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Confluences Conduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennais Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore… BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4 5 bbf :

Confluences

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Les confluences sont des lieux stratégiques où, souvent, les hommes ont installé de grandes villes. Qu’en est-il pour les lieux documentaires, à la confluence de pratiques d’apparence si hétérogènes, comme les archives, les musées, les bibliothèques ?

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Confl uences

Conduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennais

Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…

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DOSSIER

Confl uences

1 – PréoccupationsUn moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique : passages entre Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin PanofskyGérard Régimbeau

La médiation au service de la confl uence du musée et de la bibliothèqueFélicie Contenot

Convergences et divergences entre archives et bibliothèques : quelques réfl exions d’une archivisteAgnès Vatican

2 – HybriditésLes bibliothèques d’archives : des bibliothèques spécialisées, à la croisée des pratiques des centres de documentation et des bibliothèques publiquesVéronique Bernardet et Sabine Souillard

Le projet scientifi que et culturel de l’Inguimbertine : un exemple d’approche muséale au service des bibliothèquesJean-François Delmas

Émergence et constitution d’un patrimoine spécifi que des arts du spectacleJoël Huthwohl

« Collections », le moteur de recherches sémantiques du ministère de la Culture et de la CommunicationCaroline Cliquet

3 – SpécimensLa Bibliothèque humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques ?Laurent Naas et Claire Sonnefraud

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.orgMonseigneur Paul Canart avec la collaboration de Carol Giordano

Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confl uence des ressources patrimoniales en régionJean-François Sibers

La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations : archives, médiathèque, musée de la ville de RoubaixEsther de Climmer

Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste RodinHélène Pinet

À PROPOSConduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennaisFrançoise Hecquard

DÉBATLe cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…Gilles Pierret et Laurent Marty

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2009 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 6

BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2009 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 6

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: 2011/Numéro 4

Le Bulletin des bibliothèques de Franceparaît tous les deux mois et est publié par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des biblio-thèques (Enssib).

Directrice de la publicationAnne-Marie Bertrand

Rédaction17-21 bd du 11 novembre 191869623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 75 90fax 04 72 11 44 57

Rédacteur en chef Yves Desrichard tél. 04 72 44 43 00mél [email protected]

Rédactrice en chef adjointeClaire Roche-Moignetél. 04 72 44 75 93mél [email protected]

Mise en pages, publicitéet mise en ligneCelestino Avelartél. 04 72 44 75 94mél [email protected]

Traduction des résumésVictor Morante, Vera Neaud, Susan Pickford

Comité de rédactionThierry Ermakoff, Anne Kupiec, Christophe Pérales, François Rouyer-Gayette, Laurence Tarin, Sarah Toulouse, Benoît Tuleu

Un pont entre deux rives (1999)Film de Gérard Depardieu et Frédéric Auburtin avec Gérard Depardieu, Carole Bouquet, Charles Berling

Correspondants étrangersJean-Philippe Accart (Suisse)Trix Bakker (Pays-Bas) Peter Borchardt (Allemagne) Gernot U. Gabel (Allemagne) Alain Jacquesson (Suisse) Jack Kessler (États-Unis) Maurice B. Line (Grande-Bretagne) Anna Machova (République tchèque) Elmar Mittler (Allemagne) Maria Jose Moura (Portugal) Amadeu Pons (Espagne) Réjean Savard (Québec) James H. Spohrer (États-Unis) Catharina Stenberg (Suède) Eric Winter (Grande-Bretagne)

AbonnementsEnssibService abonnements17-21 boulevard du 11 novembre 191869623 Villeurbanne Cedextél. 04 72 44 43 05

Tarifs 2011AbonnementsL’abonnement est annuel, par année civile.• France : 85 € Tarif dégressif dès le deuxième abonnement souscrit dans un même établissement : 68 €• 40 € pour les étudiants en filière bibliothèques et métiers du livre• Étranger : 95 €

Vente au numéro : 17 €(tarif étudiant : 10 €)par correspondance à l’Enssibou sur place à la rédaction.

FabricationCréation graphiqueBialec sas, Nancy (France).

ImprimeurImprimerie Bialec54001 Nancy – FranceDépôt légal : no 76231juillet 2011

Commission paritaireno 0412 B 08114

Issn 0006-2006

Le Bulletin des bibliothèques de Franceest dépouillé dans les bases Pascal de l’Inist et Lisa (Library Information Science Abstracts).

Protocole de rédactionLe Bulletin des bibliothèques de France publie des articles portant sur les biblio thèques, le livre, la lec-ture, la documentation, et tout sujet s’y rapportant.

Présentation des textesLes manuscrits (saisis avec le logi-ciel Word ou enregistrés au format RTF) peuvent nous être adressés par courrier électronique. La frappe au kilomètre, sans enrichissement, est impérative.

Les graphiques et schémas doivent être accompagnés de leurs données chiffrées (par ex. courbes avec don-nées sur Excel) afin de pouvoir être réalisés dans la mise en pages.

Les illustrations et les photogra-phies peuvent être fournies enregis-trées en EPS binaire, JPEG qualité maximale ou TIFF, avec une résolu-tion de 300 dpi.

L’institution à laquelle est affilié l’auteur est précisée à la suite de son nom, ainsi que l’adresse élec-tronique de l’auteur.

Les articles peuvent être rédigés en français, en anglais, en allemand ou en espagnol. Ils seront accompa-gnés d’un résumé d’auteur (environ 100 mots) indiquant rapidement le contenu et les principales conclu-sions.

Présentation des notesLes notes infrapaginales, signalées dans le texte en appel de notes, doi-vent être placées en bas de page où se trouvent les appels respectifs et numérotées de façon continue.

Les références bibliographiques fi-gurent en fin d’article : les appels dans le texte sont mis entre cro-chets.

Sigles et abréviationsLes sigles et acronymes seront suivis du nom complet de l’organisation ou du système qu’ils représentent.

Les opinions émises dans les arti-cles n’engagent que leurs auteurs.

Le Bulletin des bibliothèques de France est consultable gratuitement sur internet à l’adresse suivante : http://bbf.enssib.fr

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bbf : 2011 1 t. 56, no 4

É D I T O R I A L

:Un pont entre deux rives

Les confluences sont des lieux stratégiques où, souvent, les hommes ont installé de grandes villes : Lyon, au confluent de la Saône et du Rhône, Coblence, à celui de la Moselle et du Rhin, Manaus, pour l’Amazone et le Rio Negro, voire Wuhan (武汉), à la confluence du Han Jiang (汉江) et du Yangzi Jiang (扬子江). Qu’en est-il pour les lieux documentaires, à la confluence de pratiques d’apparence si hétérogènes, comme les archives, les musées, les bibliothèques ? Sont-ce, aussi, des lieux stratégiques ou, comme nous l’apprend l’hydrologie, faut-il distinguer un affluent, dont le débit est moins important, et le cours d’eau « principal », celui qui, à l’issue de la confluence, garde son nom – mais pas toujours ?

Il n’est guère besoin de le souligner : dans leurs fondations, dans leurs fonds, dans leurs pratiques, dans leurs statuts, dans leurs modes de fonctionnement, dans leurs mentalités, dans leurs mythologies, bibliothèques, archives, musées, présentent des parcours si dissemblables et des usages si hétérogènes que, de longtemps, il n’a paru possible que dans des postures exceptionnelles de les faire cohabiter, de les réunir, de les fusionner.

Il n’est pas sûr, sans méchanceté aucune, que chacun n’y trouvait pas son compte : affirmer son identité, s’arc-bouter sur son spécifique, puiser dans les particularismes son essence, sa mission, sa nature, ont toujours été part des réflexes prescriptifs et des ontologies des bibliothécaires, des archivistes, des… personnels de musées. Situation commode dont l’historiographie est pluri-centenaire mais à laquelle, il faut le dire sans ménagement, le xxie siècle numérique pourrait apporter de sérieux ébranlements.

Plusieurs contributions de ce numéro du Bulletin des bibliothèques de France l’attestent : le numérique génère, provoque, oblige les confluences. Par la numérisation des fonds d’abord, qui indifférencie (et il faut s’en méfier) supports et provenances, outils de conservation et approches descriptives. Mais aussi, si l’on s’autorise, par la numérisation des médiations qui, d’une part, permet aux publics, par le jeu des réseaux et des interopérabilités, de s’affranchir des lieux, des temps, des origines – des barrières –, d’autre part, assure aux professionnels de collaborer de manière plus aisée, plus souple, moins formalisée : si, sur internet, personne ne sait que vous êtes un chat, alors, vous pensez, un bibliothécaire !

Le numérique, donc, oblige. Mais révèle-t-il ? Et si ces confluences étaient de tout temps, si – pensons, lors, au temps perdu – de toute éternité, il n’y avait « que » le document, et « que » l’utilisateur, l’un et l’autre empêtrés de divisions artificielles, de particularismes arbitraires, aux leitmotivs intéressés, mais dépourvus d’argumentation ?

Simple hypothèse, qu’on se gardera de filer – ce numéro s’en chargera, qui choisit d’interroger les préoccupations communes ou exogènes de nos métiers, et de ceux des autres, de s’extasier devant quelques hybridités réussies, et de proposer des spécimens remarquables et à remarquer, pour alimenter la réflexion, nourrir le débat, autour du besoin et de la contrainte des confluences.

Yves Desrichard

2 bbf : 2011 Paris, t. 56, no 4

sommaire : 2011/Numéro 4

01 DossierConfluences1 – PréoccupationsUn moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique : passages entre Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin Panofsky 6Gérard Régimbeau

La médiation au service de la confluence du musée et de la bibliothèque 11Félicie Contenot

Convergences et divergences entre archives et bibliothèques : quelques réflexions d’une archiviste 16Agnès Vatican

2 – HybriditésLes bibliothèques d’archives : des bibliothèques spécialisées, à la croisée des pratiques des centres de documentation et des bibliothèques publiques 22Véronique Bernardet et Sabine Souillard

Le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine : un exemple d’approche muséale au service des bibliothèques 26Jean-François Delmas

Émergence et constitution d’un patrimoine spécifique des arts du spectacle 32Joël Huthwohl

« Collections », le moteur de recherches sémantiques du ministère de la Culture et de la Communication 36Caroline Cliquet

3 – SpécimensLa Bibliothèque humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques ? 38Laurent Naas et Claire Sonnefraud

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.org 44Monseigneur Paul Canart avec la collaboration de Carol Giordano

Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confluence des ressources patrimoniales en région 50Jean-François Sibers

La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations : archives, médiathèque, musée de la ville de Roubaix 57Esther de Climmer

Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste Rodin 62Hélène Pinet

02 À proposConduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennais 68Françoise Hecquard

03 DébatLe cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore… 76Gilles Pierret et Laurent Marty

bbf : 2011 3 Paris, t. 56, no 4

04 Tour d’horizon« Learning centres : vers un modèle à la française ». Journées d’étude organisées par Médiat Rhône-Alpes et le SCD de l’université de Lyon 1 81Laurence Tarin

Diffuser et valoriser les thèses : quelle place pour les bibliothèques universitaires ? 82Christophe Pérales

L’étonnante plasticité des compétences professionnelles et la bibliothèque numérique 84Laurence Rey

Charles Nodier et la passion du livre 85Elsa Bres

Salon du livre de Paris 2011– La bibliothèque saura-t-elle accueillir les nouvelles générations ? 87

Christelle Petit– Le livre numérique expliqué aux seniors [et] initiatives franciliennes

pour favoriser l’accès au livre des seniors 88 Yves Desrichard

– Propulser les bibliothèques sur le web et animer des communautés : les nouveaux défis du métier 89 Marie-Christine Jacquinet et Bruno Fouillet

– Quelle politique de numérisation en bibliothèque ? 90 Yves Desrichard

Troisième Symposium Koha à Lyon : échanger, réfléchir, partager, se former 91Thierry Clavel et Antoine Torrens

05 CritiquesFabrice d’Almeida, Christian Delporte Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours 94Alice Billard

Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin Refonder l’université : pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire 94Thierry Ermakoff

Marie-Françoise Cachin Une nation de lecteurs ? La lecture en Angleterre (1815-1945) 95Constance Collin

« L’architecture et ses images » Sous la direction d’Évelyne Cohen et Gérald Monnier 96François Rouyer-Gayette

Gallimard, 1910-1911 : un siècle d’édition Sous la direction d’Alban Cerisier et Pascal Fouché 97François Rouyer-Gayette

Politiques et pratiques de la culture Sous la direction de Philippe Poirrier 99Thierry Ermakoff

Le rôle social des bibliothèques dans la ville Sous la direction de Pascale Villate et Jean-Pierre Vosgin 100Yoann Bourion

NOUS AVONS REÇU 101

Résumés des articles 103

Annonceurs Électre (p. 4 et 3e de couverture) Presses de l’Enssib (p. 43)

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C o l l e c t i o n B i b l i o t h è q u e sLectures et lecteurs à l’heure d’InternetLivre, presse, bibliothèques Bernard Lahire, Olivier Donnat, Dominique Boullier, Christine Détrez,Sylvie Octobre, Bérénice Waty, Ronan Vourc’h, Jean-François Barbier-Bouvet, Annie Collovald, Erik Neveu, Olivier Vanhée, Martine Burgos,Christophe Evans, Françoise Gaudet, Elsa Zotian, Denis Merklen.Sous la direction de Christophe Evans40 € - ISBN 978-2-7654-1000-3 - 256 pages31,74 € pour la version consultable à commander sur le site editionsducercledelalibrairie.com

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Si la lecture, sujet sensible voire polémique,conserve ses mystères sous ses diversesformes, ses pratiques ne cessent de se renou-veler. C’est ce qui fait d’elles un champd’observation privilégié de notre rapport à laconnaissance, au culturel et aux relationshumaines. À partir d’enquêtes récentes, cet

ouvrage de réflexion est structuré en quatreparties. Il commence par étudier les évolu-tions des modes de lecture depuis l’apparitiond’Internet. Il examine ensuite les usages juvé-niles — à partir du très jeune enfant jusqu’aujeune adulte. Puis, dans une troisième partieintitulée « Lecteurs à l’œuvre », il s’intéresse

particulièrement à certains types de lecture :romans noirs, mangas, lecture à voix haute.Enfin, il s’attache à décrire les attentes et lecomportement des lecteurs envers les biblio-thèques dans le contexte actuel de la sociétéfrançaise. Un livre qui donne le recul nécessairepour préparer l’avenir. Commandez-le vite.

Le point sur la place de la lecture aujourd’hui

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Confluences

1 – Préoccupations

6 bbf : 2011 t. 56, no 4

Con

fluen

ces Un moment de l’œuvre et

du document, la reproduction photographique :

Reproduction et pensée de la technique

Entre la bibliothèque, les archives et le musée, un document circule, commun par sa nature et chaque fois singulier dans son traitement : la repro-duction photographique. On l’aura dé-nommée « reproduction mécanique », pour la distinguer de la reproduction artisanale où intervient directement la main du copiste, du dessinateur, du lithographe ou du taille-doucier, en admettant cependant – et c’est dis-cutable – que les choix de réglage, de focale, de placement d’un appareil et de déclenchement d’un mécanisme ne soient pas, quant à eux, considérés comme des interventions directes.

La reproduction photographique, que l’usage social a rebaptisée familiè-rement « repro », fut et demeure image, image fixe, illustration, document ico-nographique, document figuré, docu-ment iconique, document ou image numérique. Mais, quel que soit le terme choisi, il devient immédiate-ment imprécis, tant les réalités qu’il investit et recouvre sont innombrables. La reproduction, faisant partie des images, relève donc par là d’un terme qui désigne également l’original : l’am-bivalence rappelle ici un monde de faux-semblants où se meuvent clones, avatars, trompe-l’œil, simulacres et substituts. Les hologrammes palpables sont même décrits comme donnant l’illusion de la sensation.

La reproduction est à la fois une technique et le résultat de celle-ci : elle est un (re) produit et, dans ses bases étymologiques, elle sert également à désigner le processus de perpétuation des espèces vivantes. Que ce terme serve à dénommer à la fois le vivant et l’artificiel n’est pas le moindre pa-radoxe de notre langue, même si ce trait nous rappelle aussi que depuis la mimesis et l’imago la société a tou-jours entretenu des rapports compli-qués avec l’image, tantôt « déclassée » comme simple reflet du monde, tantôt considérée comme invention, poésie ou mémoire.

Il ne sera pas seulement question dans cet article des aspects particuliers de l’illusion, même s’ils rejoignent par leur singularité le constat permanent des pouvoirs de la représentation ; il y sera surtout question des transforma-tions d’une pensée aux prises avec la technique, en somme d’un moment choisi d’une iconologie matérielle où les images deviennent les objets d’une approche de leurs fonctions « mé-diales » – selon le terme du traducteur de Hans Belting 1 – dans l’art et l’infor-mation.

1. Hans Belting, Pour une anthropologie de l’image, Gallimard, 2005, traduit de l’allemand par Jean Torrent. Note p. 8 du traducteur justifiant le choix du terme « médial », « comme adjectif qualifiant tout ce qui peut avoir, fût-ce provisoirement, caractère de “médium iconique” ».

Gérard RégimbeauÉcole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib)Équipe de recherche de Lyon en sciences de l’information et de la communication (Élico)[email protected]

Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Enssib et chercheur dans l’équipe de recherche de Lyon en sciences de l’information et de la communication (Élico) depuis 2008, Gérard Régimbeau est l’auteur d’une thèse soutenue en 1996 à l’université de Toulouse 2 intitulée Thématique des œuvres plastiques contemporaines et indexation documentaire (Presses universitaires du Septentrion, 1998). Il a été enseignant-chercheur de 1997 à 2008 à l’IUT de Toulouse 3. Son habilitation à diriger des recherches (HDR) soutenue en 2006 portait sur « Le sens “inter-médiaire” : recherches sur les médiations informationnelles des images et de l’art contemporain ». Sa plus récente contribution porte sur « Collections d’images et questions posées à l’iconologie » (Documentation et bibliothèques, 2011, no 1).

PASSAGES ENTRE PAUL OTLET, WALTER BENJAMIN ET ERWIN PANOFSKy

bbf : 2011 7 t. 56, no 4

Un moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique :

Une des phases marquantes d’ana-lyse et de théorisation de ces phéno-mènes de médiation s’est déroulée dans l’entre-deux-guerres, avec des travaux menés dans les champs de la documentation, de la philosophie de l’histoire et de l’histoire de l’art par Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin Panofsky. Si leurs pensées innervent maintenant les réflexions sur le docu-ment, la reproduction et l’iconologie, il reste à les interroger dans leurs apports croisés. Ces travaux relèvent, en effet, de ce qu’on peut nommer un moment épistémologique. Ils nous in-téressent à ce titre car ils ont participé à poser la trame des enjeux documen-taires de la mémoire et de la collection des œuvres dont se préoccupent les organismes chargés de leur conserva-tion, de leur documentation et de leur diffusion. Nous rappellerons quels furent leurs apports tout en répercu-tant l’écho de ce moment dans nos préoccupations actuelles.

« Tout cela c’est l’expression documentée des choses »

Paul Otlet (1868-1944), le plus an-cien des trois, a saisi tout ce que la pho-tographie et les moyens audiovisuels apportaient à la documentation en des termes dont on a souvent relevé le ca-

ractère prophétique, notamment quand il évoque la possibilité, dans le futur, de lire un livre grâce à la télévision. Il envi-sagera même cet accès généralisé, dans un ouvrage de 1935 consacré à l’état du monde et publié peu après son Traité de documentation 2, comme un degré inter-médiaire vers une ère où l’homme « de-venu omniscient » n’aurait plus besoin de documentation : « Chacun à distance pourrait lire le passage lequel, agrandi et limité au sujet désiré, viendrait se projeter sur l’écran individuel 3. » Mais, au-delà de ce qui relevait aussi d’un « air du temps » sur les potentialités des « télé-techniques » (télégraphe, téléphone, télévision, radio initialement dénom-mée « radiotelegraphy » ou « wireless telegraphy ») et qu’on retrouve chez un Paul Valéry 4, on retiendra qu’il oriente

2. Paul Otlet, Traité de documentation : le livre sur le livre, théorie et pratique, Bruxelles, Éd. Mundaneum, 1934.

3. Paul Otlet, Monde : essai d’universalisme, Bruxelles, Éd. Mundaneum, 1935, p. 391.

4. Paul Valéry, « Conquête de l’ubiquité », in Pièces sur l’art, 1934, p. 105, Pléiade, I, p. 1284-1285. Walter Benjamin en reprendra des extraits en exergue et dans le corps du texte de « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » : « […] ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles et auditives, naissant et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe. » La reproduction figure également dans l’Encyclopédie française dirigée

de façon décisive un vaste chantier pour les images (fixes et animées), chantier qui n’a cessé de se poursuivre depuis.

Il préconisait, par exemple, la constitution d’un « Répertoire icono-graphique universel » répondant à une classification qui, à l’instar de la Clas-sification décimale universelle (dont il était l’auteur, faut-il le rappeler, avec son collègue Henri La Fontaine), serait organisée en une « Classifica-tion iconographique universelle », sur le modèle, prévoyait-il, des index des flores, des faunes et des atlas. Autre-ment dit, c’était, en 1934, anticiper sur ce qui nous préoccupe encore : l’inter-opérabilité des index et des langages documentaires pour organiser le vaste fonds iconographique (tonneau sans fond !) du web et, avant cela, la réu-nion de collections numériques inter-rogeables.

Condenser le savoir en une forme préservée et accessible n’a cessé de hanter Paul Otlet dans ses projets, et notamment celui du Mundaneum 5

par Lucien Febvre, éditée en 1935, tome consacré aux « Arts et littératures : matériaux et techniques », sous la direction de Pierre Abraham, avec une préface de Paul Valéry.

5. Le Mundaneum est un centre d’archives de la Communauté française. Charlotte Dubray en est la directrice. www.mundaneum.be

« La reproduction projetée », extrait du Traité de documentation de Paul Otlet, 1934. © Mundaneum, Centre d’archives, Mons (Belgique)

8 bbf : 2011 t. 56, no 4

Con

fluen

ces

(rouvert à Mons, en Belgique), qui abrite un musée-bibliothèque, ou une bibliothèque-musée, de documents ori-ginaux et secondaires, fidèle à son idée de conserver en prototype ou reproduc-tion les documents iconographiques 6.

Car l’espoir suscité chez Paul Otlet par la reproduction est celui d’une préservation et d’une diffusion par la copie. Plus fondamentalement, la documentation – textes, images, sons ou objets – représente pour lui un outil au service de la démocratisation des savoirs et de pacification des rela-tions entre les peuples. La question de l’œuvre et du document se place donc ici sur le plan de la connaissance sans contradiction dans leur accès, chacune des entités ayant sa partie à interpréter dans le développement culturel glo-bal. Il estime ainsi dans Monde, à pro-pos du livre, des musées, des lieux de spectacles et de cérémonies, que « tout cela c’est de l’expression documentée des choses ; ici créations par l’interprétation, là, imitation ou libretto pour mémoire d’une action, ailleurs reproductions mé-caniques ou chimiques et même simple échantillon prélevé à raison de leur desti-nation documentaire 7 », mettant en pa-rallèle, comme dans le titre de son pas-sage, « documentation et expression ».

La reproduction interprétée

Walter Benjamin (1892 – 1940) par-tira d’un autre point de vue critique : celui de la dérive de l’art dans la pro-pagande quand la technique est aux mains des esthètes du fascisme. Sans vouloir reprendre ici une discussion quant aux implications de la question de l’aura 8, il nous semble inapproprié

6. Il écrit, par exemple : « […] la pensée doit imaginer l’existence d’une Documentation Iconographique Universelle (en prototype ou reproduction) à côté de la Documentation écrite (manuscrite ou imprimée) » (Traité de documentation, p. 193).

7. Paul Otlet, Monde, op. cit., p. 367.

8. Ce point est discuté dans : Gérard Régimbeau, Thématique des œuvres plastiques contemporaines et indexation documentaire (1996), Lille, Éd. universitaires du Septentrion, 1998, chapitres intitulés « Le rapport indirect avec l’œuvre : la reproduction » et « La réaction des artistes face à la reproduction », p. 329-344.

ou réducteur de ramener sa réflexion dans « L’œuvre d’art à l’ère de sa repro-ductibilité technique 9 » à une philo-sophie de la perte qui aurait annoncé, sous la forme d’un pessimisme tech-nique, la dégradation des valeurs de l’œuvre originale dans la massifica-tion médiatique, alors que l’aura est abordée dans son texte comme un point d’articulation dialectique entre des époques différentes de l’art et des moyens de production artistique révé-lant de nouveaux enjeux : essentielle-ment ceux d’une esthétique à (re) pen-ser, au moment où il écrit, à l’aune du cinéma 10.

Il voit en effet dans le cinéma un moyen puissant de spectaculariser la politique au travers des démonstrations de foules et de l’héroïsation des chefs. Il décèle en lui une machine d’endoc-trinement plus efficace que les autres médias, et c’est contre cette propriété qu’il « dénonce » une perte de l’aura. La contemplation que suscitait la pré-sence des œuvres d’art s’est muée avec la reproductibilité technique en une capacité démultipliée de « sensibiliser » les masses grâce au pouvoir spécifique de l’immersion sans distanciation pro-voquée par le défilement des images animées. Mais doit-on y voir une dé-nonciation ontologique de la technique et de la reproduction quand, dans l’épi-logue de son texte, il met en correspon-dance la violence « faite aux masses » et celle que « subit un appareillage », ou quand il en appelle à un art poli-

9. Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », in Essais II : 1935-1940, trad. de l’allemand par Maurice de Gandilhac, Paris, Denoël-Gonthier (coll. Médiations, no 241), 1983, p. 87-126.

10. Walter Benjamin a déjà abordé la question de l’aura dans son texte sur la photographie publié en 1931 : « Petite histoire de la photographie », in Études photographiques, tiré à part du no 1, 1996, éd. revue et corrigée, 1998, 38 p. Pour une approche de la question de l’aura chez W. Benjamin, cf. également : Georges Didi-Huberman, Devant le temps : histoire de l’art et anachronisme des images, Paris, Éd. de Minuit, 2000, notamment le chapitre iv : « L’image-aura : du maintenant, de l’autrefois et de la modernité », p. 233-260, et pour une reprise critique de cette dernière, cf. Philippe Kaenel, « Iconologie et illustration : autour d’Erwin Panofsky », in L’image à la lettre, sous la dir. de Nathalie Preiss et Joëlle Raineau, Paris, Éd. des Cendres et Paris-Musées, 2005, p. 171-199.

tisé face aux œuvres fascistes dans les-quelles il voit l’accomplissement de l’art pour l’art ? N’est-ce pas plutôt un appel à réinterroger sans cesse les œuvres dans leurs manifestations concrètes et, parallèlement, à prendre conscience que de nouveaux matériaux sont dispo-nibles, dépassant les anciennes normes de l’original et du sacré, matériaux dont les artistes doivent se saisir ?

Le phénomène d’authenticité qu’il analyse à partir des axes phénomé-nologiques de l’ici et du maintenant – « L’ici et le maintenant de l’original constituent ce qu’on appelle son authenti-cité 11» – est significatif des problèmes induits par la multiplication contem-poraine des reproductions, et c’est par référence aux dimensions sociale et politique de l’art que Walter Benjamin dénoue les oppositions entre le culte et le culturel : « Au lieu de reposer sur le rituel, elle [la fonction de l’art] se fonde désormais sur une autre forme de praxis : la politique 12. » Son raisonnement ne porte donc pas uniquement sur les valeurs négatives du manque ou de la perte dont l’art serait maintenant affecté, mais tend à reconstituer les critères à partir desquels il convient de l’étudier en ces temps de bouleverse-ments techniques. L’œuvre et le docu-ment y prennent une part nouvelle, dans un rapport d’opposition et de complémentarité qui situe le phéno-mène dans une pensée des transfor-mations, des retournements et des dé-tournements, et non dans les termes arrêtés d’un essentialisme rejetant la reproduction au nom de l’œuvre.

Vers une iconologie de la reproduction

Le texte d’Erwin Panofsky (1892 – 1968), Original et reproduction en fac-similé 13, qui figure parmi ces travaux

11. Ibid., p. 91.

12. Ibid., p. 98.

13. Texte de 1930. Erwin Panofsky, « Original et reproduction en fac-similé », trad. de l’allemand par Jean-François Poirier, in Les Cahiers du Musée national d’art moderne, automne 1995, no 53, p. 45-55, suivi d’une étude de Brigitte Buettner, « Panofsky à l’ère de la reproduction mécanisée : une question de perspective », ibid., p. 57-77.

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Un moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique :

sur la reproduction ayant marqué les années 1930, fut écrit à la faveur d’une enquête pour une revue d’art alle-mande, précisément sur la question du fac-similé. L’auteur y renvoie dos à dos partisans et opposants, emprun-tant une voie plus pragmatique dans l’étude d’un « acquis technique qui a […] ses propres limites et ressources stylistiques » [souligné par l’auteur] 14. Quand il reconnaît des degrés dans l’intérêt mimétique du fac-similé, quand il pointe sa valeur documen-taire ayant figé à tel moment de son histoire l’état d’un original dégradé depuis, ou quand il en appelle à sa fonction substitutive pour permettre au « pauvre étudiant » qu’il est de préférer « nettement des moulages poly-chromes à rien du tout », ses arguments rejoignent une position non pas moyenne, ou qui se voudrait consen-suelle, mais plutôt médiologique, posant les caractéristiques et les effets de chacune des situations de média-tion de l’œuvre dans la réflexion sur la « nature » de ce type de document.

C’est, en effet, en repoussant les arguments de ceux qui, d’un bord, pourfendent la falsification de l’illu-sion fac-similesque et ceux qui, d’un autre, glorifient le miracle d’une imita-tion réussie, qu’il replace le débat sur la capacité des techniques de repro-duction à restituer un « sens » – « un ingrédient tout à fait irremplaçable de l’acte esthétique », mais un « ingrédient parmi d’autres » – et non pas à com-muniquer « l’expérience de l’authenti-cité 15 ». Un sens, dans la mesure où on peut reconnaître une intention esthétique de l’œuvre dans une voix enregistrée ou dans une aquarelle de Cézanne grâce aux effets d’une « bonne reproduction », et dans la me-sure également où plus on connaîtra les procédés de reproduction plus on sera capable d’en nuancer les apports et les limites.

L’expérience de la comparaison évoquée dans le texte prend une colo-ration pédagogique, rappelant des dé-bats toujours actuels sur la nécessité de familiarisation avec l’image dont

14. Erwin Panofsky, ibid., p. 45.

15. Ibid., p. 47.

fait partie l’approche de la reproduc-tion en tant que document.

Quand il arrive à certains de ne plus percevoir la ligne qui sépare tel original de sa reproduction, « ce qui est en cause, écrit Erwin Panofsky, […] est alors […] un manque d’expérience dans la comparaison [souligné par l’auteur] qui se trouvera précisément comblé par le développement de la technique repro-ductive : la faculté qu’a le connaisseur de faire des distinctions […] » ; et il pour-suit en estimant que « la reproduction en fac-similé peut même se voir conférer une certaine valeur éducative 16 » en rai-son de la faculté qui sera enseignée de saisir les relations fluctuantes entre reproduction et œuvre authentique. Autrement dit, l’original et la repro-duction sont dans un rapport de voi-sinage dont on ne saura qualifier la nature que si l’on possède des critères d’étalonnage et de relativisation.

Parmi les faits qui ont concouru à un questionnement plus intensif sur ce sujet durant la période qui nous intéresse, il faut citer une exposition qui eut lieu à Hanovre, en 1929, sous le titre « Original et reproduction », et qui visait précisément à prouver que la reproduction photographique imprimée pouvait égaler les capacités d’émotion de l’original 17. Le critère de l’authenticité présent chez Erwin Pa-nofsky comme chez Walter Benjamin pour caractériser l’œuvre originale prenait en somme sa légitimité dans les débats de l’époque.

Si des différences d’orientation existent entre Walter Benjamin et Erwin Panofsky, qui ont été, entre autres, commentées par Brigitte Buettner 18, elles peuvent aussi être perçues selon les intentions de chaque auteur, intentions qui amènent Wal-ter Benjamin à catégoriser les phéno-mènes en fonction d’une prévention

16. Ibid., p. 46.

17. Cf. André Gunthert, « La bonne et la mauvaise image. La question de l’authenticité et la photographie », in Reproductibilité et irreproductibilité de l’œuvre d’art, sous la dir. de Véronique Goudinoux et Michel Weemans, Bruxelles, La Lettre volée, 2001, p. 83-88.

18. Brigitte Buettner, « Panofsky à l’ère de la reproduction mécanisée : une question de perspective », in Les Cahiers du Musée national d’art moderne, op. cit., p. 63-66.

contre l’esthétisation du politique et Erwin Panofsky à étudier le terrain des techniques auxiliaires de l’histoire de l’art. Mais l’un comme l’autre nous ramène de fait à une instabilité des images dont les dédoublements iné-vitables, agissant comme des pertur-bateurs de la perception, demandent à être critiqués, distanciés ou déjoués.

Le document au service d’une iconographie élargie

Un retour à Paul Otlet, à ce stade, permet d’observer que la question des ressources, tant du côté des œuvres que du côté de leur reproduction, mais aussi de leur transmission, a engagé une forme de requalifica-tion des documents et de leur étude. Quand il publie son Traité de documen-tation, en 1934, l’Institut international de bibliographie qu’il préside a déjà été transformé, dès 1930, en Institut international de documentation. Ce changement de nom correspond non seulement aux transformations d’une offre informationnelle toujours plus vaste et intensive, qui supposait qu’on ouvre la pratique et l’étude du docu-ment au-delà de la bibliographie tra-ditionnelle, mais aussi aux avancées de Paul Otlet dans sa définition d’un domaine scientifique nouveau : la documentologie 19. S’il ne précise pas dans les « Fundamenta » quels types d’images, originales ou reproduites, font partie de l’ensemble qu’il nomme « Les documents particuliers », il les prend toutefois en compte au même titre que le texte puisque, selon ses termes : « Chacun d’eux est constitué d’un ensemble de faits ou d’idées présen-tés sous forme de texte ou d’image 20… »

Dans d’autres parties du traité, il évoque de nouvelles formes du livre en envisageant son avenir : « Ciné, phono, radio, télé : ces instruments tenus pour les substituts du livre sont devenus

19. Il intitule le premier chapitre de son traité : « La bibliologie ou documentologie. Sciences du livre et de la documentation ».

20. Paul Otlet, Traité de documentation, op. cit., p. 6.

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en fait le livre nouveau, les œuvres au degré le plus puissant pour la diffusion de la pensée humaine 21. »

Le terme d’« œuvre » doit ici nous arrêter, car il interroge son usage d’un sens nouveau : celui d’une accepta-tion du statut de création intellec-tuelle, autonome, dotée de valeurs spécifiques, comme des substituts qui auraient conquis leur indépen-dance. Mieux, ils représentent un degré supplémentaire, non pas seule-ment dans l’évolution des techniques et des supports palliant temporaire-ment l’absence du livre, mais parce que, grâce à eux, un nouveau « livre » est advenu. Son approche de la photo-graphie, par exemple, ne laisse aucun doute quant à l’intérêt qu’il lui porte, comme Walter Benjamin, tant sur le plan de l’expression que de l’histoire ou de la technique, citant Moholy Nagy pour la « nouvelle conception de l’espace » ou « le pouvoir de connaissance directe du monde qui nous entoure » qu’elle autorise 22. Mais c’est surtout dans ses commentaires à propos de ses capacités à documenter le monde en tous ses domaines qu’il démontre l’importance qu’elle a acquise en docu-mentation : « La photographie élargit le domaine de la documentation non seu-lement par ce qu’elle reproduit des docu-ments, mais par ce qu’elle en produit » ou « la copie photographique va révolu-tionner toute documentation ». Citant Eugène Morel, il reprend l’idée que les services photographiques des biblio-thèques vont transformer les dépôts et collections en « centres d’émission, d’où les documents rayonneront 23 ».

Comme ses contemporains, Paul Otlet aborde le phénomène de la reproduction en y voyant une possi-bilité supplémentaire de transmis-sion : « Un Musée universel d’art par la reproduction, présentant dans un ordre classé l’ensemble des œuvres magistrales, est un desideratum 24. » Il évoque plu-sieurs fois cette possibilité. Partisan du nom d’« iconothèques » pour les cabinets des estampes agrandis aux photographies, il est d’accord avec

21. Ibid., p. 431.

22. Ibid., p. 201.

23. Ibid., p. 201.

24. Ibid., p. 247.

« l’extension et la multiplication des col-lections de photographies documentaires (archives photographiques)25 ». Partant d’une conception très extensive, et en cela encore actuelle, de l’iconographie, Paul Otlet écrit qu’elle « tend à devenir de nos jours la science de l’image en gé-néral, quel que soit son mode de produc-tion 26 ». Définition très proche de celle qu’on donne maintenant de l’iconolo-gie, et dont témoigne William J. Tho-mas Mitchell pour qui l’iconologie est « l’étude des images à travers différents médiums 27 ».

Prolongements

René Berger, qui fut conservateur du musée des Beaux-Arts de Lau-sanne et analyste attentif des condi-tions d’élaboration et de réception de l’art à l’heure des nouveaux médias, pensait qu’on ne pouvait séparer un objet de connaissance des conditions de sa constitution. Conditions « so-ciales, techniques, culturelles et politiques déterminées, mais aussi, on l’oublie trop souvent, avec et par les moyens de com-munication qui ont cours 28 ». L’œuvre, en devenant document, s’inscrit dans un espace instable de dédoublements dont on mesure un stade supplémen-taire avec les collections de musées et de bibliothèques accessibles sur le web, où elles voisinent avec des œuvres originellement numériques. Les textes mis en regard que nous avons abordés ici permettent de mieux comprendre des idées actuelles à propos de l’œuvre telle qu’on la redé-couvre et perçoit et telle qu’on en dis-pose, documentée dans les collections et banques d’images. Il est notable qu’une réflexion sur les trajets du sup-port allant de l’œuvre au document ne peut mettre entre parenthèses celle du sens (dans toutes ses dimensions, y compris celles de sa matière), soit qu’il

25. Ibid., p. 194.

26. Ibid., p. 193.

27. William J. Thomas Mitchell, « Iconologie, culture visuelle et esthétique des médias », in Perspective. La revue de l’INHA, 2009, no 3, p. 339.

28. René Berger, Art et communication, Tournai, Casterman, 1972, coll. « Mutations, orientations », no 18, p. 7-8.

intervienne comme une entité lacu-naire, soit transformée ; de ce point de vue, le travail de contextualisation, par exemple, en documentation, par des notices assez explicites, demeure im-portant à tous les stades de manifesta-tion de l’original et de la reproduction.

Ce moment épistémologique nous indique, si nous en doutions, que la dimension historique d’une pensée du numérique permet de revoir des enjeux en nous soumettant à une forme de réadaptation à l’actualité : on pourra la nommer relativisation ou distance, elle n’en demeure pas moins centrale dans toute saisie de phéno-mènes trop envahissants. Comme l’écrit Michel Melot : « L’image résiste à l’histoire. Comme l’œuvre d’art, elle ne peut être qu’actuelle » ; une propriété qu’il convient d’interroger par le dis-cours, car : « Seul le discours peut alors faire resurgir le “double temps” de l’art, celui de sa création et celui de sa récep-tion 29. »

Enfin, et c’est lié à ce qui précède, on peut repérer dans ces passages (aux sens d’extraits et de mise en rela-tion), par leurs objets, leurs intentions et leurs effets, tout le travail dialec-tique qui intervient entre anticipation et contingence. Autant le principe critique énoncé par Walter Benja-min impliquant la nécessité de com-prendre l’œuvre dans le temps de ses manifestations que le conseil d’Erwin Panofsky de ne pas retomber dans « l’esthétique normative » en évitant « d’avancer des propositions à valeur uni-verselle sur l’Essence de l’œuvre d’art 30 » prouvent, s’il le fallait, la nécessité de comprendre, dans un mouvement réciproque, le rôle et la place du docu-ment dans l’œuvre et de l’œuvre dans le document. •

Mai 2011

29. Michel Melot, « Illustrer l’histoire de l’art », in L’image à la lettre, sous la dir. de Nathalie Preiss et Joëlle Raineau, Éd. des Cendres et Paris-Musées, 2005, p. 202-224.

30. Erwin Panofsky, ibid., p. 52.

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La médiation au service de la confluence du musée et de la bibliothèque

Musées et bibliothèques doivent à leurs origines d’avoir été souvent consti-

tués à partir de collections privées, sé-parées, et destinées à un public éclairé et choisi. Ils ont maintenant vocation à faire partager au plus grand nombre toutes les richesses qu’ils contiennent et ne sont plus considérés comme ré-servés à une élite. Ils cherchent à être accessibles et fréquentés par de larges publics, et il devient dès lors essen-tiel qu’ils soient compris et appréciés de tous. La médiation nécessaire à cet usage se situe au point de rencontre entre l’usager (et ses connaissances et modes d’acquisition du savoir), le lieu (avec sa logique de fonctionnement) et l’objet exposé (et la diversité de son contenu culturel).

La confluence de la médiation, c’est-à-dire la jonction entre les pra-tiques de lieux culturels aux missions en apparence très proches, semble de prime abord évidente à concevoir. En effet, des problématiques communes apparaissent, telles que l’accroisse-ment des services proposés sur place et en ligne, la nouvelle place accordée aux publics, la numérisation et la mise en ligne des collections.

Généralement séparés dans l’es-pace urbain, musées et bibliothèques se retrouvent quelquefois rassem-blés pour des raisons historiques ou politiques. N’est-il pas souhaitable de tendre vers des propositions de trans-versalité où la médiation serait au ser-vice de la confluence des objectifs de plusieurs institutions culturelles ?

Toutefois, les réalités de fonction-nement, les langages et les pratiques propres aux institutions ainsi que les

exigences des utilisateurs semblent aller à l’encontre de cette notion de convergence. Dans les faits, sa mise en œuvre est par conséquent beau-coup moins évidente à concrétiser. Quels sont les enjeux et les obs-tacles de cette mise en commun des moyens ? Entre crainte d’instrumenta-lisation et peur de dilution, la volonté de conserver son identité est une question essentielle.

Pour autant, les entités cultu-relles qui envisageraient d’aller vers la confluence ne découvriraient-elles pas que, loin de les affaiblir, ce projet enrichirait et renforcerait au contraire chacune d’entre elles, décuplant leurs capacités d’innovation en leur appor-tant une audience élargie et de vastes pistes de partenariats ?

La confluence des pratiques : une évidence ?

Au musée, la médiation sert d’intermédiaire entre le lieu, l’objet exposé et le public. Elle participe à la fois à la mise en valeur des collections et à l’accompagnement du visiteur. Elle assure également une mission d’éducation informelle et s’intègre dans une démarche de partage du savoir. La médiation encourage l’ob-servation et la prise de position du visiteur, de manière à l’amener à l’autonomie et à l’approfondissement. De plus, elle s’inscrit dans la durée, puisqu’elle peut débuter avant la visite et se poursuivre après. Ces notions se retrouvent par exemple dans les parcours de visite autour des chefs-d’œuvre de Chantilly, téléchargeables

Félicie ContenotFondation pour la sauvegarde et le développement du domaine de [email protected]

Actuellement chargée du public junior au domaine de Chantilly, Félicie Contenot a été médiatrice culturelle dans divers musées, et coordinatrice des médiations aux Champs libres à Rennes. Titulaire d’un master 2 en muséologie et nouveaux médias, elle est aussi titulaire d’une double maîtrise d’histoire et d’histoire de l’art et archéologie.

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sur internet ou en libre accès sur place 1. Ces livrets invitent à valoriser et à découvrir l’étendue et la richesse des collections du musée à travers une sélection d’œuvres caractéris-tiques. Ils permettent de préparer la visite en amont, d’être « accompagné » au musée Condé et de garder un sou-venir durable de cette visite.

En bibliothèque, en plus du rôle d’intermédiaire, la médiation englobe aussi des notions d’accueil, d’orien-tation et de conseil. Elle apporte à la fois au public la compréhension de l’organisation du lieu et de ses codes et l’apprentissage de l’usage du lieu et de ses outils de recherche, de manière à transmettre à chacun une méthodo-logie adaptée et efficace. La médiation en bibliothèque se présente souvent comme une « autoformation assistée » de l’usager, avec par exemple pour ob-jectif de réduire la fracture sociale face au numérique.

Prenons l’exemple de la biblio-thèque de Rennes Métropole, qui pro-pose un parcours intitulé « Découvrir la bibliothèque de Rennes Métropole » pour les élèves de collège et de lycée. Cette visite guidée se présente sous la forme d’une déambulation, au cours de laquelle il est possible de découvrir les particularités de la bibliothèque à travers cinq espaces très différents : le pôle Vie du citoyen, le pôle Patri-moine, le pôle Musiques, ou bien Lan-gues et Littératures, ainsi qu’un pôle documentaire au choix, à préciser lors de la réservation, par exemple : Arts, Société, Civilisation, Sciences et Vie pratique ou Jeunesse 2.

D’après Daniel Jacobi, « la mé-diation correspond à toutes les formes d’intervention à caractère culturel orga-nisées à l’attention des visiteurs. Elle est médiation dans la mesure où elle se situe entre le patrimoine et les publics avec la volonté de contribuer aussi bien à favori-ser le moment de plaisir de la découverte ou un temps de délectation, qu’à faciliter le travail d’application de connaissance. L’idée de l’intermédiaire postule implicite-

1. www.chateaudechantilly.com/fr/parcours-de-visite.p50.html

2. www.bibliotheque-rennesmetropole.fr/publics/groupes-et-scolaires-classes/autour-de-la-bibliotheque

ment la nécessité de modifier un rapport qui, précédemment, était établi sans tiers médiateur 3 ».

Le but principal de la médiation en musée ou en bibliothèque est avant tout celui de la transmission des connaissances. Provoquer, rendre possible la rencontre entre l’objet ori-ginal et le public, qu’il soit visiteur ou usager. Elle favorise la compréhension de l’organisation du lieu et de ce que l’on peut y trouver, créant ainsi un lien entre le public et les collections.

Elle contribue également à démo-cratiser l’accès à la culture, en sen-sibilisant aux valeurs culturelles et patrimoniales, en encourageant la découverte et en facilitant l’accès uni-versel à l’information. Dans les deux types d’institutions – musées et biblio-thèques –, la médiation permet aussi de rassurer les publics, en particulier les plus éloignés des univers culturels, en rendant les biens culturels plus accessibles par une démystification des lieux, en donnant du sens aux col-lections par des discours compréhen-sibles par tout un chacun et enfin en assurant l’accompagnement vers la connaissance par le développement d’interventions attractives et convi-viales.

L’accueil des publics : la réalité des contraintes

Afin d’assurer son rôle d’intermé-diaire entre le public et les institutions culturelles, la médiation doit prendre en compte à la fois les attentes des utilisateurs, les contraintes liées aux lieux, mais aussi la diversité des pu-blics. Les usagers qui fréquentent aujourd’hui les musées et les biblio-thèques ont en effet des profils très variés : scolaires, familles, personnes en situation de handicap, publics du champ social, étudiants, actifs, retrai-tés, touristes étrangers, et ont des at-tentes différentes.

Les raisons qui les incitent à se rendre dans un musée ou une biblio-thèque peuvent être l’intérêt pour le

3. Daniel Jacobi, La communication scientifique : discours, figures modèles, Presses universitaires de Grenoble, 1999.

thème traité, la découverte des savoirs liés au lieu et le désir de se cultiver. L’idée de plaisir est également souvent énoncée, tout comme celle de « parta-ger une activité en famille pour passer un bon moment ».

Pour répondre à ces attentes, la médiation se doit d’être attractive, notamment dans le choix des intitulés (on choisit des titres de visites et d’ex-positions qui aiguisent la curiosité), didactique, enrichissante, ludique…, en un mot, agréable. La communica-tion, qu’elle se fasse par campagne d’affichage, sur un site internet, par insertion de communiqués dans la presse et, de plus en plus, par le biais des réseaux sociaux, est le relais de la médiation, destinée à déclencher cette envie de venir visiter.

Si, du point de vue de l’usager, des réalités spécifiques apparaissent liées aux contraintes de l’accueil des publics, du côté de l’œuvre, il semble nécessaire d’opérer en interne une réflexion et des « tentatives de conci-liation » permettant de passer de la conservation à la médiation : « […] Ce sont des endroits spécifiques caracté-risés par leurs collections, avec leurs propres règles du jeu, des avantages et des contraintes dus à la présence de l’objet original et des autres visiteurs/usagers à respecter 4. »

Cet objet original doit être pré-servé hors de portée de main, le plus souvent derrière un cordon de sécu-rité, ou sous une vitrine. Il s’agit alors pour le médiateur de concilier conser-vation et médiation.

Pour une question de lisibilité, ou de sécurité de l’œuvre, il arrive sou-vent de devoir limiter le nombre de visiteurs, en stipulant par exemple des horaires de visite sur les billets réser-vés en ligne, comme c’est le cas pour les expositions du Grand Palais. La contrainte d’espace de présentation est également à prendre en compte. Pour répondre à cette contrainte, il peut être judicieux d’utiliser d’autres salles plus spacieuses pour introduire l’objet. Le groupe peut alors s’instal-

4. Jeanne Pont et Françoise Vallet, Accueil des publics des musées d’art et d’histoire de la Ville de Genève, 21 février 2000 : www.ville-ge.ch/mah/index.php?content=1.2.3.3.1.&langue=frs

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La médiation au service de la confluence du musée et de la bibliothèque :

ler un moment dans un espace plus vaste, avant que le médiateur puisse inviter les visiteurs à passer chacun à leur tour devant l’objet. C’est notam-ment le cas au musée départemental Georges de la Tour, où le tableau Saint Jean-Baptiste dans le désert est exposé seul, dans une petite salle où un groupe entier ne peut être accueilli. C’est également souvent le cas lors de la présentation de manuscrits en bibliothèque.

De plus, selon la géographie des lieux, salles de musées, salles de lec-ture ou bibliothèques, les compor-tements attendus et demandés aux visiteurs ne seront pas les mêmes. Ils devront découvrir et intégrer les codes de chaque espace, tels que le silence, les déplacements, la libre consultation ou l’attente de mise à disposition d’un ouvrage.

Les bibliothèques et les musées ont des fonctionnements distincts, par exemple des normes de métadonnées différentes, mais également des procé-dures d’accès différentes, procédures

qui sont parfois méconnues, ou dérou-tantes pour le visiteur non initié.

Dans la perspective de faire confluer les objectifs et les pratiques de médiation d’une institution à l’autre, les cultures organisationnelles des deux lieux doivent tendre à s’har-moniser. Or, le changement apporte obligatoirement des bouleversements et une remise en cause des habitudes des personnels. Dans la logique des responsables de services publics, cette confluence de savoirs entre biblio-thèques et musées semble indispen-sable, notamment par leurs apports croisés quant à la compréhension de la cohérence du site, alors que, au cœur des institutions, se pose sou-vent la question de la perte d’iden-tité. Lorsque les deux structures se retrouvent rassemblées en un même lieu, ce qui est le cas dans les nou-veaux établissements culturels comme Les Champs libres à Rennes, qui réu-nit un musée de société, une biblio-thèque et un espace des sciences, la visibilité des entités les unes par rap-

port aux autres est une réelle préoccu-pation.

La confluence ne peut se faire spontanément ni immédiatement, elle passe par la rencontre et la confron-tation, puis la confiance, enfin la col-laboration. Celle-ci doit être voulue, choisie, acceptée en vue d’un but et d’une réalisation commune, « […] car l’ambition de la médiation est bien là, portée par des voix diverses, théoriques et doctrinales : contribuer à régénérer l’ac-tion culturelle, en allant même jusqu’à repenser le statut des institutions cultu-relles les plus patrimoniales pour en faire, en tant qu’institutions mêmes, des média-teurs 5 » . La médiation doit donc mêler intelligemment les attentes de publics variés et tenter de les concilier avec les objectifs de conservation. Plusieurs types de médiations peuvent répondre

5. Nicolas Aubouin, Frédéric Kletz, Olivier Lenay, Médiation culturelle : l’enjeu de la gestion des ressources humaines, Paris, DEPS/Ministère de la Culture et de la Communication, 2010.

Château de Chantilly © I. Dubel

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à ces attentes, tout en participant à la confluence.

La piste d’une confluence ponctuelle : « des dispositifs pour une mise en réseau 6 »

Comme l’écrit Aurélie Henry : « Le musée sans médiation ressemble à un buffet sans couverts : certains audacieux vont manger à pleines mains mais la plu-part ne vont pas oser y goûter et vont être frustrés devant tant de plats appétissants hors de leur portée. Les outils de média-tion doivent fournir les couverts : les in-formations nécessaires à une expérience agréable et enrichissante 7. »

Concrètement, en vue d’atteindre ce but, les services publics proposent toute une variété d’outils et de dispo-sitifs de médiation directe et indirecte. Leur réalisation requiert le croisement des compétences de services différents et complémentaires (service éducatif, d’informatique, de conservation…), mais pourquoi pas, par extension, l’appui de services pouvant appartenir à d’autres entités culturelles ?

Médiations directes

La médiation directe, qui implique la présence physique du médiateur, permet in situ d’exploiter des thèmes communs aux différentes institu-tions. Par exemple, lorsque plusieurs institutions sont regroupées dans un même bâtiment, il est possible d’effectuer des visites relatives à l’ar-chitecture. Ces rencontres invitent à découvrir l’histoire de la construc-tion, définissent le lieu et présentent l’enveloppe du bâtiment, qui suscite déjà des interrogations de la part des publics. Elles introduisent également

6. Vincent Rouzé, « Médiation/s : un avatar du régime de la communication ? » in Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010, p. 71-87.

7. Aurélie Henry, Les Enjeux de l’information et de la communication, 25 mars 2010 : http://cultural-engineering.com/2010/03/25/repenser-la-mediation-l%E2%80%99exemple-de-la-smithsonian-institution-1

les institutions en présence, comme on peut le voir aux Champs libres avec la visite « Un bâtiment pas comme les autres », qui propose une découverte insolite de l’architecture et de l’histoire de ce bâtiment. Dans cette médiation, la circulation dans les différents es-paces est essentielle : elle permet aux visiteurs de différencier visuellement les « entités », d’expliquer leurs mis-sions et ce qui les relie.

Il est à noter que les propositions de médiation autour de l’architec-ture concernent en grande majorité des bâtiments récents. L’architecture contemporaine est en effet source de nombreux questionnements de la part des visiteurs, questionnements aux-quels il faut pouvoir répondre.

Toujours dans l’idée de confluence entre les institutions grâce à la média-tion, il existe des conférences desti-nées à un public ciblé, par exemple celui des enseignants. Elles per-mettent d’établir un parallèle entre les collections de peintures et les ouvrages de la bibliothèque, telle que la conférence pédagogique proposée par le service éducatif et culturel du domaine de Chantilly liant « Arts et lit-térature ».

Médiations indirectes

La médiation indirecte, quant à elle, consiste à mettre à disposition différents supports que les publics uti-liseront à leur guise et à leur rythme, en toute autonomie, in situ ou à dis-tance. Ces supports doivent anticiper au mieux les attentes des visiteurs, tant en terme de contenu que dans leur démarche, afin d’informer et d’accompagner les usagers de manière pertinente dans leurs cheminements individuels ou collectifs.

Ces médiations, proposées aux usagers, tant en bibliothèque qu’en musée, prennent la forme de docu-ments d’accompagnement (fiches de salles, livrets-jeux, journaux d’expo-sition), de cartels, ou encore d’expo-sitions sous forme de panneaux pédagogiques, et de plus en plus fré-quemment de supports numériques.

En effet, les technologies de l’in-formation et de la communication pour l’enseignement (ou Tice) font

aujourd’hui partie intégrante des moyens de médiation mis en œuvre dans les institutions culturelles. Celles-ci ont compris qu’en s’ouvrant aux nouvelles technologies elles pou-vaient aussi renouveler leur image, et mettre en valeur des collections non exposées au public comme le sont les arts graphiques, les manuscrits, les fonds photographiques…, tout en ré-pondant au besoin de conservation du patrimoine.

La diffusion de documents multi-médias en ligne permet ainsi aux ins-titutions culturelles de faire rayonner la richesse de leur patrimoine auprès des publics qui ne pourraient y avoir accès pour des raisons géographiques, physiques ou sociales. L’intérêt réside aussi dans le fait que ces contenus sont accessibles 24 heures sur 24. Ainsi, les expositions virtuelles, les portails pédagogiques, les catalogues et bases de données en ligne facilitent cette découverte à distance en faisant appel à l’implication active des inter-nautes.

En parallèle, la médiation numé-rique au sein même des musées et des bibliothèques donne accès à des conte-nus complémentaires. Elle se carac-térise par des installations fixes telles que les feuilletoirs, qui permettent de tourner virtuellement les pages de manuscrits anciens, les bornes inte-ractives, les tables multipoints, qui offrent une pause ludique, tout en rythmant la visite, et également par tous les supports de la technologie mobile : les audioguides et applica-tions Smartphone qui délivrent un contenu multimédia à proximité im-médiate des œuvres.

La diversité de formats numé-riques disponibles permet à chaque institution de trouver l’outil le plus adapté aux objectifs qu’elle se sera fixés ainsi qu’aux publics auxquels elle souhaite s’adresser. De plus, re-liés à un accès internet, ces supports peuvent créer des ponts avec le site de l’institution, et, éventuellement, avec d’autres partenaires distants.

Les services des publics doivent en permanence expérimenter de nou-velles pratiques, se renouveler, inno-ver. Toutefois, les collections des mu-sées et des bibliothèques nécessitant comme fondement de toute action et

bbf : 2011 15 t. 56, no 4

La médiation au service de la confluence du musée et de la bibliothèque :

de toute réflexion des connaissances spécifiques, un travail de collabora-tion entre les services de médiation et les services de documentation et de conservation est primordial en vue de la création de médiations transversales en perpétuelle évolution.

Promouvoir une démarche en synergie

Aller vers la confluence ne signi-fie pas fusionner des organismes, qui en viendraient à perdre leur identité, mais parvenir à une certaine similarité de points de vue et d’objectifs au béné-fice d’un projet commun au service des publics. Dès lors, il est nécessaire d’assurer une représentation équi-table de chaque entité impliquée, en particulier dans la mise en œuvre de médiations. Chaque institution peut apporter ponctuellement son savoir-faire et ses collections lors de projets fédérateurs, leur collaboration don-nant alors naissance à de nouvelles perspectives de médiations et de croi-sements disciplinaires.

En outre, les institutions forment ensemble un carrefour de découvertes où le public des uns devient le public des autres. Cette démarche peut par-faitement s’illustrer au travers de la réalisation d’une exposition com-mune. En effet, étant déjà en soi une

médiation, une exposition est le fruit de la collaboration étroite entre divers professionnels, non seulement des savoirs, mais aussi de l’espace muséal et des publics.

Ainsi, « Le roi Arthur une légende en devenir » – exposition qui s’est tenue aux Champs libres de Rennes en 2008 – a permis de tisser une rela-tion à la fois entre les institutions en interne (Bibliothèque, Musée de Bre-tagne, Espace des sciences), chacune apportant des éléments constitutifs de l’exposition, mais également avec d’autres bibliothèques, puisque cette exposition s’inscrivait dans un cycle autour du roi Arthur 8. Sur place, des médiations directes et indirectes ont été mises en place : animations pour enfants, parcours en famille avec livrets jeux et cartels juniors, concep-tion d’audioguides, d’une exposition itinérante… Un site web commun sur la légende arthurienne a également été conçu dès l’ouverture de l’exposi-

8. Cycle composé de trois expositions : « Le roi Arthur, une légende en devenir » aux Champs libres de Rennes en 2008, « La légende du roi Arthur » à la Bibliothèque nationale de France en 2009, et l’exposition « Chrétien de Troyes et la légende du roi Arthur » à la médiathèque du Grand Troyes en 2011. Voir dans le BBF : Anne-Hélène Rigogne, « Le graal à la BnF ou “La Légende du roi Arthur” », BBF, 2011, no 1, p. 60-64, en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-01-0060-012

tion de Rennes par le service multimé-dia de la BnF et s’est enrichi au fil des avancées de chaque exposition, avec des livres à feuilleter, des activités pé-dagogiques, des ressources à téléchar-ger, un concours… 9

Dans un avenir proche, on peut imaginer que ces modèles, qui existent déjà dans certaines institu-tions, se généraliseront en trouvant de nouveaux moyens de livrer l’infor-mation au public, en collaborant à la conservation et à la numérisation du patrimoine documentaire et en pour-suivant la mise en place de nouvelles installations mixtes de médiation. Alors que l’ère du numérique ouvre des champs infinis de partage et d’ou-verture de la culture, jusqu’alors inen-visageables, il semble plus que jamais nécessaire de rapprocher des institu-tions dont les missions convergent au service de la connaissance pour tous les publics. •

Mai 2011

9. http://expositions.bnf.fr/arthur/index.htm

© Conseil général de la Moselle, MdGdLT, Studios Doncourt

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ces Convergences

et divergences entre archives et bibliothèques :

Au fil des siècles, les relations entre archives et bibliothèques ont tendu vers une affirmation

et une professionnalisation de cha-cune de ces institutions, et vers une définition plus précise de leurs mis-sions respectives.

Dans la seconde moitié du xxe siècle, les orientations politiques en faveur du développement de la lecture publique, d’une part, l’accrois-sement des volumes de la production administrative et l’ouverture des fonds d’archives au public grâce aux lois de 1978 et 1979, de l’autre, ont contri-bué à cette spécialisation. Pour mieux y répondre, ont été développées des formations professionnelles néces-saires aux personnels scientifiques, des normes pour la description des fonds d’archives et le catalogage en bibliothèque ainsi que les outils infor-matiques correspondants, des réseaux professionnels enfin, qui, sans se mé-connaître bien sûr, se sont structurés autour d’associations professionnelles, de publications techniques et de mo-ments de rencontre spécifiques.

Pourtant, aujourd’hui, il semble-rait que ce mouvement ne soit plus à l’ordre du jour, alors que plusieurs tendances semblent mettre en avant les points de convergence, voire en faire un impératif : l’une d’elle répond à des objectifs de redéfinition et de resserrement de la géographie admi-nistrative de l’État, des grands éta-blissements publics (regroupement des universités par exemple) et des collectivités territoriales. Confrontés à

des obligations de mutualisation, sou-vent à la réduction de leurs moyens, des services fusionnent ou sont ame-nés à partager des équipements qui regroupent, entre autres possibili-tés, archives et bibliothèques. L’autre tendance est liée au mouvement de numérisation massive qui contribue à rendre floues les lignes de partage entre des fonds qui, une fois déma-térialisés, se présentent comme de vastes réservoirs qu’il semble facile, sous cette forme, de regrouper en portails, sites, etc. Enfin, les profes-sionnels eux-mêmes sont peut-être davantage soucieux de croiser leurs pratiques, voire de les faire converger, autour de problématiques compa-rables telles que la conservation pré-ventive, les nouvelles technologies ou la médiation auprès des publics.

Qu’en est-il donc de ces conver-gences recherchées – ou imposées ? Sont-elles souhaitables pour les pro-fessionnels et leurs services ? Pour le public ? Peuvent-elles enrichir les missions de service public qui sont les nôtres ? La réflexion qui suit concerne avant tout l’univers des services pu-blics, constitués en grands réseaux formels et informels depuis plusieurs décennies, l’univers des structures pri-vées étant par nature moins structuré et donc plus difficile à appréhender. Il ne s’agit en tout état de cause que de quelques pistes sur un sujet somme toute relativement vaste et en pleine évolution.

Agnès VaticanArchives municipales de [email protected]

Conservateur en chef du patrimoine, Agnès Vatican est directrice des archives municipales de Bordeaux depuis 2000. Archiviste-paléographe, elle a été auparavant membre de l’École des hautes études hispaniques (Casa de Velásquez) et directrice adjointe des archives départementales de la Somme.

QUELQUES RÉFLExIONS D’UNE ARChIVISTE

* Je remercie Raphaële Mouren qui a bien voulu contribuer à ma réflexion sur ce vaste sujet.

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Convergences et divergences entre archives et bibliothèques :

ISAD/G et EAD : des convergences intéressantes

Fondamentalement, les archives sont « le fruit et le reflet des activités des hommes », ainsi que le note Jean Fa-vier dans l’introduction de la Pratique archivistique française 1. Les biblio-thèques le sont aussi, bien sûr, mais la dimension d’œuvre de l’esprit, qu’elle soit écrite, figurée, sonore ou numé-rique, reste prégnante dans les collec-tions qu’elles constituent et qu’elles conservent, alors que ce n’est pas ce qui fait l’archive. En effet, la notion

1. Jean Favier, La pratique archivistique française, Paris, Direction des archives de France, 2008, p. 12.

centrale en matière d’archives est celle de fonds d’archives, qui établit un lien primordial entre des sources originales, le plus souvent uniques, et leur contexte de production. Cette notion a son fondement dans le mode de constitution des fonds d’archives, qui est préalable à l’intervention de l’archiviste, et crée un lien indisso-ciable entre le producteur, qu’il soit personne physique ou morale, et ses archives considérées comme telles dès leur création. Cette approche or-ganique qui accompagne les étapes de la collecte, du traitement puis de la diffusion, n’est pas qu’un point de vue, une conception qui serait propre à l’archiviste. D’elle découle la possi-bilité d’une contextualisation et d’une critique des sources qui s’imposent à tout chercheur, qu’il soit profession-nel ou amateur. D’où des enjeux qui

relèvent de l’éthique même de la re-cherche en sciences sociales.

La traduction de cette approche organique s’est incarnée dans la norme internationale ISAD/G 2 et sa transcription dans un format non propriétaire XML EAD 3. Cette nor-malisation de la description archivis-tique, intervenue bien plus récem-ment pour les archives que pour les bibliothèques, a paradoxalement inté-ressé des bibliothèques confrontées à la difficulté de rendre compte de la présence d’ensembles au sein des col-lections, souvent invisibles en raison

2. ISAD(G) : Norme générale et internationale de description archivistique ; en ligne : www.icacds.org.uk/fr/ISAD%28G%29.pdf

3. Encoded Archival Description ; en ligne : www.lcweb.loc.gov/ead

Aperçu des registres paroissiaux. © Archives municipales de Bordeaux – Photo : Bernard Rakotomanga

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d’une description « à plat » dans un système intégré de gestion de biblio-thèque (SIGB). Cette problématique a été la source d’une convergence intéressante, puisque plusieurs biblio-thèques, dont la Bibliothèque natio-nale de France, ont souhaité recourir à l’EAD, et ont pu ainsi partager des problématiques communes avec les archives, notamment la nécessité de former les agents et de disposer d’ou-tils de description et de publication adaptés.

Cependant, il n’est pas sûr que ce mouvement concernera à terme l’en-semble des bibliothèques, certaines n’ayant pas les moyens de mettre en œuvre l’EAD (comment acquérir les outils de description lorsqu’on a déjà un SIGB en Unimarc ?), d’autres ne souhaitant pas le faire ou se tour-nant vers d’autres formats. De plus, l’usage de l’EAD en bibliothèque a nécessité certaines adaptations qui s’éloignent de la pratique archivis-tique. Ainsi, pour le catalogue général des manuscrits français, l’EAD permet de conserver la description de niveau haut d’un ensemble de manuscrits, mais n’a pas permis de reconstituer des fonds d’ouvrages (confiscations révolutionnaires par exemple), pour des raisons que l’on conçoit aisément. Enfin, l’interrogation commune de bases réalisées dans des formats dif-férents (Unimarc et EAD en l’occur-rence) reste pour l’instant décevante, car les formats d’interopérabilité sont relativement pauvres, qu’il s’agisse du Dublin Core 4 ou de ses versions enri-chies (comme le propose la Banque numérique du savoir d’Aquitaine – BnsA – pour son format Aquitaine patrimoines)5, et obligent de toute façon à faire un retour vers l’outil de publication initial pour retrouver toute la richesse de la description dans son format d’origine.

4. http://dublincore.org

5. Voir dans ce numéro l’article de Jean-François Sibers, « Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confluence des ressources patrimoniales en région », p. 50-56.

Une répartition claire des compétences ?

Si la répartition des compétences et donc des procédures à mettre en œuvre sur les missions de lecture publique et de conservation du patri-moine écrit, d’une part, et de col-lecte d’archives publiques, de l’autre, est en principe parfaitement claire, c’est lorsque l’on se trouve sur le ter-rain des fonds privés, par définition concurrentiel, que les choses sont plus floues. Une circulaire 6 prise en 1994 par le ministère de la Culture, et cosignée à l’époque par le directeur du livre et de la lecture et celui des Archives de France, rappelait ainsi tout l’intérêt d’accueillir les fonds selon leur nature dans les institutions pertinentes, à la fois pour disposer d’un personnel qualifié pour leur trai-tement et pour permettre un accès plus clair aux lecteurs. Ces précisions valent d’ailleurs tout autant pour les bibliothèques historiques et adminis-tratives présentes dans les services d’archives nationales, départementales et communales, qui ne bénéficient pas toujours des compétences adéquates pour un catalogage normalisé.

Ainsi, s’il y a des fonds d’archives dans les bibliothèques, il y a des bibliothèques dans les services d’ar-chives 7. Et il y a même mieux : des fonds d’archives qui sont en réalité archives et bibliothèque (voire collec-tions d’objets d’arts) et demandent de maîtriser deux champs de com-pétences. C’est précisément dans le traitement de ces fonds composites, ou lorsqu’il s’agit de traiter de façon désormais normalisée des fonds col-lectés « hors contexte » que les conver-gences de compétences sont tout à fait nécessaires, à la fois pour la descrip-tion des contenus et pour leur signa-

6. Circulaire AD 8299 et DLL/DBEAG/BHK/EN/No 94-992 du 2 septembre 1994 : Répartition des attributions en matière de conservation du patrimoine écrit entre les services d’archives et les bibliothèques.

7. Voir dans ce numéro l’article de Véronique Bernardet et Sabine Souillard, « Les bibliothèques d’archives : des bibliothèques spécialisées, à la croisée des pratiques des centres de documentation et des bibliothèques publiques », p. 22-25.

lement croisé (notamment des fonds de bibliothèques contenus dans des fonds d’archives, généralement très peu utilisés), au bénéfice du public.

Si l’on se place du côté du public, quels sont dans ce cas les avantages réels ou supposés à cette conver-gence ? Il est vrai que pour l’homme (ou la femme) de la rue, la distinction n’est pas claire. Archives et biblio-thèques souffrent, malgré l’augmen-tation de leur fréquentation (encore plus massive dans les bibliothèques que dans les archives) d’une assez large méconnaissance de leurs raisons d’être et de leurs spécificités. Ainsi, Arlette Farge, auteur du bel ouvrage Le goût de l’archive 8 que nous, archi-vistes, nous plaisons à citer, évoque en réalité son travail de chercheur à la bibliothèque de l’Arsenal, certes sur des fonds d’archives, mais dans une bibliothèque.

Quant aux professionnels, ils n’ont pas forcément pris le temps de clarifier certains concepts hérités du xixe siècle. Je veux parler là de la no-tion de « manuscrit », abondamment utilisée depuis le xixe siècle pour dési-gner, dans les archives comme dans les bibliothèques, ce qui semblait rare, précieux, à signaler à l’attention des chercheurs 9. Cette notion a ainsi présidé à la réalisation d’instruments de recherche ou de corpus dont la pertinence doit être aujourd’hui ques-tionnée si l’on souhaite précisément des convergences sur le plan scienti-fique. Ainsi, lors d’un pré-inventaire du patrimoine écrit réalisé en Aqui-taine au début des années 2000 par l’association « Coopération des biblio-thèques en Aquitaine », il fut assez difficile aux archives municipales de Bordeaux de recenser le nombre de manuscrits conservés et leur réparti-

8. Le Seuil, 1989.

9. On peut mentionner ici la publication en 1938 par les archives municipales de Bordeaux d’un Catalogue des manuscrits tout à fait symptomatique de cette confusion puisqu’il s’agissait de signaler (en les recotant) des documents extraits de fonds d’archives publiques ou privées, voire des fonds entiers, sélectionnés selon leur intérêt aux yeux de l’archiviste, et présentés selon l’ordre « habituel des grandes disciplines » : philosophie et religion, sciences pures et appliquées, beaux-arts, etc.

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Convergences et divergences entre archives et bibliothèques :

tion par période, l’essentiel de la pro-duction d’archives publiques ou pri-vées, jusqu’aux années 1950 au moins, étant de toute évidence manuscrite. De même, lorsque l’Institut de re-cherche et d’histoire des textes (IRHT) s’est intéressé aux manuscrits médié-vaux en Aquitaine pour un projet de microfilmage et de numérisation, le corpus considéré a rapidement mon-tré son caractère hétéroclite, puisqu’on y trouvait, outre des œuvres de l’esprit, elles-mêmes très diverses, des cartu-laires et documents médiévaux qui concernaient la gestion administrative et économique de villes ou de seigneu-ries dont la mise en ligne, aux côtés de fonds d’archives communaux ou seigneuriaux, était plus pertinente. Ce qui ne posait pas problème pour un projet de microfilmage ou de numé-risation était donc plus questionnable s’agissant de la mise en œuvre d’un site internet commun.

Des projets de mutualisation

C’est pourtant bien souvent en partant des attentes supposées du pu-blic que de nombreuses collectivités réfléchissent à des projets de mutua-lisation des services d’archives et de bibliothèques.

Le premier niveau de mutuali-sation concerne des problématiques techniques qui peuvent donner lieu à des marchés publics élaborés en com-mun pour l’acquisition de fournitures de conservation, les prestations de restauration ou de numérisation. Et il est vrai que les professionnels et les finances publiques peuvent souvent y gagner en partage de compétences et réduction de coûts.

Dans d’autres cas, c’est l’un des deux équipements (la bibliothèque en général) qui exerce par défaut les compétences de l’autre. Plusieurs

bibliothèques municipales, y compris de grandes villes, conservent les fonds d’archives anciennes de la commune, parce qu’elles ont été identifiées, à défaut d’un service d’archives com-pétent, comme capables d’assurer la conservation de documents patrimo-niaux. Mais cela résout rarement la problématique de l’archivage contem-porain, et encore moins les enjeux ac-tuels de gouvernance documentaire au cœur des systèmes d’information des administrations, qui nécessitent, pour garantir l’accès du citoyen aux sources dématérialisées de la décision pu-blique, la présence de professionnels des archives. Là réside aussi la ques-tion posée par la récente réorganisa-tion du ministère de la Culture et de la Communication qui a fait le choix, lui, de rattacher archives et bibliothèques à deux directions générales distinctes, et de privilégier, pour les archives, la dimension patrimoniale, ce qui affai-

Fonds privé lors de sa collecte. © Archives municipales de Bordeaux – Photo : Bernard Rakotomanga

20 bbf : 2011 t. 56, no 4

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blit considérablement le pilotage de l’archivage au niveau central, comme l’a récemment démontré le rapport du recteur Quénet 10.

Dans un troisième cas de figure, ce sont des projets immobiliers qui ont réuni des services d’archives et de bibliothèques dans des équipements modernisés, qui semblent bénéficier aux deux institutions et à leurs publics respectifs et/ou communs. On peut citer par exemple les archives départe-mentales des Bouches-du-Rhône, ins-tallées conjointement à la bibliothèque départementale de prêt et à une hémé-rothèque de quartier, dans le quartier Euroméditerranée, ou le pôle culturel et sportif du Bois-Fleuri, à Lormont (Gironde), dont l’ouverture a permis aux archives municipales d’abandon-ner les sous-sols de l’hôtel de ville pour rejoindre un grand espace ouvert de médiathèque.

Néanmoins, se posent très vite des questions pratiques, a fortiori lorsque la bibliothèque n’a pas de fonds patri-moniaux : comment gérer dans un même espace la communication d’ar-chives originales, uniques, soumise à des règles bien précises en matière de communicabilité, et celle, en libre accès, d’une médiathèque orientée vers la lecture publique ? Ces interrogations ne sont pas anodines et peuvent avoir des répercussions sur l’image des ser-vices (moindres horaires d’accueil par exemple pour les archives en raison de conditions plus restrictives d’accès aux fonds), voire susciter une incompré-hension assez légitime des publics.

La mutualisation immobilière, pratiquée depuis longtemps en ma-tière culturelle, revêt en réalité des formes très différentes et semble rele-ver plus souvent d’une réponse à des besoins coïncidents que d’un véri-table projet scientifique et culturel, même si certaines structures telles que le Rize, à Villeurbanne, semblent prometteuses en la matière 11. Ainsi,

10. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/114000194/0000.pdf

11. Voir l’article de Xavier de la Selle, « Quand bibliothèque et archives font mémoire commune : l’expérience du Rize à Villeurbanne », BBF, 2010, no 3, p. 46-49. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-03-0046-008

on constate qu’à Rennes, les Champs libres ont réuni une bibliothèque, un musée et un centre de culture scienti-fique, alors qu’à Montpellier, le conseil général va regrouper dans un même bâtiment les archives départemen-tales, la bibliothèque départementale et un organisme associé au conseil gé-néral, Hérault Sports. La multiplicité des combinaisons montre bien que la convergence archives/bibliothèque n’est pas la seule possible, et qu’elle n’est pas toujours la plus pertinente.

Enfin, ces dernières années, des projets de portails documen-taires communs se sont multipliés, associant souvent archives et biblio-thèques, parfois des musées ou un service de documentation. Ces plate-formes de diffusion, lorsqu’elles se situent au premier niveau de l’offre en ligne, ne me semblent pas forcé-ment gage de plus-value pour chacune des parties. Comme on l’a dit, les dif-férences de normes de description et de formats de publication qui s’y rattachent permettent mal de fusion-ner les bases de description (sauf à faire disparaître la dimension orga-nique des archives), ou alors sur des dénominateurs communs réduits (Dublin Core). Le risque apparaît éga-lement de faire disparaître la dimen-sion administrative que portent les archives, et notamment la possibilité qu’elles offrent au citoyen de justi-fier ses droits et d’avoir accès, dans une démocratie, aux fondements de la décision politique, au profit d’une dimension purement patrimoniale. De plus, les logiques de collectivités conduisent parfois à privilégier, pour des questions de communication, des regroupements documentaires qui ne sont pas toujours les plus per-tinents au regard des enjeux scien-tifiques et culturels. Ainsi, un fonds d’archives communales peut avoir autant, voire davantage, à partager, avec des archives départementales (ressources en matière de généalo-gie, d’histoire locale, etc.) qu’avec les fonds de la bibliothèque municipale, surtout lorsque celle-ci est principale-ment orientée vers la lecture publique. À l’inverse, des démarches de portail qui pratiquent le moissonnage des ressources, comme la BnsA en Aqui-taine ou Europeana, ont une approche

plus pragmatique, dans le sens où ils fonctionnent avant tout comme un point d’accès vers les ressources mises en ligne par l’établissement d’origine. Leur pertinence est d’autant plus forte qu’elle repose sur un volume impor-tant de réservoirs moissonnés. Leur plus-value professionnelle est réelle, car elles poussent les structures à pro-fessionnaliser les contenus qu’elles diffusent et à partager leurs pratiques.

Une vision de moyens et non de finalités

Ainsi, les projets de mutualisation de locaux ou, virtuellement, de plate-formes de mise en ligne, semblent reposer, bien souvent, sur une vision de moyens et non de finalités. Si, dans les moyens, des compétences pro-fessionnelles peuvent (doivent !) être échangées avec profit, dans les finali-tés, cela n’est pas démontré. Le projet scientifique et culturel est peu visible, la cohabitation, qu’elle soit virtuelle ou physique, peut entraîner facilement des déséquilibres, au détriment in fine de l’utilisateur. On ne peut que sou-haiter que ce type de rapprochement fasse désormais l’objet d’évaluations précises sur les bénéfices réellement obtenus tant du point de vue des pro-fessionnels que, surtout, du public, et qu’en tout état de cause, ils reposent systématiquement sur un véritable projet scientifique et culturel partagé en bonne intelligence entre les institu-tions concernées. •

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Confluences

2 – Hybridités

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ces Les bibliothèques d’archives :

Une bibliothèque d’archives dé-partementales est une biblio-thèque de conservation, de tra-

vail, d’étude et de recherche : en tant que telle, elle est patrimoniale, spécia-lisée et scientifique. C’est un secteur complémentaire des fonds archivis-tiques dont la particularité est d’être à la fois administrative et historique, hé-ritage de ses missions d’abord canton-nées aux services préfectoraux, puis s’installant dans les services d’archives pour développer les collections histo-riques et locales.

Elle est, aussi, au carrefour de deux institutions culturelles : archives et bibliothèques. Il s’agit à la fois d’un établissement patrimonial et d’un centre documentaire, en interne au service des archivistes et des adminis-trations voisines (directions du conseil général, autres services versants) et en externe auprès des lecteurs, usagers des archives (généalogistes, étudiants, historiens, etc.).

Gardienne de la mémoire collec-tive locale, la bibliothèque d’archives départementales est chargée de col-lecter et rassembler l’ensemble des documents imprimés provenant des services de l’administration départe-mentale. Elle abrite des documents de différente nature : périodiques offi-ciels (Journal officiel, recueil des actes administratifs, budgets, rapports, déli-bérations, etc.), bilans, études provi-soires, brochures, littérature grise, ins-truments de recherche des archives, catalogues d’exposition, thèses, mono-graphies locales, bulletins politiques, syndicaux, associatifs, publications des sociétés savantes, etc.

La bibliothèque d’archives est par nature transversale, alliant des mis-sions de patrimoine et de commu-

nication. C’est un lieu d’échange de pratiques professionnelles, archivis-tiques, bibliothéconomiques et docu-mentaires, permis par des documents relevant à la fois des archives et des bibliothèques.

Les bibliothèques d’archives départementales : des centres documentaires pas comme les autres

La constitution de la bibliothèque administrative fait partie des missions du service d’archives départementales. Dès 1837, la bibliothèque administra-tive est obligatoire : son histoire s’ins-crit au sein des services préfectoraux et de leur besoin documentaire de conservation des publications admi-nistratives et des collections législa-tives et réglementaires.

Centre de référence/service spécialisé

La fonction administrative, sans prévaloir nécessairement sur la mis-sion historique, est suffisamment significative pour définir les biblio-thèques d’archives comme des centres de documentation spécialisés destinés aux archivistes, voire à l’ensemble du personnel départemental. L’activité documentaire, débutant à la fin du xixe siècle dans les institutions spé-cialisées – administrations, indus-tries ou universités – émerge ensuite dans les bibliothèques et les services d’archives : cette partie documentaire apparaît comme un service spécialisé

Véronique BernardetArchives départementales des Bouches-du-Rhô[email protected]

Sabine SouillardArchives départementales de la [email protected]

Entrée en 1987 aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, Véronique Bernardet est responsable de la bibliothèque historique depuis 1993. Titulaire d’un DESS de gestion des systèmes d’information, elle est l’un des auteurs du guide Les bibliothèques d’archives (Association des archivistes français, 2010).

Entrée aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis en 2000, Sabine Souillard est chargée de gérer la bibliothèque historique depuis 2002. Elle est l’un des auteurs du guide Les bibliothèques d’archives (Association des archivistes français, 2010).

DES BIBLIOThèQUES SPÉCIALISÉES, à LA CROISÉE DES PRATIQUES DES CENTRES DE DOCUMENTATION ET DES BIBLIOThèQUES PUBLIQUES

bbf : 2011 23 t. 56, no 4

Les bibliothèques d’archives :

d’aide et d’orientation du lecteur ; c’est une activité annexe, mais qui permet lors de confirmer la bibliothèque d’ar-chives en tant que centre de documen-tation administrative et historique.

Comme les centres de documenta-tion des établissements de recherche, d’étude ou de décision, les biblio-thèques d’archives correspondent à une structure d’étude et de recherche fournissant de l’information spécia-lisée. Le visage de la bibliothèque d’archives est sans doute à rapprocher des centres de référence créés durant l’entre-deux-guerres, définis comme des organismes intermédiaires. En fait, avant même la création des centres de documentation contem-poraine dans les archives départe-mentales au milieu du xxe siècle, la bibliothèque du service se caractérise par sa spécialisation documentaire (littérature grise abondante, publica-tions d’actualité, etc.) ainsi que par sa gestion bibliothéconomique, qui pré-sente toutefois des particularités archi-vistiques. La notion de documentation semble ainsi diluée.

Les différences avec un centre de documentation classique

En bibliothèque d’archives, on :• effectue des recherches biblio-

graphiques pour les lecteurs et pour les archivistes, sur demande ; néan-moins, cette recherche se cantonne aux documents conservés aux archives départementales ;

• met à disposition des lecteurs des livres et des revues, mais pas de dossiers documentaires, panoramas ou dossiers de presse ;

• dépouille des périodiques, mais on ne dépouille pas, ou peu, les jour-naux quotidiens ;

• ne tient pas à jour des dossiers et des répertoires, des bulletins signa-létiques ou des bulletins de som-maires ;

• fonctionne au moyen d’un fonds/collection, contrairement à un centre de documentation dont l’acti-vité repose majoritairement sur des outils de travail pour produire des ser-vices à destination du public (consti-tution de répertoires, dépouillement de l’ensemble des revues, veille docu-

mentaire, signalement de la documen-tation sur un sujet) ;

• diffuse sans libre accès, excepté les usuels ; la consultation exclusi-vement sur place se remarque éga-lement dans les « bibliothèques de documentation » dès les années trente, l’objectif étant d’éviter au chercheur un déplacement inutile ;

• conserve les documents (conser-vation patrimoniale/archivistique) à long terme, alors qu’en centre de documentation le but n’est pas de conserver très longtemps mais d’ex-ploiter rapidement les documents, d’en fournir un usage instantané et ac-tuel, et de développer la valeur ajoutée destinée aux utilisateurs.

Les bibliothèques des services d’archives sont spécialisées dans un champ thématique relatif au terri-toire. Le rapport étroit aux documents d’archives empêche de les restreindre à un rôle strict de centre de docu-mentation. De plus, chaque biblio-thèque d’archives a des fonctions de bibliothèque classique, mais avec des missions spécialisées (par rap-port aux fonds d’archives), sans s’être construite en référence aux biblio-thèques ou aux centres de documen-tation traditionnels. Ainsi, il n’y a pas de cadre de classement officiel ni de réflexion aboutie sur les acquisitions.

Les bibliothèques d’archives sont conçues comme des espaces de do-cumentation destinés à fournir des matériaux de travail aux archivistes : dictionnaires, ouvrages de référence, biographies, livres d’histoire, de droit, d’archivistique, etc. Elles ressemblent aux centres de documentation dans leur ancienne forme. Aujourd’hui, les différences sont plus marquées, notamment concernant l’emploi des nouvelles technologies.

Si on peut parler d’une biblio-thèque d’archives comme d’un centre documentaire, on ne peut en revanche la désigner comme un centre d’infor-mation et de ressources disposant de services personnalisés. En effet, elle a des moyens (conservation préven-tive), des outils (dépôt légal) et des objectifs (recherche historique) qu’on ne peut attribuer aux centres de docu-mentation classiques. Ceux-ci ont à leur disposition des capacités et des organisations différentes : outils pour

optimiser la recherche d’information, maîtrise des techniques de l’informa-tion (flux RSS, outils de veille), élabo-ration de produits et services dits à valeur ajoutée (bulletins de sommaires et bibliographiques, panoramas de presse et produits documentaires élec-troniques).

La bibliothèque d’archives dépar-tementales et le centre de documen-tation du conseil général peuvent apparaître comme des services inter-locuteurs, partenaires et complé-mentaires dans le cadre d’un réseau d’échange, d’information et de ré-flexion (échanges de documents, dons d’ouvrages et de périodiques, envoi de panoramas de presse, dossiers docu-mentaires, bibliographies, bulletins d’acquisitions, communication d’in-formations relatives au portail docu-mentaire pour un meilleur usage des collections offertes par le centre de documentation, projet de logiciel com-mun, etc.).

Si les bibliothèques d’archives ont des allures de centres documen-taires, elles sont aussi à la croisée des pratiques des bibliothécaires et des archivistes, dont elles empruntent le vocabulaire, mais aussi les missions et procédures. Depuis la création des bibliothèques administratives dans les préfectures et leur gestion déléguée aux services d’archives au milieu du xixe siècle, ces missions n’ont jamais été définies avec précision. Le règle-ment général des archives départe-mentales du 1er juillet 1921 indique seulement que les mesures d’ordres concernant les archives doivent être appliquées à la bibliothèque annexée du dépôt : tenue à jour des catalogues et du registre d’acquisition, prise en charge des collections de la biblio-thèque administrative versée par la préfecture et des imprimés versés par les administrations départementales.

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Bibliothèque d’archives : entre les archives et les bibliothèques

Fonds et collections

Dans les services d’archives, les documents de la bibliothèque 1 sont définis comme des imprimés (édité, diffusé) par opposition aux archives (original). Le bibliothécaire raisonne en termes de fonds, particulièrement en ce qui concerne les périodiques, pour lesquels peuvent être rédigés des inventaires pour décrire les états de collection. Ces inventaires de fonds de périodiques se calquent sur ceux des archives, et permettent de décrire les fonds de façon plus détaillée que sur une notice catalographique. Ainsi, la série K des archives départementales intitulée « Lois, ordonnances, arrêtés depuis 1790 » regroupe les fonds d’im-primés législatifs et réglementaires de la préfecture jusqu’en 1940, tels que le Bulletin des lois (sous-série 1 K) ou Le Moniteur, le Journal officiel (sous-série 2 K).

Le fonds fait aussi référence au support (fonds des brochures, fonds des périodiques, fonds de la presse), dans la mesure où cela implique des exigences de conservation par-ticulières : conservation à plat des journaux dans des boîtes d’archives, également pour les périodiques non reliés ou les petites brochures. Il existe également une notion de « fonds » plus virtuelle, celle de bibliothèque administrative et de bibliothèque his-torique, qui fait référence à l’histoire des bibliothèques d’archives. Le plus souvent, ces deux bibliothèques ont été réunies, et les documents de la bibliothèque administrative ont été versés dans la série K des archives ou intégrés à la bibliothèque historique.

Les bibliothèques d’archives se donnent pour mission de conser-ver les imprimés liés aux fonds d’archives et à l’histoire locale. Étant

1. On emploiera le terme générique de bibliothèques afin de désigner l’ensemble des structures, qu’il s’agisse de bibliothèques municipales, départementales, universitaires, en comparaison avec les bibliothèques d’archives.

donné que les bibliothèques munici-pales conservent également un fonds ancien, la circulaire commune DAF/DLL du 2 septembre 1994 a réparti la conservation du patrimoine écrit entre les services d’archives et les bibliothèques : les services d’archives doivent « mettre à la disposition des cher-cheurs, des ouvrages de références relatifs à l’histoire générale ou locale, soit des ou-vrages complémentaires des fonds conser-vés par le service d’archives ».

À la différence des bibliothèques qui constituent des collections à vo-cation encyclopédique classées par sujet, les bibliothèques d’archives rassemblent des documents impri-més sur les thématiques des archives, mais pas de façon exhaustive, sauf au niveau local, en privilégiant les docu-ments de bon niveau scientifique. On classe les documents en magasin selon leur ordre d’arrivée, par format et non par sujet.

Typologie des documents

La typologie des documents conservés en bibliothèques d’archives est singulière. En plus des documents traditionnellement acquis par la plu-part des bibliothèques, ouvrages et périodiques, s’ajoutent des documents spécifiques, obtenus gratuitement : lit-térature grise, brochures, périodiques locaux « souterrains », mémoires et travaux d’érudition, inventaires de fonds d’archives. Ces documents éclairent la vision administrative des archives, notamment le contexte so-cial, humain, économique, en mon-trant des niveaux d’information diffé-rents : journaux d’entreprise, journaux du personnel, presse syndicale, publi-cations à tirage limité défendant des intérêts particuliers, rapports d’études ou de recherches, actes de congrès, dossiers et études réalisés par les col-lectivités locales.

Difficile à collecter de façon sys-tématique, la littérature grise ne se trouve que sur ses lieux de production ou auprès d’un nombre restreint de personnes. Ce type de documentation s’acquiert lors de dons de particuliers en salle de lecture, ou par les adminis-trations ou les entreprises qui versent ou donnent régulièrement des revues.

Quant aux périodiques locaux non commercialisés, on les obtient directe-ment auprès des entreprises, des asso-ciations, des syndicats, etc.

Contrairement aux autres biblio-thèques, si les bibliothèques d’archives conservent des documents multimé-dias, ceux-ci ne disposent pas forcé-ment d’un espace dédié en salle de lecture. Selon les services, ils seront classés par format avec les ouvrages de la bibliothèque, ou avec les documents des séries audiovisuelles et sonores.

Acquisitions/collecte

En bibliothèque d’archives, on parle facilement de « collecte » pour la réception d’un don ou d’un verse-ment d’ouvrages et de périodiques, ou encore de « collecte active » pour la sol-licitation de dons. La collecte active de périodiques locaux, de littérature grise et de travaux universitaires ou d’érudi-tion permet de réunir des imprimés (rares, car peu conservés en général) qui éclaireront la compréhension des archives du futur. En bibliothèque d’archives, on reçoit plus de dons de particuliers et de versements des ad-ministrations que l’on ne fait d’achats auprès de librairies.

Les dons impliquent un tri en amont et une réflexion sur la valeur patrimoniale et le témoignage docu-mentaire des documents proposés, d’autant plus importants que l’im-primé est peu diffusé et conservé. À la différence des archivistes qui dis-posent de tableaux de gestion pour sé-lectionner les documents à conserver, il n’existe pas de procédures élaborées pour les bibliothèques d’archives, qui se basent sur leur expérience et sur les catalogues des bibliothèques, comme le Sudoc 2, pour évaluer l’intérêt et la rareté d’un document.

Le bibliothécaire d’archives ne possède que rarement les outils biblio-graphiques d’acquisition des biblio-thèques (abonnements à Électre ou/et à Livres Hebdo). Néanmoins, il peut

2. Sudoc : Système universitaire de documentation mis en œuvre par l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) : www.sudoc.abes.fr

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Les bibliothèques d’archives :

exercer une veille sur les parutions dans le domaine de l’histoire et des sciences sociales et sur l’édition locale en s’abonnant aux lettres d’informa-tion des éditeurs. L’établissement d’une charte d’acquisition à partir des thèmes relatifs aux fonds d’archives conservés lui permettra de concevoir une continuité et une pertinence dans sa politique documentaire.

Traitement : catalogage, indexation et cotation

Le catalogage et l’indexation sont normalisés dans la majorité des bi-bliothèques, qui utilisent des logiciels métiers pour gérer leurs catalogues, et disposent d’outils de récupération de notices bibliographiques. Dans les bibliothèques d’archives, les pratiques ne sont pas unifiées et dépendent souvent de l’intérêt accordé à la biblio-thèque et de l’agent qui en a la charge. Il n’existe pas de règle d’indexation commune : utilisation de vocabulaires « maison », parfois le « Blanc-Mont-mayeur 3 » ou le thésaurus de la série W des archives, rarement Rameau (Répertoire d’autorité-matière ency-clopédique et alphabétique unifié)4. L’usage de logiciels métiers n’est pas fréquent, et les bibliothèques d’ar-chives utilisent le plus souvent le sys-tème de gestion des archives, inadapté au catalogage en Unimarc, et qu’il faut donc paramétrer.

La cotation se fait par format, et tous les documents sont rangés en magasin, sauf les usuels, en salle de lecture lorsque celle-ci est assez grande pour les accueillir. Il est alors possible, comme pour les bibliothèques, d’utili-ser la classification Dewey (ou la CDU, classification décimale universelle) afin de réunir les documents portant sur le même sujet et de les présenter ainsi en libre accès.

3. Martine Blanc-Montmayeur et Françoise Danset, Choix de vedettes matières à l’intention des bibliothèques, Éd. du Cercle de la librairie, 2002.

4. Voir le site Rameau : http://rameau.bnf.fr

Conservation

Les bibliothèques d’archives béné-ficient de l’expertise des archives dans l’application des principes de conser-vation préventive. A priori, tout docu-ment est conservé à long terme car relatif à un fonds d’archives et consi-déré comme patrimonial, surtout s’il est local. Le désherbage est relative-ment rare, mais la réorientation des documents susceptibles d’intéresser d’autres bibliothèques devient une pratique courante.

Communication et valorisation

Le public des bibliothèques d’ar-chives est celui des archives : cher-cheurs, étudiants, professionnels (notaires, etc.), généalogistes, érudits et amateurs d’histoire locale. Parce qu’elle est scientifique et spécialisée, la bibliothèque d’archives ne fait pas de prêt à domicile ; pour autant, elle offre parfois des services identiques aux autres bibliothèques, tel le prêt entre bibliothèques, qui s’effectue par copie.

Les bibliothèques d’archives par-ticipent à la mission de valorisation culturelle des archives, en apportant une aide bibliographique, en exposant des documents lors de conférences, d’expositions ou de journée d’études. Leurs missions éducatives et cultu-relles sont de plus en plus amenées à se développer lorsqu’elles travaillent en relation étroite avec le service édu-catif et culturel des archives.

Conclusion

Les bibliothèques d’archives ont beaucoup à apprendre des autres bibliothèques en matière d’élabora-tion de leur politique d’acquisition et d’utilisation des outils bibliothé-conomiques afin de construire des catalogues respectant les règles biblio-graphiques. Leur participation aux plans de conservation partagée mis en place par les structures régionales pour le livre et aux catalogues tels que le Sudoc les rapproche du monde des bibliothèques, et leur permet de parta-ger des expériences et d’élaborer une

coopération. Par exemple, dans toutes les collectivités, les bibliothèques d’ar-chives pourraient demander à bénéfi-cier du logiciel métier et des outils bi-bliothéconomiques de la bibliothèque (bibliothèques départementales de prêt ou bibliothèques municipales) pour construire un catalogue cohé-rent.

Aujourd’hui, les limites entre les services culturels ne sont plus aussi importantes que par le passé. La mis-sion de médiation semble avoir joué un rôle important, car elle a permis de relier des services d’archives, des bibliothèques, des centres de docu-mentation et des musées, même si les fonds, les collections et les expositions se distinguent. Cette confluence en cours devrait permettre une coopéra-tion plus efficace entre équipements culturels, ainsi qu’une jonction docu-mentaire enrichissante.

En définitive, les frontières s’ef-fritent : les métiers qui auparavant se distinguaient nettement, désormais s’entrecroisent, la complémentarité des fonds et des collections de docu-ments se dévoile, et les techniques professionnelles s’unifient. On peut penser qu’il y aura à l’avenir de moins en moins de « filtres » entre biblio-thèques, archives, centres de docu-mentations et musées, seulement des mécaniques et savoir faire différents, pour autant qui ne s’opposent pas et qu’ils se complètent habilement. •

Avril 2011

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fluen

ces Le projet scientifique et

culturel de l’Inguimbertine :

Le décret no 2010-767 du 7 juillet 2010 relatif au concours parti-culier de la dotation générale de

décentralisation (DGD) concernant les bibliothèques municipales et les biblio-thèques départementales de prêt 1 a apporté plusieurs modifications rela-tives aux règles d’éligibilité dans les cas de construction ou d’agrandissement. Le nouveau texte impose, notamment, de préciser les « conditions de réalisa-tion ainsi que les axes du projet scien-tifique, culturel, éducatif et social de la bibliothèque (PSCES) ». Désormais, les collectivités désireuses d’obtenir un financement en investissement pour tout programme architectural doivent obligatoirement déposer un document complémentaire précisant le projet de l’établissement.

Une expérience insolite

Cette évolution réglementaire significative a été initiée par le dos-sier produit en 2009 en prévision du transfert de la bibliothèque Inguim-bertine à l’hôtel-Dieu de Carpentras. L’approche proposée dans ce projet scientifique et culturel a été jugée per-tinente par le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication, qui a introduit cette clause dans le nouveau décret concernant la DGD.

Bien que la rédaction d’un pro-jet scientifique et culturel (PSC) n’ait

1. En ligne : http://www.legifrance.gouv.fr

été obligatoire que pour les musées de France au titre de la loi de 2002, il a paru inconcevable, dans le cas de Carpentras, de ne pas prendre en compte l’institution dans sa globa-lité (la bibliothèque et ses diverses composantes, notamment la lecture publique). En effet, en raison d’un particularisme local, le directeur de l’Inguimbertine est à la fois conser-vateur de bibliothèque, conservateur de musée et conservateur d’archives. Les liens unissant, au sein de cette institution particulière, les images et les textes, les objets et les documents, ont incité à fondre le projet de la bi-bliothèque dans celui du musée en une seule démarche, cohérente et en harmonie avec les spécificités carpen-trassiennes et comtadines. Pour la première fois, ce document a ainsi été validé conjointement par la Direction du livre et de la lecture, par la Direc-tion des musées de France et par la direction régionale des affaires cultu-relles de Provence-Alpes-Côte d’Azur (23 novembre 2009), puis a fait l’objet d’une délibération votée à l’unanimité par le conseil municipal de Carpentras (27 janvier 2010). Par la suite, ce pro-jet scientifique et culturel a été intégré au cahier des charges pour le choix de l’agence de programmation, puis de l’équipe de maîtrise d’œuvre.

Cette expérience est à ce jour insolite dans l’univers bibliothécono-mique. Elle manifeste un changement profond des mentalités et des usages professionnels. Elle milite aussi pour une approche nouvelle des méthodes de travail dans les bibliothèques, inté-

Jean-François DelmasBibliothèque Inguimbertine et musées de [email protected]

Ancien élève de l’École nationale des chartes et de l’École supérieure de commerce de Paris, diplômé d’études approfondies d’histoire et licencié en histoire de l’art et en archéologie de l’université de Paris-Sorbonne, auditeur de l’Observatoire des politiques culturelles, Jean-François Delmas est conservateur général des bibliothèques. Depuis 2004, il dirige la bibliothèque Inguimbertine et les musées de Carpentras. Il a été auparavant chargé d’études à la Réunion des musées nationaux et conservateur à la bibliothèque de la Sorbonne. Il est membre du Laboratoire d’histoire de l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse où il est chargé d’enseignement sur le patrimoine. Auteur de nombreuses contributions à des bulletins de sociétés savantes, des catalogues d’expositions et des colloques, il a publié, en 2008, L’Inguimbertine : maison des muses (Éditions Nicolas Chaudun).

UN ExEMPLE D’APPROChE MUSÉALE AU SERVICE DES BIBLIOThèQUES

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Le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine :

grant celles des autres filières cultu-relles, notamment celles en vigueur dans les musées.

Les grandes lignes du projet scientifique et culturel de Carpentras

Un projet symbolique d’envergure

La ville de Carpentras (30 000 ha-bitants) porte un projet symbolique d’envergure 2 : la réhabilitation de l’ancien hôtel-Dieu en vue d’y trans-férer l’Inguimbertine. L’hôtel-Dieu et l’Inguimbertine ont été fondés simul-tanément, au xviiie siècle, par l’évêque de la ville, dom Malachie d’Inguimbert (1683-1757). La restauration de l’hôpital s’inscrit dans un contexte urbain en pleine évolution grâce à la requalifica-tion du centre-ville ancien et à la mise en valeur de son patrimoine archi-tectural. Conçu par le prélat comme un « palais pour les plus démunis », l’hôtel-Dieu a été classé monument historique en 1862. Cet édifice domine l’ancienne capitale du Comtat Venais-sin par son histoire, son échelle et ses qualités architecturales. Les espaces in-térieurs se signalent par leur majesté : vestibule orné d’une collection de « do-natifs » ; escalier monumental, chef-d’œuvre architectonique ; vastes salles de malades situées au sud ; chapelle au goût italien affirmé ; apothicairerie comparable à celles des hôtels-Dieu de Lyon et de Beaune. La fonction hos-pitalière du lieu a perduré jusqu’en 2002, imprimant durablement son

2. Voir : – « Le pôle culturel de l’hôtel-Dieu de Carpentras », BBF, 2007, no 1, p. 52-56. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-01-0052-008 – « Carpentras : le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine », Patrimoines : revue de l’Institut national du patrimoine, 2008, no 4, p. 56-63. Le PSC « L’Inguimbertine à l’hôtel-Dieu » ainsi que les documents afférents à sa validation par les services de l’État peuvent être consultés en ligne sur le site de l’agence régionale du livre Provence Alpes-Côte d’Azur, à l’adresse suivante : www.livre-paca.org/index.php?show=actualites&detail_actualites= 126&m=14

empreinte dans la mémoire collective des carpentrassiens, demeurés très attachés à ce monument.

Unique en son genre, l’Inguim-bertine est une institution regroupant au sein d’un seul et même service municipal une bibliothèque de lecture publique, des fonds patrimoniaux de renommée internationale, les archives anciennes et quatre collections mu-séographiques : beaux-arts, arts déco-ratifs, archéologie, arts et traditions populaires.

L’ensemble est dirigé par un conservateur mis à la disposition de la commune par l’État ; il veille au maintien et à la cohésion de ce

témoignage précieux de l’interdisci-plinarité souhaitée par le fondateur éponyme de l’établissement. Au fil du temps, les municipalités successives ont confirmé ce statut original. Par l’ancienneté de sa fondation, ses spé-cificités historiques, la richesse de ses collections, l’Inguimbertine est ancrée dans l’identité comtadine. En dépit des efforts accomplis ces dernières années, les conditions structurelles de-meurent inadaptées aux besoins de la ville et de son bassin de vie. Partant, la volonté de la municipalité de déplacer l’Inguimbertine dans l’ancien hôtel-Dieu offre les conditions nécessaires à la valorisation de son patrimoine et au

Le patrimoine écrit mis en scène dans les réserves de l’Inguimbertine : buste de Peiresc, reliures et casiers de médailliers aux chiffres du savant ; rouleau d’Esther en hébreu du xve siècle ; capitulation en arabe signée par Soliman Ier le Magnifique en 1540 ; ouvrages aux armes de Mgr d’Inguimbert ; dans le fond de la salle, composition allégorique commandée par le fondateur et manifeste de l’institution : L’Éveil de l’Intelligence grâce au monde silencieux des livres. Photo : Chaline

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développement de la vocation cultu-relle et touristique d’une telle institu-tion.

Un statut hybride de bibliothèque-musée

Jusqu’à une époque récente, ce statut hybride d’une bibliothèque-mu-sée était jugé rétrograde et obsolète par la plupart des professionnels. En fait, dès mon arrivée à Carpentras en janvier 2004, ce particularisme m’a paru constituer au contraire un levier extraordinaire pour le projet muni-cipal. Dès l’origine, l’organisation de l’Inguimbertine a été conçue comme une maison des muses : la « biblio-thèque-musée publique » – terme explicitement employé dans la bulle de confirmation de la fondation accor-dée par le pape Benoît XIV en 1746 – mettait à contribution les œuvres du peintre, du graveur et du sculpteur, considérées comme les adjuvants de la lecture. Accessible à tous, l’Inguimber-tine fut avant la lettre une véritable en-cyclopédie du savoir, un lieu d’études et d’apprentissages, un « centre de l’humanisme comtadin » intégrant tous les supports de la connaissance. Ce témoignage, aujourd’hui rarissime parmi les institutions françaises, a été préservé jusqu’à nos jours.

Il est d’autant plus indispensable de le maintenir et de le développer dans le cadre du transfert que partout ailleurs en France on a dissocié les institutions au nom d’une schéma-tisation administrative, sous-tendue parfois d’intentions idéologiques. En séparant musée et bibliothèque, en morcelant les fonds par typologie, en opposant le patrimoine à la lecture publique, on a, tout à la fois, scindé les publics, cloisonné les professionnels de la filière culturelle et les modes d’initiation aux connaissances et de compréhension des collections.

Il convenait d’insister sur les réso-nances très modernes de ce projet as-sociant muséographie et bibliothèque multimédia en opposition aux as-pects normatifs, répétitifs et exclusifs – voire dépassés – de certaines mé-diathèques réalisées dans les années 1980. Ce programme entend souligner la continuité entre le musée et le déve-

loppement de la lecture, continuité qui doit se traduire dans l’agencement des espaces et dans la polyvalence des agents. Le déménagement de l’Inguimbertine fournira l’occasion de reconsidérer son mode de fonctionne-ment et l’organisation des collections.

Sa spécificité réside dans l’imbri-cation de ses fonds variés. Outre la qualité des collections, leur corrélation contribue à la richesse de l’institution. Cette proximité entre bibliothèque et musée doit être placée en exergue grâce à une scénographie particu-lièrement éloquente pour le public. C’est précisément cette originalité qui permettra à l’Inguimbertine de se démarquer des autres établissements, de donner une nouvelle image de Car-pentras et de s’inscrire dans une poli-tique d’ensemble.

L’équilibre entre ces entités faci-litera l’intégration de cette nouvelle institution au projet de la ville, confé-rant à l’ensemble une fonction cultu-relle, touristique et économique ainsi qu’une dimension éminemment so-ciale :

• les fonds patrimoniaux acces-sibles aux chercheurs et aux étudiants ;

• le patrimoine écrit muséogra-phié et les collections muséales, acces-sibles à un public de curieux, d’ama-teurs, de touristes ;

• la bibliothèque multimédia, qui répondra plus particulièrement aux besoins des habitants de Carpentras et de son bassin de vie.

Les apports d’un projet scientifique et culturelUn patrimoine « passif », « hérité », « subi »

Longtemps, les fonds anciens rares et précieux et les collections muséographiques ont été consti-tués indépendamment des choix des conservateurs, et plus encore de ceux des publics : confiscations révolution-naires, sédimentations progressives des dons et legs des xixe et xxe siècles ont enrichi les établissements cultu-rels de pièces, d’œuvres d’art et de do-cuments rassemblés par les goûts per-sonnels de collectionneurs, de savants et d’érudits. Ils ont apporté bien sou-

vent des trésors inattendus et parfois même inespérés, mais ni les interven-tions des conservateurs, ni les centres d’intérêts des publics n’ont présidé à leur rassemblement. La conservation des archives (qu’elles soient départe-mentales ou municipales) et des do-cuments issus du dépôt légal, impri-meur et éditeur, ressortit également à cette catégorie d’un patrimoine que l’on pourrait qualifier, selon les cas, de « passif », d’« hérité » ou de « subi ».

À rebours, on constate aujourd’hui l’émergence d’un intérêt particulier pour des collections ou des docu-ments plus récents. Il en est ainsi pour le patrimoine vernaculaire ou pour les fonds courants des biblio-thèques appelés à être « désherbés » : par exemple à Carpentras, sans souci de classification, les anciennes collec-tions de livres pour la jeunesse, les fonds de bibliothèques populaires, des étiquettes de confiseurs et de trufficul-teurs, des affiches électorales.

Les collections, raison d’être de l’institution

Ce constat impose aux conserva-teurs une impérieuse obligation d’en-treprendre un travail de recherche, que ce soit dans le cadre du récolement, de la tenue des inventaires et des catalo-gues, de leur informatisation, et de la numérisaton des fonds, mais aussi de la collecte des sources pour l’écri-ture de l’histoire et la diffusion de la mémoire collective. Ces investigations portent sur les collections (nature, sup-port, procédés de fabrication et donc moyens de conservation), sur leur pro-venance, mais aussi sur l’histoire de l’institution et de ses relations avec sa ou ses tutelles, son public, et sur les ressources culturelles et économiques de la ville et de son bassin de vie.

C’est grâce à ce faisceau de connais-sances organisées et ordonnées que le conservateur élabore la politique de son établissement et, en ce sens, la rédaction d’un projet scientifique et culturel s’avère une nécessité pour tout responsable de collections. La méthode que ce travail implique est indispensable autant pour le conser-vateur que pour légitimer sa position à la tête de son équipe et justifier son

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Le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine :

rôle dans la vie culturelle de la cité. Il lui incombe de démontrer l’utilité scientifique, intellectuelle et sociale de la bibliothèque ou du musée dont il a la charge. Il ne peut pour cela faire l’économie d’une réflexion en profon-deur sur l’établissement qu’il dirige et il doit étendre cette réflexion à tous les aspects de son environnement.

Une attention particulière doit être apportée à la perception de l’institu-tion par le public et dans l’imaginaire collectif. Pour présenter leur établisse-ment, certains conservateurs ont trop souvent l’habitude d’énumérer d’abord le nombre de places assises dont ils dis-posent pour asseoir le public. Confon-dant la fin et les moyens, ils oublient l’essence même de la bibliothèque : au commencement étaient les fonds !

En effet, les collections et leur si-gnification constituent la raison d’être de tels organismes et la condition sine qua non de leur audience auprès du

public. Leur rassemblement et leur réunion peuvent paraître disparates : c’est au conservateur à révéler l’intérêt des collections, à donner un sens à cet ensemble et, ainsi, à bâtir une straté-gie pour l’établissement. À l’heure où l’on peut s’inquiéter de voir aliéner des collections publiques, la meil-leure réponse à apporter, afin d’éviter qu’elles ne soient ressenties comme une charge financière, est d’expliquer ce qu’elles sont, ce qu’elles signifient, ce qu’elles représentent pour notre mémoire. Bref, en faire un atout pour la collectivité qui en est propriétaire ou dépositaire. Quand nos tutelles nous demandent de créer des liens sociaux et de répondre aux aspirations d’un public de plus en plus large, l’atten-tion portée aux collections, les chan-tiers de conservation ou de restaura-tion, la « valorisation » des réserves sont des outils appréciables de média-tion culturelle.

Les convergences et freins entre les filières bibliothèque et musée

Une dynamique d’ensemble

Un projet scientifique et culturel est un document contractuel s’ap-puyant sur une analyse de la mission et de l’environnement de l’établisse-ment, ainsi que sur l’identification des attentes et des demandes de ses publics, pour y répondre au mieux. Avant tout, un PSC est une réflexion stratégique au service d’une poli-tique : il doit dégager une dynamique d’ensemble et déboucher sur des pro-positions concrètes d’action. Instru-ment de dialogue et de négociation, en particulier avec les tutelles et les partenaires, il constitue aussi un docu-ment de cadrage permettant de garder le cap dans un quotidien envahissant.

Vue d’une salle préfigurant l’exposition pérenne des fonds patrimoniaux et des collections muséographiques lors du transfert de l’Inguimbertine à l’hôtel-Dieu. En attendant la réalisation du projet, un décor de rayonnages et de livres en trompe-l’œil offre un cadre de présentation aux ouvrages,

peintures, estampes, meubles et objets d’art ayant appartenu à Mgr d’Inguimbert. Un seul et même parcours de découverte plonge le public dans la réinterprétation d’une « bibliothèque-musée » d’inspiration romaine. Photo : Chaline

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Outil de pilotage, il sert, enfin, de ta-bleau de bord – ce document ayant fait l’objet d’une délibération municipale – auquel tous les acteurs du projet se réfèrent. Les points forts et les points faibles de l’institution y sont identifiés et, selon les cas, les développements ou les remèdes à apporter sont signa-lés. Ainsi, la politique à venir d’acqui-sition, de restauration, d’animation, d’exposition, de programmation et de recherche de l’établissement se fonde sur les orientations définies dans le PSC. Tous ces aspects, évoqués dans les musées, sont directement appli-cables au domaine des bibliothèques.

Si le conservateur est le plus à même de discerner et de présenter l’identité de l’établissement, sa person-nalité, son originalité, sa spécificité par rapport à un autre équipement ou un autre territoire, la définition de cette image se fonde non seulement sur les collections, mais aussi sur le caractère du bâtiment qui les abrite, l’ambiance de ses espaces, la variété et la qualité de ses services, déterminés en fonction de ses utilisateurs.

Dans un environnement précis, à un moment donné, dans un territoire circonscrit, c’est encore au conserva-teur à exprimer la vocation de l’éta-blissement par rapport à ses desti-nataires d’aujourd’hui et de demain. Quel est son rôle dans la cité ? Quelle image confère-t-il à sa tutelle ? Que représente-t-il pour ses publics et que leur apporte-t-il aujourd’hui ? Quelle relecture des collections faut-il opérer pour les rendre perceptibles au plus grand nombre, et par quels moyens ? Ce questionnement est commun à n’importe quelle institution, et il existe maintes « confluences » entre les diffé-rents types de collections. Les enjeux sont les mêmes pour une bibliothèque, un musée, un service d’archives : conservation et enrichissement des collections, accès aux œuvres de l’es-prit et médiation auprès des publics.

Un public en quête de repères

La problématique d’un conser-vateur en charge de collections de beaux-arts (peintures pour l’essentiel à caractère religieux, mythologique et historique) est la même que celle d’un

conservateur de fonds patrimoniaux écrits et graphiques (ouvrages en latin, en grec, aux thématiques humanistes). Le public actuel dispose de moins en moins des références nécessaires pour lire – au propre et au figuré – et pour décoder et comprendre l’ensemble de ces productions littéraires et artis-tiques d’une époque révolue.

Dans le domaine de la médiation également (lecture publique, ateliers pédagogiques, heures du conte, visites thématiques), les préoccupations et les problématiques entre les biblio-thèques et les musées sont similaires. Quels que soient les conservateurs, ils ont pour objectif de rendre leurs établissements attractifs pour tous les publics. À mesure que l’accès à l’infor-mation ou au savoir se dématérialise (notamment avec le développement des nouvelles technologies), les usa-gers empruntent de moins en moins de livres. En revanche, ils manifestent de plus en plus leur quête de repères à la fois symboliques et tangibles. En témoignent l’engouement et l’enthou-siasme des visiteurs pour les aspects constitutifs et matériels des livres, des tableaux ou des objets.

À Carpentras, cette observation a incité à proposer une « contextuali-sation » des collections : la scénogra-phie des fonds patrimoniaux mêle les œuvres picturales et les objets afférents aux différents fonds biblio-graphiques. Il s’agit de renforcer l’impression d’accumulation propre aux cabinets d’études pour susciter la flânerie, le rêve, l’inspiration. L’arti-culation entre les diverses collections propres à l’institution a conduit à trou-ver des solutions innovantes et adap-tées au bassin de vie de l’aggloméra-tion, en tenant compte du contexte historique, local et social de l’Inguim-bertine.

Un tel constat a incité à relativiser des préconisations élaborées exclusi-vement sur des schémas standardi-sés. Les recommandations en matière d’aménagement, d’agrandissement, de construction de bibliothèques élabo-rées par le ministère de la Culture et de la Communication dans un désir de maillage du territoire supposent, pour certaines d’entre elles, des pré-requis remontant à une quarantaine d’années. Elles se révèlent parfois

inadaptées à une population et à des usages d’aujourd’hui dont l’évolution n’était guère prévisible alors. En outre, au nom de l’égalité de l’accès de tous les citoyens à la culture, qui reste un principe intangible dans ses fonde-ments, ces préconisations ont eu pour effet de produire partout des établisse-ments uniformes, aseptisés, trop sou-vent dénués de personnalités propres : « L’ennui naquit un jour de l’unifor-mité. » Cette formule d’Houdar de La Motte vaut autant pour les publics que pour les professionnels…

Des procédures sensiblement identiques

Les procédures dans les politiques de conservation et de restauration sont aujourd’hui sensiblement identiques chez les conservateurs de biblio-thèques et de musées. Les dossiers de restauration pour les documents rele-vant des bibliothèques sont soumis au comité technique de restauration des bibliothèques publiques du ministère de la Culture et de la Communication ; ceux concernant les œuvres muséo-graphiques doivent être validés par la commission scientifique régionale de restauration, instance présidée par le directeur régional des affaires cultu-relles.

La prise de conscience des défis techniques imposés pour l’aménage-ment des réserves et leur éventuelle présentation au public est une préoc-cu pa tion partagée autant par les bi-bliothèques que par les musées. Les nouvelles approches de la diffusion de la culture encouragent de plus en plus l’ouverture des bibliothèques à un large public, avec notamment des es-paces d’exposition des fonds précieux. Pourquoi les bibliothèques ne bénéfi-cieraient-elles pas de l’expérience ac-quise par les musées dans le domaine de la valorisation des collections ? Sans perdre de vue les spécificités d’un livre 3, le patrimoine écrit et graphique

3. Sur les difficultés liées à l’exposition du patrimoine écrit, voir le compte rendu de la journée d’étude organisée le 14 juin 2007, au musée des Beaux-arts de Nancy, par la direction régionale des affaires culturelles de Lorraine et le centre régional de formation aux

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Le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine :

ne semble pas plus fragile que des tis-sus, des tapisseries, voire des objets ou certaines œuvres d’art contempo-rain mêlant des supports composites. Pourquoi ne serait-il pas possible de conduire et d’organiser une présenta-tion permanente d’ouvrages anciens en répondant à toutes les exigences techniques et financières d’une bonne conservation du patrimoine ?

Or, les principaux freins aux rap-prochements entre bibliothèque et musée qu’il m’a été donné de ren-contrer au cours de ces années pro-viennent pour l’essentiel des profes-sionnels eux-mêmes, réticents à un aggiornamento pourtant inévitable.

Pour l’anecdote, j’évoquerai un sentiment ressenti maintes fois à mon arrivée à Carpentras : mêler au sein d’une même institution, dans une exposition pérenne, des tableaux, des œuvres d’art et des livres était consi-déré comme hasardeux par quelques responsables de musées ; présenter des œuvres d’art au milieu des livres était suspecté d’élitisme par plusieurs bibliothécaires…

À la direction régionale des af-faires culturelles, les représentants des différentes filières formulèrent des réserves au sujet de cette nouvelle approche, se retranchant derrière le respect de la division administrative. Une incompréhension similaire appa-rut également chez certains agents de l’Inguimbertine, souvent parmi les plus jeunes et les plus diplômés. La polyvalence, le croisement entre dif-férentes méthodes de travail et l’ex-tension de champs de compétences qu’implique cette confrontation au sein des diverses filières culturelles ont été perçus comme une remise en cause de leur identité professionnelle. En revanche, le soutien indéfectible et renouvelé tant des municipalités suc-cessives de Carpentras et du corps pré-fectoral que des services concernés de l’administration centrale du ministère m’a toujours été acquis.

carrières du livre, des bibliothèques et de la documentation de Nancy 2, avec le concours de la Direction du livre et de la lecture : Jean-François Delmas, « Muséographie du patrimoine écrit : approches critiques » », BBF, 2007, no 6, p. 104-105. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-06-0104-013

Conclusion

Penser un programme scientifique et culturel suppose de trouver la meil-leure adéquation entre les contenus et les publics ; mener un tel projet est lié, bien sûr, à la communication, et induit une ouverture, une prise de risque allant bien au-delà de centres d’intérêt délimités : les conserva-teurs – notamment ceux qui se voient confier des responsabilités de terrain – ne peuvent guère se limiter à un seul support (le livre, la peinture, la sculp-ture, les objets d’art, l’archéologie, les archives, les dessins, l’estampe), à une période, à une école artistique ou à un genre littéraire. Le haut niveau d’expertise acquis dans l’une ou l’autre de ces spécialités doit permettre au conservateur de s’adapter à tout type de domaines.

La rédaction du PSC implique et expose directement sa responsabilité professionnelle. Un bon projet sup-pose donc une inlassable curiosité, une maîtrise de son sujet et le désir sincère d’offrir au public, certes l’ac-cès à l’information, mais, surtout, les conditions optimales d’appropriation des connaissances nécessaires à une construction individuelle épanouie.

Le PSC offre une possibilité de sortir des sentiers battus du métier tout en plaçant les professionnels au cœur du processus de décision de la collectivité. Elle oblige à s’ouvrir à d’autres pratiques, à pénétrer d’autres logiques. Dans le cadre du PSC de Carpentras, le but assigné est moins le savoir que la transmission et l’appren-tissage du savoir : la littérature, l’his-toire, la philosophie, la théologie, l’his-toire de l’art, l’histoire des sciences et des religions, la musicologie, les lan-gues régionales et la philologie, autant de disciplines éminemment précises, précieuses et présentes à l’Inguimber-tine, délicates à maîtriser sans doute par tous les publics. Il semblait donc plus approprié de s’attacher à affermir la mémoire, susciter l’imagination, provoquer les associations d’idées, valoriser le parcours émotionnel, tous éléments contribuant à accompagner la formation de l’être, son jugement et son goût. •

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ces Émergence et constitution

d’un patrimoine spécifique des arts du spectacle

Une carte documentaire riche et complexe

Les arts du spectacle ont au-jourd’hui une place reconnue et légi-time dans le patrimoine culturel natio-nal. Plusieurs institutions spécialisées s’y consacrent : le département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France (BnF), la biblio-thèque-musée de l’Opéra, rattachée au département de la Musique de la BnF, la bibliothèque-musée de la Comédie-Française et le Centre national du cos-tume de scène (CNCS) à Moulins.

À ces quatre piliers s’ajoutent d’autres structures, à mi-chemin du privé et du public, comme la biblio-thèque de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), l’Association des régisseurs de théâtre installée à la Bibliothèque historique de la ville de Paris et la bibliothèque de la Société d’histoire du théâtre.

Ces maisons s’intéressent essen-tiellement au spectacle vivant : théâtre, théâtre lyrique, danse, mime, cirque, théâtre de rue, marionnettes, cabaret, music-hall, café-théâtre… Le champ est variable selon les missions de cha-cune. Ainsi, le département des Arts du spectacle embrasse largement tous les domaines jusqu’au-delà de leurs frontières et fait aussi une place aux fêtes et aux feux d’artifices ou encore au cinéma et à la radiotélévision, sur les origines desquels il conserve des collections uniques.

La plupart sont centrées sur le théâtre ou sur l’opéra, ce qui explique sans doute que dans une période récente une dimension patrimoniale s’est développée dans certains centres

de documentation spécialisés comme celui du Centre national de la danse, de l’Institut international de la ma-rionnette, du Centre national des arts du cirque et de l’association Hors-les-murs. Il est juste d’ajouter à cette liste des lieux spécialisés le musée Ga-dagne, musée de la ville de Lyon, dont une partie importante des collections constitue le Musée des marionnettes du monde.

La variété des statuts est encore amplifiée si, au lieu de se limiter aux organismes patrimoniaux dont le spectacle est la seule mission, le regard se porte sur l’ensemble des lieux où se nichent des traces docu-mentaires et artistiques de l’histoire des spectacles. Le Répertoire des arts du spectacle, base de données du minis-tère de la Culture et de la Commu-nication 1, en fait la démonstration, quoique les données collectées pour sa construction en 1998 aient cessé pro-visoirement d’être enrichies. L’enquête initiale a montré que plus de 700 éta-blissements en France conservent des œuvres d’art ou des documents té-moins de l’histoire des spectacles. Les musées sont les plus nombreux, sou-vent pour quelques pièces seulement. Du Pierrot de Watteau au musée du Louvre aux portraits des Comédiens-Français par le photographe Andres Serrano à la collection Lambert, en passant par le rideau de Parade bien-tôt visible au musée Pompidou – Metz, les musées ont pleinement leur place dans ce paysage.

1. http://rasp.culture.fr

Joël Huthwohl Bibliothèque nationale de [email protected]

Archiviste-paléographe, Joël huthwohl est conservateur des bibliothèques et historien du théâtre. Conservateur-archiviste de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française de 2001 à 2008, il est aujourd’hui directeur du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France. Parmi ses derniers articles publiés, on peut citer : « Cocteau entre Picasso et Chanel » in Les insolites. Formes et matières des costumes de scène (Centre national du costume de scène, Gourcuff Gradenigo, 2011) ; « Suites biographiques » in Jean-Louis Barrault, une vie pour le théâtre (Gallimard, 2010) ; « L’Odéon sous le second Empire » in Les spectacles sous le second Empire (dir. Jean-Claude Yon ; éd. Armand Colin, 2010).

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Émergence et constitution d’un patrimoine spécifique des arts du spectacle :

Sous un autre angle, les services d’archives, nationales, départemen-tales et municipales, détiennent aussi une part de cette mémoire grâce aux archives de l’administration et de la police, voire certains fonds de théâtre. Il suffit de citer les archives de la Mai-son du Roi ou le fonds de l’Odéon aux Archives nationales.

Par ailleurs, les bibliothèques jouent naturellement le rôle de conser-

vatoire des monographies et des pério-diques et des manuscrits littéraires. Pour ne citer que deux exemples, on mentionnera la bibliothèque des frères Coquelin à la bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer et les manuscrits de Paul Claudel au département des Manuscrits de la BnF. Cette répartition traditionnelle, par support, ne rend ce-pendant pas compte de la réalité d’une situation documentaire complexe, où

les frontières sont souvent franchies pour préserver la complémentarité, voire l’unité, d’ensembles de docu-ments qui se comprennent rarement les uns sans les autres.

Aux origines du patrimoine des arts du spectacle

La constitution progressive de col-lections spécialisées dans le domaine des spectacles explique en partie la manière dont elles s’organisent au-jourd’hui. Sans entrer dans le détail de cette longue histoire, il n’est pas inu-tile de rappeler les racines multiples de ce développement.

Le cas des archives publiques est relativement simple : elles ont grandi pour ainsi dire par génération spontanée de la nécessité administra-tive, juridique et comptable. Pour la même raison sont nés à l’ombre des principales scènes de spectacle des ensembles d’archives initialement privées à la Comédie-Française, mais aussi à l’Opéra et à la Comédie-Ita-lienne, même si ces dernières ont en grande partie été détruites. Dans les papiers des théâtres, il y a, outre les documents nécessaires à leur gestion, des manuscrits littéraires et de la cor-respondance.

Concomitamment à cette col-lecte, des bibliothèques se forment. Il faut citer les collections du marquis de Pont-de-Veyle et du duc de La Val-lière 2, déjà ouvertes aux érudits, et, précision importante, commençant à mêler aux livres des manuscrits et de l’iconographie. Ce choix ajoutait à la dimension littéraire de la mémoire des spectacles, se limitant au réper-toire, une dimension visuelle rendant mieux compte de la réalité de la repré-sentation scénique. Cette diversifica-tion est contemporaine des débats sur l’art de l’acteur, sur la nécessité d’une réforme du costume et du décor, donc

2. Michèle Thomas, « Les prédécesseurs d’Auguste Rondel. Historiens et collectionneurs de théâtre aux xviiie et xixe siècles », in Le théâtre au plus près : pour André Veinstein, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2005.

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de la mise en scène, sous la plume de Diderot, Beaumarchais ou du comé-dien Lekain, pour le théâtre.

La question du musée ne se pose pas encore, bien que ce soit à cette époque, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, que la collection de pein-tures et de sculptures de la Comé-die-Française trouve son origine. La rivalité entre les sculpteurs Houdon et Caffieri, la possibilité pour les mécènes d’avoir une loge à vie et l’ouverture d’une nouvelle salle pour la troupe ont fortement stimulé la production de portraits d’auteurs et d’acteurs avec pour double vocation de célébrer les grands noms et de fournir au théâtre une décoration prestigieuse.

Le xixe siècle est celui d’une muta-tion profonde. Certes, il est d’abord le siècle de la continuité avec la célèbre bibliothèque du marquis de Soleinne, dispersée (au grand dam des ama-teurs) en 1844, après avoir été refu-sée par les Comédiens-Français. Mais l’événement est aussi le marqueur d’une prise de conscience et le point de départ de l’institutionnalisation du patrimoine du spectacle qui com-mence avec la création en deux temps, en 1866 et en 1881, de la bibliothèque-musée de l’Opéra et, parallèlement, à la professionnalisation de la gestion de la bibliothèque de la Comédie-Fran-çaise sous l’impulsion de deux biblio-thécaires, Léon Guillard et Georges Monval. Ce dernier publie en 1905 Les collections de la Comédie-Française 3. Aux yeux de tous, la Comédie-Fran-çaise abrite plus que des archives, plus qu’une bibliothèque, elle possède un musée qu’il faudrait agrandir et ouvrir plus largement.

L’œuvre du collectionneur Au-guste Rondel (1858 – 1934) s’inscrit parfaitement dans ce mouvement. Fortuné et passionné de théâtre, il découvre un jour le catalogue de la vente Soleinne et n’a de cesse dès lors de réparer le désastre, non par une utopique reconstitution de la biblio-thèque, mais par la construction d’une nouvelle qui l’imite et la dépasse. Il

3. Georges Monval, Les collections de la Comédie-Française : catalogue historique et raisonné, Paris, Société de propagation des livres d’art, 1897.

élargit le champ de son modèle dans deux directions, en s’intéressant à l’ensemble des arts du spectacle et en intégrant dans sa collection non seulement des livres, des manuscrits et de l’iconographie, mais aussi de la documentation – presse, programmes, affiches, invitations, etc. – et des fonds d’archives de théâtres. En 1920, cette collection privée est donnée à l’État et jointe à celle de la Comédie-Française. Des espaces sont installés au Palais-Royal – dans les locaux actuels du Conseil constitutionnel – pour conser-ver ce fonds d’environ 400 000 pièces et accueillir les historiens, mais aussi le public, qui bénéficie de la première programmation régulière d’exposi-tions sur le théâtre. La question de l’appartenance à la sphère des mu-sées ou à celle des bibliothèques ne se posait pas, un théâtre apparaissant comme un lieu neutre du point de vue de l’administration du patrimoine. L’expérience ne fut pas pérenne, puisqu’en 1925 la collection Auguste Rondel fut forcée de rejoindre la bi-bliothèque de l’Arsenal où, à travers les collections du marquis de Paulmy notamment, il y avait un tropisme « spectacles » bien ancré. Ce rattache-ment eut une conséquence heureuse, puisqu’il permit cinquante plus tard (en 1976) la création d’un département des Arts du spectacle à la Bibliothèque nationale.

Quel lieu pour un patrimoine par nature multisupport ?

Cette position des arts du spec-tacle entre bibliothèque et musée, archives et centre de documentation, ne s’explique pas seulement par l’his-toire des collections. Elle est due aussi à la grande diversité de supports qui les caractérise. Que peut conserver un lieu dédié au patrimoine des spec-tacles ? L’œuvre elle-même, éphémère par nature, a disparu. Il semblerait que, pour compenser ce vide origi-nel, on n’en ait négligé aucune trace directe ou indirecte. Ainsi, le départe-ment des Arts du spectacle conserve-t-il, dans ses 18 kilomètres linéaires de collections, des monographies,

des périodiques, des manuscrits, des correspondances, des tapuscrits, des archives administratives, des dessins, des maquettes de décors et costumes, des estampes, des photographies, des affiches, des documents de dif-fusion (programmes), des coupures de presse, des documents audiovi-suels, des costumes, des accessoires, des marionnettes, des peintures, des sculptures, etc. Tous ces documents témoignent de l’ensemble du proces-sus complexe de l’élaboration d’un spectacle, de la genèse du texte à la ré-ception de la pièce, en passant par les différentes étapes de la mise en scène et des répétitions.

Cette multitude et cette diversité ne sont pas sans poser des problèmes en termes de gestion des collections et d’adéquation des structures patrimo-niales à cette gestion. La simple ques-tion de leur dénomination est déjà complexe. Pour l’Opéra et la Comédie-Française, on a innové en accolant les termes « bibliothèque » et « musée ».

À la Bibliothèque nationale, on a d’abord parlé des « collections théâ-trales », section de la bibliothèque de l’Arsenal. Dans leur rêve d’autonomie, les Collections théâtrales, à partir des années 1950 4 et jusqu’au début de la décennie 1980, se sont cherché un nom : un « centre national des arts du spectacle », « une bibliothèque musée nationale des arts du spectacle », inti-tulés qui désignaient un projet de grande ambition : créer un établis-sement indépendant équipé pour conserver, communiquer et valoriser tous les types de documents, véritable centre culturel doté de magasins et de salles de lecture, mais aussi d’audito-riums et de salles d’exposition, ouvert à un large public.

Encore aujourd’hui, pour dési-gner l’établissement dédié au cos-tume à Moulins, on a utilisé le terme de « centre », mais il bénéficie aussi du label « Musée de France ». Ce der-nier exemple est aussi caractéristique d’une évolution récente sur ce qui est considéré comme muséal dans ce

4. Cécile Giteau, « Une centrale documentaire au service des praticiens du théâtre et de la recherche : d’Auguste Rondel à aujourd’hui », in Le théâtre au plus près, op. cit.

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Émergence et constitution d’un patrimoine spécifique des arts du spectacle :

patrimoine. Les musées de l’Opéra et de la Comédie-Française existent avant tout parce qu’ils sont constitués d’œuvres d’art, peintures et sculp-tures. Le CNCS n’en conserve aucune de cette nature. Les costumes, les accessoires et les éléments de scéno-graphie n’ont acquis que depuis une vingtaine d’années la reconnaissance de leur statut pleinement patrimonial, et donc muséal, avec un rattachement aux arts décoratifs comme la mode.

Trois idées fortes semblent se dé-gager. Premièrement, la permanence de la diversité et de la complémenta-rité des supports : pas de collections muséales pures, ni de pures biblio-thèques, on trouve de tout partout. Ensuite, la diversité des réalisations : des petits musées d’auteur russes très traditionnels aux sections de grands musées des beaux-arts comme le Vic-toria and Albert Museum à Londres, des magnifiques espaces d’exposition de théâtre (Moscou) au musée virtuel. Enfin, la place croissante du numé-rique, ici comme ailleurs, mais qui ne se croise pas sans paradoxe avec la nécessité de rendre compte d’un phé-nomène, le spectacle, vivant 5.

Quel avenir ?

Face à ce qui peut être considéré comme un triple défi, les institutions spécialisées françaises ont des atouts non négligeables, mais elles doivent aussi mettre en œuvre une réflexion commune pour consolider la place de ce patrimoine dans le paysage do-cumentaire et muséal. La première difficulté à surmonter est celle de la conservation. Si les bibliothèques ont les compétences nécessaires pour le vaste domaine du papier et les musées pour celui non moins vaste des œuvres d’art, il n’est pas toujours facile de trouver la double expertise dans le même établissement.

Par ailleurs, celle-ci signifie le plus souvent, dans un cas comme dans l’autre, des magasins aux équi-

5. Cf. sur ce point le colloque tenu en novembre 2010 à l’Institut national d’histoire de l’art, « Quel musée pour le spectacle vivant ? ».

pements divers et spécifiques et le recours à des restaurateurs extérieurs, notamment pour le domaine textile. « La Scène des Chercheurs », co-or-ganisée par l’Association des théâtres de marionnettes et arts associés et le département des Arts du spectacle sur le thème « matières à penser/à jouer » en 2010, a bien montré combien l’ima-gination fertile des artistes devait trou-ver son équivalent technique chez les restaurateurs, et seule la BnF réunit aujourd’hui l’ensemble des moyens pour traiter l’ensemble des types de collections.

Une des pistes d’avenir est sans doute le développement et le ren-forcement du réseau entre les prin-cipales institutions. La création du CNCS est à ce titre prometteuse, et l’exemple récent du don de la com-pagnie L’Illustre-Théâtre Jean-Marie Villégier à la BnF pour les archives et au CNCS pour les costumes semble le confirmer. Cette coopération devrait se développer et inclure d’autres par-tenaires, notamment les deux autres membres fondateurs du centre, c’est-à-dire l’Opéra et la Comédie-Française. Elle nécessite, comme l’a montré l’étude récente de Mileva Stupar, une réflexion approfondie sur le signa-lement 6. À ce titre, l’adoption par la BnF de la norme EAD pour son cata-logue « Archives et manuscrits » faci-lite une description multisupport et partagée des fonds d’archives 7.

Cette problématique s’étend natu-rellement au domaine de la valorisa-tion. Celle-ci passe avant tout par des espaces d’exposition, permanents ou temporaires. La bibliothèque-mu-sée de l’Opéra, outre sa galerie per-manente, présente deux expositions par an à l’Opéra-Garnier ; le CNCS programme de même deux exposi-tions par an ; la BnF inscrit aussi le spectacle dans sa programmation, de manière minoritaire cependant ; la Comédie-Française ouvre ses portes

6. Mileva Stupar, Le théâtre face à sa mémoire. Politique patrimoniale et stratégies de valorisation : étude du fonds de l’Illustre-Théâtre – Compagnie Jean-Marie Villégier, Mémoire d’études, Enssib, janvier 2011.

7. http://archivesetmanuscrits.bnf.fr

aux visites guidées ; le musée Gadagne vient d’être magnifiquement rénové…

Il manque malgré tout à cet en-semble, complété par des événements ponctuels dans bien d’autres établis-sements, une offre plus régulière et de plus grande ampleur, à l’égal des espaces permanents du Victoria and Albert Museum, héritiers du Theater Museum de Londres, ou du musée du théâtre de Vienne en Autriche. Cette lacune, vécue par beaucoup comme une anomalie française, sera-t-elle un jour comblée par la création d’un nouveau lieu ? La BnF ouvrira dans le quadrilatère Richelieu rénové une « Galerie des trésors » et des espaces d’exposition par département large-ment ouverts au public via un « par-cours patrimonial », et le département des Arts du spectacle se verra doté d’un espace permanent d’exposition.

Il est malgré tout plus que néces-saire de se battre pour augmenter la place du spectacle dans les program-mations actuelles, mais aussi de déve-lopper les musées virtuels. L’enrichis-sement considérable de Gallica 8, la bibliothèque numérique de la BnF, dans le domaine de l’iconographie des spectacles – près de 100 000 images – en fait une galerie virtuelle unique en son genre. Enfin, les projets plus édi-torialisés comme le « Portail des arts de la marionnette 9 », lancé en sep-tembre 2011, répondent encore mieux au désir de découvrir et d’apprendre, de voyager dans un patrimoine hors catégorie qu’aucune définition clas-sique du musée ou de la bibliothèque ne peut résumer. •

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8. http://gallica.bnf.fr

9. www.artsdelamarionnette.eu

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En 2007, le ministère de la Culture et de la Communication a ouvert les portes de son pa-trimoine culturel numérisé au public, grâce à un moteur de recherches sémantiques appelé « Collections » (http://collections.culture.fr), qui permet de consulter plus de 4,4 millions de documents et plus de 3 millions d’images dans les domaines artistiques les plus divers : architecture, archives, bibliothèques, mu-sées, monuments historiques, archéologie, documentation, préhistoire, objets mobiliers, peinture, sculpture, gravure, dessin, enlumi-nures, arts du spectacle, ethnologie, plans, cartes, cartes postales, sceaux, photographie, patrimoine numérique, patrimoine industriel, patrimoine ferroviaire, patrimoine maritime et fl uvial, voyages, théâtre, musique, danse, outre-mer, art africain, art océanien, art amé-rindien, etc.Basé sur le principe d’une interrogation unique, le moteur consulte simultané-ment une quarantaine de bases de données

(Agence Réunion des musées nationaux, Arcade, Archim, Bora, Cartolis, Capadoce, Enluminures, Eve, Gallica, Joconde, Louvre-Atlas, Médiathek, Mémoire, Mérimée, Musée national d’art moderne, Musées nationaux ré-cupération, Musée des arts décoratifs, Musée du quai Branly, Napoléon, Palissy, Phocem, Patrimoine numérique, Portail de la musique contemporaine, PRIAM 3, Répertoire des arts du spectacle, Ulysse), des centaines d’exposi-tions virtuelles (par exemple, les expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France ou produites par des bibliothèques comme la bibliothèque Méjanes – Cité du livre d’Aix-en-Provence, portail Lectura, média-thèque de Chambéry, Interbibly), mais aussi des sites internet et des publications électro-niques (par exemple : collection des célébra-tions nationales, dessins du musée Magnin, Grands sites archéologiques, Histoire par l’image, revue électronique In Situ, Itiné-raires du patrimoine, PortEthno…) produits

par le ministère, ses établissements publics (Musée du Louvre, Musée du quai Branly, Bibliothèque nationale de France, Réunion des musées nationaux…), des collectivités territoriales partenaires (archives départe-mentales, bibliothèques municipales comme la bibliothèque municipale de Baud, services régionaux de l’Inventaire, musées…).L’accroissement de « Collections » est constant : les bases de données du musée d’Orsay, de la Cité de l’architecture et du patrimoine, du château de Versailles, Revues.org, sont en cours d’intégration.« Collections » est un moteur de recherches sémantiques et permet ainsi de retrouver un terme quelle que soit sa forme (plu-rielle, conjuguée, accentuée ou non, etc.) et d’étendre la recherche aux mots syno-nymes ou de même racine étymologique. La recherche s’effectue en plein texte quels que soient la base d’origine et le type de document. « Collections » donne accès au patrimoine national réparti sur l’ensemble du territoire, mais est aussi un des agrégateurs nationaux du portail européen Europeana.La mise en œuvre de boîtes de dialogue inter-rogeant le corpus entier de « Collections » constitue une extension de la mutualisation et du partage de cet outil de diffusion et commence à être pratiquée sur de nombreux sites partenaires. De même, une adaptation régionale de cette boîte, permettant de limi-ter les consultations de données à des entités géographiques réduites ou à un ensemble d’institutions locales, et pouvant être héber-gée sur les portails régionaux, est en cours de développement.

Caroline Cliquet

Contact : [email protected]

Ci-contre, page d’accueil du site : http://collections.culture.fr

« Collections », le moteur de recherches sémantiques du ministère de la Culture et de la Communication

Confluences

3 – Spécimens

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ces La Bibliothèque

humaniste de Sélestat :

Àune époque où la mutualisa-tion des équipements cultu-rels est de plus en plus d’ac-

tualité 1, a fortiori dans un contexte de contraction des finances publiques, il semble d’autant plus intéressant de se pencher sur l’histoire d’un équi-pement atypique s’il en est, la Biblio-thèque humaniste de Sélestat 2. Si cette structure peut, depuis 1997, se concentrer ou se recentrer sur ses missions de conservation et de mise en valeur du patrimoine écrit sélesta-dien (ou plutôt européen, eu égard à la richesse de ses collections qui mettent en évidence les multiples affinités intellectuelles et amicales entre les humanistes allemands, français et ita-liens), il n’en a pas toujours été ainsi. Dotée de fonds qui plongent leurs racines dans le Moyen Âge finissant 3, la bibliothèque fut érigée en biblio-thèque municipale en 1841 mais fut amenée, pour des raisons diverses, à exercer des missions assez différentes. La clarification desdites missions depuis 1997 lui donne (enfin ?) la pos-sibilité de se recentrer sur la conser-vation et la mise en valeur de ses col-lections précieuses, dans l’attente d’un projet de revalorisation.

1. Il suffit de mentionner à cet égard la journée d’étude organisée par l’Enact de Nancy les 4 et 5 mai 2010 sur la mutualisation des équipements culturels.

2. www.bibliotheque-humaniste.eu

3. Une des principales originalités des collections de la Bibliothèque humaniste réside dans le fait qu’elles ne proviennent pas des confiscations révolutionnaires.

Des collections précieuses, témoins de l’essor de l’humanisme en Alsace

Avant d’étudier les diverses mis-sions qui furent assignées à travers les époques à la Bibliothèque humaniste, il importe dans un premier temps de retracer à grands traits son histoire.

La ville de Sélestat a abrité dès l’époque médiévale plusieurs com-munautés religieuses, chacune dis-posant d’une bibliothèque destinée à nourrir la spiritualité et le savoir de ses membres. Les moines bénédictins du prieuré de Sainte-Foy disposaient, d’après l’inventaire de leur biblio-thèque de 1296 4, d’une belle collection de livres (102 volumes) couvrant tous les domaines du savoir. En outre, la bibliothèque conserve encore à l’heure actuelle des éléments remarquables des bibliothèques des autres commu-nautés qui s’installèrent à Sélestat au cours de l’époque médiévale (domini-cains, dominicaines, franciscains, hos-pitaliers de Saint-Jean de Jérusalem).

Néanmoins, les deux joyaux constituant les collections les plus précieuses sont, d’une part, la biblio-thèque paroissiale (ou bibliothèque de l’école latine) et, d’autre part, la col-lection personnelle du savant Beatus Rhenanus (1485 – 1547)5.

4. Contenu dans le Livre des miracles de sainte Foy (xie-xiiie siècle ; ms 22, au f o14 r o).

5. Voir Paul Adam, L’humanisme à Sélestat : l’école, les humanistes, la bibliothèque, Sélestat, Alsatia, 1962.

Laurent Naas Bibliothèque humaniste de Sé[email protected]

Claire Sonnefraud Bibliothèque interuniversitaire Pierre et Marie [email protected]

Bibliothécaire territorial, Laurent Naas est directeur de la Bibliothèque humaniste de Sélestat depuis 2009. Titulaire d’un DEA en histoire médiévale, il mène des travaux d’histoire ecclésiastique médiévale à l’échelle du Rhin supérieur, dont une thèse de doctorat sur l’essor du pouvoir pontifical dans les diocèses de Strasbourg et Bâle du milieu du xie à la fin du xiiie siècle, et diverses recherches portant sur l’histoire du livre et des bibliothèques en Alsace.

Archiviste-paléographe et conservateur à la bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie, Claire Sonnefraud est responsable de la bibliothèque de biologie recherche. Elle prépare une thèse de doctorat en histoire sur les inventaires de trésor de l’époque carolingienne.

UNE BIBLIOThèQUE AUx MISSIONS ATyPIQUES ?

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La Bibliothèque humaniste de Sélestat :

L’école paroissiale de Sélestat est mentionnée pour la première fois à l’extrême fin du xive siècle. Elle connut un essor décisif avec l’arrivée, en 1441, du Westphalien Louis Drin-genberg, ancien élève des Frères de la vie commune de Deventer ; il fit entrer l’école latine dans une ère nou-velle en introduisant des méthodes pédagogiques innovantes qui furent reprises et améliorées par ses succes-seurs. Assez rapidement, on ressentit la nécessité de disposer d’un ensemble

de livres destinés à l’enseignement. Ce fut le curé de l’église paroissiale Saint-Georges qui donna l’impulsion néces-saire : en 1452, il légua une trentaine de manuscrits et fonda par ce geste la bibliothèque paroissiale. Plusieurs chapelains et curés de Sélestat sui-virent son exemple et fournirent ainsi aux maîtres et aux élèves de l’école la matière première de l’enseignement dispensé au quotidien (anthologies diverses, textes d’auteurs païens an-tiques et des Pères de l’Église…).

L’élève le plus célèbre de cette école, Beat Bild (né en 1485 à Sélestat), poursuivit ses études en Sorbonne sous l’égide de Lefèvre d’Étaples de 1503 à 1507. Tout en décrochant ses grades (jusqu’à celui de magister ar-tium), il œuvra comme correcteur d’imprimerie chez Estienne, ce qui vaut à la bibliothèque de conserver encore dans ses collections un bel ensemble d’éditions parisiennes de cette époque. En effet, dès son plus jeune âge, Beatus Rhenanus (forme latine adoptée dès le retour de Paris) eut à cœur de se constituer une bi-bliothèque de travail lui permettant de disposer facilement des ouvrages destinés à alimenter ses travaux histo-riques (comme ses Rerum germanica-rum libri tres, Bâle, 1531) ou ses éditions d’auteurs antiques (Tacite, Tite-Live…). Peu de temps avant sa mort (le 20 juil-let 1547), Rhenanus donna l’ensemble de sa bibliothèque personnelle à sa ville natale. À l’heure actuelle, la Bi-bliothèque humaniste conserve encore près de 670 volumes de ce savant, soit un peu plus de 2 500 titres 6, ce qui permet à Sélestat de conserver la bibliothèque d’un humaniste presque dans son intégralité, alors que les bibliothèques des savants de cette époque ont presque toutes disparu. La valeur exceptionnelle de cette collec-tion lui a d’ailleurs valu d’être inscrite il y a peu au registre « Mémoire du monde » de l’Unesco.

La collection de Rhenanus fut conservée dans le bâtiment de la douane de 1547 à 1757, époque à la-

6. Sur la bibliothèque de Rhenanus, voir entre autres : – James Hirstein, « La bibliothèque de Beatus Rhenanus : une vue d’ensemble des livres imprimés », in : Rudolf de Smet (éd.), Les humanistes et leur bibliothèque, Humanists and their Libraries. Actes du colloque international, Proceedings of the International Conference, Bruxelles, 26-28 août 1999, Peeters-Leuven-Paris-Sterling, Virginia, Université libre de Bruxelles, 2002 (Travaux de l’Institut interuniversitaire pour l’étude de la Renaissance et de l’Humanisme, 13), p. 113-142.– Pierre Petitmengin, « Les livres de Beatus Rhenanus », in : André Vernet (dir.), Les bibliothèques médiévales : du vie siècle à 1530, Paris, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, 1989 (Histoire des bibliothèques françaises, 1), p. 298-301.

Vue de la façade de la Bibliothèque humaniste de Sélestat depuis la place Gambetta, avec la mosaïque datant de 1906. © Bibliothèque humaniste

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quelle elle fut transférée dans une chapelle de l’église Saint-Georges, où se trouvait la bibliothèque paroissiale depuis ses débuts.

Au cours de la période révolution-naire fut créée la bibliothèque du dis-trict, qui reçut le produit des confisca-tions réalisées au détriment du clergé. À l’origine dans l’édifice qui abritait le tribunal, l’ensemble des collections fut installé en 1840 au deuxième étage de la mairie, qui fut transformée en bibliothèque de lecture publique. Aux collections les plus précieuses s’ajou-tèrent, à un rythme relativement sou-tenu, des ouvrages destinés au plus grand nombre. Les livres connurent ensuite un dernier déménagement, en intégrant en mai 1889 la Halle aux Blés au sein de laquelle on peut encore admirer les plus beaux d’entre eux.

D’après les recherches menées jusqu’à ce jour, la vocation touristique de la Bibliothèque humaniste semble remonter à cette époque. Et, sans at-teindre l’importance qui fut la sienne à partir des années 1970, la fonction muséale tend à s’affirmer progressive-ment. Les mentions, de plus en plus nombreuses, de la bibliothèque dans les guides touristiques dès l’extrême fin du xixe siècle 7 et l’aménagement de la grande salle à l’aide de vitrines permettant de donner à voir quelques joyaux du patrimoine écrit sélestadien en rendent compte.

La lecture publique ne cessa par ailleurs de se développer jusqu’à la création d’un embryon de secteur jeunesse après 1975 ; la nécessité de desservir tous les publics fut d’ail-leurs l’un des moteurs du projet de transformation de la Halle aux Blés en une médiathèque moderne… pour le milieu des années 1980. La disparition du maire Kretz mit fin à ce projet.

Il fallut attendre le milieu des années 1990 pour voir se profiler la création d’une médiathèque intercom-munale qui entraîna une profonde modification des missions de la Biblio-thèque humaniste. En effet, suite au transfert de la compétence de lecture

7. On peut notamment signaler que notre prédécesseur, l’abbé Joseph Gény, mentionne dès 1899, dans son Führer durch Schlettstadt, l’existence d’un petit musée au premier étage de la Halle aux Blés.

publique, la bibliothèque municipale put se recentrer sur ses missions de conservation et de mise en valeur de ses collections patrimoniales avec la mise en place dès le début des an-nées 2000 d’un service éducatif qui connut son véritable essor à partir de 2003. Établissement aux missions diverses, la Bibliothèque humaniste continuait également à être recon-nue par la direction des Archives de France ; en effet, les archives muni-cipales (des origines jusqu’en 1945), ainsi que les registres paroissiaux et l’état civil, y furent conservés jusqu’en février 2010. Ces fonds furent alors transférés auprès des archives les plus récentes et purent ainsi intégrer le ser-vice d’archives récemment créé.

Convergence contre mélange des genres ?

La situation actuelle de la Biblio-thèque humaniste de Sélestat, avec le départ de la lecture publique et celui des archives, est à la croisée des problématiques des métiers du patri-moine et des bibliothèques. Allégée de ses composantes lecture publique et archives, la bibliothèque peut se re-centrer sur sa mission patrimoniale 8. Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre du mouvement actuel de convergence des métiers et des problématiques ? Quelle est la place d’une bibliothèque-musée dans le paysage culturel actuel ? À notre sens, cette place se situe entre le développement de services aux publics « convergents », les missions d’une bibliothèque patrimoniale aux fonds d’importance internationale et les orientations actuelles des biblio-thèques.

La Bibliothèque humaniste a une approche des services aux publics assez originale avec le développement de son aspect touristique. L’insertion

8. Le processus sélestadien, qui privilégie l’éclatement des missions, est, on peut le noter, exactement à l’opposé de celui suivi à Villeurbanne ; voir : Xavier de La Selle, « Quand bibliothèque et archives font mémoire commune : l’expérience du Rize à Villeurbanne », BBF, no 3, p. 46-49. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-03-0046-008

de cet équipement culturel dans les réseaux locaux de tourisme est en effet une de ses spécificités, qui le met sur le même plan que les monuments voi-sins comme le Haut-Koenigsbourg 9. Très peu de bibliothèques municipales peuvent se vanter de figurer dans la liste des hauts lieux locaux promus par les offices du tourisme ! En outre, comme beaucoup de bibliothèques patrimoniales, la Bibliothèque huma-niste a mis en place, avec le soutien de l’académie de Strasbourg, en 2000, un service éducatif 10, à l’image de ce qui se fait dans les musées depuis longtemps. Cette visibilité vers l’exté-rieur, comparable à celle des monu-ments historiques et des musées, est un point fort de l’équipement culturel et un point de convergence avec ces institutions. Bien plus, le recrutement en 2008 d’une chargée de la promo-tion touristique de la bibliothèque, en relation avec l’office du tourisme, a permis de matérialiser cette spéci-ficité. Enfin, il faut souligner l’impor-tance du patrimoine écrit dans le po-sitionnement touristique de Sélestat, qui tend de plus en plus à assumer, afin de la promouvoir d’autant mieux, son image de « ville de l’humanisme ».

Une question reste entière : quelles sont les missions d’une « bi-bliothèque-musée » ? En effet, aucun texte normatif ne définit la mission des bibliothèques municipales patri-moniales. Les articles consacrés aux bibliothèques dans le récent Code du patrimoine sont très peu nombreux et ne portent pas de vision politique. Il n’est pas étonnant à cet égard que les bibliothèques patrimoniales se rap-prochent de plus en plus des musées dans leurs missions telles que définies dans ledit code : « Est considérée comme musée, au sens du présent livre, toute collection permanente composée de biens

9. Il faut signaler à ce sujet la mise en place de partenariats avec le Haut-Koenigsbourg dans le cadre de l’accueil de familles sur les deux sites au cours d’une même journée, et avec le Musée Unterlinden de Colmar afin de croiser les accueils de classes dans le cadre de leurs services éducatifs.

10. De nombreux supports pédagogiques sont d’ailleurs disponibles à partir du site internet de la Bibliothèque humaniste : www.bh-selestat.fr

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La Bibliothèque humaniste de Sélestat :

dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public. » Dans l’imagi-naire collectif, une collection de livres reste une bibliothèque, malgré le re-coupement avec les missions des mu-sées 11. Mais où se trouve vraiment la limite ? Souvent, les bibliothécaires ne souhaitent pas que leur établissement se transforme en musée car ce terme est encore synonyme, sans doute à tort, d’immobilisme et de mort de la collection. La Bibliothèque humaniste n’est-elle pas la preuve du contraire ? Une collection patrimoniale peut continuer à vivre et être consultée tout

11. Du point de vue institutionnel, on peut aussi rappeler que la Bibliothèque humaniste n’est pas reconnue comme un musée de France par le ministère de la Culture et de la Communication, mais bel et bien comme une bibliothèque, malgré ses activités muséales et touristiques.

en profitant des actions de mise en valeur de type muséal 12.

La bibliothèque de Sélestat n’est pas la seule dans ce cas (on peut citer la médiathèque de l’agglomération troyenne ou le Scriptorial d’Avranches) et les bibliothèques patrimoniales semblent effectivement s’avancer vers une convergence avec le patrimoine tel que mis en valeur dans les mu-sées. On constate donc davantage un morcèlement des bibliothèques : d’un côté, les bibliothèques qui développent des services de plus en plus diversifiés et éloignés des collections, comme les médiathèques « troisième lieu » qui offrent de plus en plus d’espaces de

12. Ce qui n’est pas sans poser les questions liées à l’exposition du livre, du point de vue de sa conservation et de l’accès à son contenu ; voir à ce sujet l’article de Mireille Vial, « Le livre exposé : enjeux et méthodes d’une muséographie de l’écrit », BBF, 2000, no 2, p. 106-108. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2000-02-0106-006

convivialité ou de travail sans livres, ou encore le modèle anglo-saxon des learning centres et des idea stores ; de l’autre, des bibliothèques patrimo-niales centrées sur la valorisation des collections, et se rapprochant des pra-tiques des musées et monuments his-toriques dans le domaine de l’action culturelle. Il y aurait donc à la fois divergence au sein des bibliothèques et convergence dans le domaine patri-monial.

Bien plus, le cas de la Bibliothèque humaniste, ou d’établissements sem-blables, doit aussi être examiné sous l’angle plus vaste de l’animation d’un territoire, au-delà des aspects insti-tutionnels. Ce dernier aspect est au cœur de la programmation culturelle de la bibliothèque sélestadienne, pro-grammation dont certains pans sont élaborés en relation avec les autres équipements culturels proches géo-graphiquement.

Le travail en réseau est en effet in-dispensable afin de tisser un maillage

Vue de la Rhenana : espace dévolu à la conservation des documents les plus précieux (bibliothèque paroissiale et collection personnelle de l’humaniste Beatus Rhenanus) © Bibliothèque humaniste

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fin de l’Alsace centrale. La « Nuit des musées » constitue à cet égard un mo-ment particulier de cristallisation de ce réseau, puisque cette manifestation associe la Bibliothèque humaniste au Haut-Koenigsbourg, au fonds régio-nal d’art contemporain (Frac) Alsace, à la médiathèque intercommunale et à deux galeries d’art privées. La bien-nale d’art contemporain, Sélest’Art, à laquelle est étroitement associée la ville de Sélestat, permet également à la bibliothèque de jouer un rôle d’ani-mation du territoire, au sein de ce même réseau, en abritant des œuvres. Enfin la présence, à Sélestat, d’une bibliothèque patrimoniale stricto sensu et d’une médiathèque intercommu-nale distincte, chargée de la lecture publique, fait de cette bourgade, lieu de naissance de Jean Mentel, premier imprimeur alsacien, contemporain de Gutenberg, une ville du livre à même de jouer un rôle de premier plan dans le monde du livre en Alsace 13.

Les bibliothèques-musées du type de la Bibliothèque humaniste sont toujours confrontées à l’éternel problème de l’exposition de l’objet livre : comment rendre compte de la richesse d’un ouvrage alors qu’il n’est

13. Il suffit de relire à ce sujet l’avis, éclairant, rendu par le conseil économique et social d’Alsace le 29 avril 2004 : www.ceser-alsace.eu/medias/avis/7e-com/2004-terre-du-livre-avis.pdf

possible de n’en montrer que deux pages à la fois ? C’est là qu’une biblio-thèque-musée peut tirer parti des sciences de l’information et des tech-niques muséales les plus modernes, avec les systèmes de feuilletage de livres numérisés. Une autre solution peut être de diversifier le contenu des expositions. Ainsi, dans le cadre de ces expositions temporaires, la biblio-thèque ne se limite pas à donner à voir des éléments de ses collections précieuses. Des temps de médiation et d’animation culturelle sont aussi consacrés à des artistes dont l’œuvre est en relation avec le monde du livre dans son acception la plus large (enlu-mineurs, photographes…). Un pannel aussi large d’interventions en rapport avec l’écrit et son illustration permet de créer une variété à laquelle le pu-blic est attentif.

Un vaste projet de revalorisation

Il ressort de l’ensemble de ces élé-ments que la Bibliothèque humaniste, bibliothèque municipale de Sélestat, a vu ses missions se transformer au fil du temps avec, néanmoins, une suite d’évolutions rapides à partir de la fin des années 1990. Jadis bibliothèque chargée de la lecture publique, tout en conservant un fonds patrimonial considérable et les archives muni-

cipales, elle a connu une profonde redéfinition de ses missions avec l’ou-verture de la médiathèque intercom-munale en 1997 et la création d’un service d’archives municipales à part entière en 2010.

Elle a ainsi pu se recentrer sur ses missions premières de conservation du patrimoine sélestadien (avec, no-tamment, un vaste chantier de numé-risation de ses manuscrits, ainsi que des imprimés des xve et xvie siècles), développer l’ensemble des activités liées à la mise en valeur de celui-ci (en direction du grand public, mais aussi auprès des scolaires) et consolider sa place dans le cadre de l’animation culturelle de l’Alsace centrale, en déve-loppant simultanément une logique de partenariats divers et variés, très enrichissants par ailleurs.

Néanmoins, la Bibliothèque hu-maniste ne pourra vraiment exercer au mieux ses différentes missions que dans la mise en œuvre d’un vaste projet de revalorisation lui permettant de disposer d’espaces adéquats et de présenter à ses visiteurs une scéno-graphie moderne (accompagnée d’une véritable médiation culturelle), en phase avec les attentes de nos contem-porains. Cet équipement pourra alors voir croître les récoltes prometteuses dont elle a fait germer les graines au cours des dernières années. •

Mai 2011

Qu’est-ce que rechercher de l’information ?Nicole Boubée et André TricotCollection Papiers286 pages • Format 15 x 23 cm • ISBN 978-2-910227-83-8 • 39 €

LibrairesLe Centre interinstitutionnel pour la diffusion de publications en sciences humaines (CID) diffuse et distribue les ouvrages publiés par l’enssib aux libraires.FMSH-diffusion (CID) • 18-20 rue Robert Schuman • 94220 Charenton-le-Pont • Francetél. +33 (0)1 53 48 56 30 • fax +33 (0)1 53 48 20 95 • e-mail [email protected]

Institutions et particuliersLes commandes des établissements publics et des particuliers se font par l’intermédiaire d’un libraire ou directement sur le site du Comptoir des presses d’universités : www.lcdpu.frLes commandes directes auprès de l’enssib sont possibles. Contact : [email protected]

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Mener l’enquête. Guide des études de publics en bibliothèqueSous la direction de Christophe EvansCollection La Boîte à outils #22160 pages • Format 15 x 23 cm • ISBN 978-2-910227-89-0 • 22 €

Retrouvez le cataloguedes éditions sur notre site :

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Presses de l’enssib

Rechercher de l’information dans les bases de données, sur le Web ou même à l’inté-rieur d’un document, est devenu une activité extrêmement commune pour les individus dans la « société de l’information ». Autrefois mise en œuvre par des spécialistes, par des professionnels ayant suivi une formation (les documentalistes, les bibliothécaires), elle est

aujourd’hui à la portée des honnêtes gens, de la jeune élève, de l’adolescent, de l’étudiante, de l’adulte ou de la personne âgée, que ce soit dans le cadre académique, profession-nel, culturel ou de loisir. Comment font-ils ? Quelles sont leurs démarches, leurs difficul-tés ? Pourquoi procèdent-ils de la sorte ?

Enquêter sur la fréquentation, les usages ou l’image des bibliothèques requiert des col-lectes de données variées, fiables, concertées. Pour ce faire, les professionnels des biblio-thèques doivent connaître les spécificités du domaine et les processus généraux de la méthodologie des enquêtes. Qu’elle soit confiée à un prestataire extérieur ou réalisée en interne avec les moyens du bord, l’enquête de publics ne s’improvise pas.

Elle suppose en effet, en plus d’une phase de préparation minutieuse, le respect d’une démarche rigoureuse. Conçu tel un recueil de bonnes pratiques, l’ouvrage s’attache à fournir des éléments méthodologiques précis complétés par des comptes rendus critiques de travaux pilotés ou réalisés par des bibliothécaires aussi bien en bibliothèques universitaires qu’au sein de médiathèques de lecture publique.

Réimpression : disponible à nouveau

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ces Quand des établissements de

conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.org

Même si les traditions profes-sionnelles des archives, des bibliothèques et des musées

diffèrent largement, ces trois types d’établissements n’en conservent pas moins des éléments patrimoniaux peu éloignés les uns des autres.

De surcroît, il n’est pas rare de voir des bibliothèques conserver des ar-chives sur leurs étagères, les archives conserver des tableaux et divers objets d’art et la plupart des musées conser-ver, en dehors de leurs propres biblio-thèques et de leurs propres archives, des collections d’estampes et de livres. Il n’est pas non plus chose extraor-dinaire de consulter au Metropolitan Museum des imprimés du xvie siècle, ou de contempler des tableaux dans des bibliothèques anciennes d’Italie.

Ces objets atypiques ne sont pas sans poser des problèmes aux res-ponsables des collections et notam-ment aux bibliothécaires. Faut-il, par exemple, les traiter comme des livres ou différemment ? Au-delà de cet aspect technique, et ayant moi-même effectué toute ma carrière à la Biblio-thèque vaticane, je sais à quel point la coopération entre les bibliothèques, les archives et les musées représente un enjeu majeur mais aussi une dif-ficulté quotidienne. Les objets conser-vés, les missions, les publics sont si différents qu’au fil de l’histoire ces institutions se sont construites de ma-nière indépendante et dissociée pour aboutir à trois structures distinctes, tout au moins en Occident. Pour le sujet qui nous intéresse, la diffusion

électronique, il faut bien constater que les projets communs sont rares. Dans le cas du Vatican, il existe trois sys-tèmes d’information différents rem-plissant chacun une fonction propre. Cela dit, il est intéressant de s’inter-roger a posteriori et de réfléchir aux enjeux d’une éventuelle coopération.

Le cas du Vatican mis à part, il est clair que tous les musées, archives et bibliothèques ne sont pas dotés en collections, personnels et moyens financiers comme le sont certaines grandes institutions nationales. Nombre d’institutions régionales et locales cherchent aussi à atteindre de nouveaux publics et une meilleure visibilité à travers ce qu’il est convenu d’appeler désormais « la toile » et peu de ces projets sont menés en coopé-ration entre archives, bibliothèques et musées 1.

L’exemple que j’aimerais présenter ici est celui d’une plateforme collec-tive, e-corpus 2, qui présente, à mon sens, des avantages innovants, origi-naux et particulièrement intéressants pour la question spécifique de la colla-boration patrimoniale. En effet, si les techniques et les normes d’inventaire et de catalogage sont très distinctes d’un type d’établissement à l’autre,

1. Mentionnons néanmoins quelques projets intéressants : BAMPortal (Allemagne), Norwegian Digital Library Initiative (Norvège), Museum and Online Archives of California (USA), etc., mais reconnaissons que ces projets sont loin d’être majoritaires.

2. www.e-corpus.org

Monseigneur Paul CanartBiblioteca Apostolica Vaticana

avec la collaboration de Carol GiordanoCentre de conservation du livre

Paul Canart est vice-préfet honoraire de la Biblioteca Apostolica Vaticana (Cité du Vatican), où il a dirigé le département des manuscrits. Auteur de nombreux livres et articles, il est membre de l’Accademia dei Lincei, du Comité international de paléographie grecque, du comité de direction de la revue Scriptorium et du comité scientifique du Centre de conservation du livre.

Carol Giordano est chargé de mission au Centre de conservation du livre sur la bibliothèque numérique e-corpus.

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Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.org :

elles se sont fortement rapprochées avec l’avènement de l’ère numérique et le développement de l’informatique (citons l’exemple de l’introduction de l’ISAD/G 3 pour le catalogage des manuscrits en bibliothèque). Envisa-ger des bases de données et d’images communes, véritables points d’accès aux références – notamment dans le domaine scientifique –, devient non seulement plus aisé pour ces établis-sements, mais aussi souvent le seul moyen de réussir à mettre en œuvre des projets. C’est aussi, et surtout, le meilleur moyen de répondre aux attentes des usagers potentiels de ces ressources. Hormis quelques grosses structures de diffusion, comme par exemple Europeana 4, les projets de coopération et de création de collec-tions numériques communes et/ou partagées entre ces trois acteurs cultu-rels clés sont encore peu nombreux.

3. ISAD(G) : Norme générale et internationale de description archivistique ; en ligne : www.icacds.org.uk/fr/ISAD%28G%29.pdf

4. www.europeana.eu/portal

Présentation d’e-corpus

Prolongement d’Internum, projet opérationnel depuis plus de dix ans, e-corpus est une plateforme numé-rique collective et patrimoniale lancée en 2010 par le Centre de conservation du livre d’Arles 5. Elle signale, réper-torie, diffuse et permet l’accès à plu-sieurs dizaines de milliers d’objets et documents appartenant principale-ment au patrimoine écrit et linguis-tique (manuscrits, archives, livres, journaux), ainsi qu’au patrimoine ico-nographique et à d’autres objets cultu-rels (photographies, estampes, enre-gistrements sonores, vidéos, objets d’art).

Gérée par une structure qui ap-porte sa compétence en matière de pilotage et de collaboration, elle asso-cie depuis ses débuts les établisse-ments qui conservent les collections patrimoniales et documentaires : bibliothèques, archives, musées et laboratoires de recherche participent au projet depuis la première étude de faisabilité, à partir de 1999. Cette pre-mière phase, Internum, était un projet européen de grande envergure dont

5. www.ccl-fr.org

le but était de constituer une biblio-thèque en ligne d’ouvrages numérisés de l’Europe méditerranéenne, afin que le plus grand nombre puisse y avoir accès gratuitement, grâce au réseau internet et aux nouvelles technologies de l’information et de la communica-tion.

Bibliothécaires, archivistes, docu-mentalistes, chercheurs et conserva-teurs de musées de six pays méditer-ranéens, accompagnés d’un comité d’experts des établissements de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ont activement travaillé et réfléchi à la mise en commun de leurs données descriptives d’objets différents. Ce défi a été relevé, et la plateforme numé-rique a été ouverte sur internet en 2000.

À côté d’Internum ont été par ail-leurs ouvertes, à partir de la même base, deux plateformes collaboratives thématiques menées à bien dans le cadre de deux projets européens distincts, Bivimed (Bibliothèque vir-tuelle de la Méditerranée) et Eurindia, aujourd’hui réunies dans e-corpus. L’Unesco ne s’y est pas trompé, et a su soutenir cette dynamique en finan-çant également cette phase de faisa-bilité dans le cadre du projet Medlib. Il convient de rappeler qu’à l’époque

Page d’accueil de la plateforme collective e-corpus

46 bbf : 2011 t. 56, no 4

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ces

l’enjeu du multilinguisme et du multi-alphabétisme n’était pas simple à résoudre, et les polices Unicode 6 sont heureusement venues au secours de ce projet ambitieux.

Cependant, ces sites internet, en tant que vecteurs de diffusion, mon-trèrent peu à peu leurs limites. En effet, pour qu’une telle richesse docu-mentaire soit mise à disposition des usagers, il était nécessaire d’ouvrir le système et de créer plusieurs modes d’accès : par des sites spécialisés, des collections thématiques et un travail collaboratif renforcé. Par ailleurs, le web s’étant radicalement transformé en quelques années par l’émergence rapide de nouvelles avancées tech-nologiques et de nouvelles interfaces interactives (appelées « web 2.0 »), le site initial ne correspondait plus aux attentes et exigences des utilisateurs, qu’ils soient simples visiteurs ou pro-fessionnels. De plus, ces avancées permettaient d’envisager autrement le fonctionnement de la plateforme, notamment concernant le mode de partage des données entre établisse-ments partenaires du projet, l’associa-tion et l’implication de ces partenaires représentant une synergie indispen-sable à son développement et à son rayonnement.

L’évolution devait nécessairement porter sur la transformation du sys-tème de distribution de données pré-cédent, composé d’une vitrine unique, en une plateforme centralisée univer-selle génératrice d’une constellation de sites satellites orientés par leur contenu et leur cible vers un public pré-cis. Un des objectifs principaux res-tait celui d’accueillir des documents et objets patrimoniaux de types très variés, conservés dans des établisse-ments très différents entre eux. Fruit de cette réflexion autour de la mise en commun du patrimoine documentaire et de la collaboration entre établis-sements partenaires, la bibliothèque numérique e-corpus a vu le jour en octobre 2009 7. Aujourd’hui, e-corpus

6. www.unicode.org

7. Saluons à cette occasion l’aide inestimable d’une équipe de jeunes conservateurs stagiaires de l’Enssib : François Mistral, Julie Monier, Sébastien Peyrard, Laure Rioust et Julien Starck n’ont pas ménagé leurs efforts

regroupe plus de 250 établissements contributeurs venant de 26 pays. Le corpus numérique géré représente à ce jour 1 100 000 fichiers numériques (pages de livres, de manuscrits, de journaux ou photographies isolées…) équivalant à plus de 60 000 notices.

Une plateforme collaborative de publication

Le format commun des données descriptives fut établi dans la phase préliminaire (Internum) et il fut dé-cidé de travailler au format EAD XML avec des passerelles simplifiées vers Unimarc et Dublin Core 8. Le pro-blème n’était donc plus sur ces points mais sur la mise en place pour cette bibliothèque numérique d’une nou-velle interface ayant pour objectif de valoriser la diversité culturelle dans le monde et, à l’époque, bien que cela soit désormais de moins en moins le cas, dans l’espace euro-méditerranéen spécifiquement.

Afin d’assurer son développement, cette plateforme a évolué vers une forme collaborative de publication dans laquelle toute collection peut être mise en valeur par un site internet dédié ayant une adresse internet dif-férente de la base de données racine e-corpus. Il peut s’agir :

• de sites thématiques, regrou-pant plusieurs établissements et plu-sieurs collections autour d’un même sujet : citons par exemple la biblio-thèque numérique « Camera Obs-cura » sur l’histoire des techniques photographiques 9 ;

• de sites de collectivités convain-cues des atouts d’une coopération lo-

dans cette tâche, notamment par la rédaction du nouveau cahier des charges du projet dans le cadre des projets tutorés de leur cursus d’études.

8. EAD XML, Unimarc et Dublin Core sont des schémas de métadonnées génériques qui permettent de décrire des ressources numériques ou physiques et d’établir des relations avec d’autres ressources ; voir notamment : www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/gerer/classement/normes-outils/ead et http://dublincore.org

9. www.camera-obscura.org

cale interétablissements ; ainsi, la ville de Nîmes a décidé de mettre sur une plateforme commune les documents numérisés de la bibliothèque muni-cipale et du musée du vieux Nîmes 10. On y retrouve, dans un corpus virtuel-lement réuni, des manuscrits, des im-primés de la bibliothèque, des textiles provençaux (les « indiennes » et les châles aux célèbres motifs de cache-mire du musée) ainsi que, prochai-nement, d’anciennes archives indus-trielles sur la manufacture des textiles régionaux conservées au musée ;

• plus intéressant encore, e-corpus propose aussi des collections virtuelles regroupant des documents d’intérêt commun autour d’une même théma-tique. Ainsi, les objets du musée du vieux Nîmes sont visibles en perspec-tive avec ceux du musée des traditions provençales de Château-Gombert (Mar-seille), et même avec d’autres musées d’Inde et du Portugal. Ces deux der-nières collections sont elles-mêmes rapprochées, via la collection virtuelle « Eurindia », avec les plans des collec-tions indiennes des Archives natio-nales d’outre-mer (Aix-en-Provence) et les collections du colonel Gentil, elles-mêmes partagées entre la Bibliothèque nationale de France et le Victoria and Albert Museum. Ainsi, on découvre la force, non pas de l’accompagnement excessif du cyber-usager, mais des mises en relation et des renvois astu-cieusement organisés pour voyager de collection en collection, de ville en ville, de pays en pays, entre archives, biblio-thèques et musées.

Une plateforme de diffusion accessible à tous

L’accès aux collections et aux docu-ments est un élément essentiel de la mise en valeur du patrimoine. Faut-il rappeler que la numérisation en soi est inutile si elle n’est pas assor-tie d’une stratégie de valorisation et de diffusion ? Cette stratégie permet, dans une certaine mesure, la conser-vation des documents (sans minorer

10. http://bibliotheque-numerique.nimes.fr

bbf : 2011 47 t. 56, no 4

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.org :

la très bonne conservation de certains supports de l’écrit, à l’instar des ma-nuscrits byzantins sur parchemin, qui se conservent très bien sans nécessité de reproduction de sauvegarde). Cette numérisation est pourtant nécessaire pour permettre aux citoyens d’avoir un accès simple et gratuit aux documents qu’il n’est pas possible de trop expo-ser ou de donner en consultation sans contrôle ou limitation.

Pour e-corpus, des outils infor-matiques performants ont été mis en place afin d’offrir un accès et une consultation plus agréable et ergono-mique au public, ainsi qu’une utilisa-tion simplifiée pour les établissements partenaires. Cette nouvelle configura-tion de la bibliothèque numérique per-met :

• la « démocratisation » de l’accès à l’importante banque de données de notices et de documents numérisés que représente e-corpus ;

• la mise en valeur de certaines collections qui, au lieu de se noyer dans la masse d’informations que représente la plateforme aujourd’hui, sont directement accessibles sur des sites dédiés ;

• la valorisation par des parte-naires des sous-ensembles de la base

de données par la réalisation de biblio-thèques thématiques ou d’expositions virtuelles, au moyen d’outils d’admi-nistration de site et de gestion directe de contenus, mais aussi, quand cela est nécessaire, l’aide à la visibilité d’un établissement partenaire, comme on le verra plus loin ;

• l’émergence d’une communauté en ligne qui participe directement ou indirectement au rayonnement du pa-trimoine documentaire ;

• une minimisation drastique des frais, des tâches et du travail humain par la maintenance et l’administration centralisée et externalisée d’une base de données unique.

L’importance de l’interopérabilité

On l’a dit, les documents sont dé-crits selon le format XML-EAD, cette standardisation permettant une inter-opérabilité des informations entre tous les établissements partenaires. L’interface respecte la hiérarchie des classements archivistiques et biblio-théconomiques, ce qui assure l’homo-généité entre l’ensemble des catalo-gues déjà existants.

La plateforme e-corpus se veut également multilingue. L’interface est ainsi traduite dans une multitude de langues, n’excluant de ce fait aucun musée, bibliothèque et/ou archive susceptibles d’être intéressés par le projet : français, anglais, chinois, arabe, espagnol, catalan, italien (ainsi que russe, géorgien et allemand en cours de réalisation). Une interface de gestion et de traduction des termes utilisés dans le site est intégrée dans le module informatique d’adminis-tration de la bibliothèque numérique, ces termes, utilisés notamment pour la recherche de notices, devant avoir obligatoirement une correspondance dans toutes les langues.

Une recherche et une exploitation facile des résultats sont des critères es-sentiels pour le succès de toute biblio-thèque numérique. E-corpus a donc veillé à améliorer l’accès au contenu de la base de données par diverses fonctionnalités :

• reconnaissance optique des ca-ractères automatisée et appliquée sur chaque nouvelle page ou ouvrage inté-gré dans la base de données, ainsi que sur tout le corpus de documents déjà présents. Ce processus permet aux uti-lisateurs d’effectuer des recherches de

Page d’accueil de la bibliothèque numérique de Camera Obscura

48 bbf : 2011 t. 56, no 4

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ces

termes spécifiques directement dans le contenu de l’ouvrage, avec un affi-chage des résultats hiérarchisé selon un algorithme affinant la pertinence des résultats ;

• possibilité pour chaque inter-naute de créer son propre catalogue (il suffit de créer un compte personnel gratuit) et de l’exporter en format PDF ou EAD ;

• ergonomie de la partie admi-nistration de la base de données cor-rigée permettant à chaque partenaire le souhaitant de saisir à distance les informations sur les collections docu-mentaires de son établissement et faisant place à de nouvelles fonction-nalités (création de gabarit CMS, suivi des statistiques pour chaque établisse-ment, etc.) ;

• visionnage des documents amé-lioré, avec la possibilité de feuilleter les ouvrages et d’imprimer directe-ment en grand format la ou les page(s) désirée(s) ;

• amélioration générale de l’inter-face graphique du site se voulant plus attrayante.

La plateforme permet également l’accès à du contenu hors base de don-nées e-corpus, un « moissonneur » OAI-PMH 11 ayant été configuré sur le serveur afin de récolter sur la base de données les métadonnées depuis les entrepôts désignés (à savoir Gallica 12, Europeana). Une option sur le moteur de recherche permet aux utilisateurs de choisir de chercher non seule-ment sur e-corpus mais également sur l’intégralité des données récoltées sur les entrepôts moissonnés. Le pro-tocole OAI-PMH étant aujourd’hui de plus en plus utilisé à travers le monde par de nombreux acteurs des biblio-thèques numériques, e-corpus a fait le choix de favoriser sa coopération avec des sites ayant une interface similaire. Ce protocole simple et interopérable pour le partage des données favorise en effet et par nature la collaboration entre les établissements concernés.

11. Open Archives Initiative Protocol for Metadata Harvesting ; voir : www.openarchives.org/OAI/openarchivesprotocol.html

12. http://gallica.bnf.fr

Des partenaires qui participent au développement de la plateforme et aux évolutions

La force de e-corpus, au-delà de ses performances technologiques, est avant tout d’être à l’écoute des besoins des établissements, non pas de ma-nière globale et dirigiste mais de ma-nière individuelle. L’objectif de cette plateforme est de s’adapter à chacun plutôt que de demander aux biblio-thèques de se plier à ses exigences. Pour autant, c’est encore souvent le cas, et les grands établissements et grands outils électroniques sont au-tant de craintes pour une profession qui est en train de prendre conscience qu’elle est l’un des acteurs principaux de la société de l’information, tout en souhaitant que cela ne soit pas à n’im-porte quel prix et au détriment des acquis de méthodes professionnelles éprouvées laissant l’humain au centre du dispositif.

De nombreux chantiers restent à mener à bien, comme la consultation de la presse, qui devrait se démarquer d’autres corpus dans sa présentation (voir notamment la collection des pé-riodiques de la bibliothèque Méjanes, Le Mémorial d’Aix), à l’instar de la pro-position de la bibliothèque municipale de Lyon dans le domaine 13.

Savoir qu’un nouveau projet de description, demandant l’intégration de nouveaux champs de description, peut être mis en place sans efforts et sans qu’il vous soit répondu qu’il fal-lait y penser dans la phase initiale du projet – ce qui arrive trop souvent pour les bases de données dévelop-pées par les chercheurs pour un pro-jet spécifique sans prise en compte des questions d’interopérabilité et de pérennisation des données – permet de réfléchir à de nouveaux projets de manière apaisée.

13. La bibliothèque municipale de Lyon a entrepris la numérisation de sa collection de journaux lyonnais parus entre 1830 et 1914 et a développé une plateforme dédiée à ce corpus : http://collections.bm-lyon.fr/PER003

Un espace ouvert et collaboratif

Les bibliothèques, les musées et les archives peuvent exploiter gratui-tement e-corpus pour la diffusion de leurs fonds numérisés et profiter ainsi des outils informatiques disponibles sur la plateforme. L’hébergement et la diffusion sont gratuits, de même que la création de sites dédiés que les éta-blissements concernés peuvent gérer de manière autonome : la véritable nouveauté réside dans cette autonomie offerte aux établissements intéressés.

Plusieurs établissements peuvent également se regrouper pour créer et animer de manière collaborative une bibliothèque numérique, ou même simplement un catalogue collectif consacré à un sujet précis. En effet, la bibliothèque numérique bénéficie d’un site principal global et permet, à partir d’une base de données centra-lisée, de créer toute une constellation de sites dits satellites. Chacun d’entre eux a sa propre adresse internet et fonctionne en tant qu’entité à part entière, distincte d’e-corpus, référen-cée en tant que telle dans les moteurs de recherche et annuaires internet, et adoptant sa propre identité visuelle. Grâce à la centralisation des infor-mations, toute opération (saisie de notices, import de documents numé-riques, etc.) est immédiatement et globalement effective dans tous les sites satellites, ce qui supprime toute redondance des tâches et réduit consi-dérablement les coûts de fonctionne-ment et d’exploitation.

Ce type d’outil et plus largement la participation des bibliothèques, des archives et des musées au projet e-cor-pus a pour avantage :

• d’améliorer l’interopérabilité, l’intégration et la transparence de l’ac-cès aux ressources des établissements ;

• de réduire les coûts pour les musées, les archives et les biblio-thèques qui désirent partager leurs contenus numériques avec le public ;

• d’accroître la capacité des mu-sées, des archives et des bibliothèques de partager à vaste échelle du contenu numérique en utilisant des normes techniques et descriptives de façon pratique et économique et également de partager des outils communs ;

bbf : 2011 49 t. 56, no 4

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.org :

• d’offrir aux internautes un accès facilité et unifié à de très nombreuses collections numériques, sans avoir à consulter des dizaines de biblio-thèques numériques dans l’espoir fou de trouver peut-être tel ou tel docu-ment qu’ils souhaitent consulter.

De plus, la création de collections virtuelles thématiques a pour avantage d’accroître la visibilité et l’accessibilité de tel ou tel sujet auprès du public et incite les bibliothèques, les archives et les musées à partager leurs ressources documentaires et iconographiques.

Plusieurs établissements se sont regroupés, par exemple, autour d’un thème commun, la Provence, dans la Bibliothèque provençale numérique, lancée conjointement par le Centre de conservation du livre et la ville d’Aix-en-Provence. Elle propose, présente et met en ligne un ensemble de docu-ments patrimoniaux sur la Provence et son aire culturelle, conservés dans des bibliothèques, des archives, des ins-titutions muséales ou des collections privées, que ce soit dans la Région Pro-vence-Alpes-Côte d’Azur, en France et à l’étranger : livres, images, manuscrits, journaux, mais aussi enregistrements sonores et vidéos – tous les documents sont libres de droits. Exemple de sy-nergie entre musées, bibliothèques et archives, ce site satellite permet le

regroupement d’informations au sein d’un portail commun et une gestion partagée de son contenu directement par les établissements concernés. Au-trement dit, tout en favorisant la mise en commun de ressources, e-corpus accroît le travail collaboratif entre les professionnels. Ce type de collabora-tion permet également de composer de nouveaux auditoires, par croisement, pour tous les partenaires.

Conclusion

À l’interface des archives, des bi-bliothèques et des musées se trouve désormais internet. Il faut que nous le prenions comme une chance et un nouveau défi pour nos établisse-ments. L’exemple d’e-corpus montre le chemin parcouru en une quinzaine d’années, le potentiel de l’outil infor-matique et du réseau internet ainsi que les enjeux à relever dans la décen-nie à venir. E-corpus n’est pas le seul projet de ce type, le mouvement est lancé depuis longtemps. Les exemples existants fonctionnent, qu’ils soient basés sur la collaboration de biblio-thèques numériques déjà constituées, dont la consultation est centralisée, ou sur le modèle de la base collective. Ils fonctionnent au niveau international,

national ou régional : Europeana, Gal-lica, la Banque numérique du savoir d’Aquitaine (BnsA)14 en sont de très bons exemples. Les projets théma-tiques, souvent très pointus, sont par-fois plus difficiles à faire connaître et s’adressent à un public souvent très réduit (Roman de la Rose). Pourtant, on note une résistance encore grande de nombreux établissements, trop souvent attachés à créer leur propre bibliothèque numérique en faisant ainsi fi de la manière dont les inter-nautes utilisent internet 15. Que faut-il encore faire pour convaincre biblio-thécaires, archivistes, responsables de musées et chercheurs de s’unir et tra-vailler ensemble ? •

Mai 2011

14. La BnsA est un programme éditorial numérique organisant la conception, l’organisation, la production, l’édition et la mise à disposition en ligne de données numériques relatives au patrimoine aquitain. Voir dans ce numéro du BBF l’article de Jean-François Sibers, « Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confluence des ressources patrimoniales en région », p. 50-56.

15. Isabelle Westeel, « Le patrimoine passe au numérique », BBF, 2009, no 1, p. 28-35. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-01-0028-003

Extrait d’une lettre de Charles Darwin (Angleterre) écrite à Gaston de Saporta (France) – 1872. Archives Gaston de Saporta.Document disponible sur e-corpus

50 bbf : 2011 t. 56, no 4

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ces Banque numérique

du savoir en Aquitaine :

La « confluence » documentaire et éditoriale est le principe même, la condition sine qua non, de

la Banque numérique du savoir en Aquitaine (BnsA)1. Le programme de sa mise en œuvre a été signé dans le cadre du contrat de plan entre l’État (direction régionale des affaires cultu-relles – Drac Aquitaine) et le conseil régional d’Aquitaine en 2000, pro-gramme reconduit en 2007 jusqu’en 2013. Il réunit autour de la Drac et de la Région les cinq départements qui la constituent, ainsi que plusieurs villes et agglomérations importantes.

Le programme s’appuie sur toutes les ressources, de tous types de ser-vices : archives, bibliothèques, mu-sées, centres de documentation et ser-vices patrimoniaux de tous les niveaux de collectivités et de l’État. Il intègre depuis peu le patrimoine culturel immatériel, en particulier la collecte orale ethnolinguistique, basque ou occitane, ou les enquêtes historiques.

Son objet est la réalisation d’un service patrimonial numérique régio-nal, public et gratuit, qui mutualise les ressources sur les patrimoines de la région, avec pour cibles principales l’éducation et le tourisme culturel. Ce lourd chantier documentaire, en per-pétuelle évolution, s’est traduit par des rapprochements entre institutions, personnel, locaux, collections, et des évolutions dans les modes de gestion administrative et juridique 2.

1. http://bnsa.patrimoines.aquitaine.fr

2. On trouvera tous les liens vers les institutions, expériences, documents

La « confluence documentaire » ou l’image d’un « Sisyphe heureux »

De lourds prérequis

Après coup, on regarde avec un peu d’ironie les efforts déployés entre 2000 et 2003 pour trouver, à partir des thésaurus existants, du livre, de l’architecture ou autres, un « vocabu-laire pivot » qui permette une indexa-tion harmonisée entre métiers et col-lections. Efforts vains jusqu’à ce que, avec l’accompagnement de la Mission de la recherche et de la technologie du ministère de la Culture et de la Communication, il soit décidé d’expé-rimenter, pour la première fois en France à cette échelle, le respect com-plet des vocabulaires métiers, l’appui sur les métadonnées en Dublin Core 3 (DC) et la mutualisation par le mois-sonnage des entrepôts OAI.

Dès lors, bibliothécaires, archi-vistes ou conservateurs de musées, archéologues ou chercheurs de l’In-ventaire, recenseurs des Monuments historiques, étaient encouragés à appliquer de la façon la plus fine (et avec quel soulagement !) les règles descriptives de leur métier : la finesse d’indexation serait plus tard un élé-

techniques signalés dans l’article sur le site de la Drac Aquitaine – http://aquitaine.culture.gouv.fr – par les entrées thématiques « patrimoine écrit et graphique », « archives », ou « numérisation du patrimoine ».

3. http://dublincore.org

Jean-François SibersDirection régionale des affaires culturelles [email protected]

Conservateur en chef des bibliothèques, Jean-François Sibers est conseiller pour le livre et la lecture à la Drac Aquitaine et, entre autres, chef du service CIC (« Collections, information, communication ») ; il a été notamment chef du service régional de l’Inventaire en Aquitaine de 2004 à 2007. Il a publié dans le BBF : « Patrimoine et documentation : la Banque numérique du savoir d’Aquitaine » (2001, no 5).

DIx ANS POUR LA CONFLUENCE DES RESSOURCES PATRIMONIALES EN RÉGION

bbf : 2011 51 t. 56, no 4

Banque numérique du savoir en Aquitaine :

ment de performance du moteur de recherche, mais, pour la mutualisa-tion, tout passerait par le tamis « stan-dard » DC, un peu enrichi dans le for-mat « AP » (Aquitaine patrimoines).

Un portail web 2.0

La responsabilité revenait à l’État et à la Région (et à la Région plus par-ticulièrement, puisqu’elle a la maîtrise d’ouvrage du portail régional BnsA) de construire un système avec portail, moteur d’interrogation et « boîte à outils » pour chacune des institutions produisant des ressources, pour pas-ser en DC et construire son entrepôt moissonnable.

Lourde responsabilité : très peu de prestataires avaient les compétences pour répondre aux appels d’offres, on ne pouvait s’appuyer sur aucun modèle en production, et les res-sources humaines en informatique documentaire étaient faibles, sinon inexistantes, chez tous les partenaires du programme, Région, État, départe-ment, villes… Bref, prestataires, assis-tants à maîtrise d’ouvrage (AMO) et commanditaires ont généreusement pratiqué l’essuyage de plâtres, voire la déconstruction-reconstruction, pour

arriver enfin, après 2007, à une solu-tion fiable pour les fournisseurs et le moissonneur. Ce n’était encore qu’une version bêta, centrée sur le documen-taire et le moteur de recherche, qu’il a fallu complètement reprendre pour une version plus ergonomique, offrant des outils d’édition, des espaces com-munautaires de travail, un instrument d’animation de réseau, une logique web 2.0. La livraison finale du portail actuel date de décembre 2009.

Les lenteurs d’un double chantier

On aurait tort d’imaginer que, pendant ce temps, les « fournisseurs » fourbissaient leurs notices et leurs cata-logues, préparaient les lots de numéri-sation, mettaient en ligne dans la séré-nité et l’allégresse : le caractère massif du programme imposait à chacun de revisiter ses catalogues ou instruments de recherche, de rétroconvertir ou/et corriger livre en main, de sélectionner les fonds ou extraits à numériser, de veiller à la qualité de l’indexation.

Ces prérequis documentaires ont mobilisé les équipes des diverses ins-titutions durant pratiquement tout le premier contrat de plan, 2000-2007. De ce fait, presque aucune des res-

sources n’était visible, sauf celles de l’Inventaire décentralisé à la Région, au grand dam des élus qui votaient chaque année les budgets ; heureu-sement, l’apport financier du pro-gramme, secondé par les fonds Feder de l’Union européenne, limitait la charge directe du maître d’ouvrage. Parallèlement, chacun des partenaires se heurtait à la même difficulté que le responsable du portail : quel pres-tataire capable d’assurer l’ingénierie documentaire, jusqu’à la mise en ligne des entrepôts ?

Disons qu’une même lenteur a présidé au double chantier, celui des fournisseurs de ressources et celui du moissonnage, car la « confluence » entre ressources documentaires patri-moniales suppose que de lourds prére-quis soient réglés :

• ceux qui relèvent du traitement scientifique des ressources : fiabilité des instruments de recherche et des catalogues, qualité de l’indexation ;

• ceux qui relèvent de l’accessi-bilité : numérisation, mise en ligne, entrepôts, refonte des systèmes d’in-formation, des équipements informa-tiques et des interfaces ;

• ceux qui relèvent des compé-tences : les sept années du premier

Page d’accueil du site de la BnsA

52 bbf : 2011 t. 56, no 4

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ces

contrat de plan ont en fait permis aux fournisseurs et moissonneurs de constituer des équipes techniques complètes avec de fortes compétences en informatique, ou de très solides AMO et tierces maintenances adap-tatives, évolutives et curatives (TMA) pour sécuriser le processus. Pas de confluence sans réseau de profession-nels…

On a pu évaluer à environ 18 mil-lions d’euros la dépense globale du programme de 2000 à 2007 sur l’ensemble de la chaîne technique et scientifique, pour arriver à une inter-opérabilité régionale des ressources et institutions patrimoniales. Dépense importante, qui donne le poids des évidences : pour parler de confluence, en conservant la métaphore hydrolo-gique, chacun des affluents est ren-voyé à la qualité de ses eaux, de son débit, de ses écluses et éclusiers. Et c’est si vrai qu’aujourd’hui encore le rapport est de 1 à 4 entre ce qui est accessible via le portail et ce qui est numérisé chez les fournisseurs, qui ne sera visible dans 6 ou 12 mois.

Les réalisations

Le portail régional fonctionne dé-sormais de façon stable et moissonne les ressources de tous les adhérents, mais pas encore toutes les ressources de chacun. Les adhérents eux-mêmes ont développé plusieurs systèmes co-opératifs sur leur aire de responsabi-lité, géographique et/ou thématique, correspondant à trois schémas diffé-rents.

Un catalogue collectif thématique et une bibliothèque numérique sur la préhistoire

En Dordogne, la thématique ma-jeure est celle de la préhistoire, à par-tir bien sûr de la grotte de Lascaux et de la vallée de la Vézère. Plusieurs ser-vices et établissements 4 contribuent à

4. Les partenaires du catalogue collectif Préhistoire, autour du Pôle international de la préhistoire, sont cinq bibliothèques municipales, le Musée national de préhistoire des Eyzies, les archives départementales de la Dordogne, la bibliothèque départementale

la réalisation d’un catalogue collectif qui est hébergé par une institution spécifique, un établissement public de coopération culturelle intitulé Pôle in-ternational de la préhistoire (PIP). Le PIP gère un réservoir bibliographique commun de 38 000 notices et assure la mise en ligne d’une précieuse bi-bliothèque numérique avec le logiciel libre Koha. Les notices sont au format Unimarc et Dublin Core Aquitaine patrimoines, ce qui les rend moisson-nables par la BnsA.

Ce réseau « croise » celui du pôle associé documentaire préhis-toire à la Bibliothèque nationale de France (BnF)5, avec enrichissement mutuel de notices. L’accès à ce cata-logue, qui offre une catégorisation des ressources (jeunesse, tout public, recherche), et aux 20 000 pages de fondamentaux de l’archéologie non réédités et traduits constitue un pré-cieux apport. Le fonds s’enrichit an-nuellement de productions éditoriales sur des thèmes de la préhistoire (ali-mentation, habitat…) et selon des ap-proches bibliographiques spécifiques (représentation de la femme, produc-tion jeunesse…) ainsi que d’exposi-tions virtuelles également moisson-nables.

La bibliothèque numérique des ressources pyrénéennes (BNRP)

Dans la bibliothèque numérique des ressources pyrénéennes (BNRP), l’approche est à la fois thématique et typologique, portant d’une part sur les Pyrénées, d’autre part sur l’icono-graphie. Les partenaires sont nom-breux 6, auxquels se sont ajoutées, en

de prêt (BDP) de la Dordogne, le centre départemental de documentation pédagogique (CDDP) de la Dordogne et le service documentation de la Drac Aquitaine.

5. Constitué du Muséum d’histoire naturelle, du Nouveau musée de l’homme et du réseau Frantiq (Fédération et ressources sur l’Antiquité).

6. Les partenaires de la BNRP : archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, service communautaire d’archives Pau-Pyrénées, Musée national du château de Pau, Musée des beaux-arts de Pau, Centre d’étude du protestantisme béarnais, association « Mémoire collective en Béarn », Institut occitan, médiathèque intercommunale Pau-Pyrénées.

2010, des bibliothèques municipales patrimoniales (Oloron et Orthez, res-pectivement pour Tristan Derème et Francis Jammes). La médiathèque intercommunale d’agglomération à vocation régionale de Pau (MIDR), incluant la bibliothèque municipale classée (BMC), assure l’ingénierie gé-nérale, documentaire et informatique, héberge les notices, mais aussi les ressources, en générant les entrepôts OAI de tous les contributeurs, pour environ 200 000 images réunies dans la BNRP.

À partir de 2010, un portail com-mun de valorisation dénommé Pire-neas 7 est ouvert, orienté vers des iti-néraires et expositions virtuelles, qui moissonne lorsque c’est possible les entrepôts des participants et conti-nue à offrir par défaut la prestation d’hébergement de ressources et méta-données pour les adhérents les plus fragiles. Une fructueuse coopération s’instaure sur cette thématique avec la BMC de Toulouse, elle-même pôle associé BnF. La phase documentaire de mutualisation est ici acquise, et l’effort des participants est clairement éditorial.

Deux catalogues et banques de ressources territoriales

La Gironde a constitué un réseau sur l’estuaire du fleuve, traite ses res-sources et celles de partenaires exté-rieurs, et les rend accessibles via la BnsA et via Europeana 8. Le conseil général des Pyrénées-Atlantiques 9 vient quant à lui d’ouvrir une annexe à Bayonne, collectant et traitant la quasi-totalité des archives du Pays basque, intégrant la collecte orale ethno-linguistique en basque et rendant l’ensemble accessible au terme d’un énorme chantier de numérisation et de refonte informatique (750 mètres linéaires numérisés).

Ces deux expériences offrent prin-cipalement des archives, quelques manuscrits médiévaux, des instru-ments de recherche – dont on connaît la richesse en archives –, mais aussi

7. www.pireneas.fr

8. www.europeana.eu/portal

9. www.archives.cg64.fr

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Banque numérique du savoir en Aquitaine :

des documents relatifs au patrimoine culturel immatériel issu de collectes, dont les droits ont été ouverts (basque, occitan, mémoire de l’immigration) avec les questions particulières liées à la pluralité linguistique. L’effort des services pour passer de l’instrument de recherche « brut » à une présenta-tion thématique transversale, comme pour la villégiature (Gironde) ou la collecte en basque (Pyrénées-Atlan-tiques), est considérable.

Et Sisyphe continue à pousser son rocher…

Du jour où le système aquitain a fonctionné de façon convenable, le portail régional, agrégateur de méta-données, est devenu un lieu de pro-duction de dossiers documentaires, et les termes même de l’équation initiale ont été modifiés, conduisant à d’autres logiques de travail.

Quand la Drac devient fournisseur de ressources

Entre Drac et collectivités, la confluence catalographique est un acquis. Mais la question posée par la mutualisation patrimoniale des res-sources du ministère de la Culture et

de la Communication porte sur des documents – administratifs, scienti-fiques et iconographiques – voués in fine au versement aux archives dépar-tementales, documents d’un immense intérêt et d’une réelle difficulté de trai-tement. Il a fallu leur donner une exis-tence documentaire, bien sûr, et ce fut un chantier de plusieurs années.

Ces ressources sont partiellement traitées dans des bases nationales, progressivement accessibles au public grâce aux efforts du ministère, notam-ment via le portail « Collections 10 », et actualisées par les services dans ces bases, qu’il s’agisse de protection de monuments, de suivi de chantiers, d’études préalables, de couvertures photographiques. Cependant, nombre de ces documents précieux, scienti-fiques et iconographiques, ne sont pas « visés » par ces bases, et ne sont accessibles que localement.

Dès lors, l’accès aux ressources pa-trimoniales de la Drac Aquitaine par la BnsA suppose que la Drac reçoive en export les ressources des bases natio-nales concernant sa région, y agrège

10. Voir dans ce numéro l’article de Caroline Cliquet : « “Collections”, le moteur de recherches sémantiques du ministère de la Culture et de la Communication », p. 36.

les ressources uniquement dispo-nibles localement, ouvre un site docu-mentaire sécurisé et génère ses entre-pôts moissonnables.

Ce chemin technique, décrit ici très brièvement, montre que la « confluence » régionale des collec-tions via le numérique suppose que l’on prenne en compte en région, sur n’importe quelle thématique ou n’im-porte quel territoire, les ressources et bases de données nationales. « Rome n’est plus dans Rome » et, dans l’espace numérique, la ressource Aquitaine est à la fois « ici » et « ailleurs », avec une solution de complémentarité (ou de subsidiarité) qui nécessite d’impor-tants efforts documentaires et infor-matiques.

Pôle associé BnF et BnsA : moissonneurs moissonnés

La convention signée avec la BnF en 2010 prend en compte la BnsA comme agrégateur régional de mé-tadonnées. L’interopérabilité entre Gallica11 et les ressources aquitaines accessibles par la BnsA est au cœur

11. http://gallica.bnf.fr Rechercher dans Gallica et dans la BnsA par « manuscrits médiévaux ».

Page d’accueil du portail Pireneas, la bibliothèque numérique des Pyrénées

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de cette convention, ce qui a entraîné la mise en œuvre d’adaptations tech-niques concernant la compatibilité des formats, avec de petites variantes à l’intérieur du DC, et les modalités du moissonnage mutuel. Pour la pre-mière année de conventionnement, un test d’interopérabilité a été réalisé sur une partie du corpus des manus-crits médiévaux d’Aquitaine conservés en Aquitaine, accessibles via la BnsA, et ceux qui sont accessibles via Gal-lica. L’expérience a été concluante, et le chantier est en cours pour pouvoir étendre ce moissonnage mutuel au maximum de fonds.

Là encore, l’équation a changé : la mutualisation des ressources en Aqui-taine permet l’accès aux manuscrits conservés en Aquitaine, qu’ils soient dans les musées, dans les archives ou dans les bibliothèques, mais la vraie réponse à l’internaute est de reconsti-tuer virtuellement le corpus par l’inter-opérabilité BnsA/Gallica.

Ainsi, la confluence documentaire générée ou accompagnée par la BnsA apparaît maintenant bien avancée au niveau catalographique, permettant un premier palier de mutualisation et de recherche. La mise en commun des ressources est bien réelle, avec un

rétrécissement progressif du temps de latence entre la numérisation, la mise en ligne et l’interopérabilité régionale. La production est évidemment très ciblée sur des approches thématiques et/ou typologiques, avec des avan-cées intéressantes, ces deux dernières années, sur la production éditoriale à partir des ressources premières, et le moissonnage régional permet dé-sormais de constituer au moins des « bouquets documentaires », à partir des ressources des divers contribu-teurs.

« Confluence » et évolutions dans les équipements et la gestion

Mutualisation signifie gestion des droits

Parallèlement à la gestion docu-mentaire, s’est posée et se pose tou-jours la question de la gestion dans ses aspects juridiques. Le système BnsA, comme tous les systèmes natio-naux désormais organisés à partir du moissonnage de métadonnées, et sans

dimension marchande, simplifie le problème par rapport à la gestion des droits. Chacun des fournisseurs est responsable de ses ressources, de leur mise en ligne, et doit assurer la « pai-sible jouissance » aux commanditaires régionaux État et Région avec qui il a signé une charte d’adhésion pour l’accès aux ressources via les métadon-nées.

Il n’en reste pas moins que les droits liés à la mutualisation doivent être précisés : en effet, le moisson-neur régional qui réalise des dossiers, ou même chacun des fournisseurs, devient potentiellement un ré-utili-sateur de ressources issues de tiers, dans une production éditoriale dont il a la responsabilité. L’enrichissement de la BnsA passe par là : non plus des ressources seulement, mais aussi des productions éditoriales. En matière éditoriale, comme en matière docu-mentaire, la mutualisation, l’interopé-rabilité, font entrer dans un nouvel es-pace dont les règles doivent être fixées et approuvées.

De plus, le moissonneur régional est désormais moissonné (par la BnF, bientôt par Culture.fr : collections, et par Europeana), ouvrant un nouveau champ de droits. La description des

Page d’accueil du site de la Drac Aquitaine

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Banque numérique du savoir en Aquitaine :

usages, les modalités visant à favoriser la plus large diffusion, l’intégration à de nouveaux ensembles documen-taires par l’interopérabilité, l’édition de valorisation « multipolaire », en tout point du réseau, voire des productions communes entre divers responsables de fonds et d’institutions adhérentes, avec le partenariat de l’université par exemple, fut un exercice long (plus d’un an), accompagné par les spé-cialistes de l’université Bordeaux 4. C’est aussi un exercice de profonde réflexion entre les professionnels des divers métiers et des partenaires scientifiques extérieurs, pour prépa-rer le terrain à des travaux en inter-disciplinarité : « Je donne accès à tel fonds, je suis d’accord pour qu’un autre professionnel l’utilise, je souhaite parti-ciper et ne pas perdre complètement le contrôle, comment me situerai-je ? » Une question est toujours en chantier : la BnsA étant un programme, adossé au contrat de plan, stabilisé par une charte d’adhésion avec une annexe juridique, il faut réfléchir dès main-tenant à l’après-2013, pour vérifier à quelle institution pérenne les droits de mutualisation, de diffusion, d’édition via le portail régional seront confiés.

Mutualisation, formules administratives et question de locaux

Au décours de ce programme, trois expériences de mutualisation partielle de locaux, avec des innova-tions administratives intéressantes, ont été tentées et fonctionnent à la satisfaction générale.

Une médiathèque d’agglomération et un service patrimonial commun livre-archives à Pau

La médiathèque d’agglomération de Pau comprend une « centrale » en reconstruction, héritière de la BMC de Pau, toutes les annexes de la ville et toutes les bibliothèques municipales aux normes État des communes de l’agglomération. Les collections d’ou-vrages sont dévolues à la communauté d’agglomération, qui a pris la compé-tence « Lecture publique et archives ». Le patrimoine de la bibliothèque, fonds anciens et collections intermé-diaires, a été installé dans une annexe patrimoniale commune livre-archives et dans un lieu patrimonial, l’ancienne usine des tramways, accueillant égale-ment les archives de la ville centre, de

la communauté, et les archives défini-tives des communes de l’aggloméra-tion.

Seule la salle de lecture est mu-tualisée, le service au public étant conjointement assuré par archivistes et bibliothécaires, à la grande satis-faction des publics, les fonds s’avé-rant très complémentaires et les per-sonnels étant habitués à travailler ensemble.

Le nom choisi pour l’ensemble est en lui-même un programme : « Usine des tramways, archives et pa-trimoine ». La confluence par le numé-rique conduit naturellement à des pro-ductions communes numériques, qui se traduiront aussi par des proposi-tions pédagogiques numériques com-munes (programme aquitain archimé-rique-monumérique)12.

Un service d’archives de « pays » : le pôle d’archives de Bayonne et du Pays basque

Récemment inauguré, le pôle d’ar-chives de Bayonne et du Pays basque est surtout innovant sur l’organisation

12. www.ecla.aquitaine.fr

Page d’accueil du site Écla, portail aquitain des professionnels de l’écrit, de l’image et de la musique

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des services d’archives, entre les com-munes, les communautés de com-munes et les archives départemen-tales. Il intègre en effet les archives des communes, y compris les plus im-portantes qui avaient un véritable ser-vice d’archives, et le personnel passe dans la nouvelle structure. Cette expé-rimentation, accompagnée par le Ser-vice interministériel des Archives de France (SIAF), est réalisée en même temps que le programme massif de numérisation des archives produites en Pays basque, dans le cadre de la BnsA, avec le souci de constituer un ensemble cohérent pour la recherche. Mais il s’agit d’une intégration « hori-zontale », sur un seul métier et un seul type de fonds.

Par contre, les archives départe-mentales, de par leur approche thé-matique « basque », deviennent maître d’ouvrage de la collecte orale ethno-linguistique en basque, réalisée par des associations, sur la base d’une mesure du contrat de projets État-Ré-gion 2007-2013 en Aquitaine (CPER), et assurent sa mise en ligne, avec une dimension catalographique bilingue.

Parallèlement, toujours au titre du CPER, la bibliothèque municipale de Bayonne pilote une autre action BnsA inscrite dans le pôle associé régional avec la BnF : le recensement et le trai-tement des fonds basques (ouvrages et publications en basque et sur le Pays basque). Seule la phase de description documentaire est pour l’instant mise en œuvre, la numérisation sélective ne viendra que dans un second temps. Cependant, d’ores et déjà, l’interopé-rabilité entre ces fonds « livres », les fonds « archives », et désormais le re-censement BnF dans ses propres col-lections, via la BnsA et le pôle associé régional à la BnF, sont en discussion ; chantier documentaire, mais aussi administratif : quel portail, quelle col-lectivité responsable, quelle institution responsable ?

Le pôle international de la préhistoire (PIP)

Le pôle international de la préhis-toire (PIP) est un établissement public de coopération culturelle (EPCC). Cette forme administrative fait suite à un groupement d’intérêt public

culturel entre les mêmes partenaires : État (Culture, Éducation nationale, Tourisme, Environnement), Région, département de la Dordogne. Le pôle a une forte dimension touristique (1 mil-lion de visiteurs par an en vallée de la Vézère) et développe pour cela une stratégie de valorisation culturelle des ressources.

Pour cette raison, il gère le cata-logue et la bibliothèque numérique et fonctionne comme un centre d’initia-tives de médiation pour tout public. Son fonds est prioritairement axé sur cette approche, avec une spécialité d’éducation au patrimoine archéolo-gique pour les scolaires.

La construction du centre d’accueil permet une complémentarité des es-paces avec le Musée national de pré-histoire des Eyzies, riche d’une impor-tante bibliothèque scientifique, mais sans lieu de travail commode pour les chercheurs, individuels ou en sémi-naires. Les espaces du PIP accueillent les enseignants et les groupes dans des lieux d’ateliers et au milieu d’une documentation spécialisée, pour une mission de médiation indispensable. Les réalisations (dossiers thématiques, expositions virtuelles) sont mises à disposition de tous, traitées comme des ressources moissonnables et réu-tilisables par d’autres enseignants, des bibliothécaires, etc. Enfin, le PIP sert de porte d’entrée tout public vers le musée national et les grottes ornées offertes à la visite dans toute la vallée de la Vézère.

Plutôt complémentarité que fusion : et maintenant ?

Le passage au numérique et l’accé-lérateur qu’est la BnsA depuis dix ans en Aquitaine ont joué un rôle impor-tant dans la réflexion des collectivités territoriales et de l’État sur leurs équi-pements et la gestion de leurs collec-tions. En mettant en œuvre la logique de subsidiarité, on réalise et met en place ensemble ce qu’aucun des par-tenaires ne pourrait réussir seul : c’est vrai pour les locaux, que l’on mutua-lise partiellement à Pau ou que l’on crée par défaut ex nihilo aux Eyzies,

avec une structure administrative por-teuse de niveau correspondant (agglo-mération ou EPCC). Mais il n’y a fu-sion ni des collections, ni des équipes, ni des locaux de conservation. En dix ans, aucune proposition en ce sens n’est arrivée à la Drac. Les lieux de-meurent avec leur spécialisation, leur gestion technique et scientifique des fonds.

La « confluence » est désormais réelle, dans l’espace numérique qui est le sien, avec les précisions appor-tées plus haut : forte confluence cata-lographique, apports riches et divers en ressources. Les deux chantiers actuels, le rapport aux bases natio-nales d’une part, l’enrichissement des ressources par des productions éditoriales en divers points du réseau d’autre part, sont intimement liés : le moissonneur est moissonné, et inver-sement, offrant aux membres du ré-seau d’importantes ressources, très fa-vorables à des productions éditoriales d’enrichissement, expositions vir-tuelles ou autres, elles-mêmes entrant dans le fonds commun numérique.

Le programme des manuscrits mé-diévaux, avec ses dix points de conser-vation en Aquitaine, le partenariat avec la BnF et avec l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) est un bon atelier pour apprendre l’enri-chissement des ressources permis par la confluence. Celui sur les fonds basques ou pyrénéens en est un autre, de même que le rapport régional au moteur national « Collections » et, au-delà, à Europeana.

L’ouverture progressive de l’accès aux ressources et de leur mutualisa-tion propose comme un défi l’intel-ligence de leur présentation et la qualité de leur mise en perspective : la confluence est une réalité dans cet espace numérique. Elle ne semble pas aller, dans notre expérience, vers des solutions radicales de fusion de collec-tions, d’espaces ou de métiers, mais plutôt vers des échanges, des partena-riats, des complémentarités, des ajus-tements, respectueux de la diversité initiale. Sans doute est-ce un atout pour garantir la pluralité des regards et des approches. •

Mai 2011

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La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations :

Rapprocher les équipements culturels municipaux n’est pas une idée neuve à Roubaix.

Longtemps, le sort de la bibliothèque, des archives et du musée furent liés et, après s’être éloignés au gré de di-verses péripéties, ces institutions se retrouvent aujourd’hui à travers des projets communs, au sein d’espaces partagés, réels et virtuels.

Théodore Leuridan, le précurseur

Commençons par rendre hom-mage à notre illustre devancier, Théo-dore Leuridan (1819 – 1900), lequel se présentait dans son Histoire de Rou-baix 1 – œuvre monumentale en cinq volumes – comme « le conservateur de la bibliothèque, des archives et du musée industriel de cette ville ». À la lecture des quelques lignes qu’il consacre à la mise en place de ces « institu-tions communales » au milieu du xixe siècle, on admire le volontarisme de ses prédécesseurs et de lui-même, qui ne s’attardaient pas sur la perti-nence ou non de ces « confluences », sur le bien-fondé de ces « chevauche-ments », et se jetaient à corps perdu dans une rude entreprise où il s’agis-sait à la fois d’organiser une biblio-thèque ouverte au plus grand nombre,

1. Théodore Leuridan, Histoire de Roubaix : 1860-1864, 5 volumes (vol. 1 et 2 : Histoire religieuse, vol. 3 : Histoire féodale, vol. 4 : Histoire communale, vol. 5 : Histoire industrielle).

de constituer un musée industriel, de réunir les éléments d’un musée artis-tique et numismatique et enfin de ras-sembler et d’inventorier les archives communales. Vaste programme, sans nul doute, ambitieux également, quoiqu’il ne faille voir à cette époque aucune incongruité à confier à un seul homme érudit et laborieux la destinée de tant d’institutions à la fois.

Splendeurs et misères des institutions culturelles municipales

Chacune des institutions cultu-relles de la ville de Roubaix connut successivement gloires et déboires. La bibliothèque et le musée furent cédés par convention à l’État en 1882 pour permettre l’installation d’une école nationale d’ingénieurs textiles sur le territoire roubaisien. La conven-tion stipulait dans son article 2 que « la ville cède gratuitement à l’État pour l’organisation de cette école […]. 1. Un terrain d’environ 13 200 mètres de super-ficie sur lequel l’école sera établie […]. 3. La collection du Musée de la Ville. 4. La bibliothèque actuelle de la Ville, moins les choses nécessaires au service des archives de la Ville qui se trouve en ce moment joint à celui de la bibliothèque 2 ». Les

2. Jean-Marie Oudoire, La bibliothèque de l’Ecole nationale supérieure des arts et industries textiles de Roubaix, 1886-1890, Roubaix, archives municipales, RIII AB 1 (mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, université de Lille 3, 1986).

Esther de ClimmerMédiathèque et archives municipales de [email protected]

Conservateur territorial, Esther de Climmer est directrice de la médiathèque de Roubaix depuis 2003, et des archives municipales depuis 2010. Elle a été notamment en poste au centre de coordination bibliographique et technique de la Bibliothèque nationale, et à la bibliothèque de sciences sociales de l’université de Tel Aviv. Elle est titulaire d’une licence d’histoire, d’une maîtrise des sciences de l’information et de la documentation, et d’un diplôme supérieur de bibliothéconomie de l’université Bar Ilan, Ramat Gan (Israël).

ARChIVES, MÉDIAThèQUE, MUSÉE DE LA VILLE DE ROUBAIx

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collections déménagèrent donc, à l’ex-ception des archives.

Celles du musée s’en trouvèrent à leur aise pour un temps. Le bâtiment qui les abritait désormais leur offrait des conditions de visite et de conser-vation sensiblement améliorées, en conséquence de quoi elles s’enri-chirent grâce à de nombreux dons et d’importantes attributions de l’État 3.

Ce ne fut pas le cas pour celles de la bibliothèque. Mélangées avec les documents propres aux enseigne-ments dispensés dans cette école, les collections originelles de la bi-bliothèque municipale furent négli-gées. Quoi qu’il en soit, le sort de ces institutions était lié. Le lieu qui les hébergeait dut fermer à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les col-lections furent au mieux oubliées, au pire pillées et vandalisées pendant près de quarante ans.

Regain

En 1959, un nouvel équipement de lecture publique – « populaire » disait-on alors – voit le jour. Il était temps. Privés de bibliothèque pen-dant soixante-dix ans, les Roubai-siens l’investirent en nombre et se l’approprièrent. Le succès fut tel que la direction générale des bibliothèques présentait la bibliothèque de Rou-baix comme un modèle et évoquait la possibilité de la faire classer 4. La pro-cédure est mise en œuvre, et le clas-sement intervient en 1972. Roubaix fait partie de la dernière vague des villes à bénéficier du classement de sa bibliothèque municipale 5, ce qui permit à la municipalité d’envisager et de mener à bien la construction d’un

3. Bruno Gaudichon, « Quelques musées en un », in La Piscine Musée d’art et d’industrie de Roubaix, 2001, p. 45-56.

4. Sur le classement des bibliothèques encore valable à cette époque, voir : Agnès Marcetteau-Paul, « Les bibliothèques municipales », in Histoire des bibliothèques françaises. Les bibliothèques de la Révolution et du xixe siècle : 1789-1914, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, 1992, p. 446.

5. Le classement est publié au Journal officiel du 28 avril 1972. En bénéficient en même temps que Roubaix les villes d’Autun, de Chalon-sur-Saône et de Chambéry.

nouvel équipement : l’actuelle média-thèque de Roubaix, idéalement située en centre-ville.

Le musée pour sa part dut attendre plus longtemps, mais finalement la patience paya. Une partie du fonds fut entreposée dans un local de l’hôtel de ville ; le reste des collections, d’origine et de provenance diverses, enrichies par la suite par des achats et des dons, fut dispersé. Les œuvres ne dispo-

saient pas de conditions dignes d’ex-position et de conservation.

L’idée de réunir les éléments pré-servés de ces fonds se fait jour au début des années 1980. Le lieu est trouvé : l’ancienne piscine munici-pale ; cet exceptionnel bâtiment art déco construit entre 1927 et 1932 par l’architecte Albert Baert, fermé en 1985 pour des raisons de sécurité, sera réhabilité par Jean-Paul Philippon

Médiathèque municipale de Roubaix, ms. 6, Heures d’Isabeau de Roubaix, f o 91 : le couronnement. © Médiathèque de Roubaix

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La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations :

pour devenir « Roubaix La Pis-cine – Musée d’art et d’industrie André Diligent », dont le succès depuis son ouverture en 2001 ne se dément pas 6.

Ainsi, les deux équipements cultu-rels roubaisiens s’installent durable-ment chacun dans leurs quartiers, chacun à distance des archives conser-vées et consultables au sein de l’hôtel de ville.

Les retrouvailles

Les retrouvailles seront scienti-fiques, technologiques, culturelles et numériques enfin. Elles permettent aux équipements de rester en contact, d’interagir, de partager leurs savoir-faire et leurs compétences, les uns au service des autres.

Au cours des années 1990, le microfilmage de la presse locale an-cienne 7 est pensé à partir des jour-naux conservés à la médiathèque et aux archives municipales, et plus lar-gement dans tous les établissements où les titres peuvent se trouver, des archives départementales du Nord à la Bibliothèque nationale de France. L’objectif est double : proposer un corpus le plus complet possible ; le rendre consultable dans les deux équipements roubaisiens. À partir de 2000, la médiathèque réalise le trai-tement documentaire et l’informatisa-tion de la bibliothèque du musée La Piscine, afin que les 5 000 monogra-phies sur l’art contemporain et les arts graphiques qui la composent soient visibles et intégrées au catalogue en ligne. Enfin, chaque manifestation culturelle à l’échelle de la ville est l’oc-casion pour toute structure de partici-per, d’accompagner, d’enrichir l’événe-ment par le biais de coproductions.

6. « Classement des musées : la Piscine de Roubaix premier musée de province et 5e musée de France », Journal des arts du 9 juin 2008.

7. Un siècle de presse roubaisienne : 1829-1914, Roubaix, Médiathèque de Roubaix, 2004.

La bibliothèque numérique de Roubaix

La réalisation la plus aboutie reste cependant la Bibliothèque numérique de Roubaix (bn-r). Entre la première évocation de ce projet en 2004 et le choix final du nom du site : Biblio-thèque numérique de Roubaix et du nom de domaine : bn « tiret » r ou bn-r (le sigle bnr étant déjà utilisé par la Banque nationale du Rwanda…) en 2006, tout est allé très vite.

La bn-r naît d’un regret : il manque un outil qui rassemblerait les res-sources locales patrimoniales disper-sées dans les équipements culturels de la ville. Elle naît aussi d’un espoir : faire mieux connaître le passé roubai-sien, amarrer la mémoire locale, per-mettre de comprendre et d’apprécier le caractère spécifique et l’identité de la ville. Durablement marquée par le développement de l’industrie au xixe siècle, Roubaix affronte une crise majeure à partir des années 1960 et connaît depuis de profondes muta-tions et des projets de reconversion aussi variés qu’ambitieux, notamment à travers son dynamisme culturel et la mise en valeur de son patrimoine 8. Ainsi, ces initiatives en faveur de l’ap-propriation par le plus grand nombre de la mémoire locale revêtent une importance particulière dans cette ville en pleine mutation et trouvent une traduction idéale au sein de la Biblio-thèque numérique de Roubaix.

La genèse du projet

Le projet voit le jour dans un contexte favorable. La médiathèque vient de se réinformatiser et envisage de créer un site internet pour per-mettre la consultation de son cata-logue et de quelques informations pratiques. Parallèlement, les seules collections déjà numérisées de la médiathèque, trois manuscrits à pein-ture du xve siècle 9, ne sont pas plus

8. Une originalité qui lui vaudra d’obtenir en 2001 le prestigieux label Ville d’art et d’histoire.

9. Heures d’Isabeau de Roubaix, ms. 1460, parchemin, 191 feuillets, 18 peintures ; Oraisons de Saint Augustin, ms. xve siècle,

visibles en format numérique qu’ils ne le sont dans leur matérialité. Enfin, les questions récurrentes que pose la consultation régulière et en consé-quence la conservation de certaines collections patrimoniales, principale-ment iconographiques (cartes postales anciennes, photographies, affiches…), pourraient trouver dans la création d’une bibliothèque numérique une réponse opportune.

Alors, voyons grand ! Si la média-thèque peut enrichir le site qu’elle prévoit de construire à partir de ses collections patrimoniales numérisées, pourquoi ne pas envisager d’y présen-ter également les éléments du patri-moine local dispersés non seulement dans les équipements municipaux – musée, archives, conservatoire –, mais encore chez certains particuliers, dont les collections nous font, nous, professionnels, parfois pâlir d’envie, et enfin tout ce que l’on peut trouver dans les institutions des villes ou col-lectivités voisines. Somme toute, un projet généreux, puisque la média-thèque propose à partir de son exper-tise d’offrir une vitrine à un corpus documentaire éclaté mais dont la co-hérence n’est pas à démontrer.

Encore faut-il trouver les moyens. La municipalité de Roubaix, résolu-ment engagée dans la lutte contre la fracture numérique, de même que le ministère de la Culture et de la Com-munication, qui soutient activement les projets de numérisation, vont garantir les moyens financiers pour permettre la création de cette inter-face numérique. Il faut alors trouver des réponses d’ordre technique et pra-tique pour organiser la future Biblio-thèque numérique de Roubaix. Or, en 2005, rares sont encore les réali-sations de même nature abouties, et sur lesquelles prendre exemple. C’est finalement une bonne chose, car la bibliothèque numérique y gagnera en personnalité et en originalité.

parchemin, 62 feuillets, 8 miniatures ; Heures à l’usage des filles de Saint Augustin, du Couvent Sainte Élisabeth à Roubaix, ms., parchemin, xvie siècle, 102 feuillets, 2 peintures. Ces manuscrits sont accessibles sur le site de la Bibliothèque numérique de Roubaix : www.bn-r.fr

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La mise en œuvre

Les deux années qui précèdent la mise en ligne vont être activement consacrées à la désignation des ac-teurs, à la définition du périmètre do-cumentaire, aux choix scientifiques et techniques (définition des formats de numérisation, structure de la base de données, possibilité d’importer et d’ex-porter les données, langage documen-taire…), au lancement d’une consulta-tion et au choix d’un prestataire 10, et enfin à la formation des intervenants dans la future bibliothèque numé-rique.

Formation à la description docu-mentaire d’abord. Pour des bibliothé-caires, rompus à l’exercice, faut-il s’en étonner ? Non, car la construction de la bn-r nous oblige à nous aventu-rer vers des territoires inconnus : la norme ISAD(G)11 et le format EAD 12 généralement utilisés par nos collè-gues archivistes et mieux adaptés pour permettre l’organisation simplifiée et homogène d’une base de données composée de documents et de corpus diversifiés, tout en demeurant norma-lisée de manière à pouvoir être ensuite mutualisée dans des bases plus vastes. Formation aux techniques de numé-risation également, car si certains corpus composés de documents fra-giles ou complexes à numériser sont confiés à des sociétés extérieures, tout ce qui peut être numérisé en interne l’est, par mesure d’économie. En réa-lité, cela concerne la plus grande part des collections à numériser : docu-ments graphiques ou iconographiques à plat dont le format est inférieur ou égal à un format A3.

Au sein de chaque équipement, un ou plusieurs référents s’emploient donc activement à construire le contenu de la bn-r, numérisation et description, de manière à offrir un ensemble au volume conséquent et at-trayant à l’outil, dont le lancement est prévu en 2008.

10. La société W3Line.

11. ISAD(G) – International Standard Archival Description (General) : www.ica.org/biblio/isad_g_2f.pdf

12. EAD – Encoded Archival Description : www.loc.gov/ead

À quoi ressemblera-t-elle ?

Dès le début, l’ambition est de présenter les collections numérisées de manière à permettre une naviga-tion simple et intuitive. Les accès de recherche prévus porteront sur des thèmes ou des sujets, et il sera égale-ment possible de naviguer dans les col-lections à partir d’accès géographiques sur un plan de Roubaix et chronolo-giques sur une frise remontant du Moyen Âge jusqu’à nos jours. Enfin, les collections de chaque partenaire seront interrogeables spécifiquement.

Le référencement fait également l’objet d’une attention toute particu-lière, car la valorisation de la biblio-thèque numérique de Roubaix en dépend. En effet, il ne suffit pas de pu-blier des ressources sur internet pour que le public en ait connaissance. Aussi, le soin apporté à la construction du site, les stratégies de mutualisation avec d’autres bibliothèques numé-riques (notamment grâce au respect du protocole OAI-PMH 13), et enfin l’ouverture de la bn-r à des moteurs de recherche généralistes doivent per-mettre d’obtenir les effets désirés.

Le lancement et après…

Inaugurée en 2008 avec 16 000 images numérisées et référencées, la bn-r en propose aujourd’hui près de 50 000 et ne compte pas s’arrêter là. Elle a fait l’objet depuis son lan-cement de plusieurs réajustements, notamment dans l’affichage des collec-tions, pour permettre une meilleure visibilité des arborescences induites par le référencement. Elle intègre également ce que nos collègues archi-vistes appellent des « instruments de recherche », ou des inventaires très détaillés de fonds d’archives privées 14

13. Voir notamment : François Nawrocki, Le protocole OAI et ses usages en bibliothèque, Ministère de la Culture et de la Communication, 2005. En ligne : www.culture.gouv.fr/culture/dll/OAI-PMH.htm

14. Notamment les archives privées du sénateur maire André Diligent (1919-2002) données à la ville de Roubaix et déposées à la médiathèque en 2007.

déposés à la médiathèque, ce qui nous a obligés à revoir nos fondamentaux et à nous engager plus loin encore dans cette discipline.

Last but not least, elle est acces-sible depuis juillet 2010 sur le site de Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, ce qui constitue évidemment un atout supplémentaire et une reconnaissance bienvenue, d’autant qu’elle se révèle être, en terme de volume, le qua-trième site moissonné par sa presti-gieuse aînée et seulement la deuxième bibliothèque numérique municipale après celle de Toulouse 15. Reste à référencer les ressources en ligne sur Gallica afin de leur donner accès via la bn-r… Le public des uns pourra ainsi devenir le public des autres (toutes proportions gardées !).

En 2010, une enquête des publics de la bn-r révèle, entre autres, que les moins de 19 ans accèdent très peu à cette base ressource, plus connue des amateurs d’histoire et des profession-nels, alors même que son ambition première était d’attirer, aussi, le grand public : habitants, curieux, touristes.

Les actions de valorisation seront mises en place dans les années à venir. Là encore, un travail isolé man-querait de pertinence. Les intérêts du service « Ville d’art et d’histoire » et de la bn-r se rejoignent bien évidem-ment. Les dimensions pédagogiques et d’animation du patrimoine de ce label incitent les équipes à travailler ensemble afin de faire parler l’histoire locale, de la faire vivre. La création d’outils éditoriaux tels que l’exposi-tion virtuelle sur le canal de Roubaix marque le début d’une coopération intéressante 16. De même, un travail de proximité avec l’office de tourisme, promoteur dynamique de l’image de la ville, tend à se développer, pour qu’his-toire locale physique et virtuelle se rejoignent.

15. Guillaume Godet, « Gallica une plateforme numérique au service des bibliothèques », in Demain le patrimoine : 13es Journées des Pôles associés et de la coopération, 7 et 8 octobre 2010, Bibliothèque nationale de France, co-organisée par la bibliothèque municipale de Lille et la direction régionale des affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais.

16. http://canalderoubaix.bn-r.fr

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La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations :

Les corpus numérisés encore à publier sur la bn-r concernent le ser-vice des archives (registres d’état civil et de catholicité, registres de dénom-brement, actes de concession du ci-metière municipal…), le patrimoine musical local enregistré et noté – en lien avec le conservatoire de Roubaix (un autre partenaire) –, et la presse ancienne de Roubaix et de Tourcoing : près de 400 000 images numérisées dans le cadre d’un partenariat avec la bibliothèque municipale de Tourcoing – ainsi, les confluences dépassent même les frontières des territoires administratifs.

En rester là ?

La rencontre des équipements et de leurs collections et la confrontation des pratiques professionnelles à travers ces initiatives ont fait naître des envies, envies qui n’ont pas tardé à prendre forme en termes d’organisation.

Les archives municipales n’ont pas vraiment profité de la dynamique des autres équipements culturels muni-cipaux. Le projet municipal de faire l’acquisition d’un bâtiment contigu à

la médiathèque pour permettre, d’une part, l’extension de cette dernière et, d’autre part, le déménagement des ar-chives municipales, trop à l’étroit dans les sous-sols de l’hôtel de ville, aurait pu donner sens au projet de rappro-chement entre ces services, et aurait permis de le matérialiser. Hélas, la crise est passée par là, et, s’il n’est plus question de rapprochement physique, provisoirement (?), la ville de Roubaix ayant renoncé à son projet d’achat, les deux services ont pourtant sort lié. Les archives municipales dépendent depuis 2010 de l’organigramme de la médiathèque, et les pôles Patrimoine, Informatique et Projets de numérisa-tion de ladite médiathèque travaillent déjà très étroitement avec le service des archives. Ce rapprochement est bénéfique aux deux entités autrefois séparées. Du point de vue de la ratio-nalisation et de la mutualisation des pratiques professionnelles d’abord, du point de vue des collections ensuite – collections dont la gestion partagée est la garantie de meilleures condi-tions de référencement –, de conserva-tion et de valorisation enfin.

À Roubaix, ville d’art et d’histoire, le rapprochement des institutions

culturelles s’est construit autour du document, autour du patrimoine, et dans le cadre de différents projets. Musée et médiathèque unissent leurs forces pour cataloguer leurs fonds, archives et médiathèque réunies for-ment des plans pour partager leurs expertises et leurs publics, et tous ces équipements (et d’autres encore !) ali-mentent la plate-forme commune : la Bibliothèque numérique de Roubaix, pour offrir au plus grand nombre, grâce à la numérisation et à la mise en ligne, un accès à leurs collections patrimoniales. Ainsi, la boucle est bouclée, confluences et synergies sont mises en œuvre dans ces projets aux multiples ramifications, et hommage est rendu à Théodore Leuridan ainsi qu’à ses successeurs 17, sans lesquels rien ne serait possible. •

Mai 2011

17. Que soient nommées ici en guise de remerciements les chevilles ouvrières de ces projets : Géraldine Bulckaen, Adeline Cases, Virginie Delaine, Élise Laviéville, Stéphanie Parizot… et tous les autres.

« La fabrication du tissu – Les métiers à retordre », carte postale, BF, 1910. © Médiathèque de Roubaix

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ces Portrait d’un sculpteur

en collectionneur, historien et archiviste : Auguste Rodin

Les collections liées aux arts sont souvent celles qui posent le plus de problèmes en termes d’hété-

rogénéité des contenus, des formes, des modes de classement, de descrip-tion, d’accès et de recherche. Il est parfois difficile de distinguer, dans ces collections, ce qui relève de l’œuvre et ce qui relève de son commentaire, le second venant bien sûr éclairer le pre-mier – mais pas seulement. Quand les collections ont été qui plus est accu-mulées par l’artiste lui-même, habité par sa propre logique de leur appro-priation autant que par la continuité de sa création, alors les défis à relever deviennent souvent colossaux, d’avoir à préserver tout à la fois la rigueur scientifique et le souci de servir l’ar-tiste et son œuvre sans minimiser ses zones d’ombre, d’éclairer sa mémoire sans occulter son histoire.

Les collections du musée Rodin sont, à cet égard, un bon exemple des problématiques soulevées, qu’il faut aborder tout à la fois de manière pro-saïque, voire triviale, et dans l’ambi-tion de préserver aujourd’hui un passé dont l’appréhension, la valorisation, peuvent largement évoluer selon les époques, les modes, les besoins. Ainsi, la vision des archives, de la documen-tation, de la bibliothèque, des collec-tions de photographies rassemblées par Rodin a singulièrement évolué au fil des ans.

Pour mieux le comprendre, il faut remonter aux sources constitutives, non seulement de l’œuvre du sculp-teur, mais aussi, voire surtout, du dis-cours autour de cette œuvre.

Cette histoire commence en 1877, l’année où Rodin expose une sculp-

ture, L’âge d’airain, qui connaît un succès de scandale qui le propulse sur la scène artistique parisienne. En 1880, la commande de l’État pour une porte destinée au futur musée des Arts décoratifs, la Porte de l’enfer, vient confirmer cet engouement et lui per-met d’obtenir un atelier au Dépôt des marbres qu’il conservera sa vie durant. Peu de temps après, l’artiste, savou-rant sans doute une notoriété qui s’est longtemps fait désirer, s’abonne à l’Argus de la presse, et conserve toutes les coupures de journaux où figure son nom, souligné d’un trait au crayon bleu, que cette nouvelle agence lui envoie 1. Inutile de préciser que cette collecte, constituée de la volonté de l’artiste même, et qui constituera sa vie durant comme un regard qu’on n’appelait pas encore médiatique sur sa carrière, devient rapidement, et demeure aujourd’hui, une source inestimable de connaissances autour de Rodin, mais aussi de sa reconnais-sance artistique et personnelle, en même temps qu’elle signifie la pleine conscience par l’artiste de ses succès présents, mais aussi l’anticipation de la postérité de son œuvre.

Rodin a tout gardé

Les critiques et hommes de lettres français et étrangers commencent par écrire sur lui des articles, puis, une fois que l’œuvre a pris toute son am-pleur, c’est-à-dire à la fin des années 1890, ils publient des ouvrages illus-

1. L’Argus de la presse est créé en 1884.

Hélène PinetMusée [email protected]

Diplômée de l’École du Louvre, hélène Pinet est actuellement chef du service de la recherche, des archives, de la bibliothèque et de la documentation et responsable scientifique des collections de photographies du musée Rodin. Elle est l’auteur de nombreuses publications sur la sculpture et la photographie : Rodin, les mains du génie (Gallimard, 1988), Camille Claudel, le génie est un comme un miroir (Gallimard, 2003), etc. Elle a été commissaire et commissaire associée des expositions « La photographie pictorialiste » (musée Rodin, 1993), « L’art du nu au xixe siècle. Le photographe et son modèle » (Bibliothèque nationale de France, 1997), « Eros, Rodin et Picasso » (Bâle, Fondation Beyeler, 2006), « Rodin et la photographie » (musée Rodin, 2007), « Isadora Duncan, une sculpture vivante » (musée Bourdelle, 2009), « Henry Moore, l’atelier » (musée Rodin, 2010).

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Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste Rodin

trés de photographies fournies par le sculpteur lui-même. Devenus des amis, Gustave Geffroy et Camille Mau-clair, pour n’en citer que quelques-uns, lui envoient leurs romans, leurs recueils de poésie dédicacés. Ces ouvrages forment le cœur de la bi-bliothèque de Rodin. Ils constituent un panorama passionnant du milieu littéraire de cette fin de siècle, et on regrette seulement de ne pas y trou-ver l’exemplaire des Fleurs du mal de Baudelaire ou encore de L’enfer de Dante qui ont été longtemps ses sources d’inspiration, et qu’il gardait au fond de ses poches. Il reste en fait très peu de livres annotés par l’artiste. On le sait, les bibliothèques d’érudits, d’artistes, de chercheurs, constituent

souvent des ensembles précieux non seulement par les collections qu’ils contiennent, mais aussi par les infor-mations qu’on peut déduire de leur existence et de leur recensement sur les influences que l’artiste a pu, ou non, subir, sur ce qui constitue le ter-reau de son œuvre, même si, d’évi-dence, s’agissant de Rodin, ce terreau ne se peut uniquement nourrir d’une bibliothèque.

Par ailleurs, au fil du temps, Rodin échange avec la terre entière une cor-respondance plus ou moins nourrie selon les travaux en cours, le degré d’intimité ou la force des liens ami-caux ou professionnels qu’il entre-tient avec les peintres, les hommes politiques ou de lettres, les danseuses,

les sculpteurs, les photographes, les architectes ou encore les modèles qui lui écrivent. Cet ensemble d’imprimés et de manuscrits reste aujourd’hui une source inépuisable d’informa-tions sur sa carrière et sur ses œuvres, mais aussi sur les personnalités qu’il a fréquentées ou simplement cô-toyées, et plus largement sur toute son époque.

On le voit donc, Rodin conservait de manière presque obsessive tout ce qui avait trait à son œuvre, tout à la fois les conditions de sa naissance, les circonstances de sa création et les aléas de sa réception : les ensembles manuscrits et imprimés ainsi rassem-blés sont considérables, qui éclairent aussi bien l’œuvre que l’homme – si

Caricature : Rodinet le monument à Balzac parue dans La Presse, 27 février 1901. Archive du musée Rodin, donation A. Rodin, 1916

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tant est que les deux soient disso-ciables.

Encore cette collecte n’était-elle pas même limitée aux livres, corres-pondances, coupures de presse. De la même manière qu’il a conservé dans ses ateliers toutes, ou presque, ses études en plâtre, d’innombrables ver-sions de certains bustes, des dizaines et des dizaines d’abattis mais aussi de sculptures monumentales, Rodin a tout gardé, de la note du tailleur à la facture de ses praticiens en passant par les lettres de Claude Monet ou d’Octave Mirbeau, sans oublier les lettres affectueuses ou enflammées des femmes qui ont partagé ou sim-plement traversé sa vie.

La posture semblera fascinante, qui ne se soucie pas de sélectionner l’important de l’accessoire, le trivial du sublime, le décisif de l’anecdotique, voire l’avantageux du désavantageux : l’artiste capitalise son œuvre, mais aussi les traces de sa vie, dans une démarche d’amassement qui, on s’en doute, va laisser en héritage de redou-tables problèmes (pour rester pro-saïque) documentaires.

En effet, Rodin n’a rien trié et tout transmis à la postérité, du moins ce qui n’a pas été égaré au cours de ses divers déménagements, en trois dona-tions successives faites à l’État fran-çais en 1916 2 en vue de la création d’un musée rassemblant ses œuvres, ses collections et ses archives à l’hôtel Biron.

Une question se pose : comment l’artiste arrivait-il à s’y retrouver au milieu de cette masse de documents ? À qui fait-il appel pour l’aider à clas-ser, ranger, trier mais aussi répondre au courrier toujours plus abondant au fur et à mesure que sa carrière avance et qu’il devient un artiste connu, re-connu et enfin célèbre ?

Sa correspondance nous donne une liste sinon exhaustive du moins très précise des nombreuses person-nalités qui ont joué un rôle occasion-nel ou régulier de secrétaire. L’homme de lettres Pierre Maël est le premier à apparaître comme tel en 1898. Par la

2. 1er avril, 13 septembre et 25 octobre, publiées au Journal officiel du 24 décembre 1916.

suite, René Chéruy, le poète Rainer-Maria Rilke, l’helléniste Mario Meu-nier et bien d’autres moins connus vont se rendre à la villa des Brillants à Meudon où Rodin vit depuis 1896 avec sa compagne Rose Beuret.

Si la lecture de leurs correspon-dances nous éclaire sur leur rapport avec l’artiste – souvent difficile – et sur le type de travail qu’il leur deman-dait, elles ne font jamais état de la manière dont ces documents étaient classés, ni où ils étaient entreposés, et les photographies de l’époque ne nous aident guère plus en la matière. Autant dire que, au moment de la mort de Rodin, les « archives » Rodin constituent une masse, mais pas un ensemble, un cumul, mais pas une somme raisonnée, laissant à l’État des-tinataire la redoutable charge de forcer la cohérence de cette « monstrueuse » collection.

Après la mort de Rodin

C’est Léonce Bénédite, conser-vateur du musée du Luxembourg et proche de Rodin, qui devient le pre-mier conservateur du musée Rodin en 1919. Dans un des premiers comptes rendus qu’il fait au conseil d’admi-nistration, il explique qu’à l’occasion d’une visite à Meudon à la fin de la vie du sculpteur, époque où s’affrontent de multiples intérêts personnels, il découvre que « le désordre était partout, dans la maison, dans les collections ; les marbres, les modèles, les moules étaient épars et confondus à travers les divers domiciles, ateliers ou dépôts de l’artiste ; le désordre était plus grave dans les af-faires ».

Très vite, il rassemble les sculp-tures dispersées dans huit lieux diffé-rents, et précise : « Quant aux papiers du Maître, et à la correspondance, ils ont été transportés de Meudon à Paris dans un cabinet spécial, la correspon-dance scellée, en présence de témoins, pour qu’aucune fuite ne se produisît en route » ; il précise que « la gestion du patrimoine artistique était autrement complexe et l’obscurité régnait sur la plu-part des affaires du Maître. Aucune trace n’en était conservée par des secrétaires nombreux qui s’étaient succédé trop rapi-dement. Les innombrables registres, qui

donnent une première impression d’orga-nisation, s’arrêtent ordinairement à la 3e page 3. »

L’autonomie financière dont béné-ficie le nouveau musée, voulue par Rodin, implique que son directeur trouve des ressources pour le faire vivre et entretenir les bâtiments, dont certains en très mauvais état, à Paris et à Meudon. Cet impératif financier ne laisse sans doute guère de temps à Léonce Bénédite pour se pencher sur le sort de ces papiers, car Georges Grappe qui lui succède relate qu’à son arrivée en 1926 « il n’existait aucune ar-chive de quelque nature que ce fut qui fût classée. La correspondance, les dessins, le mobilier, les collections artistiques, la bi-bliothèque, la documentation de l’œuvre faisant partie de la donation n’avaient pas été inventoriés 4. »

Pour remédier à cette situation, Grappe engage, l’année de sa nomi-nation, Jean-Paul Hippeau en tant qu’archiviste. Dix ans plus tard, celui-ci « a déjà rendu les plus grands services au musée en classant », selon ses direc-tives, « les huit mille dessins de Rodin ; en ouvrant le registre où ils sont minutieuse-ment classés, en dépouillant tous les pa-piers du Maître et de ses correspondants, en dressant l’inventaire, en un mot de tout ce que nous avons trouvé à mon entrée en fonctions dans un absolu désordre 5. »

On le voit, le souci de l’archi-viste est double, qui enregistre tout à la fois l’œuvre (ou, mais c’est un point de vue, l’esquisse de l’œuvre), tâche sans doute prioritaire, et son contexte, même si cette apparence contextuelle n’est, d’évidence, pas vou-lue comme telle. Pour autant, ce sont bien les œuvres qui sont favorisées, aux dépens des archives proprement dites, dont l’importance, sans être négligeable, ne peut autoriser qu’elles soient perçues comme à privilégier par rapport aux œuvres du « Maître ».

La guerre et l’après-guerre n’ont pas été propices à une mise en valeur

3. Rapport présenté par Léonce Bénédite à la première séance du conseil d’administration, 26 mars 1919, archives du musée Rodin.

4. Conseil d’administration du 23 mai 1936, archives du musée Rodin.

5. Conseil d’administration du 23 novembre 1936, archives du musée Rodin.

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Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste Rodin

de ce fonds d’archives, qui a som-meillé jusqu’au début des années 1970.

Cécile Goldscheider, qui dirigea le musée de 1949 à 1972, plus intéressée par la sculpture en général, organise un nombre impressionnant d’exposi-tions sur la sculpture contemporaine. Elle s’attache aussi à diffuser l’œuvre de Rodin et se montre attentive aux collectionneurs et amateurs qui sou-haitent acheter des œuvres en bronze du sculpteur. Les chercheurs français et étrangers, notamment américains et allemands, se plaignent de ne pou-voir consulter ces archives dont ils connaissent l’existence mais aux-quelles ils ne peuvent avoir accès.

Un classement simple et compréhensible

Il faut attendre la nomination de Monique Laurent en 1972 pour que soit évoquée pour la première fois en conseil d’administration l’ouver-ture des archives aux chercheurs. Les archives 6 (terme qui désignait à la fois des lieux – la salle de tri, l’espace de consultation – et l’ensemble des documents manuscrits et imprimés) étaient regroupées dans l’hôtel Biron, mais disséminées dans tout le bâti-ment. Des boîtes de carton, empilées du sol au plafond de l’entresol où elles étaient entreposées, étaient remplies d’enveloppes contenant des Argus de la presse, des lettres adressées à Rodin, bref tout un ensemble indispensable aux historiens pour mieux comprendre la genèse de l’œuvre, même si, par exemple, on pouvait penser que tout le contenu des Argus pouvait être, au chercheur attentif et méticuleux, dispo-nible dans le dépouillement systéma-tique des journaux et autres publiés du vivant de Rodin et utilisés par l’artiste.

Le mot d’ordre était simple : rendre communicable au plus vite cet en-semble aux historiens de l’art de toutes nationalités. Le choix fut fait de suivre le parti pris de Rodin : tous les docu-ments que le sculpteur avait jugé bon

6. Terme utilisé depuis la création du musée Rodin pour l’ensemble des papiers légués par le sculpteur.

de garder seraient gardés et traités. On donnait en quelque sorte « raison » à cette logique compulsive d’accumula-tion de l’artiste, qui visait à embrasser (à une époque où, pourtant, cela n’était sans doute déjà plus possible) tout ce qui se pouvait écrire ou publier sur lui. Le mode de classement choisi était volontairement simple et compréhen-sible par tout un chacun, favorisant l’information sur Rodin transmise par les documents : les dossiers des corres-pondants, les dossiers d’œuvres, ceux des personnalités ayant un lien avec le sculpteur, ainsi que les dossiers ma-tières, ont été classés par ordre alpha-bétique.

Il faut aussi noter que les cou-pures de presse sur lesquelles Rodin avait dessiné furent inventoriées avec les dessins, tout comme les photogra-phies de dessins qu’il avait retouchées à la plume ou au crayon. Toutefois,

les photographies, aussi annotées par Rodin mais représentant des sculp-tures, ont été inventoriées avec la col-lection de photographies. Suivant la même idée que le dessin prime sur l’écrit, les cinquante carnets de notes de Rodin qui comportent de simples croquis se trouvent dans la collection de dessins ; les autres, une cinquan-taine, sont conservés aux archives.

Ces choix engendrent forcément autant d’avantages que d’inconvé-nients et font, sans doute, dans la communauté des chercheurs, autant de satisfaits que de mécontents. Ils témoignent en tout cas d’un souci qui, s’agissant d’un artiste plastique, est prégnant, et non dénué d’étranges ré-sonances sur la nature même de l’art : à partir de quel moment un document peut-il prétendre au statut « d’œuvre d’art » ? On s’en doute, ce n’est pas aux tenants des pratiques documentaires

Eduard Steichen, Balzac de Rodin, 1908. Tirage au charbon et platinotype. Inv. Ph 222. Musée Rodin, donation A. Rodin, 1916

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de répondre à une telle question. Mais il est intéressant de noter que ce sont ces mêmes pratiques documentaires qui permettent, parfois, de la poser, d’obliger à tracer lignes et frontières, à poser fractures et ruptures entre des ensembles sinon indifférenciés.

Les photographies de Rodin

Les photographies que Rodin avait commandées à différents photographes de son temps ont joué un rôle très important pour la diffusion de son art dès les années 1880 7. Elles sont restées jusque dans les années 1970 regrou-pées dans des cartons à dessins, à une époque où on commençait à peine en France à mesurer à la fois leur valeur esthétique et leur intérêt documentaire. Albert Elsen et Kirk Varnedoe, deux grands spécialistes de Rodin, ont été les premiers à les étudier, mais sous un angle plus « rodinien » que photo-graphique. Cet ensemble se compose de portraits de Rodin, de ses proches et de son entourage réalisés par des ama-teurs mais aussi par des portraitistes qui ont acquis depuis leurs lettres de noblesse, et surtout de représentations de sculptures réalisées par des photo-graphes peu ou pas connus comme Bodmer, Michelez, Pannelier.

C’est à partir de 1896 que le sculpteur va faire appel successive-ment à plusieurs photographes pour reproduire l’ensemble de son œuvre, comme Eugène Druet ou Jacques-Ernest Bulloz. Il arrive aussi que ce soit les photographes qui le sollicitent pour avoir l’honneur de reproduire ses œuvres et bénéficier ainsi des retom-bées de sa gloire : Eduard Steichen, Stephen Haweis et Henry Coles, qui appartiennent à l’école pictorialiste, premier mouvement esthétique en photographie, vont ainsi donner une interprétation très personnelle des sculptures de Rodin.

Cela veut-il dire que leurs images photographiques appartiennent au domaine de la création et doivent être

7. Cf. Rodin et la photographie, sous la dir. d’Hélène Pinet, Paris, Gallimard/Musée Rodin, 2007.

considérées comme des œuvres, alors que celles commanditées par Rodin à Druet et Bulloz pour répondre aux demandes de la presse et de l’édition relèvent, elles, du document ? Vaste débat, tant notre regard sur la photo-graphie a évolué et évolue encore. Ce qui nous paraissait, il y a encore dix ans, comme de simples tirages pure-ment informatifs, est devenu, avec le temps et un regard plus attentif, des images vraiment intéressantes par le cadrage, le choix de la lumière et des fonds.

S’il y avait une leçon à en tirer, c’est que, même en manière de pra-tiques documentaires, il faut tenir compte du contexte de collecte, mais aussi, voire surtout, du contexte d’ap-propriation. En quelque sorte, c’est l’attente des chercheurs ou d’autres partenaires (marchands d’art par exemple) qui peut conditionner les besoins et les pratiques du traitement, et faire franchir à des « documents » la ligne peu définissable qui les sépare des « œuvres d’art ».

Comme pour le reste de la do-nation de Rodin, c’est l’ensemble des photographies qui a été pris en compte, chaque photographie étant classée par titre d’œuvre de Rodin et non par photographe. Considérées de fait comme des œuvres de la collec-tion de l’artiste, elles furent exposées dès 1981 dans la vaste rétrospective consacrée à Rodin à Washington 8. C’était la première d’une longue série d’expositions où les photographies ont été systématiquement présentées en même temps que les sculptures et les dessins du maître.

Avant la mise en œuvre de telles expositions, les photographies réa-lisées à partir des œuvres de Rodin ne bénéficiaient sans doute pas de la considération que leur reconnaissance artistique leur a permis d’obtenir. Mais, comme souvent, ces décisions de traitement ont des revers, et inventaire et classement obligent à des choix par-fois dommageables : ainsi celui de reti-rer des dossiers des correspondances, pour les inventorier avec l’ensemble de la collection de photographies, les

8. Rodin rediscovered, sous la dir. d’Albert E. Elsen, National Gallery de Washington, 1981.

photographies envoyées par des amis ou des relations à Rodin, alors que, pour une meilleure lecture de ces do-cuments, il aurait fallu les laisser là où elles se trouvaient au départ.

Et les sculptures ?

Il faut, enfin, conclure par ce qui, paradoxalement, devrait être l’objet central, le paradigme et l’axe des col-lections, les sculptures. Parallèlement à cette vaste entreprise de rangement, l’inventaire des sculptures se mettait en place dans le même esprit. Long-temps, la répartition des œuvres a suivi l’idée première de Léonce Bénédite : les œuvres abouties, marbres et bronzes, à l’hôtel Biron, les terres et les plâtres à Meudon, les études dans les réserves. Les réserves de Meudon en particulier, où sont encore conservés les plâtres et les moules de l’atelier, regorgeaient de rondes-bosses non inventoriées. L’in-ventaire des sculptures a été entrepris en prenant en compte tous les plâtres, du plus petit ou plus grand, études ou œuvres abouties sans distinction.

Ainsi, les ambitions de Rodin sont aujourd’hui encore servies, de ne pas dissocier son œuvre de ce qui l’entoure, l’explique et permet de la comprendre, quelle qu’en soit l’hétérogénéité : livres, correspondances, archives de tous ordres, photographies, dossiers de presse, etc., sont considérés sinon à l’égal de l’œuvre du moins comme ne pouvant en être dissocié pour « bénéfi-cier » de traitements spécifiques et par-ticuliers, et la logique fondamentale de la collection n’est pas celle de supports, mais bien celle de destination, la vie et l’œuvre de Rodin.

Jusqu’à une époque récente, il n’a jamais été envisagé de faire un tri dans la donation de Rodin. La répar-tition, parfois arbitraire, entre collec-tions et archives, ne fait qu’illustrer des partis pris correspondant à une époque bien précise de l’histoire du musée, et elle ne gêne en rien leur compréhension. Il y a là, sans doute, un cas qui, sans acquérir pour autant la force de l’exemplaire, propose un té-moignage fascinant d’un artiste préoc-cupé certes de son œuvre, mais aussi de sa documentation. •

Mai 2011

Conduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement

de la lecture publique rouennais

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Conduire une dynamique de changement :

Initier le changement, une question de management

L’état d’esprit d’une équipe

Le réseau des bibliothèques de Rouen a subi ces dernières années de pro-fonds bouleversements qui n’ont pas manqué de déstabiliser son personnel : aléas d’un projet de BMVR (bibliothèque municipale à vocation régionale) plu-sieurs fois relancé puis arrêté, entre 1992 et 2003 ; départ, étalé sur quelques mois à peine, fin 2006, de cinq membres sur huit de l’équipe de direction ; dé-marrage fin 2007 de la construction d’une grande médiathèque et annulation du projet, mi-2008, alors que la construction du troisième étage du bâtiment (sur cinq) était en cours ; finalement, lancement, sur les chapeaux de roue, en sep-tembre 2008, d’un projet de développement de la lecture publique, appuyé sur des axes stratégiques complètement différents de ceux des années précédentes.

Dans ce contexte instable, la question qui s’est posée à la nouvelle équipe de direction concernait plus la possibilité d’impulser une nouvelle dynamique d’équipe que la « simple » mise en œuvre de nouvelles orientations, appelées à fluctuer au gré des contraintes budgétaires et des changements politiques. Il s’agissait aussi de proposer à la nouvelle municipalité élue en 2008 un projet de lecture publique créatif qui, par son contenu et ses modalités de mise en place, était susceptible à la fois de permettre une mise à niveau de l’offre de service à la population, dans un temps suffisamment court, et de présenter assez de sou-plesse pour « surfer » sur les évolutions probables d’objectif en cours de route.

Tout projet digne de ce nom repose avant tout sur une équipe : sans les com-pétences, l’enthousiasme et le dynamisme de celle-ci, aucun projet ne peut se dé-velopper et se pérenniser. C’est aussi l’équipe qui porte ensuite ce projet auprès des publics et des partenaires, le diffuse, le valorise, le consolide sur le terrain. Sans sa complète adhésion, la mise en œuvre devient laborieuse et l’ancrage sur la durée, aléatoire.

Il est indispensable que les agents qui composent cette équipe disposent de la capacité de réagir le plus sereinement possible face aux changements inéluctables qui peuvent intervenir, à l’intérieur du projet ou sur la totalité de celui-ci, faute de quoi leur parcours professionnel n’est qu’une longue suite de deuils plus ou moins douloureux, dont ils se remettent parfois avec de très grandes difficultés.

Or, malgré les aléas qu’il avait eus à subir, dans les années précédentes, le personnel des bibliothèques de Rouen n’était, en 2007, pas du tout aguerri pour affronter les changements. Et cela pour différentes raisons : d’une part, comme expliqué dans un précédent article 1, il existait un cloisonnement important entre

1. « Formation à l’accueil et développement de l’intelligence émotionnelle : l’exemple des bibliothèques de Rouen », BBF, 2009, no 4, p. 73-80. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-04-0073-015

LA MISE EN œUVRE DU PLAN DE DÉVELOPPEMENT DE LA LECTURE PUBLIQUE ROUENNAIS

Françoise [email protected]

Directrice des bibliothèques de Rouen jusqu’en avril 2011, Françoise hecquard a été auparavant directrice de la bibliothèque départementale des Yvelines et ingénieur pédagogique à Médiadix. Titulaire du diplôme de conservateur des bibliothèques, elle est aussi titulaire, entre autres, d’un DESS Direction de projets culturels et d’un DEA Formation des adultes, champ de recherche. Parmi ses nombreux écrits, on peut citer : « Formation à l’accueil et développement de l’intelligence émotionnelle : l’exemple des bibliothèques de Rouen », BBF, 2009, no 2 ; « Qu’est-ce que la proximité pour une bibliothèque départementale ? », BBF, 2004, no 2 ; ainsi que l’ouvrage Devenir bibliothécaire-formateur : organiser, animer, évaluer (Éd. du Cercle de la librairie, 2003) en collaboration avec Marielle de Miribel.

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Conduire une dynamique de changement :

n’étaient que les prémisses d’un nouveau fonctionnement, indépendant des projets à mettre en œuvre. Cela s’est révélé indiscutable quand les agents, à la fin de la même année, ont démontré leur capacité à se mobiliser pour finaliser, en quelques mois à peine, la mise à la disposition du public de cinq nouveaux services, immédiatement performants 2.

Les notions de « mode projet » et de « processus de changement »

Avant d’entrer dans la description concrète du proces-sus mis en œuvre à Rouen, il est utile de clarifier deux des concepts sur lesquels ce processus s’est construit.

Le fonctionnement en « mode projet », tout d’abord, a les caractéristiques suivantes, essentiellement différentes de celles des activités courantes d’un service (autrement dénommées « mode métier ») : la singularité ou, en tout cas, la non-répétition a priori ; un niveau d’incertitude sou-vent élevé, avec des objectifs, des échéances, des moyens, des acteurs… qui peuvent s’ajuster en cours de route ; un

2. Journée « Déclic Rn’Bi », le 15 avril 2009. Ces services seront détaillés plus loin.

les sites, les métiers, les secteurs d’activité, les niveaux de responsabilité, avec pour conséquence un faible niveau de solidarité et de cohésion d’équipe ; d’autre part, seule une petite partie de l’équipe avait été véritablement mobilisée sur le projet de grande médiathèque et les agents n’étaient que très partiellement au fait de la manière dont les déci-sions étaient prises, encore moins des raisons d’être de ces décisions, d’où un faible niveau de sens accordé à l’objectif global ; et, enfin, la culture du management en place était encore très marquée par un fonctionnement très hiérar-chisé et une concentration du pouvoir de décision et de communication sur le directeur de l’établissement, avec pour corollaire une déresponsabilisation des autres cadres et un manque d’autonomie, avéré ou mis en scène, chez beaucoup d’agents.

Il a fallu, par conséquent, initier dès 2007 une trans-formation progressive de cette culture managériale, ainsi qu’un travail de « team building », pour donner cohésion et sens. Cette démarche de dynamisation a donné ses pre-miers résultats évidents une quinzaine de jours seulement avant l’annonce de l’arrêt du projet de BMVR par le nou-veau maire, en juin 2008. Cela a, dans un premier temps, ralenti l’équipe de direction dans son élan, la nouvelle ayant bien entendu sidéré tout le monde. Cependant, les modali-tés organisationnelles et relationnelles qui avaient émergé

Carte du réseau Rn’Bi (Rouen nouvelles bibliothèques). © Ville de Rouen

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et, par conséquent, les nouvelles fonctions à assumer qui nécessitent de nouvelles compétences. Dans ce cadre, les qualités individuelles et collectives essentielles, transpo-sables d’une activité à l’autre, dont il faut encourager le dé-veloppement, sont l’autonomie (avec son corollaire, le sens critique), la créativité, les capacités d’adaptation et, comme base fondamentale, l’intelligence émotionnelle, autrement dit la capacité à gérer efficacement les relations, en étant à même d’anticiper et de contrôler ses propres réactions émotionnelles et d’entendre celles des autres (les collègues, les publics).

En conséquence, dans l’objectif que cette question puisse progressivement devenir un sujet de débat au sein de l’équipe, puis une évidence pour tous, différents outils de management ont été juxtaposés.

Formation et information, responsabilisation des cadres, organisation d’instances d’échanges

Dès avril 2007, des groupes de travail thématiques transversaux, parfois sur une journée entière, ont été mis en place, le premier ayant pour objet une réflexion sur l’offre de service de la future BMVR. Ensuite, dans le cadre de la démarche du PDLP, des « groupes-actions », égale-ment transversaux, ont été créés, pour chaque action à mettre en œuvre, sur la base du volontariat et des compé-tences. D’autres instances, plus classiques mais qui n’exis-taient pas ou très partiellement jusque-là, ont été créées, comme une réunion trimestrielle de l’ensemble du person-nel, des réunions systématiques et régulières par secteurs d’activité, et, à l’automne de chaque année, un séminaire de l’ensemble des vingt-deux cadres du service, sur une jour-née. Ce séminaire des cadres, d’abord pris en charge par la directrice, puis par l’équipe de direction, a fini, en 2010, par être entièrement élaboré et animé par les cadres intermé-diaires, la thématique – liée à l’actualité du management du service – étant chaque fois choisie collectivement. À partir de 2009, la réunion générale trimestrielle a suivi le même processus, avec un ordre du jour préparé par tous les cadres et des interventions de plus en plus réparties au sein de l’équipe, en fonction des responsabilités de projet.

Dès la fin de 2007, des conférences professionnelles à destination de l’ensemble des agents ont été organisées, sur une base bi ou trisannuelle, en commençant par un apport de sociologie de la lecture 3 et en continuant par l’évolution du métier de bibliothécaire 4. Un coaching de l’équipe de direction, mené par une petite équipe pari-sienne rodée à ce type de contexte, a été validé par la hié-rarchie et s’est mis en place en avril 2008, après un appel d’offres restreint. Il s’est étalé sur près de dix-huit mois, avec pour objectif essentiel d’apprendre aux cadres de di-rection à se connaître et à mieux travailler ensemble, ainsi que de leur donner quelques outils directement adaptés

3. Intervention de Christophe Evans, de la Bibliothèque publique d’information, en octobre 2007.

4. Intervention de Jean-François Jacques, en décembre 2007.

processus historique – autrement dit qui s’adapte au fur et à mesure ; une organisation spécifique (moyens, calen-drier, acteurs… définis à chaque fois) ; l’association fré-quente de services ou de partenaires extérieurs. De plus, l’organisation en projet implique en principe de prioriser les compétences des participants, plutôt que leur niveau hiérarchique. Si cela paraît pertinent, le pilote du projet peut donc être un agent n’ayant par ailleurs aucun rôle d’encadrement.

Parallèlement, la notion de « processus de change-ment » fait désormais l’objet de toute une littérature, le changement étant devenu un incontournable du mana-gement. On évoque en particulier les étapes que traverse toute personne qui suit un tel processus, étapes qui sont aussi celles du deuil : la sidération, le déni, la colère, le marchandage (ou la négociation), la dépression et enfin l’acceptation. Faute de prendre en compte cette réalité, les décideurs et les cadres se voient confrontés à des résis-tances importantes qui peuvent entraîner de complets blocages. Pour mettre en œuvre efficacement de nouveaux objectifs à atteindre, un responsable devra accompagner le mieux possible ces étapes auprès de son équipe. Cette dimension psychologique implique une grande qualité relationnelle entre les encadrants et leurs équipes, qualité relationnelle qui se construit sur un bon niveau d’intelli-gence émotionnelle que les cadres doivent impérativement développer.

Faire appréhender la nécessité du changement

La mise en œuvre active du projet de BMVR d’abord, et du nouveau plan départemental de développement de la lecture publique (PDLP) ensuite, nécessitait une com-préhension profonde de la part des agents des évolutions majeures intervenues dans les bibliothèques depuis l’avè-nement d’internet, et de l’impact que ces évolutions pou-vaient avoir sur leur métier, autrement dit sur ce qu’on attendait d’eux désormais.

Même si l’équipe avait eu l’occasion de visiter une autre BMVR (celle de Limoges, en l’occurrence), il sem-blait, en 2007, que la majorité des agents n’avaient qu’une conscience relative de ces évolutions. Pour exemple, les méthodes de travail appliquées au sein de l’équipe dite « de montée en puissance pour la médiathèque » n’étaient en rien différentes de celles appliquées par le reste de l’équipe pour la gestion quotidienne du service depuis des années. Le rythme de travail, notamment, n’était en rien celui d’un mode projet contraint par un calendrier rigoureux. En outre, dès qu’il a été question du rôle attendu dans les fu-turs postes d’accueil et de renseignement que proposerait le nouvel équipement, nombre de réactions de surprise et, parfois, de résistance se sont fait jour. Il est vite apparu que cette question-là en particulier pouvait constituer le fil conducteur de l’ensemble du changement à mettre en place.

De fait, cette question est également centrale dans tous les débats de la profession ces dernières années : le rôle maintenant primordial de médiateur des bibliothécaires

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Conduire une dynamique de changement :

En effet, il existe aussi, en matière de culture de l’infor-mation au sein d’une équipe, des phases de changement, avec une évolution très progressive des méthodes utilisées par chacun pour se tenir au courant. Beaucoup d’agents ne concevaient que le partage d’information par « ajus-tement mutuel », autrement dit oralement et en direct d’agent à agent. Les réunions, par exemple, surtout celles rassemblant beaucoup d’agents, ont été, dans un premier temps, considérées comme des instances d’information verticale et non discutable. La possibilité que des débats puissent y prendre place n’est intervenue qu’au bout d’un long moment. De même, beaucoup d’agents – qu’ils soient ou non bibliothécaires – n’avaient pas l’habitude d’aller chercher eux-mêmes l’information concernant le fonctionnement du service : ils attendaient que leur chef la leur donne, de préférence directement, ou à la rigueur sous forme de note, et, faute de cela, se déclaraient lais-sés à l’écart. Prendre l’habitude de se documenter, sans systématiquement attendre que votre responsable vous y incite, a fortiori s’autoriser à commenter l’information et/ou à demander des précisions, implique en réalité un ni-veau d’autonomie assez élevé et finalement peu répandu. Pour autant, dans le cadre d’un projet multidimensionnel comme le plan de lecture publique en cours de mise en place, il était pratiquement impossible pour les cadres et les pilotes de projet de diffuser chaque nouvelle informa-tion et/ou décision au fur et à mesure, encore moins de la donner en direct à chaque agent. Ce point a été pendant un temps une source assez importante d’incompréhension, et parfois de conflit au sein de l’équipe, ainsi qu’un reproche récurrent fait aux cadres, malgré la masse conséquente d’informations dorénavant librement accessibles sous de multiples formes.

Le plan de développement de la lecture publique et de valorisation du patrimoine écrit

Les enjeux de la commande municipale

Quelques semaines à peine après l’annonce de la déci-sion de mettre fin au projet de BMVR, le maire de Rouen a sollicité la direction des bibliothèques pour qu’une nou-velle stratégie de lecture publique soit rapidement élaborée et mise en œuvre. Cette demande incluait dès l’abord deux impératifs : passer d’une démarche de lecture publique centralisée sur un grand équipement, avec un réseau de quartier en baisse de moyens, à une stratégie privilégiant le service de proximité ; prévoir, dans le projet à imaginer, l’utilisation d’environ 2 000 m2 dans le bâtiment en cours de construction, dont une surface réservée à une nouvelle bibliothèque de quartier 7. En outre, cette nouvelle biblio-thèque de quartier devait offrir, en complémentarité de

7. 85 % de la surface du bâtiment ont été rachetés par le conseil général, pour y installer les archives départementales historiques.

au contexte de changement en cours (outils du processus de décision, de la conduite de réunion, du mode projet, de l’évaluation, et capacités d’écoute et d’anticipation).

Le vaste dispositif de formation à l’accueil est ensuite venu s’ajouter à ces deux premiers processus, à partir de la fin 2008. Il a concerné absolument tous les agents, quelle que soit leur activité au sein de l’établissement, et a inclus un module de management de six jours spécifiquement destiné aux cadres, dont trois jours réservés aux cadres intermédiaires, qui ne bénéficiaient pas du coaching. Le cahier des charges spécifique de ce module a été élaboré par un groupe représentatif des futurs stagiaires, cadres de direction et cadres intermédiaires confondus. En 2009, des journées de formation à l’utilisation d’internet et d’outils de veille comme Netvibes ont été mis en place en interne, grâce à la mobilisation de cinq agents compétents de tous niveaux hiérarchiques 5. Enfin, courant 2010, trois jours d’accompa-gnement ont été prévus, avec la société ayant assuré la for-mation à l’accueil, pour préparer le déménagement des ser-vices centraux dans leurs nouveaux locaux en open space 6, sur la rive gauche. Ces divers dispositifs ont limité mais n’ont pas pour autant supprimé les autres actions de forma-tion professionnelle suivies par les agents à l’extérieur du service. Ceux-ci ont été notamment encouragés à se rendre plus souvent à des journées d’étude et à participer à des rencontres avec des partenaires extérieurs.

En matière de circulation de l’information, l’habitude s’est prise d’utiliser le réseau informatique local pour par-tager ce qui avait besoin de l’être : comptes rendus, fiches-projet, documents de référence… avec une information à l’ensemble du personnel par le biais de la liste de diffusion de l’équipe (tous les agents ont une boîte mail).

Un blog interne des projets a par ailleurs été créé, spé-cifiquement dans le cadre du plan de lecture publique, à charge pour chaque pilote de projet de l’alimenter lui-même ou d’en déléguer l’alimentation à un membre de son groupe, par des brèves présentant les dernières ré-flexions ou avancées du projet géré. Malheureusement, ce blog a eu du mal à se déployer, et la plupart des agents n’ont pas pris le réflexe de le regarder régulièrement, ce qui fait qu’il a été de moins en moins actualisé à partir de 2010.

5. Cf. article de Christophe Robert, « Un portail de veille partagé sous Netvibes : l’exemple des signets de Gustave à Rouen », BBF, 2009, no 4, p. 61-64. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-04-0061-011

6. Les nouveaux bureaux, installés dans le Pôle culturel Grammont, sont rassemblés sur un espace d’un seul tenant, très partiellement cloisonné, en verre et à mi-hauteur seulement.

Navette du réseau Rn’Bi. Photo : Françoise hecquard

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• un élargissement de l’offre documentaire multisup-port ;

• un développement de l’offre de services, sur place et à distance ;

• le déploiement des partenariats ;• l’élaboration d’une stratégie de communication ;• l’optimisation de l’organisation interne.Début 2010, il a été possible de formaliser cette liste

en objectifs plus concrets, phasés dans le temps, chacun d’entre eux voyant chaque année une ou plusieurs actions se finaliser (voir tableau).

Actions mises en place

Les premières réalisations du plan, effectives le 15 avril 2009, ont été l’ouverture de deux services de proxi-mité (une cédéthèque et une marmothèque, chacune de 3 000 documents), dans deux des bibliothèques de quar-tier, la création d’une bibliothèque de deuxième niveau (dite « virtuelle ») fondée sur une grande partie des docu-ments acquis pour la BMVR et non utilisables en offre de proximité, le lancement d’un plan de communication, avec une nouvelle appellation pour le réseau (devenu Rn’Bi, pour Rouen nouvelles bibliothèques), une charte graphique et une nouvelle signalétique extérieure des différents sites, la création d’un magazine d’actualités tri-mestriel (Texto), également feuilletable en ligne, la mise en ligne du site Bovary.fr et la mise en place de la gratuité d’inscription pour les Rouennais.

Parallèlement, a été lancé un plan de rénovation de la bibliothèque patrimoniale, étalé sur trois ans. En effet, une des conséquences majeures de l’arrêt du projet de BMVR était la nécessité pour la bibliothèque patrimoniale de conserver ses locaux, pourtant obsolètes et trop restreints pour les collections à conserver 9. D’abord, afin de com-mencer à « faire de la place », il fallait en faire sortir tout ce qui ne concernait pas directement le patrimoine. Les bureaux des services centraux ont donc déménagé en 2010, dans une surface de 350 m2, au même étage que la nou-velle bibliothèque de quartier, dans une partie de l’espace initialement dédié au libre accès de la BMVR. Les collec-tions de monographies du dépôt légal imprimeur (DLI) ont trouvé un nouvel espace de 230 m2, équipé en compactus, dans un autre secteur de la ville. De fin 2009 à fin 2010, la bibliothèque patrimoniale a vu ses espaces de circulation repeints, son électricité mise aux normes, une partie de ses magasins équipée de compactus et l’installation d’une climatisation. La salle de lecture doit être réaménagée cou-rant 2011.

Dans le Pôle culturel Grammont 10 a été ouverte fin 2010 une nouvelle bibliothèque de quartier d’une surface

9. Le bâtiment de 4 000 m2, situé en centre-ville, date de 1888, et n’offre que 15 % de sa surface accessibles au public. Les derniers travaux d’ampleur dataient des années soixante.

10. Nouvelle appelation du bâtiment initialement construit pour la BMVR.

l’offre de proximité, un fonds particulier susceptible d’inté-resser l’ensemble de la population rouennaise.

Le calendrier était serré, car la construction du bâti-ment avait repris et, une fois l’accord de l’architecte ob-tenu, un réaménagement intérieur devait être programmé d’urgence, pour une date d’ouverture au public qui ne serait a priori pas repoussée 8. D’autre part, il était impor-tant de donner rapidement à la population un signe fort démontrant que la ville de Rouen ne renonçait pas à déve-lopper sa lecture publique.

Dès lors, il n’était pas question de prendre le temps de construire tout un plan avant de le mettre en place : il fallait agir et réfléchir en même temps. Par conséquent, on ne pouvait pas non plus repartir de zéro : il fallait im-pérativement réutiliser ce qui pouvait l’être des services envisagés et des collections constituées dans le cadre du projet précédent. Enfin, il fallait tenir compte des forces et des compétences en présence : les éventuels recrutements n’interviendraient que trop tardivement pour pouvoir parti-ciper à cette élaboration.

L’échéance pour la mise en place des premiers nou-veaux services était fixée au 15 avril 2009. Le temps pour les agents de réaliser ce changement, puis de se remo-biliser pour tenir l’échéance, cinq de ces projets ont vu leur élaboration plus détaillée et leur réalisation concrète menée à bien en l’espace d’à peine six mois, entre no-vembre 2008 et mi-avril 2009.

Les éléments du plan

Les objectifs stratégiques et opérationnels du PDLP ont été détaillés dans un document récapitulatif, validé par le maire puis présenté en conseil municipal en mai 2009. Ce document a ensuite été complété par un plan d’actions phasées dans le temps, établi en fonction des impératifs budgétaires énoncés dans le plan pluriannuel d’investisse-ment, élaboré au début de l’été 2009 pour les quatre an-nées suivantes.

Ce plan s’articule autour de trois axes stratégiques majeurs : la proximité (développement en priorité des ser-vices et des lieux de proximité) ; l’innovation (démarche de renouvellement permanent et de création d’une offre de service originale) et la visibilité (faire évoluer l’image des bibliothèques rouennaises, faire connaître leur offre de service) ; l’ensemble reposant sur une stratégie de réseau et plaçant l’usager au centre des préoccupations. Ces axes de travail ont été déclinés en objectifs opérationnels, re-groupant chacun une liste plus ou moins longue d’actions concrètes à mettre en œuvre.

Les aspects opérationnels concernaient :• une meilleure connaissance des publics et de leurs

besoins, avec une amélioration du dialogue ;• une amélioration de l’accueil et des modalités d’ac-

cès aux collections et aux services ;

8. Date initialement envisagée en juin 2010, finalement décalée à l’automne de la même année.

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Conduire une dynamique de changement :

des bibliothèques de quartier existantes doivent être re-meublées, équipées de RFID et réaménagées dans le nou-vel esprit d’accueil. Début 2014, une huitième bibliothèque de proximité doit ouvrir ses portes, dans un quartier non encore desservi.

Une des originalités de la démarche est donc qu’il n’existe plus de bibliothèque dite « centrale » dans le réseau rouennais. Les fonctions transversales et de coordina-tion sont installées dans différents locaux sur le territoire de la ville, le Pôle culturel Grammont hébergeant les ser-vices centraux, un auditorium et une salle d’exposition (ces deux derniers espaces étant d’ailleurs « partagés » avec les archives départementales). Cette configuration entraîne une vision du réseau bien plus prégnante et incontour-nable, les déplacements d’un lieu à l’autre étant bien plus fréquents qu’avant, la nécessité de réunions transversales formalisées se faisant aussi bien plus sentir qu’avant, et la fonction de coordination étant bien plus visible, aussi bien pour les agents que pour les partenaires, qu’avant.

Fin 2010, les statistiques montraient déjà l’impact de la nouvelle stratégie sur la fréquentation : en 2008, 10 928 inscrits ; en 2010, 14 192 (soit + 30 %). Ces inscrits ne sont pas forcément emprunteurs : les prêts ont égale-ment augmenté, mais en proportion plus réduite. La pro-grammation culturelle a vu également ses chiffres s’arron-dir très notablement : 2 940 participants en 2008, 4 500 en 2010.

En avril 2008, la direction générale des services de la ville avait décidé de lancer une démarche d’évaluation de la politique de lecture publique. Cette démarche a fait l’objet d’une analyse par un groupe d’élèves-administra-teurs de l’Institut national d’études territoriales. Un bilan chiffré très détaillé de l’existant a été réalisé dans ce cadre et est, depuis, mis à jour chaque année. Une étude sur la fréquentation des bibliothèques de quartier, coordonnée par Christophe Evans, du service études et recherche de la Bibliothèque publique d’information, a été menée, début 2008, par un élève-conservateur de l’Enssib. Cette étude a

de 800 m2 utiles. Les collections ont été en grande partie récupérées de celles constituées pour la grande média-thèque, avec quelques compléments. Un fonds spécifique de bandes dessinées 11 (déjà prévu dans le cadre de la BMVR) y a été installé. Cette bibliothèque a d’emblée été identifiée, par la direction des bibliothèques comme par la municipalité, comme le symbole concret de la mise à niveau en cours du réseau. Son aménagement intérieur et son offre de services ont été pensés en tenant compte des réflexions et analyses menées ces dernières années par les professionnels de la lecture publique et les sociologues de la lecture sur les nouveaux usages des publics.

Le projet de BMVR incluait aussi un service de traite-ment centralisé des collections, service qui devait prendre en charge le catalogage et l’équipement de l’ensemble des documents contemporains du réseau, DLI compris. Un local adapté de 180 m2 a pu être trouvé à 50 mètres du nou-veau bâtiment. Le service a démarré, fin 2010, avec deux agents dans un premier temps, qui ont pris en charge le traitement des collections de la nouvelle bibliothèque de quartier. Ce service doit voir sa complète finalisation fin 2011. Toute une série d’autres actions ont été lancées ou finalisées entre 2009 et 2010, à l’intérieur de chacun des objectifs listés, qu’il serait trop long de présenter ici.

Résultats

Début 2011, le réseau, initialement constitué de six sites (une bibliothèque patrimoniale hébergeant les services centraux et cinq bibliothèques de quartier) se répartissait dorénavant sur onze lieux (une bibliothèque de proximité supplémentaire et quatre sites non accessibles au public : les services centraux, la bibliothèque virtuelle, le service centralisé de traitement du document et le local de conser-vation des monographies du DLI). En 2012 et 2013, deux

11. 7 000 titres, des revues et des DVD documentaires.

Objectifs du PDLP de Rouen

Intitulé Validité

Objectif 1 Création de nouveaux lieux de proximité 2009 à 2014

Objectif 2 Mise à niveau de l’organisation interne du service et développement des compétences des équipes 2009 et 2010

Objectif 3 Développement de l’offre de services à distance Pérenne

Objectif 4 Développement de l’offre de services de proximité Pérenne

Objectif 5 Amélioration de la visibilité des lieux et des services offerts Pérenne

Objectif 6 Démocratisation de l’accès aux lieux et aux services offerts Pérenne

Objectif 7 Développement et démocratisation de l’offre de médiation culturelle Pérenne

Objectif 8 Amélioration des conditions d’accueil et de conservation des collections dans les différents points du réseau 2008 à 2013

Objectif 9 Développement et valorisation du patrimoine écrit conservé à la bibliothèque Jacques Villon Pérenne

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Car, malheureusement, les bibliothécaires ont surtout ap-pris à travailler sur la durée et pour des objectifs perma-nents.

La nécessité de placer l’usager au centre des préoccu-pations, pour répondre à une demande qui reste forte du moment qu’on sait l’entendre et y répondre, implique un changement radical de positionnement pour la plupart des professionnels.

Alors qu’une nouvelle dynamique d’équipe s’est fait jour et que le sens général de la mission a repris de la den-sité, l’étape suivante pour le réseau rouennais, l’étape qui lui permettrait de véritablement faire son entrée dans le xxie siècle, serait d’envisager désormais une co-construc-tion de l’offre, main dans la main avec les usagers. Les lieux devraient devenir des espaces de socialisation, vérita-blement partagés et investis conjointement par les profes-sionnels et les publics, et l’offre documentaire devrait être valorisée et rendue plus accessible grâce à une mutualisa-tion des compétences de tous les acteurs concernés. Même si le fil conducteur de l’accueil a pu bien jouer son rôle, au long de ces trois dernières années, pour faire évoluer peu à peu l’idéologie-métier des personnels, il reste encore un long chemin à parcourir avant que cette nouvelle étape puisse être véritablement appréhendée comme logique et nécessaire. De ce point de vue, l’avenir appartient aux for-mateurs et aux managers. •

Mai 2011

servi de base à une enquête de satisfaction elle-même réali-sée fin 2009 12.

Fin 2010, il reste à définir les macro-indicateurs qui permettront d’estimer plus finement l’impact du change-ment de stratégie. Néanmoins, une démarche d’élabora-tion d’une politique documentaire adaptée et concertée a été lancée en parallèle. Résultat de la réflexion de l’en-semble des acquéreurs et coordonnée par un des conserva-teurs de l’équipe de direction, elle a d’ores et déjà permis, en s’appuyant notamment sur une cartographie des zones de chalandise, de définir la taille optimum des collections de chaque équipement de proximité et d’initier une stra-tégie d’acquisition harmonisée sur le réseau et de désher-bage systématique, en lien avec le développement de la bibliothèque virtuelle et les projets de construction ou de réaménagement de bibliothèques.

Conclusion

Dans le contexte général d’une société impatiente et in-dividualiste, qui cultive l’urgence et l’éphémère, qui porte un culte à la nouveauté et aux nouvelles technologies, la plus grande qualité que les bibliothèques devraient déve-lopper est la souplesse, autrement dit la faculté de s’adap-ter, en surfant sur les changements. Bien que la question de la pérennité de leur utilité revienne régulièrement, ce n’est pas tant leur rôle dans la société qui constitue le problème le plus prégnant que leurs modalités d’action qui sont, dans la très grande majorité des cas, encore tota-lement inadaptées aux évolutions de leur environnement.

12. Robert, Christophe, «Un exemple d’enquête de satisfaction en bibliothèque municipale : Rouen nouvelles bibliothèques», BBF, 2010, no 5, p. 44-48. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-05-0044-008

Marmothèque de la bibliothèque Saint-Sever. © Photo : Françoise hecquard

Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…

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peut avoir le public, c’est-à-dire tenir compte de ses attentes, et éviter qu’il y ait trop de distorsions entre celles-ci et l’offre proposée par les profession-nels que nous sommes. Bien. Mais qui ne souscrirait pas à un tel programme ? Cette question est au centre du métier de bibliothécaire depuis toujours. Que les collections, leur composition et leur mise en espace orientent l’offre de telle manière qu’elle va conditionner le public est une évidence, et on a beau replacer cela dans une perspective historique ou philosophique (« la bibliothèque comme discours intimement lié au moment ou à la civilisation qui l’ont fait naître »), tout cela est évidemment bien connu ; on peut même broder sur ce thème : tous les développements consécutifs sont là pour nous dire (je résume) qu’il faut qu’il y ait une adéquation entre l’architecture, la composition des collections et les publics desservis ou visés – ce que nous savons déjà.

Nous apprendrons aussi que la musique s’envisage à la fois comme pra-tique (je joue d’un instrument), comme écoute partagée (j’assiste à un concert), ou comme écoute pour soi, chacune de ces pratiques se déclinant, selon le degré de culture de chacun, au travers de caté-gories (« profane, amateur ou initié »), dont on aurait aimé qu’elles soient un peu plus précisément définies. Suit un long exposé sur la nature de la musique et l’évolution de ses formes, de la poly-phonie à l’harmonie, tout ça pour nous expliquer qu’une collection de musique doit retrouver cette « connexion logique entre texte et savoir historique qui construit l’approche artistique dont le disque n’est,

au fond, qu’un épiphénomène technolo-gique ».

Arrêtons-nous sur ce propos révé-lateur : au-delà de cette contre-vérité flagrante (toute l’histoire de l’enregistre-ment sonore montre combien il a modi-fié la perception et la nature même de la musique), comment ne pas voir que l’on sacrifie une fois de plus au vieux réflexe consistant à opposer la pratique de la musique à l’écoute (symbolisée par le disque), et à reléguer celle-ci au rang d’activité connexe forcément moins noble ? On ne s’étendra pas sur cette vision singulièrement réductrice (cela me fait penser aux discours de certains bibliothécaires opposant la lecture, par définition sérieuse, et la musique, rele-vant des loisirs) pour déplorer une fois de plus la nocivité de ce discours d’op-position et de hiérarchisation des pra-tiques – et des genres musicaux, bien entendu. C’est exactement le contraire de ce que disait Michel Melot dans le fameux rapport du Conseil supérieur des bibliothèques de 1995 : « La bibliothèque publique doit être le lieu de tous les dépas-sements, entre musique écrite et musique enregistrée, pratique musicale et culture musicale 1. »

La collection musicale, nous dit en-core Laurent Marty, « n’est pas qu’un ré-servoir de disques et de livres, plus rarement de partitions » (bien sûr !) mais aussi

1. Conseil supérieur des bibliothèques, rapport du président pour l’année 1995, p. 89, disponible en ligne dans la bibliothèque numérique de l’Enssib : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1107

Cela commence par un réquisitoire, annonçant la mort programmée des bibliothèques musicales (il

faut entendre des discothèques ?), déser-tées par le public, condamnées par la disparition du CD et le développement d’internet. « Pour exagéré qu’il puisse paraître », selon l’auteur lui-même, le constat est sévère ; toutefois, cette crise serait surtout l’expression des inquié-tudes de professionnels menacés dans leurs pratiques, car enfin, « la musique ne disparaîtra pas avec le disque com-pact » – on en serait presque rasséréné ! Si ce bilan porte une part de vérité, les choses sont évidemment beaucoup plus complexes, ne serait-ce que parce que cette analyse doit être replacée dans le contexte plus général d’une crise d’iden-tité qui est aussi celle des bibliothèques de prêt, qui s’interrogent sur leurs mis-sions avec les mêmes questionnements. Ce qui n’empêche pas de partager la nécessité d’un « renouvellement profond de conception, et de remise à plat des pra-tiques » appelé de ses vœux par Laurent Marty, qui entend « poser les bases d’une méthodologie permettant d’appréhender la dimension intellectuelle de la mise en espace de la musique en replaçant cette question dans une perspective dépassant les seules bibliothèques ». Programme ambi-tieux, dont nous devons avouer qu’il ne nous a pas tout à fait convaincu.

Une évidence ?

Voyons de quoi il s’agit. Si j’ai bien compris, il faut d’abord s’interroger sur la « représentation » de la musique que

La parution dans le no 2, 2011, du Bulletin des bibliothèques de France de l’article de Laurent Marty intitulé « La bibliothèque musicale peut-elle jouer sa partition à l’heure du MP3 ? » a suscité la réaction de Gilles Pierret, directeur de la Médiathèque musicale de Paris ; comme c’est l’usage, la rédaction du BBF a laissé à Laurent Marty le soin de répondre aux commentaires de Gilles Pierret. La rédaction

Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…

Réponse à lauRent MaRty

bbf : 2011 77 t. 56, no 4

moyens beaucoup plus importants (la mise à disposition de studios et d’instru-ments), et que cette éventualité reste très éloignée de l’histoire des bibliothèques françaises ; nous ne sommes ni en Alle-magne, ni dans les pays scandinaves, où la pratique musicale a toujours été plus développée ; même si on peut s’en inspirer, transplanter un modèle conçu dans un contexte culturel différent n’est pas forcément souhaitable ni possible. Au Royaume-Uni, les bibliothèques musicales publiques sont surtout des bibliothèques de partitions ; à l’inverse, en Belgique, la Médiathèque de la Com-munauté française s’est construite autour du prêt de collections de phono-grammes ; en Italie, où les bibliothèques musicales sont surtout patrimoniales, les musiciens eux-mêmes viennent y jouer les manuscrits qu’ils y ont découverts ; à l’opposé, à la bibliothèque « Ten » d’Hel-sinki, on s’occupera plutôt d’initier des jeunes à la composition assistée par or-dinateur… Et les Allemands disposent du remarquable réseau des Mubis 3, qui pro-posaient déjà, dès les années vingt, des services d’écoute sur place de disques…

Le modèle français a été basé sur la constitution d’une collection de docu-ments musicaux offerte au plus large public possible, du néophyte au connais-seur. Cette conception ne correspond sans doute plus tout à fait à l’évolution des pratiques, et on ne peut plus se contenter aujourd’hui, en effet, de « jux-taposer des supports et de les prêter » ; les mettre en relation par un travail de médiation est essentiel, mais cela passe d’abord par les collections, qu’elles soient physiques ou virtuelles.

Cela, les bibliothécaires musicaux l’ont bien compris et, peut-être parce qu’ils sont les plus exposés à la déma-térialisation des supports, ils ont été très tôt amenés à réfléchir, à proposer de nouvelles pistes de réflexion, à explo-rer de nouveaux services, comme en témoigne la richesse des échanges sur les blogs professionnels 4 ou le succès des Rencontres nationales des biblio-thécaires musicaux organisées chaque année par l’Acim. Voyez (ce ne sont que

3. Voir à ce sujet : Marcel Marty, « Les bibliothèques musicales publiques allemandes, une “Donquichoterie” centenaire », in Musique en bibliothèque, p. 40-45, Éd. du Cercle de la librairie, 2002.

4. Par exemple : www.mediamus.blogspot.com, à l’initiative de Nicolas Blondeau (médiathèque de Dole).

connaissances musicales que n’ont pas nécessairement tous les personnels, dont la formation a toujours été plus bibliothéconomique que musicale. Ame-ner les professionnels à une meilleure connaissance des contenus, leur donner le bagage de culture musicale nécessaire pour qu’ils puissent à leur tour sensibi-liser les publics à la découverte, voilà le défi qui s’offre à nous.

Quant à l’avenir des supports, on peut l’envisager sous un autre angle que celui de leur disparition, sur laquelle on peut gloser indéfiniment – en vain –, et qui se pose différemment s’agissant du disque, de la musique imprimée, du livre ou du DVD. S’agissant du phono-gramme, la question est bien plutôt de savoir la place qu’il aura demain dans la diffusion de la musique : gageons qu’il risque de connaître le même sort que le vinyle, devenu aujourd’hui, malgré le revival (symbolique) qu’il connaît, un objet de collection adulé par un public de niche. Peut-être est-ce là le plus grand bouleversement qui est en train de se produire, avec ce passage d’un public de masse (symbolisé par la discothèque de prêt) à un public de spécialistes. Dans cette perspective, la numérisation bien pensée des collections de phono-grammes, notamment des fonds patri-moniaux de disques microsillons, pour-rait apporter une valeur ajoutée certaine en révélant des raretés qui n’existent plus que dans nos bibliothèques (du moins pour les rares qui les ont conservées), à condition, là aussi, d’en assurer la valo-risation.

De nouvelles pistes

Que l’on subisse aujourd’hui les conséquences de la culture « mono-sup-port » qui a été celle des discothèques de prêt est une réalité. Sans doute n’a-t-on que très mal pris en compte les besoins de la pratique amateur, dont l’explosion est un des phénomènes culturels ma-jeurs de ces vingt-cinq dernières années. On connaît bien la faiblesse de l’offre en partitions des bibliothèques françaises ; on sait aussi que lorsque celle-ci arrive à être quelque peu fournie, le public est là… Alors, militons déjà pour le dévelop-pement de ce support, il y a encore tant à faire dans ce domaine !

Rien n’interdit, au-delà, de mettre en avant l’apprentissage de la musique « en autodidaxie, comme pour les langues vivantes », sauf que cela suppose des

« exposition d’un savoir spécifique qui doit obéir à sa scénographie propre ». Tradui-sons : il s’agit de proposer un parcours, de mettre en valeur les dites collections, en « créant une atmosphère propice à la découverte » ; mais que fait-on donc dans les bibliothèques musicales ? C’était jus-tement la thématique des dernières Ren-contres nationales des bibliothécaires musicaux 2… Et cela continue dans les généralités : il convient en effet de ne pas se contenter de satisfaire les attentes du public, mais aussi de permettre aux désirs latents, non exprimés, de surgir, en proposant des associations inédites… Il faut repenser les espaces, investis par des mobiliers « conviviaux et modulaires », inventer une scénographie nouvelle. Tout cela en tenant compte quand même « de la tension entre mission de découverte et tentation encyclopédique », tension dont on ne sait comment elle doit se résoudre… sauf à la transposer dans le virtuel puisque l’informatique « inaugure une nouvelle conception du rapport entre musique et public » (aspect qu’on aurait aimé voir développé).

Bref, internet devient le lieu de tous les possibles : chaque usager peut dé-sormais se créer son propre espace, le bibliothécaire – on ne peut tout de même pas l’évacuer – devant « guider sans contraindre », tout en abandonnant tou-jours plus « l’espace de l’écriture des collec-tions aux lecteurs » qui n’auront alors plus besoin de nous (c’est la bibliothèque vir-tuelle). On ne comprend plus très bien… Et Laurent Marty d’appuyer son propos avec un exemple de ce qui pourrait être fait autour de la 5e symphonie de Beetho-ven, exemple qui correspond exactement, soit dit en passant, à ce que propose la Cité de la musique au travers des « par-cours musicaux », avec en prime l’écoute possible d’un concert et la possibilité de suivre pas à pas la partition correspon-dante.

Tout cela est bel et bien, mais la question que pose ce type d’outils, au demeurant remarquables, c’est leur ac-cessibilité : comment amener le public à l’utilisation de ces ressources ? Prendre la mesure de leur richesse nécessite un accompagnement impliquant une maî-trise de leurs contenus et de véritables

2. « Les collections, avenir des bibliothèques ? », Rencontres de l’Acim (Association pour la coopération des professionnels de l’information musicale), Auxerre, 28-29 mars 2011. Pour le compte rendu de ces rencontres, voir : www.acim.asso.fr

78 bbf : 2011 t. 56, no 4

quelques exemples) les bibliothèques musicales hybrides et leur présence sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…), le développement des blogs musicaux (Brest, Grenoble)5, les catalogues inter-actifs (Saint-Herblain)6, la mise en place d’un service d’écoute en ligne, en par-tenariat avec musicMe (bibliothèque départementale de prêt du Haut-Rhin)7, la numérisation de documents sonores

5. www.tunerdebrest.fr et bmol (bibliothèques musicales on line) : www.bmol-grenoble.info

6. http://la-bibliotheque.saint-herblain.fr

7. www.mediatheque.cg68.fr

patrimoniaux (fonds de disques 78 tours de la Médiathèque musicale de Paris)8, le développement d’une animation cultu-relle réfléchie, en prise sur la vie musicale locale, et qui bat en brèche l’idée reçue selon laquelle la musique « serait bannie des bibliothèques ». Les initiatives sont nombreuses, qui montrent que, loin de camper sur des positions d’arrière-garde, les bibliothécaires musicaux savent inno-ver et regarder vers l’avenir.

8. www.paris.fr : catalogue des bibliothèques spécialisées de la ville de Paris – collections numérisées.

Certes, le défi reste de taille, et rien n’est gagné quant à l’avenir des biblio-thèques musicales (et des bibliothèques publiques en général). Mais, sur ces questions essentielles, il ne nous appa-raît pas que les perspectives dévelop-pées par Laurent Marty, dont le propos vise plus, sans doute, à donner du sens qu’à proposer des actions concrètes, ap-portent un éclairage nouveau. •

Gilles PierretMédiathèque musicale de Paris

[email protected]

Il est toujours intéressant, et parfois déconcertant, de découvrir les réac-tions qu’un texte fait naître. Même

si, comme c’est ici le cas, il s’agit sans doute moins pour l’auteur de discuter les idées que j’esquisse – maladroitement peut-être – que de défendre une position de principe.

Je retire surtout de la lecture de l’ar-ticle de Gilles Pierret l’impression que le propos de mon article – amorcer une réflexion sur la nature de la représenta-tion d’un art (en l’espèce, la musique) dans une bibliothèque pour trouver des bases méthodologiques solides à l’action concrète des bibliothécaires – n’a pas vraiment été saisi. Et ce dès l’amorce de cette réponse, où M. Pierret m’attri-bue un « réquisitoire » qui n’était, sous ma plume, qu’un trait d’ironie – souve-nir amusé des phrases aussi définitives que catastrophistes prononcées lors de ses interventions à l’Enssib par un cer-tain… Gilles Pierret. D’autant que les arguments de l’auteur ne me semblent en rien antinomiques des idées que j’ex-pose.

Le phonogramme, objet, non finalité, de la musique

Il convient, sans doute, de rapporter ici ce qui m’a donné l’idée de ce texte. Enseignant de piano durant de longues années dans l’école de musique d’une cité toulousaine, j’avais parmi mes élèves

de nombreux enfants issus de l’immigra-tion n’ayant guère d’accès à la culture en général et à la musique en particulier, qu’elle soit classique ou non d’ailleurs. Difficile, dans ces conditions, de leur faire comprendre les règles du langage musical et les subtilités de l’instrument. Et, surtout, de combattre les préjugés tenaces et bien connus : la musique clas-sique, « c’est un truc de vieux », « c’est pas pour nous » ; autant de signes de rejet so-cial d’une culture vécue comme élitiste, marquante socialement et refermée sur elle-même.

Je leur conseillais généralement de visiter l’annexe de la bibliothèque la plus proche, confiant dans sa mission de dif-fusion du savoir. Malheureusement, la nature même de la discothèque de prêt, par ailleurs correctement fournie, n’a fait que renforcer leurs préjugés. L’absence de médiation a renvoyé brutalement ces élèves à leur condition d’ignorance en les rendant incapables de s’approprier cet espace, trop éloigné de leurs représenta-tions.

À partir de là, M. Pierret se méprend sur ma réflexion, et notamment sur la distance que je prends avec le phono-gramme, objet et non finalité de la mu-sique. Critique musical, très attaché à faire connaître et comprendre l’histoire de l’interprétation, et par ailleurs col-lectionneur patenté de tout ce qui res-semble de près ou de loin à un disque – des premiers 78 tours d’Émile Berli-ner au Blu-ray – je n’en suis pas moins conscient du caractère commercial et

partiel de la discophilie, culture musi-cale de masse qui confine parfois au fétichisme, en perte de vitesse jusqu’à ne plus concerner, ce n’est pas moi qui l’écris, qu’un « public de niche ».

Le disque n’est pas la musique, et M. Pierret n’ignore d’ailleurs pas le peu d’intérêt que portent une majorité de musiciens professionnels au disque et à la culture discographique, au point même qu’un enseignement de musico-logie comparée est fraîchement apparu, matière se proposant de faire découvrir à de jeunes instrumentistes les différentes écoles d’interprétation.

Aucun jugement de valeur ici, mal-gré ce que l’on me prête, mais un simple constat. Nous savons bien tous deux que le disque, produit industriel dès son origine, ne rend compte que d’une part minime de la production musicale. Com-bien de musiques actuelles n’existent pas en disque ? Une collection de disques n’est qu’un instantané partial de la pro-duction musicale ignorant, de plus, de nombreuses facettes de l’art musical en le réduisant à sa seule dimension audi-tive.

Il s’agissait, sans aucun doute, d’une erreur congénitale que de faire naître du seul disque les bibliothèques dites musi-cales. Menacés de devenir orphelins, cer-tains bibliothécaires semblent pressés de vouloir se trouver un père de substi-tution, en numérisant ou acquérant des collections numériques. Ce qui conduit à reproduire le fractionnement des collec-tions à travers des bornes spécialisées ou

Réponse à Gilles pieRRet

bbf : 2011 79 t. 56, no 4

ment, de savoir quelle relation peut faire naître une bibliothèque entre public et art, comment la bibliothèque peut facili-ter une appropriation de l’art, qui passe par l’espace public, pour reprendre la terminologie d’Hannah Arendt. Ce qui implique de se détacher de la confusion qui me semble se répandre entre objet artistique et objet de consommation ou de divertissement, confusion que la pro-fusion numérique paraît encourager, si l’on se contente de subir et non de créer.

La notion de représentation d’un art

J’ai bien conscience de l’imperfection de mon article et j’aurais été très heu-reux de voir un débat s’engager sur cette question cruciale et que je crois féconde. Je ne prétends nullement que ces idées soient neuves, mais je pense nécessaire de les poser, de les discuter, de leur trou-ver une résonance dans les pratiques, et non d’opposer de façon aussi brutale le terrain de la théorie à celui des pratiques professionnelles, en gauchissant ainsi mes arguments.

Réfléchir à la notion de représenta-tion d’un art, aux modalités de sa mise en espace en bibliothèque et à leur in-fluence sur le public, c’est se souvenir, pour citer Arnold Schönberg, que « la forme dans les arts, et particulièrement en musique, a pour objet essentiel l’intelligibi-lité 4 ».

Néanmoins, la réponse de M. Pier-ret prouve, me semble-t-il, qu’il n’est sans doute pas inutile de poursuivre une réelle réflexion sur les représentations du savoir et de l’art en bibliothèque et les champs d’interaction entre biblio-thèques et public. Le sujet est riche, et manifestement sensible, puisqu’il semble être vécu comme une remise en cause des pratiques professionnelles, avec, en son centre, la question de la formation professionnelle – qui implique égale-ment l’acquisition des outils intellectuels nécessaires à la juste appréhension des changements en cours. •

Laurent MartyUniversité de Toulouse

[email protected]

4. Arnold Schönberg, Le style et l’idée, Paris, Buchet-Chastel, 1977, p. 163.

leur site en véritable portail. Ainsi, dans le domaine de la recherche scientifique, les collections papier représentent sou-vent moins de 5 % des prêts. La charge de leur acquisition ne revient plus aux bi-bliothécaires, qui se concentrent de plus en plus sur les missions de médiation et d’enseignement, certaines universités ayant même intégré des charges de cours de recherche bibliothéconomique dans leurs cursus. Bien sûr, cela a imposé un changement complet dans les profils de poste, les compétences et les missions. Le personnel a bien compris que cette évolution était inévitable, et des forma-tions sont régulièrement proposées. De même, le modèle émergeant des learning centers conduit à repenser l’architecture et l’organisation de l’espace physique. Évolution naturelle, nulle part vécue comme un bouleversement.

Par ailleurs, pour contrer le pou-voir exorbitant et économiquement paralysant des éditeurs, les universités promeuvent fortement leurs archives ouvertes, qui remplissent également la mission de mise en valeur de la re-cherche des établissements. Sur ce mo-dèle, j’avais étudié, dans mon mémoire de fin d’études, la mise en place d’un portail de ressources musicales libres de droits dans la région Midi-Pyrénées 3. J’avais été étonné de l’accueil favorable, et parfois même enthousiaste, que les professionnels de la musique avaient réservé à cette idée. Un projet qui, mal-heureusement, n’a pu aboutir, mais que je ne désespère pas de voir se concrétiser un jour.

Tout le propos de mon article était de sortir les bibliothèques musicales de ce qui me paraît être une voie peu fertile, à savoir un rapport à la musique qui passe presque exclusivement par des objets de consommation liés à la musique mais non par la musique elle-même, et rappe-ler qu’il existe des outils intellectuels de compréhension du phénomène artistique et de ses rapports à la société et à l’es-pace qui seuls peuvent fonder une vision à long terme.

Car la vraie question n’est pas de savoir quelle est la place de la musique en bibliothèque, mais bien plutôt de sa-voir quelle est la place de la bibliothèque dans le processus musical. Et, plus large-

3. Laurent Marty, Mettre en place un réseau de ressources musicales : un projet en Midi-Pyrénées, mémoire d’études DCB, 2008. En ligne : www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notice-1748

des ordinateurs dédiés, à l’encontre de l’expérience même du multimédia et des usages d’internet. Surtout, c’est toujours et encore lier son destin à l’industrie musicale et répéter inlassablement les mêmes erreurs.

Numériser des 78 tours, ressortir ses vinyles, c’est dresser un autel – certes nu-mérique – aux ancêtres disparus : peut-être pas la meilleure façon d’envisager le futur, sans voir que le disque ne condi-tionne en rien notre existence, puisque la musique reste.

Enfin, on rappellera que le public des bibliothèques pratique près de trois fois plus la musique en amateur que la moyenne de la population française 1. On comprend alors quelle contradiction flagrante existe entre la conception de la musique par les bibliothèques, qui conti-nue à passer presque uniquement par le disque et ses métamorphoses numé-riques, et la réalité des pratiques de ses usagers, ce que pointait Michel Sineux : « Cette “aventure” du disque dans les bi-bliothèques, comme seul support reconnu de la musique en lecture publique, constitue sans doute le point nodal d’un dérapage qui a fondé (et fonde encore largement) la situation de la musique dans les biblio-thèques publiques en France, situation en contradiction flagrante, et incompréhensi-blement pérenne, avec ce que dénoncent depuis près d’un quart de siècle maintenant les rapports périodiques sur l’évolution des pratiques culturelles des Français 2. »

Des bibliothèques sans collections, alors ? Pas seulement

Qu’on me permette de rectifier ici l’une des erreurs du texte de M. Pierret. Non, les bibliothécaires musicaux ne sont pas nécessairement « les plus exposés à la dématérialisation des supports » (en-core qu’il y aurait à redire sur ce terme de dématérialisation, qui ne recouvre aucune réalité). Les bibliothèques univer-sitaires ont depuis longtemps intégré des collections numériques, transformant

1. François Berthier, « La médiathèque et la musique : une étude de sociologie appliquée », BBF, 2002, no 2, p. 74. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-02-0074-011

2. Michel Sineux, « Avatars de la musique dans les bibliothèques : perspective historique », BBF, 2002, no 2 p. 28. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2002-02-0028-002

« Learning centres : vers un modèle à la française ». Journées d’étude organisées par Médiat Rhône-Alpes et le SCD de l’université de Lyon 1Laurence Tarin

Diffuser et valoriser les thèses : quelle place pour les bibliothèques universitaires ?Christophe Pérales

L’étonnante plasticité des compétences professionnelles et la bibliothèque numériqueLaurence Rey

Charles Nodier et la passion du livreElsa Bres

Salon du livre de Paris 2011

La bibliothèque saura-t-elle accueillir les nouvelles générations ?Christelle Petit

Le livre numérique expliqué aux seniors [et] initiatives franciliennes pour favoriser l’accès au livre des seniorsYves Desrichard

Propulser les bibliothèques sur le web et animer des communautés : les nouveaux défis du métierMarie-Christine Jacquinet et Bruno Fouillet

Quelle politique de numérisation en bibliothèque ?Yves Desrichard

Troisième Symposium Koha à Lyon : échanger, réfléchir, partager, se formerThierry Clavel et Antoine Torrens

bbf : 2011 81 t. 56, no 4

sanne 2 –, mais aussi exerçant dans des établissements du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

Quant à Marie-Madeleine Saby et Syl-viane Tribollet de Médiat 3, elles avaient souhaité que l’aspect méthodologique de la mise en place d’un learning centre soit abordé. Elles ont donc sollicité la société Cap-Tic 4, qui a été chargée par la Caisse des dépôts et la Conférence des présidents d’université d’une étude sur ce sujet. Véronique Cox a expliqué que l’étude était encore en cours, mais elle a pu présenter une méthodologie de projet en insistant sur l’importance du volet pé-dagogique et sur la nécessité de penser le learning centre en lien avec la stratégie de l’établissement.

Pour traiter justement de la question pédagogique, les conceptrices des jour-nées avaient invité des étudiants à faire état de leurs besoins en matière d’acqui-sition de compétences utiles pour mener à bien leurs études. Elles avaient aussi fait appel à la conseillère pour l’ensei-gnement de l’université de Lyon 1, qui a expliqué que sa mission consiste à tenter de faire évoluer les pratiques d’enseigne-ment vers l’apprentissage. Enfin, elles avaient suggéré à Cherifa Boukacem, maître de conférences en sciences de l’information à Lille 3, de faire le point sur l’état de la recherche en sciences co-gnitives en lien avec les learning centres.

Les différents comptes rendus d’expérience qui faisaient tout l’intérêt de ces journées ont permis de prendre conscience de la diversité des learning centres, qui sont dans leur grande majo-rité considérés comme des structures d’appui à la pédagogie, mais qui peuvent

2. www.rolexlearningcenter.ch

3. http://mediat.upmf-grenoble.fr

4. www.cap-tic.fr

aussi s’intéresser à la valorisation de la recherche.

Un concept développé en premier lieu dans les universités scientifiques ?

Ce qui frappe tout d’abord après avoir écouté ces différents retours d’ex-périence, c’est que ce type de projet s’est d’abord épanoui dans un environnement scientifique et plus particulièrement dans le contexte d’écoles d’ingénieurs. C’est le cas du Rolex Learning Centre mais c’est aussi celui de l’Institut national poly-technique de Toulouse (INPT) et, dans une certaine mesure, celui de l’université d’Avans aux Pays-Bas 5, spécialisée dans les sciences appliquées.

Le tout-électronique, plus prégnant en sciences dures qu’en sciences hu-maines, a très certainement amené ces services documentaires à se remettre en cause avant les autres. Sandrine Malotaux, de l’INPT, le dit clairement : le nombre d’usagers diminue et la ten-tation de remplacer la bibliothèque par des salles informatiques est grande, il s’agissait donc aussi, à travers le projet de learning centre, de prouver l’utilité du service documentaire en tant que lieu. L’idée d’une nécessaire rematérialisation de la bibliothèque, qui est aussi un lieu d’étude et de vie, a également été déve-loppée par Odile Grandet, qui a présenté le projet du campus Condorcet 6.

Mais surtout, dans les écoles et les universités spécialisées dans les sciences appliquées, les liens entre les ensei-gnants et les chercheurs, d’une part, et

5. www.avans.nl

6. www.campus-condorcet.fr/campus-condorcet/ p-1-Accueil.htm

« Learning centres : vers un modèle à la française »

Les journées sur les learning centres organisées par Médiat Rhône-Alpes et le SCD de l’université de

Lyon 1 ont été introduites par Suzanne Jouguelet, auteur du rapport « Les lear-ning centres : un modèle international de bibliothèque intégrée à l’enseignement et à la recherche 1 ». Elle s’est risquée à proposer une définition, en rappelant que learning signifie apprentissage mais aussi appropriation des savoirs, et que le terme center implique qu’il s’agit d’un lieu central. En effet, un learning centre est un lieu que l’on se préoccupe d’amé-nager de façon accueillante et d’ouvrir largement, mais aussi un ensemble de services qui visent à faciliter l’acquisition de connaissances. Elle a rappelé égale-ment que le créateur du premier learning centre, Graham Bullpitt, considère que l’anticipation des besoins des usagers est fondamentale et que, par conséquent, il ne peut y avoir de modèle « prêt-à-por-ter ». La diversité des expériences pré-sentées au cours des deux journées de décembre 2010 lui donnera amplement raison.

De multiples comptes rendus d’expérience

Dominique Wolf, directrice du SCD de Lyon 1, avait tenu à s’interroger sur l’adaptabilité de la notion de learning centre au contexte français. Pour cela, elle a fait appel à des collègues français et étrangers, venus de Suisse bien sûr – David Aymonin n’a pas manqué de pré-senter le Rolex Learning Centre de Lau-

1. http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2009/33/6/Rapport_Learning_Centers_7-12_RV_131336.pdf Critique du rapport parue dans le BBF, 2010, no 2, p. 101-102. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-02-0101-010

JOURNÉES D’ÉTUDE ORGANISÉES PAR MÉDIAT RHôNE-ALPES ET LE SCD DE L’UNIVERSITÉ DE LYON 1

82 bbf : 2011 t. 56, no 4

espace dédié aux technologies informa-tiques mais aussi un library café, lieu de détente et de convivialité. Le tout est ou-vert 24 heures sur 24, avec toutefois une fermeture hebdomadaire du vendredi soir au samedi matin pour éviter que les étudiants ne s’installent à demeure !

Le projet de Lille 3 en revanche semble plus intéressé par la recherche et par l’ouverture sur le monde écono-mique. Son initiateur, Julien Roche, in-siste sur l’aspect innovation du learning centre de Lille qui entend faciliter l’articu-lation entre recherche universitaire et dé-veloppement économique. On retrouve d’ailleurs là une logique proche de celle de l’INP de Toulouse.

Ces journées auront donc bien per-mis d’appréhender la diversité des lear-ning centres, et elles ont d’ailleurs suscité un grand intérêt, plus de 200 personnes y ayant assisté et les débats dans la salle ayant été particulièrement riches. •

Laurence [email protected]

présenté à trois voix – celles des deux directeurs des services interuniversitaires de la documentation et celle du vice-président –, entre dans le cadre du volet Equipex du grand emprunt 8 et est piloté par le Pôle régional d’enseignement su-périeur.

La même préoccupation pour les étu-diants se dégage du projet Musil de l’uni-versité de Haute-Alsace 9, qui intègre le centre d’innovation pédagogique et déve-loppe des partenariats avec le service res-ponsable des certifications en langues et du certificat informatique et internet C2i.

On retrouve aussi cette préoccu-pation pour les besoins des étudiants à l’Imperial College de Londres 10 dont on soulignera le pragmatisme. Avec des moyens pas si importants que cela – on connaît les actuelles difficultés finan-cières des bibliothèques anglaises –, l’Imperial College a réussi à rénover une partie de sa bibliothèque pour créer un

8. www.agence-nationale-recherche.fr/investissementsdavenir/AAP-EQUIPEX-2010.html

9. www.uha.fr

10. www3.imperial.ac.uk

les services de documentation, d’autre part, se développent sans doute plus fa-cilement que dans les autres universités. Les enseignants d’Avans University re-çoivent leurs étudiants à la bibliothèque, le Rolex Learning Centre accueille en son sein le centre de ressources forma-tion technologies, et le learning centre de l’INPT se donne comme objectif de re-mettre la bibliothèque au centre des mis-sions des écoles et d’assurer la diffusion des savoirs produits par l’INPT à travers des archives ouvertes.

Pédagogie, recherche et documentation

La question des liens entre pédago-gie, recherche et documentation aura été le fil rouge des deux journées.

Alain Fernex, vice-président de l’uni-versité de Grenoble 2 7, a insisté sur une nécessaire réflexion sur le travail des étu-diants et sur la didactique des disciplines dans le supérieur. Le projet de Grenoble,

7. www.upmf-grenoble.fr

Diffuser et valoriser les thèsesQUELLE PLACE POUR LES BIBLIOTHèQUES UNIVERSITAIRES ?

Après deux premières éditions particulièrement réussies (la pre-mière en 2008 sur le prêt entre

bibliothèques et la fourniture de docu-ments ; la deuxième en 2009 sur l’in-dexation des ressources pédagogiques numériques), l’Aura (Association du réseau des établissements utilisateurs de l’Abes)1 organisait cette année sa journée d’étude annuelle au tout nou-veau Centre Pompidou – Metz, autour de l’objet thèse, de sa diffusion et de sa valorisation, sur la base du même pos-tulat garant en grande partie de la réus-site des deux premières éditions : livrer

1. http://aura.bu.univ-paris5.fr

le témoignage d’expériences étrangères exemplaires.

Jouant de malchance 2, Valérie Tra-vier, vice-présidente de l’Aura, et res-ponsable scientifique de la journée en même temps que sa modératrice, dut en prendre en charge l’introduction ; Joëlle Le Marec, professeur en sciences de la communication et de l’information à l’École normale supérieure de Lyon, étant ce jour-là alitée. Ce qui n’avait toutefois pas empêché le grand témoin de la jour-née de livrer dans les temps une version écrite de l’introduction prévue, de la-quelle il aurait été dommage d’être privé,

2. Le 13 décembre.

et dont Valérie Travier donna lecture, exercice redoutable duquel elle s’acquitta avec une réelle conviction.

Les bibliothèques, conservatoires de la diversité des formes de la recherche

Dans son introduction, Joëlle Le Marec pointait tout d’abord la transfor-mation en cours des modes de produc-tion des savoirs académiques, sous l’ef-fet du discours politique de l’« économie de la connaissance » et de ses corollaires, programmation de la recherche et finan-

bbf : 2011 83 t. 56, no 4

munauté, de l’échelon local au niveau na-tional ;• un niveau élevé de standardisation (mais encore jugé trop faible par Hans Geleijnse, si l’on souhaite diminuer les coûts de transaction évoqués plus haut) : chaque document déposé est affecté d’un DOI (Digital Object Identifier), tout comme chaque publiant (DAI, Digital Author Identifier). L’intérêt de ce réfé-rentiel reste encore limité du fait de son caractère national, quand la recherche contemporaine est souvent collaborative et transfrontalière.

La malchance s’entêtant, l’assistance fut privée, l’après-midi, pour cause d’aé-roport londonien paralysé par les intem-péries, de l’intervention de Martin Moyle, responsable du portail Dart-Europe 9 dont il devait assurer une présentation, ainsi que de la conclusion de la journée par Joëlle Le Marec. En lieu et place, et au pied levé, Isabelle Mauger de l’Abes fit héroïquement le point sur l’avancée du projet français de portail national des thèses 10. Et c’est ainsi, en queue de poisson, comme ce compte rendu, que s’acheva, après une visite du Centre Pompidou – Metz offert par l’Aura à ses adhérents, une journée d’étude en demi-teinte, dont on espère que la prochaine édition fera davantage justice à l’investis-sement du nouveau conseil d’administra-tion de l’association. •

Christophe Pé[email protected]

9. www.dart-europe.eu

10. www.abes.fr/abes/page,667,portail-des-theses.html

Library of Theses and Dissertations)4, Sharon Reeves a très probablement man-qué son auditoire auquel elle donnait au final l’impression qu’elle avait peu à apprendre : c’est d’autant plus dommage que la proximité des situations fran-çaise et canadienne quant à la diffusion des thèses et aux choix politiques effec-tués pour leur valorisation aurait sans doute permis une collaboration et des échanges de vue fructueux.

Thèses néerlandaises : quand Narcis alimente Driver

Autrement intéressante était l’inter-vention de Hans Geleijnse, ancien prési-dent de Liber 5, Ligue des bibliothèques européennes de recherche, et ancien di-recteur de la prestigieuse bibliothèque de Tilburg, qui présentait Narcis 6, réservoir national de la production académique néerlandaise alimentant lui-même le pro-jet européen homologue Driver 7. L’origi-nalité et l’exemplarité de cette réalisation, du moins pour qui veut pousser à bout la logique scientométrique actuelle, rési-daient dans trois éléments :• une architecture distribuée de ré-servoirs locaux (publications des cher-cheurs, thèses des doctorants, données primaires produites par les laboratoires), alimentant efficacement (quoique au prix, semble-t-il, malgré une interopérabi-lité poussée, de coûts de transaction im-portants, soulignés par Hans Geleijnse lui-même) un réservoir national unique ;• la mise en relation, au sein de Nar-cis, non seulement des réservoirs lo-caux, mais également des systèmes de gestion de la recherche des universités (outil Metis, l’équivalent de notre Graal national 8) : description des projets de re-cherche conduits et de leur contenu, des unités de recherche et de leur structure, pilotage des coûts (inputs) et de la valo-risation (outputs), bref le système rêvé pour quiconque souhaite « monitorer » et évaluer en permanence, et en temps réel, l’activité de recherche de sa com-

4. Outil dont, il est vrai, les francophones se sont encore peu saisis à ce jour, ce que Sharon Reeves a appelé très généreusement de ses vœux. www.ndltd.org

5. www.libereurope.eu

6. www.narcis.nl

7. www.driver-repository.eu

8. www.amue.fr/recherche/logiciels/graal/

cement sur projet, lesquels tendraient à transformer l’aventure intellectuelle que se devait d’être auparavant la thèse en processus de production d’« éléments d’innovation ». Le paradoxe étant que, sommées d’épouser un moule unique, il y a fort à parier que les recherches pro-duites par les doctorants puissent de moins en moins témoigner d’une inventi-vité et d’une audace intellectuelle réelles, pour les raisons et par les moyens mêmes qui cherchent à en maximiser le rendement en termes, précisément, d’« innovation ».

Si le raisonnement est apparu plus convaincant pour le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) que pour les sciences, techniques, médecine (STM), le propos de Joëlle Le Marec avait l’immense mérite de rappeler qu’aucune des grandes bifurcations de l’histoire de la pensée scientifique, dans quelque secteur de la connaissance que ce soit, n’avait jamais pu être programmée, ni même anticipée.

Sur la base de ce constat, Joëlle Le Marec insistait, à travers la voix de Valé-rie Travier, sur l’importance des biblio-thèques comme conservatoires de cette diversité des formes de la recherche, aujourd’hui selon elle menacée, et invi-tait bibliothécaires et chercheurs de son champ académique à collaborer autour de travaux prenant précisément pour objet d’étude ce produit culturel très par-ticulier qu’est la thèse, dans ce qu’elle in-duit, à travers la diversité de ses formes, une variété au moins aussi grande de réceptions et d’usages.

Les thèses au Canada

Après cette intervention brillante quoique située, ce fut au tour de Sharon Reeves, responsable de Thèses Canada au sein de Bibliothèque et Archives du Canada 3 d’exposer les progrès de la dif-fusion des thèses canadienne grâce aux réseaux électroniques et à l’internalisa-tion croissante (quoique inachevée à ce jour) de leur production nativement numérique et/ou de leur numérisation. Peu au fait manifestement de la situa-tion française, et semble-t-il convaincue qu’elle avait à évangéliser quelque tribu sauvage n’ayant jamais entendu parler du réservoir NDLTD (Networked Digital

3. www.collectionscanada.gc.ca

84 bbf : 2011 t. 56, no 4

se positionner sur le territoire numérique par la production de contenus valorisant l’ensemble des collections de la biblio-thèque. La nécessité de la médiation dans l’accès au numérique est encore plus évidente dans un contexte social défavorisé.

La collaboration entre profession-nels se développe, ainsi que l’illustrent les projets de la médiathèque de Caen-La Mer concernant les élections régionales, en collaboration avec les services de la BnF chargés du dépôt légal du web. Pour Bernard Huchet, ce projet a été l’occa-sion de mobiliser de nouvelles compé-tences non seulement dans le domaine de l’archivage mais aussi dans celui de la coopération locale.

Les incidences du numérique sur le management des bibliothèques sont nombreuses. La logique transversale de gestion de projet bouleverse l’organi-sation hiérarchique, permet la montée en compétences et renforce la cohésion des équipes, du point de vue de Daniel Le Goff, de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges.

Sous la houlette d’Aline Girard (vice-présidente du groupe Paris de l’ABF), Emmanuelle Bermès et Thierry Pardé (BnF) ont montré comment le numé-rique, structuré selon une logique de collection 4, a essaimé progressivement dans toutes les activités de la BnF 5. Au sein de cet établissement, l’observatoire ORH – ION (Organisation et ressources humaines – Implantation organisation-nelle du numérique) a vu émerger la méthodologie par projet qui associe, dans une logique transversale, des ac-teurs, titulaires ou non, dont le nombre et les qualifications varient en fonction des phases du projet. La dissémination

4. Collections numériques, numérisation pour Gallica, dépôt légal du web, documentation multimédia, archivage administratif, etc.

5. Elle mobilise aujourd’hui un agent sur cinq à la BnF.

des compétences se fait grâce à un petit groupe d’experts qui impliquent petit à petit tous les métiers de la bibliothèque, métiers à l’étonnante plasticité. L’ac-cent est mis sur la formation continue, comme le souligne Didier Desmottes en développant les axes de l’organisation du travail lié au numérique à la bibliothèque municipale d’Alès.

Hors de nos frontières, les défis de la bibliothèque hybride sont les mêmes : Deborah Shorley, directrice de la biblio-thèque de l’Imperial College de Londres, souhaite aussi faire à la fois évoluer les services en fonction des avancées tech-nologiques et des besoins des lecteurs (personnalisation des services, Informa-tion Literacy, etc.) et communiquer sur ces services. Elle constate que, contrai-rement aux besoins, les organigrammes n’évoluent que lentement.

L’offre de formation présentée par Armelle de Boisse (École nationale des sciences de l’information et des biblio-thèques – Enssib), Jenny Rigaud (Institut national supérieur des études territo-riales de Nancy) et Christophe Pavlidès (Médiadix) intègre le numérique, pour toucher toutes les catégories de profes-sionnels. Le numérique, loin de consti-tuer un domaine à part, est présent dans toute une gamme de stages, allant de la politique documentaire aux services aux publics.

La diversification des métiers de la bibliothèque nous interroge sur la place de la bibliothèque dans la société de l’information. Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque publique d’informa-tion, conclut la journée sur la fonction de production de contenus intermédiaires, dans un continuum entre physique et virtuel qui, selon lui, légitime le rôle de médiation des bibliothèques. •

Laurence [email protected]

L’étonnante plasticité des compétences professionnelles et la bibliothèque numérique

Le terme « bibliothèque numérique » englobe à la fois les ressources numériques en ligne, le patrimoine

numérisé, les outils numériques, inter-net, les livres électroniques, les réseaux sociaux et les outils collaboratifs. Cette multiplicité de services et d’outils induit une polyvalence croissante des fonctions du bibliothécaire, même si le service au public reste au cœur de leurs missions. Dans une logique de continuité plus que de rupture 1, la révolution numé-rique est une occasion de rassembler des établissements éloignés et de faire converger les métiers des bibliothèques avec d’autres, ceux de la documentation notamment.

Le groupe Île-de-France de l’Asso-ciation des bibliothécaires de France (ABF)2 a organisé le 10 janvier dernier, au Centre Georges Pompidou, une deuxième journée d’étude consacrée au thème « Nouvelles compétences, nouveaux mé-tiers ? 3 » dans les bibliothèques à l’heure du numérique.

Aux compétences professionnelles classiques s’ajoutent de nouvelles com-pétences liées à la valorisation des conte-nus. Lionel Maurel, coordinateur scienti-fique Gallica de la Bibliothèque nationale de France (BnF), s’interroge sur la nou-veauté du métier de conservateur dans la bibliothèque numérique : la constitution de collections numériques implique leur mise en valeur via les médias sociaux (blogs ou lettres d’actualité) : on passe de la conservation à la conversation. Inventer une nouvelle médiation pour les usagers est nécessaire selon Lionel Dujol, médiateur numérique pour les bibliothèques du Pays de Romans, pour

1. Voir sur le sujet l’ouvrage de Robert Darnton, Apologie du livre : demain, aujourd’hui, hier, Gallimard, 2011.

2. www.abf.asso.fr

3. La première journée d’étude a eu lieu le 14 juin 2010 et portait sur l’évolution des publics et des services.

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trer l’incongruité de son existence. Livre singulier, il fut la réponse de Charles Nodier au « désastre du Livre » du premier xixe siècle, au livre produit industrielle-ment et soumis à la « collectionnite ».

Dans une tout autre optique, pour Roselyne de Villeneuve (Paris 4)3 il s’est agi, par l’étude érudite des avant-textes et des avant-propos, d’expliciter la ge-nèse de l’écriture de l’Histoire du roi de Bohême, de repérer les glissements ou les réemplois, et de comprendre de ma-nière fine les mécanismes d’élaboration d’un texte mûri plus de trente ans.

L’amour des livres à l’Arsenal

Vincent Laisné (Paris 10)4 a tracé une perspective cavalière du « livre en acte à l’Arsenal » qui a permis de saisir un élément-clé de la chaîne du livre et de la constitution d’un mouvement roman-tique structuré : celui de la médiation littéraire avec les pairs. Dans le cénacle de Charles Nodier, loin des lectures so-lennelles engoncées dans le protocole, la déclamation des textes devint une sé-quence essentielle d’un processus de pa-tronage des poètes excédant largement le seul moment de la lecture.

Le Nodier « passeur de livre » a par-ticulièrement intéressé Sylvain Ledda (université de Rouen). Nous rappelant combien les stances de Nodier adres-sées à Musset, autant que les sonnets du poète au bibliographe, sont les sources émouvantes d’une relation littéraire et intellectuelle, il a reconstitué des pans de l’influence de l’érudit sur la formation de l’esprit romantique et du rôle de mentor joué par Charles Nodier dans les orien-tations littéraires d’Alfred de Musset, perceptible dans ses premières œuvres d’inspiration fantastique.

3. Roselyne de Villeneuve, La représentation de l’espace instable chez Nodier, Paris, Honoré Champion, 2010.

4. Vincent Laisné, L’Arsenal romantique. Le salon de Charles Nodier (1824 – 1834), Paris, Honoré Champion, 2002.

De la bibliographie à la bibliophilie

Annie Charon (École nationale des chartes et rédactrice en chef du Bulletin du bibliophile) a mis en lumière l’action de Charles Nodier lors de l’émergence du Bulletin du bibliophile, c’est-à-dire de 1830 à 1834. Il lui fallut quelque quatre années pour transformer un catalogue de livres à prix marqués, proposés par le libraire Teschener, en véritable Bulletin du biblio-phile, enrichi de notices, notes bibliogra-phiques et dissertations, légitimant, à côté d’une librairie ancienne, cette biblio-philie curieuse qui avait sa préférence.

Pour Jean Viardot, Charles Nodier incarna le « bibliomane romantique » obsédé par la quête des espèces en voie de disparition, qu’il s’agisse de bouquins ou de patois, collectionnant ainsi des ouvrages conservatoires de la langue ou réceptacles d’un « génie national ». Charles Nodier a été l’un des premiers à recourir sciemment à un certain nombre de mécanismes de sauvetage des livres menacés. Dotés d’attributs irrésistibles pour le bibliophile, rhabillés par des re-liures de luxe ou poétisés à travers des notices, les livres déchus recueillis par Nodier entrèrent dans le domaine du « collectible » et, à ce titre, échappèrent à la destruction.

Les passions d’un bibliophile écrivain

Marine le Bail a rappelé qu’à rebours d’un Prosper Mérimée qui se désolait de succéder à Charles Nodier à l’Acadé-mie puisque cela supposait de faire son éloge, Paul Lacroix parmi les premiers vit en lui une figure tutélaire de la bibliophi-lie. Nodier fut pourtant écrivain autant que bibliophile, ne cessant jamais d’être l’un pour devenir l’autre. L’écrivain de l’amour des livres, rendu sensible dans L’amour et le grimoire (1832) ou Francis-cus Columna (1844), a encore beaucoup à nous révéler sur le bibliophile et biblio-graphe Nodier.

Charles Nodier et la passion du livre

C’est dans les salons de la bibliothèque de l’Arsenal que s’est tenue la journée d’étude

« Nodier et la passion du livre », propo-sée par Élisabeth Parinet (École nationale des chartes) et Hélène Védrine (Paris 4), le 14 mars 2011 1. À la place même où Charles Nodier (1780 – 1844) tenait son cénacle, Bruno Blasselle (Bibliothèque nationale de France) a eu la difficile tâche d’introduire le programme de cette ambi-tieuse journée et de présenter un ama-teur inconditionnel du livre, tout aussi féru d’innovations qu’épris de traditions.

Alors, « Monsieur Nodier, où en sommes-nous avec le livre ? ». C’est à cette interrogation que s’est attachée à répondre la communication de Jacques-Rémi Dahan 2. Après avoir dessiné un tableau de la réception de l’œuvre de Charles Nodier de 1830 à nos jours, il a tracé les contours d’un personnage au portrait éclaté, bornés par deux facettes emblématiques : le Nodier bibliothécaire et le Nodier « bibliologue », bibliographe et polygraphe.

La passion du livre mise en pages : l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux (1830)

Charles Grivel (université de Mann-heim) s’est intéressé à l’ouvrage em-blématique de Nodier, comme « livre d’images ». La proposition est auda-cieuse au vu des 50 illustrations qui parsèment le texte de l’Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux. Pourtant, Charles Grivel a montré comment les planches et vignettes donnent les clefs de cet ouvrage, qui ne cesse de démon-

1. Avec le soutien de l’École nationale des chartes, du centre de recherche sur la littérature du xixe siècle et de l’école doctorale III de l’Université Paris Sorbonne, et de la Bibliothèque nationale de France.

2. Voir notamment : Jacques-Rémi Dahan, Visages de Nodier, Paris, Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2008.

86 bbf : 2011 t. 56, no 4

point de cet événement, l’équipe de l’Arsenal proposait en vitrine un éventail de curiosités tirées des collections de la bibliothèque de l’Arsenal, comprenant aussi bien le célèbre portrait que fit Tony Johannot du bibliophile que des volumes des œuvres de plume de Charles Nodier ou des ouvrages lui ayant appartenu. •

Elsa [email protected]

le motif de reliure dit « à la fanfare », auquel Nodier a donné une certaine pos-térité, ne marque pas tant un goût du neuf qu’une passion du passé poussée à l’extrême.

Cette journée, polyphonique et riche en perspectives nouvelles, a été clôtu-rée par une lecture des textes de Charles Nodier, choisis et présentés par Jean-Luc Steinmetz (université de Nantes) dans le cadre des Lundis de l’Arsenal. En contre-

Emmanuelle Toulet (Bibliothèque historique de la ville de Paris) s’est inté-ressée au goût de Charles Nodier pour les reliures. Elle a mis en lumière le rôle précurseur de cet amateur de reliures dans un marché encore en formation. Une véritable typologie de ses partis pris en matière de reliure et de ses affi-nités avec les maîtres relieurs a permis de montrer les nuances, voire les contra-dictions apparentes, de l’amateur. Ainsi,

no 5 Métamorphoses de la lecture

La question de l’avenir du livre a donné lieu ces dernières années à quantité de rapports centrés sur les métamorphoses pressenties de l’objet ou les évolutions à venir de sa chaîne de production, de distribution, de diffusion. Force est de constater qu’aucune de ces analyses n’a emporté une complète adhésion. Peut-être parce qu’avant d’aborder les questions de support, de format, ou d’économie du livre, il convient de s’interroger sur les métamorphoses de la lecture à l’ère du numérique. En croisant les points de vue de divers professionnels du livre (éditeurs, libraires, bibliothécaires, historiens et sociologues de la lecture), sans oublier bien sûr ceux des lecteurs, on fait ici l’hypothèse que ce sont les usages en marche, ou pressentis, ou simplement possibles du livre qui pourraient le mieux bien dessiner les contours de son avenir.

Parution : octobre 2011

no 6 L’avenir des bibliothèques : vues d’ailleurs

Le projet est simple, si sa réalisation peut être complexe : puiser le temps d’un dossier et dans l’actualité le meilleur des revues bibliothéconomiques étrangères. De quoi parlent nos collègues ? Quels sont leurs enjeux, leurs enthousiasmes, leurs craintes, leurs espoirs ? Croient-ils à la disparition prochaine des bibliothèques – ou non ?

Parution : décembre 2011

bbf : Dossiers 2011

Les propositions de contributions sont à adresser au rédacteur en chef, à l’adresse suivante : [email protected]

bbf : 2011 87 t. 56, no 4

Le développement actuel pose deux questions à propos de ces attentes.

Tout d’abord, en matière de repérage de l’information, un concurrent puissant (les industries Google, pour faire court) menace de supplanter les bibliothèques, même universitaires : comment se po-sitionner, alors que les bibliothèques elles-mêmes travaillent avec des services intermédiaires (gestionnaires d’abonne-ments) auxquels elles ont délégué leur rôle de médiation ?

Puis, concernant l’accès de tous à l’information, des tensions nouvelles apparaissent avec le développement du livre numérique. Des éditeurs, comme Harper Collins, tentent de reconstruire la rareté et l’usure en imposant l’idée du prêt unique de l’ebook et sa destruction au terme de 26 prêts.

Enfin, l’articulation entre espace phy-sique et cyberespace induit une néces-saire réflexion : comment partager des savoirs localement ? Comment partager des savoirs auxquels on accède par voie numérique ? Faut-il envisager l’enrichis-sement des contenus par les usagers eux-mêmes ? La question est ouverte.

Ouverture des espaces et des collections

Anne Verneuil, directrice de la média-thèque d’Anzin 2 (Nord – Pas-de-Calais) lauréate du prix Livres Hebdo pour son aménagement intérieur, rappelle la né-cessité d’un travail sur les collections afin de présenter une offre pluraliste, ouverte à d’autres champs que la culture, et de penser l’espace de présentation de ces collections. À Anzin, une étude sur les usages a permis d’adapter au public le plan de classement des collections : des espaces très ouverts mêlent documents adulte et documents jeunesse ; de même, le mobilier permet de soutenir efficace-ment zones de silence et espaces plus

2. www.mediatheque-anzin.fr

animés. Un certain nombre de services innovants ont été mis en place, depuis le prêt de lunettes et de paniers jusqu’à l’ouverture aux réseaux sociaux – ce qui nécessite une communication soignée pour les faire connaître. Enfin, l’équi-pement en radio-identification (RFID) permet une plus grande disponibilité du personnel pour l’accueil, lequel a été for-malisé dans une « Charte du personnel ».

Implantation des bibliothèques dans le tissu urbain

Quant au réseau de la Ville de Paris, trois nouveaux équipements program-més alimentent le débat. Francis Verger, chargé de la mission « Nouveaux équi-pements » au Bureau du livre et de la lecture de la Ville de Paris, a insisté tout particulièrement sur la nécessité de s’ap-puyer sur le contexte environnemental des équipements : autres équipements installés, habitudes de fréquentation et de passage – afin que la bibliothèque soit adaptée à ses publics.

Dans le 18e arrondissement, au sein d’un quartier équipé d’un collège, d’une auberge de jeunesse, d’un institut uni-versitaire de technologie, d’un centre sportif et d’un hôtel d’entreprises, la bibliothèque de la Halle Pajol (1 000 m2 environ) proposera assez naturellement le jeu vidéo comme pratique communau-taire des jeunes et disposera d’une salle dédiée à la pratique des jeux en réseau.

Au centre de Paris, La Canopée, vaste projet de réhabilitation des Halles 3, recherche « une certaine synergie autour de la culture urbaine » : située face à un centre de culture hip-hop, la bibliothèque de 1 000 m2 développera un espace com-munautaire, adaptera ses collections en direction de la « génération Y », née à

3. www.paris.fr/accueil/Portal.lut?page= multimedialist&page_id=1&id=234&pop=1

Au dernier Salon du livre de Paris, la rencontre du 21 mars animée par Jean-Claude Utard, respon-

sable du Service des publics et du réseau des bibliothèques de la Ville de Paris, a été l’occasion de proposer une réflexion sur les changements nécessaires afin de rendre les bibliothèques plus attractives pour les nouvelles générations.

Les bibliothèques doivent relever plusieurs défis, parmi lesquels l’hétéro-généité des pratiques culturelles et les usages complexes que cela implique, la concurrence d’internet en matière de communication et de lecture, et la demande nouvelle de la part des conci-toyens d’une certaine démocratie parti-cipative, jusqu’au sein même des biblio-thèques.

Un environnement en mutation

Pierre Mounier, directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ou-verte du Centre national de la recherche scientifique (Cléo)1, relève que la notion de nouvelles générations, parfois appe-lées « digital natives » et assimilées à une certaine espèce de Martiens, ne désigne pas une réalité aussi étrange qu’on vou-drait le faire croire. Certes, sur le plan communicationnel, quelque chose de nouveau et de particulier se développe. Mais les pratiques informationnelles, quant à elles, ne sont pas si différentes de celles qu’ont connues les anciennes générations. Ce qui change, c’est plu-tôt un environnement dans sa globa-lité, lequel conduit les différents acteurs – dont les bibliothèques – à se reposi-tionner. Des bibliothèques, nous atten-dons communément qu’elles donnent accès à l’information, qu’elles aident à se repérer dans cet univers informationnel et qu’elles en offrent une lecture spéciali-sée, avec un accès universel.

1. http://cleo.cnrs.fr

LA BIBLIOTHèQUE SAURA-T-ELLE ACCUEILLIR LES NOUVELLES GÉNÉRATIONS ?

Salon du livre de Paris 2011

88 bbf : 2011 t. 56, no 4

projet de bibliothèque en fonction de son implantation au sein d’une population de quartier et/ou de passage et non d’usa-gers abstraits. •

Christelle [email protected]

le centrer sur les passions des habitants du quartier, sans oublier une population touristique nombreuse : un travail de concertation en leur direction devrait être mené, sur le modèle de la démocratie participative.

Ces trois exemples parisiens rap-pellent l’impossibilité d’un modèle unique et la nécessité de penser chaque

l’ère d’internet, et recentrera ses services autour de la notion d’animation de com-munauté afin de se positionner en tant que prolongation du centre de culture hip-hop et non en concurrente.

Enfin, sur l’île Saint-Louis, un pro-jet prend en compte l’étroitesse du lieu disponible (250 m2), « trop petit pour une bibliothèque traditionnelle », afin de

Autour du « lien »

À cet aimable batelage, les diffé-rents projets, rapidement présentés (dans d’autres lieux, on appelle ça un « poster ») autour du « lien » apportaient un contrepoint, il faut l’avouer, rafraî-chissant, stimulant, rassurant. C’était notamment le cas de la désormais bien connue initiative de Pascal Jardin, « Lire et faire lire 1 », qui réunit 12 000 béné-voles (dont 80 % de femmes) qui se chargent de faire découvrir chaque année à quelque 250 000 enfants le plaisir de la lecture. Ici, se sont souvent les seniors qui sont les passeurs. Écoles, centres de loisirs, bibliothèques bien sûr, sont autant de terres labourées pour « donner aux enfants un vocabulaire nécessaire à leur réussite scolaire ». À cet utilitarisme de la lecture, on avait la tentation d’opposer un réflexe pennacien. Mais la réussite est là, et les ambitions grandes de l’amplifier encore dans les prochaines années.

Le « Port d’âge » mené par les bi-bliothèques de la Ville de Paris est plus modeste, mais tout aussi précieux, qui fut évoqué notamment par le biais d’un petit film, duquel on retire une image frappante : celle d’un vieux monsieur (ce n’est en rien péjoratif ), expliquant, devant une bibliothèque dans laquelle s’alignent des rangées entières d’ou-vrages de la collection de la Pléiade, com-bien il appréciait désormais qu’un jeune garçon vienne lui faire la lecture, à domi-cile, puisque c’est l’objectif de « Port d’âge ». Les jeunes, volontaires entre 18 et 25 ans, sont issus du service civil/

1. www.lireetfairelire.org

civique, et vingt bibliothèques de la Ville participent au projet, composant une « sérénade à trois » : les bibliothécaires, les volontaires, les bénéficiaires, seniors ou personnes en situation de handicap. L’une des volontaires souligna que, sou-vent, c’est plus leur présence que le livre, et ce qu’ils lisent, qui intéresse les bénéfi-ciaires et (sans moquerie) on pourrait de fait imaginer que, dans un tel contexte, les liseuses pourraient être utiles, offrant un choix plus large, sur place, et sans réservation nécessaire. Une autre, pour laquelle les bibliothèques étaient visible-ment une vocation, s’en vint à souhai-ter qu’on « augmente la taille des biblio-thèques pour qu’on puisse… vivre dedans ».

Deux autres réalisations présentées (Librest 2 d’une part, celles de l’Arefo 3 et de l’Arpad 4, résidences pour personnes âgées, d’autre part) avaient elles aussi pour ambition d’amener le livre aux populations vieillissantes, dont on sait l’importance quantitative, mais dont on sait aussi la détresse, puisque, comme le rappela l’un des participants, certains re-traités en sont « à un euro près ». Certes, les bibliothèques sont déjà très présentes auprès des personnes âgées, mais on se disait, à écouter chacun et chacune, et notamment les admirables et modestes jeunes filles du « Port d’âge » qu’on pour-rait faire plus, beaucoup plus. •

Yves [email protected]

2. www.librest.com

3. www.arefo.com

4. www.arpad.fr

Le Salon du livre offre l’opportunité de rencontres improbables que n’aurait pas désavouées le comte de

Lautréamont. Ainsi de l’« entrechoc », le 21 mars dernier, entre une présentation, « pour les seniors » (effectivement) d’une liseuse, tablette, etc., et celle de divers projets intergénérationnels menés, pour certains, en partenariat avec les biblio-thèques, afin de valoriser, par le biais du livre et de la lecture, « le lien » – ce qu’en d’autres temps, avec d’autres mœurs, on appelait les relations familiales et sociales.

La tablette présentée, à la manière curieuse et finalement sympathique d’un bateleur, rappelait furieusement, il faut bien l’avouer, le Minitel ou, puisqu’il est question de seniors, le splendide Télécran de notre enfance. Elle sera en couleurs « en début d’année prochaine » et « mettre des livres dedans, c’est assez simple » (150, nous fut-il indiqué). Certes, la critique est aisée, mais l’art semble difficile : si le produit a « toutes les fonc-tionnalités du livre », et notamment le marque-page intégré, l’utiliser suppose, comme le nota une participante, un tra-vail de l’œil très spécifique, qui engendre presque une « révolution spatiale ». Le souci (désespéré ?) d’accrocher l’objet à l’univers du livre papier, dans un Salon où il semblait plutôt bien vivant, amène l’objet à être utilisable dans beaucoup de librairies, via des bornes de téléchar-gement tactiles. L’idée laissa plutôt per-plexe, qui prive l’outil d’un de ses princi-paux avantages (décharger de chez soi, à n’importe quel moment), tout comme cette antienne qui voulait que le livre électronique soit là « pour épauler l’édition papier ».

LE LIVRE NUMÉRIQUE EXPLIQUÉ AUX SENIORS [ET] INITIATIVES FRANCILIENNES POUR FAVORISER L’ACCèS AU LIVRE DES SENIORS

bbf : 2011 89 t. 56, no 4

des contenus ou des dispositifs pour que les personnes « interagissent ».

• Référencement. Pour interagir, être ré-férencé est indispensable. Une recherche sur internet ne laisse pas de chance aux services publics pour apparaître dans les quatre premiers résultats. Lieu de conte-nus par excellence, la bibliothèque doit, pour Lionel Dujol 2, être attentive aux outils de référencement, et assurer sa présence sur des lieux ciblés du réseau.

• Opportunité. Mais on ne se conten-tera pas de référencer à l’aveugle. Il faut investir les espaces du web, là où les usa-gers ont leurs habitudes ; et ensuite choi-sir le moment opportun pour éditer et observer les conversations qui naissent autour de ces contenus éditorialisés. Lio-nel Maurel 3 donne l’exemple d’images de carnaval, issues des collections patri-moniales de la BnF et déposées sur la Toile : les publics se déguisent virtuelle-ment, discutent et échangent à propos de ces images. Quelle meilleure façon d’inventer un nouveau rapport aux collec-tions patrimoniales ?

Résumons : il faut changer les habi-tudes de travail des bibliothécaires. C’est bien le bibliothécaire et ses compétences qui sont à l’œuvre dans ces grands chan-gements. Mais comment faire ? Quelles nouvelles compétences développer ? Quelques pistes ont été présentées à destination des professionnels mais aussi des organismes et agences de for-mation.

Si vous n’en étiez pas encore con-vaincus, Didier Desmottes 4 a rappelé deux disparitions en cours : la « fin » du catalogage, d’une part, la « fin » des opérations de prêt/retour, d’autre part. Le bibliothécaire doit mettre en valeur ses compétences de conseil, orientation et accueil en général, compétences qu’il détient déjà. Lionel Maurel remarque

2. http://labibapprivoisee.wordpress.com

3. http://scinfolex.wordpress.com

4. www.netvibes.com/ddp30/activities

lui aussi que des « profils numériques » existent déjà dans les équipes, mais de manière informelle, du moins hors du cadre hiérarchique. Ainsi, on voit des bibliothécaires développer des com-pétences sur leur temps personnel et les réutiliser sur leur temps de travail, modèle du « bibliothécaire qui twitte ». Ces personnels sont donc tout à fait ca-pables d’animer des communautés sur internet, à condition que le projet de la bibliothèque inscrive comme objectif de transformer ses activités et de toucher ces nouveaux publics, non traditionnels. La situation idéale est bien sûr de dédier un poste à temps plein à la médiation numérique. Directeurs de bibliothèques : repérez les perles numériques parmi les personnels et renouvelez ensemble les priorités du service !

Comment faire ?

Il faut donc agir, réviser intentions et priorités des bibliothèques. Objectif : investir d’urgence le territoire du web ! Cependant, « animer toute commu-nauté » nécessite une stratégie. Silvère Mercier déconseille de « rentrer sur le web comme un passager clandestin » : la biblio-thèque doit s’interroger sur son identité numérique (forme) et doit être capable de capter l’attention des internautes, et de produire (contenus) de manière choi-sie et adaptée à son environnement. Lio-nel Dujol explique que la valeur ajoutée réside dans le bibliothécaire et ses choix. C’est lui qui doit cibler des communau-tés d’usagers localement et investir un territoire numérique de proximité. Inutile de prospecter des communautés situées à des milliers de kilomètres, le mieux est de repérer les communautés d’inté-rêt proches et de suivre leur évolution rapide.

Allant crescendo, tous ont repoussé les limites conventionnelles données aux activités des bibliothécaires sur le web. La bibliothèque veut être présente sur un réseau social ? Acceptons d’explorer toutes les conditions de fonctionnement de la plateforme. La bibliothèque veut

Le pôle de compétences « Culture, bibliothèques et patrimoines » du Centre national de la fonction

publique territoriale a organisé au Salon du livre de Paris, le 18 mars dernier, un débat sur les impacts du numérique sur les métiers et compétences en biblio-thèques.

Nombreux étaient les auditeurs d’une scène numérique ce soir-là très masculine. Bloggeurs de notoriété éta-blie, les participants ont le talent d’explo-rer de nouveaux territoires, territoires numériques bien sûr. Pour donner une idée de l’impact du numérique sur les bibliothèques, chacun a complété le dis-cours de l’autre, déroulant de concert un état des lieux clair, sans polémique ni pessimisme : la bibliothèque, c’est sûr, a sa place dans le contexte du numé-rique. Mieux même, elle semble avoir les prérequis nécessaires à la mise en œuvre de son évolution : elle possède les contenus, richesses inespérées pour internet (on le voit d’ailleurs quand Google démarche les bibliothèques à l’affût d’accords pour numériser leur pa-trimoine) ; mais elle possède aussi (et il est bon de l’entendre !) les compétences nécessaires, certes mal ou peu exploi-tées.

Que faire ?

Si les bibliothèques souhaitent tirer profit du numérique, les intervenants ont souligné trois marqueurs, qui peuvent profitablement devenir les mots-clés des actions à venir.

• Interaction. Le numérique réaffirme le rôle de médiation de la bibliothèque. Le concept de « médiation numérique » développé par Silvère Mercier 1 est le pro-longement logique de la politique docu-mentaire : aujourd’hui, il faut faire se ren-contrer les gens et les contenus. Il faut donc que les bibliothèques proposent

1. www.bibliobsession.net

PROPULSER LES BIBLIOTHèQUES SUR LE WEB ET ANIMER DES COMMUNAUTÉS : LES NOUVEAUX DÉFIS DU MÉTIER

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veillante d’un encombrant partenaire/concurrent que nous nommerons G., la numérisation s’était banalisée, d’une part, était devenue de masse, de l’autre, suscitant lors des problèmes sans com-mune mesure avec ceux rencontrés lors de la constitution, déjà ancienne, de pe-tites bibliothèques numériques locales.

Thierry Claerr évoqua en premier lieu le rôle fondamental de la BnF et de sa bibliothèque numérique, Gallica 1. Non seulement, par le biais de l’interopérabi-lité, du moissonnage de métadonnées, la BnF met en valeur d’autres bibliothèques numériques qui lui sont associées (et no-tamment celle de Cujas), mais elle est en outre en train d’ouvrir ses chaînes de nu-mérisation à d’autres partenaires, jouant véritablement son rôle de bibliothèque tête de réseau, dans ce domaine comme dans d’autres aussi exemplaires (pôles associés, Catalogue collectif de France). Pour autant, « toutes les bibliothèques n’ont pas vocation à numériser ».

Ce qu’il faut en effet mettre en va-leur, c’est la numérisation de diffusion, qui pose, toujours pour Thierry Claerr, cinq défis : technique, juridique, écono-mique, organisationnel, scientifique. La numérisation doit être concertée, pour éviter les redondances, les doublons, les gaspillages. Les outils informatiques per-mettent désormais, à qui sait s’affranchir de solutions « maison », toutes les op-portunités possibles d’ouverture, de telle sorte que « n’importe quelle bibliothèque devient une bibliothèque monde ». L’accord (contesté) sur la numérisation par la BnF, d’ici cinq ans, d’ouvrages devenus indis-ponibles, va fournir 500 000 références supplémentaires ; c’est l’un des exemples d’un marché mûr, qui ajoute des quanti-

1. http://gallica.bnf.fr

tés considérables de documents, chaque jour, à des réservoirs désormais mas-sifs, exploitables, et non plus invisibles comme c’était largement le cas dans les balbutiements.

De ces balbutiements, Noëlle Balley témoigna avec humour et décision. « Les choses qu’il ne faut pas faire, à Cujas on en a fait beaucoup. » Cette période, qu’il serait trop facile de brocarder, et dans laquelle au contraire il s’agit de puiser les enseignements d’hier pour les réussites d’aujourd’hui, est désormais bien loin-taine pour une bibliothèque résolument entrée dans une ère numérique active, où il faut aussi prendre en compte, et on l’oublie bien souvent, « le facteur humain ». Après tout, la numérisation, ce sont aussi, surtout, des agents qu’il faut motiver, « pour que les gens ne se désespèrent pas complètement », qu’il faut former de façon à « ne pas penser pour l’utilisateur, [mais] à lui ». Les tâches sont souvent répétitives, monotones, et il y a « un sentiment d’absence d’organisation inhérente au numérique », contre lequel il faut lutter, notamment en faisant pièce à un « ennemi mortel : la culture du secret », et en faisant « la part du perfectionnisme et… la part de la rigueur ». Le lecteur excu-sera cette abondance de verbatims, mais elle traduit au plus près la finesse du dis-cours, pendant idéal de la présentation plus « hardware » de Thierry Claerr.

Une nécessaire médiation

Et, comme il était décidément dit que la construction de la pièce musi-cale serait parfaite, Emmanuelle Bermès proposa quant à elle une réflexion sur la nécessaire médiation d’accès aux collec-tions numériques, ou plutôt sur les mé-

Il est des tables rondes aussi pas-sionnantes, aussi denses, que bien des journées d’étude, il le faut bien

avouer… Ce fut le cas au Salon du livre, le 21 mars, de celle consacrée à la paru-tion, au Cercle de la librairie, du premier volume du Manuel de numérisation, sous la direction d’Isabelle Westeel et de Thierry Claerr. Signe que le numérique, la numérisation, font bouger les lignes (enfin), cette table ronde réu nissait un représentant du Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication (T. Claerr déjà cité), une représentante de la Bibliothèque nationale de France (BnF), « état dans l’État » des bibliothèques, Emmanuelle Bermès, et Noëlle Balley, de la biblio-thèque interuniversitaire Cujas, donc du « monde » de l’enseignement supé-rieur et de la recherche. Le tout sous la houlette attentive et bienveillante de Martine Poulain, directrice de la collec-tion « Bibliothèques », bien connue des professionnels, collection dans laquelle paraît l’ouvrage, mais aussi directrice de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, transinstitutionelle par nature et par missions.

Une subtile cohérence

Chacun d’entre eux successivement, reprenant inconsciemment la subtile co-hérence qui présidait à leur réunion, pro-posa, de la numérisation, une variation personnelle et complémentaire, qui, aux musicophiles, pourrait évoquer un qua-tuor (Schubert ? Schumann ?). Martine Poulain, avant que de ponctuer les autres interventions, rappela que, « grâce à la numérisation […] le patrimoine a un nou-vel avenir » et que, ces dernières années, certes sous la pression faussement bien-

QUELLE POLITIQUE DE NUMÉRISATION EN BIBLIOTHèQUE ?

animer une communauté ? Ne nous contentons pas de répondre à des ques-tions, soyons actifs et posons des ques-tions à notre tour.

Oui mais, concrètement, comment s’y prendre pour développer une stra-tégie adaptée ? Ces quatre pionniers ont imaginé, élaboré et déployé un pro-

gramme de formation sur mesure. Nom de code : Biblioquest. Organisateur : l’In-set de Nancy 5. Trois modules interactifs dédiés à la prise en main de nouvelles manières de travailler et de concevoir le

5. www.inset-nancy.cnfpt.fr

métier. Un dispositif indispensable pour passer du discours au terrain. •

Marie-Christine [email protected]

Bruno [email protected]

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numérisation doivent associer les infor-maticiens très en amont, et les biblio-thécaires très en aval ; la BnF, peut-être pour bientôt d’autres bibliothèques, mul-tiplie les accords avec les moteurs de re-cherche (Bing hier, Exalead aujourd’hui), les projets foisonnent, la concertation, notamment par le biais du Schéma nu-mérique des bibliothèques 2 est en place, et il faut « casser enfin le cloisonnement entre le livre papier et tout ce qui est numé-rique » : M. G. n’a qu’à bien se tenir. •

Yves [email protected]

2. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000143/0000.pdf

les collections physiques ? Et « peut-on vraiment transformer tous les bibliothé-caires en bibliothécaires numériques ? ».

La question est, d’habitude, plus sourdement posée. Elle rejoint l’impé-rieux besoin de formation qu’avait, aupa-ravant, souligné Thierry Claerr. Elle est d’autant plus importante que le mot de l’année 2 011 sera probablement celui de « curation ». De quoi s’agit-il ? En gros, de l’intervention humaine dans la ges-tion des flux numériques. Pas dans le domaine des transactions financières, non, dans celui des interactions entre usagers de ressources numériques, les ressources elles-mêmes, et leurs gestion-naires. C’est l’avenir ; il semble moins sombre, pour les bibliothécaires et leur légitimité, que le présent : les projets de

diations, dont elle proposa (et on adore l’exercice) une esquisse de typologie : la « médiation du flux », qui permet de valo-riser la collection en la rendant présente et exploitable (détournable ?) sur les réseaux sociaux ; la « médiation par les métadonnées », où l’outil de description doit être adapté aux usagers (et, comme le soulignait Noëlle Balley, il faut avant tout penser aux utilisateurs) ; et enfin la « médiation par les organisations », puisque, dans des processus désormais « banalisés », il faut passer du projet à la production régulière. C’est sans doute le plus grand défi, car, devenue à part en-tière, la bibliothèque numérique, sa créa-tion, sa gestion, sa diffusion, ne peuvent plus être, en bibliothèque, entièrement à part. Dès lors, quelles conséquences sur

au logiciel libre : dynamique citoyenne, intelligence collective et partage du sa-voir. Pascale Nalon (présidente de l’asso-ciation d’utilisateurs français Kohala 2) et Caroline Gayral (directrice du service commun de la documentation de Lyon 2) ont ouvert le symposium en affichant une volonté collaborative et fédératrice forte, traduite à travers un programme savamment composé de conférences, de retours d’expériences, d’ateliers pra-tiques et de stands associatifs autour du logiciel libre.

La vitalité du projet Koha

Paul Poulain a présenté l’histoire de Koha et les nouveautés de la version 3.4, en tant que développeur historique de Koha et Release Manager (traduisez « éditeur/coordinateur ») de la version 2.

En 2004, il fallait être « un peu fou » pour se lancer : l’École des mines de

2. www.koha-fr.org

Paris, la bibliothèque municipale de La Française (Tarn-et-Garonne) et quelques autres ont fait partie des pionniers. De-puis, des établissements de plus grande taille se sont ré-informatisés avec Koha, comme les trois services communs de la documentation d’Aix-Marseille, la Biblio-thèque universitaire des langues et civili-sations à Paris (Bulac) ou la bibliothèque municipale de Limoges.

Le développement du logiciel s’orga-nise au plan international autour de réu-nions mensuelles par chat, de listes de diffusion sur koha-community.org (dont une dédiée aux développeurs) et de conférences annuelles, dont la prochaine aura lieu en Inde.

La mutualisation au centre de l’écosystème Koha

La table ronde « Travailler avec des professionnels du libre »,remarqua-blement modérée par François Élie, de l’Association des développeurs et des

Troisième Symposium Koha à Lyon

Les 26 et 27 mai derniers, l’univer-sité Lyon 2 accueillait le troisième Symposium Koha, principal événe-

ment français autour du système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) libre 1.

En maori, un koha est un don, une contribution. Dans le monde de la docu-mentation, il s’agit du premier SIGB libre à avoir vu le jour. Créé en 1999, Koha a connu un vif succès partout dans le monde grâce à une communauté très active. En France, Koha est actuellement utilisé par au moins 33 établissements académiques ou de lecture publique.

Le symposium, bénéficiant d’une organisation sans faille, s’est déroulé dans une atmosphère bon enfant, avec près de 130 participants venus de tout le pays, de bibliothèques municipales ou universitaires de toutes tailles. Beaucoup partageaient déjà les valeurs associées

1. Podcasts et reportage web TV disponibles sur : www.univ-lyon2.fr/documentation/actualites/ symposium-koha-la-suite-421556.kjsp?RH= WWWDOCACTU

ÉCHANGER, RÉFLÉCHIR, PARTAGER, SE FORMER

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latines, puissent continuer de bénéficier des évolutions de la version communau-taire. D’autres développements futurs, potentiellement utiles à tous, seront de plus en plus difficiles à intégrer à la ver-sion officielle.

Enfin, les formes de la mutualisa-tion ont fait l’objet d’un dernier échange. Ainsi, les services communs de la docu-mentation (SCD) de Lyon 2, Lyon 3 et Saint-Étienne se sont répartis les coûts de développement de trois modules et ont demandé leur reversement pour en faire bénéficier d’autres établissements. La coopération, jusqu’ici informelle, né-cessite sans doute d’être formalisée, par exemple par la création d’une fondation. Enfin, la communauté française des uti-lisateurs de Koha s’exprime encore très peu au niveau international alors même qu’elle pourrait peser beaucoup plus.

Une dynamique de « work in progress »

Les six ateliers ont fait l’objet d’une forte demande : certains étaient très techniques (feuilles de style XSLT et lan-gage de requêtes SQL), et d’autres plus abordables : l’installation de Koha sur serveur, l’utilisation de logiciels de sta-tistiques 8. L’install party permettait à

8. Birt et Jasperreports.

utilisateurs de logiciels libres pour l’ad-ministration et les collectivités territo-riales 3 a donné la parole aux prestataires français : Biblibre 4, Ploss-RA 5, Progi-lone 6 et Tamil 7.

Le premier débat a été consacré à la question de la rédaction des appels d’offres dans le cas d’un logiciel libre. Il faut savoir, par exemple, qu’on peut alors se contenter de faire un marché de services, ce qui permet de citer expres-sément le logiciel dans le cahier des clauses techniques particulières.

La pertinence de développements multiples et non coordonnés a fait l’objet d’un second débat. En effet, la compati-bilité entre la version communautaire et les développements spécifiques finan-cés par les établissements rencontre déjà des difficultés. Ainsi, les développe-ments financés par le service commun de la documentation de Lyon 3 pour le module circulation (amendes en jours) n’ont pas été acceptés par la commu-nauté au motif de leur caractère spécifi-quement français. Il est important que les établissements ayant investi dans des développements particuliers, comme par exemple la Bulac pour les écritures non

3. www.adullact.org

4. www.biblibre.com

5. www.ploss-ra.fr

6. www.progilone.com

7. www.tamil.fr

chacun d’expérimenter les nombreuses options de paramétrage du logiciel. Une quatrième séance était consacrée aux changements dans l’organisation du tra-vail : Koha est apparu comme un logi-ciel intuitif et rapide à prendre en main, qui induit une dynamique de « work in progress » et amène à changer ses habi-tudes, souvent dans le sens d’une simpli-fication des tâches.

Enfin, trois retours d’expérience clô-turaient le symposium : la bibliothèque municipale de Nîmes, la bibliothèque de l’École nationale supérieure d’architec-ture de Nantes et le SCD de Lyon 2. Les intervenants ont souligné les difficultés rencontrées : mise en place chrono-phage, accompagnement nécessaire, développements coûteux, données à reprendre après migration… Mais ils ont aussi exprimé leur satisfaction : ergono-mie du nouveau système, bons retours des utilisateurs, économies à long terme, mutualisation des compétences, motiva-tion des équipes, etc. C’est bien la satis-faction et l’optimisme qui ressortent de ce symposium : Koha n’est certes pas le SIGB parfait, mais il fonctionne plu-tôt bien et, surtout, il permet aux biblio-thèques de s’inscrire résolument dans la culture du libre. •

Thierry [email protected]

Antoine [email protected]

Fabrice d’Almeida, Christian Delporte Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours

Alice Billard

Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François Vatin Refonder l’université : pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire

Thierry Ermakoff

Marie-Françoise Cachin Une nation de lecteurs ? La lecture en Angleterre (1815-1945)

Constance Collin

« L’architecture et ses images » Sous la direction d’Évelyne Cohen et Gérald Monnier

François Rouyer-Gayette

Gallimard, 1910-1911 : un siècle d’édition Sous la direction d’Alban Cerisier et Pascal Fouché

François Rouyer-Gayette

Politiques et pratiques de la culture Sous la direction de Philippe Poirrier

Thierry Ermakoff

Le rôle social des bibliothèques dans la ville Sous la direction de Pascale Villate et Jean-Pierre Vosgin

Yoann Bourion

94 bbf : 2011 t. 56, no 4

Fabrice d’Almeida, Christian DelporteHistoire des médias en France de la Grande Guerre à nos joursNouvelle éd. revue, actualisée et augmentéeParis, Flammarion, 2010, 510 p., 18 cmColl. Champs HistoireISBN 978-2-08-123770-4 : 12 €

L’histoire des médias n’est aujourd’hui plus un sujet neuf, même si ce champ historique

n’a été véritablement ouvert que dans les années 1990. Le présent ouvrage, fruit du travail de deux spécialistes reconnus de l’histoire culturelle et des représentations, dans cette édition revue, actualisée et augmentée, n’a donc pas pour ambition de défricher un terrain inconnu, mais plutôt de constituer une synthèse assez concise – environ 500 pages – des recherches en ce domaine depuis deux décennies. Cette synthèse envisage par ailleurs l’histoire des médias – un média étant entendu au sens large comme « tout moyen, outil ou système d’organisation permettant la diffusion massive ou la communication publique d’une information ou d’un message dans l’espace et dans le temps » – dans le cadre de la Grande Histoire, en l’incluant résolument dans l’histoire de la société française.L’approche adoptée par les deux auteurs est chronologique avant tout. La période envisagée est découpée en huit moments, dont les césures correspondent aux grandes ruptures de l’histoire politique, manière de situer l’histoire des médias dans celle, plus large, du pays. Pour chacun de ces moments sont abordées les évolutions majeures qu’ont connues les divers médias : distance au pouvoir politique, évolutions techniques, organisation des métiers, diffusion, portée sur la société. Le choix, classique, d’un découpage chronologique, vise à montrer l’avènement de notre société moderne, « hypermédiatisée », produisant une

culture médiatique propre, dans un mouvement qui a vu, en un siècle, les médias basculer du domaine de l’opinion vers celui de l’information, et aujourd’hui de la communication.La Première Guerre mondiale est un moment de rupture où s’exprime pour la première fois peut-être l’importance dans ces circonstances de médias déjà variés, enjeux réels et objets de toutes les attentions. L’entre-deux-guerres marque la naissance, discrète mais réelle, de l’information moderne, avec des médias plus nombreux, diversifiés et développés, des professionnels qui s’organisent, témoignant des grandes lignes de fond de l’évolution de la société. Après la parenthèse de 1939-1944, théâtre d’une guerre intérieure qui est aussi médiatique, la ive République est une période de reconstruction et d’hésitations, avant le grand essor médiatique de l’ère gaullienne où triomphe une consommation de masse, dans un contexte de contrôle centralisé. À compter de la fin des années 1960, le secteur des médias entame une lente libéralisation, sous les mandats de Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Les auteurs analysent enfin l’histoire des vingt dernières années, dans le contexte d’une société de communication et d’un monde médiatique en pleine mutation.La construction chronologique, quoique classique, a le mérite de souligner les rapports de l’histoire des médias avec l’histoire plus globale : aussi cette Histoire des médias en France peut-elle être considéré comme une histoire de France par les médias. Le traitement linéaire du sujet est d’ailleurs enrichi par la présence d’un important « Glossaire critique » d’une centaine de pages, comprenant à la fois un ensemble de notices traitant de personnalités ou de sujets précis – de « Françoise Giroud » aux « Écoles de journalisme » – un ensemble de données chiffrées récentes et une bibliographie particulièrement complète, actualisée depuis la dernière édition.Ainsi, l’ouvrage de Fabrice d’Almeida et Christian Delporte, outil précieux pour les chercheurs et curieux de l’histoire des médias, propose aussi de relire de manière différente, mais cependant précise et documentée, l’histoire de la France et de la société française depuis 1914. Cette nouvelle édition, sept ans après la première parution, est l’occasion d’intégrer les éléments les plus récents pour proposer un travail actualisé, alors que le paysage médiatique connaît ces dernières années de profondes mutations.

Alice [email protected]

Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet et François VatinRefonder l’université : pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruireParis, La Découverte, 2010, 274 p., 22 cmColl. Cahiers libresISBN 9782707166463 : 19 €

Refonder l’université – vaste programme aurait pu dire de Gaulle, il en savait quelque chose,

de Gaulle, qu’à force de le grandir, on finirait par regretter.Cet ouvrage – sorte d’urgence universitaire – fait suite à la longue grève du printemps 2009, premier conflit professionnel des universitaires, selon l’expression des auteurs. L’ouvrage est collectif : il est l’œuvre, en partie, du mouvement dit des « refondateurs », placé en marge des organisations syndicales traditionnelles. Cette grève est à la fois compréhensible par l’ampleur des réformes engagées, par les inquiétudes portées après l’adoption de la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007), et surtout l’adoption du décret relatif aux modalités de service des enseignants-chercheurs ; compréhensible parce que le passage aux RCE (responsabilités et compétences élargies) entraîne de potentiels bouleversements dans le mode de « gouvernance » des universités, en particulier, on s’en souvient, avec l’élection d’un conseil d’administration plus réduit et d’un président aux pouvoirs étendus. Mais cette grève est incompréhensible par son ampleur même : pourquoi maintenant ? pourquoi si tard ? Au-delà du facteur déclenchant que fut le discours du président Sarkozy, le 22 janvier 2009 : « Plus de chercheurs statutaires, moins de publications, et, pardon, je ne veux pas être désagréable, à budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50 % de

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moins qu’un chercheur britannique dans certains secteurs. Évidemment, si on ne veut pas voir cela, je vous remercie d’être venus, il y a de la lumière, c’est chauffé. » Si ce mouvement s’ouvre à cette date-là, il semble se clore alors que paraît l’article de Marcel Gauchet dans Le Débat no 156 de septembre-octobre 2009, « Vers une “société de l’ignorance” ? ».Cet ouvrage tente de répondre à cette contradiction peut-être apparente : pourquoi, alors que l’université absorbe tant bien que mal des milliers d’étudiants supplémentaires (300 000 en 1960, 2,2 millions en 2006), pourquoi, alors qu’il n’a jamais existé, selon l’expression d’Antoine Compagnon, de « véritables universités en France », elles « tournent quand même », pourquoi ce mouvement si rude ? Les auteurs s’attachent honnêtement, rigoureusement, à analyser la situation : l’enseignement supérieur au fil des années, des siècles, s’est balkanisé : universités, puis grandes écoles, puis les IUT, les classes préparatoires, les classes post-bac (BTS). Ils rappellent que le baccalauréat est le premier grade universitaire. De tout cet ensemble composite, seule l’université ne pratique pas la sélection à l’entrée : et, de fait, elle devient un enseignement supérieur par défaut, les bacheliers préférant choisir, quand ils le peuvent, des enseignements à visée plus directement professionnelle.La loi LRU et ses avatars, dont les auteurs rappellent qu’ils sont issus d’un compromis entre le Ministère, la CPU (Conférence des présidents d’université) et l’Unef (Union nationale des étudiants de France), ne laissent pas d’inquiéter, comme ne laissent pas d’inquiéter les projets d’excellence (voir à ce sujet : « L’excellence, ce faux ami de la science », de Philippe Buttgen et Barbara Cassin, in Libération, 2 décembre 2010), l’éclatement territorial (voir : L’université sans illusion, sous la direction de Pierre Jourde, L’Esprit des péninsules, 2007, épuisé mais disponible dans toutes les bonnes bibliothèques), l’éclatement des disciplines comme une fuite en avant, l’université comme deuxième – voire troisième choix – des étudiants, la poursuite des études pour échapper au Pôle emploi, sorte de compromis général, et enfin : le mépris envers les fonctionnaires et plus particulièrement les professeurs des écoles, du secondaire, des universités.Ce livre nous rappelle fort opportunément que la crise de l’université remonte à la plus haute Antiquité. Qu’elle a vécu mai 1968, la loi Faure, la loi Savary, et leurs revers, 1986 et la loi Devaquet avortée ; cet ouvrage ressort des gouffres de l’Histoire, où elle était justement

tombée, Alice Saunié-Seïté, mais qui donc s’en souvient ? Ce livre n’est pas complaisant avec ses acteurs, mais il est parfois incomplet, nous y reviendrons. Les auteurs n’éludent pas la question des corporatismes, des relations professeurs/maîtres de conférence, ce qu’ils appellent « l’anomie de la vie universitaire ». Réaffirmant le rôle de l’universitaire (et, à ce titre, le livre dirigé par Pierre Jourde est tout à fait indispensable), et son autonomie face à l’État – paradoxe puisque c’est l’État qui pourvoit au financement –, nous pouvons y être sensible, nous qui sommes conservateur de bibliothèque, soucieux et sourcilleux sur la politique d’acquisition que nous menons, en quelque sorte la partie scientifique de notre métier.Cet ouvrage se termine par une série de onze propositions qu’il serait sans doute sain de discuter collectivement ; mais il laisse dans l’ombre toute une zone qu’il faudra bien un jour éclairer de vives lumières : les enseignements de sciences économiques. Prôner la liberté totale de l’enseignant signifie aussi qu’il faut un bilan réellement critique de certaines théories dites académiques : et la porosité entre économie et État, entre certains enseignants et pouvoir politique, est très forte. Contrairement à ce qui est parfois annoncé comme une évidence (mais qui doit se comprendre surtout pour les sciences humaines [philosophie, sociologie] et les sciences dures), les liens entre universitaires et élus sont denses : parfois, ce sont les mêmes. Et ce sont bien les mêmes présidents d’université, élus par leurs pairs, qui effraient certains enseignants chercheurs, qui font, il est bon de le rappeler, entrer dans les conseils d’administration le monde économique, qu’on appelle de façon euphémisée « la société civile », et c’est bien l’université américaine qui a produit le pire : l’école de Chicago, les golden boys et Milton Friedman. Il est urgent de lire (pour ceux qui ne l’auraient pas fait) Les ravages de la “modernisation” universitaire en Europe, sous la direction de Christophe Charles et Charles Soulié 1, et La stratégie du choc de Naomi Klein 2, et, bien sûr, l’article de Marcel Gauchet précité, reproduit en fin d’ouvrage.

Thierry [email protected]

1. Éditions Syllepse, 2008.2. Édition Actes Sud/Lemeac, 2008.

Marie-Françoise CachinUne nation de lecteurs ? La lecture en Angleterre (1815-1945)Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2010, 269 p., 23 cmColl. PapiersISBN 978-2-910227-79-1 : 35 €

La question posée dans le titre de l’ouvrage de Marie-Françoise Cachin peut sembler étrange, voire

impertinente, tant il apparaît quasi contre nature que le pays de John Locke, qui écrit Some Thoughts On Education dès 1693, ne soit pas reconnu de manière évidente comme une nation de lecteurs. Pourtant, M.-F Cachin montre que la lecture ne va pas nécessairement de soi en Angleterre.Il n’existait pas jusque-là de synthèse en français sur la place et l’importance de la lecture en Angleterre et l’ouvrage de M.-F Cachin comble ce manque. Son essai s’impose à quiconque s’intéresse de près ou de loin aux pratiques de lecture et à l’évolution des mentalités.L’auteur développe sa problématique selon trois grands axes : l’alphabétisation et le rôle de l’État ; la lecture publique à travers l’histoire des bibliothèques ; les pratiques de lecture et leur évolution. Elle choisit également de se concentrer sur la période 1815-1945, tout en reconnaissant ce que cette périodisation a d’arbitraire. Cependant, le choix s’avère judicieux, puisque le plan permet de mettre en évidence la lecture en Angleterre comme « pratique culturelle avec ses caractéristiques propres » (p. 230) et l’influence des contextes politiques, religieux, philosophiques et historiques de chaque période. L’ouvrage foisonne d’exemples qui illustrent le propos et ne viennent jamais alourdir la lecture. L’auteur utilise les citations avec parcimonie et toujours à propos, qu’elle laisse en anglais dans le texte, mais que le lecteur mal à l’aise trouvera traduites à la fin de l’ouvrage par l’auteur elle-même.

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Spécificités anglaises

M.-F Cachin ancre sa réflexion dans les grands mouvements intellectuels et religieux du xixe siècle, et c’est là qu’elle est la plus subtile. Elle brosse le tableau de la société victorienne, de ses contradictions et de ses paradoxes, et réussit à être synthétique et pédagogique tout en étant juste et pertinente.Elle rappelle, dès son introduction, l’influence de la religion protestante sur la lecture et l’alphabétisation en Angleterre. La religion protestante est une « religion du livre » selon l’expression d’Élie Halévy que M.-F Cachin cite dans son introduction (p. 9). Elle montre bien la primauté des mouvements religieux et notamment du mouvement évangéliste dans le domaine de l’instruction, à travers l’exemple des Sunday Schools, développées vers 1870, dont l’objectif était d’enseigner la lecture de la Bible aux enfants de la classe ouvrière.Elle explique également que la lecture est aussi le fruit de la révolution industrielle, où l’apparition de nouveaux commerces fait ressentir la nécessité d’une alphabétisation minimale et où de nouveaux courants de pensée comme l’utilitarisme jouent un rôle dans l’amélioration des conditions sociales et l’instruction.Ces deux courants laïques et religieux se basent sur la notion de respectabilité que procurent la lecture et la foi dans le progrès, fruit du positivisme anglais. Cette croyance dans le progrès individuel se voit encore aujourd’hui dans le goût prononcé du public anglo-saxon pour les success stories.

Le débat sur la lecture

Si la lecture est associée à la notion de progrès individuel et aux besoins d’une société industrielle, elle n’en est pas moins sujette à débat. M.-F Cachin rappelle que vers la fin du xixe siècle l’Angleterre est loin d’être parvenue au niveau de ses rivaux continentaux en termes d’alphabétisation et d’instruction. C’est là que se trouve le paradoxe anglais : on a conscience dans les élites intellectuelles de la nécessité d’instruire les classes laborieuses, mais on a peur également de l’effet de la lecture sur ces masses. La peur du soulèvement populaire explique la timidité en matière de démocratisation de la lecture. Se pose alors la question du contrôle et de la surveillance de la production littéraire, et ce, jusqu’au milieu du xxe siècle. M.-F Cachin décrit adroitement comment des collections de classiques célèbres – celle d’Oxford University Press par exemple – sont nées de ce souci de

guider le choix des lecteurs. Ce paradoxe anglais s’illustre aussi dans le fossé entre les réalités économiques du marché de la presse et du livre et les aspirations des classes dirigeantes. M.-F Cachin n’oublie pas de décrire les répercussions de toutes ces interrogations sur l’édition en Angleterre, et le lecteur à la recherche d’informations sur les livres eux-mêmes, leur prix, leur format, leur public, y trouvera son compte.

Save Our Libraries !

La lecture en Angleterre s’impose malgré tout, surtout avec l’impact des deux guerres mondiales, où elle devient consolatrice, et le livre « compagnon de détresse » selon l’expression de Roger Chartier (cité p. 201). Néanmoins, le marché du livre en Angleterre et les débats sur le prix du livre font que les Anglais ont surtout pris l’habitude de lire en bibliothèque. M.-F Cachin ne se contente pas d’en faire l’historique, elle analyse également l’évolution de la réflexion sur l’organisation et la gestion de ces établissements, tout en montrant que la lecture publique subit les mêmes pressions et les mêmes enjeux de contrôle et de censure que la lecture tout court.Si la démocratisation de la lecture a pris son temps en Angleterre, aujourd’hui les Anglais sont déterminés à permettre l’accès au livre pour tous. Pour preuve, à l’heure où beaucoup de bibliothèques sont menacées de disparition, ils ont répondu en masse à l’appel des auteurs et des bibliothécaires le 5 février dernier pour crier leur amour de la lecture publique (Save Our Libraries Day). Décidément, l’ouvrage de M.-F Cachin ne pouvait mieux tomber, qui rappelle la difficile mais nécessaire épopée de la lecture en Angleterre.

Constance [email protected]

« L’architecture et ses images »Sous la direction d’Évelyne Cohen et Gérald Monnier Revue Sociétés & représentations, décembre 2010, no 30Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, 276 p., 24 cmISBN 978-2-85944-666-6 : 25 €

Sociétés & représentations est une revue thématique transdisciplinaire cherchant à multiplier les éclairages

sur des questions de société par des approches issues de disciplines scientifiques connexes par le biais de perspectives venues de savoirs qui s’ignorent ou parviennent rarement à communiquer. Elle a le souci d’inviter au dialogue chercheurs étrangers et acteurs parfois privés de parole, de livrer à la discussion des hypothèses sur des questions inédites ou peu explorées. Les membres d’Isor 1 se sont d’emblée fixés comme objectif de concevoir une revue se situant à l’interface du monde universitaire et du grand public. Ils ont fait le pari d’un sérieux sans académisme. Tout en préservant une certaine rigueur scientifique, ils ont essayé de rendre la publication accessible et attrayante, en veillant à la lisibilité des contributions, en jouant sur l’iconographie et la mise en page, en proposant en fin de volume une abondante bibliographie raisonnée. Plurielle par ses objets et pluraliste au regard des approches fournies, Sociétés & représentations souhaite être disponible aux questions rencontrées par la société contemporaine dans l’intimité de ses formes tout en participant à un renouvellement des manières de la penser. Son numéro 30, « L’architecture et ses images », se propose d’interroger la photographie d’architecte aux

1. Isor : Images, sociétés et représentations (ex-Credhess – Centre de recherche et d’études en droit, histoire, économie et sociologie du social), université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne : http://isor-credhess.univ-paris1.fr

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confluences des regards, car celle-ci résulte d’une alliance entre des mondes professionnels qui s’ouvrent, se combinent, s’interpénètrent, se croisent et se transforment pour former des « objets culturels inédits ». Pour mener à bien cette réflexion, la revue s’organise autour d’une série d’études de cas comme l’architecture pénitentiaire mais aussi, par exemple, les représentations d’images photographiques institutionnelles pour le projet architectural de Lyon Confluence, avant de s’intéresser, dans une deuxième partie, à sa diffusion et à sa conservation archivistique.

L’architecture dans ses représentations

Pour les auteurs de ces articles, la photographie d’architecture modifie la perception que nous avons d’un site, d’un bâtiment, d’un espace. Dans son utilisation argentique, elle est mémoire, car elle révèle cet « en deçà » comme un substrat d’une représentation figurative, alors qu’elle est « au-delà » quand elle se fonde sur le numérique, créant par là même une image anticipative, voire mentale, d’une représentation. Pour percevoir ces évolutions, ces distorsions, plusieurs exemples font l’objet d’articles remarquables au travers de cinq typologies. La « tension » est analysée par Julie Noirot. Dans un brillant développé, celle-ci présente l’utilisation complexe de la photographie par le Corbusier tout au long de sa carrière. Elle est pour lui tout à la fois un outil de documentation, un support d’étude et un instrument de sa célébration. La « référence » se fonde au moment même où la photographie se veut être l’unique représentation de la modernité architecturale dont Peter Scheir sera le meilleur exemple. La « mise en valeur » nous est présentée par Gérard Monnier qui, en analysant l’identité photographique des sanatoriums du plateau d’Assy, pose les bases d’une réflexion plus large sur l’enjeu économique de la représentation. « L’interprétation » questionne l’œuvre photographique de Gilles Ehrmann pour en comprendre la résonance dans un espace social. Comment prendre place dans un univers privatif ? Comment l’expressivité de l’habitat rend-elle compte d’une réalité dans sa profondeur émotionnelle et économique ? Enfin, la « communication », cinquième et dernier élément typologique de cette tentative d’exprimer la représentation photographique, trouve dans l’article d’Isabelle Grudet un projet à sa mesure. En analysant l’ensemble d’images conçues dans le cadre du

projet urbain et architectural de Lyon Confluence, l’architecte qu’est Isabelle Grudet décrypte avec minutie ce jeu de régulation, fruit de stratégies différentes en fonction des récepteurs que peuvent être des investisseurs, des politiques, des concepteurs, des promoteurs et, au final, le grand public. En se constituant ainsi une grammaire qui évolue en fonction de son devenir, la photographie d’architecture conditionne l’œil tout en le façonnant.

L’architecture dans sa diffusion et sa conservation archivistique

Pour assurer sa promotion, l’architecture, ou plutôt la photographie d’architecture, n’aura de cesse de se « reproduire », de trouver à se diffuser et à se conserver afin d’écrire une trace… immortelle. Quatre articles permettent d’en apprécier les enjeux, d’en comprendre le sens. Tout est affaire de légitimité, de construction d’une identité. Dans l’aventure de la Société régionale des architectes du Nord de la France décrite par Gilles Maury, on perçoit comment se dessine un réseau d’intérêts qui œuvre pour une visibilité nouvelle tout en assurant sa propre expansion. Pour Joanne Vajda, ce sont les guides de voyage qui construisent une représentation patrimoniale de l’architecture et qui forgent une identité, une « image » aux villes. Cette contribution analyse dans une perspective comparative des guides provenant de grandes collections (principalement les guides Diamant et les guides Bleus) et couvrant divers pays européens (Hollande, Italie, France, etc.) entre 1860 et 1950. Elle est, de loin, à mes yeux de bibliothécaire, la plus passionnante de ce corpus, car elle dessine en creux bien plus qu’une histoire du tourisme : une histoire urbaine, une histoire des mentalités, une histoire du regard et donc de la représentativité et de sa subjectivité. Mais la diffusion ne se suffit pas à elle-même, car elle est éphémère et nécessite sa conservation, son archivage, afin d’en constituer la mémoire et d’en assurer sa transmission. En s’intéressant aux archives comme outils de représentation de l’œuvre, Florence Wierre nous précise que cette « mémoire des maîtres d’œuvre » est une invention récente, puisqu’elle n’apparaît qu’au xxe siècle pour s’organiser et se développer dans une logique de communication. Elle associe ainsi des établissements publics, des agences et des musées, dans un dialogue permanent où la question de la représentation d’une œuvre architecturale comme objet de tensions matérielles et mentales conditionne

notre rapport au monde, à son espace, à son architecture et donc à son image.Ouvrage collectif d’érudition, la trentième livraison de la revue Sociétés & représentations analyse dans une perspective stimulante la vaillance du médium photographique comme une représentation de la société, et c’est à ce titre qu’elle mérite de figurer dans nos bibliothèques.

François Rouyer-Gayettefrancois.rouyer-gayette

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Gallimard, 1910-1911 : un siècle d’éditionSous la direction d’Alban Cerisier et Pascal FouchéPréfaces d’Antoine Gallimard et Bruno RacineParis, Bibliothèque nationale de France/Gallimard, 2011, 192 p., 25 cmISBN 978-2-07-013317-8 : 49 €

«Décidément, j’aime les catalogues, c’est aussi beau qu’un indicateur de chemin

de fer, on y voyage. On y prend une vue assez juste de l’humanité, de celle qui pense. » Cette phrase, extraite de la correspondance de Gaston Gallimard à sa femme, placée telle un « frontispice » dans le catalogue de l’exposition 1 consacrée par la Bibliothèque nationale de France aux cent ans des éditions Gallimard, résume à elle seule tout le plaisir que l’on éprouvera à découvrir ce magnifique ouvrage, le souvenir d’un beau voyage au pays des « œuvres » comme l’écrit si bien Jonathan Littell.

1. « Gallimard, 1911-2011 : un siècle d’édition », Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 22 mars – 3 juillet 2011 : www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/anx_expositions/f.gallimard_siecle_dedition.html

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Éditer

C’est le 31 mai que furent créées, au 31 de la rue Jacob (Paris 7e), les éditions de la Nouvelle Revue française (NRF)par Gaston Gallimard, André Gide et Jean Schlumberger, dans le sillage de la revue 2, née elle en 1909. Dès le début, il s’agit pour les fondateurs de cette entreprise d’avoir une véritable politique éditoriale qui se ferait l’écho de la NRF, tout en accueillant des œuvres théâtrales et des premières traductions 3. Ce ne sont pas moins de douze titres qui seront publiés en 1912, donnant ainsi naissance à ce que d’aucuns appelleront le « classicisme moderne », même si cette deuxième année d’existence voit André Gide refuser le premier manuscrit 4 de Marcel Proust… Mais la NRF saura accueillir, en 1919, le deuxième volume de « À la recherche du temps perdu » : À l’ombre des jeunes filles en fleurs, offrant ainsi aux éditions leur premier Goncourt. Dans l’idée de constituer un catalogue littéraire, un fonds prend alors forme, et, dès le début, ce sont les plus grands noms de la littérature qui déposent leurs ouvrages : Roger Martin du Gard, Paul Claudel, Georges Duhamel, Jules Romains et tant d’autres. Durant toute la Première Guerre mondiale, les activités se poursuivent inlassablement entre Paris et New York. Elles vont d’ailleurs connaître une évolution majeure avec la prise de conscience de Gaston Gallimard qu’il faut faire évoluer l’entreprise, et que celle-ci ne peut avoir qu’un seul dirigeant, un seul patron, un seul chef de file, même si les principales orientations sont prises collégialement. La librairie NRF deviendra ainsi la librairie Gallimard et la société anonyme verra le jour le 1er juillet 1919. Il faudra attendre un an de plus pour que s’ouvre, au bas de boulevard Raspail, une librairie pensée comme pilote et vitrine des éditions de la NRF : diversification sera alors le maître mot de Gaston Gallimard. À l’augmentation du capital succéderont la naissance de collections et l’élargissement des publications, tout en s’adaptant aux méthodes publicitaires et de diffusion des concurrents. Désormais, il ne s’agit plus seulement d’éditer mais aussi de publier.

2. Le contrat de la Nouvelle Revue française, signé par André Gide, Jean Schlumberger, Jacques Copeau et André Ruyter, est lui daté du 27 mai 1911.3. Citons parmi elles celle de L’offrande lyrique de Rabindranath Tagore, qui sera couronnée en 1913 par le prix Nobel de littérature.4. Du côté de chez Swann sera publié en 1913 chez Grasset.

Publier

Une chronique, en date du 1er juillet 1925, et parue dans Le Crapouillot 5 en donnera une version quelque peu outrancière puisqu’on y lit : « […] une maison d’édition qui grâce à la qualité de ses auteurs… avait réussi à acquérir une cote d’amour, s’avise subitement de se rabaisser, en flattant les goûts les plus vulgaires. M. Gallimard […], lui, n’hésite pas, flairant (à tort peut-être) la bonne affaire, à trahir, les écrivains d’une haute tenue, qui lui ont permis d’exister et à compromettre délibérément le crédit moral qu’ils avaient acquis à sa firme, tant en France que dans les centres intellectuels de l’étranger. » Mais peut-on croire l’éditorialiste, alors même que la maison, maintenant installée au 43, rue de Beaume 6, publie Jean Cocteau, Albert Cohen ou encore Marcel Jouhandeau, et prend l’initiative d’accueillir des textes brefs relevant de l’esprit nouveau dans sa collection « Une œuvre » ? Ce sera toute l’intelligence de Gaston Gallimard que d’être dans cet art du « grand écart » au nom de la cause littéraire, lui permettant d’accueillir des personnalités que tout oppose, dans une maison d’édition où cohabitent par exemple la collection « Chefs-d’œuvre du roman d’aventures 7 » et la « Blanche ». Viendront par la suite l’aventure des publications Zed 8, l’impérieuse nécessité, pour surmonter la crise, de lancer de nouveaux projets, de s’essayer aux collections populaires 9 tout en reprenant « La Pléiade 10 », d’être dans le mouvement, l’inventivité et, en même temps, de se structurer comme une entreprise, une société.

Diffuser

Les dix années qui précéderont la Seconde Guerre mondiale seront celles de l’âge de raison et de la constitution du catalogue, qui scelleront cette nécessité impérieuse d’éditer, de publier et de diffuser quoi qu’il advienne. Et il adviendra parfois le pire durant cette période tumultueuse, comme l’attesteront les nombreuses interdictions qui frapperont la rue Sébastien-Bottin,

5. Journal satirique (1915 – 1996).6. Le 43, rue de Beaume, futur 5, rue Sébastien-Bottin.7. « Chefs-d’œuvre du roman d’aventures » (1928 – 1934).8. Publications Zed (1928 – 1936).9. Citons parmi elles « Détectives » (1934 – 1939) mais aussi « Le Scarabée d’or » (1936 – 1941), etc.10. Créée en 1931 par Jacques Schiffrin dans le cadre des Éditions de la Pléiade, la collection de la « Bibliothèque reliée de la Pléiade » est rachetée par Gallimard le 31 juillet 1933.

mais aussi le meilleur au moment où, par exemple, Jean Paulhan œuvre à une manière d’amnistie anticipée sous couvert de littérature avec sa revue Les cahiers de la Pléiade 11. Cette république des idées bâtie par Gaston Gallimard est à l’image des points de tension qui touchent la société française et son entreprise d’édition en est en quelque sorte une chambre d’écho, une arène parfois. L’après-guerre sera éditoriale, le groupe se métamorphosera alors même que le « poche » entre en scène et que les sciences humaines se développent. Le besoin de savoir, de comprendre et d’imaginer un autre monde permet à cette entreprise des contraires d’être cet espace de référence d’une société intellectuelle en demande de reconnaissance et de pouvoir. Et, comme dans toute aventure, celle-ci aura son lot de difficultés, qu’elles soient humaines, conjoncturelles ou structurelles.Le catalogue publié en coédition par la BnF et Gallimard est un joyau splendide. Il nous offre dans un volume d’une grande élégance formelle (magnifique alliance du rouge et du beige) un roman familial et historique, un album de photographies, des sources scientifiques nombreuses (citons par exemple : le répertoire des collections ; la liste des membres du comité de lecture depuis 1925, des long-sellers et best-sellers ; l’évolution des tirages du graphisme de la collection « Blanche » ; logos et en-têtes ; florilèges divers ; revues ; prix littéraires, etc.) et de quoi satisfaire nos envies de curiosité par la présentation, par exemple, de nombreux fac-similés de correspondances diverses et surtout, parmi ceux-ci, des fiches de lecture jusqu’alors inédites. Le grand défilé ainsi mis en scène procure un grand bonheur de lecture, comme celui que l’on éprouve en découvrant à la faveur d’un anniversaire centenaire le trésor d’un grand homme, oncle Gallimard.

François Rouyer-Gayettefrancois.rouyer-gayette

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11. Les cahiers de la Pléiade, revue littéraire (1946 – 1952).

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Politiques et pratiques de la cultureSous la direction de Philippe PoirrierParis, La Documentation française, 2010, 303 p., 26 cmcoll. Les noticesISBN 9782110081452 : 23 €

«L’actualité nous écrase d’écrits. Je recommanderai plus spécialement les dictionnaires.

Les dictionnaires sont de bien belles choses. Ils contiennent tout. C’est l’univers en pièces détachées. Dieu lui-même, qu’est-ce, au fond, qu’un Larousse plus complet ? » Ainsi s’exprime Alexandre Vialatte, mais on dirait qu’il l’a écrit tout exprès pour cet excellent recueil de notices, qui fait suite, en le réactualisant complètement, à l’ouvrage Institutions et vie culturelle 1, dirigé par Guy Saez, dont la première édition a paru en 1996, et la seconde en 2005. Car, si ce n’est pas un dictionnaire, force nous est de reconnaître que cet ouvrage contient tout, en effet : des acteurs des politiques publiques (première partie), des domaines artistiques et culturels (deuxième partie), les enjeux économiques (troisième partie) et le modèle français prospectif des politiques publiques (dernière partie).Comme le précise dès l’ouverture Philippe Poirrier, coordinateur-éditeur de cet ouvrage, l’idée même d’institutions et vie culturelle, à l’heure où les collectivités territoriales, les structures régionales diverses prennent part à cette définition des politiques publiques, est obsolète, ou en passe de l’être : d’où l’idée de recourir à des notices, complétées de focus sur des sujets précis.Une des grandes qualités de cet ouvrage est que, derrière son contenu profus, diffus, divers, qui s’attache aussi bien aux dimensions politiques, aux sociétés et aux villes créatrices, aux archives, au spectacle vivant, à l’économie numérique, et même aux bibliothèques, il est construit : chaque notice renvoie à une ou plusieurs autres ;

1. La Documentation française, 2005.

bref, c’est une sorte d’hypertexte en format 18 x 26, inclassable (nous avons essayé), d’un poids de 650 grammes, bref un Ipad, et pourtant c’est un livre, mieux même : un véritable travail éditorial dont nous devons la réussite à Philippe Poirrier, dont nous appréciions tout particulièrement les interventions roboratives à l’Enssib.Sans entrer dans un détail qui pourrait se révéler fastidieux, signalons quelques ouvertures : la notice rédigée par Claude Patriat, « Le ministère de la Culture au fourneau des réformes », qui montre comment la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) porte en germe la fameuse RGPP (révision générale des politiques publiques), ou plus exactement comment cette procédure par programmes, à peu près justifiée quand il s’agit de pommes de terre, de pouzzolane, voire de doses de vaccins, n’a pas vraiment de raison d’être dès lors qu’il s’agit d’artistes, de recherche, de soins, et même de numérisation ; dans ce dernier cas, on arrive vite à googliser la société.Les notices rédigées par Philippe Poirrier, dont on connaît les travaux (voir par exemple Une ambition partagée? La coopération entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales, 1959-2009) 2, et qui, par ailleurs, dédie cet ouvrage à René Rizzardo, tracent une perspective dynamique quant au rôle des collectivités territoriales, en interrogeant le passé (« La construction historique de l’État culturel ») et un possible avenir (« Les collectivités territoriales et la culture : des beaux arts à l’économie créative »).Dans un tout autre registre, Vincent Duclerc resitue le rôle des archives, et surtout cette sorte d’impensé dont elles sont victimes : c’est bien connu, les archives, surtout quand elles sont communales et, pire encore, quand elles sont rurales, sont un repaire, un nid de généalogistes vrombissants. Or, Vincent Duclerc rappelle fort opportunément que l’archive c’est notre histoire, et qu’elle se doit d’être correctement traitée, matériellement, légalement, et restituée dans sa fonction première, matériau pour le temps présent.Olivier Donnat revient sur « La sociologie des pratiques culturelles », c’est toujours bon à lire – voire à relire, mais la sociologie n’étant pas une astrologie, les propos d’Olivier Donnat sont ceux que nous avons déjà pu savourer, soit dans l’enquête sur les pratiques culturelles des Français, soit dans le Bulletin des bibliothèques de France, excellente revue.

2. Voir la critique de l’ouvrage dans le BBF, 2010, no 6, p. 87-88. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0087-007

Françoise Benhamou rédige une longue intervention, « Industries culturelles, mondialisation et marchés nationaux » et, en focus (et en prime, dirions-nous), « Les biens culturels, une exception économique ? ». Sur ce dernier point, elle avance cinq pistes de recherche qui ne sont pas sans nous concerner, nous qui recherchons ces nouveaux modèles économiques : nature des biens, caractérisation de la demande, formes d’emploi, évolution des structures industrielles, évolution des droits de propriété. D’où il ressort que, si l’économiste suppose une préférence du consommateur pour la diversité, ce dernier pourra avoir tendance à choisir la concentration, la prise de risque étant moins forte ; que le phénomène de longue traîne, sorte de tarte à la crème de l’internet, ne semble pas résister à l’analyse empirique ; l’analyse de la forme de structures industrielles, bien connue depuis les travaux de Jean-Yves Mollier, se déploie vers les structures consacrées à l’audiovisuel, à la presse, et même au prix du livre numérique. Quant à l’emploi culturel, il est traité (notice 17 : « Les professions culturelles : un système incomplet de relations sociales ») par Pierre-Michel Menger.La dernière partie, rédigée par Xavier Greffe, auteur remarqué d’un rapport sur l’attractivité du territoire, traite de « la politique culturelle pour une société créative ». Tout ceci nous semble brillant et fort documenté ; néanmoins, les villes et sociétés créatives, concept déjà ancien, nous laissent un peu de marbre, sans doute parce que le terme même de « créativité » a été maintes fois démonétisé par un usage immodéré ; pour éclairer ce propos, il conviendrait de le nuancer avec l’article que Guy Saez a donné dans le numéro 36 de L’observatoire, consacré aux villes et société créatives3, et justement intitulé : « Une (ir)résistible dérive des continents : recomposition des politiques culturelles ou marketing urbain ? ».Toutes les notices sont accompagnées de solides bibliographies, de notes diverses.Un ouvrage à lire toutes affaires cessantes, il y a tellement de livres pas si nécessaires que cela, « un peu comme on choisit toujours la plus lente au supermarché, voilà, c’est pareil, la plus haute est toujours celle des livres à lire », comme le dit si justement Laurent Mauvignier : que celui-ci rejoigne donc la pile la plus basse.

Thierry [email protected]

3. L’Observatoire, no 36, « La ville créative : concept marketing ou utopie mobilisatrice ? », hiver 2009-2010.

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Le rôle social des bibliothèques dans la villeSous la direction de Pascale Villate et Jean-Pierre VosginPessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2011, 270 p., 21,5 cmColl. Lecteurs-Bibliothèques-Usages nouveauxISBN 978-2-86781-727-4 : 22 €

Depuis 1994, la filière de formation aux métiers des bibliothèques-médiathèques de l’IUT Michel de

Montaigne (université de Bordeaux 3) organise un colloque annuel intitulé « Profession bibliothécaire ». Après plusieurs années consacrées aux problématiques numériques, le colloque s’est intéressé le 1er avril 2010, de manière tout à fait sérieuse, au rôle social des bibliothèques dans la ville 1. Il s’est déroulé à Floirac, ville de la banlieue bordelaise qui accueille, au cœur d’un quartier sensible, la M270, Maison des savoirs partagés. Dans ce lieu aux activités culturelles et sociales, cohabitent une médiathèque (labellisée Ruches), un espace multimédia, une résidence d’artistes, ainsi que des salles pour divers ateliers. Le présent ouvrage associe communications et travaux de recherche menés à cette occasion.

Rôle social, missions sociales des bibliothèques... de quoi parle-t-on ?

Jean-Pierre Vosgin, sociologue et responsable du département information-communication de l’IUT, nous livre les résultats d’une étude, menée avec des étudiants, qui permet de définir le plus exactement possible les missions sociales des bibliothèques. Ils se sont appuyés sur les articles

1. Voir le compte rendu par Maïka Fourgeaud dans le BBF, 2010, no 5. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-05-0102-014

publiés dans la presse professionnelle ainsi que sur des entretiens avec des bibliothécaires travaillant en milieu urbain ; lecture intéressante, en guise d’introduction, tant le rôle social des bibliothèques semble difficile à circonscrire.On sort pourtant de ce très long article (plus de 100 pages sur les 270 que compte l’ouvrage) un peu perdu par la juxtaposition non hiérarchisée des 21 missions, d’essences bien différentes : la gratuité (un principe), l’autoformation (un moyen), l’insertion professionnelle (un objectif), etc. L’enquête mentionne l’article du Monde 2 paru le 6 juin 2009 intitulé « La médiathèque, un refuge dans la crise ». Cela souligne, en creux, le peu de place occupée par les bibliothèques publiques françaises dans la vie quotidienne, sociale et économique, du citoyen. En effet, mis à part cet article, et un autre publié dans Ouest France 2, la presse « généraliste » ne s’est pas intéressée au rôle des bibliothèques en temps de crise économique, contrairement aux médias américains.L’article suivant constitue une lecture complémentaire intéressante. Fabrice Chambon, auteur d’un mémoire d’étude 3 sur la question, dresse une histoire précise et synthétique de la fonction sociale des bibliothèques publiques, en partant de l’influence majeure de l’éducation populaire au milieu du xixe siècle pour arriver aux contrats ville-lecture. Il souligne – à juste titre – les difficultés rencontrées par les bibliothèques dans le montage de projets partenariaux avec les structures sociales.On regrettera d’ailleurs que l’ouvrage, de manière générale, n’aborde pas plus les raisons expliquant la faible implication sociale (ou tout du moins l’absence de reconnaissance dans ce champ-là) des bibliothèques au sein de la cité. Fabrice Chambon lance quelques pistes intéressantes : absence de cadre national précis (les partenariats réussis s’avèrent finalement être le fruit d’une initiative locale marquée par une bonne entente entre responsables), actions des bibliothèques parfois perçues comme concurrentielles, méconnaissance mutuelle des missions, etc.

2. « Les bibliothèques profitent-elles de la crise ? », Ouest France du 2 mai 2009.3. Le rôle social des bibliothèques : quels terrains d’action et stratégies d’alliances pour la réduction des inégalités d’accès au savoir ?, mémoire d’étude, diplôme de conservateur de bibliothèques, janvier 2010.

Des rives de la Tamise aux bords de la Garonne

La deuxième partie est consacrée à des exemples – réussis – de bibliothèques développant une action volontariste dans le domaine social. Après un détour – bien connu aujourd’hui 4 – dans l’arrondissement londonien de Tower Hamlets sous la forme d’un compte rendu de visite d’Idea stores, par Pascale Villatte, mettant en exergue la stratégie globale de cohésion sociale au sein de la communauté, on entre dans le cœur du colloque : le rôle des bibliothèques publiques dans la politique de la ville de Floirac, commune qui bénéficie du contrat urbain de cohésion sociale. Si on peut regretter que le colloque ne se soit pas ouvert à d’autres bibliothèques françaises actives dans ce domaine, le choix de se focaliser sur une ville en particulier permet de confronter plusieurs points de vue, en l’occurrence ceux d’une élue de la commune, du directeur du service de la politique de la ville, et de responsables de bibliothèques. Tous insistent sur l’importance de la démarche de projet qui a présidé à l’ouverture de la Maison des savoirs partagés, et plus particulièrement sur la phase de concertation avec la population du quartier ainsi que sur la recherche de partenariats locaux. Les lecteurs de l’ouvrage pourront ainsi noter quelques partenaires atypiques : Centre d’information du droit des femmes et de la famille, commerçants, Francas, CCAS, etc. La directrice de la lecture publique conclut son article par un réaliste « [le partenariat] est chronophage… et indispensable à la fois 5 ». Les actes de cette journée professionnelle comblent un réel manque dans la littérature professionnelle : si les débats sur le rôle social des bibliothèques ont lieu, il en existe peu de traces écrites. Il reste à poursuivre ce travail, en étudiant plus profondément les raisons de ce retard français au regard des bibliothèques anglo-saxonnes. Une suite pourrait être donnée à l’ouvrage : le rôle social des bibliothèques rurales. En effet, à l’instar de la désormais célèbre médiathèque Yves Coppens de Signy-l’Abbaye dans les Ardennes, de nombreuses bibliothèques de petites communes jouent un rôle éminemment social en tant que relais d’administrations éloignées.

Yoann [email protected]

4. À se demander si le bibliothécaire français n’est aujourd’hui pas plus familier avec un Idea Store qu’avec la bibliothèque municipale ou universitaire voisine…5. Le rôle social des bibliothèques, op. cit., p. 220.

bbf : 2011 101 t. 56, no 4

Les archives privées : manuel pratique et juridiqueSous la direction de Christine Nougaret et Pascal ÉvenParis, La Documentation française – [Direction des Archives de France], 2008 (Direction des Archives de France, Manuels et guides pratiques), 204 p., 24 cm, indexISBN 978-2-11-006852-1 : 22 €

Les pratiques des bibliothécaires et des archives se rapprochent. Suivant les domaines, les uns ou les autres ont une expérience plus grande, des pratiques plus abouties. Si les bibliothécaires ont commencé à normaliser la description des livres imprimés il y a plus d’un siècle, les archivistes ont pris une grande avance dans l’utilisation des formats XML. Il est indispensable que les uns et les autres partagent leurs expériences et leurs conclusions.Les archives privées, souvent composées de documents très divers, sont l’exemple le plus typique de collections que l’on conserve aussi bien dans les dépôts d’archives que dans les bibliothèques ou les musées. Ce sont aussi des collections qu’il n’est pas si facile de traiter. Leur mode d’acquisition est complexe, il faut parfois établir des conventions, s’assurer de la légalité d’un don ; les questions juridiques, pour des documents généralement très récents, sont difficiles à appréhender. C’est pourquoi la Direction des archives de France a publié en 2008 un petit manuel, Les archives privées : manuel pratique et juridique, qui aborde toutes les questions que doit se poser, et que doit résoudre, le responsable d’un établissement public, qu’il s’agisse d’archives ou d’une bibliothèque. Les questions historiques, les définitions juridiques, les modes d’entrée, la typologie de ces collections, les spécificités qui demandent d’adapter le traitement et la gestion de ces fonds, tant d’un point de vue scientifique que matériel… tous sont traités clairement dans ce manuel, qui donne toutes les clés nécessaires pour prendre en charge réellement ces archives privées si nombreuses dans les bibliothèques, et qui attendent trop souvent un hypothétique traitement.L’ouvrage est complété par des modèles de contrats, d’autorisation, de formulaires, des encarts, des extraits de lois, la liste des textes législatifs utiles…Rappelons aussi qu’un autre domaine jusqu’ici délaissé par la littérature professionnelle des bibliothécaires est celui du classement des fonds, et en particulier des fonds manuscrits ou composites. La

question est abordée dans Les archives privées, mais plus largement la référence à consulter pour les bibliothécaires est, une fois encore, un manuel d’archivistes, l’ouvrage de Christine Nougaret, avec la collaboration de Bruno Galland et une préface de Philippe Bélaval, Les instruments de recherche dans les archives (Paris, La Documentation française – Direction des Archives de France, 1999).

Raphaële [email protected]

Rapporto sulle biblioteche italiane 2009-2010A cura di Vittorio Ponzani ; direzione scientifica di Giovanni SolimineRome, AIB, 2010, 193 p., 21 cmISBN 978-88-7812-206-2 : 20 €

Le Rapport sur les bibliothèques italiennes 2009-2010 publié par l’Associazione italiana biblioteche (AIB) débute par un cri d’alarme lancé par son président, Mauro Guerrini, sur les répercussions de la crise économique sur les bibliothèques italiennes déjà confrontées depuis plusieurs années aux restrictions budgétaires. Il fait le constat d’une aggravation de la situation qui se traduit par une réduction des horaires d’ouverture, un fléchissement des acquisitions de livres et de sérieuses menaces laissant craindre des fermetures de services.Face à ces perspectives moroses, l’AIB dresse un bilan des actions conduites par les bibliothèques pour trouver des solutions et continuer à remplir leurs missions au service de la démocratie et de la culture. Ainsi, une des contributions concerne le recours plus fréquent des bibliothèques italiennes au fund raising comme moyen de collecter des fonds, mais aussi comme stratégie pour établir des relations durables avec des partenaires financiers privés et les impliquer dans des collaborations à long terme.D’autres textes présentent un panorama des bibliothèques académiques et notamment le renforcement de la coopération interuniversitaire pour la fourniture des monographies. L’accord de partenariat signé par 19 universités prévoit, non seulement l’organisation d’appels d’offres groupés mais aussi une gestion commune de tout le circuit de fourniture des documents. L’état des lieux réalisé sur les systèmes informatisés de gestion de bibliothèque ainsi que l’analyse sur le développement de l’open access sont aussi pleins d’enseignements. Pour terminer, signalons un bilan du Congrès de l’Ifla qui s’est tenu à Milan en 2009 et surtout un compte rendu édifiant sur les conséquences dramatiques

du tremblement de terre qui a dévasté la région de l’Aquila en avril 2009.

Livia [email protected]

Jacqueline DeschampsSciences de l’information. De la discipline à l’enseignementÉditions archives contemporaines, 2010, 75 p., 18 cmColl. Savoirs francophonesISBN 978-2-813000-28-6 : 12,50 €

Qu’est-ce que la science de l’information ? La question n’est pas nouvelle, qui préoccupe aussi bien les chercheurs que les praticiens, les premiers parfois incapables de cerner les contours flous de leur discipline, les seconds parfois impuissants à faire reconnaître auprès de leurs hiérarchies les spécificités et les contraintes de leur profession. À cette question fondamentale pour nos métiers, Jacqueline Deschamps apporte, dans un « petit » (75 pages, bibliographie comprise) livre quelques réponses soignées, passant en revue les différentes étapes « de la discipline à l’enseignement ».Elle pose les paradigmes et les concepts de la science, son objet et ses caractéristiques, ses outils et ses méthodes. Distinguant « bibliothéconomie et science de l’information » d’une part, « information et communication » de l’autre, elle en affirme la légitimité à être enseignée. Dès lors, elle propose un programme de formation qui passe entre autres par la définition d’un « profil de compétences », « compréhension commune des compétences nécessaires pour les professionnels œuvrant dans les milieux des bibliothèques, des archives et de la documentation », avant que de conclure par une réponse à la question initiale : « Discipline théorique à forte dimension pratique, la science de l’information [constitue] une discipline “pilote” propre à constituer une hypothèse de travail constructive. »

Yves [email protected]

Luc GrivelLa recherche d’information en contexte : outils et usages applicatifsHermès Science Publications, 2011, 278 p., 23 cmColl. Traité des sciences et techniques de l’informationISBN 978-2746225817 : 89 €

Le coût relativement exorbitant des ouvrages publiés dans la collection « Traité des sciences et techniques de

102 bbf : 2011 t. 56, no 4

l’information » coéditée par Hermès et Lavoisier oblige à examiner avec une attention redoublée les titres qui y sont publiés. La recherche d’information en contexte : outils et usages applicatifs propose neuf contributions, non d’un intérêt inégal, mais d’une spécialisation parfois excessive, qui pousse le lecteur même averti à abandonner une lecture parfois trop ardue pour être véritablement pertinente.On retiendra essentiellement la dernière contribution, « Démocratiser la recherche en ligne ? », de Bernhard Rieder, qui explore les pistes à notre sens trop peu arpentées des pratiques normatives de la recherche sur le web comme outil social et politique : la présentation des critiques souvent formulées à l’encontre de moteurs de recherche « généralistes » bien connus est plus étayée que les « valeurs alternatives » et les « recommandations et perspectives », ce dont on ne saurait faire le reproche à l’auteur.Aux articles plus classiques détaillant des dispositifs plus ou moins appropriés autour de la navigation à facettes ou des ontologies, ou à cette contribution qui donne l’impression qu’on réinvente le thésaurus à l’heure du web sémantique, on préférera la plus que surprenante présentation consacrée à une « application à la recherche de plans alimentaires personnalisés », que n’aurait pas désavouée Georges Perec, mais qui a au moins le mérite de proposer une réflexion non ésotérique dans laquelle la notion de poids est – délicieusement – polysémique.

Yves [email protected]

Stephen Heller et Louise FiliScriptes : l’âge d’or du lettrage d’inspiration manuscriteParis, Thames & Hudson, 2011, 351 p., 30 cmISBN 978-2878113693 : 32 €

Il convient de prévenir d’emblée les âmes sensibles, collectionneurs compulsifs de liseuses, de tablettes et autres accessoires électroniques de lecture, que cet ouvrage n’est pas pour eux, mais plutôt pour les nostalgiques de la typographie à l’ancienne. Ce livre propose en effet, et en images essentiellement, l’histoire des écritures scriptes, « enfant naturel » du « caractère romain » et de « l’écriture manuscrite », en somme des caractères d’imprimerie imitant l’écriture manuscrite – en bref et pour faire simple, la transcription typographique de l’écriture manuscrite, dans un temps où l’on écrivait encore

– temps où, pour le coup, seuls les pervers et les gauchers (qui constituent deux espèces différentes) utilisaient l’écriture scripte pour se faire mieux comprendre de leurs lecteurs. Les typographies présentées oscillent entre « élégance et excentricité », caractéristiques qu’on attribuera essentiellement aux polices anglo-saxonnes, même si l’ouvrage fait la part belle aux contributions françaises et italiennes, mais aussi allemandes et nord-américaines (ce qui semblera pour ces dernières à la limite de la faute de goût). Ces polices fleurent bon les cahiers d’écolier, les publicités pour le Banania, pour le beurre centrifuge, Line Renaud (mais oui) et le quinquina. Les centaines de magnifiques reproductions proposées, pour un prix somme tout modique, font de l’ouvrage un must résolument vintage, en attendant (sans trop d’illusions) que les susdites liseuses puissent nous proposer en « plug-in » des typographies aussi inventives, aussi poétiques, aussi luxuriantes.

Yves [email protected]

Tosca Consultants, Philippe LenepveuArchivage électronique et records management : état de l’art et présentation de sept solutionsParis, ADBS, 2011, 266 p., 29 cmColl. Sciences et techniques de l’informationISBN 978-2843651298 : 28 €

Réalisée par Philippe Lenepveu, de la société Tosca Consultants, cette étude présente sept solutions d’archivage électronique, à l’heure où la dématérialisation des procédures oblige les responsables de services d’archives à la gestion d’archives électroniques en quantités de plus en plus importantes. Le « records management », norme ISO 15489, est présenté, en définissant les documents d’archives, leurs propriétés et les grandes lignes de leur gestion. Le « référentiel des activités » organise un plan de classement thématique, le classement proprement dit devant aussi prendre en compte des notions comme celles de « fonds », de « série », de « pièce » et de « dossier ».Deux questions fondamentales sont abordées : celle de l’authenticité et de l’intégrité des documents électroniques, avec les différents systèmes utilisés (calcul d’empreinte, signature numérique, horodatage) ; celle de l’archivage pérenne, avec l’utilisation conseillée du format PDF/A. Les différentes normes en vigueur sont présentées de manière

succincte, et notamment le modèle MoReq2, « Model Requirements for the Management of Electronic Records », en français « Exigences types pour la maîtrise de l’archivage électronique ». Une présentation exhaustive des principales spécifications fonctionnelles et techniques d’un système d’archivage électronique permet d’introduire l’analyse des différents systèmes d’archivage électronique recensés et analysés.

Yves [email protected]

Thomas Zuber, Alexandre des IsnardsFacebook m’a tuerNIL, 2011, 288 p., 23 cmISBN 978-2841114450 : 18 €

La lecture de Facebook m’a tuer est, sans doute, à déconseiller aux (jeunes ?) bibliothécaires qui considèrent l’usage des « réseaux sociaux » comme l’ultime frontière permettant d’établir, en lieu et place des IRL (voir plus bas), une communication avec nos usagers et, pourquoi pas, avec nos non-usagers. S’efforçant de reproduire le succès mérité de L’open space m’a tuer, les auteurs font en effet de cet outil (ce n’est qu’un outil) ou plutôt de ses utilisateurs une description qu’on s’accordera à trouver parfois drôle, mais aussi parfois caricaturale, expéditive, provocatrice et pas toujours étayée. En gros, les utilisateurs de Facebook, et autres produits du même genre – le livre ne se limite pas à ce réseau, et s’intéresse notamment à des applications plus coquines – sont de jeunes écervelés, victimes du syndrome du poisson rouge, qui travaillent trop et mal et, d’une certaine manière, « vivent » aussi trop et mal. Leur narcissisme assumé, revendiqué – désespéré – masque souvent une absence de « projet de vie » (comme on disait dans ma génération), absence qui ne s’avère que trop cruellement dès qu’ils s’aventurent « in real life » (IRL), c’est-à-dire, on l’a compris, dans la réalité. De ce tableau brossé un peu rapidement, on retire paradoxalement l’idée que tous les outils, si imparfaits soient-ils, qui nous permettent de garder le contact avec nos usagers sont bienvenus et que, encore une fois, ce sont les objectifs et les méthodes qui comptent, plus que les moyens.

Yves [email protected]

bbf : 2011 103 t. 56, no 4

Un moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique : passages entre Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin PanofskyGérard Régimbeau

Une des phases marquantes d’analyse et de théorisation de la médiation des œuvres d’art grâce à la reproduction photographique s’est déroulée dans l’entre-deux-guerres, avec des travaux menés dans les champs de la documen-tation, de la philosophie de l’histoire et de l’histoire de l’art par Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin Panofsky. Si leurs pensées innervent maintenant les réflexions sur le document, la reproduction et l’iconologie, il reste à les interro-ger dans leurs apports croisés. Ces travaux relèvent, en effet, de ce qu’on peut nommer un moment épistémologique. Ils ont participé à poser la trame des enjeux documentaires de la mémoire et de la collection des œuvres dont se pré-occupent les organismes chargés de leur conservation, de leur documentation et de leur diffusion. L’article rappelle quelles furent les approches et positions de ces trois auteurs tout en répercutant l’écho de ce moment dans les préoccu-pations actuelles à propos de la reproduction.

La médiation au service de la confluence du musée et de la bibliothèqueFélicie Contenot

Musées et bibliothèques sont aujourd’hui de plus en plus associés dans leur vocation à faire partager au plus grand nombre toutes les richesses qu’ils contiennent. La confluence par la médiation semble nécesaire dans ces lieux aux missions en apparence très proches. En effet, la médiation en musée ou en bi-bliothèque est l’intermédiaire essentiel entre le public, le lieu et les collections, mais elle doit répondre aux attentes de publics variés et tenter de les concilier avec les objectifs de conservation des institutions. Pour ce faire, de nombreux dispositifs de médiation se mettent en place et les nouvelles technologies de l’information et de la communication occupent une place croissante.

Convergences et divergences entre archives et bibliothèques : quelques réflexions d’une archivisteAgnès Vatican

Au fil des siècles, les relations entre archives et bibliothèques ont tendu vers une affirmation et une professionnalisation de chacune de ces institutions, et vers une définition plus précise de leurs missions respectives. Or, aujourd’hui, cette évolution semble souvent ignorée, voire remise en cause par des projets de mutualisation. Cette contribution se propose de réfléchir sur ces conver-gences souhaitées ou imposées, sur leur intérêt pour les professionnels et leurs services, ainsi que pour le public.

Les bibliothèques d’archives : des bibliothèques spécialisées, à la croisée des pratiques des centres de documentation et des bibliothèques publiquesVéronique Bernardet et Sabine Souillard

Une bibliothèque d’archives est une bibliothèque de conservation, de travail et de recherche qui fournit de l’information administrative et historique. Elle conserve les imprimés liés aux fonds d’archives et à l’histoire locale. Ses fonc-tions et sa typologie documentaire (littérature grise, publications officielles, revues spécialisées, etc.) l’apparentent à un centre de documentation spécia-lisé. Ses personnels exercent des missions similaires et conjointes à celles des bibliothécaires et archivistes : en raisonnant en termes de fonds, en rédigeant des inventaires, en collectant la majorité des documents.

Le projet scientifique et culturel de l’Inguimbertine : un exemple d’approche muséale au service des bibliothèquesJean-François Delmas

Le décret du 7 juillet 2010 relatif au concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD) et sa circulaire d’application du 17 février 2011 intro-duisent un élément d’importance concernant les demandes de financement pour la construction de bibliothèques. À l’instar de l’obligation en vigueur dans les musées depuis la loi de 2002, ces nouvelles dispositions réglementaires imposent désormais aux directeurs de bibliothèques la rédaction d’un projet scientifique et culturel. Outil de gouvernance et de pilotage, ce texte signale les spécificités de l’établissement en le situant dans son bassin de vie. Ce docu-ment détermine ainsi les axes stratégiques de fonctionnement et la vocation de l’institution par rapport à ses destinataires d’aujourd’hui et de demain. Cette évolution a été initiée par l’exemple du projet de l’Inguimbertine de Carpentras. Les caractéristiques et les enjeux d’une telle réflexion pour l’avenir des biblio-thèques sont exposés dans cet article.

Émergence et constitution d’un patrimoine spécifique des arts du spectacleJoël Huthwohl

Le patrimoine du spectacle vivant est conservé dans différents types d’institu-tions : bibliothèques, musées, archives, théâtres, associations… Cette diversité est le reflet de la variété des supports qui le constitue, des manuscrits aux cos-tumes, en passant par l’audiovisuel, les maquettes, les programmes, etc. Cette situation atypique renvoie à une histoire singulière et à une reconnaissance tar-dive. Elle soulève des difficultés spécifiques en matière de conservation et de valorisation, mais constitue aussi un terrain favorable au travail en réseau et à la coopération scientifique.

La Bibliothèque humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques ?Laurent Naas et Claire Sonnefraud

La bibliothèque humaniste de Sélestat témoigne de l’essor de l’humanisme en Alsace. Ses collections se constituent dès l’époque médiévale, et incluent notamment la bibliothèque personnelle de Beatus Rhenanus, illustre savant du xvie siècle. Dès le xixe siècle, la bibliothèque est une destination touristique prisée. Le transfert à une structure intercommunautaire des missions de lec-ture publique et celui des archives place la bibliothèque patrimoniale dans un contexte institutionnel et politique atypique, celui d’une bibliothèque-musée aux missions à définir, entre la conservation et la mise en valeur de ses collections précieuses et la nécessité de développer les actions de médiation et d’animation culturelle.

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.orgMonseigneur Paul Canart et Carol Giordano

E-corpus (www.e-corpus.org) est une plateforme numérique collective et patri-moniale lancée en 2010 par le Centre de conservation du livre d’Arles, qui y apporte ses compétences en matière de coordination, de coopération interna-tionale, de développement informatique et de numérisation. Cette plateforme associe depuis ses débuts les établissements conservant des collections patri-moniales et documentaires : bibliothèques, archives, musées ainsi que collec-tions privées. Jouant le rôle d’interface entre ces institutions, e-corpus favorise une mise en commun des ressources et accroît la collaboration entre ces der-nières. Ce site internet assure un accès aux collections patrimoniales et une interopérabilité entre les ressources, notamment par la mise en place d’un pro-tocole OAI-PMH.

résumés des articles

104 bbf : 2011 t. 56, no 4

Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confluence des ressources patrimoniales en régionJean-François Sibers

Le programme de « Banque numérique du savoir en Aquitaine » s’inscrit parfai-tement dans la confluence numérique entre collections et institutions patrimo-niales. Initié en 2000 par la direction régionale des affaires culturelles d’Aqui-taine et le conseil régional d’Aquitaine, il a déjà permis la mise en œuvre d’un grand nombre de réalisations : un catalogue collectif thématique et une biblio-thèque numérique sur la préhistoire, la bibliothèque numérique des ressources pyrénéennes (BNRP), mais aussi une médiathèque d’agglomération et un ser-vice patrimonial commun livre archives à Pau, le pôle d’archives de Bayonne et du pays basque, et enfin le pôle international de la préhistoire (PIP).

La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations : archives, médiathèque, musée de la ville de RoubaixEsther de Climmer

La Bibliothèque numérique de Roubaix (bn-r) est la partie émergée d’un « ice-berg » composé des ressources patrimoniales des principaux équipements culturels de la ville : la médiathèque, les archives, le musée et le conservatoire. Bien que de conception récente, elle permet la réalisation d’un projet d’inspira-tion bien plus ancienne, qui prévoyait déjà la mise en commun et la valorisation des éléments du patrimoine local - ou comment les initiatives de nos devanciers du xixe siècle en faveur du rapprochement des équipements culturels, poursui-vies et réalisées au xxie siècle, demeurent résolument d’actualité.

Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste RodinHélène Pinet

Le sculpteur Auguste Rodin avait entrepris de collecter des ensembles d’ar-chives et de documents destinés à compléter son œuvre proprement dite : bibliothèque personnelle, correspondance, photographies de ses œuvres, cou-pures de presse, archives de tous ordres et de toutes provenances, constituent

une masse considérable et largement hétérogène que le musée Rodin a la charge de gérer, de classer et de proposer aux chercheurs au même titre que les œuvres elles-mêmes. Mais, en fait, les frontières peuvent être floues entre ces deux domaines, comme l’illustre les exemples des dessins utilisés comme anno-tation par l’artiste, ou celui des photographies, simples témoignages de l’acti-vité du sculpteur ou, à leur tour, véritables œuvres d’art.

Conduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennaisFrançoise Hecquard

Après l’arrêt brutal de son projet de bibliothèque municipale à vocation régio-nale (BMVR) en juin 2008, la ville de Rouen a très rapidement lancé un nouveau plan de lecture publique priorisant les services de proximité. L’équipe des biblio-thèques a du immédiatement rebondir pour réaliser les nouvelles actions. Cela a nécessité la mise en place d’une nouvelle culture managériale et de nouvelles méthodes de travail, ainsi que d’une démarche approfondie de formation et de communication visant à un développement ciblé des compétences, et à l’auto-nomisation et à l’évolution de l’idéologie-métier des agents. Cet article pré-sente les grands axes du nouveau plan de développement de la lecture publique (PDLP) et la démarche projet qui a été élaborée et mise en œuvre dans ce cadre.

Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…Gilles Pierret et Laurent Marty

Face à la dématérialisation des supports et aux bouleversements induits par l’évolution des modes de création, de diffusion et de consommation de la mu-sique, les bibliothécaires musicaux sont confrontés à un dilemme : comment faire évoluer le modèle de la discothèque de prêt, sans pour autant abandonner le socle des collections, en posant des jalons vers la médiathèque musicale de demain ? Valorisation des contenus grâce aux actions de médiation et d’anima-tion, numérisation des collections de documents sonores patrimoniaux, offres d’écoute en ligne, blogs musicaux, participation aux réseaux sociaux… : les ini-tiatives montrent une volonté réelle d’expérimenter des solutions nouvelles.

abstracts

An instant of the work of art and of the document: Paul Otlet, Walter Benjamin and Erwin Panofsky on photographic reproductionGérard Régimbeau

One of the key phases in the analysis and theorisation of how photographic re-production mediates works of art took place between the two world wars, thanks to work in documentation, the philosophy of history, and the history of art by Paul Otlet, Walter Benjamin, and Erwin Panofsky respectively. Their work clearly runs through current thinking on documents, reproduction, and iconology, but the interconnections between their work have yet to be explored. Their thinking reflects what might be termed an epistemological moment, helping to identify the issues at stake in documenting memory and collecting works. These issues are faced by the organisations responsible for collecting, documenting, and dis-seminating such works.

Cultural mediation: the point of contact between museums and librariesFélicie Contenot

Museums and libraries are working more closely together than ever before to bring their collections to as wide an audience as possible. It is vital to work to-wards convergence in such institutions with similar remits, through their role as

cultural mediators. Cultural mediation is the key intermediary between the pub-lic, the site, and the collections in libraries and museums, but such institutions must reconcile meeting the expectations of various sectors of the public with their mission to conserve their holdings. Many cultural mediation projects have been implemented, with new information and communication technologies tak-ing on an ever more prominent role.

Convergence and divergence between archives and libraries: an archivist’s point of viewAgnès Vatican

Over the course of the centuries, the relationship between archives and libraries has tended to develop towards the specialisation and professionalisation of the respective institutions and a clearer outline of their specific remits. These days, however, this development often appears to be overlooked or even challenged by plans to pool resources. The present article sets out to explore the effects of such convergence – whether requested by the institutions themselves or im-posed from above – and particularly its impact on professionals and on users.

bbf : 2011 105 t. 56, no 4

Archival libraries: specialist libraries combining working practices from documentation centres and public librariesVéronique Bernardet and Sabine Souillard

Archival libraries have a remit to conserve documents of an administrative or historical nature while making them available for users and researchers. They offer print resources about the archival holdings and local history. Their remit and the categories of documentation they hold – grey literature, official pub-lications, specialist journals, and so on – bring them in line with specialist documentation centres, while they also have much in common with the work of librarians and archivists: developing holdings, drawing up inventories, and col-lecting the majority of documents.

The scientific and cultural project at the Inguimbertine Library: using a museum-based approach in a libraryJean-François Delmas

The decree of 7 July 2010 on dedicated state funding within the overall decen-tralisation grant and the legal circular of 17 February 2011 implementing the decree together introduce an important new context for requests for financing to build new libraries. In line with the requirements placed on museums in the 2002 law, these new regulations require library heads to draw up scientific and cultural projects for their institutions. The text – a tool for good governance and management practice – draws attention to the institution’s unique characteris-tics by siting it within its local community. The document thus sets the strategic guidelines for managing the institution and for defining priorities for users now and in the future. This development was sparked by the example of the Inguim-bertine Library project in Carpentras. The present article outlines the issues raised by these regulations for the future of libraries.

Setting up a heritage collection devoted to the performing artsJoël Huthwohl

The heritage of the performing arts is held in various types of institutions, from libraries and museums to archives, theatres, and charitable organisations. This diversity reflects the variety of material involved: manuscripts, costumes, audio-visual recordings, model stage sets, programmes, and so on. This unusual situ-ation reflects the unique history of this heritage, whose significance has only re-cently been acknowledged. It raises specific challenges in terms of conservation and promotion, while representing positive grounds for networking and joint scholarly projects.

The Sélestat humanist library – an unusual remitLaurent Naas and Claire Sonnefraud

The humanist library in Sélestat echoes the history of humanism in Alsace. The collection started in the medieval period: one of its most striking holdings is the personal library of the sixteenth-century scholar Beatus Rhenanus. The library was a popular tourist destination in the nineteenth century. The transfer of the reading development remit and the archives to an inter-community structure places the heritage library in the unusual institutional and political position of a library-museum whose remit, while not yet fully outlined, will certainly include conserving and promoting its valuable holdings and developing a programme of cultural mediation and outreach.

www.e-corpus.org: a site for institutions with a role in conserving movable heritageMonseigneur Paul Canart and Carol Giordano

E-corpus (www.e-corpus.org) is a collective digital platform for heritage institu-tions launched in 2010 by the Book Conservation Centre in Arles, offering sup-port in the form of co-ordination, international co-operation, IT development, and digitisation. The platform brings together establishments with heritage and document holdings, including libraries, archives, museums, and private collec-tions. e-corpus acts as an interface between such institutions, encouraging them to pool resources and work together. The web site also provides access to her-itage collections and interoperability between resources, thanks notably to its OAI-PMH protocol.

The digital knowledge bank in Aquitaine ten years on: bringing together heritage resources in the regionsJean-François Sibers

The programme of the digital knowledge bank in Aquitaine is a perfect exam-ple of the trend to bring heritage collections and institutions together in digital form. The project, launched in 2000 by the regional cultural department and the regional council in Aquitaine, has already seen the completion of a number of programmes, including a thematic catalogue and digital library on prehistory, a digital library of resources on the Pyrenees, an inter-community multimedia library, a heritage service for books and archives in Pau, an archives hub cover-ing Bayonne and the Basque country, and the International Prehistory Centre.

The Roubaix digital library and other collaborations: the Roubaix archives, multimedia library, and museumEsther de Climmer

The Roubaix digital library is the tip of the iceberg of heritage resources offered by the town’s principal cultural institutions: the multimedia library, archives, museum, and conservatoire. While it was only planned recently, it nonetheless represents the fruition of a much older project to bring together institutions representing the local heritage as a way of promoting their holdings. The arti-cle looks back at the nineteenth-century forerunners who first planned to bring these cultural institutions together – a project that is still underway and that re-mains highly relevant in the twenty-first century.

Portrait of the sculptor as collector, historian, and archivist: Auguste RodinHélène Pinet

The sculptor Auguste Rodin built up a considerable collection of archives and documents to complement his work as an artist. His personal library, letters, photographs of his works, press cuttings, and archival material of all sorts form a large and highly diverse collection. The Musée Rodin is responsible for man-aging and cataloguing this mass of material for researchers, in addition to the works themselves. The dividing line between the works and the archives can be unclear, as in the case of drawings used as annotations by the artist or the pho-tographs used to document his work as a sculptor, which are genuine works of art in their own right.

heading up a dynamic of change: implementing the reading development plan at Rouen librariesFrançoise Hecquard

Following the sudden withdrawal of plans for a regional municipal library in June 2008, Rouen rapidly launched a new reading promotion scheme that pri-oritised local services. Library staff had very little turn-around time to get started on the new project, which involved setting up a new managerial culture and working methods as well as a far-reaching training and communication pro-gramme aiming to develop targeted skills and improve the autonomy and pro-fessional ideology of librarians. The present article outlines key aspects of the new reading development scheme and the development and implementation of the accompanying project.

The corpse of music libraries is still twitching...Gilles Pierret and Laurent Marty

Given the virtualisation of music and the profound shift caused by changes in the way music is created, distributed, and listened to, music libraries are facing a dilemma: how to keep the lending library model relevant without abandoning the basis of their collections, while moving towards the multi-media music li-brary of the future. Promoting holdings through cultural mediation and events, digitising historical sound recordings, offering opportunities to listen online, music blogs, and social networking are just some of the initiatives that reflect a real motivation to experiment with innovative solutions.

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zusammenfassungen

Ein Moment des Werkes und des Dokuments: die fotografische Reproduktion, Passagen zwischen Paul Otlet, Walter Benjamin und Erwin PanofskyGérard Régimbeau

Eine der markantesten Phasen der Analyse und der Theoretisierung der Medi-ation von Kunstwerken dank der fotografischen Reproduktion hat sich mit den in den drei Dokumentationsbereichen, der Philosophie, der Geschichte und der Kunstgeschichte von Paul Otlet, Walter Benjamin und Erwin Panofsky durch-geführten Arbeiten in der Zeit zwischen den zwei Weltkriegen abgespielt. Auch wenn ihre Gedanken die Überlegungen über das Dokument, die Reproduktion und die Ikonologie jetzt anregen, bleibt es, sie in ihren kreuzenden Beiträgen zu hinterfragen. Diese Arbeiten heben in der Tat hervor, was man ein epistemologi-sches Moment nennen kann. Sie haben dazu beigetragen, die Grundlage der do-kumentarischen Herausforderungen der Aufbewahrung und der Sammlung von Werken zu setzen, mit der sich die Organsimen beschäftigen, die die Aufgabe ihrer Konservierung, ihrer Dokumentation und ihrer Verbreitung haben.

Die Mediation im Dienst der Begegnung von Museum und BibliothekFélicie Contenot

Museen und Bibliotheken sind heutzutage mehr und mehr in ihrer Aufgabe ver-bunden, eine größt mögliche Anzahl an all ihren Reichtümern, die sie besitzen, teilhaben zu lassen. Das Zusammentreffen durch die Mediation erscheint in die-sen Orten mit sehr ähnelnden Aufgaben notwendig. In der Tat ist die Mediation im Museum oder in der Bibliothek die wesentliche Vermittlerin zwischen den Benutzern, dem Ort und den Beständen, doch sie muss den Erwartungen ver-schiedener Benutzer entsprechen und versuchen, sie mit den Konservierungs-zielen der Institutionen unter einen Hut zu bringen. Hierzu stehen zahlreiche Mediationsmaßnahmen bereit und die neuen Informations- und Kommunikati-onstechnologien nehmen einen zunehmenden Platz ein.

Übereinstimmungen und Abweichungen zwischen Archiven und Bibliothek: einige Überlegungen eines ArchivarsAgnès Vatican

Im Laufe der Jahrhunderte haben die Beziehungen zwischen Archiven und Bib-liotheken nach einer Behauptung und einer Professionalisierung dieser beiden Institutionen gestrebt und nach einer eindeutigeren Definition ihrer jeweiligen Aufgaben. Heute scheint diese Weiterentwicklung aber häufig ignoriert zu wer-den, ja sogar durch Projekte der gemeinsamen Nutzung in Frage gestellt zu wer-den. Dieser Beitrag beabsichtigt, über diese gewünschten oder aufgezwungenen Übereinstimmungen, über ihr Interesse für die Fachleute und ihre Dienste sowie für die Benutzer nachzudenken.

Archivbibliotheken: Spezialbibliotheken mit überschneidenden Praktiken von Dokumentationszentren und öffentlichen Bibliotheken Véronique Bernardet und Sabine Souillard

Eine Archivbibliothek ist eine Archiv-, Arbeits- und Forschungsbibliothek, die ad-ministrative und historische Information liefert. Sie bewahrt die an den Archiv-bestand und die Lokalgeschichte gebundenen Druckschriften. Ihre Funktionen und ihre dokumentarische Typologie (graue Literatur, amtliche Veröffentlichun-gen, Fachzeitschriften, etc.) kommen einem Spezialdokumentationszentrum gleich. Sie übt Aufgaben aus, die jenen von Bibliothekaren und Archivaren äh-neln und mit ihnen verbunden sind, indem sie bezüglich Beständen nachdenkt, Inventare verfasst, die Mehrheit der Dokumente sammelt.

Das wissenschaftliche und kulturelle Projekt Inguimbertine: ein Beispiel musealer Annäherung im Dienste der BibliothekenJean-François Delmas

Das Dekret vom 7. Juli 2010 zur Sondersubvention der Bibliotheken der all-gemeinen finanziellen Ausstattung der Dezentralisierung (DGD) und sein

Ausführungszirkular vom 17. Februar 2011 leiten ein Element von Bedeutung bei den Finanzierungsanfragen zum Bau von Bibliotheken ein. Nach dem Vorbild der in den Museen seit dem Gesetz von 2002 geltenden Verpflichtung, verlan-gen diese neuen vorschriftsmäßigen Bestimmungen von den Bibliotheksdirek-toren die Abfassung eines wissenschaftlichen und kulturellen Projekts. Dieser Text, Regelungs- und Führungshilfsmittel, weist auf die Besonderheiten der Einrichtung hin, indem sie in ihrem geografischen Wirkungsbereich angesiedelt wird. Dieses Dokument legt somit die strategischen Linien der Funktionsweise und der Berufung der Institution in Bezug auf ihre Empfänger von heute und von morgen fest. Diese Weiterentwicklung wurde zum Beispiel vom Projekt In-guimbertine von Carpentras initiiert. Die Merkmale und die Herausforderungen einer solchen Überlegung zur Zukunft der Bibliotheken werden in diesem Artikel dargestellt.

Auftauchen und Aufbau eines spezifischen Kulturguts der Schauspielkünste Joël Huthwohl

Das Kulturgut der darstellenden Künste wird in verschiedenen Arten von In-stitutionen aufbewahrt: Bibliotheken, Museen, Archiven, Theatern, Vereinen… Diese Vielfalt spiegelt die Verschiedenartigkeit der Medien wider, aus denen es besteht, bei Manuskripten angefangen bis zu Kostümen, über audiovisuelle Medien, Probeaufnahmen, Programme, etc. Diese atypische Situation weist auf eine besondere Geschichte und auf eine späte Anerkennung zurück. Sie wirft besondere Schwierigkeiten die Konservierung und die Aufwertung betreffend auf, stellt aber auch ein günstiges Feld für Verbundarbeit und wissenschaftliche Kooperation dar.

Die humanistenbibliothek Schlettstadt: eine Bibliothek mit atypischen Aufgaben?Laurent Naas und Claire Sonnefraud

Die Humanistenbibliothek Schlettstadt zeugt vom Aufblühen des Humanismus im Elsass. Ihre Sammlungen wurden seit dem Mittelalter angelegt und beinhal-ten insbesondere die Privatbibliothek von Beatus Rhenanus, dem berühmten Gelehrten aus dem 16. Jahrhundert. Seit dem 19. Jahrhundert ist die Bibliothek ein hoch im Kurs stehendes touristisches Ziel. Der Übergang zu einer innerge-meinschaftlichen Struktur der Aufgaben des öffentlichen Bibliothekswesens und jener der Archive, rückt die patrimoniale Bibliothek in einen institutionellen und politisch atypischen Kontext einer Bibliothek-eines Museums mit zu definieren-den Aufgaben, zwischen der Konservierung und der Aufwertung ihrer wertvol-len Sammlungen und der Notwendigkeit des Ausbaus von Mediationsmaßnah-men und kultureller Animation.

Wenn sich Aufbewahrungseinrichtungen beweglichen Kulturguts auf www.e-corpus.org begegnenMonseigneur Paul Canart und Carol Giordano

E-corpus (www.e-corpus.org) ist eine kollektive digitale Plattform für Kulturgut, die 2010 vom Buchbewahrungszentrum Arles (Centre de conservation du livre), das seine Kompetenzen im Bereich Koordination, internationaler Koordination, Informatik- und Digitalisierungsentwicklung einbringt, gestartet wurde. Diese Plattform vereint seit ihren Anfängen die Einrichtungen, die Kulturgut- und do-kumentarische Sammlungen bewahren: Bibliotheken, Archive, Museen sowie Privatsammlungen. E-corpus fördert eine Zusammenlegung der Ressourcen, indem es die Rolle der Schnittstelle zwischen den Institutionen spielt und stei-gert die Zusammenarbeit dieser. Diese Webseite sichert den Zugang zu den Kul-turgutbeständen und eine Interoperabilität zwischen den Ressourcen, insbeson-dere durch den Einsatz eines OAI-PMH-Protokolls.

Digitale Wissensdatenbank Aquitaine: 10 Jahre für die Vereinigung der regionalen Kulturgutressourcen Jean-François Sibers

Das Programm der „Digitalen Wissensdatenbank Aquitaine“ erfolgt voll-kommen im Rahmen der digitalen Vereinigung zwischen Sammlungen und

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resúmenes

Un momento de la obra y del documento: la reproducción fotográfica, pasajes entre Paul Otlet, Walter Benjamin y Erwon PanofskyGérard Régimbeau

Una de las fases notables de análisis y de teorización de la mediación de las obras de arte gracias a la reproducción fotográfica se desarrolló entre las dos guerras, con trabajos llevados a cabo en los tres campos de la documentación, de la filosofía de la historia y de la historia del arte por Paul Otlet, Walter Benja-min Y Erwin Panofsky. Si sus pensamientos inervan ahora las reflexiones sobre el documento, la reproducción y la iconología, queda por interrogarlos en sus aportes cruzados. Estos trabajos relevan en efecto, de lo que se puede llamar un momento epistemológico. Estos participaron en plantear la trama de los retos documentales de la memoria y de la colección de las obras de las cuales se preocupan los organismos encargados de su conservación, de su documen-tación y de su difusión.

La mediación al servicio de la confluencia del museo y de la bibliotecaFélicie Contenot

Museos y bibliotecas están hoy en día cada vez más asociadas en su vocación a hacer compartir al más numeroso público todas las riquezas que contienen. La confluencia mediante la mediación parece necesaria en estos lugares a las misiones en apariencia muy cercanas. En efecto, la mediación en museo o en biblioteca es el intermediario esencial entre el público, el lugar y las coleccio-nes, pero debe responder a las espectativas de públicos variados y tratar de

conciliarlos con los objetivos de conservación de las instituciones. Para hacer esto, numerosos dispositivos de mediación se instalan y las nuevas tecnologías de la información y de la comunicación ocupan un lugar creciente.

Convergencias y divergencias entre archivos y biblioteca: algunas reflexiones de una archivistaAgnès Vatican

A lo largo de los siglos, las relaciones entre archivistas y bibliotecas han tendido hacia una afirmación y una profesionalización de cada una de las instituciones, y hacia una definición más precisa de sus misiones respectivas. Ahora bien, hoy en día, esta evolución parece a menudo ignorada, e incluso puesta en causa por proyectos de mutualización. Esta contribución se propone reflexionar sobre estas convergencias deseadas o impuestas, sobre su interés para los profesiona-les y sus servicios, así como para el público.

Las bibliotecas de archivos: bibliotecas especializadas, en la encrucijada de las prácticas de los centros de documentación y de las bibliotecas públicasVéronique Bernardet y Sabine Souillard

Una biblioteca de archivos es una biblioteca de conservación, de trabajo y de investigación que suministra información administrativa e histórica. Conserva los impresos ligados a los fondos de archivos y a la historia local. Sus funcio-nes y su tipología documental (literatura gris, publicaciones oficiales, revistas especializadas, etc.) la aparentan a un centro de documentación especializado.

Kulturguteinrichtungen. Es wurde im Jahre 2000 von der Direktion für Kulturelle Angelegenheiten der Region Aquitaine und dem Regionalrat von Aquitaine initi-iert und hat bereits die Umsetzung einer großen Anzahl von Projekten ermög-licht: ein thematischer Verbundkatalog und eine digitale Bibliothek zur Früh-geschichte, die digitale Bibliothek der pyrenäischen Ressourcen (BNRP), aber auch eine Großraum-Mediathek und einen gemeinsamen Kulturgutdienst Buch Archive in Pau, das Zentrum der Archive von Bayonne und dem Baskenland und schließlich das internationale Zentrum zur Frühgeschichte (PIP).

Die digitale Bibliothek Roubaix und andere Kollaborationen: Archive, Mediathek, Stadtmuseum RoubaixEsther de Climmer

Die digitale Bibliothek Roubaix (bn-r) ist der herausragende Teil eines Eisbergs, der aus Ressourcen des Kulturguts der wichtigsten kulturellen Einrichtungen der Stadt zusammengesetzt ist: der Mediathek, der Archive, des Museums und des Konservatoriums. Obwohl ganz neu konzipiert, ermöglicht sie die Umsetzung eines mehr als alten Inspirationsprojekts, das bereits die Zusammenlegung und die Aufwertung der Bestandteile des lokalen Kulturerbes vorsah – oder wie die Unternehmungen unserer Vorgänger des 19. Jahrhunderts zu Gunsten der Annä-herung der kulturellen Einrichtungen, die im 21. Jahrhundert weiterverfolgt und realisiert wurden, bewusst aktuell bleiben.

Portrait eines Bildhauers, Sammlers, historikers und Archivars: Auguste RodinHélène Pinet

Der Bildhauer Auguste Rodin hatte sich zur Aufgabe gemacht, nennenswerte Einheiten von Archiven und Dokumenten zu sammeln, die dazu bestimmt waren, sein eigentliches Werk zu vervollständigen: Privatbibliothek, Korres-pondenz, Fotografien seiner Werke, Zeitungsausschnitte, Archive aller Art und jeglicher Herkunft. Sie bilden eine beträchtliche und weitgehend uneinheitliche Menge, für die das Rodin-Museum den Auftrag hat, sie zu verwalten, zu ordnen und den Forschern gleichermaßen wie die Werke selbst zur Verfügung zu stel-len. Die Grenzen zwischen diesen beiden Bereichen können jedoch im Grunde genommen verschwommen sein, wie die Beispiele der Zeichnungen, die vom

Künstler als Anmerkung benutzt wurden, veranschaulichen oder jenes der Foto-grafien, einfache Zeugnisse der Aktivität des Bildhauers oder, sie selbst, wahre Kunstwerke.

Umsetzung einer Veränderungsdynamik: der Einsatz des Entwicklungsplans des öffentlichen Bibliothekswesens von RouenFrançoise Hecquard

Die Stadt Rouen hat im Anschluss an den brutalen Abbruch ihres Projektes einer Stadt- und Regionalbibliothek (Bibliothèque municipale à vocation régio-nale, BMVR) im Juni 2008 sehr schnell ein neues Vorhaben zum öffentlichen Bibliothekswesen gestartet, welches den Benutzungsdiensten Priorität gibt. Das Bibliotheksteam musste sofort wieder aktiv werden, um die neuen Aktionen um-zusetzen. Dies hat die Einführung einer neuen Führungskultur, neuer Arbeits-methoden sowie einer gründlichen Entwicklung von Fortbildung und Kommuni-kation erfordert mit dem Ziel einer gezielten Entwicklung der Kompetenzen und des Selbstständigwerdens und der Weiterentwicklung der Berufsideologie der Angestellten. Dieser Artikel stellt die Grundlinien des neuen Entwicklungsplans des öffentlichen Bibliothekswesens (PDLP) vor und die Projektmethode, die in diesem Rahmen ausgearbeitet und eingesetzt wurde.

Die Musikleiche in der Bibliothek bewegt sich noch…Gilles Pierret und Laurent Marty

Die Musikbibliothekare sind gegenüber der Dematerialisation der Datenträger und der tiefgreifenden durch die Weiterentwicklung der Methoden der Her-stellung, der Verbreitung und des Konsums der Musik herbeigeführten Verän-derungen mit einem Dilemma konfrontiert: wie soll das Modell der Musikleih-bibliothek weiterentwickelt werden ohne dennoch die Basis der Sammlungen aufzugeben während die Grundsteine für die Musikmediathek von morgen gelegt werden? Aufwertung der Inhalte dank Mediations- und Animations-maßnahmen, Digitalisierung der patrimonialen Tonträgersammlungen, Online-Hörangebote, musikalische Blogs, Teilnahme an sozialen Netzwerken… - die Initiativen zeigen einen wahren Willen, neue Lösungen auszuprobieren.

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Esta ejerce misiones similares y conjuntas a las de los bibliotecarios y archivis-tas: razonando en términos de fondos, redactando inventarios, recolectando la mayoría de los documentos.

El proyecto científico y cultural del Inguimbertine: un ejemplo de enfoque museal al servicio de las bibliotecasJean-François Delmas

El decreto del 7 de julio 2010 relativo al concurso particular de la dotación ge-neral de descentralización (DGD) y su circular de aplicación del 17 de febrero 2011 introducen un elemento de importancia que concierne los pedidos de fi-nanciamiento para la construcción de bibliotecas. A semejanza de la obligación en vigencia en los museos desde la ley de 2002, estas nuevas disposiciones re-glamentarias imponen de ahora en adelante a los directores de bibliotecas la redacción de un proyecto científico y cultural. Herramienta de gobernanza y de monitoreo, este texto señala las especificidades del establecimiento situándolo en su cuenca de vida. Este documento determina de esta manera los ejes es-tratégicos de funcionamiento y la vocación de la institución en relación a sus destinatarios de hoy en día y del mañana. Esta evolución fue iniciada a través del ejemplo del proyecto del Inguimbertine de Carpentras. Están expuestas en este artículo las características y los retos de tal reflexión para el porvenir de las bibliotecas.

Emergencia y constitución de un patrimonio específico de las artes del espectáculoJoël Huthwohl

El patrimonio del espectáculo vivo está conservado en diferentes tipos de insti-tuciones : bibliotecas, museos, archivos, teatros, asociaciones... Esta diversidad es el reflejo de la variedad de los soportes que lo constituyen, desde manuscri-tos a las costumbres, pasando por lo audiovisual, las maquetas, los programas, etc. Esta situación atípica remite a una historia singular y a un reconocimiento tardío. Esta resalta dificultades específicas en materia de conservación y valo-rización, pero constituye también un terreno favorable al trabajo en red y a la cooperación científica.

La Biblioteca humanista de Selestat: ¿una biblioteca con misiones atípicas?Laurent Naas y Claire Sonnefraud

La Biblioteca humanista de Selestat testimonia del auge del humanismo en Al-sacia. Sus colecciones se constituyen desde la época medieval, e incluyen parti-cularmente la biblioteca personal de Beatus Rhenanus, ilustre sabio del siglo 16. Desde el siglo 19, la biblioteca es un destino turístico muy preciado. El traslado a una estructura intercomunitaria de las misisones de lectura pública y el de los archivos sitúa a la biblioteca patrimonial en un contexto institucional y política atípica, el de una biblioteca-museo con misiones a definir, entre la conservación y la puesta en valor de sus colecciones preciosas y la necesidad de desarrollo de las acciones de mediación y animación cultural.

Cuando establecimientos de conservación del patrimonio mobiliario se encuentran en www.corpus.orgMonseigneur Paul Canart y Carol Giordano

E-corpus (www.e-corpus.org) es una plataforma digital colectiva y patrimonial lanzada en 2010 por el Centro de conservación del libro de Arles, y que le aporta sus competencias en materia de coordinación, de cooperación internacional, de desarrollo informático y de digitalización. Esta plataforma asocia desde sus inicios los establecimientos que conservan colecciones patrimoniales y docu-mentales: bibliotecas, archivos, museos así como colecciones privadas. Jugando el papel de interfaz entre estas instituciones, e-corpus favorece una puesta en común de los recursos y acrecienta la colaboración entre estas últimas. Este site internet asegura un acceso a las colecciones patrimoniales y una interoperabili-dad entre los recursos, particularmente mediante la instalación de un protocolo OAI-PMH.

Banco digital del saber en Aquitania: 10 años de confluencia de los recursos patrimoniales en regiónJean-François Sibers

El programa de “Banco digital del saber en Aquitania” se inscribe perfectamente en la confluencia digital entre colecciones e instituciones patrimoniales. Ini-ciado en 2000 por la dirección regional de asuntos culturales Aquitania y el con-sejo regional de Aquitania, ha permitido ya la ejecución de un gran número de realizaciones: un catálogo colectivo y una biblioteca digital sobre la prehistoria, la biblioteca digital de los recursos pirináicos (BNRP), pero también una media-teca de aglomeración y un servicio patrimonial común libro archivos en Pau, el polo de archivos de Bayona y del país vasco, y finalmente el polo internacional de la prehistoria (PIP).

La Biblioteca digital de Roubaix y otras colaboraciones: archivos, mediateca, museo de la ciudad de RoubaixEsther de Climmer

La Biblioteca digital de Roubaix (bn-r) es la parte emergente de un “iceberg” compuesto de recursos patrimoniales de los principales equipamientos cul-turales de la ciudad: la mediateca, los archivos, el museo y el conservatorio. A pesar de su concepción reciente, ella permite la realización de un proyecto de inspiración mucho más antigua, que preveía ya la puesta en común y la valoriza-ción de los elementos del patrimonio local – o cómo las iniciativas de nuestros predecesores del siglo 19 en favor de un acercamiento de los equipamientos cul-turales, proseguidos y realizados en el siglo 21, permanecen resueltamente de actualidad.

Retrato de un escultor en tanto que coleccionista, historiador y archivista: Auguste RodinHélène Pinet

El escultor Auguste Rodin había emprendido recolectar conjuntos considerables de archivos y documentos destinados a completar su obra propiamente dicha: biblioteca personal, correspondencia, fotografías de sus obras, recortes de prensa, archivos de todos órdenes y todas procedencias, constituyen una masa considerable y ampliamente heterogénea que el museo Rodin tiene a su cargo administrar, clasificar y proponer a los investigadores al mismo título que las obras mismas. Pero, de hecho, las fronteras pueden ser borrosas entre estos dos ámbitos, como lo ilustra los ejemplos de los dibujos utilizados como anota-ción por el artista, o el de las fotografías, simples testimonios de la actividad del escultor o, a su vez, verdaderas obras de arte.

Conducir una dinámica de cambio: la ejecución del plan de desarrollo de la lectura pública rouenesaFrançoise Hecquard

Después del paro brutal de su proyecto de biblioteca municipal con vocación regional (BMVR) en junio 2008, la ciudad de Rouen lanzó muy rápidamente un nuevo plan de lectura pública priorizando los servicios de proximidad. El equipo de bibliotecas debió rebotar inmediatamente para realizar nuevas acciones. Esto necesitó la instalación de una nueva cultura gerencial y de nuevos métodos de trabajo, así como de un planteamiento profundo de formación y de comuni-cación apuntando a un desarrollo centrado de las competencias, y a la autono-mización y a la evolución de la ideología-oficio de los agentes. Este artículo pre-senta los grandes ejes del nuevo plan de desarrollo de la lectura pública (PDLP) y el planteamiento proyecto que fue elaborado y ejecutado en este marco.

El cadaver de la música en biblioteca se mueve aún...Gilles Pierret y Laurent Marty

Frente a la desmaterialización de los soportes y a los trastornos inducidos por la evolución de los modos de creación, de difusión y de consumo de la música, los bibliotecarios musicales están confrontados a un dilema:¿cómo hacer evo-lucionar el modelo de la discoteca de préstamo, sin por lo tanto abandonar el zócalo de las colecciones, poniendo los jalones hacia la mediateca musical del mañana? Valorización de los contenidos gracias a las acciones de mediación y de animación, digitalización de las colecciones de documentos sonóros patri-moniales, ofertas de escucha en línea, blogs musicales, participación en las redes sociales... las iniciativas muestran una voluntad real de experimentar so-luciones nuevas.

2e Grand Prix Livres HebdoDES BIBLIOTHÈQUES

Jeudi 1er décembre 2011L’ÉVÉNEMENT

BIBLIOTHÈQUES DE L’ANNÉE

Clôture de l’envoi des dossiers le 30 septembre 2011

Inscrivez-vous sur livreshebdo.fr

Pour toute demande de renseignements, merci d’envoyer un mail à

[email protected]

QUATRE PRIX ET UN GRAND PRIXPrix de l’innovation. Prix de l’accueil.

Prix de l’espace intérieur. Prix de l’animation.

.CETTE ANNÉE, LA REMISE DES PRIX AURA LIEU

À LA BIBLIOTHÈQUE DE L’HÔTEL DE VILLE DE PARIS (BHV).

Avec la participation de et

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Confl uences

Conduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennais

Le cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…bb

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DOSSIER

Confl uences

1 – PréoccupationsUn moment de l’œuvre et du document, la reproduction photographique : passages entre Paul Otlet, Walter Benjamin et Erwin PanofskyGérard Régimbeau

La médiation au service de la confl uence du musée et de la bibliothèqueFélicie Contenot

Convergences et divergences entre archives et bibliothèques : quelques réfl exions d’une archivisteAgnès Vatican

2 – HybriditésLes bibliothèques d’archives : des bibliothèques spécialisées, à la croisée des pratiques des centres de documentation et des bibliothèques publiquesVéronique Bernardet et Sabine Souillard

Le projet scientifi que et culturel de l’Inguimbertine : un exemple d’approche muséale au service des bibliothèquesJean-François Delmas

Émergence et constitution d’un patrimoine spécifi que des arts du spectacleJoël Huthwohl

« Collections », le moteur de recherches sémantiques du ministère de la Culture et de la CommunicationCaroline Cliquet

3 – SpécimensLa Bibliothèque humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques ?Laurent Naas et Claire Sonnefraud

Quand des établissements de conservation du patrimoine mobilier se retrouvent sur www.e-corpus.orgMonseigneur Paul Canart avec la collaboration de Carol Giordano

Banque numérique du savoir en Aquitaine : dix ans pour la confl uence des ressources patrimoniales en régionJean-François Sibers

La Bibliothèque numérique de Roubaix et autres collaborations : archives, médiathèque, musée de la ville de RoubaixEsther de Climmer

Portrait d’un sculpteur en collectionneur, historien et archiviste : Auguste RodinHélène Pinet

À PROPOSConduire une dynamique de changement : la mise en œuvre du plan de développement de la lecture publique rouennaisFrançoise Hecquard

DÉBATLe cadavre de la musique en bibliothèque bouge encore…Gilles Pierret et Laurent Marty

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BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2009 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2010 / Numéro 6BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 1BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 2BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 3BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 4BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 5BULLETIN DES BIBLIOTHÈQUES DE FRANCE / 2011 / Numéro 6

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