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1 Conception architecturale et modélisation déclarative Gérard HEGRON CERMA UMR CNRS 1563 École d’Architecture de Nantes Rue Massenet, BP 81931 44 319 Nantes cedex 3 [email protected] Résumé Les logiciels de conception assistée par ordinateur (C.A.O.) actuels sont plus des outils d’aide à la modélisation que de véritables outils d’aide à la conception. Ils nous permettent d’obtenir une maquette numérique d’un d’objet, ici un objet architectural, dont on a a priori une représentation mentale très précise et déjà finalisée. Ils sont par conséquent le plus souvent utilisés comme des outils de présentation et de communication d’un projet. Pour palier les carences de cette modélisation dite impérative, la modélisation déclarative, en plein essor depuis le début des années 90, autorise la description d’un objet par ses propriétés : propriétés morphologiques, structurelles, d’usage, etc. À partir de cette description, l’ordinateur engendre des solutions ou un espace de solutions que l’utilisateur peut explorer (prise de connaissance). On parle aussi de modélisation ou de simulation inverse. L’espace de représentation de l’objet change radicalement. Le concepteur ne pense plus l’objet comme un ensemble structuré de primitives géométriques mais dans un langage de description qui traduit ses intentions (cahier des charges) indépendamment du modèle numérique sous-jacent. Nous montrons dans cet article comment cette approche déclarative renverse le processus classique de modélisation en affranchissant le concepteur du carcan sémantique de l’approche impérative et en l’accompagnant de la phase de l’esquisse jusqu’au stade final du projet. Il n’existe bien évidemment pas d’outil déclaratif universel mais une palette de techniques qui gèrent tour à tour une famille de propriétés comme l’ensoleillement ou qui reconstituent l’esquisse tridimensionnelle d’un objet à partir de son dessin en perspective et de l’énoncé de contraintes morphologiques. 1- Introduction Les logiciels de conception assistée par ordinateur (C.A.O.) actuels comme Autocad, Euclid, Catia, sont plus des outils d’aide à la modélisation que de véritables outils d’aide à la conception. Même si certains d’entre eux intègrent de plus en plus de fonctions qui permettent de résoudre des contraintes ou propriétés géométriques complexes que l’opérateur ne saurait résoudre par lui-même, ils ne nous permettent d’obtenir le plus souvent qu’une maquette numérique d’objet dont on a a priori une représentation mentale très précise et déjà finalisée. Ceci est notamment vrai dans le domaine de la modélisation du projet architectural. Ils sont par conséquent essentiellement utilisés comme des outils de représentation et de communication du projet. Pour palier les carences de cette modélisation dite impérative, la modélisation déclarative, en plein essor dans les laboratoires de recherche depuis le début des années 90, autorise la description d’un objet par ses propriétés : propriétés morphologiques, structurelles, d’usage, etc. À partir de cette description, l’ordinateur engendre des solutions ou un espace de solutions que l’utilisateur peut explorer (prise de connaissance). On parle aussi de modélisation ou de simulation inverse. L’espace de représentation de l’objet change radicalement. Le concepteur ne pense plus l’objet comme un ensemble structuré de

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Conception architecturale et modélisation déclarativeGérard HEGRON

CERMA UMR CNRS 1563École d’Architecture de Nantes

Rue Massenet, BP 8193144 319 Nantes cedex 3

[email protected]

Résumé

Les logiciels de conception assistée par ordinateur (C.A.O.) actuels sont plus des outilsd’aide à la modélisation que de véritables outils d’aide à la conception. Ils nous permettentd’obtenir une maquette numérique d’un d’objet, ici un objet architectural, dont on a a prioriune représentation mentale très précise et déjà finalisée. Ils sont par conséquent le plussouvent utilisés comme des outils de présentation et de communication d’un projet. Pourpalier les carences de cette modélisation dite impérative, la modélisation déclarative, enplein essor depuis le début des années 90, autorise la description d’un objet par sespropriétés : propriétés morphologiques, structurelles, d’usage, etc. À partir de cettedescription, l’ordinateur engendre des solutions ou un espace de solutions que l’utilisateurpeut explorer (prise de connaissance). On parle aussi de modélisation ou de simulationinverse. L’espace de représentation de l’objet change radicalement. Le concepteur ne penseplus l’objet comme un ensemble structuré de primitives géométriques mais dans un langagede description qui traduit ses intentions (cahier des charges) indépendamment du modèlenumérique sous-jacent. Nous montrons dans cet article comment cette approche déclarativerenverse le processus classique de modélisation en affranchissant le concepteur du carcansémantique de l’approche impérative et en l’accompagnant de la phase de l’esquissejusqu’au stade final du projet. Il n’existe bien évidemment pas d’outil déclaratif universel maisune palette de techniques qui gèrent tour à tour une famille de propriétés commel’ensoleillement ou qui reconstituent l’esquisse tridimensionnelle d’un objet à partir de sondessin en perspective et de l’énoncé de contraintes morphologiques.

1- Introduction

Les logiciels de conception assistée par ordinateur (C.A.O.) actuels comme Autocad, Euclid,Catia, sont plus des outils d’aide à la modélisation que de véritables outils d’aide à laconception. Même si certains d’entre eux intègrent de plus en plus de fonctions quipermettent de résoudre des contraintes ou propriétés géométriques complexes quel’opérateur ne saurait résoudre par lui-même, ils ne nous permettent d’obtenir le plus souventqu’une maquette numérique d’objet dont on a a priori une représentation mentale trèsprécise et déjà finalisée. Ceci est notamment vrai dans le domaine de la modélisation duprojet architectural. Ils sont par conséquent essentiellement utilisés comme des outils dereprésentation et de communication du projet.

Pour palier les carences de cette modélisation dite impérative, la modélisation déclarative,en plein essor dans les laboratoires de recherche depuis le début des années 90, autorise ladescription d’un objet par ses propriétés : propriétés morphologiques, structurelles, d’usage,etc. À partir de cette description, l’ordinateur engendre des solutions ou un espace desolutions que l’utilisateur peut explorer (prise de connaissance). On parle aussi demodélisation ou de simulation inverse. L’espace de représentation de l’objet changeradicalement. Le concepteur ne pense plus l’objet comme un ensemble structuré de

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primitives géométriques mais dans un langage de description qui traduit ses intentions(cahier des charges) indépendamment du modèle numérique sous-jacent.

Dans cet article, nous développerons dans un premier temps les limites de la modélisationimpérative qui manipule explicitement les modèles géométriques et qui se révèle inadaptée àla démarche de conception proprement dite. Puis nous présenterons la philosophie et leséléments constitutifs de la modélisation déclarative en l’illustrant par deuxexemples appliqués à la conception architecturale : GINA qui permet de reconstituerl’esquisse tridimensionnelle d’un objet à partir de son dessin en perspective et de l’énoncéde contraintes morphologiques, et SOLIMAC qui exploite la modélisation inverse del’ensoleillement.

Nous montrons comment cette approche déclarative renverse le processus classique demodélisation en affranchissant le concepteur du carcan sémantique de l’approche impérativeinduit par l’usage explicite des modèles géométriques, et en l’accompagnant de la phase del’esquisse jusqu’au stade final du projet.

2- Conception et modélisation impérative

Le processus de conception

Le processus de conception, et notamment celui de la conception en architecture, a fait etfait toujours l’objet d’un grand nombre de travaux de recherche à la fois théoriques etméthodologiques [Boudon 1992] [Prost 1992]. L’objectif n’est pas ici de faire une synthèsede ces études mais de situer la place « critique » que les modèles occupent au sein de ceprocessus.

La conception est un processus itératif. Nous partons de la donnée d’un cahier des chargesqui précise diverses propriétés de l’objet : caractéristiques morphologiques, esthétiques,fonctionnelles, etc. Puis nous nous approchons petit à petit d’une solution par étapessuccessives au cours desquelles le concepteur puise à la fois dans ses racines culturelles,dans ses modèles référents, dans son savoir faire et dans son imagination afin d’élaborer unobjet répondant à la demande. Dans le cas particulier du projet architectural nous tombonsdans la catégorie des projets où les problèmes sont mal définis et mal structurés. Leproblème est le plus souvent implicite parce que les acteurs du projet étant supposésappartenir à un cadre commun de références (culturelles, législatives, etc.) son explicitationn’est par conséquent que partielle. Comme D. Siret le résume dans [Siret 1997] « Laconception est un processus de formulation et de résolution concomitante d’un problèmejamais complètement posé ni jamais résolu définitivement ».

Les modèles géométriques

Le choix d’un modèle géométrique de représentation des objets est une étape importante duprocessus de conception car son influence affecte non seulement le déroulement duprocessus même mais également la nature de la solution obtenue. Les critères de choix d’unmodèle de représentation d’un objet 3D sont multiples, on peut citer :

! Leur capacité de représentation morphologique et structurelle d’un objet : un modèledonné ne permet d’engendrer qu’une famille d’objets (polyèdres, surfaces gauches, …).L’élection d’un modèle marquera donc sensiblement la typologie morphologique desobjets produits ;

! Leur capacité de représentation visuelle de l’objet : le degré de réalisme de l’imagenumérique de l’objet et sa vitesse de génération (de quelques heures au temps réel)

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dépend en partie du modèle géométrique manipulé. Ce critère est particulièrementimportant dans la phase de communication d’un projet où l’on cherche à mettre en valeurvisuellement les qualités, notamment esthétiques, de l’objet conçu ;

! Leur mode d’acquisition : le modèle numérique de l’objet peut être construit à partir d’unsystème graphique interactif, d’un langage de description ou à partir d’objets réelsnumérisés (capteurs 3D, image numérique, etc.). Plus le mode d’acquisition d’un objetest interactif plus il se rapproche du processus de conception ;

! Leur adéquation aux manipulations et calculs divers utiles à l’analyse et la vérificationautomatiques de leurs propriétés (propriétés physiques, comportementales,fonctionnelles, structurelles, etc.). Ce critère est d’autant plus critique lorsque cestraitements ne peuvent être réalisés manuellement.

Nous pouvons classer les principaux modèles géométriques de représentation d’objets 3Dcomme suit :

! Les représentations bien adaptées à la création interactive :

! Arbre de construction (ou approche CSG – Constructive Solid Geometry) : objetobtenu par assemblage de primitives solides paramétrables (parallélépipèdes,sphères, cylindres, cônes, tores, …) à l’aide d’opérateurs ensemblistes decomposition (union, intersection, différence).

Figure 1 : Modélisation par arbre de construction (CSG)

! Génération par balayage : l’objet correspond à l’ensemble des points de l’espacebalayés par un objet (2D ou 3D) qui se déplace le long d’une trajectoire spatiale etdont la forme peut varier au cours de son déplacement.

Différence =

∪∪∪∪ / \ − ∩ − ∩ − ∩ − ∩ / \ / \A B C D

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Figure 2 : Modélisation par balayage

! Les modèles performants pour la visualisation :

! Représentation par frontière (ou par les bords) : l’objet est représenté par sonenveloppe (frontière ou bords) décrite comme un assemblage de morceaux desurfaces planes ou gauches (quadriques, splines, …)

Figure 3 : Modélisation par frontière ou par les bords

! Les représentations adaptées à des traitements divers :

! Arbre de construction pour la réalisation d’opérations booléennes entre objets ;! Énumération spatiale (arbres octaux ou octtree) pour le calcul de propriétés

physiques et la réalisation d’opérations booléennes entre objets : l’objet estreprésenté par un arbre octal hiérarchique de volumes élémentaires (voxels) quiinterceptent l’intérieur de l’objet. Ce type de modèle résulte le plus souvent del’acquisition numérique d’objets réels comme en imagerie médicale.

Figure 4 : Modélisation par énumération spatiale.

Objetdélimité

par unensemble

de faces

Facesdélimitées

par dessegments

Segmentsdéterminéspar deux

extrémités

Faces Arêtes Sommets

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La modélisation impérative

Dans les processus classiques de conception, l’acte de modélisation n’intervient qu’à laphase ultime du processus où la solution retenue est déjà quasiment finalisée. Les outilsinformatiques dits de CAO – Conception Assistée par Ordinateur- participent par conséquentpeu à la phase de conception proprement dite, mais contribuent essentiellement à l’étape deconstruction de la maquette numérique de l’objet conçu. On parle alors de modélisationimpérative dont les limites sont très vite atteintes lorsque l’on souhaite la mobiliser au sein duprocessus même de conception :! Prototypage numérique d’une seule solution pour une spécification donnée de l’objet ;! Production d’objets stéréotypés : le langage de construction de l’objet manipule une

grammaire (vocabulaire et syntaxe géométriques) et crée un moule sémantique quiinfluence fortement la morphologie et la structure de l’objet conçu et limite lespotentialités créatrices du concepteur

! La vérification a priori des propriétés de l’objet conçu ne repose que sur l’expertise etl’expérience du concepteur. Leur vérification sur le modèle obtenu ne peut s’opérer qu’aposteriori.

Outre la capacité intrinsèque d’un modèle géométrique à représenter plus ou moinsprécisément et complètement les différents attributs d’un objet, son usage et sa manipulationne devraient pas intervenir explicitement dans la phase de conception. Seuls les effetsproduits par l’objet intéressent fondamentalement le concepteur (ses propriétés, soncomportement, son esthétique, …) et seuls ces effets devraient être décrits par lui laissant àla machine le soin de générer et proposer des solutions ou espaces de solutions.

3- La modélisation déclarative

De l’effet à la cause

Les intentions du concepteur représentent l’énoncé du problème c’est-à-dire le cahier descharges ou la spécification de l’objet à créer. Ses intentions ne portent pas directement sur laforme de l’objet à concevoir, mais décrivent ses propriétés intrinsèques et les effets qu’il doitproduire. L’énoncé des intentions utilise par conséquent un langage de description deseffets qui font intervenir trois niveaux distincts de modélisation :! La forme de l’objet (modèle géométrique) ;! Les phénomènes naturels avec lesquels interagira l’objet à concevoir (modèles

physiques et comportementaux) ;! La perception de l’objet mis dans son contexte (modèle perceptif).

La recherche d’une solution à partir de la description des effets nous renvoie à la maîtrisedes causes qui produisent ces effets ; à savoir, quelles sont les formes qui, dans un contextedonné et un mode de perception admis, engendreront les effets attendus ? Il s’agit de larésolution d’un problème inverse déjà bien exploré dans des domaines scientifiques commecelui de la théorie de la commande.

À titre d’exemple, nous pouvons évoquer le contrôle du comportement dynamique d’un brashumain basé sur une modélisation biomécanique du corps [Multon et al. 1999]. Lesintentions portent ici sur la cinématique du mouvement. Le modèle du corps (systèmedynamique) est formé d’un squelette dont on connaît la géométrie et les propriétésphysiques des os et des articulations et d’un ensemble de muscles qui animent le bras (voirla figure 5). Le concepteur ne s’intéresse donc dans ce cas qu’aux propriétés du mouvement(cinématique) du bras dans l’espace 3D. Il s’agit donc de produire un mouvement (sortie dusystème) dont les propriétés doivent satisfaire l’utilisateur en agissant sur la valeur des

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efforts musculaires (variables de contrôle U – entrée du système –). En regard de laproblématique développée dans cet article, deux observations peuvent être soulignées :! Le concepteur n’a qu’une vision extérieure du système et ne raisonne que dans l’espace

des tâches (objectifs à atteindre) et l’espace 3D qui sont les siens. Le module de contrôlecherche à satisfaire les intentions de l’opérateur en calculant les paramètres de contrôledu système dynamique dont les paramètres d’état doivent évoluer pour réaliser l’objectifà atteindre. Même si les modèles de contrôle et de représentation du corps influencent laqualité du mouvement produit, les modules de contrôle et de simulation du systèmedynamique restent des boîtes « noires » pour l’utilisateur.

! Si la plupart du temps l’espace des solutions est fini, l’ensemble des solutions ou desclasses de solutions reste grand et peut être exploré par le concepteur enrichissant ainsisa capacité de création. En d’autres termes, les façons de réaliser une tâche peuventvarier à l’infini.

Figure 5 : Contrôle du mouvement du corps humain.

La modélisation déclarative

La modélisation inverse s’inscrit dans une approche plus générale appelée modélisationdéclarative [Lucas 1991] qui se donne pour objectif de modéliser des objets à partir de ladonnée de leurs propriétés indépendamment des modèles numériques qui les régissent. Leprocessus de modélisation déclarative se décline en trois étapes successives :

CONTROLE

ActionU X

INTENTION

Espace de l

Espaced’état

Espacede la tâche

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! La description des propriétés de l’objet : Pour traduire ses intentions, le concepteurmanipule le langage de description des effets qui nécessite un bon niveau d’expertise dudomaine ;

! La phase de génération de l’objet qui produit un ensemble de modèles numériques oul’espace des solutions du problème posé. Cette étape de production des solutions estassurée par l’ordinateur qui manipule ses propres raisonnements et modèles utiles aucalcul des solutions et à leurs représentations interne et externe ;

! La prise de connaissance des solutions ou espaces de solutions. Le système aidel’opérateur dans la sélection d’une ou plusieurs solutions en le guidant dans l’explorationde l’ensemble des solutions (surtout si celui-ci est très grand) ou dans l’exploitation desespaces de solution proposés. Les méthodes de visualisation jouent ici un rôle importantdans la présentation visuelle des informations pertinentes.

Ces trois phases décrivent un cadre méthodologique général à partir duquel des systèmestrès variés de modélisation sont dérivés. Nous illustrons ci-après cette approche par deuxsystèmes de modélisation appliqués à la conception architecturale.

4- Exemples d’approches déclaratives

GINA (Géométrie Interactive Naturelle)

Le projet Gina propose de créer une nouvelle génération de "modeleurs 3D" [Sosnov, Macé,Hégron 2002] [Sosnov et al. 2002] qui présente les caractéristiques suivantes :

• Interaction homme / machine : Dans la phase de conception, le support papier est toujoursutilisé pour faire des croquis, des esquisses, des organigrammes... Le dessin ne délivrantpas toutes les caractéristiques de l’objet, il est nécessaire d’énoncer les propriétés quicomplètent sa description. Dans GINA, l’opérateur utilise donc simultanément :− Le dessin naturel : croquis à main levée, en perspective, en plan, en coupe ;− Le langage naturel pour exprimer une propriété (coplanaires, orthogonaux,...), une action

(déplacement, perspective,...) ou même une dimension sur un croquis purementqualitatif...

• Modélisation sous contraintes : L'ordinateur doit être capable d'interpréter des déclarationsde trois niveaux :− Des définitions de formes géométriques simples (plan, parallélépipède, cylindre...) ;− Des contraintes géométriques élémentaires permettant de préciser indirectement l'objet

(la sphère n'est plus définie par son centre et son rayon, mais " touche telle sphère, telplan...", " ce plan est orthogonal à cette droite et passe par ce point ") ;

− Des contraintes de haut niveau sémantique traduisant le cahier des charges imposées àl'objet (propriétés d’usage, etc.).

L'ordinateur devient à la fois outil d'aide à l'explication des formes (en visualisant l'objet) etoutil d'aide à la conception (par la recherche de solutions et leur examen dans un processusde définition progressive et d'évolution).

• Géométrie projective : Gina est basé sur la géométrie projective [Macé 1997] et utilisel'algèbre de GRASSMAN-CAYLEY pour exprimer et manipuler les propriétés projectives,contrairement à la plupart des méthodes de reconstruction 3D qui traduisent ces propriétéssous forme numérique.

Le calcul du modèle 3D correspondant à la description graphique (dessin en perspective) etverbale qui en est faite s’appuie sur la sériation des contraintes : projectives, affines etmétriques. La résolution se décompose en deux phases :

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! Correction du dessin 2D (vue en perspective de l’objet) : le dessin à main levée nerespectant que très approximativement les règles de la perspective (faisceaux de droitesparallèles se coupant en un même point de fuite, etc.) il est nécessaire d’effectuer unecorrection qui s’appuie ici sur les contraintes projectives et affines 3D, ces dernières seramenant à des contraintes projectives après projection.

! Élévation du dessin en 3D : un solveur de contraintes géométriques calcule un modèleformel de la forme à reconstruire à partir du dessin corrigé et des contraintes affines etmétriques énoncées.

Ces deux phases de reconstruction du modèle 3D utilisent des méthodes de propagationlocales dans un graphe de contraintes [Lhomme et al. 1997, Sosnov et al. 2002].

Au-dessus de ce noyau a été développée une application, MARINA [Huot 2000], qui permetd’acquérir de façon interactive une maquette numérique 3D à partir d’un dessin ou d’uneimage et d’un énoncé de contraintes. Le modèle peut être reconstruit à partir d’une ouplusieurs images (voir exemple de reconstruction figure 6). Le processus incrémental peut sedécomposer en trois étapes :! Le dessin et la saisie des contraintes ;! La reconstruction du modèle 3D ;! L'affichage et la manipulation de la scène.Ces étapes peuvent être répétées afin d'affiner progressivement le modèle en ajoutant deséléments géométriques ou des contraintes.

(a) (b) (c)

(d) (e)

Figure 6 : Reconstruction d’un bâtiment à partir de sources graphiques de nature différente− (a) à partir d’une image,− (c) à partir d’une image (a) et d’un dessin (b),− (e) à partir d’un dessin (d).

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GINA permet d’intégrer deux aspects inhérents au processus de conception : la productiond’esquisses 2D (vues en projection d’un bâtiment 3D) via le dessin à main levée et laformulation de contraintes géométriques. Si le choix du modèle géométrique (modélisationprojective et algèbre de Grasmann-Cayley) a été fait en raison de sa bonne adaptation aumode d’acquisition de l’objet (vues en perspective) et au processus de calcul des solutions(résolution sous contraintes), sa formulation reste complètement cachée à l’utilisateur. Seulle langage de conception manipulant le dessin, des images et des propriétésmorphologiques est connu de lui.

SOLIMAC Simulation inverse de l’ensoleillement

Parmi les phénomènes physiques d’ambiance dont la prise en compte concourre à laréalisation de projets architecturaux, l’ensoleillement est l’un des plus prégnants et le plussouvent mis en avant lors de la communication du projet aux décideurs. Au dernier siècle del’Antiquité, Vitruve donnait déjà de bons préceptes sur la prise en compte de l’ensoleillementdans le projet.

Afin de permettre à l’architecte d’intégrer les contraintes d’ensoleillement dès la phase deconception du projet, Daniel Siret [Siret 1997] s’est intéressé à la formulation du problèmeinverse de l’ensoleillement qui consiste à déterminer les conditions pour lesquelles une zonedonnée de l’espace peut vérifier un état d’ensoleillement donné pour une plage temporelledonnée. Dans la pratique (logiciel SOLIMAC), la représentation d’une intentiond’ensoleillement s’appuie sur la donnée du triplet (P, S, T) où P est une tache polygonaleplane qui peut être définie à tout moment de l’élaboration du projet. L’intention du concepteurest alors de rendre tous les points de P à l’état S pour tous les instants de la plagetemporelle T.

La réalisation de la proposition conduit à la vérification d’une moyenne d’ensoleillement surles points de P, mais ne signifie pas que P représente la tache d’ensoleillement exacte enchaque instant de T. La tache dessinée par l’utilisateur engendre une pyramided’ensoleillement Π(P, T) (voir figure7) qui présente une solution brute qui permettra deréaliser l’intention. Cette solution « géométrique » est interprétée afin de trouver une réponsearchitecturale pertinente qui tienne compte du contexte du projet.

Dans le cas où la proposition indiquerait que chaque point de P doit être « au soleil » aucours de la période T, tout objet interceptant Π(P, T) vient infirmer cette proposition car ils’interpose entre la région de l’espace d’où proviennent les rayons solaires et tout ou partiede la tache P. Une solution est alors obtenue en procédant à un évidemment de la scène Spar la pyramide d’ensoleillement correspondant à S ∩ Π (P, T).

Sur l’exemple présenté à la figure 7, la solution brute correspondant à la proposition « lazone P (en jaune) doit être au soleil en milieu de matinée l’hiver » est l’évidemment (trou)opéré dans les murs du bâtiment (contour rouge) qui laissera passer la lumière. Une solutionarchitecturale, c’est-à-dire ici un modèle de baie, approchant au mieux ce résultat brut estalors imaginée par l’architecte.

A contrario, dans le cas où la proposition indiquerait que chaque point de P doit être « àl’ombre » au cours de la période T, tout plan ou objet coupant complètement Π(P, T) estsolution car il opère comme un masque entre la région de l’espace d’où proviennent lesrayons solaires et la tache P. Sur la figure 8 l’ensemble des solutions exactes correspondant

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à la proposition « la zone P (contour jaune) doit être à l’ombre en début d’après-midi l’été »est l’ensemble des intersections entre Π(P, T) et les plans qui traversent cette pyramide.

Modélisation d'une baieModélisation d'une baie

« Cette zone (P) doit être au soleil en milieu de matinée l'hiver »

N

P

P

?(P, T)

Evidement exact Interprétation architecturale

Figure 7 : Modélisation d’une baie pour satisfaire l’exposition d’une zone au soleil.

Modélisation d'un pare-soleilModélisation d'un pare-soleil

P

P

« La baie (P) doit être à l'ombre en début d'après-midi

N

?(P, T)

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Figure 7 : Modélisation d’un pare-soleil pour satisfaire la place d’une zone à l’ombre.

Le concepteur peut donc explorer cet espace de solutions afin de proposer un masque(pare-soleil) qui convienne architecturalement.

Lors de la conception d’un projet, la résolution simultanée d’un ensemble de propositionsd’ensoleillement peut conduire à la production de solutions incompatibles. Par exemple surla figure 8, les propositions (P1, S1, T1) et (P2, S2, T2) présentent une zone commune égaleà Π(P1, T1) ∩ Π(P2, T2). Si S1 = « à l’ombre » et S2 = « au soleil » et si les seulessolutions réalistes pour satisfaire S1 (plantation d’un arbre par exemple) forment un masqueinterceptant cette zone, la propriété S2 ne pourra pas être satisfaite. Cette situation de conflitconduit les acteurs du projet dans la recherche d’un compromis que la modélisationdéclarative peut également aider à trouver.

Figure 8 : Modélisation de propriétés d’ensoleillement simultanées.

Avec Solimac, le concepteur se concentre essentiellement sur la formulation de ladescription des effets (effets d’ensoleillement) et sur les solutions architecturales à apporteraux solutions ou espaces de solutions brutes présentés par le logiciel. Il reste ainsi dans ledomaine d’expertise qui est le sien, c’est-à-dire celui de l’architecture. Le modèle dereprésentation sous-jacent des objets architecturaux manipulé par le logiciel reste inconnude lui et ne vient en rien influencer sa démarche de conception.

5- Alliance des approches impérative et déclarative

Sans reprendre de façon exhaustive les avantages de la modélisation déclarative évoquésen regard du processus de conception au cours des paragraphes précédents, nous pouvonsles résumer ici :! La description de l’objet se fait dans le langage du concepteur : il s’agit de la description

des effets recherchés ;! Les solutions produites vérifient a priori les intentions du concepteur : les effets sont

garantis ;! Le logiciel génère toutes les solutions potentielles : c’est un outil d’aide à la créativité ;! Le logiciel est un outil de négociation entre les acteurs du projet dans la recherche de

compromis : il peut devenir un outil d’aide à la décision.

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Compositions de propriétés multiples

Génération de solutions réalistes

������������������������������������������

P P1 2

T1T2 ����������������������������������������������������������������������������������������������������������������

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La limitation principale de l’approche déclarative ou inverse est qu’elle ne produitessentiellement que des esquisses de solution. La modélisation classique, dite impérative,peut alors prendre le relais afin de produire la maquette numérique définitive de l’objet. Onpourra alors tirer parti de toutes les qualités intrinsèques du modèle géométrique choisi pourfabriquer l’objet ou communiquer.

Les deux approches de modélisation, l’une impérative et l’autre déclarative, ne sont endéfinitif pas exclusives l’une de l’autre. Elles traduisent chacune un langage dereprésentation, l’un de la forme et l’autre de ses effets, qu’il convient d’employer pour desmodes de pensée et d’action appropriés, l’un de conception et l’autre de construction.

Bibliographie

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