Upload
others
View
6
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
De Edmond Rostand Mise en scĂšne : Thierry DebrouxAvec Jean-Philippe Altenloh, Julien Besure, Mickey Boccar, CĂ©dric Cerbara, William Clobus, Damien De Dobbeleer, Lucie De Grom, Eric De Staercke, BĂ©atrix FĂ©rauge, Arthur Ferlin, Olivier Francart, Stephan Fraser, Michel Gautier, Claudine Gourdin, Marc Laurent, Anthony Molina-Diaz, Michel Poncelet, Jean-François Rossion, Anouchka Vingtier et Bernard YerlĂšsUne coproduction de DEL Diffusion Villers, du ThĂ©Ăątre Royal du Parc, de lâAtelier ThĂ©Ăątre Jean Vilar, du ThĂ©Ăątre de LiĂšge et du ThĂ©Ăątre de lâEveil, avec lâaide du MinistĂšre de la Culture de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles, avec la participation du Centre des Arts scĂ©niques, en coproduction avec Shelter Prod, avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax Shelter du Gouvernement fĂ©dĂ©ral de Belgique.
saison 2019-2020
CyranoCRĂATION
de BergeracDossier
PĂ©dagogique
5.11 - 10.11
DOSSIER RĂALISĂ PAR LâATELIER THĂĂTRE JEAN VILAR
INDEX
SĂ©quence 1 p. 3 Ă la dĂ©couverte dâun hĂ©ros, Cyrano de Bergerac
Séquence 2 p. 11 Une comédie héroïque
Séquence 3 p. 15 Cyrano et théùtre
Sources
Annexes
Comment faire sien un personnage déjà tant de fois interprété ?
Bernard YerlĂšs - Câest une piĂšce que je lis depuis longtemps. Ce que jâaime le plus, personnellement, câest le cĂŽtĂ© romantique, amoureux, sacrificiel, plus que le panache, le cĂŽtĂ© grandiloquent, libertaire, libre-penseur. Avec lâinterprĂ©tation de Depardieu, on a dĂ©couvert que câĂ©tait aussi un rĂŽle trĂšs intĂ©rieur. Ce cĂŽtĂ© tourmentĂ© de Cyrano, câest ce qui mâintĂ©resse dans le personnage. Bien sĂ»r, il ne faut pas nĂ©gliger non plus son cĂŽtĂ© amateur de belles-lettres. Cette langue est tellement belle que, de toute façon, la piĂšce est plus forte que les acteurs qui la jouent. On ne peut quây aller modestement, en sachant quâil y a toujours un public nouveau qui la dĂ©couvre.
1
Durée 2h40entracte compris
Introduction
De la « comĂ©die hĂ©roĂŻque » Cyrano de Bergerac dâEdmond Rostand (1868-1918), Ă©crite et jouĂ©e pour la premiĂšre fois en 1897 au thĂ©Ăątre de la Porte Saint-Martin, on retiendra principalement la figure du personnage Ă©ponyme hors-normes, lâhomme au grand nez, le cadet de Gascogne, Ă la fois hĂ©roĂŻque et pathĂ©tique qui aima toute sa vie durant la belle Roxane dans lâombre du jeune et sĂ©duisant Christian. Tout est rĂ©uni pour donner vie Ă un hĂ©ros devenu Ă lui seul une figure incontournable de la littĂ©rature. La piĂšce qui devait aux yeux de son auteur « faire un four », connut dâemblĂ©e un succĂšs sans prĂ©cĂ©dent qui nâest pas dĂ©menti encore aujourdâhui.
Des personnages attachants, une intrigue captivante, de lâaction, de lâhumour, des moments hĂ©roĂŻques et une langue magnifique. Un rĂ©cit Ă©clatant dans une mise en scĂšne ample et spectaculaire portĂ©e par une troupe de 20 comĂ©dien·ne·s.
« Mais aussi que diable allait-il faire, Mais que diable allait-il faire en cette galĂšre ?... Philosophe, physicien, Rimeur, bretteur, musicien, Et voyageur aĂ©rien, Grand risposteur du tac au tac, Amant aussi â pas pour son bien ! Ci-gĂźt Hercule-Savinien De Cyrano de Bergerac Qui fut tout, et qui ne fut rien, ⊠Mais je mâen vais, pardon, je ne peux faire attendre : Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre ! »
Cyrano de Bergerac (Acte V, scĂšne 6)
Ce dossier pĂ©dagogique tente de donner aux enseignants la matiĂšre nĂ©cessaire pour tendre aux Ă©lĂšves quelques clefs de lecture, leur proposer des activitĂ©s, des pistes de rĂ©flexions, de dĂ©bats, ⊠avant dâĂȘtre, comme aprĂšs avoir Ă©tĂ© spectateur de Cyrano de Bergerac.
Pour vos Ă©lĂšves et vous, le simple fait dâassister Ă la reprĂ©sentation, dây prendre un minimum de plaisir ou de rebondir sur la reprĂ©sentation pour tenir en classe un Ă©change sur les enjeux et les thĂ©matiques du spectacle peut Ă©videmment suffire Ă rencontrer vos objectifs. Il est essentiel Ă nos yeux que la rencontre avec une oeuvre culturelle reste avant tout un plaisir. Nous vous proposons dans la suite de ce dossier une sĂ©rie de sĂ©quences. Pour chaque sĂ©quence, lâactivitĂ© proposĂ©e est prĂ©cĂ©dĂ©e de ressources. Celles-ci pourront ĂȘtre exploitĂ©es dans tout autre cadre que vous auriez imaginĂ©. Il va de soi quâil ne sâagit que dâexemples de sĂ©quences que vous pourrez Ă loisir adapter aux diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s de vos classes et de vos pratiques.
2Ă proposer aux Ă©lĂšves
SĂ©quence 1 / Ă la dĂ©couverte dâun hĂ©ros, Cyrano de Bergerac
1.1. Contextualisation
Cette sĂ©quence vous prĂ©sente quelques ressources afin dâĂ©tablir un portrait du personnage de Cyrano de Bergerac. Les portraits rĂ©alisĂ©s pourront ĂȘtre partagĂ©s avec le thĂ©Ăątre et lâĂ©quipe artistique. IncorporĂ©es Ă ces ressources, quelques activitĂ©s Ă faire avec vos Ă©lĂšves vous sont dĂ©jĂ proposĂ©es. Elles permettent toutes dâapprĂ©hender lâoeuvre et le personnage.
A lâinstar dâHamlet (spectacle de la saison derniĂšre) et de MĂšre Courage (en dĂ©but de saison), Cyrano est un personnage phare du rĂ©pertoire thĂ©Ăątral. ApprĂ©hender aujourdâhui le personnage de Cyrano, câest chercher Ă en explorer toutes les facettes : selon les interprĂ©tations, Cyrano devient aussi bien lâĂȘtre blessĂ© par sa diffĂ©rence que lâhomme au verbe haut qui se joue des conventions pour Ă©gayer la foule. Tout lâenjeu de ce rĂŽle rĂ©side donc dans un Ă©quilibre Ă trouver entre le panache assurĂ©, la verve comique du personnage et la dĂ©licatesse de ses sentiments blessĂ©s par une impossible rĂ©ciprocitĂ©. ComĂ©die et tragĂ©die accompagnent ce personnage qui donne un nouveau souffle au romantisme.
1.2. Ressources
1.2.1. Un homme face Ă sa laideur
1.2.1.1. Le personnage de Cyrano
Demander aux Ă©lĂšves dâexaminer les photos reprĂ©sentant Cyrano. Quelle est sa particularitĂ© physique ? Quelles rĂ©actions suscite-t-elle ? En quoi cette singularitĂ© condamne-t-elle le personnage Ă une solitude intĂ©rieure ?
Lorsque Edmond Rostand donne vie Ă Cyrano de Bergerac, il nâa pas conscience du fait que ce personnage Ă lâappendice nasal proĂ©minent â inspirĂ© Ă la fois de gravures anciennes dâHercule Savinien Cyrano qui avait un nez relativement long et du souvenir dâun ancien maĂźtre dâĂ©tude surnommĂ© « Pif luisant » â va devenir une figure inoubliable de la littĂ©rature. La rĂ©action que suscite cette particularitĂ© physique est unanime : le nez de Cyrano engage Ă rire. Il suffit de voir cette curieuse excroissance pour immĂ©diatement sâesclaffer, ricaner, sâĂ©tonner. Comment peut-on avoir un si grand nez ? Lorsquâune disproportion sâintroduit dans la constitution du visage, ce dernier est immĂ©diatement ramenĂ© au masque, Ă celui notamment de la caricature dont on ne peut que se moquer.
Ă ce titre, on pourra commencer par faire mettre en voix le portrait comique que Ragueneau, le fameux rĂŽtisseur pĂątissier de la piĂšce, dĂ©veloppe de Cyrano : il assimile en effet le visage du hĂ©ros de la piĂšce Ă un masque de commedia dellâarte.
Extrait de lâacte I, scĂšne II (vers 104 Ă 120)
Ragueneau Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ; 1
Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
Peintre classique célÚbre, entre autres, pour ses représentations de Richelieu. 1
3
Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot 2
Le plus fol spadassin Ă mettre entre ses masques : Feutre Ă panache triple et pourpoint Ă six basques, Cape que par derriĂšre, avec pompe, lâestoc LĂšve, comme une queue insolente de coq, Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne Fut et sera toujours lâalme MĂšre Gigogne, Il promĂšne en sa fraise Ă la Pulcinella, Un nez !... Ah ! Messeigneurs, quel nez que ce nez-lĂ !... On ne peut voir passer un tel nasigĂšre Sans sâĂ©crier : « Oh ! Non, vraiment, il exagĂšre ! » Puis on sourit, on dit : « Il va lâenlever⊠» Mais Monsieur de Bergerac ne lâenlĂšve jamais.
Le Bret, hochant la tĂȘte
Il le porte, â et pourfend quiconque le remarque !
Le nez de Cyrano sâapparente donc Ă un postiche provocant les quolibets. La moquerie, plus ou moins fĂ©roce, est bien lâattitude la plus courante face Ă ce que lâon nomme communĂ©ment la laideur. On interrogera les Ă©lĂšves sur la maniĂšre dont ils pourraient dĂ©finir celle-ci. Est-elle un simple Ă©cart par rapport Ă une norme ? Mais dans ce cas, de quelle norme sâagit-il ? Ă partir de quel moment cet Ă©cart sâapproche-t-il de la monstruositĂ© ? Quelles sont les implications sociales de la laideur ? Au-delĂ dâun simple dĂ©sĂ©quilibre de la forme, au-delĂ dâun simple problĂšme de proportion, la beautĂ© sâappuie sur une conceptualisation idĂ©ale que le groupe se crĂ©e dans un contexte historique et culturel particuliers. On pourra amener les Ă©lĂšves Ă rĂ©flĂ©chir sur cette rĂ©flexion dâAlain Corbin : « Le
Graveur et dessinateur cĂ©lĂšbre pour ses reprĂ©sentations de masques de la commedia dellâarte. 2
4
corps est une fiction, un ensemble de reprĂ©sentations mentales, une image inconsciente qui sâĂ©labore, se dissout, se reconstruit au fil de lâhistoire du sujet, sous la mĂ©diation des discours sociaux et des systĂšmes symboliques. » (Histoire du corps, Paris, Seuil, « Points histoire », 2011, t. 2.)
La difficultĂ© dâincarner sur scĂšne un hĂ©ros difforme a Ă©tĂ© remarquĂ©e par Jean Rostand, fils du dramaturge : « Un dĂ©tail de grande importance dans Cyrano, câest le nez, ce nez trĂšs long, ce nez colossal avec lequel le hĂ©ros est passĂ© dans lâhistoire. Celui de Constant Coquelin [âŠ] Ă©tait un petit 3
bout de nez en trompette. Comment concilier le nez de Cyrano et le nez de Coquelin ? Un postiche sâimposait. Mon pĂšre essaya plus de cinquante nez de cire, avant de trouver la forme dĂ©finitive. »
Vous porterez lâinĂ©vitable prothĂšse de nez ?
Bernard YerlĂšs Câest nĂ©cessaire dâavoir cet appendice Ă©norme. On a fait plusieurs essais et on voulait un nez qui soit crĂ©dible. Non pas le nez perchoir de Belmondo mais plutĂŽt le nez patate de Depardieu. La distance au thĂ©Ăątre oblige Ă donner une dimension plus grande pour que les gens le perçoivent de loin. Je vais jouer avec un grand nez et puis on ajustera peut-ĂȘtre.
Ăcrire collectivement, sur un ton humoristique, un texte argumentatif qui fasse lâĂ©loge de la laideur et de ses avantages afin dâexplorer le pouvoir des mots.
Devenu susceptible sur la question de son nez, Cyrano est prĂȘt Ă en dĂ©coudre avec toute personne qui fait « la moindre allusion au fatal cartilage » (vers 1057). Son arme favorite, câest le verbe quâil manie avec autant de dextĂ©ritĂ© que son Ă©pĂ©e. Câest en matamore, en « Artaban de Gascogne », en provocateur, que Cyrano dĂ©fend publiquement son image dâhomme au grand nez. Son humour, son panache et sa verve lui permettront de dĂ©fier les moqueurs.
Proposer à plusieurs élÚves de mettre en voix la tirade du nez (Acte I, scÚne 4 - ANNEXE 1). Les interroger sur les passages qui leur semblent difficiles à interpréter.
La tirade du nez est comme on dit « une scĂšne Ă faire ». Redoutable, ce passage de la piĂšce demande un grand talent de la part du comĂ©dien qui investit le rĂŽle. Cette mise en voix permettra aux Ă©lĂšves de dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir ce fameux texte qui met au jour lâune des facettes les plus connues du personnage de Cyrano.
Cyrano surmonte aussi sa laideur en faisant preuve dâune grandeur dâĂąme et dâune intĂ©gritĂ© Ă toute Ă©preuve. Quelles valeurs rĂ©vĂšle ainsi la fameuse tirade des « Non, merci » (Acte II, scĂšne 8 - ANNEXE 2) ?
GĂ©nĂ©reux et courageux, Cyrano dĂ©veloppe un esprit indĂ©pendant qui se manifeste par son engagement sans faille au service du roi et son indĂ©pendance face aux grands de la cour qui pourraient contribuer Ă son ascension sociale sâil acceptait quelque soumission. La fameuse tirade tĂ©moigne de lâindĂ©pendance et du courage de ce personnage capable de sâaffranchir des lois que lui impose son milieu.
Premier comĂ©dien ayant jouĂ© le rĂŽle sous la direction dâEdmond Rostand. 3
5
1.2.1.2. La prise en charge du rÎle par le comédien
Amener les Ă©lĂšves Ă sâinterroger sur les difficultĂ©s que peut rencontrer un comĂ©dien dans sa prise en charge dâun rĂŽle aussi cĂ©lĂšbre que celui de Cyrano.
Coquelin (1841-1909), acteur qui crĂ©a pour la premiĂšre fois le rĂŽle de Cyrano, enthousiasma tant le public quâil devint pour ainsi dire, de son vivant, lâunique incarnation du personnage sur les planches. Il conserva ce rĂŽle â quâil joua 950 fois â jusquâĂ sa mort.
Visionner un court-métrage exceptionnel youtube.com/watch?v=-tzmls4gTgQ
Il sâagit du premier film de lâhistoire du cinĂ©ma qui associe son et image couleur. RĂ©alisĂ© par ClĂ©ment Maurice lors de lâExposition universelle de 1900, ce document redonne vie Ă Coquelin le temps dâune tirade, « la ballade du duel », qui servit Ă la premiĂšre expĂ©rimentation du Phono-CinĂ©ma-ThĂ©Ăątre.
1.2.1.3. Ă lâorigine du personnage
L'intĂ©rĂȘt d'Edmond Rostand pour la pĂ©riode de Louis XIII date de ses Ă©tudes. D'aprĂšs sa femme Rosemonde GĂ©rard, il Ă©tait fascinĂ© depuis longtemps par le personnage historique de Savinien Cyrano de Bergerac mais l'idĂ©e lui vient d'en faire un personnage de thĂ©Ăątre lorsqu'il l'associe Ă un Ă©pisode de sa propre vie oĂč, pour aider un ami Ă sĂ©duire une jeune snob, il l'aide Ă trouver les phrases susceptibles de produire l'effet voulu. Il connaissait parfaitement l'oeuvre de Cyrano et avait lu ses biographies mais il sut s'en dĂ©tacher pour crĂ©er un personnage hĂ©roĂŻque et consensuel. La difformitĂ© du personnage lui est inspirĂ©e d'une part par l'oeuvre de ThĂ©ophile Gautier, Les Grotesques, qui, fascinĂ© par la grosseur du nez de Cyrano, observĂ©e sur un tableau, contribua Ă crĂ©er cette lĂ©gende; d'autre part par un maĂźtre d'Ă©tude, surnommĂ© Pif-Luisant, auquel il consacre d'ailleurs le poĂšme VIII des Musardises.
Libre penseur, pĂšre de la science-fiction française, auteur dramatique qui inspira MoliĂšre, Cyrano nâĂ©tait pas gascon, mais parisien sa vie nâest pas lâhistoire dâun « handicap » nasal, ni celle dâun amour malheureux. Mais il fit bien la guerre pour le roi de France, fut cĂ©lĂšbre pour ses coups de plume et dâĂ©pĂ©e, et manifestait une farouche indĂ©pendance dâesprit.
Si le personnage de Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) est cĂ©lĂšbre, son oeuvre et sa vie sont cependant peu connues : les zones dâombre abondent dans lâhistoire de sa vie.
1.2.2. Lâamour par procuration 1.2.2.1. Cyrano romantique
Cyrano incarne par excellence le hĂ©ros romantique : condamnĂ© par son apparence physique, il prend une dimension sublime lorsquâil se dĂ©passe pour le bien de Roxane, la belle jeune femme dont il est Ă©pris depuis son plus jeune Ăąge. Il alliera sens du sacrifice et bravoure en protĂ©geant son rival sur le champ de bataille dâArras et en acceptant que ses propres dĂ©clarations dâamour soient signĂ©es du nom de Christian de Neuvillette.
Mettre en voix de maniĂšre symĂ©trique deux scĂšnes qui se rĂ©pondent : Cyrano avoue son malheur dâaimer une femme qui ne posera jamais le regard sur lui du fait de sa laideur ; Christian redoute que Roxane ne se dĂ©tourne de lui, car peu habile à « parler dâamour ». En quoi la situation de Cyrano est-elle tragique ? En quoi touche-t-elle au sublime ?
6
Extrait 1. Acte I, scĂšne 5 de « Cyrano : Jâaime » à « Le Bret : Tu pleures ? » Extrait 2. Acte II, scĂšne 10 de « Christian : Mâaime t-elle ? » à « Christian : Tu me fais peur »
« Dis veux-tu quâĂ nous deux nous la sĂ©duisions ? » (Acte II, scĂšne 10) Câest en ces termes que Cyrano propose Ă Christian un pacte quasi diabolique : il mettra sa plume et sa sensibilitĂ© de poĂšte au service de son jeune rival afin de pouvoir exprimer son amour Ă Roxane, la belle prĂ©cieuse du Marais. Le matamore du verbe qui sait avec panache rabaisser le caquet des railleurs de la cour dĂ©voile, lorsque le masque tombe, une Ăąme sensible et dĂ©sespĂ©rĂ©e. Aimant dans lâombre, il devient un double de Christian, se liant Ă jamais Ă ce rival. Le nĂ©o-romantisme de la piĂšce rĂ©side dans cette relation triangulaire Ă la fois pathĂ©tique et sublime Ă©tablie entre Cyrano, Christian et Roxane. Le bonheur de Roxane a un prix : celui du sacrifice de Cyrano qui offre Ă son rival les mots qui rendront heureuse la femme quâil aime, mais qui lâĂ©carteront Ă jamais de lui. Ce faisant, Edmond Rostand sâĂ©loigne des « rĂ©cifs de laideur rĂ©aliste » (termes de Rosemonde GĂ©rard) dominant Ă lâĂ©poque de la rĂ©daction de la piĂšce.
Mettre en espace le dĂ©but de la scĂšne du balcon. Comment rendre visible par le jeu et les dĂ©placements du comĂ©dien, le caractĂšre ambivalent de cette scĂšne ? Quelles peuvent ĂȘtre les difficultĂ©s du comĂ©dien qui incarne Cyrano dans la prise en charge de ce passage ?
Acte III, scĂšne 7 : du dĂ©but à « si nouveau ? ». Ce passage est Ă la fois comique et tragique. Lâexpression dâun amour sincĂšre se conjugue avec une situation cocasse par le jeu de substitution des rĂŽles. Cyrano se transformera vite en victime de son propre pacte puisque câest Christian qui recueillera le baiser de la belle Roxane. Il devient tĂ©moin dâun « festin dâamour dont [il est] le lazare ». Cette scĂšne nâest pas sans rappeler la fameuse scĂšne du balcon entre RomĂ©o et Juliette. En quoi cette rĂ©fĂ©rence renforce-t-elle le caractĂšre pathĂ©tique de la situation ?
1.2.2.2. Le couple Roxanne et Christian
Voici deux extraits choisis qui permettent dâapprocher le couple de jeunes amoureux par ce quâils disent dâeux-mĂȘmes.
Christian Acte III scĂšne 4
CHRISTIAN Non, te dis-je ! Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours, Et de jouer ce rĂŽle, et de trembler toujours !... C'Ă©tait bon au dĂ©but ! Mais je sens qu'elle m'aime ! Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-mĂȘme.
CYRANO Ouais !
CHRISTIAN Et qui te dit que je ne saurai pas ?... Je ne suis pas si bĂȘte Ă la fin ! Tu verras ! Mais, mon cher, tes leçons m'ont Ă©tĂ© profitables. Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables, Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !... Apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire. C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
7
Roxane Acte IV, scĂšne 8
ROXANE Tant pis pour vous si je cours ces dangers ! Ce sont vos lettres qui m'ont grisée ! Ah ! songez Combien depuis un mois vous m'en avez écrites, Et plus belles toujours !
CHRISTIAN Quoi ! Pour quelques petites lettres dâamour... ROXANE Tais-toi !... Tu ne peux pas savoir ! Mon Dieu, je t'adorais, c'est vrai, depuis qu'un soir, D'une voix que je t'ignorais, sous ma fenĂȘtre, Ton Ăąme commença de se faire connaĂźtre⊠Eh bien ! tes lettres, c'est, vois-tu, depuis un mois, Comme si tout le temps, je l'entendais, ta voix De ce soir-lĂ , si tendre, et qui vous enveloppe ! Tant pis pour toi, j'accours. La sage PĂ©nĂ©lope Ne fĂ»t pas demeurĂ©e Ă broder sous son toit, Si le Seigneur Ulysse eĂ»t Ă©crit comme toi, Mais pour le joindre, elle eĂ»t, aussi folle quâHĂ©lĂšne, EnvoyĂ© promener ses pelotons de laine !âŠ
CHRISTIAN MaisâŠ
ROXANE Je lisais, je relisais, je défaillais, J'étais à toi. Chacun de ces petits feuillets Etait comme un pétale envolé de ton ùme. On sent à chaque mot de ces lettres de flamme L'amour puissant, sincÚre...
Pour aller plus loin, inviter les élÚves à faire une recherche sur les précieuses au XVIIe siÚcle. Qui est la belle Roxane ?
8
En rĂ©action Ă la cour dâHenri IV, oĂč les courtisans sont, Ă lâimage de leur roi, grossiers et grivois, les amateurs de beau langage et de politesse raffinĂ©e se rassemblent autour de la marquise de Rambouillet pour faire admirer les costumes riches de rubans et de plumes qui sont au goĂ»t du jour, pour parler galanterie et coquetterie dans un langage qui devient rapidement incomprĂ©hensible, tellement il est mĂ©taphorique. Ils deviendront, Ă partir de 1630, les habituĂ©s des salons. Leur volontĂ© dâĂ©puration des moeurs, de la vie amoureuse et du langage caractĂ©risera dâailleurs toute lâhistoire des salons et de la prĂ©ciositĂ©.
Ces salons aux ruelles ornĂ©es de beaux tissus bleus et verts, tenus par de grandes dames, sont le rendez-vous mondain de Paris tout au long du XVIIe siĂšcle et leur rĂŽle est fort important. Ils ont dâabord une fonction sociale : non seulement les grands (et moins grands) esprits sây rencontrent, ce qui permettra un essor de la pensĂ©e et des sciences, mais on y dĂ©veloppe une Ă©tiquette qui permettra Ă celle de la cour de Versailles de naĂźtre. On y dĂ©veloppe aussi les modes vestimentaires. Plus sĂ©rieusement, on y discute des grands problĂšmes de lâheure et de la place de la femme dans la sociĂ©tĂ© (un vĂ©ritable mouvement fĂ©ministe sây dessine).
Les salons ont aussi une fonction littĂ©raire : on privilĂ©gie les questions littĂ©raires lors des rĂ©unions qui sây tiennent â on y pratique lâart de la conversation, le jeu dâesprit, on y fait des concours de poĂ©sie et des Ă©crivains y font parfois la lecture de leurs oeuvres nouvelles. Les salons ont donc eu une influence notable sur la langue française.
Ă partir de ces salons fĂ©minins se dĂ©veloppe un phĂ©nomĂšne, entre 1650 et 1660, quâon a appelĂ© la prĂ©ciositĂ©. La prĂ©ciositĂ©, câest avant tout un mouvement issu de lâeffort dâune Ă©lite pour se distinguer du « commun ». Lâesprit prĂ©cieux se manifeste dâabord par la prĂ©ciositĂ© des maniĂšres, qui se marque par la recherche de lâĂ©lĂ©gance dans le costume et par des usages raffinĂ©s qui ne vont pas toujours sans extravagance. Il se manifeste aussi par la prĂ©ciositĂ© des sentiments, recherche, souvent excessive, de la dĂ©licatesse des sentiments. On reconnaĂźt enfin la prĂ©ciositĂ© du goĂ»t, qui paraĂźt Ă travers la recherche dâune formulation singuliĂšre au dĂ©triment des idĂ©es â on reconnaĂźt gĂ©nĂ©ralement que, malgrĂ© lâexcĂšs incontestable des prĂ©cieuses souvent tributaire de lâesprit baroque, elles ont nĂ©anmoins contribuĂ© Ă donner au classicisme la langue pure et prĂ©cise qui permettra de dĂ©velopper toutes les finesses de lâanalyse psychologique.
1.2.2.2. Les autres personnages
Proposer aux Ă©lĂšves de lire et dâanalyser la liste des personnages prĂ©sentĂ©e dans lâoeuvre dâEdmond Rostand et comparer cette liste Ă la distribution du spectacle. Dans quel ordre les personnages sont-ils prĂ©sentĂ©s ? Quelles conclusions peut-on tirer de cette comparaison (ANNEXE 3) ?
La piĂšce Ă©crite par Rostand prĂ©voit la prĂ©sence dâune cinquantaine de personnages sur scĂšne. Ces personnages Ă©taient incarnĂ©s lors de la premiĂšre reprĂ©sentation par de nombreux figurants. La foule et le mouvement sur scĂšne Ă©taient chargĂ©s de donner Ă voir un Ă©chantillon de toute lâhumanitĂ©, toutes catĂ©gories sociales confondues. On remarquera que le nom des personnages masculins (personnages secondaires compris) apparaĂźt avant celui des personnages fĂ©minins. La tradition ne cherchait pas en effet Ă hiĂ©rarchiser les personnages par ordre dâimportance ou dâapparition comme on le fait couramment de nos jours. Par ailleurs, on constatera que la distribution fait jouer plusieurs personnages par le mĂȘme acteur. On fera remarquer aux Ă©lĂšves que les partis pris esthĂ©tiques de sobriĂ©tĂ© et les contraintes Ă©conomiques sont nĂ©cessairement Ă lâorigine dâun tel choix dans le cadre dâune production.
9
1.3. Activité / Portrait
Quelle représentation vous faites-vous du personnage de Cyrano de Bergerac ? Qui est-il et quelle est son histoire ? à partir des ressources vues précédemment, ou de recherches complémentaires, ou encore de perceptions collectives,⊠établissez à votre maniÚre, un portrait du personnage de Cyrano.
Ce portrait pourrait ĂȘtre rĂ©digĂ©, prĂ©sentĂ© oralement, ou encore illustrĂ©.
Partagez-nous le rĂ©sultat de vos travaux ! Nous pourrons alors les relayer Ă lâĂ©quipe qui a crĂ©Ă© le spectacle. >>> [email protected]
10 questions en vrac pour vous guider :
Qui est-il ?
Que cherche-t-il ?
Est-il heureux ?
Est-il apprécié ?
Qui aime-t-il ?
Qui déteste-t-il ?
Combat-t-il ?
Que ressent-il ?
OĂč vit-il ?
Qui aide-t-il ?
10
Séquence 2 / Une comédie héroïque
2.1. Contextualisation
Cette seconde sĂ©quence a pour objectif dâaborder lâunivers associĂ© au spectacle, les caractĂ©ristiques de la comĂ©die hĂ©roĂŻque, et par extension du type de langage et de jeu. Ă noter que, dĂ©jĂ dans la premiĂšre sĂ©quence, via notamment les extraits, lâunivers de la piĂšce saute aux yeux puisquâelle est totalement liĂ©e Ă son personnage principal, Cyrano.
LâactivitĂ© proposĂ©e peut se faire aussi bien en aval quâen amont de la reprĂ©sentation, les ressources peuvent aussi ĂȘtre abordĂ©es comme introduction Ă la rencontre avec le spectacle.
Cette sĂ©quence vous donne Ă©galement quelques repĂšres sur le retentissement de lâoeuvre dâEdmond Rostand.
2.2. Ressources
Le triomphe de Cyrano de Bergerac en 1897 rĂ©side dans lâaudace de son jeune auteur de 29 ans, Edmond Rostand. En pleine Belle Ăpoque, juste aprĂšs la dĂ©faite de 1870, alors que naturalisme et symbolisme font rage sur les planches, Rostand navigue Ă contre-courant : il Ă©crit une oeuvre nĂ©o-romantique de 2 600 vers qui mĂȘle grotesque et sublime, mettant en scĂšne un personnage inspirĂ© du libertin du XVIIe siĂšcle, Savinien Cyrano de Bergerac, et qui Ă©meut son public « jusques aux larmes ». Le succĂšs est immĂ©diat : lors de la premiĂšre reprĂ©sentation, la salle reste debout Ă applaudir pendant plus de vingt minutes, quarante rappels acclament les comĂ©diens et Rostand est immĂ©diatement dĂ©corĂ© de la LĂ©gion
dâhonneur en coulisses par le ministre des Finances alors prĂ©sent. Ă lui seul, Cyrano incarne les illusions de la passion amoureuse, lâhĂ©roĂŻsme patriotique dâun valeureux mousquetaire gascon au service de Louis XIII, le panache inĂ©galable dâun poĂšte hors du commun victime de sa laideur.
2.2.1. résumé court
Cyrano de Bergerac est, en dĂ©pit de la laideur difforme que lui vaut son grand nez, un vaillant manieur dâĂ©pĂ©e et de mots (acte I). Dans la rĂŽtisserie de Ragueneau, sa cousine, la prĂ©cieuse Roxane dont i l est secrĂštement amoureux, lui rĂ©vĂšle quâelle aime Christian (acte II). Ce jeune noble, Ă qui rien ne manque sauf lâĂ©loquence amoureuse, demande Ă Cyrano de lâaider Ă conquĂ©rir le jeune femme sensible aux belles tournures en lui soufflant des vers amoureux (acte III). La belle est Ă©prise, mais au siĂšge dâArras, Christian meurt et demande Ă Cyrano de tout rĂ©vĂ©ler Ă Roxane (acte IV), ce quâil refusera de faire mĂȘme de longues annĂ©es plus tard (acte V).
11
2.2.2. Edmond Rostand
AprĂšs avoir Ă©crit deux piĂšces pour Sarah Bernhardt (La Princesse lointaine en 1895 et La Samaritaine en 1897), Edmond Rostand Ă©crit Cyrano de Bergerac, « comĂ©die hĂ©roĂŻque en cinq actes et en vers », Ă la demande de lâancien sociĂ©taire de la ComĂ©die-Française Coquelin aĂźnĂ©. DĂšs sa premiĂšre reprĂ©sentation au ThĂ©Ăątre de la Porte-Saint-Martin le 28 dĂ©cembre 1897, cette comĂ©die connaĂźtra un succĂšs fulgurant et Ă©clipsera le reste de lâoeuvre de Rostand pour devenir la piĂšce sans doute la plus cĂ©lĂšbre du thĂ©Ăątre français. Cette premiĂšre reprĂ©sentation est triomphale. Il crĂ©era ensuite LâAiglon en 1900, nouveau succĂšs avec Sarah Bernhardt, entrera Ă lâAcadĂ©mie française en 1901 puis fera jouer en 1910 une « fable symbolique » dont les personnages sont des animaux de basse cour : Chanteclerc, qui aura nettement moins de succĂšs que les piĂšces prĂ©cĂ©dentes.
2.2.3. De cape, dâĂ©pĂ©e et de verve Interroger les Ă©lĂšves sur ce quâils savent des mousquetaires et des films de cape et dâĂ©pĂ©e.
La comedia de capa y espada nĂ©e en Espagne au XVIIĂšme siĂšcle, riche en pĂ©ripĂ©ties et aventures donna naissance au XIXĂšme siĂšcle Ă un nouveau genre, le roman historique publiĂ© en feuilletons dans lequel les scĂšnes de combat et de duel font rage. Dumas et Rostand immortalisĂšrent pour leur part les mousquetaires dont les noms de Cyrano, dâArtagnan, Athos, Portos et Aramis restĂšrent les plus cĂ©lĂšbres. Appartenant au rĂ©giment des cadets de Gascogne â rĂ©giment fondĂ© par Louis XIII accueillant des jeunes gens de grandes familles gĂ©nĂ©ralement destinĂ©s Ă la fonction militaire â ces figures font revivre les moments troubles de la Fronde Ă travers une trajectoire pleine dâaventures. Ă lâaube du XXĂšme siĂšcle, câest le 4
cinĂ©ma qui sâemparera durablement de ce genre. Lâaudace dâEdmond Rostand rĂ©side dans son choix de mettre en scĂšne une Ă©poque rĂ©volue et idĂ©alisĂ©e par la population, celle qui vit mourir Louis XIII et qui cĂ©lĂ©bra la naissance de Louis XIV . 5 6
Inviter les Ă©lĂšves Ă mettre en scĂšne le fameux passage oĂč Cyrano conjugue escrime et poĂ©sie, Ă la suite de la tirade du nez. Comment mouvement et parole se rĂ©pondent-ils ? Quelles compĂ©tences le mariage de la joute verbale et du jeu dâarmes requiert-il ? Quel est le rĂŽle de la foule qui entoure les deux duellistes ? Comment la prĂ©sence du groupe sert-elle lâesthĂ©tique propre Ă lâunivers « de cape et dâĂ©pĂ©e » ?
Cette fameuse scĂšne exige, pour ĂȘtre rĂ©ussie, que le comĂ©dien parvienne Ă rĂ©unir des compĂ©tences variĂ©es : ĂȘtre capable dâoccuper tout lâespace en rendant le combat spectaculaire, ĂȘtre capable de maĂźtriser son souffle et sa diction de lâalexandrin en exĂ©cutant des mouvements qui gĂ©nĂ©ralement fatiguent, tout en restant visible aux yeux du public. Par ailleurs, on notera Ă quel point Cyrano maĂźtrise Ă la fois le verbe et le combat. En poĂšte virtuose, il sâimpose aux yeux du public comme un mousquetaire exceptionnel. Il est fin poĂšte et fin bretteur.
La Fronde (1648-1653), parfois appelée guerre des Lorrains, est une période de troubles graves qui frappent le 4
royaume de France alors en pleine guerre avec l'Espagne (1635-1659), pendant la minorité du roi Louis XIV (1643-1656).
rĂšgne de 1610 Ă 1643. 5
Le Roi-Soleil rĂšgne de 1643 Ă 1715. Il monte sur le trĂŽne quelques mois avant son cinquiĂšme anniversaire. Son 6
rĂšgne de 72 ans est lâun des plus longs de l'histoire d'Europe, et le plus long de l'Histoire de France. 12
2.2.4. à la croisée des genres littéraires
Cyrano de Bergerac est une piÚce en 5 actes écrite presque entiÚrement en alexandrins. Edmond Rostand la qualifie de comédie héroïque mais les analystes y reconnaissent de nombreuses influences dont la principale est le théùtre romantique ou néo-romantique.
De la comédie héroïque, la piÚce possÚde son sens de l'épique et la description d'un héros dont la vie s'organise autour de l'amour et de l'honneur. Maurice Rostand y voit une oeuvre qui exalte les valeurs de l'héroïsme et qui donne à tous le 7
« courage d'ĂȘtre des hĂ©ros ».
La comĂ©die hĂ©roĂŻque est un genre intermĂ©diaire entre la tragĂ©die et la comĂ©die. Parfois difficile Ă distinguer de la tragi-comĂ©die, la comĂ©die hĂ©roĂŻque met aux prises des personnages de haut rang dans une action amoureuse au dĂ©nouement heureux, puisqu'« on n'y voit naĂźtre aucun pĂ©ril par qui nous puissions ĂȘtre portĂ©s Ă la pitiĂ© ou Ă la crainte » (Corneille, PrĂ©face de Don Sanche d'Aragon, 1649). ImportĂ©e de la comedia espagnole par Rotrou, la comĂ©die hĂ©roĂŻque devint un genre nouveau en France avec Corneille et en Angleterre avec Dryden (The Conquest of Granada, 1669). L'hĂ©roĂŻque, dans la comĂ©die, se manifeste par des personnages de haut rang, un ton et un style Ă©levĂ©s, la noblesse des sentiments et des actions, un certain exotisme des lieux et des personnages.
Du romantisme, elle possĂšde les caractĂ©ristiques du mĂ©lange des genres et des registres : on y cĂŽtoie la farce et ses coups de pied, les scĂšnes d'amour et le pathĂ©tique. La langue alterne entre le registre noble et le registre familier. L'alexandrin se dĂ©veloppe sous sa forme classique dans la tirade du nez ou celle des « Non merci » ou dans des rĂ©pliques oĂč le vers se dĂ©sintĂšgre. On passe brutalement de la scĂšne intimiste (duo de l'acte II scĂšne 6, trio de l'acte III scĂšne 7, le couvent ...) aux grandes rĂ©unions collectives (l'hĂŽtel de Bourgogne, la rĂŽtisserie de Ragueneau, le siĂšge d'Arras).
De la tragédie classique, la piÚce conserve son découpage en 5 actes et un style qui rappelle parfois Corneille mais elle s'en démarque par son refus des rÚgles classiques : il n'existe ni unité de lieu, ni unité de temps. L'unité d'action est toutefois respectée. Quant à la bienséance, elle est bafouée par la présentation d'un duel et la mort de Cyrano sur scÚne.
Certains y voit un manifeste de la néo-préciosité en remarquant que le refus des choses vulgaires et l'amour pur y triomphent (en effet, dans la piÚce, Cyrano, Roxane et Christian demeurent vierges).
2.2.5. Costumes
De toute Ă©vidence, lorsque lâon parle de Cyrano, on imagine un espace peuplĂ© de capes et dâĂ©pĂ©es. La mise en scĂšne de Thierry Debroux ne surprendra pas les Ă©lĂšves dans son choix de faire apparaĂźtre des costumes « dâĂ©poque ». Sans nĂ©cessairement rĂ©vĂ©ler par avance ce choix aux Ă©lĂšves, on leur proposera de se crĂ©er un univers imaginaire fondĂ© sur une conception historiciste du costume.
Amener les élÚves à réfléchir sur les formes et fonctions du costume à travers un exercice concret : comment le metteur en scÚne peut-il choisir de costumer ses personnages masculins ? à partir des données proposées en ANNEXE 4, faire un projet de costume en réfléchissant sur la forme et la couleur.
Maurice Rostand, (1891-1968) Fils aßné de l'écrivain Edmond Rostand et de la poétesse Rosemonde Gérard, 7
poÚte, romancier et auteur dramatique français. 13
2.3. Activité / bande-annonce
Recueillir les premiÚres impressions des élÚves sur le spectacle en leur demandant de recenser les moments qui leur ont semblé les plus réussis. à partir de ces suggestions, leur proposer, par groupes, de mettre en scÚne une bande-annonce théùtralisée qui présente les moments clés du spectacle.
Cet exercice a pour objectif de faire rĂ©flĂ©chir les Ă©lĂšves sur la mĂ©moire collective du spectacle. En quoi les bandes-annonces se rejoignent-elles ou diffĂšrent-elles ? Quels sont les moments de lâaction qui ont le plus marquĂ© les mĂ©moires ? Pourquoi certaines scĂšnes leur ont-elles semblĂ© particuliĂšrement rĂ©ussies ? Leurs bandes-annonces intĂšgrent-elles le jeu de certains comĂ©diens ? Si tel est le cas, en quoi certains dĂ©placements ou certaines attitudes des comĂ©diens sont-ils reprĂ©sentatifs de lâesthĂ©tique gĂ©nĂ©rale de la piĂšce ?
Il pourrait ĂȘtre tout aussi intĂ©ressant de crĂ©er une bande-annonce avant dâavoir Ă©tĂ© spectateur. La lecture du texte, ou de quelques extraits, et les ressources prĂ©citĂ©es seront utiles. Les bande-annonces exprimeront alors une certaine attente, qui sera ensuite Ă confronter avec la rencontre du spectacle.
Pour inspiration visionnez les bande-annonces de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau et Jean-Claude CarriĂšre (1990) ou encore de Edmond dâAlexis Michalik (2019). Il y raconte la crĂ©ation improbable de ce mythe du rĂ©pertoire français.
14
Séquence 3 / Cyrano et théùtre
3.1. Contextualisation
Le hĂ©ros, alternant panache et mĂ©lancolie, traverse des espaces qui se mĂ©tamorphosent. Câest toute la magie du thĂ©Ăątre qui se dĂ©ploie sous les yeux du spectateur. Ămerveillement, renouvelĂ© Ă chaque acte par les changements de dĂ©cors, la piĂšce, avant toute chose, nous parle de thĂ©Ăątre.
Cette derniĂšre sĂ©quence considĂšre lâoeuvre et le spectacle comme un hommage au thĂ©Ăątre. Les Ă©lĂšves y seront sensibilisĂ©, et finiront par Ă©mettre leur propre vision dâune mise en scĂšne.
3.1. Ressources
3.2.1. Le théùtre dans le théùtre
Rostand fait lâĂ©loge du thĂ©Ăątre et de lâart des acteurs dans Cyrano de Bergerac. Le personnage principal, au-delĂ des caractĂ©ristiques quâon lui connaĂźt (Ă©loquence et ardeur guerriĂšre, sagesse de philosophe et orgueil excessif, sentimentalisme et abnĂ©gation) est avant tout un ĂȘtre de thĂ©Ăątre, tout entier fait de mots et de gestes, et tout Ă la fois acteur et metteur en scĂšne. La piĂšce opĂšre une mise en abĂźme constante. « La tirade du nez peut se lire comme une leçon de thĂ©Ăątre : Cyrano apostrophe Valvert comme un professeur arrĂȘte un Ă©lĂšve comĂ©dien pour lui donner des indications. La plupart des personnages de la piĂšce sont en mĂȘme temps des acteurs â Cyrano, Roxane â ou des amoureux du thĂ©Ăątre ou de la littĂ©rature â De Guiche, Ragueneau. Quelques-uns le refusent : Le Bret, et surtout Christian. » Lâenjeu de la scĂšne du balcon est aussi de faire accepter Ă Christian ce thĂ©Ăątre auquel il 8
refuse dâappartenir : Cyrano lui souffle les mots comme Ă un acteur dĂ©butant, pour le plus grand plaisir de Roxane et du public. La figure de lâacteur est ainsi au centre du spectacle. On se souvient dâailleurs que la piĂšce commence Ă lâHĂŽtel de Bourgogne oĂč Cyrano interrompt une pastorale dans laquelle joue Montfleury, cĂ©lĂšbre acteur du XVIIĂšme siĂšcle, opposant dâemblĂ©e son verbe vivant aux tirades ridicules dâune forme thĂ©Ăątrale dĂ©passĂ©e.
Le procĂ©dĂ© du thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre est trĂšs en vogue dans le thĂ©Ăątre du XVIIĂšme siĂšcle. Cette technique dramatique consistant Ă inclure un spectacle dans un autre spectacle est utilisĂ©e par de nombreux auteurs tels que ScudĂ©ry, Rotrou, Pierre et Thomas de Corneille, MoliĂšre. Cyrano lui-mĂȘme utilise ce procĂ©dĂ© dans Le PĂ©dant jouĂ©. En Angleterre, Shakespeare lâexploite dans de nombreuses piĂšces, comĂ©dies ou tragĂ©dies (La Nuit des rois, le songe dâune nuit dâĂ©tĂ©, Hamlet,âŠ). Le premier acte du Cyrano de Rostand, en reproduisant sur scĂšne le thĂ©Ăątre et la salle de lâHĂŽtel de Bourgogne, plonge les spectateurs dans une autre piĂšce, La Clorise, une pastorale de Balthazar Baro. LâoriginalitĂ© du Cyrano de Rostand est que son hĂ©ros interrompt la reprĂ©sentation de La Clorise et offre aux spectateurs un autre spectacle. Il se thĂ©Ăątralise lui-mĂȘme, occupe tout lâespace, se met en scĂšne Ă tous moments. Il est acteur de sa propre lĂ©gende qui se construit sous les yeux du spectateur.
3.2.2. Le théùtre du XVIIÚme siÚcle vu par Edmond Rostand
Dans le premier acte de Cyrano, Rostand dresse un tableau de la vie thĂ©Ăątrale au XVIIĂšme siĂšcle. Les sept premiĂšres scĂšnes se dĂ©roulent Ă lâHĂŽtel de Bourgogne, premier thĂ©Ăątre rĂ©gulier de Paris dĂšs la fin du XVIĂšme siĂšcle. Cette salle, au dĂ©but du XVIIĂšme siĂšcle, a trĂšs
Denis PodalydÚs, metteur en scÚne de Cyrano de Bergerac à la Comédie française en 20178
15
mauvaise rĂ©putation. La scĂšne 1 de lâacte I montre ainsi que le public qui la frĂ©quente est particuliĂšrement hĂ©tĂ©roclite. La canaille a coutume de sây retrouver et il est frĂ©quent dây croiser le fer, mĂȘme si en 1635 le port dâarmes est interdit au thĂ©Ăątre. Montfleury, mentionnĂ© dans la piĂšce, faisait effectivement partie de la troupe de Bellerose, installĂ©e Ă lâHĂŽtel de Bourgogne depuis 1622. Lâaversion de Cyrano pour Montfleury Ă©tait bien rĂ©elle : une de ses nombreuses Lettres Satiriques, intitulĂ©e « Contre un gros homme » est en effet adressĂ©e au comĂ©dien. Il y est dit que Montfleury, en raison de sa corpulence excessive, devait se cercler le ventre de fer avant dâentrer en scĂšne. Rostand, dans son tableau de lâHĂŽtel de Bourgogne, mentionne Ă©galement le petit personnel attachĂ© Ă la vie du thĂ©Ăątre : le Portier, les Violons, la Distributrice ou lâAllumeur de chandelles. Le personnage du Portier et le rĂ©cit de ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec les « Mauvais payeurs » Ă lâentrĂ©e du thĂ©Ăątre sont aussi tout Ă fait rĂ©alistes.
Dans le premier acte de Cyrano, on trouve une quarantaine dâintervenants auxquels sâajoute une foule dâautres personnages composant le public. Rostand Ă©voque quelques membres de lâAcadĂ©mie Française venus assister Ă la reprĂ©sentation. Il sâagit de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration des AcadĂ©miciens. Certains spectateurs appartiennent Ă la bonne sociĂ©tĂ©, tel Antoine de Gramont, Comte de Guiche, neveu de Richelieu et marĂ©chal de France en 1641. Celui-ci, en compagnie des marquis et autres hommes de qualitĂ©, sâinstalle sur un siĂšge placĂ© aux extrĂ©mitĂ©s de la scĂšne pour assister au spectacle, ce qui Ă©tait alors la coutume. Les dames nommĂ©es appartiennent aux salons aristocratiques et littĂ©raires de lâĂ©poque (notamment celui de Rambouillet). Ces prĂ©cieuses se faisaient souvent donner des surnoms, tels BarthĂ©noĂŻde, Cassandre ou Felixerie. Le personnage de Roxane est le fruit du mĂ©lange entre Madeleine Robineau, la cousine de Cyrano, et Marie Robineau (a priori sans parentĂ© avec la premiĂšre) connue dans le monde sous le nom de Roxane.
3.2.3. Une scĂ©nographie Ă la hauteur de lâoeuvre.
3.2.3.1. DĂ©cor
Lâaction, dans Cyrano de Bergerac, se dĂ©roule en de nombreux endroits. Tout dâabord dans lâhĂŽtel de Bourgogne (thĂ©Ăątre ayant abritĂ©, au XVIIe siĂšcle, les ComĂ©diens du roi). Puis dans la boutique de Ragueneau, la rĂŽtisserie des poĂštes, oĂč le rĂŽtisseur-pĂątissier Ragueneau dirige les travaux de ses cuisiniers tout en Ă©crivant des vers. Ensuite devant le balcon de Roxane oĂč Cyrano et Christian parleront dâamour Ă celle-ci. AprĂšs, dans le camp dâArras oĂč le rĂ©giment de Cyrano assiĂ©gera la ville. Enfin, le parc du couvent parisien des Dames de la Croix oĂč Roxane sâest retirĂ©e. Il semble que tous ces endroits se situent Ă Paris, exceptĂ© le camp dâArras qui se situe dans le nord de la France. La premiĂšre partie (les quatre premiers actes) sâĂ©tend entre le 3 juin et le 9 aoĂ»t 1640, laps de temps durant lequel se dĂ©roula le siĂšge dâArras auquel participe Cyrano de Bergerac dans ce rĂ©cit et auquel le vĂ©ritable Cyrano de Bergerac, dont Rostand s'est inspirĂ©, participa Ă©galement. La seconde partie a lieu « 15 ans aprĂšs le siĂšge dâArras, en 1655 » dans un cinquiĂšme acte qui marquera la fin de la piĂšce avec la mort de Cyrano.
RĂ©flĂ©chir Ă la maniĂšre dont les dĂ©cors sâenchaĂźnent dâun acte Ă lâautre. Comment passer dâune scĂšne dâintĂ©rieur Ă une scĂšne dâextĂ©rieur ? Sur combien dâannĂ©es la piĂšce se dĂ©roule-t-elle ?
16
Analyser les longues didascalies qui ouvrent chaque acte et répondre aux questions proposées ci-dessous :
Acte I / 1640 Lâacte se dĂ©roule dans un thĂ©Ăątre, Ă lâhĂŽtel de Bourgogne. Questions sur les didascalies initiales Espace intĂ©rieur. Comment reprĂ©senter le thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre ? La scĂšne se joue en 1640 : recherche sur lâarchitecture et lâespace de reprĂ©sentation Ă cette Ă©poque.
Acte II Dans la boutique de Ragueneau, rĂŽtisseur pĂątissier.
Espace intĂ©rieur. Faire la liste des accessoires. MĂȘme si Edmond Rostand sâĂ©loigne dans Cyrano de Bergerac des modĂšles littĂ©raires de son Ă©poque en donnant vie Ă une oeuvre nĂ©o-romantique, il nâen est pas moins influencĂ© par les nouveautĂ©s en matiĂšre de mise en scĂšne comme lâatteste la longueur de ses didascalies initiales. Rosemonde GĂ©rard, Ă©pouse de Rostand, relate dans une biographie consacrĂ©e Ă son mari quâelle Ă©tait allĂ©e acheter saucissons et pĂątĂ©s pour remplacer les victuailles de carton et pour donner Ă la rĂŽtisserie du deuxiĂšme acte « lâair dâĂȘtre plus vivante ». On pourra demander aux Ă©lĂšves comment ils envisagent de recrĂ©er cette atmosphĂšre de rĂŽtisserie-pĂątisserie et dâabondance sur scĂšne.
Acte III Sur une petite place de lâancien Marais.
Espace extĂ©rieur. DĂ©cor urbain : la place dâune ville. OĂč se trouve lâancien Marais ? Pourquoi Roxane habite-t-elle le Marais ?
Acte IV Un champ de bataille : le poste de combat des Gascons durant le siĂšge dâArras.
Espace extérieur. La campagne : comment la figurer sur scÚne ? Comment représenter un champ de bataille sur scÚne ?
Acte V / 1655 Le parc dâun couvent : le couvent des Dames de la Croix Ă Paris.
Espace extĂ©rieur. Un lieu retirĂ©. Comment passer du champ de bataille au parc dâun couvent ?
à noter que la mise en scÚne de Thierry Debroux prend le parti de faire débuter la piÚce quand Cyrano vient rendre visite à Roxane au couvent. Ils partagent leur souvenir et le reste est un énorme flash-back.
Le soleil nâest pas encore couchĂ© quand un homme Ă la dĂ©marche incertaine pĂ©nĂštre sur le plateau. Son large chapeau dissimule ses traits et lorsquâil sâeffondre au pied des escaliers, on ne sait trop sâil sâagit dâune maladresse ou dâune mise en scĂšne. LâarrivĂ©e de Roxane Ă©claire la situation. Nous sommes au couvent oĂč la belle sâest rĂ©fugiĂ©e aprĂšs la mort de celui quâelle aimait, Christian de Neuvilette. Et lâhomme au chapeau nâest autre que Cyrano⊠En choisissant de commencer par un court extrait du dernier acte, Thierry Debroux assume le cĂŽtĂ© sombre de la piĂšce dâEdmond Rostand. Le temps des illusions est passĂ©. Roxane se morfond au couvent. Depuis 14 ans, Cyrano vient lui rendre visite pour ĂȘtre sa « gazette », lui raconter les Ă©vĂ©nements se passant Ă Paris et ailleurs. Aujourdâhui, pour la premiĂšre fois, il est en retard et Roxane sâen amuse, feint de se vexer⊠Un jeu qui les ramĂšne dâun coup Ă leur passĂ©.
Le Soir - Jean-Marie Wynants 24/07/2019
17
AprĂšs avoir vu le spectacle, demander aux Ă©lĂšves de recenser les Ă©lĂ©ments de dĂ©cor des plus visibles aux plus discrets. Comment les diffĂ©rents lieux de lâaction imaginĂ©s par Rostand sont-ils reprĂ©sentĂ©s ? Comment pourrait-on qualifier lâesthĂ©tique de ces dĂ©cors ?
3.2.3.2. Faire jouer toute la machine
Quand Cyrano de Bergerac est crĂ©Ă©e en 1897, la fĂ©erie a dĂ©sertĂ© le thĂ©Ăątre et sâapprĂȘte Ă trouver sur les Ă©crans du cinĂ©ma naissant un terrain de jeu privilĂ©giĂ©. La veine fĂ©Ă©rique dont joue ponctuellement Rostand dans sa comĂ©die hĂ©roĂŻque explique sans doute lâimmense succĂšs de sa piĂšce. Il est frappant que le succĂšs de Cyrano soit exactement contemporain des dĂ©buts du cinĂ©ma, jour pour jour, deux ans aprĂšs la premiĂšre sĂ©ance publique organisĂ©e par les frĂšres LumiĂšre au Grand CafĂ©. Le cinĂ©matographe nâa certes pas tuĂ© le thĂ©Ăątre, mais il lui a nĂ©anmoins volĂ© quelque chose, et dâabord le grand public populaire, qui pouvait adhĂ©rer immĂ©diatement au spectacle; il lui empruntait aussi certaines formes spectaculaires, comme le genre qui dominait la scĂšne thĂ©Ăątrale du XIXĂšme siĂšcle, la fĂ©erie. Impossible de ne pas constater quâelle ressurgit trĂšs vite au cinĂ©ma : câest tout le propos de MĂ©liĂšs que de reprendre Ă lâancienne fĂ©erie ses plaisirs et ses procĂ©dĂ©s. Or, le quatriĂšme acte de Cyrano de Bergerac propose un tableau digne des fĂ©eries les plus cĂ©lĂšbres : la mĂ©tamorphose en nourriture du carrosse de Roxane qui se transforme Ă vue en mets dĂ©licieux pour lâĂ©merveillement des cadets affamĂ©s : « Les coussins sont remplis dâortolans ! [...] /Chaque lanterne est un petit garde-manger ! » Et surtout un vers de Ragueneau qui relĂšve du tour de prestidigitation : « Le manche de mon fouet est un saucisson dâArles ! »
La mise en scÚne livre de grands tableaux qui rappellent les éblouissement des anciennes piÚces à machines. Thierry Debroux, habitué des mises en scÚne inspirées et inventives de grands spectacles populaires a imaginé avec les les scénographes un dispositif trÚs mobile avec cinq univers différents pour les cinq actes, et des éléments scéniques qui arrivent des coulisses. Une véritable machine à jouer.
Lire le passage du carrosse de Roxane, scĂšne 6 de lâacte IV. Comment pourriez-vous imaginer ce carrosse et sa transformation, avec les outils de la machinerie thĂ©Ăątrale ? Cherchez les dĂ©finitions de « piĂšce Ă machines », « machinerie ». Ă quelle Ă©poque le thĂ©Ăątre commence-t-il Ă utiliser les machines ?
« La machinerie est la servante la plus noble du théùtre par son humble soumission aux poÚtes. » (Louis Jouvet, Préface de Pratique pour fabriquer scÚnes et machines de théùtre de Nicola Sabbattini). Quel sens peut-on donner à ce propos ?
18
3.3. Activité / Croquis de mise en scÚne
RĂ©partir la classe en cinq groupes et demander Ă chacun dâentre eux de prendre en charge lâanalyse des indications de scĂ©nographie de lâun des cinq actes de la piĂšce. Lister les accessoires et effectuer un croquis de mise en scĂšne possible, Ă lâaide des ressources prĂ©cĂ©dentes.
Eveiller les Ă©lĂšves au fait que mĂȘme si cette mise en scĂšne sâest inscrite dans la tradition, dâautres artistes balaient toutes les mises en scĂšne de lâoeuvre de Rostand. Et si lâaction se situait dans un espace dĂ©pouillĂ© ? Si ce nâĂ©tait pas un Cyrano de cape et dâĂ©pĂ©e ? Quelle pourrait ĂȘtre selon eux, une relecture contemporaine de lâoeuvre ? Et quelles pourraient ĂȘtre ses implications sur une mise en scĂšne ?
19
4. Sources
Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand - 1898 Cahier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - ThĂ©Ăątre de la Place - 2012 Dossier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - TNB, centre europĂ©en thĂ©Ăątral et chorĂ©graphique - 2013 PiĂšce (dĂ©)montĂ©e, Cyrano de Bergerac - rĂ©seau SCĂRĂN - 2013 Dossier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - PathĂ© Live - 2017
20
Annexes Annexe 1
Cyrano Ah ! non ! câest un peu court, jeune homme ! On pouvait dire⊠Oh ! Dieu !⊠bien des choses en somme⊠En variant le ton, â par exemple, tenez : Agressif : « Moi, monsieur, si jâavais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me lâamputasse ! » Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse ! Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! » Descriptif : « Câest un roc !⊠câest un pic !⊠câest un cap ! Que dis-je, câest un cap ?⊠Câest une pĂ©ninsule ! » Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ? DâĂ©critoire, monsieur, ou de boĂźte Ă ciseaux ? » Gracieux : « Aimez-vous Ă ce point les oiseaux Que paternellement vous vous prĂ©occupĂątes De tendre ce perchoir Ă leurs petites pattes ? » Truculent : « ĂĂ , monsieur, lorsque vous pĂ©tunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans quâun voisin ne crie au feu de cheminĂ©e ? » PrĂ©venant : « Gardez-vous, votre tĂȘte entraĂźnĂ©e Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! » Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! » PĂ©dant : « Lâanimal seul, monsieur, quâAristophane Appelle HippocampelephantocamĂ©los Dut avoir sous le front tant de chair sur tant dâos ! » Cavalier : « Quoi, lâami, ce croc est Ă la mode ? Pour pendre son chapeau, câest vraiment trĂšs commode ! » Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral, Tâenrhumer tout entier, exceptĂ© le mistral ! » Dramatique : « Câest la Mer Rouge quand il saigne ! » Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! » Lyrique : « Est-ce une conque, ĂȘtes-vous un triton ? » NaĂŻf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? » Respectueux : « Souffrez, monsieur, quâon vous salue, Câest lĂ ce qui sâappelle avoir pignon sur rue ! » Campagnard : « HĂ©, ardĂ© ! Câest-y un nez ? Nanain ! Câest queuquânavet gĂ©ant ou ben queuquâmelon nain ! » Militaire : « Pointez contre cavalerie ! » Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ? AssurĂ©ment, monsieur, ce sera le gros lot ! » Enfin parodiant Pyrame en un sanglot : « Le voilĂ donc ce nez qui des traits de son maĂźtre A dĂ©truit lâharmonie ! Il en rougit, le traĂźtre ! » â VoilĂ ce quâĂ peu prĂšs, mon cher, vous mâauriez dit Si vous aviez un peu de lettres et dâesprit : Mais dâesprit, ĂŽ le plus lamentable des ĂȘtres, Vous nâen eĂ»tes jamais un atome, et de lettres Vous nâavez que les trois qui forment le mot : sot ! Eussiez-vous eu, dâailleurs, lâinvention quâil faut Pour pouvoir lĂ , devant ces nobles galeries, Me servir toutes ces folles plaisanteries, Que vous nâen eussiez pas articulĂ© le quart De la moitiĂ© du commencement dâune, car Je me les sers moi-mĂȘme, avec assez de verve, Mais je ne permets pas quâun autre me les serve.
21
Annexe 2
Cyrano Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et sâen fait un tuteur en lui lĂ©chant lâĂ©corce, Grimper par ruse au lieu de sâĂ©lever par force ? Non, merci. DĂ©dier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans lâespoir vil de voir, aux lĂšvres dâun ministre, NaĂźtre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci. DĂ©jeuner, chaque jour, dâun crapaud ? Avoir un ventre usĂ© par la marche ? une peau Qui plus vite, Ă lâendroit des genoux, devient sale ? ExĂ©cuter des tours de souplesse dorsale ?⊠Non, merci. Dâune main flatter la chĂšvre au cou Cependant que, de lâautre, on arrose le chou, Et donneur de sĂ©nĂ© par dĂ©sir de rhubarbe, Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon Ă©diteur de Sercy Faire Ă©diter ses vers en payant ? Non, merci ! Sâaller faire nommer pape par les conciles Que dans les cabarets tiennent des imbĂ©ciles ? Non, merci ! Travailler Ă se construire un nom Sur un sonnet, au lieu dâen faire dâautres ? Non, Merci ! Ne dĂ©couvrir du talent quâaux mazettes ? Ătre terrorisĂ© par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François ? »⊠Non, merci ! Calculer, avoir peur, ĂȘtre blĂȘme, Aimer mieux faire une visite quâun poĂšme, RĂ©diger des placets, se faire prĂ©senter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais⊠chanter, RĂȘver, rire, passer, ĂȘtre seul, ĂȘtre libre, Avoir lâĆil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaĂźt, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, â ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, Ă tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! NâĂ©crire jamais rien qui de soi ne sortĂźt, Et modeste dâailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, mĂȘme des feuilles, Si câest dans ton jardin Ă toi que tu les cueilles ! Puis, sâil advient dâun peu triompher, par hasard, Ne pas ĂȘtre obligĂ© dâen rien rendre Ă CĂ©sar, Vis-Ă -vis de soi-mĂȘme en garder le mĂ©rite, Bref, dĂ©daignant dâĂȘtre le lierre parasite, Lors mĂȘme quâon nâest pas le chĂȘne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-ĂȘtre, mais tout seul !
22
Annexe 3
Liste des personnages
Cyrano de Bergerac Christian de Neuvillette Comte de Guiche Ragueneau Le Bret Carbon de Castel-Jaloux Les cadets LigniĂšre De Valvert Un marquis DeuxiĂšme marquis TroisiĂšme marquis Montfleury Bellerose Jodelet Cuigy dâArtagnan Brissaille Un fĂącheux Un mousquetaire Un autre Un officier espagnol Un chevau-lĂ©ger Le portier Un bourgeois Son fils Un tire-laine Un spectateur Un garde Bertrandon le fifre Le capucin Deux musiciens Les poĂštes Les pĂątissiers Roxane Soeur Marthe Lise La distributrice MĂšre Marguerite de JĂ©sus La duĂšgne Soeur Claire Une comĂ©dienne La soubrette Les pages La bouquetiĂšre Une dame Une prĂ©cieuse Une soeur La foule, bourgeois, marquis, mousquetaires, tirelaine, pĂątissiers, poĂštes, cadets, Gascons, comĂ©diens, violons, pages, enfants, soldats espagnols, spectateurs, spectatrices, prĂ©cieuses, comĂ©diennes, bourgeoises, religieuses, etc.
23
Distribution du spectacle
Jean-Philippe Altenloh : Le Bret Julien Besure : Vicomte de Valvert, apprenti, cadet Mickey Boccar : Brisaille, cadet, musicien Cédric Cerbara : Bellerose, cadet, poÚte William Clobus : Le voleur, cadet, apprenti Damien De Dobbeleer : Christian Lucie De Grom : La distributrice, soeur Marthe Eric De Staercke : Comte de Guiche Béatrix Férauge : La duÚgne, MÚre Marguerite Arthur Ferlin : Le jeune fils du bourgeois, cadet, apprenti Olivier Francart : LignÚre, cadet Stephan Fraser : Monfleury, cadet, apprenti, musicien Michel Gautier : Un Bourgeois, poÚte, capucin, cadet Claudine Gourdin : Lise, soeur Claire Marc Laurent : Marquis, cadet, poÚte Anthony Molina-Diaz : Le mousquetaire, cadet Michel Poncelet : Ragueneau Jean-François Rossion : Marquis, Carbon de Castel Jaloux Anouchka Vingtier : Roxane Bernard YerlÚs : Cyrano
Annexe 4
Ăvolution du costume masculin sous Louis XIII
1. Pour le haut du corps â Les hommes portent un pourpoint : sous Louis XIII, il devient une veste ajustĂ©e et boutonnĂ©e du cou Ă mi-poitrine. Les pans, Ă©cartĂ©s vers le bas, laissent voir la chemise. â Les fraises tendent Ă disparaĂźtre. On porte plutĂŽt un col large souvent ornĂ© de dentelles. â Les manches comportent des rabats, au niveau du poignet, ornĂ©s de dentelle. â LâĂ©charpe sur lâĂ©paule droite sert Ă suspendre lâĂ©pĂ©e. â Une cape portĂ©e sur lâune des deux Ă©paules tient avec un cordon attachĂ© de biais sur lâĂ©paule. â Les mousquetaires portent parfois un « buffletin » ou gilet de peau chamoisĂ©e par dessus le pourpoint
2. Pour le bas du corps â Les hauts de chausse sâallongent, un peu bouffants, pour arriver au-dessous du genou. â O n porte des bottes dites « Ă entonnoir » (Ă©vasĂ©es vers le haut) ou des bottes à « revers Ă©panoui » (retournĂ©es).
3. Pour les coiffures et la chevelure â La chevelure est bouclĂ©e; elle retombe sur les Ă©paules. â Une moustache et une barbiche. â Le chapeau : un feutre tronconique ou un grand feutre Ă bords larges ornĂ© de plumes.
DâaprĂšs Le Costume, Renaissance-Le style Louis XIII, Jacques Ruppert, Paris, Flammarion, 1931, vol. 2.
24