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De Edmond Rostand Mise en scĂšne : Thierry Debroux Avec Jean-Philippe Altenloh, Julien Besure, Mickey Boccar, CĂ©dric Cerbara, William Clobus, Damien De Dobbeleer, Lucie De Grom, Eric De Staercke, BĂ©atrix FĂ©rauge, Arthur Ferlin, Olivier Francart, Stephan Fraser, Michel Gautier, Claudine Gourdin, Marc Laurent, Anthony Molina-Diaz, Michel Poncelet, Jean-François Rossion, Anouchka Vingtier et Bernard YerlĂšs Une coproduction de DEL DiïŹ€usion Villers, du ThĂ©Ăątre Royal du Parc, de l’Atelier ThĂ©Ăątre Jean Vilar, du ThĂ©Ăątre de LiĂšge et du ThĂ©Ăątre de l’Eveil, avec l’aide du MinistĂšre de la Culture de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles, avec la participation du Centre des Arts scĂ©niques, en coproduction avec Shelter Prod, avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax Shelter du Gouvernement fĂ©dĂ©ral de Belgique. saison 2019-2020 Cyrano CRÉATION de Bergerac Dossier PĂ©dagogique 5.11 - 10.11 DOSSIER RÉALISÉ PAR L’ATELIER THÉÂTRE JEAN VILAR

Cyrano de Bergerac - atjv.be

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De Edmond Rostand Mise en scĂšne : Thierry DebrouxAvec Jean-Philippe Altenloh, Julien Besure, Mickey Boccar, CĂ©dric Cerbara, William Clobus, Damien De Dobbeleer, Lucie De Grom, Eric De Staercke, BĂ©atrix FĂ©rauge, Arthur Ferlin, Olivier Francart, Stephan Fraser, Michel Gautier, Claudine Gourdin, Marc Laurent, Anthony Molina-Diaz, Michel Poncelet, Jean-François Rossion, Anouchka Vingtier et Bernard YerlĂšsUne coproduction de DEL Diffusion Villers, du ThĂ©Ăątre Royal du Parc, de l’Atelier ThĂ©Ăątre Jean Vilar, du ThĂ©Ăątre de LiĂšge et du ThĂ©Ăątre de l’Eveil, avec l’aide du MinistĂšre de la Culture de la FĂ©dĂ©ration Wallonie-Bruxelles, avec la participation du Centre des Arts scĂ©niques, en coproduction avec Shelter Prod, avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax Shelter du Gouvernement fĂ©dĂ©ral de Belgique.

saison 2019-2020

CyranoCRÉATION

de BergeracDossier

PĂ©dagogique

5.11 - 10.11

DOSSIER RÉALISÉ PAR L’ATELIER THÉÂTRE JEAN VILAR

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INDEX

SĂ©quence 1 p. 3 À la dĂ©couverte d’un hĂ©ros, Cyrano de Bergerac

Séquence 2 p. 11 Une comédie héroïque

Séquence 3 p. 15 Cyrano et théùtre

Sources

Annexes

Comment faire sien un personnage dĂ©jĂ  tant de fois interprĂ©tĂ© ?

Bernard YerlĂšs - C’est une piĂšce que je lis depuis longtemps. Ce que j’aime le plus, personnellement, c’est le cĂŽtĂ© romantique, amoureux, sacrificiel, plus que le panache, le cĂŽtĂ© grandiloquent, libertaire, libre-penseur. Avec l’interprĂ©tation de Depardieu, on a dĂ©couvert que c’était aussi un rĂŽle trĂšs intĂ©rieur. Ce cĂŽtĂ© tourmentĂ© de Cyrano, c’est ce qui m’intĂ©resse dans le personnage. Bien sĂ»r, il ne faut pas nĂ©gliger non plus son cĂŽtĂ© amateur de belles-lettres. Cette langue est tellement belle que, de toute façon, la piĂšce est plus forte que les acteurs qui la jouent. On ne peut qu’y aller modestement, en sachant qu’il y a toujours un public nouveau qui la dĂ©couvre.

1

Durée 2h40entracte compris

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Introduction

De la « comĂ©die hĂ©roĂŻque » Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (1868-1918), Ă©crite et jouĂ©e pour la premiĂšre fois en 1897 au thĂ©Ăątre de la Porte Saint-Martin, on retiendra principalement la figure du personnage Ă©ponyme hors-normes, l’homme au grand nez, le cadet de Gascogne, Ă  la fois hĂ©roĂŻque et pathĂ©tique qui aima toute sa vie durant la belle Roxane dans l’ombre du jeune et sĂ©duisant Christian. Tout est rĂ©uni pour donner vie Ă  un hĂ©ros devenu Ă  lui seul une figure incontournable de la littĂ©rature. La piĂšce qui devait aux yeux de son auteur « faire un four », connut d’emblĂ©e un succĂšs sans prĂ©cĂ©dent qui n’est pas dĂ©menti encore aujourd’hui.

Des personnages attachants, une intrigue captivante, de l’action, de l’humour, des moments hĂ©roĂŻques et une langue magnifique. Un rĂ©cit Ă©clatant dans une mise en scĂšne ample et spectaculaire portĂ©e par une troupe de 20 comĂ©dien·ne·s.

« Mais aussi que diable allait-il faire, Mais que diable allait-il faire en cette galĂšre ?... Philosophe, physicien, Rimeur, bretteur, musicien, Et voyageur aĂ©rien, Grand risposteur du tac au tac, Amant aussi – pas pour son bien ! Ci-gĂźt Hercule-Savinien De Cyrano de Bergerac Qui fut tout, et qui ne fut rien, 
 Mais je m’en vais, pardon, je ne peux faire attendre : Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre ! »

Cyrano de Bergerac (Acte V, scĂšne 6)

Ce dossier pĂ©dagogique tente de donner aux enseignants la matiĂšre nĂ©cessaire pour tendre aux Ă©lĂšves quelques clefs de lecture, leur proposer des activitĂ©s, des pistes de rĂ©flexions, de dĂ©bats, 
 avant d’ĂȘtre, comme aprĂšs avoir Ă©tĂ© spectateur de Cyrano de Bergerac.

Pour vos Ă©lĂšves et vous, le simple fait d’assister Ă  la reprĂ©sentation, d’y prendre un minimum de plaisir ou de rebondir sur la reprĂ©sentation pour tenir en classe un Ă©change sur les enjeux et les thĂ©matiques du spectacle peut Ă©videmment suffire Ă  rencontrer vos objectifs. Il est essentiel Ă  nos yeux que la rencontre avec une oeuvre culturelle reste avant tout un plaisir. Nous vous proposons dans la suite de ce dossier une sĂ©rie de sĂ©quences. Pour chaque sĂ©quence, l’activitĂ© proposĂ©e est prĂ©cĂ©dĂ©e de ressources. Celles-ci pourront ĂȘtre exploitĂ©es dans tout autre cadre que vous auriez imaginĂ©. Il va de soi qu’il ne s’agit que d’exemples de sĂ©quences que vous pourrez Ă  loisir adapter aux diffĂ©rentes rĂ©alitĂ©s de vos classes et de vos pratiques.

2À proposer aux Ă©lĂšves

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SĂ©quence 1 / À la dĂ©couverte d’un hĂ©ros, Cyrano de Bergerac

1.1. Contextualisation

Cette sĂ©quence vous prĂ©sente quelques ressources afin d’établir un portrait du personnage de Cyrano de Bergerac. Les portraits rĂ©alisĂ©s pourront ĂȘtre partagĂ©s avec le thĂ©Ăątre et l’équipe artistique. IncorporĂ©es Ă  ces ressources, quelques activitĂ©s Ă  faire avec vos Ă©lĂšves vous sont dĂ©jĂ  proposĂ©es. Elles permettent toutes d’apprĂ©hender l’oeuvre et le personnage.

A l’instar d’Hamlet (spectacle de la saison derniĂšre) et de MĂšre Courage (en dĂ©but de saison), Cyrano est un personnage phare du rĂ©pertoire thĂ©Ăątral. ApprĂ©hender aujourd’hui le personnage de Cyrano, c’est chercher Ă  en explorer toutes les facettes : selon les interprĂ©tations, Cyrano devient aussi bien l’ĂȘtre blessĂ© par sa diffĂ©rence que l’homme au verbe haut qui se joue des conventions pour Ă©gayer la foule. Tout l’enjeu de ce rĂŽle rĂ©side donc dans un Ă©quilibre Ă  trouver entre le panache assurĂ©, la verve comique du personnage et la dĂ©licatesse de ses sentiments blessĂ©s par une impossible rĂ©ciprocitĂ©. ComĂ©die et tragĂ©die accompagnent ce personnage qui donne un nouveau souffle au romantisme.

1.2. Ressources

1.2.1. Un homme face Ă  sa laideur

1.2.1.1. Le personnage de Cyrano

Demander aux Ă©lĂšves d’examiner les photos reprĂ©sentant Cyrano. Quelle est sa particularitĂ© physique ? Quelles rĂ©actions suscite-t-elle ? En quoi cette singularitĂ© condamne-t-elle le personnage Ă  une solitude intĂ©rieure ?

Lorsque Edmond Rostand donne vie Ă  Cyrano de Bergerac, il n’a pas conscience du fait que ce personnage Ă  l’appendice nasal proĂ©minent – inspirĂ© Ă  la fois de gravures anciennes d’Hercule Savinien Cyrano qui avait un nez relativement long et du souvenir d’un ancien maĂźtre d’étude surnommĂ© « Pif luisant » – va devenir une figure inoubliable de la littĂ©rature. La rĂ©action que suscite cette particularitĂ© physique est unanime : le nez de Cyrano engage Ă  rire. Il suffit de voir cette curieuse excroissance pour immĂ©diatement s’esclaffer, ricaner, s’étonner. Comment peut-on avoir un si grand nez ? Lorsqu’une disproportion s’introduit dans la constitution du visage, ce dernier est immĂ©diatement ramenĂ© au masque, Ă  celui notamment de la caricature dont on ne peut que se moquer.

À ce titre, on pourra commencer par faire mettre en voix le portrait comique que Ragueneau, le fameux rĂŽtisseur pĂątissier de la piĂšce, dĂ©veloppe de Cyrano : il assimile en effet le visage du hĂ©ros de la piĂšce Ă  un masque de commedia dell’arte.

Extrait de l’acte I, scùne II (vers 104 à 120)

Ragueneau Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ; 1

Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,

Peintre classique célÚbre, entre autres, pour ses représentations de Richelieu. 1

3

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Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot 2

Le plus fol spadassin Ă  mettre entre ses masques : Feutre Ă  panache triple et pourpoint Ă  six basques, Cape que par derriĂšre, avec pompe, l’estoc LĂšve, comme une queue insolente de coq, Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne Fut et sera toujours l’alme MĂšre Gigogne, Il promĂšne en sa fraise Ă  la Pulcinella, Un nez !... Ah ! Messeigneurs, quel nez que ce nez-lĂ  !... On ne peut voir passer un tel nasigĂšre Sans s’écrier : « Oh ! Non, vraiment, il exagĂšre ! » Puis on sourit, on dit : « Il va l’enlever
 » Mais Monsieur de Bergerac ne l’enlĂšve jamais.

Le Bret, hochant la tĂȘte

Il le porte, – et pourfend quiconque le remarque !

Le nez de Cyrano s’apparente donc Ă  un postiche provocant les quolibets. La moquerie, plus ou moins fĂ©roce, est bien l’attitude la plus courante face Ă  ce que l’on nomme communĂ©ment la laideur. On interrogera les Ă©lĂšves sur la maniĂšre dont ils pourraient dĂ©finir celle-ci. Est-elle un simple Ă©cart par rapport Ă  une norme ? Mais dans ce cas, de quelle norme s’agit-il ? À partir de quel moment cet Ă©cart s’approche-t-il de la monstruositĂ© ? Quelles sont les implications sociales de la laideur ? Au-delĂ  d’un simple dĂ©sĂ©quilibre de la forme, au-delĂ  d’un simple problĂšme de proportion, la beautĂ© s’appuie sur une conceptualisation idĂ©ale que le groupe se crĂ©e dans un contexte historique et culturel particuliers. On pourra amener les Ă©lĂšves Ă  rĂ©flĂ©chir sur cette rĂ©flexion d’Alain Corbin : « Le

Graveur et dessinateur cĂ©lĂšbre pour ses reprĂ©sentations de masques de la commedia dell’arte. 2

4

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corps est une fiction, un ensemble de reprĂ©sentations mentales, une image inconsciente qui s’élabore, se dissout, se reconstruit au fil de l’histoire du sujet, sous la mĂ©diation des discours sociaux et des systĂšmes symboliques. » (Histoire du corps, Paris, Seuil, « Points histoire », 2011, t. 2.)

La difficultĂ© d’incarner sur scĂšne un hĂ©ros difforme a Ă©tĂ© remarquĂ©e par Jean Rostand, fils du dramaturge : « Un dĂ©tail de grande importance dans Cyrano, c’est le nez, ce nez trĂšs long, ce nez colossal avec lequel le hĂ©ros est passĂ© dans l’histoire. Celui de Constant Coquelin [
] Ă©tait un petit 3

bout de nez en trompette. Comment concilier le nez de Cyrano et le nez de Coquelin ? Un postiche s’imposait. Mon pĂšre essaya plus de cinquante nez de cire, avant de trouver la forme dĂ©finitive. »

Vous porterez l’inĂ©vitable prothĂšse de nez ?

Bernard YerlĂšs C’est nĂ©cessaire d’avoir cet appendice Ă©norme. On a fait plusieurs essais et on voulait un nez qui soit crĂ©dible. Non pas le nez perchoir de Belmondo mais plutĂŽt le nez patate de Depardieu. La distance au thĂ©Ăątre oblige Ă  donner une dimension plus grande pour que les gens le perçoivent de loin. Je vais jouer avec un grand nez et puis on ajustera peut-ĂȘtre.

Écrire collectivement, sur un ton humoristique, un texte argumentatif qui fasse l’éloge de la laideur et de ses avantages afin d’explorer le pouvoir des mots.

Devenu susceptible sur la question de son nez, Cyrano est prĂȘt Ă  en dĂ©coudre avec toute personne qui fait « la moindre allusion au fatal cartilage » (vers 1057). Son arme favorite, c’est le verbe qu’il manie avec autant de dextĂ©ritĂ© que son Ă©pĂ©e. C’est en matamore, en « Artaban de Gascogne », en provocateur, que Cyrano dĂ©fend publiquement son image d’homme au grand nez. Son humour, son panache et sa verve lui permettront de dĂ©fier les moqueurs.

Proposer à plusieurs élÚves de mettre en voix la tirade du nez (Acte I, scÚne 4 - ANNEXE 1). Les interroger sur les passages qui leur semblent difficiles à interpréter.

La tirade du nez est comme on dit « une scĂšne Ă  faire ». Redoutable, ce passage de la piĂšce demande un grand talent de la part du comĂ©dien qui investit le rĂŽle. Cette mise en voix permettra aux Ă©lĂšves de dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir ce fameux texte qui met au jour l’une des facettes les plus connues du personnage de Cyrano.

Cyrano surmonte aussi sa laideur en faisant preuve d’une grandeur d’ñme et d’une intĂ©gritĂ© Ă  toute Ă©preuve. Quelles valeurs rĂ©vĂšle ainsi la fameuse tirade des « Non, merci » (Acte II, scĂšne 8 - ANNEXE 2) ?

GĂ©nĂ©reux et courageux, Cyrano dĂ©veloppe un esprit indĂ©pendant qui se manifeste par son engagement sans faille au service du roi et son indĂ©pendance face aux grands de la cour qui pourraient contribuer Ă  son ascension sociale s’il acceptait quelque soumission. La fameuse tirade tĂ©moigne de l’indĂ©pendance et du courage de ce personnage capable de s’affranchir des lois que lui impose son milieu.

Premier comĂ©dien ayant jouĂ© le rĂŽle sous la direction d’Edmond Rostand. 3

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1.2.1.2. La prise en charge du rÎle par le comédien

Amener les Ă©lĂšves Ă  s’interroger sur les difficultĂ©s que peut rencontrer un comĂ©dien dans sa prise en charge d’un rĂŽle aussi cĂ©lĂšbre que celui de Cyrano.

Coquelin (1841-1909), acteur qui crĂ©a pour la premiĂšre fois le rĂŽle de Cyrano, enthousiasma tant le public qu’il devint pour ainsi dire, de son vivant, l’unique incarnation du personnage sur les planches. Il conserva ce rĂŽle – qu’il joua 950 fois – jusqu’à sa mort.

Visionner un court-métrage exceptionnel youtube.com/watch?v=-tzmls4gTgQ

Il s’agit du premier film de l’histoire du cinĂ©ma qui associe son et image couleur. RĂ©alisĂ© par ClĂ©ment Maurice lors de l’Exposition universelle de 1900, ce document redonne vie Ă  Coquelin le temps d’une tirade, « la ballade du duel », qui servit Ă  la premiĂšre expĂ©rimentation du Phono-CinĂ©ma-ThĂ©Ăątre.

1.2.1.3. À l’origine du personnage

L'intĂ©rĂȘt d'Edmond Rostand pour la pĂ©riode de Louis XIII date de ses Ă©tudes. D'aprĂšs sa femme Rosemonde GĂ©rard, il Ă©tait fascinĂ© depuis longtemps par le personnage historique de Savinien Cyrano de Bergerac mais l'idĂ©e lui vient d'en faire un personnage de thĂ©Ăątre lorsqu'il l'associe Ă  un Ă©pisode de sa propre vie oĂč, pour aider un ami Ă  sĂ©duire une jeune snob, il l'aide Ă  trouver les phrases susceptibles de produire l'effet voulu. Il connaissait parfaitement l'oeuvre de Cyrano et avait lu ses biographies mais il sut s'en dĂ©tacher pour crĂ©er un personnage hĂ©roĂŻque et consensuel. La difformitĂ© du personnage lui est inspirĂ©e d'une part par l'oeuvre de ThĂ©ophile Gautier, Les Grotesques, qui, fascinĂ© par la grosseur du nez de Cyrano, observĂ©e sur un tableau, contribua Ă  crĂ©er cette lĂ©gende; d'autre part par un maĂźtre d'Ă©tude, surnommĂ© Pif-Luisant, auquel il consacre d'ailleurs le poĂšme VIII des Musardises.

Libre penseur, pĂšre de la science-fiction française, auteur dramatique qui inspira MoliĂšre, Cyrano n’était pas gascon, mais parisien sa vie n’est pas l’histoire d’un « handicap » nasal, ni celle d’un amour malheureux. Mais il fit bien la guerre pour le roi de France, fut cĂ©lĂšbre pour ses coups de plume et d’épĂ©e, et manifestait une farouche indĂ©pendance d’esprit.

Si le personnage de Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) est cĂ©lĂšbre, son oeuvre et sa vie sont cependant peu connues : les zones d’ombre abondent dans l’histoire de sa vie.

1.2.2. L’amour par procuration 1.2.2.1. Cyrano romantique

Cyrano incarne par excellence le hĂ©ros romantique : condamnĂ© par son apparence physique, il prend une dimension sublime lorsqu’il se dĂ©passe pour le bien de Roxane, la belle jeune femme dont il est Ă©pris depuis son plus jeune Ăąge. Il alliera sens du sacrifice et bravoure en protĂ©geant son rival sur le champ de bataille d’Arras et en acceptant que ses propres dĂ©clarations d’amour soient signĂ©es du nom de Christian de Neuvillette.

Mettre en voix de maniĂšre symĂ©trique deux scĂšnes qui se rĂ©pondent : Cyrano avoue son malheur d’aimer une femme qui ne posera jamais le regard sur lui du fait de sa laideur ; Christian redoute que Roxane ne se dĂ©tourne de lui, car peu habile Ă  « parler d’amour ». En quoi la situation de Cyrano est-elle tragique ? En quoi touche-t-elle au sublime ?

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Extrait 1. Acte I, scĂšne 5 de « Cyrano : J’aime » Ă  « Le Bret : Tu pleures ? » Extrait 2. Acte II, scĂšne 10 de « Christian : M’aime t-elle ? » Ă  « Christian : Tu me fais peur »

« Dis veux-tu qu’à nous deux nous la sĂ©duisions ? » (Acte II, scĂšne 10) C’est en ces termes que Cyrano propose Ă  Christian un pacte quasi diabolique : il mettra sa plume et sa sensibilitĂ© de poĂšte au service de son jeune rival afin de pouvoir exprimer son amour Ă  Roxane, la belle prĂ©cieuse du Marais. Le matamore du verbe qui sait avec panache rabaisser le caquet des railleurs de la cour dĂ©voile, lorsque le masque tombe, une Ăąme sensible et dĂ©sespĂ©rĂ©e. Aimant dans l’ombre, il devient un double de Christian, se liant Ă  jamais Ă  ce rival. Le nĂ©o-romantisme de la piĂšce rĂ©side dans cette relation triangulaire Ă  la fois pathĂ©tique et sublime Ă©tablie entre Cyrano, Christian et Roxane. Le bonheur de Roxane a un prix : celui du sacrifice de Cyrano qui offre Ă  son rival les mots qui rendront heureuse la femme qu’il aime, mais qui l’écarteront Ă  jamais de lui. Ce faisant, Edmond Rostand s’éloigne des « rĂ©cifs de laideur rĂ©aliste » (termes de Rosemonde GĂ©rard) dominant Ă  l’époque de la rĂ©daction de la piĂšce.

Mettre en espace le dĂ©but de la scĂšne du balcon. Comment rendre visible par le jeu et les dĂ©placements du comĂ©dien, le caractĂšre ambivalent de cette scĂšne ? Quelles peuvent ĂȘtre les difficultĂ©s du comĂ©dien qui incarne Cyrano dans la prise en charge de ce passage ?

Acte III, scĂšne 7 : du dĂ©but Ă  « si nouveau ? ». Ce passage est Ă  la fois comique et tragique. L’expression d’un amour sincĂšre se conjugue avec une situation cocasse par le jeu de substitution des rĂŽles. Cyrano se transformera vite en victime de son propre pacte puisque c’est Christian qui recueillera le baiser de la belle Roxane. Il devient tĂ©moin d’un « festin d’amour dont [il est] le lazare ». Cette scĂšne n’est pas sans rappeler la fameuse scĂšne du balcon entre RomĂ©o et Juliette. En quoi cette rĂ©fĂ©rence renforce-t-elle le caractĂšre pathĂ©tique de la situation ?

1.2.2.2. Le couple Roxanne et Christian

Voici deux extraits choisis qui permettent d’approcher le couple de jeunes amoureux par ce qu’ils disent d’eux-mĂȘmes.

Christian Acte III scĂšne 4

CHRISTIAN Non, te dis-je ! Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours, Et de jouer ce rĂŽle, et de trembler toujours !... C'Ă©tait bon au dĂ©but ! Mais je sens qu'elle m'aime ! Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-mĂȘme.

CYRANO Ouais !

CHRISTIAN Et qui te dit que je ne saurai pas ?... Je ne suis pas si bĂȘte Ă  la fin ! Tu verras ! Mais, mon cher, tes leçons m'ont Ă©tĂ© profitables. Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables, Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !... Apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire. C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !

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Roxane Acte IV, scĂšne 8

ROXANE Tant pis pour vous si je cours ces dangers ! Ce sont vos lettres qui m'ont grisée ! Ah ! songez Combien depuis un mois vous m'en avez écrites, Et plus belles toujours !

CHRISTIAN Quoi ! Pour quelques petites lettres d’amour... ROXANE Tais-toi !... Tu ne peux pas savoir ! Mon Dieu, je t'adorais, c'est vrai, depuis qu'un soir, D'une voix que je t'ignorais, sous ma fenĂȘtre, Ton Ăąme commença de se faire connaĂźtre
 Eh bien ! tes lettres, c'est, vois-tu, depuis un mois, Comme si tout le temps, je l'entendais, ta voix De ce soir-lĂ , si tendre, et qui vous enveloppe ! Tant pis pour toi, j'accours. La sage PĂ©nĂ©lope Ne fĂ»t pas demeurĂ©e Ă  broder sous son toit, Si le Seigneur Ulysse eĂ»t Ă©crit comme toi, Mais pour le joindre, elle eĂ»t, aussi folle qu’HĂ©lĂšne, EnvoyĂ© promener ses pelotons de laine !


CHRISTIAN Mais


ROXANE Je lisais, je relisais, je défaillais, J'étais à toi. Chacun de ces petits feuillets Etait comme un pétale envolé de ton ùme. On sent à chaque mot de ces lettres de flamme L'amour puissant, sincÚre...

Pour aller plus loin, inviter les élÚves à faire une recherche sur les précieuses au XVIIe siÚcle. Qui est la belle Roxane ?

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En rĂ©action Ă  la cour d’Henri IV, oĂč les courtisans sont, Ă  l’image de leur roi, grossiers et grivois, les amateurs de beau langage et de politesse raffinĂ©e se rassemblent autour de la marquise de Rambouillet pour faire admirer les costumes riches de rubans et de plumes qui sont au goĂ»t du jour, pour parler galanterie et coquetterie dans un langage qui devient rapidement incomprĂ©hensible, tellement il est mĂ©taphorique. Ils deviendront, Ă  partir de 1630, les habituĂ©s des salons. Leur volontĂ© d’épuration des moeurs, de la vie amoureuse et du langage caractĂ©risera d’ailleurs toute l’histoire des salons et de la prĂ©ciositĂ©.

Ces salons aux ruelles ornĂ©es de beaux tissus bleus et verts, tenus par de grandes dames, sont le rendez-vous mondain de Paris tout au long du XVIIe siĂšcle et leur rĂŽle est fort important. Ils ont d’abord une fonction sociale : non seulement les grands (et moins grands) esprits s’y rencontrent, ce qui permettra un essor de la pensĂ©e et des sciences, mais on y dĂ©veloppe une Ă©tiquette qui permettra Ă  celle de la cour de Versailles de naĂźtre. On y dĂ©veloppe aussi les modes vestimentaires. Plus sĂ©rieusement, on y discute des grands problĂšmes de l’heure et de la place de la femme dans la sociĂ©tĂ© (un vĂ©ritable mouvement fĂ©ministe s’y dessine).

Les salons ont aussi une fonction littĂ©raire : on privilĂ©gie les questions littĂ©raires lors des rĂ©unions qui s’y tiennent – on y pratique l’art de la conversation, le jeu d’esprit, on y fait des concours de poĂ©sie et des Ă©crivains y font parfois la lecture de leurs oeuvres nouvelles. Les salons ont donc eu une influence notable sur la langue française.

À partir de ces salons fĂ©minins se dĂ©veloppe un phĂ©nomĂšne, entre 1650 et 1660, qu’on a appelĂ© la prĂ©ciositĂ©. La prĂ©ciositĂ©, c’est avant tout un mouvement issu de l’effort d’une Ă©lite pour se distinguer du « commun ». L’esprit prĂ©cieux se manifeste d’abord par la prĂ©ciositĂ© des maniĂšres, qui se marque par la recherche de l’élĂ©gance dans le costume et par des usages raffinĂ©s qui ne vont pas toujours sans extravagance. Il se manifeste aussi par la prĂ©ciositĂ© des sentiments, recherche, souvent excessive, de la dĂ©licatesse des sentiments. On reconnaĂźt enfin la prĂ©ciositĂ© du goĂ»t, qui paraĂźt Ă  travers la recherche d’une formulation singuliĂšre au dĂ©triment des idĂ©es – on reconnaĂźt gĂ©nĂ©ralement que, malgrĂ© l’excĂšs incontestable des prĂ©cieuses souvent tributaire de l’esprit baroque, elles ont nĂ©anmoins contribuĂ© Ă  donner au classicisme la langue pure et prĂ©cise qui permettra de dĂ©velopper toutes les finesses de l’analyse psychologique.

1.2.2.2. Les autres personnages

Proposer aux Ă©lĂšves de lire et d’analyser la liste des personnages prĂ©sentĂ©e dans l’oeuvre d’Edmond Rostand et comparer cette liste Ă  la distribution du spectacle. Dans quel ordre les personnages sont-ils prĂ©sentĂ©s ? Quelles conclusions peut-on tirer de cette comparaison (ANNEXE 3) ?

La piĂšce Ă©crite par Rostand prĂ©voit la prĂ©sence d’une cinquantaine de personnages sur scĂšne. Ces personnages Ă©taient incarnĂ©s lors de la premiĂšre reprĂ©sentation par de nombreux figurants. La foule et le mouvement sur scĂšne Ă©taient chargĂ©s de donner Ă  voir un Ă©chantillon de toute l’humanitĂ©, toutes catĂ©gories sociales confondues. On remarquera que le nom des personnages masculins (personnages secondaires compris) apparaĂźt avant celui des personnages fĂ©minins. La tradition ne cherchait pas en effet Ă  hiĂ©rarchiser les personnages par ordre d’importance ou d’apparition comme on le fait couramment de nos jours. Par ailleurs, on constatera que la distribution fait jouer plusieurs personnages par le mĂȘme acteur. On fera remarquer aux Ă©lĂšves que les partis pris esthĂ©tiques de sobriĂ©tĂ© et les contraintes Ă©conomiques sont nĂ©cessairement Ă  l’origine d’un tel choix dans le cadre d’une production.

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1.3. Activité / Portrait

Quelle reprĂ©sentation vous faites-vous du personnage de Cyrano de Bergerac ? Qui est-il et quelle est son histoire ? À partir des ressources vues prĂ©cĂ©demment, ou de recherches complĂ©mentaires, ou encore de perceptions collectives,
 Ă©tablissez Ă  votre maniĂšre, un portrait du personnage de Cyrano.

Ce portrait pourrait ĂȘtre rĂ©digĂ©, prĂ©sentĂ© oralement, ou encore illustrĂ©.

Partagez-nous le rĂ©sultat de vos travaux ! Nous pourrons alors les relayer Ă  l’équipe qui a crĂ©Ă© le spectacle. >>> [email protected]

10 questions en vrac pour vous guider :

Qui est-il ?

Que cherche-t-il ?

Est-il heureux ?

Est-il apprécié ?

Qui aime-t-il ?

Qui déteste-t-il ?

Combat-t-il ?

Que ressent-il ?

OĂč vit-il ?

Qui aide-t-il ?

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Page 12: Cyrano de Bergerac - atjv.be

Séquence 2 / Une comédie héroïque

2.1. Contextualisation

Cette seconde sĂ©quence a pour objectif d’aborder l’univers associĂ© au spectacle, les caractĂ©ristiques de la comĂ©die hĂ©roĂŻque, et par extension du type de langage et de jeu. À noter que, dĂ©jĂ  dans la premiĂšre sĂ©quence, via notamment les extraits, l’univers de la piĂšce saute aux yeux puisqu’elle est totalement liĂ©e Ă  son personnage principal, Cyrano.

L’activitĂ© proposĂ©e peut se faire aussi bien en aval qu’en amont de la reprĂ©sentation, les ressources peuvent aussi ĂȘtre abordĂ©es comme introduction Ă  la rencontre avec le spectacle.

Cette sĂ©quence vous donne Ă©galement quelques repĂšres sur le retentissement de l’oeuvre d’Edmond Rostand.

2.2. Ressources

Le triomphe de Cyrano de Bergerac en 1897 rĂ©side dans l’audace de son jeune auteur de 29 ans, Edmond Rostand. En pleine Belle Époque, juste aprĂšs la dĂ©faite de 1870, alors que naturalisme et symbolisme font rage sur les planches, Rostand navigue Ă  contre-courant : il Ă©crit une oeuvre nĂ©o-romantique de 2 600 vers qui mĂȘle grotesque et sublime, mettant en scĂšne un personnage inspirĂ© du libertin du XVIIe siĂšcle, Savinien Cyrano de Bergerac, et qui Ă©meut son public « jusques aux larmes ». Le succĂšs est immĂ©diat : lors de la premiĂšre reprĂ©sentation, la salle reste debout Ă  applaudir pendant plus de vingt minutes, quarante rappels acclament les comĂ©diens et Rostand est immĂ©diatement dĂ©corĂ© de la LĂ©gion

d’honneur en coulisses par le ministre des Finances alors prĂ©sent. À lui seul, Cyrano incarne les illusions de la passion amoureuse, l’hĂ©roĂŻsme patriotique d’un valeureux mousquetaire gascon au service de Louis XIII, le panache inĂ©galable d’un poĂšte hors du commun victime de sa laideur.

2.2.1. résumé court

Cyrano de Bergerac est, en dĂ©pit de la laideur difforme que lui vaut son grand nez, un vaillant manieur d’épĂ©e et de mots (acte I). Dans la rĂŽtisserie de Ragueneau, sa cousine, la prĂ©cieuse Roxane dont i l est secrĂštement amoureux, lui rĂ©vĂšle qu’elle aime Christian (acte II). Ce jeune noble, Ă  qui rien ne manque sauf l’éloquence amoureuse, demande Ă  Cyrano de l’aider Ă  conquĂ©rir le jeune femme sensible aux belles tournures en lui soufflant des vers amoureux (acte III). La belle est Ă©prise, mais au siĂšge d’Arras, Christian meurt et demande Ă  Cyrano de tout rĂ©vĂ©ler Ă  Roxane (acte IV), ce qu’il refusera de faire mĂȘme de longues annĂ©es plus tard (acte V).

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2.2.2. Edmond Rostand

AprĂšs avoir Ă©crit deux piĂšces pour Sarah Bernhardt (La Princesse lointaine en 1895 et La Samaritaine en 1897), Edmond Rostand Ă©crit Cyrano de Bergerac, « comĂ©die hĂ©roĂŻque en cinq actes et en vers », Ă  la demande de l’ancien sociĂ©taire de la ComĂ©die-Française Coquelin aĂźnĂ©. DĂšs sa premiĂšre reprĂ©sentation au ThĂ©Ăątre de la Porte-Saint-Martin le 28 dĂ©cembre 1897, cette comĂ©die connaĂźtra un succĂšs fulgurant et Ă©clipsera le reste de l’oeuvre de Rostand pour devenir la piĂšce sans doute la plus cĂ©lĂšbre du thĂ©Ăątre français. Cette premiĂšre reprĂ©sentation est triomphale. Il crĂ©era ensuite L’Aiglon en 1900, nouveau succĂšs avec Sarah Bernhardt, entrera Ă  l’AcadĂ©mie française en 1901 puis fera jouer en 1910 une « fable symbolique » dont les personnages sont des animaux de basse cour : Chanteclerc, qui aura nettement moins de succĂšs que les piĂšces prĂ©cĂ©dentes.

2.2.3. De cape, d’épĂ©e et de verve Interroger les Ă©lĂšves sur ce qu’ils savent des mousquetaires et des films de cape et d’épĂ©e.

La comedia de capa y espada nĂ©e en Espagne au XVIIĂšme siĂšcle, riche en pĂ©ripĂ©ties et aventures donna naissance au XIXĂšme siĂšcle Ă  un nouveau genre, le roman historique publiĂ© en feuilletons dans lequel les scĂšnes de combat et de duel font rage. Dumas et Rostand immortalisĂšrent pour leur part les mousquetaires dont les noms de Cyrano, d’Artagnan, Athos, Portos et Aramis restĂšrent les plus cĂ©lĂšbres. Appartenant au rĂ©giment des cadets de Gascogne – rĂ©giment fondĂ© par Louis XIII accueillant des jeunes gens de grandes familles gĂ©nĂ©ralement destinĂ©s Ă  la fonction militaire – ces figures font revivre les moments troubles de la Fronde Ă  travers une trajectoire pleine d’aventures. À l’aube du XXĂšme siĂšcle, c’est le 4

cinĂ©ma qui s’emparera durablement de ce genre. L’audace d’Edmond Rostand rĂ©side dans son choix de mettre en scĂšne une Ă©poque rĂ©volue et idĂ©alisĂ©e par la population, celle qui vit mourir Louis XIII et qui cĂ©lĂ©bra la naissance de Louis XIV . 5 6

Inviter les Ă©lĂšves Ă  mettre en scĂšne le fameux passage oĂč Cyrano conjugue escrime et poĂ©sie, Ă  la suite de la tirade du nez. Comment mouvement et parole se rĂ©pondent-ils ? Quelles compĂ©tences le mariage de la joute verbale et du jeu d’armes requiert-il ? Quel est le rĂŽle de la foule qui entoure les deux duellistes ? Comment la prĂ©sence du groupe sert-elle l’esthĂ©tique propre Ă  l’univers « de cape et d’épĂ©e » ?

Cette fameuse scĂšne exige, pour ĂȘtre rĂ©ussie, que le comĂ©dien parvienne Ă  rĂ©unir des compĂ©tences variĂ©es : ĂȘtre capable d’occuper tout l’espace en rendant le combat spectaculaire, ĂȘtre capable de maĂźtriser son souffle et sa diction de l’alexandrin en exĂ©cutant des mouvements qui gĂ©nĂ©ralement fatiguent, tout en restant visible aux yeux du public. Par ailleurs, on notera Ă  quel point Cyrano maĂźtrise Ă  la fois le verbe et le combat. En poĂšte virtuose, il s’impose aux yeux du public comme un mousquetaire exceptionnel. Il est fin poĂšte et fin bretteur.

La Fronde (1648-1653), parfois appelée guerre des Lorrains, est une période de troubles graves qui frappent le 4

royaume de France alors en pleine guerre avec l'Espagne (1635-1659), pendant la minorité du roi Louis XIV (1643-1656).

rĂšgne de 1610 Ă  1643. 5

Le Roi-Soleil rĂšgne de 1643 Ă  1715. Il monte sur le trĂŽne quelques mois avant son cinquiĂšme anniversaire. Son 6

rùgne de 72 ans est l’un des plus longs de l'histoire d'Europe, et le plus long de l'Histoire de France. 12

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2.2.4. À la croisĂ©e des genres littĂ©raires

Cyrano de Bergerac est une piÚce en 5 actes écrite presque entiÚrement en alexandrins. Edmond Rostand la qualifie de comédie héroïque mais les analystes y reconnaissent de nombreuses influences dont la principale est le théùtre romantique ou néo-romantique.

De la comédie héroïque, la piÚce possÚde son sens de l'épique et la description d'un héros dont la vie s'organise autour de l'amour et de l'honneur. Maurice Rostand y voit une oeuvre qui exalte les valeurs de l'héroïsme et qui donne à tous le 7

« courage d'ĂȘtre des hĂ©ros ».

La comĂ©die hĂ©roĂŻque est un genre intermĂ©diaire entre la tragĂ©die et la comĂ©die. Parfois difficile Ă  distinguer de la tragi-comĂ©die, la comĂ©die hĂ©roĂŻque met aux prises des personnages de haut rang dans une action amoureuse au dĂ©nouement heureux, puisqu'« on n'y voit naĂźtre aucun pĂ©ril par qui nous puissions ĂȘtre portĂ©s Ă  la pitiĂ© ou Ă  la crainte » (Corneille, PrĂ©face de Don Sanche d'Aragon, 1649). ImportĂ©e de la comedia espagnole par Rotrou, la comĂ©die hĂ©roĂŻque devint un genre nouveau en France avec Corneille et en Angleterre avec Dryden (The Conquest of Granada, 1669). L'hĂ©roĂŻque, dans la comĂ©die, se manifeste par des personnages de haut rang, un ton et un style Ă©levĂ©s, la noblesse des sentiments et des actions, un certain exotisme des lieux et des personnages.

Du romantisme, elle possĂšde les caractĂ©ristiques du mĂ©lange des genres et des registres : on y cĂŽtoie la farce et ses coups de pied, les scĂšnes d'amour et le pathĂ©tique. La langue alterne entre le registre noble et le registre familier. L'alexandrin se dĂ©veloppe sous sa forme classique dans la tirade du nez ou celle des « Non merci Â» ou dans des rĂ©pliques oĂč le vers se dĂ©sintĂšgre. On passe brutalement de la scĂšne intimiste (duo de l'acte II scĂšne 6, trio de l'acte III scĂšne 7, le couvent ...) aux grandes rĂ©unions collectives (l'hĂŽtel de Bourgogne, la rĂŽtisserie de Ragueneau, le siĂšge d'Arras).

De la tragédie classique, la piÚce conserve son découpage en 5 actes et un style qui rappelle parfois Corneille mais elle s'en démarque par son refus des rÚgles classiques : il n'existe ni unité de lieu, ni unité de temps. L'unité d'action est toutefois respectée. Quant à la bienséance, elle est bafouée par la présentation d'un duel et la mort de Cyrano sur scÚne.

Certains y voit un manifeste de la néo-préciosité en remarquant que le refus des choses vulgaires et l'amour pur y triomphent (en effet, dans la piÚce, Cyrano, Roxane et Christian demeurent vierges).

2.2.5. Costumes

De toute Ă©vidence, lorsque l’on parle de Cyrano, on imagine un espace peuplĂ© de capes et d’épĂ©es. La mise en scĂšne de Thierry Debroux ne surprendra pas les Ă©lĂšves dans son choix de faire apparaĂźtre des costumes « d’époque ». Sans nĂ©cessairement rĂ©vĂ©ler par avance ce choix aux Ă©lĂšves, on leur proposera de se crĂ©er un univers imaginaire fondĂ© sur une conception historiciste du costume.

Amener les Ă©lĂšves Ă  rĂ©flĂ©chir sur les formes et fonctions du costume Ă  travers un exercice concret : comment le metteur en scĂšne peut-il choisir de costumer ses personnages masculins ? À partir des donnĂ©es proposĂ©es en ANNEXE 4, faire un projet de costume en rĂ©flĂ©chissant sur la forme et la couleur.

Maurice Rostand, (1891-1968) Fils aßné de l'écrivain Edmond Rostand et de la poétesse Rosemonde Gérard, 7

poÚte, romancier et auteur dramatique français. 13

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2.3. Activité / bande-annonce

Recueillir les premiĂšres impressions des Ă©lĂšves sur le spectacle en leur demandant de recenser les moments qui leur ont semblĂ© les plus rĂ©ussis. À partir de ces suggestions, leur proposer, par groupes, de mettre en scĂšne une bande-annonce thĂ©ĂątralisĂ©e qui prĂ©sente les moments clĂ©s du spectacle.

Cet exercice a pour objectif de faire rĂ©flĂ©chir les Ă©lĂšves sur la mĂ©moire collective du spectacle. En quoi les bandes-annonces se rejoignent-elles ou diffĂšrent-elles ? Quels sont les moments de l’action qui ont le plus marquĂ© les mĂ©moires ? Pourquoi certaines scĂšnes leur ont-elles semblĂ© particuliĂšrement rĂ©ussies ? Leurs bandes-annonces intĂšgrent-elles le jeu de certains comĂ©diens ? Si tel est le cas, en quoi certains dĂ©placements ou certaines attitudes des comĂ©diens sont-ils reprĂ©sentatifs de l’esthĂ©tique gĂ©nĂ©rale de la piĂšce ?

Il pourrait ĂȘtre tout aussi intĂ©ressant de crĂ©er une bande-annonce avant d’avoir Ă©tĂ© spectateur. La lecture du texte, ou de quelques extraits, et les ressources prĂ©citĂ©es seront utiles. Les bande-annonces exprimeront alors une certaine attente, qui sera ensuite Ă  confronter avec la rencontre du spectacle.

Pour inspiration visionnez les bande-annonces de Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau et Jean-Claude CarriĂšre (1990) ou encore de Edmond d’Alexis Michalik (2019). Il y raconte la crĂ©ation improbable de ce mythe du rĂ©pertoire français.

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Séquence 3 / Cyrano et théùtre

3.1. Contextualisation

Le hĂ©ros, alternant panache et mĂ©lancolie, traverse des espaces qui se mĂ©tamorphosent. C’est toute la magie du thĂ©Ăątre qui se dĂ©ploie sous les yeux du spectateur. Émerveillement, renouvelĂ© Ă  chaque acte par les changements de dĂ©cors, la piĂšce, avant toute chose, nous parle de thĂ©Ăątre.

Cette derniĂšre sĂ©quence considĂšre l’oeuvre et le spectacle comme un hommage au thĂ©Ăątre. Les Ă©lĂšves y seront sensibilisĂ©, et finiront par Ă©mettre leur propre vision d’une mise en scĂšne.

3.1. Ressources

3.2.1. Le théùtre dans le théùtre

Rostand fait l’éloge du thĂ©Ăątre et de l’art des acteurs dans Cyrano de Bergerac. Le personnage principal, au-delĂ  des caractĂ©ristiques qu’on lui connaĂźt (Ă©loquence et ardeur guerriĂšre, sagesse de philosophe et orgueil excessif, sentimentalisme et abnĂ©gation) est avant tout un ĂȘtre de thĂ©Ăątre, tout entier fait de mots et de gestes, et tout Ă  la fois acteur et metteur en scĂšne. La piĂšce opĂšre une mise en abĂźme constante. « La tirade du nez peut se lire comme une leçon de thĂ©Ăątre : Cyrano apostrophe Valvert comme un professeur arrĂȘte un Ă©lĂšve comĂ©dien pour lui donner des indications. La plupart des personnages de la piĂšce sont en mĂȘme temps des acteurs – Cyrano, Roxane – ou des amoureux du thĂ©Ăątre ou de la littĂ©rature – De Guiche, Ragueneau. Quelques-uns le refusent : Le Bret, et surtout Christian. » L’enjeu de la scĂšne du balcon est aussi de faire accepter Ă  Christian ce thĂ©Ăątre auquel il 8

refuse d’appartenir : Cyrano lui souffle les mots comme Ă  un acteur dĂ©butant, pour le plus grand plaisir de Roxane et du public. La figure de l’acteur est ainsi au centre du spectacle. On se souvient d’ailleurs que la piĂšce commence Ă  l’HĂŽtel de Bourgogne oĂč Cyrano interrompt une pastorale dans laquelle joue Montfleury, cĂ©lĂšbre acteur du XVIIĂšme siĂšcle, opposant d’emblĂ©e son verbe vivant aux tirades ridicules d’une forme thĂ©Ăątrale dĂ©passĂ©e.

Le procĂ©dĂ© du thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre est trĂšs en vogue dans le thĂ©Ăątre du XVIIĂšme siĂšcle. Cette technique dramatique consistant Ă  inclure un spectacle dans un autre spectacle est utilisĂ©e par de nombreux auteurs tels que ScudĂ©ry, Rotrou, Pierre et Thomas de Corneille, MoliĂšre. Cyrano lui-mĂȘme utilise ce procĂ©dĂ© dans Le PĂ©dant jouĂ©. En Angleterre, Shakespeare l’exploite dans de nombreuses piĂšces, comĂ©dies ou tragĂ©dies (La Nuit des rois, le songe d’une nuit d’étĂ©, Hamlet,
). Le premier acte du Cyrano de Rostand, en reproduisant sur scĂšne le thĂ©Ăątre et la salle de l’HĂŽtel de Bourgogne, plonge les spectateurs dans une autre piĂšce, La Clorise, une pastorale de Balthazar Baro. L’originalitĂ© du Cyrano de Rostand est que son hĂ©ros interrompt la reprĂ©sentation de La Clorise et offre aux spectateurs un autre spectacle. Il se thĂ©Ăątralise lui-mĂȘme, occupe tout l’espace, se met en scĂšne Ă  tous moments. Il est acteur de sa propre lĂ©gende qui se construit sous les yeux du spectateur.

3.2.2. Le théùtre du XVIIÚme siÚcle vu par Edmond Rostand

Dans le premier acte de Cyrano, Rostand dresse un tableau de la vie thĂ©Ăątrale au XVIIĂšme siĂšcle. Les sept premiĂšres scĂšnes se dĂ©roulent Ă  l’HĂŽtel de Bourgogne, premier thĂ©Ăątre rĂ©gulier de Paris dĂšs la fin du XVIĂšme siĂšcle. Cette salle, au dĂ©but du XVIIĂšme siĂšcle, a trĂšs

Denis PodalydÚs, metteur en scÚne de Cyrano de Bergerac à la Comédie française en 20178

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mauvaise rĂ©putation. La scĂšne 1 de l’acte I montre ainsi que le public qui la frĂ©quente est particuliĂšrement hĂ©tĂ©roclite. La canaille a coutume de s’y retrouver et il est frĂ©quent d’y croiser le fer, mĂȘme si en 1635 le port d’armes est interdit au thĂ©Ăątre. Montfleury, mentionnĂ© dans la piĂšce, faisait effectivement partie de la troupe de Bellerose, installĂ©e Ă  l’HĂŽtel de Bourgogne depuis 1622. L’aversion de Cyrano pour Montfleury Ă©tait bien rĂ©elle : une de ses nombreuses Lettres Satiriques, intitulĂ©e « Contre un gros homme » est en effet adressĂ©e au comĂ©dien. Il y est dit que Montfleury, en raison de sa corpulence excessive, devait se cercler le ventre de fer avant d’entrer en scĂšne. Rostand, dans son tableau de l’HĂŽtel de Bourgogne, mentionne Ă©galement le petit personnel attachĂ© Ă  la vie du thĂ©Ăątre : le Portier, les Violons, la Distributrice ou l’Allumeur de chandelles. Le personnage du Portier et le rĂ©cit de ses dĂ©mĂȘlĂ©s avec les « Mauvais payeurs » Ă  l’entrĂ©e du thĂ©Ăątre sont aussi tout Ă  fait rĂ©alistes.

Dans le premier acte de Cyrano, on trouve une quarantaine d’intervenants auxquels s’ajoute une foule d’autres personnages composant le public. Rostand Ă©voque quelques membres de l’AcadĂ©mie Française venus assister Ă  la reprĂ©sentation. Il s’agit de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration des AcadĂ©miciens. Certains spectateurs appartiennent Ă  la bonne sociĂ©tĂ©, tel Antoine de Gramont, Comte de Guiche, neveu de Richelieu et marĂ©chal de France en 1641. Celui-ci, en compagnie des marquis et autres hommes de qualitĂ©, s’installe sur un siĂšge placĂ© aux extrĂ©mitĂ©s de la scĂšne pour assister au spectacle, ce qui Ă©tait alors la coutume. Les dames nommĂ©es appartiennent aux salons aristocratiques et littĂ©raires de l’époque (notamment celui de Rambouillet). Ces prĂ©cieuses se faisaient souvent donner des surnoms, tels BarthĂ©noĂŻde, Cassandre ou Felixerie. Le personnage de Roxane est le fruit du mĂ©lange entre Madeleine Robineau, la cousine de Cyrano, et Marie Robineau (a priori sans parentĂ© avec la premiĂšre) connue dans le monde sous le nom de Roxane.

3.2.3. Une scĂ©nographie Ă  la hauteur de l’oeuvre.

3.2.3.1. DĂ©cor

L’action, dans Cyrano de Bergerac, se dĂ©roule en de nombreux endroits. Tout d’abord dans l’hĂŽtel de Bourgogne (thĂ©Ăątre ayant abritĂ©, au XVIIe siĂšcle, les ComĂ©diens du roi). Puis dans la boutique de Ragueneau, la rĂŽtisserie des poĂštes, oĂč le rĂŽtisseur-pĂątissier Ragueneau dirige les travaux de ses cuisiniers tout en Ă©crivant des vers. Ensuite devant le balcon de Roxane oĂč Cyrano et Christian parleront d’amour Ă  celle-ci. AprĂšs, dans le camp d’Arras oĂč le rĂ©giment de Cyrano assiĂ©gera la ville. Enfin, le parc du couvent parisien des Dames de la Croix oĂč Roxane s’est retirĂ©e. Il semble que tous ces endroits se situent Ă  Paris, exceptĂ© le camp d’Arras qui se situe dans le nord de la France. La premiĂšre partie (les quatre premiers actes) s’étend entre le 3 juin et le 9 aoĂ»t 1640, laps de temps durant lequel se dĂ©roula le siĂšge d’Arras auquel participe Cyrano de Bergerac dans ce rĂ©cit et auquel le vĂ©ritable Cyrano de Bergerac, dont Rostand s'est inspirĂ©, participa Ă©galement. La seconde partie a lieu « 15 ans aprĂšs le siĂšge d’Arras, en 1655 » dans un cinquiĂšme acte qui marquera la fin de la piĂšce avec la mort de Cyrano.

RĂ©flĂ©chir Ă  la maniĂšre dont les dĂ©cors s’enchaĂźnent d’un acte Ă  l’autre. Comment passer d’une scĂšne d’intĂ©rieur Ă  une scĂšne d’extĂ©rieur ? Sur combien d’annĂ©es la piĂšce se dĂ©roule-t-elle ?

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Analyser les longues didascalies qui ouvrent chaque acte et répondre aux questions proposées ci-dessous :

Acte I / 1640 L’acte se dĂ©roule dans un thĂ©Ăątre, Ă  l’hĂŽtel de Bourgogne. Questions sur les didascalies initiales Espace intĂ©rieur. Comment reprĂ©senter le thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre ? La scĂšne se joue en 1640 : recherche sur l’architecture et l’espace de reprĂ©sentation Ă  cette Ă©poque.

Acte II Dans la boutique de Ragueneau, rĂŽtisseur pĂątissier.

Espace intĂ©rieur. Faire la liste des accessoires. MĂȘme si Edmond Rostand s’éloigne dans Cyrano de Bergerac des modĂšles littĂ©raires de son Ă©poque en donnant vie Ă  une oeuvre nĂ©o-romantique, il n’en est pas moins influencĂ© par les nouveautĂ©s en matiĂšre de mise en scĂšne comme l’atteste la longueur de ses didascalies initiales. Rosemonde GĂ©rard, Ă©pouse de Rostand, relate dans une biographie consacrĂ©e Ă  son mari qu’elle Ă©tait allĂ©e acheter saucissons et pĂątĂ©s pour remplacer les victuailles de carton et pour donner Ă  la rĂŽtisserie du deuxiĂšme acte « l’air d’ĂȘtre plus vivante ». On pourra demander aux Ă©lĂšves comment ils envisagent de recrĂ©er cette atmosphĂšre de rĂŽtisserie-pĂątisserie et d’abondance sur scĂšne.

Acte III Sur une petite place de l’ancien Marais.

Espace extĂ©rieur. DĂ©cor urbain : la place d’une ville. OĂč se trouve l’ancien Marais ? Pourquoi Roxane habite-t-elle le Marais ?

Acte IV Un champ de bataille : le poste de combat des Gascons durant le siùge d’Arras.

Espace extérieur. La campagne : comment la figurer sur scÚne ? Comment représenter un champ de bataille sur scÚne ?

Acte V / 1655 Le parc d’un couvent : le couvent des Dames de la Croix à Paris.

Espace extĂ©rieur. Un lieu retirĂ©. Comment passer du champ de bataille au parc d’un couvent ?

À noter que la mise en scĂšne de Thierry Debroux prend le parti de faire dĂ©buter la piĂšce quand Cyrano vient rendre visite Ă  Roxane au couvent. Ils partagent leur souvenir et le reste est un Ă©norme flash-back.

Le soleil n’est pas encore couchĂ© quand un homme Ă  la dĂ©marche incertaine pĂ©nĂštre sur le plateau. Son large chapeau dissimule ses traits et lorsqu’il s’effondre au pied des escaliers, on ne sait trop s’il s’agit d’une maladresse ou d’une mise en scĂšne. L’arrivĂ©e de Roxane Ă©claire la situation. Nous sommes au couvent oĂč la belle s’est rĂ©fugiĂ©e aprĂšs la mort de celui qu’elle aimait, Christian de Neuvilette. Et l’homme au chapeau n’est autre que Cyrano
 En choisissant de commencer par un court extrait du dernier acte, Thierry Debroux assume le cĂŽtĂ© sombre de la piĂšce d’Edmond Rostand. Le temps des illusions est passĂ©. Roxane se morfond au couvent. Depuis 14 ans, Cyrano vient lui rendre visite pour ĂȘtre sa « gazette Â», lui raconter les Ă©vĂ©nements se passant Ă  Paris et ailleurs. Aujourd’hui, pour la premiĂšre fois, il est en retard et Roxane s’en amuse, feint de se vexer
 Un jeu qui les ramĂšne d’un coup Ă  leur passĂ©.

Le Soir - Jean-Marie Wynants 24/07/2019

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AprĂšs avoir vu le spectacle, demander aux Ă©lĂšves de recenser les Ă©lĂ©ments de dĂ©cor des plus visibles aux plus discrets. Comment les diffĂ©rents lieux de l’action imaginĂ©s par Rostand sont-ils reprĂ©sentĂ©s ? Comment pourrait-on qualifier l’esthĂ©tique de ces dĂ©cors ?

3.2.3.2. Faire jouer toute la machine

Quand Cyrano de Bergerac est crĂ©Ă©e en 1897, la fĂ©erie a dĂ©sertĂ© le thĂ©Ăątre et s’apprĂȘte Ă  trouver sur les Ă©crans du cinĂ©ma naissant un terrain de jeu privilĂ©giĂ©. La veine fĂ©Ă©rique dont joue ponctuellement Rostand dans sa comĂ©die hĂ©roĂŻque explique sans doute l’immense succĂšs de sa piĂšce. Il est frappant que le succĂšs de Cyrano soit exactement contemporain des dĂ©buts du cinĂ©ma, jour pour jour, deux ans aprĂšs la premiĂšre sĂ©ance publique organisĂ©e par les frĂšres LumiĂšre au Grand CafĂ©. Le cinĂ©matographe n’a certes pas tuĂ© le thĂ©Ăątre, mais il lui a nĂ©anmoins volĂ© quelque chose, et d’abord le grand public populaire, qui pouvait adhĂ©rer immĂ©diatement au spectacle; il lui empruntait aussi certaines formes spectaculaires, comme le genre qui dominait la scĂšne thĂ©Ăątrale du XIXĂšme siĂšcle, la fĂ©erie. Impossible de ne pas constater qu’elle ressurgit trĂšs vite au cinĂ©ma : c’est tout le propos de MĂ©liĂšs que de reprendre Ă  l’ancienne fĂ©erie ses plaisirs et ses procĂ©dĂ©s. Or, le quatriĂšme acte de Cyrano de Bergerac propose un tableau digne des fĂ©eries les plus cĂ©lĂšbres : la mĂ©tamorphose en nourriture du carrosse de Roxane qui se transforme Ă  vue en mets dĂ©licieux pour l’émerveillement des cadets affamĂ©s : « Les coussins sont remplis d’ortolans ! [...] /Chaque lanterne est un petit garde-manger ! » Et surtout un vers de Ragueneau qui relĂšve du tour de prestidigitation : « Le manche de mon fouet est un saucisson d’Arles ! »

La mise en scÚne livre de grands tableaux qui rappellent les éblouissement des anciennes piÚces à machines. Thierry Debroux, habitué des mises en scÚne inspirées et inventives de grands spectacles populaires a imaginé avec les les scénographes un dispositif trÚs mobile avec cinq univers différents pour les cinq actes, et des éléments scéniques qui arrivent des coulisses. Une véritable machine à jouer.

Lire le passage du carrosse de Roxane, scĂšne 6 de l’acte IV. Comment pourriez-vous imaginer ce carrosse et sa transformation, avec les outils de la machinerie thĂ©Ăątrale ? Cherchez les dĂ©finitions de «  piĂšce Ă  machines  », « machinerie  ». À quelle Ă©poque le thĂ©Ăątre commence-t-il Ă  utiliser les machines ?

« La machinerie est la servante la plus noble du théùtre par son humble soumission aux poÚtes. » (Louis Jouvet, Préface de Pratique pour fabriquer scÚnes et machines de théùtre de Nicola Sabbattini). Quel sens peut-on donner à ce propos ?

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3.3. Activité / Croquis de mise en scÚne

RĂ©partir la classe en cinq groupes et demander Ă  chacun d’entre eux de prendre en charge l’analyse des indications de scĂ©nographie de l’un des cinq actes de la piĂšce. Lister les accessoires et effectuer un croquis de mise en scĂšne possible, Ă  l’aide des ressources prĂ©cĂ©dentes.

Eveiller les Ă©lĂšves au fait que mĂȘme si cette mise en scĂšne s’est inscrite dans la tradition, d’autres artistes balaient toutes les mises en scĂšne de l’oeuvre de Rostand. Et si l’action se situait dans un espace dĂ©pouillĂ© ? Si ce n’était pas un Cyrano de cape et d’épĂ©e ? Quelle pourrait ĂȘtre selon eux, une relecture contemporaine de l’oeuvre ? Et quelles pourraient ĂȘtre ses implications sur une mise en scĂšne ?

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4. Sources

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand - 1898 Cahier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - ThĂ©Ăątre de la Place - 2012 Dossier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - TNB, centre europĂ©en thĂ©Ăątral et chorĂ©graphique - 2013 PiĂšce (dĂ©)montĂ©e, Cyrano de Bergerac - rĂ©seau SCÉRÉN - 2013 Dossier pĂ©dagogique, Cyrano de Bergerac - PathĂ© Live - 2017

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Annexes Annexe 1

Cyrano Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire
 Oh ! Dieu !
 bien des choses en somme
 En variant le ton, – par exemple, tenez : Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! » Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse ! Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! » Descriptif : « C’est un roc !
 c’est un pic !
 c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ?
 C’est une pĂ©ninsule ! » Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ? D’écritoire, monsieur, ou de boĂźte Ă  ciseaux ? » Gracieux : « Aimez-vous Ă  ce point les oiseaux Que paternellement vous vous prĂ©occupĂątes De tendre ce perchoir Ă  leurs petites pattes ? » Truculent : « Çà, monsieur, lorsque vous pĂ©tunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminĂ©e ? » PrĂ©venant : « Gardez-vous, votre tĂȘte entraĂźnĂ©e Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! » Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! » PĂ©dant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane Appelle HippocampelephantocamĂ©los Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! » Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est Ă  la mode ? Pour pendre son chapeau, c’est vraiment trĂšs commode ! » Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral, T’enrhumer tout entier, exceptĂ© le mistral ! » Dramatique : « C’est la Mer Rouge quand il saigne ! » Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! » Lyrique : « Est-ce une conque, ĂȘtes-vous un triton ? » NaĂŻf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? » Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu’on vous salue, C’est lĂ  ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! » Campagnard : « HĂ©, ardĂ© ! C’est-y un nez ? Nanain ! C’est queuqu’navet gĂ©ant ou ben queuqu’melon nain ! » Militaire : « Pointez contre cavalerie ! » Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ? AssurĂ©ment, monsieur, ce sera le gros lot ! » Enfin parodiant Pyrame en un sanglot : « Le voilĂ  donc ce nez qui des traits de son maĂźtre A dĂ©truit l’harmonie ! Il en rougit, le traĂźtre ! » – VoilĂ  ce qu’à peu prĂšs, mon cher, vous m’auriez dit Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit : Mais d’esprit, ĂŽ le plus lamentable des ĂȘtres, Vous n’en eĂ»tes jamais un atome, et de lettres Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot ! Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut Pour pouvoir lĂ , devant ces nobles galeries, Me servir toutes ces folles plaisanteries, Que vous n’en eussiez pas articulĂ© le quart De la moitiĂ© du commencement d’une, car Je me les sers moi-mĂȘme, avec assez de verve, Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve.

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Annexe 2

Cyrano Et que faudrait-il faire ? Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc Et s’en fait un tuteur en lui lĂ©chant l’écorce, Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ? Non, merci. DĂ©dier, comme tous ils le font, Des vers aux financiers ? se changer en bouffon Dans l’espoir vil de voir, aux lĂšvres d’un ministre, NaĂźtre un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? Non, merci. DĂ©jeuner, chaque jour, d’un crapaud ? Avoir un ventre usĂ© par la marche ? une peau Qui plus vite, Ă  l’endroit des genoux, devient sale ? ExĂ©cuter des tours de souplesse dorsale ?
 Non, merci. D’une main flatter la chĂšvre au cou Cependant que, de l’autre, on arrose le chou, Et donneur de sĂ©nĂ© par dĂ©sir de rhubarbe, Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ? Non, merci ! Se pousser de giron en giron, Devenir un petit grand homme dans un rond, Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? Non, merci ! Chez le bon Ă©diteur de Sercy Faire Ă©diter ses vers en payant ? Non, merci ! S’aller faire nommer pape par les conciles Que dans les cabarets tiennent des imbĂ©ciles ? Non, merci ! Travailler Ă  se construire un nom Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non, Merci ! Ne dĂ©couvrir du talent qu’aux mazettes ? Être terrorisĂ© par de vagues gazettes, Et se dire sans cesse : « Oh, pourvu que je sois Dans les petits papiers du Mercure François ? Â»â€Š Non, merci ! Calculer, avoir peur, ĂȘtre blĂȘme, Aimer mieux faire une visite qu’un poĂšme, RĂ©diger des placets, se faire prĂ©senter ? Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais
 chanter, RĂȘver, rire, passer, ĂȘtre seul, ĂȘtre libre, Avoir l’Ɠil qui regarde bien, la voix qui vibre, Mettre, quand il vous plaĂźt, son feutre de travers, Pour un oui, pour un non, se battre, — ou faire un vers ! Travailler sans souci de gloire ou de fortune, À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! N’écrire jamais rien qui de soi ne sortĂźt, Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit, Sois satisfait des fleurs, des fruits, mĂȘme des feuilles, Si c’est dans ton jardin Ă  toi que tu les cueilles ! Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard, Ne pas ĂȘtre obligĂ© d’en rien rendre Ă  CĂ©sar, Vis-Ă -vis de soi-mĂȘme en garder le mĂ©rite, Bref, dĂ©daignant d’ĂȘtre le lierre parasite, Lors mĂȘme qu’on n’est pas le chĂȘne ou le tilleul, Ne pas monter bien haut, peut-ĂȘtre, mais tout seul !

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Annexe 3

Liste des personnages

Cyrano de Bergerac Christian de Neuvillette Comte de Guiche Ragueneau Le Bret Carbon de Castel-Jaloux Les cadets LigniĂšre De Valvert Un marquis DeuxiĂšme marquis TroisiĂšme marquis Montfleury Bellerose Jodelet Cuigy d’Artagnan Brissaille Un fĂącheux Un mousquetaire Un autre Un officier espagnol Un chevau-lĂ©ger Le portier Un bourgeois Son fils Un tire-laine Un spectateur Un garde Bertrandon le fifre Le capucin Deux musiciens Les poĂštes Les pĂątissiers Roxane Soeur Marthe Lise La distributrice MĂšre Marguerite de JĂ©sus La duĂšgne Soeur Claire Une comĂ©dienne La soubrette Les pages La bouquetiĂšre Une dame Une prĂ©cieuse Une soeur La foule, bourgeois, marquis, mousquetaires, tirelaine, pĂątissiers, poĂštes, cadets, Gascons, comĂ©diens, violons, pages, enfants, soldats espagnols, spectateurs, spectatrices, prĂ©cieuses, comĂ©diennes, bourgeoises, religieuses, etc.

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Distribution du spectacle

Jean-Philippe Altenloh : Le Bret Julien Besure : Vicomte de Valvert, apprenti, cadet Mickey Boccar : Brisaille, cadet, musicien CĂ©dric Cerbara : Bellerose, cadet, poĂšte William Clobus : Le voleur, cadet, apprenti Damien De Dobbeleer : Christian Lucie De Grom : La distributrice, soeur Marthe Eric De Staercke : Comte de Guiche BĂ©atrix FĂ©rauge : La duĂšgne, MĂšre Marguerite Arthur Ferlin : Le jeune fils du bourgeois, cadet, apprenti Olivier Francart : LignĂšre, cadet Stephan Fraser : Monfleury, cadet, apprenti, musicien Michel Gautier : Un Bourgeois, poĂšte, capucin, cadet Claudine Gourdin : Lise, soeur Claire Marc Laurent : Marquis, cadet, poĂšte Anthony Molina-Diaz : Le mousquetaire, cadet Michel Poncelet : Ragueneau Jean-François Rossion : Marquis, Carbon de Castel Jaloux Anouchka Vingtier : Roxane Bernard YerlĂšs : Cyrano

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Annexe 4

Évolution du costume masculin sous Louis XIII

1. Pour le haut du corps – Les hommes portent un pourpoint : sous Louis XIII, il devient une veste ajustĂ©e et boutonnĂ©e du cou Ă  mi-poitrine. Les pans, Ă©cartĂ©s vers le bas, laissent voir la chemise. – Les fraises tendent Ă  disparaĂźtre. On porte plutĂŽt un col large souvent ornĂ© de dentelles. – Les manches comportent des rabats, au niveau du poignet, ornĂ©s de dentelle. – L’écharpe sur l’épaule droite sert Ă  suspendre l’épĂ©e. – Une cape portĂ©e sur l’une des deux Ă©paules tient avec un cordon attachĂ© de biais sur l’épaule. – Les mousquetaires portent parfois un « buffletin » ou gilet de peau chamoisĂ©e par dessus le pourpoint

2. Pour le bas du corps – Les hauts de chausse s’allongent, un peu bouffants, pour arriver au-dessous du genou. – O n porte des bottes dites « Ă  entonnoir » (Ă©vasĂ©es vers le haut) ou des bottes Ă  « revers Ă©panoui » (retournĂ©es).

3. Pour les coiffures et la chevelure – La chevelure est bouclĂ©e; elle retombe sur les Ă©paules. – Une moustache et une barbiche. – Le chapeau : un feutre tronconique ou un grand feutre Ă  bords larges ornĂ© de plumes.

D’aprùs Le Costume, Renaissance-Le style Louis XIII, Jacques Ruppert, Paris, Flammarion, 1931, vol. 2.

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