Upload
others
View
4
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
© Meriem Lahouiou, 2018
Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises nationales (1990-2012):
Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage religieux pluriel
Mémoire
Meriem Lahouiou
Maîtrise en histoire - avec mémoire
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
Constructions identitaires de jeunes musulmans de Bamako en périodes de crises identitaires
(1990-2012) Une jeunesse en quête de représentativité dans un paysage
religieux pluriel
Mémoire
Meriem Lahouiou
Sous la direction de :
Muriel Gomez-Perez, directrice de recherche
iii
Résumé
L’étude de l’implication de la jeunesse malienne dans la sphère religieuse en période de
crises nationales dévoile l’ampleur de son champ d’intervention dans le projet de société dont
se sont dotés les acteurs musulmans au cours des deux dernières décennies. Centrée sur l’action
des associations musulmanes, cette approche permet de saisir les interactions entre les
représentants religieux et l’État, les leaders religieux et leurs adhérents, et finalement les
divergences idéologiques qui traversent la sphère religieuse. Bien qu’imprégnés de tensions et
de querelles, les discours des leaders religieux, récupérés par la jeunesse musulmane, sont
porteurs d’un projet commun de remoralisation de la société malienne.
iv
Table des matières Résumé ........................................................................................................................................... iii Table des matières ......................................................................................................................... iv Glossaire ......................................................................................................................................... vi Liste des acronymes ..................................................................................................................... vii Remerciements ............................................................................................................................ viii Introduction .................................................................................................................................... 1
A. Contexte historique de l’étude ............................................................................................ 1
B. Historiographie .................................................................................................................... 3
C. Problématique et hypothèses ............................................................................................ 13
D. Plan ..................................................................................................................................... 16
CHAPITRE I – Concepts, sources et méthodologie ................................................................. 17
A. «Espace public», «jeunesse», et «individualisation» : définition des concepts clés ..... 17
B. Corpus des sources primaires ........................................................................................... 19
C. Méthodologie de traitement des sources ......................................................................... 25
CHAPITRE II – Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté musulmane : portrait des enjeux identitaires, idéologiques et financiers d’une sphère religieuse hétéroclite .................................................................................................................... 29
A. Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali : Structures associatives ou confrériques ? Lecture des modèles associatifs et des figures de leader du Chérif Ousman Haïdara et de Macky Bah ....................................................................................................... 31
B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et conflits doctrinaux : entre complexité et ambigüité des relations entre les acteurs religieux maliens ...................................................................................................................................... 49
CHAPITRE III – Crises nationales et crise morale (2012) : intervention étrangère, stigmatisation des identités et quête morale. Le sinueux chemin vers la réconciliation nationale ....................................................................................................................................... 68
A. Fracture territoriale et scission identitaire : faites entrer l’accusé. Les causes profondes d’une crise multidimensionnelle contemporaine ................................................ 71 B. Le redressement de la bonne morale du Mali : entre réformisme et fondamentalisme. L’ambigüité d’un projet social total ..................................................................................... 91
v
Conclusion ................................................................................................................................... 107 Sources ......................................................................................................................................... 114 Bibliographie ............................................................................................................................... 121 Annexe I: Grille d’entretien ...................................................................................................... 131 Annexe II: Exemple de page dédiée aux lecteurs dans les Échos, décembre 1990 .............. 133 Annexe III: Rassemblement d’Ançar Dine à la grande mosquée de Bamako, 19 juillet 2014 ...................................................................................................................................................... 134 Annexe IV: Règlement intérieur et statuts de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali ..... 136 Annexe V: Règlement intérieur de la Fédération Ançar Dine Internationale ...................... 144 Annexe VI: Article de presse – «Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao . 151 Annexe VII: Récit de vie d’Oumar, un militant de première génération d’Ançar Dine ..... 153 Annexe VIII: Récit de vie d’Aïchata, prédicatrice et membre de l’Agence musulmane d’Afrique ..................................................................................................................................... 156
vi
Glossaire
Ahl Sunna: Partisans de la tradition prophétique. Da’wa : Prosélytisme religieux. Grin : Réfère à un lieu de sociabilité improvisé dans lequel des jeunes se retrouvent. Hadj: Cinquième pilier de l’islam, fait référence au pèlerinage vers la Mecque, lieu saint
de l’islam. ‘Ilm : Sciences islamiques. Kudra : Relecture de l’islam Madrasa: Désigne un lieu d’enseignement islamique où sont enseignées les sciences
islamiques. Madâris : Pluriel de madrasa. Maouloud : Commémoration de la naissance du Prophète Mahomet, survient le 12e jour du
troisième mois du calendrier hégirien. Seere : En bambara, tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique
régulièrement la prière.
Sharia: Système juridique musulman. Sunna: Code de conduite qui réfère à la tradition prophétique. Tariqa : Signifie voie en arabe. Propre au soufisme, désigne une organisation confrérique. Umma: Grande communauté de musulmans qui transcende les frontières. Zakat: Troisième pilier de l’islam, aumône que tout musulman doit donner au plus
démuni. Zawiya: Propre aux confréries, fait référence à centre spirituel et social.
vii
Liste des acronymes
AMA : Agence Musulmane d’Afrique AMCECI : Association Malienne pour la Concorde, la Culture et l’Éducation Islamique AMSODEC : Association Malienne pour la Solidarité, de la Culture et du Développement AMUPI : Association Malienne pour l’Unité de l’Islam APEJ : Agence pour la Promotion et de l’Emploi des Jeunes AQMI : Al-Qaïda au Maghreb islamique CFA : Communauté financière africaine FADI : Fédération Ançar Dine Internationale FMI : Fonds Monétaire International
GLSM : Groupement de leaders spirituels musulmans HCI : Haut Conseil Islamique IMAMA : Ligue Malienne des Imams et des Érudits pour la solidarité au Mali MNLA : Mouvement National de Libération de l’Azawad MPA : Mouvement Populaire de l’Azawad MUJAO : Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest ONU : Organisation des Nations Unies RDA : Rassemblement Démocratique Africain RFI : Radio France internationale UJMMA : Union des Jeunes Musulmans du Mali UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture URSS : Union des Républiques socialistes soviétiques
viii
Remerciements Je voudrais remercier le Bureau international de l’Université Laval qui m’a décerné une bourse
de terrain dans le cadre du programme de mobilité « Stage hors Québec ».
Je tiens à exprimer ma sincère reconnaissance à ma directrice, Muriel Gomez-Perez. Sa patience
et sa confiance au cours de ces dernières années m’auront permis d’aller au bout de cette
réalisation. Elle m’a poussée à me surpasser, tant sur le plan intellectuel que personnel, tout au
long de mon parcours universitaire. De son soutien indéfectible, je tire une grande leçon de vie.
Un merci particulier à Issa, et à toute sa famille, qui m’ont accompagnée durant mon séjour à
Bamako et qui ont fait en sorte que je m’y sente chez moi. La richesse de mon expérience au
Mali leur revient en très grande partie. Merci à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à
l’enquête de terrain. Je tiens à remercier Marie Brossier et Cédric Jourde qui ont accepté
d’évaluer ce mémoire.
Je ne pourrais faire l’économie de remercier mes sœurs qui n’ont jamais perdu confiance en moi
malgré les aléas de cette gestation intellectuelle. Un mot également pour deux êtres chers,
Mireille et Francis, qui m’ont épaulée et ont coloré cette aventure chacun à leur façon.
Finalement, mes remerciements chaleureux aux membres de la famille Vaillancourt pour leur
soutien inépuisable.
1
INTRODUCTION
A. Contexte historique de l’étude
Depuis une vingtaine d’années, le paysage malien est témoin de fortes perturbations
sociales et politiques. Dans la mouvance des transitions démocratiques ayant marqué le
paysage africain et suite au renversement du président Moussa Traoré en 1991, le Mali s’est
engagé dans un système multipartite qui a conduit notamment à la libéralisation de la presse
et de la vie associative. L’on observe dès lors une prolifération de mosquées1, de madâris2,
d’associations et de centres culturels musulmans dans le pays. Ces changements témoignent
« d’un phénomène de réislamisation de masse »3 observé dans le paysage religieux malien
au cours des dernières décennies. L’émergence du religieux dans l’espace public est portée
à la fois par l’État et par des associations musulmanes telles qu’Ançar Dine et l’Union des
Jeunes Musulmans du Mali (UJMMA) 4. Par ailleurs, le rôle de l’association étatique,
l’Association malienne pour l’unité de l’islam (AMUPI), créée en 1980 pour assurer le
contrôle des activités religieuses, devint plus significatif dans les années 1990 devant
l’important développement de mouvements religieux, fortement investis par la jeunesse
urbaine5. La montée du piétisme, observée depuis, est telle que s’instaure une concurrence
pour la maîtrise du champ religieux entre les acteurs sociaux. C’est ainsi que divers leaders
religieux et figures associatives tels que les opposants6 Chérif Ousman Madani Haïdara
1 Gilles Holder, spécialiste du Mali, dénombre le nombre de mosquées à Bamako à 200 en 1988. Tandis qu’aujourd’hui on estime leur nombre à 1000, seulement dans la capitale du Mali. Voir Gilles Holder, « Chérif Ousmane Madani Haidara et l’association islamique Ançar Dine », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 1-31. 2 Pluriel de madrasa. Voir glossaire, p. v. 3 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 2. 4 Ançar Dine, à ne pas confondre avec le mouvement armé touareg fondé en 2011, est un mouvement sunnite prosélyte fondé en 1991 par Chérif Ousmane Madani Haidara. Signifiant « Compagnons de la religion », l’association Ançar Dine qui rassemble de nombreux jeunes depuis sa création est aujourd’hui la plus importante association musulmane au Mali. Quant à l’UJMMA, il s’agit d’une association de jeunes musulmans très active sur la scène politique malienne. La présente étude sera centrée sur les actions menées par ces deux associations et les discours de leurs leaders. De jurisprudence malékite, Ançar Dine prône un réformisme intelligible à la culture africaine, en opposition au courant wahhabia, qui se veut épuré de tout syncrétisme culturel. L’UJMMA, bien qu’elle soit proche d’Ançar Dine, se dit neutre car elle représente tous les jeunes musulmans du Mali. Voir Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 1-31. 5 Françoise Bourdarias, «Constructions religieuses du politique aux confins de Bamako (Mali)», Civilisations, «Intimités et inimités du religieux en politique en Afrique », vol. 58, no. 2,», 2009, p. 22. 6 Qualifiés « d’ennemis jurés » par la presse, les tensions entre ces deux hommes, qui représentent chacun un courant religieux, remontent aux années 1980. Nous exposerons les tenants et aboutissants de cette relation complexe en cours de démonstration. Bekaye Dembele, «Mahamoud Dicko président du HCI : Un dinosaure
2
(chef spirituel de l’association Ançar Dine) et Mahamoud Dicko (président du Haut Conseil
Islamique du Mali (HCI)7, participent à la vie politique en occupant une place considérable
dans l’espace public8 et médiatique, et s’évertuent à diffuser le religieux sur l’espace public
et privé. Plus récemment, la crise dans le nord du pays, l’intervention militaire française au
printemps 2013 et les prises de position du HCI dans les affaires politiques, notamment lors
du débat sur le Code de la famille, illustrent le dialogue complexe entre le religieux et le
politique.
La sphère islamique malienne est caractérisée aujourd’hui par une concurrence
religieuse animée en partie par les groupes religieux identifiés ci-dessus. Ces luttes
doctrinales sont étroitement liées à une hypermédiatisation du fait religieux, véhiculée par
la radio et des supports audio bon marché9. Les tensions religieuses qui se dessinent dans
l’espace public sont portées d’une part par les leaders religieux qui tendent à gagner en
influence, et d’autre part par les jeunes musulmans qui s’inscrivent dans une quête
identitaire. Un questionnement se pose alors quant à l’impact social et politique de la
visibilité de l’islam qui se fait grandissante dans l’espace public au Mali depuis une
vingtaine d’années. C’est dans un tel contexte que deux cohortes de jeunes musulmans,
celles de 1990 et de 2012, ont cherché en périodes de crises nationales à élever les principes
de l’islam à un fait total cadrant la société, cela au sein d’associations musulmanes de
quartiers et transnationales afin de s’affirmer socialement, d’une part, et rétablir l’ordre
moral, d’autre part.
politique à visage musulman», Le Reporter, 29 mai 2013, [En ligne] : http://maliactu.net/mohamoud-dicko-president-du-hci-un-dinosaure-politique-a-visage-musulman/, page consultée le 16 novembre 2015. 7 Le HCI fut fondé en 2002, à l’initiative de leaders religieux et avec l’appui de l’État. Chérif Ousman Haïdara y a été élu en 2008. 8 Le concept d’espace public sera défini au chapitre I. 9 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 18.
3
B. Historiographie
Afin de cerner les tenants et aboutissants des constructions identitaires de ces deux
cohortes de jeunes, nous proposons de survoler l’environnement social et religieux dans
lequel ceux-ci ont su prendre possession de l’espace public par l’entremise d’associations
musulmanes. Pour ce faire, il importe de dresser un portrait de la littérature scientifique sur
le sujet. Afin de souligner la dimension religieuse dans son contexte historique et
géographique, nous débuterons par dresser un bilan des travaux effectués sur l’islam en
Afrique de l’Ouest et au Mali. Dans l’intention de mettre en exergue l’investissement de
l’espace public par la jeunesse, nous exposerons l’état général des travaux réalisés autour
des mutations de l’espace public religieux ouest-africain et malien, et de la jeunesse
africaine.
Les islamologues occidentaux ont longtemps centré l’étude de l’islam du point de
vue des marchands, du pouvoir et de l’élite intellectuelle et politique durant la période
coloniale. Au regard du syncrétisme culturel et religieux opéré en Afrique subsaharienne10,
l’islam fut dépeint comme une religion « importée » et « repensée »11. La conciliation des
pratiques animistes et maraboutiques aux pratiques musulmanes a poussé l’ethnologue
Vincent Monteil à qualifier « l’islam noir » de courant « archaïque » 12. De nombreux
auteurs se sont interrogés, au fil des décennies, s’il a été question d’islamisation de
l’Afrique ou d’africanisation de l’islam13. Cette question reste d’une grande pertinence dans
la mesure où elle est encore débattue par les deux principaux mouvements réformistes14
maliens ; d’un côté, les défenseurs d’un islam littéraliste, dit wahhabisme15, prônant un
10 On parle de syncrétisme car l’islam s’est fondu aux pratiques culturelles africaines depuis le XIe siècle, dans une dynamique d’échanges commerciaux et culturels avec des marchands et des courants prosélytes. Voir David Robinson, Les sociétés musulmanes africaines, Paris, Karthala, 2010, 310p. 11 Jean-Claude Froelich, Les musulmans d’Afrique noire, Paris, Éditions de l’Orante, 1962, 406p. 12 Vincent Monteil, L’islam noir, Paris, Seuil, 1971, 418p. 13 Vincent Monteil, op. cit., 1971; Joseph Cuoq, L’Église d’Afrique du Nord du deuxième au douzième siècle, Paris, Le Centurion, 1984, 211p.; David Robinson, op. cit., 2010. 14 Prônant un retour à la forme originelle de l’islam, le réformisme islamique a connu un essor au XIXe siècle. Ses adhérents proposent de «rénover la vie religieuse et de régénérer la doctrine de l’islam». Le réformisme propose de s’en tenir aux préceptes du Texte saint en vue de retrouver une unicité autour de l’identité musulmane, ce qui peut également être identifié comme fondamentalisme en raison de la stricte lecture des textes. Il est à noter qu’il n’y a pas un réformisme, mais plusieurs réformismes dans l’islam. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Réformisme», in Dictionnaire historique de l’islam, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 704. 15 La doctrine wahhabite prône un retour aux traditions prophétiques. Fondée par le théoricien Muhammed ibn Abd Al Wahhab (1704-1792), le wahhabisme est une branche « fondamentaliste » qui prend racine et
4
retour fondamental aux pratiques des ancêtres musulmans, et de l’autre, les partisans d’un
islam populaire et de tradition africaine, incarné par Ousmane Madani Haidara, qui soutient
la compatibilité du fait culturel et religieux16.
Au tournant des années 1980, une conception revisitée de l’islam donne un nouveau
souffle à l’étude. Des auteurs tels que Jean-Louis Triaud et David Robinson démontrent
« l’extrême diversité des attitudes adoptées par les acteurs musulmans »17, la pluralité de
leurs échanges18 et la portée du dynamisme islamique en Afrique subsaharienne19. Quant à
Christian Coulon, il met en exergue les nombreux processus d’innovation sociale et
politique en islam20. Cette effervescence, observée dès les années 1980, est alors renforcée
au tournant des années 1990. Les spécialistes de l’Afrique accordent dès lors un intérêt
grandissant à l’islam dès la fin du XXe siècle. On pense notamment aux travaux dirigés par
Christian Coulon et François Constantin, qui offrent une vision complète de la question
religieuse dans un contexte de transitions démocratiques21. Ousmane Kane et Jean-Louis
Triaud notent dans leurs travaux un engouement islamique « de l’Indonésie à Dakar », un
courant disparate qui « prône le rejet des codes occidentaux et l’adoption de la loi
islamique »22. La mutation du paysage politique, social et religieux ouest-africain a suscité
l’intérêt des chercheurs quant à la vivacité des mouvements sociaux, la transformation des
modes de communication, la multiplicité des mouvements religieux et la relation entre
l’État et la sphère religieuse 23. Dans le même ordre d’idées, les tendances de l’islam
essor en Péninsule arabique. Ce courant défend une application rigoureuse de la shari’a ou Loi islamique, fondée sur le Coran et a comme objectif de construire une unicité de la communauté sunnite et de faire reconnaitre l’existence d’un Dieu unique. L’histoire du courant et sa diffusion au Mali seront abordés au chapitre I. Voir Janine Sourdel et Dominique Sourdel, «Wahhabisme», loc. cit., 1996, p. 847. 16 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 391. 17 Frédérique Madore, « Islam, politique et sphère publique à Ouagadougou (Burkina Faso) », Mémoire de maîtrise, Université Laval, 2013, p. 3. 18 David Robinson & Jean-Louis Triaud, Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française. 1880-1960, Paris, Karthala, 1997, 583p. 19 Guy Nicolas, Dynamique de l’islam au Sud du Sahara, Paris, Publications orientalistes de France, 1981, 335p. 20 Christian Coulon, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire : religion et contre-culture, Paris, Karthala, 1983, p. 6. 21 François Constantin & Christian Coulon, Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala, 1997, 387p. 22 Ousmane Kane & Jean-Louis Triaud, « Introduction », Kane, Ousmane et Triaud, Jean-Louis (dir.), Islam et islamismes au Sud du Sahara. Paris, Karthala, 1998, p. 28. 23 Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud (dir.), Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Karthala, 1998, 330p.
5
politique portées par divers mouvements et associations islamiques sont également
analysées24.
Le paysage africain connaît donc une multiplicité de courants prosélytes
durablement implantés localement; signe de l’existence de connexions et d’influences de
l’islam « global » sur l’islam « local » et inversement. Ces caractéristiques d’un islam dit
« mondialisé » se conjuguent dans l’ensemble des pays musulmans d’Afrique
subsaharienne. Partant de ce postulat, la problématique de l’intégration locale du religieux
dans un contexte d’ouverture territoriale et de mondialisation fut un incontournable dans
l’étude des sociétés musulmanes subsahariennes 25 . En ce sens, l’ouvrage Entreprises
religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest offre une nouvelle lecture sur les
dynamiques religieuses ouest-africaines inscrites dans une logique régionale et
transnationale 26 . Le flux d’échanges culturels, idéologiques et médiatiques, les
déplacements migratoires des populations musulmanes à travers le monde ont entraîné
l’effacement des frontières tangibles ou plutôt leur refonte. Quant à Olivier Roy, il soutient,
dans L’islam mondialisé, que « ce sont de nouvelles frontières qui s’établissent, dépourvues
de tout territoire concret. Elles se fixent dans les esprits, les comportements et les
discours »27. Cette lecture tend à faire valoir les communautés musulmanes subsahariennes
comme un acteur à part entière dans la umma28. Le caractère transnational de l’islam, tel
que souligné plus haut, n’est pas chose nouvelle. On peut même considérer qu’il est
inhérent à l’islam : Weber emploie la notion de « religion mondiale » 29 pour désigner
l’islam et le christianisme dans le sens où ils « sont par vocation transnationales »30. La
« nouveauté » réside dans la facilité et l’immédiateté des échanges transnationaux qui
24 René Otayek, « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires », Revue internationale et stratégique, vol. 4, 2009, p. 51-65; Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, 643p; William F. S. Miles (dir.), Political Islam in West Africa : State-Society Relations Transformed, Boulder, Lynne Rienner, 2007, 221p.; Benjamin Soares & René Otayek, Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala, 2009, 521p. 25 Olivier Roy, L’islam mondialisé, Paris, Seuil, 2002, 209p. 26 Laurent Fouchard, André Mary et René Otayek, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », 537p. 27 Olivier Roy, op. cit., 2002, p. 9. 28 La umma renvoie une unité, imaginée et souhaitée, de la grande communauté de musulmans. Transcendant les frontières et les nations, cette identité est revendiquée par plusieurs dirigeants d’associations et musulmans à travers le monde. Voir le collectif publié par le Centre d’étude d’Afrique noire en 2003, L’Afrique politique 2002 : l’islam d’Afrique, entre le local et le global, Paris, Karthala, 2003, 358p. 29 Max Weber, Études de sociologie de la religion, Paris, Éditions Plon, 1964, 3 volumes. 30 Laurent Fouchard et André Mary, loc. cit., 2005, p.10.
6
conduisent à parler d’une « cocalisation » du monde, soit une uniformisation du fait culturel
et religieux31. Les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, abordent la question par
le prisme de l’économie religieuse globale dont la conjoncture mondiale – libéralisation de
l’économie de marché – a bénéficié aux marchands religieux, aux étudiants formés dans les
universités islamiques du monde musulman, et plus largement à la umma32.
Au vu de ces dynamiques, certains auteurs comme Charlotte Quinn et Frederick
Quinn rappellent que l’islam ne constitue pas un bloc monolithique, qu’il est plutôt animé
par de nombreuses tendances et contradictions 33 . Considérant l’éclatement du champ
musulman en Afrique subsaharienne, plusieurs chercheurs parleront d’islam au pluriel afin
d’exposer la multiplicité des courants et acteurs religieux. Cette pluralité est perceptible
dans les tensions existantes entre les confréries et les divers courants religieux musulmans
qui laissent voir une quête de légitimité et « d’influence au sein de la communauté
musulmane » 34 par les acteurs actifs, mais également dans les débats politiques à
connotation religieuse35.
Bien qu’elle ait été brièvement survolée, la littérature scientifique portant sur l’islam
en Afrique subsaharienne est foisonnante. Cependant, les études qui se penchent
spécifiquement sur le Mali sont beaucoup plus rares. Au tournant des années 1980,
d’importantes études ont été consacrées à l’émergence du wahhabisme et l’islam
traditionnel confrérique au Mali36. Provenant de la terre sainte de l’islam, et donc du centre
spirituel musulman, le wahhabisme porte un discours et une légitimité qui provoquent, dans
31 Jocelyne Cesari, L’islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, Éditions La Découverte, 2004, 291p. 32 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, « Introduction thématique. L’islam subsaharien entre économie morale et économie de marché : contraintes du local et ressources du global », Afrique contemporaine, vol. 3, no. 231, 2009, p. 23-42. 33 Charlotte A. Quinn et Frederick Quinn, Pride, Faith, and Fear: Islam in Sub-Saharan Africa, New York, Oxford University Press, 2003, 175p. 34 Muriel Gomez-Perez, « Autour de mosquées à Ouagadougou et à Dakar : lieux de sociabilité et reconfiguration des communautés musulmanes », in Fouchard, Laurent et al. (dir.), Lieux de sociabilité urbaine en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 21. 35 Adrianna Piga, Islam et villes en Afrique du sud du Sahara : entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala, 2003, 422p. 36 Louis Brenner, West African Sufi. The religious heritage and spiritual search of Cerno Bokar Saalif Taal, Londres, Hurst, 1984, 223p. ; Jean-Loup Amselle, « Le Wahhabisme à Bamako (1945-1985) », Canadian Journal of African Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, vol.19, no. 2,1985, p. 345-357.; Jean-Louis Triaud, « Abd al-Rahman l’African (1908-1957). Pionnier et précurseur du Wahhabisme au Mali », in Odile Carré et Pierre Dumont (dir.), Les radicalismes islamiques, Paris, L’Harmattan, 1986, p.162-179; Louis Brenner, « Constructing Muslim identities in Mali », in Louis Brenner (dir.), Muslim Identity and Social Change in Sub-Saharan, Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 59-78.
7
le cas du Mali, une rupture entre ses adhérents et le reste de la communauté musulmane37.
L’historien Lansiné Kaba soutient, dans le premier important ouvrage publié sur la
question, que le réformisme proposé par les wahhabia, qui s’implanta dans l’ensemble de
l’Afrique de l’Ouest dès les années 1950, provoqua un débat si passionnel que chaque
membre de la communauté musulmane dut prendre position38.
Les changements opérés aux plans politique et social dans les années 1990 –
avènement de la démocratie, libéralisation de la vie associative, élections multipartistes –
entrainent une nouvelle approche dans l’étude des dynamiques religieuses au Mali.
Effectivement, l’analyse développementaliste prédomine en établissant un lien de cause à
effet entre la faillite étatique et la prégnance de l’islam. La libération des restrictions des
droits d’expression et d’association, subséquente au processus démocratique, a entraîné une
profusion d’associations musulmanes 39 , et par là même l’élargissement de l’islam à
l’espace public. L’effervescence du religieux amène des auteurs tels que Bintou Sanankoua,
Rosa de Jorio et Louis Brenner à se pencher sur les mécanismes mis en place par les acteurs
qui en sont porteurs. À cet effet, Bintou Sanankoua met l’accent sur l’impact des structures
associatives féminines sur la vie des adhérentes en soulignant que « les associations
féminines sont un instrument de libération entre les mains des femmes musulmanes. Elle
leur permet de rompre le monopole de connaissance islamique des hommes et d’exiger leur
dû en connaissance de cause »40. Un mouvement féminin, qui le rappellera Rosa de Jorio,
reprend des idiomes religieux traditionnellement réservés aux hommes41.
L’émergence du religieux dans l’espace public n’est pas réduite par les auteurs à un
effet réactionnaire isolé. En soutenant que le « Mali a servi de laboratoire de l’islam
contemporain » 42 , certains chercheurs 43 mettent en exergue le rôle qu’a joué l’Arabie
37 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357. 38 Lansine Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French West Africa, Evanston, Northwestern University Press, 1974, p. 254. 39 Bintou Sanankoua, « Les associations féminines musulmanes à Bamako », in Bintou Sanankoua, dir., L’enseignement islamique au Mali, Bamako, Éditions Jamana, 1991, p.105. 40 Bintou Sanankoua, loc. cit., 1991, p. 125. 41 Rosa de Jorio, « Between Dialogue and Contestation: Gender, Islam and the Challenges of a Malian public sphere», Journal of the Royal Anthropological institute, vol. 15, no. 1, 2009, p.103. 42 Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud, loc. cit., 1998, p. 16. 43 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345-357; Louis Brenner, « La culture arabo-islamique au Mali », in René Otayek (dir.), Le radicalisme islamique au sud du Sahara : Da'wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, Karthala, 1996, p. 161-186; Dorothea Schulz, « Remaking Society from within : Extraversion and the
8
Saoudite dans la « montée » de l’islam dans la société malienne. Entre les années 1980 et
1990, ce pays a été un important pourvoyeur de la promotion islamique au Mali par le
financement de madâris, la construction de mosquées, l’octroi de bourses à des étudiants
maliens, etc. L’un des éminents spécialistes du Mali, Benjamin Soares, considère d’ailleurs
que ce serait la doctrine conservatrice musulmane prônée par l’Arabie Saoudite, soit le
wahhabisme, qui prédomine dans l’espace malien 44 . Cet auteur tout comme Stephen
Harmon dresse un portrait du paysage religieux et de la relation entre l’État et le religieux
qu’ils qualifient de poreuse à certains égards45. L’omniprésence de l’islam dans les us et
coutumes, l’espace public et les pratiques quotidiennes est telle que selon Benjamin Soares,
« être Malien équivaut à être musulman »46. Ce dernier soulève également la complexité de
l’influence des groupes sociaux dans l’espace public et les affaires politiques, en soulignant
non seulement la dynamique religieuse, alors animée par « l’éducation religieuse, les
sermons, un visuel médiatique omniprésent et des organisations musulmanes influencées
par les connexions transnationales et globales »47, mais aussi l’importante mobilisation de
jeunes étudiants à l’origine du renversement du régime Traoré 48 . L’espace public
musulman aurait ici nourri un double sentiment d’appartenance, à une communauté
musulmane malienne et à une communauté supranationale.
Afin de rendre compte des changements observés au Mali, des auteurs se sont
également intéressés aux dynamiques sociales, par le prisme des associations musulmanes,
du parcours de leaders religieux émergents ou des prêcheurs de plus en plus présents dans
l’espace public 49. Françoise Bourdarias s’est penchée sur les parcours de militants qui
social Forms of Female Muslim Activism in Urban Mali », in Barbara Bompani et Maria Frahm-Arp (dir.), Development and Politics from below: Exploring Religious spaces in the African States, Londres, Palgrave Macmillan, 2008, p.74-96. 44 Benjamin Soares, « Islam and Public Piety in Mali », in Dale Eickelman et Armando Salvatore (dir.), Public Islam and the Common Good, Boston, Brill, 2004, p. 205-226. 45 Benjamin Soares, « Islam in Mali in Neoliberal Era », African Affairs, vol. 105, no. 418, 2006, p.77-95; Stephen A. Harmon, « Religion and the Consolidation of Democracy in Mali : the dog doesn’t bark », Democracy and Development : Journal of West African Affairs, vol. 5, no. 1, 2005, p. 8-30. 46 Benjamin Soares, loc. cit., 2004, p. 217. 47 Ibidem. 48 Benjamin Soares, « Rasta Sufis and Muslim Youth Culture in Mali », in Linda Herrera et Asef Bayat (dir.), Being Young and Muslim: New Cultural politics in the Global South and North, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 241-257. 49 Naffet Keïta, « Mass médias et figures du religieux islamique au Mali : entre négociation et appropriation de l’espace public », Africa Development, no. 36, 2012, p. 97-118; Dorothea E. Schulz, « A Fractured Soundscape of the Divine. Female Preachers, Radio Sermons and Religious Place-making in Urban Mali », in
9
s’inscrivent dans un courant réformateur et qui, par le fait même, s’éloignent de la figure du
militant privé de moyens50. Quant à Robert Deliège, il soulève le poids des associations
dans la construction identitaire et le sentiment d’appartenance des militants51. Par ailleurs,
les deux auteurs, Gilles Holder et Maud Saint-Lary, considèrent que l’espace public malien
est une illustration de l’interaction étroite entre le politique et le religieux, dans la mesure
où il sert « de lieu de subjectivation politique autour d’une revendication identitaire et
culturelle de l’islam en cohérence avec l’identité nationale »52.
L’investissement de l’espace public par une multitude d’acteurs religieux conduit
des chercheurs à analyser la notion d’espace public religieux. À ce titre, Naffet Keïta s’est
penché sur le regain de l’islam au Mali par l’entremise des prêcheurs dominant l’espace
public. Keïta soutient qu’au regard du pouvoir de captation des prêcheurs, « une troisième
voie à la religiosité est en train de se constituer [au Mali] en dehors des rivalités entre
l’islam traditionnel et puriste »53. Quant à Dorothea Schulz, elle souligne l’apparition de
nouveaux acteurs tels que des jeunes militants musulmans et des femmes prêcheuses.
L'auteure révèle dans ses travaux une multitude de courants ne formant pas un bloc
monolithique, mais qui se sont engagés dans un projet modernisateur symbolisé par un
« renouveau islamique » 54 . Utilisant des outils de diffusion diversifiés, ces nouveaux
acteurs ont gagné un statut de leaders religieux, participant du fait même à la
« démocratisation de la connaissance religieuse » 55 . Celle-ci a approché les nouveaux
courants moralisateurs par l’entremise des militants et s’est penchée sur les voies que ces
derniers adoptent pour « se rapprocher de Dieu ». Elle soulève alors dans son ouvrage,
Patrick Desplat et Dorothea E. Schulz (dir.), Prayer in the City : The Making of Muslim Sacred Places and Urban Life, Bielefeld, Transcript, 2012a, p. 239-264; Ferdaous Bouhlel Hardy, « Les médersas du Mali : réforme, insertion et transnationalisation du savoir islamique », Politique étrangère, no. 4, 2010, p. 819-830. 50 Françoise Bourdarias, « L’imam, le soufi et Satan : religion et politique à Bamako (Mali) », in Hélène Bertheleu et Françoise Bourdarias (dir.), Les constructions locales du politique, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2008, p. 115-139; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 51 Robert Deliège R., « Les associations comme supports identitaires », in Momar-Coumba Diop et Jean Benoist (dir.), L’Afrique des associations : entre culture et développement, Paris, Karthala, 2007, p. 103-107. 52 Gilles Holder et Maud Saint-Lary, « Enjeux démocratiques et (re)conquête du politique en Afrique », Cahiers sens public, vol. 1, no.15-16, 2013, p. 186. 53 Naffet Keïta, loc. cit., 2012, p.107. 54 Dorothea Schulz, « Evoking moral community, fragmenting Muslim discourse : Sermon audio-recordings and the reconfiguration of Public debate in Mali », Journal for Islamic Studies, vol. 27, no.1, 2007, p. 39-72. 55 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2012a, p. 243.
10
Muslims and New Media in West Africa. Pathways to God 56, l’ambiguïté du renouveau
moralisateur au Mali qui défie les mécanismes étatiques tout en cherchant à les intégrer, par
le biais de partenariats ou de collaborations. Au regard de ces dispositions, l’islam devient
un moyen d’accéder à un espace de négociation et d’expression.
Ceci nous amène à explorer un sujet sociologique largement étudié au cours des
dernières années par les historiens spécialistes de l’Afrique de l’Ouest, soit la jeunesse.
Dans la mouvance euphorique post-indépendance, certains auteurs soulignent les prémisses
de rapports inégaux entre aînés et « cadets sociaux »57 et une récupération politique de la
jeunesse 58. En ce qui a trait aux jeunes, proprement dits, à l’exception de l’important
ouvrage dirigé par Hélène d'Almeida-Topor et alii, Les jeunes en Afrique, XIXe et XXe
siècle, paru en 1992, qui offre une réflexion approfondie sur la question, peu d’historiens se
sont penchés sur le sujet avant les années 1990. La jeunesse a été en revanche
abondamment étudiée par des anthropologues, sociologues et politicologues59. Parmi les
différentes trajectoires, une vision plutôt défaitiste définit la jeunesse comme une
génération « perdue »60. Cette vision renvoie à une jeunesse appartenant à une époque
marquée par une morosité économique et politique qui persiste dès les années 1980, à la
suite des ajustements structurels imposés aux États africains par le Fonds Monétaire
International (FMI) et la Banque Mondiale. Dans l’ensemble, les ajustements structurels
ont entraîné la diminution du pouvoir d’achat et le désinvestissement de l’État dans les
affaires publiques, ce qui a eu pour effet d’accentuer les écarts de classes et le
mécontentement social61. Comme l’ont souligné Mamadou Diouf et René Collignon, « la
question des jeunes n’est visible que lorsqu’il s’agit de perturbations ou controverses de
56 Dorothea Schulz, Muslims and New Media in West Africa: Pathways to God, Bloomington, Indiana University Press, 2012c, 306p. 57 Karl Mannheim, Le problème des générations, Paris, Colin, 2011 [1928], 162p. 58 Achille Mbembe, Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire. Paris, L’Harmattan, 1985, 247p. 59 El-Kenz, « Les jeunes et la violence », in Stephen Ellis (dir.), L’Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995, p. 88-109; Tshikala Biaya, « Jeunes et culture de la rue en Afrique urbaine », Politique africaine, vol. 4, no. 80, 2000, p. 12-31; John Comaroff et Jean Comaroff, « Réflexions sur la jeunesse : du passé à la postcolonie », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 90-110; René Collignon & Mamadou Diouf, « Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p. 5-15; Filip De Boeck et Alcinda Honwana, Makers and Breakers : Children and Youth in Postcolonial Africa, Oxford, James Currey, 2005, 244p. 60 Donal Cruise O’Brien, « A lost generation? Youth identity and state decay in West Africa », in Richard Werbner, dir., Postcolonial identities in Africa, London, Zed Books, 1996, p. 55-74. 61 Benjamin Soares, loc. cit., 2010.
11
l’ordre public »62. Les jeunes sont donc vus comme une source d’infortune63. En raison du
contexte socioéconomique difficile, les jeunes sont présentés comme porteurs de violence
et de dissidence64. De nombreux écrits soulignent la précarité, la marginalisation de la
jeunesse ce qui conduit à des dysfonctionnements sociopolitiques 65 et à une hybridité
identitaire qui s’articule entre l'individualisation (ou quête individuelle) et la fidélité à la
communauté, locale et élargie66.
Au tournant des années 2000, les auteurs ont défini la jeunesse africaine en la
distinguant de la jeunesse occidentale en tant que catégorie transhistorique et
transculturelle 67 . On dépeint alors une jeunesse qui s’organise soit en parallèle aux
systèmes étatiques ou en partage, et qui s’inscrit dans les logiques de la modernité, soit par
l’affirmation de son individualité et par l’intégration d’une dynamique culturelle et
économique mondialisée 68 . La « débrouillardise » et la capacité « d’agency » de cette
jeunesse désœuvrée 69 témoignent de l’espace de création et d’expression qu'elle s’est
approprié dans les sociétés ouest-africaines. C’est dans cette perspective que les travaux de
Muriel Gomez-Perez et de Marie Nathalie LeBlanc mettent en exergue les dynamiques
d’individualisation dans l’espace public et religieux 70 . Les auteures soulignent qu’en
investissant l’espace urbain, les jeunes cherchent à divulguer leur islamité par l’adoption de
nouveaux codes culturels, mode de vie et lieux de sociabilité. Cette démonstration publique
de leur islamité s’illustre en concomitance avec des appartenances locales et nationales et
62 Mamadou Diouf et René Collignon, « Introduction. Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations », Autrepart, no. 18, 2001, p.10. 63 Filip De Boeck et Alcinda Honwana, op. cit., 2005. 64 Jennifer Cole et Deborah Durham, « Introduction : Age, Regeneration, and the Intimate Politics of Globalization », in Jennifer Cole et Deborah Durham (dir.), Generations and Globalization : Youth, Age, and Family in the New World Economy, Bloomington, Indiana University Press, 2007, p. 1-28; Ali El-Kenz, loc. cit.,1995. 65 Jon Abbink et Ineke Van Kessel, Vanguard or Vandals : Youth, Politics, and Conflict in Africa, Leiden, Brill, 2005, 300p. 66 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, « Jeunes musulmans et citoyenneté culturelle : retour sur des expériences de recherche en Afrique de l’Ouest », Sociologie et sociétés, vol. 39, no. 2, 2007, p. 39-59; Benjamin Soares, loc. cit., 2010. 67 Mamadou Diouf et René Collignon, loc. cit., 2001, p. 5-15. 68 John Comaroff et Jean Comaroff, loc. cit., 2000; Tshikala Biaya, loc. cit., 2000. 69 Jennifer Cole et Deborah Durham, loc. cit., 2007, p. 1-28; Alcinda Honwana, « Innocents et coupables : Les enfants-soldats comme acteurs tactiques », Politique africaine, no. 80, 2000, p. 58-78. 70 Muriel Gomez-Perez & Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2007; Marie Nathalie LeBlanc, « Les trajectoires de conversion et l'identité sociale chez les jeunes dans le contexte postcolonial ouest-africain : les jeunes musulmans et les jeunes chrétiens en Côte-d'Ivoire », Anthropologie et société, vol. 27, no. 1, 2003, p. 85-110.
12
avec un attachement à une « citoyenneté de type universel et contemporaine qui tient
compte d’une certaine manière des relations mondialisées »71.
Quant aux spécialistes du Mali, ils observent un élan de la jeunesse musulmane dans
l’espace public religieux. Benjamin Soares et Dorothea Schulz ont rendu compte du
dynamisme des associations religieuses au sein desquelles de jeunes activistes appellent à
un retour au fondamentalisme islamique et dénoncent toute dérive culturelle non conforme
aux pratiques religieuses, autrement qualifiées d’« unlawful innovations »72. Ces derniers
s’inscrivent dans un mouvement de revendications qui se fait par le biais d’actions
politiques dites non traditionnelles où les jeunes « invoquent couramment la religion au sein
des associations »73. Les capacités d’influence de la jeunesse malienne ne s’illustrent pas
seulement par la prépondérance des organisations sur des questions politiques, mais
également dans la mise en visibilité de son islamité dans l’espace public. Des chercheurs
avancent que des codes vestimentaires et langagiers sont adoptés par les disciples afin de
distinguer les courants musulmans, mais aussi, désigner le « bon musulman » du musulman
de naissance74. Benjamin Soares rapporte que les jeunes s’engagent dans la publicisation de
l’islam lorsque ceux-ci exposent ouvertement l’assiduité à laquelle ils fréquentent la
mosquée et en divulguant fièrement le seere 75 . Ces pratiques témoignent, certes d’un
engagement croissant du fidèle dans sa foi, mais également d’une montée du piétisme au
Mali. On observe, dans les espaces musulmans de sociabilité, un intérêt grandissant pour la
question sur la piété du musulman et les codes à adopter pour faire figure de « bon
musulman »76.
À la lecture du bilan historiographique, nous constatons que la littérature relève la
pluralité islamique et diverses figures de la jeunesse africaine. Les auteurs ont aussi centré 71 Muriel Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, coll. « Hommes et sociétés », p. 21. 72 Dorothea E. Schulz, op. cit., 2012c. 73 Benjamin Soares, loc. cit., 2010, p. 242. 74 Gilles Holder, «Vers un espace public religieux : Pour une lecture contemporaine des enjeux politiques de l’islam au Mali», in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009; Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008. 75 Le seere (en bambara, langue courante au Mali) est une tâche pigmentaire qui apparaît sur le front du fidèle lorsqu’il pratique régulièrement la prière. L’un des mouvements du rituel de prière consiste à se prosterner et mettre la tête au sol, ainsi une tâche peut apparaître à force de répéter le mouvement. Elle témoigne aux yeux de tous de la foi du croyant, voir Benjamin Soares, loc. cit., 2004. 76 Benjamin Soares, loc. cit., 2004, p. 206.
13
les études, au cours des vingt dernières années, sur les effets et les impacts locaux de la
globalisation de l’islam. Parallèlement, on remarque de nouvelles approches dans l’analyse
de la jeunesse qui mettent en exergue la « débrouillardise » et les multiples capacités
d’affirmation dont elle fait preuve. Le présent mémoire s’inscrit dans cette tendance en
centrant l’analyse autour du croisement du religieux, du politique, de l’individu et de
l'appartenance à une communauté afin de rendre compte de l'aspect ambivalent des
dynamiques identitaires de jeunes maliens dans des contextes de profondes crises
politiques.
C. Problématique et hypothèses
Au regard de l’importante montée du piétisme, de l’apparition de nouvelles figures
religieuses et de la proximité entre le fait religieux et politique, nous sommes amenés à
nous pencher sur les dynamiques d’une effervescence islamique au Mali fortement investie
par des jeunes urbains. Par l’entremise d’associations musulmanes, des jeunes activistes
bamakois appellent à une « remoralisation » de la société et dénoncent toute dérive
culturelle non conforme aux pratiques religieuses. Les actions de cette jeunesse 77 ne
s’illustrent pas seulement par leur investissement dans l’espace public et dans les affaires
politiques, mais également par la visibilité de leur « islamité » qui passe par l’adoption d’un
code de comportement ou d’un discours moralisateur78. Au-delà du cadre associatif, ces
actions trouvent écho dans des espaces à caractère laïque, tels que des grins de quartier, des
stades ou bien même des commerces.
Alors que l’on observe une montée du piétisme depuis les années 1990 et un
investissement croissant de la jeunesse musulmane dans la sphère islamique malienne, la
présente recherche se penchera sur la pluralité des systèmes d’appartenance et des
constructions identitaires qui en résultent. Cette pluralité est alimentée par des facteurs
77 Ce groupe à l’étude est constitué de jeunes musulmans bamakois. Ceux-ci sont définis par leur parcours de vie et par les différentes étapes d’insertion sociale qu’ils affrontent et qui les maintiennent dans un statut de «jeune social». L’emploi de cette notion justifie le fait que cette jeunesse n’est pas catégorisée par l’âge biologique mais plutôt par son insertion sociale. Or, les jeunes à l’étude se présente comme suit : jeunes musulmans scolarisés ou non, sans emploi, célibataire (civilement) et dépendant financièrement. Ainsi, un homme âgé d’une trentaine d’années correspondant à ce profil est encore considéré, aux yeux de sa famille et de la société, comme étant un jeune. 78 Gilles Holder, loc. cit., 2009.
14
internes, tels que les tensions idéologiques entre les différents courants musulmans présents
au Mali, et par des facteurs externes, tels que les flux financiers provenant des pays du
Moyen-Orient, ainsi que par les conflits à caractère religieux qui traversent la région
sahélienne. On se penchera ainsi sur les mécanismes de quêtes identitaires qui s’inscrivent
dans un islam tant local que globalisé et dans des contextes politiques difficiles, soit la crise
nationale de 1990 et celle de 2012. Nous avançons donc l’idée que les jeunes s’insèrent
dans plusieurs systèmes d’appartenances religieuses selon les circonstances propres à leurs
époques. À l’image d’une sphère religieuse plurielle, les divers parcours des jeunes
musulmans illustrent de multiples voies d’être et d’affirmer son islamité. Nous pensons
donc que «l’étude des identifications diverses opérées au moyen du concept d’islam offre
[…] une clé importante pour la compréhension des rapports entre islam, conscience
nationale […] et processus d’internationalisation »79.
Il importe également de mentionner que ces identités, d’une jeunesse en quête
d’affirmation, s’inscrivent dans une société où le fait religieux s’illustre comme un fait
social total. Or, l’engagement de la jeunesse malienne dans la sphère islamique vivifie
véritablement le fait religieux, entraînant son intégration dans toutes les sphères de la
société. L’intrusion des affaires privées et religieuses dans l’espace public, dit indépendant,
entraînerait finalement sa refonte. Autrement dit, l’identité musulmane malienne serait
influencée par une dynamique quasi fusionnelle entre le public et le privé, le politique et le
religieux, le local et global80.
Cette pluralité d’appartenances met en exergue un processus d’individualisation81
qui répond à une recherche d’équilibre entre une quête personnelle d’affirmation et un
souci de s’intégrer à l’ensemble de la communauté musulmane 82 . Autrement dit,
l’accomplissement d’un projet de société serait réalisable avec la participation quotidienne
de chaque individu et le respect des valeurs islamiques. En effet, les jeunes, motivés à la
fois par une quête personnelle et par la volonté d’intégrer une communauté religieuse
79 Jacques Waarbenburg, « L’islam et l’articulation d’identités musulmanes », Social Compass, vol. 41, no. 1, 1994, p. 22 80 Lors de la célébration de la journée d’Al-Qods, tenue à la mosquée de Missira II, les représentants religieux présents ont fait appel « à l’unité de la Umma islamique » et à sa mobilisation pour la libération de la Palestine. Amadou N’Fa Diallo, « Journée d’Al-Qods : Musulmans, unissez-vous! », L’Aube, 8 octobre 2007. 81 Le concept d’individualisation sera défini au chapitre I, p. 18. 82 Benjamin Soares, loc. cit., 2004.
15
élargie, s’évertuent à divulguer leur islamité par l’adoption de nouveaux codes culturels,
d’un nouveau mode de vie, par l’investissement d’associations islamiques et de lieux de
sociabilité à caractère religieux. Cet engagement dans divers ces réseaux renferme des
aspirations tant personnelles que collectives. Dans cette perspective, l’articulation des deux
quêtes de la jeunesse maliennne, l’une identitaire et l’autre sociale est mise en exergue. Le
désir de « remoraliser » la société est porté par les Maliens musulmans de toutes tendances,
profils et générations confondus. Ce projet social est attesté par une surenchère de l’identité
musulmane au quotidien.
Par ailleurs, ces appartenances révèlent des dichotomies identitaires. Les diverses
crises sociales et politiques, qui gagnent également un caractère moral, invitent les acteurs
de la communauté musulmane à participer aux débats sociaux qui concernent les valeurs
islamiques83. Dans certains cas, les jeunes mettent de l’avant leur identité confessionnelle
(islamité) au détriment de leur identité nationale (le fait d’être Malien avant tout) ou
l’inverse, tandis que d’autres sont en quête d’entre-deux. Dans un contexte de crise, où
l’unité et l’identité nationale sont mises à mal, on en vient à s’interroger sur l’impact du fait
global sur le local84. Un double discours surgit en réaction à l’influence des divers courants
et mouvements musulmans et transnationaux : certains jeunes rejettent vigoureusement les
pratiques religieuses considérées comme étrangères au Mali, tandis que d'autres appellent à
leur intégration voire à leur mise en exergue. On en vient à parler d’une scission identitaire
et confessionnelle.
83 Christian Coulon, op. cit., 1983, p. 26. 84 René Collignon et Mamadou Diouf, loc. cit., 2001.
16
D. Plan du mémoire
Avant d’entamer la démonstration de la problématique, il sera question, dans un
premier temps, de la constitution du corpus et de la méthodologie adoptée. Les concepts
clés, les sources employées et l’approche méthodologique seront clarifiées dans un premier
chapitre. Le deuxième chapitre sera consacré aux stratégies des deux associations
musulmanes à l’étude, l’UJMMA et Ançar Dine, ainsi qu’aux tensions profondes qui
colorent les relations entre les représentants religieux. Ceci permettra de mettre en
perspective la complexité et le pluralisme de la sphère religieuse malienne. Le troisième
chapitre offrira une réflexion sur l’impact de la crise nationale, identitaire et morale
malienne sur les constructions identitaires et la représentation de l’Autre. Nous mettrons en
perspective la lecture qu’en font les membres associatifs et les leaders religieux, ainsi que
les solutions proposées pour une sortie de crise.
17
Chapitre I
CONCEPTS, SOURCES et MÉTHODOLOGIE
Avant d’en arriver à la démonstration, il importe dans un premier temps, de définir
les concepts phares et utiles à la compréhension de la problématique, à savoir «espace
public», «jeunes» et «individualisation». Dans un deuxième temps, nous présenterons le
corpus de sources utilisées et la méthode employée. Dans un troisième temps, nous nous
attarderons sur le traitement des sources orales, une méthode largement exploitée dans les
travaux effectués en Afrique de l’Ouest, tant en anthropologie, en sociologie qu’en histoire
contemporaine. Pour terminer, nous effectuerons un retour sur le terrain de recherche afin
d’aborder ses limites et ses avantages.
A. « Espace public », « jeunesse » et « individualisation » : définition des
concepts clés
Il est incontournable, voire inévitable, d’élaborer une historiographie de l’espace
public sans souligner l’œuvre d’Habermas Jürgen 85 . Le philosophe et théoricien situe
l’espace public entre la sphère privée (de l’ordre du domestique) et la sphère du pouvoir
public (domaine de l’État). Bien que l’ouvrage de Calhoun propose une lecture critique de
son œuvre en regard notamment de l’absence du religieux86, l’étude du concept en Afrique
devient d’autant plus importante depuis l’affirmation de la société civile dans l’espace
public et religieux. Pour faire état des réalités ouest-africaines, il est essentiel de dépasser le
caractère normatif du concept habermassien d’espace public qui s’inscrit essentiellement
dans l’histoire européenne87. En ce sens, le collectif dirigé par Gilles Holder est pertinent;
l’auteur y analyse l’étroite relation entre l’espace public et religieux et l’organisation des
acteurs sociaux, notamment au Mali, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. On
fait part dans l’ouvrage d’une « densification du religieux dans l’espace public », alimentée
85 Voir Jügen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, 324p. 86 Voir l’ouvrage de Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere, Cambridge, MIT Press, 1992, 498p. 87 Michèle Leclerc-Olive, « Sphère publique religieuse : enquête sur quelques voisinages conceptuels », in Gilles Holder (dir.), Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 38.
18
par l’émergence de nouveaux acteurs politiques88. L’espace public, entendu comme une
sphère indépendante de l’espace privé et politique, ne s’applique pas de la même manière
au Mali. L’intrusion du religieux dans les affaires publiques et privées reconfigure les
limites théoriques du concept. Gilles Holder rejoint la notion du « fait social total » soutenu
par Marcel Mauss, en soulevant l’étroite articulation observée au Mali entre le public et le
privé, le politique et le religieux, et finalement l’individu et Dieu89. Dans le présent travail,
nous tenterons d’évaluer le poids des acteurs religieux dans les débats publics, la relation
entre ceux-ci et l’État et la dynamique religieuse dans l’espace public. L’usage du concept
d’espace public nous éclairera sur l’influence des associations musulmanes et des
confréries qui se substituent dans une certaine mesure à l’État90.
Par ailleurs, un autre concept, indispensable à la compréhension des interactions
sociopolitiques en Afrique de l’Ouest, est à prendre en compte, celui de jeunesse. Il ne se
définit pas uniquement selon des critères biologiques, mais également selon des critères
sociaux. L’anthropologue Meyer Fortes souligne dans ses travaux que les stades de la vie
sont déterminés par des signes biologiques, mais aussi par la structure sociale et culturelle
encadrant l’individu91. Dans la même lignée, l’anthropologue Deborah Durham souligne
que le concept de jeunesse ne peut être basé que sur un âge biologique. Elle suggère de
prendre en considération le contexte social et culturel et d’autres variables telles que le
genre, la religion, la classe sociale, les responsabilités et l’ethnie92. Autrement dit, dans les
sociétés africaines, un adulte peut être considéré comme tel s’il respecte plusieurs critères, à
savoir celui d’être indépendant financièrement, marié et en mesure de subvenir aux besoins
de sa famille93. Cette étape particulière de la vie, appelée « life-stage » par l'anthropologue
Karl Mannheim, située entre l’enfance et l’âge adulte est élastique. Cet auteur souligne que
le concept de la jeunesse, en tant que catégorie sociale, est à situer selon le contexte auquel
88 Gilles Holder, loc. cit., 2009, p. 12. 89 Ibidem. 90 Aminata Diaw, « Nouveaux contours de l’espace public en Afrique », Diogène, vol. 2, no. 206, 2004, p. 39. 91 Meyer Fortes, « Age, Generation, and Social Structure », in David I. Kertzer et Jennie Keith (dir.), Age and Anthropological Theory, Ithaca, Cornell University Press, 1984, p. 99-122. 92 Deborah Durham, «Youth and the Social Imagination in Africa : Introduction », Anthropological Quarterly, vol. 73, no. 3, 2000, p.116. 93 Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2003, p. 94.
19
il appartient, suivant le partage d'un destin commun et au regard des relations et influences
mutuelles qu’il entretient avec les autres groupes d’âge94.
Enfin, considérant l’approche adoptée dans cette recherche, l’on ne pourrait faire
l’économie de définir un troisième et dernier concept, celui d’individualisation. L’on ne
saurait ignorer l’ouvrage d’Alain Marie, L’Afrique des individus, dans lequel il fait poindre
le concept « d’individuation » et « d’individualisation »95. Afin de saisir les dynamiques
sociales africaines, Alain Marie s’est penché, dans ses travaux, sur l’individu en tant que
sujet d’étude en avançant une thèse qui « exclut l’alternative entre individualisme et
communautarisme »96. Les nuances et les distinctions sont à établir afin de mieux saisir les
mécanismes d’émergence des jeunes musulmans. L’individuation définit l’individu en tant
que personnalité nécessaire au fonctionnement du système social, ses actions répondent au
bien commun. Autrement dit, on parle ici d’un « procès banal de la reconnaissance
quotidienne de l’individualité des individus […], sous conditions, quand il s’agit de gens
ordinaires, qu’ils sachent rester à la place qui leur est assignée » 97 . Tandis que
l’individualisation renvoie à l’émancipation de l’individu, soit un processus
d’affranchissement et de distanciation de la communauté. Une distanciation du groupe qui,
toutefois, peut s’effectuer de manière partielle ou relative, « en ce sens qu’elle implique non
pas de ruptures, mais des réaménagements sélectifs »98. Cette dernière définition rejoint
notre lecture de parcours des témoins rencontrés au Mali.
B. Corpus des sources primaires
Ce mémoire s’appuie sur un corpus de sources variées. Afin de mener à terme notre
démonstration, nous avons employé à la fois des sources orales issues d’entretiens menés
auprès de militants musulmans, de responsables d’associations religieuses et de leaders
religieux, dans le cadre d'un travail de terrain qui a duré deux mois, ainsi que de sources
94 Karl Mannheim, op. cit., 2011 [1928], p. 50. 95 Alain Marie, L’Afrique des individus, Paris, Karthala, 1997, 438p. 96 Alain Marie, « Communauté, individualisme, communautarisme: hypothèses anthropologiques sur quelques paradoxes africains », Sociologie et société, vol. 39, no. 2, 2007, p.177. 97 Alain Marie, op. cit., 1997, p.73. 98 Alain Marie, op. cit., 1997, p.105.
20
écrites, tels que des articles de journaux locaux et de documents légaux d’associations à
l’étude.
a) Les sources orales
Dans l’objectif de poursuivre des études de cas, la collecte des sources la plus
importante s’est effectuée à Bamako. En plus d’être la capitale du Mali, Bamako est le
centre administratif, politique et culturel du pays. La croissance démographique et
économique ainsi que le renouveau politique font de cette ville le lieu où siègent les
principales associations islamiques et où s’observe la plus importante mobilisation sociale.
Par ailleurs, notre choix s’est arrêté sur le quartier Bankoni, situé en périphérie de la
capitale, en raison de l’effervescence religieuse qui s’observe à la suite de l’implantation
des quartiers généraux d’Ançar Dine en 1991. On y retrouve aujourd’hui une mosquée
appartenant au mouvement, pouvant accueillir des milliers de fidèles et une école coranique
d’une capacité de 2000 élèves99. Le travail de terrain nous a menés dans d’autres quartiers
de Bamako, notamment dans la Dravéla et l’ACI-2000, le premier est un quartier populaire
situé au centre-ville et le deuxième, plus aisé, est occupé par les grandes organisations
religieuses internationales et les corps d’armée étrangers. On retrouve, par ailleurs, au cœur
de l’ACI-2000, le siège de l’UJMMA et la résidence de son leader, Macky Bah.
Notre objectif sur le terrain était d’abord de rejoindre deux générations de jeunes –
une première génération qui a connu une crise nationale et une transition démocratique en
1990 (13 personnes) et la génération de jeunes d’aujourd’hui (15 personnes). Questionner
ces deux générations, qui ont vécu des perturbations politiques et sociales à des époques
différentes, offre une lecture pertinente des constructions identitaires en période de crises
nationales. Cette approche est également une fenêtre sur les transformations
socioreligieuses qui se sont opérées au Mali au cours des deux dernières décennies. Parmi
les individus interviewés, nous avons ciblé des membres actifs au sein d’associations
musulmanes nationales à l’étude (six militants d’Ançar Dine et le fils aîné du guide
d’Ançar Dine, Ahmed Haïdara, trois membres du HCI et cinq membres de l’UJMMA, dont
99 Philippe Leymarie, «Irruption des religieux en politique», Monde diplomatique, janvier 2013, [En ligne] : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/01/LEYMARIE/48595, consultée le 7 avril 2014.
21
le président, Macky Bah). Les contacts que nous avons effectués sur le terrain nous ont
également permis de diversifier les profils de militants et, de ce fait, rencontrer un militant
de l’Association malienne pour la solidarité, de la culture et du développement
(AMSODEC) et une militante de l’Agence Musulmane d’Afrique (AMA). Dans une
volonté d’atteindre un équilibre hommes-femmes, nous avons approché la branche
féminine de l’UJMMA qui nous a menés à une association de femmes de quartier,
l’Association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de
l’islam, au sein de laquelle trois femmes ont été rencontrées. Cette association œuvre dans
un quartier construit par l’État appelé les 1008 logements et situé au sud du fleuve Niger.
Toujours dans un souci de diversifier les profils, nous avons eu la chance de rencontrer des
jeunes étudiants (4), des jeunes non scolarisés (3), des personnes sans-emplois qui ne
militent auprès d’aucune association (5) et des membres du HCI (3). Somme toute, les
entretiens ont été conduits auprès de 28 personnes, dont six femmes, huit arabophones et
vingt francophones. Étant donné que nous nous sommes concentrés sur les membres des
deux associations à l’étude, une majorité de nos témoins sont francophones.
Les entretiens ont duré entre une heure et une heure trente, dans le lieu choisi par le
témoin. La plupart des militants, de toutes associations confondues, ont été rencontrés au
siège de leur association. D’autres entretiens ont été menés chez l’interviewé, dans les
« grins », les bureaux prêtés par notre contact, les commerces ou bureaux des témoins, et
exceptionnellement chez la chercheure. La très grande majorité des entretiens, anonymes,
se sont déroulés en privé, ce qui a eu pour effet de mettre en confiance les interviewés.
Nous avons choisi de ne pas enregistrer les échanges afin d’assurer une liberté de la parole.
Effectivement, en raison du contexte politique (crise au nord du Mali) et religieux sensible
(tensions entre les divers courants religieux) l’enregistrement audio nous paraissait peu
judicieux, car il pouvait susciter la méfiance auprès de nos informateurs. Nous avons alors
choisi d'opter pour une prise de notes active puis de retranscrire les entretiens, en prenant
bien soin de noter les réactions non verbales et les silences suite à une question.
Précisons que nous étions en contact avec deux individus avant de commencer le
terrain au Mali : un jeune malien d’obédience wahhabia vivant à Bamako, Issa, et l’imam
montréalais d’origine malienne, Omar Koné. L’apport de ces deux contacts fut précieux. Le
premier fut présent tout au long du séjour, nous ouvrant grand la porte de sa résidence
22
familiale, notamment chaque soir durant le mois de carême, et ce, jusqu’à la fin du séjour.
Cette immersion a considérablement renforcé notre compréhension de la société malienne
dans la mesure où nous avons pu observer les rites religieux, de surcroît durant le ramadan,
les pratiques quotidiennes des membres de cette famille trigénérationnelle, les activités
ludiques, la structure familiale polygame et les dynamiques de cohabitation. Les relations
tissées avec cette famille nous ont également permis d’élargir notre réseau de témoins. Bien
qu’aucun membre du noyau familial n’ait été interviewé, de nombreux témoins ont été
rencontrés par leur entreprise, tel qu’un membre du HCI. En ce qui concerne l’imam Koné,
il nous a permis de rentrer en contact avec l’UJMMA par l’entremise d’un des membres
fondateurs. Après une première rencontre dans chaque lieu ciblé, tel que les sièges
d’associations, les informateurs ont été contactés principalement grâce à la méthode boule
de neige qui consiste à rejoindre le réseau des premiers interlocuteurs. Cette approche s’est
avérée très efficace sur le terrain. Nous avons rejoint des militants ou des jeunes non
scolarisés et des personnes sans-emploi soit au sein de leurs associations respectives ou lors
des rencontres de « grins » 100 . La plupart des entretiens ont été individuels et chaque
personne a été vue une fois au cours d'un terrain qui a duré deux mois, du 11 juin au 7 aout
2014. Seuls deux individus ont été rencontrés à deux reprises en raison d’un contretemps.
Par ailleurs, une séance a été menée auprès d’un groupe de quatre militants d’Ançar Dine
détenant des postes administratifs pour être ensuite rencontré de manière individuelle.
L'anonymat a été respecté lors des entretiens conformément à la politique du Comité
d'éthique de l'Université Laval, excepté pour Macky Ba et Ahmed Haïdara étant donné que
ce sont des personnes connues par le grand public. Mentionnons également que nous avons
eu recours à des services de traduction dans le cadre d’entretien, à deux reprises ; soit avec
un jeune wahhabia et un imam appartenant à la première génération. Maitrisant
parfaitement le français et le bambara, Issa, précédemment cité, a assuré la traduction.
Quant au travail d’observations, nous prévoyions initialement les mener de façon
concomitante dans les espaces de sociabilité de Bamako fréquentés par les jeunes
100 Banégas, Brisset-Foucault et Cutolo rapportent que ces espaces d’expression reflètent une division classique des rôles sociaux. La prise de parole publique (lors des grins) est attribuée aux hommes uniquement, et d’expériences, selon leur âge ou leur éducation. Voir Richard Banégas, Florence Brisset-Foucault et Armando Cutolo, « Introduction au thème : Espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique », Politique africaine, vol. 3, no. 127, 2012, p. 5-20.
23
musulmans, soit à la sortie de la prière du vendredi, lors des cours de Coran du soir, dans
l’enceinte des mosquées du vendredi, dans les centres d’études coraniques, dans des lieux
de rassemblement de discussion (les « grins »). Cette méthode était inspirée des recherches
menées par l’anthropologue Janson Marloes effectuées auprès des jeunes du mouvement
musulman prosélyte Jama’at Tabligh101. La réalité de notre terrain à Bamako était quelque
peu différente dans la mesure où notre terrain s’est effectué durant le mois de ramadan et à
la période du grand pèlerinage, ce qui nous a empêchés de rencontrer certaines personnes,
alors occupées par leurs préparatifs pour se rendre à La Mecque. De surcroit, la durée de
notre terrain étant relativement courte, nous avons dû réévaluer nos objectifs en termes de
lieux à couvrir. Nous avons donc dû réduire les lieux d'investigation en menant nos
observations dans des mosquées lors de grands rassemblements associatifs, tels que les
prêches du vendredi, dans les quartiers généraux d’Ançar Dine et de l’UJMMA et dans un
« grin » situé dans la Dravéla. Finalement, en tant que femme, investiguer au sein de
milieux essentiellement masculins s’est avéré quelquefois être un obstacle. L’une des
principales difficultés du terrain fut de déceler, dans la mesure du possible, à quelle
tendance l’individu rencontré appartient afin de ne pas tendre la main s’agissant d’un
individu d’obédience wahhabia, et dans le cas inverse, de ne pas froisser l’interlocuteur en
manquant de le saluer « convenablement ». Outre ces quelques difficultés circonstancielles
relatives au ramadan et au pèlerinage, le terrain s’est très bien déroulé.
b) Les sources écrites
Dans la mesure où la presse est le reflet des préoccupations sociales et politiques de
la société civile, nous avons effectué un dépouillement de la presse écrite à des fins de
contextualisation et d’analyse. La presse malienne couvre largement les questions d’ordre
religieux et les débats qui en découlent. Les articles rapportant notamment des
rassemblements publics religieux, des célébrations religieuses ou des prises de paroles et
interventions du HCI ou de leaders religieux ont été sélectionnés. Considérant la dimension
101 Dans l’article Battle of Ages : Contests for Religious Authority in the Gambia, l’auteure expose la religiosité et la quête identitaire de jeunes appartenant au mouvement prosélyte Jama’at Tabligh. Celle-ci partage de manière tout à fait rigoureuse et honnête ses propres perceptions, les comportements observés chez ces jeunes, le langage employé par ces derniers et l’aide apportée par l’interprète sur le terrain.
24
politique de notre problématique, des articles qui font état de l’intervention militaire de la
France au nord du Mali, de l’insurrection touareg ou des relations internationales et
transnationales avec les pays arabo-musulmans ont également été retenus. Notre corpus est
constitué d’une centaine d’articles.
En raison d’une libéralisation tardive de la liberté de presse, entreprise dès 1991, les
journaux maliens étaient beaucoup moins abondants à cette époque qu’aujourd’hui. Par
ailleurs, les archives accessibles sur les moteurs de recherche tels que Maliweb 102 et
Allafrica103 offrent une lecture très restreinte, voire inexistante, de la presse des années
1990. En ce qui a trait aux publications plus récentes (2012-2013), elles ne sont que
partiellement accessibles. L’accès à la presse étant incomplet dans ces moteurs de
recherche, la collecte des sources écrites s’est effectuée principalement par l’exploitation
des archives de la bibliothèque américaine Library of Congress. Le choix des journaux,
arrêté à trois quotidiens, justifie la nécessité d’un croisement des approches journalistiques.
La sélection des quotidiens constituant le corpus a été faite selon les dates de
fondations des journaux, leurs orientations et la pertinence de leurs analyses sur des
questions socioculturelles. Les deux seuls quotidiens existant au Mali en 1990, L’Essor et
Les Échos, ont été sélectionnés et dépouillés pour les années 1900 et 1991. Le premier,
quotidien propriété du gouvernement, fondé en 1947, fut un instrument de propagande pour
l’indépendance, et plus tard, pour l’État. Il est par ailleurs aujourd’hui sous la direction
d’un ancien Premier ministre, Ousman Maiga. Tiré à plus de 8 000 exemplaires par jour,
L’Essor est le quotidien de référence au Mali104. Tandis que le second, fondé en 1989, se
veut une vitrine d’expression populaire, perceptible notamment par le titre et par le biais de
la rubrique « Débats ». Les lignes éditoriales de ces deux journaux sont aux antipodes, ce
qui offre une lecture intéressante de la société malienne durant cette décennie.
Pour la borne chronologique supérieure, nous nous sommes heurtés à un problème
d’accessibilité d’articles sur Internet. Le moteur de recherche qui s’est avéré le plus efficace
pour collecter les articles, « Maliweb.net »105, ne diffuse pas l’ensemble des articles publiés
102 http://www.maliweb.net 103 http://allafrica.com 104 Thierry Perret, « Médias et démocratie au Mali : le journalisme dans son milieu », Politique africaine, vol. 1, no. 97, 2005, p. 24. 105 http://www.maliweb.net/
25
sur version papier. Afin de recueillir un nombre suffisant d’articles portant sur les sujets
ciblés, nous avons dû élargir les sources journalistiques afin de recueillir suffisamment
d’articles pertinents : L’indépendant, le Flambeau, Maliba Info, Le Républicain, Le
Reporter, Le Prétoire, Le Progrès, Le Potentiel, L’Aube, L’Agora. Considérant l’emploi
d’un outil de recherche différent que celui utilisé pour la borne inférieure, nous avons
recueilli ces sources pour des sujets ciblés préalablement et soulevés par nos témoins :
Code de la famille, saccage de mausolées, instauration de la sharia au Nord, Maouloud, 2e
congrès du Haut Conseil Islamique.
Nous avons également exploité les documents stratégiques des associations à
l’étude (UJMMA et Ançar Dine). Les membres d’Ançar Dine nous ont donné accès aux
statuts, au rapport moral et financier pour l’année 2013-2014, au document régissant la
règlementation de la Fédération Ançar Dine Internationale (FADI), tandis que l’UJMMA
nous a transmis les statuts et les règlements intérieurs de l’association. Ces documents
administratifs nous ont permis de mieux saisir les structures organisationnelles et
financières des deux associations, leurs objectifs et stratégies.
C. Méthodologie de traitement des sources
Pour mener à bien cette recherche sociohistorique, nous avons mis l’accent sur
l’investigation et l’approche qualitative, et ce, par l’emploi d’entretiens semi-dirigés et
d’observations non participantes. Considérant l’influence du chercheur dans les échanges,
nous avons adopté pour une méthode semi-directive avec l’utilisation d’un guide
d’entretien, dans lequel nous nous sommes limités à orienter la discussion vers les thèmes
correspondant à la démonstration, à savoir les motivations de tout un chacun au sein d’une
association, l’évolution du militantisme religieux au Mali, l’analyse des tensions
interconfessionnelles, leur perception des leaders religieux et finalement leur lecture de la
crise au nord du Mali.
L’utilisation de ce guide a eu pour objectif d’offrir une liberté de parole à
l'interlocuteur. L’orientation de l’entretien nous a permis d’aborder le parcours personnel et
académique du témoin, de l’amener à partager les intérêts et les activités qui rythment sa
vie, à faire part de l’image qu’il se fait du modèle de bon musulman, de ses référents
26
culturels, confessionnels et politiques. En ce sens, seules des questions ouvertes ont été
adressées aux témoins afin d’éviter tout biais dans la réponse, telles que « Pouvez-vous me
parler de votre parcours académique? », « Comment percevez-vous les actions des
associations musulmanes aujourd’hui? ». L’entretien débutait donc avec des questions dites
d’introduction, plutôt générale, qui s’affinaient au fur et à mesure que la confiance
s’établissait entre le chercheur et le témoin (par exemple : « Pouvez-vous me parler d’une
journée type que vous passez à Bamako? », « Pourriez-vous me parler de votre milieu
familial?». Les discussions ont abouti à une réflexion sur l’identité nationale et musulmane,
ainsi que sur la figure d’un bon musulman et la façon de vivre l’islam. Plus précisément, les
personnes interviewées ont été invitées à partager leurs itinéraires de vie et leur vécu (en
termes de pratiques religieuses, de degré de connaissance de l’islam et des différents
courants présents au Mali, de lieux fréquentés, de lecture des enjeux sociopolitiques
nationaux, sous régionaux et internationaux). Elles ont également été amenées à se
prononcer sur certains faits d’actualité, religieuse et politique, malienne et internationale
(intervention militaire de la France, évènements entourant le 2e congrès du Haut Conseil
Islamique, l’adoption du Code de la famille).
Après les deux premiers entretiens, nous avons dû procéder à quelques ajustements.
Certaines questions mal formulées ou incomprises ont été revues (par exemple : « Quelles
sont les limites du politique dans le religieux? »). Nous avons également déplacé certaines
questions qui s’avéraient être trop sensibles, lorsqu’abordées en début d’entretien. En guise
d’illustration, la question suivante « Pouvez-vous me parler de vos journées types à
Bamako? » avec laquelle nous avons initialement prévu de commencer l’entrevue a été
déplacée pour devenir la 4e ou 5e question. Nous avons préféré débuter avec la question
suivante « Pouvez-vous me parlez de votre parcours scolaire? ». Une question a également
été retirée de la grille d’entretien106, car elle suscitait un malaise chez l’interlocuteur, à
savoir « Vous considérez-vous d’abord malien ou musulman? ». Finalement, la grille
d’entretien a également été épurée en cours de route en raison de la longueur des entretiens
initiaux et l’imprécision de certaines questions. Au vu des tensions entourant le 2e congrès
du HCI, la question suivante fut ajoutée : « Que pensez-vous des actions du Haut Conseil
Islamique? ». 106 Voir annexe I, p. 120.
27
La valeur des témoignages est dans le présent travail, comme exprimé par
l’historienne Raphaëlle Branche, un « gisement de ressources propres »107. À cet énoncé,
Philippe Joutard met en garde le chercheur de la distance à avoir avec le témoignage et la
mémoire collective, souvent consubstantiels l’un à l’autre108. C’est là une des difficultés
auxquelles le chercheur peut être confronté dans l’histoire orale. Les limites d’une telle
approche tiennent également au fait que le chercheur s’implique physiquement et
émotionnellement dans la collecte de sources auprès de locuteurs. Acteur et témoin de sa
société, le chercheur est confronté, au même titre que l'informateur, à un questionnement
personnel en partie provoqué par la sensibilité des sujets abordés tels que l'identité,
l'islamité et les convictions personnelles.
En ce qui concerne les articles de journaux et les documents officiels des
associations à l’étude, nous les avons classifiées par thématique et par période. Les articles
des années 1990 et 1991, consultés sur microfilms, ont été numérisés puis imprimés. Ceux-
ci ont par la suite été classés dans les catégories suivantes : [islam], [musulman], [moral],
[ramadan], [pèlerinage], [AMUPI], [Ançar Dine], [jeunesse], [jeunes], [démocratie],
[insurrection], [Nord]. Pour le journal Les Échos, nous avons sélectionné les articles
principalement tirés des rubriques « débat », « parole aux lecteurs »109 et « échos-tribune »
qui sont une plateforme d’expression pour la société civile et, du même coup, cela nous a
permis de prendre connaissance d'une partie de l’opinion publique sur des événements
particuliers d'ordre social, politique et religieux. Pour le journal L'Essor, les rubriques
« actualité », « culture » et « international » ont été analysées ce qui nous a permis d'avoir
un portrait de l’actualité malienne du point de vue étatique. Quant à la presse des
années 2012-2013, nous avons procédé à une sélection unique par mots clés via un moteur
de recherche recoupant un nombre important de quotidiens maliens110 : [islam], [umma],
[musulman], [morale], [ramadan], [pèlerinage], [HCI], [Ançar Dine], [UJMMA],
[jeunesse], [jeunes], [démocratie], [Nord], [insurrection], [Qatar], [Arabie Saoudite]. Tel
que mentionné plus haut, considérant l’archivage restreint des articles de presse pour la
107 Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée, Paris, Éditions du Seuil, 2005, cité dans Philippe Joutard, Histoire et mémoires, conflits et alliance, Paris, La Découverte, 2013, p. 208. 108 Philippe Joutard, op. cit., 2013. 109 Voir annexe II, p. 122. 110 http://www.maliweb.net/
28
borne chronologique supérieure, nous avons dû élargir l’étendue de nos sources
journalistiques. Pour cette raison, nous avons effectué des recherches par mots clés sur des
thèmes et des évènements que nous avons jugé pertinents et qui se sont confirmés, après le
terrain, fort à propos. En ce sens, l’analyse médiatique de certains évènements ayant
marqué la sphère religieuse malienne fut éclairante, notamment dans la lecture des
évènements entourant le 2e congrès du HCI, dont il sera question plus loin, ou encore le
saccage des mausolées au nord du Mali. Cette approche nous a aussi permis de mettre en
contexte les témoignages recueillis sur le terrain et confirmer les propos rapportés par nos
témoins.
29
CHAPITRE II
Entre enracinement local et ouverture à la grande communauté musulmane: portrait
des enjeux identitaires, idéologiques et financiers d’une sphère religieuse hétéroclite
Autrefois dominée par les lignages religieux, les oulémas et la mouvance sunnite
réformée111, la sphère religieuse malienne a bénéficié, dans les années 1990, du libéralisme
associatif. Avec l’avènement de la démocratie, du multipartisme et de la libéralisation du
droit associatif, une pléthore d’associations musulmanes a vu le jour au cours de cette
même décennie. Ce processus s'est accéléré au point que la sphère religieuse a
graduellement échappé à l’État112 alors que dès 1980, ce dernier, sous la présidence de
Moussa Traoré, avait mis en place l’Association Malienne pour l’Unité et le Progrès au
Mali (AMUPI) pour garder un contrôle sur le champ religieux mais qui perdit de
l’influence avec la venue du Haut Conseil Islamique (HCI) en 2002 113 . Premier
interlocuteur entre la population— constituée à 90 % de musulmans —, et l’État, le HCI a,
quant à lui, pour mission d’unifier l’ensemble des musulmans maliens de toutes les
tendances.
Au-delà de cette volonté d'unification, la communauté musulmane malienne est
traversée par d'importantes tensions doctrinales. Ançar Dine, une association musulmane
réformiste, a considérablement perturbé l’establishment religieux incarné par des leaders
religieux bien établis. Dans la même dynamique, une association, qui fédère une centaine
d’associations musulmanes, a gagné un poids considérable dans la sphère religieuse depuis
sa création en 2008. L’Union des Jeunes Musulmans du Mali (UJMMA), dirigée depuis ses
débuts par Macky Bah, est omniprésente dans les débats publics d'ordre religieux et social.
Concentrant ses actions sur des questions qui regardent la jeunesse malienne, à savoir la
formation, l’employabilité, la réussite sociale et économique, etc. l’UJMMA tend
également à rassembler autour de l’identité malienne, et plus largement, autour d’un islam
local. Les modalités d’actions déployées par ces deux associations à l’étude témoignent
d’une volonté de reconfigurer la société malienne par l’intégration du religieux dans la vie
111 Nous reprenons ici les termes employés par Gilles Holder qui parle de sunnisme réformiste lorsque qu’il réfère au courant wahhabia dont il sera question plus tard. Voir Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 389-425. 112 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008, p.116. 113 Ferdaous Bouhlel Hardy, loc. cit., 2010, p. 824.
30
des fidèles. De ce point de vue, les modalités d’actions de l’UJMMA et d’Ançar Dine sont
centrales dans la compréhension des dynamiques de mise en visibilité de l'identité
musulmane au sein de la société malienne.
Tandis que le HCI est majoritairement constitué de musulmans d’obédience
wahhabia, depuis sa création, une fraction des leaders religieux, tel que le chérif Haïdara et
Macky Bah, d’obédience soufie, appelle à faire contrepoids à l’influence idéologique et
financière du courant wahhabia, accentuant du fait même les tensions déjà existantes. Ces
deux associations dont les structures s’apparentent à des confréries, prônent un islam local
et régional, rejetant du fait même l’appartenance à la grande communauté de musulmans.
La surenchère du discours identitaire et le rejet d’un islam qui va à l’encontre des traditions
maliennes accentuent les clivages au sein de la sphère religieuse. Les tensions au Mali entre
les « soufis » et les « wahhabias »114, dont le deuxième congrès du HCI fut un catalyseur,
témoignent, d’une part, de cette rivalité entre un islam dit traditionnaliste et l’autre « puriste
», et d’autre part, d’une hyper concurrence entre les leaders pour le contrôle de l’espace
public.
114 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 348.
31
A. Ançar Dine et l’Union des Jeunes Musulmans du Mali : Structures
associatives ou confrériques ? Lecture des modèles associatifs et des figures
de leader du Chérif Ousman Haïdara et de Macky Bah
Majoritairement musulman, le paysage religieux malien fut investi par un regain
islamique au cours des deux dernières décennies. Ce phénomène de réaffirmation de
l’identité islamique est essentiellement porté par des associations qui, de loin, dominent la
sphère islamique malienne. De l’association de quartier à l’association nationale, elles sont
présentes dans tous les secteurs de la société et toutes les classes sociales115. Toutes créées,
ou du moins reconnues, au cours des vingt dernières années, elles mettent en place
conjointement ou distinctement un nouveau mode de militantisme. L’un des mouvements
qui incarne le mieux la transformation de la sphère religieuse, et qui l’a d’ailleurs portée,
est l’association Ançar Dine116. Dirigée depuis ses débuts par le Chérif Ousmane Madani
Haïdara, cette association a véritablement reconfiguré la sphère religieuse et est présente
aujourd’hui dans plus de vingt pays dans le monde et regroupe des centaines de milliers de
membres. Afin de saisir la nature de ce mouvement « à la fois populaire et controversé qui
a constitué l’un des principaux espaces de transformation au Mali »117, il importe de se
pencher d’abord sur le parcours du chef spirituel et la figure d’autorité qu’il incarne.
Né dans la région de Ségou en 1955, Chérif Ousmane Madani Haïdara, descendant
d’une famille de la tjijanya, prêchait dès l’âge de 13 ans118. Dès son arrivée à Bamako, en
1983, Haïdara se fait remarquer tant par les autorités que par des fidèles qui adhèrent
rapidement à ses prêches. Se présentant comme un enfant béni de l’islam, Haïdara
entreprend, dès lors, de remoraliser la société malienne qu’il juge en dérive. À cet effet, le
site officiel de l’association rapporte que le « Chérif Ousmane Madani Haïdara s’est
115 A titre d’exemple : les étudiants (Ligue islamique des élèves et étudiants du Mali), les jeunes (Union des jeunes musulmans du Mali), les femmes (Ligue nationale des femmes musulmanes), les imams (Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique), les leaders religieux (Ligue des leaders religieux), les oulémas (Ligue des oulémas), les intellectuels arabisants (Association islamique pour le salut) 116 À distinguer du mouvement armé du Nord Ansar Eddine, Ançar Dine existe depuis 1985, mais n’est reconnu par l’État qu’en 1991. 117 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 389. 118 Selon le site officiel d’Ançar Dine France : http://www.ancardine.com/ancardine/index.php?option=com_content&view=article&id=3&Itemid=105, page consultée le 8 novembre 2014.
32
directement attaqué aux maux de la société malienne au début de ses prédications. Il a
dénoncé les pratiques amorales qui se pratiquaient dans la société »119.
Se proclamant descendant du Prophète Mahomet, le guide spirituel, à la contenance
droite et contestataire, adopte une figure prophétique justifiée par son parcours qualifié de
« miraculeux »120. L’analogie à établir avec le parcours du prophète Mahomet n’est pas
anodine, car elle est revendiquée par les membres d’Ançar Dine : « les prêches du guide, ce
sont comme celles du Prophète. On est contre la violence, on est tolérants. C’est aux gens
de choisir de devenir musulmans, on ne peut obliger personne. Il faut être correct. C’est
comme ça que le Prophète a diffusé l’islam »121. Gilles Holder va dans ce sens en qualifiant
le parcours du leader « d’épopée mohammadienne »; Haïdara « s’attache à capitaliser son
parcours religieux comme un modèle de vie sainte à l’image du prophète Muhammad, tout
en s’efforçant de pondérer les tentatives répétées faites par ses fidèles de le présenter
comme un saint, sans toutefois les en dissuader totalement »122. Selon les membres du
bureau d’Ançar Dine, le guide aurait d’ailleurs été choisi par ses adeptes : « ce qu’il faut
comprendre, c’est que ce n’est pas le guide qui a mis en place Ançar Dine, ce sont ses
adeptes qui sont allés le voir pour le soutenir. [Ce sont] les adeptes eux-mêmes qui lui ont
signifié qu’ils sont prêts à le soutenir »123. Ces derniers affirment que le guide s’est sacrifié
pour l’islam et ses adeptes.
Toujours selon la même analogie, il serait arrivé dans la capitale dans le but de
rétablir l’ordre moral, tout comme le Prophète est arrivé à Médine pour sauver la
population du pêcher. Ce dernier rappelle qu’à son arrivée à Bamako en 1983, il aurait eu
droit au même traitement que le Prophète, soit celui d’être condamné par les autorités
locales et aimé par le peuple en raison de son don d'orateur considéré comme un don de
Dieu124. En adoptant des discours pour la défense des sans voix et des illettrés125, dans
119 Ibidem. 120 Ibid. 121 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014. 122 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 398. 123 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014. 124 Sur le site officiel d’Ançar Dine France, l’on mentionne la chose suivante dans la rubrique « miracles » accomplis par le guide : « Relever tous les défis du savoir islamique en ayant que le niveau de la 6ème année d’étude. Il a un don de parole, de la connaissance et est vraiment un guide digne de confiance », site internet d’Ançar Dine international, [En ligne] : http://ancardinehaidara.com/qui-sommes-nous/, page consultée le 12 novembre 2014. À vrai dire, le Chérif Haïdara a bénéficié d’une éducation coranique un peu plus longue.
33
lesquels il n’hésite pas à accuser l’État d’être à la source des inégalités
socioéconomiques126, Haïdara incarne dès lors un contrepouvoir de nature religieuse et
politique face à l'AMUPI et l'État. Le témoignage d'un membre de l'association, dans la
cinquantaine, souligne dans quelle mesure Haïdara symbolise une rupture et un modèle
subversif, dès les années 1980, dès lors qu'il prône à la fois l'ouverture religieuse et une
moralisation de la vie sociale et politique :
Dans un régime militaire, jamais personne n’a osé dire la vérité crue comme lui, l’a fait. Il disait pourquoi fermer les bars durant le ramadan s’il y a des non-musulmans et des chrétiens au Mali. C’est de l’hypocrisie de faire ça, il faut vivre et laisser les autres vivre. Il était puissant, il était subversif. Les gens n’osaient pas dire tout haut la moitié de ce qu’il disait. Il se permettait tout, il a condamné le vol, les mensonges et la tricherie127.
Notre témoin, qui a rejoint le mouvement au retour de ses études universitaires en URSS,
en 1993, poursuit comme suit :
Avant Haïdara, les gens ne faisaient que prier pour être musulman. Ils volaient, ils faisaient l’adultère, ils trompaient les gens et pensaient pouvoir aller au paradis. Mais ce n’est pas ça l’islam. Il était seul contre tout le monde. On a rejoint la vérité. […] Ça m’a rassuré davantage, je voyais que l’on ne pouvait être musulman et injuste et mauvais en même temps. Je voyais les gens dans la débauche et je n’aimais pas ça. Le discours
Selon les travaux de Louis Brenner, le jeune Haïdara a été retiré de l’école française à l’âge de neuf ans par son père pour être inscrit à la toute première madrasa fondée par un Malien. Il aurait mis fin à ses études à l’âge de 19 ans après la mort de son père. Cette « école de Saada Oumar Touré offrait une alternative doctrinale aux médersas de la réforme sunnite, en conciliant la modernité sociale à une pédagogie tijâni refondée », Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 392. Voir également Louis Brenner, « Médersas au Mali. Transformation d’une institution islamique », Bintou Sanankoua, et Louis Brenner, dir., L’enseignement islamique au Mali, Bamako, Jamana, 1991, p. 63-85. 125 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 2. 126 À titre d’exemple, lors du rassemblement du Maouloud, en 2008, celui-ci a interpelé le président de la République en rappelant qu’il est le premier responsable de l’injustice au pays et que « tant que les millions de pauvres n’auront pas de paix, le pays ne sera pas heureux et n’aura pas le bonheur tant attendu ». « Chérif Madani Haïdara à l’occasion du Maouloud 2008 : "La justice malienne fait pleurer le pauvre au profit du riche" », Bamako Hebdo, 29 mars 2008, [En ligne] : http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:_0yjQxrs99kJ:www.maliweb.net/category.php%3FNID%3D28907+&cd=3&hl=fr&ct=clnk&gl=ca, page consultée le 22 novembre 2015. Celui que l’on surnomme «wilibali», s’en prend régulièrement aux plus puissants (juges, hommes politiques, etc.), en prenant la défense des plus vulnérables en abordant notamment les questions suivantes : Comment un pauvre doit-il se comporter, comment le pauvre doit gérer sa situation financière et sociale, quels outils sont à sa disposition, etc.? 127Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014.
34
d’Haïdara rejoignait mes idées. Si tu agis d’une telle façon, tu n’es pas un musulman128.
Quant à Seidou, trésorier de la Fédération Ançar Dine internationale, âgé alors de 39 ans, il
soulève également la dimension « innovante » des discours du Chérif Haïdara dans les
années 1990 :
Avant, j’étais contre Haïdara quand j’étais jeune. J’ai commencé à l’écouter en 1999, et en 2000, j’ai prêté serment d’allégeance. L’islam qu’on prêchait partout dans ce temps-là, tu tues, tu voles, violes… tant que tu pries, tu vas quand même au paradis […] J’étais contre Haidara parce que j’écoutais d’autres prêcheurs, ceux-là demandaient de prier seulement. Lui, disait qu’être musulman c’est plus que simplement faire la prière, il ne faut pas être égoïste, il ne faut pas voler, ne pas forniquer… c’est lui qui a dit ça en premier et c’était le seul à dire ça. Les autres prêcheurs répandent un message faux de l’islam. Mais pour nous, c’est obligatoire de prier et de respecter les six sermons. Avant, j’étais révolté contre lui, parce qu’il n’était pas dans nos habitudes […] Il a complètement changé les mentalités »129.
Haïdara remet en cause des pratiques millénaires de l’islam en soutenant que la prière ne
fait pas le musulman. En complète opposition à l’interprétation traditionnelle de l’islam, ce
dernier soutient que le messie ne ressuscitera pas à la fin du monde. De plus, en prêchant et
proposant une lecture coranique en bambara, le Chérif Ousmane Haïdara désacralise
l’arabe, ce qui lui confère un caractère populaire hautement critiqué 130. Finalement, il
considère que le respect du deuxième pilier de l’islam, les cinq prières quotidiennes, ne
suffit pas pour être musulman, mais qu’il faut réaffirmer son islamité pour se considérer
ainsi131. En faisant de ce principe son leitmotiv, le guide spirituel redéfinit l’identité de
« musulman de naissance » en opposition à celle du « vrai musulman ». En effet, Haïdara
propose de dépasser l’héritage familial islamique pour une redéfinition de son islamité au
quotidien. Dans ses prêches, ce dernier invite « les fidèles à une remise en ordre de leur vie
quotidienne [en abordant] les rapports entre les conjoints, la régulation des conflits entre les
128Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 129 Entretien avec Seidou, membre d’Ançar Dine, 43 ans, dans ses bureaux (quincaillerie), 15 juillet 2013. 130 Gilles Holder, loc. cit., 2012. 131 Lacine Diawara, « Chérif Ousmane Madani Haïdara àa Option: Une voix captivante sur la voie de Dieu », Option, 24 novembre 2012, [En ligne]: http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/interview_mali/56735-cherif-ousmane-madani-haidara-a-option-une-voix-captivante-sur-l.html, page consultée le 16 avril 2017.
35
coépouses, les rapports d’autorité au sein de la famille, la répartition des ressources. Puis
les comportements dans l’espace de proximité doivent rendre visible, aux yeux de tous,
cette réforme de la famille : tenue vestimentaire et attitudes des femmes et des enfants,
déplacements dans l’espace urbain et rythme de vie, rapports au travail et à l’argent des
hommes adultes, relations de voisinage »132. Cet appel à réformer le cadre de vie des fidèles
et plus largement de la société met au-devant une culture du soi dans laquelle l’individu
rejoint un grand projet de « réenchantement » et de « remoralisation » de la société par la
redéfinition de son individualité. Fondamentalement tourné vers l’espace public, Ançar
Dine travaille à « renforcer l’idée que l’islam serait apte à assurer le bien public, maintenir
les identités nationales et redéfinir l’espace public africain »133. À ce sujet, les auteures
Marie Nathalie LeBlanc et Muriel Gomez-Perez ont démontré, dans une étude effectuée
dans quatre pays de l’Afrique de l’Ouest134, une spécificité de l’affirmation religieuse que
l’on retrouve chez les adhérents d’Ançar Dine, à savoir, une forme d' « adhésion à l’islam à
titre individuel pour mieux former une nouvelle communauté islamique »135.
D’autre part, dans un contexte autoritaire et unipartite où la liberté d’expression est
restreinte, les prêches de Haïdara très critiques, à cette époque, envers l’establishment
religieux conduisent à grossir les rangs de ses détracteurs lesquels dénoncent « sa
démagogie et son manque d’érudition religieuse »136, mais également la dimension nouvelle
qu’il attribue aux pratiques de l’islam. Sa relecture de l’islam, appelée kudra, dérange au
plus haut point les oulémas, imams et les leaders attachés à l’islam littéraliste.
L’administration de l’AMUPI, après avoir fait pression sur le gouvernement a obtenu sa
suspension dès 1983137, qui fut levée un an plus tard avant d’être ordonnée à nouveau
jusqu’à libéralisation de la vie associative en 1991. Depuis, le poids du leader dans l’espace
public a été accéléré par l’utilisation des mass médias et l’investissement d’espaces publics
à caractères religieux et laïc dans la diffusion des prêches. Interdit d’intervention dans les
chaines télévisées ou radiophoniques nationales jusqu’en 2000, Haïdara a employé des
moyens de diffusions indépendants pour contrecarrer le barrage étatique qui lui était
132 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 133 Gilles Holder, loc. cit., 2009, p. 16. 134 Plus précisément dans les centres urbains du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire. 135 Marie Nathalie LeBlanc et Muriel Gomez-Perez, loc. cit., 2007, p. 47. 136 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2007, p. 41. 137 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 394.
36
imposé138. Contournant l’espace traditionnel de prédication, ce dernier diffuse ses prêches
et semons par divers moyens de communication : cassettes audio bon marché, DVD, CD-
ROM et vidéo cassettes139. Ces modes de diffusion, plutôt courants en Afrique de l’Ouest,
qui ont transformé le champ religieux malien, ont largement contribué au projet de
"réislamisation" observé dès les années 1990 et s'inscrivent dans une tendance visible dans
la sous-région. De cette économie religieuse alimentée par un marché important de
diffusion de CD et de DVD islamiques, Abdoulaye Sounaye souligne, qu’au Niger, « des
personnages ont émergé et des associations se sont constituées avec des programmes et une
rhétorique de la défense de l’identité islamique de la société nigérienne »140. Ces médias,
largement diffusés dans l’espace public (marchés, boutiques, quartiers associatifs), ont
aussi pris une importante place dans le quotidien des fidèles : « [ils] sont progressivement
devenus les moyens par lesquels le sujet musulman maintient le pont avec le prédicateur et
la communauté qui s’est formée autour de celui-ci. Dans l’intimité de chez soi, dans la
voiture ou du bureau, ces supports médiatiques entretiennent la présence quotidienne du
prosélytisme islamique »141.
C’est en misant sur ces outils de communication et en mettant l’emphase sur le
comportement du bon musulman au quotidien et le projet de remoralisation de la société
que les sermons de Haïdara ont atteint de nombreux jeunes en quête spirituelle et
identitaire142. La grande majorité des adhérents d’Ançar Dine interviewé a affirmé avoir
découvert le mouvement par l’entremise de cassettes audio écoutées par des proches, des
voisins ou des parents : « Des frères écoutaient les prêches d’Haïdara et j’écoutais avec eux
et j’ai rapidement apprécié ses prêches. À moins d’être malveillants, ses prêches prennent
le cœur. Au début, je me rendais aux grands évènements, je me rendais aux lieux de
prêches par curiosité, et j’ai davantage adoré (sic) » 143 . Les individus rencontrés ont
témoigné d’un modèle d’adhésion récurrent qui s’effectue en quatre temps : l’écoute des
prêches, la participation à des évènements publics, la quête d’information sur le mouvement
138 Dorothea Schulz, loc. cit., 2007, p. 41. 139 Voir l’article de Françoise Bourdarias, loc. cit., 2009, p. 21-40. 140 Abdoulaye Sounaye, «La « discothèque » islamique : CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », ethnographiques.org, no.22, 2011, p. 3. 141 Abdoulaye Sounaye, loc. cit., 2011, p. 4. 142 Keïta Naffet, loc. cit., 2011, p. 113. 143 Entretien avec Aboubakar, secrétaire exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, 16 juillet 2014.
37
et finalement l’engagement par serment. Le gestionnaire de la boulangerie de l’association
et membre d’Ançar Dine a relaté son processus d’adhésion qui s’est étalé sur deux ans :
Je faisais des activités avec eux (Ançar Dine) dès 1994. J’étais avec la Ligue islamique des étudiants et élèves du Mali. Souvent, la Ligue accompagnait Ançar Dine dans ses activités […] c’était une association sans frontières, toutes les bases islamiques se côtoyaient. Mais c’est depuis 1995 que j’ai commencé à écouter sa musique. Il y avait un mécanicien à côté de chez moi, il écoutait Haïdara. Quand je terminais de travailler, j’allais écouter avec lui. J’en ai parlé à ce vieux et j’ai commencé mes recherches, ensuite j’ai commencé à les fréquenter avant d’y adhérer144.
L’hypermédiatisation des discours religieux prend un caractère militant dans la mesure où
l’investissement des lieux publics, laïcs ou religieux, devient l’une des principales
stratégies de diffusion. À cet égard, et tel qu’en témoignent des militants d’Ançar Dine et
non militants ainsi que la presse malienne, le rassemblement au Stade du 26 mars qui se
tient à chaque Maouloud, depuis 2003145, devient l’évènement majeur de l’association146.
L’évènement à caractère religieux rassemble chaque année dans un lieu laïc plus de 50 000
musulmans de toutes les tendances et associations. Renforçant à la fois l’image positive de
l’association et son poids dans l’espace public, ce rassemblement se veut surtout une
plateforme de débats à caractères politiques et sociétaux, où les prêcheurs abordent des
sujets tels que les bonnes et mauvaises pratiques quotidiennes, l’éducation, le code de la
famille, la rébellion au nord, etc.147
Cette omniprésence dans l’espace public est particulièrement visible dans le quartier
où s’est établie l’association. Il est frappant de constater à quel point le quartier populaire
de Bankoni est rythmé par les activités de l’association, un quartier où des fidèles,
144 Entretien avec Ali, gestionnaire de la boulangerie d’Ançar Dine, dans ses bureaux de travail, 16 juillet 2014. 145 Seydou Coulibay, « Maouloud 2009 : Le prêcheur Ousman Chérif Haïdara interpelle ATT », Le Républicain, 10 mars 2009, [En ligne]: http://malijet.com/a_la_une_du_mali/11260-maouloud_le_precheur_ousmane_cherif_haidara.html, page consultée le 20 octobre 2014. 146 Modibo Fofana, « Maouloud 2014 : le secret de la forte mobilisation d’Ançar Dine », Le journal du Mali, 17 janvier 2014, [En ligne] : http://www.journaldumali.com/article.php?aid=7723, page consultée le 17 novembre 2014. 147 Brahim Diamoutémé, « Maouloud 2012: Des bénédictions pour le Mali », Le Potentiel, 14 février 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/maouloud-2012-des-benedictions-pour-le-mali-47747.html, page consultée le 11 novembre 2016.
38
provenant de partout du Mali et de l’Afrique de l’Ouest, viennent s’y installer afin de vivre
au sein de cette « famille ». Oumar, précédemment cité, qui n’habite pas Bankoni mais s’y
rend régulièrement, soutient que :
En 1990, il n’y avait rien à Bamako, c’était la brousse […] Bamako s’est agrandi et le quartier de Bankoni a pris forme. Les gens viennent de partout vers Bankoni, par forcement pour y emménager. On se retrouve tous là-bas durant le Maouloud, le ramadan, on y va tous durant les cérémonies148.
La mosquée d’Ançar Dine, située en plein cœur de Bankoni, est un lieu de rassemblement
pour les fidèles, même en dehors des heures de prière, il en est tout autant pour l’école
coranique, en face du lieu de prière. En passant par le boulevard qui porte le nom du chef
spirituel, force est de constater que sa figure est largement représentée par les habitants du
quartier et les petits commerçants; de nombreuses petites boutiques portent son nom, tandis
que son effigie est peinte sur plusieurs portes et murs des résidences ou des commerces. Le
terrain effectué à Bamako nous a permis de confirmer les observations de Keïta Naffet149 à
ce sujet : la voix du chef charismatique, connue de tous, a envahi les maisons, les rues et les
marchés de Bamako au cours des vingt dernières années150.
Ces divers éléments permettent de considérer que la structure associative mise en
place par Haïdara s’apparente à certains égards aux structures confrériques existantes en
Afrique de l’Ouest151. Bien que le chef spirituel d’Ançar Dine s’inscrive dans une logique
de rupture avec l’ordre religieux établi et une approche qui se veut centrée sur
l’individualité du fidèle, ce dernier reproduit la figure de guide suprême propre aux chefs
de confréries152. Homme moderne et traditionaliste à la fois, celui-ci suscite l’admiration de
148 Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 149 Keïta Naffet, loc. cit., 2011, p. 101. 150 À titre d’exemple, durant le terrain effectué à Bamako, nous avons eu la chance d’assister à la conférence annuelle de l’UJMMA. Le Chérif Ousmane Haïdara était pour l’occasion le président d’honneur. L’évènement était organisé dans la mosquée de Bamako située au centre-ville à proximité du marché, alors bondé à quelques jours de l’Aïd. Les prêches du guide d’Ançar Dine et de Macky Bah ont été entendus par plusieurs centaines d’individus présents à la mosquée et dans ses alentours (les hauts parleurs installés dans les minarets diffusent les prêches dans les rues avoisinantes). 151 Salilou Dramé, Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 216. 152 Ce qui définit une confrérie, appelée torîqa en arabe, est d’abord la centralité de la figure du guide religieux, voir glossaire, p. vi. Le groupement de dévots respecte religieusement les pratiques, parfois mystiques, imposées par le maître spirituel, appelé Cheikh. Dominique et Janine Sourdel mentionnent que
39
ses fidèles en incarnant la réussite personnelle, la résistance à l’État et le dépassement de
contraintes d’un islam traditionnel et impersonnel. Il s’assure également de l’allégeance de
ses fidèles en polarisant l’existence de l’association sur son leadership. Le témoignage d'un
fidèle recueilli sur le terrain est éclairant à cet égard lorsqu'il nous disait ceci : « sur le plan
religieux, c’est le succès de la vérité que Haïdara promet sur le mensonge. Ici, en Afrique et
dans le monde, on reconnait sa valeur véridique et son objectivité d’analyse […] C’est un
atout pour nous que de réussir de coïncider l’islam avec notre temps. Il faut obligatoirement
avoir un éclaireur »153. En somme, au même titre que les mouvements néo-confrériques
observés au Sénégal par Fabienne Samson, Ançar Dine se donne pour mission de moraliser
l’environnement de ses fidèles et réislamiser la société dans l’espoir d’atteindre un modèle
de société islamique fidèle à sa conception154.
Usant de stratégies et modalités d’action semblables, l’UJMMA a, dans une moindre
mesure, gagné en poids dans la sphère religieuse depuis sa création en 2007. Fondée par un
militant impliqué dans la sphère religieuse depuis 1992, avec la création de l’Association
Malienne pour la Concorde, la Culture et l’Éducation Islamique (AMCECI), devenue une
ONG, l’UJMMA est présidée par Cheikh Macky Bah avec qui nous nous sommes
entretenus155 :
Je suis président de l’association depuis 2007, depuis sa création le 3 septembre 2007. L’association a été créée par un groupe de jeunes pour les jeunes. Dès le début nous avons regroupé environ 70 associations et mouvements de jeunes nationaux et locaux. C’est en grande partie dû à mon initiative, nous avons fédéré toutes les associations de jeunes déjà existantes. [Pouvez-vous me parler de votre parcours scolaire?] J’ai fait l’école coranique traditionnelle, l’école religieuse authentique. Je suis également allé en Libye, en Mauritanie, en Turquie… un peu partout pour des formations
« dans l’histoire du soufisme, les confréries sont apparues relativement tard, à partir seulement du XIIe siècle, mais jouèrent dès ce moment un rôle social et politique important, contribuant notamment à la diffusion de l’islam. En Afrique noire, elles connurent un essor spectaculaire et récent », in Dominique et Janine Sourdel, Dictionnaire de l’histoire de l’islam, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 1010. 153 Entretien avec Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. 154 Fabienne Samson, « Identités islamiques dakaroises. Étude comparative entre deux mouvements néoconfrériques de jeunes urbains », Autrepart, no. 39, 2006 p. 4. 155Macky Bah est né le 25 décembre 1970. Avant cet entretien, nous n’avions que très peu d’informations à son sujet à travers la presse malienne ou la littérature. L’entretien de plus d’une heure tenu dans sa résidence privée, qui fait également office de lieu de ralliement pour les membres de l’Association, nous a permis d’enrichir considérablement nos sources dans la mesure où nous en avons appris davantage sur son parcours, ses motivations personnelles, sa vision sur la société malienne et les objectifs qu’il vise en tant que président d’association.
40
connexes. [Êtes-vous allé en Arabie Saoudite ?] Ah non, en Arabie Saoudite j’y suis allé que pour y accomplir le pèlerinage. [Qui vous a encouragé dans cette voie?] Je viens d’une grande famille maraboutique, on m’y a encouragé naturellement. Mon père était un chef marabout. C’est aussi la main de Dieu qui m’a guidé. [Vous militiez déjà en 1990?] Depuis 1990, j’étais dans des associations et membre fondateur de certaines comme l’IMAMA156 et le HCI. Les mouvements associatifs sont nés après la chute du régime157. On était prêt et organisé avant quand même. Ma première association que j’ai fondée est l’AMCECI en 1992, on avait pour objectif de coordonner entre les musulmans la culture et la formation islamique158.
Celui qui est officiellement à la tête de l’UJMMA depuis le premier congrès tenu en
décembre 2009 est une figure pilier de l’association. Bien que le mandat du président soit
renouvelable tous les cinq ans, le Cheikh s’est accaparé le statut de chef religieux. Les
bureaux de l’association sont situés dans l’ACI 2000, un quartier récent de Bamako
relativement aisé. Nous avons rapidement constaté que les lieux sont généralement vides,
car les activités de l’association sont concentrées non loin de là, dans la résidence privée de
Macky Bah. En effet, ce dernier a consacré le premier étage de sa maison familiale à une
zawiya159 et les étages secondaires à sa famille et aux membres actifs de l’association. Le
journal Le progrès s’est rendu en ces lieux lors des célébrations du Maouloud; à cette
occasion, Macky Bah a ouvert sa résidence « aux fidèles de la secte tijaniya, fidèles et
autres élèves coraniques » pour réciter la toriqa160. La centralisation des activités dans un
lieu privé, qui est la résidence du président, témoigne d’une personnification du pouvoir
associatif, selon les mêmes modalités employées par Haïdara.
Cette appropriation du pouvoir associatif rappelle encore une fois les structures
confrériques dans la mesure où les appartements privés des cheikhs font souvent office de
lieux de rassemblement pour les membres de l’association. Ces espaces deviennent des
lieux de « spiritualité et de diffusion du savoir, mais aussi d’accueil, de convivialité,
156 Ligue Malienne des Imams et des Érudits pour la solidarité au Mali. 157 Le 26 mars 1991 a lieu la chute du régime de Moussa Traoré. 158 Entretien avec le Cheikh Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 159 Voir glossaire, p. vi. 160 Boubacar Sidibé, « Maouloud 2013 : la Zawiya de Cheikh Mohammed M. Bah fête l’événement avec éclat », Le Progrès, 1 février 2013 : http://www.maliweb.net/societe/maouloud-2013-la-zawiya-de-cheikh-mohamed-m-bah-fete-levenement-avec-eclat-123865.html, page consultée le 26 novembre 2014 ; Voir glossaire, p. vi.
41
d’hospitalité et de prise en charge morale et matérielle »161. Dans cette logique, les deux
leaders sont donc les pivots et les dépositaires d’une autorité naturelle au sein de leurs
associations respectives. L’incarnation de cette autorité légitime leurs discours et leur
lecture du bien et du mal, de la bonne morale et de l’immoral162. Ces derniers personnifient
les objectifs des associatifs qu’ils dirigent en se présentant comme des modèles
d’identification 163 et il en résulte une fusion totale entre la figure du leader et la
communauté qui se réfère à lui.
Cette logique de personnification du pouvoir associatif témoigne d’une volonté
d’englober la transformation des fidèles en offrant la possibilité d’appartenir à « une
nouvelle famille autour d’un père modèle »164. En adhérant à l’association et aux discours
du cheikh, le fidèle se soumet également à son cheikh, lequel « s’engage à le diriger dans la
bonne voie, mais aussi de le protéger […] il prend en charge les besoins spirituels et
temporels de la sa communauté »165. Cette relation d’échanges mutuels est perceptible dans
les missions des associations à l’étude dans la mesure où les leaders se voient accorder par
les fidèles un rôle de protecteur et de guide en échange d’une adhésion spirituelle et
physique.
À cet égard, l’UJMMA se fixe pour objectif de « développer l’unité d’action des
associations et des mouvements de jeunes, revaloriser et faire la promotion de la culture
islamique au Mali, améliorer les conditions de vie socioéconomiques des jeunes,
promouvoir les actions des associations et mouvements de jeunes à travers les valeurs
islamiques et œuvrer pour la promotion et l’épanouissement de la jeunesse malienne »166.
Ces objectifs se traduisent dans une multitude d’actions déployées tant dans l’espace public
que dans l'espace privé. Suivant un modèle réformiste orienté vers les pratiques locales,
l’UJMMA a entrepris une mission de décloisonnement de l’islam en mettant de l’avant des
éléments identitaires nationaux et islamiques unificateurs (langue, pratiques religieuses
161 Rachida Chih, « Sainteté, maitrise spirituelle et patronage : les fondements de l’autorité dans le soufisme », Archives des sciences sociales en religions, no. 125, 2004, p. 91. 162 Ouardi Hela, « De l’autorité en islam », Le Débat, no. 171, 2014, p. 159. 163 Aminata Ndiaye, « Processus d’individualisation chez les jeunes dakarois : Stratégies entre rupture et appartenant», Thèse de doctorat, Université Laval, Département de sociologie, 2010, p. 41. 164 Françoise Bourdarias, loc. cit., 2008, p.124. 165 Rachida Chih, loc. cit., 2004, p.85. 166 Statuts et règlement intérieur, « Objectifs », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), p. 3. Voir annexe III, à la page 124.
42
locales et histoire de l’islam malien). Plus largement, la mission de l’association est centrée
sur l’épanouissement personnel et spirituel de la jeunesse malienne :
Convaincu de la nécessité de réaliser le regroupement des mouvements associatifs de jeunes afin de mieux propager l’islam, considérant le rôle important et indispensable que jouent les jeunes dans l’œuvre de la construction nationale et le développement d’un pays, nous, jeunes musulmans de la République du Mali, avons opté pour la création d’une structure nationale représentant la jeunesse musulmane du Mali167.
L’un des membres fondateurs soutient que c’est pour combler un vide associatif que
l’UJMMA a connu le jour :
Le HCI existait déjà. Il y avait aussi l’union des femmes musulmanes. Le HCI était une interface entre l’État et la population. Il manquait par contre une organisation de jeunes, un interlocuteur qui parle au nom des jeunes. On a donc voulu créer une fédération de jeunes, une nouvelle interface entre l’État et le peuple. On voulait formaliser, réunir et rapprocher les jeunes musulmans. Retrouver la solidarité musulmane et ne pas perpétuer les erreurs des ainés. Une unification sans tenir compte des divers courants et confréries168.
Concrètement, l’UJMMA organise des ateliers de lecture du Coran, des formations pour
les jeunes professionnels arabophones, des conférences, des tournées de formation pour les
plus jeunes dans les madrasas, etc.169 À titre d’exemple, en octobre 2014, l’association a
initié une formation en entrepreneuriat avec la collaboration de l’ambassade des États-Unis
au Mali 170 . La trentaine de jeunes arabophones qui ont bénéficié de cette formation
devaient à leur tour former des jeunes de leurs régions respectives. D’ailleurs, une des
167 Statuts et règlement intérieur, « Préambule », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), 28 décembre 2009, p. 2. 168 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 169 Étant donné que le terrain a été effectué en été et, de surcroit, durant le ramadan, les locaux de l’UJMMA, situés dans l’ACI-2000, étaient généralement vides. De plus, le contact avec l’association s’est fait tardivement durant le séjour à Bamako. Autrement dit, nous n’avons pas eu l’occasion d’assister aux activités de l’UJMMA, hormis une conférence organisée dans la grande mosquée de Bamako, avec la collaboration d’Ançar Dine. La conférence avait pour thème la réconciliation nationale et a réuni plusieurs centaines de fidèles, hommes et femmes. Des photographies de cette conférence se trouvent à l’annexe II, p. 122. 170 Maliki Diallo, « Mali : promotion de l’emploi des jeunes : Ujmma et l’ambassade des USA forment 35 jeunes arabophones en entreprenariat», http://maliactu.net/mali-promotion-de-lemploi-des-jeunes-ujmma-et-lambassade-des-usa-forment-35-jeunes-arabophones-en-entreprenariat/, page consultée le 12 mars 2018.
43
préoccupations de l’association est le manque de perspectives d’emploi chez les jeunes
arabophones :
Nos objectifs étaient de cibler les grands problèmes que la jeunesse malienne affronte. Le premier étant l’emploi des arabophones, ceux qui étudient dans les médersas ici ou viennent de pays arabes. Ils ne peuvent pas travailler, car ils ne parlent qu’arabe. Ils ne maitrisent pas le français. On travaille à ce qu’ils aient accès aux emplois professionnels, on les oriente. On a déjà formé plus de 100 jeunes. Jusqu’à présent, on continue, on doit rassembler tous les acteurs. […] On se penche sur la formation professionnelle des jeunes arabophones171.
En effet, de nombreux jeunes diplômés d’écoles coraniques maliennes ou d’universités
islamiques de Libye, de Syrie ou d’Arabie Saoudite peinent à trouver un emploi au Mali.
Maitrisant mal le français, voire pas du tout, les jeunes arabophones n’ont que très peu
accès aux postes dans l’administration publique, ce qui les restreint à une carrière dans la
sphère religieuse telle que professeur de Coran, imam ou prêcheur, ou encore à des activités
commerciales. De nombreux chercheurs se sont penchés sur les difficultés d’insertion
professionnelle des jeunes arabophones dont la formation est essentiellement les sciences
islamiques172. Cette élite arabisée, qualifiée de « déclassée » par l’anthropologue Galilou
Abdoulaye, « se retrouve marginalisée au regard des fonctions publiques et de la
redistribution des ressources nationales [et cela témoigne] de l’idée générale selon laquelle
les écoles arabes, contrairement aux écoles publiques […] ne conduisent qu’au
chômage »173. Vécue comme une injustice, ils ont été nombreux, au Burkina Faso, au
Tchad et au Mali, à dénoncer « la marginalité sociale dans laquelle ils se retrouvent »174.
171 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. 172 Voir Abdoulaye Galilou, « Les diplômés des universités arabo-islamiques : une élite moderne “déclassée” en quête de légitimité socioreligieuse et politique », Document de travail pour le Département d’anthropologie et d’études africaines de l’Université Johannes-Gutenberg, no. 18, 2003, 19p.; Ousmane Kane, « Intellectuels non europhones », Document de travail, CODESRIA, Dakar, 2003, 71p.; Mamadou Youry Sall, Al-Azhar d’Égypte, l’autre institution d’enseignement des Sénégalais. Indicateurs statistiques, contributions explicatives et base de données, Le Caire, Édition dar El ittihad, 2009, 133p.; Marie Brossier, « Senegal’s Arabic literates : from translation education to national linguistic and political activism », Mediteranean Politics, vol. 22, no. 1, 2017, p. 155-175. 173 Abdoulaye Galilou, loc. cit., 2003, p.18. 174 Sylvie Bredeloup, « Étudiants arabophones de retour à Ouagadougou cherchent désespérément reconnaissance », L’Année du Maghreb, no. 11, 2014, p. 43.
44
Sans chercher à se substituer à l’État, l’association s’évertue à offrir des solutions
alternatives aux jeunes en difficulté pour faire face à la crise morale, sociale et économique.
L’association collabore ainsi régulièrement avec le ministère de l’Emploi, le ministère de
l’Enseignement secondaire technique et professionnel, de l’Éducation de base et de
l’Alphabétisation et le ministère de la Jeunesse dans l’organisation de formations ou de
forum pour l’emploi. Lors de notre entretien, Macky Bah a souligné en effet les
rapprochements entre son association et le gouvernement malien : « Il y avait trop
d’associations qui se sont créées et on a voulu souder les liens avec l’État, chercher le
soutien de l’État. Nous avons travaillé avec le Ministère de l’Administration et celui de la
Jeunesse. L’UJMMA, ce n’est pas une association, c’est une fédération »175. À l’issue d’un
forum national des arabisants, organisé en 2013, l’UJMMA a d'ailleurs signé une entente
avec l’Agence pour la Promotion et de l’Emploi des Jeunes (APEJ) pour le financement et
la mise en place de plus de 60 projets pilotes entrepreneuriaux pour arabophones dont la
création de salons de coiffure, de librairies de livres coraniques, de boutiques d’habits, etc.,
toujours avec la collaboration des ministères cités ci-dessus176. De fait, l’UJMMA s’est
considérablement distinguée dans le milieu associatif de par sa singularité fédératrice et sa
proximité avec l’appareil étatique. Cette relation « d’égal à égal » n’empêche pas
l’UJMMA, comme nous le verrons plus tard, de réagir aux moindres dissensions commises
par l’État ou le HCI.
L’UJMMA se veut donc une fédération des associations islamiques spécialement
consacrée à la voix de la jeunesse malienne. La fédération serait le portevoix de cette
jeunesse en difficulté qui tend à agir pour le bien commun. C’est donc pour mieux les
outiller et les guider dans leurs actions que l’UJMMA se mobilise sur des enjeux locaux
d’ordre économique, sociétal et idéologique qui concernent les jeunes. Toujours selon le
modèle confrérique, c’est en adoptant des opérations socioéconomiques justifiées par la
bonne morale, la piété et le bien commun que les actions de l’UJMMA deviennent
175 Entretien avec le Cheikh Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 176 Abdoulay Diarra, « Le président de l’UJMMA de la commune I à l’issue d’une assemblée générale : la formation de 500 imams au Maroc est une meilleure arme contre le terrorisme, dit Mohamed Cissé », L’Indépendant, 8 octobre 2013, [En ligne] : http://mali-web.org/nord-mali/le-president-du-bureau-ujmma-de-la-commune-i-a-lissue-dune-assemblee-generale-la-formation-de-500-imams-au-maroc-est-une-meilleure-arme-contre-le-terrorisme, page consultée le 12 mars 2018.
45
efficaces 177 . Dans un contexte de fragilisation socioéconomique, ce type de structure
engendre une solidarité « qui sert à raffermir les liens sociaux, à exprimer une identité ou
une appartenance collective » 178 . On retiendra pour l’instant que le sentiment
d’appartenance et de solidarité est au centre des stratégies de l’UJMMA et du discours de
ses militants, ce qui témoigne d’un enracinement identitaire local.
La stratégie d’Ançar Dine s'inscrit dans la même logique, bien que celle-ci dépasse
l'identité malienne pour promouvoir une construction identitaire ouest-africaine à travers
une stratégie prosélyte offensive. C'est ainsi qu'Ançar Dine s’est graduellement diffusée
dans les pays africains limitrophes et en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. La
mission prosélyte de la Fédération d’Ançar Dine internationale (FADI)179 est d'ailleurs
promulguée dans les documents officiels de l’association bien que les membres du bureau
exécutif ne montrent pas une unité quant à ce positionnement de l’organisation. Lorsqu’il a
été question des moyens de diffusion de l’association à l’échelle internationale, dans le
cadre d’un focus group avec des membres de l’administration, un militant présent a pris la
parole en coupant ses comparses, en argüant que l’association n’avait aucun dessein
prosélyte, et que ce sont les membres qui ont manifesté l’intérêt de partager les idées du
guide spirituel :
C’est surtout à travers la presse du guide que les gens ont entendu la bonne nouvelle, ils y sont intéressés. Des Maliens en parlaient à l’étranger, c’est sûr, mais ce n’est pas parce que des groupes spécifiques ont quitté le Mali qu’Ançar Dine (international) s’est organisé à l’étranger. Les adeptes qui y adhéraient se sont organisés seuls, ils ont eux-mêmes constitué des associations180.
177 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p.13. 178 Mamadou Ndongo Dimé, « Remise en cause, reconfiguration ou recomposition? Des solidarités familiales à l’épreuve de la précarité à Dakar », Sociologie et sociétés, vol. 39, no. 2, 2007, p. 159. 179 La Fédération Ançar Dine internationale a vraisemblablement été créée le 22 mars 2008 et officiellement reconnue le 18 février 2011, lors de la Conférence internationale tenue annuellement à Bamako. Sa création a pour objectif « d’harmoniser les politiques et orientations des organisations ançar nationales membres et opérationnaliser la vraie solidarité islamique […] » (Art. 4). Statuts, « Objectifs », Fédération Ançar Dine internationale (FADI), 18 février 2011, p. 3. 180 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.
46
Pourtant, les documents officiels de la Fédération d’Ançar Dine International (FADI)181
attestent d’une organisation tentaculaire qui s’étend dans une vingtaine de pays et d’une
volonté de répandre un sentiment d’appartenance communautaire. L'intervention de ce
responsable lors de cette discussion de groupe montre clairement un climat général de
méfiance quand il est question de réseaux transnationaux musulmans, car les violences
perpétrées par des groupuscules radicaux, tant sur la scène internationale (Al Qaïda, Boko
Haram) que nationale (AQMI, Ansar Eddine), conduisent à un amalgame entre les réseaux
prosélytes purement idéologiques et les réseaux salafistes djihadistes menant des actions
terroristes. À ce propos, René Otayek souligne que, lorsqu’il est question de
transnationalisation islamique, « c’est souvent dans une perspective sécuritaire qu’entretient
la déterritorialisation de l’islam radical, si bien que l’usage même du terme réseau,
lourdement connoté […] s’avère problématique »182.
Malgré les différences linguistiques dans les divers pays où est basé Ançar Dine, le
fait que les prêches soient prononcés en bambara à l’international par l’association restreint
considérablement l’auditoire et atteste d’un afrocentrisme ouest-africain assumé. Cela étant,
l’appartenance à cette association qui s’apparente dans son organisation à une confrérie
transcende les limites frontalières, tel qu’en atteste l’un des membres : « Il y a certainement
une solidarité entre les Ançars, mais c’est bien plus que la umma islamique. Un Ançar d’ici
ou de Côte d’Ivoire, c’est exactement la même chose. Si je pars en Côte d’Ivoire, je deviens
ivoirien d’office. Je vais retrouver le bureau d’Ançar Dine et j’aurais les mêmes avantages
et prérogatives qu’eux »183. Ce témoignage révèle à quel point est priorisé le sentiment
d'appartenance à une communauté musulmane régionale. Il est d’autant plus pertinent
compte tenu de la question de l’« ivoirité » et des enjeux entourant la citoyenneté et
l’identité ivoirienne. En ce sens, les travaux menés par Marie Nathalie LeBlanc concernant
la dichotomie identitaire de jeunes musulmans maliens vivant en Côte d’Ivoire révèlent
qu’« à travers l’islam [les jeunes musulmans maliens] transcendent les frontières nationales
181 Voir annexe IV, p. 132. 182 René Otayek, op. cit.,, 2003, p. 52. 183 Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.
47
et s’identifient à l’univers commun de leur religion, en se référant notamment à
l’umma »184.
Nonobstant la démonstration de Marie Nathalie LeBlanc, il s’avère plutôt que les
membres d’Ançar dine se rattachent à une logique sous régionale musulmane concrète,
contrairement à celle de la grande umma. Depuis sa création, l’association a mis en place
un large réseau de services par la création d’une boulangerie et d’une banque islamique de
microcrédit à intérêt fixe, au sein desquels des fidèles travaillent, d’une agence de voyages
et d’un centre hospitalier, récemment construit dans le quartier de Bankoni. Ançar Dine
aurait également acquis 300 hectares185 de terre qu’elle met à disposition d’agriculteurs et
un centre d’hébergement qui peut accueillir plus 400 personnes dans le besoin 186 .
Finalement, calquée sur les logiques confrériques, l’association d’Haïdara a cultivé une
dynamique de solidarité entre les membres entrainant un fort sentiment d’appartenance
communautaire, si fort qu’il dépasse celui de la umma187.
Les deux associations à l’étude cultivent, de par leurs actions socioéconomiques,
prêches et discours, un sentiment d’appartenance qui se vit et se confirme au quotidien. Un
sentiment d’appartenance à la communauté associative est alimenté par les leaders et
confirmé par les militants, comme nous l'avons vu, à travers le processus d’adhésion, la
participation aux activités de l’association, la diffusion d’un discours commun et le
renforcement d’un attachement à la figure du leader religieux, figure de proue des
associations étudiées. Les objectifs associatifs de l’UJMMA et d’Ançar Dine s’inscrivent
dans une logique identitaire double; locale et régionale. Cependant, à travers ces cas de
figure, une construction identitaire territorialisée rejetant toute figure étrangère, prônant
l’adhésion à un « vrai islam », est mise en exergue. Bien qu’il existe « une variété
d’interprétations données de l’islam pur et simple, entre identité nationale et identité
184 Marie Nathalie LeBlanc, « L’orthodoxie à l’encontre des rites culturels. Enjeux identitaires chez les jeunes d’origine malienne à Bouaké (Côte d’Ivoire) », Cahiers d’études africaines, 2, no. 182, 2006, p. 422. 185 « L’homme de l’année : Ousmane Chérif Madani Haïdara : La personnalité religieuse qui a sauvé le Mali en 2012», Le Progrès, 4 janvier 2013, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/lhomme-de-lannee-ousmane-cherif-madani-haidara-la-personnalite-religieuse-qui-a-sauve-le-mali-en-2012-115303.html, page consultée le 12 mars 2018. 186 A. D., « Présidentielle de juillet 2013 : Le chef religieux Haïdara dévoilera le nom de son candidat », L’indicateur du Renouveau, 17 mai 2013, [En ligne]: http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/72002-presidentielle-de-juillet-2013-le-chef-religieux-haidara-devoile.html, page consultée le 12 novembre 2016. 187 Salilou Dramé, op. cit., 2011, p.112.
48
ethnique, entre communauté naturelle et communauté musulmane »188, l’identité, mise de
l’avant par ces associations, est en effet celle qui se rattache à un héritage culturel et
religieux malien, à fort enracinement local.
188 Jacques Waardenburg, loc. cit., 1994, p. 32.
49
B. Le Haut Conseil Islamique à l’épreuve de tensions interconfessionnelles et
conflits doctrinaux : entre complexité et ambigüité des relations entre les
acteurs religieux maliens
Les leaders religieux se sont emparés de l’espace public au cours des deux dernières
décennies, contrebalançant du fait même l’influence des politiques sur l’opinion publique.
Désignés par la jeunesse actuelle comme étant des références de l’ordre moral et les
représentants des musulmans, les leaders religieux font figure de médiateurs entre l’État et
la population. Dans ce paysage religieux multiple, des affronts se dessinent et des alliances
se forment entre les deux tendances dominantes dans la sphère religieuse, et ce, dans une
volonté de canaliser l’opinion publique. Ce jeu compétitif est d'autant plus remarquable que
la sphère religieuse malienne est plurielle, une pluralité qui se révèle dans les relations
intergénérationnelles, sociales et interconfessionnelles189, les divers courants religieux et
dans les associations islamiques.
L’incident du deuxième congrès du HCI illustre bien cette situation, car il dévoile
une rude concurrence entre les leaders religieux du Mali, le HCI et l’État. En effet, le
deuxième congrès du HCI devait se tenir, initialement, du 15 au 17 avril 2014, à
Bamako190. Lors de ce congrès, les 45 membres du bureau exécutif national et leurs 300
délégués devaient procéder au renouvèlement du bureau exécutif et du mandat du président
du HCI qui était échu depuis janvier 2013, jusqu’alors détenu par Mahamoud Dicko,
d’obédience wahhabia191. Les candidats à la présidence étaient Mamadou Dicko et son
adversaire d’obédience tijanya, Thiem Hady Oumar Thiam. Ce dernier était soutenu par le 189 Céline Thiriot, « Islam et espace public au Mali : une société civile religieuse très engagée », in Dominique Darbon, René Otayek et Pierre Sardan (dir.), Altérité et identité, itinéraires croisés. Mélanges offerts à Christian Coulon, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 214. 190Abdrahmane Dicko, « Haut Conseil Islamique : 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sin die », Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : http://maliactu.net/haut-conseil-islamique-le-2e-congres-ordinaire-sous-haute-tension-reporte-sine-die/, page consultée le 2 novembre 2014. ; Papa Sow, « Haut Conseil Islamique du Mali : Un congrès sous haute tension», Maliweb, 19 avril 2014, [En ligne ] : http://www.maliweb.net/societe/haut-conseil-islamique-du-mali-congres-haute-tension-252302.html, page consultée le 26 novembre 2014. ; A. Diakité, « Après le report du HCIM : Appel à la mise en place d’une commission ad hoc », L’indicateur du Renouveau, 17 avril 2014, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/apres-report-du-congres-du-hcim-appel-mise-en-place-dune-commission-ad-hoc-246922.html, page consultée le 16 novembre 2014. 191 Siaka Z. Traoré, « Du rififi au haut conseil islamique : l’Union des Jeunes Musulmans du Mali se révolte contre Mahmoud Dicko », Le Guido, 29 mai 2013, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/du-rififi-au-haut-conseil-islamique-lunion-des-jeunes-musulmans-du-mali-se-revolte-contre-mahmoud-dicko-149035.html, page consultée le 20 novembre 2014.
50
Groupement de leaders spirituels musulmans (GLSM) 192 et par de nombreux délégués
venus des régions éloignées du Mali, tandis que le président sortant avait le soutien d’une
majorité de délégués wahhabia siégeant dans la région administrative de Bamako.
Un article du journal Le Prétoire, en date du 17 avril 2014, rapporte que le
communiqué du 14 avril, soit la veille du congrès, lu par le ministre des Affaires religieuses
et du Culte à la télévision nationale, annonçait le report du congrès pour une date encore
indéterminée. On justifiait ce report par le séjour à Dakar, aux mêmes dates, du chef d’État
qui devait alors présider la cérémonie d’ouverture du congrès 193 . Au lendemain de
l’annonce, il a été demandé aux 300 délégués de regagner leur foyer jusqu’à nouvel ordre.
Seulement, deux jours après leur départ, soit le 17 avril, il est annoncé que le chef d’État et
Mahamoud Dicko ont convenu de tenir le congrès le 19 avril 2014. Dans l’impossibilité de
revenir à la capitale, de nombreux délégués ont boudé la tenue du congrès qu’ils jugeaient
sous l’emprise du président Ibrahim Boubacar Keïta et les membres wahhabia du HCI.
Dans un entretien accordé au quotidien Le Prétoire, le 24 avril, Mohamed Macky
Bah justifie sa décision de ne pas s’être présenté à la tenue du second congrès en ces
termes:
J’avais demandé à nos partisans de ne pas participer à ce congrès, mais c’est le Chérif Ousmane Madani Haïdara qui a imploré les gens afin qu’ils participent pour sauvegarder la stabilité et la cohésion du pays. En tout cas, j’ai décidé de ne pas partir, car les informations que nous détenions n’auguraient pas la bonne tenue de cette assemblée. J’ai dit que si nous partons (sic), on allait regretter. Ils sont partis, ils ont regretté et ont par la
192 Le GLSM, qui serait, selon les dires du fils du Cheikh d’Haïdara, composé exclusivement de soufis, a été fondé au début de l’année 2012. Le GLSM regroupe des associations et des structures religieuses à tendance soufie qui luttent contre la radicalisation de l’islam par la promotion d’un islam tolérant et pacifique. Dirigé par le guide spirituel d’Ançar Dine, Chérif Haïdara, le groupement cherche à faire contrepoids à l’influence wahhabia dans la sphère religieuse. En ce sens, les leaders soufis, contrairement aux représentants religieux wahhabia, ont sévèrement condamné la destruction de lieux saints, héritage d’une longue tradition religieuse malienne. Alassane Ciné, « Mali : Chérif Madani Haidara (Groupement des leaders spirituels du Mali) “Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les béndictions de Dieu” », Notre printemps, 8 décembre 2015, [En ligne] : http://maliactu.net/mali-cherif-madani-haidara-groupement-des-leaders-spirituels-musulmans-du-mali-nous-nallons-pas-ceder-a-la-terreur-le-maouloud-aura-lieu-avec-les-benedictions-de-dieu/, consultée le 20 octobre 2016. 193 Bakary Sogodogo, « Report du congrès ordinaire du HCI : les éclairages de Mahmoud Dicko », Le Prétoire, 17 avril 2014, [En ligne] : http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99381-report-du-congres-ordinaire-du-hci-les-eclairages-de-mahmoud-dic.html, page consultée le 19 novembre 2014.
51
suite boycotté le congrès, car il ne servait à rien de défendre une cause déjà perdue194.
Afin de témoigner leur désaccord, les membres du GLSM ont menacé de se retirer de
l’organisation après ces évènements et de créer leur propre Haut Conseil Islamique195. Bien
que ce projet n’ait certes jamais abouti, les activités du HCI ont été stoppées durant
quelques mois.
Une autre interprétation est donnée par un grand commerçant siégeant au HCI,
d’obédience wahhabia : « Plusieurs personnes prisaient la présidence, c’est toujours
comme ça les élections. Haïdara voulait avoir le poste, mais les gens ne voulaient pas. Ça
n’a pas plu à ses fans, à ses adhérents (sic). Dicko a été contraint à présider à nouveau, car
il voulait se retirer, mais on l’a choisi. Thiam voulait aussi, mais il a été rejeté par les
membres »196. Aux menaces de l’UJMMA et plus largement du GLSM, celui-ci répond
que « le Haut Conseil Islamique n’avait pas à réagir, c’était le travail de l’État. L’État a
immédiatement réagi en disant qu’il ne reconnait qu’un seul et unique HCI au Mali. On n’a
même pas eu à nous prononcer (membres du HCI). Des tiraillements du genre, il y en a
toujours, ça fait partie des choses »197.
Il n'en demeure pas moins que de nombreux témoins appartenant aux deux
associations à l’étude, Ançar Dine et UJMMA, ont fait part de leurs réserves quant à
l’immixtion de l’État dans l’organisation du congrès :
Un fin observateur s’attendait à ce problème. C’est regrettable! […] Il y a une forte opposition entre les soufis, tijania, les spirituels [GLSM] qui sont opposés à l’idéologie wahhabite. Et si le HCI ne peut défendre tous les musulmans, on s’en occupe. Mais on ne s’est pas détaché du HCI, on n’était pas prêt à le faire. C’est l’État qui a créé le HCI, mais ça ne devrait pas une branche dirigée par l’État. Ça ne peut pas se faire sans le peuple. Il y a des
194 Oumar Konaté et Bakary Sogodogo, « Mohamed Backi Ba : IBK a installé son Haut Conseil Islamique, nous allons installer le nôtre », Le Prétoire, 24 avril 2014, [En ligne] : http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/99929-mohamed-macki-ba-«ibk-a-installé-son-haut-conseil-islamique,-nou.html, page consultée le 19 novembre 2014. 195 Ibidem. 196 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 197 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014.
52
négociations entre nous aujourd’hui, ça en prend avant qu’il y ait une rupture. Des efforts sont accomplis des deux bords198.
La lecture des évènements survenus lors du 2e congrès du HCI que fait Habib Kan, membre
de l’UJMMA, reflète un certain malaise des membres de son association quant aux liens
étroits entre le HCI et l’État. L’intervention du président dans l’organisation du congrès
dévoile toute la complexité des rapports entre le politique et le religieux dans la sphère
religieuse malienne.
En ce sens, un jeune membre de l’UJMMA a partagé son opinion concernant la
relation ambigüe entre les autorités religieuses et publiques : « Les dirigeants de l’État
devraient considérer les leaders religieux comme de véritables conseillers afin de faire
avancer le pays. Cependant, je pense que [ces derniers] ne devraient que conseiller les
hommes politiques. Ils sont un socle sur lequel l’État devrait se reposer. Le rôle des leaders
(religieux) est aussi d’écouter la société civile, de transmettre son message et de collaborer
avec l’État »199.
La relation entre les deux sphères, religieuse et politique, laisse de nombreux
témoins ambivalents quant à la frontière à tracer entre l’État et les associations religieuses.
Le trésorier d’Ançar Dine, Seidou, a tenu à défendre la position de son association quant à
ses liens avec l’État et le HCI :
Avec ce qui est arrivé récemment, le HCI a pris en otage le congrès, tous les postes clés leur appartiennent (les wahhabias). Les autres, ils ont les petits postes comme adjoint ou 3e président. Si le président de la République a des problèmes au niveau du culte, les premiers qu’il va voir c’est les premiers responsables du HCI […] Mais on s’est réveillé, il ne faut pas les laisser. On n’a pas besoin de l’État […] C’est ici que les tendances ressortent réellement (dans les relations avec l’État). Le groupe des leaders religieux (GLSM), leur racine c’est l’islam authentique. Ils ont fait de l’islam une religion de stabilité et de paix200.
198 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 199 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. 200 Entretien avec Seidou, trésorier d’Ançar Dine, dans les bureaux du témoin (quincaillerie), 15 juillet 2014.
53
La presse malienne présente les évènements avec les mêmes lunettes d’analyse en
soulignant ceci: « Deux clans se battent aujourd’hui à ce 2e congrès qui vient d’être reporté.
Il s’agit du clan du président sortant, Mahmoud Dicko, et celui de Thierno Hady Oumar
Thiam. Ce dernier est le candidat de ceux qui se réclament de l’islam traditionnel ou
modéré »201. Pour faire front au « clan » de Mahmoud Dicko, des hommes religieux qui se
réclament de l’islam traditionnel malien, pour reprendre les termes de nos témoins, ont
rejoint le GLSM. À cet effet, la création du GLSM s’est faite sur fond de querelle au sein
du HCI, certains leaders accusant les wahhabia de dominer le paysage religieux malien.
Cette lecture binaire fut relayée par de nombreux témoins, notamment le fils du
Chérif Haïdara qui nous a partagé sa lecture : « Beaucoup d’associations comme celle des
leaders religieux (GLSM), composées de soufis, se sont opposées au comportement du
HCI. Le problème vient des conflits, nous sommes tous sunnites, mais dans les sunnites, il
y a des wahhabia, au Mali ils forment maximum 15 % de la population. Et au HCI, ils sont
majoritaires, les soufis ne sont pas d’accord avec ça, ils ont donc suspendu le bureau »202.
En somme, le GLSM et Ançar Dine tendent à se détacher de l’influence idéologique et
financière des wahhabias, qui selon nos témoins d’obédience tijania, sont dominants dans
la sphère religieuse :
Le président du HCI est un wahhabia. Quand tu es président, il faut être impartial et être juste entre les deux tendances. Il a laissé le soufisme (sic). Nous, les femmes, nous ne voulons pas entrer dans ce combat, mais on demande la tolérance et la justice entre les deux tendances. C’est ma vision et celle de beaucoup de gens. […] De plus, les wahhabias sont minoritaires au Mali et ils nous dominent par notre tolérance et notre sens du pardon. Ils nous dominent parce qu’ils sont instruits, ce sont des intellectuels. […] Ils ont de l’argent et sont intelligents203.
Ces paroles, tenues par la fille du chérif Haïdara, renvoient à une pensée marquée de
clichés et de préjugés envers les musulmans d’obédience wahhabia partagée par quelques
membres de l’association : « Les wahhabites sont intelligents, ils sont beaucoup instruits.
201Abdrahamane Dicko, « Haut Conseil Islamique : le 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sine die », Les Échos, 16 avril 2014, [En ligne] : https://maliweb-malijet.tumblr.com/post/82917273985/haut-conseil-islamique-le-2e-congr%C3%A8s-ordinaire, consultée le 22 novembre 2014. 202 Entretien avec Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, rencontré au siège de l’association, 14 juillet 2014. 203 Entretien avec Djenaba Haidara, fille du président d’Ançar Dine, rencontrée aux bureaux de l’agence de voyage de l’association, 20 juillet 2014.
54
Sur 100 personnes, disons qu’il y a 50 personnes instruites, sur les 50, il doit y avoir 40 qui
sont wahhabites. Ils ont tout lu, ils savent faire les choses »204. Les paroles rapportées par
ces témoins sont symptomatiques de tensions qui perdurent entre deux clans distincts.
Dans les années 1990, Louis Brenner dressait déjà un portrait binaire de la communauté
musulmane malienne : « De profondes divergences les opposent les uns aux autres. La plus
notoire est celle qui dresse face à face ceux qu’on appelle les sunnites ou wahhabites et les
traditionalistes. […] La société malienne contemporaine est fortement segmentée »205. Les
évènements du HCI évoquent, certes, des relations difficiles entre les diverses fractions,
mais ils font par-dessus tout surgir des tensions jamais enterrées, qui s’inscrivent dans
l’histoire contemporaine malienne.
Ce clivage a fait surface au Mali au cours des années 1950 et dans plusieurs pays
musulmans de l’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.
Les tensions qui en résultèrent, entre ce que l’on peut qualifier de deux groupes doctrinaux,
sont encore perceptibles aujourd’hui. De nombreux témoins, des deux générations, se sont
référés à cette période de l’histoire du pays pour expliquer les tensions actuelles en
rappelant que la grande majorité des musulmans maliens s’identifient aux confréries
soufies (Tijaniya et Qadriya). Or, ces confréries renvoient à un islam implanté depuis plus
d’un millénaire au Mali. Au cours des siècles, le culturel et le religieux ont cohabité
entrainant un profond syncrétisme. Un syncrétisme islamique auquel le fondateur du
wahhabisme, Muhammad Abd al-Wahhab (1703-1793), s’opposait fermement. Ce dernier
proposait plutôt de « restaurer l’islam dans sa pureté originelle en bannissant les
innovations et superstitions et en pratiquant une politique d’expansion »206.
Afin de mieux saisir les tenants et aboutissants de ces divisions auxquels les témoins
font référence, il convient de survoler la diffusion du wahhabisme en Afrique de l’Ouest207,
dont la capitale malienne a été l’un des principaux foyers de cette doctrine dans la sous-
région208. Cette pensée originaire d’Arabie Saoudite fut partagée en Afrique de l’Ouest par
des pèlerins de retour la Mecque, dès les années 1930, et plus largement instaurée après la
Seconde Guerre mondiale par des diplômés de l’Université Al-Azhar (Caire, Égypte) de
204 Entretien avec Seidou, trésorier d’Ançar Dine, dans les bureaux du témoin (quincaillerie), 15 juillet 2014. 205 Louis Brenner, loc. cit., 1996, p. 185. 206 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345. 207 Au milieu du XXe siècle. 208 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 345.
55
retour au pays au milieu du XXème siècle. Bénéficiant d’une grande notoriété et d’un
important financement des fonds pétroliers, les hadjs et les diplômés de l’université
islamique ont ouvert de nombreuses écoles coraniques afin de transmettre aux plus jeunes
ce qu’ils considéraient être l’islam « vrai » et « pur »209. En « proclamant la supériorité de
leur orthodoxie sur les autres mouvances de l’islam et notamment les grands soufis »,210 les
adeptes du wahhabisme ont provoqué une véritable onde de choc dans une région où les
consultations maraboutiques et le culte des saints sont des pratiques largement répandues.
Effectivement, ce foyer religieux adresse de fortes critiques à l’égard des marabouts, des
pratiques mystiques, des confréries et de l’islam populaire. Cette lecture élitiste, car
longtemps réservée aux grands commerçants et intellectuels, a entrainé des conflits dans
tous les foyers du wahhabisme, dont Ouagadougou et Bamako211.
Dès les années 1950, au Burkina Faso et au Mali, des pogromes anti-wahhabia
furent mis en place par les pouvoirs coloniaux. Les désaccords furent tels que d’importants
conflits éclatèrent dans les deux capitales. À ce titre, Birama, un témoin appartenant au
courant littéraliste, et dont le père fut un acteur central dans la diffusion du mouvement à
Bamako, atteste de cette tension dans la capitale malienne :
Il (son père) est allé en Arabie Saoudite, a aimé la pratique et l’islam là-bas, il a cherché à comprendre et il a commencé à pratiquer la Sunna. Ça n’a pas été facile pour lui. Vous savez, la Sunna c’est la meilleure pratique, c’est la tradition issue du Prophète. Les gens s’y opposaient, ils n’aimaient pas parce que ce n’était pas leur pratique, ils voyaient ça comme une importation, ils l’appelaient le wahhabia. Il y a même eu une bagarre en 1957. Ils lui ont cassé sa boutique, il a dû aller à Dakar. [Le témoin ne précise pas qui sont les « ils »] Il est allé à Dakar pour avoir l’autorisation du gouverneur à pratiquer sa religion. Vous savez, ce n’était pas encore une République, mais c’était laïc, donc il avait le droit de pratiquer sa religion, il a dû se battre et avoir une autorisation. Et puis, il n’obligeait personne. Il pratiquait pour lui-même et les gens venaient vers lui parce qu’ils aimaient ça. Mais ça dérangeait beaucoup les imams bien installés. Eux ils avaient des pratiques de Marabouts, c’est contre l’islam […] C’est (le wahhabisme) un héritage familial, mais aussi au
209 Le courant propose une lecture littéraliste totalement épurée des emprunts culturels locaux, il en appelle à la plus pure tradition prophétique. 210 Maud Saint-Lary, « Du wahhabisme aux réformismes génériques. Réveil islamique et brouillage des identités musulmanes à Ouagadougou», Cahiers d’études africaines, no.206-207, « L’islam au-delà des catégories », 2012, p. 457. 211 Voir l’incontournable ouvrage de Lansiné Kaba, The Wahhabiyya : Islamic reform and politics in French West Africa, Evanston, Northwest University Press, 1974, 285p.
56
Mali. Le Président, en 1960 était contre lui. Tout le monde allait à une seule et la même mosquée de Bamako, la Grande mosquée aujourd’hui […] Mon père devait se cacher pour prier. La milice était impliquée aussi, il n’avait pas le droit, car il dérangeait. Finalement, après le coup d’État, lui et trois de ses fidèles amis sont allés voir Moussa Traoré. Leur principal problème et revendication étaient la religion. Ils voulaient une mosquée et pouvoir prier en paix. Moussa Traoré leur a donné l’autorisation. Et c’est de là que les mosquées sunnites ont proliféré. Par contre, Traoré ne voulait pas financer, ils ont donc construit la première mosquée sunnite Mazjt nour début des années 1970212.
Ce témoignage renvoie à un épisode de l’histoire malienne qui, à la lumière des
témoignages recueillis, a marqué les mémoires. Tel que l’explique Jean-Loup Amselle213,
le pogrome anti-wahhabia de mai 1957, dont les causes sont idéologiques et politiques214,
est à l’origine du pillage de plusieurs centaines de concessions de membres et de
sympathisants du RDA par « les éléments traditionalistes, c’est-à-dire représentant les
intérêts de l’administration coloniale, du chef de province et des marabouts »215. L’auteur
rapporte, tout comme notre témoin, que les leaders wahhabias ont réitéré leur demande au
gouvernement pour la construction d’une mosquée, ce qui fut à nouveau refusé. Par
ailleurs, comme le soulève Birama, le régime de Moussa Traoré sera beaucoup plus tolérant
envers le courant wahhabia avant de regrouper tous les courants musulmans maliens sous
l’AMUPI216.
Un autre témoin de la même obédience a fait mention de ces tensions toujours
existantes :
212 Entretien avec Birama entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 213 Les évènements auxquels fait référence le témoin sont largement couverts dans les travaux de l’anthropologue Jean-Loup Amselle (1985) et l’historien Lansine Kaba (1974). 214 Les intellectuels wahhabites furent séduits par les idées nationalistes durant leurs séjours académiques dans les pays arabes, ce qui les dressa naturellement contre les marabouts et les cheikhs perçus comme les « agents fidèles du colonisateur ». Ces derniers se sont donc rapprochés de l’organisation politique anticoloniale, le Rassemblement Démocratique Africaine (RDA). Ils en sont même venus à demander au RDA de financer la construction d’une mosquée wahhabia et d’une madrasa dans la capitale. Craignant que le mouvement ne gagne en influence, le pouvoir colonial entreprit d’affaiblir le RDA. Voir Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 351. 215 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 351. 216 Jean-Loup Amselle, loc. cit., 1985, p. 352.
57
Je suis sunnite et je l’ai vu l’intolérance, et ce, depuis 1948. Il y a eu une guerre entre les tendances. La tendance traditionnelle et les wahhabites, ça se réveille à travers des prêches. Mais le mouvement sunnite est béni. Ils ont mal agi à cette époque, car en venant affirmer que l’islam traditionnel est une déviation, ils les ont provoqués et ça les a frustrés. Des familles ont été saccagées et des maisons attaquées (sic), des wahhabites ont dû se cacher dans leurs puits. En plus, nous étions minoritaires, il y a eu beaucoup de pertes… Il y a encore des tensions, mais pas comme avant. Je suis sunnite, mais aujourd’hui je prie chez les traditionalistes et eux viennent prier chez les wahhabia. La guerre a tout larvé (aggravé)217.
Le fait que de nombreux individus rencontrés ont tenu à se détacher distinctement
de « cet islam » jugé fondamentaliste qui a secoué le pays et qui n’est pas à l’image de
« l’islam malien » pacifiste montre à quel point la récente « crise [malienne] a revivifié des
tensions alors étouffées »218 et a fait ressurgir à la surface une longue opposition entre
l’islam confrérique et le wahhabisme 219 . Au fil de nos entretiens, la condamnation
catégorique des wahhabia passait d’abord par la réaffirmation de son appartenance à
l’islam millénaire malien et par une opposition explicite entre le « bon islam millénaire et
pacifiste » et le « mauvais islam étranger radical ». Cela fait écho aux écrits du sociologue
Alix Philippon : « le soufisme s’est peu à peu imposé comme une forme religieuse
apolitique et tolérante constituant une alternative au radicalisme islamique »220. Pour autant,
cet islam, à priori pacifiste et tolérant, durcit le ton lorsqu’il s’agit du courant wahhabia221.
La fille du leader Chérif Haidara a soulevé ces antagonismes lorsque nous lui avons
demandé de se prononcer sur l’islamité de la jeunesse malienne :
Ceux qui pratiquent devraient se tendre la main, la seule chose qui me préoccupe au Mali c’est la paix. Il faut que les hommes et les femmes se donnent la main pour que l’autorité parvienne à ramener la paix au Mali. Les jeunes ne s’entendent pas du tout, ils vont jusqu’à s’insulter. L’un dit que
217 Entretien avec Mamadou Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 218 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, « Crise malienne : quelques clefs pour comprendre », Confluences en Méditerranée, no. 85, 2013, p. 205. 219 Toutefois, notons que les auteurs ne se sont pas penchés spécifiquement sur ce sujet au cours des dernières décennies. 220 Alix Philippon, « Bon soufi et mauvais islamistes. La sociologie à l’épreuve de l’idéologie », Social Compass, 2015, p. 189. 221 Ces antagonismes sont aussi visibles dans d'autres pays tels que le Burkina Faso, voir Issa Cissé, « Le wahhabisme au Burkina Faso : dynamique interne d’un mouvement islamique réformiste », Cahiers du cercle SHS, tome 24, 2009, p. 1-33.
58
c’est noir, l’autre dit que c’est blanc. C’est devenu que juste (sic) le fait de se croiser les bras durant la prière et laisser pousser la barbe est un problème. Ça n’a rien avoir avec l’islam, ce sont des choses inutiles, il faut aller de l’avant […] Nous, qui fêtons le Maouloud, qui faisons la zawiya222, on peut réunir tout le monde, on n’est pas contre le HCI223
Celle-ci fait référence à un habitus arabisé adopté par les wahhabia, dans la mesure où
ceux-ci ont tendance à se saluer en arabe et à prier les bras croisés. Ces derniers refusent
également de serrer la main du sexe opposé. Ces comportements distinctifs créent une
division immédiate et visible entre les fidèles. Plus encore, les tensions qui se manifestent
dans les débats publics modèlent les constructions identitaires et les constructions
imaginaires de l’Autre.
Cette volonté de réitérer son attachement à l'islam local transcende les profils sociaux
des personnes rencontrées. Le propos d'un jeune dans la vingtaine rencontré dans un grin de
la Dravéla fait écho aux propos collectés auprès de la fille de Haidara. En effet, ce jeune a
réitéré à de multiples reprises son attachement à « l’islam malien », celui de ses ancêtres et
celui qui l’autorise à utiliser le chapelet224. Il a explicitement affirmé son appartenance à la
confrérie tijania avant d’accuser les sunnites de vouloir prendre le pouvoir au Mali. Ce
dernier soulève deux éléments fondamentaux de l’habitus musulman : l’éducation
religieuse transmise par le marabout et l’utilisation du chapelet, chose sévèrement critiquée
par le courant wahhabia.
L’adoption de marqueurs identitaires ostentatoires définis plus haut prend une
dimension contestataire affichée dans l’espace public et vient aussi en opposition avec le
culte des saints, les cérémonies ostentatoires dans le cadre du mariage, du baptême, des
funérailles ou du retour d’un pèlerin. Ces moments qui cadrent les cycles de la vie sont,
selon nos témoins soufis, indissociables de l’identité malienne. Le rassemblement annuel
d’Ançar Dine réunissant jusqu’à 50 000 personnes au stade de Bamako, lors du Maouloud,
s'inscrit dans cet ensemble cérémoniel et témoigne de l’attachement à cette tradition par de
nombreux Maliens. Ces marqueurs identitaires ne font qu'accentuer les particularismes
222 Voir glossaire, p. vi. 223 Entretien avec Djeneba, fille du Chérif Ousmane Haidara, dans les bureaux de l’agence de voyages de l’Association, 20 juillet 2014. 224 Entretien avec Mamadou, jeune étudiant, dans un grin situé dans la Dravéla, 23 juin 2014.
59
religieux dans l'espace public. Les propos du président de l’UJMMA à l'encontre des
musulmans wahhabias en témoignent :
Les wahhabias, c’est des radicaux. Ils coupent les bras des innocents avec l’appui du gouvernement islamisé. Ce sont des salafistes radicaux. Nous, notre islam est authentique, il vient de Djenné, de Tombouctou… Le wahhabia est fabriqué par l’Occident et soutenu par l’Arabie Saoudite. On est tous musulmans, mais on comprend l’islam différemment. Il y a des divisions de fond entre les musulmans au Mali, s’ils semblent unis, ce n’est que de façade225.
Ces propos contrastent avec le discours rassembleur diffusé par l’association. Appartenant
à une longue lignée de marabouts, Macky Bah défend l’islam dit authentique, en référence
aux traditions maliennes. En tant que tijania modéré, dit-il, le leader spirituel a refusé de
recevoir une quelconque formation en Arabie Saoudite en raison des désaccords
idéologiques qu’il a avec la mouvance wahhabia. Ce discours ne fait pas exception,
largement repris par les militants rencontrés, il confirme la diabolisation du wahhabisme
qui est associé à la figure d’étranger 226, comme nous le verrons plus précisément au
prochain chapitre, mais aussi toute tendance qui propose le respect strict des préceptes
religieux par l’application de la sharia – Dieu étant perçu comme le législateur227 – et qui
affiche la volonté de contester le pouvoir en place.
En raison de l’approche littéraliste prônée par les wahhabias et l’expression puriste
de ce courant, de nombreux témoins rencontrés voient une confusion entre toutes les
formes de rigorisme islamique auquel se rattachent à la fois l'islamisme, le
fondamentalisme, le salafisme228. Le président de l’UJMMA qui voit d’ailleurs une rupture
225 Entretien avec Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, dans les appartements privés de l’individu, 24 juin 2014. 226 Issa Cissé, loc. cit., 2009, p. 7. 227 David Westerlund, « Reaction and Action: Accounting for the rise of Islamism », in D. Westerlund et E.E. Rosander (dir.), African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists, Athens, Ohio, Ohio University Press, 1997, p. 309. 228 Pour une analyse plus poussée sur ces différents termes, voir notamment : Kramer, M. « Coming to terms : fundamentalists or islamists? », The Middle East Quaterly, Spring, 2003, p. 65-77; Henri Lauzière, The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press, 2016; Nabil Mouline, Histoire du salafisme, Champs, Flammarion, 2017; Bassam Tibi, The Challenge of Fundamentalism : Political Islam and the New World Disorder, Berkeley, University of California Press, 2002; Bassam Tibi, « Changing Islamism: from Jihadism to institutional Islamism, a moderation? », Soundings : An Interdisciplinary Journal, 98 (2), 2015, p. 146-162; Frédéric Volpi, Political Islam : a critical reader, New York, London, Routledge, 2011; Quintan Wiktorowicz, « Anatomy of the Salafi Movement »,
60
complète dans le monde musulman en raison de l’immixtion du politique dans le religieux,
en appelle tout de même à une unification des Maliens musulmans pour une restauration de
l’image de l’islam qui serait porteur de paix et de tolérance.
Nous observons donc un écart notable entre le discours du président et les objectifs
mêmes de l’association qui se veut fédératrice. Macky Bah, se définissant comme un
« fervent opposant du HCI »229 souligne que l’UJMMA fédère, car, elle regroupe plus de
100 associations islamiques maliennes et que l’une des premières missions de l’association
est de faire « converger les objectifs des musulmans et d’amoindrir la division »230 tout en
montrant une volonté d’affranchir la sphère religieuse malienne de l’influence idéologique
étrangère. Le journal L’indépendant rapporte d'ailleurs, dans un article du 9 aout 2012, les
paroles tenues publiquement par Macky Bah :
N’acceptez pas certains dons offerts par des monarchies du Golfe. Ces dons sont de véritables cadeaux empoisonnés. Parce que ce sont les mêmes pays qui ont armé les islamistes, les ont endoctrinés et leur font perpétuer leur idéologie dans notre pays231.
Ces propos tenus lors d’une lecture du Coran à la Grande mosquée de Bamako le 17e jour
du Ramadan ont été prononcés en présence du ministre délégué de la Jeunesse, du Travail,
de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Bruno Maïga, ainsi que le ministre de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mountaga Tall. Lors de son
discours, Macky Bah a mis en garde les autorités maliennes et le citoyen malien de la
nature des dons et du financement des pays du Golfe 232 . L’indépendant rapporte que
Haïdara, président d’honneur lors du rassemblement, a surenchéri : « Le guide spirituel, de
l’association Ançar Dine, a invité les uns et les autres à faire preuve de bon sens. Au-delà
des autorités, chacun à son niveau doit faire extrêmement attention, nous devons en
Studies in Conflict and Terrorism, 29, 2006, p. 207-239; Bernard Rougier, Qu’est-ce que le salafisme? Paris, PUF, 2008. 229 Entretien avec Macky Bah, président de l’Association de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali, à son domicile, 24 juin 2014. 230 Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 231 Abdoulaye Diarra, « L’UJMMA s’adressant aux autorités sur la nature de certaines aides destinées au nord : N’acceptez pas les cadeaux empoisonnés offerts par les pays du golfe », L’Indépendant, 9 aout 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/lujmma-sadressant-aux-autorites-sur-la-nature-de-certaines-aides-destinees-au-nord-nacceptez-pas-les-cadeaux-empoisonnes-offerts-par-des-pays-du-golf-85170.html, page consultée le 12 octobre 2017 232 Ibidem.
61
principe savoir ce que nous voulons pour notre pays » 233 . Ces deux figures d'autorité
entendent bien extraire la sphère religieuse malienne, du moins leurs associations
respectives, de l’influence wahhabia qui est largement financée par les pays du Golfe234.
Les propos qui tirent la sonnette d'alarme du danger de voir le Mali être dépendant
de l'aide financière des pays du Golfe et de son corollaire, celui de voir le wahhabisme
s'étendre, résultent d'un constat clairement dressé par Gilles Holder. Cet auteur soutient que
la manne saoudienne a largement soutenu et financé la sphère islamique malienne235. Au
tournant des années 1990, le pays renforce en effet considérablement ses liens
diplomatiques avec l’Arabie Saoudite, mais également la Libye et le Qatar. Cette
coopération multilatérale s’est illustrée dans le domaine de la santé, du religieux, du
culturel, de l’éducation et de l’économique, et ce, dans l’ensemble des pays africains. En
réaction à un important financement accordé par l’Arabie Saoudite pour la construction du
deuxième pont de Bamako, un article dans le quotidien proche de l’État, L’Essor, datant du
19 janvier 1990 expose à quel point cette coopération est présente en faisant valoir que « le
geste est à saluer à un moment où la question de l’aide au développement inspire plus
d’inquiétudes qu’elle ne suscite d’espoirs sur [le] continent [africain]. L’Arabie Saoudite
s’est impliquée dans la réalisation de tous les grands desseins économiques de notre pays et
son soutien a toujours conservé un caractère fraternel et désintéressé. Comme le sont les
relations tissées entre nos deux pays »236. En octobre 2014, le même journal rapportait que
l’Arabie Saoudite a accordé une enveloppe de 4 millions de dollars au Mali pour de
multiples programmes dans le domaine minier, agricole, scientifique, etc.237.
C’est pour réagir à ce réseau transnational financier et idéologique que la fédération
dirigée par Macky Bah et le Chérif Ousma Haïdara cherchent à atteindre une autonomie
financière et idéologique 238. À ce titre, et comme l’atteste le témoignage du trésorier
233 Ibid. 234 Gilles Holder, loc. cit., 2012, p. 14. 235 Gilles Holder, « Un pays musulmane en quête d’État-Nation », in P. Gonin, N. Kotlok et M.-A. Pérouse de Montclos (dir.), La tragédie malienne, Paris, Vendémiaire, 2013, p. 147. 236 « Le rêve devenu symbole », L’Essor, 19 janvier 1990. 237 F. Napho, « Mali-Arabie Saoudite : Une coopération multiforme », L’Essor, 8 octobre 2014, [En ligne] : https://malijet.co/politique/cooperation/mali-arabie-saoudite-une-cooperation-multiforme, page consultée le 22 octobre 2016. 238 Des travaux menés en Guinée et au Sénégal ont laissé poindre les mêmes aspirations de la part des responsables d’associations musulmanes opposés à un islam traditionnel et dont « la volonté est d’être à l’initiative de la réislamisation de la société », voir Muriel Gomez-Perez, Louis Audet-Gosselin et Jonathan Leclerc, « Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à
62
d’Ançar Dine Bamako et les documents financiers de l’association, la première source de
revenus du mouvement est la cotisation mensuelle des membres qui s’élève à 1500 francs
CFA. Les deux tiers de la cotisation sont versés au bureau local, soit celui de Bamako, et le
tiers restant est versé à la FADI. Le montant de cotisation des membres est fixé chaque
année lors de « la Conférence internationale au cours de sa session ordinaire du
Maouloud » (art.51). Selon le rapport moral et financier de 2013-2014, déposé à l’issue
d’une réunion extraordinaire tenue le 16 janvier 2014, les dépenses de l’association
totalisent 643 765 386 francs CFA (1 396 846 $), tandis que les revenus atteignent
716 765 386 francs CFA (1 577 160 $), ce qui fait un écart positif de 73 008 163 francs
CFA (environ 180 314 $) pour l’année 2013. Ces sommes considérablement élevées sont
gérées par la Trésorerie internationale en concomitance avec tous les comités de trésoreries
locales.
Au-delà des cotisations obligatoires, Ançar Dine bénéficie d’autres sources de
financement, telles que des dons, des fonds de collecte et des bénéfices de ses activités
commerciales. Ces activités réfèrent à une économie morale valorisée par le
mouvement239. La capitalisation et la bureaucratisation du mouvement sont la résultante de
stratégies de gestion axées sur le prosélytisme et l’appui populaire. L’autonomie financière
d’Ançar Dine est donc la première stratégie de légitimation des actions morales, car tout en
procurant au mouvement une libre gestion des actifs, elle permet « l’élargissement de la
sphère d’influence de l’islam, et une participation plus décisive [de l’association] à la
gestion des pouvoirs publics »240. Il en va sans dire que le désengagement de l’État des
affaires publiques au tournant des années 1990 ont été favorables au renforcement des
réseaux financiers islamiques 241 . Le libéralisme politique et économique aidant, des
associations telles qu’Ançar Dine, et plus tard l’UJMMA, ont su pallier le manque à gagner
de politiques d’État ayant laissé le champ libre aux acteurs privés. En somme, les stratégies
d’investissement d’Haïdara révèlent dans quelle mesure l’économie morale peut nos jours) », in Isidore Ndaywel è Nziem et Elisabeth Mudimbe-Boyi (dir.), Images, mémoires et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Karthala, Paris, 2009, p. 437. 239 Ce concept fréquemment utilisé pour décrire un système économique parallèle anti-marchand et anticapitaliste a été introduit par « le Britannique E.P. Thomson, qui a défini le concept en l’appliquant à la classe ouvrière anglaise », Mara Vitale, « Économie morale, islam et pouvoir charismatique au Burkina Faso », Afrique contemporaine, vol. 231, no. 3, 2009, p. 233. 240 Mara Vitale, loc. cit., 2009, p. 236. 241 René Otayek, « Une production islamique de la mondialisation. Les relations Afrique-monde arable à l’ère du transnationalisme contemporain», Confluences Méditerranée, vol. 3, no. 90, 2014, p. 31.
63
« véritablement guider la mutation de l’islam en Afrique, soutenir son engagement dans la
sphère sociale et redéfinir son accès à l’espace public »242.
Cette volonté d'autonomie, perceptible également chez l’UJMMA, conduit aussi à
dénoncer la dépendance au financement saoudien et qatari pour les projets de constructions
de mosquées ou de madrasa. Le propos suivant d’un membre de cette association illustre
bien cette volonté : « Les pays arabes donnent de l’argent, mais ils n’aident pas les jeunes
d’ici. Le deuxième [problème] vient du besoin de construire des mosquées, des écoles
coraniques; à chaque fois que le besoin se présente, on demande aux pays arabes. Il faut
cesser, on doit cotiser »243. Le secrétaire des communications et de la mobilisation de
l’association rapporte qu’un fonds pour la solidarité islamique a été ouvert par l’UJMMA
afin d’entreprendre des projets de construction. Sa création a cependant été paralysée en
raison de la crise que connait le pays depuis 2012. Nous l’aurons vu, les positions
autonomistes des associations à l’étude mènent à une professionnalisation du cadre
associatif qui nécessite une structure économique et administrative crédible. Cela étant dit,
ces structures révèlent une économie morale prospère, alimentée notamment par les dons
(zakat), le commerce d’articles religieux et le hadj.
En effet, le cinquième et dernier pilier de l’islam, le hadj, dont l’accomplissement
«apporte consécration qui sanctionne la réussite économique et sociale »244, constitue une
source financière inépuisable pour les entrepreneurs religieux. Parmi les informateurs, nous
avons rencontré quelques individus qui font figure de modèles de réussite dans l’islamo-
business. C'est le cas de Birama, d’obédience wahhabia, âgé de 50 ans. Ce dernier a
bénéficié d’une éducation laïque et religieuse. Il a gravité dans le milieu associatif
musulman dès son très jeune âge en accompagnant son père aux activités et réunions de
l’AMUPI. Au tournant des années 1990, à la suite de la libéralisation du droit associatif, il
242 Vitale Mara, loc. cit., 2009, p. 236. 243 Entretien avec Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014. Pour compléter son propos, il faut savoir que l’UJMMA se maintient principalement grâce à son autofinancement et à des subventions. Il est stipulé dans les documents officiels que les cotisations (2 $ par an pour les membres et 10 $ par an pour les associations), les subventions, les dons, legs et zakat sont les principales sources de financement de l’association. Voir à l’annexe III, p. 124 : le Règlement intérieur, « Dispositions générales », L’Union nationale des Jeunes musulmans du Mali (UJMMA), 28 décembre 2009, p. 2. 244 Karine Bennafla, « L’instrumentalisation du pèlerinage à la Mecque à des fins commerciales : l’exemple du Tchad », in Sylvia Chiffoleau et Anna Madoeuf (dir.), Les pèlerinages au Maghreb au Moyen-Orient, Beyrouth, IFPO, « Espaces publics, espaces du publics », 2005, p.196.
64
est devenu président de comité de l’association Assilama, créée en 1992. Aujourd’hui très
actif au sein du HCI, il est également un grand commerçant à Bamako. En dehors des
échanges commerciaux qu’il entretient avec les pays du Golfe, Birama détient une agence
de voyages spécialisée dans le pèlerinage à la Mecque. À chaque Ramadan, l’entrepreneur
se rend en terre sainte avec une trentaine de personnes qui déboursent environ 3000$ pour
le voyage. Ce dernier considère également que l’Arabie Saoudite est l’État musulman
exemplaire à l’échelle mondiale. Par ailleurs, il associe étroitement ses activités
commerciales avec les bienfaits de l’islam :
C’est les lieux saints, ils sont incomparables, vous savez, une prière à Mecque vaut des centaines de prières qu’on fait ici. D’ailleurs j’organise des voyages chaque année vers la Mecque. J’en ai un d’organisé pour bientôt (le Ramadan). J’y suis allé plusieurs fois, vu que je l’organise, je pars aussi avec eux, j’encadre tout le voyage, leur hébergement… tout. Comme c’est leur première fois, ils ne connaissent pas bien, ils ont besoin de quelqu’un pour les encadrer. Je n’en fais qu’un seul dans l’année et c’est durant le carême. Le Prophète a dit, si tu fais le pèlerinage durant le mois de Carême c’est comme s’il fait le pèlerinage avec toi. On part les 10 derniers jours avec une trentaine de personnes. Tout est prêt pour cette année. Tout le monde m’a donné son passeport, j’ai préparé leur visa, compléter leur papier, tout est prêt245.
Le parcours du jeune Hamza d’obédience wahhabia – âgé de 22 ans – est également
pertinent à souligner. Ce dernier, qui ne milite dans aucune association musulmane, et ce,
par choix, affirme avoir fait le choix de se doter d’une éducation islamique complète afin
d’en faire la promotion par ses propres moyens. Hamza a commencé la madrasa à l’âge de
6 ans, comme ses trois autres frères. Tous les enfants de la famille ont poursuivi leurs
études islamiques jusqu’au niveau supérieur, excepté ses deux sœurs qui, pour reprendre les
termes du témoin, ont été mariées par la famille à l’âge de 16 ans. Le jeune arabophone
aspire à poursuivre ses études à Médine après l’obtention de son baccalauréat. Ce parcours
témoigne de ce que qualifie Marie Nathalie LeBlanc « d’un processus d’autoformation
religieuse »246. À ce propos, les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon notent que
245 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 246 Marie Nathalie LeBlanc, « Du militant à l’entrepreneur : Les nouveaux acteurs religieux de la moralisation par le bas en Côte-d’Ivoire », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 507.
65
les étudiants de formation islamique supérieure bénéficient d’une notoriété au regard de la
population. Ces derniers rappellent que ces jeunes « formés à la langue et à la lettre des
textes deviennent des apprentis idéologues qui s’interrogent sur l’islam correct et son
éventuelle réforme »247. Aussi, ils deviennent les premiers interlocuteurs des commerçants
« toujours avides de bénéficier d’une proximité avec le ‘ilm (sciences islamiques), source
de connaissance, de bénédiction et de légitimation »248. En ce sens, ces savants sont au
service d’une économie marchande islamique, dans la mesure où ils l’encouragent ou y
participent directement.
À cet égard, Hamza s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Lorsque le jeune
étudiant a été interrogé à propos de ses projets après ses études, Hamza reste très humble et
évasif : « Je ne pense pas à cela, je fais tout simplement confiance à Dieu »249. Voulant
savoir ce qu’il souhaite dans l’avenir, il répond : « Je veux devenir professeur et faire du
commerce dans la région avec l’Arabie Saoudite. J’ai fait des études pour Dieu et je lui fais
confiance pour la suite»250. Ce dernier souhaite non seulement poursuivre ses études dans le
pays musulman qu’il considère exemplaire, mais aussi entretenir des relations
commerciales avec ce dernier. En effet, l’Arabie Saoudite et le Qatar sont selon lui les
leaders étatiques au sein de la grande communauté musulmane : « Alors que les
Occidentaux donnent une mauvaise image de l’islam, les Saoudiens et Qataris luttent pour
l’expansion de l’islam. Ils créent des écoles coraniques partout. Ils envoient des prêcheurs
et des professeurs et chaque année, ils donnent des bourses aux jeunes pour étudier
l’islam»251. Ce discours est aux antipodes des propos tenus par les militants de l’UJMMA
ou d’Ançar Dine qui sont catégoriquement opposés au financement étranger des mosquées,
prônant plutôt l’autofinancement de la sphère religieuse malienne.
En revanche, pour Hamza, la position de l'Arabie saoudite et du Qatar lui suffit pour
justifier et légitimer ses ambitions entrepreneuriales. À cet effet, Marie Nathalie LeBlanc
précise que « la figure contemporaine de l’entrepreneur souligne l’enchevêtrement entre les
flux matériels du religieux, les échanges économiques propres à la société néolibérale et la
247 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, loc. cit., 2009, p. 38. 248 Ibidem. 249 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014. 250 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014. 251 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, le 5 juillet 2014.
66
nécessité de les inscrire dans une idéologie morale et non strictement marchande »252. Les
ambitions entrepreneuriales de Hamza et le parcours de Birama révèlent un marché
économique islamique important au Mali et par extension en Afrique de l'Ouest. Au même
titre qu’Ançar Dine, bien qu’à plus petite échelle, de nombreux entrepreneurs jouissent
d’une notoriété et d’une légitimité dans le cadre de leurs activités économiques en raison de
la dimension religieuse de leur commerce. Les auteurs Jean-Louis Triaud et Leonardo
Villalon rappellent que l’impact de la mondialisation, dès les années 1980, combiné aux
pressions économiques connues en Afrique de l’Ouest ont ouvert « la voie à une place
accrue du religieux dans l’économie »253. Ainsi, de nombreux entrepreneurs jouissent de
l’ouverture des marchés et des relations étroites entre le Mali et l’Arabie Saoudite.
Les associations islamiques à l’étude ont su investir depuis leurs créations des
espaces délaissés par l’État. Dépassant les frontières du privé et du public, l’UJMMA et
Ançar Dine produisent un effet d’attraction identitaire auprès des jeunes et un sentiment
d’appartenant territorialisé qui dépasse largement celui de la umma. Le rejet de la grande
communauté musulmane supranationale est manifeste dans les projets et stratégies des
associations, les discours des adhérents et des leaders et finalement dans leur lecture des
conflits doctrinaux. Le réformisme incarné par ces deux associations cherche
essentiellement à préserver un islam malien de toute influence étrangère par la promotion
et le renforcement des identités locales. Les valeurs et préceptes islamiques ainsi que les us
et coutumes hérités étant associés à la sauvegarde de la nation, nous observons, dans ce
cas, une surenchère dans les discours et le comportement de l’identité musulmane et
malienne.
En rejetant vigoureusement l’influence financière et doctrinale d’un courant
musulman dit étranger à l’identité malienne, ceux-ci s’inscrivent dans une dynamique
locale et rejettent tout référent global. Il semblerait que ce rejet du global, témoigné par
une fraction des acteurs religieux, se soit accentué dans un contexte de crise nationale et
morale. Toutefois, dans leur ensemble, « ces promoteurs de l’islam cherchent à élever
252 Marie Nathalie LeBlanc, loc. cit., 2012, p. 508. 253 Jean-Louis Triaud et Leonardo Villalon, loc. cit., 2009, p. 28.
67
[l’islam] à un principe fondamental d’organisation sociale »254. Du militant de l’UJMMA
au citoyen malien, en passant par un membre du HCI, tous reconnaissent l’islam comme
élément encadrant la vie des fidèles. Les divisions ressurgissent dans les modalités
d’instauration de ce cadre de vie, perceptible dans le domaine du privé et du public. En
effet, les deux associations se dressent, dans un contexte national conflictuel 255 , en
opposition à un islam qui serait étranger à la tradition et à l’identité malienne. Se portant à
la défense des traditions musulmanes maliennes et de l’unité nationale, celles-ci accusent,
selon un schéma binaire, le courant wahhabia de porter atteinte à l’islam malien qui se veut
pacifiste et tolérant. À la lumière des modalités d’actions des associations islamiques et des
tensions doctrinales perceptibles dans l’espace public, il s’agit à présent d’appréhender la
lecture qu’en font des jeunes musulmans, et d’ancrer celle-ci dans le contexte d’une crise
nationale et morale profonde.
254 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 60. 255 Nous développerons en profondeur le contexte national dans lequel gravitent ces associations au chapitre III.
68
CHAPITRE III
Crise nationale et crise morale (2012) : intervention étrangère, stigmatisation des
identités et quête morale. Le sinueux chemin vers la réconciliation nationale
Le Mali a été présenté au cours des dernières décennies comme un modèle africain.
On lui attribue notamment un succès quant à la sécurité et l’unité nationale, la garantie du
respect des mécanismes démocratiques depuis 1991 (élections, alternances, liberté
d’expression et droit associatif), le respect du droit du culte et de la diversité ethnique,
etc256. Cependant, la crise nationale de 2012 a profondément atteint l’exemplarité malienne.
Le 12 janvier 2012, en réponse à l’offensive lancée vers le sud du pays par les groupes
islamistes, l’état d’urgence a été décrété au Mali. L’état de crise mis en place a paralysé
l’ensemble du pays pour des raisons sécuritaires. Les troubles dans le pays reflètent, d’une
part, « une crise de l’État, dans la mesure où son pouvoir n’a cessé de s’affaiblir étant
donné le développement des tensions entre les espaces locaux et le niveau central [menant]
jusqu’à des formes de cannibalisation territoriale de la part des réseaux criminels dans le
Nord »257, et d’autre part, une internationalisation des enjeux religieux et identitaires dans
le pays. Les divisions identitaires nord-sud et la dimension déterritorialisée du conflit sont,
selon nos témoins, les facteurs qui expliquent l’instabilité que connait le Mali. Cette crise
contemporaine, qui dépasse le cadre national, révèle des discours chargés de
représentations d’altérité et de différenciation. La dimension religieuse et identitaire aura eu
pour effet d’alimenter de profondes tensions territoriales et religieuses.
Sans pour autant adopter une lecture réductrice, mais bien pour reprendre les termes
employés par divers individus rencontrés et la lecture des médias maliens, le paysage
religieux serait divisé en clans. Le premier, appartenant à la tendance dite orthodoxe, est
porté par le HCI dont la très grande majorité des sièges est détenue par des musulmans
d’obédience wahhabia. Ces derniers, appartenant à la réforme hanbalite, prône l’islam
littéraliste, qui rejette les pratiques culturelles maliennes telles que les festivités à caractère
religieuses, la vénération des mausolées, les pratiques maraboutiques, etc., tandis que
256 Susanna D. Wing, « Briefing Mali: Politics of a crisis », African Affairs, vol. 112, no. 448, 2013, p. 476-485. 257 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise de l’État et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 2013, p. 17.
69
l’autre clan, représenté par le Groupement de leaders spirituels musulmans (GLSM), prône
plutôt un islam populaire, enracinée dans les pratiques musulmanes locales.
La jeunesse militante appartenant aux associations à l’étude cherche à trouver un
équilibre entre « l’homme moderne et le bon musulman »258. En adoptant un discours
moralisateur et un comportement pieux, les militants rencontrés proposent un projet social
qui s’inscrit dans la continuité de la tradition malienne. Tandis que d'autres témoins
rencontrés proposent un retour à une lecture et application de l’islam épurée de la culture
locale. Malgré les différences d’interprétations, foncièrement, ces deux courants
renferment une vision fondamentaliste de l’application de l’islam. Dans ce cas de figure, le
terme fondamentaliste fait très largement référence à un éveil islamique observé depuis
plusieurs décennies au sein des sociétés musulmanes 259. Un éveil, disparate et éclaté,
« derrière lequel […] se trouve une véritable mosaïque de petites et moyennes associations
aux doctrines diverses, voire opposées […] proclamant chacune détenir la bonne
interprétation des textes saints et ainsi représenter Ahl Sunna, les partisans de la tradition
prophétique, dont l’orthodoxie parfaite assurera le salut »260.
Bien que disparate, l’ensemble des courants religieux maliens rejoint une définition
orthodoxe de l’application de l’islam dans l’espace public, ce qui révèle l’ambigüité des
discours qui font dissension. Car malgré tout, dans leur ensemble, « ces promoteurs de
l’islam cherchent à élever [l’islam] à un principe fondamental d’organisation sociale »261.
Du militant de l’UJMMA au citoyen lambda, en passant par un membre du Haut Conseil
Islamique, tous reconnaissent l’islam comme élément encadrant la vie des fidèles. La
valorisation des valeurs religieuses maliennes répond fondamentalement à un état de crise
nationale et morale. Porté par l’ensemble des militants musulmans, le projet collectif vise à
appeler les musulmans du Mali à rejoindre un projet qui semble commun et en accord avec
la devise nationale 262 . Afin d’en saisir la portée, il importe de soulever les éléments
suivants : les facteurs exogènes et internes du conflit, l’analyse qu’en font les témoins
258 Mame-Penda Ba, « La diversité du fondamentalisme sénégalais », Cahiers d’études africaines, no. 206-207, 2012, p. 586. 259 Martin Kramer, « Coming to Terms: Fundamentalists of Islamists? », Middle East Quarterly, 2003, p.65-77. 260 Mame-Penda Ba, loc. cit., 2012, p. 576. 261 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 60. 262 Un peuple, une foi, un pays.
70
rencontrés et la presse malienne, et finalement les solutions proposées par ces derniers pour
le rétablissement de l’ordre moral et de l’unité nationale.
71
A. Fracture territoriale et scission identitaire : faites entrer l’accusé. Les causes
profondes d’une crise multidimensionnelle contemporaine
La crise qui a secoué le Mali au printemps 2012 s’inscrit dans des réalités et
problématiques profondément ancrées dans l’histoire militaro-politique du pays. Le conflit
malien est le produit d’une conjonction de facteurs internes et externes qui dépassent les
frontières maliennes. Dans un contexte d’affaiblissement du modèle étatique westphalien et
dans la foulée de la guerre civile libyenne (2011), le Mali, en proie à des revendications
irrédentistes touarègues, portées notamment par le Mouvement National pour la Libération
de l’Azawad (MNLA), et à la menace jihadiste, est devenu le théâtre de luttes de pouvoir.
Les groupes Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), « avatar de la guerre civile
algérienne des années 1990 »263, Ansar Eddine et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad
en Afrique de l’Ouest (MUJAO), issu d’une scission avec AQMI en 2011, ont connu un
renforcement logistique avec l’arrivée de troupes rebelles fortement armées de la Libye264.
De nombreux auteurs265 avancent que la crise malienne de 2012 est la conséquence directe
de la guerre civile libyenne, bien qu’elle s’inscrive « dans des dynamiques plus anciennes
renvoyant à la fois à la perception de l’Autre, aux relations entre les pouvoirs et les
territoires et aux révolutions du sacré »266. Les effets collatéraux de la crise libyenne furent
vraisemblablement un catalyseur du conflit malien. Cependant, le «problème du nord»267,
s’inscrit dans le temps long et dévoile une incapacité de l’État à surmonter une
inadéquation entre l’État, la nation et le peuple268. Ces tensions territoriales qui remontent à
l’époque coloniale opposent les sociétés locales avec le pouvoir central, et par ailleurs, les
263 Jacques F., Lahouari A. et Henni A., « Crise malienne, quelques clefs pour comprendre », Confluences Méditerranée, vol. 85, no. 2, 2013, p.194. 264 Djallil Lounnas, « Confronting Al-Qa’ida in the Islamic Maghrib in the Sahel : Algeria and the Malian Crisis », The Journal of North African Studies, vol.19, no. 5, 2014, p. 822. 265 Salim Chena et Antonin Tisseron, « Rupture d’équilibres au Mali : Entre instabilité et recompositions », Afrique contemporaine, vol. 245, no. 1, 2013, p.71-84; Benjamin Soares, « On the recent mess in Mali », Anthropolgy Today, vol. 28, no. 5, 2012, p.1-2; Djallil Lounnas, « Confronting Al-Qa’ida in the Islamic Maghrib in the Sahel : Algeria and the Malian Crisis », The Journal of North African Studies, vol.19, no. 5, 2014, p.1-18. 266 Salim Chena et Antonin Tisseron, loc. cit., 2013, p.71. 267 Selon la politologue Susanne D. Wing, l’expression « problème du nord » est apparu lors de la rébellion touareg de 1990, employée par les médias et la population malienne. Voir Susanne D. Wing, loc. cit., 2013, p. 476-485. 268 Nicolas Rousselier, « Déconstruire l’État-nation. Travaux et discussion », Vingtième siècle. Revue d’histoire, vol. 50, no. 2, 1996, p. 15.
72
identités qui en sont porteuses se traduisent par une adhésion ou un rejet du projet
national269.
Bien que le pays ait connu une stabilité politique depuis les premières élections
multipartites en 1991, il s’inscrit tout de même dans une région géographique en proie « à
une criminalité importante et aux activités de groupes armés » 270 . La transition
démocratique malienne s’est effectuée dans un contexte économique et social plutôt
difficile; grandes sècheresses, répression populaire, insurrection au Nord271. En juin 1990,
une insurrection de Touaregs qui a pris naissance au Niger s’est étendue au Mali272. Mené
par le Mouvement Populaire de l’Azawad (MPA), le soulèvement sécessionniste a eu pour
effet de briser l’union nationale déjà fragile. Les aspirations et motivations des Touaregs
étaient multiples et complexes. Les revendications des rebelles concernaient principalement
l’autonomie territoriale, et ce, en réaction à la marginalisation de la population dans les
régions du Nord par les pouvoirs publics. Les demandes les plus significatives étaient
indubitablement l’accès aux pouvoirs locaux pour les collectivités et l’établissement d’un
programme régional de développement économique et social pour les régions déshéritées
du Nord273. En effet, la réalité territoriale malienne soulève une discordance colossale entre
la région centrale de Bamako et les régions éloignées. Pour pallier ces écarts et
l’inaccessibilité des populations locales aux biens et services, l’État malien s’est engagé
dans le projet de décentralisation dans les années 1990, devenu un objectif phare de la
269 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise et territoires de la crise au Mali », loc. cit., 2013, p. 3. 270 Vincent Bonnecase et Julien Brachet, « Les crises sahéliennes entre perceptions locales et gestions internationales», Politique africaine, 2, no. 130, 2013, p. 5. 271 Pendant plus de vingt ans, l’unique parti politique autorisé, l’Union Démocratique du peuple du Mali sous la présidence de Moussa Traoré, a brigué les rouages du pouvoir. Les répercussions des ajustements structurels imposés par les bailleurs de fonds, les grandes sècheresses qui ont frappé le pays (1973-1974, 1979-1980 et 1984-1985) et le vent d’espoir suscité par les transitions démocratiques dans l’ensemble de l’Afrique ont mobilisé un important pan de la population dans les rues de Bamako. D’importantes mobilisations populaires, majoritairement estudiantines, ont eu raison d’un régime dictatorial au pouvoir de 1968 à 1991. À ce titre, la marche historique du 22 mars 1991, organisée par l’Association des Élèves et Étudiants du Mali fut un catalyseur à quelques jours du renversement du président déchu, Moussa Traoré. Monique Bertrand, « Un an de transition politique : de la révolte à la troisième république », Politique africaine, no. 47, octobre 1992, p.10. 272 Entre 1964 à 1990, le Nord était sous tutelle militaire. Voir les développements de Salim Chena et Antonin Tisseron sur le sujet, loc. cit., 2013, p.71-84. 273 Ibrahim Siratigui Diarra, « La flamme de la paix du Mali 10 ans après : bilan de la réinsertion des anciens rebelles », in Yvan Conoir et Gérard Verna (dir.), Désarmer, démobiliser et réintégrer, Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, p.169.
73
troisième république274. Bien qu’il ait été accompagné d’une bonne volonté de distribution
des pouvoirs et d’un important soutien financier des bailleurs de fonds internationaux, le
projet s’essouffla rapidement, accentuant les écarts entre le Nord et le Sud275.
En fonction des résolutions adoptées lors de la signature du Pacte National (1992)
et, plus tard, des Accords d’Alger (2006)276, le gouvernement malien a accordé un statut
particulier à la région de l’Azawad en retirant partiellement l’armée malienne de la
région277. La démilitarisation du Nord eut pour effet d’affaiblir le pouvoir de l’État dans
une région déjà difficile à sécuriser278. L’apparition de groupuscules aux revendications
politico-religieuses au tournant des années 2000 au nord du Mali s’est donc effectuée sous
le regard impuissant de l’État malien. Le coup d’État du 12 mars 2012 intenté contre le
président Amadou Toumani Touré et le conflit au nord du pays traduisent une continuité
« caractérisée par l’absence d’un État fort et légitime face aux multiples formes
d’appropriation, voire de captation des espaces et des ressources »279. En effet, la rébellion
touareg, qui a éclos le 17 janvier 2012, est la 5e insurrection au Mali depuis 1963. La
nouvelle crise qui a secoué le Mali au printemps 2012 s’inscrit donc dans ces réalités et
problématiques profondément ancrées dans l’histoire géopolitique du pays.
Loin d’être réduite au cadre territorial, cette crise latente aux multiples causes et
facettes est devenue effective avec l’arrivée de forces rebelles étrangères de Libye. Les
mouvements indépendantistes ont connu un renforcement armé avec l’arrivée
des troupes rebelles de Libye. La Libye faisait figure, depuis 1970, de terre d’accueil pour
les Touaregs et diverses ethnies migrantes. Avec la chute du Colonel Kadhafi, de nombreux
Touaregs ont quitté le pays pour retourner dans leurs terres d’origine280. Un lien direct a été
établi par les militants rencontrés et la presse malienne entre la chute de Kadhafi et
274 Stéphanie Lima, « Un État faible : des territoires en devenir », Patrick Gonin, Nathalie Kotlok et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, dir., La Tragédie malienne, Paris, Éditions Vendémiaire, 2013, p. 99. 275 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, loc. cit., 2013, p. 2. 276 Voir Ibrahim Siratigui Diarra, loc. cit., 2006, p. 165-188. 277 Ibrahim Siratigui Diarra, loc. cit., 2006, p. 170. 278 David Zounmenou, « The National Movement for the Liberation of Azawad factor in the Mali Crisis », African Security Review, no. 22, vol. 3, 2013, p. 170. 279 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, loc. cit., 2013, p. 3. 280 Ces migrations « du retour » ont provoqué, certes, une très grande pression militaire, mais aussi démographique et économique. En effet, on estime que 7 millions de résidents sub-sahariens et 2 millions de travailleurs immigrés de la même région habitaient la Libye avant l’éclatement du pays. Un grand nombre d’entres eux ont dû quitter le pays. Au Niger seulement, on rapporte que 260 000 travailleurs sont rentrés au pays. Voir sur le sujet Chena et Antonin Tisseron , loc. cit., 2013, p.73.
74
l’instabilité au Mali, qui serait un effet domino orchestré par la France. D’ailleurs, une
expression couramment employée par les Maliens rencontrés lors du terrain en 2014
soutient que « la France a mis le feu et joue à présent au sapeur-pompier ». Cela fait écho à
un article du journal L’Aurore du 30 aout 2012 qui relaie cette expression281 et souligne
que:
La France, mécontente d’une part du régime laxisme d’ATT (Amadou Toumani Touré) face aux enlèvements de ses ressortissants par l’AQMI, et d’autre part voyant l’intention du gouvernement du Mali d’écarter les sociétés françaises dans l’attribution du marché d’exploitation de son futur pétrole au nord, a cherché à faire un deal (sic) avec la rébellion touareg. Cet idéal avait pour but de déstabiliser le régime d’ATT et d’inciter les rebelles à réclamer l’Indépendance (sic) sinon l’autonomie de leur zone (Azawad). En effet, la France s’était engagée à soutenir financièrement, diplomatiquement et stratégiquement le Mouvement National de Libération d’Azawad (MNLA) dans l’atteinte de l’indépendance de la république d’Azawad […] La nouvelle république d’Azawad s’était engagée à éradiquer AQMI du nord du Mali et aussi à confier aux sociétés françaises l’exploitation du pétrole du Nord282.
On ne peut faire l’économie de l’implication de la France dans la mesure où l’intervention
militaire française sur le territoire malien a mené à une sortie de crise283. L’armée française
est intervenue au Mali, avec le soutien de l’armée tchadienne et malienne, dès janvier 2013.
Connue sous le nom d’opération Serval284, l’intervention militaire avait pour objectif de
neutraliser et de désorganiser les divers groupes terroristes et irrédentistes, mettre un frein à
l’offensive engagée vers Bamako et rétablir l’intégrité du territoire malien285. Or, cette
intervention militaire qui fut encensée par les observateurs régionaux et internationaux a
également suscité opposition et controverse au sein des populations locales :
On ne veut pas de l’ONU ni de la France ici pour faire n’importe quoi. Ils allument le foyer et jouent ensuite aux pompiers. Est-ce qu’il y a eu la paix depuis le départ de Kadhafi et de Saddam, non ! Ils avaient des
281 Korkosse Oumar, « Crise du nord du Mali : Quand la France met le feu et joue au sapeur pompier », Aurore [En ligne], 30 aout 2012, http://www.maliweb.net/insecurite/crise-du-nord-du-mali-quand-la-france-met-le-feu-et-joue-au-sapeur-pompier-88635.html, page consultée le 15 février 2016. 282Ibidem. 283 Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 2013, p. 2. 284 L’intervention Serval est une opération militaire engagée par la France de janvier 2013 à juillet 2014. Propulsée par le chef d’État, François Hollande, l’opération de soutien aux militaires maliens a contribué à repousser les troupes armées et à rétablir les conditions de stabilité au nord du Mali. 285 Propos de l’État-major français, l’amiral Édouard Guillaud. Dans Bruno Charbonneau, « De Serval à Berkhane : Les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel », Les temps modernes, no. 693-694, 2017, p. 335.
75
projets. La paix n’arrange pas l’Occident, ils ont besoin de déstabiliser. […] On a tué les incorruptibles. Aujourd’hui, Kadhafi aurait eu l’union africaine. Les chefs commençaient à y adhérer. Qu’a-t-il fait réellement ? Qu’est-ce que Sankara ou Lumumba ont fait pour être tués. Dans d’autres pays, ils sont éliminés par les leurs, regarde le Zaïre, le Togo… C’est pourquoi je n’aime pas la France, je n’aime pas l’Occident. Ce sont nos ennemis. Ils sont l’ami de leurs propres intérêts. Ils sont avec toi seulement quand tu as quelque chose à offrir en retour. En France, on est français quand il le faut. […] L’Africain doit comprendre comment l’Occident se comporte avec nous286.
Les racines historiques d’un tel discours sont profondes. Elles s’attribuent notamment aux
relations conflictuelles entre la France et le Mali, et plus récemment à la sympathie
générale et populaire envers le Colonel déchu Mouammar Kadhafi. En effet, nombreux sont
les Maliens qui accusent la France d’avoir déstabilisé non seulement la Libye, mais
également toute la région sahélienne en s’acharnant sur un homme qui faisait l’unanimité
dans son pays287. Cette analyse qui condamne avec véhémence l’hypocrisie diplomatique et
militaire française est pour le moins fidèle à une réalité souvent ignorée. À ce sujet,
l’épistémologue des Sciences de l’information, Étienne Damome, rappelle que le siège du
Mouvement National de Libération de l’Azawad est posté en France et que ce mouvement
entretenait des relations étroites avec celle-ci, et ce, depuis le mandat de Nicolas Sarkozy
286 Entretien avec Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. 287Si le limogeage de Kadhafi fut largement salué sur la scène internationale, il en est tout autre au Mali en raison des zones d’ombres relatives à son assassinat qui persistent et de l’étroite relation que le régime entretenait avec le Mali. Une enquête menée par Human Rights Watch sur l’exécution de Kadhafi et de son convoi – « Mort d’un dictateur : vengeance sanglante à Syrte» –, remet en cause la version officielle en soulevant qu’au moins 66 membres du convoi, incluant le colonel, auraient été exécutés après leur capture par des milices, ce qui porte atteinte au droit international humanitaire. Un haut responsable de la rébellion libyenne aurait également révélé que parmi les insurgés impliqués dans son assassinat se trouvait un agent des services de renseignement français. Ces accusations font écho à l’éclatement de l’affaire Sarkozy-Kadhafi. Des investigations journalistiques et policières ont révélé que le régime de Kadhafi aurait financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Ces révélations font l’objet, depuis 2012, d’enquête et de procès devant le parquet de Paris. Or, cette affaire fut largement reprise par la presse malienne : «France-Libye : Sarkozy, Kadhafi et la piste malienne », Maliweb, 29 aout 2014, [En ligne], http://www.maliweb.net/societe/france-libye-sarkozy-kadhafi-piste-malienne-497272.html ; «La France a fait une erreur en Libye qu’elle ne doit pas répéter», Maliweb, 12 février 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/insecurite/la-france-a-fait-une-erreur-strategique-en-libye-quelle-ne-doit-pas-repeter-127151.html, page consultée le 12 avril 2016.
76
(2007-2012) 288. L’hexagone se serait dissocié du mouvement indépendantiste quand ce
dernier s’est associé à Ansar Eddine le 26 mai 2012289.
Plusieurs sources médiatiques et analystes politiques, mais très peu d’articles
scientifiques évoquent une alliance entre la France et le MNLA. L’anthropologue et
politologue, Michel Gary, soutient toutefois que l’erreur de la France aurait été de s’allier
au MNLA en vue de libérer les otages français et éliminer AQMI, «sans imaginer que les
groupes islamistes supposés rivaux pourraient s’allier en une dizaine de jours et obliger le
gouvernement français à lancer une intervention militaire plus ou moins improvisée»290.
Bien qu’officiellement en guerre contre l’ensemble de ces groupes, le rapprochement entre
la France et le MNLA fut soulevé par certains observateurs. À ce propos, le journaliste de
terrain, Peter Tinti, a révélé en 2013 que le MNLA a bénéficié de certains passe-droits
accordés par l’armée française, tels que l’autorisation de prélever un droit de passage vers
Kidal291. Ce dernier rapporte que les contrôleurs routiers du MNLA remettaient alors un
papier aux conducteurs sur lequel on pouvait lire «État de l’Azawad : Unité, Liberté,
Sécurité»292.
La mise en place d’un État parallèle indépendant aurait vraisemblablement outré les
populations locales. Selon la politologue Susanna Wing, le groupe aurait pris le contrôle de
la ville de Kidal avec l’assentiment de l’armée française. Les forces armées françaises
auraient profité des connaissances régionales du MLNA pour la libération des otages
enlevés par les groupes jihadistes 293 . Toujours selon cette auteure, cette collaboration
suscita chez la population locale un sentiment de trahison émanant de la France.
Plus largement, l’intervention de l’Union européenne et de l’Union africaine, des
gouvernements africains, européens et américains dans le conflit, et ce, dans un contexte
d’instabilité régionale, suscitait également méfiance et incrédulité auprès de nombreux
288 Étienne Damome, « Mali : les responsabilités (ou pas) de la France », Outre-terre, vol. 3, no. 33-34, 2012, p. 491-501. 289 Pierre-François Naudé, « Mali : Aqmi, le grand gagnant de la fusion MNLA-Ansar Eddine? », Jeune Afrique, 28 mai 2012, [En ligne], http://www.jeuneafrique.com/175947/politique/mali-aqmi-le-grand-gagnant-de-la-fusion-mnla-ansar-eddine/ , page consultée le 16 avril 2016. 290 Michel Gary, dir., La Guerre au Mali : comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombre, Paris, La Découverte, 2013, p. 23. 291 Peter Tinti, « Tacit French support of separatists in Mali brings anger, chargers of betrayal », The Christian Science Monitor, 20 mars 2013, [En ligne], https://www.csmonitor.com/World/Africa/2013/0320/Tacit-French-support-of-separatists-in-Mali-brings-anger-charges-of-betraya, page consultée le 22 avril 2016. 292 Ibidem. 293 Susanna D. Wing, loc. cit., 2013, p. 476-485.
77
témoins rencontrés. Loin d’être un conflit binaire, la crise malienne s’inscrit dans le
contexte géopolitique international, mobilisant de multiples acteurs locaux et
internationaux. Devenu une préoccupation de l’Union européenne au tournant des années
2000, le Sahel est considéré depuis «comme une région hautement stratégique, théâtre de
transformations sociales dont les enjeux économiques, politiques et sécuritaires dépassent
largement le cadre de ses frontières»294. Dès lors, l’affaiblissement du Mali ne serait que la
suite logique d’une stratégie géopolitique décidée par les grandes puissances295. À ce sujet,
le président de l’UJMMA soutient que le conflit du Nord dépasse les frontières maliennes,
étant plutôt le produit d’une stratégie géopolitique propulsée par des pays étrangers :
C’est un problème qui vient de l’Occident et des arabophones. Ils veulent coloniser le Mali pour une seconde fois, ils veulent imposer leur idéologie. Il y a des hommes politiques arabes qui ont condamné l’intervention Serval au Mali, dont le Président de la ligue islamique, le grand Kardani Mophti. On pense qu’il y a un complot des pays du Qatar. Ce n’est pas un problème du Mali, il est géré par la France. Peut-être pas toute la France, mais Sarkozy préparait déjà le plan. Il a planifié ça depuis longtemps, et tout ça est lié au printemps arabe296.
Celui-ci poursuit comme suit :
Les Qataris en ont profité, tout ça est une stratégie politique. Les Arabes veulent le soutien de l’Occident, ils veulent avoir les ressources. C’est le même problème depuis 50 ans maintenant au nord du Mali. C’est pas (sic) les Touaregs le problème, c’est un montage politique297.
Ces théories accusant les forces militaires françaises et le Qatar sont largement répandues
dans le pays et reprises par un important pan de la population. Nombreuses sont les
accusations relayées par la presse malienne quant à la prétendue implication du Qatar dans
le conflit au Nord : «L’opinion publique malienne a toujours cru en la culpabilité des
autorités du Qatar en ce qui concerne leur implication dans l’agression sécessionniste et
294 Vincent Bonne case et Julien Brachet, loc. cit., 2013, p.7. 295 Pour une lecture diversifiée du conflit malien et de l’intervention française, consultez les dossiers du CERI 2012 et 2013 : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/category/pays/mali 296 Entretien avec Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, rencontré au siège de l’association, 24 juin 2014. 297 Entretien avec Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, rencontré au siège de l’association, 24 juin 2014.
78
barbare qui a commencé le 17 janvier 2012»298 ; «dans la multitude d’observations et de
commentaires formulés sur la crise malienne, ces derniers temps, le pesant soupçon généré
par le Qatar un temps remisé, a repris de plus belle et fait crier à l’insondable de plus en
plus de gens»299 ; «force est de constater que le Qatar avec son jeu trouble dans le dossier
malien est en train de franchir le Rubicon. Il s’agit d’un véritable cas de conscience en
acceptant de financer le terrorisme pour déstabiliser des pays, au nom d’une folie religieuse
qui ne se justifie que par un tableau sinistre et des scènes publiques d’amputations»300.
Enfin, pour en revenir à notre témoin, c’est dans un discours fantasmagorique que Macky
Bah met dans le même panier la France, le Qatar, et plus largement l’Occident, les accusant
tous d’être à l’origine du conflit. Cette analyse n’est pas singulière, elle s’inscrit dans un
courant de lecture largement relayé par la presse écrite et repris par de nombreux témoins
rencontrés. De plus, la dimension déterritorialisée du conflit alimente ces discours
imprégnés par une peur de l’étranger, vue comme une source d’instabilité.
Toujours dans une logique du stigma, Mamadou, un membre du Haut Conseil
Islamique (HCI) accuse une autre figure de l’étranger tout en nous mettant en garde du
discours erroné de la population : « Pour la population lambda, c’est la France qui est
complice et ça serait pour exploiter les richesses du Mali. Pour moi, qui suis allé négocier
avec les rebelles du Nord, c’est le côté culturel et racial qui est ancré. Ils refusent de se faire
gouverner par une certaine race, ils se disent supérieurs aux Noirs, mais ils prennent
d’autres alibis pour justifier leurs actes, ils disent que la région est mal développée et disent
agir au nom de l’islam, mais ce n’est pas ça l’islam !»301. Deux éléments clés sont à retenir
dans ce témoignage : d’une part, la dimension raciale du discours et l’imputabilité que notre
298 « Responsabilité dans la crise du nord : le Qatar blanc pour Dioncounda Traoré et noir pour Mahmoud Dicko », Le Matin, 24 janvier 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/responsabilite-dans-la-crise-du-nord-le-qatar-blanc-pour-dioncounda-traore-et-noire-pour-mahmoud-dicko-121604.html, page consultée le 16 avril 2016. 299 Boubacar Sangaré, « Nord-Mali : Du Qatar et du côté ombrageux de la crise malienne », La Nouvelle Patrie, 13 novembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/nord-mali-du-qatar-et-du-cote-ombrageux-de-la-crise-malienne-104502.html /, page consultée le 24 avril 2016. 300 « Crise au nord du Mali : le Qatar n’est pas content de la guerre mondiale contre le terrorisme », L’Agora, 29 janvier 2013, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/crise-au-nord-du-mali-le-qatar-nest-pas-content-de-la-guerre-mondiale-contre-le-terrorisme-122962.html, page consultée le 3 octobre 2015. 301 Entretien avec Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014.
79
témoin attribue aux peuples du Nord, d’autre part, son ouverture à la négociation avec les
rebelles que peu de témoins ont cautionnée.
Le témoignage de Mamadou est éloquent dans la mesure où cet homme qui soutient
avoir négocié (photos à l’appui) avec les troupes rebelles du Nord afin d’ouvrir un couloir
d’aide humanitaire rappelle que le HCI a eu un grand rôle à jouer dans l’apaisement des
tensions Nord/Sud et dans les efforts consacrés pour parvenir à l’unité nationale. La presse
malienne rapporte qu’un premier convoi humanitaire coordonné par le HCI est parti de
Bamako le 12 mai 2012 en direction des régions du nord du pays. Moins d’un mois plus
tard, le HCI, en collaboration avec des associations locales et internationales, a acheminé
un deuxième convoi vers le Nord302. Plus de 700 tonnes de vivres, des médicaments et de
provisions ont été expédiées aux populations privées de tout commerce extérieur.
Mamadou, membre du HCI dans la cinquantaine et d’obédience wahhabia, rappelle
fièrement les démarches de pacification entreprises par les membres du HCI :
Tout le monde au Nord s’est enfui (sic), les hôpitaux ont été désertés, le commerce a arrêté, donc il n’y avait plus de vivres et de médicaments. Le HCI a organisé une requête nationale pour venir en besoin (sic) à la population au nord du Mali. On connaissait déjà ces gens-là 303, on les a approchés pour ouvrir un corridor humanitaire. Nous avons demandé à Ansar Eddine (le mouvement armé créé en 2011) de remettre des militaires maliens en liberté, ils avaient 161 prisonniers. Ils ont accepté. C’est après qu’on a pu ouvrir le corridor humanitaire. Nous avons envoyé 6 remorques pleines de vivres et de médicaments vers le Nord. Certaines presses de mauvaise foi disaient qu’on donnait des vivres aux rebelles. J’ai des photos pour démentir tout cela 304 . On a rencontré tous les grands leaders rebelles. Je leur ai
302 « Aide aux déplacés du Nord : un 2e convoi humanitaire en route vers le septentrion malien », L’Informateur, 13 juin 2012, http://news.abamako.com/h/2150.html, page consultée le 19 octobre 2015. 303 Le témoin rapporte connaître de nombreux jeunes Maliens de Bamako qui se sont rendus au Nord pour rejoindre les troupes rebelles. Ce lien de proximité aurait facilité le dialogue avec les groupes rebelles du Nord : le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, Ansar Eddine et Al-Qaida Maghreb islamique. Il a par ailleurs partagé un échange qu’il aurait eu avec des jeunes rebelles qu’il connaît : « Ce qui m’a déçu c’est (un échange avec) un petit touareg que j’aimais bien avant tout ça. Il m’a dit “tonton nous ne sommes plus pareils. Tu es Malien, et moi azawade”. Je lui ai fait savoir devant un vieux qui a combattu la rébellion de 1991 que ce n’est pas la première fois que quelqu’un veut défaire le Mali […] ». Entretien avec Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 304 L’individu a partagé des photos attestant ces rencontres avec les troupes rebelles et leurs leaders. L’une d’elle, plutôt saisissante, laissait voir des hommes alignés en position de prière derrière celui qu’il affirme être Omar Ould Hamada, chef rebelle qui s’est affilié à Bel Mokhtar, chef djihadiste algérien à la tête d’AQMI. Les hommes, incluant l’interviewé, faisaient la prière derrière le rebelle à côté duquel des armes lourdes étaient alignées de chaque côté. Mamadou a dit être dans l’impossibilité de nous envoyer les photos en raison des rumeurs voulant qu’il soit de mèche avec les troupes rebelles.
80
demandé pourquoi ils veulent la sharia, pourquoi ils descendent le drapeau du Mali pour celui d’Ansar Eddine, ils m’ont répondu que l’islam n’a pas de frontières. J’ai compris alors que leurs ambitions sont sous régionales, leurs ambitions ne s’arrêtent pas au Mali. Personne ne pouvait entrer dans cette région, seulement le HCI a été autorisé. Mais nous avons été accusés d’avoir collaboré avec les islamistes, mais nous les connaissions déjà305.
À cet effet, Radio France internationale (RFI) et la presse malienne306 rapportent qu’une
délégation du HCI s’est rendue à Gao pour entamer des négociations avec le groupe Ansar
Eddine. Effectivement, cette visite aurait eu lieu après la libération de 160 militaires
maliens au mois de mai de la même année307. Ces derniers auraient été remis à la première
autorité religieuse du Mali, le HCI. Seulement, contrairement aux dires du témoin,
l’objectif de la délégation était d’obtenir le départ des troupes rebelles armées du territoire,
et dans une moindre mesure revoir les conditions d’implantation de la sharia dans cette
région 308 . La presse malienne rapporte que le HCI a présenté un document lors des
pourparlers, élaboré par les érudits du regroupement et validé par l’État, dans lequel des
conditions d’implantation de la sharia sont évoquées, et ce, basées sur le Coran et des
hadiths309.
Dans ce contexte de tensions religieuses et politiques, le HCI fait figure
d’intermédiaire entre les rebelles et l’État. Par ailleurs, le chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag
Ghali, aurait déclaré que les groupes rebelles ne reconnaissent qu’un seul canal de
négociations avec le Mali, celui du HCI310. Sa légitimé est due à son statut de représentant
officiel des musulmans du Mali. Cette démarche qui se voulait pacifiste et qui avait pour
305 Entretien avec Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014. 306 « Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao », Les Échos, 10 aout 2012, [En ligne], http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao/, page consultée le 20 septembre 2015. 307 « Mali : une délégation du HCI à la rencontre d’Ansar Dine alors qu’un couple a été lapidé dans le Nord », RFI, 31 juillet 2012, [En ligne], http://www.rfi.fr/afrique/20120731-mali-ansar-dine-Iyad-ag-ghali-mahmoud-diko-lapidation/, page consultée le 7 octobre 2015. 308 Ben Dao, « Crise au nord Mali : le président du HCI bientôt chez Iyad Ag Ghaly », L’Indicateur du Renouveau, 1er octobre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/crise-au-nord-mali-le-president-du-hci-bientot-chez-iyad-ag-ghaly-95351.html, page consultée le 15 octobre 2015. 309 Ibidem. 310 « Mali : influence grandissante des musulmans dans le champ politique à Bamako », Slate Afrique, 22 aout 2012, [En ligne], http://www.slateafrique.com/93281/mali-influence-grandissante-des-musulmans-dans-le-champ-politique-bamako, page consultée le 20 octobre 2015.
81
dessein d’instaurer un dialogue a dérangé au plus haut point le citoyen lambda, d’autant
plus que cette initiative se serait produite dans un contexte de violence auquel la population
malienne est peu familière.
Effectivement, quelques jours avant l’arrivée de la délégation du HCI à Gao, un
couple a subi la lapidation pour déviance des bonnes mœurs et du non-respect des lois de la
sharia, une première au Mali311. La presse malienne et internationale rapporte en date du
20 septembre 2012 qu’au moins six personnes accusées de vol ont été amputées sur la
place publique312. Le témoignage d’une victime accusée d’avoir volé du bétail, Alhader Ag
Almahmoud, 30 ans, a d’ailleurs largement été diffusé dans la presse malienne313. L’un de
nos témoins, jeune dans la vingtaine, visiblement ébranlé par ces évènements, a partagé ses
impressions à ce sujet :
Les gens du Nord sont contre l’islam et contre le Mali. L’islam doit se faire connaitre et apprendre doucement, on ne peut pas forcer quelqu’un à devenir musulman du jour au lendemain. Le Prophète a dit amener les gens à l’islam avec sagesse, donc, ce n’est pas ça l’islam ! La manière dont ils sont venus va à l’encontre des dires de Dieu. Ils ont coupé des mains de personnes qui ont commis des vols et l’adultère, c’est à la loi malienne de les juger […] Des victimes ont témoigné à la télévision, on a entendu les récits des gens. Par exemple, un homme a témoigné à une radio de Bamako (radio niata) : Ansar Eddine a pillé l’équipement des soldats maliens et cet homme a trouvé par hasard le camion, il l’a repris et l’a redonné aux soldats. Les rebelles l’ont capturé et lui ont coupé la main et l’ont mise dans de l’huile bouillante (formation d’un moignon)314.
Amnestie Internationale rapporte que, le 10 septembre 2012, un homme accusé de vol fut
amputé de la main par des membres d’Ansar Eddin devant plus de 200 personnes 315.
Attachées sur des chaises, pieds et mains ligotés, les victimes sont exposées plusieurs
heures sur la place publique après leur amputation. Les groupes islamistes (MUJAO et
311 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. 312 « Au Nord-Mali : des amputations au nom de la charia », Maliweb, 20 septembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/au-nord-mali-des-amputations-au-nom-de-la-charia-93302.html, consultée le 28 novembre 2016. 313 « Sombre année au Nord Mali : entre occupation et confusion », Le Reporter, 27 décembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/politique/sombre-annee-au-nord-mali-entre-occupation-et-confusion-114423.html, page consultée le 22 octobre 2015. 314 Entretien avec Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. 315 Amnesty International, 2012, Mali : Les civils paient un lourd tribut au conflit, AFR 37/007/2012, Londres, 16p.
82
Ansar Eddine) justifient ces châtiments corporels et leur théâtralisation par l’application
stricte et rigoureuse de la sharia. D'un point de vue juridique, rappelons que la sharia est
incompatible au Mali en raison de la constitution laïque du pays. Toutefois, originellement,
elle représente un système de normes et de valeurs qui est déjà en vigueur au Mali dans la
mesure où il encadre la vie des Maliens : naissance, baptême, mariage, décès, héritage,
relations patrimoniales, etc.
Le secrétaire à la communication de l’UJMMA qui a tenu à souligner lors de notre
entretien que « l’islam du Nord »316 est une mauvaise interprétation de la loi islamique
relayée par certains leaders, a partagé son interprétation de la sharia lors d’un débat
radiophonique le 29 novembre 2012. Le quotidien Le Républicain résume ses propos : « la
sharia, selon Habib Kane, comprend trois choses qui sont : la profession de la foi (croire à
l’unicité de Dieu), les actes de dévotion (la prière, le pèlerinage, etc.) et les relations et
transactions financières (mariage, décès, etc.) »317. Selon notre témoin, la loi islamique
devrait dissuader les musulmans de commettre des actes violents. L’imam Mahamadou
Diallo, président d’honneur de l’UJMMA, a entériné ces propos en soulignant que « l’islam
n’est pas une religion de violence […] Ce qui se passe au nord du Mali est la (sic)
confusion, l’amalgame. Ce n’est pas la sharia. Car ceux qui applique la sharia commettent
eux aussi des actes délictueux »318.
Dans la même lignée, Ahmed Haïdara, fils du chérif Ousman Haïdara, a condamné
les violences dans le Nord et a critiqué l’application des lois islamiques au Mali : « dans
toutes les religions, on ne doit pas obliger quelqu’un à devenir musulman, ce n’est que par
la foi que l’on applique la religion. On l’a vu au nord du pays, ils veulent obliger les gens.
Le Prophète lui-même ne l’a pas fait! On ne peut pas appliquer la sharia comme ça »319. Ce
dernier appelle plutôt à suivre la voie du prophète, soit par la diffusion du message
pacifiquement. Fondamentalement, ce n’est pas l’encadrement juridique religieux qui est
questionné, mais plutôt ses limites dans un État de droit, laïc, de surcroit. Rappelons que 316Entretien avec Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. 317Aguibou Sogodogo, « Débat : problématique de l’application de la charia : ce qui se passe au nord du Mali est la confusion, l’amalgame, pas la charia », Le Républicain, 29 novembre 2012, [En ligne], http://www.maliweb.net/insecurite/debat-problematique-de-lapplication-de-la-charia-ce-qui-se-passe-au-nord-du-mali-est-la-confusion-lamalgame-pas-la-charia-108542.html, page consultée le 12 octobre 2015. 318 Ibidem. 319 Entretien avec Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, au siège de l’association, 14 juillet 2014.
83
tant au Nord qu’au sud du Mali, le quotidien de la grande majorité de la population est régi
par le droit musulman. Le débat entourant l’adhésion à la sharia au Mali relève la
dimension subjective du religieux, dans la mesure où l’interprétation de l’islam et de son
application donne lieu à de multiples recompositions. Cette pluralité s’est d’ailleurs
illustrée dans les débats publics. Les condamnations d’individus coupables au regard de la
loi islamique, par lapidation ou amputation, ont alimenté un débat public et ont
considérablement mobilisé l’opinion publique sur des questions idéologiques et
religieuses320. À ce propos, Benjamin Soares soutient que la couverture médiatique au Mali
et à l’international s’est intensifiée après la lapidation du couple dont il est question plus
haut, la multiplication des amputations et le saccage de tombeaux de Saints à
Tombouctou321.
Le saccage des mausolées, survenu entre avril et juin 2012, a frappé l’imaginaire de
la population malienne pour laquelle ces sites étaient sacrés. En effet, les 16 mausolées de
la ville de Tombouctou, datant de plusieurs siècles, ont une grande valeur dans l’héritage
culturel et religieux malien. D’ailleurs, la cité des « 333 saints » fait partie du patrimoine
mondial de l’UNESCO depuis 1988. L’un des membres fondateurs de l’UJMMA s’est
prononcé à ce sujet :
Quand ils ont attaqué Tombouctou (Ansa Eddine), les soufis ont demandé que les gestes soient condamnés, parce que nous, nous considérons (sic) les mausolées, alors que les wahhabias non. On voulait une déclaration officielle. Dicko et la majorité des membres du HCI n’ont pas voulu se prononcer. Le groupement des leaders, lui, a condamné ces saccages même s’il n’était pas encore reconnu officiellement. Pendant ce temps, Mamadou Dicko a fait une heure de discours sans qu’il ne se prononce sur la situation au Nord, on a perdu confiance en Dicko. Ils (wahhabia) sont en collaboration avec les djihadistes. Leurs attentats sont commis au nom de l’islam, tandis que c’est condamné par l’islam. Au même moment, les grands leaders (le Groupement des leaders spirituels du Mali (GLSM) ont fait une conférence de presse et ont condamné ces actions en disant ce qu’est le vrai islam et que, nous, vrais
320Voir les articles suivants : « Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao », Les Échos, 10 aout 2012, [En ligne] : http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao, page consulté le 20 septembre 2015, voir à l’annexe V, p. 139, et « Application de la charia aux populations du nord Mali : le gouvernement avoue son impuissance », Le Républicain, 22 juin 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/insecurite/application-de-la-charia-aux-populations-du-nord-mali-le-gouvernement-avoue-son-impuissance-74769.html, page consultée le 27 septembre 2015. 321 Benjamin Soares, loc. cit., 2012, p. 2.
84
musulmans on condamne ces actions. […] D’ailleurs, lorsqu’ils ont commencé les frappes, l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique), présidé par Morsi a condamné l’intervention de la France. […]. Finalement, le HCI a rectifié sa position et a condamné les actions au Nord. Les leaders du HCI ont un rôle à jouer, mais le bureau ne peut pas rester comme il est présentement. Ça prend un changement pour que la majorité (composée de musulmans non wahhabia) prenne sa place322.
Le GLSM, qui serait, selon les dires du fils du Chéri d’Haïdara, composé exclusivement de
soufis, a été fondé au début de l’année 2012. Le GLSM regroupe des associations et des
structures religieuses à tendance soufie qui luttent contre la radicalisation de l’islam par la
promotion d’un islam tolérant et pacifique. Dirigé par le guide spirituel d’Ançar Dine,
Chérif Haïdara, le groupement cherche à faire contrepoids à l’influence wahhabia dans le
paysage religieux. En ce sens, les leaders soufis, contrairement aux représentants religieux
wahhabia, ont sévèrement condamné la destruction de lieux saints, héritage d’une longue
tradition religieuse malienne323.
Concernant la mobilisation du GLSM sur la question, la presse malienne rapporte
dans un article intitulé Destruction des Mausolées religieux au nord du Mali : non à l’islam
importé les propos du président d’Ançar Dine : « Il (Mamadou Dicko) doit la condamner en
sa qualité de premier responsable de la communauté musulmane, il est notre président et ne
peut pas ne pas condamner cette destruction des mausolées, il y va de l’entente entre les
musulmans de notre pays. Ce qui vient de se passer à Tombouctou est une atteinte grave à
la liberté de culte »324.
Face à l’inaction du HCI, le GLSM s’est mobilisé contre la destruction et la
profanation des mausolées. Au cours d’une première conférence tenue le 9 avril 2012, le
chef spirituel Ousmane Haïdara, l’imam Mahamadou Diallo, le prêcheur Thierno Hady
322 Entretien avec Koussa, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014. 323Voir Alassane Cissé, « Mali : Chérif Madani Haïdara (Groupement des leaders spirituels musulmans au Mali) : ‘‘Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les bénédictions de Dieu’’ », Notre Printemps, 8 décembre 2015, [En ligne] : http://maliactu.net/mali-cherif-madani-haidara-groupement-des-leaders-spirituels-musulmans-du-mali-nous-nallons-pas-ceder-a-la-terreur-le-maouloud-aura-lieu-avec-les-benedictions-de-dieu/, page consultée le 20 octobre 2016. 324 Propos du Chérif Haidara : Kassim Traoré, « En vue de dénoncer la profanation des mausolées et l’inertie du Gouvernement : Grande marche de protestation des leaders religieux, vendredi prochain, sur la primature », L’Indépendant, 3 juillet 2012, http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/en-vue-de-denoncer-la-profanation-des-mausolees-et-linertie-du-gouvernement-grande-marche-de-protestation-des-leaders-religieux-vendredi-prochain-sur-la-primature-77276.html, page consultée le 22 avril 2015.
85
Thiam et d’autres leaders des confréries Tijania et Kadriya ont condamné les exactions
commises au Nord et l’instauration de la sharia sur le territoire malien325. Le silence du
HCI, qui selon la presse «n’a pas manqué de créer la polémique au sein de la communauté
musulmane du pays»326, est alors justifié par son statut d’interlocuteur avec les troupes
rebelles du Nord. En vue d’ouvrir le couloir humanitaire, le président du HCI a expliqué
aux médias qu’en temps de négociation une condamnation serait contreproductive327.
Les représentants du GLSM, « s’inspirant de l’islam traditionnel pratiqué au Mali
depuis des lustres »328 et défendant le culte des saints ont organisé une deuxième rencontre
le 1er juillet 2012 à Banconi pour sensibiliser la population à ces exactions et l’inviter à une
grande marche de protestation le 5 juillet329. Ces membres n’ont pas manqué d’accuser
Mamadou Dicko, et plus largement tous les leaders wahhabia, de mutisme330. Dans la
foulée de ces manifestations publiques, le président du HCI a condamné ces exactions le 10
juillet 2012, en présence des leaders du GLSM331. Les démarches du HCI, ou plutôt son
inaction, ont soulevé l’indignation au sein de la population et ont révélé tout le caractère
325 Mamadou Dabo, « Groupement des leaders musulmans du Mali :‘‘Nous condamnons toutes sortes d’instauration de la Charia par la violence’’, ‘‘Ançar Dine n’a rien avoir avec Ançar Eddine du terroriste Iyad Ag Ghaly’’ », Zénith Balé, 10 avril 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/groupement-des-leaders-musulmans-du-mali-nous-condamnons-toutes-sortes-dinstauration-de-la-chariya-par-la-violence-ancar-dine-na-rien-a-voir-avec-ancar-eddine-59511.html, page consultée le 27 avril 2016. 326Abdoulaye Diakité, « Sur la profanation d’un mausolée à Tombouctou : Le président du Haut Conseil Islamique s’explique », L’indicateur du Renouveau, 11 mai 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/sports/sur-la-profanation-dun-mausolee-a-tombouctou-le-president-du-haut-conseil-islamique-sexplique-65824.html, page consultée le 29 avril 2016. 327Ibidem. 328Abdoulaye Diarra, « Après la destruction des mausolées et les amputations : Les salafistes menacent de mort Chérif Ousmane Madani Haïdara et d’autres leaders religieux », L’indépendant, 26 décembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/apres-la-destruction-des-mausolees-et-les-amputations-les-salafistes-menacent-de-mort-cherif-ousmane-madani-haidara-et-dautres-leaders-religieux-114009.html, page consultée le 17 novembre 2017. 329Kassim Traoré, « En vue de dénoncer la profanation des mausolées et l’inertie du gouvernement : Grande marche de protestation des leaders religieux, vendredi prochain, sur la primature », L’indépendant, 3 juillet 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/en-vue-de-denoncer-la-profanation-des-mausolees-et-linertie-du-gouvernement-grande-marche-de-protestation-des-leaders-religieux-vendredi-prochain-sur-la-primature-77276.html, page consultée le 22 avril 2015. 330 À ce propos, les auteurs Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni confirment que s’agissant du « [Groupement des leaders spirituels du Mali], ce sont les grandes familles maraboutiques du Mali et les leaders spirituels d’obédience malékite — c’est-à-dire les antiwahhabites — qui ont dénoncé la destruction des mausolées à Tombouctou et à Gao […] ». Voir Jacques Fontaine, Addi Lahouari, Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205. 331 Lassa, « Destruction des mausolées religieux au Nord Mali : Non à l’islam importé », Maliba Info, 10 juillet 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/destruction-des-mausolees-religieux-au-nord-mali-non-a-lislam-importe-78827.html, page consultée le 11 octobre 2016.
86
subjectif d’interprétation des textes sacrés. Plus encore, cet épisode souligne la persistance
de fractions profondes présentées par nos informateurs comme deux clans religieux.
Les négociations avec les troupes rebelles et l’inaction de l’organisation suite aux
saccages des mausolées ont entrainé une confusion quant aux motivations des représentants
du HCI, et du fait même, alimenté les tensions existantes. Selon une grille de lecture
prompte à la stigmatisation de l’étranger, ou plus précisément du musulman étranger à la
tradition religieuse malienne, les actions du HCI ont laissé percevoir, aux yeux de
nombreux témoins, une forme de connivence entre les leaders wahhabia et les rebelles du
Nord. Le rejet de l’islam rigoriste, étranger à la voie malienne qui se veut pacifiste et
tolérante, s’est traduit par une sur affirmation de l’identité musulmane malienne, et
inversement, une stigmatisation du musulman dont la pratique est détachée de la tradition
malienne. Ainsi « la crise a ravifié (sic) des tensions étouffées : une large opposition entre
les confréries d’obédience malékite — un rite musulman propre au Maghreb et à l’Afrique
— et le wahhabisme »332.
Par ailleurs, le regain nationaliste qui a gagné le Mali depuis l’insurrection au Nord
du pays a exacerbé les tensions déjà existantes entre les divers courants musulmans
millénaires au Mali (tijanya, malékiste) et le courant wahhabia, et plus largement, les
tensions nord-sud. Bien que la majorité des militants de l’UJMMA et d’Ançar Dine appelle
à une unification des musulmans du Mali, ils ont été nombreux à qualifier les Maliens du
Nord de « radicaux », « d’intégristes » ou « d’islamistes ». Ces termes à connotations
péjoratives entrainent, dans une confusion totale, la stigmatisation l’Autre, désigné de
fondamentaliste, et du même coup une dissociation de cette figure. L’identité, telle que
soulevée par Louis Brenner, se forme selon un « processus of naming : of self, of others and
by others »333. Or, dans un contexte de crise nationale et morale, la représentation de soi ou
de l’entité à laquelle l’individu attache un sentiment d’appartenance se voit menacée. En ce
sens, le vocabulaire connotatif, les comportements caractériels et les discours stigmatisants
créent une rupture nette entre l’Autre et le nous334.
Le discours d’un jeune militant de l’UJMMA, travailleur social de formation, sur le
conflit au Nord, est en ce sens évocateur. Ce dernier travaillait dans les bureaux de
332 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205. 333 Louis Brenner, loc. cit., 1993, p. 59. 334 Voir l’article de Mame-Penda Ba, loc. cit., 2012, p. 575-602.
87
l’association à Kidal qu’il a dû quitter en raison du conflit. Lors de notre rencontre, il était
temporairement posté dans les bureaux de Bamako. Ses interventions à caractères sociales
offrent une lecture intéressante de la situation :
Sur le plan de la sécurité, ça a (sic) toujours été dangereux, l’insécurité a toujours été là au nord. Il y a toujours eu des braquages, les ONG et associations sont les premières victimes, on leur vole leurs véhicules et le matériel. Sur le plan social, entre le nord et le sud, il y a de grandes disparités sur le plan socioculturel. Au Sud, il y a beaucoup plus d’hospitalité et d’humanité qu’au nord. Quand on est étranger et qu’on vient au sud, on respecte et aide l’étranger. Quand on va à Kidal, même en tant qu’agent de l’État, c’est difficile d’intégrer la population. Ça se comprend, ils n’ont pas la même culture et éducation ni le même mode de vie. Je comprends et accepte ces différences […] La première barrière est linguistique, on se comprend mal si on ne parle pas la même langue. Quand je travaille au nord, certains comprennent le français, mais le grand auditoire ne comprend pas. Le reste, c’est dû à des problèmes identitaires Nord/Sud. La télévision nationale par exemple, si vous regardez cette chaine, vous avez des informations sur le Mali. Mais à Kidal, ils ne regardent que les chaines arabes, mais pas celles du Mali. La plupart des marchandises qu’ils consomment viennent de l’Algérie, ils ne consomment que des produits algériens, rien de malien. Sur le plan culturel, leur identité ce n’est pas comme la nôtre, ils ne regardent pas la télévision, n’écoute pas la radio malienne, et ne consomment pas des produits du Mali. En matière d’exode, quand ils voyagent, ils ne vont qu’en Libye, en Algérie et en Mauritanie. Ces aspects font qu’ils ne reflètent pas la même identité que celle du Sud. C’est propre à eux, c’est une situation propre à toutes les régions frontalières, les villages s’identifient aux autres pays frontaliers avant le leur. Ils ne viennent jamais au Sud, d’ailleurs si ce n’est que pour récupérer leur passeport. Un autre aspect est que ces gens n’ont pas la culture du civisme, ne respecte pas les lois335.
Ce témoignage expose l’important clivage identitaire et social entre le Nord et le Sud. Le
jeune Mohamed pointe les principaux éléments identitaires qui distinguent ce qui semble
être deux franges d’une population qui partage le même territoire. Il en vient également à
souligner que les hommes du Nord ne participent pas à l’effort économique : « Au nord, les
enfants sont moins éduqués, c’est dangereux, ils prennent de la drogue, le père n’est jamais
présent pour les éduquer, le père ne détient même plus d’autorité et les gens ne travaillent
335Entretien avec Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014.
88
même pas assez. Un Targui336, on le voit rarement travailler, même les activités comme
jouer au foot, il n’y participe pas. Les femmes travaillent, elles jardinent, font de l’artisanat.
Les hommes ne font presque rien. Au Sud, avec les maigres moyens, dans le commerce, les
gens se battent tous les jours pour survivre »337. On lit dans ce témoignage une rupture
identitaire dans la mesure où l’appartenance nationale se voit divisée en deux. À ce propos,
le politologue Edmond Keller soulève dans un important ouvrage sur les interactions
identitaires en situation de conflits que l’affront de groupes dans un contexte national
conflictuel a tendance à entrainer une communautarisation des appartenances
identitaires338. Ce décalage identitaire est le résultat «de processus sociaux, culturels et
politiques d’attribution, d’invocation et de revendication»339, et il se voit exacerbé par une
absence de dialogue et un racisme assumé. Un autre témoin, Djeneba, une militante de
première génération de l’UJMMA, accuse une forme de racisme dans le pays pour
expliquer la crise :
C’est du racisme au nord! Ceux qui ont la peau blanche voient encore les Noirs comme des esclaves, d’un! De deux, les Arabes ont leur propre éducation […] À chaque nouvelle génération, ils viennent pour nous combattre. Ces terroristes sont aidés par les autres pays arabes. Ils viennent de la Libye, ils viennent tous de là, ils ont d’abord essayé de se réfugier au Niger, mais on leur a refusé l’accès tant qu’ils gardaient leurs armes. Quand ils sont arrivés au Mali, ils ont trouvé les frontières ouvertes. Les choses se sont aggravées depuis et l’Algérie joue un grand rôle, de telle manière que quand l’Algérie se prononce sur le conflit, tout le monde se tait340. Le témoignage révèle un climat d’hostilité à l’égard des peuples touaregs considérés
comme étant étrangers à la culture et à la nation malienne. Les liens entre les logiques
identitaires et logiques territoriales sont, ici, clairement affichés. Ces déclarations révèlent
d’abord un sentiment de peur quant à la figure étrangère venue de Libye, ou simplement
étrangère aux réalités maliennes du Sud, mais également d’un sentiment d’impuissance
dans ce conflit. En effet, le Malien moyen considère, étant donné tous les facteurs exogènes
336 Touaregs au singulier. 337 Entretien avec Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014. 338 Edmond J. Keller, Identity, Citizenship, and Political conflict in Africa, Bloomington, Indiana University Press, 2014, p. 6. 339 Nicolas Rousselier, loc. cit., 1996, p. 19. 340 Entretien avec Djeneba, militante de l’UJMMA, à son domicile, 20 juillet 2014.
89
et les acteurs impliqués dans la crise, que le conflit dépasse le pouvoir d’action des
citoyens, et même des hommes politiques maliens.
Dès lors que les témoignages recueillis révèlent une construction identitaire qui
s’articule autour de la stigmatisation et de la différenciation, les individus, vivant sur le
territoire malien qui ne partagent pas ces mêmes valeurs nationales et éléments identitaires
énumérés ci-dessus, sont étrangers à la nation. Autrement dit, la nation serait un ensemble
de valeurs et d’idées qu’un même peuple partage en cohésion. En ce sens, les peuples du
Nord seraient exclus de l’appartenance nationale en raison de leur éloignement culturel et
identitaire.
Ces représentations identitaires sont entre autres le résultat de politiques
d’administration nationales centralisées ayant conduit d’importantes disparités territoriales
et affaiblies l’État. Ces lectures remettent donc en question la réalisation de l’unité
nationale, si on part du postulat que chaque nation a besoin d’une orientation morale et de
valeurs issues de ses racines historiques et culturelles341. Questionnant viabilité de la nation
dans un État secoué par les conflits342, l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch avance
que c’est ce type de discours raciste qui a engendré des pogromes que l’on a connu sur le
territoire africain : « c’est une pure construction idéologique, où, comble de l’absurde, c’est
soi-même que l’on finit par définir comme autre, c’est-à-dire ceux qui vivent ensemble
depuis des siècles, qui parlent la même langue et ont hérité de la même culture »343.
Le risque est effectivement grand d'autant plus que la dimension religieuse et
identitaire du conflit donne lieu à une surenchère des marqueurs identitaires dans la mesure
où les acteurs sociaux définissent collectivement à partir de l’islam et de la nation.
Cependant, ces formes de réaffirmation identitaire, bien qu’elles soient centrées sur
l’appartenance religieuse, n’affaiblissent pas la véhémence nationaliste, elles semblent
plutôt l’alimenter.
En somme, cette lecture du conflit largement partagée par les Maliens rencontrés,
des deux générations, met en exergue une forte hostilité envers la figure étrangère, voire un
racisme assumé. Eu égard à ce qui précède, l’on perçoit qu’un véritable sentiment de
341 Gregory Baum, « La réponse de l’islam à la modernité : la pensée religieuse de Fethullah Gulen », Théologies, vol. 19, no. 2, 2011, p.178. 342 Catherine Coquery-Vidrovitch, « De la nation en Afrique noire », Le Débat, vol. 84, no. 2, 1995, p. 119-133. 343 Catherine Coquery-Vidrovitch, loc. cit., 1995, p. 126.
90
xénophobie ressurgit des évènements récents. Notre compréhension de ces logiques
identitaires rejoint le postulat suivant de Pierre Kipré : « dans un contexte
d’institutionnalisation de la violence politique et d’exclusion des populations du débat
politique, les identités collectives parcellaires, manipulées par certaines élites sociales,
l’emportent sur une véritable politique de cohésion nationale »344. Effectivement, dans le
contexte malien, l’argument à caractère distinctif basé sur l’ethnicité nuit considérablement
à la réconciliation nationale dans la mesure où il divise les populations plutôt que de les
unir. À ce propos, l’auteur Claude Meillassoux souligne également toute l’importance de
l’unité et du consentement au sein d’une nation autour d’une même administration, de
mœurs codifiées, d’une même justice, d'une éducation et d’une langue commune345. Ces
derniers éléments, une fois combinés, édifient une cohésion nationale.
Nous l’avons vu, les identités sont dressées les unes contre les autres ce qui
accentue les clivages identitaires et témoigne d’une adhésion à la nation à divers degrés. Or,
ces clivages en viennent à exacerber les appartenances et souligner les divisions ce qui fait
sérieusement obstacle au projet d’unité nationale. N’étant pas un élément stationnaire et
immuable, l’identité est en constante redéfinition, questionnement et transformation.
Inhérentes à l’altérité, les constructions identitaires, dans ce cadre politique conflictuel,
semblent être alimentées par les différences. La peur de l’Autre, désigné comme
responsable de la crise, se lit dans les amalgames formulés. Dans une confusion totale, l’on
désigne les coupables de fondamentalistes tout en suggérant une solution religieuse
orthodoxe à une sortie de crise. L’islam, dans sa multiplicité interprétative, devient alors un
foyer de revendications et d’affirmations identitaires.
344 Pierre Kipré, « La crise de l’État-nation en Afrique de l’Ouest », Outre-terre, 2005, no.11, p. 32. 345 Claude Meillassoux, « Fausses identités et démocratie d’avenir », in Patrice Yengo (dir.), Identités et démocraties, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 11.
91
B. Le redressement de la bonne morale au Mali : entre réformisme et
fondamentalisme. L’ambigüité d’un projet social total
Dans un contexte de crise nationale et identitaire, les acteurs religieux s’appliquent à
réévaluer le degré de bonnes mœurs de leur environnement social et à mettre de l’avant les
identités musulmanes, cela en épousant non seulement un discours qui prône un retour aux
traditions originelles, selon un modèle de quête du « vrai islam », de retour à l'ordre moral,
mais aussi en proposant une solution orientée vers les valeurs civiques islamiques telles
que la bonne moralité, la compassion, le dévouement, la tolérance et la paix. La
reconstruction nationale et morale ne serait possible que par un « renouveau » islamique et
sa diffusion dans toutes les sphères de la société. Projet collectif et individuel, ce
renouveau islamique doit être porté par l’ensemble des acteurs religieux.
Dans le but de faire respecter ces valeurs civiques islamiques, il est identifié des
sources de perdition, dont la figure féminine, considérée comme étant la source la plus
visible dans l’espace public. Son comportement, ses gestes et habillements sont critiqués et
condamnés dans un discours orthodoxe et moralisateur. Le recours aux lois islamiques
pour le contrôle du corps féminin dans l’espace public, et plus largement le maintien de la
bonne morale devient la voie naturelle. Ici repose toute l’ambivalence du discours collectif
dans la mesure où tout en prônant la tolérance et en critiquant la lecture orthodoxe du
wahhabisme, nous verrons que les militants de l’UJMMA et d’Ançar Dine musulmans
s’inscrivent dans une voie fondamentaliste de l’application des codes religieux. Cette
attitude, accentuée par la crise nationale, se réduit à exprimer une peur de l'Autre, un
sentiment d'opposition à ce qui est considéré comme une occidentalisation des pratiques
quotidiennes et une perte de repères moraux346.
En période d’instabilité, le religieux est dès lors perçu, d’une part, comme une
solution réelle pour le bien de la nation et d’autre part, comme une solution symbolique
pour la restauration de la morale et des bonnes mœurs. C'est ainsi que l’adoption de la voie
moralisatrice confère à l’individu, qui porte le projet, un champ de possibilités, spirituelles
346 Jacques Fontaine, Addi Lahouari et Ahmed Henni, loc. cit., 2013, p. 205.
92
et sociales347. Par l’investissement d’un discours et d’un comportement pieux, le fidèle se
donne pour mission de moraliser sa société qu’il considère mise à mal et non conforme à sa
conception348.
Dans le cas qui nous occupe, à la lecture des discours des leaders religieux relayés
par la presse malienne, de discours de citoyens lambda et de militants musulmans toutes
confessions confondues, le rétablissement de la morale apparait comme la solution idoine
pour le rétablissement de l’unité nationale. À cet effet, le journal Le Flambeau349 dénonce
la dépravation des bonnes mœurs chez la jeunesse malienne qui mène à la dérive l’identité
culturelle. Dans un article en date du 8 mai 2012, l’auteur appelle au rétablissement des us
et coutumes nationales :
Certains comportements de la jeunesse vis-à-vis des mœurs émettent de plus en plus des inquiétudes sur l’avenir de nos sociétés africaines. La consommation de l’alcool et autre stupéfiant, le non-respect des personnes âgées, la violence juvénile, la prostitution et le style vestimentaire en sont les plus fréquents. Pour notre part, nous nous focaliserons plus sur la tenue vestimentaire de certaines de nos sœurs. Avec des centaines de jeunes filles maliennes qui se promènent presque nues, et le comble de l’absurdité en plein jour, le Malien lambda se demande aujourd’hui ce qui reste de nos valeurs sociétales? Ce triste constat, à la fois écœurant et interpellateur, n’émane en réalité que d’une défaillance éducationnelle des enfants en famille et dans la société? [...] Les Maliens ont démissionné et la jeunesse s’effondre. La responsabilité éducationnelle des parents et de la société et celle règlementaire des autorités sont engagées (sic). Nos sœurs doivent se ressaisir et faire la part des choses. Le corps de la femme est ce qu’elle a de plus sacré et mérite d’être préservé dans la dignité. Nos coutumes, notre culture, notre identité sont les seuls biens qui nous appartiennent dans ce monde dit de mondialisation. Pour notre développement et la préservation de notre patrimoine identitaire, nous nous devons de les protéger contre vents et marées350.
347 Ferdaous Bouhlel Hardy, loc. cit., 2010, p. 829. 348 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p. 4. 349 Ce quotidien dont le tirage est de 500 exemplaires par jour offre des enquêtes et des analyses de presse universitaire, depuis sa fondation en 2008, par des étudiants de l’Université de Bamako. 350 Hamady Diallo, « Dépravation des us et coutumes : Le style vestimentaire des filles, une menace pour notre identité culturelle », Le Flambeau, 9 mai 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/depravation-des-us-et-coutumes-le-style-vestimentaire-des-filles-une-menace-pour-notre-identite-culturelle-65291.html, page consultée le 12 avril 2015.
93
Alimenté par une peur d’occidentalisation et de mondialisation de la société qui
entraineraient une perte de repères, un discours prônant le rétablissement de l’habitus
musulman comme solution réelle à la crise semble faire l’unanimité parmi les diverses
fractions musulmanes au Mali. Le journal le Républicain publiait un article en 2012
accusant les pratiques occidentales de pervertir la culture malienne :
Les mutations des sociétés ont abouti à un phénomène d’assimilations de cultures et de mode de vie. La forte influence des médias dans nos pays africains ont conduit les populations africaines à épouser les mœurs et comportements occidentaux. A bons échéants ou mal interprétés, la jeunesse malienne calque de plus en plus sa vie aux comportements occidentaux. […] Hommes et femmes assimilent le cliché occidental, côté vestimentaire, pantalons slim, taille-basse, cigarette, saourels et les sous-fesses sont à la tendance. Les coiffures des grandes stars sont également reproduites dans les salons de coiffure, actuellement le look de la star américaine, Rihana, fait tabac chez les jeunes filles […]351.
Comme en témoignent les deux articles ci-dessus, la première déviance contraire aux
bonnes pratiques musulmanes pointées du doigt – et la plus visible dans l’espace public –,
sont sans contredit l’habitus et, plus précisément, les tenues vestimentaires des jeunes filles
jugées provocatrices et trop légères. Figure maternelle et pilier familial, la femme est
perçue comme le véhicule premier de transmission de la tradition et de l’éducation
nationale et religieuse. En ce sens, les agissements de la femme considérés comme
provocateurs et ses tenues vestimentaires aguicheuses seraient à l’origine des dits fléaux
qui pervertissent la jeunesse malienne.
À cet égard, la fille du chérif Haïdara défendait les actions et discours de
l’association de son père qui, selon elle, rétablissent l’ordre moral au Mali, car aujourd’hui
« les jeunes se comportent très mal. Je suis contre le fait qu’une fille dit être habillée (sic)
alors qu’on voit tout d’elle, toutes ses formes. On ne sait même plus si elle est musulmane.
Au minimum, il y a la coutume. Il ne faut pas laisser voir les formes, je n’aime pas
l’habillement des jeunes filles au Mali. Sans oublier qu’il y a quelques garçons qui
351Khadydiatou Sanogo, « La jeunesse malienne, victime de l’influence occidentale mal assimilée », Le Républicain, 10 septembre 2012, [En ligne] : http://www.maliweb.net/societe/la-jeunesse-malienne-victime-de-linfluence-occidentale-mal-assimilee-90514.html, page consultée le 25 avril 2015.
94
prennent des excitants, des drogues, ils se soulent, c’est ça notre jeunesse aujourd’hui,
heureusement elle ne forme qu’une partie seulement »352.
Selon de nombreux individus rencontrés, ces dépravations seraient propres aux
centres urbains où les cellules communautaires traditionalistes seraient décousues. Ces
positions moralisatrices témoignent d’un désir de récupération d’une identité fidèle à la
tradition musulmane. Les réalités sociologiques étant sensiblement pareilles entre Bamako
et Dakar, Fabienne Samson soulève des observations semblables dans la capitale du
Sénégal. Celle-ci pointe les particularités urbaines dakaroises qui alimentent les discours
moralisateurs chez des mouvements néo confrériques où « la ville devin pour eux le lieu
privilégié de perdition, de déviances et autres perversions. Ils (membres des mouvements
néo confrériques) commencèrent à critiquer les jeunes qui boivent de l’alcool, se droguent,
passent leurs journées à préparer du thé entre amis au lieu de se chercher un emploi. Les
filles furent les premières visées par ces critiques : considérées comme sources des
principaux problèmes de la société […] accusées de mœurs légères, de porter des
vêtements trop dénudés, de mal élever leurs enfants, etc. »353.
Le rôle dépeint de la femme a une forte portée symbolique en termes de transmission
de la culture, de la tradition et du religieux. Sous l’emprise du poids social, la femme se
voit dépossédée de son corps et de son symbolisme. Vecteur clé de la pratique religieuse,
le corps féminin porte le poids de la tradition et de la moralité sociale dans l’espace
public354. Le rôle de la femme dans le rétablissement de la bonne morale et de la nation
n’est pas anodin. En 1991, la sociologue Marie-Aimée Hélie-Lucas, exposait à travers
l’histoire nationale algérienne, iranienne et indienne le rôle des femmes dans des contextes
de crises nationales où l’identité est menacée : « le comportement et l’habillement des
femmes sont chargés d’une grande signification symbolique. Le nouveau régime [de
Khomeini, guide de la révolution iranienne] désigne explicitement les femmes comme
porteuses les plus dangereuses de la décadence morale »355. La gent féminine se retrouve
alors campée entre son rôle de dépositaire de la culture et de la religion, et celui de 352 Entretien avec Amina Haidara, fille du Chérif Haïdara et représentante de la cellule familiale d’Ançar Dine, dans les bureaux de la banque de l’association, 17 juillet 2014. 353 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p.10. 354 Charmaine Pereira et Jibrin Ibrahim, « Le corps des femmes, terrain d’entente de l’islam et du christianisme au Nigeria », Cahiers du genre, vol. 3, no. 3, 2012, p. 90. 355 Marie-Aimée Hélie-Lucas, « Les stratégies des femmes à l’égard des fondamentalismes dans le monde musulman», Nouvelles questions féministes, no. 16-18, 1991, p. 38.
95
« traître » de la nation 356 . La sexualité féminine est alors perçue comme une source
d’immoralité, désignant la femme pour responsable de l’effritement de l’ordre moral et
l’instabilité sociale. Le désir de transformer l’environnement religieux s’exprime, dans le
cas présent, par la volonté de contrôle du corps féminin dans l’espace public. La sexualité
féminine étant perçue comme une source d’immoralité et de perversion, son contrôle est
donc suggéré comme outil pour contrer l’effondrement de l’ordre moral357.
À cet égard, les discours entendus lors d’un travail d’observation358 dans un grin,
situé dans le quartier populaire de la Dravéla, par des jeunes hommes rejoignent les propos
de la fille du président d’Ançar Dine, présentés plus haut. Selon notre associé, Issa, qui a
également assuré la traduction lors des entretiens donnés en bambara, les jeunes hommes
présents, âgés dans la vingtaine, ont largement parlé du comportement déviant des jeunes
maliennes et de la consommation d’alcool chez leurs confrères. Sans jamais aborder la
question de la bonne morale religieuse, ceux-ci dénonçaient les relations sexuelles avant le
mariage, « sans toutefois se plaindre »359. En effet, Issa rapporte que bien qu’il y ait eu un
débat sur la question, ces jeunes hommes ne sont pas véritablement dérangés par cela tant
et autant que ça n’ait pas lieu sous leur toit. Ce dernier explique que les jeunes ont
tendance à accuser la démission des parents, et plus précisément celle des mères de famille
dans l’éducation des enfants. Ces jeunes auraient également critiqué le comportement des
jeunes filles et leur habillement : « pantalon trop serré et jupe courte, elles sont considérées
comme provocatrices dès qu’on voit leurs formes. On critiquait aussi les filles qui font les
saintes-nitouches devant la famille, qui vont à la mosquée régulièrement et qui se
transforment une fois la nuit tombée »360.
Les témoignages rapportés par notre associé révèlent l’omniprésence du discours
moralisateur dans l’espace public. Le discours prônant la transformation de
l’environnement par le strict respect des préceptes de l’islam est présent tant à la mosquée
qu’aux grins de quartier. L’instabilité territoriale, entrainant une perte de repères, a
renforcé ces appels moralisateurs. Le rétablissement de la bonne morale est vu comme le
lien unificateur des diverses fractions religieuses et sociales qui luttent pour l’unité
356 Marie-Aimée Hélie-Lucas, loc. cit., 1991, p. 37. 357 Charmaine Pereira et Jibrin Ibrahim, loc. cit., 2012, p.104. 358 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014. 359 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014. 360 Travail d’observation effectué par l’associé Issa, dans un grin du quartier la Dravéla, 18 juillet 2014.
96
nationale. À ce propos, le politologue Richard Banégas soulève que « les appels à défendre
l’intégrité du territoire national (malien) […] témoignent d’une forte demande sociale
d’intégrité politique et de régénérescence morale, notamment de la part d’une certaine
fraction de la jeunesse urbaine »361.
En réaction aux reproches qui sont adressés aux femmes maliennes par de nombreux
représentants religieux, la société civile et la presse, des associations de femmes
musulmanes, à l’avant-garde du mouvement de réforme morale, s’organisent afin de
déconstruire les critiques adressées à la gent féminine. Les associations de femmes de
quartiers ou les cellules féminines de grandes associations telles que l’UJMMA cherchent à
intégrer les normes de conduites morales dans l’espace privé par l’entremise d’un
enseignement islamique. À cet effet, des femmes de la seconde génération que nous avons
rencontrées ont souligné l’apport de l’enseignement islamique dont elles bénéficient au sein
de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de
l’islam. Cette association qui regroupe des veuves ou des femmes en difficulté offre
régulièrement des cours d’arabe, des séances de lecture du Coran, des conférences, des
cercles de discussion, ainsi que des projets de développement économique par l’artisanat.
Fondé en 2010 par la présidente de la cellule féminine de l’UJMMA, ce regroupement de
femmes de quartiers cherche également à faire valoir le rôle de la femme dans la
réconciliation nationale et le redressement de la bonne morale. De nombreuses femmes
rencontrées ont fait part de leurs appréhensions quant au rétablissement de l’unité nationale
et de la bonne morale. Sénabou, une technicienne de laboratoire dans la cinquantaine et
divorcée affirme ainsi que les objectifs de l’association des femmes musulmanes des
logements sociaux pour le rayonnement de l’islam concordent avec le grand projet national
et ses propres projets personnels :
Je voulais réussir ma vie familiale et avoir des enfants, je voulais m’occuper d’eux, je ne voulais pas me retrouver accrochée à qui que ce soit, je voulais subvenir à mes besoins. Aujourd’hui, ce que je veux, c’est mieux comprendre l’islam, ses droits et devoirs. Je me suis engagée à former des femmes et continuer ma propre formation. Certaines femmes viennent me voir si le maitre (coranique) n’est pas là, on discute généralement, on se retrouve à parler beaucoup d’islam et de son application dans la vie courante. En bref, nos activités permettent de nouvelles rencontres et d’apprendre ce qu’on ne
361 Richard Banégas, « Afrique de l’Ouest : des crises de la citoyenneté », CERI, 2012, p. 3.
97
connait pas et de transmettre ce qu’on connait. C’est un échange constant et on ne fait que commencer. Avant, les femmes n’allaient qu’à la mosquée, allaient à la prière uniquement. Maintenant, il est question de solidarité, on peut venir en aide aux femmes dans le besoin […] Nous allons parfois aux activités de l’UJMMA, je vais souvent aux conférences organisées. Au début du mois de juin, il y a eu une conférence sur la réconciliation nationale, on ne parle que de ça ces derniers temps. Les leaders parlent de ce qu’Allah nous a enseigné, sur le pardon mutuel, s’entraider et pardonner les autres et invitent les femmes à s’investir362.
Ce type d’organisation sociale est assez courant dans le paysage religieux malien. À
cet effet, les travaux de Dorothea Schulz effectué à Gumbu, au nord de la capitale
malienne, suggèrent une prééminence des femmes dans le courant moralisateur au Mali.
Celles-ci s’appliquent à diffuser les valeurs islamiques, à savoir la modestie, l’endurance, la
patience, le pardon, et à propager une nouvelle conception de l’islam. Ces femmes qui
d’après les termes de l’auteure « present themselves as articulators and icons of moral
reform » 363 s’inscrivent incontestablement dans la diffusion de l’islam dans la société
malienne. À cela, l’auteure Janson Marloes soutient que, selon ces jeunes musulmans,
éduquer une femme revient à éduquer la nation entière364. Il y a là l’idée que pour répondre
aux critiques qui leur sont adressées et pour agir pleinement dans le mouvement du
renouveau islamique, le savoir religieux est la voie à adopter.
Les femmes militantes rencontrées partageaient toutes la même conviction et
motivation, soit celle de rompre avec la domination masculine dans le cadre religieux en
offrant une éducation islamique aux femmes de leur entourage. À ce propos, la littérature
scientifique s’emploie à étudier ces dynamiques féminines par le prisme de l’agency. Orit
Avishai soulève que dans le cadre strict de certaines religions traditionnellement
patriarcales365, les femmes s’organisent et innovent afin d’intégrer pleinement la sphère
religieuse selon quatre modèles différents : la résistance, l’empowerment,
362 Entretien avec Sénabou, membre de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de l’islam, à son domicile, 24 juillet 2014. 363 Dorothea Schulz, loc. cit., 2008, p. 75. 364 Janson Marloes, « Renegotiating Gender : Changing Moral Practice in the Tablight Jama’at in the Gambia », Journal of Islamic Studies, vol. 28, 2008, p. 20. 365 Par là, l’auteur entend notamment le catholicisme, protestantisme, judaïsme orthodoxe et certains courants de l’islam.
98
l’instrumentalisation et le conformisme366. Faisant donc preuve d’agency367, ou encore de
pious agency 368, celles-ci tendent à participer pleinement au redressement de la bonne
morale en intégrant les principes de l’islam dans touts les aspects de la vie. Cette démarche
à double portée, individuelle et collective, permet aux femmes de faire entendre leur voix et
d’être à l’initiative du changement, tout en participant pleinement au projet collectif.
En ce sens, une jeune mère de famille et prêcheuse nous a fait part de ce qui la motive
à s’impliquer dans la sphère religieuse :
Je voulais m’engager pour aider l’islam, c’était mon premier objectif. El hamdoullah, il y a des musulmans au Mali, mais il est mal compris, il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas. Il faut leur montrer en faisant des prêches et des écoles, autant pour les femmes que les hommes, surtout les femmes mariées. Il faut organiser des séminaires, des cours de lecture… c’est bénéfique pour la société369.
Aïchata fait partie d’une Ligue de prédicatrices fondée en 2004 et reconnue par l’État que
quelques mois avant notre rencontre. Elle affirme faire des prêches sur les stations radios
Dramé et Niéta, mais aussi à la station nationale ORTM et quelquefois à la chaine TV
Sunna. En abordant des questions qui concernent les femmes, l’éducation des enfants, le
carême, les préceptes fondamentaux de l’islam, celle-ci soutient venir en aide à l’islam et à
la collectivité. De par ses actions et son discours, Aïchata fait preuve de pious agency dans
la mesure où elle s’investit pleinement en tant que sujet moral tout en questionnant, que
partiellement, le rapport de genre dans l’islam.
Plus largement, par l’adoption d’un comportement pieux et le respect des codes
régissant les relations personnelles et familiales conformes à la loi islamique, les acteurs
religieux se portent garants du redressement de la bonne morale en société. Dans un souci
de remoralisation de la société, un habitus islamique est affiché dans l’espace public en vue
de servir d’exemple et rejoindre un plus grand nombre d’adeptes370. Cet affichage d’un soi
moral révèle également une dissonance au sein des acteurs moraux. L’identification à
366 Orit Avishai, « Doing Religion’ in Secular World : Women in Conservative Religions and the Questions of Agency », Agency and Society, no. 22, 2008, p. 409-433. 367 Voir Laura Leming, « Sociological Explorations : what is religious agency? », The Sociological Quarterly, vol. 48, no. 1, 2007, p.73-92. 368 Par pious agency, Saba Mahmood entend la propension des femmes à intégrer pleinement la sphère religieuse sans toutefois chercher à la réformer : voir Saba Mahmood, The politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject, Princeton, Princeton University Press, 2005, 272p. 369 Entretien avec Aïchata, prêcheuse d’obédience wahhabia, à son domicile, le 5 juillet 2014. 370 Fabienne Samson, loc. cit., 2006, p. 12
99
l’islam dit malien passe notamment par l’éducation, mais également par l’habitus qui
englobe le comportement à adopter envers ses comparses, l’expression corporelle, le code
langagier, les pratiques quotidiennes, etc. L’affirmation de l’islamité est d’autant plus
exacerbée en fonction de deux visions orthodoxes : la première, celle d’un wahhabisme qui
refuse toute intégration de la culture malienne aux pratiques musulmanes et la deuxième,
celle d’un courant réformisme qui appelle à l’instauration d’une éthique musulmane
rigoriste.
Les divisions ressurgissent lorsqu'il est question des pratiques quotidiennes, à savoir
l’esthétique corporelle371, les modes de célébrations (mariage, baptême, funérailles, retour
d’un pèlerin) et les pratiques religieuses syncrétiques (consultations maraboutiques et le
culte des saints). Malgré cela, et en réaction à l’affaiblissement du noyau dur de la sécurité
sociale 372, les individus recomposent les solidarités dans un nouveau cadre social. Au
regard des comportements non islamiques observés dans leur entourage direct, « des
hommes et des femmes activistes cherchent à articuler les normes de conduite avec les
principes islamiques, pour les rendre obligatoires chez tous les Maliens pour le bien
collectif »373.
Dans cette optique, une jeunesse militante se soulève et dénonce le fléau – la perte de
repères moraux – qui gangrène le pays et le mène à sa ruine. Les valeurs islamiques sont
mises de l’avant, d’une part, pour faire opposition aux pratiques dites occidentales, et
d’autre part, pour rétablir l’ordre moral et revivifier l’identité malienne. Des pratiques telles
que les relations sexuelles hors mariage, la consommation d’alcool et de drogues, la
prostitution où les tenues féminines provocatrices sont pointées et accusées d’importation
occidentale. Afin de restaurer l’ordre moral, l’on appelle à revivifier les pratiques et les
principes islamiques, bien que déjà ancrés dans la société malienne.
Des jeunes se sont donc engagés dans une modernité sans toutefois nier la tradition
islamique et malienne. Autrement dit, tout en étant inscrits dans leur époque, des jeunes
371 Les wahhabia arborent une tenue vestimentaire bien distinctive : pantalon mi-mollet et barbe pour les hommes ; voile foncé et habits amples pour les femmes, certaines vont jusqu’à porter des gants en permanence et porter le voile intégral. Initialement, le port de la barbe témoigne d’une volonté de ressembler au Prophète, et par le fait même, adopter son comportement. Aujourd’hui, cette esthétique fait plutôt référence à l’appartenance au courant wahhabia et la mise au-devant d’une forme de sagesse religieuse. Maud Saint-Lary, loc. cit., 2012, p. 462. 372 Dorothea Schulz, loc. cit., 2010, p. 79 373 Ibidem.
100
musulmans composent entre des éléments de la modernité et la tradition culturelle et
islamique héritée. Une conjugaison qui, verra-t-on, est accentuée dans un contexte de crise
nationale et morale. Par ailleurs, il ne suffit pas de mettre en duel deux concepts qui
semblent coexister dans l’exemple malien, soit le « traditionalisme » et le « réformisme »,
entendu également comme « modernisme ». Pour autant, les revendications pour un
redressement de la bonne morale et le retour aux pratiques et valeurs islamiques reflètent
toute l’ambigüité dans la volonté d’application des normes religieuses. Rappelons que la
grande majorité de nos témoins, des leaders religieux et de la presse malienne s’opposait
vigoureusement à l’application des lois islamiques dans le pays. Bien que la vie
quotidienne du commun des Maliens musulmans soit régie par le droit musulman,
l’analyse des témoignages recueillis atteste d'une opposition intransigeante quant à
l’application de la sharia dans un État de droit. Cette ambigüité s’explique par la
subjectivité de l’adhésion à la sharia374, dans la mesure où le principe d’application des
lois coraniques est très élastique. Effectivement, la subjectivité d’interprétation de l’islam
donne lieu à de multiples recompositions qui témoignent d’une individualisation du rapport
des croyants au religieux 375 étant donné que la lecture des codes islamiques et leur
application divergent d’un individu à l’autre et d’une communauté à l’autre. En effet, les
mêmes témoins et militants qui s’opposaient catégoriquement à l’application de la sharia
au Mali, qualifiant ses promoteurs de fondamentalistes, se sont également mobilisés au
tournant des années 2000 pour le maintien des lois islamiques dans les lois du Code civil
régissant les relations entre époux et enfants, considérant que le nouveau Code de la
famille était une réforme juridique qualifiée d’immorale et contraire aux traditions
maliennes et religieuses.
Le projet de réforme du Code de la famille du Mali s’inscrit dans le programme de
Promotion de la Démocratie et de la Justice du Mali. Impulsé par les bailleurs de fonds et
des ONG féministes étrangères, le projet a connu une première phase de réflexion en 1996,
à la suite de la Conférence de Pékin qui « a bel et bien servi de détonateur »376. Ce n’est
que deux ans plus tard que le président Alpha Oumar Konaré commande au ministre de la
374 Vincent Bonnecase et Julien Brachet, loc. cit., 2013, p. 20 375 Malika Zeghal, « Le gouvernement de la cité : un islam sous tension », Pouvoirs, vol. 1 no. 104, 2003, p. 55. 376 Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p. 230.
101
Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille d’entreprendre un vaste chantier de
consultation qui ne prendra fin que 13 ans plus tard.377 Ce projet a cristallisé les tensions
entre les divers groupes de la société civile – fonctionnaires, représentants religieux
musulmans, catholiques et protestants, associations islamiques, associations féministes et
des citoyens. Il est, de ce fait, révélateur d’une société préoccupée des enjeux sociétaux
fondamentaux et à l’affut des actions gouvernementales la concernant. La prééminence du
droit moderne sur le droit coutumier, l’écart entre les pratiques et les normes sociales, les
principes civiques fondamentaux et le poids des valeurs islamiques dans un État laïc ont
été au centre du débat durant cette décennie, bien que ponctuellement378.
Le grand débat sur la réforme du Code de la famille aura mobilisé, et unifié, les
divers courants religieux et associations islamiques. La participation populaire aux
manifestations et aux débats sociétaux est certainement plus visible lorsqu’il s’agit de
controverses sur le bien commun islamique379. Dorothea Schulz qualifie le projet de
réforme du Code du Mariage et de la Tutelle, de « the most furious clashes between the
gouvernment under president Alpha Konaré, women’s rights activists and the Muslim
clergy, since the multiparty democrary was introduced in 1991 »380. Céline Thiriot précise
que « le maitre mot de cette réforme est sans aucun doute celui de la concertation, puisque
ce dossier a été ouvert avec les différentes composantes de la société civile à pas moins de
trois reprises, sous la pression des associations religieuses »381. Les associations islamiques
ont été très actives dans l’élaboration d’un nouveau code de la famille, et ce, dès 1998.
Suite à la dissolution de l’AMUPI, le HCI a rallié toutes les associations et acteurs
musulmans pour qui le texte de loi « allait à l’encontre des valeurs culturelles du Mali »382.
Les points de désaccords entre l’État et les acteurs religieux concernent des pratiques
377 Père Alain Fontaine, « Quel code pour les personnes et la famille au Mali ? La réponse des croyants », Les Échos, 24 mai 2010, [En ligne] : http://bamanet.net/actualite/les-echos/quel-code-pour-les-personnes-et-la-famille-au-mali-la-reponse-des-croyants.html, page consultée le 26 novembre 2014. 378 Effectivement, le projet de relecture du code de la famille a été mis en suspens durant plusieurs années, entre 1999 et 2005. En raison de son aspect délicat et de sa dimension juridique, le Ministère de la Justice a repris le dossier en 2005 avant de créer, à la demande du président Amadou Toumani Touré, un nouveau cadre de réflexion : Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p.232. 379 Dorothea E. Schulz, loc. cit., 2010, p. 41. 380 Dorothea Schulz, « Political Factions, Idelogical Fictions : The Controversy over Family Law Reform in Democratic Mali », Islamic Law and Society, vol. 10, no. 1, 2003, p.132. 381 Dorothea Schulz, loc. cit., 2003, p. 229. 382 Amadou Toumani Touré, « Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste », Rfi, 3 décembre 2011, [En ligne] : http://www.rfi.fr/afrique/20111203-mali-adoption-code-famille-plus-traditionnaliste/, page consultée le 20 novembre 2014.
102
coutumières défaites dans les dispositions du texte. Sur les 1143 articles du code de lois,
nombreux sont les articles qui dérangent les acteurs musulmans. Les principaux points de
désaccord concernent, si ce n’est que pour en nommer quelques-uns, la dote du mariage, le
consentement des époux lors de l’union, le choix du modèle matrimonial adopté,
l’obéissance de l’épouse à l’égard de son mari, l’âge minimal autorisé pour le mariage et
l’héritage familial. Les opposants à la réforme rappellent, à ce propos, qu’il est
préjudiciable de remettre en cause l’ordre établi et que cette réforme est purement imposée
par l’Occident. En effet, selon le même modèle opératoire employé dans les années 1980
par le FMI, les États occidentaux, avec l’appui d’ONGs pourvoyeuses de fonds, ont
encouragé le gouvernement, sous des formulations implicites, à réformer le code de la
famille « en échange d’appui budgétaire supplémentaire »383.
En ce sens, un prêcheur membre du HCI et l’un des fondateurs de la radio islamique
Dambé nous a répondu la chose suivante lorsqu’on l’a interpelé sur le rôle de la jeunesse
dans l’espace public :
La jeunesse musulmane a beaucoup contribué. D’ailleurs, le Mali allait adopter un code de la famille calqué sur la France, mais le Mali a une culture, une longue histoire de civilisation et une religion. Nous avons manifesté le 15 aout 2009 ou 2010. Il y avait plus de 50 000 personnes, nous avons organisé quatre grandes marches. Nous avons également organisé un rassemblement au stade du 26 mars avec le HCI et les associations musulmanes. Nous avons initié et soutenu ce mouvement populaire384.
Les manifestions dont fait mention le prêcheur sont notamment une marche organisée le 15
aout 2009 à Bamako et un rassemblement populaire au stade du 26 mars qui a rassemblé
plus de 50 000 personnes. Dans le cas présent, la première marche organisée était en
réaction à la première étape du processus final qui est l’adoption du Code à l’Assemblée
nationale. Dans la nuit du 3 au 4 aout 2009, 117 députés se sont prononcés en faveur du
texte contre 5 oppositions et 4 abstentions 385 . Le quotidien L’Essor rapporte que les
leaders religieux ont dû faire des efforts pour contenir les débordements lors de la
manifestation qui s’est déroulée dans une atmosphère tendue. Les marcheurs, composés de 383 Céline Thiriot, loc. cit., 2010, p. 233. 384 Entretien avec Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. 385 « Les Maliens vont-ils passer le code? », L’Essor, 19 octobre 2009 : http://mali.blogs.liberation.fr/helsens/2009/10/un-nouveau-code-de-la-famille.html, page consultée le 20 novembre 2014.
103
femmes et d’hommes de tous les groupes d’âge ont scandé et porté des pancartes pour le
moins parlantes : « Non à un code satanique, féministe et libertin » ou « Nos valeurs
religieuses nous suffisent » 386 . La mobilisation populaire, fortement soutenue par les
associations islamiques et le HCI, a rassemblé moins de 10 jours plus tard 50 000
personnes au stade du 26 mars. Dans un article de la presse local, intitulé Les Maliens vont-
ils passer le code ?, l’on rapporte l’opinion du Secrétaire du HCI : « Le code adopté par
l’Assemblée nationale le 3 aout 2009 ne sera pas appliqué à nous, Maliens et Maliennes
attachés à nos valeurs et tenant à vivre pleinement notre religion »387. Le journal L’Essor
qui se montre très critique envers cette mobilisation populaire et l’opposition des acteurs
religieux fait également mention d’un sentiment partagé par les musulmans faisant fi de
l’ignorance des hommes politiques à l’égard des réalités culturelles et religieuses
maliennes.
De nombreux jeunes maliens rencontrés ont pris pour exemple la question du Code
de la famille pour exprimer le décalage manifeste entre les réalités de la population
paupérisée et celles de l’élite politique. Dans cette suite d’idées, ces derniers avancent avoir
confiance en la bienveillance des leaders musulmans plutôt que celle des politiques. Un
jeune francophone scolarisé et sans emploi a justement mentionné cette problématique :
Les politiciens ne doivent pas encourager des lois ou des principes contre la religion, comme le code de la famille [Pouvez-vous m’en dire plus?] par exemple pour les femmes, dans notre société, le mari, si la femme sort, elle doit l’en informer et avoir son autorisation. Dans ce code de la famille, on autorisait la femme à sortir, le mari n’aurait plus de pouvoir, mais c’est contre nos coutumes. C’est la même chose avec l’héritage, ce qui est dit dans le Coran est en contradiction avec le code de la famille. Ce n’est pas passé, ça n’allait pas avec les réalités de notre société. Sinon, les leaders religieux doivent répondre aux désirs des musulmans. Si les musulmans veulent que la sharia soit instaurée au pays, les leaders vont répondre à cette demande de la population388.
386 L. Diarra, « Nouveau code de la famille : marche de protestation », L’Essor, 17 aout 2009 : http://malijet.com/a_la_une_du_mali/16740-nouveau_code_de_famille_marche.html, page consultée le 20 novembre 2014. 387 « Les Maliens vont-ils passer le code? » loc. cit. 19 octobre 2009, [En ligne] : http://mali.blogs.liberation.fr/helsens/2009/10/un-nouveau-code-de-la-famille.html, page consultée le 20 novembre 2014. 388 Entretien avec Samaké, jeune non militant, à son domicile, le 5 juillet 2014.
104
Dans le même ordre d’idées, le président de l’Association malienne pour la solidarité, de la
culture et du développement, et proche collaborateur d’Ançar Dine a manifesté son
désaccord quant au premier texte voté le 3 aout 2009 :
95 % de la population malienne est musulmane, si quelque chose joue en notre défaveur, le HCI se manifeste et s’y oppose. On l’a vu avec le Code de la famille, le HCI a mobilisé les musulmans contre la loi. [Et pourquoi cela] Il faut laisser le pouvoir au chef de la famille, mais dans la loi, on l’accordait aux deux (à l’homme et la femme). Ils s’opposaient à l’égalité dans l’héritage homme et femme, car c’est contre nos pratiques389.
En effet, la version du Code du Mariage et de la tutelle du 3 aout stipule que « les parents
du défunt au même degré ont les mêmes droits. Ils succèdent par égale portion et par tête »
(Art. 750), ce qui est contraire aux dispositions de la loi islamique qui prévoit que l’héritier
de sexe féminin doit bénéficier de la moitié accordée à l’héritier mâle. Dans un second
temps, le président de l’association critique l’affaiblissement de l’autorité patriarcale dans
le texte de loi. Effectivement, la version de 2009 prévoyait la reconnaissance de l’autorité
parentale partagée entre les deux époux plutôt que masculine : « Les époux contractent
ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation d’assurer la direction morale et matérielle
de la famille, de nourrir, entretenir, élever leurs enfants et préparer l’établissement de ceux-
ci» (Art. 313). Le partage des responsabilités matrimoniales de façon égalitaire a dérangé
au plus haut point les représentants religieux et le musulman lambda. D’autant plus qu’un
article, de l’ancien code de la famille, stipulant que le devoir de l’épouse est d’être soumise
à son mari en échange de sa protection a été supprimé du texte. C’est donc en regard de ces
nouvelles dispositions que les associations ont mobilisé l’opinion publique pour une
relecture du texte de loi qui prend en considération les réalités et les valeurs véhiculées par
l’islam. Les débats entourant la modernisation du code de la famille sont, dès lors,
révélateurs des contradictions internes d’une société en quête de repères moraux.
Au terme de cette mobilisation, le président Amadou Toumani Touré n’a pas
promulgué le texte de loi et a demandé la tenue d’une seconde lecture. Le texte a été adopté
et promulgué de façon définitive le 2 décembre 2011 après de nombreux changements
389 Entretien avec Kkoussa Traoré, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014.
105
apportés aux articles controversés390. Le nouveau Code de Mariage et de Tutelle que de
nombreuses ONG internationales ont qualifié d’anti-progressiste ou de discriminatoire a
satisfait les acteurs religieux mobilisés dans cette lutte. En somme, 49 articles ont été
modifiés, tandis que d’autres ont été supprimés391. Le terme obéissance a été réinséré afin
de rétablir l’autorité patriarcale, l’article portant sur l’âge minimal du mariage a été
subtilement détourné autorisant du fait même le mariage des mineurs et le mariage
religieux a été juridiquement reconnu. La mobilisation sociale aura eu raison de la réforme
législative, révélant non seulement le poids politique des leaders religieux et des
associations musulmanes, mais aussi la place prépondérante qu’occupent les valeurs
islamiques au Mali dans l’espace public et le caractère ambivalent de leur application. Cette
ambivalence soulève toute la complexité du réformisme religieux que l’on observe au Mali.
En somme, plus qu’une religion, l’islam est un fait total au Mali. Tel qu’illustré par
la problématique de la réforme du Code de la famille, le religieux fait partie intégrante du
cycle de la vie des musulmans maliens. En ce sens, la jeunesse malienne en quête
d’affirmation identitaire et motivée par la volonté de s’inscrire dans un projet de société
tangible s’applique à réévaluer le degré de bonnes mœurs de leur environnement social et à
corréler ses actions quotidiennes et ses discours aux enseignements islamiques. Plusieurs
courants musulmans se rencontrent et s’affrontent pour l’atteinte d’un projet double
commun, celui de la remoralisation de la société et de la réconciliation nationale. Nous
aurons compris, dans ce cas de figure, que l’islam est pensé comme un outil de légitimation
des revendications politiques et religieuses. Perçu comme une solution réelle et symbolique
à l’effritement de l’ordre moral, les militants y voient un espace d’expression à large portée.
Les pratiques quotidiennes et l’habitus conformes aux valeurs islamiques deviennent une
vitrine d’un réformisme exacerbée par un discours moralisateur et accusateur de toute
pratiques déviantes de la bonne moralité. Cependant, le poids de l’imposition des codes 390 « Le nouveau code de la famille malien : droits fondamentaux bafoués, discriminations consacrées », ONG fidh, 8 décembre 2009 : https://www.fidh.org/fr/afrique/mali/Le-nouveau-Code-de-la-famille, page consultée le 20 novembre 2014. 391 Amadou Toumani Touré, « Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste », 3 décembre 2011, [En ligne] ; http://www.rfi.fr/afrique/20111203-mali-adoption-code-famille-plus-traditionnaliste/, page consultée le 20 novembre 2014.
106
islamiques nuit considérablement à la cohésion sociale dans la mesure où cela a pour effet
d’assujettir tout groupe de la société civile n’y adhérant pas. Plus encore, étudier la lecture
et l’analyse de la crise malienne par les acteurs musulmans nous a conduits à mettre en
lumière le principe d’altérité dans les constructions identitaires. Effectivement, au-delà de
l’instabilité territoriale et de l’insécurité nationale, cette crise révèle un malaise identitaire
profond.
107
CONCLUSION
L’historiographique fait état d’une sphère religieuse malienne hétéroclite et en
pleine effervescence. La lecture que nous en faisons confirme ce constat au regard du
paysage religieux dans lequel se dessinent des alliances et des affronts entre les divers
acteurs. De ces relations complexes découle une pluralité identitaire et idéologique
perceptible dans les relations sociales et interconfessionnelles et exacerbée en raison d’une
surenchère de discours stigmatisants portés par des leaders religieux dans l’espace public et
récupérés par les acteurs musulmans. En ce sens, l’analyse des parcours identitaires de
jeunesses musulmanes et militants ayant vécu des crises nationales et identitaires, celle de
1990 et de 2012, nous permet de saisir les rapports entre les milieux associatifs et l’État, les
leaders religieux et leurs adhérents, les divergences idéologiques entre les diverses
tendances islamiques, et finalement les rapprochements et les dissensions entre les ces
groupes.
Au lendemain de la chute du régime de Moussa Traoré, en 1991, et de la transition
démocratique entamée dès lors, le paysage religieux malien s’est vu transformé par la
libéralisation du droit associatif. L’arrivée massive d’associations religieuses dans l’espace
public a certainement transformé la sphère religieuse jusqu’alors sous le contrôle de l’État
par l’entremise de l’AMPUPI. L’un des acteurs majeurs de cette transformation est Ançar
Dine qui œuvrait jusqu’en 1991 sans reconnaissance étatique. Figure de proue d’un
militantisme musulman prônant un réformisme religieux conforme aux traditions
maliennes, le chef spirituel d’Ançar Dine, Chérif Ousmane Madani Haïdara, a su investir
l’espace public par l’adoption d’outils de communications innovants et la mise en place
d’une organisation associative proche des structures confrériques. Cultivant une dynamique
de solidarité et un sentiment d’appartenance autour de sa personne et de la communauté des
« Ançars », qui se vit et se confirme au quotidien, Haïdara reconstitue les logiques
confrériques au sein même de son association. Une personnification du pouvoir associatif
que l’on retrouve également dans les structures de l’UJMMA, association qui œuvre
notamment auprès des jeunes musulmans arabophones pour leur insertion
socioéconomique. Son guide spirituel, Cheikh Macki Bah, d’obédience tijania, dont la
figure d’autorité est centrale au sein de l’association, a développé, selon les mêmes
108
logiques, un réseau associatif qui s’inscrit dans une dynamique identitaire double, locale et
régionale.
Ces deux associations, dont les actions sont orientées sur l’épanouissement
individuel et le développement socioéconomique des fidèles, mettent de l’avant
l’attachement à un héritage culturel et religieux malien. En développant un réseau de
solidarité perçu par les fidèles comme une nouvelle famille, ces associations ont investi au
fil des années des espaces délaissés par l’État. À cet effet, l’UJMMA s’est largement
mobilisée, parfois en collaboration avec les autorités étatiques, pour la formation
professionnelle des jeunes arabophones, et plus largement, la formation islamique des
jeunes. S’agissant du réseau d’Ançar Dine, dont les quartiers généraux sont situés dans un
quartier populaire de Bamako, l’association a mis en place un réseau au sein duquel les
fidèles peuvent bénéficier de services que peut offrir, à titre d’exemple, une banque, une
agence de voyages, des commerces de biens, des centres éducatifs et des cliniques. Selon
une stratégie prosélyte offensive, la communauté des « Ançars » s’est diffusée à la grandeur
de la région ouest-africaine et dans quelques pays hors du continent. Ce sentiment
d’appartenance, qui confond l’espace privé de l’espace public, produit un effet d’attraction
identitaire qui dépasse l’appartenance à la grande communauté de musulmans, la umma.
Plus encore, par l’appel d’un enracinement local et la mise en valeur d’une identité
nationale et régionale, Haïdara et Macky Bah en viennent à rejeter la communauté
musulmane supranationale. Leur poids et omniprésence dans l’espace public
contrebalancent un espace longtemps occupé par les lignages religieux, les oulémas et la
mouvance sunnite réformée, aussi appelée wahhabia. Vivement critiqué par cette dernière
mouvance religieuse pour ses discours «innovants», et ce, depuis ses débuts, Haïdara
multiplie les attaques contre ce courant qu’il juge au service des pays arabes, plus
précisément de l’Arabie Saoudite. Un évènement survenu en avril 2014, à première vue
anecdotique, a révélé l’ampleur des tensions entre les leaders religieux du Mali.
Le HCI, largement dominé par des membres d’obédience wahhabia, devait tenir son
deuxième congrès du 15 au 17 avril 2014. L’enjeu étant de renouveler le mandat de
président, jusqu'alors détenu par Mahamoud Dicko – d’obédience wahhabia – des délégués
provenant de tous les coins du pays ont été invités, une fois arrivés à Bamako, à regagner
leurs régions en raison d’un report promulgué par le chef d’État, Ibrahim Boubacar Keïta.
109
Jugeant le congrès volé par le chef d’État et les membres du HCI d’obédience wahhabia,
des figures religieuses membres du Groupement de leaders spirituels du Mali, composé
exclusivement de soufis, ont alors menacé de quitter l’organisation. Cet évènement qui fut
un catalyseur de tensions interconfessionnelles a secoué la sphère religieuse malienne et
questionné la relation entre l’État et les leaders religieux. Dans ce cas de figure, l’étroite
interaction entre les acteurs des deux sphères, religieuses et politiques, laisse voir une
forme d’ingérence du politique dénoncée par le GLSM. C’est donc pour boycotter une
organisation « prise en otage », que les leaders du GLSM ont boudé le report du deuxième
congrès du HCI. Selon une lecture binaire, les associations et ses membres se sont
positionnés pour un groupe ou pour un autre, véhiculant des discours chargés de clichés ou
de préjugés envers les musulmans d’obédience wahhabia, considérés comme« intelligents»,
« plus instruits », « riches » et « dominant la sphère religieuse ». Au-delà de ces querelles
d’influence, cet épisode a ravivé des conflits doctrinaux, installés depuis longtemps.
La diffusion du wahhabisme, courant religieux prosélyte et littéraliste, portée alors
par des intellectuels, des commerçants et des pèlerins, a provoqué au tournant des années
1950 une onde de choc dans le pays. Prônant un islam « vrai » et « pur », qui rejette toute
forme de syncrétisme religieux, les adeptes du wahhabisme se vont vu persécutés par les
pouvoirs coloniaux. La condamnation des consultations maraboutiques, du culte des saints
et de la célébration, entre autres, du Maouloud, exacerba les tensions entre deux tendances,
l’une dite « réformiste » et l’autre « littéraliste ». Les tensions furent telles que des conflits
éclatèrent dans la capitale malienne. Ce à quoi de nombreux acteurs musulmans font
référence afin d’expliquer les tensions doctrinales perceptibles encore aujourd’hui dans
l’espace public. Ces divisions identitaires sont d’autant plus visibles, et mises de l’avant,
par l’adoption d’un habitus islamique propre au courant wahhabia ; à savoir, le port de la
barbe et de pantalons à mi- mollets pour les hommes, et d’un voile foncé, parfois intégral,
pour les femmes. Des divisions surgissent donc dans l’esthétique corporelle, mais
également dans les modes de célébrations et les pratiques syncrétiques. Dès lors, une
concurrence s’installe entre ce que l’on peut qualifier de deux clans doctrinaux, le premier
prônant un islam local et l’autre un islam transnational. L’interaction entre ces deux
visions, celle d’un islam local et déterritorialisé, fait l’objet de débats quant à l’autonomie
de la sphère religieuse malienne.
110
Originaire d’Arabie Saoudite, la mouvance wahhabite est largement financée par les
pays du Golfe, via la construction de mosquées ou de centres islamiques, l’attribution de
bourses attribuées pour des études en sciences islamiques ou encore de financements pour
un pèlerinage vers la Mecque. Le désengagement de l’État des affaires publiques au
tournant des années 1990 et le libéralisme politique et économique qui suivit ont laissé le
champ libre à une économie morale qui fut profitable aux réseaux islamiques
transnationaux, mais également à des associations locales telle qu’Ançar Dine. Dénonçant
le financement de la sphère religieuse malienne par les pays du Golfe, Haïdara a fait de la
capitalisation de la solidarité religieuse la première stratégie de l’association. Pour l’atteinte
d’une autonomie financière, Ançar Dine bénéficie des cotisations obligatoires de ses
adhérents, qualifiés par ses membres de zakat, de dons, de fonds de collectes et de
bénéfices de ses activités commerciales. Dans une moindre mesure, l’UJMMA bénéficie
également d’un réseau financé par ses membres, mais aussi de subvention de l’État, chose
que Ançar Dine rejette catégoriquement. Ultimement, ces associations justifient leurs
stratégies financières par une volonté d’atteindre une autonomie idéologique et faire
contrepoids à l’influence du courant wahhabia, et plus largement de l’État.
Ces interactions se dessinent dans un contexte de crise nationale et morale qui a
secoué le Mali en 2012. Bien que profondément ancrée dans l’histoire politique du pays, la
crise au Nord est un effet collatéral de la crise libyenne. Avant toute chose, l’insurrection
au Nord reflète l’incapacité de l’État à surmonter une inadéquation entre la nation, le
peuple et l’État. L’échec du projet phare de la Troisième République, la décentralisation
des pouvoirs publics, aura mis de côté des populations en proie à une criminalité importante
et à un contexte économique et social difficile. De surcroit, les disparités territoriales entre
le Nord et le Sud du pays, tant sur le plan économique, social que culturel, fragilise l’unité
nationale. Ainsi, le 17 janvier 2012 éclot la 5e insurrection au Mali depuis 1963. Menée par
le groupe armé MNLA, qui décréta l’indépendance de l’Awazad le 6 avril 2012, cette
insurrection s’inscrit, plus que jamais, dans un contexte géopolitique et religieux
international. Effectivement, la crise, dont les causes sont multiples, révèle l’implication
d’une multitude d’acteurs. De l’arrivée de rebelles armés provenant de Libye, à
l’intervention de l’armée française ou encore l’implication obscure de pays étrangers, les
111
accusations portées par les acteurs musulmans se dressent et se croisent, témoignant d’une
incapacité à saisir les tenants et aboutissants d’une crise multidimensionnelle.
Avec l’arrivée de nouveaux groupes islamistes, tels qu’Ansar Eddine – à distinguer
de l’association Ançar Dine –, du MUJAO et d’AQMI – avatar de la guerre civile d’Algérie
–, le nord du pays est alors soumis à la sharia. Les exactions qui s’en suivirent, par
lapidation ou amputation, et le saccage de mausolées de Tombouctou créèrent la
consternation. L’instauration de la sharia au Nord a été décriée par les représentants
religieux sur l’espace public. L’on appelle dès lors l’ensemble des leaders religieux à
condamner ces exactions et à défendre une vision de l’islam pacifiste et tolérant. À cet
effet, les membres du GLSM, d’Ançar Dine et de l’UJMMA reprocheront au HCI d’avoir
tardé avant de faire une sortie publique afin de condamner les actions commises au Nord
par les groupes islamistes. La réponse tardive du HCI aura soulevé l’indignation au sein de
la population et une confusion quant aux motivations de ses membres, accentuant du fait
même les tensions existantes. Percevant là une forme de connivence entre les rebelles du
Nord et les membres du HCI, des leaders soufis et les membres de l’UJMMA et d’Ançar
Dine traduisirent cette ambigüité par un rapprochement entre le courant wahhabite et les
groupes islamistes du Nord. Cette confusion, largement diffusée, alimente la peur de
l’Autre et accentue les clivages identitaires.
Outre les paramètres extrinsèques à la crise, les troubles dans le pays reflètent
également de profondes divisions identitaires nord-sud et tout le caractère subjectif
d’interprétation des lois islamiques. Le conflit malien, qui dépasse le cadre national, aura eu
pour effet de diviser le pays en deux et libérer un discours chargé de représentations
stigmatisantes. Dans une volonté de distinction de cet islam véhiculé au Nord, l’on désigne
alors les Touaregs, les Maliens du Nord et les rebelles de « fondamentalistes », de « racistes
» et « d’extrémistes ». Ne partageant pas la même culture, la même langue ou les mêmes
référents identitaires, ceux-ci sont alors exclus de l’idée nationale. Ces représentations
identitaires alimentent une forme d’hostilité, voire de racisme, et nuisent considérablement
à la réconciliation nationale.
112
Dans ce contexte de crise nationale, la jeunesse malienne militante s’applique à
réévaluer le degré de bonnes mœurs et à réformer son environnement social en vue de
rétablir l’ordre moral. À cet égard, la femme, perçue comme une source d’immoralité et de
perversion, est la première ciblée pour atteinte à l’ordre moral et pour déviance aux bonnes
mœurs. Dépositaire de la tradition et de l’éducation religieuse, elle se retrouve alors campée
entre un projet de ré-enchantement moral et une orthodoxie religieuse. Paradoxalement,
l’on propose une solution orthodoxe à la sortie de crise, à savoir le rétablissement des
valeurs civiques islamiques et des traditions maliennes et leur diffusion dans toutes les
sphères de la société. Certes, le projet de moralisation de la société est une réponse à la
crise morale et nationale malienne, mais il n’en est pas une conséquence directe. Le projet
de réforme du Code de la famille, dont le débat a cristallisé les divers courants religieux, est
en ce sens évocateur d’une orthodoxie de la pratique musulmane intégrante à la société
malienne. Au tournant des années 2000, le Mali a connu une importante mobilisation
sociale regroupement représentants religieux, associations islamiques, associations
féminines, etc. Craignant un libéralisme des mœurs et une occidentalisation des lois
encadrant les structures sociales et familiales, la société civile s’est largement mobilisée
contre la réforme du Code de la famille. En cohérence avec le projet de moralisation de la
société, on a donc appelé à maintenir les principes islamiques dans les lois régissant les
relations entre époux et enfants. Au terme de la mobilisation sociale, l’autorité patriarcale a
été maintenue et le principe d’obéissance de la femme à l’égard de son époux a été réinséré.
Il apparaît alors que les valeurs islamiques font partie intégrante de la société malienne.
Plus encore, la lecture des critiques à l’égard de l’instauration des lois islamiques révèle un
fondamentalisme composite.
L’histoire de l’islam au Mali ces deux dernières décennies dévoile une sphère
religieuse fragmentée en raison, notamment, des divers courants qui la traverse. La
libéralisation associative aidant, l’émergence de nouveaux acteurs aura donc eu pour effet
de la dynamiser, mais aussi d’accentuer les divisions. Toutefois, malgré les divergences et
les dissensions idéologiques, l’ensemble des acteurs musulmans converge vers un projet
commun, celui de remoraliser la société malienne. Les jeunes musulmans s’inscrivent donc
dans cette dynamique depuis deux décennies, voyant dans ce projet collectif un espace
113
d’émancipation individuelle. Somme toute, les interactions entre les divers acteurs
musulmans, tantôt hostiles, tantôt cordiaux, reflètent la friction des identités qui coexistent.
Au regard de ces éléments, et considérant la situation toujours fragile au Mali, il
serait intéressant de se pencher davantage sur la relation entre l’État et les leaders religieux.
La crise de 2012 a mis à l’avant-scène des groupes irrédentistes et islamistes qui continuent
de menacer la stabilité du pays. Or, bien que toujours fragilisé, l’État se voit dans
l’obligation d’accroitre son champ d’action dans une sphère religieuse qui nécessite une
régulation étatique considérant les dynamiques supranationales qui l’habitent. Malgré les
relations complexes avec l’État, les représentants religieux réclament davantage d’espace
dans les débats politiques et religieux. Inversement, l’intervention du politique dans les
questions religieuses donne lieu à des débats passionnels. Il est, d’ailleurs, fort probable que
les leaders religieux gagnent en influence dans l’espace public. Sachant cela, le défi est de
définir une ligne entre la sphère religieuse et politique, comme le réclament de nombreux
Maliens.
114
SOURCES
1. Sources écrites
a) Archives associatives
Règlement intérieur, Fédération Ançar Dine internationale, 11 février 2011, 8p. Statuts, Fédération Ançar Dine internationale, 18 février 2011, 4p. Rapport moral et financier, «Exercice de l’année 2013-2014», Fédération Ançar Dine internationale, 2013, 11p. Règlement intérieur, Union nationale des Jeunes musulmans du Mali, 28 décembre 2009, 10p. Statuts et règlement intérieur, Union nationale des Jeunes musulmans du Mali, 28 décembre 2009, 8p.
b) Rapport Amnesty International, 2012, Mali : Les civils paient un lourd tribut au conflit, AFR 37/007/2012, Londres, 16p.
c) Journaux Aurore Korkosse Oumar, « Crise du nord du Mali : Quand la France met le feu et joue au sapeur pompier », Aurore, 30 aout 2012. Bamako Hebdo «Chérif Madani Haïdara à l’occasion du Maouloud 2008 : "La justice malienne fait pleurer le pauvre au profit du riche"», Bamako hebdo, 29 mars 2008. Jeune Afrique Pierre-François Naudé, «Mali: Aqmi, le grand gagnant de la fusion MNLA-Ansar Eddine?», Jeune Afrique, 28 mai 2012. La Nouvelle Patrie Boubacar Sangaré, «Nord-Mali : Du Qatar et du côté ombrageux de la crise malienne», La Nouvelle Patrie, 13 novembre 2012.
115
L’Agora «Crise au nord du Mali : le Qatar n’est pas content de la guerre mondiale contre le terrorisme», L’Agora, 29 janvier 2013. L’Aube Amadou N’Fa Diallo, «Journée d’Al-Qods : Musulmans, unissez-vous!», L’Aube, 8 octobre 2007. Les Échos Père Alain Fontaine, «Quel code pour les personnes et la famille au Mali ? La réponse des croyants», Les Échos, 24 mai 2010. «Nord-Mali : le président du HCI fait la leçon au Mujao», Les Échos, 10 aout 2012. Abdrahmane Dicko, «Haut Conseil Islamique : 2e congrès ordinaire sous haute tension, reporté sin die», Les Échos, 16 avril 2014. L’Essor «Le rêve devenu symbole», L’Essor, 19 janvier 1990. L. Diarra, «Nouveau code de la famille : marche de protestation», L’Essor, 17 aout 2009. «Les Maliens vont-ils passer le code ?», L’Essor, 19 octobre 2009. Napho, «Mali-Arabie Saoudite : Une coopération multiforme», L’Essor, 8 octobre 2014, Le Guido Siaka Z. Traoré, «Du rififi au haut conseil islamique : l’Union des Jeunes Musulmans du Mali se révolte contre Mahmoud Dicko», Le Guido, 29 mai 2013. L’indicateur du Renouveau Abdoulaye Diakité, «Sur la profanation d’un mausolée à Tombouctou : Le président du Haut Conseil Islamique s’explique», L’indicateur du Renouveau, 11 mai 2012. Ben Dao, «Crise au nord du Mali : le président du HCI bientôt chez Iyad Ag Ghaly», L’Indicateur du Renouveau, 1er octobre 2012. A. Diakité., «Présidentielle de juillet 2013 : Le chef religieux Haïdara dévoilera le nom de son candidat», L’indicateur du Renouveau, 17 mai 2013.
116
A. Diakité, «Après le report du HCIM : Appel à la mise en place d’une commission ad hoc», L’indicateur du Renouveau, 17 avril 2014. L’indépendant Kassim Traoré, «En vue de dénoncer la profanation des mausolées et l’inertie du gouvernement : Grande marche de protestation des leaders religieux, vendredi prochain, sur la primature», L’indépendant, 3 juillet 2012. Abdoulaye Diarra, «L’UJMMA s’adressant aux autorités sur la nature de certaines aides destinées au nord : N’acceptez pas les cadeaux empoisonnés offerts par les pays du golfe», L’Indépendant, 9 aout 2012. Abdoulaye Diarra, «Après la destruction des mausolées et les amputations : Les salafistes menacent de mort Chérif Ousmane Madani Haïdara et d’autres leaders religieux», L’indépendant, 26 décembre 2012. Abdoulay Diarra, «Le président de l’UJMMA de la commune I à l’issue d’une assemblée générale : la formation de 500 imams au Maroc est une meilleure arme contre le terrorisme, dit Mohamed Cissé», L’Indépendant, 8 octobre 2013. L’informateur «Aide aux déplacés du Nord : un 2e convoi humanitaire en route vers le septentrion malien», L’informateur, 13 juin 2012. Le Flambeau Hamady Diallo, «Dépravation des us et coutumes: Le style vestimentaire des filles, une menace pour notre identité culturelle», Le Flambeau, 9 mai 2012. Le Journal du Mali Modibo Fofana, «Maouloud 2014 : le secret de la forte mobilisation d’Ançar Dine», Le journal du Mali, 17 janvier 2014. Le Matin «Responsabilité dans la crise du nord : le Qatar blanc pour Dioncounda Traoré et noir pour Mahmoud Dicko», Le Matin, 24 janvier 2013. Le Potentiel Brahim Diamoutémé, «Maouloud 2012: Des bénédictions pour le Mali», Le Potentiel, 14 février 2012.
117
Le Prétoire Bakary Sogodogo, «Report du congrès ordinaire du HCI : les éclairages de Mahmoud Dicko», Le Prétoire, 17 avril 2014. Oumar Konaté et Bakary Sogodogo, «Mohamed Backi Ba : IBK a installé son Haut Conseil Islamique, nous allons installer le nôtre», Le Prétoire, 24 avril 2014. Le Progrès «L’homme de l’année : Ousmane Chérif Madani Haïdara : La personnalité religieuse qui a sauvé le Mali en 2012», Le Progrès, 4 janvier 2013. Boubacar Sidibé, «Maouloud 2013 : la Zawiya de Cheikh Mohammed M. Bah fête l’événement avec éclat», Le Progrès, 1 février 2013. Le Reporter «Sombre année au nord Mali : entre occupation et confusion», Le Reporter, 27 décembre 2012. Le Républicain Seydou Coulibay, «Maouloud 2009 : Le prêcheur Ousman Chérif Haïdara interpelle ATT», Le Républicain, 10 mars 2009. «Application de la charia aux populations du nord Mali : le gouvernement avoue son impuissance», Le Républicain, 22 juin 2012. Khadydiatou Sanogo, «La jeunesse malienne, victime de l’influence occidentale mal assimilée», Le Républicain, 10 septembre 2012. Aguibou Sogodogo, «Débat : problématique de l’application de la charia : ce qui se passe au nord du Mali est la confusion, l’amalgame, pas la charia», Le Républicain, 29 novembre 2012. Maliba Info Lassa, «Destruction des mausolées religieux au Nord Mali : Non à l’islam importé», Maliba Info, 10 juillet 2012. Maliweb «Au Nord-Mali : des amputations au nom de la charia», Maliweb, 20 septembre 2012. Papa Sow, « Haut Conseil Islamique du Mali : Un congrès sous haute tension», Maliweb, 19 avril 2014.
118
«France-Libye : Sarkozy, Kadhafi et la piste malienne», Maliweb, 29 aout 2014. Monde diplomatique Philippe Leymarie, «Irruption des religieux en politique», Monde diplomatique, janvier 2013. Notre Printemps Alassane Cissé, «Mali : Chérif Madani Haïdara (Groupement des leaders spirituels musulmans au Mali) : ‘‘Nous n’allons pas céder à la terreur, le Maouloud aura lieu avec les bénédictions de Dieu’’», Notre Printemps, 8 décembre 2015. Option Lacine Diawara, «Chérif Ousmane Madani Haïdara àa Option: Une voix captivante sur la voie de Dieu», Option, 24 novembre 2012, Radio France internationale (Rfi) Amadou Toumani Touré, «Mali : adoption d’un code de la famille plus traditionnaliste», RFI, 3 décembre 2011. «Mali : une délégation du HCI à la rencontre d’Ansar Dine alors qu’un couple a été lapidé dans le Nord», RFI, 31 juillet 2012. Slate Afrique «Mali : influence grandissante des musulmans dans le champ politique à Bamako», Slate Afrique, 22 aout 2012. The Christian Science Monitor Peter Tinti, «Tacit French support of separatists in Mali brings anger, chargers of betrayal», The Christian Science Monitor, 20 mars 2013. Zénith Balé Mamadou Dabo, «Groupement des leaders musulmans du Mali : ‘‘Nous condamnons toutes sortes d’instauration de la Charia par la violence’’, ‘‘Ançar Dine n’a rien avoir avec Ançar Eddine du terroriste Iyad Ag Ghaly’’», Zénith Balé, 10 avril 2012.
2. Sources orales
a) Membres d’Ançar Dine
119
Aboubakar, secrétaire exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, 16 juillet 2014. Ali, gestionnaire de la boulangerie d’Ançar Dine, dans ses bureaux de travail, 16 juillet 2014. Amina Haidara, fille du Chérif Haïdara et représentante de la cellule familiale d’Ançar Dine, dans les bureaux de la banque de l’association, 17 juillet 2014. Chérif Ahmed Tijan Haidara, fils du président d’Ançar dine, au siège de l’association, 14 juillet 2014. Oumar, membre d’Ançar Dine, dans ses bureaux d’enseignement, 10 juillet 2014. Seidou, membre d’Ançar Dine, 43 ans, dans ses bureaux (quincaillerie), 15 juillet 2013. Entretien de groupe avec cinq membres du bureau exécutif d’Ançar Dine, dans les bureaux de l’association, à Bankoni, le 6 juillet 2014.
b) Membres de l’Union des Jeunes Musulmans du Mali Cheikh Macky Bah, Président de l’UJMMA, au siège de l’association, 24 juin 2014. Djeneba, militante de l’UJMMA, à son domicile, 20 juillet 2014. Habib, l’un des membres fondateur de l’UJMMA et fonctionnaire au Ministère du Culte et des Affaires religieuses, dans les bureaux du ministère, 23 juin 2014. Koussa, membre fondateur de l’UJMMA, à son domicile, 27 juin 2014. Mohamed, militant de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 21 juillet 2014. Seck, secrétaire des communications et de la mobilisation de l’UJMMA, dans les bureaux de l’association, 26 juin 2014.
c) Membres du Haut Conseil Islamique Mamadou, membre du Haut Conseil Islamique, rencontré chez l’intervieweur, 20 juillet 2014.
d) Militants – Autre associations musulmanes Sénabou, membre de l’association des femmes musulmanes des logements sociaux pour le rayonnement de l’islam, à son domicile, 24 juillet 2014. Aïchata, prêcheuse et membre de l’AMA, à son domicile, le 5 juillet 2014.
120
e) Non militants Samaké, jeune non militant, à son domicile, le 5 juillet 2014. Kibri, membre du HCI, rencontré dans ma résidence, le 20 juillet 2014. Hamza, jeune arabophone, à son domicile, 5 juillet 2014. Birama, entrepreneur religieux d’obédience wahhabia, dans les bureaux d’agence de voyages de l’individu, 18 juin 2014. Mamadou, jeune étudiant, dans un grin situé dans la Dravéla, 23 juin 2014.
121
Bibliographie
1. Ouvrages généraux CESARI, Jocelyne. L’Islam à l’épreuve de l’Occident. Paris, La Découverte, 2004, 291p. CUOQ, Joseph. L’Église d’Afrique du Nord du deuxième au douzième siècle. Paris, Le Centurion, 1984, 211p. JOUTARD, Philippe. Histoire et mémoire, conflits et alliance. Paris, La Découverte, 2013, 341p. KELLER, J. Edmond. Identity, Citizenship, and Political conflict in Africa, Bloomington, Indiana University Press, 2014, 208p. LAUZIÈRE, Henri Lauzière. The Making of Salafism : Islamic Reform in the Twentieth Century. New York, Columbia University Press, 2016, 328p. MOULINE, Nabil. Histoire du salafisme. Champs, Flammarion, 2017. ROUGIER, Bernard. Qu’est-ce que le salafisme ? Paris, PUF, 2008, 271p. SOURDEL, Janine et SOURDEL, Dominique. Dictionnaire historique de l’islam. Paris, Presses universitaires de France, 1996, 962p. TIBI, Bassam. The Challenge of Fundamentalism : Political Islam and the New World Disorder. Berkeley, University of California Press, 2002, 262p. YOURY SALL, Mamadou. Al-Azhar d’Égypte, l’autre institution d’enseignement des Sénégalais. Indicateurs statistiques, contributions explicatives et base de données. Le Caire, Édition dar El Ittihad, 2009, 133p. VOPLI, Frédéric. Political Islam : a critical reader. New York, London, Routledge, 2011, 488p. WEBER, Max. Études de sociologie de la religion. Paris, Éditions Plon, 1964, 3 volumes.
2. Approches conceptuelles
AVISHAI, Orit Avishai. « Doing Religion’ in Secular World: Women in Conservative Religions and the Questions of Agency ». Agency and Society, 22, 4, (2008), p. 409-433. BAUM, Gregory Baum. « La réponse de l’islam à la modernité : la pensée religieuse de Fethullah Gulen ». Théologies, 19, 2, (2011), p.173-188.
122
CALHOUN, Craig. Habermas and the Public Sphere. Cambridge, MIT Press, 1992, 498p. CHIH, Rachida. «Sainteté, maitrise spirituelle et patronage : les fondements de l’autorité dans le soufisme». Archives des sciences sociales en religions, 125, (2004), p. 79-98. COQUERY-VIDROVITH, Catherine. «De la nation en Afrique noire». Le Débat, 84, 2, (1995), p. 119-133. DIAW, Aminata. «Nouveaux contours de l’espace public en Afrique». Diogène, 2, 206, (2004), p. 37-46. HABERMAS, Jügen. L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris, Payot, 1978, 324p. HELA, Ouardi. «De l’autorité en islam». Le Débat, 171, 4, (2014), p. 159-171. KIPRÉ, Pierre. «La crise de l’État-nation en Afrique de l’Ouest », Outre-terre, 11, (2005), p. 19-32. KRAMER, Martin. «Coming to terms: Fundamentalists or Islamists?». The Middle East Quaterly. 10, 2, (2003), p. 65-77.
LECLERC-OLIVE, Michèle. «Sphère publique religieuse : enquête sur quelques voisinages conceptuels». Gilles HOLDER, dir. Islam, nouvel espace public en Afrique. Paris, Karthala, 2009, p. 37-62. LEMING, Laura Leming. «Sociological Explorations: what is religious agency?», The Sociological Quarterly. 48, 1, (2007), p.73-92. MARIE, Alain. L’Afrique des individus : itinéraire citadins dans l’Afrique contemporaine. Paris, karthala, 1997c, 438p. MARIE, Alain. «Communauté, individualisme, communautarisme : hypothèses anthropologiques sur quelques paradoxes africains». Sociologie et sociétés, 39, 2, 2007, p. 173-198. MEILLASSOUX, Claude. «Fausses identités et démocratie d’avenir», Patrice Yengo, dir. Identités et démocraties, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 9-40 PEREIRA, Charmaine Pereira, Ibrahim, JIBRIN et Jacqueline HEINEN. «Le corps des femmes, terrain d’entente de l’islam et du christianisme au Nigeria». Cahiers du genre. 3, 3, (2012), p. 89-108. PHILIPPON, Alix Philippon. «Bon soufi et mauvais islamistes. La sociologie à l’épreuve de l’idéologie». Social Compass, 62, 2, (2015), p. 187-198.
123
ROUSSELIER, Nicolas. «Déconstruire l’État-nation. Travaux et discussion». Vingtième siècle. Revue d’histoire, 50, 2, (1996), p. 13-22. SABA, Saba. The Politics of Piety : The Islamic Revival and the Feminist Subject. Princeton, Princeton University Press, 2005, 272p. TIBI, Bassam. «Changing Islamism: from Jihadism to institutional Islamism, a Moderation?». Soundings : An Interdisciplinary Journal, 98 (2), 2015, p. 146-162. WAARBENBURG, Jacques. «L’islam et l’articulation d’identités musulmanes». Social Compass. 41, 1, (1994), p. 21-33. WIKTOROWICZ, Quintan. «Anatomy of the Salafi Movement». Studies in Conflict and Terrorism, 29, 2006, p. 207-239. ZEGHAL, Malika. «Le gouvernement de la cité : un islam sous tension». Pouvoirs, 104, 1, (2003), p. 55-69.
3. Jeunes et générations en Afrique ABBINK, Jon et Deborah DURHAM. Vanguard or Vandals: Youth, Politics, and Conflict in Africa. Leiden, Brill, 2005, 300p. BIAYA, Tshikala. «Jeunes et culture de la rue en Afrique urbaine». Politique africaine, 4, 80, (2000), p. 12-31. BREDELOUP, Sylvie. «Étudiants arabophones de retour à Ouagadougou cherchent désespérément reconnaissance». L’Année du Maghreb, 2, 11, (2014), p. 57-78. COLE, Jennifer et Deborah DURHAM. «Introduction : Age, Regeneration, and the Intimate Politics of Globalization». Jennifer COLE et Deborah DURHAM, dir. Generations and Globalization : Youth, Age, and Family in the New World Economy. Bloomington, Indiana University Press, 2007, p.1-28. COLLIGNON, René et Mamadou DIOUF. «Introduction. Les jeunes du Sud et le temps du monde : identités, conflits et adaptations». Autrepart, 18, «Les jeunes, hantise et l’espace public dans les société du Sud ?», (2001), p. 5-15. COMAROFF, John et Jean Comaroff. «Réflexions sur la jeunesse : du passé à la postcolonie». Politique africaine, 80, (2000), p. 90-110. DE BOECK, Filip et Alcinda Honwana. Makers and Breakers : Children and Youth in Postcolonia Africa. Oxford, James Currey, 2005, 244p.
124
DELIÈGE, R. Robert. «Les associations comme supports identitaires». Momar-Coumba DIOP et Jean BENOIST, dir. L’Afrique des associations : entre culture et développement. Paris, Karthala, 2007, p. 103-136. DURHAM, Deborah. «Youth and Social Imagination in Africa : Introduction». Anthropological Quarterly, 73, 3, (2000), p. 113-120. EL-KENZ, Ali. «Les jeunes et la violence». Elis STEPHEN, dir. L’Afrique maintenant, Paris, Karthala, 1995, p.88-109. FORTES, Meyer. «Age, Generations, and Social Structure». David I. KERTZER, dir. Age and Anthropological Theory. Ithaca, Cornell University Press, 1984, p. 99-122. GOMEZ-PEREZ, Muriel et Nathalie LEBLANC. «Jeunes musulmans et citoyenneté culturelle : retour sur des expériences de recherche en Afrique de l’Ouest». Sociologie et sociétés, 39, 2, (2007), p.39-59. GOMEZ-PEREZ, Muriel et Nathalie LEBLANC, dir. L’Afrique des générations : Entre tensions et négociations. Paris, Karthala, 2012, 842p. HONWANA, Alcinda. «Innocents et coupables : Les enfants-soldats comme acteurs tactiques». Politique africaine, 80, «Enfants, jeunes et politique», (2000), p.58-78. LEBLANC, Marie Nathalie. « L’orthodoxie à l’encontre des rites culturels. Enjeux identitaires chez les jeunes d’origine malienne à Bouaké (Côte d’Ivoire) ». Cahiers d’études africaines, 2,182, (2006), p. 417-436. LEBLANC, Marie Nathalie. « Du militant à l’entrepreneur : Les nouveaux acteurs religieux de la moralisation par le bas en Côte-d’Ivoire ». Cahier d’études africaines, 206-207, (2012), p. 493-516. LEBLANC, Marie Nathalie. «Les trajectoires de conversion et l’identité sociale chez les jeunes dans le contexte postcolonial ouest-africain : les jeunes musulmans et les jeunes chrétiens en Côte-d’Ivoire». Anthropologie et société, 27, 1, (2003), p.85-110. MANNHEIM, Karl. Le problème des générations. Paris, Colin, 2011, [1928], 162p. MARLOES, Janson. «Battle of Ages : Contests for Religious Authority in the Gambia». HERRERA, Linda et Asef BAYAT, dir. Being Young and Muslim : New Cultural Politics in the Global South and North. New York, Oxford University Press, 2010, p. 95-111. MBEMBE, Achille. Les jeunes et l’ordre politique en Afrique noire. Paris, L’Harmattan, 1985, 247p. NDONGO DIMÉ, Mamadou. « Remise en cause, reconfiguration ou recomposition? Des solidarités familiales à l’épreuve de la précarité à Dakar ». Sociologie et sociétés, 39, 2, (2007), p.151-171.
125
O’BRIEN, Donald Cruise. «A lost Generation ? Youth, Identity and State decay in West Africa». Richard WERBNER, dir. Postcolonial identities in Africa. London, Zed Books, 1996, p.55-74. SAMSON, Fabienne. «Identités islamiques dakaroises. Étude comparative entre deux mouvements néoconfrériques de jeunes urbains». Autrepart, 39, (2006), p. 3-19.
4. Islam et politique en Afrique subsaharienne BA, Mame-Penda. «La diversité du fondamentalisme sénégalais». Cahiers d’études africaines, 206-207, 2, (2012), p. 575-602. BANÉGAS, Richard. « Afrique de l’Ouest : des crises de la citoyenneté ». CERI, 2012, 6p. BENNEFLA, Karine. «L’instrumentalisation du pèlerinage à la Mecque à des fins commerciales : l’exemple du Tchad». Sylvia CHIFFOLEAU et Anna MADOEUD, dir. Les pèlerinages au Maghreb au Moyen-Orient. Beyrouth, IFPO, « Espaces publics, espaces du publics », 2005, p.193-202. BONNECASE, Vincent et Julien BRACHET. «Les crises sahéliennes entre perceptions locales et gestions internationales». Politique africaine, 130, 2, (2013), p. 5-22. BRENNER, Louis. West African Sufi. The religious heritage and spiritual search of Cerno Bokar Saalif Taal. Londres, Hurst, 1984, 223p. BRISSET-FOUCAULT, Florence et Armando CUTOLO. «Introduction au thème : espaces publics de la parole et pratiques de la citoyenneté en Afrique». Politique africaine, 3, 127, (2012), p. 5-20. BROSSIER, Marie. «Senegal’s Arabic literates : from translation Education to national Linguistic and Political Activism». Mediteranean Politics, 22, 1, (2017), p. 155-175. Centre d’études d’Afrique noire. L’Afrique politique 2002 : L’islam d’Afrique, entre le local et le global. Paris, Karthala, 2003, 358p. CISSÉ, Issa. «Le wahhabisme au Burkina Faso : dynamique interne d’un mouvement islamique réformiste». Cahiers du cercle SHS, 24, (2009), p. 1-33. CONSTANTIN, François et Christian COULON. Religion et transition démocratique en Afrique. Paris, Karthala, 1997, 387p. COULON, Christian. Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire : religion et contre-culture. Paris, Karthala, 1983, 172p.
126
DRAMÉ, Salilou. Le musulman sénégalais face à l’appartenance confrérique. Paris, L’Harmattan, 2011, p. 89-108. FOUCHARD, Laurent, André MARY et René OTAYEK. Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest. Paris, Karthala, 2005, coll. «Hommes et sociétés», 537p. FROELICH, Jean-Claude. Les musulmans d’Afrique noire. Paris, Éditions de l’Orante, 1962, 460p. GOMEZ-PEREZ, Muriel, Louis AUDET-GOSSELIN et Jonathan LECLERC. «Itinéraires de réformistes musulmans au Sénégal et en Guinée : regards croisés (des années 1950 à nos jours)». Isidore NDAYWEL E NZIEM et Elisabeth MUDIMBE-BOYI, dir. Images, mémoires et savoirs. Une histoire en partage avec Bogumil Koss Jewsiewicki, Karthala, Paris, 2009, p. 435-460. GOMEZ-PEREZ, Muriel, dir. L’islam politique au sud du Sahara : identités, discours et enjeux. Paris, Karthala, 2005, coll. «Hommes et sociétés», 643p. GOMEZ-PEREZ, Muriel. «Autour de mosquées à Ouagadougou et à Dakar : lieux de sociabilité et reconfiguration des communautés musulmanes». Laurent Fouchard et al., dir. Lieux de sociabilité urbaine en Afrique. Paris, L’Harmattan, 2009, p. 405-433. HÉLIE-LUCAS, Marie-Aimée. «Les stratégies des femmes à l’égard des fondamentalismes dans le monde musulman». Nouvelles questions féministes, 16-18, (1991), p. 29-62. HOLDER, Gilles et Maud SAINT-LARY. « Enjeux démocratiques et (re)conquête du politique en Afrique ». Cahiers sens public, 1, 15-16, (2013), p. 187-205. KABA, Lansine. The Wahhabiyya : Islamic Reform and Politics in French West Africa. Evanston, Northwestern University Press, 1993, p.59-78. KANE, Ousmane et Jean-Louis TRIAUD, dir., Islam et islamismes au sud du Sahara. Paris, Karthala, 1998, 330p. KANE, Ousmane. «Intellectuels non europhones». Document de travail, CODESRIA, Dakar, 2003, 71p. MARLOES, Janson. « Renegotiating Gender: Changing Moral Practice in the Tablight Jama’at in the Gambia ». Journal of Islamic Studies. 28, (2008), p.1-36. MILES, William F. S. dir. Political Islam in West Africa: State-Society Relations Transformed. Boulder, Lynne Rienner, 2007, 221p. MONTEIL, Vincent. L’islam noir. Paris, Seuil, 1971, 418p.
127
NICOLAS, Guy. Dynamique de l’islam au sud du Sahara. Paris, Publication orientales de France, 1981, 335p. OTAYEK, René. «Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoire». Revue internationale et stratégique, 4, (2009), p.51-65. OTAYEK, René. «Une production islamique de la mondialisation. Les relations Afrique-monde arable à l’ère du transnationalisme contemporain». Confluences Méditerranée, 90, 3, (2014), p. 23-37. PIGA, Adrianna. Islam et villes en Afrique du sud du Sahara : entre soufisme et fondamentalisme. Paris, Karthala, 2003, 422p. QUINN, Charlotte et Frederick QUINN. Pride, Faith and Fear: Islam in Sub-Saharan Africa. New York, Oxford University Press, 2003, 175p. ROBINSON, David et Jean-Louis TRIAUD. Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française, 1880-1960. Paris, Karthala, 1997, 538p. ROBINSON, David. Les sociétés musulmanes africaines. Paris, Karthala, coll. «Quatre vents», 2010, 310p. ROY, Olivier. L’islam mondialisé. Paris, Seuil, 2002, coll. «La couleur des idées», 209p. SAINT-LARY, Maud. «Du wahhabisme aux réformismes génériques. Réveil islamique et brouillage des identités musulmanes à Ouagadougou». Cahiers d’études africaines, 206-207, «L’islam au-delà des catégories», (2012), p. 449-470. SCHULZ, Dorothea E. Muslim and the New Media in West Africa, Pathways to God. Bloomington, Indiana University Press, 2012c, 306p. SOARES, Benjamin et René OTAYEK. Islam, État et société en Afrique. Paris, Karthala, 2009, 521p. SOUNAYE, Abdoulaye. «La ‘‘discothèque’’ islamique : CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne». Ethnographiques.org, 22, (2011), [En ligne] : www.ethnographiques.org. TRIAUD, Jean-Louis et Leonardo VILLALON. «Introduction thématique. L’islam subsaharien entre économie morale et économie de marché : contraintes du local et ressources du global». Afrique contemporaine, 3, 231, (2009), p.23-42. VITALE, Mara. «Économie morale, islam et pouvoir charismatique au Burkina Faso». Afrique contemporaine, 231, 3, (2009), p. 229-243.
128
WESTERLUND, David. «Reaction and Action: Accounting for the rise of Islamism». David WESTERLUND et Eva Evers ROSANDER, dir. African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists. Athens, Ohio, Ohio University Press, 1997, p. 308-333.
5. Islam et mouvements religieux au Mali AMSELLE, Jean-Loup. «Le Wahhabisme à Bamako (1945-1985)». Canadian Journal of African Studies / Revue des Études Africaines, 19, 2, (1985), p.345-357. BRENNER, Louis. «La culture arabo-islamique au Mali». René OTAYEK, dir. Le radicalisme islamique au sud du Sahara : Da’wa, arabisation et critique de l’Occident. Paris, Karthala, 1996, p.161-186. BRENNER, Louis. «Constructing Muslim identities in Mali», Louis BRENNER, dir., Muslim Identity and Social Change in Sub-Saharan. Bloomington, Indiana University Press, 1993, p. 59-78. BRENNER, Louis. «Médersas au Mali. Transformation d’une institution islamique». Bintou SANANKOUA et Louis BRENNER, dir. L’enseignement islamique au Mali. Bamako, Jamana, 1991, p. 63-85. BOURDARIAS, Françoise. «L’islam, le soufi et Satan : Religion et politique à Bamako (Mali)». Hélène BERTHELEU et Françoise BOURDARIAS, dir. Les constructions locales du politique. Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2008, p. 115-139. BOURDARIAS, Françoise. «Constructions religieuses du politique aux confins de Bamako (Mali)». Civilisations, 58, 2, «intimités et inimités du religieux en politique en Afrique», (2009), p. 21-40. DE JORIO, Rosa. «Between Dialogue and Contestation : Gender, Islam and the Challenges of a Malian Public sphere». Journal of the Royal Anthropological Institute, 15, 1, (2009), p. 95-111. Ferdaous Bouhlel Hardy. «Les médersas du Mali : réforme, insertion et transnationalisation du savoir islamique», Politique étrangère, no. 4, 2010, p. 819-830. HARMON, S.A. «Religion and the Consolidation of Democracy in Mali: the Dog doesn’t bark. Democracy and Development». Journal of West African Affairs, 5, 1, (2005), p. 8-30. HOLDER, Gilles. «Vers un espace public religieux : Pour une lecture contemporaine des enjeux politiques de l’islam en Afrique». Gilles HOLDER, dir. Islam, nouvel espace public en Afrique. Paris, Karthala, 2009, p. 5-22. HOLDER, Gilles. «Chérif Ousmane Madani Haïdara et l’association islamique Ançar Dine. Un réformisme malien populaire en quête d’autonomie». Cahier d’études africaines, 206-207, (2012), p.389-425.
129
KEÏTA, Naffet. «Mass médias et figures du religieux islamique au Mali : entre négociation et appropriation de l’espace public». Africa Developement, 36, (2012), p. 97-118. PERRET, Thierry. «Médias et démocratie au Mali : le journalisme dans son milieu». Politique africaine, 1, 97, (2005), p. 18-32 SANANKOUA, Bintou. «Les associations féminines musulmanes à Bamako». Bintou SANANKOUA, dir. L’enseignement islamique au Mali. Bamako, Éditions Jamana, 1991, p. 127-142. SCHULZ, Dorothea E. « Political Factions, Idelogical Fictions: The Controversy over Family Law Reform in Democratic Mali ». Islamic Law and Society, 10, 1, (2003), p. 132-164. SCHULZ, Dorothea E. «Evoking moral Community, Fragmenting Muslim discourse : Sermon audio-recordings ans the Configuration of Public debate in Mali». Journal for Islamic Studies. 27, 1, (2007), p. 39-72. SCHULZ, Dorothea E. «Remaking Society from within: Extraversion and the social Forms of Female Muslim Activism in Urban Mali». Barbara BOMPANI et Maria FRAHM-ARP, dir. Development and Politics from below: Exploring Religious spaces in the African States. Londres, Palgrave Macmillan, 2008, p.74-96 SCHULZ, Dorothea E. «A Fractured Soundscape of the Divine. Female Preachers, Radio Sermons and Religious Place-making in Urban Mali». Patrick DESPLAT et Dorothea E. SCHULZ, dir. Prayer in the City : The Making of Muslim Sacred Places and Urban Life. Bielefeld, Transcript, 2012a, p. 239-264. SOARES, Benjamin. «Islam and Public Piety in Mali». Dale EICKELMAN et Armando SALVATORE, dir. Public Islam and the Common Good. Boston, Brill, 2004, p. 205-226. SOARES, Benjamin. «Islam in Mali in Neoliberal Era». African Affairs, 105, 418, (2006), p.77-95. SOARES, Benjamin. «Rasta Sufi and Muslim Youth Culture in Mali». Linda HERRERA et Asef BAYAT, dir. Being Young and Muslim : New Cultural Politics in the Global South and North. Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 241-157. THIRIOT, Céline. «Islam et espace public au Mali : une société civile religieuse très engagée». Dominique DARBON, René OTAYEK et Pierre SARDAN, dir. Altérité et identité, itinéraires croisés. Mélanges offerts à Christian Coulon, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 213-243. TRIAUD, Jean-Louis. «Abd al-Rahman l’Africain (1980-1957). Pionnier et précurseur du Wahhabisme au Mali». Odile CARRÉ et Pierre DUMONT, dir. Les radicalismes islamiques, Paris, L’Harmattan, 1986, p.162-179.
130
6. Politique et société au Mali BERTRAND, Monique. «Un an de transition politique : de la révolte à la troisième république ». Politique africaine, 47, (1992), p.9-22. CHARBONNEAU, Bruno. «De Serval à Berkhane : Les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel», Les temps modernes, 693-694, 2, (2017), p. 322-340. CHENA, Salim Chena et Antonin TISSERON. «Rupture d’équilibres au Mali : Entre instabilité et recompositions». Afrique contemporaine. 245, 1, (2013), p.71-84. COULIBALY, Hawa Coulibaly et Stéphanie LIMA. «Crise de l’État et territoires de la crise au Mali». EchoGéo, (2013), [En ligne]. FONTAINE, Jacques, LAHOUARI, Addi et HENNI Ahmed. «Crise malienne : quelques clefs pour comprendre». Confluences en Méditerranée, 85, 2, 2013, p. 191-207. GARY, Michel. La guerre au Mali, comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombre. Paris, La Découverte, 2013, 144p. HARDY B. Ferdaous. «Les médersas du Mali : réforme, insertion et transnationalisation du savoir islamique». Politique étrangère, 4, (2010), p.819-830. HOLDER, Gilles. «Un pays musulman en quête d’État-nation». PATRICK, Gonin et Nathalie KOTLOK, dir. La tragédie malienne. Paris, Vendémiaire, 2013, p. 309-315. LIMA, Stéphanie. «Un État faible : des territoires en devenir». Patrick GONIN, Nathalie KOTLOK et Marc-Antoine PÉROUSE DE MONTCLOS, dir. La Tragédie malienne. Paris, Éditions Vendémiaire, 2013. LOUNNAS, Djallil. «Confronting Al-Qa’ida in the Islamic Maghrib in the Sahel: Algeria and the Malian Crisis ». The Journal of North African Studies, 19, 5, (2014), p. 810-827. SIRATIGUI DIARRA, Ibrahim. «La flamme de la paix du Mali 10 ans après : bilan de la réinsertion des anciens rebelles ». Yvan CORNOIR et Gérard VERMA, dir., Désarmer, démobiliser et réintégrer. Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, p.165-188 SOARES, Benjamin Soares. «On the recent mess in Mali». Anthropolgy Today, 28, 5, (2012), p.1-2 WING, Susanna D. «Briefing Mali: Politics of a crisis». African Affairs, 112, 448, (2013), p. 476-485. ZOUNMENOU, David. «The National Movement for the Liberation of Azawad factor in the Mali Crisis ». African Security Review, 3, 22, (2013), p. 167-174.
131
7. Travaux universitaires
NDIAYE, Aminata. «Processus d’individualisation chez les jeunes dakarois : Stratégies entre rupture et appartenant». Thèse de doctorat, Université Laval, Département de sociologie, 2010, 300p. MADORE, Frédérique. «Islam, politique et sphère publique à Ouagadougou (Burkina Faso)». Mémoire de maitrise, Université Laval, 2013, 248p.
8. Rapports GALILOU, Abdoulaye. «Les diplômés des universités arabo-islamiques : une élite moderne “déclassée” en quête de légitimité socioreligieuse et politique». Document de travail, le Département d’anthropologie et d’études africaines de l’Université Johannes-Gutenberg, 18, (2003), 19p. «Le nouveau code de la famille malien : droits fondamentaux bafoués, discriminations consacrées». ONG fidh, 8 décembre 2009.
132
ANNEXE I : GRILLE D’ENTRETIEN
GRILLE D’ENTRETIEN SEMI-DIRIGÉ
N.B. CERTAINS ÉLÉMENTS, TELS QUE LES ÉVÉNEMENTS SUR LESQUELS LES PARTICIPANTS SONT APPELÉS À SE PRONONCER, SERONT PRÉCISÉS UNE FOIS L’ANALYSE DE LA PRESSE ÉCRITE COMPLÉTÉE. Présentation de l’intervieweur
Bonjour, je m’appelle ____________________. Au cours de l’entretien, d’une durée d’une heure, j’aimerais que nous abordions des questions concernant votre parcours personnel et académique, vos inspirations et vos perceptions de la société malienne et de l’identité de musulman. En ayant ces thèmes en tête, je vous invite à développer et exprimer le plus librement possible vos idées. Milieu, parcours académique et habitudes Questions principales Questions
complémentaires Questions de clarification
Pourriez-vous me parler de votre parcours scolaire ?
Public ou privé, laïc ou religieux ?
Êtes-vous allé à la madrasa ?
Qui vous a encouragé dans cette voie ?
À la maison, qui a fait votre éducation religieuse ?
Durant vos études, quels étaient vos objectifs pour l’avenir ?
Quel âge aviez-vous lorsque vous alliez à la madrasa ?
Vos frères et sœurs ont suivi le même parcours ?
Que faisait votre père comme métier ?
Si c’est le cas : pourquoi avez-vous arrêté les études?
Avez-vous bénéficiez de bourses d’études ?
Quels lieux fréquentiez-vous durant vos études ?
Avez-vous milité durant votre jeunesse ?
Quels étaient les objectifs de ou des associations ?
Qu’est-ce que cela signifiait pour vous ?
Militez-vous aujourd’hui auprès d’une association ?
Auprès de quelles associations ?
Depuis quand militez-vous ?
Vos parents ont-il également milité ?
133
Dimension politique et identité Questions principales Questions complémentaires
Dans les vingt dernières années, quels évènements politiques vous ont marqué (au Mali et à l’international)
Quel intérêt portez-vous à la politique ?
Comment percevez-vous les actions des associations musulmanes aujourd’hui ?
Quelles différences percevez-vous avec le militantisme d’aujourd’hui et en 1990 ?
Quelle différence percevez-vous entre les diverses associations musulmanes ?
En tant que musulman, comment percevez-vous la situation au nord du Mali ?
Comment percez-vous les tensions entre les différents courants religieux au Mali ?
Qui fait figure d’autorité religieuse ? Pourquoi ?
Pourriez-vous nommer 2-3 pays qui
correspondent à l’exemple d’un État musulman ?
Pour vous, qu’est-ce qu’être un bon musulman ?
Questions de clarification
Quelles sont les différences entre les divers courants musulmans ?
Quelles sont les limites du politique dans le religieux ?
Comment expliquez-vous le conflit entre le HCI et l’UJMMA ?
134
ANNEXE II: EXEMPLE DE PAGE DÉDIÉE AUX LECTEURS DANS LES ÉCHOS,
DÉCEMBRE 1990
135
ANNEXE III: RASSEMBLEMENT D’ANÇAR DINE À LA GRANDE MOSQUÉE, 19 JUILLET
2014
Plusieurs centaines de fidèles étaient présents
Source : photographie personnelle
Une barrière métallique séparait les hommes des femmes
Source : photographie personnelle
136
Une chaine humaine formée par des jeunes scouts protégeait les leaders
religieux et les dignitaires à leur sortie de la mosquée Source: photographie personnelle
Les fidèles scandaient avec frénésie le nom d’Haïdara
Source: photographie personnelle
137
ANNEXE IV: STATUT ET RÈGLEMENTS INTÉRIEURS DE L’UNION NATIONALE DES
JEUNES MUSULMANS DU MALI (UJMMA)
138
139
140
141
142
143
144
145
ANNEXE V: RÈGLEMENT INTÉRRIEUR DE LA FÉDÉRATION ANÇAR DINE
INTERNATIONALE
146
147
148
149
150
151
152
ANNEXE VI : ARTICLE DE PRESSE
NORD-MALI : Le président du HCI fait la leçon au Mujao 10 août 2012 Source : Les Échos http://maliactu.net/nord-mali-le-president-du-hci-fait-la-lecon-au-mujao/
« Le Mali a toujours pratiqué et pratiquera un islam modéré. C’est aux Maliens de décider s’ils veulent d’une charia. Une solution négociée est possible avec Ançar Eddine puisque ce sont des Maliens, nés et grandis au Mali« . C’est El hadj Mahmoud Dicko, le président du Haut conseil islamique (HCI), qui parlait en ces termes jeudi matin sur RFI, revient d’une mission au nord. Il s’est dit optimiste sur une issue de la crise et manifesté son dégoût des islamistes du Mujao.
« Ceux qui veulent appliquer la charia au Mali doivent être chassés hors du territoire« . Le message de Mahmoud Dicko, président du Haut conseil islamique du Mali est clair et l’allusion est faite au groupe de rebelles du Mouvement unifié pour le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Parti au nord pour rencontrer les rebelles et jeter les bases d’une discussion, le président du HCI a regagné Bamako et était l’invité d’Afrique-Matin de RFI, le jeudi 9 août. Le Haut conseil islamique du Mali est contre la charia que veut imposer les islamistes du Mouvement unifié pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et est d’avis que ces étrangers doivent être boutés hors du territoire malien. C’est la conclusion à laquelle a abouti Mahmoud Dicko le président du Haut conseil islamique en tournée la semaine dernière à Gao. Le président du HCI était la semaine dernière à Gao, une des trois régions du nord du Mali, occupées par les groupes islamistes rebelles Ançar Eddine et le Mujao depuis le 1er avril 2012. Cette visite entre dans le cadre des négociations entreprises par les autorités maliennes et le burkinabé pour chercher une issue pacifique à la crise.
Interrogé par Radio France internationale le président du HCI a affirmé n’avoir pas pu rencontrer le chef d’Ançar Eddine Iyad Ag Ghali, mais soutient que son organisation était prête pour un dialogue dont les contours sont encore à déterminer lorsqu’un gouvernement d’union nationale sera mis en place et lorsque ces groupes rebelles se seraient concertés pour négocier d’une seule une même voix.
Trafiquants sans vergogne
À entendre M. Dicko, le Mali n’a nullement besoin de la charia que le Mujao se propose d’instaurer sur notre sol. « Si charia il devait y en avoir au Mali, ce serait aux Maliens dont
153
95 % sont musulmans d’en décider et pas des étrangers« , a martelé El Hadj Mahmoud Dicko qui a estimé qu’une solution négociée est possible avec Ançar Eddine. Quant au Mujao, une franche dissidente de l’organisation terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le Haut conseil islamique est d’avis que ses éléments, essentiellement, des combattants étrangers soient chassés du territoire. Le Mujao est aussi supposé avoir des liens avec l’organisation terroristes Boko Haram. Ses activités préférées sont le trafic de drogue et la prise d’otages.
Des vices jusqu’à une époque récente inconnus et non pratiqués par les Maliens et autres ressortissants ouest africains. Dès lors, on comprend maintenant pourquoi le médiateur dans la crise, le président du Faso, Blaise Compaoré, a demandé dès sa première rencontre avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et Ançar Eddine que ces deux groupes rompent leurs liens avec les organisations terroristes.
Au vu de l’évolution de la situation au nord caractérisée par les défaites du MNLA à Gao et dans d’autres localités, la destruction des mausolées et la détermination à appliquer la charia, le Mujao, après avoir combattu et chassé Ançar Eddine (une hypothèse plausible), pourrait avoir la suprématie et s’installer en maître incontesté au nord. Un scénario que ne veut point la communauté internationale parce que consciente que dans une telle hypothèse le prix à payer pour la libération serait plus fort pour le Mali et la communauté internationale. Denis Koné
154
ANNEXE VII : RÉCIT DE VIE D’OUMAR, UN MILITANT DE PREMIÈRE GÉNÉRATION
D’ANÇAR DINE
[L’entretien s’est déroulé en français] « Parlez moi de votre parcours académique. » « J’ai étudié l’hydraulique à l’université en Union Soviétique, de 1984 à 1990. Et j’ai fait une thèse de l’environnement. Après l’université, j’ai travaillé 4 ans à Bamako et je suis allé en 1994 faire ma thèse en Chine, à Nanjing. [Vous avez obtenu des bourses ?] Oui j’y suis allé grâce à des bourses des pays d’accueil, c’était des bourses de coopération. La sélection s’effectue au niveau des classes, avec l’URSS, ils prenaient les 3 premiers de classe. La Chine demandait d’avoir de l’expérience de travail avant, ils prennent aussi les meilleurs. » […] « Quel âge aviez-vous en 1990 et militez-vous déjà à cette époque? » « En 1990…. J’avais… 27 ans ! Wow, je me voyais vieux à cette époque, je n’étais qu’un bébé. On a vu paraitre beaucoup d’associations, je faisais partie d’une association de jeunes diplômés, des ressortissants de mon village, association des enseignants, et j’étais déjà militant de l’Ançar Dine, et ce, depuis 1990. [Qui vous a fait connaitre Ançar Dine] C’est mon ami ici présent, il m’a amené des cassettes d’Haidara. Il m’a parlé de lui en me disant qu’il est extraordinaire dès mon retour, je l’ai donc écouté. Avant Haidara, les gens ne faisaient que prier pour être musulman. Ils volaient, ils faisaient l’adultère (sic), ils trompaient les gens et pensaient pouvoir aller au Paradis. Mais ce n’est pas ça l’islam. Il était seul contre tout le monde. On a rejoint la vérité. » « Qu’est-ce que ça signifiait pour vous (militantisme)? » « Ça m’a rassuré (sic) davantage. Je ne croyais pas que l’on pouvait être musulman et injuste et mauvais en même temps. Je voyais les gens dans la débauche et je n’aimais pas ça. Le discours d’Haidara rejoignait mes idées. Si tu agis d’une telle façon, tu n’es pas un musulman. C’était ma profonde conviction et j’ai entendu Haidara, je l’ai entendu dire ce que je pensais. » « Percevez-vous des différences dans Ançar Dine entre 1990 et aujourd’hui? » « Fondamentalement, rien n’a changé. Sauf qu’en 1990, nous étions 100, tandis qu’aujourd’hui, on est un million. On était déjà dans quelques régions comme Sikasso, Ségou et Bamako. Aujourd’hui nous sommes sur tout le territoire. Vers 1990, nous étions en Côte-d’Ivoire, au Burkina Faso et au Gabon. Aujourd’hui on se trouve dans tout continent et plusieurs pays à l’étranger. En 1990, il n’y avait rien à Bamako, c’était la
155
brousse, il y avait des serpents et plusieurs animaux. Bamako s’est agrandi et le quartier de Bankoni a pris forme. Les gens viennent de partout vers Bankoni, pas forcément pour y emménager. On se retrouve tous là bas durant le Maouloud, on y va tous durant les cérémonies » […] « Au cours des vingt dernières années, quels évènements politiques vous ont marqué (Mali et international)? » « Au Mali, l’avènement de la démocratie en 1991, le 26 mars plus précisément. On croyait que c’était un changement digne de ce nom. Ce qui a provoqué la révolution, c’était l’injustice, la corruption, l’empêchement du processus de développement, tous les obstacles que la société affrontait. On avait de l’espoir pour que tout cela change, que ça soit corrigé et ce n’est toujours pas le cas. Vous savez, je n’aimais pas la politique, je ne voulais pas être politicien. Je me suis concentré sur les sciences et le développement. On a laissé les politiciens dans leurs histoires. Rapidement, on s’est rendu compte que le développement personnel ne peut être assuré que si le politique s’y met. Dans le monde, c’est la disparition de l’URSS. Son éclatement ne pas plu du tout, ça m’a frappé. Mais il y avait des défaillances terribles, on le sentait déjà. La disparition du bloc soviétique m’a peiné. Sur le plan religieux, c’est le succès de la vérité que Haidara promet sur le mensonge. Ici, en Afrique et dans le monde, on reconnaît sa valeur véridique et son objectivité d’analyse. Ça m’a permis de voir clair dans tout ça. Les règles, les principes et les lois de l’islam, il expliquait enfin le Coran de la bonne façon. C’est un atout pour nous que de réussir de coïncider l’islam avec notre temps. Il faut obligatoirement avoir un éclaireur. Sans ça, il y a beaucoup trop de confusions montées artificiellement. Il y a énormément d’explications tendancieuses du Coran et des comportements de musulmans contradictoires. Aujourd’hui, l’islam est connu au Mali, à moins que l’on ferme les yeux. Être musulman, ce n’est pas seulement faire la prière. Un musulman doit avoir la tête sur les épaules. Il ne doit surtout pas croire que tout se résume à lui, il est dans un monde, une société et se doit de respecter les autres. Tout le monde n’est pas musulman au Mali, il faut respecter les autres. Un choix libre qu’Haidara nous a permis de comprendre. Si tu n’es pas musulman, ce n’est pas grave. Il faut montrer que l’islam et son comportement sont bons. L’islam ce n’est pas la force et les bombes. Un homme bon doit rejeter les jugements de non musulmans. En gros, c’est la liberté dans la foi et la tolérance. Avec Haidara, les luttes et les différentes tendances (les wahhabias, les tijania…) ces luttes ont pratiquement cessées. Enfin, il y en a beaucoup moins qu’avant, c’est presque fini aujourd’hui. Les conflits sont sans objets, ils sont artificiellement montés. Il est monté (sic) par ceux qui ne veulent pas l’unité de la société, de la communauté musulmane. La politique cherche à diviser pour mieux régner, si le monde musulman devient UN commun, ça devient problématique pour plusieurs. C’est pourquoi on a détruit la Syrie, l’Iraq, le Mali, l’Iran… On a déclenché ces guerres volontairement pour opposer, diviser et être maitre du terrain. Haidara a joué un rôle dans la compréhension de l’islam pour plusieurs, il a expliqué qu’il est inutile de tuer. Les djihadistes tuent sans fondements, tous les musulmans sont frères. Dans le peu de Hadiths que j’ai lu, j’ai compris que deux musulmans qui prennent l’épée l’un contre l’autre vont directement en enfer. Je ne comprenais pas avant que l’on puisse considérer ça comme l’islam. Même s’insulter, je considère que c’est hors classe. On peut très bien ne pas être en accord, mais il ne faut pas s’affronter. On ne peut pas forcer ou changer par la force.
156
Haidara explique tout cela à tous les niveaux, pour que tout le monde puisse comprendre, du bas niveau jusqu’aux pensées philosophiques. » « Pourtant il y’a encore des tensions entre les tendances, on l’a vu lors du 2e congrès du HCI. » « Les deux tendances s’affrontent encore, mais c’est surtout une question de choix et d’hommes. Il y a ceux qui veulent perpétuer le conflit et ceux qui veulent y mettre fin. Beaucoup ne pourraient plus vivre sans conflits, ils ne vivent que de ça. Ils embobinent beaucoup de gens qui veulent simplement bien pratiquer l’islam mais ne le comprennent pas bien. Tout cela c’est une question leaders. Une division de l’islam purement fondé sur ça, le conflit est volontairement maintenue. À la base on vivait bien au Mali. Avec l’arrivée d’Haidara, les wahhabites se sont mis à prier derrière les non wahhabites. Tandis qu’avant, chacun avait sa mosquée et les wahhabites ne voulaient pas prier avec les autres. Haidara a expliqué à tout le monde qu’on est tous frères après tout. Il y avait même des conflits à l’intérieur des familles. Les wahhabites croisent les bras et les autres non. Il y a plein de cas dans les familles. C’était surtout l’idéologie qui dérangeait. Un frère pouvait décider de ne plus manger avec son frère qui appartient à une autre tendance, ne va pas à des funérailles ou mariages qui le concernent… Les tensions ont diminué aujourd’hui. C’est un montage pour nous diviser, eux ne vivent que de ça. Les politiques veulent garder cette division, seuls ceux qui veulent être influents tiennent à cette division. Ils font tout pour que la division existe, pour que leur tendance reste au Mali même si elle cause des problèmes. Chacun tien à sa tendance pour ses intérêts. Au fond, l’homme est un homme tout court. Ce que je ne veux pas pour moi, je ne le fais pas pour les autres. C’est ça l’islam. Comme je ne veux pas être tué, je ne tue pas quelqu’un d’autre. C’est simple, c’est avec un comportement pareil qu’on peut avancer dans la société. On doit se respecter les uns les autres, il ne faut violer aucun principe ou règle, la loi de la République est là pour rendre justice. » […] Source: Oumar, militant de première génération auprès d’Ançar Dine, ses bureaux à l’École
nationale des ingénieurs, 10 juillet 2014.
157
ANNEXE VIII: RÉCIT D’AICHATA, PRÉDICATRICE ET MEMBRE DE L’AGENCE
MUSULMANE D’AFRIQUE « Parlez-moi de votre parcours scolaire. » « J’ai étudié l’Arabe dès le premier cycle jusqu’à l’université. Ensuite, j’ai fait un an de formation pour devenir enseignante. J’ai été professeure d’Arabe dans une madrasa franco-arabe. D’ailleurs, j’ai fondé une madrasa en 2007. Chez nous au Mali, tout est difficile, j’ai tout fait toute seule, depuis le début. J’ai ouvert la madrasa, j’ai attendu 2-3 avant de recevoir l’autorisation de l’État. C’est toujours comme ça, tu ouvres et tu attends la réponse. Ça donne une reconnaissance de l’État, c’est le seul avantage. [D’où provient le financement] Le financement vient principalement des élèves. Ça prenait un bon fonds pour commencer, mais on n’a jamais sollicité les pays musulmans. [Vous n’aviez aucun associé au début?] Comme c’est une école privée, j’ai tout financé au début, maintenant c’est les inscriptions. Si tu amènes des gens pour créer un projet, tu amènes des problèmes aussi, ils ne veulent que de l’argent, mais il faut travailler pour gagner de l’argent. » « Parlez-moi un peu plus de vos études. » « J’ai commencé la madrasa à l’âge de 7 ans. Le premier cycle dure 6 ans, le 2e cycle dure 3 ans, ensuite on fait 3 ans de lycée et 4 ans d’université. Au primaire, je n’ai pas fait l’école publique, je suis seulement allée à la madrasa, mais on y faisait un peu de Français, c’était une école franco-arabe. Je suis allée au Niger pour mes études universitaires, à l’université islamique, j’y ai fait ma formation là-bas aussi. J’ai obtenu une bourse après avoir passée un concours. Après avoir terminé ma formation, je me suis inscrite à l’université Médine nationale en Malaisie. À la suite d’un concours aussi, j’ai été admise pour une formation à distance, mais je ne l’ai pas terminé. L’université a mis fin à la formation à cause de problèmes de bourse et c’est trop cher pour que je paye moi-même, j’ai arrêté en 2002. » « Quels étaient vos objectifs pour l’avenir? » « Je voulais m’engager pour aider l’islam, c’était mon premier objectif. El Hamdoullah, il y a des musulmans au Mali, mais il est mal compris, il y a beaucoup de personnes qui ne comprennent pas. Il faut leur montrer en faisant des prêches et des écoles, autant pour les femmes que les hommes, surtout les femmes mariées. Il faut organiser des séminaires, des cours de lecture…c’est bénéfique pour la société. Ce sont les objectifs de l’Agence musulmane d’Afrique, je collabore avec eux. » « Parlez-moi de cette agence. » « C’est une agence du Koweit pour aider les Africains, ils sont implanté à Bamako. J’en ai entendu parlé lorsque je suis allée en Arabie Saoudite pour les études. [Vous avez étudié en Arabie Saoudite?] Non, j’ai accompagné mon mari, j’avais 19 ans. Je n’ai pas pu y étudié parce que je n’ai pas réussi à obtenir le permis d’étude à temps. Donc on organise des
158
activités pour les femmes chez l’agence. On est 6 à y travailler. On va souvent dans des grands centres d’orphelin, on leur vient en aide. Chaque deux semaines, on y va pour leur parler et organiser des activités avec les enfants. C’est un peu loin d’ici. Des fois, on reçoit des étrangères qui viennent pour du bénévolat, c’est nous qui les prenons en charge. Avec tout ça, je travaille aussi à l’agence pour El Hadj. C’est prenant surtout durant la période du Hadj, le reste de l’année c’est assez tranquille. J’y vais à chaque années avec les clients, je pars au Hadj avec eux en tant que guide, de Bamako jusqu’en Arabie Saoudite, on prend tout en charge. » « Faites-vous partie d’une association. » « Oui, je fais partie de la Ligue des prédicatrices, fondée en 2004, on eu les statuts officiels il y a deux mois seulement. Je suis prédicatrice, on fait des prêches et des séminaires. On a des émissions à la Radio Dramé et Niata, mais aussi à la station nationale ORTM, à la chaîne 2 et des fois sur la chaine de télévision TV Sunna. La TV sunna est diffusé pour tout le oulama de l’Afrique. On prêche en bambara. [Quels sont les principaux sujets?] On parle de l’éducation des enfants, de choses qui concernent les femmes, du carême, des devoirs dans l’islam, des choses à faire et ne pas faire, et toujours en Bambara. Je fais tout ça pour aider l’islam et c’était mon premier objectif. » « Quelles sont les limites entre le politique et l’islam? » « La politique dans l’islam, c’est bon. Mais en dehors du cadre de l’islam, ça devient autre chose. La parole de l’islam est ancienne, il faut savoir l’adapter à notre temps. Si on parle de politique avec les musulmans, on voit qu’ils n’y croient pas. Les hommes politiques ne sont pas bons, ils mentent, ils trompent et c’est contre l’islam. Les Marabouts et les Oulama considèrent que l’homme politique doit avoir peur de Dieu. Ce n’est pas la politique le problème, c’est les hommes. » « Comment percez-vous la jeunesse d’aujourd’hui? » « On voit que les jeunes d’investissent plus dans l’islam et la société, mais il y a encore beaucoup de problèmes avec la jeunesse musulmane. On doit travailler pour changer le comportement des jeunes Maliens, l’éducation ne semble pas suffisante. [Quels comportements?] Quels comportements ? Tu n’es pas sortie dans Bamako ? Il suffit de marcher un peu et tu verras. » […] « Qu’est-ce qu’être un bon musulman? » « C’est lui… [Elle rit et réfléchi longuement] Tous les êtres sont bons, avec le Coran, les gens se complètent, c’est avec cela qu’on devient un bon musulman, avec les hadiths et la sunna. Le bon musulman, c’est celui qui fait tout ce qui doit être fait au nom de l’islam et selon le Prophète. »
Source : Aichata, prédicatrice et membre de l’Agence musulmane d’Afrique, à sa résidence, 5 juillet 2014