateur. L’énergie primaire est la

somme de l’énergie finale plus l’énergie qui a été nécessaire pour l’extraire, la stocker et la distribuer. 2 De 1997 à 2011, la demande mondiale de pétrole a crû de 1,7% par an, passant de 72 millions de barils consommés par jour à 91 millions, selon www.gecodia.fr.

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limitées, même si la quantification de ces réserves pose quelques difficultés d’estimation. Nous devrions avoir atteint sous peu le « pic pétrolier » (peak oil), c’est-à-dire la date à partir de laquelle la production de pétrole commencera un déclin irréversible, et le prix du baril ne cessera tendanciellement de croître (ce dernier point étant déjà réalisé, malgré la rechute des cours en 2008). Au début des années 2000, il est courant d’entendre le chiffre de 40 ans de réserves pétrolières. Sauf qu’il s’agit d’une estimation à consommation constante : avec une croissance de celle-ci de 2%, les 40 ans de réserves n’en sont plus que 30. En réalité, la question des réserves pétrolières est plus complexe, puisque ces gisements ne peuvent, en raison de leur plus ou moins grande profondeur, jamais être connus à 100%. Pour chaque réserve détectée ou supposée, on attribue une capacité théorique en barils. Les réserves se partagent ensuite en trois catégories : les réserves prouvées, celles dont on estime pouvoir extraire 85 à 90% des volumes théoriques ; les réserves probables, où le taux de réalisation attendue n’est déjà que de 50% ; et enfin les possibles, auxquelles on n’attribue plus que 10% de réalisation. Si on ne tient compte que d’une ou deux de ces catégories, alors il se peut que les réserves affichées par les compagnies pétrolières évoluent, et même à la hausse, alors que du côté de la prospection, les valeurs théoriques découvertes sont devenues faibles depuis les années 60. Par une meilleure connaissance des réserves, des réserves « possibles » sont devenues « probables » ou prouvées. Ainsi, comme le dit Jean-Marc Jancovici, cela fait « 40 ans que l’on n’a plus que 40 ans de réserves »…Récemment, le gouvernement du Venezuela, confirmé par l’OPEP en 2010, a revendiqué, grâce aux gisements de l’Orénoque, des réserves supérieures à celles de l’Arabie Saoudite. Mais reste à savoir à quel prix ce pétrole pourrait être extrait, puisque ces nouvelles réserves sont principalement des pétroles lourds et extra-lourds, demandant un coût de raffinage plus élevé.

Le taux de conversion des réserves théoriques en barils change également sous l’effet du progrès de la technologie de forage, mais aussi sous l’effet du prix : des gisements dont l’exploitation n’était pas rentable pour cause de profondeur ou de faible densité deviennent intéressants si le prix du baril monte. La hausse du prix du pétrole n’est donc pas qu’un signal de sa raréfaction, mais aussi une condition de sa prolongation. Ce qui fait que si nous voulions réduire le plus vite possible la consommation massive de pétrole, il faut non seulement en augmenter le prix pour le consommateur, mais en limiter le gain pour le distributeur et producteur : la différence peut

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reposer sur la taxe. Ce qui débouche sur la taxe carbone, dont Jancovici est un ardent défenseur. Evoquons pour notre part ce renchérissement à titre théorique, puisque nous n’approuvons pas forcément l’idée d’une taxe carbone pour le consommateur, ou du moins pas sans aménagement pour faciliter la « dé-carbonisation » du mode de vie du citoyen occidental, surtout s’il est modeste. Mais le fait est que le marché, en tant que système, a longtemps considérablement sous-évalué le coût de cette marchandise, dont le caractère limité était une évidence même avant que les découvertes ne s’effondrent. Jusqu’à 1973, le prix du baril était stable en dessous de 10$. Après la période 1973-1985 (le baril avait atteint 75 $ en 1979), il reste à nouveau généralement sous les 30$, avant de retrouver sa volatilité à partir de 2005, générant un « troisième choc pétrolier » (après ceux de 1973 et 1979). La stabilité du prix du baril le rendait de fait de plus en plus abordable étant donné la croissance du revenu par habitant dans le monde développé, alors qu’il aurait dû devenir de plus en plus cher pour stimuler encore plus le progrès technologique destiné à réduire sa consommation.

Il semble qu’aucune source d’énergie ne puisse émerger à temps pour prendre le relais : ni le charbon, dont les réserves – à consommation constante également – sont estimées à 250 ans, et à supposer que son extraction ne coûte pas de plus en plus cher – sur le plan énergétique et non monétaire – de les extraire. Pour ce qui est du nucléaire, les matériaux nécessaires à la fission, au premier rang desquels l’uranium, seraient épuisés dans le siècle à venir, sauf développement concluant des recherches sur la fusion et la surgénération ; mais l’Académie des Sciences française n’attend pas de retombées de ces recherches sur la capacité énergétique avant la deuxième moitié du XXIème siècle. Quant aux énergies « vertes », leur rendement énergétique est encore très faible, surtout comparé à la place que prennent les éoliennes ou le photovoltaïque. Les sites de barrages potentiels sont fort limités dans les pays développés, et les constructions possibles dans les continents en développement sont loin de pourvoir aux besoins de neuf milliards d’êtres humains en 2050, même si on leur assigne la consommation du chinois de classe moyenne de 2010. Quant aux biocarburants, toujours selon Jean-Marc Jancovici, on peut au mieux leur fixer l’objectif déjà louable de parvenir à faire rouler les tracteurs et autres véhicules agricoles.

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La rhétorique décroissante : des remarques pertinentes portant un sophisme Tout ceci alimente en France et ailleurs le discours de la décroissance, à partir d’une logique apparemment imparable : les ressources sont, comme la planète, en quantité limitée, donc on ne peut avoir une croissance illimitée de la production, et comme nous consommons déjà trop au regard des réserves existantes, alors nous devrions faire décroître notre production, renoncer à la plupart des biens industriels de masse, l’automobile, aux télécommunications, aux transports longs… Bien entendu, plusieurs critiques ont fait remarquer aux « décroissants » les failles de leur raisonnement. La première étant que les ressources de la planète sont bien sûr limitées en volume absolu, mais il se peut que certaines substances dont personne ne voit l’utilité actuellement deviennent de précieuses ressources. Ainsi, hormis quelques emplois dans le chauffage, la construction urbaine et navale, et parfois la guerre, on ne trouvait pas d’usage massif du pétrole avant le XIXème siècle. Avec un peu d’imagination, il se pourrait par exemple que le sable devienne un matériau prisé, entraînant le désensablement industriel des déserts du monde. De la même manière, on résume ce fait par la métaphore selon laquelle nous n’avons pas quitté l’âge de pierre à cause d’une pénurie de silex, mais du fait de découvertes telles que l’agriculture. Mais ça ne change pas dans le fond le problème de la limitation des ressources. La deuxième faille du raisonnement, plus décisive, est que les décroissants confondent « croissance économique » avec « augmentation de la ponction de ressources sur l’environnement ». Or, rien ne force à penser que la croissance du PIB – qui est un indicateur comptable agrégeant des valeurs monétaires, pas forcément matérielles – débouche nécessairement sur une croissance matérielle. A l’inverse, l’idée d’une croissance consommant de moins en moins d’énergie et de ressources est de plus en plus soutenue, notamment en s’appuyant sur la progression de l’économie des services et de la communication. Bien sûr, les décroissants ont depuis longtemps essayé de contrer cet argument de la croissance « immatérielle », en répondant que même un travailleur des services, quelqu’un qui ne produit pas de biens, consommera quand même de l’essence pour ses transports, de l’électricité, de l’aluminium pour sa voiture, de la silice pour son ordinateur professionnel, etc… Et dans l’absolu, il est bien évident que toute augmentation de la population humaine, ne serait-ce que d’une seule personne, augmente la consommation de ressources : nous n’avons pas encore inventé la personne

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qui ne mange pas, ne brûle rien pour son chauffage ou n’a besoin de toit ou d’habillement. C’est ce qui fait que nombre de décroissants, à l’instar d’Yves Cochet, sont également dépopulationnistes (ils veulent réduire les populations humaines en nombre, et ce en priorité dans les pays riches).

Mais le constat « plus de personnes = plus de consommation de matière » n’est vrai qu’à supposer qu’il existe une consommation matérielle minimale pour chaque personne (minimale au sens où on ne vit pas décemment en dessous de ce seuil), et que cette quantité est stable. Or cette consommation peut changer, et même baisser, pas jusqu’à zéro sans doute, mais baisser, sans que l’on vive plus mal pour autant. La hausse très nette de la productivité agricole, malgré la diminution des surfaces cultivées, n’a pas empêché de produire plus, donc cela veut dire que l’alimentation d’une personne prend de moins en moins de place. La quantité de pesticides utilisée diminue, et l’utilisation – horreur – de plantes transgéniques peut réduire encore et les surfaces et le volume d’intrants nécessaire. Un litre d’essence permet de faire plus de kilomètres qu’il y a un demi-siècle ; les habitations deviennent plus économes en électricité pour assurer leur chauffage. Donc l’argument décroissant sur « le travailleur des services qui consomme quand même des ressources » est un sophisme : le même travailleur qui aurait voulu avoir les mêmes déplacements, la même activité professionnelle et les mêmes loisirs aurait consommé nettement plus il y a trente ans (surtout s’il avait voulu faire avec les ordinateurs de l’époque ne serait-ce qu’une partie de ce qu’il peut faire aujourd’hui).

La croissance immatérielle (produire plus sans dépenser plus de ressources) est donc un fait de plus en plus probable. On peut encore l’illustrer par la production de savoirs : un professeur de physique faisant un cours en 2010 doit synthétiser des connaissances nettement plus vastes que celles connues en 1950, surtout s’il ne s’adresse pas à des collégiens ou lycéens, mais à des étudiants qui ont dépassé les bases de leur science. Donc un cours de physique, même s’il ne prend pas plus de temps, vaut nettement plus en 2010 qu’en 1950. Et ce même si le professeur ne mange pas plus, ne consomme pas plus de vêtements, et même s’il se loge dans les mêmes conditions et ne se déplace pas plus qu’en 1950 : cette croissance aura donc été obtenue sans davantage d’intrants matériels. Et loin d’être marginale, cette activité d’intégration, de synthétisation et de diffusion de la connaissance semble au contraire être une activité croissante des êtres humains, alors que pour la majorité de l’humanité, les besoins matériels sont de mieux en mieux comblés (nous avons vu précédemment que six milliards

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d’humains sur sept ne souffrent plus de la faim), et ce alors que nous vivons plus vieux (sauf dans le continent africain, en ex-URSS ou en Afghanistan).

A terme, cette croissance immatérielle pourrait même devenir une croissance antimatérielle, au sens que nous produirions plus en consommant moins. Nous verrions alors diminuer le prélèvement de ressources non-renouvelables, et notre consommation nette sera encore plus faible si le recyclage se généralise. Au bout du compte, mathématiquement, on pourrait même espérer que la ponction baisse d’année en année, en essayant de rapprocher le plus possible le volume des ressources consommées des ressources issues du recyclage, et ce même si l’on n’atteint jamais 100% de reconversion de nos déchets3. Cette vue exigerait la fin de la consumation de tout matériau fossile. On peut plus raisonnablement espérer de l’éventuelle croissance immatérielle qu’elle nous laisse, avant épuisement des ressources minérales ou d’origine organique (comme le pétrole ou le charbon), un délai suffisant pour mettre au point des substituts synthétiques, voire d’envisager l’exploitation de ressources extra-terrestres (projet à l’heure actuelle totalement irréaliste tant que la propulsion de nos engins spatiaux dépend de carburants fossiles).

Un aperçu de la croissance immatérielle

Mais concrètement, où en sommes nous, de cette croissance matérielle, immatérielle ou antimatérielle ? Tout dépend de quel pays l’on parle. Pour ce qui est de la consommation d’énergie primaire, la France stagne depuis le début des années 2000 à 276 millions de tonnes équivalent pétrole, et même 5% de moins en 2009, sous l’effet de la crise. Et pourtant, si l’on cumule toutes les croissances économiques annuelles depuis 2000 jusqu’à 2008, le PIB français a bien progressé. Depuis 1973 jusqu’à 2008, le PIB français, à prix constants, a été doublé, tandis que la consommation d’énergie progressait de moitié seulement. En d’autres termes : 1 euro de PIB français coûte, en 2008, 25% d’énergie de moins qu’en 1973. Si l’on pouvait supposer que le rythme du découplage croissance/consommation énergétique

3 Les politiques « Zéro déchet » (terme considéré comme « maximaliste » par les experts du recyclage) mises en place par des collectivités (au Canada ou en Nouvelle-Zélande par exemple) parviennent à de hauts niveaux de « détournement » (évitement du déchet parmi les biens consommés, qu’il s’agisse du papier, verres, plastiques, textiles, bois, matériel informatique, restes organiques), allant jusqu’à 85%. Le niveau de 100% reste un objectif.

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se serait produit à consommation primaire d’énergie constante, le PIB aurait quand même cru d’un tiers sur 35 ans. C’est un exemple de croissance immatérielle. Le fait que la consommation énergétique ait régressé plus encore que le PIB (5% contre 2,6%) en 2009 en est un autre. Bien sûr, il y a une parade : la France importe de plus en plus de marchandises depuis le monde en développement, depuis l’Asie notamment. Ce qui reviendrait selon certains à ce que nos apparentes économies énergétiques soient en fait une délocalisation de la consommation vers l’étranger. C’est très discutable : déjà, avant l’ouverture de l’économie chinoise, à la fin des années soixante-dix, la France connaissait déjà ce mouvement de moindre consommation par unité de PIB : le PIB progressa 1,1 fois plus vite que la consommation d’énergie de 1973 à 1979. Et plus généralement, la consommation d’énergie dans le monde, avec sa croissance de 2%4, est de moitié inférieure à la croissance du PIB mondial au cours des années 2000 (2009 exclu). Même dans le cas de pays très pauvres, tels que le Mali, la croissance économique a d’abord été accompagnée d’une consommation énergétique plus dynamique encore jusqu’aux années 70, avant que le rapport inverse ne s’instaure au cours des années 80 et surtout après 1990.

Sur la consommation de métaux, la situation est plus clivée entre les nations en développement et la triade Europe-Amérique du Nord-Japon : alors que, sur la période 2002-2007, les pays développés connaissaient une croissance inférieure à 2% par an de leur demande de métaux, avant de la réduire très nettement en 2008 et 2009 (-20%). Tandis que les économies émergentes, y compris la Russie et l’OPEP, flirtaient généralement avec les 10% annuels, soit plus encore que leur PIB (sauf pour la Chine, qui doit progresser plus vite encore, de par son statut d’exportateur industriel de premier rang)5.

Une autre mesure du clivage qui sépare les économies développées des économies en décollage est l’indicateur de productivité des ressources, tel celui calculé par Eurostat. Selon la définition de l’organisme statistique européen, cet indicateur est une division du PIB mesuré à prix constant par la quantité de matériaux, en kilogrammes, utilisés dans le pays. Cette mesure de la consommation de matériaux (CIM) par le poids est critiquable, car si une

4 Selon Bernard Laponche, ancien directeur de l’agence française pour la maîtrise de l’énergie (Ademe), la consommation d’énergie finale est passée de 4 GigaTep en 1971 à 8 GigaTep en 2004, soit une croissance annuelle de 2,12%. 5 Source : Natixis, Flash Economie N°54, 9 Février 2010

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économie modifie sa sélection de matériaux en remplaçant 1 kg d’un matériau relativement abondant par le même poids d’un autre plus rare, la CIM est inchangée, alors que l’approvisionnement de l’économie est devenu moins durable. Mais cet agrégat a cependant le mérite de mesurer le prélèvement de ressources par une dimension stable (le poids) qui permet la comparaison avec le stock estimé restant sur Terre, tous matériaux confondus. Une autre estimation (par la valeur monétaire estimée des matériaux, par exemple) aurait été beaucoup moins pertinente. Les chiffres d’Eurostat indiquent que pour la France, la productivité des ressources est passée de 0,87 en 1970 à 1,84 en 2005, soit +111%, quand le PIB montait de 130%... Il y a donc eu une augmentation absolue du poids de matériaux arrachés à Mère Nature, mais très faible (+10% sur 35 ans) comparée à celle du PIB…Mais ces statistiques montrent une évolution très différente de pays comme la France (dont l’indice est passé de 1,26 à 1,84 de 1991 à 2005), le Royaume-Uni (de 1,04 à 2,58), l’Allemagne (de 1,13 à 1,64)…et des pays tels que la Roumanie (qui, de 2000 à 2005, passe de 0,23 à 0,16), la Hongrie (de 0,47 à 0,39), la Bulgarie (qui passe de 0,14 à 0,15). Certains pays de l’Europe orientale font de véritables progrès (la Pologne monte de 0,36 à 0,4, la Lituanie de 0,43 à 0,53). Mais on distingue quand même des économies en reconstruction, en début de rattrapage, qui non seulement ont une forte intensité de consommation matérielle par unité de PIB, mais en plus l’accroissent au même rythme que leur PIB, et des économies avancées qui ont réalisé leur découplage matière/ valeur ajoutée. On remarque aussi les différences de spécialisation entre les économies ouest-européenne : le Royaume-Uni a très largement choisi de s’orienter sur la financiarisation de son économie, atteignant une forte déconnection entre PIB et CIM, tandis que le premier exportateur manufacturier européen, l’Allemagne, affiche une productivité des ressources plus faible, mais dont la progression est bien réelle. Ce qui montre que la « dématérialisation » de la production n’est pas réductible à la tertiarisation de l’économie et au recours à l’importation des biens manufacturés.

Continuant sur cette voie, il est tout à fait possible que l’on ait, à moyen terme, une réduction absolue de la ponction de ressources (énergies fossiles et métaux) des économies développées, et un ralentissement de la croissance de la ponction des économies émergentes. Et, dans l’hypothèse où les économies chinoises et indiennes connaîtraient une réduction de leur croissance (par la saturation des marchés occidentaux et intérieurs en biens de

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consommations courants), une réduction mondiale de l’extraction de ressources non renouvelables.

Mais deux obstacles s’interposent avant cette solution heureuse. La première est la limitation de l’offre des métaux. Qu’il s’agisse du cuivre, du zinc, du nickel ou de l’aluminium, les capacités de production prévues à court terme sont stables ou en faible croissance par rapport à la situation de 2010. Les économistes de Natixis s’attendent donc à une inéluctable croissance des prix à l’horizon de 2015 ou 2017. L’autre obstacle est la réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO²) nécessaires pour endiguer le réchauffement climatique global, si l’on s’en tient aux conclusions du GIEC. Face au réchauffement climatique : une réelle nécessité de précaution

Arrêtons-nous brièvement sur cette question du réchauffement climatique. L’hiver 2009-2010 et le sommet de Copenhague ont été l’occasion d’une remise en cause médiatique de la validité scientifique des prédictions climatiques rapportées par le GIEC. Plusieurs auteurs, pas forcément climatologues, tel le décrié Claude Allègre ou le géophysicien Courtillot, ou des groupes « dissidents » tels que le Panel Non-gouvernemental International sur le changement climatique (NIPCC), ont tenté, non de nier la variation des températures au cours de la seconde moitié du XXème siècle, mais son origine humaine. Et donc le fait qu’il faille absolument réduire l’émission humaine de gaz à effets de serre (soit non seulement le CO², mais aussi le méthane ou la vapeur d’eau). Alors que la majorité des climatologues défendent la thèse du réchauffement anthropique, une grande partie du public se range à leur avis, en partie par argument d’autorité, mais aussi par précaution. Ce principe de précaution que les sceptiques considèrent comme irrecevable : le traitement du réchauffement climatique coûtera cher (le rapport Stern remis au gouvernement britannique estime ce coût à 1% du PIB d’un pays comme le Royaume-Uni ou la France ; mais le coût de l’inaction serait une perte de 5% du PIB à partir de 2050). Et ce coût aurait pu également être consacré à la recherche, aux dépenses sociales, à l’investissement productif, à l’aide aux pays en développement.

Ce point de vue climatosceptique est critiquable, et l’auteur de ces lignes, n’ayant pas la compétence scientifique pour trancher le débat climatologique, assume d’être classé parmi les « climato-vertueux », c’est-à-dire ceux qui se rangent au principe de précaution. Pour deux raisons. D’abord, même s’il coûtait 1% (ou même plus) des PIB des pays développés

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(donc rapidement des centaines de milliards d’euros, surtout si on l’étend aux USA et leur PIB de 12 000 milliards de dollars annuel), le coût de la prévention du réchauffement climatique n’empêche nullement le développement humain du monde en développement, Afrique comprise. On peut prendre l’exemple de l’état indien du Kérala, et son espérance de vie de 75 ans, sa natalité digne d’un pays de la vieille Europe, et ce pour un revenu par habitant (certes à majorer en tenant compte des revenus transmis par les travailleurs kéraliens du Golfe Persique) qui est le dixième de ce qu’il est en France. Il ne s’agit nullement de faire du Kérala un achèvement de l’épanouissement humain. Mais il est un contre-argument de poids aux dires de ceux pour qui toute réduction de la croissance économique reviendrait à « condamner les plus pauvres à rester dans la misère » voire « à mourir de faim ». Non, on peut vivre vieux, être alphabétisé, être alimenté et même dans une large mesure soigné, sans avoir ne serait-ce que la moitié du revenu par habitant d’un pays ouest-européen ou nord-américain. Les ressources monétaires existent déjà pour le développement humain. Les estimer compromises par des mesures destinées à éviter le réchauffement climatique n’est pas sérieux. La deuxième raison est que la « machine climatique », si l’on ne fait rien, peut éventuellement s’emballer. Les scenarii climatiques les plus pessimistes font intervenir un dégagement du carbone et du méthane retenu dans les sols arctiques, ou les fonds océaniques, et dès lors une source de gaz à effets de serre apparaîtrait et échapperait au contrôle humain, et l’hypothèse haute d’une hausse de 6° de la température moyenne mondiale d’ici à 2100 pourrait être dépassé, voire nettement dépassé. Sans vouloir tomber dans le catastrophisme, les conséquences d’un tel dérèglement porteraient au minimum sur la réduction nette de la population humaine, voire pire.

En comparaison de cela, que pèse un coût de 1% du PIB d’un pays riche, ou même 2 ou 3%, quand on sait que ça ne gênerait même pas vraiment la suppression de la faim ou de l’analphabétisme dans le monde ?

Conclusion sur l’énergie et les matières premières

Nous venons de voir que la consommation d’énergie d’un pays tel que la France n’est non seulement pas condamnée à croître, mais stagne, et peut même probablement régresser. C’est probablement le cas de la consommation de matériaux. Au pire, à supposer que l’on puisse planifier la répartition des gains de productivité dus à la technologie entre la croissance

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du PIB et la réduction de la consommation de ressources, on pourrait déjà décider de pratiquer une croissance zéro et de voir réduire notre ponction de ressources sur l’environnement…à supposer que la rapidité des progrès technologiques ne soit pas dépendante du rythme de croissance du PIB, ce qui a tout l’air d’être le cas au regard des statistiques sur la productivité des ressources que nous avons vu : les pays qui ont la plus forte productivité sont ceux qui ont le PIB le plus élevé, et, parmi les états pauvres d’Europe, ceux qui progressent le plus en productivité des ressources sont ceux dont le PIB augmente le plus (Pologne, pays baltes, sur la période 2000-2008). Donc, pour que chaque euro de PIB créé devienne plus économe en matières premières, il faut que le PIB augmente, ce qui contrecarre tout ou partie de la baisse de la consommation de ces matériaux. Mais cela n’empêche pas que cette baisse se produise à long terme. On peut aussi s’inspirer des chiffres britanniques : le Royaume-Uni a atteint les plus hauts niveaux de productivité des ressources pour une grande économie européenne. Mais sur la base d’un modèle économique contestable : importation d’une grande partie des biens manufacturés, et croissance du secteur financier dans l’économie (avec 1,5 millions d’emplois liés aux activités financières de la City de Londres en 2008). La crise de 2007-2008 a montré ce que pouvait réserver ce modèle. Mais le niveau britannique de sobriété en ressources pourrait être atteint par une autre stratégie économique : amélioration de la productivité des ressources dans les industries des pays émergents (en Chine notamment, qui dispose d’une importante marge de progression), réduction de la consommation de biens manufacturés, développement des services autour de l’économie de l’enseignement, de la recherche, du savoir en général, que nous avons déjà vus plus haut.

Pour ce qui est de la réduction de l’utilisation des biens manufacturés, il y a déjà un chantier qui s’ouvre, parmi plusieurs autres possibles, qui est celui des transports.

Les transports

L’humain du XXIème semble promis à une destinée de mouvements. En témoignent l’explosion du marché automobile dans les états émergents, ou la croissance à venir du transport aérien. Les principaux acteurs de cette progression sont aujourd’hui les économies émergentes (Chine, Inde, Asie du Sud-Est, Amérique latine…) qui n’en sont pourtant qu’à des niveaux très inférieurs à ceux des pays occidentaux en termes de

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consommation individuelle de transports (en distance comme en énergie consommée). Mais la distinction mérite quand même d’être faite entre les états émergents et les économies avancées de longue date : dans les premières, le mode de transport, recourant massivement aux transports en commun, à la marche, à la bicyclette, subit l’assaut du phénomène automobile qui a déjà très majoritairement pris possession des transports (et de la vie en général) en Occident. A l’inverse, cette même automobile a atteint son niveau de saturation dans les économies développées, en Europe notamment, et les opportunités de réduire son emprise, par la remise au goût du jour de villes piétonnes, du partage de l’automobile, du recours au train, font leur chemin. Il n’est donc pas possible de dire que notre utilisation des transports sera amenée à croître sans limite, comme notre consommation de procédés utilisant de l’énergie. Il se peut que nous parvenions à limiter et même réduire nos déplacements, et que nous rendions les déplacements que nous faisons actuellement moins gourmands en énergie.

Mais il n’y a pas que le transport de passagers. Pour les transports de marchandises internes au pays, la route occupe toujours 81% du trafic français6, en millions de tonnes-kilomètres, quand l’Autriche et la Suède ont réduit cette fraction à 62%, et l’Allemagne à 65%. Et les choses ne semblent pas parties pour s’améliorer en Europe, le routier ayant englouti à peu près toute la croissance du transport de marchandises depuis 1990, le ferré et le fluvial restant stables. Le transport international reste dominé par les convois navals.

Nous savons donc qu’il existe d’importantes marges de progression tant sur les carburants (en remplaçant le transport routier par du ferroviaire ou du naval) et la pollution, que sur le coût (notamment le coût massif que représentent les véhicules individuels). En France, les dépenses de transports représentent 15% du budget des ménages, soit 10,5% du PIB7. Contrairement à ce que nous avions vu avec l’agriculture, où on a remarqué des niveaux de disponibilités alimentaires satisfaisants dans des pays aux PIB très différents, il n’existe pas de pays ayant un système de transports « satisfaisant », et encore moins « modèle ». Là seule chose que l’on sait est que les économies développées devront réduire leur quantité de déplacements ou leur intensité

6 Cf., pour tout le paragraphe, le 47ème rapport de la Commission des comptes des transports de

la nation, Les transports en 2009. 7 Idem.

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énergétique (ou les deux) et que le reste du monde en croissance devra ne surtout pas s’aligner sur le mode de vie occidental.

La société de l’automobile

En 2009, 82%8 des déplacements de voyageurs intérieurs en France sont encore le fait de l’automobile. Près de trente millions de véhicules en France, soit un par ménage et un pour deux français, voilà le bilan d’une colonisation tout à fait réussie. Dans le monde, elles seront au nombre de un milliard en 2010, et probablement 20% de plus en 2015, selon l’institut allemand R. L. Polk. La production mondiale annuelle est de 66 millions d’unités, dont deux millions produites en France. On voit cependant des raisons d’espérer : en nombre de kilomètres * voyageurs, le recours à l’automobile individuelle a cessé sa progression depuis 2003, tandis que celle du train a connu une croissance quasi ininterrompue de 1995 à 1998, augmentant de moitié son trafic. Le déplacement en bus et autocars connait également une embellie de +20% de son trafic de 200 à 2008. La hausse des prix des carburants à la pompe, seulement interrompue au début de 2007, puis plus brutalement à la mi-2008, n’y est sans doute pas étrangère. Inversement, le transport aérien, qui avait connu sa côte d’amour maximale en 2000, n’a cessé de redescendre depuis. Mais par son poids imposant dans les transports de voyageurs, l’automobile mettra encore du temps avant de renoncer à son hégémonie : sa part du trafic voyageur n’a baissé que de …1% de 2005 à 2009.

Regardons quand même les motifs des transports pour nous défaire d’une idée reçue : en France, la part des déplacements professionnels ou pour achats n’y est que minoritaire, représentant 30 à 40% des déplacements pour le travail, 20% pour les achats. L’idée de l’automobile comme besoin quasi-vital n’est donc qu’à moitié vraie. Les loisirs en représentent de 40 à 50%9.

8 Idem. 9 Dans une enquête Insee menée par Jean-Paul Hubert, en 2008, les déplacements pour études et travail ne représentent que 32% des déplacements et 44% du temps de déplacements chez les habitants des grandes agglomérations françaises (31% et 38% pour le reste de la population française). Les achats représentaient 14% et 21% (15% et 20% hors grandes agglomérations).

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Conclusion sur le transport sur route Les transports sont responsables de 28% des émissions françaises de

CO², selon le CITEPA10. Jean-Marc Jancovici trouve ce pourcentage sous-estimé, car il n’inclut pas les émissions que font les industries manufacturières lorsqu’elles construisent des automobiles ou des pièces, ou les émissions générées par la construction ou la réfection de routes. En intégrant les autres gaz à effet de serre, notamment le méthane, l’agriculture deviendrait, devant les transports, la principale source d’émissions de gaz carboniques en France. La lutte contre l’hégémonie automobile et du transport sur route n’est donc pas le principal moyen de réduire la contribution française à l’effet de serre, mais elle ne peut être négligée, et son effet porte aussi sur la consommation de matières premières. Et il y a fort à parier que notre « niveau de vie », tant sur le plan des appréciations personnelles de la plupart des français que sur le plan du PIB, n’en serait pas détérioré, d’autres activités pouvant succéder à la filière automobile.

10 Comité Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique

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Conclusion des études précédentes

Bilan : qu’aurions-nous besoin de produire ? On pourrait essayer de « planifier » un idéal économique, un

modèle ou une ligne à appliquer à un pays. Atteindre un certain niveau de disponibilité alimentaire, son accès pour tous, développer la capacité de production énergétique, son industrie des transports, tout en cherchant dès que possible à améliorer le ratio PIB/consommation matérielle, ainsi que le ratio PIB / consommation en tonnes équivalent pétrole, développer des transports en commun, ou le partage des véhicules industriels, et utiliser le plus de ressources possibles pour la santé et l’éducation. Avec des méthodes intuitives : davantage de personnel médical, de lits, d’hôpitaux…

Mais les précédents chapitres ont appelé à nuancer cela. La faim peut exister dans des pays où les calories quotidiennes sont en moyenne disponibles pour l’ensemble de la population, mais en moyenne seulement. La corrélation entre dépenses de santé, abondance des équipements médicaux et médecins et espérance de vie est battue en brèche par plusieurs pays. Pour l’éducation, plus de dépenses ne fait pas plus de résultats.

« Planifier » des efforts et des résultats ne marche que grossièrement et à court terme. Le bloc soviétique en a fait l’expérience : malgré des progrès notables pour vacciner ses habitants, produire en masse des ingénieurs, des techniciens qualifiés, des infirmiers et des médecins, l’URSS a vu, en même temps que sa croissance industrielle se ralentissant, ses habitants mourir de plus en plus tôt à partir des années 1970.

Le fait que les « richesses » produites par le capitalisme ne soient pas toutes utiles à nos besoins fondamentaux (vivre vieux, en bonne santé, suffisamment formé et informés pour agir) n’empêche que sans croissance des capacités de production, nécessaire pour dégager des ressources pour la recherche, le progrès humain s’arrête. Et sans démocratie, du moins sans régime participatif où les performances du système de santé et d’éducation peuvent être discutées et remises en cause, il n’y a pas de progrès durable et de qualité.

Nous n’avons donc pas besoin que de calibrer des budgets sociaux, mais d’un système qui, mieux que le capitalisme, permette de favoriser des productions ou d’en décourager d’autres, mais sans généraliser les interdictions ni la planification.