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CONTRE L'IMPôT SUR LE REVENU. POUR L'IMPOT DIFFÉRENCIÉ ET PROGRESSIF SUR LA DÉPENSE Lcs hommcs naissent et dcmcurent libres e1 égaux en tlroits. Les distinclions sociales nc lJcuvent ôtte fondées que sur l'utilité cotrlmune l)ér'laratiltn las rlroils rle I'hontne ct rlu ,iuven dt 20 rurirt, 1781), ar1. 1er. Si l'on en croit un sondage d'opinion de la Sofres, fait pour Ie compte du Nouvel Observateur (1) en 1975, 65 0/0 des F-rançais trouvent que le système français des impôts n'est « pas très juste,, ou « pas du bout juste ». IIn I'espèce il s'agit de I'impôt sur le revenu, Ie scul qui soit vraiment sensible aux Français, bien que netlement moins rentable que la T. V. A. En eflet l'impôt sur le re\renu, dans la loi de finances pour 1976, représente seulement 21 010 du total des recettes fiscales et l'impôt sur les sociétés 11,55 0/0, alors qrre Ia T. \r. A. représente 46,.39 0/0 sur un ensemble indirects et douanes de 67,45 0/0. Si l'impôt sur le revenu des personnes physiques est vraiment injuste et ne représenLe rlue le 1/5 des ressources Iiscales la quesLion est de savoir ce qu'il faut en faire. I.'aut-il le réformer ou faut-il Ie supprimer ? Faut-il accroître sa parl. dans le total des recettes fiscales ou, au contraire, augmenter celle des impôts sur la dépense ? Les auteurs de manuels penchent pour la première solution : la réforme et l'accroissement du rendement (2). Pour être vraiment moderne, dans le vent de I'Ilistoire, s'acheminer vers les lendemains enchanteurs, la Iiscalité française devrait singer l'anglo-saxonne et la (l) Le Nouuel Obseruateur du 17 mars 1975, p. 55. (2) Notamment M, Duvonoen, Institulions ftnancières, 1968, p. 462.

Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

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Page 1: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

CONTRE L'IMPôT SUR LE REVENU.

POUR L'IMPOT DIFFÉRENCIÉET PROGRESSIF SUR LA DÉPENSE

Lcs hommcs naissent et dcmcurent librese1 égaux en tlroits. Les distinclions socialesnc lJcuvent ôtte fondées que sur l'utilitécotrlmune

l)ér'laratiltn las rlroils rle I'hontne ct rlu,iuven dt 20 rurirt, 1781), ar1. 1er.

Si l'on en croit un sondage d'opinion de la Sofres, fait pour Ie

compte du Nouvel Observateur (1) en 1975, 65 0/0 des F-rançaistrouvent que le système français des impôts n'est « pas très juste,, ou« pas du bout juste ».

IIn I'espèce il s'agit de I'impôt sur le revenu, Ie scul qui soitvraiment sensible aux Français, bien que netlement moins rentableque la T. V. A. En eflet l'impôt sur le re\renu, dans la loi de financespour 1976, représente seulement 21 010 du total des recettes fiscales etl'impôt sur les sociétés 11,55 0/0, alors qrre Ia T. \r. A. représente46,.39 0/0 sur un ensemble indirects et douanes de 67,45 0/0.

Si l'impôt sur le revenu des personnes physiques est vraimentinjuste et ne représenLe rlue le 1/5 des ressources Iiscales la quesLionest de savoir ce qu'il faut en faire. I.'aut-il le réformer ou faut-il Iesupprimer ? Faut-il accroître sa parl. dans le total des recettes fiscalesou, au contraire, augmenter celle des impôts sur la dépense ?

Les auteurs de manuels penchent pour la première solution : laréforme et l'accroissement du rendement (2). Pour être vraimentmoderne, dans le vent de I'Ilistoire, s'acheminer vers les lendemainsenchanteurs, la Iiscalité française devrait singer l'anglo-saxonne et la

(l) Le Nouuel Obseruateur du 17 mars 1975, p. 55.(2) Notamment M, Duvonoen, Institulions ftnancières, 1968, p. 462.

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872 DE\IS ToUNE'I

nordique - les liscalités dér,eloppées, quoi ! 'fant il esL sirr «1uc lavériLé ne peut jaillir que des brumes nordiques, tles brouillardsbritanniques ou des mirages américains.

Est-il aussi ér'ident que l'irnpôt sur le re\.enu soit Ia panacée

unir-erselle ? L'on commence à se poser sérieusement la question.C'esL, par exemple, N'I. Nlaurice Allais (3) qui allrme :

« Au regard de toutes les indications qui précèdent, il me paraîtnécessaire de préciser en quelques mots Ia Iiscalité que je considèrequant à moi comme préférable. Illle reposerait esscnticlletnenL surtrois éléments : une taxe ç1énérale el homogène sur la valeur ajout(re,un inrpôb sur le capital reposant sur les seuls actifs rie1.s, I'appro-priation par la seule collectivité des prolits provenant de la créationde nouveaux moyens de paiement par le mécanisnte du crédit. CetteIiscalité tripolaire scrait accompagnée de la suppressi.on de I'impôt surles lténélices des sociélés, de I'impôt prolpessil sur le re»enrr (4) et de

I'impôt sur les successions. Elle ne comporterait aucunc taxation surles plus-values. Une telle Iiscalité serait simple, transparente etimpersonnelle ».

ÿIais c'esl également )1. Nlichcl Joberl (5) qui écril touL de go :

u II est lemps de dénoncer et de supprimer l'impôt sur le revenLl,prétendûment moderne, qui a servi. au nom d'ttne éqtrité théoriquesans cesse rabâchée, à amplifier, en fait, l'inégalité entre Ies Français.I-'impôL sur le revenu est désormais anachrouique. Il su{lit de consta-ter ses effets en Grancle-Ilretague et en Suède.

Il est Lemps de dénoncer, alors que triomphe Ia société de consom-mation, la théorie vieillotte qui aflirme I'injustice des taxes à laconsommati<ln. II faut taxer les consommations souvent sullerflues,excessives ou aberrantes selon leur utilité.

Il est lemps d'imposer en bout de course le capital, dans I'intérêtde l'économie et de l'indispensable équité ».

Pcut-êtrc n'est-il pas impossible, ni inutile, de montrer qtrc l'impiltsur le revenu est inadapté et inadaptable et c1u'il convient de leremplacer par un impôt di{ïérencié et progressif sur la dépense.

(3) Dans Ie Rapport MoNourr,.tN-I)elu,ts, L'itnposition des plus-values, La Documcntutiott françai.se, 1975, torne 2, p. 17.

(4) C'est nous qui soulignons.(5) Michel JonrRr, Supprirner l'irnpôt sur le revenu, Le Point,

20 septembre 1976, p. 51. Supprimons l'impôt sur le revenu, Poris-lIatch,17 décembre 1976, p. 106.

Page 3: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

(io\l'rllr r, rllPo'f sLtt l,u ltE\ E\u

1. I-'INII'O'T SUI1 LE IItrVENU EST INADAPTÉ

1.1. A r,,r so«:rri'r'ri r.n,rNÇ,rrsrr ^c'rr-rr.lLLE

I-a nature de la société françaisc cst juridiquement déterrninée parles textes ayant valeur constitutionnelle positive.

Lc texte ftrndameutal est actuellernent la ConsLiLution de 1958.La ConstituLion de 1958 reconnaît elle-môrnc un cer[ain nombre de

principes libéraux : Ie principe du droit des peuples à clisposer d'eux-mèrnes ou principe de libre détermination (Préambule), la liberté deconscience (art. 2), l'égaliLé juridique et la norr-discriminatiort sociale,

raciale ou rcligieuse (arl.. 2), la libcrté polititlue (arl". 4), Ia liberl"éindividuelle (art. 6). Mais pal ailleurs, eL surlout, Ie Préarnbule de laÔonstitution de 1958, qui a valeur constitutionnelle (C. 8., 12 fér'rier1960, Soc. Eky ; C. C. 16 juillet 1971), fait expressémeut référence à

la lléclaration des droits de l'llomme de 1789, conlirmée et complélée

llar le Préambule de la Constitution de 111,16.

Si le prernicr textc est d'inspiration libéralc le second clui lccomplète, élaboré par les communistes, les socialistcs et les démo-crates-chrétiens, porte un contenu nettement social sinon franchemeutsocialiste, ce qrri a pour efÏet de transfonner Ie svstème Iibéral de

1789 cn un s\rstèn1c néolibéral et socialisant.

1.1.1. i'léo-libérale.

L'aspect néo-libéral sc caractérise par la rtconnaissance d'un cer-tain rrornbre de libcrtés concernant l'irrdividu : le droit au rcspect dela vie privée, la liberté individuelle slricLo sensu ou liberté pcrsonnelleou droit à la stireté, la liberté d'opinion et d'expression de cetteopinion, la liberté de I'information et des spectacles, la liberté dcl'cnscisnernent, mais aussi le droit de propr-iété e't la liberté d'entre-prendre dans un svsttlnre économirlue clui est celui de l'économie cle

marché.

1.7.2. Et socialisanle.

L'aspect socialisant se caractérise par la reconnaissance dc Iibertéssocio-économiques : Ia liberté d'association, de réunion, de mani-festation, le droit au travail et le devoir de travailler, le droitsS,nclical, lc droil- de grr\r'e.

.q7ll

Page 4: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

87,t l)FlNls'-fotlREl'

1.2. DoNr m FoNDEMENT

'l'outefois, et coiffant le tout, le principe fondamental de cet édificedémocratique est le postulat de base, sans lequel la construction seraitsans fondations, sans fondement, de l'égalité juridique.

1.2.1. Est l'éqalité iuridique.

AIIlrrné solennellement par la Déclaration de 1789 dans son articlepremier : u Les hommes naissent et demetLrent libres et égaux en

droits. Les distinctions sociales ne peuvent êLre fondées que surI'utilité commune », l'égalité juridique n'esL éuidemmenl pas tnégalitarisme.

II ressort clairement de la deuxième phrase de cet article 1er :

« Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilitécommune », que des différences peuvent exister entre les individus,difiérences fondées sur I'utilité commune, c'est-à-dire d'une part sur Iacapacité de chacun à se rendre utile à la sociélé et d'autrc part sur Iacapacité de la société de protéger certaines de ses composantesutiles à l'ensemble.

7.2.2. Selon I'utililé commune.

'I'out d'abord l'on ne saurait traiter de même manière, ce qui neserait pas juste au sens de I'égalité juridique, celui qui grâce à ses

capacités, grâce à son mérite, permet I'enrichissernent matériel etspirituel de l'ensemble du groupe social global et celui qui se contentede subsister, c'est-à-dire qui profite des résultats du premier.

Le proliteur ne peut être traité à égalité avec le constructeur.A lortiori celui qui non seulemenb ne participe pas à l'æuvrecommune mais, au contraire, entend détruire cette ceuvre com-Inune.

Le destructeur, en vertu du principe éminemment socialisant del'utilité commune, ne saurait être traité sur le même pied que Ieproliteur et le profiteur sur le même pied que le constructeur.Cela ne serait pas juste car pas égal.

Mais, par ailleurs, le groupe social global peut se permetLre, envertu de I'utilité commune, de favoriser certaines de ses composantessi l'intérêt global lui semble être en cause. Aider les agriculteurs entant que groupe social particulier dont l'existence est utile à I'ensern-ble du groupe relève de cette politique.

Page 5: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

CONII.IE L,I\IPOT SUJt LI] REYENU ô/ir

1.2.3. Donc l'éqelilé fiscule.

C'est à la lumière de cet article 1er de Ia Déclaration de 1789 qu'ilfaut lire I'article 13 qui concerne I'égalité fiscale: « Pour l'entretiende la force publiclue et pour les dépenses d'administration, une contri-bution commune est indispensable : elle doit être également répartieentre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Il est juste que la contribution commune soit également répartieselon les facultés de chacun. Mais que faut-il entendre par facultés ?

I-a réponse qui paraît aller de soi est qu'il s'agit des facultés contri-butives, de l'assiette. C'est bien ainsi qu'il faut l'entendre mais en

combinaison avec l'article 1er, ce qui signifie que deux personneségales en droits selon l'utilité commune seront fiscalement frappéavec égalité selon leurs facultés contribul-ives.

Si I'on préfère, l'égalité des droits selon l'utilité commune veut quechacun soit {iscalement frappé en fonction de ses facultés et socialeset contributives. Il est juste qu'il y ait des différences de traite-ment selon la contribution sociale destructive, passive ou construc-tive de chacun mais qu'entre contribuables de même catégoriel'égalité mécaniste soit.

Qu'en est-il de l'impôt sur le revenu des personnes physiques ?

1.3. C'nsr r,B cAS DE r,'I. R. P. P.

Voilà un impôt qui accepte de multiples assiettes parfaitementhétérogènes : Ies traitements, salaires, pensions, rentes viagèreset revenus assimilés, les bénéllces agricoles, Ies bénélices industriels etcommerciaux, les bénélices non commerciaux, lcs rcvenrrs des valeurstt capitaux mobiliers, lcs rémunérations de certains dirigeants desociétés, les revenus fonciers, les ltrofi Ls immobiliers, Ies plus-values.

Quel môlange ! Quel pot pourri ! Certaines de ces assiettes pour-raient faire I'objet de developpements particuliers. II serait notam-ment intéressant de sar,oir si I'imposition des plus-values relèvevéritablement d'un souci de justice Iiscale ou du souci de protéger lesfortunes acquises contre la concurrence des « parvenus ,, comme si larichesse commune ne pouvait pas, autant sinon davantage, résulterdu dynamisrne des dits « parvenus » plutôt que de la gestion« pénarde » des héritiers. ÙIais notre propos est ailleurs.

f)eux grandes catégories se dégagent des multiples assiettes del'impôt sur le revcnu des personnes physiques : celle des salariés etcelle des non-salariés. Or il est possible de dire que I'impôt sur lerevenrr des personnes physiques non seulement ne permet pas de faire

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37(i DE\rs l()unEt'

la difÏerence entre l'utilité commune des salariés et des non-salariés,entre les non-salariés et entre les salariés, mais encore «1u'il est injustemécaniquernent.

1.3.1. Qui ne permel pus de laire Ia diflérertce enlre l'utililécommune des salariés el des non-salariës.

Les non-salariés, c'est-à-dire pour l'essenticl Ies agriculteurs, lesartisans, les pel"its et moyens commerçants, les membres des pro-fessions libérales, sont des producteurs mais plutôt de second rang,et nrême de troisième rang pour certains, que de premier rang.

La France d'aujourd'hui tend à devenir une économie de t.vpetechnostructurcl et technocratique (6). Ce sont les grandes entrcpri-ses, multinationales ou nationales encore, du secteur prir.é ou dusecteur public, qui font sa richesse dl,namisante. Les petites etmoyennes entreprises, aussi indispensables qu'elles soient, sont ouseront I'intendance des grandes. Il y a des exceptions, des grandesentreprises qtri sommeillent et des P. XI. E. dynamiques. Ces excep-tions ne font que conïirmer Ia règle : ce sont les grandes entre-prises qui font la richesse économique de la France, qui sont lemoteur de son progrès (7).

Or, sauf exceptions encore, les grandes entreprises du secteurprir'é sont dirigées par des cadres salariés non propriétaires du capi-tal, les fameux managers de James Burhnam (B), les membres de latechnostructure de John Kenneth Galbraith (9). Ce sont les patronssalariés, les cadres salariés, les techniciens salariés qui sont dans lesecteur prir'é comme dans le secteur public les producteurs du pre-mler rang.

Notre système fiscal, défendu par ceux qu'il privilégie et lesaveugles, ne reconnaît pas comme il le devrait l'utilité communeéconomique de ce premier rang. Les non-salariés bénéficient d'unepression ïiscale allégée car d'une faculté « d'évasion » liscale qui estbien réduite pour les salariés et non compensée par I'abattement de20 0/0 sur le revenu net.

(6) D. Tounnr, Sociologie et philosophic du droit, I,es Cours de droit,1976, p. 339.

(7) Jean-Paul Fnlxçors, Les entreprises moyennes dans l'économieinrlustrielle, Étude du Seruice du trailenrcnt de I'inlormation et des statis-liques du ÿIinistère de I'Induslrie et de la Recherche, p. 976.

(8) James BunHNarr, L'ère des organisaleurs, Fayard, 1g47.(9) John KpNxrrrr G-rlrn.rrrn, Le Nouuel État industriel, Gallimard,

1968.

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CONTRE L IMPOT SUR LE REVENU 877

Il est vrai que pour certains I'utilité commune peut-être invoquée.Les agriculteurs sont dans ce cas mais quels agriculteurs ? Tous lesagriculteurs ? Et quelle utilité commune ?

1.3.2. Enlre les non-salariés,

L'on doit reconnaître l'utilité commune économique des grosagriculteurs dont les entreprises sont d'une rentabilité supérieureà celles des petits. Mais l'utilité commune sociale et politique des

petits agriculteurs, dans un système néolibéral et socialisant, estégalement évidente.

Que resterait-il de la liberté d'entreprendre ou tout simplementdu droit d'être propriétaire si le territoire agricole était entre les

mains de quelques personnes employant des masses de salariésagricoles.

La démocratie néo-libérale et socialisante ne peut survivre à ladisparition des P. M. E. de I'agriculture.

En conséquence, et pour des raisons qui sont donc politiques,l'on favorise fiscalement les petites entreprises agricoles. Mais par lamême occasion l'on favorise aussi les grosses, habilement défenduespar leurs propriétaires, passés maîtres dans l'art du camouflage et de

l'utilisation des petits.L'utilité commune économique des gros agriculteurs devait-elle

entraîner nécessairement l'existence d'un système fiscal, le forfait, quin'est pas favorable qu'aux petits car le régime du bénélice réel, s'ilfrappe les très gros ne frappe pas tous les gros.

Quant à I'utilité commune, sociale et politique sinon économique,de certaines professions commerciales ou libérales, sans la remettre en

cause, on est en droit de se demander si elle justilie des gains aussi

élevés, par rapport à ceux des cadres notamment, et, qui plus est,

un système fiscal qui protège ces gains, le forfait.

1.3.3. El entre les salariés.

Les démocraties se font volontiers démagogiques, c'est que les

élections succèdent aux élections et, en France, sitôt les urnes vidéesde leurs bulletins I'on pense à les remplir à nouveau.

Il convient donc de flatter le corps électoral. La droite a ses

clientèles traditionnelles, les personnes âgées, les agriculteurs, les

professions libérales, les commerçants et artisans, donc des non-salariés. Mais la masse des électeurs ce sont les salariés et la masse

des salariés ce sont les petits salariés, les salariés non cadres. La

nDvuD DE scIE)\cE FrNAr{crÈnp, -

T. Lxrx, No 3.

Page 8: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

878 nENIS 'rouRET

droite aimerait, sans doute ou peut-être, prcndlc en cousitlérationles intérêts des cadres salariés mais il faut gagner les élections. Etpour gagner les élections il faut convaincre les petiLs salariés que I'onest juste et social.

Les petits salariés connaissent assez mal les reveuus des non-salariés et un peu mieux ceux des salariés qui les encadrent, qui sontleurs supérieurs hiérarchiques et qui sont leurs cibles. Alors, n'est-cepas, lorsque l'on est juste et que l'on est social, l'on fait en sortequ'il y ait « justice sociale ».

C'est-à-dire que par difTérentes techniques et en particulier parl'impôt sur le revenu fortement pr'ogressif l'on enlève aux cadres unefraction importante de leurs re\renus de telle sorte qtte les petitssalariés se sentent réconfortés de voir que leurs supérieurs, pour des

responsabilités beaucoup plus importantes et une préseuce au travailet une concentration au travail beaucoup plus importautes et souventtellement plus importantes, gagnent un salaire net dcux fois supé-rieur au leur. Il ne fait pas de doute que la classe politique actrtelle,au sein de laquelle les cadres ne tiennent pas la place qui leur rcvienten fonction de leur utilité commune économique, sacrilie sur l'autel dela démagogie électorale les cadres salariés, au bénéfice, d'ailleurs,non pas des petits salariés, mais des non-salariés dont l'utilitécommune économique n'est pas supérieure à celle des cadres, rnais quisont mieux représentés et défendus au sein de la classe politique.

II ne pourra en être autrement que lorsque les cadres auront cnlincompris qu'il ne suffit pas d'être les meneurs de l'économie pourêtre [iscalement, donc politiquernent, traités avec égalité.

)

1.3.4. Mais encore qü'il esl iniuste mécaniquemenl.

L'impôt sur le revcnu des personnes physiques est mécaniquementinjuste à cause de la fraude.

Il n'est évidemment pas nécessaire de développer longuementcette ér,idence, la fraude est injuste car elle aboutit au traitementinégal de ceux qui ont les mêmes facultés contributives dans lamême catégorie sociale.

La fraude touche les salariés lorsque ceux-ci dissimulent une partiede leurs revenus, Iorsque le travail noir du soir, des fins de semaine,des vacances, des périodes de chômage est possible. Ce qui est le casdavantage pour les petits salariés que pour les cadres (10).

Mais ce sont ér,idemment les non-salariés qui, en I'espèce, béné-

(10) A. Rcn.,.::rr:r et G. VelrNcn, Le travail noir, L'Etpress,13-19 décembre 1976.

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CONTRE L.IMPôT SUR LE REVENU .c 7l)

ficient d'un privilège exorbitant et particulièrement injusl"c. Lesou\/rages récents ou plus anciens sont particulièrement éclairantsà ce sujet (11).

Or si les non-salariés fraudeurs bénélicient, à cause de leursfraudes, d'avantages injustes sur les non-salariés non fraudeurs, cesavantages sont accrus sur les cadres salariés qui ne peuventfrauder.

La fraude des non-salariés, discriminatoire à l'égard des non-fraudeurs non salariés, est particulièrement discriminatoire à l'égarddes cadres qui ne peuvent frauder et qui sont soumis à l'impôtfortement progressif et non au forfait de faveur.

L'impôt sur le revenu des personnes physiques est donc doublementinjuste. Il l'est parce qu'il ue tient pas exactement compte del'utilité commune économique des diflérentes catégories de contri-buables et il I'est encore parce qu'au sein des difiérentes catégoriesil accorde une prime aux fraudeurs, ce qui a pour conséqucnces defavoriser outrageusement les non-salariés fraudcurs et de pénaliserlourdement les cadres salariés, principales victimes de cet impôt.En est-il de même de I'impôt sur les sociétés ?

1.4. C'esr rB cAS DE r'rupôr suR LES socrÉrÉs

Le taux de l'impôt sur les sociétés est tellement exagéré (50 0/0comme l'on sait) que la tâche liscale principale des responsablesd'entreprises est de dissimuler les bénélices par des artifices compta-bles ou autres et (ou) de faire de l'autolinancement forcené.

L'évasion fiscale, sinon la fraude pure et simple, est une activitéparticulièrement florissante et qui nécessite de recourir aux conseilséclairés des fiscalistes internationaux (12). Les sommes dissimuléessont, comme l'on sait, considérables. 'fellement considérables que I'onen vient à se demander s'il est vraiment raisonnable de mobiliser tantde belle matière grise pour un rendement fiscal si médiocre.L'autolinancement forcené peut présenter des avantages sur les modesde linancement qui font appel au marché mais présente aussi degros inconvénients dans un système néo-libéral et socialisant basé surl'économie concertée.

(11) Ch. or Bnrs et P. CuanpENTrER, F... comme fraucle fiscale,A. Monreu, 1975 ; A. MÀroarn.tz, La lraude fiscale et ses succédanés,Droz, Genève,7977.

(12) L'Eæpanslon, novembrc 1976, P. Boeuorux, Lcs fiscs contre lesmultinationales.

Page 10: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

880 DENrs rouRET

Dans un tel système I'existence d'une planification souple qui se

veut cependant efiicace esL basée sur la connaissance des réalitéséconorniques. La planilication souple qui n'est pas seulement unalibi mais un véritablc instrument d'orientation a besoin de statis-tiques précises. Les statistiques ne peuvent être précises lorsque les

comptabilités sont truquées pour échapper à I'impôt sur les sociétés.

La société néo-libérale et socialisante se veut démocratique en ce sens

qu'il y a participation non seulement des actionnaires à la gestion etaux bénéfices mais également participation du personnel.

Cctte participation ne sera toujours qu'un leurre si I'existence de

t'impôt sur Ies sociétés oblige à dissimuler les bénéIices ou à les

réinvestir. si ceux-ci sont dissimulés ou réinvestis ils ne peuvent donc

ôtre réparbis et s'ils sont dissimulés c'est évidemment à l'insu des

actionnaires qui sont trompés sans vergogne. Si les sociétés sont

conduites à faire de l'aut<llinancement c'esb au détrimcnt des tnéca-

nismes financiers de I'économie de marché, c'est au mépris de l'épar-gne libérale, c'est au mépris de la bourse, c'est au mépris des petitsépargnants qui sont trompés et exploités.

Mais supposons qu'il y ait bénélices, il y a donc impôt. Cet

impôt est aussitôt partiellement ou totalemenL répercul.é sur le prixdes biens et (ou) des services et c'est ér'idemment le consommateurqui le paye.

Ce consommateur peut ou ne peut pas lui-même répercuter l'impÔt,le faire payer à ses consommateurs, ceux qui achètent ses biens ou ses

sen,ices. Or quels sont les consommateurs qui ne peuvent absolumentpas répercuter ? I-es salariés, évidemmcnt, et plus parl.iculièrement les

salariés qui n'ont que leurs salaire§, cntièrement déclarés et non

dissimulables.I-'impôt sur le revenu des personnes physitlttes et des sociétés est

un impôt qui ne nous semble donc pas adapté à un système

uéolibéral et socialisant qui se veut juste car pour l'égaliLé juridiqueselon l'utilité commune.

Non seulement il est inadapté mais encore inadaptable.

L'INTPOT SUR LE REVENU EST INADAPTABLE

Si l'impôt sur le revenu est inadapté eh bien, nous disent les

réformateurs Ilscaux de la majorité actuelle, il faut I'adapterl

Quelles sont donc lcs réformes possibles et leurs consé-

quences ?

Page 11: Contre l'impôt sur le revenu, pour l'impôt différencié et progressif sur

CONTRE L,IIIPôT SUR LE NEVENU

2.1. Lrs nÉnonruEs PossrBLES

Dans le cadre de la préparation du VIIe Plan le Comité des revenuset des transferts, présidé par NI. Lebel préconise un certain nombre deréformes (13) : le renforcement du contrôle Iiscal et de la lutte contrela fraude, I'élargissement de l'assiette et la suppression du forfait.

2.7.1. Le renforcemenl du contrôle ftscal et de la lutle conlre laIraude.

2.1.7.1. Le renforcement du contrôle fiscal.

Selon le Comité Lebel l'incompréhension des Français face aucontrôle fiscal se modilierait progressivement car ceux-ci prendraient« conscience de ce que le contrôle a pour unique objet de défendre lescontribuables sincères, à quelque catégorie qu'ils appartiennent ».

On est en droit de se demander si les distingués membres duComité ont une haute connaissance des dits français, ou pratiquentla méthode Coué, ce qui poulrait avoir son utilité.

Il conviendrait donc d'accroître le droit de communication deI'administration alin d'augmenter le nombre et la qualité des rensei-gnements, d'étendre les cas d'utilisation obligatoire des chèques avec« suppression de la possibilité d'endosser les chèques à l'ordre de tiersn'ayant pas la qualité d'établissement financier », d'utiliser plus fré-quemment l'évaluation forfaitaire sur la base des éléments dutrain de vie mais pas « à l'égard des personnes de conditionmodeste », d'envisager, au vu des résultats d'un sondage d'opinion,« I'opportunité d'instituer la publicité des revenus sur l'ensemble duterritoire », de supprimer le secret des audiences tenues par lesjuridictions administratives en matière d'impôt sul le revenu, d'enga-ger la responsabilité personnelle des dirigeants de société, de raccourcirla longueur des procédures, de réviser les sanctions de telle sortequ'elles soient eflectivement appliquées.

2.1.7.2. La lutte contre la fraude liscale.

Dans la pratique l'administration a décidé de poursuivre péna-lement un certain nombre de hautes personnalités, notantment

. médicales ou appartenant au monde du spectacle. Il est vrai que desélections sont imminentes.

(13) Rapport du Comité Revenus et Transferts, La Documentationlrançaise, Paris, 1976.

88r

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882 DENrs rouRET

Car de telles pratiques administratives ne sont pas nouvelles. Ona pu écrire (1,{) que « devant le scandale que provoque Ia fraudeIiscale eb les critiques véhémentes souler,ées par I'applicaLion deI'impôt sur Ie revenu , les gouvernements occidentaux mettent enchantier une rôforme Iiscale tous les 5 à 10 ans.

Ainsi la F-rance s'est-elle préoccupé de réforme Iiscale en 1959,1966, 1970 et 1976. En 1970, le Ministre des Finances, NI. ValéryGiscard d'Estaing, a présenté un projet pour lutter contre la fraudeIiscale en multipliant les contrôles et en les rendant plus elïlcaces de

telle sorte de « ramener la fraude aux proportions d'un phénomèneisolé, normal, réprimé et réprouvé par I'opinion ,.

En 1976 I'objectif est toujours le même, c'est la justice par lasuppression des privilèges : « C'est pourquoi l'intensification de lalutte contre la fraude fiscale est une nécessité, ellc aussi, imposée

par la justice...Cet effort ne prenclra Iin que lorsqtte les F'rançais auront la

conviction d'être égaux devant l'impôt, au même titre qu'ils le sontdevant les antres obligations publiques. Déjà I'opinion, ironique il y a

vingt ans, sceptique il y a dix ans, soutient et approuve I'efÏort en

cours » (15).L'on voit que le Président de la République français est optimiste.

2.7.2. L'élargissement de l'assielle el la suppression du forfail.

2.1.2.7. L'élargissement de l'assiette.

La lutte contre la fraude doit évidemment aboutir' à un élargisse-ment de l'assiel.te, mais cela ne concerne que les fraudeurs.

Le Comité Lebel entend élargir l'assiette des contribuables hon-nêtes mais qui bénéficient d'une législation estimée injuste carinégalitaire. C'est pourquoi il préconise de remettre en cause certainesdéductions forfaitaires et dc taxer certaines ressources actuellementnon imposables.

Soixante-treize catégories de contribuables salariés, représentantun million de personnes en 1972, peuvent pratiquer, en plus de ladéduction de 10 0/0 pour frais professionnels, une déduction supplé-mentaire de 5 à 40 0/0 qui est plafonnée depuis 1969 à 50.000 F. LeComité estime que le maintien de ces déductions ne se justilie pas car

(14) A. Marcernez, La lraude liscale et ses succédanés, f)roz., Genève,7971, p. 462.

(15) V. Grsc,q.no o'Esr,rrNo, Démocratie lrançaise, Fayard, 1976,p. 62.

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Nl.ItF] L ITTPô.r. SUR LE IIIIYENTi 883

« il est rranifeste que le montant des frais professionnels exposéspar les membrcs de ces diverses professions n'est pas automatique-ment propor[ionnel à l'importance de leur rémunération. En cettematière, c'est la plus extrême diversité qui est Ia règle. Nlais le régimede la déduction forfaitaire nie cette diversité; il avantage doncindfiment les contribuables dont les frais professionnels sont sansrapport avec les sommes qu'ils déduisent de leul revenu à ce titre ».

L'administration fiscale aurait aujourd'hui les moyens de contrôler les

pièces qui peuvent être présentées en justification des déclarations de

frais réels. l-e Comité est également pour la suppression de la déduc-tion du déficit foncier du revenu global et pour réduire lc taux de ladéduction forfaitaire applicable aux revenus fonciers.

Il est enfin porrr la suppression de certaines déductions forfaitairesconcernant les médecins conventionnés soumis au régime de la décla-ration contrôléc.

Par ailleurs il conviendrait de taxer ccrtaines ressources actuelle-ment non imposables. C'est ainsi que le Comité « a considéré queles indemnités journalièr'es de la sécurité sociale pourraient êtreintégrées dans le revenu imposable, quand elles sont attribuées à des

salariés qui bénéficient d'un svstème de garantie de ressources en

cas d'arrêt de trar.ail ».

Si l'élargissement de I'assiette peut être réalisé rapidement leComité pense plus radicalement qu'un objectif à terme est la suppres-sion du forfait.

2.1.2.2. La suppression du forfait.

Selon notre Comité diverses critiques peuvent être adressées ansystème du forfait : « - l'imposition au forfait repose explicitementsur l'idée que, contrairement à leurs homologues étrangers, certainsfrançais sont, par nature, incapables de tenir une comptabilité,fût-elle simple. Il y a Ià, en soi, quelque chose de choquant.

le plan économique, le forfait contribue au maintien, dans lesentreprises, de modes de gestion peu conformes aux exigences d'uneéconomie moderne ;

- sur le plan de l'équité, il présente de multiples insuflisances :

. ce sont les défauts du mode d'imposition des bénéIices agricolesqui sont les plus manifestes, puisque l'on renonce à déterminer lemontant, même approximatif, des recettes de chaque exploitant ;

. le forfait ne permet pas une évaluation précise des revenus detous les titulaires de B. I. C. et de B. N. C. ; dans de nombreux castoutefois, l'évaluation qui en résulte est relativement proche de laréalité ;

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884 DENrs rouRET

. le forfait est créateur d'inégalités, qui peuvent être importantes,entre redevables appartenant à une même catégorie profession-nelle ».

C'est pour ces dernières raisons d'équité que le Comité recom-mande l'abandon du forfait et la généralisation de l'impositionau bénéIice réel, Ies petits contribuables bénéliciant du régime du« réel simplilié » avec pour seul obligation la tenue d'une comptabi-lité de caisse, ainsi qu'il est pratiqué en R. F. A. Ce système ne seraitappliqué qu'après une transition assez longue, de l'ordre de 10 ans.

2.2. LBuns coNsÉqunNcns

Si l'on veut, sérieusement, Iutter contre la fraude et si l'on réaliseles réformes envisagées cela aura des conséquences importantes dansle domaine politique et dans Ie domaine économique.

2.2.1. Dans Ie domaine polilique.

2.2.1.1. A court et moyen terme.

La lutte contre la fraude fiscale nécessite un accroissement dunombre des contrôles et de leur eflicacité. Il faut donc augmenter lenombre des contrôleurs et leur qualilication.

L'augmentation du nombre des contrôles aura pour e{Tet d'augmen-ter le nombre des « bavures » et donc d'augmenter I'exaspération descontrôlés (16). Les plus riches d'entre eux, et ceux qui ont laconscience la moins tranquille, pousseront en avant la masse despetits, se servant d'eux pour des campagnes de presse accusatrices, àmoins qu'il ne s'agisse de les utiliser pour des manifestations, desplasticages ou autLes actions légales ou illégales.

Politiquement un tel comportement est gênant non seulement élec-toralement mais encore et surtout parce qu'il aboutit à jeter le discré-dit sur les agents du fisc et plus généralement sur l'administration,à moins que ce ne soit sur le gouvernement... ou le Président de IaRépublique.

Le renforcement de l'eflicacité des contrôles par l'accroissement dela qualilication des contrôleurs permet dans un premier tempsd'obtenir des résultats qui vont apparemment dans le sens de lajustice fiscale.

(16) H. Cueear-rnn, Les grandes manæuvres des « petits bouti-quiers ,, Le Nouuel Obseroaleur,6 décembre 7976, p. 54.

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CONTRE L IMPOT SUR LE REVENU

Malheureusement le « pantouflage » existe. Les meilleurs contrô-leurs, les plus eflicaces, sont sollicités par les contrôlés les plus richesafin de devenir leurs conseillers. Plus les contrôleurs seront compé-tents et eflicaces et plus ils seront sollicités et plus les ofïres derémunération seront élevées.

Les plus riches étant les mieux conseillés échapperont partielle-ment, ou totalement pour ceux qui peuvent bénétcier d'appuispolitiques, aux contrôles alors que Ies petits contribuables y reste-ront soumis. Leur exaspération sera alors politiquement utilisée.

Si, du point de vue de la justice fiscale, il peut paraître judicieux de

supprimer les déductions supplémentaires dont béné{icient un grandnombre de catégories de contribuables salariés, politiquement unetelle mesure est bien délicate à mettre en ceuvre car les futuresvictimes de la réforme ne manqueront pas d'aller rejoindre ceux quiont à se plaindre des réformes eflectuées ou en cours.

Lorsque les élections se jouenb à quelques centaines de milliers de

voix près il est bon de prendre en considération les opinions de unmillion de contribuables. Cette remarque est évidemment valableconcernant les propriétaires fonciers, les rnédecins conventionnés et les

salariés du secteur privé susceptibles de toucher les indemnités jour-nalières de la sécurité sociale, c'est-à-dire un nombre considérable d'élec-teurs.

Mais I'on peut évidemment prendre en considération non pas lesconséquences politiques probables, et non, somme toute, certaines,mais la réalisation de la justice tscale.

Cette justice liscale sera-t-elle réalisée par la suppression du forfait ?

Le Comité Lebel alfirme que, dans de nombreux cas, l'évaluationqui résulte du forfait en matière de B. I. C. et de B. N. C, « estrelativement proche de Ia réalité ». Cette aflirmation est peut-êtreexcessive mais si vraiment elle se révélait exact pourquoi faudrait-ilsupprimer le forfait, même avec une période transitoire de 10 ans ?

C'est que le système du forfaib est injuste, dit le Comité Lebel,pour la principale raison reconnue que les redevables d'une mêmecatégorie peuvent être traités très inégalement selon leur force depersuasion. Les plus forts, probablement les plus riches, seraientdonc favorisés.

En l'espèce ne suflirait-il pas de modilier et d'unifier le comporte-ment « politique » de I'administration llscale pour que de tels abusdisparaissent ?

Mais, dit Ie Comité Lebel, « ce sont les défauts du mode d'imposi-tion des bénéIices agricoles qui sont les plus manifestes ».

Il ne fait pas de doute que Ie forfait agricole est un système bienparticulier qui n'a pas pour objectif l'égalitarisme fiscal mais qui

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cq86 DENIS 'r'ouRET

est conçu de telle sorte que les agriculteurs béné{icient d'une sorle desubvention négative en ne payant pas les impôts qu'ils devraientpayer si le système du bénéfice réel était applicable. Ce système n'estvraiment injuste que dans la mesure ou ce sont les moyens et lesgros agriculteurs passifs et non assujettis au bénélice réel qui enprolitent. fIne fois de plus les riches se cachent derrière les pauvres.

C'est parce que ce sont les moyens et les riches agriculteurs (sinonles plus riches qui relèvent du bénéfice réel), agriculteurs qui font desrecettes oflicielles comJlrises entre 100.000 et 500.000 F par an, qui se

dissimulent derrière Ia masse des petits et s'expriment dans les instan-ces oIïicielles que la suppression du forfait agricole sera politiquementtrès difïicile et dangereuse pour ceux qui vouclront l'e{Tectuer.

Ce qui est vrai pour les bénélices agricoles est aussi vrai pour les

bénéfices industriels et commerciaux et les bénélices non commer-claUx,

A vrai dire la question est de savoir si l'on atteindra la justicellscale en généralisant le système du bénéfice réel.

Pour qu'il en soit ainsi il faudrait clue les comptabilités ne soientpas truquées. Pour les petits contribuables I'on préconise la tenued'un simple « journal de caisse ou n'apparaissent que les recetteset les dépenses effectives ».

Nos hauts fonctionnaires manqueraient-ils d'imagination ? Pour-quoi donc les recettes et les dépenses « effectives » du journal de

caisse seraient-elles nécessairement effectivement « efÏectives ». Etpourquoi donc n'y aurait-il pas deux journaux de caisse, I'efïectifolliciel et I'effectif réel ?

Certes il 5, n1.u des contrôles, de nombreux cotttrÔles, donc denombrcux contrôleurs et des contrôleurs de plus en plus ellicaces,dont les plus e{ïicaces passeront au service des contrôlés les plusriches, qui pourront également, pourcluoi pas, béné{icier de quelquesprotections politiques...

Mais si l'on veut absolument la mort du forfait, poliLiquernent lameilleure solution consiste à laisser l'inflation faire son æuvre. C'estd'ailleurs la politique fiscale actuelle. Au taux oir est l'inflation lenombre des assujettis ne peut que diminuer par l'abaissementréel du plafond des forfaits. Lorsque seuls les petits contribuablesmal défendus seront au forfait il sera politiquement moins dangercuxde s'en prendre à eux.

Reste à savoir si cette politique est vraiment pavanl-e à long termeet s'il est vraiment indispensable de s'aligner sur la R. F. A. ens'ofïusquant du fait que l'on pourrait penser quecertains Français,contrairement aux Allemands, « sont, par nature, incapables de tenirune comptabilité, fût-elle simple » ?

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c()\ r'ltE L r\lPol still t.r,: ltI]vli]\L

2.2.1.2. ,\ long terme.

Que veulenL dorrc nos hauts fonctionnaires, enfanbs dc Ia classe

dirigeante bourgeoise, d'origine parisienne pour la plupart ?

Est-il vrairnent souhaitable dc dégotrter du commerce, de l'arti-sanat, de I'industrie même et de I'agriculture les petits contribuablesde telle sorte qu'ils aillent rejoindre à leur tour la masse des salariésau serr.ice de la grande entreprise anon)/me.

L'on cornlrrend bien le désir des hauts fonctionnaires de tout voir,tout entendre, tout appréhender statistiquement, de graphiquer tousles Français sans exception et de les ordinateuriser.

II csb à craindre quc cela n'aboutisse peu à peu à une modillcationfondamentalc de notre système économique et politique qui de néo-

libéral et st-rcialisant deviendrait totalement un sysl.èrnc technocrati-quc ct technosLructurel.

Que devicndraicnt les libcrtés publiques si cettx qui fondcnt écono-

miquernent leur existence vienuent à disparaître en tant que produc-teurs.

Certcs les libertés peuvent perdurer à leur fondement économique si

ceux qui en bénéficient entendent les défendre. Toutefois, sans

fondement matériel, Ies libertés ne peuvent perdurer longtemps si les

intérêts du groupe social dirigeant sonL autres.

Or, quels peuvent être les intérêts des membres d'une technocratieet d'une technostructure dirigeantes ? De continuer à se gratifier en

dirigeant et donc de conLinucr à diriger.Les technocrales el, rnembres de la technoslruclul'e dirigeante, se

situant dans un système hiérarchisé basé sur l'obéissance, ir'onl" tluefaire des libertés d'opinion, de manifestal.ions, du droib syndicallibre et du droit dc grève. Ce qui les intéresse ce ue sonL pas

les Iibcrtés car elles menacent leur pouvoir rnais lc manque de

libertés sous les apparences fallacieuses de quelque carnouflage idéo-logique.

Nous n'en sommes pas encore là, mais est-il nécessaire de pro-létariser les professions indépendantcs et libérales, les petits entre-preneurs de I'agriculture, du commerce et de l'industrie ?

l,es caclres n'ont pas, actuellement, fiscalement et donc politique-ment, la placc qu'ils méritent économiquement. Nlais leur ascensionne saulail. sc faire au détriment de ceux qui permettent par leurexistence indépendante la sun,ie de libertés qui prolitent, en défini-tive, à l'ensemble du groupe social global.

Mais supllosons que nos réformes aienl. aboul"i. Quc'llcs serontleurs conséqucnces dans le domaine économique ?

887

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888 DENIS TOURET

2.2.2. Dans le domaine économique.

Les réformes ne supprimeront pas la fraude. Au contraire. Lespetits contribuables soumis au régime du bénélice réel essayeront partous les moyens, pour survivre, de dissimuler leurs revenus et detruquer leur comptabilité. Les moyens et gros contribuables conti-nueront, comme par le passé, de frauder avec l'aide techniquedes meilleurs contrôleurs acquis au pantouflage.

Il faudra donc accroître le nombre et la qualité des contrôIes, ce quinous semble politiquement dangereux mais qui aura également desconséquences économiques gra\res.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître la réduction de la fraudede certains contribuables indépendants et de certaines sociétés a poureffet d'accroître les inégalités entre contribuables et sociétés au seindu pays et entre la France et les États étrangers, causant ainsi desconditions de concurrence faussées.

2.2.2.1. La concurrence est faussée.

E,n effet, quelle que soit l'augmentation du nombre et de la qualitédes contrôleurs le tsc nc pourra jamais contrôler en permanence tousles contribuables et toutes les entreprises.

En conséquence seuls certains fraudeurs, et non tous les fraudeurs,seront pénalisés. Les fraudeurs qui échapperont le mieux au Iiscseront ceux qui bénéIicieront des conseils des meilleurs contrôleursayant pantouflé et ceux qui sont protégés politiquement.

Ces fraudeurs protégés seront donc favorisés économiquementface aux fraudeurs sanctionnés et aux non-fraudeurs, s'il y en a.

La répression de la fraude fiscale a pour efTet de modifier complè-tement les conditions de concurrence à l'intérieur de I'Europe écono-mique. En augmentant les charges fiscales des entreprises françaiseselle les met en position d'infériorité face aux entreprises non françai-ses alors que notre faculté d'exporter doit, au contraire, être accrue.

Pour ce qui est des entreprises françaises sanctionnées le risque estdouble. Ces entreprises seront handicapées face aux entreprises étran-gères dans le jeu de la concurrence et donc elles essayeront aumaximum de proliter des oasis liscales, échappant ainsi au liscfrançais.

Mais un accroissement quantitatif et qualitatif des contrôlesliscaux auraient également des effets inflationnistes.

2.2.2.2. L'e{Iet inflabionniste.

La répression eflicace de la fraude aura pour effet de réduire lacapacité d'autolinancement des entreprises. Si ces dernières entendent

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CONTRE L,IMPôT SUR LE REYENU

investir il leur faudra recourir au crédit bancaire, ce qui aura pourconséquence la création exagérée de monnaie et la hausse des prix devente - le crédit étant coûteux et son cotrt étant répercuté sur leconsommateur dans la mesure ou le marché le permet, et le marchéle permettra si la répression Iiscale est généralisée.

Non, l'impôt sur le revenu des personnes physiques et des sociétésn'est pas adaptable, à moins que l'on souhaite transformer notresystème néolibéral et socialisant en un système totalement techno-cratique et technostructural par la suppression des professions libé-rales et indépendantes et la prolétarisation généralisée au servicede la grande société a[onyme, à moins que ce ne soit, autre variantepetite cousine, en un système collectiviste aux mains des bureau-crates et technobureaucrates d'un parti dominant et dominateur.

Si l'impôt sur le revenu est inadapté et inadaptable que faut-ilfaire ?

Il faut le remplacer par un impôt différencié et progressif sur ladépense.

3. POUR L'IMPO'| DIF'FÉIIENCIÉ ET PROGI1ESSIFsuR LA DÉPENSE (17)

Avant d'indiquer quels sont les avantages présentés par un telimpôt encore faut-il savoir de quoi il s'agit.

3.1.

L'impôt difÏérencié surconsommations courantesconsommations.

De quor s'.A,crr-rr- ?

la dépense n'est pas un impôt surmais un impôt prooressif sur toutes

les

Ies

3.1.1. Il ne s'agit pas d'un impôt sur les consommaliotts couranles.

La critique des impôts indirects la plus habituellement rencontréeporte sur leur iniquité.

Les impôts indirects seraient moins justes que les impôts directs carils frapperaicnb lcs dépenses de première nécessité, notammentalimentaires, des contribuables les moins fortunés.

(17) F. Our-Ès, Les impératifs actuels de la fiscalité dans les paysoccidentaux, Reuue économique et sociale, juillet lgbg; préface àl'op. cité de A. M,tno.rrn,rz; A. MAro.rlnez, op. cit., p. 475 eL s,

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890 DENrs rouRET

Cette critique était valable avant la réforme de 1917 qui créa lataxe proportionnelle sur les payements remplacée en 1920 par la taxesur le chiflre d'afTaires qui conduisit aux réformes dc 1t)54-1955

et à la naissancc de la taxe à la valeur ajoutée.

I.'impôt diflérencié sttr la dépense ayant pour objcctif l'égalitéIiscale selon l'utilité commune ne saurait évidemment ô1re un impôtsur les consommations courantes. Ilais il n'est pas davantage unetaxe à la valeur ajoutée.

3.1.2. NIais d'un impôt proqressif .sur Iu dépettse.

La Taxc à Ia Valeur Ajoutée française compreld dilÏérenls taux :

un taux réduit de 7 0/0, un taux normal de 17,60 0/0, un tauxmajoré de 33,33 0/0.

Le taux réduit s'applique aux produits ou aux prestations de

services qui sont considérés comme étant de première nécessité :

produits alimentaires, alÏaires de logcment, livrcs nettfs et d'occa-sion...

I.e taux majoré s'applique aux produits et aux llresLabions de

services considérés cornme étant de luxe : le matériel de photo et de

cinéma, les automobiles, les publications et lilms pornographiques...n{algré l'existence de différents taux la T. V. A. tre peut être consi-

dérée comme étant un impôt progressif et, de ce fait, peut êtreconsidéréc comme étant injuste. Certes les produits alimentaires de

consommation courante sont frappés par un Laux relativemenLfaible mais, et bicn que Ie caviar ait été, en décembre 1976 à laveille de NoëI, assujetti au taux majoré, cerlains produits alimentairesde luxe ne sont frappés que par Ie taux réduit.

A I'inverse certains produits ou services sont considérés commeétant de luxe et frappés au maximum alors que leur utilil-é conlmuneest évidente. Comment peut-on justilicr qu'un appareil photo typeinstamatic ne soit pas moins taxé qu'un réflex Leica, par exemple ;

que l'acheteur de la 2 CV Citroën paye ses 33,33 0/0 comrne l'ache-teur de la Rolls. Ilst-ce équitablc ?

L'impôt généralisé sur la dépense a été un progrès considérable surles sysl.èmes d'impôts indirects antérieurs mais il convient maintenantde franchir une étape supplémentaire sur la voie de la jusLice Iiscaleen transformant la T. V. A. en un impôt progressif sur la dépense.

L'impôl dillérencié et prooressil sur la dépense pourrail eronérer les

consommalions de première nécessité, lrapper bès modérémenl les

consommations couranles qui ne sont pas absolumenl nécessaires,d'un laur plus éleué les consommations de confort, d'un laur éleué les

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coNTnE r,'rupôt suR LE REvENU 891

consommalions de lure el d'un laur lrès éleuü les cottsomrnalionsde 11rand lure de caraclère oslenlaloire.

Si I'on a les moyens de s'offrir une liolls, un yacht, des chevauxde course, de manger le caviar à la louche, alors l'on aura bien lesmoyens de payer 50 0/0 et plus de taxe sur ces produits. Ne pass'olïrir ces produits sous prétexte qu'ils sont ainsi taxés scrail. d'ail-leurs d'une mesquinerie indigne du haut niveau des revenus consi-dérés.

Mais taxer une 2 CV Citroën de 33,33 0/0, comme une llolls, estégalcment bien mesquin de la part des membres de la classe cliri-geante bourgcoise qui nous gouvcrncnt.

Outre qu'il est mesquin de mettre clans le rnême panier Iiscal legrand bourgeois ou l'aristocrate distingué, et fortunés, et le petitFrançais moyen, le faire est se priver d'avantages non négligeablesapportés par l'impôt diflérencié ct progrcssif sur la dépense.

3.2. Lrs eveNr,tGES DE r,'rupôr orrr'ÉnoNcrÉ ET pRocRESSTF

sun LA oÉprNsB

L'impôt différencié et progressif sur la dépense présente, parrapport à I'impôt sur le revenu, des avantages évidents et dans ledomaine économique et dans le domaine politique.

3.2.1. Dans le domaine économiquc.

Dans le domaine économique les avantages sont de trois ordres :

la formation de l'épargne est encouragée, Ia production et la produc-tivité sont encouragées, Ia croissance harmonisée cst favorisée.

3.2.1.1. La formation de l'épargne est encouragée.

Si l'impôt sur le revenu ne peut clue décourager l'épargne volon-taire en taxant les revenus de cctte épargne, sauf exceptions quecertains voudraient faire disparaître, I'impôt progressif sur la dépense,qui par définition ne peut porter sur l'épargne, favorise évidemmentla formation de l'épargne volontaire.

Le financement des investissemcnts par l'épargne volontaire, et nonpar Ics facilités monétaircs, favorisera une croissance saine, noninflationniste, de l'économie. Si la boulimie de consommation debiens et de services superflus en est freinée cela permettra àI'homme de se resituer dans un monde qui ne saurait privilégierl'avoir sur l'être, et le gadget futile sur le nécessaire.

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892 DENIS TOURET

3.2.1.2. La production et la productivité sont encouragées.

L'impôt progressif sur la dépense ne pénalise pas les entrepreneursdynamiques qui font des bénéfices. En leur laissant le temps d'entre-prendre et les résultats de leurs e{Torts le gain est double par rapportau système actuel qui incite les entrepreneurs à perdre leur temps àdissimuler et (ou) à paresser.

Au contraire le dynamisme des entrepreneurs est stimulé par laperspective de faire des bénélices qui pourront être réinvestis et(ou) distribués.

L'on pourrait penser que l'impôt progressif sur la dépense sera unfrein au développement des industries de luxe. Mais outre que cer-taines dépenses de luxe sont inutiles et superfétatoires dans un mondequi connaît encore très largement la pauvreté et Ie sous-développe-ment il se trouvera toujours des snobs super-riches pour se distinguerdu « vulgus » par de telles dépenses. Il n'est d'ailleurs pas intcrditde penser que l'élévation du prix de certains produits de luxe soit uneincitation à les consommer pour ceux qui entendent se distinguer parl'avoir plutôt que par l'être.

En permettant une rémunération normale de l'épargne boursière,et en particulier des petits actionnaires, I'impôt progressif sur ladépense est non seulement plus juste mais plus incitatif à investirdirectement dans I'industrie.

3.2.1.3. La croissance harmonisée est favorisée.

L'impôt progressif sur la dépense est une arme souple qui peut êtreutilisée rapidement pour ajuster la consommation à la productionet qui permet aux pouvoirs publics d'agir dans le cadre d'uneplanification souple dont l'ellicacité sera renforcée.

L'impôt progressif sur la dépense permet, par des mesures sélectivesportant sur certains articles dans certains secteurs, soit de faciliter laconsommation soit au contraire de freiner celle-ci. Ainsi la consom-mation peut être ajustée à la production en fonction des nécessitésconj oncturelles.

L'impôt progressif sur la dépense permet aux pouvoirs publicsd'agir sur l'économie dans le cadre d'une planification souple dontI'eflicacité sera renforcée par le fait que les informations statistiquesne seront plus viciées par les dissimulations et les fraudes desentrepreneurs. Dans le cadre de cet impôt la dissimulation desbénéfices n'est plus nécessaire et les renseignements donnés par lesentrepreneurs n'en seront que plus sincères ou, du moins, moinserronés.

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coNl'nE l'rlrpôr suri r,E lurvlr\u

3.2.2. El dans le domaine polilique.

Grâce à l'impôt progressif sur la dépense la justice liscale estfavorisée ce qui permet de renforcer le consensus politique.

3.2.2.1 . La justice Iiscale est favorisée.

La justice fiscale est favorisée de par I'existence d'avantagesadrninislratifs eI llnanciers.

Les contribuables n'ont pas à établir de déclarations annuellescomme pour l'impÔt sur Ie revenu.

Le lisc pourra libérer un grand nombre de fonctionnaires actuelle-ment occupés à liquider, recouvrer et contrôler l'impôt sur le revenuet les alïecter au contrôle de I'impôt dilÏérencié et progressif sur ladépense.

La productivité de I'impôt progressif sur la dépense sera très supé-rieure à celle de I'impôt sur le revenu à cause du fait que l'éva-sion {iscale sera beaucoup moins importante.

Les rendements devraient être plus stables car les impôts indirectssont en principe moins sensibles à la conjoncture que les impôtsdirects.

L'impôt sur la dépense est plus élastique que l'impôt sur le revenu.Il est lié aux variations des prix et s'y adapte.

L'impôt sur la défeuse supprime Ia répercussion fiscale, qui est

inllalionnisle.C'est un instrument beaucoup plus souple et eflicace que l'impôt

sur Ie revenu, qui permet de mieux adapter le montant des impôts àpercevoir en fonction de la conjoncture et qui pennet d'obtenir, sansdélai, une augrnentation ou une diminution des recettes publiquesglobales ou relatives à tel ou tel secteur, et au sein de tel secteur àtels ou tels produits.

L'égalité liscale selon l'utilité commune sera ainsi, grâce à I'intpôtdifférencié et progressif sur la dépense, mieux assurée et donc lajustice liscale favorisée.

Nlais la justice liscale est également, et directement, favorisée grâceà la disparition de certaines fraudes.

Avec la disparition de l'impôt sur le revenu disparaissent Ies frau-des qui y sont attachées et qui sont considérables.

Les oasis Iiscales ne permettront plus aux plus riches de se sous-traire aux impôts. [{ais surtout la fraude fiscale sera très fortementatténuée si l'impôt sur la dépense est établi au dernier degré de la*""":TT:ï.:::::::::::":

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893

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894 DENrs 'rouRET

Le système actuel de la T. V. A. favorise les ventes sans factures ousur fausses factures et indispose les petits comrnerçants qui n'ont pasles moyens ou refusent d'appliquer sérieusement les difïérents taux deI'impôt. Dans le cadre d'un impôt difïérencié et progressif sur ladépense il faudrait éliminer les risques d' « erreurs » en établissantl'impôt au dernier degré de la transformation des marchan-dises.

Cela nécessite quelques aménagements car bien que perçu au der-nier degré de la transformation des marchandises l'impôt doit êtrecalculé sur les prix à la consommation. Ainsi que I'écrit M. AndréNlargairaz (18) :

« NIais pour établir son assiette à Ia production, il n'est pas besoinde la faire calculer par les commerçants comme on le fait actuelle-ment. En elïet, d'après les marges commerciales établies par sonda-ges, on sait quels sonL leurs montants moyens pour chaque caté-gorie d'articles. Il suflit donc, après la dernière transfonnation des

biens de production, d'ajouter à leur valeur à la production lamajoration qui résulte des marges commerciales.

Mais une fois la matière imposable ainsi recensée par le Iisc et priseen charge par chaque détenteur successif (grâce au procédé des

acquits-à-caution employé par exemple en l,-rance pour certainsimpôts indirects) sans danger de fraude ni d'insolvabilité de la partdes redevables le Iisc devrait accorder le crédit d'impôt. Il devrait leconsentir jusqu'au moment ou la marchandise serait payée aux gros-sistes et aux producteurs par les détaillants, ou même exceptionnel-lement par les consommateurs ».

Selon Ie professeur Oulès (19) l'établissement de l'impôt sur ladépense à la base présente des avantages au point de vue comûrer-cial, au point de vue {iscal, au point de vue économique, au pointde vue politique :

« Au poinl de uue contmercial, les intermédiaires entre producteurset consommateurs ne pourraient pas calculer les marges qu'ils pren-nent sur l'impôt sur la dépense. On éviterait ainsi une cascade demajorations de l'impôt sur l'impôt qui existe aujourd'hui lorsque lesimpôts directs des industriels ou des commerçants ou l'impôt sur lechilïre d'affaires concernant les biens de production sont répercutésdans le prix de revient et sont majorés des marges.commelciales àchaque degré de la distribution des marchandises.

(18) Op. cit., p. 481-485.(19) Op. cit.,1959, p. 308.

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Au point o, ,,,"),')i,:'iï;::'.:ï;;., o,o*"^.,u u l,dépense pourrait donc être surveillée pour qu'elle ne donne pas lieuaux abus ci-dessus et à ceux qui se produisent lorsque les ôonsom-mateurs supportent détnitir.ement certains impôts directs et indi-rects encaissés par lcs producteuls et surtout par certains commer-çants peu scrupuleux qui fraudent le fisc mais répercutent l'impôt surle consommateur.

Au point de uue écônomique, le contrôle du paiementconduirait à établir un contrôle statistique d,es uariationsdont la connaissance et la publication sont fondamentalesr-enir les maladaptations sectorielles.

Au point de uue politique, le procédé ci-dessus de prise en charge etde paiement à crédit de I'impôt aurait enlin pour avantage de faireconnaître exactement les détaillants, et par suite leurs clients,c'est-à-dirc les consommateurs qui supportent définitivementl'impôt. Par là même, on connaîtrait les circonscriptions administra-ti'es (cantons et communes en suisse, départements et communes en-F rance, etc.) ou les achats par les consommateurs ont lie,. cela

réparlir d'une manière non arbilraire la t'raction rlet,:: " ra dépense destinée à laire lace ù ta maiorité rles

Par la suppression de I'impôt sur le revenu unfonctionnaires pourront être recyclés et affectésfraude de l'impôt sur la dépense.

Cette fraude, grâce au progrès technique, à l,affectation d,u, nom_bre sullisant dc fonctionnaires au contrôle fiscal mais aussi à ladiminution du nombre des contribuables et à leur plus grandequalification sera, sinon éliminée, fortement atténuée, ce (ui, ér,idem-rnent, ne peut que contribuer à favoriser la justice liscale.

Nlais l'impôt progressif sur la dépense présente encore (et surtout ?)l'avantage de renforcer le consensus politique.

3.2.2.2. Le consensus politique est renforcé.

Le consensus politique est renforcé de par l'amélio.ation desrapports sociaux entre l'administration du llsc et les contribuablesmais aussi par le fait que la perception de l'irnpôt difTérencié etprogressif sur la dépense est moins douloureuse que celle de l,impôtsur le revenu.

L'impôt snr le revenu étant supprimé et remplacé par l,impôtdifférencié et progressif sur la dépense tous les contribuablôs fraudcursde l'impôt sur le re'enu disparaissent et disparaissent donc tous les

de l'impôtdes slockspour pré-

grand nombre deau contrôle de la

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896 D1.]\IS 'f OU lTRT

conLre)les inquisiLoriaux qrri font tant dei mal ct arix contrôlés ctaux contrôleurs (20).

Les redevables de l'impÔt différencié ct progressif sur Ia dépense

étant les producteurs de biens et de services et nou Lous les com-

merçants, indusLriels, artisans, senles les entrcllrises disllosant d'une

bonne comltLabiliLé professiontrelle sont conl.rÔl(rcs cL dortc les rtlla-

l.ions belliqueuses existant actuellemenL cutre I'adrninisLraLion du

fisc et la masse des petits commerçalts et. artisans disparaissent.

D'ailleurs les contribuables de l'impôt cliffércncié eL progressif sur la

dépcnse ayant la faculté, Loul. à fail légalc, de répcrcutcr l'impeit sur

les consommatcurs ne sonL llas inciLés à rtisister aux cotrtrôles Iiscaux...

Si le consensus politique ne peut donc qu'être renforcé de par

l,amélioration des rapports entre le Iisc et les conlribuables, il le sera

encore de par le fait que la pcrception de l'impôl dillérencié et

ltrogrcssif sur Ia dél)oltse esL tl<lins dottlt)tlretlse quc cclle de l'irnpôtsur le rcYenu.

L'impôt sur la dépense, par délinition, n'est pcrçu que s'il y a

dépense, que s'il y a consommation. Alors que Ie contribuahle

trour-c injuste moralement quc l'on prélèr'e rrne certaine somme sttr le

fruit de son [ravail, eL ])ense qu'ou Ie frustrc ainsi dt' co qui luircYient Iégitimement, il trouve plus norrnal clc Yet'ser u11 ccrLain

pourcentagc du prix des biens ou services qu'il achète si ceux-ci ne

sont pas strictement nécessaires.

Par ailleurs il est;tlus facile de verser à dc nombreuses rcprises de

petiLes sommes que dc grosses sonlrncs Lrois orr rnême dOuzc Îois par

an.L'impôt sur la dépense étant moins douloureux que l'impôt sur Ie

rcvenu la suppressio[ de l'impilt sur Ie revenu c'est la sullllrcssiond'une cause imllortanl.e de mécontclLetneut politiclue el donc c't'st

aller dans le sens tlu renlorcement d'un consLlllsus politique «1rri

est nécessaire à une bonne gestion économique, nolr démagogiquc'

CONCI-L]SI0N

L'impôt dilÏérencié et progressif sur Ia dépense en supprimant les

inconvénients de l'impÔt sur Ie revenu permet de renforcer I'égalitéliscale selon I'utilité commune.

(20) Noetle N.tur,t, Nous sommes impitoyables... car nous somrncsnotés selon nos résultats, Paris-):lrttch, 24 décembre 1976, p. 63;Evelyne FAllor, Impôts : la canrpagne clu CII)-tlNATI, L'Iirpressdes 6-12 décembre 1976, p. 100.

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co\lRE r-'rlrpôr suR LE REvENU

Toutefois la création d'un tel impôt devrait s'accompagner d'unrenforcement des contrôles douaniers et de la création d'un impôtsur Ia fortune (21) qui permettrait de sanctionner les fortunesdestructives, profiteuses et même passives. A moins que l'on ne

préfère compléter l'impôt sur la dépense par un impôt sur la jouis-sance des biens durables. Cet impôt, qui serait établi d'après les signes

extérieurs de richesse, permettrait de frapper Ia jouissance d'élé-ments qui ne seraient pas atteints par l'impôt sur la dépense (22).

Au demeurant il ne serait pas juste d'imposer sur la dépense

certains biens durables qui peuvent procurer une jouissance pendantdix, r,ingt ou cinquante ans. A I'achat I'impôt serait beaucoup troplourd, dissuadant et frustrant.

Au contraire un impôt sur la jouissance des biens durables permetde toucher sans dissuasion ni frustration non seulement le proprié-taire mais également le locataire, c'est-à-dire celui qui tire une satis-faction d'utilisateur quel que soit son statut juridique par rapport à

la chose.L'un et l'autre impôt, l'impôt différencié et progressif sur la

dépense et l'impôt sur la jouissance des biens durables, sont des

impôts analytiques et personnalisés sur la dépense qui frappdnt non

pas Ie travail mais le plaisir, ce qui nous paraît moralement plus juste

et socialement plus utile, ce qui revient au même.

Denis 'founer,Maître-Âssistant de Droir Public,

Université do Paris XII.

(21) Jecqurs Gnoscr-Auoti,1976.

(22) A. À{.tIo.ttnez, op. cit.,

L'impôl sur Ia fortune, Berger-Levrault,

p.476 eL p.499 et s.