22
D’après Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese Mise en scène, adaptation et scénographie Silvia Costa Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Coproduction Festival d’Automne à Paris, Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire, FOG Triennale Milano Performing Arts, Festival delle Colline Torinesi/ TPE Teatro Piemonte Europa, Teatro Metastasio di Prato, LAC — Lugano Arte e Cultura, Teatro Stabile del Veneto Avec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique Lecture scénique Festival delle Colline Torinesi : les 20 et 21 juin 2018 Création MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis : du 9 au 24 novembre 2018, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris Tournée (en cours) La Comédie de Reims — Centre dramatique national, dans le cadre de Reims Scènes d’Europe : les 29 et 30 janvier 2019 CDN Orléans / Centre-Val de Loire : les 7 et 8 février 2019 FOG Triennale Milano Performing Arts : du 22 au 24 mars 2019 Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire : du 23 au 26 avril 2019 Maillon, Théâtre de Strasbourg — Scène européenne, avec le TJP Centre Dramatique National d’Alsace : du 2 au 4 mai 2019 Festival delle Colline Torinesi/ TPE Teatro Piemonte Europa : juin 2019 DeSingel campus international des arts, Anvers, Belgique : septembre 2019 (dates à confirmer) LAC — Lugano Arte e Cultura, Suisse : mars 2020 (dates à confirmer) Teatro Metastasio de Prato : mars 2020 (dates à confirmer) Teatro Stabile de Venise : mars 2020 (dates à confirmer) Disponible en tournée en 2019-2020 Contact Claire Roussarie Directrice de production 01 41 60 72 77 | 06 33 29 78 04 [email protected] dans le pays d’hiver Cesare Pavese Silvia Costa © Simon Gosselin

dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

  • Upload
    dothien

  • View
    220

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

D’après Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese

Mise en scène, adaptation et scénographie Silvia Costa

Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-DenisCoproduction Festival d’Automne à Paris, Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire, FOG Triennale Milano Performing Arts, Festival delle Colline Torinesi/ TPE Teatro Piemonte Europa, Teatro Metastasio di Prato, LAC — Lugano Arte e Cultura, Teatro Stabile del Veneto Avec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique

Lecture scénique Festival delle Colline Torinesi : les 20 et 21 juin 2018 Création MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis : du 9 au 24 novembre 2018, dans le cadre du Festival d’Automne à ParisTournée (en cours)La Comédie de Reims — Centre dramatique national, dans le cadre de Reims Scènes d’Europe : les 29 et 30 janvier 2019CDN Orléans / Centre-Val de Loire : les 7 et 8 février 2019FOG Triennale Milano Performing Arts : du 22 au 24 mars 2019 Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire : du 23 au 26 avril 2019 Maillon, Théâtre de Strasbourg — Scène européenne, avec le TJP Centre Dramatique National d’Alsace : du 2 au 4 mai 2019Festival delle Colline Torinesi/ TPE Teatro Piemonte Europa : juin 2019DeSingel campus international des arts, Anvers, Belgique : septembre 2019 (dates à confirmer) LAC — Lugano Arte e Cultura, Suisse : mars 2020 (dates à confirmer) Teatro Metastasio de Prato : mars 2020 (dates à confirmer)Teatro Stabile de Venise : mars 2020 (dates à confirmer)

Disponible en tournée en 2019-2020

ContactClaire RoussarieDirectrice de production01 41 60 72 77 | 06 33 29 78 04 [email protected]

dan

s le

pay

s d

’hiv

erC

esar

e P

aves

e Si

lvia

Co

sta

© Simon Gosselin

Page 2: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Dans le pays d’hiver

TexteD’après six des Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese – Le mystère, La mère, La bête, L’homme-Loup, Le déluge et Les Dieux

Mise en scène, adaptation et scénographie Silvia Costa

Avec Silvia Costa, Laura Dondoli, My Prim

Création sonore Nicola Ratti Lumière Marco GiustiCostumes Laura DondoliCollaboration à la scénographie Maroussia VaesSculptures de scène Paola VillaniTravail vocal NicoNote

Construction décor  Ateliers de la MC93

Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-DenisCoproduction Festival d’Automne à Paris, Le Quai — CDN Angers Pays de la Loire, FOG Triennale Milano Performing Arts, Festival delle Colline Torinesi/ TPE Teatro Piemonte Europa, Teatro Metastasio di Prato, LAC — Lugano Arte e Cultura, Teatro Stabile del VenetoAvec le soutien de l’Onda - Office national de diffusion artistique

Le spectacle est en italien surtitré en français.

gén

ériq

ue

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.2

Page 3: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

J’ai écouté une voix qui semblait m’appeler.Puis j’en ai entendu une autre ; elle ne m’appelait pas, c’était un dialogue.Je suis restée à l’écoute. Les mots n’étaient pas nouveaux, mais ils étaient mystérieux, et ils racontaient des choses peut-être connues mais sans contours précis, des impressions d’atmosphère, des ombres ; leur son et leur rapport ensorcelaient, touchaient cette part d’ineffable, d’inexplicable, d’infiniment interprétable, que recèle l’être humain.Ces mots, je les ai rencontrés dans les Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese, un livre qui, pour l’époque où il a été écrit, entre 1945 et 1947, en plein réalisme, se distinguait par un retour à une matière classique, par un réemploi du mythe – en particulier grec, parce que plus simple et plus direct –, par l’emploi de la parole poétique.Depuis lors, je n’ai pas quitté ce livre, je nourris le désir muet de pouvoir donner des images à ces mots qui, comme des formules magiques, des sortilèges, révèlent le monde non pour ce qu’il devient sous nos yeux de contemporains, mais pour ce qui, par en dessous, demeure éternellement figé et choisi.Des formes archaïques et parfaites. Et cela, c’est aussi un moyen, un autre moyen, de chercher la solution d’un problème, de l’éternel problème de la quête du sens de notre existence.Mythe. Religio Mortis. Sacrifice. Destin. Classicisme. Décadentisme. Symbole.Ce sont des bombes dangereuses, mais qu’on peut décider de ne pas faire exploser.Je veux envisager cette matière comme un enfant qu’il faut surprendre et non former à des savoirs de spécialiste ; un enfant qui n’a pas peur des noms grandioses parce qu’il ne les sait pas, ne les connaît pas. Donc ne posez pas de question.Tout doit résonner comme si c’était pour la première fois. Tout doit être neuf.La chute dans l’abîme doit être soudaine, inattendue même pour moi-même.Et pourtant.Du mythe, m’intéresse l’élégance et l’ancienneté de la parole. Son pouvoir créateur qui nomme, baptise, ordonne et permet de comprendre, d’éclaircir, d’apaiser le mystère abyssal de notre condition. Je veux une rencontre avec la beauté de ces mots, l’ouverture poétique qu’ils évoquent sans jamais aller jusqu’au bout de l’explication. Ce qui est impossible. Ce sont des formules synthétiques, irremplaçables dans leur fonction expressive. La substance dont ils sont porteurs est un vivier de symboles déposés en nous. Humains.De la forme classique, m’intéresse l’anachronisme dont elle est porteuse. Je veux bénéficier du privilège de la distance prise avec le réel. Agir en sens contraire, stratifié, construire un intrus, un danger : devant lui, on peut le naturaliser, le rendre neutre, semblable au reste ; ou on peut l’accueillir ainsi, tel qu’il est, sans le mettre en discussion, en le faisant agir sur ce qui l’environne.De l’homme, m’intéresse sa limite. Cette barrière qu’est le destin et qu’il cherche perpétuellement à franchir ; une barrière souple, fluide, élastique, que nous autres, hommes, façonnons continuellement devant nous. On dirait que nos yeux ne peuvent voir qu’avec cette clôture à l’horizon.C’est ainsi que nos yeux ont toujours vu.Des vingt-sept dialogues qu’a écrits Pavese, j’en ai choisi six.Le mystère. La mère. La bête. L’homme-Loup. Le déluge. Les Dieux.Avec ces noms j’ai tissé une trame, un unique dialogue qui traverse les visions qui ont surgi d’eux. Images symboliques, images-récits de ma poétologie, de mon hypothèse.

no

te d

’inte

nti

on

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.3

Page 4: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Là j’ai trouvé une racine, une zone où s’ancre une origine. Le sauvage : mon origine.Silvia - Silva - Sylvestre - Selva - Forêt.Sur la scène, les voix qui dialoguent se découpent comme deux cariatides sur lesquelles repose la parole de Pavese, figures sculpturales dont les corps deviennent tour à tour des allégories reposant sur elles-mêmes, le produit de visions, les instruments géodésiques permettant de pénétrer le territoire de tous les symboles.Il n’y a pas de solution de continuité entre chaque dialogue ; ils se succèdent, oubliant parfois la parole même, l’utilisant comme liant, comme un filet de pêche jeté au fond d’un puits obscur et profond.Les éléments qui occuperont la scène ont une antique mémoire, l’équilibre formel des mots se traduit en formes harmonieuses, en courbes féminines. On cherche à inventer une forme d’archéologie personnelle dans laquelle l’exotique et le classique se mêlent, comme résultat d’une exhumation continuelle, comme la tentative de faire émerger des visions qui se rassemblent sous l’abri du tympan d’une église, ou dans l’ombre sereine de grandes palmes. Je n’ai pas la prétention de donner une nouvelle vie à de tels mythes. J’ai plutôt la présomption de les considérer encore comme une matière sur laquelle il est juste d’insister, de s’arrêter ; un volcan qu’il faut réveiller pour qu’il éructe une fois encore sa lave vivante sur la croûte glacée de la réalité.

Silvia Costa, juin 2017

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.4

Page 5: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

entr

etie

n a

vec

si

lvia

co

sta

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.5

MC93 : Comment situer Dialogues avec Leuco dans l’œuvre de Cesare Pavese ?Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel il a été retrouvé dans l’hôtel où il s’est suicidé, sans doute le plus important à ses yeux même s’il n’a pas eu beaucoup de succès. Il n’a pas été complètement compris à l’époque. Parce que Pavese était connu comme un auteur réaliste, écrivant des histoires très concrètes, liées au territoire, à la vie dans les villages. Et donc à la sortie du livre, en 1949, en pleine période réaliste, une partie de la critique n’a pas accepté sa volonté de s’intéresser à la fable, à la mythologie et à ces temps très anciens.

MC93 : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette œuvre ?S.C : D’abord, j’aime bien les textes un peu oubliés. J’ai monté par exemple Poil de Carotte de Jules Renard et travaillé sur un autre auteur italien, De Amicis, complètement passé de mode. Ensuite, je sens une difficulté à comprendre les phénomènes qui nous entourent. Mais on ne peut pas fuir le monde. Ma façon d’être présente et de faire du théâtre aujourd’hui c’est de regarder les choses à travers une forme de beauté et de poésie. La mythologie n’est pas pour moi un refuge nostalgique mais l’occasion d’affirmer une croyance en l’invention et une certaine magie de la création. Je ne cherche pas à reproduire les faits concrets de notre actualité. J’espère transmettre le plaisir que j’ai en lisant ces textes qui sont tout à fait ouverts, qui font penser et rêver. Les mythes contiennent beaucoup de symboles dont certains ont été déformés. Il faut se les réapproprier. Ce sont comme des fleurs qui, composées différemment, peuvent libérer nos imaginaires. Ce qui m’intéresse, c’est la volonté de Pavese d’écrire sur quelque chose qui n’est pas tout à fait clair : des fables, avec un secret incompressible, des zones d’ombre qui laissent ouvertes les interprétations. Tous ces mythes nous accompagnent, parfois à notre insu. Tout le monde connaît l’un des personnages ou des thèmes évoqués mais il reste une part de mystère dans ces histoires. Pavese n’en change pas la trame, mais propose de nouveaux points de vue sur leur signification. A mon tour, j’essaie de faire marcher cette machine mythologique et de prolonger la dynamique interprétative de Pavese, en cherchant l’épure.

MC93 : Comment avez-vous choisi les six dialogues sur les 27 que comporte le livre ?S.C : Un livre est une chose, le théâtre une autre : on a besoin d’une structure, d’un trajet à proposer au spectateur dans lequel se dessine une narration personnelle et une possible évolution scénique. Les six dialogues choisis abordent la question des origines, de la naissance du langage, de la faute, de notre animalité ou encore du déluge. Jusqu’au dernier où c’est un dieu qui parle et regarde l’humanité d’en haut, avec tendresse. Il évoque sa capacité à inventer, des histoires et des divinités. Tous ces récits sont doubles : à la fois poétiques, reliés à une culture classique mais aussi porteurs d’une part sombre, de souffrance et de violence. Il s’agit de faire goûter cette ambivalence au spectateur.

MC93 : Comment inventez-vous vos images ?S.C : J’ai toujours besoin de toucher la matière et de voir les interprètes modifiés par elle. Je pars souvent des objets dans l’espace puis je construis un lien entre les mots, les corps et ces objets : de nombreux accessoires, des sculptures qui engendrent des actions scéniques et permettent la visualisation de certains symboles ainsi que des métamorphoses. La narration se construit par association, accumulation et multiplication de ces éléments de telle sorte qu’à la fin, ils constituent une forme de ville ou de musée imaginaire, un nouveau pays.

Page 6: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Par ailleurs notre trio d’interprètes (Silvia Costa joue dans le spectacle) permet de mettre en scène les dialogues bien sûr mais aussi de jouer avec la figure du double, du miroir ou de l’ombre. J’utilise beaucoup le langage des gestes, des actions précises, chorégraphiées.

MC93 : Si l’on devait dessiner une constellation de sources inspirantes pour ce spectacle… S.C : Parmi tous les possibles, il y aurait sans doute Duchamp, pour sa façon de reconfigurer la valeur d’un l’objet esthétique en fonction de sa propre énigme, de la sexualisation de l’œil, de la machine comme système symbolique. C’est un artiste qui pourrait faire partie de mon panthéon. J’ai aussi beaucoup regardé les dessins de Henri Darger, un artiste d’art brut qui toute sa vie a fait des dessins à partir de calques trouvés dans les magazines et composé des sagas mythologiques avec des petites filles, et beaucoup de violence même si les formes sont très enfantines et colorées.

MC93 : Un mot sur votre titre ?S.C : J’aime l’idée d’associer le plateau de théâtre à un pays, un pays à repeupler grâce aux mots de Pavese. Ensuite l’hiver et ses connotations contrastent avec la chaleur produite par les histoires racontées. On part donc du froid pour aller vers un réveil, pour raviver la lave cachée sous les mots pris dans les glaces de la communication, des data. Je me suis demandé à qui pouvaient s’adresser ces dialogues de Pavese. Je répondrais : aux gens qui, comme moi, ont encore envie de croire, non pas aux dieux, mais à la puissance de la création, à l’infinie possibilité de réinventer.

Propos recueillis par Olivia Burton en mars 2018.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.6

Page 7: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Page 8: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Page 9: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

bio

gr

aph

ies Silvia Costa

Metteuse en scène, scénographe et interprète

Diplômée en « Arts Visuels et Théâtre » à l’Université IUAV de Venise en 2006, Silvia Costa propose un théâtre visuel et poétique, nourri d’un travail sur l’image comme moteur de réflexion chez le spectateur. Tour à tour auteure, metteuse en scène, interprète ou scénographe, cette artiste protéiforme use de tous les champs artistiques pour mener son exploration du théâtre. Elle présente ses créations dans les principaux festivals italiens ainsi qu’à l’international.

Elle se fait connaître avec des performances : La quiescenza del seme (2007) et Musica da Camera (2008) sont présentées au Festival Es. Terni en Italie, suivies de 16 b, come un vaso d’oro adorno di pietre preziose (2009) au Festival Lupo à Forli. En 2015, elle crée A sangue freddo pour le Uovo Performing Art Festival de Milan.

Sa première mise en scène, Figure, présentée au Festival Uovo de Milan en 2009, remporte le prix de la nouvelle création. Elle entame dès lors un partenariat fidèle avec ce festival. En 2012, elle est invitée à l’Euroscene Festival de Leipzig pour y présenter La fine ha dimenticato il principio. En 2013, elle est finaliste du prix du scénario au Festival des collines de Turin avec Quello che di più grande l’uomo ha realizzato sulla terra. Avec cette pièce, elle fait ses premiers pas sur les scènes françaises en tant que metteure en scène au Théâtre de Gennevilliers, au Théâtre de la Cité internationale, et ailleurs en Europe, au BIT Teatergarasjen de Bergen ou à Ljubljana au Drugajanje Festival.

En 2016, elle crée pour le Festival d’Automne à Paris et avec le Théâtre Nanterre-Amandiers, une adaptation du roman de Jules Renard, Poil de Carotte. Ce spectacle tout public poursuit sa route à La Villette, La Commune d’Aubervilliers, au Théâtre Louis Aragon à Tremblay-en-France ou encore à L’Apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise Val d’Oise.

Parallèlement à ses performances et pièces de théâtre, elle invente des installations pour le jeune public. D’abord conçues en Italie à la demande du Festival UovoKids de Milan, ses installations sont désormais présentées en France au Théâtre de Gennevilliers, au théâtre de l’œuvre à Marseille mais aussi à Belgrade au Festival KidsPatch. Ces installations, accompagnées d’ateliers, sont conçues comme une expérience concrète et sensorielle où les enfants font l’expérience d’une compréhension intellectuelle et pratique de l’art.

Depuis 2006, elle contribue en tant qu’actrice et collaboratrice artistique à la plupart des créations de Romeo Castellucci pour le théâtre et l’opéra.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.10

Page 10: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Laura Dondoli Costumes et interprète

Née à Florence en 1987, Laura Dondoli est à la fois actrice, performeuse et créatrice de costumes. Diplômée de l’institut de mode de Polimoda de Florence, elle débute en créant des costumes pour le théâtre et la danse contemporaine. Parallèlement, elle se forme au métier d’acteur auprès de Catherina Poggesi puis grâce à des résidences auprès de metteurs en scène et chorégraphes tels que Marco Martinelli, Francesca Proia, Claudia Castellucci, Cesare Ronconi/ Teatro Valdoca, ou encore Chiara Guidi. Elle approfondit également sa technique vocale avec la soprano Francesca Della Monica.

Elle travaille aussi bien en tant que costumière ou actrice pour Romeo Castellucci/Socìetas Raffaello Sanzio, la Compagnia Virgilio Sieni Danza, Fiorenza Menni/ Teatrino Clandestino, Teatro delle Albe, Silvia Costa. Se nourrissant de ces deux pratiques, elle développe un regard transversal, à la fois hors scène et sur scène qui confère à son travail une sensibilité particulière.

My Prim Interprète

Danseuse suèdoise, elle obtient son diplôme en 2016 à l’Ecole Internationale de Danse Compemporaine Iwanson de Munich. Après ses études, elle commence tout de suite à travailler dans les plus grands théâtres allemands sous la direction de chorégraphes internationaux comme Isabella Blum, Peter Mika, Beate Vollack et dernièrement avec Cindy van Acker dans la production Tannhäuser, mise en scène par Romeo Castellucci au Bayerische Staatsoper à Munich.

Marco Giusti Créateur lumière

Diplômé de l’école d’arts dramatiques Paolo Grassi à Milan, Marco Giusti commence d’abord à travailler en tant que metteur en scène, avant de se consacrer à la lumière. Il a crée la lumière de plusieurs spectacles de Giorgio Barberio Corsetti comme Pop’pea présenté au Théâtre du Châtelet, Le Prince de Hombourg créé au festival d’Avignon, ou encore l’opéra La sonnambula au Théâtre Petruzzelli à Bari en Italie. Il collabore aussi régulièrement avec Benedetto Sicca ou Nicola Berloffa ainsi qu’avec Romeo Castellucci pour qui il crée notamment la lumière sur Le sacre du Printemps présenté à la Ruhrtriennale, ou sur Moïse et Aaron à l’Opéra Bastille.

Nicola Ratti Créateur son

Né à Milan en 1978, Nicola Ratti est un architecte et concepteur sonore qui mène un travail de recherche expérimental autour du son et de l’espace. Il joue en live dans plusieurs salles et festivals en Europe, Amérique du nord et Russie. Ses albums sont produits par Bookmat Editions, Where To Now ?, Shelter Press, Die Schachtel, Entr’acte, Senufo Editions, Holidays Records ainsi que d’autres labels indépendants de musique expérimentale.

De 2013 à 2015, il est le curateur de nombreux événements et performances sonores à O’in Milan et à Standards, des lieux dédiés à la musique expérimentale à Milan. En 2015, il fonde Frequente, une association dédiée à la conception sonore et aux performances expérimentales. Pour mener son exploration des relations entre le son et l’espace il collabore notamment avec des artistes visuels

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.11

Page 11: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

tels que Armin Linke, Nicola Martini, ou Alessandro Roma. Très actif dans le monde de la musique, il est l’un des organisateurs du festival de musique électronique Auna, professeur à l’université pour des workshops, mais également membre fondateur de la compagnie NeitherSound, qui crée des installations sonores pour des expositions ou des performances.

Il collabore actuellement avec Giuseppe Lelasi, Enrico Malatesta et Attila Faravelli autour d’un projet nommé Bellows and Tilde, et travaille en tant qu’ingénieur et concepteur son pour la compagnie Societas Raffaello Sanzio avec Romeo Castelluci et Silvia Costa.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.12

Page 12: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

B. Toute la montagne brûle. Notre feu, personne ne le voit.

A. Nous le faisons, peu importe.

B. Il y a plus de feux que d’étoiles.

A. Mets la braise.

B. C’est fait.

A. Cette nuit il faut sacrifier.

LE MYSTÈRE

A. Ces mortels sont vraiment amusants. Nous savons les choses et eux, ils les font. Sans eux, je me demande ce que seraient les jours. Ce que nous serions, nous Olympiens. Ils nous appellent avec leurs petites voix et ils nous donnent des noms.

B. J’existais avant eux, et je peux te dire que l’on était seuls. La terre était forêt, serpents, tortues. Nous étions la terre, l’air, l’eau. Que pouvait-on faire ? Ce fut alors que nous prîmes l’habitude d’être éternels.

A. Cela n’arrive pas avec les hommes.

B. C’est vrai. Tout ce qu’ils touchent devient temps. Devient action. Attente et espoir.

Même leur mort est quelque chose.

A. Ils ont une façon de se nommer eux-mêmes, de nommer les choses et nous autres, qui enrichit la vie. Comme les vignes qu’ils ont su planter sur ces collines. Je ne croyais pas que de ces laides pentes pierreuses ils auraient fait une aussi douce contrée. Ainsi du blé, ainsi des jardins. Partout où ils dépensent fatigues et paroles naît un rythme, un sens, un repos.

B. Et ne devrions-nous pas les aider davantage, les récompenser de quelque façon, être à leurs côtés dans la brève journée dont ils jouissent ?

A. Tu leur as donné les moissons, moi la vigne. Laisse-les faire. Y a-t-il besoin d’autre chose ?

B. Je ne sais comment, mais ce qui sort de nos mains est toujours ambigu.

C’est une hache à deux tranchants qui en fait couler, du sang innocent.

A. Ce ne seraient pas des hommes, s’ils n’étaient pas tristes. Leur vie devra bien mourir. Toute leur richesse est la mort, qui les oblige à s’ingénier, à se souvenir et à prévoir. Et puis ne crois pas que leur sang vaille plus que le froment ou le vin avec lesquels nous les nourrissons. Le sang est vil, sale, mesquin.

B. Tu es jeune et tu ne sais pas que c’est dans le sang qu’ils nous ont trouvés. La mort est pour toi comme un vin qui exalte. Mais tu ne songes pas que les mortels ont souffert ce qu’ils racontent sur nous. Aujourd’hui encore l’offrande la plus riche qu’ils savent nous faire, c’est verser du sang.

A. Mais est-ce une offrande ? Tu sais mieux que moi qu’en tuant la victime ils ont un temps cru nous tuer.

B. Et tu peux leur en vouloir ? Si pour eux la mort est la fin et le principe, ils devaient nous tuer pour nous voir renaître. Ils sont très, très malheureux.

A. Tu crois ? Puisque de toute façon ils sont mortels, ils donnent un sens à la vie en se tuant.

Leurs histoires, ils doivent les vivre et les mourir. Il n’y a là rien de triste. Les mortels racontent leurs histoires avec le sang.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.13

TEXT

E D

ES

SURT

ITRA

GES

Dialogues avec Leuco a été traduit en français dans plusieurs versions qui sont aujourd’hui épuisées.

Page 13: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.14

B. Et cela te paraît digne de nous ? Tu sais qu’un jour ils pourront se lasser de nous autres, les dieux.

A. Mais que veux-tu que nous leur donnions ?

B. Il y a un seul moyen, et tu le sais.

A. Parle.

B. Donner un sens à leur mort.

A. Que dis-tu ?

B. Leur apprendre la vie bienheureuse.

A. Mais c’est tenter le destin. Ils sont mortels.

B. Écoute-moi bien. Viendra le jour où ils y penseront tout seuls. Et ils le feront sans nous, par un conte.

Ils parleront d’hommes qui ont vaincu la mort. Ils ont déjà placé l’un d’eux au ciel, un autre descend aux enfers tous les six mois. Un autre encore a combattu avec la Mort et lui a arraché une créature… Comprends-moi. Ils y arriveront tout seuls. Et alors nous redeviendrons ce que nous fûmes : air, eau et terre.

A. Ils ne vivront pas plus longtemps pour cela.

B. Mais mourir aura un sens.

Ils mourront pour renaître eux aussi, et ils n’auront plus besoin de nous autres.

A. Que veux-tu faire ?

B. Leur apprendre qu’ils peuvent être nos égaux par-delà la douleur et la mort. Mais le leur dire, nous. Comme le blé et la vigne descendent dans l’Hadès pour naître, ainsi enseignons-leur que, pour eux aussi, la mort est une nouvelle vie. Offrons-leur ce conte. Conduisons-les le long de ce conte. Enseignons-leur un destin qui s’entrelace avec le nôtre.

A. Ils mourront quand même.

B. Ils mourront et auront vaincu la mort. Ils verront quelque chose au-delà du sang, ils nous verront, nous deux.

Ils ne penseront qu’à l’éternité. Plutôt, il y a danger qu’ils négligent ces riches campagnes.

A. Il se peut. Mais une fois que le blé et la vigne auront le sens de la vie éternelle, sais-tu ce que les hommes verront dans le pain et le vin ? Chair et sang, comme à présent, comme toujours. Chair et Sang.

Et chair et sang ruisselleront non plus pour apaiser la mort, mais pour parvenir à l’éternité qui les attend.

B. On dirait que tu vois l’avenir. Comment peux-tu le dire ?

A. Il suffit d’avoir vu le passé. Crois-moi. Mais je t’approuve. Ce sera toujours un conte.

LA BÊTE

A. Écoute, passant. Comme à un étranger, je peux te dire ces choses.

Tu vois ce mont ? Je l’ai gravi tant de fois dans la nuit, à l’heure où il était le plus sombre, et j’ai attendu l’aube parmi ses hêtres. Et pourtant, il me semble ne l’avoir jamais touché.

B. Qui peut dire avoir jamais touché ce près de quoi il passe ?

A. Aimes-tu, étranger, dormir le jour ?

B. Je dors de toute façon, quand j’ai sommeil et que je m’écroule.

Page 14: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.15

A. Et dans le sommeil t’arrive-t-il – à toi qui vas par les routes – d’écouter le bruit du vent, et les oiseaux, les étangs, le bourdonnement, la voix de l’eau ? N’as-tu pas l’impression, en dormant, de n’être jamais seul ?

B. Ami, je ne saurais. J’ai toujours vécu seul.

A. Ô étranger, je ne trouve plus la paix dans mon sommeil. Je crois avoir dormi toujours, pourtant je sais que ce n’est pas vrai.

B. Tu me sembles un homme fait, et robuste.

A. Je le suis, étranger, je le suis. Et je connais le sommeil du vin, et celui, pesant, qui se dort aux côtés d’une femme, mais tout cela ne m’apporte rien. Depuis mon lit, je tends désormais l’oreille, et je suis prêt à bondir, et j’ai ces yeux, comme les yeux de celui qui fixe son regard dans le noir. Je sais que je ne rêve pas, depuis si longtemps que je ne dors plus. Tu vois les taches de ces hêtres sur le rocher ? Cette nuit j’étais là-haut et je l’ai attendue.

B. Qui devait venir ?

A. Ne disons pas son nom. Ne le disons pas. Cela n’a pas de nom. Ou alors plusieurs, je sais bien.

Compagnon, sais-tu ce qu’est l’horreur de la forêt quand on y découvre une clairière, la nuit ?

Ou plutôt quand tu repenses, la nuit, à la clairière que tu as vue et traversée le jour, et là il y a une fleur, une baie que tu connais, qui oscille au vent, et cette baie, cette fleur est une chose sauvage, intouchable, mortelle, parmi toutes les choses sauvages ? Tu comprends cela ? Une fleur qui est comme une bête fauve ?

Compagnon, as-tu jamais regardé avec effroi et avec désir la nature d’une louve, d’une daine, d’une femme de serpent ?

B. Tu veux dire le sexe de la bête vivante ?

A. Oui, mais ce n’est pas tout. As-tu jamais connu une personne qui fût plusieurs choses à la fois, qui le portât avec soi, et dont chaque geste et chaque pensée que tu as d’elle contiennent des choses infinies de sa terre et de son ciel, et des paroles, des souvenirs, des jours passés que tu ne connaîtras jamais, des jours futurs, des certitudes, et une autre terre, un autre ciel qu’il ne t’est pas donné de posséder ?

B. J’ai entendu parler de cela.

A. Ô étranger, et si cette personne est la bête, la chose sauvage, la nature intouchable, qui n’a pas de nom ?

B. Tu parles de choses terribles.

A. Donc tu le sais et tu peux me croire. Je dormais un soir sur la montagne – c’était la nuit – je m’étais attardé dans mon vagabondage. Je me réveillai sous la Lune – en rêve j’eus un frisson à la pensée que j’étais là, dans la clairière – et je la vis. Je la vis qui me regardait, de ces yeux un peu obliques, des yeux fixes, transparents, grands au-dedans. Je ne le sus pas à ce moment, je ne le savais pas le lendemain, mais j’étais déjà sa chose, pris dans le cercle de ses yeux, de l’espace qu’elle occupait, de la clairière, de la montagne. Elle me salua d’un sourire fermé ; je lui dis : « Madame », et elle fronçait les sourcils comme une fille un peu sauvage, comme si elle avait compris que je m’étonnais. Toujours entre nous demeura cet effarement.

Ô étranger, elle dit mon nom et s’approcha de moi – sa tunique ne lui arrivait pas au genou – et, tendant la main, elle me toucha les cheveux. Elle me toucha comme en hésitant, et eut un sourire incroyable, mortel. Je fus sur le point de tomber, prosterné – je pensai à tous ses noms – mais elle me retint comme on retient un enfant, la main sous le menton.

Page 15: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.16

B. Tu ne devras jamais te réveiller. Tu ne devras faire aucun geste. Je viendrai encore te retrouver.

A. Et elle s’en alla à travers la clairière.

Je tendis l’oreille que j’avais encore pleine, comme d’une eau marine, de cette voix un peu rauque, froide, maternelle. Chaque bruissement, chaque ombre m’arrêtait. Des créatures sauvages, je n’entrevis que les fuites. Quand vint le jour, je regardai d’en haut la plaine, cette route que nous parcourons, étranger, et je compris que jamais plus je ne vivrais parmi les hommes. Je n’étais plus l’un d’eux. J’attendais la nuit.

B. Tu racontes des choses incroyables. Mais incroyables en ceci, puisque sans doute tu es retourné sur la montagne, que tu vis et marches toujours et que la sauvage, la dame aux mille noms, ne t’a pas encore fait sien.

A. Je suis sien, étranger.

B. N’avez-vous pas parlé de ta vie d’homme ?

A. Ô étranger, tu sais des choses terribles, et tu ne sais pas que le sauvage et le divin effacent l’homme ?

B. Quand tu gravis la montagne, tu n’es plus mortel, je le sais. Mais les immortels savent rester seuls. Et toi, tu ne veux pas la solitude. Tu cherches le sexe des bêtes. Avec elle tu feins le sommeil. Que lui as-tu donc demandé ?

A. De sourire encore une fois.

Et d’être, cette fois, du sang versé à ses pieds, d’être la chair dans la gueule de son chien.

B. Et que t’a-t-elle dit ?

A. Elle ne dit rien, elle me regarde. Elle me laisse seul, sous la lumière de l’aube. Et je la cherche parmi les hêtres. La lumière du jour me blesse les yeux. « Tu ne devras jamais te réveiller », m’a-t-elle dit.

B. Chacun a le sommeil qui lui est destiné. Et ton sommeil est infini de voix et de cris, et de terre, de ciel, de jours. Dors-le avec courage, vous n’avez pas d’autre bien. Et maintenant, je te quitte. Tu la verras cette nuit.

A. Ô dieu errant, je te remercie.

B. Adieu. Mais tu ne devras jamais te réveiller.

L’HOMME-LOUP

A. Ce n’est pas la première fois qu’on tue une bête.

B. Mais c’est la première fois que nous avons tué un homme.

A. Y penser n’est pas notre affaire. Ce sont les chiens qui l’ont débusqué. Ce n’est pas à nous de dire qui c’était. Quand nous l’avons vu acculé contre les pierres, chenu et ensanglanté, pataugeant dans la boue, les dents plus rouges que les yeux, qui pensait à son nom et à ses histoires du temps passé ?

B. Moi, j’y pense, à son nom. J’étais encore un gamin et déjà on parlait de lui. On racontait des choses incroyables du temps où il était homme – qu’il avait tenté d’égorger le Seigneur des monts. Certes, son pelage était couleur de la neige piétinée – il était vieux, un fantôme – et il avait les yeux comme du sang.

A. Maintenant c’est fait. Il faut le dépouiller et retourner dans la plaine. Songe à la fête qui nous attend.

B. Je me demande si, une fois la peau enlevée, il faudra l’enterrer.

Page 16: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

Autrefois c’était un homme. Son sang de fauve, il l’a répandu dans la boue. Et il restera ce tas nu d’os et de chair, comme ceux d’un vieillard ou d’un enfant.

A. Il était vieux, tu n’as pas tort. Il était déjà loup quand les montagnes étaient encore désertes. Qui se souvient qu’il eut un nom et fut quelqu’un ? Pour être franc, il aurait dû être mort depuis longtemps.

B. Mais que son corps reste sans sépulture…

A. Chacun de nous peut rencontrer la mort sur les monts, et nul ne nous trouvera jamais plus sinon la pluie ou le vautour. S’il fut vraiment un chasseur, il est mort fort mal.

B. Il s’est défendu comme un vieillard, avec les yeux. Mais toi, au fond, tu ne crois pas qu’il ait été ton semblable. Tu ne crois pas à son nom. Si tu y croyais, tu ne voudrais pas outrager son cadavre, car tu saurais que lui aussi méprisait les morts, que lui aussi vécut féroce et inhumain. Ce n’est pas pour rien que le Seigneur des monts en fit une bête fauve.

A. On raconte qu’il faisait cuire ses semblables.

B. Je connais des hommes qui en ont fait bien moins et qui sont loups ; il ne leur manque que de hurler et de se terrer dans le bois. Es-tu si sûr de toi pour ne pas te sentir par moments comme lui ? Qu’est-ce qui nous sauve sinon qu’au réveil nous retrouvons ces mains et cette bouche et cette voix ? Au moins, maintenant qu’il est mort, il devrait avoir la paix.

A. Je ne crois pas qu’il avait besoin de paix. Qui plus que lui fut en paix, quand il pouvait se tenir accroupi sur les rochers et hurler à la lune ?

B. À t’entendre, il semblerait que ce destin de loup soit un haut destin.

A. Je ne sais pas s’il est haut ou bas, mais as-tu jamais entendu qu’une bête ou une plante soit devenue un être humain ? En revanche, ces lieux sont pleins d’hommes et de femmes touchés par le dieu – l’un devint buisson, l’autre oiseau, l’autre loup.

B. Un châtiment est un châtiment, et celui qui l’inflige a au moins pitié en ceci, qu’il soustrait l’impie à son incertitude, et change le remords en destin. Même si la bête a oublié le passé et ne vit que pour la proie et la mort, il reste son nom, il reste ce qu’elle fut.

A. Si j’étais loup, je serais loup même dans mon sommeil.

B. Tu ne connais pas le chemin du sang. Les dieux ne t’ajoutent ni ne t’enlèvent rien. Simplement, d’un coup léger, ils te coincent là où tu es parvenu. Ce qui auparavant était envie, était choix, se révèle à toi comme destin. Voilà, ce que cela veut dire, se faire loup.

A. Tu veux dire que, sous les crocs des molosses, il a souffert comme un homme qu’on aurait pourchassé avec les chiens ?

B. On peut bien dire qu’il a vécu comme un loup. Mais, en mourant et en nous voyant, il a compris qu’il était homme. Il nous l’a dit avec ses yeux.

A. L’ami, crois-tu qu’il lui importe de pourrir sous terre comme un homme, lui dont la dernière vision a été celle d’hommes à sa chasse ?

B. Il y a une paix au-delà de la mort. Un sort commun.

C’était à nous de le tuer. Suivons au moins la coutume, et laissons l’injure aux dieux.

Nous rentrerons chez nous les mains propres.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.17

Page 17: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

A. Petit bébé, mon petit, il eût mieux valu pour toi de rester dans le feu.

Tu n’as rien de ta mère sinon la triste forme humaine.

Tu es fils d’une lumière aveuglante mais cruelle, et tu devras vivre dans un monde d’ombre exsangue et pleine d’angoisse, de chair corrompue, de soupirs et de fièvre - tout te vient du Radieux.

La même lumière qui t’a fait fouillera le monde, implacable, et partout elle te montrera la tristesse, la plaie, la bassesse des choses.

Sur toi veilleront les serpents.

Les mots sont du sang.

A. Vas-y, fais-le. Fais-le maintenant. Maintenant. Fais-le maintenant…

B. Je veux récupérer, ce qui est à moi, engendré par moi ; je veux récupérer les fils qu’ils m’ont volés.

LA MÈRE

A 1. J’ai brûlé comme un tison.

B. Tu n’as pas dû souffrir beaucoup.

B 2. Pire était la peine, le supplice d’avant.

B. Maintenant, écoutez. Vous êtes morts. La flamme, le brûlement sont choses passées.

Vous êtes moins que la fumée qui s’est détachée de ce feu. Vous êtes presque le néant.

Résignez-vous. Et pour vous, comme un néant sont les choses du monde, le matin, le soir, les pays.

Regardez autour de vous maintenant.

A1. Je ne vois rien. Et peu m’importe. Je suis encore une braise… Qu’as-tu dit des pays du monde ? Je ne suis jamais sorti de mes forêts, j’ai vécu devant un foyer et lorsque je naquis mon destin était déjà scellé dans le tison que notre mère avait dérobé. Je n’ai connu que quelques compagnons, les bêtes et notre mère.

B. Et vous croyez que l’homme, n’importe quel homme, ait jamais connu autre chose ?

A 1. Je ne sais pas. Mais j’ai entendu parler de vies libres au–delà des monts et des fleuves, de traversées, d’archipels, de rencontres avec des monstres et des dieux. D’hommes plus fort encore que moi, plus jeunes, marqués par d’étranges destins.

B. Ils avaient tous une mère. Et des travaux à accomplir. Et une mort les attendait, pour la passion de quelqu’un. Nul ne fut maître de soi, ne connut jamais autre chose.

B 2. Une mère… personne ne connaît la nôtre. Personne ne sait ce que cela signifie de savoir sa propre vie entre ses mains à elle et de se sentir brûler, et ces yeux fixés sur le feu. Pourquoi, le jour où nous naquîmes, arracha-t-elle le tison à la flamme au lieu de nous laisser brûler ? Et on devait grandir, devenir ce qu’on est, pleurer, jouer, aller à la chasse, voir l’hiver, voir les saisons, être hommes – mais aussi savoir l’autre chose, porter dans le cœur ce poids, épier sur son visage notre sort quotidien. C’est là qu’est la peine. Un ennemi, ce n’est rien.

B. Qu’un ennemi n’ait pas de poids, c’est évident. Tout comme chacun a une mère.

Et pourquoi donc est-il inacceptable de savoir sa propre vie entre ses mains à elle ?

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.18

Page 18: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

A 1. Il faut avoir vu ses yeux. Il faut les avoir vus depuis l’enfance, et les avoir sus familiers et les avoir sentis fixés sur chacun de tes pas et de tes gestes, pendant des jours, des années, et savoir qu’ils vieillissent, qu’ils meurent, et en souffrir, en faire un tourment, craindre de les offenser. Alors oui, il est inacceptable qu’ils fixent le feu en voyant le tison.

B 2. Tu sais cela aussi, et tu t’étonnes ? Mais qu’ils vieillissent et meurent, cela veut dire qu’entre-temps tu es devenu un homme et que, sûr de les offenser, tu vas les chercher ailleurs, vivants et vrais. Et si tu trouves ces yeux – on les trouve toujours – la personne qui les porte est de nouveau la mère.

Nul ne peut échapper au destin qui l’a marqué dès sa naissance avec le feu.

A 1. Quelqu’un d’autre a-t-il eu notre destin ?

B 2. Tous, tous. Tous une mort les attend, pour la passion de quelqu’un. Dans la chair et le sang de chacun rugit la mère. Il est vrai que beaucoup sont lâches, bien plus que nous.

A 1. Je n’étais pas lâche.

B 2. Tant que l’homme ne sait pas, il est courageux.

A 1. Je ne suis pas lâche, si je regarde autour de moi. Mais il dut bien exister des mortels qui vécurent à satiété sans que personne ne tînt leurs jours entre ses mains…

B 2. Tu en connais ? Ce seraient des dieux. Quelque lâche a réussi à cacher sa tête, mais lui aussi portait le sang de sa mère, et alors la haine, la passion, la fureur ont flambé dans son cœur seul. Pas tous – il est vrai – ils ne sont pas tous morts de cela. Crois-moi, nous avons eu de la chance.

A. Mais ne même pas voir mes enfants… ne connaître presque pas mon lit…

B. Nous avons eu de la chance. Nous sommes les ombres et le néant. Nos fils ne naîtront pas. Notre lit est désert. Nos compagnons vont à la chasse comme quand nous étions là. Notre mère regarde le foyer où nous sommes devenus cendre. Sans l’homme les femmes ne sont rien.

A. Mais alors pourquoi nous a-t-elle tués ?

B. Demande plutôt pourquoi elle nous a faits.

LE DÉLUGE

A. Je me demande ce que disent de cette eau les mortels.

B. Qu’en savent-ils ? Ils la reçoivent. Certains en espèrent peut-être une meilleure récolte.

A. Tant que dure la nuit, ils se font des illusions. Mais demain, dans la lumière effrayante, quand ils ne verront qu’une seule mer jusqu’au ciel, et les montagnes rapetissées, ils ne rentreront plus dans les grottes. Ils regarderont. Ils se jetteront un sac sur la tête et ils regarderont.

B. Tu les confonds avec les bêtes de la forêt. Aucun mortel ne sait comprendre qu’il meurt et regarder la mort.

Il faut qu’il coure, qu’il pense, qu’il dise. Qu’il parle à ceux qui restent.

A. Mais cette fois personne ne reste. Comment feront-ils donc ?

B. C’est là que je les attends. Lorsqu’ils se sauront tous condamnés, tous tant qu’ils sont, ils se mettront à faire la fête, tu verras. Peut-être ils viendront même nous chercher.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.19

Page 19: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

A. Nous ? En quoi cela nous regarde ?

B. Cela nous regarde. Nous sommes la fête, nous sommes la vie pour eux. Ils chercheront la vie avec nous jusqu’à la fin.

A. Je ne vois pas quelle vie nous pouvons leur donner. Nous ne savons même pas mourir. Tout ce que nous savons faire, c’est regarder. Regarder et savoir. Que peuvent-ils nous demander d’autre ?

B. Tu ne sais pas ce qu’est un espoir ? Ils croiront qu’un bois où nous sommes nous aussi ne pourra être submergé. Ils se diront que tous les hommes, vraiment tous, ne pourront pas disparaître, sinon quel sens cela aurait-il d’être né et de nous avoir connus ?

A. C’est facile. Pour eux l’espoir, pour nous le destin. Mais c’est bête.

B. Pas tant que ça. Ils sauveront quelque chose.

A. Oui, mais qui a provoqué les grands dieux ? Qui a produit un tel désordre que même le soleil se voilait la face ? C’est leur affaire, il me semble. C’est bien fait pour eux.

B. Allons, tu crois vraiment à ces choses ? Tu ne penses pas que, s’ils avaient vraiment violé la vie, la vie aurait suffi pour les punir, sans que l’Olympe vînt s’en mêler avec le déluge ? Si quelqu’un a violé quelque chose, crois-moi, ce n’est pas eux.

A. Cependant c’est à eux de mourir. Comment iront-ils demain, quand ils sauront ce qui arrive ?

B. Écoute le torrent. Demain nous serons sous l’eau nous aussi. Tu en verras des belles, toi qui aimes regarder. Heureusement que nous ne pouvons pas mourir.

A. Parfois je ne sais pas. Je me demande ce que ce serait de mourir. C’est la seule chose qui vraiment nous manque. Nous savons tout et nous ne savons pas cette simple chose. Je voudrais l’éprouver, et puis me réveiller, évidemment.

B. Écoutez-la. Mais c’est justement ça, mourir – ne plus savoir que tu es morte. Et c’est bien ça le déluge : mourir en nombre tel qu’il ne reste plus personne pour le savoir. Du coup, ils viendront nous chercher, ils nous diront de les sauver et ils voudront être semblables à nous, aux plantes, aux pierres, aux choses insensibles qui sont simple destin. En elles ils se sauveront.

A. Drôles de gens. Ils traitent le destin et l’avenir comme si c’était un passé.

B. C’est bien ça, l’espoir. Donner un nom de souvenir au destin.

A. Crois-tu qu’ils deviendront vraiment des troncs et des pierres ?

B. Ils savent raconter des histoires, les mortels. Ils vivront dans l’avenir selon les rêveries que la terreur de cette nuit et de demain leur aura inspirées. Ils seront bêtes sauvages et rochers et plantes. Ils seront des dieux. Ils oseront tuer les dieux pour les voir renaître. Ils se donneront un passé pour échapper à la mort. Il n’y a que deux choses – l’espoir ou le destin.

A. Dans ce cas, je ne peux pas les plaindre.

B. Les portes du salut les plus extraordinaires, ils les trouvent à l’aveuglette, quand déjà ils sont happés et écrasés par le destin.

A. Si au moins ce déluge pouvait leur apprendre ce que sont le jeu et la fête. Pourquoi ne comprennent-ils pas que c’est justement leur labilité qui les rend précieux ?

B. On ne peut pas tout avoir. Nous qui savons, nous n’avons pas de préférences. Et eux qui vivent des instants imprévus, uniques, ils n’en voient pas la valeur. Ils voudraient notre éternité. C’est ça, le monde.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.20

Page 20: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

A. Demain ils sauront quelque chose, eux aussi. Et les cailloux et les terres qui un jour reviendront à la lumière ne vivront pas d’espoir seulement ou d’angoisse. Tu verras que le monde nouveau aura quelque chose de divin dans ses plus fragiles mortels.

B. Que Dieu le veuille. Moi aussi, j’aimerais bien.

LES DIEUX

B. Le mont est inculte, ami. Sur l’herbe rousse du dernier hiver il y a des taches de neige.

On dirait la robe du centaure. Ces hauteurs sont toutes ainsi. Il suffit d’un rien, et la campagne redevient la même que du temps où ces choses arrivaient.

A. Je me demande s’il est vrai qu’ils les ont vus.

B. Qui peut le dire ? Mais si, ils les ont vus. Ils ont rapporté leurs noms et rien de plus – et c’est là toute la différence entre les fables et la vérité. « C’était un tel ou tel autre », « Il a fait ceci, il a dit cela ». Qui est sincère, s’en contente. Il ne se doute même pas qu’on pourra ne pas le croire. Nous sommes les menteurs, nous qui n’avons jamais vu ces choses, et pourtant nous savons dans les moindres détails comment était la robe du centaure ou la couleur des grappes de raisin sur l’aire d‘Icarios.

A. Il suffit d’une colline, d’une cime, d’une pente. Qu’il s’agisse d’un lieu solitaire et que tes yeux en le regravissant se fixent dans le ciel. L’incroyable élan des choses dans l’air touche le cœur aujourd’hui encore. Moi pour ma part je crois qu’un arbre, un roc se profilant sur le ciel, ont été des dieux depuis l’origine.

B. Ces choses n’ont pas toujours été sur les montagnes.

A. Bien sûr, il y eut d’abord les voix de la terre – les sources, les racines, les serpents. Si le démon unit la terre au ciel, il doit surgir à la lumière hors des ténèbres du sol.

B. Je ne sais. Ces gens savaient trop de choses. Avec un simple nom ils racontaient le nuage, la forêt, les destins. Ils virent certainement ce que nous connaissons à peine. Ils n’avaient ni le temps ni le goût de se perdre dans des songes. Ils virent des choses terribles, incroyables, sans même s’étonner. On savait ce que c’était. S’ils ont menti, ceux-là, alors quand tu dis « C’est le matin » ou « il va pleuvoir », toi aussi tu as perdu la tête.

A. Ils ont dit des noms, c’est sûr. Au point que je me demande parfois si d’abord ce qui fut, c’étaient les choses ou bien ces noms.

B. Les deux en même temps, crois-moi. Et ce fut ici, dans ces régions incultes et solitaires. Faut-il s’étonner si ces gens venaient jusque-là ? Quoi d’autre pouvaient-ils chercher, sinon la rencontre avec les dieux ?

A. Qui peut dire pourquoi ils s’arrêtèrent ici ? Mais dans tout lieu abandonné demeure un vide, une attente.

B. Rien d’autre ne peut être pensé sur ces hauteurs. Ces lieux ont des noms, à jamais. Il ne reste que l’herbe sous le ciel, et pourtant le souffle du vent met dans la mémoire plus de fracas qu’une tempête dans la forêt.

Il n’y a ni vide, ni attente. Ce qui a été, est pour toujours.

A. Mais ils sont morts et ensevelis. Maintenant les lieux sont comme ils étaient avant eux. Je veux bien t’accorder que ce qu’ils ont dit était vrai. Que reste-t-il d’autre ? Tu admettras qu’on ne rencontre plus de dieux sur le sentier. Quand je dis : « C’est le matin », ou « Il va pleuvoir », je ne parle pas d’eux.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.21

Page 21: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel

B. Cette nuit, nous en avons parlé. Hier tu parlais de l’été et de l’envie qui te prend de respirer l’air tiède, le soir. D’autres fois tu discours de l’homme, des gens qui ont été avec toi, de tes goûts passés, des rencontres inattendues. Toutes choses qui furent autrefois. Moi, je t’assure, je t ‘ai écouté comme je réécoute en moi ces noms anciens. Quand tu racontes ce que tu sais, je ne te réponds pas : « Que reste-t-il ? », je ne te demande pas si les mots ou bien les choses ont d’abord été. Je vis avec toi et je me sens vivant.

A. Il n’est pas facile de vivre comme si ce qui arrivait en d’autres temps était vrai. Quand hier la brume nous a pris sur les terres incultes et que quelques cailloux ont roulé de la colline jusqu’à nos pieds, nous n’avons pas pensé aux choses divines ni à une rencontre incroyable, mais seulement à la nuit et aux lièvres en fuite. Qui nous sommes et à quoi nous croyons, cela vient au jour devant le désarroi, à l’heure périlleuse.

B. De cette nuit et des lièvres, il fera bon reparler avec les amis quand nous serons dans nos maisons. Et pourtant de cette peur il nous faut sourire, si jamais on pensait à l’angoisse des gens d’autrefois, pour lesquels tout ce qui arrivait était mortel. Des gens pour qui l’air était plein d’épouvantes nocturnes, de menaces mystérieuses, de souvenirs effrayants.

Pense simplement aux intempéries et aux tremblements de terre. Et si ce désarroi fut réel, ce qui est indiscutable, tout aussi réel furent le courage, l’espoir, la découverte heureuse de pouvoirs, de promesses, de rencontres. Moi, pour ma part, je ne me lasse pas de les entendre parler de leurs terreurs nocturnes et des choses en quoi ils espérèrent.

A. Et tu crois aux monstres, tu crois aux corps bestialisés, aux pierres vivantes, aux sourires divins, aux mots qui anéantissaient ?

B. Je crois en ce que chaque homme a espéré et souffert. Si autrefois ils montèrent sur ces hauteurs pierreuses ou cherchèrent des marais mortels sous le ciel, ce fut parce qu’ils y trouvaient quelque chose que nous ne connaissons pas. Ce n’était ni le pain, ni le plaisir, ni cette chère santé. Ces choses, on sait où elles se trouvent. Pas ici. Et nous qui vivons loin, le long de la mer ou dans les champs, l’autre chose, nous l’avons perdue.

A. Dis-là donc, cette chose.

B. Tu le sais déjà. Ces rencontres qu’ils firent.

Dans le pays d’hiver Dossier de production p.22

Page 22: dans le pays d’hiver Cesare Pavese - mc93.com · Cesare Pavese ? Silvia Costa : Ce n’est pas le texte le plus connu de Pavese. C’est l’un de ses derniers, celui avec lequel