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1 Conférence donnée par Csilla Kemenczei à l’occasion de l’anniversaire du 30 ème anniversaire de la Société Belge de Psychologie Analytique C.G. Jung Dans ce texte, Csilla Kemenczei explore les figures de l’anima, sous forme de Sirène, en relation avec l’évolution du féminin et de la femme, aujourd’hui et telle qu'elle se présente dans nos cabinets de consultation de psychanalystes. « La Sirène » est ici, une image guide pour visiter le monde du féminin. Csilla Kemenczei est psychanalyste, membre didacticienne de la SBPA

Conférence donnée par Csilla Kemenczei Société ... - Jung · 1 Conférence donnée par Csilla Kemenczei à l’occasion de l’anniversaire du 30ème anniversaire de la Société

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Conférence donnée par Csilla Kemenczei

à l’occasion de l’anniversaire du 30ème anniversaire de laSociété Belge de Psychologie Analytique C.G. Jung

Dans ce texte, Csilla Kemenczei explore les figures de l’anima, sous forme de Sirène, en relation avec l’évolution du féminin et de la femme, aujourd’hui et telle qu'elle se présente dans nos cabinets de consultation de psychanalystes. « La Sirène » est ici, une image guide pour visiter le monde du féminin.

Csilla Kemenczei est psychanalyste, membre didacticienne de la SBPA

Notre société a trente ans.Alors que 30 ans représentent une génération dans une vie humaine, dans l’histoire de l’humanité ce n’est qu’un minuscule épisode. Selon une vieille légende hindoue, dans une dimension cosmique, c’est la durée du temps entre deux respirations de la Grande-Tortue, dépositaire de la mémoire de l’Univers, qui remonte tous les 30 ans de la profondeur des océans à la surface de la Terre pour voir ce que le monde est devenu et sur quel chemin l’homme se trouve. Partageons cette respiration à la mesure du rythme cosmique avec la Grande-Tortue, et regardons ensemble, ce qui lui apparaît de primordial. Je l’accompagnerai ce matin dans sa visite au monde féminin.

Le tournant pris par l’évolution de la femme et du féminin me laisse perplexe. D’une part, surtout sur le plan concret, extérieur et conscient, j’acte une transformation bénéfique, libératrice suite aux tendances d’émancipation en Occident. D’autre part, je constate un mouvement clairement compensatoire, mais fort inquiétant, qui multiplie le nombre des femmes en analyse qui ont perdu leur certitude de l’instinct. Pourtant le monde instinctuel, vu sa dimension biologique, est inné, et constitue la base de connaissance ancestrale de la femme. Comme toutes les tendances de l’ombre, l’émergence de ce phénomène dans l’inconscient est autorégulatrice et tente d’équilibrer la conscience. Cependant, il comporte des dangers non négligeables, car la femme et le féminin peuvent se trouver facilement projetés dans une identification archaïque à de l’ancien matriarcat et être entraînés dans un processus de désincarnation. La reconnaissance de la nouvelle place de l’égalité se renverse rapidement et la femme risque de quitter son corps, sa sexualité et ses instincts pour repartir vers un processus d’ascension à la place d’une réalisation dans le processus d’incarnation. Sur le chemin de cette visite dans le monde du féminin, j’utiliserai une « image guide », la Sirène, personnage surnaturel des contes, des mythes et des légendes qui est une figure universelle du panthéon consacrée à la femme. L’évolution de la Sirène en tant qu’image archétypique peut nous révéler quelques éléments clefs de la nature du féminin, complétant la conférence de Marie-Claire DOLGHIN cet après-midi sur la « Quête du masculin ».

Ce premier schéma de base résume les points de repères rencontrés lors de notre ballade.

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I. Sirène dans sa première formeMatriarcat archaïque

La conscience est dans l’inconscient

II. Sirène dans sa deuxième formeDébut du christianisme où le féminin est refoulé

La conscience émerge, amis écrase l’inconscient.

III. Sirène dans sa troisième formeRetour du féminin et du sexuel sous sa forme perverse (Moyen-Age)

« Retour du refoulé » : l’inconscient perverti resurgit dans la conscience

IV. Sirène dans sa dernière forme Recherche d’un nouvel équilibre entre l’homme et la femme (contemporain)

L’inconscient et la conscience cherchent à dépasser le lien dominant-dominé.

1. Femme-Oiseau

2. Femme-Poisson

3. Femme-Serpent

4. Femme-Aux-Pieds-Humains

a) Niveau instinctuel et biologique

b) Niveau romantique et esthétique

c) niveau de la dévotion spirituelle

d) Niveau de la sagesse

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CONSCIENCE COLLECTIVE(Images archétypiques)

CONSCIENCE(Moi sexué)

INCONSCIENT COLLCETIF(Anima de l’homme)

Je propose d’approfondir trois niveaux distincts de la psyché et d’en découvrir les liens de concordance et de discordance: l'inconscient collectif, la conscience, la conscience collective.

1. L’inconscient collectif

Dans l’inconscient collectif se trouve, parmi d’autres archétypes, celui de l’Anima qui est la personnification de toutes les tendances féminines de la psyché de l’homme. Jung distingue quatre stades du développement de l’Anima que l’on voit sur le schéma et qui marquent une évolution dans le sens de l’ascension, de la spiritualisation. L’Anima possède toujours un caractère énigmatique et insaisissable qui se manifeste souvent dans le déclenchement inexplicable de grandes amours soudaines et passionnées. Ce phénomène relève de la capacité de l’Anima de reconnaître « sa propre partie non encore vécue », sorte « d’image intérieure à devenir » pour la psyché. Le but secret de l’inconscient est d’aider l’individu à développer et amener à maturation son être propre en reconnaissant et en intégrant la plus grande partie de sa personnalité inconsciente dans sa vie active et consciente. Pour expliquer tout cela beaucoup plus simplement, je vous raconte un conte d’amour extrait du recueil d’Henri Gougaud, un des plus beaux et le plus court que je connaisse.

«… C’était un homme droit, un amant véritable.Un jour, après avoir médité une pleine année dans une grotte du désert, il s’en alla frapper à la porte de sa bien-aimée. Derrière la porte close, il entendit sa voix. Elle demanda : Qui est là ?C’est moi, dit l’homme, sur le seuil. Il n’y a pas de place pour toi et moi dans la même maison, répondit la voix de sa bien-aimée, derrière la porte close.Alors cet homme droit, cet amant véritable s’en retourna au désert où une pleine année encore il médita. Quand enfin il revint frapper à la même porte, à nouveau il entendit la voix de sa bien-aimée. A nouveau elle demanda :Qui est là ? Cette fois l’homme répondit : C’est toi-même.Et la porte s’ouvrit...»

2. La conscience

3. La conscience collective

Les archétypes sont, au départ, des éléments vides et formels, une disposition innée de la psyché à réaliser, incarner ces configurations. On hérite à la naissance des

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archétypes que l’on voir se manifester tout au long de la vie au travers d'images archétypiques.L’évolution de la personnalité consiste en un combat entre les aspects positifs et négatifs des archétypes de l’inconscient collectif. De ce combat émerge la conscience collective, qui, selon Jung « est une variante extensive de l’expérience mythique. Elle symbolise l’objectivité ouverte vers le monde, une universalité du monde qui se trouve en même temps au-dessous et au-dessus de la conscience personnelle ».Aux yeux de l’humain, la figure de la Sirène révèle une dimension de l’inexplicable, de l’étonnant et de l’obscur de la nature. Elle communique des éléments du système de croyance populaire, une sorte de « contenu de la conscience collective ». Quand on regarde dans l’eau, on voit, certes, sa propre image, mais derrière celle-ci, émergent bientôt des êtres vivants : les Sirènes, les Ondines, les Nymphes, les Nixes et de nombreuses autres créatures imaginaires, qui sont par définition des « esprits de l’eau ». De l’eau provient toute chose. Qu’elle soit douce ou salée, limpide ou boueuse, courante ou stagnante, l’eau alimente les fontaines, les sources, les lacs, les mers et les océans. A l’origine de toute vie et de notre corps, l’eau est la VIE même. Rien d’étonnant donc à ce que la Sirène soit profondément liée à l’âme féminine. Jung écrit dans son livre « Psychologie et Alchimie » :

« Ces fées et sirènes sont des représentations de l’Anima Mundi, (l’Âme du Monde) en indiquant le caractère féminin de l’inconscient ».

Parler de la Sirène, c’est aussi parler de la beauté, de la séduction, de l’amour, de la prophétie, de la fécondité, de la musique et du chant. C’est parler également de l’illusion, du mensonge, de la malédiction, de la tristesse, des Ténèbres et de la Mort. Le drame de la Sirène se trouve d’une part, dans la dualité de cette combinaison entre la « sirène homicide » et la « sirène harmonieuse ». Elle est monstrueuse et merveilleuse à la fois, ce qui lui donne des identités combinées problématiques à vivre, comme « un monstre merveilleux» ou « une merveille monstrueuse ». Ainsi l’image de la Sirène apporte une nouvelle esthétique qui conjugue la difformité avec la beauté et la beauté avec la difformité. D’autre part, la tragédie de la Sirène se révèle dans sa relation contrastée avec le masculin. C’est bien connu, elle, souffre du « mal d’amour », et dans sa tristesse inconsolable, ou elle verse des larmes en abondance – qui, selon une ancienne croyance, rendent la mer salée, non consommable - ou elle se venge hystériquement et sans pitié sur tout ce qui est masculin. Combien de Sirènes viennent-elles en consultation analytique à cause de leur « mal d’amour » ? Ces patientes, ces Sirènes modernes, se présentent « dans tous leurs états », en reflétant les étapes de transformation de cet être surnaturel au cours de l’histoire humaine ; elles sont tantôt avec leurs ailes, tantôt avec leur queue de poisson ou encore dotées d’une queue de serpent. Et à quel point les marins sont-ils désemparés dans leur « mal de mer » et dans leur « mal de mère » entamant une cure analytique suite à la rencontre avec une Sirène dans sa double puissance, fascinante et effrayante à la fois ? Voilà l’actualité immanente de la figure de la Sirène !Un tableau d’une grande complexité préside déjà au mythe de la naissance de la Sirène.

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Selon la mythologie grecque, la filiation des Sirènes est incertaine du côté maternel. Souvent on les considère filles des Muses. Dans d’autres sources, les Sirènes sont les « belles-sœurs » des Muses et leur mère est Mnémosyne, la déesse de la mémoire. Du côté paternel, étonnamment, leurs origines ne font pas de doute : elles sont les filles du Dieu des Fleuves, Achéloos. Fils de l’Océan et de Téthys, Achéloos avait comme forme habituelle un corps humain pour le buste, mais portait une longue et ondulante queue de poisson à la place des jambes. Selon le récit mythique, durant son combat avec Hercule pour obtenir en mariage une jeune vierge, Deianeira (fille d’Oené, roi d’Etolie), Achéloos se transforma successivement en lion, en sanglier, en serpent, en pierre, en arbre, en feu et enfin en taureau. Rien d’étonnant, car en tant que dieu marin Protée, c’est-à-dire protéiforme, Achéloos avait le pouvoir de changer de forme et de se métamorphoser à l’infini. Au moment où il prit la forme d’un taureau, Hercule lui saisit une de ses cornes et l’arracha. C’est du sang de cette corne que naquirent les Sirènes. Plus tard, cette corne remplie de fruits et de fleurs devint la « corne d’abondance » Achéloos l’obtiendra d’Hercule en échange de la corne de la chèvre Amalthée, la chèvre nourricière de Zeus. Les Sirènes sont donc, « fruits du sang ».En écoutant les contes et en lisant les mythes, on se demande d’ailleurs, pourquoi la naissance du héros ou de l’héroïne est si souvent bouleversante, tragique et sanglante. A première vue, cette naissance est très semblable à celle d’Aphrodite, qui est née de l’écume blanche de la mer, suite à la castration d’Ouranos par son fils Cronos. Mais, dans une lecture freudienne, cette similitude risque de réduire la naissance des Sirènes au phénomène de la révolte du Fils contre le Père, situation bien connue dans la phase Œdipale de l’évolution psychique. Dans une lecture jungienne, la ressemblance entre la naissance des Sirènes et celle d’Aphrodite se prête à une interprétation selon le fonctionnement et la dynamique propres à la psyché. Concrètement, en tant que tendance d’autorégulation psychique selon la « loi de l’énantiodromie », l’archétype du Puer régénère l’archétype du Senex. Je m’explique. L’archétype du Senex correspond au principe du « vieil ordre » ou « vieux système » et il est souvent incarné dans les contes populaires par le personnage du « Vieux-Roi-Père ». Avec le temps, cet ancien système se fatigue et épuise sa force créative. Émerge alors la nécessité d’être régénéré par quelque chose de neuf, pur et non corrompu, par une manifestation de l’archétype du Puer. Au niveau des contes, ce sont le héros et l’héroïne qui incarnent l’archétype du Puer et apportent avec lui la « nouvelle ère ». Ainsi, selon le point de vue de la différentiation psychique, toutes les naissances sont symboliquement l’image d’un nouvel équilibre qui s’installe après la mort d’un ancien qui n’est plus adéquat. Mais au-delà de ses significations déjà citées, le mythe de la naissance des Sirènes ouvre sur une symbolique beaucoup plus complexe. On connaît la prédilection de Zeus et d’autres dieux grecs à se transformer en taureau, particulièrement dans leurs affaires amoureuses. Cette « habitude » n’est pas insignifiante, car elle nous replonge dans un ancien culte existant déjà à l’époque sumérienne, dans le « Culte de la Déesse-Taureau ». Selon les recherches archéologiques, l’origine de ces rites consacrés au « Culte de la Déesse-Taureau » remonte à 7-6000 ans avant notre ère.

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Souvenez-vous que, déjà dans le conte mythologique babylonien, « l’histoire de Gilgamesh », la Déesse Ishtar se transforme en Taureau Céleste pour exprimer son immense colère d’être refusée en amour. Ce taureau sera d’abord vaincu par Enkidu, figure d’Ombre de Gilgamesh, mais dans un deuxième temps cette victoire causa la mort d’Enkidu et Gilgamesh, dépourvu de son Ombre, part à la recherche de son immortalité.

Accordons un peu d’attention à ce culte de la Déesse-Mère-Taureau, figure principale d’une théogonie archaïque de l’ancien matriarcat où le soleil était féminin. Ce culte peut nous éclairer dans la compréhension de l’origine de la Sirène.

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Voici l’image reconstituée d’un autel principal du sanctuaire de la Déesse-Taureau à « Catal-Hüyük », lieu qui se trouve en Turquie actuelle. Cet autel est orné d’une triple tête de taureau, rappelant le cycle ternaire, c’est-à-dire comportant trois phases distinctes de l’évolution physique et psychique de la femme. Ternaire, mais toujours dans leur dualité. Il est intéressant d’ajouter que les Sirènes, les Fées grecques (« Parques »), les Fées romaines (« Fatas ») et les Fées nordiques (« Nornes ») apparaissent aussi au nombre de trois !

Quelles sont les étapes de ce cycle ternaire instinctuel de la femme et du féminin ? D’abord la jeune fille impubère dans sa dualité, à la fois

séduisante et intimidante, virginale et guerrière-chasseresse, angélique et féroce. (Artémis ou Jeanne d’Arc)

Puis la femme mûre et maternelle contribuant à assurer la fécondité et la fertilité. Mais aussi prostituée sacrée, car parvenue à la maturité, la Déesse-Taureau peut devenir une prédatrice

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sexuelle capable d’épuiser l’énergie vitale de son partenaire. (Ishtar, Isis, Déméter)

Dans sa troisième et dernière phase, la femme s’apprête à plonger le monde dans l’obscurité. La Déesse-Taureau devient initiatrice généreuse aux mystères du monde souterrain et de la mort tout en gardant son copieux appétit sexuel. (Hécate, Kali)

Ainsi la triple tête de taureau évoquant les trois âges symboliques de la femme appellent et désignent un processus avec passage de l’innocence à la force, puis de la force à la sagesse. Voici, pour la femme actuelle, tout un programme contenu déjà au moment de sa naissance !

Voici une autre image encore plus explicite pour révéler le lien inévitable entre le taureau et le cycle féminin au cours duquel se succèdent le saignement menstruel, l’ovulation et la grossesse.

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On peut donc concevoir, que la corne d’Achéloos-Taureau arrachée par Hercule dans le mythe de la naissance des Sirènes est un résidu symbolique d’un monde matriarcal très ancien où la Déesse-Mère-Taureau, source de toute vie, est solaire. On constate d’ailleurs que ces sanctuaires sont construits en fonction du mouvement annuel du soleil, en incluant dans le mur nord quatre ouvertures de 35 cm qui permettent d’avoir un « éclairage » particulier au moment des solstices et des équinoxes. (Lazarovivi Gh/ Das neolitiche Heiligtum von Parta. Varia Archeologica Hungarica II., p 149-174.)Depuis près de 4000 ans, nous vivons sous le joug d’une incroyable imposture : celle qui fait du soleil l’image symbolique d’une virilité créatrice masculine. Cependant, si l’on étudie les donnés archéologiques anciennes et si on les confronte avec les schémas mythologiques issus d’une mémoire collective qui n’oublie rien, on s’aperçoit que cette imposture est le résultat d’un bouleversement opéré à des dates variables selon les divers espaces géographiques. Elle est la conséquence d’un renversement de polarité où l’individu mâle a commencé à dominer la femme et à cacher l’image de celle-ci au fond de son inconscient, avec toute la charge négative que cela pouvait entraîner.

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Pourtant, les exemples sont nombreux montrant l’époque où la femme, la Déesse-Mère était solaire. Au Japon, c’est une Déesse qui préside à la course du soleil et qui finit par s’identifier à l’astre. Chez les Celtes, c’est une mystérieuse femme-soleil rayonnante, qui est le prototype d’Iseult la blonde aux cheveux d’or qui rencontrera Tristan, l’homme-lune dans un amour (apparemment) impossible. D’ailleurs, n’est-il pas significatif de constater que, dans les langues germaniques, hébraïques et celtiques actuelles, le soleil est toujours du genre féminin tandis que la lune est masculine ? On trouve dans la « Légende de Siegfried » chez les Germano-Scandinaves une métaphore très parlante de ce renversement. A l’époque celte, la Déesse-Mère-Soleil, la walkyrie Sigrdrifa, connue sous le nom de Brynhild dans les versions récentes, était présentée sous la forme d’un cygne avec des ailes rouges et dorées. Il se fait, qu’à un moment donné, elle se trouva dans son château céleste, entourée de murailles de flammes et revêtue d’une armure de la tête aux pieds. Enfermée dans une cuirasse de métal, cette femme amazone s’endormit doucement comme une « Belle au Bois Dormant » et n’aurait été réveillée que bien plus tard, dans une autre époque, par Siegfried. Une allégorie poétique parfaite pour faire le constat que le culte masculin d’Apollon a remplacé celui de la Déesse-Mère au moment où Apollon tua la serpente Pythie. La femme étant ravalée à un rang inférieur, il n’y avait plus de place pour elle dans le panthéon nouveau des divinités. Elle entre dans l’oubli et un long sommeil, toute couverte d’armure, de cuirasse de protection comme la walkyrie Sigrdrifa. Elle devient un symbole du « Soleil Noir », ou, en terme théologique : on constate « l’occultation de la Vierge ». Revenons à notre sujet, les Sirènes sans oublier que les dérivés étymologiques du mot Sirène sont « soleil », « luire », « astre ». La question soulevée dans le mythe de naissance des Sirènes est : comment réaliser la création d’une puissance archaïque féminine dans un contexte patriarcal dominant ? Encore plus précisément selon la pensée jungienne : de quelle façon l’inconscient profond, duel et féminin peut-il surgir au sein d’un conscient masculin ? Quels sont les risques de cette naissance et quels sont les chemins pour amener à l’accomplissement, à la « corne d’abondance », qui, - rappelons-le - à la fin du mythe, revient à la possession du père, Achéloos. La Sirène ailée, portant par ailleurs souvent des ailes de cygne rouges et dorées, est l’un des rares témoins d’une théogonie archaïque, dont on s’est efforcé d’oublier la signification. Mais quelle est la signification exacte de cette théogonie ? Marie-Louise von Franz explique dans son livre « L’interprétation des contes de fées » :

« …Le soleil, source de conscience dans l’inconscient, est vraiment une divinité, car il représente un facteur psychique actif, capable de créer une conscience plus grande. La lune, elle, symbolise un état de conscience moins clair, plus primitif, plus doux et plus diffus…Lorsque le soleil est du genre féminin, cela signifie que la conscience se trouve située dans l’inconscient et qu’il n’existe pas encore de conscience parvenue à maturité… »

Ce point de vue concorde avec le constat de James Hillman qui rappelle que nous avons toujours eu tendance à placer les origines de la conscience dans l’Animus, confondant de la sorte la conscience et le moi. Cependant, il peut exister une

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conscience imaginale qui s’enracine dans l’Anima, dans l’archétype de la féminité. (James Hillman: Anima, Ed. Seghers)Pierre Solié, dans son livre « La femme essentielle », arrive même à constituer une notion pour définir un logos féminin, principe dominant dans cette théogonie archaïque. Il l’appelle « logos hystéricos » par contraste au logos masculin, appelé « logos spermatikos ». Cette conception d’un « logos féminin » est très présente dans la gnose, doctrine étudiée largement par Jung. Les gnostiques ont remplacé le mot neutre grec « pneuma » (souffle) par le féminin « sophia » (sagesse). Le terme « sophia » dans la tradition gnostique, désignait nettement la composante féminine de la divinité, nommée parfois « Pistis Sophia », la Sagesse Créatrice, qui n’était au fond qu’une forme intellectualisée de l’ancienne Déesse-Mère-Solaire. C’est avec surprise qu’on découvre que le mot Sirène possède une origine étymologique commune avec le verbe signifiant « jouer du chalumeau » ou « souffler ». Chez les Celtes, la racine de « sir » dans le mot sirène, signifie « conducteur des vents » proche du « pneuma » grec.Avant d’approfondir les diverses propriétés significatives des Sirènes en rapport avec l’évolution féminine, il est indispensable de dégrossir une vague typologie. (n° 0)

Il existe quatre grands types de SIRENES selon une transformation symbolique successive qui peut correspondre aux quatre grandes étapes de l’évolution du féminin :

1. SIRENE type Femme-Oiseau (du paléolithique au VIIème siècle) 2. SIRENE type Femme-Poisson (apparition sporadique vers le IIIème siècle,

image établie définitivement à partir du VIIème siècle jusqu’à nos jours)3. SIRENE type Femme-Serpent (particulièrement au Moyen-Âge)4. SIRENE type Femme-Pieds-Humains (époque contemporaine et le temps à

venir)

Reprenant la conception gnostique du « logos féminin », on peut identifier trois caractéristiques de la Sirène qui se réfèrent à cette dimension transcendante de la femme en tant que Sagesse Créatrice :

En premier lieu, les Sirènes sont capables de prophétiser ; En deuxième lieu, elles sont des musiciennes merveilleuses ; En troisième lieu, elles sont des psychopompes.

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(n° 3a, 3b, 3c)Ces trois particularités de la Sirène se rapportent à leur forme primordiale de Femme-Oiseau, c’est-à-dire portant des ailes de cygne. Le cygne comme la Sirène, est doué de facultés prophétiques. Pour les Grecs, le cygne et, en conséquence, la Sirène type Femme-Oiseau, est un des attributs d’Aphrodite. Il est une personnification de la vertu inspiratrice et du don d’éloquence. Un texte de l’Antiquité parle ainsi :

« …Quand les cygnes chantent, les rochers et les vallées leur répondent. Plus que tous les autres oiseaux, ils méritent le nom de musiciens… »

La Sirène type Femme-Oiseau accomplit sa fonction de ravisseuse d’homme grâce à son pouvoir magique et son aptitude à l’enchantement. Une fascination irrésistible jaillit de son chant et les marins éblouis par la beauté du son, par cette harmonie universelle chantée, la suivent sans y prendre garde jusqu’à se perdre dans la profondeur de l’océan.

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Ces Sirènes qui font tourner avec leur voix les secrets du monde et qui entraînent par leurs chants doux et mortels les âmes dans l’abîme, sont des psychopompes. Elles sont des initiatrices de la Mort. Selon la version orphique de la mythologie grecque, les Sirènes ont reçu leurs ailes de Déméter après l’incident de l’enlèvement de Perséphone. Hadès l’a ramenée avec lui au fond des Enfers pour l’épouser et les Sirènes, qui étaient également considérées comme les suivantes de Perséphone, implorèrent Déméter de leur donner des ailes pour pouvoir aller chercher la fille à travers les océans et les Enfers. On voit souvent des Sirènes sculptées sur des vases funéraires. S’arrachant les cheveux et se frappant la poitrine, elles manifestent la détresse des pleureuses professionnelles qui chantaient des odes funèbres pour apaiser les âmes des défunts. Ces Sirènes funéraires apparaissaient aussi sur les sépultures de Ménandre et de Sophocle. En effet, dans de nombreuses croyances, les oiseaux transportaient les âmes des défunts sur leurs ailes pour les conduire au ciel. On disait aussi, que les âmes humaines prenaient l’apparence de créatures ailées, le temps de leur passage d’un état à l’autre. Sur certaines représentations de tombeaux et de monuments, des cygnes accompagnent des Sirènes pour confirmer ce rapport particulier avec la mort. Aristote et Platon racontent :

« …Tandis que toutes les créatures ont horreur de la mort et frémissent à l’idée de la destruction, le cygne, comme s’il avait le pressentiment d’une vie meilleure, bat des ailes et prélude, par des accents d’un charme ineffable, à son dernier soupir… Le chant du cygne à son agonie prédit les biens de la vie future et il se réjouit du jour de sa mort plus qu’il ne l’a jamais fait encore en aucune circonstance de sa vie… »

(Aristote : Histoire des animaux & Platon : Phaëton) Et dans le concret de notre travail, dans nos cabinets analytiques, comment cela se présente-t-il ? En résumé, la femme entame sa Quête avec des potentialités de « surdouée » et de « surnaturelle », si je peux me permettre l’expression. Elle est « en avance » sur le masculin. Elle a hérité d’un aspect solaire archaïque et d’un logos féminin sous forme de Sagesse Créatrice, ainsi que le pouvoir de prophétiser en plus de posséder instinctivement le secret de l’harmonie et de la mort. Quel terrible poids pour l’Ego de la femme qui risque de tomber dans une inflation catastrophique !Il faut le reconnaître : le premier risque de la Femme-Oiseau se trouve dans la désincarnation. A cause de ses ailes de Sirène, la femme de ce type n’arrive pas quitter cette élévation spirituelle. C’est fréquent de voir la Femme-Oiseau en consultation, elle plane sans savoir se poser dans une relation réelle intime et surtout charnelle. Elle se fait désirer sans être connectée avec ses propres désirs personnels. Elle vit dans une sorte de temps éternel, figée dans le monde des archétypes, sans jamais réaliser des sentiments concrets. Attention, Messieurs, elles représentent une grande cause de fascination !

A partir du VIIème siècle dans le « Liber Monstrorum » (Catalogue des Monstres) apparaît l’image de la Sirène Femme-Poisson, la Sirène dans sa deuxième forme.

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(n° 4)

En effet, dès l’origine, le christianisme entreprit une lutte sans merci contre les Sirènes, dont les cultes païens rappelaient trop ceux que les Anciens rendaient à Aphrodite. L’église chrétienne voulait, à tout prix, détruire et diaboliser les dieux de l’ancien paganisme pour assurer la domination de la nouvelle religion. Si la Sirène Femme-Oiseau a perdu ses ailes dans les premiers siècles du christianisme, c’est pour éviter son identification avec l’ange. La Sirène devient un « ange déchu », tombé dans la mer des passions et transformé en sa partie inférieure en poisson. Une chute libre, venant du ciel et le précipitant vers les profondeurs de l’océan. Dans un langage jungien, on peut déclarer que sur le plan de la conscience collective, la religion chrétienne écarte sa part d’Ombre en repoussant le paganisme et en transformant la Sirène Femme-Oiseau en Femme-Poisson. Elle a pris le risque de donner corps à ses angoisses et à ses peurs en niant la sexualité et en méprisant la féminité. Ainsi, la Sirène Femme-Poisson serait non pas l’adversaire satanique du Christ, mais sa part cachée : sa part féminine et maternelle, sexuée et féconde. Ambroise de Milan (340-397) identifie les Sirènes aux plaisirs sensuels et les roches sur lesquelles elles se dressent aux tentations de la chair. Il compare les Sirènes aux prostituées de Babylone, établissant un parallèle entre la confusion de Babel et la lascivité des passions.

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Néanmoins un paradoxe apparaît, un paradoxe qui n’a encore jamais été commenté par les théologiens chrétiens. Car en donnant un corps poisson à la Sirène on lui a conféré le symbole même du christianisme : le poisson ! Pour la femme, et pour nos analysantes, sur le plan de la conscience personnelle, c’est une opportunité inouïe de commencer leur descente du ciel vers la terre pour approcher leur incarnation dans une réalité vécue, dans leur corps même. Jung dit : « Le soi ne se manifeste que dans le conflit. » Voici une disposition parfaite, un conflit propice à l’évolution de la femme dans sa Quête : être refoulée du sein de la conscience collective est une possibilité de se réaliser dans l’existence individuelle de chacun.Mais quitter la dimension collective, n’est pas facile, car la femme est autant fascinée que fascinante. La Sirène Femme-Poisson se présente régulièrement au rendez-vous analytique « sur ses grands chevaux », soufrant le martyre d’une injustice profonde. Et les exemples de répression par le mari, d’écrasement par la société se multiplient sans cesse durant les séances. Rapidement, la Femme-Poisson devient féministe à l’extrême et émerge d’elle une rage sans pareille où elle exploite toute son énergie psychique dans les diverses vengeances possibles. A un moment donné dans la cure analytique arrive « l’inévitable » : l’analyste se positionne dans un rôle conflictuel et demande :

« A partir de ce rejet, qu’avez-vous à accomplir d’autre que vengeances et lamentations ? »

Dans les bons cas, une lente descente de la divinité féminine sur terre commence : les préoccupations ordinaires se multiplient : la vaisselle, les enfants, les rapports sexuels, etc. Dans le conte, Cendrillon ou Psyché trie ses graines. La femme s’applique à un travail en apparence profane, monotone et peu gratifiant, mais cette occupation peut compenser son inflation et maintenir la femme dans la réalité sur terre. Au fur et à mesure que la femme abdique ses pouvoirs de souveraine et se dépouille de ses parures suprêmes, elle devient ordinaire, tangible et surtout aimable. Dans le cas contraire, où cette descente, ce début d’incarnation ne peut se déclancher, la patiente part avec orgueil et insatisfaction, déçue de l’analyste qui ne lui a pas rendu ses ailes perdues de sirène.

Regardons maintenant comment les contes et les mythes décrivent cette transformation de la Sirène de type Femme-Oiseau en Femme-Poisson. Deux mythes se prêtent à cette analyse directement :

L’épisode d’Ulysse,

L’aventure d’Orphée.

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Le mythe d’Ulysse

(n° 5) Cet épisode de l’épopée a été largement exploité par les premiers chrétiens. En face de la malfaisance diabolique des Sirènes, la résistance d’Ulysse est donnée en exemple par les Pères de l’Eglise. Clément d’Alexandrie et Saint Maxime de Turin vont jusqu’à comparer la figure d’Ulysse lié à son mât à celle du Christ en croix. D’autres études, comme celle d’Hippolyte, s’intéressent plutôt aux compagnons d’Ulysse, dont les oreilles avaient été bouchées par la cire, les donnant ainsi en exemple aux fidèles pour qu’ils n’écoutent pas les paroles de la gnose, considérées comme dangereuses pour le salut des chrétiens. Rappelons-nous qu’une des origines étymologiques du mot sirène en grec signifie « chaîne et lier » et « attacher avec une corde », en souvenir probable de cet épisode mythique. D’un point de vue psychanalytique et anthropologique, le mythe révèle une autre signification. Avant tout, l’histoire d’Ulysse est une histoire d’amour. Le but de son voyage est le retour chez soi auprès de sa femme Pénélope en acquérant une véritable puissance solaire. Sur son chemin, il est confronté à plusieurs reprises à des femmes de, type Déesse-Mère solaire. La Sirène Femme-Oiseau, comme on l’a déjà largement développé, est un symbole de l’ancien matriarcat solaire qui essaye de récupérer le héros et de le faire régresser à un stade déjà dépassé. Ulysse incarne la nouvelle loi du patriarcat, mais il est encore peu sûr de lui, car il est au début de sa progression. Il ne pourrait pas affronter les Sirènes sans l’aide de Circé qui l’avertit du danger que ces Femmes-Oiseaux représentent. Dans la terminologie utilisée par Vladimir Propp pour décrire la morphologie du conte, Circé est une auxiliaire du héros, pareille au Centaure Chiron dans le mythe d’ « Orphée avec les Sirènes ». En tant qu’auxiliaire, ce personnage accomplit des fonctions diverses près du héros : il participe à la réparation du manque ou du méfait

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et il porte secours dans la difficulté. Sans auxiliaire le héros serait impuissant à surmonter les obstacles. Psychologiquement, les auxiliaires symbolisent souvent une dimension de l’inconscient que le héros a à intégrer, laquelle ne manifeste encore qu’une figure distincte, extérieure et projetée. Au fur et à mesure de l’aventure, elle sera incarnée, introjectée, acquise comme une aptitude psychique. En ce sens, l’image de Circé est très signifiante. En tant que fille d’Hélios, le Dieu-Soleil, elle est elle-même une personnification de cet ancien matriarcat. Une magicienne puissante, qui préparait des philtres et des breuvages pour transformer les être humains en animaux, notamment les compagnons d’Ulysse qui se trouvent ainsi métamorphosés en porcs. Grotesque métaphore annonciatrice de l’état « sourd et bête » qui se concrétisera plus tard, en face des Sirènes quand les oreilles des compagnons seront bouchées de cire. Mais l’effet principal de la magie de Circé sur Ulysse est tout autre : c’est d’avoir fait oublier à Ulysse le but de sa quête, oublier Ithaque, Pénélope et Télémaque et surtout oublier son être masculin, puissant et souverain. A un moment donné, suite à l’intervention d’Hermès, Circé change de stratagème, elle laisse partir le héros en lui donnant des conseils très utiles pour sa survie. Selon le mythe, dans l’étape qu’Ulysse symbolise, il n’y a pas d’autre moyen de résister à la puissance de la Déesse-Mère solaire archaïque, que de s’attacher au mât central, c’est à dire au régime Apollinien. La victoire d’Ulysse est solitaire, son appartenance au groupe est coupée, il se retrouve isolé, son équipage assourdi par la cire. Il donne une image plutôt souffrante et triste que réjouie. Il est torturé, figé et coincé à ce poteau vertical, à sa nouvelle verticalité. Il est connu que la verticalisation de l’homme (« homo erectus ») apporte la libération des mains, pourtant Ulysse se trouve avec des mains ligotées. Pour porter l’histoire à son comble, il n’entre pas vraiment en contact avec les Sirènes, il ne communique pas. Il affronte, c’est déjà çà, mais il sort de l’épisode avec justesse, grâce aux conseils de Circé et de sa propre intelligence hermético-mercurielle. Dans le concret de notre travail thérapeutique, la rencontre d’Ulysse avec les Sirènes est une image très représentative d’un problème de communication, les « dialogues de sourds », expression bien connue au sein des couples. « Dialogue de sourds » entre monsieur, « homme fraîchement solaire et plein d’audace » comme Ulysse, et madame, « femme ancienne solaire toute-puissante » en tant que Sirène.

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Quelle différence avec… Le mythe d’Orphée !

(n° 6) Souvenez-vous de l’épisode, quand sur le bord de l’Argo avec Jason et les autres Argonautes, Orphée est parti à la recherche de la Toison d’Or. Avant leur départ, les marins furent prévenus par le Centaure Chiron du danger que représentaient les Sirènes, mais la présence à bord d’Orphée leur était une garantie de protection. Chiron en tant qu’auxiliaire des héros, révèle une autre étape de maturation que Circé dans l’histoire d’Ulysse. Il est une divinité très ancienne aux formes mi-animales, mi-humaines, fils du Dieu Cronos, premier symbole du patriarcat grec. Le Centaure Chiron, bien qu’affligé lui-même d’une blessure inguérissable aux genoux, initiait à la fabrication des remèdes pour guérir les blessures et les maladies. En langage jungien, il peut être considéré comme une préfiguration de l’archétype du « guérisseur blessé » en rapport avec le Soi et en théologie avec la figure du Christ dans sa double nature : souffrante et rédemptrice.Pendant le voyage du retour, après avoir acquis la « Toison d’Or », symbole solaire et perfection alchimique indiscutable, les Argonautes aperçurent les Sirènes près de l’île d’Anthemossa, assises sur les rochers, tentant par leurs chants de séduire les Argonautes et de faire s’échouer leur navire. Mais Orphée sortit aussitôt sa lyre que lui avait offerte Hermès et se mit à chanter.Le mythe raconte :

« Tout comme les animaux féroces se couchaient à ses pieds et les arbres se penchaient pour mieux l’entendre, le chant des Sirènes a été recouvert par la musique d’Orphée et les Sirènes n’eurent plus qu’à se taire ! »

Dans cette aventure, Orphée personnifie la nouvelle loi paternelle et chrétienne à la fois, dans sa force. Il n’est pas ligoté au mât comme Ulysse, c’est de ses mains libres qu’il joue de la lyre. L’intelligence hermético-mercurielle d’Ulysse se concrétise et se matérialise dans la lyre, reçue d’ailleurs d’Hermès. Il ne subit pas la rencontre avec les Sirènes, avec ces Déesses-Mères solaires, il n’est pas sur la défensive. Orphée est

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actif et créateur, il chante et communique ainsi avec les Sirènes. Il n’est pas seul non plus, comme Ulysse l’était, et ses compagnons, les Argonautes écoutent.L’homme prend le rôle du Soleil et la femme devient lunaire et vaincue ; le christianisme recouvre le paganisme comme la lyre d’Orphée a recouvert le chant des Sirènes. Rien d’étonnant de se rappeler que l’une des premières représentations imagées du Christ, remontant au IIIème siècle, le montre en compagnie d’Orphée. Dans la logique de Marie-Louise von Franz, lorsque le soleil devient du genre masculin, cela signifie que la conscience ne se situe plus dans l’inconscient, elle en est sortie, elle s’est différentiée et est parvenue à la maturité d’être autonome. Que devient la Sirène après cette défaite solennelle ? Elle reçoit deux objets spécifiques qui accompagnent continuellement la Sirène type Femme-Poisson dans l’imagerie populaire : le peigne d’or et le miroir.

(n° 7)

Comme on l’a déjà évoqué, la Sirène était identifiée par les chrétiens au culte païen d’Aphrodite, la déesse grecque de l’amour et de la beauté. Le miroir a été attribué à la Sirène, suite à son assimilation à la planète Vénus/Aphrodite, représentée souvent avec un miroir dans la tradition astrologique. Ce miroir, considéré plus tard comme un signe de vanité, est resté l’un des symboles classiques de la Femme-Poisson. Mais le miroir indique aussi une dimension narcissique de la Sirène, une sorte de renfermement où elle ne s’occupe que d’elle-même. Une image certainement connue de notre enfance, le miroir de la marâtre de Blanche-Neige, est un excellent exemple de cet enfermement dans un monde illusoire. La méchante belle-mère se trouve pétrifiée dans son narcissisme obsessionnel, sans aucun partenaire autre que son image dans le miroir. Ce narcissisme primaire empêche la maturation en matière d’Œdipe et la question se pose : « A quel âge va-t-elle commencer à ne plus souffrir d’être surpassée en beauté par une autre femme ? »Un phénomène courant en analyse avec la Femme-Poisson : elle se trouve enfermée dans un monde peuplé uniquement de Sirènes Femme-Poisson. Tout se joue entre Sirènes, uniquement entre semblables, une sorte de fausse fraternité entre « sœurs d’âmes asexuées ». Dans la réalité, c’est souvent un état de fusion narcissique qui empêche toute ouverture sur le monde et surtout sur le monde masculin. Un état

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d’« auto-conservation » comme Erich Neumann le définit, où règne une stérilité profonde. L’autre caractéristique permanente ajoutée à la figure de la Sirène est une chevelure abondante qu’elle coiffe, démêle et lisse sans cesse avec son peigne d’or. Cette chevelure riche symbolise son grand potentiel amoureux. Capacité qui reste malheureusement non exploitée, car la Femme-Poisson demeure encore célibataire puisqu’elle est incapable de créer un lien intime avec un différent, avec un homme. En face de l’homme, la Femme-Poisson adopte une attitude de « fierté blessée », d’incomprise dans sa différence et elle se renferme dans une vanité orgueilleuse. Son peigne d’or est, symboliquement, une représentation du sexe féminin. Dans les contes populaires du type « Baba Yaga », le peigne apparaît fréquemment comme un « objet magique » (classification selon Vladimir Propp) qui permet à l’héroïne de se sauver devant son agresseur. Elle le jette derrière son dos et le peigne se transforme aussitôt en une forêt impénétrable, une sorte de « forêt vierge » ou de « forêt du pubis », qui fait obstacle à l’ennemi. Toujours dans le conte de Blanche-Neige, on se souvient : la marâtre essaye de se débarrasser de la jeune fille avec l’aide d’un peigne empoisonné. Les termes « kteis » en grec, « pecten » en latin et « pettignone » en italien désignent à la fois le peigne et le pubis.

Avant de passer à l’étude symbolique de la troisième forme de Sirène, qui est la Femme-Serpent, je vous propose de faire un petit détour par les figures alchimiques en rapport avec la Sirène mercurielle.

(n° 8)L’alchimie est à la fois une science et un art des métamorphoses basé sur une pratique ancienne pour réaliser la « pierre philosophale ». Selon Jung, l’alchimie décrit le processus d’individuation où les symboles alchimiques sont des archétypes qui appartiennent à l’inconscient collectif de l’humanité. Du point de vue psychanalytique, il n’y a pas de doctrine alchimique

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proprement dite, mais uniquement une réalisation intime et subjective. La transmutation s’opère dans la matière de l’œuvre, mais aussi dans l’être créateur et ainsi l’artiste et son Grand Œuvre ne font qu’un et chaque analyse est une « œuvre nouvelle ». L’alchimie comme savoir hermétique, divise tous les êtres en trois principes : le sel, le soufre et le mercure.

(n° 9) Sur la planche trois du « Mutus Liber » (Livre Muet), iconographie d’Altus datant de 1677, on voit une Sirène nageant sur l’onde noire. Fulcanelli dans « Les demeures philosophales » écrit à propos de cette planche :

« La Sirène, monstre fabuleux et symbole hermétique, sert à caractériser l’union du souffre naissant, qui est notre poisson, et du Mercure commun, appelé Vierge, dans le Mercure Philosophique, appelé sel de sagesse. »

Et voici la description de la planche :

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« Trois champs concentriques sur l’immensité bouillonnante des ondes entre le Soleil et la Lune. Tout en haut le puissant Jupiter est installé sur son aigle dont la tête ressemble à celle du Phénix. Il représente la Fixation du Volatil et la Volatilisation du Fixe, en faisant allusion au principe de « Solva et Coagula », une loi primordiale de toute transformation alchimique. 1.Au centre de la roue, Neptune (en tant que « Premier Dissolvant ») pointe son trident de fer vers la Terre des Sages, qui est le Sujet à dissoudre. Sur la Terre des Sages reposent les Principes opposés, l’homme et la femme, mâle et femelle, qui symbolisent également les alchimistes en plein travail. La Dissolution est toujours suivie par la Coagulation et c’est pourquoi Neptune tient avec son autre main le fil en le reliant à sa conjointe mercurielle qui pêche le Dauphin, symbole du premier Principe pur de Fixité.2.Installée au-dessus de la péripétie centrale, une charmante créature, solitaire et élégante tient un bouquet présenté dans un pot. Ces fleurs sont de teintes variées et s’offrent au nombre de six. Elles signalent les planètes, en même temps que les métaux dont cinq seulement sont susceptibles de perfection. 3.L’union du Dauphin avec sa Mère mercurielle est symbolisée par la Sirène, qui nage avec grâce sur l’onde noire. En haut, occupant l’espace compris entre le cercle extérieur et le second se trouve Junon, épouse de Jupiter, reconnaissable à son voile nuptial. Elle désigne de l’index, le vol de dix oiseaux qui correspondent aux dix Sublimations. Auprès de l’épouse de Jupiter, un paon – souvent son attribut - montre les merveilleuses couleurs de sa queue en faisant la correspondance avec la phase de l’œuvre appelée « Queue-du-Paon ».

En alchimie, le métal cité ne correspond pas directement au métal que nous connaissons, ainsi nous sommes incapables de dire exactement quelles réalités chimiques représentent le « Soufre naissant », le « Mercure commun » et le « Mercure Philosophique » qui caractérisent la Sirène alchimique. On attribue le mot soufre à des matières très différentes et parfois même opposées. Le soufre des alchimistes n’est pas le soufre dont on fait les allumettes. On doit entendre par le nom « soufre » leur pierre chauffée au blanc ou au rouge. Le soufre est le ferment des alchimistes, le Principe Actif de l’œuvre (yang), contrairement au mercure, qui est le Principe Passif (yin). Le corps poisson de la Sirène, symbolisant la frontière entre le poisson et l’humain, peut être le phénomène des bulles qui adviennent lors d’une des étapes du soufre chauffé, lorsque la pierre est au blanc ou au rouge. Nous arrivons donc au constat que le « Soufre naissant » est le corps poisson de la Sirène dans un univers, mer et air, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une matière chimique dans son contexte : la mer, le sel de sagesse. En suivant l’analogie, le « Mercure commun », la Vierge serait le haut du corps de la Sirène et particulièrement son visage angélique. Le mercure que nous connaissons est ce métal à moitié liquide, à moitié solide, à moitié Vierge et à moitié Sirène. Il est appelé en alchimie le mercure vulgaire ou « Mercure commun ». En langue imagée, le mercure vulgaire est la « Vierge-Sirène ».

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L’alchimie tente de séparer dans le mercure, le métal proprement dit, « Fixe », de ses composants « Fluides », ou, autrement dit, tente de séparer la Vierge de la Sirène. La découverte de cette terre fluidifiante du mercure séparée de sa terre métallique est le cœur du travail hermétique et c’est là que réside la différence entre le « Mercure commun » et le « Mercure philosophique ».

(n°10)

Ce tableau d’Adeline Bulteau résume nos recherches. Le « Soufre naissant » s’unit avec le « Mercure commun » dans le « Mercure philosophique », appelé « Sel de sagesse ». Le résultat symbolique de cette union est la Sirène, mais pour les alchimistes, elle est l’état de matière en cours de transmutation.Le « Mercure philosophique » n’est qu’une terre mercurielle fluidifiante : il est la mer de notre Sirène, il est le lieu de son corps qui se limite à l’horizon ; ce milieu est son trait d’union. Le Kalevala, ce grand poème épique de la Finlande, malheureusement peu connu, est l’un des textes les plus riches dans les symboles alchimiques. Dans le livre de Renée Paule Guillot sur « Le sens magique et alchimique du Kalevala » (Ed. Dervy-Livres, 1970.), l’auteur écrit sur la Sirène, sur cette Vierge double reliée :

« …Dans les plaines unies du ciel, elle descend, la Vierge, sur les flots. Dès lors elle devient Mère, phénomène cosmogonique fort connu des Mayas et des Égyptiens, qui l’ont traduit par une si simple équation : Eau + Air = O + R = Vierge-Épouse ou encore Vierge-Mère. Le vent fait féconder son sein, la vague la rendit enceinte… »

Eugène Canseliet parle aussi de cette Vierge, cette Sirène noire, enceinte et alchimique.

Mais, comme on l’a dit tout à l’heure, pour les alchimistes, la Sirène est éphémère ; elle n’est qu’un état de la matière en cours de transmutation. En effet, la figure de la Sirène dans le processus alchimique est intimement liée au troisième passage, à la « citrinitas », appelé aussi « xanthosis » ou passage au jaune.

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Pour bien saisir la complexité de cette question, je vous propose de regarder une image de la Sirène très particulière datant de 1520.

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Elle porte à la fois une queue de poisson qui se termine par une patte de poule et une aile de chauve-souris.

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(n° 12)

Comparons cela avec la 17ème planche du « Rosarium Philosophorum » (1550.) La ressemblance est frappante ! Or, cette planche du Rosarium représente la Troisième naissance, la renaissance au jaune, appelé aussi « citrinitas ». Parmi les emblèmes, le plus fréquent pour symboliser la « citrinitas » c’est la « Queue-du-Paon » qu’on a déjà repérée sur la IIIème planche de la « Mutus Liber ». Ajoutons encore, qu’environ au XVème ou au XVIème siècle, la « citrinitas » disparut peu à peu de la littérature alchimique en transformant l’alchimie qui était au départ un système quaternaire (en comportant quatre phases distinctives) en un système trinitaire, ne comportant que trois phases. Cet oubli significatif révèle un passage crucial dans l’évolution de l’alchimie ainsi que dans l’évolution de la Sirène. Un changement spécifique se produit, mais cette fois-ci encore, c’est pour le pire ; la troisième forme de Sirène, celle du type Femme-Serpent prend le relais, particulièrement dans la période du Moyen-Âge. Si on veut connaître quelques caractéristiques de la Sirène Femme-Serpent, il suffit de plonger dans la description de la « citrinitas ». Cette phase est définie par un « travail du temps », par un « vieillissement » de la matière. Les principaux actes chimiques de cette phase sont : la corruption, la fermentation et la putréfaction. Les alchimistes expliquent avec une simplicité interpellante :

« C’est par ce qui pourrit que se produit le changement essentiel. C’est quand le soufre précipite la nature vers sa corruption et que les choses ont une mauvaise odeur, qu’elles jaunissent en se décomposant, que quelque chose d’important est en train de se produire. »

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La psychanalyse explique autrement : Une fois la Femme-Oiseau arrivée sur terre, ou plutôt sous l’eau, et devenue une Femme-Poisson, on l’installe enfin paisiblement dans une relation analytique marquée par un travail profond et symbolique. Et soudainement un nouveau phénomène apparaît : la patiente apporte des rêves en grande quantité avec des images de décomposition de matières organiques ou de pourriture, et tout « commence à se sentir mal et mauvais ». Après quelques années d’analyse, à la place des séances douillettes, les anciennes blessures se réinfectent et ressurgissent dans la conscience comme une sorte de « retour du refoulé ». C’est un moment difficile où la cure semble immobilisée. L’analyse est au point mort. Tout est ressenti comme « infect », même l’analyse. La vie entière devient fétide et, un beau jour, la patiente déclare être comme un serpent répugnant. En terme plus psychanalytique, ce dont nous parlons, c’est un changement psychique qui se présente comme « quelque chose qui se dérègle », qui se corrompt, qui se pervertit.

En ce qui concerne la perversion de la Sirène type Femme-Serpent, le Dr Michel Cautaerts nous en parlera en détail dans la seconde partie de cet exposé. De mon côté, je souhaite simplement définir la place de la Sirène type Femme-Serpent dans l’évolution du féminin.

Cette gravure (N°13)du Moyen-Âge vient d’une illustration du « Conte de Mélusine », légende locale de Poitiers qui raconte le mariage d’un homme avec une femme surnaturelle.

Mélusine est l’épouse de Raimondin, à qui elle impose un interdit : ne pas venir la voir le samedi, le jour de sabbat. En échange Mélusine promet de le rendre riche et puissant. Cette interdiction touche à une malédiction qui lui est infligée par sa mère, car Mélusine et ses sœurs ont déshonoré leur père :

« …Tous les samedis, tu seras serpent du nombril au bas du corps. Mais si tu trouves un homme qui veuille bien te prendre pour épouse et promette de ne jamais te voir le samedi … tu suivras le cours normal de la vie comme une femme normale...»

Cette queue de serpent est le phallus de son père qu’elle a coupé, mais qui demeure en elle

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comme matérialisation de son acte, comme (n°13) une culpabilisation.

Il est vrai que la Femme-Serpent est monstrueuse, mais dans la perspective médiévale, les Monstres font partie intégrante de la création. Ils comptent parmi la foisonnante population de l’Univers grâce à leurs fonctions :

Leur fonction initiatique selon l’anthropologie, car le Monstre permet aux héros de faire leurs preuves et participe ainsi au rite d’agrégation.

Leur fonction psychologique qui se base sur le « double mécanisme de la projection », selon laquelle le Monstre est obscur pas pour cacher, mais pour révéler. Créer l’image du Monstre est une manière de voir à la fois ce qu’on ne voit pas ordinairement et ce qu’on voudrait voir.

Dans la figure de la Femme-Serpent, angoisse et désir, Éros et Thanatos se conjuguent. Mircea Eliade en observant le lien symbolique entre la castration, la dévoration et la nourriture dans la mythologie, déclare une « solidarité mystique entre nourriture, sang et sexualité ». En psychanalyse avec nos patientes, nous pouvons constater que malgré la corruption et la perversion, la Sirène Femme-Serpent apporte un changement radical dans la vie d’une femme : elle devient une vraie épouse. La Sirène a interrompu enfin sa course solitaire et sort de son isolement de célibataire, si présent dans les stades précédents. Elle entre enfin en relation concrète avec le masculin. Elle dialogue réellement et elle devient féconde, comme Mélusine. Elle impose et accepte des pactes avec l’homme, tantôt avec succès, tantôt avec échec. Sa victoire ou sa défaite définitive – comme dans la légende – est profondément liée à la trahison publique, ce qui met l’accent sur le secret partagé mais gardé en intimité. Dans la vie de la Femme-Serpent, la relation de couple est existante, mais l’intimité, la dimension intime de la relation n’est pas encore suffisamment différenciée ni intégrée.

Il nous reste à parler encore de la quatrième et dernière forme de Sirène, qui est le type Femme-Aux-Pieds-Humains. Cette forme est réellement contemporaine, autant que la problématique soulevée par cette figure est actuelle. Une tentative est superbement décrite par Andersen dans son conte bien connu de « La petite Sirène ». Cette histoire raconte le désir d’une jeune Sirène pubère de devenir humaine et mortelle pour réaliser son amour avec un jeune prince inconnu, qu’elle a sauvé lors d’un naufrage. Après une visite chez la Sorcière de la Mer, symbole de l’Anima négative dans le rôle d’initiatrice, elle reçoit la possibilité de devenir humaine, mais en échange de lourds sacrifices :

1. Avant tout, elle ne pourra jamais redevenir Sirène, c’est-à-dire qu’elle devra perdre son immortalité, ne jamais redescendre auprès de ses sœurs et de son père.

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2. Ensuite, elle doit donner sa voix à la Sorcière de la Mer qui coupe sa langue pour la rendre muette.

3. Et enfin, elle endurera une souffrance à chaque pas de danse, comme si elle marchait sur un couteau effilé qui fait couler son sang.

Symboliquement, quelles sont ces exigences pour que la femme s’incarne ? En premier lieu, une séparation définitive avec sa famille, ses origines biologiques et « ses sœurs d’âmes » est impérative pour être disponible, pour créer une nouvelle famille. Devenir mortel, c’est, quitter le monde fascinant des archétypes, quitter l’image de la toute-puissance collective, réaliser dans l’actuel et dans l’individuel son destin personnel. . Dans un langage psychanalytique : l’homme épouse la totalité qui est, par définition, infinie. Cette totalité révèle à travers l’homme tel ou tel de ses aspects. C’est ce qui donne à chacun la possibilité de réaliser sa place, sa nature spécifique et sa destinée. Ainsi l’individuation est la capacité donnée à chacun de traduire l’aspect du « TOUT » qu’il est dans sa vocation de révéler, une idée divine qu’il est seul à pouvoir réaliser. C’est là le « nom nouveau » dont parle l’Apocalypse II, 17 :

«…Au vainqueur je donnerai un caillou blanc sur lequel est écrit un nom nouveau que personne ne connaît si ce n’est celui qui le reçoit ».

En deuxième lieu, un renoncement de la capacité de parler et de chanter est exigé. Une épreuve difficile pour la femme : aimer simplement et se taire. Il est temps d’apprendre la profondeur d’un amour silencieux et l’intimité du couple au-delà des mots, comme l’amour qui unissait Merlin et Viviane. Et tout cela malgré la tendance de notre époque qui sollicite de communiquer, de s’exprimer. En dernier lieu, il s’agit d’accepter que la douleur fasse partie de la vie à titre égal que le bonheur, accepter de grandir avec cette dualité innée de l’âme humaine. Le corps de la Sirène est divisé en deux horizontalement et c’est au moment de sa transformation en humain qu’elle obtient la plus haute forme possible de son unité et de son unicité. Paradoxalement, à l’instant même de cet accomplissement final, elle acquiert aussi la conscience douloureuse de l’inévitable dualité de son être : elle sera divisée en deux verticalement par ses deux jambes. La coupure de haut-bas se transforme en coupure de gauche-droite. L’histoire précise que la réalisation ne veut pas dire « perdre sa dualité », mais plutôt « la rendre verticale ». Les mots du conte sont très explicites concernant cette douleur :

« Je vais te préparer un breuvage que tu boiras – dit la Sorcière de la Mer. Alors ta queue se divisera en deux et se rétrécira jusqu’à devenir ce que les hommes appellent deux jolies jambes, mais cela fait mal, tu souffriras comme si la lame d’une épée te traversait. »

Souvent, les gens prêtent plus d’attention à la fin du conte, qu’à l’histoire elle-même. Fréquemment on juge que ce conte d’Andersen est triste, malheureux, qu’il évoque l’échec de l’amour inconditionnel et transmet le désespoir et la désolation de mourir incompris. Malheureusement, on n’a pas la possibilité de développer la complexité de la question du sacrifice. Je ne peux que vous renvoyer aux écrits de Pierre Solié, notamment son livre intitulé « Le sacrifice ».

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Néanmoins, on peut évoquer que le sacrifice n’est pas un châtiment issu d’une vengeance, ni une fatalité ou une privation maléfique, mais « un acte qui rend sacré ». Le conte de « La petite Sirène » déclare, malgré son échec apparent, que l’ultime but de la femme, sa réalisation la plus profonde et la plus sacrée est d’être incarnée et de récupérer ce que Marie-Louise von Franz nomme la « certitude de l’instinct ».

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I. Sirène dans sa première forme matriarcat archaïque – Déesse-Mèrela conscience est dans l’inconscient

II. Sirène dans sa deuxième forme début du christianisme où le féminin est refoulé.la conscience émerge, mais écrase l’inconscient

III. Sirène dans sa troisième formeretour du féminin et le sexuel sous sa forme

perverse (Moyen-Âge) « retour du refoulé » : l’inconscient perverti

resurgit dans la conscience

IV. Sirène dans sa dernière formerecherche d’un nouvel équilibre entre

l’homme et la femme (contemporains) l’inconscient et la conscience cherchent à dépasser le lien dominante-dominé

1. Femme-Oiseau

2. Femme-PoissonCONSCIENCE (Moi sexué) 3. Femme-Serpent

4. Femme-Aux-Pieds-Humains

a) Niveau purement instinctuel et biologique

INCONSCIENT COLLECTIF(Anima de l’homme) b) Niveau romantique et esthétique

c) Niveau de la dévotion spirituelle

d) Niveau de la sagesse

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CONSCIENCE COLLECTVE(Images archétypiques)