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* II2 Conclusion Jan Jelinek Une vue rétrospective de l’évolution des musées montre que ceux-ci n’utilisent pleinement toutes leurs possibilités d’action que lorsqu’ils participent réelle- ment aux grands problèmes actuels de la vie de la société. On trouve de mul- tiples exemples de ce fait : à la suite de la diffusion de l’instruction dans la population tout entière, fruit de la Révolution fransaise, les musées se sont développés comme centres du renouveau national, institutions d‘éducation, lieux de création et de culture pour la jeunesse, centres de documentation, etc. Les musées sont des institutions au service de la société et ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent continuer d‘exister et d’agir. L’un des problèmes contemporains les plus importants et qui, faute d‘une action urgente, pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l’huma- nité tout entière est celui de l’écologie, ou plus généralement des relations entre des diverses communautés, ainsi qu’à l’intérieur de chacune d‘entre elles. Je veux dire par qu’il ne s’agit pas seulement des relations entre communau- tés biologiques mais aussi de celles qui s’établissent à l’intérieur de la société humaine, en fonction de I’évolution de la culture et de la civilisation. Dans ses rapports avec le milieu naturel qui l’entoure, l’homme a adopté, tout au long de son évolution, ún comportement d‘ccexploiteur~ à courte vue, dont témoignent son attitude hostile, anthropocentrique, et son incompréhension de sa dépendance à l’égard de l’équilibre naturel régnant dans son milieu. Alors mème qu’il continue à dépendre pour une part, biologiquement et culturelle- ment, du milieu naturel, il s’ingénie à créer lui-mème, artificiellement, un milieu culturel dont il dépend également, biologiquement et culturellement. Le problème est donc devenu plus vaste et plus complexe, dans la mesure le milieu de vie se compose aujourd’hui tout à la fois du milieu naturel et du milieu culturel, avec les multiples conséquences qui en découlent. L’expres- sion (c écologie humaine N parfois employée n’est certainement pas la plus adéquate, car elle conduit à faire des activités humaines des phénomènes physio- logiques, alors qu’elles ne sont évidemment pas un simple reflet des processus biologiques. Elles sont aussi et pour une large part le résultat de l’évolution culturelle et technologique de l’homme : en tant que telles, l’homme peut s’en rendre maître et les réglementer, à la condition qu’il comprenne leur nature et leurs causes. Une approche exclusivement << physiologique )> du problème pourrait facilement conduire à l’idée erronée que l’homme est placé en présence de forces qu’il est incapable d’orienter et de maîtriser, à la merci desquelles il est donc fatalement livré et qui pourraient éventuellement mettre un terme catastrophique à son existence. Certes ce risque existe, mais il n’est pas inéluc- table. L’immense faculté d’adaptation de l’homme, qui assure la continuité de son évolution, ne s’applique évidemment pas uniquement à son milieu naturel régional, mais aussi à celui qu’il a créé lui-même. S’il en était autrement, l’homme n’aurait pu atteindre son stade actuel d’évolution, il n’aurait pu passer de son état premier d‘Homo erectmy qui découvrait les avantages du feu, la possibilité de s’abriter et la protection du groupe, à la société actuelle avec tous ses problèmes. C‘est seulement dans le cas l’homme ne pourrait s’adap- ter aux effets divers de sa propre activité - c’est-à-dire à son milieu culturel qui joue également un rôle biologique dans son évolution actuelle - qu’il se trouverait dans la situation du brontosaure, incapable de s’adapter biologique- ment au changement de son milieu naturel. Mais nous n’en sommes pas encore là. Le fait même de discerner cette situation et d’en prendre conscience nous permet d’adopter des mesures correctives.

Conclusion

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Conclusion

Jan Jelinek Une vue rétrospective de l’évolution des musées montre que ceux-ci n’utilisent pleinement toutes leurs possibilités d’action que lorsqu’ils participent réelle- ment aux grands problèmes actuels de la vie de la société. On trouve de mul- tiples exemples de ce fait : à la suite de la diffusion de l’instruction dans la population tout entière, fruit de la Révolution fransaise, les musées se sont développés comme centres du renouveau national, institutions d‘éducation, lieux de création et de culture pour la jeunesse, centres de documentation, etc. Les musées sont des institutions au service de la société et ce n’est qu’ainsi qu’ils peuvent continuer d‘exister et d’agir.

L’un des problèmes contemporains les plus importants et qui, faute d‘une action urgente, pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l’huma- nité tout entière est celui de l’écologie, ou plus généralement des relations entre des diverses communautés, ainsi qu’à l’intérieur de chacune d‘entre elles. Je veux dire par là qu’il ne s’agit pas seulement des relations entre communau- tés biologiques mais aussi de celles qui s’établissent à l’intérieur de la société humaine, en fonction de I’évolution de la culture et de la civilisation. Dans ses rapports avec le milieu naturel qui l’entoure, l’homme a adopté, tout au long de son évolution, ún comportement d‘ccexploiteur~ à courte vue, dont témoignent son attitude hostile, anthropocentrique, et son incompréhension de sa dépendance à l’égard de l’équilibre naturel régnant dans son milieu. Alors mème qu’il continue à dépendre pour une part, biologiquement et culturelle- ment, du milieu naturel, il s’ingénie à créer lui-mème, artificiellement, un milieu culturel dont il dépend également, biologiquement et culturellement.

Le problème est donc devenu plus vaste et plus complexe, dans la mesure où le milieu de vie se compose aujourd’hui tout à la fois du milieu naturel et du milieu culturel, avec les multiples conséquences qui en découlent. L’expres- sion (c écologie humaine N parfois employée n’est certainement pas la plus adéquate, car elle conduit à faire des activités humaines des phénomènes physio- logiques, alors qu’elles ne sont évidemment pas un simple reflet des processus biologiques. Elles sont aussi et pour une large part le résultat de l’évolution culturelle et technologique de l’homme : en tant que telles, l’homme peut s’en rendre maître et les réglementer, à la condition qu’il comprenne leur nature et leurs causes. Une approche exclusivement << physiologique )> du problème pourrait facilement conduire à l’idée erronée que l’homme est placé en présence de forces qu’il est incapable d’orienter et de maîtriser, à la merci desquelles il est donc fatalement livré et qui pourraient éventuellement mettre un terme catastrophique à son existence. Certes ce risque existe, mais il n’est pas inéluc- table. L’immense faculté d’adaptation de l’homme, qui assure la continuité de son évolution, ne s’applique évidemment pas uniquement à son milieu naturel régional, mais aussi à celui qu’il a créé lui-même. S’il en était autrement, l’homme n’aurait pu atteindre son stade actuel d’évolution, il n’aurait pu passer de son état premier d‘Homo erectmy qui découvrait les avantages du feu, la possibilité de s’abriter et la protection du groupe, à la société actuelle avec tous ses problèmes. C‘est seulement dans le cas où l’homme ne pourrait s’adap- ter aux effets divers de sa propre activité - c’est-à-dire à son milieu culturel qui joue également un rôle biologique dans son évolution actuelle - qu’il se trouverait dans la situation du brontosaure, incapable de s’adapter biologique- ment au changement de son milieu naturel. Mais nous n’en sommes pas encore là. Le fait même de discerner cette situation et d’en prendre conscience nous permet d’adopter des mesures correctives.

Conclusion 1 1 3

Appréciation de la situation

L'homme a détérioré et continue de détériorer son milieu naturel: il empoi- sonne l'atmosphère par des gaz, des fumées, des goudrons, voire par des radia- tions ; il ébranle son propre système nerveux par des bruits artificiels ; il pollue et empoisonne les eaux, potables ou utilitaires, et les rivières qu'il transforme en égouts. On a maintes fois décrit les conséquences de la pollution des lacs et des océans. I1 ne s'agit pas seulement des conséquences économiques directes, qui sont considérables, mais aussi des effets sur le psychisme et le système nerveux. La pollution de l'atmosphère, des eaux et des mers peut être maltrisée par diverses mesures techniques, par une réglementation de la production, par la législation et aussi, bien entendu, par l'éducation. Sans un effort d'éducation, aucune des mesures prises n'aurait de sens.

L'exploitation inconsidérée des sources de matières premières non renou- velables peut elle aussi être endiguée par une réglementation : il faut avant tout instaurer une économie rationnelle et freiner la course au profit ; il faut enrayer l'accumulation croissante de déchets. Ceux qui produisent ces derniers doivent participer à leur destruction ou à leur recyclage. I1 faut aussi empêcher la dis- parition incontrôlée d'expèces animales et végétales. Certes, en dépit de tous les efforts, l'équilibre naturel sera toujours soumis à des processus inconnus ou mal compris, qui constituent un grave problème permanent. Laisser libre cours à ces processus, les abandonner sans contrôle au bon vouloir d'individus ou de groupes poursuivant leurs propres intérêts, pourrait léser l'humanité tout entière. Cela ne vaut pas seulement pour l'écologie, d'autres problèmes se posent dans le milieu de vie de l'homme, plus restreint. L'urbanisation, avec l'expansion de villes de béton aux dimensions insensées, l'environnement arti- ficiel avec sa climatisation et son éclairage : est-ce un milieu approprié pour l'homme? Et la situation actuelle de notre planète, envahie de surfaces béton- nées ou asphaltées, blessée par les lacs et les barrages artificiels, par les travaux de drainage, par tant d'interventions arbitraires sur une nature où tout dépend de tout et s'équilibre mutuellement ; tout cela ne compromet-il pas un équilibre précaire ? Et encore, puisque nous avons parlé d'urbanisme, notre habitat lui- même, le mode et le cadre de vie, n'est-ce pas une question d'environnement?

Même après un ape rp aussi bref, il est clair que la situation actuelle de dété- rioration et de dévastation de l'environnement relève aussi bien des sciences naturelles que des sciences sociales. Cependant aucune des atteintes qui lui sont portées n'est inaccessible ni irrémédiable.

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Les conséquences

Toute activité humaine irréfléchie a des conséquences multiples et diverses. Ce qui nous préoccupe ici, ce sont les atteintes à la santé des hommes, atteintes qui pourraient entraîner une liquidation définitive de la race humaine. I1 faudrait énumérer ici toute la gamme de ces atteintes, depuis les troubles causés aux individus, qui sont souvent d'origine professionnelle, jusqu'à l'empoisonne- ment massif par les déchets industriels ou les retombées atomiques, en passant par la consommation croissante de médicaments. De plus, le viol des lois de la nature, la mauvaise organisation de la grande production industrielle comme de toutes nos activités affament ou appauvrissent des individus, des groupes, des populations entières. Dès lors, des questions se posent. Quel est le prix de la pollution, de la destruction du milieu naturel et du milieu de vie, d'une production irréfléchie et inconsidérée, de la guerre, mode de destruction le plus important et le plus radical du milieu de vie?

Le seul moyen efficace de lutte est l'éducation qui fait prendre aux hommes conscience de ces problèmes et leur apprend à assumer leurs responsabilités, qui permet la constitution d'une opinion publique, instrument le plus puissant et base la plus sûre d'un redressement de la situation.

1 I 4 Conclusion

Le rôle des musées

Les musées sont traditionnellement des institutions éducatives dont le rôle, compte tenu des besoins actuels de l’éducation, prend sans cesse une impor- tance accrue. Afin de pouvoir mener à bien leurs activités éducatives, les musées doivent poursuivre des programmes de recherche et de documentation, l’en- semble étant lié d‘une manière ou d‘une autre aux problèmes du milieu naturel et du milieu de vie.

Ainsi l’environnement est devenu un thème essentiel de l‘action des musées dans le monde entier. Dans le domaine des sciences humaines, c’est évidemment l’histoire contemporaine qui doit être au centre des musées d’aujourd‘hui. Mais, nous dira-t-on, des musées de ce genre sont bien rares ! En effet, il ne s’agit pas ici de musées de sciences et de techniques ou de musées d’histoire des techniques qui ne concernent qu’un aspect de l’histoire culturelle. Nous vou- lons parler de musées qui présentent les problèmes et les besoins de la société actuelle dans leur perspective historique puisqu’il s’agit d’un processus qui évolue dans le temps.

L’écologie, de même que la biologie, la physiologie, la génétique ou la socio- logie, étudie des relations et des processus : les expositions faisant appel à ces disciplines sont de nature complexe et utilisent des ensembles d‘objets appar- tenant à de nombreux domaines différents, objets qui peuvent, après la clôture de l’exposition, être replacés dans leurs collections systématiques d‘origine.

Naturellement, on peut créer des musées spécifiquement écologiques ou sociologiques, d’ampleur plus ou moins grande, consacrés aux problèmes de l’environnement. Mais ce qui importe ici est le sujet lui-même et les activités éducatives qui en découlent. Les musées, qu’ils soient situés en dehors des grandes agglomérations - relevant de la recherche écologique - ou qu’ils soient au cœur de ces agglomérations - relevant alors de la recherche socio- logique - sont en général particulièrement bien placés pour la recherche de terrain. A notre époque, en effet, une collection ne se constitue pas autrement si l’on veut qu’elle réponde aux exigences scientifiques les plus actuelles. De plus, tout critère scientifique nouveau exige une nouvelle recherche sur le ter- rain et l’acquisition de nouvelles collections.

Une documentation moderne et adéquate est la seule base pour les études écologiques et sociologiques ; pour ces deux disciplines, le terrain joue le rôle de laboratoire. Les musées, et plus particulièrement les petits musées situés sur le terrain même de la recherche, sont les mieux placés pour le rassemblement et l’exploitation de la documentation sur un sujet déterminé et limité. Dans le domaine de l’environnement, ils peuvent devenir des sortes de centres-relais de documentation, car la documentation du milieu naturel et du milieu de vie ainsi que la conservation de celui-ci font partie de leur programme de travail. En outre, grâce à leurs propres recherches et à la documentation qu’ils auront constituée, ils auront les moyens de traiter le sujet de leur choix dans le cadre de leur action éducative. Le musée moderne doit suivre constamment les muta- tions qui affectent le milieu, dans sa région ; ses collections biologiques ou sociologiques doivent illustrer, entre autres, les processus de mutation, car elles ne sont plus composées comme par le passé d‘objets uniques et isolés, mais bien d’échantillons représentatifs dont la valeur de témoignage est diffé- rente, beaucoup plus large.

Pour étudier les problèmes de l’écologie et pour promouvoir leur étude, les jardins zoologiques et botaniques, lorsqu’ils sont consus de .fason moderne, prennent une importance particulière. Ce sont des musées écologiques spécia- lisés bien qu’ils soient encore trop souvent de simples cabinets de curiosités, vestiges des temps révolus. Dans leur conception traditionnelle en effet, les collections d’organismes vivants n’étaient que rarement liées à une recherche scientifique dont le point de vue était plus large. On exposait la totalité des collections, sans distinguer entre collection de base et collection d‘étude, et la

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présentation, de même que l'activité éducative, n'était que très simplifiée, même rudimentaire, se bornant généralement à montrer l'objet sans l'accom- pagner de l'information suffisante. Cependant, les meilleurs parmi les jardins zoologiques et botaniques ont des programmes de recherches très précis, ils entreprennent l'élevage ou la culture d'organismes vivants dans des réserves ou banques de gènes permettant une étude approfondie et la conservation d'espèces particulières, voire de (( populations D entières. Ces cultures, comme la présentation moderne de spécimens représentatifs de diverses espèces, se font dans des conditions qui sont les plus proches possible du milieu orga- nique d'origine. De telles institutions sont les meilleurs auxiliaires dans la lutte pour la conservation de l'environnement et de son équilibre. Elles auront sans aucun doute à jouer un rôle scientifique éducatif et économique considérable.

Si nous comparons un jardin zoologique moderne avec un musée d'art ou d'ethnographie, et si nous prenons plus particulièrement en considération les méthodes d'acquisition des collections de base de ces institutions, il est aisé de faire ressortir clairement les principes essentiels de la muséologie moderne.

D'une manière générale, ni la recherche scientifique ni I'éducation ne sont la responsabilité exclusive du musée ; plusieurs autres institutions existantes en sont aussi chargées. La spécificité du musée réside dans le fait que toutes ses activités s'appuient sur un matériel à trois dimensions. I1 en résulte que la formation des collections, en tant que système de documentation, est la seule fonction où le musée ne fait double emploi avec aucune autre institution. C'est seulement dans le musée que la recherche est d'une manière générale liée à la création des collections, à leur classification, à leur explication ; de ces collec- tions découle naturellement toute l'activité de présentation et d'éducation.

Le chercheur, au cours de son travail, rassemble une collection d'étude. L'élaboration de cette collection est habituellement à la base d'une publication scientifique. I1 y a déjà là un certain choix parmi le matériel disponible mais, une fois que le problème scientifique posé a été résolu, on peut, à partir de la collection d'étude, choisir à nouveau un échantillon représentatif plus limité, ou les spécimens qui contiennent à eux seuls la quantité d'informations requise. Ce nouveau choix entre alors dans la collection de base. Le processus de sélec- tion décrit ici peut être appelé t( muséalisation )) et l'objet sélectionné acquiert une valeur de (( muséalité D.

I1 est évident que toute sélection, dont nous avons vu qu'elle est à l'origine de la création des collections de base, doit reposer sur des points de vue, des critères et des codes qui lui sont propres. Nous devons donc accorder une importance fondamentale à l'établissement du code selon lequel seront déter- minées la nature et la quantité des informations nécessaires en vue de la sélec- tion des objets. Cela représente l'une des parties les plus importantes de la muséologie en tant que discipline autonome et démontre que l'objet même de celle-ci est constitué par les collections et par les objets appartenant à ces collections.

Pour en revenir au sujet de I'écologie et de la sociologie, du milieu naturel et du milieu de vie, il est évident que l'on ne peut plus parler de collections spécialisées au sens des disciplines scientifiques classiques, mais qu'elles doivent plutôt représenter les relations et les processus à l'intérieur de ces disciplines et entre elles. C'est pourquoi elles e igent des codes particuliers établis unique- ment en vue de leur constitution. La clef de ces codes est constituée par les questions auxquelles les collections de base doivent être à même d'apporter une réponse.

Je souhaite que cet article contribue à éclairer les moyens par lesquels un musée moderne peut aider, par la recherche, la documentation et la présen- tation, à résoudre les problèmes de l'environnement naturel et culturel dont l'importance pour la société contemporaine est fondamentale.