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Commission océanographique intergouvernementale Série technique 28 Conférences à la mémoire d’Anton Bruun, 1982 Prononcées à la douzième session de l’Assembléede la COI, Unesco, Paris,le 10 novembre 1982 L’océanologie de l’an 2000 Unesco 1984

Conférences à la mémoire d’Anton Bruun, 1982unesdoc.unesco.org/images/0013/001351/135184fo.pdf · 2014-10-04 · pendant les deux années précédentes dans les ... la Commission

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Commission océanographique intergouvernementale Série technique 28

Conférences à la mémoire d’Anton Bruun, 1982 Prononcées à la douzième session de l’Assemblée de la COI, Unesco, Paris, le 10 novembre 1982

L’océanologie de l’an 2000

Unesco 1984

Les opinions exprimées dans la présente publication n’engagent que les auteurs et, ne sont pas nécessairement celles de l’Unesco ou de la Commission océanographique intergouver- ne men ta le.

Les désignations employées et la présenta- tion adoptée ne saurait être interprétées comme l’expression d’une prise de position des Secréta- riats de l’Unesco et de la COI sur le statut légal ou le régime d’un pays ou d’un territoire quelcon- que, non plus que sur le tracé de ses frontières.

Aux fins bibliographiques, le présent document devrait être cité c o m m e suit C.O.I. Conférences à la mémoire d’Antun Bruun 1982 L’océanologie de l’an 2000, Série technique de la COI, n’28, Unesco, 1984.

ISBN 92-3-202307-5

Edition anglaise 92-3-102307-1 Edition espagnole 92-3-302307-9 Edition russe 92-3-402307-2 Edition arabe 92-3-602307-X

Publié en 1985 par l’Organisation des Nations Unies, pour l’éducation, la science et la culture 7, place de Fontenoy, 75700 Paris, France

Composé par la Société Germinal, Paris Imprimé dans les ateliers de l’Unesco

O Unesco 1985 Imprimé en France

Avant-propos

Cette série de conférences, prononcées ’à la dou- zième session de l’Assemblée de la Commission océanograhique intergouvernementale, est dédiée ci la mémoire d’Anton Frederick Bruun, éminent océanographe danois et premier président de la Commission. Les “Conférences à la mémoire d’Anton Bruun” sont organisées en application de la résolution VI-19 de la COI, par laquelle la Commission a proposé que des conférenciers résument les événements importants survenus pendant les deux années précédentes dans les domaines suivants : études concernant la lithos- phère ; océanographie physique et chimique et météorologie ; biologie marine. La commission a en outre prié l’Unesco de prendre les dispositions voulues pour que ces conférences soient publiées, et i l a été décidé par la suite de les faire paraître dans la “Série technique” des publications de la COI. Anton Bruun, né le 14 décembre 1901, était le fils

aîné d’un cultivateur mais, victime dans son enfance d’une grave attaque de poliomyélite, i l renonça à l’agriculture pour s’orienter vers une car- riè re u ni versi t ai re. Lorsqu’il passa son doctorat de zoologie, en

1926, Bruun travaillait déjà depuis plusieurs années pour l’Institut danois de recherches halieu- tiques. I I put ainsi participer à des croisières dans l’Atlantique Nord, au cours desquelles i l apprit beaucoup au contact d’éminents hommes de science comme Johannes Schmidt, C.G. Johannes Petersen et Thomas Mortensen. Plus importante encore pour sa future carrière

fut sa participation à l’Expédition Dana, qui lui per- mit de faire le tour du monde en 1928-1930 et

d’approfondir ses connaissances sur la vie ani- male dans les mers, l’océanographie générale et les techniques de la recherche marine. Au cours des années suivantes, Bruun consacra

la plus grande partie de son temps à étudier les animaux des riches collections Dana et à publier son traité sur les poissons volants de l’Atlantique. En 1938, i l fut nommé conservateur d u musée zoo- logique de l’Université de Copenhague, où i l donna également par la suite des cours d’océanologie. A partir de 1945-1946, i l fut le chef de I’expédi-

tion Atlantide qui explora le plateau continental de l’Afrique de l’Ouest. I I dirigea ensuite de façon magistrale l’expédition Gaiathea (1950-1952) essentiellement consacrée à la faune benthique au-delà de 3.000 m de profondeur, et i l entreprit la première exploration des grandes fosses abyssa- les, où i l découvrit une faune spéciale à laquelle i l donna le nom de faune “hadale”. Bruun consacra les dix dernières années de sa

vie à l’océanographie internationale. I I participa activement à la création d’organismes tels que le Comité scientifique de la recherche océanique (SCOR), le Comité consu Hat i f internat ional des sciences de la mer (IACOMS), l’Association inter- nationale d’océanographie biologique (AIOB) et la Commission océanographique intergouvernemen- tale (COI), dont i l devint le premier président en 1961. Sa mort prématurée, quelques mois plus tard, le

13 décembre 1961, mit fin à de multiples espoirs et aspirations, mais son souvenir ne s’effacera pas, en raison de l’influence vivifiante qu’il a eu sur ses collègues océanographes et de sa contribution à la connaissance scientifique de la mer qu’il aimait tant.

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Sommaire

Déclaration I i mi naire

Le fond et le sous-sol des océans

Océanographie physique : la prévision climatique et marine

Dr. Neil J. Campbell, Premier Vice-président ................................... 5

Dr.MaikTalwani .......................................................... 7

Dr.KlausHasselmann ..................................................... 13

Passé et avenir de la chimie de l’océan

L’océanographie biologique et le rapport FORE

Dr.DavidDyrssen ......................................................... 25

Dr.MartinV.Ange1 ......................................................... 35

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Déclaration liminaire M. Neil J. Campbell, Premier Vice-Président

Mesdames, Messieurs,

J’ai l’honneur de vous souhaiter la bienvenue aux conférences qui seront prononcées à la mémoire d’Anton Bruun à l’occasion de la douzième ses- sion de l’Assemblée de la Commission océanogra- phique intergouvernementale.

Les quatre conférences que vous entendrez aujourd’hui sont un hommage à l’océanographe danois Anton Bruun, l’un des pères fondateurs de la Commission dont i l fut le premier président en 1961. Après sa mort prématurée, au cours de la première année de son mandat, i l a été décidé d’honorer sa mémoire en lui dédiant ces conféren- ces, qui ont lieu à chaque session de l’Assemblée.

Les exposés qui nous seront présentés aujourd’hui porteront sur des travaux entrepris à l’initiative du Comité d’examen des programmes scientifiques. Le Conseil exécutif de la COI a demandé aux organes consultatifs de la Commis- sion de faire une étude sur “les principales tendan- ces à prévoir jusqu’en l’an 2000 dans le domaine de la recherche océanique”. Le Comité scientifi- que de la recherche océanique (SCOR) a joué un rôle déterminant dans l’organisation de cette entreprise connue sous le nom de Recherche océanique future (FORE), en coopération avec les secrétariats de la COI et de l’Unesco, avec le Comité consultatif de la recherche sur les ressour- ces de la mer (CCRRM) de l’organisation pour l’ali- mentation et l’agriculture et avec le Comité de la technologie marine pour les ressources océani- ques (ECOR). Ce projet est un prolongement de l’étude de 1969 intitulée “Recherche océanique mondiale”, généralement connue sous le nom de rapport de Ponza. Ce rapport a été par la suite uti- lisé par la COI pour l’élaboration de son Pro- gramme élargi et à long terme d’exploration et de recherche océaniques. Sur l’invitation du SCOR, Eugen Seibold a

accepté de présider cette étude et Warren Wooster de remplir les fonctions de rapporteur.

I I a été décidé que les grandes questions de la recherche Océanique seraient envisagées dans le cadre des quatre disciplines fondamentales - physique, chimie, biologie et géologieigéophy- sique - et que les aspects interdisciplinaires et les principales applications (climat, pollution,

pêche et ressources non vivantes) seraient étudiés selon les besoins. Un responsable a été choisi, avec trois collaborateurs, pour rédiger un docu- ment d’information dans chaque discipline.

Les quatres orateurs que nous entendrons aujourd’hui sont les principaux auteurs d u rapport FORE, qui se succéderont à la tribune dans l’ordre suivant : M. Manik Talwani, géologielgéophysique, M. Klaus Hasselmann, océanographie physique

M. David Dyrssen, océanographie chimique, M. Martin Angel, océanographie biologique et écoloaie marine. Nous sommes heureux qu’ils soient parmi nous

et j’aimerais leur souhaiter la bienvenue à la dou- zième session de notre Assemblée.

Le premier de nos invités qui prendra la parole est donc M. Manik Talwani. M. Talwani a obtenu une maîtrise de physique à

l’université de Delhi (Inde) en 1953 et un doctorat de géophysique à la Columbia University en 1959. I I a enseigné à la Columbia University de 1965 à 1982 et a dirigé l’observatoire géologique Lamont- Doherty de cette université de 1972 à 1981. I I est actuellement directement d u Center for Marine Crustal Studies de Gulf Research, Pittsburgh, Pennsylvann ie.

I I poursuit notamment des recherches sur l’application des méthodes gravimétriques, magnétiques et sismiques aux structures littora- les et sur l’évolution du relief sous-marin, en parti- culier la dorsale médio-océanique et les marges continentales.

I I a reçu de nombreuses distinctions, au nombre desquelles la médaille de Krishna qui lui a été décernée en 1965 par l’Union géophysique indienne, puis les prix Macelwane et Maurice Ewing de I’American Geophysical Union, qui lui ont été respectivement accordés en 1967 et en 1981. En 1972, la NASA lui a attribué son prix récom-

pensant des travaux scientifiques exceptionnels et, en 1981, i l a été nommé docteur honoris causa de l’université d’Oslo.

et climat,

Mesdames, Messieurs, M. Talwani ...

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Le fond et le sous=sol des océans Malik Talwani

Center for Marine Crustal Studies, Gulf Research and Development Company, 1 1 111 S. Wilcrest, Room N1020 Houston, Texas 77099, Etats-Unis

Résumé

La recherche en géologie et en géophysique marines (exploration du fond et du sous-sol des océans) va être exaltante dans les prochaines décennies. I I se pose des problèmes scientifiques passionnants qui ne manqueront pas d’inspirer les plus grands esprits scientifiques et de susciter des recherches dont l’intérêt pratique devrait assurer le financement. Ces domaines de recherche sont notamment les suivants : Structure géologique et histoire des marges continentales, plus particulièrement en vue de la

prospection des hydrocarbures. Etude des marges continentales “actives”, causes des tremblements de terre, éruptions volcani-

ques et autres catastrophes naturelles et leur prévision. Etude des phénomènes caractéristiques des dorsales médio-océaniques qui produisent la nou-

velle croûte et génération de minerais métalliques en ces endroits. Etude du fond des océans par grandes profondeurs, des nodules de manganèse qui s’y trouvent

et de la possibilité d’utiliser les profondeurs océaniques comme lieux de décharge des déchets rad io-act ifs. Etude des sédiments sur les pentes continentales et possibilité d’utiliser ces zones pour instal-

ler des structures artificielles sur le fond de l’océan. Etude de la formation des couches sédimentaires au fond de l’océan pour en déduire la succes-

sion des climats dans le passé et prévoir les variations climatiques futures. Pour la plupart des études susmentionnées, i l est indispensable de mettre au point de nouvelles

techniques et d’étendre l’application des techniques existantes aux vastes portions de l’océan encore inexplorées. L’histoire de la géologie marine révèle que la plupart des découvertes impor- tantes ont directement suivi les grands progrès technologiques et cette correspondance va certai- nement se poursuivre à l’avenir.

Le présent exposé s’inspire largement d’un docu- ment dans lequel D. Cronan, J. Thiede, Y. Lancelot et moi-même nous sommes efforcés d’esquisser l’avenir de la recherche en géologie et géophysi- que marines. J’aimerais, dans m a description des travaux en

cours dans ce domaine et des recherches à venir, telles que je les vois, développer trois grandes idées. Premièrement, pour faire des recherches de

grande valeur, i l faut qu’elles portent sur des ques- tions à la fois intéressantes et vitales et que les spécialistes les plus éminents y soient associés. Deuxièmement, la mise au point de techniques

nouvelles et l’exploitation efficace de celles qui existent peuvent être dans ce domaine un facteur extrêmement important de progrès. Troisièmement, j’aimerais faire valoir qu’à un

niveau ou à u n autre, directement ou indirecte- ment, la recherche doit être porteuse d’une contri- bution utile à la communauté. Plus la recherche

coûte cher, plus i l est urgent qu’elle soit en prise sur les besoins de la société. C o m m e vous êtes sans aucun doute nombreux à

le savoir déjà, les sciences de la terre ont, au cours des dix ou quinze dernières années, subi une véri- table révolution et élaboré un cadre unificateur connu sous le nom de tectonique des plaques. Celle-ci postule que la croûte terrestre est compo- sée d’un certain nombre de plaques rigides et que c’est le déplacement de ces plaques les unes par rapport aux autres qui provoque des phénomènes tels que les tremblements de terre, les éruptions volcaniques et, à l’échelle géologique, la forma- tion des montagnes. Les plaques s’écartent au niveau de la dorsale médio-océanique et tendent au contraire à se rejoindre, par exemple, aux mar- ges de l’océan Pacifique. Déterminer quelles for- ces font se mouvqir ces plaques, quelles causes ex p I i q uen t leurs dép lacemens, tel le est peut-être la plus importante des questions auxquelles les spécialistes des sciences de la terre sont invités à

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répondre. Elle a retenu l’attention de géologues et de géophysiciens de premier plan. Ce n’est pas le genre de problème qu’une seule expérience ou une seule innovation technologique suffisent à résou- dre. Et d’ailleurs s’il est très important de détermi- ner la cause sous-jacente du mouvement des pla- ques pour comprendre l’évolution géologique de la terre, ce n’est pas une question dont la solution est d’un intérêt immédiat pour la société. On s’interroge également sur la nature et la

composition exactes de la croûte océanique. Le développement de la tectonique de plaques a ceci de curieux que, si nous commençons aujourd’hui à connaître dans le plus grand détail et sur des milliers de kilomètres, le mouvement hori- zontal des plaques, nos connaissances sont très lacunaires dans l’ordre du vertical ou autrement dit, en ce qui concerne la composition exacte de cette croûte océanique. Elle constitue le fond de tous les océans et i l importe donc de mieux la con- naître. Mais i l ne s’agit pas seulement d’une préoc- cupation théorique. Nombreux sont ceux qui pen- sent, en effet, que la croûte océanique finit par être absorbée dans la croûte continentale. En d’autres termes, i l se pourrait que cette dernière soit une croûte océanique recyclée, de sorte que si nous parvenons, par exemple, à élucider les modes de répartition des minéraux dans la croûte océanique, nous obtiendrons peut-être de précieux indices pour la prospection dans les zones continentales. La réalisation d’expériences et la mise au point de technologies nouvelles devraient jouer un rôle important dans l’exploration de la croûte océani- que. Ces techniques nouvelles feront largement appel aux méthodes sismiques. Les méthodes sis- miques traditionnelles reposent en général sur le principe de la sismique réflexion. Elles consistent à émettre, à l’aide d’une puissante source sonore placée à bord d’un navire, des ondes sonores qui sont renvoyées par les diverses couches sédimen- taires du fond de l’océan et captées par des flûtes marines. En mesurant le temps que le son met pour se propager dans les différentes couches, nous obtenons des indications sur la nature de ces couches. Mais ces méthodes ne nous révèlent mal- heureusement pas grand-chose sur les roches vol- caniques dures qui constituent une grande partie de la croûte Océanique. Voilà donc un domaine où nous avons de toute évidence besoin de techni- ques nouvelles, dont la mise au point exige des expériences sismiques complexes et coûteuses, qui sont d’ailleurs en cours. Si ces techniques voient le jour, elles devraient nous permettre d’accroître beaucoup notre connaissance de la croûte Océanique. __ La troisième question : quels sont exactement les

processus qui interviennent au niveau des crêtes de la dorsale médio-océanique, c’est-à-dire la où remontent du sein de la terre des matériaux qui viennent se solidifier en surface, pour former une nouvelle croûte océanique. Certains phénomènes, comme celui de la circulation hydrothermale, sus-

citent une vive curiosité. Des courants d’eau chaude détachent des minéraux précieux de roches situées en profondeur et les redéposent près de la surface des océans. On se demande actuellement si les sulfures ainsi déposés n’auraient pas en définitive une plus grande valeur commerciale que les nodules de manganèse qui sont bien mieux connus. Les connaissances récemment acquises dans ce domaine sont très directement le fruit de l’application de techniques nouvel les. Les observations ef fect uées d i rec te- ment à partir de submersibles - I’ALVIN de la Woods Hole Oceanographic Institution et le CYANA du Cnexo, par exemple - ont abouti à des découvertes surprenantes. C’est au cours de plon- gées à la crête de la dorsale médio-océanique que l’on a observé pour la première fois des phénomè- nes aujourd’hui familiers m ê m e au profane - à savoir des jets d’eau surchauffée riche en minerais métalliques, qui ressemblent à des panaches de fumée sortant de cheminées. La présence d’énor- mes vers et les fortes concentrations de bactéries que l’on trouve dans les eaux thermales anaéro- bies constituent un véritable mystère. Les possibi- lités d’exploitation commerciale des minerais métalliques ont fait l’objet de nombreux débats. Celles de l’eau surchauffée comme source d’éner- gie, peut-être grâce à sa conversion en vapeur par abaissement de la pression, n’ont pas été prises en considération mais pourraient se révéler très réel les.

Une quatrième série de questions a trait aux marges continentales passives. I I s’agit de zones qui bordent, par exemple, la plus grande partie des océans Indien et Atlantique et qui, de nos jours, suivent passivement le mouvement des plaques à l’intérieur desquelles elles sont situées. Mais c’est à l’emplacement de ces marges passives qu’à une époque reculée de l’histoire du globe, le su- percontinent originel se divisa, donnant naissance à l’océan. Sous les grandes épaisseurs sédimen- taires qui recouvrent fréquemment les marges continentales passives, se dissimulent des énig- mes scientifiques qui pourraient avoir des retom- blées économiques. Ces énigmes concernent I’évo- lution géologique des marges. Pourquoi, le super- continent s’est-il divisé puis qu’elles ont été, après cette fracture, l’histoire de la subsidence, l’histoire thermique et l’histoire sédimentaire de ces régions ? Ce sont là des questions qu’il est parti- culièrement intéressant de tirer au clair pour déter- miner si des hydrocarbures - pétrole et gaz - se sont formés dans ces zones, s’ils ont pu s’accumu- ler dans des réservoirs géologiques et s’ils y sont demeurés captifs ou s’ils s’en sont échappés, tou- tes questions qui ont évidemment une grande por- tée économique. La possibilité de découvrir du pétrole et du gaz dans les sédiments qui recou- vrent le plateau et le talus continentaux a été lar- gement mise en évidence au cours des négocia- tions relatives au droit de la mer, dont vous avez tous sûrement eu connaissance. Mais on ne suit

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généralement pas à quel point la prospection et l’extraction de pétrole et de gaz sont difficiles et coûteuses dès que l’on atteint des profondeurs d’eau de quelques centaines de mètres seulement. II est possible que les fonds marins contiennent d’énormes réserves de gaz et de pétrole, et je tiens à souligner le mot ”possible”. I I est également possible, en revanche, que m ê m e en prospectant des zones étendues, on ne découvre, dans bien des cas, aucun hydrocarbure. L’exploration des fonds marins et, en particulier, les forages, peu- vent donc comporter de très grands risques finan- ciers. Peut-être des recherches à grande échelle sur les méthodes de prospection pourraient contri- buer à réduire ces risques.

Bien que les technologies utilisées dans ce domaine soient déjà perfectionnées, des innova- tions sur ce plan pourraient, ainsi que la mise au point de nouvelles approches de la prospection, être extrêmement fructueuses. Si nous n’innovons pas suffisamment, nous risquons de nous trouver à court d’argent pour prospecter avant que le pétrole ne vienne lui-même à manquer. Contrairement aux marges passives, les marges

actives sont le siège d’une importante activité géo- logique qui se poursuit de nos jours. C’est là que les plaques se heurtent, l’une d’elles plongeant souvent sous l’autre par subduction. Ce sont ces mou- vements relatifs des plaques et les poussées qu’elles exercent l’une sur l’autre, provoquent les tremblements de terre et c’est lorsque les maté- riaux enfouis par subduction à de grandes profon- deurs entrent en fusion et s’échappent à la surface de la terre qu’on se trouve en présence d’une acti- vité volcanique. I I va de soi que si nous parvenons à découvrir les causes et les caractéristiques détaillées des mouvements des plaques, nous serons en mesure de faire de grands progrès dans la prévision des catastrophes comme les tremble- ments de terre et les éruptions volcaniques. I I est également fréquent que les marges actives contiennent des couches épaisses de sédiments, dont certains ont été détachés de la plaque qui plonge et empilés sur la plaque supérieure. D’autres sédiments s’étaient déposés auparavant sur la plaque supérieure. Les marges actives pour- raient se révéler aussi intéressantes que les mar- ges passives en ce qui concerne l’accumulation des hydrocarbures, contrairement à ce qu’on pen- sait, dans la mesure où, croyait-on, l’activité géolo- gique persistante avait en quelque sorte rongé les roches et peut-être permis aux hydrocarbures qui s’y seraient accumulés de s’échapper. Les résul- tats des forages opérés dans un certain nombre de marges actives, dans le cadre d u programme inter- national de forages océaniques profonds nous ont amenés à certaines de ces vues. Les marges acti- ves sont des zones où i l faut innover sur le plan de la recherche et de la prospection, à la fois pour comprendre les phénomènes catastrophiques comme les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, et pour tenter de trouver des hydro-

carbures. De m ê m e que pour les marges passives, la mise au point de techniques nouvelles et l’exploitation massive de celles qui sont déjà au point pourraient exiger des grosses mises de fonds et comporter de grands risques, mais les dividendes pourraient aussi être substantiels. Parvenu à ce point, j’aimerais dire quelques

mots des bassins marginaux, c’est-à-dire des zones situées entre les marges actives que je viens d’évoquer et les grands blocs continentaux. La mer de Bering, la mer d u Japon, la mer de Chine méridionale, le bassin des Philippines et le bassin des Fidji en sont des exemples. Les bassins margi- naux nous intéressent à divers titres. Alors que la tectonique des plaques nous a permis de comprendre, dans les grandes lignes, la dorsale médio-océanique, les bassins océaniques et les marges actives et passives, l’évolution géologique des bassins marginaux est encore très débattue. L’étude de ces bassins pourrait aussi présenter un grand intérêt sur le plan économique. Leur fond est en effet couvert d’épaisses couches de sédi- ments provenant des masses continentales voisi- nes et même si, à l’échelle géologique, ces sédi- ments sont jeunes, les températures élevées qui règnent dans un grand nombre de cas peuvent contribuer à transformer les matières organiques qu’ils contiennent en pétrole et en gaz. D’autre part, si l’on admet que certains de ces bassins se sont constitués de la m ê m e manière que la dorsale médio-océanique, on peut supposer qu’ils contien- nent des gisements sulfures, comme les crêtes de la dorsale actuelle. Si l’on admet, en outre, que ces gisements ont été rapidement recouverts d’épais- ses couches de sédiments, i l en découle que les minerais ne s’oxydent pas et peuvent être préser- vés longtemps. I I est possible, par conséquent, que les bassins marginaux contiennent aussi bien des hydrocarbures que des minerais métalliques. Aussi est-il probable que de grands efforts de recherche et de prospection seront déployés dans ces zones. J’ai parlé jusqu’à présent de problèmes qui se posent dans diverses zones géologiques, que les techniques nouvelles soient ou non appe- lées à jouer un rôle important dans leur solution, ainsi que de l’utilité de l’étude de ces zones pour faire face à des besoins de la société. Je voudrais maintenant faire une petite digres-

sion en évoquant quelques innovations technolo- giques, afin de montrer que si de nouvelles techni- ques sont souvent mises au point pour résoudre un problème déterminé, elles peuvent en outre apporter des informations et ouvrir des perspecti- ves scientifiques totalement inattendues et susci- ter ainsi de grands progrès de la connaissance. Je ne préconise pas que nous construisions des ins- truments coûteux pour le simple plaisir de voir ce qu’ils pourraient nous faire découvrir - ce genre de recherche sans objet bien défini risque en effet de revenir bien trop cher. Mais je soutiens, par contre que nous devrions être en mesure d’exploi- ter les découvertes inattendues auxquelles nous

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conduisent les progrès techniques - et d’ailleurs, bien entendu, c’est ce que font les bons scientifi- q ues. Permettez-moi d’illustrer mon propos à l’aide de quelques exemples. I I existe un instrument appelé altimètre qui est capable de mesurer avec une grande précision la distance entre le satellite à bord duquel i l est placé et la surface de la mer, à la manière d’un écho-sondeur mesurant la distance qui sépare un navire du fond de l’océan. Si la tra- jectoire du satellite est connue avec exactitude, l’altimètre permet de déterminer les variations du niveau de la mer. En dehors des vagues, i l existe deux principaux facteurs de déformation de la sur- face de la mer. Premièrement, les courants océani- ques tendent à amonceler les eaux et, par consé- quent, à déformer la surface de la mer. Le Gulf Stream, par exemple, peut accroître la hauteur du niveau de la mer d’un mètre, voire plus. Deuxième- ment, des densités hétérogènes peuvent provo- quer des distorsions du champ de la pesanteur et donc, du niveau de la mer, qui est une surface à potentiel de pesanteur uniforme. Si ce sont surtout les océanographes physiciens qui ont cherché à mettre au point et à utiliser l’altimètre, afin de dresser la carte des courants océaniques, les résultats obtenus sont extrêmement intéressants pour les spécialistes de la géophysique marine. C o m m e je viens de l’indiquer, des hétérogènes provoquent des distorsions d u champ de la pesan- teur, qui entraînent une déformation correspon- dante de la surface de la mer. En établissant la carte de ces déformations au moyen d’un altimè- tre, on peut remonter jusqu’au champ de la pesan- teur et déterminer les anomalies gravimétriques. Quand on a passé des mois en mer à effectuer des mesures de la pesanteur pour établir la carte d’une zone, le fait que les satellites permettent d’obtenir ce type d’information en très peu de temps donne presque le vertige (il est A noter, toutefois, que le pouvoir séparateur des satellites est actuellement inférieur à celui des instruments utilisés à bord de navires). I l est également instructif de comparer le champ de la pesanteur avec la morphologie des fonds marins. La comparaison confirme, bien sûr, le fait qu’en eau profonde, c’est la topographie d u fond de l’océan qui suscite les plus fortes varia- tions du champ de la pesanteur. Ainsi, les données recueillies par les altimètres placés à bord des satellites nous donnent des indications sur la mor- phologie des fonds marins. Lorsque le fond de l’océan est plat, ce sont les caractéristique du sous-sol qui font varier le champ de la pesanteur ; on voit donc que les altimètres placés à bord de satellites peuvent déceler les caractéristiques du sous-sol - ce que l’on n’avait pas prévu, lorsqu’on a commencé à élaborer cet instrument. Je suis vraiment très impressionné par cet apport de la technologie des satellites. Nous ne faisons ainsi que mesurer les minuscules déformations de la surface de la mer causées par de petits excédents ou déficits de masse qui sont essentiellement

associés à la topographie sous-marine. Mais en affinant suffisamment ces mesures, nous pouvons obtenir des données bathymétriques à partir de satellites gravitant à des centaines de kilomètres au-dessus du niveau de la mer. Je ne puis imaginer de meilleur outil pour établir rapidement des levés bathymétriques dans des régions reculées de l’océan mondial et même, dans certaines zones, pour découvrir ce que recèle le sous-sol des océans. Je voudrais également parler d’une deuxième

possibilité offerte par le progrès technique : l’emploi de méthodes acoustiques pour obtenir des images du fond des océans. On utilise depuis longtemps des sonars à balayage latéral dans les eaux peu profondes, mais leur emploi dans les eaux profondes est plus limité. Le premier des ins- truments de ce type, baptisé GLORIA, a été mis au point par les Britanniques à I’lnstitute of Oceano- graphic Sciences. II est remorqué par un navire sur un dispositif stabilisé, de manière à éviter le roulis et le tangage. Les transducteurs de GL ORIA émet- tent des faisceaux sonores d’une fréquence de 6 Hz environ, qui ont un angle d’ouverture de 2’30’ à l’horizontale et de 30” à la verticale. A cinq kilo- mètres de profondeur, GLORiA balaie une bande de 30 km de large de chaaue côté du navire. I I faut une certaine pratique pour interpréter les sono- grammes qu’il produit. Les pentes inclinées du côté de l’instrument donnent une image lumi- neuse, tandis que celles qui sont tournées de l’autre côté, ne lui renvoyant aucune énergie, paraissent noires. C o m m e le champ d’exploration varie de façon relativement lente au voisinage de la verticale, l’image est très déformée et l’échelle horizontale considérablement réduite pour la zone qui se trouve juste au-dessous du navire, et i l faut en tenir compte en lisant les sonogrammes. Plu- sieurs exemples de découvertes faites grâce à GLORIA peuvent être donnés. Au cours des années 1950, des observations effectuées à inter- valles rapprochés à partir de navires ont permis de faire une découverte surprenante, celle de la fosse médio-océanique équatoriale. On a appris ainsi que l’on trouve des fosses sous-marines non seu- lement dans les marges continentales, mais aussi au mifieu de l’océan. Un seul passage de GLORIA a suffi pour dresser la carte de cette fosse et on a également pu discerner que l’extrémité supérieure du chenal était enfouie sous des sédiments, ce qui ‘indique qu’elle est inactive depuis, estime-t-on, un million d’années au moins. GLORIA a d’autre part mis en évidence un

champ spectaculaire d’ondulations de sable dans la dorsale Blake-Bahamas, ainsi qu’au large du Pérou sur les flancs de la dorsale d u Pacifique Est et a révélé la frappante linéarité de la morphologie des fonds océaniques, avec pour seule coupure, çà et là, des fractures transversales. Si j’ai cité ces exemples, c’est qu’ils montrent

comment, grâce à cette nouvelle technologie, on peut obtenir, en un temps relativement court, des

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images acoustiques très détaillées de vastes por- tions du fond de l’océan. I I ne fait aucun doute que GLORlA et, d’une manière générale, les sonars a balayage latéral constitueront désormals de pré- cieux instruments d’exploration dans l’étude géo- logique de.océans. Je voudrais en dernier lieu évoquer le Pro-

gramme international de forages océaniques pro- fonds. Ce programme, exécuté par ie Glornar Chal- lenger, illustre remarquablement le fait que les découvertes scientifiques vont parfois bien au- delà de ce que l’on imaginait quand on a établi les premiers plans d’une activité de recherche déter- minée. L’érosion étant en général bien plus faible au fond des océans que sur la terre ferme, i l y a beaucoup plus de chances d’y retrouver toute la série des déposés. L’examen de cette série contl- nue de couches sédimentaires nous a beaucoup éclairés sur l’évolution du milieu avec le temps. Le programme de forages profonds a imprimé un extraordinaire essor à l’étude des paléoenvironne- ments et j’ai à dessein choisi cet exemple pour revenir aux importants problèmes scientiques qui restent à résoudre dans ce domaine. L’une des grandes questions qui se posent à ce

sujet est celle des facteurs responsables des rythmes et des cycles que mettent en évidence les sédiments pélagiques. Suivant certaines estima- tions, ces cycles sont en général de l’ordre de quel- ques dizaines de milliers d’années. Les traces du Quaternaire révèlent des cycles apparemment réguliers qu’ils ne s’expliquent que par le “méca- nisme de Milankovitch”, qui attribue l’alternance de périodes glaciaires et de périodes interglaciai- res chaudes à des variations régulières des para- métres orbitaux de la terre. Toutefois, cette corré- lation ne semble pas s’étendre au Tertiaire, les cycles observés dans les carottes de cette période ne paraissant pas correspondre à une succession de phases glaciaires et interglaciaires, de sorte que les causes de ces cycles et leurs relations avec le climat demeurent mystérieuses. I I est important de résoudre ce problème car si nous par- venons à déterminer les causes des variations cli- matiques du passé, nous réussirons peut-être à prévoir celles de l’avenir. La question des causes et des conséquences

des variations du niveau des océans est aussi importante. I I est généralement admis de nos jours qu’il y a des variations à court et à long terme et que bon nombre de ces variations se produisent simultanément dans toutes les parties du globe. Mais les causes de ces phénomènes - et en parti- culier celles des variations soudaines et de grande amplitude - demeurent obscures. Un autre point qu’il faudrait élucider est celui

des causes des périodes glaciaires et du moment où elles interviennent. La détérioration d u climat mondial depuis la fin du Mésozoïque et l’évolution des zones couvertes par les glaces depuis le Ter- tiaire moyen sont les événements qui ont le plus spectaculairement affecté et modifié les milieux

sédimentaires océaniques au cours des derniers 200 millions d’années. Nous ignorons toujours pourquoi les grandes calottes glaciaires de l’hémisphère austral se sont formées dès le Ter- tiaire moyen, alors que celles de l’hémisphère Nord ne sont pas apparues avant la fin du Pllo- cène. J’ai déjà indiqué que les traCeS sédimentaires

ont davantage de chances de se présenter en SUC- cessions ininterrompues dans les océans que sur terre, ou l’érosion emporte plus facilement cer- tains sédiments. Ainsi, l’examen des carottes pré- levées dans les océans peut apporter une réponse à certaines questions importantes concernant l’évolution des organismes marins dont les fossi- les sont restés enfouis dans les sédiments, Nous devrions pouvoir tester une hypothèse qui gagne actuellement du terrain - l’idée que l’évolution n’est pas un processus graduel, mais que, dans la plupart de ses aspects, elle est déterminée par un nombre rel at ive men t I imi t é d’événemen ts. Dans le m e m e ordre d’idées, i l serait intéressant

de savoir si ce sont des catastrophes soudaines qui ont provoqué les changements survenus à la limite entre le Crétacé et le Tertiaire, ainsi qu’une mortalité massive et sans précédent dans les océans. Environ 90% de la biomasse des océans a été détruite, en l’espace, semble-t-il, de quelques dizaines à quelques centaines d’années, et le milieu pélagique a été pertubé à tel point qu’il a fallu des dizaines de milliers d’années pour que s‘y réinstaurent des conditions normales. Quelle est la cause de ces cataclysmes? Est-ce la collision d’un corps céleste de grandes dimensions avec la terre ou une série de gigantesques éruptions vol- canlques ? Dans u n cas comme dans l’autre, i l y a émission massive de poussière qui reste en sus- pension dans I’atmosphere et réduit instantané- ment le volume du rayonnement solaire qui par- vient sur la terre. Telles sont, entre autres, les questions que se

posent les scientifiques qui s’intéressent aux paléoenvironnements. Elles feront, à coup sûr, l’objet de nombreuses recherches au cours des prochaines années. Je m e suis efforcé, chaque foi ; que je l’ai pu, de

mettre en lumière les liens existknt entre les prin- cipales questions qui se posent dans le domaine de la recherche et les applications importantes. Avant de conclure, l’aimerais mentionner deux applications touchant les fonds marins qui, en ral- son de leur intérêt, seront certainement au centre de nombreuses recherches.

L’une d’elles a trait à un sujet de préoccupation actuel : l’évacuation de déchets hautement radioactifs provenant de réacteurs nucléaires sous le fond de la mer. Les lieux d’immersion possibles seront étudiés en vue de déterminer s’ils sont géo- logiquement stables et si les sédiments y sont assez épais pour permettre d’enfouir les déchets à des profondeurs raisonnables. Des études iechni- ques seront indispensables pour évaluer les

1 1

emplacements des fûts ainsi que des études géo- chimiques sur les sédiments et les eaux intersti- tielles pour la migration et l’incorporation proba- bles des radionucléides qui s’échapperaient des fûts. La question de la stabilité géologique du fond

des océans est également très importante du point de vue du choix des emplacements à retenir pour diverses installations telles que les lourdes plates- formes dont on peut avoir besoin pour extraire et transporter les hydrocarbures et autres minéraux. Les sonars à balayage latéral, entre autres, seront sans doute de plus en plus utilisés à cet égard. Nous sommes encore très loin de connaître avec précision, à l’échelle nécessaire pour l’étude de ces emplacements, la morphologie du fond des océans. Des percées scientifiques inattendues seront peut-être le fruit de recherches dynamiques

dans ce domaine. Permettez-moi, pour conclure, de rappeler

encore une fois les trois idées fondamentales que j’ai voulu développer ou peut-être, plus exacte- ment, les trois grands principes que devront pren- dre en compte les futures recherches océanogra- p hiques.

1. La recherche doit chercher à répondre à des questions scientifiques importantes.

2. Les innovations technologiques apportent une contribution très précieuse aux progrès de la science.

3. Une condition importante à remplir pour que des recherches coûteuses soient financées est que leurs résultats puissent servir à des applications qui sont utiles pour la société.

N.J. Campbell

Le deuxième orateur que nous allons entendre cet après-midi est M. Klaus Hasselmann. M. Hasselmann a obtenu une maîtrise à I’Univer-

sité de Hambourg en 1955 et un doctorat en dyna- mique des fluides à Gottingen en 1957. De 1962 à 1966, i l a effectué de vastes travaux

d’océanographie physique aux Etats-Unis, à I’lnsti- tute of Geophysics and Planetary de la Scripps Ins- titution of Oceanography. Pour ses confrères, i l est l’homme qui a résolu le problème d u bilan énergé- tique des vagues. M. Hasselmann est actuel’lement directeur de

l’Institut météorologique Max Planck de Ham-

bourg, poste qu’il occupe depuis 1975. I I est l’auteur de nombreux comptes rendus de

recherche sur la dynamique des océans et sur la modél isat ion des interactions océan-atmosphère à des fins climatologiques.

I I est membre d’un certain nombre de sociétés météorologiques et océanographiques et a été invité à prendre la parole par de nombreuses insti- tutions de recherche océanographique du monde entier.

I I est le principal auteur de la section du rapport FORE consacrée à l’océanographie physique et au climat.

Mesdames, Messieurs, M. Klaus Hasselmann ...

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Océanographie physique : la prévision climatique et marine

Klaus Hasselmann Max-Planc k-lnst i tu t für Meteorologie

Bundesstrasse 55, 2000 Hambourg 13, République fédérale d’Allemagne

Résumé

La compréhension de l’incidence des océans sur le climat a été fréquemment soulignée comme la priorité la plus urgente du Programme mondial de recherches sur le climat. L’étude de ce problème nécessite une nouvelle approche de la modélisation de l’océan et une stratégie à long terme de mesures océaniques qui, à son tour, doit s’inspirer des modèles établis. Des techniques nouvelles de télémesure de l’océan à partir de satellites seraient extrêmement utiles pour déterminer une stratégie mondiale de mesures océaniques. Toutefois, i l reste encore à définir une stratégie opti- male d’échantillonnage pour les mesures océaniques à long terme en utilisant un système conju- gué d’instruments traditionnels et de satellites. Les problèmes examinés sont illustrés par quel- ques résultats obtenus à partir d’un modèle de climat océanique.

Le rapport FORE Cette année, les personnes chargées de prononcer les conférences à la mémoire d’Anton Bruun qui ont toutes eu la responsabilité principale de la rédaction de l’une des sections du rapport sur “l’océanologie de l’an 2000”, ont été invitées à aborder ensemble les problèmes et les défis aux- quels les océanographes seront sans doute appe- lés à faire face au cours des vingt prochaines années. Le rapport FORE (COI 1983) a été examiné dans

le cadre de diverses réunions, notamment l’Assemblée océanographique commune qui s’est tenue à Halifax, en juillet 1982. Je n’essaierai donc pas, en examinant le rôle de l’océanographie physique dans le cadre de la recherche océanogra- phique future, de résumer l’ensemble des vues qui y sont exprimées à ce sujet, mais m e bornerai à évoquer certains développements d’ordre général que pourraient entraîner les avancées à prévoir dans le dcmaine de la technologie et à analyser les implications de ces tendances pour la structure de la recherche en océanographique physique. Le rapport FORE lui-même a remarquablement mis en évidence le caractère hypothétique et les dangers de ces extrapolations dans l’avenir et point n’est besoin d’aborder à nouveau ce sujet. Je voudrais seulement rappeler que, dans le domaine de la recherche, les découvertes les plus passionnantes sont, justement presque par définition, celles qui sont imprévisibles. Néanmoins, certaines pistes de progrès peuvent d’ores et déjà être assez claire- ment repérées et i l n’est peut-être pas inutile de réfléchir à la façon dont les océanographes physi- ciens peuvent se préparer aux changements que ces progrès impliqueront.

Le rôle des oceans dans le climat restera certai- nement u n des grands axes de la recherche en océanographie physique au cours des prochaines décennies. On peut s’attendre à des progrès consi- dérables dans ce domaine grâce à la mise au point de systèmes d’observation par satellite de portée mondiale, et à d’autres avancées technologiques telles que la localisation par satellite des bouées dérivantes, les flotteurs à sonar, les stations auto- matiques, les appareils largables et la tomogra- phie acoustique, qui permettront d’obtenir des mesures à long terme d’un grand nombre de para- mètres océaniques importants à une échelle beau- coup plus grande que cela n’a été possible jusqu’ici.

I I est probable que ces mêmes progrès technolo- giques auront aussi une forte incidence sur la pré- vision marine, domaine de l’océanographie physi- que dont la portée économique ne cesse de croître depuis quelques années. Des données mondiales quasi synoptiques sur les vents de surface et les vagues, fournies par satellite, amélioreront consi- dérablement la base de données nécessaire aux prévisions à brève et à moyenne échéance relati- ves aux vagues et à la météorologie marine qui sont indispensables pour la navigation, les opéra- tions au large, la protection côtière etc. De même, sur des échelles de temps plus grandes, les don- nées recueillies par satellite sur la température à la surface de la mer, les rayonnements et les vents de surface fourniront les éléments nécessaires pour surveiller et prévoir les fluctuations à grande échelle du système océanlatmosphère, telles que le phénomène El Nino et l’oscillation australe, ou les variations des zones de remontée d’eau froide qui ont des répercussions sur la pêche.

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En ce qui concerne les échelles de temps et les processus physiques en jeu, le problème des chan- gements climatiques à long terme et la prévision des fluctuations climatiques et des conditions météorologiques marines à plus court terme sem- blent raisonnablement distincts. Cette distinction tend toutefois à s’estomper pour ce qui a trait aux systèmes d’observation nécessaires. C’est, essen- tiellement, des mêmes systèmes de satellites et d’instruments qu’il faut disposer. Les problèmes ne sont pas davantage dissociables au niveau de l’analyse des données. I I faut établir les mêmes séries de champs (vents de surface, température à la surface de la mer, flux à l’interface air-mer etc). On peut noter à cet égard que dans le cas d’un système de collecte de données à long terme fonc- tionnant de façon continue, les besoins de la prévi- sion marine en matière d’analyse de données en temps réel s’appliquent également sans réduction importante aux études climatiques à plus long terme, car les données doivent être traitées au même rythme qu’elles sont produites si l’on veut les exploiter pleinement (un écart constant entre les flux d’entrée et de sortie de données implique une perte constante de données 9. L’optimisation d’un système d’observation multinational hétéro- gène, complexe, de portée planétaire, composé de différents satellites et d’une combinaison de systèmes de mesure classiques, ainsi que l’analyse efficace et rapide des flux de données considérablement accrus que produisent ces systèmes, poseront des problèmes scientifiques et techniques majeurs aux océanographes physi- ciens au cours des prochaines décennies. Les efforts déployés ne pourront être fructueux que si une collaboration étroite s’institue entre océanoi graphes physiciens et météorologistes puisqu’aussi bien pour les études climatiques que pour la prévision marine, l’océan doit être consi- déré, non comme un système isolé mais comme u n élément d u système couplé oceanlatmosphère. On trouvera ci-après des indications succinres

sur le potentiel de certains satellites océanogra- phiques et d’autres systèmes d’observation qui seront sans doute utilisables vers la fin de cette décennie et sur les problèmes manifestes qu’ils posent.

Sa te I I i tes océa nogra p h iques Le rapport du groupe de travail 70 de SCOR (1983) passe brièvement en revue les possibilités actuel- lement offertes par les satellites océanographi- ques et énumère les divers satellites de ce type qui sont actuellement à l’étude dans différentes orga- nisations spatiales pour un possible lancement au cours des cinq à huit prochaines années. Les prin- cipes de fonctionnement de divers instruments de télédétection sont plus longuement analysés dans Stewart (1984). De nombreuses techniques ont été expérimentées pour la première fois dans l’espace à bord de SEASEAT (qui malheureusement est

tombé en panne en octobre 1978 après avoir fonc- tionné 100 jours) et sont examinées, par exemple, dans les numéros spéciaux I (1982) et I I (1983) consacrés à SEASAT par le Journal of Geophysical Research.

Appareils de mesure du vent et des vagues L‘un des instruments qui pourraient se révéler le plus utile à la fois pour les études climatiques et pour la prévision marine est le diffusiomètre. Un appareil de ce type a été embarqué à bord de SEA- SAT, d’autres sont à l’étude pour plusieurs futurs satellites. La Figure 1 (d’après O’Brien 1982) mon- tre la zone d’observation de deux diffusiomètres installés de chaque côté d’un satellite à défile- ment a3 cours d’une période de 24 heures. La lar- geur de la bande de terrain balayée par chaque dif- fusiomètre est d’environ 400 km. Les observations d u vent effectuées par diffu-

siomètre à bord de SEASATont été comparées aux mesures précises faites par des bouées durant l’expérience JASIN dans l’est de l’Atlantique Nord (Jones et Coli. 1981). Une concordance remarqua- ble a été constatée (vitesse du vent & 2 mls, direc- tion du vent 2 20”) (voir Fig. 2). La Figure 3 (d’après Hoffman 1982) fait apparaître, pour une étude de cas particulière, l’utilité des mesures du vent effectuées par diffusiomètre pour déterminer le champ de vent en surface. On voit que sans l’information fournie par le diffusiomètre, le champ de vent calculéà partir des observations du réseau météorologique classique (Fig. de gauche) sous-estimait considérablement les régions les plus intenses de la tempête, qui a été reconstituée à partir de ta série de données complète (Fig. de droite). (La tempête en question présentait un cer- tain intérêt pratique puisqu’elle a gravement endommagé le paquebot Queen Elizabeth II, qui a traversé la région touchée sans avoir été suffisam- ment averti .) Les grandes possibilités qu’offre le diffusiomè-

tre pour évaluer le champ de vent qui entraîne la circulation océanique et détermine les conditions de l’état de la mer ou pour prédire les vents de sur- face en vue des applications de la prévision marine, sont généralement reconnues. Néan- moins, le diffusiomètre pose un certain nombre de problèmes qui doivent être étudiés de façon plus approfondie dans lecadre des futures applications de cet instrument. L’échantillonnage effectué par un seul ou m ê m e deux diffusiomètres embarqués à bord d’un seul satellite n’a pas une densité spatio-temporelle suffisante pour éviter des aber- rations dues aux variations rapides des vents à l’échelle synoptique. En outre, l’instrument embar- qué à bord de SEASAT ne pouvait déterminer la direction d u vent qu’en choisissant entre quatre solutions possibles. (Les diffusiomètres actuelle- ment à l’étude observeront une zone donnée de l’océan dans trois directions au lieu de deux, ce qui réduira généralement le nombre des ambiguï-

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Figure 1. Projection à la surface de la zone couverte par les données fournies par diffusiomètre pendant une période de 24 heures dans le Pacifique Nord (d’après O’Brien 1982).

130E 140E 150E 160E 170E- 180 1700 1600 1500 1400 1300 WN

50 N

4 0 N

30N

2 0 N

10 N

O

10 s 130E 140E 150E 160 E 170E 180 1700 1600 1500 1400 1300 O : une observation classique (navire)

60 N’

50 N

40 N

30 N

20 N

10 N

‘ O

‘10s

tés à deux). C’est pourquoi les données fournies par diffusiomètre ne peuvent être considérées indépendamment des autres données météorolo- giques et doivent au contraire être insérées dans un système général d’assimilation de données météorologiques quadridimensionnelles qui four- nit le champ de vent en surface analysé en tant qu’élément particulier d’une reconstitution complète et dynamiquement cohérente de l’état de l’atmosphère. I I s’agit à l’évidence davantage de météorologie que d’océanographie, mais la colla- bo ra t i on d’océanographes est i nd i s pen sa ble pou r la mise au point et l’application des algorithmes effectifs des capteurs.

L’analyse des données fournies par diffusiomè- tre présente une autre difficulté. En effet, afin d’éli- miner les ambiguïtés en matière de direction et d’obtenir des valeurs fiables de la vitesse du vent, i l faut connaître localement les champs de la mer du vent et de la houle. Les micro-ondes réfractées par la surface de la mer sont déterminées par les rides courtes (ondes centimétriques) de la surface qui, on le sait, subissent fortement l’influence de la modulation par des ondes superficielles plus longues (voir Stewart 1984 ; Keller et Wright 1975 ;

Feindt et Coll. en préparation). Pour obtenir un algorithme valable permettant de déduire les vents en surface des données de rétrodiffusion i l faut donc se servir du spectre des ondes superficielles. Celui-ci ne peut être obtenu qu’à partir de calculs numériques effectués à l’aide de modèles de vagues, qui doivent être fondés sur la valeur esti- mée du champ de vent lui-même mais qui feront aussi appel aux données sur les vagues fournies par des satellites et par des instruments classi- ques. I I est évident que l’ensemble du prot!ème, avec toutes ses interactions, ne peut être abordé que par itération. L’interdépendance des données relatives aux

vents et aux vagues est illustrée de façon plus pré- cise dans la Fig. 4, qui montre les trajets de propa- gation des principaux éléments de la houle identi- fiés sur les images du radar a ouverture synthéti- que (SAR) de SEASAT obtenues au cours de trois révolutions successives (d’après Lehner 1984). Les rayons et les longueurs d’onde de la houle ont per- mis de calculer la position, l’échelle temporelle, la force et la direction des vents maximaux de la tem- pête qui l’a provoquée dans l’Atlantique Est. Dans ce cas, la relation entrée-sortie habituelle entre les

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Figure 2. Comparaison entre les vitesses du vent (figure du haut) et les directions du vent (figure du bas) fourniespar diffusiomètre et les mesures des vents de surface effectuées durant l'expérience JASIN (d'après Jones et coll., 1981).

30-

27

24

21

VITESSE 18 DU VENT

MESURÉE PAR 15 DIFFUSIOMÈTRE ,

m/sec. 12-

9 -

COMPARAISON DES VITESSES

- - - - - -

6- - 3-

/ /

1 n # l B n l t n l n l l # t l # t l n ~ t l I , ,

DIRECTION DU VENT

MESURÉE PAR DIFFUSIOMÈTRE ,

deg.

O. 9701 o. 3600 O. 9290

M = 0.9640 B = 8.3856 R = 0.9864

l ~ ~ l ~ i l ~ ~ l ~ ~ l ~ ~ l ~ ~ l ~ ~ l ~ ~ ~ O 36 72 108 144' 180 216 252 288 324 360

Direction du vent observée a la surface, deg.

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Figure 3. (a) Analyse des vents de surface par le CMN pour O000 TU le 11 septembre 1970 (d'après Hoffman 1982).

Figure 3. (b) Analyse de minimisation directe utilisant les vents mesurés par le SASS pour O000 TU le 1 1 septembre 1978 (d'après Hoffman 1982).

Figure 4 Caractéristiques de propagation des composantes de la houle observées au cours d'une révolution de SEASAT (fig. de gauche) et reconstitution des principales échelles et forces du champ de vent générateur à partir des données obtenues au cours de cette révolution et de deux autres (fig. de droite) (d'après Lehner 1984).

+ t

Longitude E Longitude E

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champs de vent et de vagues a été inversée et les informations utiles concernant les propriétés extrêmes du champ de vent ont été déduites du champ de vagues. Cette méthode fournissant des informations sur les champs de vent à un moment intérieur (en raison d u caractère fini du temps de propagation des vagues), ses possibilités d’appli- cation à la prévision sont forcéments limitées, et elle est probablement surtout utile pour la recons- titution, aux fins d’études climatiques, de l’histoire spatio-temporelle du champ de vent dans les régions de l’océan sur lesquelles les données dis- ponibles sont rares. Cet exemple donne une idée générale des problèmes que l’on rencontre lorsqu’on s’efforce d’extraire la totalité d u contenu d’information de données interdépendantes four- nies par satellite. Tout d’abord, les différents cap- teurs ne peuvent normalement pas être considérés isolément, puisque les algorithmes qui servent à convertir les données recueillies par ces capteurs en paramètres géophysiques dépendent de don- nées d’entrée supplémentaires qui ne peuvent être obtenues qu’à partir de mesures effectuées simul- tanément par d’autres capteurs, ou, plus générale- ment, à partir d’une reconstitution des champs voulus opérée à l’aide de modèles en se fondant a la fois sur des données recueillies sur des métho- des classiques et par satellites. (Dans le présent exemple, les données relatives aux vents et aux vagues étaient fournies non seulement par le diffu- siomètre et par le radar à ouverture synthétique du satellite mais aussi par l’altimètre radar et le radio- mètre hyperfréquences ainsi que par des stations classiques). Ensuite, i l existe normalement entre les divers champs géophysiques fournis par les capteurs embarqués à bord des satellites et par les instruments classiques une interdépendance dynamique qu’une reconstitution optimale de ces champs doit prendre en compte. On se trouve donc face à un problème complexe d’assimilation de données multidimensionnelles allant de la mise au point des algorithmes des capteurs à la reconstitu- tion simultanée de séries de champs en interac- tion dynamique à l’aide de modèles dynamiques à grande échelle.

La circulation océanique ‘La circulation océanique mondiale est un autre domaine important où des avancées significatives peuvent être escomptées grâce à l’utilisation des satellites et aux progrès des techniques de mesure. Les océanographes physiciens s’emploient actuellement à élaborer dans cette perspective une Expérience sur la circulation océanique mondiale (WOCE). Cette expérience devrait cornrnencei- vers ia fin des anhees 80, quand, espère-t-on, les satellites nécessaires auront été mis au point, et s’étendre sur une période d’au moins cinq ans. Outre les vents de surface, la température à la surface de la mer et les flux de rayonnement, les satellites fournissent des

données essentielles sur la topographie de la sur- face de la mer. Après soustraction de la topogra- phie du géoïde (qui peut être déterminée par d’autres moyens), celle de la surface de la mer per- met d’obtenir le courant géostrophique de surface, fournissant ainsi la référence essentielle requise par le calcul du courant géostrophique qu’il est si difficile (sinon impossible à l’échelle mondiale) d’obtenir par des mesures classiques. La Figure 5 montre des profils successifs de la surface de la mer en travers d u Gulf Stream obtenus à l’aide de l’altimètre radar de SEASAT (d’après Cheney et Marsh 1981, voir aussi Wunsch 1981). Le courant peut être nettement repéré par la dénivellation de la surface qui atteint presque un mètre transversa- lement. On voit aussi un tourbillon au sud du cou- rant. La Figure 6 montre la moyenne quadratique de l’activité tourbillonnaire (moyenne quadratique de la dénivellation de la surface) pour l’Atlantique Nord-Ouest pendant la période de fonctionnement de SEASAT, telle qu’elle a été calculée à partir des mesures altimétriques (d’après Menard 1983). Les altimètres radar conviennent particulière-

ment bien à l’étude des éléments de la circulation océanique variant sur de petites et moyennes échelles de temps, comme les courants et les tour- billons limitrophes occidentaux que font apparaî- tre ces figures. La mesure des éléments variant sur de grandes échelles de temps ou de la circulation océanique moyenne exige une détermination plus rigoureuse de l’orbite du satellite et du géoïde. Toutefois, la possibilité d’obtenir, également à ces échelles, des informations quantitatives est mise en évidence par une comparaison de la topogra-

Figure 5. Passages successifs de l’altimètre au-dessus du Gulf Stream et d’un anneau froid. Les passages couvrent une période de 21 jours (d’après Cheney et Marsh 1981).

GULF STREAM ANNEAU FROID 4

L. a I m m I Passages colinéaires de

SEASAT

n n ” 29,P N 39.W N 7i&’ O LATITUDE (‘N) 66.3’ O

--, -1: , , , , , ,

18

Figure 6. Variabilité de la topographie de la surface de la mer dans l’Atlantique Nord-Ouest Mesures effectuées par altimètre radar placé à bord de SEASAT (d’après Menard 1983).

-10 - 66 -M - m - 76 -40 - 36 -lD - 46 - W

phie dynamique absolue mondiale aux grandes échelles (filtre passe-bas) calculée à partir des données altimétriques fournies par SEASAT avec la topographie dynamique déduite classiquement des données relatives à la densité (voir Fig. 7, d’après Tai et Wunsch, SOUS presse). Si l’on consi- dére que les mesures altimétriques n’ont porté que sur une très courte période (100 jours), la concor- dance générale est tout à fait satisfaisante. Pour achever la description de la circulation

océanique, i l faut compléter les mesures de la topographie de la surface de mer provenant de satellites par des mesures classiques, en particu- lier de la stratification de la densité. Cette dernière détermine la composante barocline des courants (mouvement de convection) alors que les données relatives au niveau de la mer (ainsi que celles rela- tives à la densité) permettent d’établir le courant barotrope, c’est-à-dire le transport de masse inté- gré verticalement. Par une heureuse coïncidence, des techniques de mesure distinctes correspon- dent aux échelles de temps naturellement distinc- tes de ces deux modes de la circulation océani- que. Dans la plupart des régions de l’océan, l’ajus- tement barocline de la stratification de la densité en profondeur aux variations des forces externes est de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de fois plus lent que la réaction barotrope de la sur- face de la mer (plusieurs années contre plusieurs jours ou semaines). Toutefois, les temps de réponse barocline sont plus courts dans les régions équatoriales, dans les zones où les cou- rants sont intenses et dans la thermocline saison- nière. La fréquence d’échantillonnage élevée des altimètres embarqués à bord de satellites permet

d’étudier la réponse barotrope mondiale rapide avec un compromis acceptable de résolution spatio-temporelle, alors que la répartition de la densité en profondeur, qui varie plus lentement, pourra être établie (quoique avec une résolution spatiale plus grossière) grâce a des observations effectuées à bord de navires et à d’autres techni- ques classiques. La figure 8 montre la couverture de la topographie de la surface de la mer a l’échelle mondiale obtenue avec u n satellite a défi- lement sur orbite pendant dix jours successifs, qui donne un compromis raisonnable entre la résolu- tion dans l’espace et dans le temps pour la variabi- lité barotrope. Toutefois, le repliement d u spectre par sous-échantil lonnage n’est pas entièrement négligeable et un système à deux satellites amé- liorerait nettement la densité de l’échantillonnage (ainsi que la précision des mesures).

Dans les régions où la réaction barocline est plus rapide, telles que les zones équatoriales et frontales, i l faut multiplier les observations hydro- graphiques ou les mesures équivalentes dans la colonne d’eau pour étudier le flux barocline et ses interactions avec la circulation barotrope. Une méthode quasi automatique de surveillance conti- nue de la structure hydrographique intérieure de ces régions de l’océan serait évidemment très sou- haitable. On a de très bonnes raisons d’espérer que la tomographie acoustique fournira par télé- mesure continue certaines au moins des informa- tions nécessaires. Cette technique permet de déduire la structure thermique d’une vaste région de l’océan par des modèles inverses des temps de parcours de signaux acoustiques suivant diverses trajectoires à travers la région (Behringer et coll.

19

Figure 7. Topographie dynamique mondiale à grande échelle (filtre passebas) établie à partir de I’altimétre de SEASAT (a) et données relatives à la densité (b) (d’après Tai et Wunsch, SOUS presse).

- 73 A I 1 I I I I

Équ.

O 30 60 90 120 150 180 210 240 270 300 330 360

LONGITUDE I

Fig. 7a

W 3 F

J -

n

i = - a

-10 I I 1 1 I 30 60 90 120 150 100 210 240 270 300 330 3

LONGITUDE Fig. 7b

20

Figure 8. Densité d’échantillonnage d’un altimètre radar à bord d’un satellite à défilement pendant une période de 10 jours.

,LONGITUDE

1982). Elle a été expérimentée avec succès dans un carré d’environ 400 km de côté, au sud des Ber- mudes. Elle pourrait servir en principe à mesurer à la fois la structure thermique et le champ de cou- rant si l’on utilise la propagation aller et retour. Parmi les autres techniques qui pourraient nous

aider de manière appréciable à comprendre la cir- culation océanique mondiale figurent celles des bouées dérivantes localisées par satellite, des flot- teurs à sonar en eau profonde, des systèmes d’échantillonnage automatiques des navires occa- sionnels et des instruments mouillés établissant des profils continus. Toutefois, on ne sait pas encore quelle serait la meilleure combinaison de ces différentes techniques de mesure et la straté- gie de déploiement optimale pour chaque système. Si l’étude de la dynamique de la circula- tion océanique mondiale peut maintenant, grâce aux satellites et a d’autres moyens perfectionnés, être envisagée dans le cadre de programmes expé- rimentaux à grande échelle, tels que l’Expérience sur la circulation océanique mondiale, des efforts concertés devront être déployés par les océano- graphes, sur le plan théorique et dans le domaine de la modélisation numérique, pour élaborer à de telles fins des stratégies efficaces de mesure et d’analyse des données. Pour donner une idée de la nature des problè-

mes qui se posent, on peut prendre comme exem- ple une des variables qui ont la plus forte inci- dence sur la circulation océanique et sur I’interac- tion de l’océan avec l’atmosphère et de ce fait le

plus d’importance pour les études climatiques : le flux thermique net de l’atmosphère vers l’océan. En comparant les résultats des mesures de ce flux dans l’Atlantique (Bunker 1980) (Figure 9) et les valeurs calculées a partir d’un modèle de la circu- lation océanique mondiale (Maier-Reiner et coll., 1982) (Figure lO), on constate que la concordance est généralement bonne pour l’Atlantique Nord mais très mauvaise pour l’Atlantique Sud. Le modèle reproduit les répartitions moyennes de la température et de la salinité, les champs de cou- rant et les répartitions du tritium de façon assez satisfaisante, de sorte qu’il n’y a a priori aucune raison évidente de mettre en doute les calculs du flux thermique qu’il permet d’effectuer. Cette dis- cordance reflète-t-elle néanmoins une erreur du modèle, ou faut-il penser que ce sont les données qui sont inexactes ? Quelles mesures fautJl faire pour l’éliminer ? Peut-on, en vérifiant la valeur du flux thermique moyen donnée par le modèle pour un certain laps de temps, en tirer des conclusions relatives à la validité de son application au calcul des variations d u flux thermique et de I’emmagasi- nage de la chaleur dans l’océan aux échelles tem- porelles de quelques mois à quelques années dans lesquelles s’inscrit la W O C E ? Les recher- ches sur la variabilité du flux thermique de l’océan à cette échelle de temps devraient-elles être plus intensives dans les océans tropicaux, comme sem- blent l’indiquer empiriquement les signes d’ano- malie marquée à grande échelle du système cou- plé océan-atmosphère qui ont été observés dans

21

Figure 9. Flux thermique superficiel net dans l’océan (d’après Bunker 1980).

les régions équatoriales et théoriquement la forte réponse des modèles atmosphériques aux anoma- lies de la température à la surface de la mer dans les zones tropicales et subtropicales (et comme cela a été proposé dans le cadre de l’Expérience sur les océans tropicaux et l’atmosphère globale (TOGA) ? Les questions fondamentales de cette nature devront manifestement être abordées au moyen d’un vaste programme de modélisation numérique permettant de tester la sensibilité de différents types de modèles à différents types de paramétrisation, de couplage et de forces exter- nes.

Conclusions Dans le domaine de l’océanographie physique,

on verra apparaître, au cours des prochaines décennies, de nouvelles techniques d’observation des océans sur une’échelle beaucoup plus grande, aux niveaux mondial et régional. Les capteurs de ces systèmes perfectionnés produiront des flux continus de données à des rythmes nettement supérieurs à ceux auxquels ont,jusqu’à présent, été habitués les spécialistes de cette discipline.

En principe, les recherches en océanographie physique menées dans le passé suivaient une série d’étapes logiques : une expédition océano- graphique était planifiée, elle avait lieu, les don- nées étaient analysees, elles étaient interprétées, une nouvelle expédition était planifiée en fonction de ces résultats, etc. Néanmoins les océanogra- p hes physiciens souffrent tradition ne1 lemen t du fait que ces étapes logiques ne sont pas toujours, en pratique, nettement distinctes, de sorte que les chercheurs croulent constamment sous une masse de données différées qu’ont fournies de précédentes expéditions tout en travaillant à éta- blir les plans de la suivante. Ce problème pourrait prendre des proportions encore plus grandes lors- que de vastes systèmes d’observation continue produisant de grandes quantités de données entre- ront en service. I I sera peut-être nécessaire de repenser complètement le mode traditionnel de recherche océanographique. I I faudra créer des centres d’analyse océanographique, analogues aux centres actuels d’analyse et de prévision météorologiques, qui analyseront de façon conti- nue les données reçues. C o m m e dans les centres d’analyse météorologique, ces travaux nécessite- ront l’application de modèles relativement com-

22

Figure 10. Flux thermique superficiel net dans l’océan calculé au moyen d’un modele de la circulation océanique mondiale (d’après Maier-Reiner et colt. 1982).

FLUX THERMIQUE SUPERFICIEL MOYENNE ANNUELLE

plexes afin de reconstituer ces champs dynami- quement cohérents. Pour interpréter et appliquer les données, i l fau-

dra disposer d’un ensemble de modèles de recher- che et d’application, et notamment de modèles de la circulation océanique mondiale, de modèles à haute résolution portant sur des zones limitées pour les régions où la circulation océanique est particulièrement active et de modèles de prévision marine de portée mondiale et régionale. Pour de nombreuses applications, l’océan doit être consi- déré comme un sous-élément du système couplé océan-atmosphère, et une étroite collaboration devra s’instituer entre océanographes physiciens et météorologistes. Les premiers sont encore très peu familiarisés avec le traitement des données et la modélisation numérique selon un mode continu, quasi opérationnel. Mais si on parvient à relever ces défis, cela marquera peut-être, pour I’océano- graphie physique, le début d’une nouvelle ère au cours de laquelle l’océan mondial, comme aujourd’hui l’atmosphère, sera traité dans son intégralité, aussi bien pour l’étude du rôle

complexe qu’il joue dans le système climatique mondial que pour la prévision météorologique marine à l’échelle planétaire.

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N.J. Campbell

Notre prochain orateur est M. David Dyrssen.

M. Dyrssen a obtenu son doctorat en chimie à l’université de Stockolm en 1956 et a occupé depuis des postes importants dans divers grands instituts de recherche suédois, notamment I’lnsti- tut royal de technologie de Stockholm, jusqu’en 1963. Cette année-là, i l a été nommé professeur à la Chalmers University of Technology et à I’Univer-

sité de Goteborg. I I continue d’exercer ces fonc- tions.

I I est membre correspondant de la Société fin- landaise de chimie, membre de la Société royale des arts et des sciences de Goteborg et membre de I’Acqdémie royale suédoise des sciences de l’ingénieur. I I est l’auteur de plus de 340 communi- cations portant sur la chimie de l’extraction par solvant et sur la chimie marine. I I fait partie de mul- tiples commissions nationales et internationales et en préside un grand nombre. C’est un spécia- liste éminent qui nous parlera de la recherche future dans le domaine de la chimie de l’océan.

24

Passé et avenir de la chimie de l’océan David Dyrssen

Département de chimie analytique et marine Chalmers University of Technology et Université de Goteborg,

S-412 96 Goteborg Suède

Résumé

La chimie marine traite de l’eau de mer considérée comme un milieu de réactions chimiques qui dépendent de la pression et de la température. L’océanographie chimique concerne la répartition des constituants de l’eau de mer. Cette répartition est régie non seulement par des relations chimi- ques générales (lois), mais dans une tout aussi grande mesure par des phénomènes biologiques et géologiques et des processus de brassage. L‘étude de la chimie de l’océan a par conséquent une grande incidence sur l’océanologie, notamment en permettant une exploitation optimale des res- sources océaniques, mais elle peut en outre approfondir notre connaissance fondamentale de la chimie et des produits naturels. Les recherches sur la pollution menées depuis 10 ans ont amélioré notre compréhension des

phénomènes naturels essentiels et du cheminement des différents éléments et substances dans la mer. En même temps, nos moyens d’évaluer et de maîtriser les risques de pollution se sont affinés. La mesure des polluants va certainement se poursuivre aussi pendant les 20 prochaines années. Les méthodes d’échantillonnage et d’analyse se sont considérablement perfectionnées en 10 ans et continueront h évoluer. Notre connaissance de la chimie de l’océan progressera dans la mesure où les océanographes utiliseront les dernières découvertes faites dans les différentes branches de la chimie et assureront aux moyens d’analyse un niveau satisfaisant en continuant régulièrement à perfectionner les techniques et h assimiler les progrès. Les techniques informatiques de pointe sont coûteuses, d’où la nécessité de créer un petit nombre de laboratoires internationaux bien équipés. Ces laboratoires doivent être installés dans des zones économiquement importantes et assurer aussi des cours de formation qui permettront d’entreprendre des recherches océanologi- ques poussées dans l’intérêt de toutes les nations. I I faut en outre concevoir des navires océano- graphiques comportant des aires d’échantillonnage sans risque de contamination et des laboratoi- res sous atmosphère purifiée permettant d’utiliser des instruments perfectionnés et d’effectuer à bord des travaux très poussés sur la chimie des oligo-éléments.

Introduction

L‘homme primitif a dû être frappé par le fait que l’eau de mer était salée et amère alors que l’eau des lacs, des rivières et de la pluie était sans saveur et ne contenait pratiquement aucun sel. I I pouvait voir s’évaporer l’eau sous la chaleur d u soleil et i l a probablement songé à son cycle, même s’il n’était pas prêt à le le représenter, tel que le montre la Figure 1, sous la forme d’une gra- vure rupeste. La légende de cette figure indique que le volume total de l’eau déversée par les embouchures des cours d’eau du monde dépasse de peu le million de mètres cubes par seconde - volume impressionnant mais bien faible au regard de celui des grands courants océaniques puisque le Gulf Stream déplace à lui seul 70 millions de m3 par seconde dans l’Atlantique nord.

L‘homme primitif a dû prévoir la salinité des vents de la mer mais i l aurait difficilement pu ima- giner qu’ils transportaient vers les continents

jusqu’à un milliard de tonnes de sels marins par an ; ce qui ne représente, toutefois, qu’une faible partie de la totalité des sels contenus dans les mers, soit près de 50x log millions de tonnes. Les constituants majeurs de ces sels ont des concen- trations supérieures à 1 mg par kilogramme d’eau de mer (voir tableau 1). La plupart de ces sels retour- nent à la mer par l’écoulement fluvial avec des élé- ments de roches et des sols désagrégés par les agents atmosphériques dans les zones de drai- nage. Plusieurs de leurs principaux constituants, notamment le sodium, le potassium, le magné- sium, les chlorures et les sulfates, figurent en pro- portions bien moindres dans l’eau fluviale que dans l’eau de mer (tableau 2). Ce tableau montre également qu’au cours de ce siècle, les activités humaines ont accru les concentrations de la plu- part des constituants dissous dans les cours d’eau dont les bassins de drainages correspondent àdes zones industrialisées. Les pluies acides ont réduit l’alcalinité des eaux fluviales et augmenté la con- centration des sulfates. L’azote étant considéré

25

Flgum 1. Le cycle mondial de l’eau. Le volume d’eau qui s’évapore de l’océan est d’environ 10% supérieur à celui qui y retourne sous forme de pluie. Ces 10% qui sont appauvris en H;% sont transportés sous forme d’eau météorique (atmosphérique) sur les conti- nents où ils sont précipités sous forme de pluie et de neige. Le transfert net de vapeur est égal à l’écoulement dans les océans. Puiç- que 70% de la surface terrestre A sont recouverts par la mer, (1000-900) x 0,70 A = (700-470) x 0,30 A = 1,132 x 106m3/s.

I

4 I I I

Tableau 1

La teneur normale en sels de l’eau de mer est de 35 grammes par kilogramme d’eau de mer. Le tableau indique les concentra- tions moyennes des principaux constituants. La concentration du sodium est calculée à partir de l’équilibre des ions :

[Na’] = [F-] + [Cl-] + [Br-] + A, + 2[S042-] - [K+] - 2flMg2+] + [Ca2’] + [Sr’+]). L’alcalinité (AS est essentielle- ment (HCO,).

Constituant mglkg d’eau mollkg d’eau de mer de mer

Sodium

Potassium

Magnésium

Calcium

Strontium

Fluorure

Chlorure

Bromure

Sulfate

Alcalinité

Bore

10766

399.1

1292

41 2.7

8.14

1.4

19353

67.3

2712

(1 43)

4.45

0.4583

0.01021

0.05315

0.01030

0.000093

0.000074

0.54587

0.00084

0.2823

0.00234

0.00041 2

Tableau 2

Les principaux constituants du cours supérieur de l’Elbe à Lovosice en Bohème, Europe Centrale, en 1892 et en 1976 d’après Paces et Pistora (1979).

~

Con stituant 1892 1976 mmolll mmolll

Sodium

Potassium

Magnésium

Calcium

Chlorure

Nitrate

Carbonate d’hydrogène

Sulfate

0.42

0.14

0.21

0.85

0.26

0.03

1.97

0.20

1.50

0.20

0.39

1.44

1.13

0.48

1.60

1 .O8

26

comme l’élément nutritif limite dans l’eau de mer, les quantités accrues de nitrates contenues dans les eaux fluviales du fait de leur large utilisation généralisée comme engrais dans l’agriculture, ten- dent à fertiliser les zones côtières aux embouchu- res des cours d’eau.

La chimie de l’océan à ses débuts

Robert Boyle (1627-1691) peut être considéré comme le fondateur de l’océanographie chimique. Dans son ouvrage intitulé “Observations and expe- riments on the saltiness of the sea” (Observations et expériences relatives à la salinité de la mer), i l décrit le dosage pratiqué sur un échantillon d’eau de mer à l’aide de nitrate d’argent et i l rapporte comment il a découvert que la détermination de la densité de l’eau de mer fournissait une mesure précise de sa teneur en sel (voir Riley, 1965). Aujourd’hui, i I existe des appareils qui permettent de déterminer la densité rapidement et avec préci- sion. Un siècle plus tard, Antoine Lavoisier

(1743-1794), le chimiste le pluséminent de son épo- que, analysa un échantillon d’eau de mer prélevé dans la Manche à 4 miles au large de Dieppe. I I en fit évaporer l’eau et put identifier différents sels par dissolution partielle dans l’alcool. Presque à la même époque, Torbern Bergman (1 735-1784), con- sidéré comme le fondateur de la chimie analytique moderne, obtint un échantillon d’eau de mer pré- levé à 110 mètres de profondeur au large des lles Canaries par Andreas Sparrman, médecin de la marine qui accompagna James Cook(1728-1779)au cours de deux de ses voyages. En se servant de papierde tournesol et d’une teinture tiréedu coesal- pina (bois du brésil), Torbern Bergman montra que l’eau de mer était légèrement alcaline, et identifia plusieurs constituants par précipation. Au lieu de peser ces précipités, i l essaya de séparer les diffé- rents sels après évaporation de l’eau de mer. Ce qui n’est pas une méthode fiable, et les quantités indiquées par Lavoisier et Bergman sont d’ailleurs assez trompeuses (voir Dyrssen et Ratti-Moberg, 1974). II fallut attendre encore un siècle avant que Svante Arrhenius (1859-1927) suggère que les élec- trolytes en solution sont toujours plus ou moins dissociés en ions libres.

L’expédition d u Challenger (1873-1876)

La chimie analytique se développa très rapide- ment au cours du XIXe siècle. Robert Wilhelm Bun- sen (181 1-1899) fut probablement, au dix-neuvième siècle, le plus remarquable spécialiste de cette discipline. Son ancien assistant, Wilhelm Dittmar (1833-1894) analysa à I’Andersonian University de Glasgow les principaux constituants des échantil- lons d’eau de mer recueillis au cours de I’expédi- tion du Challenger. Le Tablerau 3 montre que les résultats obtenus par Dittmar supportent très bien

Tableau 3

Composition des sels de mer selon Dittmar (1884) et chiffres actuels calculés A partir du tableau 1. Les chiffres sont donnes en grammes pour 100 g de chlorure bromure.

NazO 74.486 74.726 - 0.32% K20 2.445 2.476 - 1.3%

1 1.269 11.032 + 2.1% Ca0 3.025 2.973 + 1.7% MgO

s03 1 1.558 11.639 - 0.70% CO2 0.275 0.4W.53 - 78%

la comparaison avec les chiffres actuels. I I n’y a que dans le cas du gaz carbonique que les résul- tats ne concordent pas. Le Challenger était équipé d’un laboratoire de chimie de sorte que le chimiste de l’expédition, J.Y. Buchanan, et Dittmar purent titrer une solution d’eau de mer afin d’en détermi- ner la teneur en gaz carbonique et l’alcalinité (voir Riley, 1965) mais les chiffres obtenus par le CO, correspondaient à peu près à la moitié des valeurs correctes. Ce fut Kurt Buch (1881-1966) qui, le pre- mier, fit la lumière sur le système gaz-carbonique- carbonate dans l’eau de mer. Ses publications por- tant sur ce système couvrent 40 années (1 91 5-1 955).

Chimie moderne des solutions Entre 1940 et 1960 la chimie des solutions et la détermination de la composition des ions complexes en milieu aqueux firent de grand pro- grès . A Copenhague et à Lund, Jannick Bjerrum, Sture Fronaeus et Ido Leden firent des études sur les équilibres des formations complexes. A Stock- holm, des études spéciales sur l’hydrolyse des ions furent menées par Lars Gunnar Sillen et, à Zürich, Gerold Schwarzenbach mesura les équili- bres entre les ions métalliques et les acides polya- minopolycarboxiliques tels que I’EDTA. Les pre- mières tables des constantes de stabilité des complexes tant inorganiques qu’organiques furent établies par Bjerrum, Schwarzenbach et Sillén. A la fin des années 50, Gustaf Arrhenius et

Edward Goldberg demandèrent à Lars Gunn-ar Sil- ién d’étudier les équilibres entre les différentes formes des divers éléments de l’eau de mer. Les travaux de Sillén, présentés au Congrès océano- graphique international tenu à New-York en 1959, donnèrent lieu à une publication (Sillén, 1961) qui exerça une influence considérable sur la chimie marine au cours des vingt années qui suivirent. On étudia les réactions chimiques, notamment les équilibres avec les phases solides, et leur dépen- dance à l’égard de la pression et de la température, et l’on détermina les constantes de stabilité dans l’eau de mer. Si la notion d’équilibre est très utile pour comprendre certains aspects de la chimie des océans, c’est sur l’équilibre entre les entrées

27

Flgure 2. La série de données fournles par la Station GEOSECS 202 dans l'océan Pacifique oriental. Les concent rations d'oxygène, de phosphate, de nitrate et de silice, l'alcalinité et le carbonate total sont donnés en micromoles par kg d'eau de mer ; le barium et le

- 5000

cuivre en nmollkg.

TEMPERATURE POTENTIELLE. GEOSECS 202

8 - 5000

PHOSPHATE. GEOSECS 202

1 - 2 2200 2800

SAUNI*. GEOSECS 202 OXYGÈNE, GEOSECS 202

-400

-800

-800,

O

-1000

- 2000

- 3000 -4000

O e O

e

O

'

b

O

-1000

- 2000

- 3000

-4000

- 5000 O

O

-1000

- 2000

- 3000

-4000

- 5000

O

-1000

-2000

- 3000 O O

O O -4000 e O O O

IPo O

O e O O O O

0,

\ O O O

O

O O O

R 2 4 20 100 200 300 10 30

NITRATE. GEOSECS 202 SILICE, GEOSECS 202 ALCALINI*, GEOSECS 202 COz. GEOSECS 202 - O

-1000

- 2000

- 3000

-4000

- 5000

O

- 1000 - 2000

- 3 m

-4000

O

-1000

-2000

- 3000

-4000

- 5000

O

-1000

- 2000

- 3000

-4000

O

O

O

O

O

e O O O O O O O O O

O O

O O

O O O O O

O O O e n - 5000

- 50 100 150 200 2200230024002500 - 5000

0 2 0 4 0 8 0

C-14. GEOSECS 202 H-3. GEOSECS 202 H-3. GEOSECS 202 0-

-500 O'

-1000 : -1500 : -2000 ;

O

-2500 0

-3000 8

-3500 0

-4000

-4500 0

- 5000

O

6' O -500

-1000

-1500

- 2000 -2500

-3000

-3500

-4000

-4500

- 5000

- 1000

-2000

- 3000

- 4000 O

O

O

- 5000 O 5 10 15

-1000 t O 5 10 15

BARIUM. GEOSECS 202 CUIVRE. GEOSECS 202

O 5 10 15 20 -400-200 O 200400

O

-1000

- 2000

-3000

- 4000

O

-1000

- 2000

- 3000

-4000

\o. . ' 00

%.

% O

O

O O

O

- 5000 1 O O 30 100 150 200

-5000 1 O n

O 5 10

28

29

et les sorties qu’insistent aujourd’hui les modèles de l’eau de mer (McDuff et Morel, 1980). Ces entrées et ces sorties peuvent être influencées par divers facteurs : changements dans les bassins de drainage des cours d’eau, sources hydrotherma- les, phénomènes de glaciation, formation d’évapo- ri tes, modifications biologiques, etc.

L’océanographie chimique des années 70 a été dominée par I’Etude géochimique de coupes océa- niques (GEOSECS), l’un des programmes les plus importants et les plus fructueux de la Décennie internationale de l’exploration océanique (DIEO). La conception de GEOSECS est l’œuvre de deux physiciens remarquables, Joseph Reid et Henry Stommel, et de trois géochimistes éminents, Wal- lace Broecker, Hannon Craig et Derek Spencer. Deux autres personnes ont pris une large part à ce vaste programme, Feenan Jennings, directeur du programme de la DIE0 et Arnold Bainbridge, chef du groupe chargé des opérations (Edmond, 1980). La qualité des techniques de prélèvement, d’analyse et de traitement des données était remarquable. La sonde de mesure de la conducti- vité, c!! la température et de la profondeur (CTP) ainsi que I’échantillonneur en rosette devraient désormais faire partie du matériel type de toutes les grandes expéditions océanographiques. GEO- SECS est une source de données précieuse pour vérifier les futurs modèles de la circulation océani- que et les changements chimiques dus à des pro- cessus biologiques, chimiques et géologiques (voir Fig. 2). Les mesures de la contamination de la surface de la mer par le tritium (Fig. 3) mettent en évidence la pénétration des eaux des hautes latitu- des dans les profondeurs de l’Atlantique Nord.

Flux hydrothermaux

La composition actuelles des océans (voir tableau 1) est le résultat net des entrées et des sor- ties sur des millions d’années. Nous nous fondons

souvent sur l’hypothèse d’un équilibre permanent entre les entrées et les sorties des principaux ions mais nous pouvons seulement prouver que ces flux sont faibles en comparaison du contenu total des océans, ce qui exclut toute variation histori- que importante. Au cours de la dernière décennie, on a reconnu

que les flux hydrothermaux jouaient un rôle impor- tant dans plusieurs cycles géochimiques (Edmond et coll. 1982 ; McDuff et Morel, 1980). L‘eau de mer froide circule à travers les crêtes des dorsales et son interaction avec des basaltes chauds de for- mation récente aboutit à son apauvrissement en magnésium et en sulfates et à son enrichissement en potassium et en calcium. Le tableau 4 montre que certpins flux hydrothermaux sont importants par rapport au transport fluvial. Dans le cas du magnésium, cette élimination à la suite de réac- tions hydrothermales est particulièrement impor- tante et explique undéséquilibre apparent d u cycle du magnésium (Drever, 1974). De même, ce n’est qu’au cours de la dernière décennie qu’on s’est rendu compte de l’importance de l’élimination des sulfates (Berner, 1972).

II convient d’examiner le rapport sur la recherche océanique future (FORE) ainsi que le rapport de la République fédérale d’Allemagne (Hempel et Meyl, 1979) à la lumière de l’expérience acquise. D’autres efforts seront déployés pour définir quan- titativement les rythmes et les mécanismes des processus qui régissent la chimie des océans. Le nouveau programme relatif aux Traceurs tran-

sitoires en océanographie (TTO) se fonde large- ment sur les moyens mis au point dans le cadre du programme GEOSECS. Le iT0 a pour objet d’examiner les processus de mélange dans les océans et d’étudier l’océan en tant que puits du gaz carbonique excédentaire. Au cours des derniè- res décennies, l’accroissement d u gaz carbonique dans l’atmosphère est devenu un sujet de préoccu- pation très répandu (Brewer, 1978 ; Revelle, 1982).

Tableau 4

Entrées et sorties des principaux constituants de l’eau de mer d’après McDuff et Morel (19ûO). Les chiffres entre parenthèses représentent la quantité totale des constituants dans l’océan en 10’8 moles.

Les flux sont donnés en 1012 moles par an.

Echange Activité Désagrégation Dépôt de d’ions hydrothermale des basaltes carbonate

Cycle des apports ~~~~~~ atmosphériques et

des évaporites Constituant

Chlorure (764) + 10.0 - 10.0 Sodium (656) + 11.8 - 9.3 Magnésium (74) + 8.0 - 0.5 Sulfate (40) + 3.7 - 0.5 Potassium (14) + 3.2 - 0.1 Calcium (14) + 17.1 - 0.1 Alcalinité (3.3) + 47.8 Carbonate total (3.0) + 43.7

? - 1.9 ? - 1.2 - 7.8 - 3.8 - 0.4 - 1.3 - 4.0 + 2.6 + 3.1 + 2.0 - 24.7 + 0.5 - 0.4 - 49.4

+ 0.5 - 49.4

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Figure 4. La stœchiométrie de la formation des hydrates de carbone, des graisses, des protéines, de l’opale et du carbonate de cal- cium normalisée à un ester phosphorique.

in = s + t + 2u + 2v + 1 + y n = u + v p = v,q = x,r = y a = n + 2 p - 2 r - 1 z = s + 1,5t + 3 , 5 ~ + 5,5~ + 1

mCO, + nN0,- + pSO,?+ qSiQ + rCa’++ MHPO.

( CHzO ( CHI11 ( NHCHZCO 1” ( NHCHZCS 1” - ( SiQM Caca&( CHPQM 1

+ z Q + aOH-

A z, A m et A a représentent respectivement les modifications de la concentration d‘oxygène, du carbonate total et de l’alcalinité.

Le GEOSECS et le TTO ont recours à des pol- luants de la surface de l’océan tels que le carbone- 14, le tritium et les fréons. De la même manière, des substances radioactives - comme les effluents de Windscale, qui pénètrent dans la mer d’Irlande - et les halo-carbones - comme le tétrachlorure de carbone et le tétrachloro-éthylène - peuvent servir de traceurs pour l’étude des pro- cessus de mélange (Dyrssen, 1982).

La pollution de la mer par biocides et d’autres composés organiques est très préoccupante. Au cours de ces dix dernières années, l’analyse des matières organiques à l’état de traces s’est beau- coup améliorée grâce à l’emploi de techniques tel- les que lachromatographie en phase gazeuse utili- sant des colonnes capillaires remplies de silice fondue, la spectrométrie de masse couplée avec le contrôle sélectif des ions et la chromatographie en phase liquide à haute résolution avec des détec- teurs sensibles. Le traçage des polluants organi- ques dans le milieu marin permettra non seule- ment de mieux connaître d’importants processus biochimiques, mais aussi d’évaluer les risques possibles. La photosynthèse dans la couche supérieure et

la décomposition dans les eaux profondes et à la surface des sédiments comptent parmi les plus importants processus générateurs de change- ments substantiels de la composition de l’eau de mer. I I est possible d’expliquer les données GEO- SECS à l’aide d’un modèle stoechiométrique comme celui de la figure 4, mais i l serait égale- ment souhaitable, à l’avenir, qu’on étudie la pro- duction et l’évolution des substances organiques dissoutes dans le milieu marin. Certaines de ces substances sont bioactives et présentent donc un intérêt particulier. A la surface de la mer, les pellicules organiques

jouent un rôle important dans le transfert des gaz à l’interface airlmer et dans la formation d’aérosols

marins. Ces pellicules ne sont pas de simples lipi- des ou surfactants, ce sont des polymères forte- ment hydroxylés, carboxylés et aminés. Le rapport FORE reconnait l’importance de la recherche sur les interactions océanlatmosphère et la nécessité d’améliorer notre connaissance de la composition des pellicules organiques.

En remodelant la surface de la terre, l’homme semble avoir plus que doublé le taux d’érosion, et le flux des solides en suspension dans les cours d’eau est maintenant de l’ordre de 18 milliards de tonnes par an (Goldberg, 1972). Ces matières sont en grande partie contaminées et se déposent dans les embouchures des fleuves. D’autres matérieux proviennent des remontées d’eau froide côtières ainsi que de la production et de la consommation de la matière photosynthétique. Le contenu orga- nique des fonds marins côtiers sert de nourriture aux organismes et aux microbes benthiques. Le fond de la mer est donc remodelé et des substan- ces sont libérées dans l’eau. II conviendrait d’étu- dier de manière plus approfondie ces processus diagénétiques précoces (par exemple en utilisant des caissons de fond) et de quantifier leur apport au cycle des polluants et d’autres substances. Le flux de matières provenant de l’eau superficielle peut être étudié à l’aide de pièges à sédiments mouillés ou dérivants et de néphélomètres et par filtration de grands volumes d’eau. Des profils fiables des métaux à l’état de traces

en fonction de la profondeur sont en cours de publication (Wong, 1983). Les problèmes de prélé- vement et de réduction du risque de contamination ont été résolus. Les opérations sont pratiquées en laboratoire dans des conditions d’extrême pro- preté et dans une atmosphère parfaitement stérile. Les techniques permettant de déterminer l’état chimique (spéciation) des métaux à l’état de traces progressent, ainsi que notre connaissance de la biochimie des éléments essentiels et toxiques

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(Wood, 1982). Pour comprendre le flux des métaux à l’état de traces dans l’océan et leur interaction avec la faune et la flore, i l conviendra toutefois de modifier les notions de colonne d’eau et de modèle-bdte et d’envisager des modèles de mélange plus réalistes tenant compte de I’advec- tion isopycnique. Le risque de contamination est également important dans l’étude des matières organiques à l’état de traces. La plupart des navi- res océanographiques actuels ne sont pas équipés pour l’étude chimique des oligo-éléments et de nombreux résultats erronés ont été signalés. II est également important d’utiliser des substances chi- miques et des instruments de laboratoire non contaminés pour tester la réaction physiologique des organismes aux oligo-éléments. Aujourd’hui les moyens d’analyse sont beau-

coup plus perfectionnés que naguère. La sonde CTP, qui peut être descendue à une vitesse d’un mètre par seconde, fournit 30 valeurs de la salinité, de la température et de la profondeur par mètre, présente les profils en fonction de la profondeur sur un écran de télévision et emmagasine les don- nées dans une mémoire d’ordinateur. Elle peut être également équipée d’un capteur d’oxygène. Les substances nutritives peuvent désormais être identifiées par analyse automatique. Toutes les données sont emmagasinées dans un ordinateur, ce qui permet, ultérieurement, de procéder à des

analyses et de tester les modèles de distribution de divers constituants dans les océans.

Les sédiments et les concrétions peuvent rapi- dement être analysés par la diffraction et la fluo- rescence des rayons-X. On examine les particules en en balayant la surface avec des faisceaux élec- troniques et en pratiquant la spectrocopie électro- nique et la spectrométrie de masse des ions secondaires. La composition des hydrocarbures et des gaz naturels peut être déterminée en liaison directe avec l’ordinateur et l’on dispose de toute une série de méthodes pour définir la structure des substances organiques inconnues. La quantité de substance nécessaire pour une analyse est sou- vent très faible.

L’un des problèmes qui se pose aux chercheurs en chimie marine est celui du financement des moyens d’analyse. L’acquisition des appareils est un investissement important et ne règle pas défini- tivement la question puisqu’il faut constamment perfectionner l’instrumentation et introduire de nouvelles techniques. Les incitations aux investis- sements pourraient être purement scientifiques : nous souhaitons en savoir davantage sur le flux de matières dans le milieu marin. Mais ces équipe men ts sont également utiles pour I’exploi tat ion des ressources marines, qu’elles soient organi- ques (vivantes) ou inorganiques (non vivantes).

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N. J. Campbell

Notre dernier orateur de la soirée sera M. Martin Angel.

M. Angei a obtenu sa maitrise en sciences natu- relles à l’université de Cambridge en 1960 et son doctorat en écologie à l’université de Bristol en 1967. Tout en menant ces études, i l a exercé les fonctions de moniteur de travaux pratiques au Département de zoologie de l’université de Bristol. I I a également, à cette époque, obtenu la bourse de voyage John Murray attribuée par la Royal Society.

En 1965, i l est entré à l’Institut national d’océa- nographie où i l est actuellement spécialiste princi- pal des questions scientifiques. M. Angel a beaucoup apporté à l’océanographie,

en qualité de directeur de la publication “Ghallen- ger Society Newsletter” et de rédacteur chargé d’analyses d’ouvrages dans de nombreuses revues, notamment celle dont je suis responsable, le Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Science (Revue canadienne des pêches et des sciences aquatiques).

II est membre ou président de nombreuses commissions britanniques et de sept sociétés savantes. C’est encore aujourd’hui un chercheur actif qui

est l’auteur de plus de 40 communications impor- tantes et participe àde nombreuses campagnes et expéditions scient if iques.

I I est, dans la littérature, l’un de ceux qui ont traité de la façon la plus marquante le thème de la recherche en océanographie biologique.

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L’océanographie biologique et le rapport FORE Martin V. Angel

I n s t i t u te of Oce a n og ra p h i c S c i en ces ( N E RC) Wormley, Godalming, Surrey GU8 5UB, Royaume Uni

Résumé

Une exploitation des océans avisée et rationnelle vise principalement trois objectifs : protéger les processus qui assurent la vie dans l’océan ; gérer les ressources océaniques renouvelables pour en tirer le rendement maximal ; et préserver la diversité génétique. Pour atteindre ces objec- tifs, l’océanographie biologique doit se donner des moyens de prévision. A cette fin, elle doit pro- gresser en passant par trois phases : (a) recherche descriptive : définition et localisation des phé- nomènes ; (b) compréhension fonctionnelle : fonctionnement de l’écosystème et échelle tempo- relle des processus ; et (c) compréhension prévisionnelle : élaboration d’un corps de connaissan- ces théoriques pouvant servir à prévoir les effets à court et à long terme des pertubations d’origine naturelle ou humaine du système.

L’océanographie biologique doit résoudre toute une gamme de problèmes, dont certains se posent aussi à d’autres branches de l’océanographie : détermination d u volume des océans, complexité des systèmes biologiques, nécessité de comprendre, pour effectuer des recherches biologiques, les phénomènes physiques et chimiques qui influent sur la plupart des réactions des organismes vivants, et lenteur de la conversion de l’observation des échantillons biologiques en do n nées.

Les connaissances doivent progresser principalement dans cinq domaines : (a) compréhension de la dynamique des chaînes alimentaires inférieures, notamment pour la mesure de la production primaire, pour l’évaluation de l’importance de la production primaire résultant du nano- et du picophytoplancton et pour l’étude du rôle joué par les micro-organismes et le microzooplancton ; (b) dynamique des chaînes alimentaires supérieures ; structures des chaînes alimentaires et circu- lation et cycle de l’énergie, des substances nutritives et des matières organiques dans les chaines alimentaires ; (c) compréhension du fonctionnement général des écosystèmes, pour voir comment l’expérience et les connaissances acquises à partir d’un système peuvent être appliquées ou éten- dues à d’autres ; (d) influence des échelles spatiotemporelles sur notre conception du fonctionne- ment des écosystèmes océaniques ; peut-on extrapoler de l’échelle du microcosme ou de I’espé- rance de vie d’un organisme particulier à celles des fluctuations annuelles, des variations climati- ques à plus long terme ou des évolutions géologiques ? Une tendance observée à une échelle don- née peut n’être qu’un phénomène parasite si elle est considérée dans une perspective plus large ou plus longue ; (e) problème particulier des écosystèmes côtiers qui constituent la principale zone de contact entre la vie marine et les activités humaines d’exploitation de l’océan à des fins diverses : nourriture, transport, élimination des déchets, loisirs, énergie, minerais et mise en valeur des ter- res ; ces problèmes se posent avec plus d’acuité du fait que la désignation des zoneséconomiques exclusives attribue la gestion des ressources océaniques à des états côtiers qui n’ont pas les compétences techniques et les moyens de recherche nécessaires pour éviter les erreurs commises par les Etats dont le développement industriel rapide a dépassé l’aptitude à gérer les ressources marines. Le développement de l’interaction entre les différentes disciplines de l’océanographie se révèle

un stimulant efficace du progrès scientifique. L’océanographie biologique apporte beaucoup à la biologie générale sur le plan de la connaissance et de la théorie. Elle constitue aussi la meilleure source d’information potentielle sur les facteurs déterminant le recrutement des stocks de pois- son ; notre incapacité de prévoir ce processus est le principal obstacle aux efforts que nous déployons pour gérer efficacement ces peuplements.

Les progrès scientifiques dépendent dans une très large mesure des progrès technologiques. L’océanographie biologique est entravée par l’insuffisance des techniques permettant de mesurer la productivité primaire, d’échantillonner les peuplements pélagiques et benthiques, de prélever et de conserver tes organismes océaniques vivants, de convertir l’observation des échantillons en

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données et de gérer et de diffuser ces données. Ces techniques sont pour la plupart assez dérisoi- res par rapport à la technologie nécessaireaux grandes recherches de l’astronomie, de la physique fondamentale et de la défense. Pourtant, à long terme, ce sont les progrès de l’océanographie bio- logique, plus probablement que n’importe quelle découverte dans les sciences plus spectaculai- res, qui permettront à l’humanité de survivre sur notre unique planète.

Pourquoi prendre la peine de faire de l’océanographie biologique ?

Les océans, dont la profondeur moyenne est d’environ 3 800 m, couvrent plus de 70% de la sur- face de la Terre et les organismes marins sont res- ponsables d’au moins la moitié de sa production primaire. Les écosystèmes océaniques font partie intégrante de la biosphère et, à ce titre, ils doivent être conservés et protégés contre les effets néfas- tes des activités humaines, dont le rythme s’inten- sifie rapidement. La Stratégie mondiale de conser- vation élaborée par I’UICN et le PNUE a défini trois objectifs fondamentaux pour la gestion de la bios- phère : (i) protection des processus qui entretien- nent la vie, (ii) conservation des ressources renou- velables et (iii) préservation de la diversité généti- que. Pour atteindre ces objectifs, i l est indispensa- ble de prévoir avec exactitude les conséquences de nos activités et celles des variations naturelles de l’environnement, en particulier celles qui résul- tent des fluctuations climatiques. Avant qu’une discipline scientifique puisse se doter de tels moyens, elle doit d’abord passer par une phase qualitative qui, en océanographie biologique, cor- respond à l’édification de fondations systémati- ques adéquates et à l’identification des taxa qui apparaissent à tel ou tel endroit et à tel ou tel moment. A cours de la phase suivante, l’accent est mis sur les études quantitatives dans le cadre des- quelles le mode de fonctionnement du système est élucidé et le rythme des processus en jeu mesuré. Pendant la phase finale, qui est théorique, les systèmes sont modélisés, souvent en utilisant les mathématiques, de telle sorte que les modèles puissent être manipulés afin de prévoir la manière dont l’écosystème répondra à des pertubations.

Principales difficultés en océanographie biologique L’océanographie biologique est confrontée à un certain nombre de difficultés majeures dont certai- nes, mais non la totalité, sont communes à toutes les branches de l’océanographie. La première résulte de l’immense étendue et du caractère tridi- mensionnel des océans. Leur superficie totale est de 361 x 106 km2 et leur volume atteint 1370 x 106 km3 (0,13O/0 du volume de la Terre) ; si on

prélève 50 O00 m3 d’eau que l’on filtre pour recueil- lir le micronecton, l’opération ne concerne que 3,7xlO-l4 d u volume total de l’océan. La deuxièh tient à la complexité des systèmes bio- logiques et à leurs interactions, qui impliquent des organismes dont les dimensions s’échelonnent sur plus de sept ordres de grandeur, de 10-‘j à 30 m, et les temps de génération sur six, de 10-1 à 105 heures. La troisième est due au fait que les fac- teurs physiques et chimiques jouent un rôle pré- pondérant dans la détermination des chemine ments et des rythmes de nombreux processus bio- logiques, et qu’il est donc indispensable, avant qu’on puisse commencer à comprendre de nom- breux processus biologiques, d’avoir une connais- sance approfondie du milieu abiotique. Enfin, l’océanographie biologique exige généralement des personnels étoffés. Alors qu’en océanogra- phie physique les mesures sont directes, de telle sorte qu’à la fin d’une série d’observations, les données sont déjà SOUS une forme utilisable, en biologie, il faut parfois plusieurs années pour recueillir les données qui peuvent être tirées des échantillons prélevés. C’est pourquoi les progrès de la biologie semblent lents lorsqu’on songe qu’en océanographie physique, on peut passer rapidement de la théorie aux observations desti- nées à en vérifier la validité, à condition que la technologie indispensable pour ces observations soit au point.

Lorsqu’elles se sont efforcées de parvenir à un consensus sur les problèmes les plus importants de la recherche en océanographie biologique, tou- tes les personnes qui ont apporté une contribution à l’élaboration du rapport FORE ont reconnu que la tendance à substituer des études de processus à des programmes purement descriptifs devait être encouragée. Cette évolution est frappante dans beaucoup

des principaux centres de recherche océanogra- phique, où l’on tend à abandonner les programmes consistant uniquement en observations et d’élabo- rer des théories et des modèles conceptuels qui sont ensuite testés au moyen d’observations ou d’expériences. Si notre connaissance des effets de la pollution progresse lentement, c’est dans une certaine mesure parce que les énergies sont surto ut canalisées vers des activités intellectuelle- ment stériles de surveillance.

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Domaines de recherche importants en océanographie biologique

Dynamique de la chaîne alimentaire inférieure

Depuis une trentaine d’années, le développement de la méthode de mesure de la production primaire au moyen du carbone 14 a permis d’accomplir des progrès significatifs. Mais des divergences appa- raissent maintenant entre les résultats obtenus grâce à l’application de cette technique et ceux auxquels on parvient en utilisant des méthodes moins commodes, en particulier lorsque les subs- tances nutritives constituent un facteur limitatif, que la lumière dépasse le stade de saturation et que les matières organiques dissoutes et les bac- téries sont abondantes. En outre, cette technique ne donne quedesvaleurs ponctuelles et ne permet pas d’établir des profils continus. Quoiqu’il en soit, on constate, m ê m e en utilisant le carbone 14, que la majeure partie de la production primaire est réalisée par de très petites cellules dont la taille n’est parfois que de 1 à 2pm. Dans les océans oli- gotrophiques, plus de 90% de la production pri- maire peut être réalisée par ces cellules. Les recherches consacrées à la chaîne alimentaire étaient habituellement axées sur la consommation de cellules phytoplanctoniques relativement gran- des comme les diatomées et les dinoflagellés par le zooplancton ‘‘à panier filtreur”, par exemple les copépodes. Les très petits producteurs primaires sont de dimensions trop réduites pour être filtrés et ils ne peuvent donc être exploités par les orga- nismes filtreurs classiques. Aussi doivent-ils être consommés par le microzooplancton tel que les ciliés ou les organismes filtreurs à mucus comme les salpes, et c’est pourquoi, une partie importante de la production primaire doit passer par ces microbrouteurs. Toutefois, on ne sait pas com- ment, à supposer qu’ils le fassent, ces organismes entrent dans une chaîne alimentaire qui se conti- nue jusqu’aux poissons ou à d’autres ressources ut ilisables. On ignore quel est le rôle des très petites cellu-

les autotrophiques dans les écosystèmes océani- ques, ou celui des petits hétérotrophiques : bacté- ries, levures, champignons et protozoaires. Les micro-organismes sont responsables de l’utilisa- tion de matière organique dissoute ainsi que de la production et de la dégradation de carbone organi- que particulaire dans l’ensemble des zones pélagi- ques ainsi que dans les environnements benthi- ques peu profonds et profonds. Le flux de carbone organique dans les écosystèmes marins ainsi que le recyclage et la reminéralisation des substances nutritives dans la colonne d’eau et dans les sédi- ments dépendent des activités des hétérotrophi- ques. Ces processus ont une importance capitale pour le fonctionnement des écosystèmes. Par exemple, les communauté9pélagiques qui vivent au-dessous de la zone normale de migration

nycthémérale (c’est-à-dire de 1 O00 à 1 500 mètres) n’ont à peu de choses près qu’une source d’éner- gie, la pluie des particules qui tombe vers le fond. On ne sait pas si les micro-organismes présents sur les particules constituent une source alimen- taire importante ou si leur rôle est de réduire la matière organique dont disposent les détritivores pélagiques. Dans les couches proches de la sur- face, la régénération et la reminéralisation sem- blent constituer un mécanisme fondamental de la croissance du phytoplancton dans la zone photi- que, en l’absence d’un fort brassage vertical ou de remontées d’eau froide. A de plus grandes profon- deurs, les mêmes processus régissent les profils géochimiques de substances biologiquement contrôlées, et, à l’intérieur des sédiments, ils jouent un rôle important dans la diagénèse, (modi- fication chimique de certaines substances).

L’étude des micro-organismes est compliquée par les difficultés que l’on rencontre pour établir leur taxonomie ; l’identification des bactéries, par exemple, exige qu’elles soient isolées et cultivées, et même dans ce cas, i l n’existe pas de critère convenu pour leur séparation taxonomique. Toute- fois, les profils verticaux des paramètres biochimi- ques de la colonne d’eau (ARN, ADN et ETS) com- mencent à donner des estimations grossières des taux de la biomasse, de la respiration et de la croissance microbiennes. Les bactéries marines sont adaptées à la vie dans des milieux organiques extrêmement dilués, ce qui soulève, sur le plan physiologique, des questions fondamentales quant au mode de fonctionnement de leurs méca- nismes de transport à ces faibles concentrations de substrat. On ignore si leur croissance est conti- nue et si elle s’opère avec beaucoup plus d’effica- cité que celles d’autres organismes marins ou s’ils vivent généralement à un niveau minimum de sub- sistance en accélérant leur métabolisme et leur croissance pour profiter des brèves améliorations de leur environnement.

Dynamique de la chaîne alimentaire supérieure

Beaucoup de travaux ont été effectués sur la struc- ture des chaînes alimentaires en se fondant sur l’analyse du contenu de l’estomac. Or, cette an a I y se est ex t rê m e m e n t d if f i c i I e. L’ i den t i fi ca t i o n d u contenu repose généralement sur des frag- ments de squelettes et d’autres parties dures ; c’est pourquoi, i l arrive souvent que moins de 10% d u contenu soit identifiable. Les détritus et les fragments d’organismes gélatineux ne peuvent être identifiés et i l est fréquent, en outre, qu’on ne sache pas si les éléments identifiables ont été consommés vivants par l’animal ou s’ils se trou- vaient dans l’estomac de sa proie. On a constaté la présence de restes de phytoplancton dans I’esto- mac d’animaux vivant à une profondeur de 1 O00 m. I I est possible que ce phytoplacton ait été consommé vivant pendant une migration dans la

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zone photique, ou par absorption d’un autre migrant dans l’échelle classique de migration de Vinogradov, ou de boulettes fécales ou de “neige” marine contenant les résidus. On ne sait presque rien des rythmes physiologi-

ques simples des organismes marins aux grandes profondeurs. Le métabolisme, le rythme de crois- sance, l’efficacité de l’ingestion, l’efficacité des manipulations des aliments, l’investissement reproductif sont des paramètres physiologiques qui doivent être mesurés sur un très grand nombre d’organismes avant de pouvoir utiliser les structu- res de la chaîne alimentaire pour modéliser le flux d’énergie ou de matière dans les écosystèmes.

Fonction des écosystèmes Un des dogmes fondamentaux de la biologieest qu’il existe des structures dans la nature et que les écosystèmes que nous observons ne sont pas une série d’instantanés uniques d’un chaos qui se modifie sans cesse, tel un kaléidoscope. Actuelle- ment, océanographes biologistes sont dans une situation semblable .à celle d’un groupe de chasseurs-cueilleurs à qui l’on présenterait un assortiment de pièces de voitures en leur deman- dant de réaliser un ensemble de véhicules pour créer et gérer un système de transport. I I y a encore énormément à apprendre par la comparai- son des écosystèmes pour rechercher comment leur fonctionnement diffère et pourquoi. Comment les lagunes et les estuaires diffèrent-ils des communautés de littoral ouvert en zone sablon- neuse ou rocheuse, et dans quelle mesure les pro- cessus qui interviennent dans ces systèmes sont- ils dominés par leurs conditions limites ? En haute mer, où les conditions limites jouent peut-être un rôle moins prépondérant, comment les écosystè- mes oligotrophiques et eutrophiques varient-ils et comment diffèrent les systèmes des hautes ou de basses latitudes. En haute mer, i l est indispensable de connaître

tes vents, les courants et la turbulence qui consti- tuent la matrice physique dynamique de I’écosys- tème. En biologie, plus que dans toute autre disci- pline océanographique, tes progrès des connais- sances sont conditionnés par ceux réalisés en physique, en chimie et dans la technique des pré- lèvements. Par exemple, la physique de la couche supérieure (100 à 200 m) de la colonne d’eau per- met de comprendre bon nombre de problèmes d’océanographie biologique. La turbulence, la dif- fusion tourbillonnaire, la stratification thermique, les ondes internes et le mélange des marées assu- rent la régulation de la turbidité, de l’apport de substances nutritives, de l’aptitude du phytoplanc- ton à se maintenir dans la zone photique, et donc de la productivité. Dans les écosystèmes, de nombreux processus

sont en interaction continue à plusieurs niveaux d’organisation. Les efforts de modélisation des écosystèmes marins se sont concentrés sur des

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modèles de processus couplés dans lesquels le système est représenté par un certain nombre de variables d’état (groupes fonctionnels tels que her- bivores, carnivores “primaires, etc.), le transfert entre les variables étant représenté par une série d’équations qui, elles-mêmes, représentent cer- tains processus tels que la consommation de substances nutritives, broutage, excrétion et dis- persion. Ces formulations sont fondées sur le concept des pyramides écologiques dérivé de l’étude des «biotan terrestres dans lesquels les organismes peuvent être classés avec certitude en plusieurs catégories : herbivores, carnivores, détri- tivores, etc. Or, les organismes marins changent fréquemment de niveau trophique, selon les sai- sons ou à mesure qu’ils se développent, de sorte que la structure de la chaîne alimentaire est dyna- mique. Ce n’est que récemment que l’analyse des propriétés des chaînes alimentaires non structu- rées a été conduite sur le plan théorique, mais elle doit être complétée par l’observation et I’expéri- men tation. Au cours des quinze dernières années, les

efforts qui ont été entrepris pour intégrer des modèles de processus à niveaux multiples ont donné naissance à un pessimisme général (mais non universel) car on pensait que les efforts entre- pris pour modéliser u n ensemble en ajoutant les propriétés de ses parties risquaient de ne jamais aboutir. Les écosystèmes ont des boucles de rétroaction homéostatique qui accroissent à un point tel la complexité des modèles d’écosystè- mes globaux qu’il est impossible de les manipuler. L’exploration de modèles holistiques sera sans doute plus fructueuse. Une analogie avec la physi- que aidera à illustrer ce point. La mécanique sta- tistique a jeté un pont entre les lois relatives aux gaz et le mouvement apparemment chaotique des molécules, si bien que, lorsque les contraintes du système sont connues, i l devient possible d’élabo- rer un ensemble cohérent de prévisions. En écolo- gie, on s’efforce de découvrir des concepts unifi- cateurs similaires. Si un nouvel ensemble de théo- ries des écosystèmes voyait le jour, la recherche écologique ferait des progrès spectaculaires sur la voie d’une plus grande capacité de prévision. La manipulation expérimentalement simulée de

communautés dans des microcosmes artificiels est une autre approche qui a commencé à exercer une influence sur les études des communautés marines au cours de la dernière décennie. Bien que les organismes contenus dans ces microcos- mes soient soustraits à l’action de facteurs physi- ques importants comme I’advection et la turbu- lence, cette technique d’investigation a fourni un outil important pour la vérification des hypothè- ses.

Echelles spatio-temporelles

Dans toutes les recherches océanographiques, i l faut connaître les caractéristiques spatio-

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temporelles des phénomenes afin de pouvoir les étudier à l’aide de dispositifs et de régimes de pré- lèvements compatibles. Les échelles pour l’étude des distributions irrégulières varient en fonction d u paramètre étudié, par exemple la concentration de la chlorophylle, la biomasse zooplanctonique et l’abondance des diverses espèces, et peuvent avoir des structures de répartition dans l’espace tout à fait distinctes. Faire correspondre des don- nées recueillies dans le domaine temporel (par exemple, au moyen d’instruments ancrés) avec des données enregistrées dans le domaine spatial (par exemple, à l’aide de dispositifs de prélève- ment continu du plancton) est extrêmement diffi- cile. Haury, Wiebe et McGowan (1978) ont utilisé un

diagramme de Stommel pour établir un modèle conceptuel visuel de l’échelle spatio-temporelle de variabilité de la biomasse zooplanctonique et des facteurs qui influent sur cette échelle (fig.1). I I importe de se rendre compte que le diagramme

comparable pour le phytoplancton serait tout à fait différent à des échelles d’une semaine ou moins, en raison de la réponse de croissance beaucoup plus rapide du phytoplancton et de sa capacité comportementale relativement faible à assurer la régulation de sa répartition par certains processus tels que la migration verticale nycthémérale. De même le diagramme d’organismes à plus longue durée de vie, comme les poissons commercialisa- bles, serait totalement différent. La plupart des opérations de prélèvement biolo-

gique sont caractérisées par des échelles spatia- les de l’ordre de 10-2 à 10-l km et des échelles temporelles variant de quelques minutes à des semaines. I I existe des échelles trop microscopi- ques pour nos instruments où interviennent d’importants processus biologiques c o m m e l’absorption de molécules dissoutes à travers des membranes, la détection de cellules de phyto- plancton par le zooplancton brouteur et la commu- nication chimique entre organismes par les phéro-

Figure 1. Le diagramme de Stommel, modéle conceptuel de l’échelle spatio-temporelle de variabilité de la biomasse zooplanctonique et des facteurs qui influent sur cette échelle (d’après Haury et colt. 1978).

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mones. Pour entreprendre des études de ces pro- cessus, i l faut pouvoir mesurer des gradients chi- miques sur des distances comprises entre 1 p m et 10cm. M ê m e à des échelles de quelques mètres, i l reste des problèmes cruciaux à résoudre pour gérer efficacement les ressources. Pour ce qui a trait aux stocks de poissons, la principale interrogation concerne la prévision d u recrute- ment. Certaines espèces de poissons commercia- lisables, au moins, connaissent une période criti- que de quelques jours pendant lesquels les larves récemment écloses doivent trouver pour survivre des concentrations-seuils minimales de nourriture relativement élevées. De même, i l est indispensa- ble de connaître les facteurs déterminant le micro- étagement des organismes, en particulier dans la zone photique et à l’intérieur de la thermocline sai- sonnière, pour comprendre la dynamique de la pro- duction primaire et son utilisation.

Les progrès rapides récemment réalisés dans l’étude de la physique des phénomènes d’échelle moyenne (10’ - 103 km) a entraîné des progrès spectaculaires en biologie. La compréhension de la biologie est plus difficile parce que le type d’évolution de la communauté dans le tourbillon est en partie déterminé par l’état initial de la com- munauté entraînée. Ainsi, les propriétés biologi- ques d’un tourbillon formé en hiver seront tout à fait différentes de celles d’un tourbillon formé au printemps ou en été. En dépit des résultats consi- dérables obtenus par les physiciens, on ne sait pas encore dans quelle mesure les tourbillons (contrairement aux boucles de courant fermé) sont des paquets d’eau se déplaçant par advection en conservant leur identité, ou s’il s’agit de phénomè- nes comparables aux vagues, ou encore s’ils sont une combinaison de ces phénomènes, I’advection se manitestant au-dessus de la thermocline princi- pale et la propagation au-dessous. Telles sont les questions auxquelles i l sera plus facile de répon- dre en étudiant les parametres de la biologie de la conservation q u ’en é t u d ian t les pa ramé tre s p hy s i- ques. A des échelles spatio-temporelles plus grandes,

i l existe toute une série de problèmes qui sont sti- mulants sur le plan scientifique, et concernent directement la nécessité d’exploiter et de gérer rationnellement les océans. I I y a les “prophètes de malheur” qui s’emparent de certains événe- ments peu fréquents comme l’explosion des popu- lations de Acanthasterplanci (étoile de mer à cou- ronne d’épines), ou la disparition des anchovetas au large d u Pérou en raison du phénomène El Nino, dans lesquels ils croient voir des conséquen- ces catastrophiques des activités d’exploitation menées par l’homme. On est actuellement en train de démontrer que ces évènements sont essentiel- lement des exemples spectaculaires de la manière dont la variabilité naturelle est déclenchée et que ce déclenchement est imputable, dans le cas de El Nino, à des facteurs climatiques qui s’exercent à des milliers de kilomètres d u lieu où se produit

l’événement. Chaque fois qu’un tel évènement est mis sur le compte de la pollution ou de la surpê- Che, ou autrement dit à d’activités humaines, et que l’on démontre ensuite qu’il résulte de la varia- bilité naturelle, i l devient encore plus difficile de convaincre les gouvernements et les planifica- teurs que certains dangers menacent réellement I ’envi ro n ne men t. Les faits actuels donnent à penser que le temps

de réponse des communautés marines à la variabi- lité climatique peut être de l’ordre de dizaines d’années. Ces échelles temporelles se situent à l’interface des études biologiques, climatologi- ques et paléontologiques. La détermination de grandes échelles spatio-temporelles exige une plus grande coopération entre les spécialistes de la biologie et de la géologie et la collecte de lon- gues séries chronologiques. Le lancement et le maintien de programmes comportant de telles séries chronologiques impliquent des change- ments d’attitudes de la part des scientifiques et des institutions de financement qui devront réduire, au profit d’observations à beaucoup plus long terme, leurs apports actuels à des projets im médiateme nt payants. C ’est peut-être main te- nant que nous devrions planifier le type de base de données qui nous permettra d’observer les effets d u réchauffement général du climat auquel on s’attend du fait de l’accroissement de la teneur de l’atmosphère en gaz carbonique qu’entraîne l’utili- sation de combustibles fossiles.

Ecosystèrneç côtiers

Les écosystèmes côtiers subissent trois influen- ces majeures qui sont génératrices de change- ments: la variabilité à long terme d u climat, les effets directs de l’exploitation des ressources vivantes et les modifications chimiques provo- quées par toute la gamme des activités humaines. I I faudra, pour qu’une bonne gestion scientifique soit possible, élucider la trame complexe des répercussions imputables à ces trois facteurs. Actuellement, les programmes d’études consa- crés aux phénomènes côtiers liés au climat, aux pêches et à la surveillance de la pollution tendent à être indépendants. En conséquece, ils ne tien- nent pas compte des interactions et négligent cer- tains éléments essentiels d u système qu’ils visent à définir. I I s’agit d’un domaine où une plus grande co I la borat ion i n t erd isc i p I in ai re est a bsol umen t nécessaire. Les systèmes biologiques ignorent les frontiè-

res nationales. En outre, bien que chaque endroit soit défini par un ensemble singulier de traits Caractéristiques physiques qui régissent les pro- cessus biologiques, i l existe de grandes caracté- ristiques zonales dans les écosystèmes qui trans- cendent ces particularités locales. A la suite de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, qui a créé les zones économiques exclusives des Etats Côtiers, où ces Etats exercent un plein

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contrôle sur la recherche scientifique, on court indéniablement le risque que l’océanographie bio- logique dans les régions côtières soit encore plus dominée par des considérations locales, à moins que nous réussissions à persuader les politiciens qu’il est de l’intérêt de tous les pays, riches, pau- vres, développés ou en développement, que les océanographes puissent accéder librement à tou- tes les mers. II appartient aux scientifiques d’admettre qu’une telle liberté comporte certaines obligations telles que l’utilisation commune des moyens et des résultats et la formation d’étudiants d’autres pays. Toutefois, i l est très important que les innombrables enseignements que l’on peut tirer des impairs qui sont responsables de la pollu- tion chronique de la mer d u Nord, de la Baltique, de la Baie de Tokyo et de celle de New-York (pour n’en citer qu’un petit nombre) ne soient pas perdus de vue dans la ruée des jeunes nations sur la voie du développement industriel. I I n’est que probable que la richesse matérielle actuelle des pays deve- loppés est porteuse d’une pauvreté de I’environne- ment qui sera tout aussi avilissante que la pau- vreté matérielle dont souffrent actuellement cer- tains pays en développement.

Relation entre l’océanographie biologique et la biologie

L’océanographie biologique constitue une abon- dante source d’idées et de concepts qui ont u n domaine d’application beaucoup plus vaste en bio- logie générale. La plupart des écosystèmes marins n’ont pas la complexité structurelle de nombreux écosystèmes terrestres et les habitats marins sont généralement moins perturbés et mieux compris d’un point de vue physique. Les prélévements et la quantification des communautés marines sont potentiellement plus simples pour une plus vaste gamme de dimensions que pour les communautés terrestres. L’élaboration de théories écologiques et leur vérification devraient pouvoir progresser plus rapidement dans le contexte de la mer que dans celui de la terre, mais s’il s’avère que la théo- rie est valable, elle devrait ensuite être facilement extrapolée à des milieux terrestres et d’eau douce.

Les adaptations physiologiques et anatomiques à la vie dans les grands fonds océaniques présen- tent un intérêt majeur. On peut citer à titre d’exem- ple l’influence physiologique analogue d’une forte pression hydrostatique et de l’anesthésie, les adaptations rétiniennes complexes des poissons des grands fonds, et l’aptitude d’un ver polychète à tolérer la teneur en cuivre élevée des cheminées des sources hydrothermales “à fumée noire” sur la dorsale du Pacifique est. Les communautés peu- plant les sources hydrothermales fondées non sur la production primaire par photosynthèse mais sur la chimiosynthèse, peuvent présenter des analo- gies avec les premières formes de la vie sur Terre. La relation entre les métazoaires des sources

hydrothermales et leurs bactéries symbiotiques montre peut-être comment certains organites auto-reproducteurs, tels que les mitochondries et les chloroplastes, ont évolué initialement. On a récemment isolé dans les sources hydrothermales des micro-organismes qui semblent s’épanouir à des températures supérieures a 200°C et sous de f o r t es press ion s. Enfin, peut-être ne sera-t-il possible d’explorer

une série de problèmes mettant en jeu la zoogéo- graphie, la spéciation, l’évolution, et les fluctua- tions à long terme des populations que si on prend comme champ d’investigation des organismes marins dont le territoire et les modes de distribu- tion actuels sont connus et dont l’étude géologi- que nous permet de retracer l’histoire depuis und date reculée et de façon plus ou moins continue.

Relation entre l’océanographie biologique et la pêche La science halieutique constitue le principal domaine d’application directe de l’océanographie biologique. Les chercheurs réussissent très bien à repérer les peuplements, à améliorer les techni- ques et à étudier la biologie des poissons, à un tel point que les espèces commercialisables sont pro- bablement connues de manière plus approfondie que tout autre groupe d’animaux non domesti- ques. Mais, les efforts qui ont été accomplis pour mettre au point des modèles de gestion efficaces ont échoué, principalement parce qu’on n’a pas réussi à prédire le comportement d’un paramètre fondamental - le recrutement. La survie, la crois- sance et le développement des larves sont surbor- donnés à l’interaction complexe de facteurs envi- ronnementaux à toutes les échelles spatio- temporelles. Pour résoudre ces problèmes, i l faut une approche mu It idiscipli naire parfaitement coordonnée, dont l’échelle m ê m e n’apparaît pas à l’évidence. Les causes du phénomène El Nino, par exemple, n’auraient jamais été découvertes si les recherches avaient été limitées à la région du Pérou, ou même du Pacifique oriental.

I I faut mieux intégrer la science halieutique à l’océanographie générale, SOUS peine de se priver de toute chance de comprendre les variations des facteurs en jeu. Même les espèces exploitées commercialement vivent au sein de l’écosystème océanique général et ne peuvent que rester mysté- rieuses si on les considére isolément. En outre, i l ne faut pas laisser développer d’une manière chao- tique et aléatoire, en fonction des intérêts com- merciaux et politiques, la pêche du krill de l’océan Austral, qui constitue peut-être la dernière grande source exploitable de protéines de l’océan. Grâce au programme BIOMASS, et aux données antérieu- rement recueillies dans le cadre de programmes nationaux tels que les Discovery Investigations, on a pu commencer à établir les bases nécessaires de la connaissance scientifique de l’océan Austral. L’impulsion ainsi donnée doit être maintenue.

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Amélioration de la technique

Dans tous les aspects de l’océanographie, de rapi- des progrès de la connaissance suivent les perfec- tionnements techniques des instruments et du traitement des données. Du point de vue des inves- tissements consentis dans l’instrumentation et les nouvelle technologies, la biologie tend à être trai- tée en parent pauvre par rapport aux autres disci- plines. Même ainsi, la révolution électronique dans le domaine de l’acquisition des données et de la commande des instruments commence enfin à élargir le champ d’action d u biologiste.Tout doit être mis en œuvre pour affiner la résolution des techniques de prélèvement, mettre au point des techniques de collecte simultanée d’organismes et d’informations physico-chimiques et améliorer l’état des organismes prélevés.

Production primaire

La nécessité de mettre au point des techniques permettant l’établissement de profils continus de la production primaire a été évoquée plus haut. Des capteurs capables de mesurer automatique- ment in situ les concentrations de substances nutritives permettraient d’améliorer énormément notre capacité d’observation des phénomènes bio- logiques dans la zone photique, tout comme l’utili- sation de fluoromètres et de dispositifs de comptage des particules, en liaison avec des e nsem bles d’ i nst ru men t s o nd u I ato i res, a déjà commencé à modifier notre conception de la dyna- mique des poussées planctoniques.

Prélèvements pélagiques

Les techniques classiques de la capture d’organis- mes dans les eaux pélagiques (filets, bouteilles à eau, pompes) n’ont fait pratiquement aucun pro- grès depuis vingt ans, sauf en ce qui concerne l’utilisation de techniques de commande électroni- que. Chaque méthode ne permet de recueillir des échantillons que sur un segment limité de la gamme dimensionnelle et des échelles spatiotem- pore1 les avec seu le men t un faible chevauchement. I I reste encore à mettre au point des techniques de prélèvement satisfaisan tes pour I ’éc han ti I lonnage quantitatif des animaux nectoniques très gros et très actifs, des organismes gélatineux délicats, ainsi que du microzooplancton et des micro- organismes qui sont souvent détruits si on se borne à utiliser les méthodes normales de préser- vation. Certaines zones sont inaccessibles aux techniques actuelles de prélèvement, par exemple le voisinage des fonds marins dans les régions de relief accidenté. D’autres techniques permettant de quantifier les populations biologiques, comme l’utilisation de dispositifs de comptage des gran- des particules, de méthodes acoustiques, de la

photographie, ou de l’holographie et les observa- tions directes ont suscité un certain intérêt mais elles doivent être encore perfectionnées.

Pré lèveme n t benthique

La plupart des nombreuses techniques de prélève- ment benthique dont on dispose ne sont, dans le meilleur des cas, que semi-quantitatives, et doi- vent être améliorées. L’utilisation de véhicules submersibles ou, en eau peu profonde, de plon- geurs, donne aux biologistes un atout considéra- ble du point de vue de la précision et du contrôle, comme l’ont montré certains travaux récents effectués sur les communautés peuplant les sour- ces hydrothermales et les travaux remarquables accomplis par des plongeurs au sujet des récifs coralliens et, dans les eaux pélagiques, au sujet de la biologie des organismes gélatineux. Mais ces méthodes ont des limitations d’ordre logistique : financement en ce qui concerne les véhicules sub- mersibles, formation et sécurité en ce qui concer- ne les scientifiques effectuant des plongées. I I est nécessaire d’élaborer des moyens permettant de trouver et retrouver certaines particularités des fonds marins qui ont déjà été localisées. On pourra ainsi étudier de façon suivie les effets de phéno- mènes naturels c o m m e les chutes de turbidité, les grandes accumulations de matière organique, les formes de fonds marins transitoires, etc. I I faut étudier des stations expérimentales commandées à distance qui pourront être mises en place sur le fond de la mer pour mener à bien un programme de prélèvement d’échantillonnage. L’importance que revêtent la sédimentation, la resuspension et les flux de substances chimiques en direction et en provenance des sédiments d u point de vue des processus biologiques et géochimiques exige que l’on continue à élaborer des techniques de mesure à mettre en œuvre dans la couche limite benthique.

Physiologie

Pour mesurer la vitesse des processus dans les écosystèmes océaniques, i l faut connaître de nom- breux paramètres physiologiques fondamentaux. La technique de mesure de ces paramètres est bien au point, mais l’aptitude à capturer sans agression des organismes sains ne l’est pas. Pour un grand nombre d’organismes des grands fonds, la capture en récipient isolé suffit car elle permet de les maintenir à des températures très peu supé- rieures à celles qu’ils connaissent in situ. D’autres organismes, tels que les poissons à vessie nata- toire, doivent être recueillis dans des récipients pressurisés, au moins dans une certaine mesure, avec tous les problèmes de manipulation qui en découlent.

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Télédétection

La télédétection, par satellite ou par avion, a moins à offrir à la biologie pélagique qu’à d’autres branches de l’océanographie. Le seul paramètre biologique qui peut être mesuré est la chlorophylle à la surface, mais sa mesure dépend des lon- gueurs d’onde du visible et exige donc suffisam- ment de lumière. La grande échelle des observa- tions permet de distinguer des caractéristiques qui, autrement, pourraient passer inaperçues. La télédétection peut également être utilisée pour établir le contexte physique-à grande échelle des prélèvements biologiques en localisant les fronts, les tourbillons et les remontées d’eau froide. Elle peut être utilisée pour repérer de grands organis- mes et fournir des séries chronologiques d’obser- vations sur l’extension ou la contraction de certains écosystèmes côtiers tels que les marais salants et les mangroves. On utilise aussi des satellites pour interroger des systèmes de bouées entièrement automatiques qu’il est possible de perfectionner de manière qu’ils surveillent des paramètres inté- ressant les biologistes.

Traitement des données

L’échange international d’informations sur les pro- grammes des campagnes océanographiques et de données physiques a commencé à améliorer de façon spectaculaire la capacité des chercheurs à procéder à une analyse extrêmement fructueuse de deuxième génération et a suscité des efforts accrus en matière de normalisation des mesures. En raison de la complexité et de l’hétérogénéité des données biologiques, on n’a pas cherché à élargir ces activités de façon significative à I’océa- nographie biologique. Certains instituts créent actuellement leurs propres bases de données bio- logiques, qui sont mutuellement incompatibles ; d’autres n’ont aucun dispositif systématique de

désignation et de documentation complète de données fixes permanentes. La hausse considéra- ble des coûts de production des revues entraîne une diminution du nombre de données publiées. Les données sont ainsi reléguées dans des rap- ports non publiés ou perdues dans des carnets inaccessibles. Leur échange pourrait éviter dans une certaine mesure les doubles emplois dans le domaine des prélèvements. En réduisant, ne serait-ce que de quelques jours, le temps d’utilisa- tion des navires, on pourrait facilement financer l’exploitation d’une base de données. La science ne progresse pas si ses résultats ne sont pas communiqués. On nous promet une révolution électronique de la communication au cours de la prochaine décennie, mais i l ne faut pas que la création de systèmes nouveaux crée un hiatus dans les dispositifs de communication existants. Enfin, permettez-moi d’exprimer à nouveau la

conviction que le monde, dans sa ruée vers le bien- être matériel et son acharnement à développer de grandes et prestigieuses disciplines scientifiques, néglige les sciences de l’environnement. Aux échelles de temps dans lesquelles s’inscrit la poli- que - cinq ans au maximum - l’océanographie biologique, tout comme les autres sciences de l’environnement, n’est guère payante. A l’horizon de plusieurs décennies, elle a la capacité de créer la base d’une gestion de l’environnement qui sera indispensable pour assurer à la population mon- diale ne serait-ce que le strict minimum en matière de qualité de la vie.

Bibliographie

Haury, L.R., McGowan, J.A. et Wiebe P.H., 1978. Patterns and processes in the time-scales of plankton distributions. Spatial patterns in plankton communities, J.H. Steele, dir. publ., Plenum Press, NATO Conference Series IV Marine Sciences 3, pp. 277-327.

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