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Avis Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes Conseil du statut de la femme

Conseil du statut de la femme - santecom.qc.ca · Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude créé en 1973. Il ... Hémond, Rakia Laroui, Ludmilla

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    Affirmer la lacit, un pas

    de plus vers lgalit relle

    entre les femmes et les hommes

    Conseil du statut de la femme

  • Avis Affirmer la lacit, un pas de plus vers lgalit relle entre les femmes et les hommes

    Date de parution : 2011-03-28 Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et dtude cr en 1973. Il donne son avis sur tout sujet soumis son analyse relativement lgalit et au respect des droits et du statut de la femme. Lassemble des membres du Conseil est compose de la prsidente et de dix femmes provenant des associations fminines, des milieux universitaires, des groupes socio-conomiques et des syndicats. Cet avis a t adopt lors de la 231e assemble des membres du Conseil du statut de la femme le 11 fvrier 2011. Les membres du Conseil sont Christiane Pelchat, prsidente, Nathalie Chapados, Vronique De Sve, Francyne Ducharme, Roxane Duhamel, Marjolaine tienne, Carole Gingras, laine Hmond, Rakia Laroui, Ludmilla Prismy et Catherine des Rivires-Pigeon. Nous tenons remercier Henri Brun, professeur mrite de la Facult de droit de lUniversit Laval, pour ses prcieux conseils et commentaires. Coordination de la recherche et de la rdaction Christiane Pelchat Recherche et rdaction Caroline Beauchamp, LL.B. LL.M., consultante Collaboration Annie Desaulniers Recherche documentaire Julie Limoges

    Soutien technique Francine Brub Lydia Haddad Coordination de ldition Sbastien Boulanger Nathalie Savard Rvision linguistique Judith Tremblay, Affaires de style

    Toute demande de reproduction totale ou partielle doit tre faite au Service de la gestion des droits d'auteur du gouvernement du Qubec ladresse suivante : [email protected] diteur Conseil du statut de la femme Direction des communications 800, place DYouville, 3e tage Qubec (Qubec) G1R 6E2 Tlphone : 418 643-4326 ou 1 800 463-2851 Tlcopieur : 418 643-8926 Internet : www.placealegalit.gouv.qc.ca Courrier lectronique : [email protected] Dpt lgal

    Bibliothque et Archives nationales du Qubec, 2011 ISBN : 978-2-550-61434-0 (version imprime) 978-2-550-61435-7 (version lectronique) Gouvernement du Qubec

    Loriginal de ce document est imprim sur du papier entirement recycl, fabriqu au Qubec, contenant 100 % de fibres postconsommation et produit sans chlore.

    mailto:[email protected]://www.placealegalit.gouv.qc.ca/mailto:[email protected]

  • TABLE DES MATIRES

    INTRODUCTION ........................................................................................................................ 5

    CHAPITRE PREMIER LES RELIGIONS ET LINFRIORISATION DES FEMMES ...................................................................................... 15

    1.1 Des religions nes dans le creuset du patriarcat ....................................................... 16 1.2 Des textes sacrs rdigs par des hommes ................................................................ 17 1.3 Une exgse masculine et infriorisante pour la femme ......................................... 19

    CHAPITRE II LA DISSOCIATION DE LA RELIGION ET DE LTATQUBCOIS : UNE VOIE VERS LGALIT ENTRE

    LES SEXES ................................................................................................. 29

    2.1 Avant la Rvolution tranquille .................................................................................... 29

    2.1.1 Le contrle de lglise sur lpducation .............................................................. 30 2.1.2 Linfluence de lglise sur le rle de la femme dans la sociptp ...................... 32

    2.2 La Rvolution tranquille et la marche des femmes vers lpgalitp ........................... 37

    2.2.1 Claire Kirkland et la modification du statut juridique de la femme marie 37 2.2.2 La crpation du ministqre de lducation du Qupbec ....................................... 37 2.2.3 La Commission royale denqute sur la situation de la femme au Canada 39 2.2.4 La dcriminalisation de la contraception .......................................................... 40 2.2.5 La cration du Conseil du statut de la femme ................................................. 40 2.2.6 Ladoption de la Charte qupbpcoise .................................................................. 41 2.2.7 Lpgalitp durant le mariage et lors de la rupture ............................................. 41 2.2.8 La dpcriminalisation de lavortement ............................................................... 42 2.2.9 La dconfessionnalisation des coles ................................................................ 43

    CHAPITRE III LA LACIT AU QUBEC ...................................................................... 45

    3.1 Quest-ce que la lacit? ................................................................................................ 46

    3.1.1 La lacit, garante de la libert de conscience et de religion .......................... 48 3.1.2 Les visages de la lacit ........................................................................................ 55 3.1.3 La lacit, garante de la dmocratie .................................................................... 56

    3

  • 3.2 La lacit qubcoise : une lacit de fait ..................................................................... 57

    3.3 Les insuffisances de la lacit ouverte .................................................................. 62

    3.3.1 La lacit ouverte au multiculturalisme ...................................................... 63 3.3.2 La lacit ouverte la confusion entre le religieux et le politique ........... 66 3.3.3 La lacitp ouverte linstrumentalisation de la foi, la montpe de la

    droite religieuse et lintpgrisme ....................................................................... 70

    3.4 La lacitp, la citoyennetp et lidentitp qupbpcoise ...................................................... 76

    CHAPITRE IV AFFIRMER LA LACIT ......................................................................... 87

    4.1 Inscrire la lacit dans la Charte qubcoise .............................................................. 90

    4.2 Adopter des mesures qui mettent en uvre la lacitp ............................................. 91

    4.2.1 Les agentes et agents de ltat reflqtent sa neutralitp ..................................... 92 4.2.2 Ltat ne parat pas associp au religieux dans les institutions publiques .. 106 4.2.3 Ltat enseigne les valeurs civiques et non la culture religieuse .......... 110

    4.3 Rpexaminer les liens financiers entre ltat et le religieux .................................... 126

    4.3.1 Les subventions aux coles confessionnelles ................................................. 126 4.3.2 Les avantages fiscaux consentis au nom de la religion ................................ 127

    CONCLUSION ......................................................................................................................... 129

    LISTE DES RECOMMANDATIONS DU CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME ....... 131

    BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................... 133

    4

  • INTRODUCTION

    Partout en Occident, les socits font face aux dfis poss par leur scularisation1. Paradoxalement, les demandes dampnagements au nom de la religion, fortement mdiatises, forcent les autorits politiques des examens de conscience qui remettent en question les bases mmes du contrat civique. Les croyantes et croyants revendiquent la visibilitp de leur foi et de leurs pratiques dans lespace public. Les conflits entre libertp et pgalitp pmergent, attisps par la montpe de lintpgrisme religieux2 et laugmentation des flux migratoires. Les tats adoptent de nouvelles balises pour affirmer ou raffirmer leurs valeurs collectives fondatrices.

    Ainsi, la France, terre dasile depuis nombre dannpes pour les musulmans, a interdit, au nom de la lacitp, le port du voile pour les plqves qui frpquentent lpcole publique3. Elle proscrit depuis peu le voile intpgral dans tout lespace public4, une mesure prise afin de prpserver lordre public5, et qui est aussi envisage en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie et en Suisse. Mme la trs librale Grande-Bretagne a discut de lopportunit de cette interdiction en 2010, lorsque Philip Hollobone, un dput du parti au pouvoir, a dpos un projet de loi en ce sens6. Aux tats-Unis, lannonce de la construction dune mosqupe ctp du lieu des attentats du 11 septembre a ncessit la raffirmation par le prsident de la libert de culte7. Conscutivement un rfrendum

    1 Ce terme dpcrit la perte dinfluence de la religion chez les individus et dans la sociptp en gpnpral. Voir J. BAUBROT, Les lacits dans le monde, 2e d., Paris, Presses Universitaires de France, 2007, p. 46 (Que sais-je?). Ainsi : La spcularisation est un phpnomqne de sociptp qui ne requiert aucune mise en uvre politique : cest lorsque le religieux cesse dtre au centre de la vie des hommes, mme sils se disent toujours croyants [] . O. ROY, La lacit face lislam, Paris, ditions Stock, 2005, p. 19.

    2 Nous retenons ici la dpfinition de lintpgrisme, fournie par Yolande Geadah : Selon un dictionnaire, lintpgrisme se dpfinit en tant quattitude, opinion de ceux qui souhaitent maintenir dans son intgrit, sans quil pvolue, un systqme doctrinal (et particuliqrement religieux) donnp. Cette dpfinition est sans doute exacte, mais nettement insuffisante pour dpsigner le phpnomqne de lintpgrisme contemporain. Je dirais que lintpgrisme correspond aujourdhui une forme de totalitarisme religieux. Cest le refus du principe de lacitp moderne, impliquant la spparation de lglise (mosqupe ou synagogue) et de ltat, refus qui saccompagne dune volontp daction sociale et surtout politique pour imposer cette vision tous . [rfrence omise] Y. GEADAH, Femmes voiles, intgrismes dmasqus, Montral, VLB diteur, 1996, p. 20.

    3 Loi n 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de lacit, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les coles, collges et lyces publics, [En ligne]. [www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000417977&dateTexte=].

    4 Espace public signifie ici espace commun au sens large : rues, parcs, institutions publiques, etc. 5 Loi n 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans lespace public, [En ligne].

    [www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022911670]. La loi entrera en vigueur en avril prochain.

    6 AGENCE FRANCE PRESSE, Voile intgral : le Royaume-Uni rticent suivre lexemple franais, [En ligne], 27 juillet 2010. [www.lepoint.fr/monde/voile-integral-le-royaume-uni-reticent-a-suivre-l-exemplefrancais-27-07-2010-1219220_24.php].

    7 R. COLVIN et J. MASON, Obama backs controversial New York mosque project, [En ligne], 14 aot 2010. [www.reuters.com/article/2010/08/14/us-obama-mosque-newyork-idUSTRE67D04920100814].

    5

    http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000417977&dateTextehttp://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022911670http://http/www.lepoint.fr/monde/voile-integral-le-royaume-uni-reticent-a-suivre-l-exemple-francais-27-07-2010-1219220_24.phphttp://http/www.lepoint.fr/monde/voile-integral-le-royaume-uni-reticent-a-suivre-l-exemple-francais-27-07-2010-1219220_24.phphttp://www.reuters.com/article/2010/08/14/us-obama-mosque-newyork-idUSTRE67D04920100814

  • qui a approuv 57 % une initiative populaire, la Suisse a prohib la construction de minarets sur son territoire8.

    Le Canada fait face lui aussi ces questions qui se posent avec plus dacuitp aujourdhui. Quil sagisse dautoriser ou non larbitrage en matiqre familiale selon le droit musulman (la charia)9, du maintien de la criminalisation de la polygamie10, de la monte de la droite religieuse11, de la possibilitp dinstituer une infraction criminelle propre aux crimes dhonneur 12, du droit de tpmoigner en cour vtue dun voile intgral13, les dfis sont multiples.

    Au Qupbec, nombre dincidents fortement mpdiatisps ont incitp le gouvernement mettre en place la Commission de consultation sur les pratiques daccommodement relies aux diffrences culturelles (Commission Bouchard-Taylor) dont le mandat tait de faire le point sur ces pratiques daccommodement14. Au terme dune vaste consultation publique et la lumire de recherches de la part de spcialistes, les commissaires Grard Bouchard et Charles Taylor ont prsent un rapport au

    8 CONFDRATION SUISSE, Oui linitiative populaire contre la construction de minarets , [En ligne], 29 novembre 2009. [www.admin.ch/aktuell/00089/index.html?lang=fr&msg-id=30430].

    9 En Ontario, en 2003, lInstitut islamique de justice civile souhaitait mettre en place un tribunal darbitrage islamique, une avenue finalement rejete par le gouvernement (voir note 289).

    10 La constitutionnalitp de larticle 293 du Code criminel qui interdit la polygamie au Canada est actuellement dbattue devant la Cour suprme de la Colombie-Britannique. Le Conseil a produit un avis sur cette question dpmontrant que la polygamie allait lencontre des droits des femmes : CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Avis La polygamie au regard du droit des femmes, Qubec, le Conseil, [En ligne], novembre 2010. [www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-291254.pdf]. LAssemblpe nationale a adoptp une motion appuyant la position du Conseil. Cette motion nonce ceci : Que lAssemblpe nationale affirme que la polygamie ne fait pas partie des valeurs fondamentales de la sociptp qupbpcoise; quelle estime que cette pratique va lencontre du droit lpgalitp entre les femmes et les hommes, et quelle salue la position exprimpe en ce sens par le Conseil du statut de la femme . ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, Journal des dbats, 39e lgislature, 1re session, vol. 41, n 160, 25 novembre 2010.

    11 Voir notamment le reportage de lpmission Enqute, diffus le 10 fvrier 2011 Radio-Canada, [En ligne]. [www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2010-2011/].

    12 En juillet 2010, la ministre fdrale de la Condition fminine, Rona Ambrose, avait laiss sous-entendre cette possibilit, dmentie subsquemment. Ottawa ne modifiera pas le Code criminel, Radio-Canada, 9 aot 2010, [En ligne]. [www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2010/08/08/002-crime-honneurcrime.shtml].

    13 Cette question sest pospe en Ontario, la suite de la demande dune femme qui dpsirait tpmoigner dans le cadre dun procqs pour agression sexuelle en portant un voile intgral. La Cour dappel a estimp que cette demande pourrait tre recevable dans certains cas : R. c. N.S., 2010 ONCA 670, [En ligne]. [www.ontariocourts.on.ca/decisions/2010/october/2010ONCA0670.pdf].

    14 Extrait du dcret du gouvernement du Qubec reproduit dans COMMISSION DE CONSULTATION SUR LES PRATIQUES DACCOMMODEMENT RELIES AUX DIFFRENCES CULTURELLES (COMMISSION BOUCHARDTAYLOR), Fonder lavenir. Le temps de la rconciliation, 2008, annexe A, p. 275. Les incidents ayant men la cration de cette commission sont dcrits aux pages 48 et suivantes du rapport.

    6

    http://www.admin.ch/aktuell/00089/index.html?lang=fr&msg-id=30430http://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-29-1254.pdfhttp://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-29-1254.pdfhttp://www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2010-2011/http://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2010/08/08/002-crime-honneur-crime.shtmlhttp://www.radio-canada.ca/nouvelles/National/2010/08/08/002-crime-honneur-crime.shtmlhttp://www.ontariocourts.on.ca/decisions/2010/october/2010ONCA0670.pdf

  • gouvernement le 22 mai 2008, qui formulait 37 recommandations15. Le jour mme lAssemblpe nationale, le premier ministre annonoait que des mesures seraient adoptes afin de donner suite au rapport, notamment la mise en place d [u]n mcanisme qui aidera les dpcideurs traiter les questions daccommodement dans le respect de la lacitp de nos institutions 16.

    Dans cette veine, deux projets de loi ont t soumis (mais non encore adopts), le projet de loi no 16 : Loi favorisant laction de lAdministration lgard de la diversit culturelle17 puis le projet de loi no 94 : Loi tablissant les balises encadrant les demandes daccommodement dans lAdministration gouvernementale et dans certains tablissements18.

    En outre, la suite de linstauration du cours thique et culture religieuse (ECR) en septembre 2008, les contestations judiciaires battent leur plein19 et remettent en question le rle de lpcole dans lenseignement de la religion. De plus, des conseils municipaux persistent rciter des prires avant les sances publiques, forant les tribunaux prpciser lptendue de leur obligation de neutralitp religieuse20. Sans compter que les incidents mettant en cause des femmes ont continup de retenir lattention, comme celui de cette ptudiante vtue dun voile intgral expulspe dun cours de francisation21.

    Il faut savoir que la problmatique de la place du religieux au sein des institutions de ltat sest pospe bien avant larrivpe de vagues massives dimmigrantes et immigrants sur les continents europen et amricain. Le Qubec a entrepris une phase critique de son dtachement de la religion lors de la Rvolution tranquille. Il a lacis22 les hpitaux et les coles bien avant le 11 septembre 2001. Aussi, laugmentation de limmigration et la montpe de lextrpmisme religieux23 ne sont pas lorigine du questionnement que vit le Qupbec actuellement, mais elles lamplifient. Lidpe selon laquelle les difficults lies

    15 COMMISSION DE CONSULTATION SUR LES PRATIQUES DACCOMMODEMENT RELIES AUX DIFFRENCES CULTURELLES (COMMISSION BOUCHARDTAYLOR), Fonder lavenir. Le temps de la rconciliation, [En ligne], 2008. [www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-finalintegral-fr.pdf].

    16 Le premier ministre du Qubec fait une dclaration, Qubec, [En ligne], 22 mai 2008. [www.premier.gouv.qc.ca/actualites/communiques/2008/mai/2008-05-22.asp]. Les autres mesures annonces concernaient le renforcement de la francisation avant larrivpe des immigrants et une dpclaration signpe par laquelle les candidats limmigration sengageront adhprer aux valeurs communes de notre socit .

    17 Ce projet de loi a t dpos en 2009. ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, Journal des dbats, op. cit., n 8, 18 mars 2009.

    18 Ce projet de loi a t dpos en 2010. ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, Ibid., 24 mars 2010. 19 Voir section 4.2.3. 20 Voir section 3.3.2. 21 Voir note 31. 22 La lacisation concerne lorganisation ptatique : [C]est un choix politique qui dpfinit de maniqre

    autoritaire et juridique la place du religieux. La lacitp est dpcrptpe par ltat, qui organise alors lespace public [] . O. ROY, La lacit face lislam, op. cit., p. 19 et 20.

    23 Nous utilisons indistinctement les termes intgrisme et extrmisme .

    7

    http://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdfhttp://www.accommodements.qc.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdfhttp://www.premier.gouv.qc.ca/actualites/communiques/2008/mai/2008-05-22.asp

  • aux rapports entre le religieux et ltat auraient essentiellement pour cause limmigration est donc erronpe24.

    Le Qupbec, linstar des autres dpmocraties, est aux prises avec des demandes daccommodement religieux formulpes par des personnes appartenant des minorits. Ces revendications remettent en question la place du religieux dans lespace public en gnral et au sein des institutions de ltat. Mais un autre plpment est tout aussi important dans le dpbat qupbpcois, cest le fait que le Qubec peine parachever son processus de lacisation amorc il y a plusieurs annes. Pour une partie de la population, la religion catholique est encore synonyme de culture publique commune. On conserve des rituels et des signes religieux en prptextant quils reprpsentent la culture majoritaire laquelle chacune et chacun devraient adhrer.

    Cest sur cette toile de fond que le Conseil du statut de la femme (le Conseil) fait entendre sa voix aujourdhui. Il sintpresse depuis longtemps la diversit culturelle et religieuse ainsi qu la transformation de la sociptp qui en rpsulte, convaincu que les choix collectifs dans ces domaines peuvent avoir un effet majeur sur le dveloppement des droits des femmes. Sa rflexion a t jalonne par la publication dptudes et davis qui nont pas manqup dinfluencer le dpbat.

    En septembre 2007, le Conseil a prsent au gouvernement un avis intitul Droit lgalit entre les femmes et les hommes et libert religieuse25 (avis sur lpgalitp). Au terme dune analyse historique, sociale et juridique, cet avis faisait six recommandations au gouvernement pour renforcer le droit lpgalitp entre les sexes. Le projet de loi no 6326, sanctionn le 12 juin 2008, a fait pcho lune delles en modifiant la Charte des droits et liberts de la personne27 (la Charte qupbpcoise) afin dy inclure nommpment lpgalitp entre les femmes et les hommes. Aujourdhui, son prpambule affirme notamment ceci :

    Considprant que le respect de la dignitp de ltre humain, lpgalitp entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et liberts dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la libert et de la paix.

    Et larticle 50.1 a t ajout afin de prciser que les droits et liberts noncs dans la prsente charte sont garantis galement aux femmes et aux hommes .

    24 Lptude sociologique rpalispe par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dpmontre en effet que les personnes immigrantes nont pas plus de ferveur religieuse que les personnes npes au Qupbec et quelles ne demandent pas plus daccommodements religieux non plus. COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, La ferveur religieuse et les demandes daccommodement religieux : une comparaison intergroupe, Cat. 2.120-4.21, [En ligne], 2007. [www2.cdpdj.qc.ca/Publications/Documents/ferveur_religieuse_etude.pdf].

    25 CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, Droit lgalit entre les femmes et les hommes et libert religieuse, Qubec, le Conseil, [En ligne], 2007. [www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-291223.pdf].

    26 ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, Loi modifiant la Charte des droits et liberts de la personne, projet de loi no 63, c. 15, [En ligne], 2008. [www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/ dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2008C15F.PDF].

    27 L.R.Q., c. C-12.

    8

    http://www2.cdpdj.qc.ca/Publications/Documents/ferveur_religieuse_etude.pdfhttp://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-29-1223.pdfhttp://www.csf.gouv.qc.ca/modules/fichierspublications/fichier-29-1223.pdfhttp://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2008C15F.PDFhttp://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2008C15F.PDFhttp:2.120-4.21

  • Le Conseil recommandait pgalement que ltat se dote de balises afin que les accommodements respectent en tout temps lpgalitp entre les sexes28. En effet, lanalyse mene par le Conseil montrait bien que lpgalitp entre les femmes et les hommes ptait le droit le plus susceptible dtre compromis lorsque des demandes daccommodement au nom de la libert de religion taient formules, et cela, en raison du statut subordonn rserv aux femmes dans les religions29.

    Il ptait donc essentiel de renforcer lpgalitp entre les sexes dans la Charte qupbpcoise, dune part, mais pgalement dadopter des moyens concrets afin que ce droit soit pris en compte et respectp chaque fois que des demandes daccommodement pour des motifs religieux sont examinpes par les dpcideuses et dpcideurs de ltat.

    Le projet de loi no 94 est venu donner suite cette recommandation. Grce aux balises quil pdicte, les dprapages tels que ceux de lpcole Marguerite-De Lajemmerais, de la Rpgie de lassurance maladie du Qupbec (RAMQ) ou des plqves en cours de francisation pourront tre vits. On se souvient en effet que, dans le premier cas, cette cole publique de Montrpal, o le port dun uniforme est obligatoire, fournissait le hidjab leffigie de linstitution dans les piqces de vtements offertes. Ainsi, on accommodait les jeunes filles avant mme quelles naient formulp une demande en ce sens. Cette mesure donnait pgalement penser que lpcole favorisait ainsi la religion musulmane, ce qui mettait en doute son obligation de neutralit religieuse.

    La RAMQ, quant elle, avait adopt un certain nombre de directives internes relatives aux demandes daccommodement. Elle avait demandp lopinion de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission des droits) sur leur conformit juridique30. Dans son avis, la Commission des droits avait notamment constatp quune des mesures en place permettait quune femme portant le voile intpgral soit accommode , et cela, sans mme que la cliente en ait fait la demande et alors que, selon la Commission des droits, il ny avait pas datteinte ses droits, donc pas dobligation de laccommoder.

    Finalement, lexpulsion dune ptudiante dun cours de francisation au cgep Saint-Laurent parce quelle refusait de retirer son voile intgral, ce qui nuisait son apprentissage et au bon fonctionnement de la classe, a npcessitp lintervention dun haut

    28 Recommandation no 5 : Que le gouvernement se dote dune politique de gestion de la diversitp religieuse dans les institutions de ltat et que cette politique intqgre de faoon claire et non pquivoque la dimension fondamentale de lpgalitp entre les sexes . CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME, op. cit., p. 129.

    29 Ibid., p. 11 et 97. Le Conseil citait notamment, la p. 97, le juriste Woerhling qui notait : En effet, de nombreuses religions contiennent des principes concernant par exemple la vie familiale, les successions, le statut des personnes ou le code vestimentaire qui sont incompatibles avec lpgalitp des sexes dans la mesure o ils confinent la femme un statut subordonn. [rfrence omise].

    30 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, Avis sur les directives de la Rgie de lassurance maladie du Qubec en matire daccommodement raisonnable, Cat. 2.119-1.1, [En ligne], mars 2010. [www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/docs/Avis-RAMQ-Accommodement.pdf].

    9

    http://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/docs/Avis-RAMQ-Accommodement.pdf

  • fonctionnaire du ministqre de lImmigration et des Communautps culturelles et laccord de la ministre31.

    Le projet de loi no 94 fournit des indications aux gestionnaires sur la marche suivre, sur les droits de chacune et chacun, sur les valeurs fondamentales respecter. Il sapplique tant aux demandes faites par les agentes et agents de ltat qu celles provenant des usagqres et usagers des services publics. Le cur du projet de loi no 94 se situe larticle 4 qui prvoit ceci :

    Tout accommodement doit respecter la Charte des droits et liberts de la personne (L.R.Q., chapitre C-12), notamment le droit lpgalitp entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralitp religieuse de ltat selon lequel ltat ne favorise ni ne dfavorise une religion ou une croyance particulire.

    Cet article rfre un principe gpnpral de neutralitp religieuse de ltat, un principe qui dpcoule de linterprptation jurisprudentielle de la libertp de conscience et de religion. linstar du droit lpgalitp entre les sexes, cette disposition prige la neutralitp religieuse en balise, en frein aux demandes daccommodement, qui sont des mesures individuelles, accordes au cas par cas. Il ne prcise en rien le sens ou la porte de la neutralit religieuse de ltat et ne mentionne pas le mot lacit .

    Aussi, la suite de son dpt, le Conseil a exprim sa surprise et sa perplexit au regard des commentaires formuls par les autorits politiques selon lesquels on optait ainsi pour une lacit ouverte 32 et que le projet de loi avait pour effet dautoriser les employes et employs ainsi que les usagqres et usagers de lAdministration porter des symboles religieux dans le cadre de la prestation de services publics33.

    31 V. MARISSAL, Une musulmane expulse dun cours cause du niqab , La Presse, [En ligne], 2 mars 2010. [www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201003/01/01-4256530-une-musul mane-expulsee-dun-cours-a-cause-du-niqab.php].

    32 Cette appellation de lacit ouverte apparat pour la premire fois dans le rapport du GROUPE DE TRAVAIL SUR LA PLACE DE LA RELIGION LCOLE, prsid par Jean-Pierre Proulx, Lacit et religions : perspective nouvelle pour lcole qubcoise, Qupbec, ministqre de lducation, [En ligne], 1999. [www.mels.gouv.qc.ca/REFORME/religion/Integ-fr.pdf]. Comme le relate Micheline Milot, qui tait membre de ce groupe, lutilisation du terme lacit ptait lppoque associpe lanticlpricalisme franoais et lon employait plutt gpnpralement le mot dconfessionnalisation . Lajout du qualificatif ouverte avait donc pour objectif de contrer le sens pjoratif que revtait alors le terme. Depuis, lexpression a ptp reprise par divers comitps-conseils du gouvernement et par la socit civile. M. MILOT, Lpmergence de la notion de lacitp au Qubec Rsistances, polysmie et instrumentalisation , dans P. EID, P. BOSSET, M. MILOT et S. LEBEL-GRENIER, Appartenances religieuses, appartenance citoyenne. Un quilibre en tension, Qupbec, Les Presses de lUniversitp Laval, 2009, 29, p. 49. Plus rcemment, telle quelle est utilispe notamment dans le Rapport Bouchard-Taylor, cette expression signifie une forme de lacit ouverte au pluralisme , qui autorise les manifestations de religiositp dans les institutions de ltat, comme nous lexpliquons plus en dtail la section 3.3.

    33 Point de presse de Jean Charest, premier ministre, Kathleen Weil, ministre de la Justice, Yolande James, ministre de lImmigration et des Communautps culturelles, et Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition fminine, 24 mars 2010, 11 h 30, Htel du Parlement, [En ligne]. [www.assnat.qc.ca/en/actualites-sallepresse/conferences-points-presse/ConferencePoint Presse-4765.html].

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    http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201003/01/01-4256530-une-musul%20mane-expulsee-dun-cours-a-cause-du-niqab.phphttp://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/201003/01/01-4256530-une-musul%20mane-expulsee-dun-cours-a-cause-du-niqab.phphttp://www.mels.gouv.qc.ca/REFORME/religion/Integ-fr.pdfhttp://www.assnat.qc.ca/en/actualites-sallepresse/conferences-points-presse/ConferencePoint%20Presse-4765.htmlhttp://www.assnat.qc.ca/en/actualites-sallepresse/conferences-points-presse/ConferencePoint%20Presse-4765.html

  • Le Conseil a soulign que, sur le plan juridique, le fait de dcrter que les services publics se donnent visage dpcouvert ne peut avoir de tels effets. Dune part, le projet de loi ne statue nullement sur la portpe de la neutralitp de ltat ou sur la lacitp et, dautre part, il ne traite pas de la possibilitp de porter ou non tout autre signe religieux; il propose seulement que la prestation de services publics se fasse visage dcouvert.

    Le projet de loi no 94 est ncessaire afin de baliser les demandes individuelles, mais il ne permet aucunement de faire lpconomie dun dpbat de fond sur la lacitp au Qupbec, un sujet beaucoup plus vaste que celui des accommodements raisonnables. Aussi, le Conseil demande au gouvernement de ne pas luder la question du choix de la lacit au Qubec au moyen du projet de loi no 94, comme les rcents propos de la ministre tenus au terme des consultations publiques le donnent penser :

    Le dpbat a portp surtout sur lexercice de la libertp de religion dans le contexte de la neutralitp religieuse de ltat, ce qui nous a amens traiter des diffrentes formes de lacit. Nous avons essentiellement entendu deux visions, ceux qui prnent une lacitp tout court, mais il ny a... il ny aurait aucune prpsence du religieux visuel, une prpsence visuelle dans lespace gouvernemental, et o certains, mme, aller jusqu suggprer quil ny aurait pas daccommodement, mme pour des motifs religieux. On a eu ces arguments-l aussi. Dautres qui prnent ce quon appelle une lacitp dite ouverte permettant des accommodements pvidemment pour des motifs religieux et dautres et le port de signes religieux au sein de ladministration gouvernementale. De notre ctp, la position du gouvernement est claire : nous favorisons une lacit ouverte avec une pratique daccommodements dits raisonnables tout en ptablissant des balises34. [nous soulignons]

    Le Conseil rpitqre que le dpbat sur la lacitp au Qupbec na pas eu lieu et quil est fondamental quil se tienne. Le projet de loi no 94 ne statue pas sur cet important choix de socit.

    Aussi, nous allons dpmontrer quun Qupbec respectueux de lpgalitp entre les sexes ne peut continuer de savancer sur la voie de la lacit ouverte . Pour le Conseil, la lacit ouverte , cest la lacitp ouverte aux atteintes lpgalitp des femmes. Comme le notait le rapport de la Commission de rpflexion sur lapplication du principe de lacit dans la Rpublique (Rapport Stasi) remis au prsident franais : Aujourdhui, la lacitp ne peut tre conoue sans lien direct avec le principe dpgalitp entre les sexes 35. Cest avec cette prpoccupation de prpservation et damplioration des droits des femmes que nous allons montrer que laffirmation de la lacitp de ltat qupbpcois en tant que

    34 ASSEMBLE NATIONALE DU QUBEC, Consultation gnrale et auditions publiques sur le projet de loi n 94, Loi tablissant les balises encadrant les demandes daccommodement dans lAdministration gouvernementale et dans certains tablissements, 39e lgislature, 1re session, vol. 41, n 121, [En ligne], 18 janvier 2011 (Kathleen Weil, ministre de lImmigration et des Communautps culturelles). [www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/ci-39-1/journal-debats/CI-110118.html].

    35 COMMISSION DE RFLEXION SUR LAPPLICATION DU PRINCIPE DE LACIT DANS LA RPUBLIQUE, Rapport au Prsident de la Rpublique, [En ligne], 11 dcembre 2003, p. 50. [lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725/0000.pdf].

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    http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/ci-39-1/journal-debats/CI-110118.htmlhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000725/0000.pdf

  • principe structurant est npcessaire, autant que ladoption de mesures qui devraient laccompagner.

    Pour cela, nous allons dabord constater que, de tout temps, religion a rim avec oppression des femmes. Les trois grandes religions monothistes ont toujours t et continuent dtre discriminatoires lpgard des femmes. Ensuite, nous verrons qu mesure que ltat sest dissocip de la religion, les femmes ont progress sur le chemin de lpgalitp. Au Qupbec, la prpsence de lglise catholique au cur de la sociptp a longtemps nui la marche des femmes vers lpgalitp. La lacisation de la sociptp a levp un obstacle de taille la reconnaissance de leurs droits.

    Subspquemment, nous nous attacherons prpciser ce quest la lacitp. Nous verrons que le principe dampnagement entre le religieux et le politique est tributaire de lhistoire de chaque pays qui ladopte et des valeurs quil chprit. Si la lacit se dploie diffremment dans chaque socit, dans tous les cas, elle est garante de la libert de conscience et de religion et de la dpmocratie. Nous rpaliserons quau Qupbec, la lacitp qui prpvaut actuellement dpcoule de linterprptation judiciaire des droits individuels : cest une lacitp de fait. Issue de la jurisprudence, la lacitp qupbpcoise nest pas nommpe comme faisant partie dun projet citoyen, des valeurs identitaires communes partager.

    Nous remarquerons que ce silence lgislatif, doubl du choix apparent en faveur de la lacit ouverte , est la source des tensions qui affligent aujourdhui le Qupbec en ce qui a trait aux accommodements raisonnables , en plus dentraver la marche vers latteinte de lpgalitp rpelle entre les femmes et les hommes.

    Consquemment, nous expliquerons la ncessit pour le gouvernement de mettre en place le plus rapidement possible une commission parlementaire sur la lacitp afin quun consensus puisse tre dgag cet gard. Dans cette perspective, nous ferons ptat dune srie de propositions qui devraient tre considres par cette commission. Ainsi, nous dpmontrerons la npcessitp daffirmer la lacitp de ltat dans la Charte qupbpcoise afin que le principe de la spparation de ltat et de la religion constitue une valeur collective fondamentale. Cela permettra galement la gestion efficace et harmonieuse des revendications religieuses au sein de ltat et une rpponse adpquate aux demandes dpcoulant de linstrumentalisation de la foi, de la montpe de la droite religieuse et des intpgrismes. Plus de clartp quant au projet citoyen soutiendra la marche vers lpgalitp relle entre les sexes en favorisant le respect de la libert de conscience et de religion dans lorganisation ptatique.

    galement, nous verrons que laffirmation de la lacitp devrait saccompagner de mesures afin de prpciser et de concrptiser cette derniqre. La spparation de ltat et de la religion exige que ltat prpsente un visage neutre et ne paraisse pas associp au religieux. En conspquence, nous pensons que les agentes et agents de ltat devraient reflpter cette neutralitp et sabstenir de manifester leurs croyances religieuses. galement, les symboles religieux qui laissent croire que ltat est associ une religion ne devraient pas tre visibles dans les institutions publiques.

    De plus, nous croyons que le volet culture religieuse qui fait partie du cours ECR, en raison de son contenu et de la faon dont il est enseign, dessert la lacit en plus de

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  • dfavoriser la libert de conscience et de religion. notre avis, le rle de ltat est de transmettre une ducation civique et les religions devraient plutt tre enseignes dans une perspective historique.

    Finalement, nous proposerons que les liens financiers entre les communauts religieuses et ltat soient examinps par la commission parlementaire dont nous recommandons la tenue sous langle de la lacitp : le financement des coles confessionnelles ne donne-t-il pas penser que ltat sassocie aux religions? Et le fait daccorder des avantages fiscaux aux communauts religieuses en raison de leur statut religieux ne nourrit-il pas la perception que ltat favorise les religions et parat y tre lip?

    Le Conseil convie le gouvernement et la socit civile un exercice de rflexion collective afin de dfinir un projet identitaire qui favorise la cohsion sociale et qui intqgre lpgalitp entre les sexes.

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  • CHAPITRE PREMIER Les religions et linfriorisation des femmes

    La religion a longtemps ptp et continue dtre pour certaines personnes un lment essentiel de la culture, en plus de jouer un rle central dans la dfinition des normes sociales. Pour les croyantes et croyants, la religion oriente leur perception du monde, dfinit ce qui est acceptable ou non. Or, de tout temps, les femmes ont t infriorises dans les religions, qui reposent sur une organisation patriarcale. Lancien prpsident des tats-Unis Jimmy Carter a soulign que les religions sont lune des principales causes des atteintes aux droits des femmes 36. [traduction]

    Les religions sont porteuses de discrimination lpgard des femmes et cela nest pas seulement lapanage du christianisme (dont fait partie le catholicisme), mais aussi des autres religions monothpistes que sont le judasme et lislam, toutes bases sur une organisation patriarcale37. La professeure Frances Raday dcrit ainsi les consquences pour les femmes de lorganisation de telles sociptps :

    The Old Testament, the source book of the three monotheistic religions, forcefully frames gender as a patriarchal construction the story of creation [] Under most of the monotheistic religious norms, women are not entitled to equality in inheritance, guardianship, custody of children, or division of matrimonial property. In most of the branches of the monotheistic religions, women are not eligible for religious office and, in some, they are limited in their freedom to participate in public life, whether political or economic38 .

    Or, linfpriorisation des femmes nest pas une volontp divine. Cependant, ceux qui ont rdig les textes sacrs, tabli les lois, les ont interprtes et appliques voluaient dans un environnement o la subordination des femmes ptait dans lordre des choses. Croire que leur statut infprieur ptait dessence divine ptait probablement normal.

    Nous allons voir que le monopole des hommes sur la dpfinition, linterprptation et limposition de la religion a contribup au maintien du rle stprpotypp et subordonnp attribup aux femmes. Elles ont ptp tenues lpcart du processus dinterprptation de la rpalitp, soit de lensemble des activitps visant une meilleure comprphension du monde,

    36 N. D. KRISTOF, Religion and Women , The New York Times, [En ligne], 9 janvier 2010. [www.nytimes.com/2010/01/10/opinion/10kristof.html?_r=1&th&emc=th].

    37 Voir Le XXe sicle, grand sicle des femmes, confprence dAndrp Champagne, historien et professeur au collge Jean-de-Brbeuf, prononce lors du colloque 30 ans daction, oa porte fruit! , marquant le 30e anniversaire du Conseil du statut de la femme du Qubec, Montral, [En ligne], 23 mai 2003. [www.csf.gouv.qc.ca/telechargement/publications/ConferenceChampagneGrandSiecleFemmes.pdf]; CONSEIL DE LEUROPE, Femmes et religion en Europe, rapport de la Commission sur lpgalitp des chances pour les femmes et les hommes, doc. 10670, [En ligne], 27 septembre 2005. [assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/doc05/FDOC10670.htm].

    38 F. RADAY, Culture, Religion and Gender, 1 I.J.C.L. 663, p. 672, 673 et 675, [En ligne]. [icon.oxfordjournals.org/cgi/reprint/1/4/663.pdf].

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    http://www.nytimes.com/2010/01/10/opinion/10kristof.html?_r=1&th&emc=thhttp://www.csf.gouv.qc.ca/telechargement/publications/ConferenceChampagneGrandSiecleFemmes.pdfhttp://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/doc05/FDOC10670.htmhttp://icon.oxfordjournals.org/cgi/reprint/1/4/663.pdf

  • dont la philosophie et la science. Exclues de la production de la connaissance et dune place dans lhistoire, on leur a aussi refusp laccqs au savoir.

    1.1 Des religions nes dans le creuset du patriarcat

    Le patriarcat est un terme trqs ancien qui dpsigne aujourdhui une formation sociale o les hommes dtiennent le pouvoir ou encore, plus simplement, le pouvoir des hommes39. Ce systme de domination a pris place dans lhistoire humaine il y a des millnaires.

    Le Conseil conomique et social des Nations Unies souligne le lien unissant la culture et la religion, prcisant que les religions sont nes dans un contexte social dj ingalitaire :

    Ce serait sans doute faire un mauvais procs aux religions que de leur reprocher dtre les responsables principaux de la position de mppris lpgard des femmes. La situation subalterne des femmes est dabord un fait culturel et dpborde largement tant gographiquement que temporellement les religions, du moins celles qui sont traditionnellement accuses de tenir la femme dans un statut infrieur. Si on a des griefs adresser, il faut blmer lhomme de navoir pas su, ou pu, ou voulu changer les traditions culturelles et les prpjugps, quils aient ou non un fondement religieux.

    Il est, en effet, un fait que les civilisations les plus recules ne tiennent pas la femme en plus haute estime. Les civilisations antiques donnent naissance aux polythismes domins par des figures masculines. Des penseurs comme Aristote et Pricls auraient une conception trs misogyne de la femme. La mythologie hellpnique nous apprend que Pandore, premiqre femme de lhumanitp qui ouvrit la funeste bote flaux, rpandit le malheur sur le monde. La Grce antique distingue deux catgories de femmes : les pouses, fidles et cantonnes dans la procration et mres au foyer, et les femmes de compagnie, concubines et courtisanes rpservpes aux plaisirs des hommes. Lhistorien des religions Odon Vallet explique que pour gouverner cette poque il faut se battre; les hommes imposent leur domination sur les femmes qui restent la maison et perdent leur prestige.

    Les religions, y compris les religions monothistes, sont gnralement nes dans des socits trs patriarcales o la polygamie, la rpudiation, la lapidation, linfanticide, etc., ptaient des pratiques courantes et o les femmes ptaient considprpes comme des tres impurs, voupes aux destins secondaires dppouses, de mres, voire de signes extrieurs de richesse. Plusieurs religions mirent fin ces pratiques discriminatoires ou essayqrent den limiter les abus en en rpglementant certaines ou en en interdisant dautres. Ainsi, dans les pays qui dclarent se conformer scrupuleusement aux prceptes coraniques, par exemple, on oublie que ces prpceptes ont ptp prescrits comme des mesures dpmancipation et de libration de la femme, par comparaison aux pratiques de la socit bpdouine prpislamique o la femme navait pas de personnalitp juridique et

    39 Avant le XIXe sicle, le patriarcat et les patriarches dpsignaient plutt les dignitaires de lglise. C. DELPHY, Thories du patriarcat , dans H. Hirata (dir.), Dictionnaire critique du fminisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 154 et 155.

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  • constituait un lment du patrimoine cessible et transmissible40. [nous soulignons]

    Sil est difficile de dpterminer prpcispment quand et comment sest mis en place et sest dvelopp le patriarcat, on peut affirmer que la religion a contribu son maintien en disant que ce systme tait voulu par Dieu41.

    Les trois religions monothpistes ont la particularitp dtre apparues et davoir essaimp partir du territoire sptendant de la Mpditerranpe orientale au golfe arabo-persique, rpgion o lorganisation sociale ptait de type patriarcal. Comme tout crit, les livres sacrps portent les traces de lppoque et du lieu o ils ont ptp rpdigps. Conspquemment, pour comprendre ces textes, il faut tenir compte du contexte de lppoque.

    1.2 Des textes sacrs rdigs par des hommes

    Les trois religions monothpistes sappuient sur des textes sacrps. La Torah rapporte la rvlation orale reue de Dieu par Mose. Les quatre vangiles font le rcit de la vie et des paroles de Jsus-Christ. Le Coran relate les rvlations de Dieu confies Mahomet par lange Gabriel. Les textes sacrps nont pas ptp rpdigps par le prophqte qui a reou la rpvplation et la transmise, mais par des disciples, des annpes plus tard. Ils ont ptp rassemblps et transcrits par des hommes, partir dune communication orale.

    Ainsi, la Torah, qui compose les cinq premiers livres de la Bible hbraque42 et qui dvoile la volontp de Dieu annoncpe Mose, a dabord ptp divulgupe oralement par lui Josu, puis aux prophtes, puis aux docteurs avant dtre pcrite sur un millier dannes43.

    40 NATIONS UNIES, CONSEIL CONOMIQUE ET SOCIAL, Droits civils et politiques et, notamment : intolrance religieuse. Additif : tude sur la libert de religion ou de conviction et la condition de la femme au regard de la religion et des traditions, 58e session de la Commission des droits de lhomme, document n E/CN.4/2002/73/Add. 2, par. 13-15, [En ligne], 5 avril 2002. [www.unhchr.ch/huridocda/ huridoca.nsf/0/9fa99a4d3f9eade5c1256b9e00510d71/$FILE/G0212189.pdf].

    41 M. J. F. ROSADO NUNES, Religions , dans H. Hirata (dir.), op. cit., p. 193. 42 La Bible hbraque comprend trois parties : la Torah, compospe de cinq livres (la Genqse, lExode, le

    Lvitique, les Nombres et le Deutronome), les Prophtes (composs des livres historiques des premiers prophtes et des livres potiques qui contiennent des prophties) et les Hagiographes (qui comprennent entre autres les Psaumes, les Proverbes, le Cantique des cantiques). J. BOTTRO, La Terre promise ou le rcit des origines , dans Isral : de Mose aux accords dOslo, Paris, ditions du Seuil, 1998, p. 35 (Points. Histoire). Signalons que la Bible hpbraque ne correspond pas exactement lAncien Testament des chrptiens. Aux livres de la Bible hpbraque, les premiers chrptiens ont ajoutp une vingtaine dpcrits dorigine hpbraque non reconnus par le judasme. S. LAFITTE, Les sources des critures chrtiennes , Le Monde des religions, novembre-dcembre 2005, 24, p. 25.

    43 La Torah rpsulte dun processus de formation complexe qui commence au milieu du Xe sicle av. J. C. lorsque fut labore une premire version crite en hbreu des traditions orales semi-lgendaires relatives aux origines du peuple hpbreu et de ses institutions, texte qui comprenait sans doute la plus grande partie de la Gense, de lExode et des Nombres. Parallqlement, au nord, sptait formpe une autre version locale des mmes traditions. Les deux furent fondues au VIIIe sicle av. J.-C. Au cours de lexil Babylone (VIe sicle av. J.-C.) fut rdige une nouvelle version du Deutronome, englobant le champ entier du rcit biblique et y ajoutant mme de nouveaux lments. On doit cette tradition dite

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    http://www.unhchr.ch/huridocda/%20huridoca.nsf/0/9fa99a4d3f9eade5c1256b9e00510d71/$FILE/G0212189.pdfhttp://www.unhchr.ch/huridocda/%20huridoca.nsf/0/9fa99a4d3f9eade5c1256b9e00510d71/$FILE/G0212189.pdf

  • De mme, les quatre vangiles sappuient sur les tpmoignages des premiers disciples sur la vie de Jpsus. Il ne sagit pas de lhistoire de sa vie au sens objectif, mais plutt dun rpcit dont le but est de susciter ladhpsion au message de Jsus et de conforter la foi des premiers chrtiens44. Enfin, la parole de Dieu dicte Mahomet et transmise oralement par lui a t conserve par ses disciples et compile dans un livre plusieurs annes aprs sa mort45.

    Mme si les livres sacrs portent les traces de lppoque et du lieu o ils ont ptp pcrits et comportent de nombreuses rfrences des vnements historiques, ils ont t rdigs par des croyants et non des historiens. La Bible est un ouvrage par lequel les auteurs visaient dabord convaincre leurs contemporains. Leur rcit tait donc adapt au public auquel ils sadressaient. Le travail des auteurs de la Bible a consistp faire le rpcit de lexpprience de foi reoue, expprimentpe et vpcue dans leurs communautps chrtiennes46. Les auteurs, puis les dirigeants des glises, ont fait des choix qui nourrissaient le message quils souhaitaient transmettre47.

    Les Pqres de lglise ont d se prononcer sur la validitp des pcrits relatant la vie de Jpsus et ptablir la liste des livres sacrps, cest--dire ceux quils considpraient comme inspirps par Dieu et respectant la rgle de la foi et de la morale, bref, ceux qui taient conformes lensemble des doctrines peroues comme vraies par lglise en construction48.

    sacerdotale, aussi bien le rpcit de la cration du monde que le Lvitique entier. Lensemble reout au milieu du Ve sicle ou au dbut du IVe sicle av. J.-C. sa forme actuelle . J. BOTTRO, ibid. Voir aussi A. CHOURAQUI, Histoire du judasme, 11e d., Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 37 (Que sais-je?).

    44 S. LAFITTE, Les choix de lglise , Le Monde des religions, novembre-dcembre 2005, 26. 45 Une autre source dinspiration importante pour les musulmans est constitupe par les hadiths et la

    sunna. Aprs la mort du Prophqte, le Coran sest rapidement rpvplp insuffisant pour guider les musulmans dans toutes les nouvelles situations de leur vie. Les croyants commencrent donc sappuyer sur la tradition de vie du Prophqte (la sunna). La tradition du Prophqte, incluant tous ses actes et toutes ses paroles (les hadiths), est considre comme sacre par plusieurs musulmans. La sunna (fut dabord) transmise oralement plusieurs gpnprations. Ce nest que prqs dun siqcle aprqs la mort du Prophqte quon a commencp transcrire les hadiths du Prophte et consigner toutes les circonstances ayant entour ses paroles et ses agissements. Y. GEADAH, op. cit., p. 37. Voir aussi D. SOURDEL, LIslam, 18e d., Paris, Presses Universitaires de France, 1995, p. 42 et 43 (Que sais-je?).

    46 M. DUBREUCQ, La Bible nest pas tombpe du ciel , Les Dossiers de la Bible, no 56, janvier 1995, 10, p. 11, dans le Dei Verbum, Constitution dogmatique sur la rvlation divine, 18 novembre 1965. [www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651118_deiverbum_fr.html]. Il est crit : Que ce soit, en effet, partir de leur propre mmoire et de leurs souvenirs, ou partir du tpmoignage de ceux qui furent dqs le dpbut tpmoins oculaires et serviteurs de la Parole, ils composqrent leurs pcrits dans le but de nous faire pprouver la vpritp des enseignements que nous avons reus (cf. Luc 1, 2-4) .

    47 Ce que le Seigneur avait dit et fait, les Aptres aprs son Ascension le transmirent leurs auditeurs avec cette intelligence plus profonde des choses dont eux-mmes, instruits par les vnements glorieux du Christ et pclairps par la lumiqre de lEsprit de vpritp, jouissaient. Les auteurs sacrps composqrent donc les quatre vangiles, choisissant certains des nombreux lments transmis soit oralement soit dj par crit, rdigeant un rsum des autres, ou les expliquant en fonction de la situation des glises , Dei Verbum, ibid.

    48 M. AUTAN, Le canon des critures , Les Dossiers de la Bible, op. cit., 19, p. 20.

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    http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651118_dei-verbum_fr.htmlhttp://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651118_dei-verbum_fr.html

  • La Bible est un amalgame de plusieurs genres littraires, dont le mythe49, qui a pour fonction non pas de rapporter des faits historiques, mais plutt de lpgitimer lordre social existant et dexpliquer le monde tel quil est50. Cest parce que les humains ne comprenaient pas les origines de leur espqce quils ont inventp une histoire destinpe satisfaire leur curiositp. Telle est la fonction du mythe dAdam et dve dans la Bible. De la mme maniqre, cest pour sexpliquer lorigine du mal que sest dpveloppp le rpcit de la faute originelle.

    1.3 Une exgse masculine et infriorisante pour la femme

    La distinction et la hirarchisation entre les sexes sont bien prsentes dans les trois religions monothpistes. Ce message de linfprioritp des femmes a ptp transmis partir des textes fondateurs la Bible et le Coran qui ont fait lobjet de multiples interprtations. Ces dernires portent aussi la trace des connaissances et de la culture de lppoque.

    Ainsi, alors que le pouvoir de procration des femmes tait vnr dans plusieurs religions polythistes travers le culte des desses-mres, les pouvoirs de crateur de lunivers et de la fertilitp ont ptp graduellement transfprps Dieu le Pqre dans les religions monothistes. Ce changement dans la symbolique religieuse a contribu lplimination progressive des droits des femmes et la transformation de socits matrilinaires en un systme de filiation patriarcal51.

    galement, bien que dans les premiers textes, le sexe du dieu des Hpbreux na pas ptp clairement mentionn, il a toujours t peru comme tant masculin52. Le culte dun tre unique, suprme et masculin a considprablement rpduit laccqs des femmes Dieu et a entranp lpmergence dun sacerdoce rpservp aux hommes53. Il demeure impensable pour

    49 Les rpcits de la Genqse pvoquant la crpation de lhomme et de la femme, leur tentation par le serpent, leur chute et leur bannissement du paradis terrestre appartiennent ce dernier genre [le mythe]. Quand ils placent dans la bouche de Dieu la maldiction lpgard dve, ils ne se font pas lpcho de la volontp divine, mais ils tentent dexpliquer et de lpgitimer une situation de fait qui prpvaut leur ppoque et dans leur culture. M. GRATTON BOUCHER, La rpcuppration de Dieu au service de lidpologie patriarcale , dans R. MURA (dir.), Un savoir notre image? Critiques fministes des disciplines, vol. 1, Montral, ditions Adages, 1991, p. 271.

    50 F. HRITIER, Masculin/Fminin : la pense de la diffrence, Paris, ditions Odile Jacob, 1996, p. 218. 51 G. STOPLER, A Rank Usurpation of Power The Role of Patriarchal Religion and Culture in the

    Subordination of Women , Duke Journal of Gender Law and Policy, vol. 15, 2008, 365, p. 372; R. SAUREL, Lenterrpe vive (VI) , Les Temps modernes, vol. 35, no 399, octobre 1979, 758, p. 760.

    52 La tradition a surtout retenu des images masculines de Dieu, celles qui pouvaient le mieux mettre en chec le culte des desses, bte noire de tant de prophtes ayant lutt pour maintenir la souverainet de Yahv. M. GRATTON BOUCHER, op. cit., p. 276.

    53 Pour lglise catholique, lopposition lordination des femmes repose sur le respect la fois de lexemple du Christ, qui na choisi que des hommes comme aptres, et de la tradition, que lglise actuelle ne se croit pas autorise modifier : Lordination sacerdotale, par laquelle est transmise la charge, confipe par le Christ ses Aptres, denseigner, de sanctifier et de gouverner les fidqles, a toujours ptp, dans lglise catholique depuis lorigine, exclusivement rserve des hommes. [...] Lordination sacerdotale des femmes ne saurait tre acceptpe, pour des raisons tout fait fondamentales. Ces raisons sont notamment : lexemple, rapportp par la Sainte criture, du Christ qui a

    19

  • Rome quune femme soit prtre, au point o le Vatican a jug ncessaire en juillet 2010 de le rpaffirmer, trois jours aprqs que lglise dAngleterre ait consenti sacrer des femmes vques54.

    Le dpbat sur laccession des femmes au rabbinat, au sein des diverses obdiences du judasme, se pose galement en ce qui a trait au respect de la tradition et des lois de cette religion (Halakha). Alors que certains courants autorisent lordination des femmes, le mouvement orthodoxe (traditionaliste) et le mouvement hassidique le rejettent encore55.

    galement, le Conseil pconomique et social de lOrganisation des Nations Unies (ONU) notait lexclusion des femmes du pouvoir au sein des trois religions monothpistes :

    Le christianisme

    De nombreuses sensibilitps et pratiques religieuses chrptiennes saccordent sur linterdiction pour les femmes daccpder des fonctions de responsabilitp. Ainsi, lglise catholique rpserve lordination aux hommes. Cette discrimination dont lorigine repose sur les traditions romaines et mpditerranpennes est fondpe sur une anthropologie qui attribue chaque sexe une fonction strictement dlimite : lhomme est limage de lautoritp sacramentelle, la femme est limage de la Vierge, ppouse et mqre du Christ. Lexclusion du sacerdoce empche aussi la femme daccpder au pouvoir de gouvernement dans lglise et le droit ptatique ou international respecte le droit interne des collectivits religieuses.

    Les glises protestantes sont certes plus souples, mais ce nest que trqs rpcemment que les femmes ont ptp admises au pastorat la suite dune longue pvolution due notamment ladmission des femmes pour effectuer des ptudes thologiques.

    Le judasme

    linstar des autres religions et traditions religieuses, pour les textes fondateurs du judasme, il existe une diffrence fondamentale entre hommes et femmes en

    choisi ses Aptres uniquement parmi les hommes; la pratique constante de lglise qui a imitp le Christ en ne choisissant que des hommes; et son magistre vivant qui, de manire continue, a soutenu que lexclusion des femmes du sacerdoce est en accord avec le plan de Dieu sur lglise. Ordinatio Sacerdotalis, lettre apostolique du pape Jean Paul II sur lordination sacerdotale exclusivement rpservpe aux hommes, [En ligne], 22 mai 1994. [www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/ apost_letters/documents/hf_jp-ii_apl_22051994_ordinatio-sacerdotalis_fr.html].

    54 Dans un document intitul Normes sur les dlits les plus graves , le Saint-Sige a qualifip lordination des femmes de dplit grave contre la foi. En outre, en abordant dans ce mme document lordination des femmes, la ppdophilie et les agressions sexuelles sur les mineurs, lglise laisse croire quil sagit pour elle de crimes ayant daussi lourdes conspquences. Le 15 juillet 2010, la Congrgation pour la doctrine de la foi a publi les Nouvelles Normes sur les dlits les plus graves [www.vatican.va/resources/resources_norme_fr.html] dans lequel il est crit que les dlits les plus graves auxquels se rfraient les Normes concernent les rpalitps centrales de la vie de lglise que sont les sacrements de lEucharistie et de la Ppnitence, mais aussi les abus sexuels [sic] commis sur des mineurs de moins de 18 ans par des clercs. [...] Les nouvelles normes touchent aux dlits contre la foi (hrsie, apostasie et schisme) [...], et enfin toute tentative dordination sacerdotale de femmes, condamne l aussi par un dcret de 2007 .

    55 J. ALLOUCHE-BENAYOUN, Compte-rendu : Pauline BEBE, ISHA, Dictionnaire des femmes et du judasme, Paris, Calmann-Lvy, 2001, 440 p. , dans CLIO, Histoire, femmes et socits, no 16, 2002, p. 315.

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  • raison de lessence diffprente du masculin et du fpminin. Aujourdhui encore, les jeunes filles nptudient pas les mmes matiqres que les garoons dans les pcoles juives traditionnelles. Dans le judasme orthodoxe, les femmes sont cantonnes aux rles familiaux caritatifs et denseignement; seul le judasme libpral accepte lidpe quune femme puisse devenir rabbin. De mme, la qualitp de juges de tribunaux religieux est interdite aux femmes dans les lois de certaines communauts religieuses dIsral.

    Lislam

    Il ny a pas de clergp en islam, mais seulement des fonctions dont les femmes sont exclues. Les oulmas (interprtes de la loi), les qadis (juges), le calife (guide de la communaut), les imams (chefs de la prire) sont des fonctions rserves aux hommes. Les fonctions des femmes se limitent la sphre prive et domestique. Dans certains pays, toutefois, les tribunaux ont rejet conformment une tradition moderniste de ltat et de la sociptp largument de la charia invoqu par le plaignant tendant exclure de la fonction notariale une femme qui a rpussi un concours national; la juridiction administrative sest fondpe sur le principe de lpgalitp des sexes en droits et en obligations, consacrp par la Constitution du pays concern.

    Enfin, dans certaines cultures, les femmes ne participent pas certains rituels, dont celui de la prire publique dans les mosques. Celles qui y assistent se tiennent dans un endroit adjacent la salle principale, do elles ne peuvent pas tre vues ni voir le prdicateur. Dans certains pays, aucun espace spcial ne leur est rpservp et les mosqupes leur sont par conspquent interdites. Lexclusion sexplique par la croyance que les femmes menstrupes sont impures et sont une cause de pollution , mais toutes les religions dfendent le sacr contre la pollution du sang fminin56. [rfrences omises]

    En outre, la reprsentation de Dieu sous des traits masculins a galement concouru fonder idpologiquement et thpologiquement lautoritp masculine dans le couple, dans la socit et dans les structures religieuses. De cette manire, on en est arriv sacraliser le patriarcat en le prpsentant non seulement comme lexpression de la volontp de Dieu, mais pgalement comme le modqle de lexercice de lautoritp57.

    Le rcit de la Cration propose de rpondre la question Qui cre la vie? . Il dfinit les relations entre les femmes et les hommes tant sur le plan thorique que pratique. Non seulement attribue-t-il lapparition de lhumanitp un dieu mle, mais il renverse aussi lordre naturel et biologique des choses en faisant natre la femme de lhomme, crppe partir dune cte dAdam, et non lhomme de la femme58. Ce transfert du

    56 NATIONS UNIES, CONSEIL CONOMIQUE ET SOCIAL, op. cit., par. 178-182. 57 M. GRATTON BOUCHER, op. cit., p. 276. Tout comme lglise est soumise Jpsus-Christ, les femmes

    doivent tre soumises leur poux : Le mari est le chef de la femme, comme Jsus-Christ est le Chef de lglise, et, de mme que lglise est soumise Jpsus-Christ qui lembrasse dun trqs chaste et perptuel amour, ainsi les femmes doivent tre soumises leurs maris et ceux-ci doivent en change les aimer dune affection fidqle et constante . Quod Apostolici, lettre encyclique du pape Lon XIII sur les erreurs modernes, [En ligne], 28 dcembre 1878. [www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/ encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_28121878_quod-apostolici-muneris_fr.html].

    58 G. STOPLER, op. cit., p. 374.

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    http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/%20encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_28121878_quod-apostolici-muneris_fr.htmlhttp://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/%20encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_28121878_quod-apostolici-muneris_fr.html

  • pouvoir de procrpation de la femme lhomme favorise la croyance que lhomme crpe la vie, ce qui lui donne le droit de possder la femme et sa progniture, qui est donc, en fait, uniquement sa progniture59.

    Linterprptation du rpcit de la Crpation par la tradition juive et chrptienne est la base de la conception qui veut que la subordination de la femme soit de droit divin60. Ainsi, pour Augustin, la diffprence fonctionnelle entre la femme et lhomme a ptp voulue par le Crateur. Plus prcisment, la femme a t conue pour aider Adam procrer61. De mme, pour Thomas dAquin, la prioritp dAdam dans la Crpation et le fait quve ait ptp crppe partir de los de celui-ci font en sorte que la femme a pour finalitp dtre lauxiliaire de lhomme et justifient sa subordination62.

    La question de lappropriation de la fpconditp se situe dailleurs au centre de la domination de lhomme sur la femme dans les religions monothpistes. Le rpcit de la Crpation rappelle que le pouvoir de procrpation a ptp attribup lhomme par Dieu, et donc quil nappartient pas la femme. Pour la croyante et le croyant, la contraception ou lavortement sont donc des actes qui vont lencontre de la volontp divine. Ainsi, la position de lglise catholique sur la contraception repose sur la doctrine du lien indissoluble des deux aspects de lacte conjugal, lunion et la procration, et il nappartient pas lhomme de son initiative de rompre ce lien63. La sexualitp nest donc tolprpe quen tant que moyen de reproduction, et cela, mme entre mari et femme. Cest l un hritage direct de la thologie du mariage labore par Augustin, tout axe sur la procrpation, et qui lie la femme sa fonction de mqre, son unique raison dtre64.

    59 G. STOPLER, ibid. 60 Dans le rcit de la cration, la distinction des sexes a pour finalitp la reproduction de lespqce :

    lhomme, en tant que premier, reooit une aide pour luvre de la gpnpration. J. FAMERE, Anthropologies traditionnelles et statut ecclsial de la femme , dans J. FAMERE (dir.), Le christianisme est-il misogyne? Place et rle de la femme dans les glises, Bruxelles, Lumen Vit, 2010, 81, p. 97.

    61 En dehors de cette aide npcessaire pour la fpconditp, Augustin ne voit pas dautre raison dexistence pour la femme. En tant quaide, ve est subordonne Adam. Ibid., p. 87.

    62 Ibid., p. 94. 63 Cest en sappuyant sur cette doctrine que Paul VI rpitqre ceci en 1968 : [L]a strilisation directe,

    quelle soit perpptuelle ou temporaire, tant chez lhomme que chez la femme, est exclure [ainsi que] toute action qui, soit en prpvision de lacte conjugal, soit dans son dproulement, soit dans le dveloppement de ses consquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procration . Humanae vit, lettre encyclique du pape Paul VI sur le mariage et la rgulation des naissances, [En ligne], 25 juillet 1968. [www.vatican.va/holy_father/paul_vi/ encyclicals/documents/hf_p-vi_enc_25071968_humanae-vitae_fr.html]. De mme, Jean-Paul II a soutenu en 1995 que la contraception contredit la vpritp intpgrale de lacte sexuel comme expression propre de lamour conjugal et quelle soppose la vertu de chastet conjugale . JEAN-PAUL II, Evangelium Vit, [En ligne], 25 mars 1995. [www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/ encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangelium-vitae_fr.html]. Il a ajout que les pratiques de contraception senracinent dans une mentalitp hpdoniste et de dpresponsabilisation en ce qui concerne la sexualit et elles supposent une conception goste de la libert, qui voit dans la procration un obstacle lppanouissement de la personnalitp de chacun .

    64 AUGUSTIN, De Genest ad litteram, dans M. GRATTON BOUCHER, op. cit., p. 280.

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  • Lglise catholique considqre que la vie humaine est sacrpe dqs le dpbut65. Les raisons lappui de cette morale de la vie commenoante sont essentiellement thologiques : Dieu, comme crpateur, est matre de la vie; ltre humain est inviolable parce que fait limage de Dieu66. Cest pourquoi rien ne peut justifier le recours lavortement, pas mme des raisons thrapeutiques67.

    Alors quil ptait archevque de Qubec, le cardinal Marc Ouellet a affirm que lavortement est un crime moral , mme pour les victimes de viol68. Il a flicit le gouvernement fdral de ne pas financer les programmes de sant des femmes dans le tiers-monde, o lavortement pourrait tre pratiqup. Il sest aussi adressp aux mpdecins catholiques runis en congrs Montral pour dnoncer le glissement de notre socit vers une dictature du relativisme 69 et lpvolution de lOccident vers une culture de la mort , en parlant notamment de lavortement70.

    Les anthropologies traditionnelles dAugustin et de Thomas dAquin ont marqup profondpment lenseignement du magistqre romain sur la femme. Lencyclique sur le mariage chrtien de Lon XIII rappelle la ncessaire soumission des pouses en 188071.

    65 Ltre humain doit tre respectp et traitp comme une personne ds sa conception, et donc ds ce moment on doit lui reconnatre les droits de la personne parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout tre humain innocent la vie. Donum vit, l987, dans L. MLANON, Lavortement dans une socit pluraliste, Montral, ditions Paulines, 1993, p. 103 (Interpellations).

    66 L. MLANON, Chronique de thologie morale : Avortement, contraception , glise canadienne, vol. 27, no 9, septembre 1994, 268, p. 269.

    67 Humanae vit, op. cit. 68 F. DENONCOURT, Lavortement injustifip mme en cas de viol, selon le cardinal Ouellet , Le Soleil,

    [En ligne], 16 mai 2010. [www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201005/15/01-4280877lavortement-injustifie-meme-en-cas-de-viol-selon-le-cardinal-ouellet.php].

    69 tre et devenir personne , allocution du cardinal Marc Ouellet la Fdration canadienne des socits de mdecins catholiques, [En ligne], 22 mai 2010. [eglisecatholiquedequebec.org/documents/pdf/20100502_etreetdevenirpersonne.pdf].

    70 Prchant pour le rptablissement dune alliance avec Dieu quil a qualifipe de norme thique claire, universellement admise et respectpe, qui garantit lordre social et le vivre ensemble dans lpgalitp des droits et la libert pour tous , il a ajoutp que l autonomie absolue de la femme est un courant destructeur qui va lencontre de cette norme. Ibid.

    71 Lhomme est le prince de la famille et le chef de la femme. Celle-ci cependant est la chair de sa chair et los de ses os. Comme telle, elle doit tre soumise son mari et lui obpir, non la maniqre dune esclave, mais dune compagne. Ainsi, lobpissance quelle lui rend ne sera pas sans dignitp ni sans honneur. Dans celui qui commande, ainsi que dans celle qui obit, puisque tous deux sont limage, lun du Christ, lautre de lglise, il faut que la charitp divine soit la rqgle perpptuelle du devoir, car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de lglise. Mais de mme que lglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent tre soumises leurs maris en toutes choses (Eph. V, 23-24). Arcanum Divinae, lettre encyclique du pape Lon XIII sur le mariage chrtien, [En ligne], 10 fvrier 1880. [www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_10021880_arcanum_fr. html].

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  • Dans lencyclique Rerum Novarum du 15 mai 1891, on reconnaissait au pre une autorit de premier ordre sur ses enfants, du fait quil est lorigine de leur vie72. Lglise attribuait encore la mre un rle passif dans la procrpation. Elle nptait que le rceptacle qui permettrait la semence mle de se dvelopper73.

    Aussi, on note que mme si le rpcit de la Crpation na pas ptp incorporp dans le Coran, ce dernier contient npanmoins des versets qui expriment clairement linfpriorit des femmes par rapport aux hommes74, comme celui-ci :

    Les hommes sont suprieurs aux femmes cause des qualits par lesquelles Dieu a lev ceux-l au-dessus de celles-ci, et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes. Les femmes vertueuses sont obissantes et soumises; elles conservent soigneusement pendant labsence de leurs maris ce que Dieu a ordonn de conserver intact. Vous rprimanderez celles dont vous aurez craindre linobpissance; vous les relpguerez dans des lits part, vous les battrez; mais aussitt quelles vous obpissent, ne leur cherchez point querelle. Dieu est lev et grand75.

    galement, le rcit du pch originel est la source de la vision de la femme dangereuse et tentatrice. Ce rcit est contenu dans les critures juives et chrtiennes et repris dans les uvres des anciens pcrivains chrptiens. Il ne figure pas dans le Coran, mais il sera intgr plus tard la tradition islamique76. En les identifiant ve, lglise fait peser sur toutes les femmes le poids du pch originel et les soumet leur mari. Dans la pense chrtienne, la sujtion de la femme ses rles dppouse et de mqre nest pas seulement sa punition, mais son unique planche de salut. Au fil des siqcles donc, linterprptation de ce rcit a nourri une rpelle suspicion lpgard des femmes, de leur sexualitp et mme de la sexualit en gnral77. De ppchp dorgueil, la faute imputpe ve en est devenue une de sensualitp, la femme savprant linstrument du diable78.

    Par ailleurs, on observe que le religieux marque depuis toujours une nette distinction entre la fonction sociale de la femme et celle de lhomme. Lhomme doit pourvoir aux besoins de la famille alors que la femme doit se consacrer son rle de mqre et dppouse.

    72 Lautoritp paternelle ne saurait tre abolie ni absorbpe par ltat, car elle a sa source l o la vie humaine prend la sienne. Les fils sont quelque chose de leur pre. Ils sont en quelque sorte une extension de sa personne Rerum Novarum, lettre encyclique de sa Saintet le pape Lon XIII, 15 mai 1891. [www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerumnovarum_fr.html].

    73 Mme si cest en 1875 que lon dpcouvre que lembryon nat de la fusion dun ovule et dun spermatozode, comme le souligne R. Saurel, op. cit., p. 774.

    74 F. RADAY, op. cit., p. 673. 75 Le Coran, traduit de larabe par Kasimirski, Paris, Garnier-Flammarion, 1970, sourate IV, v. 38, p. 92,

    dans Y. GEADAH, op. cit., p. 41. 76 F. RADAY, op. cit., p. 674. 77 M. DUBESSET, Genre et fait religieux , Sens public, p. 3, [En ligne], 2003. [www.sens

    public.org/spip.php?article45]. 78 M. GRATTON BOUCHER, op. cit., p. 279.

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    http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum_fr.htmlhttp://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum_fr.htmlhttp://www.sens-public.org/spip.php?article45http://www.sens-public.org/spip.php?article45

  • Bien quelle ait d adapter son discours avec le temps, lglise catholique dpfend toujours cette ide de la vocation particulire de la femme79.

    Ainsi, Benot XV a soutenu en 1917 quil ptait rpprphensible que des femmes rpclament le droit dexercer des professions et des mptiers traditionnellement rservs aux hommes puisquelles se livraient alors des occupations ptrangqres leur sexe, plutt que ce pour quoi elles sont faites80. Plus rpcemment, dans une lettre rpdigpe avant quil ne devienne pape, le cardinal Ratzinger mentionnait que la femme, bien qupgale lhomme, a un rle diffprent et ne peut revendiquer une rpelle pgalitp81.

    Cette conception strotype des rles fminin et masculin a t dnonce par lAssemblpe parlementaire du Conseil de lEurope, une organisation qui regroupe 47 pays82. Lors des dpbats ayant prpcpdp ladoption de la Rsolution 1464 : Femmes et religions en Europe83, la rapporteuse, Rosmarie Zapfl-Helbling, faisait remarquer ceci :

    [D]u point de vue de lglise catholique, lhomme et la femme se sont vu attribuer des responsabilits spcifiques et non interchangeables par Dieu. En dautres mots, si les femmes et les hommes sont pgaux devant Dieu, ils ont ptp crs pour remplir des rles diffrents sur terre. Traditionnellement, donc,

    79 Pour lglise catholique, la vocation particuliqre de la femme est la maternitp, quelle soit physique ou spirituelle. Ce serait l sa fonction premire. Le rle essentiel de la femme dans la reproduction rpond un dessein particulier de Dieu : Non seulement Dieu a donnp la femme dexister, mais la personnalit fminine rpond un dessein particulier du Crateur . Pie XII, allocution du 29 septembre 1957, dans M. RONDEAU, La promotion de la femme dans la pense de lglise contemporaine, Ottawa, Fides, 1969, p. 92 (Foi et libert).

    80 Lettre du 27 dcembre 1917, dans M. RONDEAU, ibid., p. 66. De mme, Lon XIII crivait en 1891 que la nature de la femme la destine plutt aux ouvrages domestiques; ouvrages dailleurs qui sauvegardent admirablement lhonneur de son sexe et rppondent mieux, par nature, ce que demandent la bonne ducation des enfants et la prosprit de la famille . Rerum Novarum, op. cit.

    81 Une premire tendance souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation. La femme, pour tre elle-mme, sprige en rivale de lhomme. Aux abus de pouvoir, elle rpond par une stratgie de recherche du pouvoir. Ce processus conduit une rivalitp entre les sexes, dans laquelle lidentitp et le rle de lun se rpalisent aux dppens de lautre, avec pour rpsultat dintroduire dans lanthropologie une confusion dltre, dont les consquences les plus immpdiates et les plus npfastes se retrouvent dans la structure de la famille. [] La femme garde lintuition profonde que le meilleur de sa vie est fait dactivitps ordonnpes lpveil de lautre, sa croissance, sa protection, malgrp le fait quun certain discours fpministe revendique les exigences pour elle-mme. [] [C]e que lon nomme fpminitp est plus quun simple attribut du sexe fpminin. Le mot dsigne en effet la capacit fondamentalement humaine de vivre pour lautre et grce lui. [] La dpfense et la promotion de lpgale dignitp et des valeurs personnelles communes doivent sharmoniser avec la reconnaissance attentive de la diffprence et de la rpciprocitp, l o cela est requis par la ralisation des caractristiques humaines propres, masculines ou fminines. Lettre aux vques de lglise catholique sur la collaboration de lhomme et de la femme dans lglise et dans le monde, [En ligne], 31 mai 2004. [www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/ documents/rc_con_cfaith_doc_20040731_collaboration_fr.html].

    82 Le Canada est membre observateur du Conseil, une organisation qui a donn naissance la Convention de sauvegarde des Droits de lHomme et des Liberts fondamentales, (Convention europenne des droits de lhomme) 213 RTNU 221 (1955), [En ligne]. [conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/005.htm].

    83 Rsolution adopte le 4 octobre 2005, la 26e sance, [En ligne]. [assembly.coe.int/Mainf.asp?link= /Documents/AdoptedText/ta05/FRES1464.htm].

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    http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/%20documents/rc_con_cfaith_doc_20040731_collaboration_fr.htmlhttp://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/%20documents/rc_con_cfaith_doc_20040731_collaboration_fr.htmlhttp://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/005.htmhttp://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta05/FRES1464.htmhttp://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta05/FRES1464.htm

  • lglise catholique a mis en avant le rle de lppouse, de la mqre et de la femme au foyer pour les femmes, tout comme le fait lglise orthodoxe. Au fil des sicles, ces strotypes de genre motivs par des croyances religieuses ont confr aux hommes un sentiment de supriorit, et ont ainsi conduit un traitement discriminatoire des femmes. Ils ont mme t utiliss pour justifier la violence envers les femmes afin quelles restent leur place 84.

    Le contrle de la femme transparat aussi dans limposition du voile. Le christianisme est la premiqre des trois religions monothpistes limposer pour des motifs religieux. Dans sa lettre aux Corinthiens, Paul soutient quil nest pas convenable quune femme prie Dieu sans tre voilpe, et quil sagit l dune marque de sa dppendance lhomme, pour qui elle a ptp conoue. lopposp, lhomme ne doit pas se voiler la tte, car il a ptp crpp limage de Dieu85 :

    Je vous flicite de vous souvenir de moi en toute occasion, et de conserver les traditions telles que je vous les ai transmises. Je veux pourtant que vous sachiez ceci : le chef de tout homme, cest le Christ; le chef de la femme, cest lhomme; le chef du Christ, cest Dieu. Tout homme qui prie ou prophtise la tte couverte fait affront son chef. Mais toute femme qui prie ou prophtise tte nue fait affront son chef; car cest exactement comme si elle ptait raspe. Si la femme ne porte pas de voile, quelle se fasse tondre! Mais si cest une honte pour une femme dtre tondue ou raspe, quelle porte un voile! Lhomme, lui, ne doit pas se voiler la tte : il est limage et la gloire de Dieu; mais la femme est la gloire de lhomme. Car ce nest pas lhomme qui a ptp tirp de la femme, mais la femme de lhomme. Et lhomme na pas ptp crpp pour la femme, mais la femme pour lhomme. Voil pourquoi la femme doit porter sur la tte la marque de sa dpendance, cause des anges. Pourtant, la femme est inspparable de lhomme et lhomme de la femme, devant le Seigneur. Car si la femme a ptp tirpe de lhomme, lhomme nat de la femme et tout vient de Dieu. Jugez par vous-mmes : est-il convenable quune femme prie Dieu sans tre voilpe? La nature elle-mme ne vous enseigne-t-elle pas quil est dpshonorant pour lhomme de porter les cheveux longs? Tandis que cest une gloire pour la femme, car la chevelure lui a ptp donnpe en guise de voile. Et si quelquun se plat contester, nous navons pas cette habitude et les pglises de Dieu non plus86. [nous soulignons]

    Avant que Paul y associe un motif religieux, des femmes portaient le voile dans des villes du pourtour de la Mpditerranpe aussi bien en Occident quen Orient87, et cela, conformment une vieille coutume paenne. La femme arborait le voile en signe de

    84 Femmes et religion en Europe, doc. 10670, 22 septembre 2005, rapport de la Commission sur lpgalitp des chances pour les femmes et les hommes, par. 15. Voir aussi par. 17, [En ligne]. [assembly.coe.int/MainF.asp?link=/Documents/WorkingDocs/Doc05/FDOC10670.htm].

    85 Premire ptre aux Corinthiens, 11 : 2-16, dans R. LAMBIN, Paul et le voile des femmes , CLIO, op. cit., no 2, 1995, p. 2.

    86 Paul 11 : 2-16. 87 Premire ptre aux Corinthiens, op. cit.

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    http://assembly.coe.int/MainF.asp?link=/Documents/WorkingDocs/Doc05/FDOC10670.htm

  • soumission lhomme88. Or, cette tradition a t transforme en une obligation religieuse par le discours de Paul sur la tenue des femmes. Au nom de la religion, elle a t maintenue, perptue et impose pour des raisons religieuses89.

    Les relents de cette contrainte ont subsist de nombreuses annes. Pensons au voile des religieuses, au fait que les femmes devaient se couvrir la tte dans les glises et mme lAssemblpe nationale du Qupbec, une prescription religieuse dont les hommes ptaient exempts.

    Lhabitude paenne du port du voile par les femmes est pgalement prpsente dans le Coran alors que Dieu dit Mahomet dordonner aux femmes de se couvrir et de rabattre leur vtement sur leur poitrine pour que les hommes les respectent90. Le texte ninscrit pas cette dmarche dans le rapport que doivent avoir les femmes la divinit, comme la fait Paul. Dans lesprit de Mahomet, ce voile avait pour but de protpger la femme contre le regard dautres hommes et des risques de capture et de viol91. Le port du voile avait donc lorigine pour but de protpger la femme dans un contexte de guerre civile.

    On constate donc quau sein des trois grandes religions monothpistes, les femmes et les hommes ne sont pas gaux. Au Qubec, puisque la religion catholique a exerc une forte influence sur la conduite des affaires de ltat, il nest pas surprenant dobserver qu mesure que ltat se dissociait de la religion, les femmes obtenaient plus de droits.

    88 [L]es femmes maries se couvraient gnralement soit de leur manteau (himation chez les Grecs, palla chez les Romains), soit dun voile, pour sortir dans la rue en signe de soumission leur poux. Ibid.

    89 la fin du XXe sicle, dans les pays mditerranens, en Europe du Sud et en Orient chrtien, ainsi que chez les religieuses des trois grandes confessions chrtiennes, les femmes portent encore souvent un voile ou un foulard. Ibid.

    90 Prophte! Dis tes pouses, tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles : elles en seront plus vite reconnues et pviteront dtre offenspes. Allah est Pardonneur et Misricordieux. Sourate 33, v. 59.

    91 R. SAUREL, op. cit., p. 764.

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  • 28

  • CHAPITRE II La dissociation de la religion et de ltat qubcois : une voie vers lgalit entre les sexes

    Aujourdhui, la religion catholique na plus la mme importance dans la vie des Qupbpcoises et Qupbpcois. Npanmoins, les reprpsentations de la femme et de lhomme vphiculpes par la religion ont marqup profondpment linconscient. La maniqre dapprphender la rpalitp est encore influencpe par une ide prconue de la faon dont les femmes et les hommes doivent se comporter et de la place quils doivent occuper. En agissant comme une norme, ces strotypes limitent les choix et les possibilits de chacune et chacun92.

    La lacisation de ltat qupbpcois a favorisp la qute des femmes pour le droit lpgalitp. Dans son avis sur lpgalitp, le Conseil a amorcp cette dpmonstration, soulignant que lassociation de lglise et de ltat a contribup la non-reconnaissance des droits des femmes jusqu la Rpvolution tranquille. Bien que le Qupbec nait jamais ptp une thpocratie, il nen demeure pas moins que lglise catholique a contrlp des pans entiers des institutions civiles (lpducation, la santp et les services sociaux) jusque dans les annes 196093. Au sortir de la grande noirceur , la lutte des femmes pour la reconnaissance de leurs droits est devenue un enjeu indissociable du devenir de tout un peuple.

    2.1 Avant la Rvolution tranquille

    Le Qupbec na jamais eu officiellement de religion dtat. La libert de religion a t reconnue dans la Proclamation royale de 176394. LActe de Qubec de 177495 a accord la libert de culte aux catholiques et aboli le Serment du Test pour accder aux charges publiques. Cette libertp a ptp maintenue dans lActe constitutionnel de 179196.

    Nanmoins, au cours de la seconde moiti du XIXe sicle, on observe une monte de linfluence de lglise au Qupbec la suite de lpchec des rpbellions de 1837 et de 1838.

    92 Le Conseil pconomique et social de lONU notait que [le]s normes qui nous sont transmises par nos anctres et notre histoire, quelle que soit la religion laquelle nous appartenons, sont gnralement discriminatoires lpgard des femmes . NATIONS UNIES, CONSEIL CONOMIQUE ET SOCIAL, op. cit., par. 235. [www.unhchr.ch/huridocda/huridoca.nsf/0/9fa99a4d3f9eade5c1256b9e00510d71/ $FILE/G0212189.pdf].

    93 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, Lintervention dinstances religieuses