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DE 1/ABUS DE DROGUESPAR L'EDUCATION ET

L'INFORMATION:UN DEVOIR

INTERDISCIPLINAIREDANS LE CONTEXTE BU

DEVELOPPEMENT HUMAIN

par Lia Cavalcanti

Paris, Juillet 1994

INTRODUCTION 1

De l'importance de l'éducation préventive 2

De la priorité du développement humain 4

De l'importance de l'interdisciplinarité 4

I - EDUQUER POUR PREVENIR QUOI ? 6

II - AUPRES DE QUELS PUBLICS ? 9

Le cas des jeunes et des enfants 9

Le cas des femmes 11

III - AVEC QUEL PARTENARIAT ? 12

IV - PAR QUELLES MESURES ? 14

L'information 16

Les mass média 18

Les pairs comme agents de prévention 19

La peur comme outil de dissuasion 20

L'éducation affective 21

CONCLUSION 24

L'abus de drogues est un phénomène complexe ; sa prévention demande la mise en placede mesures théoriques, méthodologiques et techniques complexes.

Ce document se propose d'analyser le champ conceptuel et pratique sur lequel se basentles actions de prévention pour pouvoir ensuite définir l'éducation préventive ; sonépistémologie, son rôle et ses outils en rapport avec l'objectif de l'UNESCO decontribuer au développement humain. Pour cela, le document décrit et analyse lesdiverses mesures théoriques et techniques, les publics-cibles et les critères de sélection dupartenariat des programmes d'éducation préventive.

L'abus de drogues étant un phénomène humain, il ne faut pas y faire face de la mêmefaçon qu'on affronte d'autres phénomènes ; pour la première fois dans l'histoire del'humanité, nous sommes confrontés à une épidémie qui porte atteinte au corps social etpas uniquement au corps physique de l'individu. La complexité du phénomène exige desréponses intégrant plusieurs disciplines de la connaissance humaine (interdisciplinarité)par une analyse transversale (transdisciplinarité) des pratiques ayant pour finalité ledéveloppement humain.

L'éruption massive des problèmes liés aux drogues dans les sociétés contemporainesinterpellent radicalement nos modes de vie, l'organisation politique, économique et socio-culturelle de nos sociétés et en conséquence, nous interpelle sur la place du symboliquedans nos cultures. Une problématique si complexe et d'ampleur grandissante ne peut pas,cependant, être traitée de façon simpliste et volontariste («just say no») ou par desstratégies de type essentiellement belliqueux, du genre «guerre à la drogue».

Selon Baudrillard* «II faut convenir que le problème de l'usage de drogues doit êtretraité délicatement (puisque c'est un problème ambigu) avec des stratégies elles-mêmesambiguës. La meilleure prévention reste l'introduction du symbolique dans le social ,stratégie problématique puisqu'il faut aller en sens contraire du courant d'hyper-rationalisation et de programmation sociale. Ce n'est pas déchoir de ne pas avoir desolution toute faite ; et il faut éviter par dessus tout les stratégies claires unilatérales, dedénonciation, par où un type de société se conforte dans son pharisaïsme. L'usage desdrogues est une question et il ne faut pas avoir de réponse toute prête».

Face à une problématique si complexe, le rôle de l'UNESCO est de proposer et depromouvoir un éventail d'actions intégré par l'articulation des divers savoirs etconnaissances (interdisciplinarité) : le programme d'éducation préventive proposé parl'UNESCO inclut ainsi les dimensions idéologique, culturelle et spirituelle de la viesociale et propose des horizons d'actions qui traversent des champs sociaux divers telsque le sportif, le technologique et l'artistique comme besoins essentiels pour ledéveloppement humain, pour la promotion de la tolérance, la paix, la démocratie et lerespect des droits de l'homme.

Baudrillard Jean : in Le Courrier - Unesco, juillet 1987.

• De l'importance de l'éducation préventive

L'éducation préventive se fonde sur deux préalables essentiels ; premièrement, l'éducationest un outil de prévention et deuxièmement la prévention en matière de drogues estpossible. Mais, avant d'analyser les moyens de l'efficacité de l'éducation préventive, ilsemble important de redéfinir et de replacer rapidement dans leur contexte un certainnombre de concepts.

Tout d'abord, l'usage de drogues est un phénomène humain ; il n'existe point chezl'animal* C'est donc dans la socio-culture que l'usage et l'abus de drogues s'enracinent etprennent du sens. C'est donc là que la prévention devient possible. D'où le rôlefondamental de l'éducation comme outil préventif dans le champ de l'abus de drogues.

Cependant, il faut faire la différence entre phénomènes naturels et phénomènes sociétaux;dans ce dernier cas, il ne s'agit pas d'éliminer l'usage de drogues chez l'homme, maisessentiellement d'y faire face comme un problème sociétal.

Comme le montrent certaines études anthropologiques, la société crée et met en placedes mécanismes de régulation intégrés qui visent à réduire ou minimiser les effets nocifsdes drogues. En cas de pathologie du tissu social, cette capacité de régulation se perd**

Que veut dire prévenir dans le sens commun ?

L'étymologie latine (prae-venire : venir avant) place l'acte préventif dans une chronologie- agir avant que le problème ne se pose, créant par là un paradoxe. En effet, il est dèslors impossible de vérifier l'efficacité de l'acte préventif, la prévention devient ainsi non-perceptible et donc non-vérifiable. Voici une première difficulté de l'interventionpréventive. Passons donc aux définitions de :

-Prévenir : aller au-devant de quelque chose de fâcheux pour l'empêcher, le détourner ;satisfaire par avance , avertir en menaçant.-Prévention : opinion préconçue à l'égard des personnes ou des choses avec une idéedéfavorable de méfiance ; état d'esprit disposé d'avance dans tel ou tel sens.

L'analyse de ces définitions nous renvoie aux difficultés de l'intervention préventive.Considérant ce qu'il faut prévenir comme « fâcheux », on se retrouve dans le champ de lavaleur, de la morale, et donc des idéologies et la prévention devient ainsi une entreprisemoralisatrice. Si l'on prend l'acception « de satisfaire par avance », on se retrouve endehors de toute vérification expérimentale, donc la prévention devient une sorte devolontarisme. Si l'on prend encore le slogan bien connu « il vaut mieux prévenir queguérir », nous entrons directement en rapport avec l'acte curatif ; créant la liaison entrel'univers de la maladie et l'idée de prévention. Et c'est cette idée qui fonde aujourd'hui laplupart des modèles d'intervention et la compréhension de la prévention.

Sauf à une ou deux exceptions prèsN. ZINBERG- Drug, set and setting. Yale University Press, New-Haven et Londres. 1974.

C'est dans l'évolution de la médecine que se trouvent les racines de ces pratiques. C'est àla fin du XIXème siècle, avec les découvertes de Pasteur sur les maladies infectieuses ques'est construit le modèle médical de la prévention. Ce schéma est le produit d'une logiquecartésienne déterministe, de type cause-effet, et s'appuie sur l'histoire naturelle desmaladies ; l'histoire qui repose sur la connaissance de l'origine (la cause), lareconnaissance des symptômes (les effets) et la reconstitution des mécanismes depropagation (l'articulation de l'effet à la cause). Ce sont donc certaines caractéristiquesde l'origine et des mécanismes et propagation propre aux maladies infectieuses qui sont àla base de la validité de ce modèle qui impliquent :

- suppression de la cause ; en général unique et identifiable- interruption des mécanismes de propagation ; en général naturels, linéaires,

repérables et susceptibles d'extermination- protection de la population dont l'expression maximale prend la forme de campagnes

de vaccination.

En général, quand la connaissance des maladies est complétée, c'est par la combinaisonde trois stratégies que ce modèle d'intervention atteindrait son niveau d'excellence.

« C'est important de mettre en évidence que le modèle médical de la prévention, né de lalutte contre les maladies infectieuses, est venu par son efficacité, rationaliser les grandespeurs et sentiment d'impuissance de notre imaginaire collectif lié aux grandes épidémiesqui ont marqué l'histoire de l'humanité » ... « C'est dire combien ce modèle de préventiona acquis ... une crédibilité forte par sa capacité à conjurer des grandes peurs collectives età donner à l'être humain un sentiment de maîtrise du fléau qui les guette »

La représentation aujourd'hui de l'expansion généralisée de l'abus de drogues dans lessociétés contemporaines comme « le » fléau du siècle, dévoile un imaginaire socialcollectif rempli des mêmes sentiments de peur et d'impuissance que dans le passé. Mais, àla différence des grandes épidémies du siècle dernier, aujourd'hui c'est le corps social quiest atteint et non pas le corps physique , le traitement des valeurs exige ainsi la mise enplace des stratégies symboliques d'action. C'est pour cela que, appliquer le modèlelinéaire de l'intervention médicale au complexe domaine des phénomènes sociaux, esttentation dangereuse.

Selon le Programme d'Education Préventive de l'UNESCO**:

« La prévention de l'abus des drogues ne consiste pas seulement à donner aux individusles moyens de faire face à ce problème mais en leur apprenant à penser et à faire deschoix et en les aidant à se relier à leur environnement physique et social et à s'impliquerdans son devoir. La prévention doit essentiellement apporter des ressources nécessairespour susciter l'expression personnelle, rétablir le dialogue et surmonter l'indifférence.Les activités sociales menées dans le domaine des arts, de la musique et du sport sontautant de moyens de communication privilégiés qui non seulement procurent du plaisir,

ROUGE Alain, Prévention : les limites du modèle médical. Les Cahiers de la CORIEF, n 1,janvier 1988."Drogues : Réduction de la demande, Contribution de l'UNESCO par l'éducation préventive",p.4. Position du programme de l'UNESCO d'Education Préventive de l'Abus des Drogues.Secteur de l'Education, 1993.

mais offrent une alternative à la violence inhérente à l'absence de dialogue (dont l'abusdes drogues est la forme la plus insidieuse), favorisent l'authenticité du discours, lacréativité, et la possibilité d'entrer en contact avec d'autres et de faire l'expérience de lasolidarité ».

A travers la mise en place des Programmes d'Education Préventive, l'UNESCOpropose, en complémentarité avec les autres organismes du système Nations-Unies, unnouveau champ conceptuel et une nouvelle approche pragmatique de la prévention del'abus de drogues. Il est indispensable aujourd'hui d'intégrer cette stratégie comme un axeinnovateur dans le domaine de la connaissance ; il s'agit d'éducation et d'information etpas seulement d'une transmission de savoir inopérante sur le comportement : « apprendreà être ».

L'éducation préventive suppose communication réciproque, ce qui permetl'intégration des connaissances et sentiments, de l'individu et de son groupe, de lasphère du public et du privé - par des interactions dynamiques ayant pour but undéveloppement humain harmonieux.

• De la priorité du concept de développement humain

Ce concept apparaît de façon opérationnelle en 1990 lors du premier « Rapport sur leDéveloppement Humain ». Il fait l'objet d'une quantification, par le biais d'indicateurs quicroisent le pouvoir d'achat des pays avec ceux de la Santé et de l'Education et fournitainsi une mesure de développement beaucoup plus large que celle donnée par le ProduitNational Brut (PNB) tout court.

C'est ainsi que les différents pays sont classés selon l'Indice de Développement Humain(IDH), avec des résultats très intéressants pour la mise en place de programmes etpolitiques aux niveaux local, régional, national et international* Cependant, cet indice(comme tout autre indicateur national) est global ; il ne prend pas en compte lesdifférences locales existantes entre communautés diverses, d'une part ; d'autre part, il neconsidère pas les variables de type socio-culturelles. D'où l'importance de l'éducationcomme abord qui traverse tous les domaines : du cognitif à l'affectif. D'où l'importanceégalement de l'éducation préventive qui, se fondant sur des réalités locales, municipales,communautaires, régionales constitue ainsi un élément du développement humain. Il estévident que par le biais de l'éducation préventive, on peut améliorer les conditions de viedes populations par la prise en compte de leurs besoins d'éducation et de santé, comme lefait l'Indice de Développement Humain, particulièrement en ce qui concerne l'abus dedrogues, se transformant ainsi en un outil efficace de développement humain

• De l'importance de l'interdisciplinarité

Le problème des drogues est un problème à différentes composantes ; ainsi, la diversitédes angles d'approche fait partie de la nature même du problème. L'éducation préventivelie de façon transversale les phénomènes de l'usage abusif de drogues aux autres

Pour d'autres informations, se reporter au Rapport sur le Développement Humain, 1993.

phénomènes sociétaux globaux. Il est nécessaire de développer une approcheinterdisciplinaire puisque les phénomènes comportent une multitude de champs desavoirs et de pratiques ; la psychologie, la psychiatrie, la médecine, l'histoire, l'ethnologie,la sociologie, l'éducation, le droit, le travail social de proximité, ...

L'abus de drogues constitue un obstacle au développement humain. Pour faire face àcette question, l'éducation préventive se pose un double objectif qui est tout d'abord decontrecarrer l'usage abusif de drogues et par là même de promouvoir le développementhumain II est donc indispensable, à partir d'une approche interdisciplinaire, deprocéder à une lecture transdisciplinaire du problème puisque le champ desdrogues traverse pratiquement tous les champs de la connaissance et del'affectivité. •

IIM^

Tout programme préventif doit se fixer des objectifs pour ensuite définir les moyens deles atteindre. Cependant, les stratégies d'éducation préventive se heurtent aux mêmesdifficultés que tous les autres processus éducatifs en général ; à savoir que les normes,valeurs et modèles varient de culture à culture et qu'il faut agir globalement mais dansle respect de la singularité. De ce fait, il est évident qu'il n'existe pas une réponseunique ni idéale au problème. Enfin, et avant tout, l'éducation préventive vise à prévenirtoute sorte de déstructuration du lien social. Les questions qui suivent sontfondamentales pour l'établissement des objectifs de l'éducation préventive.

a. S'agit-il d'éradiquer l'usage ou de réduire les dégâts liés à l'abus de drogues ?b. S'agit-il de centrer le programme sur les drogues uniquement illicites ou bien

d'intégrer dans toute stratégie préventive toutes les drogues, de celles qui sont licitesaux illicites, voire de remettre en question ces frontières ?

c. S'agit-il de construire des objectifs centrés sur la réduction de la demande ous'agit-il dépenser l'offre et la demande comme polarités indissociables ?

Les réponses qui suivent sont la base pour l'établissement des programmes d'éducationpréventive :

a. S'agit-il d'éradiquer l'usage ou de réduire les dégâts liés à l'abus de drogues ?L'accroissement de l'usage de drogues dans le siècle présent pose la question inévitabledes relations entre l'individu et sa place dans la société. Le passage du mode d'usagecollectif, rituel ou médical se fait dans les sociétés modernes par des ruptures de larégulation collective de ces usages : c'est donc dans l'instabilité et la fragilité du liensocial que peuvent se trouver les origines de ces ruptures. La société n'offre plus à sesmembres des places prêtes à être occupées ; tout au contraire, c'est à l'individu querevient la tâche de trouver sa place et de construire son identité sociale, comme nous lerappelle Claude LEFORT* L'usage de drogues correspond ainsi de plus en plus à uneréponse à des situations difficiles qu'à une recherche d'exploration personnelle ouaventurière tel que ce fut parfois le cas dans les années soixante (principalement dansles pays développés).

Comme l'affirme BAUDRILLARD* :« Toute l'ambiguïté et le paradoxe de la drogue est là ; en lui-même, son usage, danscertains pays, relève de la perte collective des défenses immunitaires ou de la perteindividuelle des défenses symboliques [...], du coup, on peut entrevoir l'usage desdrogues sous un autre aspect, exactement inverse : tout en participant du syndrome(social) immuno-déficitaire, il constitue lui-même une défense. Il y en a sans doute demeilleures, mais il n'est pas impossible de penser (puisqu'il faut bien répondre à uneréalité aussi insoluble par des hypothèses paradoxales) que cet usage et cet abus

in Drogues : "Politique et Société" sous la direction de EHREMBERG Alain et MIGNONPatrick. Le Monde Editions et Editions Descartes.- Paris, 1992.Op. cit.

constituent une réaction vitale, symbolique, quoiqu'apparemment désespérée etsuicidaire, contre quelque chose de pire encore.Sans donner du tout dans l'idéologie euphorisante, dans la prosopopée occidentale desannées 60 et 70 sur "l'élargissement du champ de conscience", on peut penser,beaucoup plus prosaïquement, qu'il y a là non seulement une fuite devantl'abrutissement objectif que peut constituer la vie dans certaines sociétés, mais uneesquive collective, un réflexe communautaire de fuite devant la normalisation, larationalisation, la programmation universelle, qui sont sans doute à long terme undanger plus grave encore pour la société et pour l'espèce. [...].Cela dit, l'usage des drogues dans les pays industrialisés n'est plus dans sa phaseintensive, celle où il se soutenait d'un discours euphorisant ou héroisant, subversif ousuicidaire, il est dans sa phase extensive où, s'il gagne en surface, il perd par là mêmede sa virulence sociale. Ce n'est plus une anomie plus ou moins subversive, c'est uneanomalie qui s'institutionnalise". [...]. Il faut tenir compte de cette logique "perverse"et distinguer un usage des drogues lié à un développement social et économiqueinsuffisant (ce qu'il est encore souvent dans les pays en développement ou, pourl'alcool, dans les classes défavorisées) d'un usage lié au contraire à la saturation del'univers de la consommation, comme il a commencé d'apparaître dans les années 60dans les pays industrialisés, à la fois comme apogée et comme parodie de cette mêmeconsommation, comme anomalie contestataire d'un monde dont il fallait s'échapperparce qu'il était trop plein et non parce qu'il aurait manqué de quelque chose. C'est làpeut-être une leçon pour les sociétés en développement , encore ambivalentes dansleur organisation. »

C'est donc dans la multiple crise des sociétés modernes , politique, économique,sociale et culturelle que se trouvent les hypothèses explicatives de l'augmentation del'usage abusif de drogues.

C'est ainsi que l'origine de l'abus ne tient pas à une seule et uniquedétermination mais à une multiplicité factorielle d'origines diverses, biologiques,psychologiques et sociales.

Plusieurs études démontrent que lorsque l'usage de drogues est socialement intégré, onne le considère pas comme un problème, que dans des cas extrêmes. C'est doncl'abus de drogues qui doit être l'objet de l'éducation préventive en tant que réelsyndrome de déficience sociale et plus spécifiquement la réduction des méfaitsliés à cet usage (minimiser les nuisances qui en découlent).

b. S'agit-il de centrer le programme sur les drogues uniquement illicites ou biend'intégrer dans toute stratégie préventive toutes les drogues, de celles qui sont licitesaux illicites, voire de remettre en question ces frontières ?Toute drogue est le produit d'une société, qui par son mode d'utilisation lui attribueune fonction sociale. D'une culture à l'autre, la notion de licite et illicite varie. D'uneépoque à l'autre, ces classifications se croisent et se redélimitent. Les changementssocio-économiques rapides produisent à la fois des nouvelles drogues, obligeant ledéplacement continuel des frontières éphémères entre drogues licites et illicites.

Il est évident ainsi que ce sont les contextes des sociétés et des cultures quidéfinissent le mode de régulation de l'usage et qui déterminent ainsi le degré dedangerosité des drogues, qu'elles soient légales ou non.

Et c'est pour cela que nous parlons à la fois de la dépendance fonctionnelle d'unesociété donnée à des modes culturels et usages sociaux, comme de la dépendanceindividuelle d'un sujet à un mode de vie.

c. S'agit-il de construire des objectifs centrés sur la réduction de la demande ous'agit-il dépenser l'offre et la demande comme polarités indissociables ?En général, les drogues illégales suivent la loi du marché dans les conditionsparticulières d'un contexte commercial illicite : le prix élevé d'un bien est directementproportionnel aux risques que prend le vendeur. De plus, le monopole de fait détenupar certains vendeurs sur le marché maintient les prix à un niveau élevé. Il est vraiaussi que, dans certains cas, l'interdiction frappant un bien peut augmenter sa valeur deprestige auprès de certains groupes, comme il est vrai aussi que l'interdit frappant unbien n'est pas susceptible de faire diminuer la demande sociale globale. Ceci met enévidence que la répression ne diminue pas l'offre ; tout au contraire, puisqu'elle rendses bénéfices plus importants par ceux qui la vendent et peut augmenter sa valeursymbolique pour ceux qui la consomment.

Dès lors, en termes de programme d'éducation préventive, il est nécessaire deprendre en compte les liens indissociables existant entre offre et demande ;limiter ces programmes à la réduction de la demande c'est ignorer les principesélémentaires qui régissent toute économie de marché.

Considérer le contexte économique et politique est donc une variable nécessairedans la prise en compte de l'élection d'une stratégie d'éducation préventive. Elleconstitue une condition non suffisante, puisque dans le domaine du social lesdéterminations ne sont pas linéaires. •

Groupes à risques, facteurs de risques ou situations à risques ?

La désignation des groupes comme population potentiellement à risque est une questionépineuse en matière d'éducation préventive. Il est particulièrement difficile de fonder lescritères d'une telle désignation, voire même dangereux. En d'autres termes, désigner unepopulation comme à risque peut augmenter le risque pour cette population et par voie deconséquence pour la population en général. Désigner des populations à risque peut ainsicréer des boucs-émissaires à l'intérieur des interactions sociales complexes entre groupesdivers. Et la lutte contre le SIDA nous a beaucoup appris dans cette matière.

Une autre approche est celle qui propose la notion de facteur de risque ; ici le modèletraditionnel de la relation cause-effet est remplacé par la prise en compte d'une série defacteurs de risque clairement mise en évidence par des études statistiques. On met ainsiun accent particulier sur les caractères multifactoriels de la genèse des problèmes, chaquefacteur de risque agissant en combinaison avec d'autres. Cependant, les individusidentifiés comme porteurs de risque sont ceux qui présentent une plus grande probabilitéde manifester à long terme un problème, devenant ainsi finalement, des groupes à risque.Même si dans ce cas les groupes à risque sont obtenus par le croisement de plusieursfacteurs, nous retrouvons dans ce cas les mêmes effets pervers de désignation.

Donc, dans le champ de l'abus de drogues, interprété comme phénomène socio-culturel,les préoccupations de nomination nous semblent nécessaires II est préférable ladésignation des situations à risques à celle des groupes à risques, car les effetspervers de la surdétermination sociale peuvent aboutir à des formes d'exclusion.

De nombreuses études démontrent qu'il existe des liens multiples entre toxicomanie,SIDA et exclusion sociale* Sans doute, l'abus de drogues apparaît comme une des plusévidentes pathologies de la précarité sociale, culturelle et économique.L'exclusion sociale semble être le risque majeur en ce qui concerne l'abus de drogues ;l'association généralement faite entre pauvreté, délinquance et drogue (bref tout ce quiexprime les pathologies du lien social) en est une évidence.Deux publics, cependant, sont l'objet d'attentions particulières de l'UNESCO en matièred'éducation préventive, puisque particulièrement vulnérables et avec moins d'atouts pourfaire partie d'un mouvement de développement humain. Les groupes qui suivent noussemblent ainsi réunir des caractéristiques qui font d'eux une cible privilégiée del'éducation préventive et de par leur nombre, et de par leur potentialité encoreinexploitée.

LEBEAU Bertrand.- New York, Londres, Paris : SIDA, toxicomanie, exclusion. Actes duColloque Triville, Paris, janvier 1993.

• Le cas des jeunes et des enfants :

La consommation de drogues et son augmentation sont indissolublement associées audéveloppement de la société de consommation et les jeunes sont une partie trèsimportante de ce marché. Le poids démographique et symbolique des jeunes et desenfants dans toutes les sociétés, en particulier dans celles en voie de développement,devient élément moteur dans l'augmentation de la consommation, y compris celle liée auxdrogues. En effet, la drogue peut devenir pour des jeunes fragiles un réseau desocialisation quand ils n'ont pas été capables d'intégrer ou d'être intégrés à aucun autreréseau. Il est important aussi, dans ce cas, de distinguer la singularité dans la globalité.La jeunesse générale comme catégorie abstraite n'existe pas. Il faut prendre les jeunesdans leur spécificité à la fois culturelle, ethnique, de tranche d'âge, etc. La fragilité decette période de la vie caractérisée par la transition entre l'enfance et l'âge adulte, rend cepassage particulièrement vulnérable dans les sociétés où le chômage et l'exclusionlimitent l'accès à un statut social autonome. Les drogues peuvent ainsi devenir desréponses à des situations difficiles, à la fois individuelles et sociales. Tant dans les paysindustrialisés que dans les pays moins avancés, un système de valeur fondé sur la réussitesociale et le marché de consommation crée les conditions pour que certains jeunes aientrecours à des drogues.

« Tout en déplorant l'absence généralisée de données statistiques (même dans les pays duNord), l'Organisation Mondiale de la Santé estime que 80 millions d'enfants vivent dansles rues et les recoins de métropoles de la planète, principalement dans les pays du Sud.Privés de l'enfance, les gamins de la misère entrent de plain pied dans un monde qui n'arien à envier au monde des adultes, qu'ils atteindront peut-être [...].Soumis déjà au double handicap d'être pauvre et faible, les enfants du Tiers Mondedeviennent aujourd'hui les victimes les plus fragiles des maux de notre époque : la drogueet la violence »* C'est ainsi que la drogue peut devenir un choix individuel pour desjeunes et des enfants qui trouvent, à travers la drogue et ses réseaux de trafic et deconsommation, un groupe social prêt à les accueillir. De surcroît, à travers laparticipation dans les circuits du deal, ces enfants et ces jeunes rêvent de devenir des« self made men », par l'intégration à un monde de richesse que la drogue leur ferait,miroiter.

L'instabilité économique et sociale aggravée par la montée du racisme et de laxénophobie et par des conflits belliqueux liés à des identités ethnico-religieuses rendentchaque être humain, avant l'âge adulte, particulièrement plus vulnérable à des conduites àdes situations à risque et à la recherche de solutions « faciles ».

En ce qui concerne l'éducation préventive auprès d'un public déjeunes et d'enfants, il fautabsolument éviter la « diabolisation des produits » par des campagnes d'informationcentrées essentiellement sur les effets nocifs de la consommation sur l'organisme. Cesstratégies peuvent amener à des effets de reconversion de l'usage (on peut donner commeexemples la reconversion de l'usage de certains solvants volatils, comme la colle, àd'autres produits chimiques, comme ceux utilisés dans les peintures pour automobiles,dont les conséquences sont beaucoup plus dangereuses) pour l'organisme.

Revue Interdépendances, n° 13, mai-juin 1993.

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L'ensemble de ces éléments affirme la fondamentale importance de l'action de l'UNESCOen matière d'éducation préventive auprès de ce public.

• Le cas des femmes

Un autre groupe, ni homogène ni uniforme, mérite aussi une attention spéciale de la partde l'UNESCO en matière d'éducation préventive : les femmes. Comme les jeunes, lesfemmes n'existent pas comme catégorie abstraite puisque l'identité féminine change deculture à culture, d'une place sociale à l'autre, variant aussi selon les statuts économiqueset la confession religieuse.

Cependant, à la différence des jeunes, les femmes occupent différentes places dans la viesociale ; elle peut être mère, institutrice, prostituée, cadre, dirigeant politique ..., prochedes jeunes vivant des situations à risques, ou vivant elle-même dans la précarité etl'exclusion ; donc dans des circonstances de risques privilégiées.

Selon le Rapport sur le Développement Humain (1993)* « aucun pays au monde ne traiteses femmes de la même manière que ses hommes » [...] « Dans les pays industrialisés, ladiscrimination sexuelle se manifeste surtout en matière d'emploi et salaire, puisque trèssouvent les femmes reçoivent moins de deux-tiers des offres d'emploi etapproximativement la moitié du salaire des hommes. Dans les pays en développement,au-delà d'une très grande inégalité dans le marché du travail, il existe aussi des inégalitésappréciables en ce qui concerne les services de santé, nutrition et éducation. Par exemple: les femmes constituent deux-tiers de la population analphabète »*

Ces conditions d'inégalité et vulnérabilité sociale font ainsi des femmes en général et dechaque femme en particulier, des populations particulièrement fragiles à l'abus dedrogues.

Sujet et objet de l'éducation préventive, la femme est un acteur privilégié de certainsprogrammes pilotes mis en place par l'UNESCO - essentiellement dans des stratégiesinnovatrices d'éducation « de pair à pair ».

A la veille de la Conférence Mondiale de la Femme organisée par les Nations Unies, il esturgent de prendre en compte les besoins multiples, transversaux et spécifiques de lafemme et des femmes dans la mise en oeuvre de stratégies réalistes et pragmatiquesd'éducation préventive. •

Rapport sur le Développement Humain, Op. cit., p. 17.Rapport sur le Développement Humain, Op. cit.. p. 19.

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Tout programme d'éducation préventive doit, selon son échelle d'activité, s'appuyer surcette gamme variée d'organisations pour promouvoir un développement humaindifférencié.

« La vision du monde se construit et se développe par des interactions personnaliséesentre petits groupes sociaux : en premier lieu dans la famille, ensuite dans la rue, dans lesquartiers ou peut-être dans les villages »*

II faut donc mettre en place des programmes qui tiennent compte des microcosmessociaux et de ces systèmes d'interactions et d'articulations. Il faut déceler les questionsspécifiques liées à la production de l'imaginaire ainsi que celles liées à la production del'intégration et de l'exclusion. Tout ceci dans le monde urbain mais aussi dans le monderural. Il est indispensable de tenir compte des phénomènes migratoires internes etexternes, dans cette analyse. Agir à différents niveaux (de la famille jusqu'à la société engénéral) exige de tenir compte et d'intégrer comme partenaire les institutions de l'Etat etcelles de la Société Civile. Et entre les deux, d'articuler la collaboration à partir del'échange de savoir-faire avec les institutions spécialisées dans le champ de drogues.

Parmi les organisations issues de la Société Civile, il vaut la peine de signaler les rôlesdes organisations non gouvernementales (ONGs) et des organisations populaires.Les ONGs sont des organisations volontaires, relativement structurées et avec unecertaine structure bureaucratique, tandis que les organisations populaires sont moinsstructurées, plus démocratiques mais à capacité d'intervention plus réduite.Tandis que les ONGs peuvent s'organiser aux niveaux local, national, voire international(y compris sous forme fédérative), les organisations populaires sont plus petites, plussouples et en général agissent essentiellement au niveau local.

Le gage de réussite de ces programmes est la participation, l'objectif commun étantl'amélioration de la qualité et du cadre de vie en vue du développement humain, auxniveaux :

individuelfamilialscolairecommunautairesocial

par le biais de

l'éducation (formelle et informelle)l'information

Rapport sur le Développement Humain, Op. cit., p. 95.

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Il faut en conséquence recommander la participation effective des personnes et groupesconcernés par les programmes d'éducation préventive (habitants d'un quartier, voisins,jeunes, femmes, usagers de drogues, ex-usagers de drogues, pharmaciens, instituteurs,travailleurs sociaux ...) ; il faut recommander également le développement d'actions deproximité, dans une logique de prévention de première ligne et le développementd'activités de socialfsation en général, soient-elles à caractère sportif, culturel,artistique, de loisir ... enfin, de toute sorte de stratégies visant le renforcement du liensocial, à partir d'un partenariat élargi aux institutions de l'Etat, de la Société Civile etcelles spécialisées dans le domaine des drogues. •

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Même si l'usage de drogues est une question qui relève essentiellement de l'individuel,c'est dans le contexte socio-culturel, nous l'avions démontré, que cet usage apparaît, lié àtoute une série d'événements sociaux. Ce constat suggère donc que dans l'élaboration demesures et programmes préventifs, la compréhension et l'analyse des motivationspersonnelles ne suffit pas ; il est également essentiel d'étudier et comprendre l'influenceque le milieu exerce sur la personne.

En conséquence, le programme d'éducation préventive s'adresse donc à la fois :

1. l'individu en visant à augmenter les possibilités d'autocontrôlé etd'autodétermination de la personne ;Par la proposition d'une série d'activités complémentaires et concertées visant àmaximiser les possibilités d'autonomie intellectuelle, affective, psychologique etphysique des individus.

et

2. la communauté* en visant à augmenter les possibilités de régulation sociale parles groupes.Dans ce cas, les mesures proposées se basent sur une gamme variée de méthodess'appuyant sur des réseaux de socialisation primaire et secondaire, formelles ouinformelles permettant des changements individuels et collectifs des comportementspar des régulations sociales. Ces mesures visent aussi l'amélioration du cadre de vie dela communauté en général.

De ce fait, il faut intégrer dans une pédagogie active et participative les différents degréset réseaux de socialisation, à savoir :

- la famille et l'école,- la communauté d'appartenance,- la société dans son ensemble.

La stratégie est celle d'établir des correspondances entre l'école et la vie, la vie en dehorsde l'école et les activités de loisir par la responsabilisation de chacun et par lacommunication intergénérationnelle. Il s'agit d'investir les interfaces de socialisation quivont du monde de l'école jusqu'au monde du travail, d'où l'importance d'éviter l'inhibitiondes contrôles sociaux informels par une survalorisation des activités des contrôlesformels (il faut tenir compte, du fait, par exemple, que dans différentes régions du mondetous les jeunes gens ne fréquentent pas forcément l'école).

Communauté : "Cette notion ne désigne pas une entité géographique ou politique uniforme,mais elle s'applique plutôt aux voisins, aux habitants du village, d'une ville ou d'une cité, quisont préoccupés par la qualité de la vie réservée à leur collectivité.Nations-Unies : Inventaire des mesures propres à réduire la demande illicite des drogues.- NewYork, 180.

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S'appuyer sur le tissu social, sa richesse et ses potentialités, valoriser les racinesculturelles des personnes et des groupes ainsi que ses initiatives, sont des outilsindispensables de cette stratégie. Articuler les réponses plus ou moins spontanées de lasociété civile à celles plus ou moins formelles instituées par l'Etat, avec le soutien desinstitutions spécialisées dans le domaine, est un gage de la réussite de ces programmes.Comme le rappelle l'UNESCO* :« Les spécialistes ne devraient pas être seuls à lutter contre l'abus des drogues. Ilsdevraient bénéficier de plus en plus du soutien actif des différents secteurs de la sociétéet partenaires sociaux, de la volonté politique des gouvernements soucieux d'appliquerdes politiques nationales cohérentes en la matière et du concours des institutionsspécialisées ».

Allier des efforts, produire des synergies convergentes y compris par l'enrichissementréciproque des cultures différentes, est une réponse et un devoir face aux diversessituations de rupture des liens sociaux.

Ecouter, réfléchir ensemble, comprendre, analyser, mettre en place des réponsescollectives à partir de la mobilisation d'un partenariat large est impératif et urgent.Les responsabilisations individuelles et collectives doivent être stimulées pourrecréer les solidarités naturelles à l'intérieur des groupes, en augmentant sacapacité d'autodéfense et de résistance aux difficiles situations et crises quitraversent nos sociétés contemporaines.

Cependant, « dans le domaine de la consommation des drogues et des dépendancesqu'elles peuvent engendrer, il n'existe précisément aucune approche permettant de relierentre eux les différents niveaux d'explication. On ne peut donc pas décrire un processusuniforme répondant à une logique causale. On peut objecter ici que ce qui importe, cen'est pas tant la qualité et la validité d'une théorie étiologique que le succès pratique del'action préventive. En d'autres termes, un savoir théorique sur les causes de l'usage dedrogues n'est pas une garantie de l'efficacité de la prévention. Ce n'est en effet que dansla mesure où l'on parvient à conjuguer théorie et hypothèses opératoires que sont réuniesles conditions nécessaires pour que la prévention soit efficace »*' et de cette façon, oncontribue à la promotion du développement humain.

Les apports théoriques et conceptuels ont pour seul objectif de mieux comprendre lemécanisme en jeu dans les situations ; cependant, ils ne sont que des outils de laprévention, pas la seule condition de sa réussite.

Cependant, en l'absence de ces outils, l'intervention préventive peut devenir simpleentreprise morale, d'où le danger de la production sauvage d'outils d'interventioncomme par exemple des supports audio-visuels, des affiches, etc. conçues en généraluniquement dans le but de se donner bonne conscience. Pour augmenter l'efficacité del'éducation préventive, il faut aussi se donner les moyens méthodologiques dé l'actionpar :

"Drogues : Réduction de la demande". Op. Cit., p. 1Le problème de la drogue (en particulier en Suisse) considéré dans son aspect social etpréventif. Université de Lausanne, 1990. p. 178.

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l'analyse des situationsles choix des prioritésla définition des objectifsla définition des moyensla planification de l'actionl'évaluation de l'actionla reformulation de l'action en fonction des résultats.

Pour éviter toute entreprise morale en matière d'éducation préventive, le choix destechniques est aussi très important ; ce choix ne doit jamais être l'oeuvre du hasard, maisle résultat d'une analyse fine entre situations (contexte socio-culturel) et techniquesadaptées. De ce fait, les techniques qui suivent, sans pour autant prétendre êtreexhaustives, peuvent être utilisées dans divers programmes d'éducation préventive*

• L'information

Un certain nombre d'études se sont attachées à cerner les effets de l'information sur lesdrogues (Berberian et al, 1976 ; PICKENS, 1985). Les résultats de ces travauxconcordent sur le fait que même des programmes de courte durée ont un effet sur leniveau de connaissance des élèves. Si les résultats sur le plan cognitif s'avèrentgénéralement positifs, ceux concernant les attitudes sont au contraire contradictoires.Alors qu'un premier groupe d'études conclut à l'absence d'effet sur les attitudes, undeuxième groupe démontre une transformation de celles-ci dans le sens d'une attitudefavorable à la drogue ; un troisième groupe enfin met en évidence une modification desattitudes dans le sens d'un rejet de la drogue.

Que la plupart des travaux en arrivent à la conclusion que les programmes de préventiondes toxicomanies parviennent à accroître le savoir dans ce domaine n'a rien d'étonnant,tant du point de vue théorique que pratique. Des études montrent en effet que lesconnaissances qui n'ont pas de lien avec le domaine de l'affectivité et des conduites sontles plus faciles à modifier. Par contre, l'hypothèse qu'un savoir plus précis concernant lesdrogues serait susceptible d'en diminuer la consommation ultérieure de manièreimportante n'a guère été confirmée. En dépit de la diversité caractérisant les approchesen matière de prévention des toxicomanies, ainsi que les méthodes et les résultats desétudes d'évaluation, on peut formuler les affirmations suivantes. Il n'existe pas de relationconsistante entre le savoir et les attitudes, ni entre les attitudes et les conduites. Lasimple diffusion de connaissances objectives n'est donc pas une condition suffisantepour une modification des attitudes et des conduites ; cela ne signifie cependantpas que la transmission d'informations ne constitue pas une condition nécessairepour favoriser un choix rationnel.

Un certain nombre d'études montrent que le désir de faire des expériences nouvelles etexcitantes constitue un motif important de l'usage de drogue. On peut en déduire quel'acquisition de meilleures connaissances accroît la probabilité d'un usage de drogue du

Les points qui suivent ont été rédigés en s'appuyant sur l'expertise commandée par l'OfficeFédéral de Santé Suisse : Le problème de la drogue (en particulier en Suisse) considéré dans sonaspect social et préventif. Université de Lausanne, 1990.

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fait que cela éveille la curiosité d'une part et que la présentation objective des faitsconduit à éliminer certaines peurs injustifiées face à la drogue. Diverses études ontconstaté en effet que la prévention des toxicomanies peut avoir un effet-boomerangsur les attitudes à l'égard de la drogue et sur son usage.

Le travail de Stuart (1974) est certainement le plus connu et le plus cité. Dans son étude,Stuart montre que, comparativement au groupe de contrôle, le groupe expérimentaldispose effectivement d'un savoir accru concernant les effets des drogues, mais que, dansce groupe, l'usage aussi bien d'alcool que de marijuana et de LSD a augmenté, de mêmeque l'achat de drogue, tandis que les craintes à l'égard des drogues ont diminué. Leprogramme appliqué au groupe expérimental était constitué de dix unités d'enseignementdispensées une fois par semaine. Le contenu du programme comportait une transmissionde connaissances portant sur la physiologie et la pharmacologie à l'usage de drogue, ainsiqu'une présentation des conséquences légales, sociales et psychologiques. De plus, leprogramme présentait des différences quant au contenu (seulement drogues « dures »,uniquement drogues « douces », les deux sortes de drogues ensemble), mais aussi desdifférences quant à l'agent de transmission (enseignant comme intervenant, enseignant etélève comme intervenants). Stuart ne trouve pas de différences significatives selon lecontenu ou le style des interventions. De même, il ne met en évidence aucune relationsignificative entre le savoir et les craintes concernant la drogue. Ce résultat peut êtreconsidéré comme un indice du fait que les liens entre un savoir accru, une réduction de lapeur et un usage de drogue plus important répondent à des mécanismes plus complexesqu'on ne l'admet généralement.

Si ce travail était le seul à mettre en évidence de tels résultats, il serait aisé de le mettreen doute et de le considérer comme un artefact expérimental. Or il se trouve qu'une séried'autres études tendent à montrer que, dans certaines conditions, les effets concrets de laprévention persuasive peuvent être une contradiction avec les effets attendus (cf. Polichet al, 1984 ; Pickens, 1985). Gonzales (1980, 1982) a cependant indiqué que le modèle"savoir - attitude - comportement" peut servir de base à la prévention de l'alcoolisme, àcondition que le public-cible soit exposé durant une longue période à l'informationpersuasive et impliqué activement dans les programmes d'éducation. Ce point de vue estconfirmé par le constat d'Evans et al. (1981) concernant la prévention du tabagisme. Cesauteurs constatent une double réponse comportementale à un programme de préventiondu tabagisme : dans un premier temps, la consommation de cigarettes augmente ; mais àlong terme, elle diminue. Blum et al. (1976) ainsi que Williams et al. (1968) constatenteux aussi que les effets négatifs à court terme de programmes d'information peuvent êtrecompensés par des effets positifs à long terme.

Même s'il est possible que des programmes d'information stimulent la curiosité decertains jeunes à l'égard des drogues - les données disponibles à ce sujet ne sontd'ailleurs pas totalement univoques -, cela ne justifierait pas de renoncer à informer lesjeunes sur les drogues. Ce serait leur cacher des conséquences qui peuvent être graves,alors qu'ils sont souvent exposés à des informations partiellement inadéquates diffuséespar des sources informelles. Les résultats évoqués ci-dessus doivent plutôt êtreinterprétés dans un sens différent : se contenter de transmettre des connaissances sur lesdrogues, sans offrir en même temps l'apprentissage de certaines compétences ettechniques permettant de résister à la tentation constitue une stratégie de préventiondouteuse. Réaliser l'entreprise contraire - fournir certaines informations

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s'appuyant sur l'acquisition des compétences techniques - c'est promouvoir ledéveloppement humain.

• Les mass média

L'idée que les mass média peuvent exercer une influence sur la consommation desdrogues se fonde sur deux hypothèses :1. Un accroissement du savoir conduit à une transformation des attitudes qui entraîne une

modification du comportement.2. Le recours aux mass média constitue en soi un moyen efficace pour influencer la

chaîne « savoir - attitudes - comportement ».

Il va de soi que l'effet attendu des mass média ne se réalisera que dans la mesure où ceshypothèses se vérifient toutes les deux. Du point de vue empirique, il n'existe que peud'éléments venant étayer cette hypothèse. De manière générale, on peut dire que, mêmedans le cas de campagnes soigneusement préparées et impliquant des moyensconsidérables, par exemple comme dans la publicité, il n'est guère possible de mettre enévidence une influence mesurable de telles actions au niveau des comportements. Parcontre, on est sans cesse surpris par les effets non-voulus et non-souhaitables des massmédia, tels que l'influence qu'exercent les émissions de divertissement diffusées par latélévision sur les conduites violentes (Wallack, 1981). Leibert/Schwarzenberg (1977) enparticulier ont mis en évidence le fait paradoxal que les mass média atteignent plusefficacement des effets non-souhaités que des effets voulus. Dans son travail deprécurseur, Klapper (1960) avait pourtant déjà démontré que les mass média jouentprioritairement un rôle dans le renforcement et non pas dans la modification desconduites. Quant à Mendelsohn (1968), il va jusqu'à conclure que "A mountain ofscientific évidence demonstrates that conversion occurs rarely and only under the mostcomplex of psychological and communication circumstances".

Dans le domaine des drogues illégales, il n'existe cependant que peu d'études d'évaluationsur l'action des mass média. Dans son article de revue, Kinder (1975) concluaitcependant déjà. « Date on the effects of mass média (on alcohol and drug consumption)are largely anecdotal and spéculative». De même, Goodstadt (1990) se montre trèssceptique quant à l'efficacité des mass média pour la prévention des toxicomanies.

Le seul domaine où il a été possible de mettre en évidence de manière plus ou moinsconvaincante les effets des mass média sur les comportements est celui de la disponibilitédes drogues légales. C'est par exemple le cas du « Stanford Heart Disease PréventionProgram », qui a été également repris en partie en Europe du nord et en Suisse (Farquharet al, 1977 ; Gutzwiller et al, 1982). Dans le cadre de ce programme, Stern et sescollaborateurs (1976) sont parvenus à démontrer un changement net dans les habitudesalimentaires de la population. Dans ce cas, les auteurs combinent dans leur évaluationl'utilisation des mass média avec une offre intensive de conseil personnalisé, ce qui limitebien entendu la validité des résultats de cette étude. Meyer et al. (1976) mettent enévidence des résultats positifs obtenus par la mise en oeuvre combinée des mass média etde conseils personnels. Il semble donc que l'influence médiatique renforce l'effet desautres techniques de persuasion. Sussman et al. (1987, cité par Goodstadt, 1990) ontainsi constaté que l'effet d'un programme de prévention des toxicomanies à l'école estplus grand lorsque les enfants ont l'occasion, pendant la même période, de voir avec leursparents des spots télévisés contre la drogue.

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S'agissant de tentatives isolées, il faut certainement donner raison à Blane (1976),lorsqu'il affirme que les tentatives visant à influencer la consommation de drogues légalespar le biais des mass média n'ont eu jusqu'ici qu'un succès très minime. Robinson (1972)par contre constate que les campagnes de prévention portant sur le tabac ont eu un effetpositif. Rogers (1973)'fournit des arguments semblables s'agissant de campagnes enfaveur de la contraception. Warner (1977) procède à une estimation des effets descampagnes contre les cigarettes au moyen d'un modèle régressif permettant de prévoirquelle aurait été la consommation de cigarettes si la campagne anti-tabac n'avait pas eulieu. Il démontre ainsi clairement que les messages contre le tabac diffusés dans lesannées 1968 à 1970 ont provoqué une diminution significative de la consommation decigarettes. Warner montre également que l'augmentation relative du prix des cigarettesentre 1964 et 1972 a contribué à limiter la consommation. Il faut souligner à ce proposque la publicité anti-tabac a très probablement joué un rôle important dans la décisionpolitique d'augmenter les taxes frappant les cigarettes. Ainsi que le dit Warner, "alors queles événements ponctuels, comme par exemple la parution du « Surgeon General'sReport » n'ont qu'un effet passager sur le comportement, il semble que la publicité contrele tabac menée sur plusieurs années produisent un effet cumulatif substantiel. Il estprobable que, sans ces campagnes, la consommation par habitant aurait été supérieure dequelque 20 à 30%. Les résultats de Warner mettent en évidence un fait important, àsavoir qu'il est peut-être inadéquat, s'agissant de mesurer les effets des actionsmédiatiques visant la prévention de la consommation de drogue et de ne s'intéresserqu'aux attitudes et aux conduites individuelles. A ce niveau-là, on trouve effectivementpeu d'effets directs. Il faudrait inclure davantage les transformations possibles au niveaud'ensembles sociaux dans l'évaluation de l'efficacité de campagnes médiatiques.

Reprendre les messages de prévention véhiculés par les mass médias dans unelogique de "prévention de proximité", au niveau de petits réseaux de socialisationquotidiens des individus est une façon efficace de prévoir l'abus de drogues. Cettestratégie devient ainsi un outil indispensable du développement humain puisqu'ilse fonde sur la responsabilisation de tous.

• Les pairs comme agents de prévention

L'un des principes fondamentaux de la théorie de la transmission de l'information est quele récepteur décode toujours l'information en fonction de la source qui en est l'émettrice.Dans nombre d'études, il a été démontré que ce sont la crédibilité et l'attractivité del'émetteur qui constituent ses qualités essentielles aux yeux du récepteur. Plus une sourced'information est crédible - autrement dit, plus la compétence et la crédibilité que lerécepteur attribue à cet émetteur sont grandes - , et plus cette source paraît attractive aurécepteur - c'est-à-dire moins elle lui paraît personnellement intéressée - , plus lemessage produit chez le récepteur l'effet attendu par l'émetteur.

De manière générale, la crédibilité des adultes auprès des jeunes est peuimportante. Ils ne sont en effet pas toujours considérés comme personnellementdésintéressés. C'est pourquoi les jeunes paraissent être de meilleurs émetteurs queles adultes pour transmettre des messages de prévention des toxicomanies auxautres jeunes.

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Le recours aux pairs en tant que conseillers, éducateurs et tuteurs ne constitue pas unconcept nouveau en matière de pédagogie. Dans le secteur de la prévention destoxicomanies - et du tabagisme en particulier -, des adolescents ont été couramment etefficacement mis à contribution en tant qu'éducateurs et communicateurs (Klepp et ai,1986). Lorsque les pairs sont engagés comme agents de prévention des toxicomanies ilsservent de modèles influents en affichant leur non-consommation. De plus, ils indiquent,ce faisant, que la consommation de drogue ne constitue pas une norme pour les jeunes(ainsi que d'autres groupes sociaux), mais au contraire une conduite déviante. Sur leplan de la personnalité, les pairs, fonctionnant comme éducateurs renforcent l'idéede la responsabilité sociale et accentuent la valeur qui revient à la santé, d'où sonintérêt capital pour le développement humain. Au niveau des conduites, ilstransmettent des compétences sociales permettant de résister à la pression sociale lespoussant à expérimenter des drogues. La fonction du « peer educator » consiste donc àservir de modèle et surtout à transmettre un savoir social et des connaissances plusdifférenciées.

• La peur comme outil de dissuasion

De nombreux programmes de prévention de l'alcoolisme et des toxicomanies, ainsiqu'une grande partie des informations informelles transmises à ce sujet par les adultes,sont basés sur des appels à la peur. Dans leur étude expérimentale, Fritzen/Mazer (1975)comparent un groupe d'élèves ayant été soumis à des messages particulièrementeffrayants à propos de l'alcool et un autre groupe exposé à des messages modérémentinquiétants. Dans le premier groupe, ils ont mis en évidence, immédiatement aprèsl'expérience, un sentiment de peur accru, mais seulement chez les sujets qui avaientprésenté avant déjà des inquiétudes plus grandes que leurs pairs. Les auteurs neconstatent aucune différence d'attitude à l'égard de la consommation d'alcool, ni entre lesdeux groupes, ni entre les sujets craintifs et peu craintifs. Une étude menée à la demandedu Haut Comité d'Etudes et d'Informations sur l'Alcoolisme à Paris (1976) comporte lesconclusions suivantes :

"l.Le message «traumatisant» accompagné d'images destinées à faire peur, est plusefficace que le message « non-traumatisant » dans la mesure où il crée des attitudesplus cohérentes, plus résistantes, et plus souvent suivies de passage à l'acte. Mais il nefaudrait pas en conclure que le message « non-traumatisant » n'est suivi d'aucun effet.

2. On observe un certain décalage entre l'évolution des opinions et celle descomportements. En effet, trois mois après le message, les attitudes et les connaissancesont tendance à revenir au point de départ, très probablement parce que les sujets ontété soumis à l'influence du milieu et influencés à nouveau par les préjugés traditionnelsconcernant l'alcool".

Une étude anglaise (London Institute for the Study of Drug Dependence, 1974 ; cit. parBlum, 1976) compare les effets produits par cinq formes de cours, à savoir a) un courssur les drogues donné sous la même forme que n'importe quel autre cours par unenseignant, b) un film d'orientation médicale sur les « bad trips », c) un film-chocbiographique sur un toxicomane qui meurt à la fin et d) un film d'orientationpharmacologique. L'étude montre qu'à court terme, les effets sur les groupes d'élèvessont différents selon le matériel utilisé. L'effet immédiat le plus important est provoquépar la projection du film-choc et se traduit par le fait que les élèves affirment leurintention de ne jamais consommer de drogue. Lors d'un test effectué deux mois plus tard,

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il faut cependant constater que la quasi-totalité des différences entre les groupes ontdisparu. De toute évidence, le message effrayant ne permet pas de modifier les attitudesqu'à court terme. Smart/Feyer (1974) ont fait à cet égard un constat important : l'effetdes appels à la peur est fonction du degré de connaissance portant sur la drogue citée ;mieux celle-ci est connue et moins les appels à la peur sont de nature à influencerl'intention d'en consommer.

Jannis (1967) et Me Guire (1968) en particulier ont tenté de démontrer - selon desargumentations différentes - qu'il n'existe pas de relation linéaire entre la peur etl'acceptation d'un message, mais que cette relation peut être décrite par une courbe en Uinversé. En consultant la littérature existant à ce sujet, Sutton (1982) relève cependantque la recherche empirique ne conduit pas à la mise en évidence d'une relation clairementnon-linéaire entre la peur et l'acceptation d'un message ; un accroissement de la peur estassocié de manière consistante à un accroissement de l'acceptation du message. Dans leurétude générale, Sternhal/Craig (1974) en arrivent également à la conclusion que lesappels à la peur sont efficaces, mais seulement dans la mesure où ils sont accompagnésd'injonctions comportementales concrètes et considérées comme efficaces par lesrécepteurs (cf. aussi Farquhar et al, 1977) et où l'émetteur lui-même est perçu commehautement crédible.

C'est donc, au-delà de la transmission du message, à partir de la crédibilité de laqualité de la relation existant entre émetteur et récepteur que se fonde la réussitede cette stratégie de prévention. Comprendre et relationner les mécanismes dedissuasion basés sur la peur est un important outil du développement humain,puisque la prévention de l'abus de drogues implique nécessairement la capacité dedissuader.

• L'éducation affective

Tout processus d'apprentissage et d'enseignement se situe quelque part entre les deuxpôles de l'affectif et du cognitif. Les affects se rapportent à des sentiment ou aux aspectsémotionnels de l'expérience et de l'apprentissage. La manière dont un enfant ressent cequ'il aimerait apprendre et dont il le vit au cours du processus d'apprentissage relève dudomaine affectif. Les cognitions par contre se rapportent à l'activité intellectuelle dans leprocessus d'acquisition d'une compétence ou de connaissances relatives à un phénomènedonné. L'éducation affective constitue depuis fort longtemps une préoccupation enmatière de pédagogie. Pour Rousseau, Pestalozzi et Frôbel, le développement affectifreprésentait l'objectif majeur de l'action éducative. Cependant, quand bien même l'aspectaffectif de l'éducation est mentionné dans la plupart des lois scolaires, on peut affirmersans trop de risque de se tromper que l'effort d'éducation déployé dans le systèmescolaire se situe essentiellement dans le cadre du rationalisme cartésien. L'école ayant eneffet avant tout pour tâche d'inculquer aux enfants les aptitudes correspondant auxexigences d'autres secteurs de la société (économie, administration, etc.), elle négligel'éducation à l'action qui permet aux individus de devenir des personnalités autonomes.L'écolier est évalué prioritairement sur ses performances ; la manière dont celles-ci sontsanctionnées détermine la considération sociale dont il bénéficie dans l'institution scolaired'une part et fonctionnent par ailleurs comme billet d'entrée dans le monde professionnel(Brusten/Hurrelmann, 1974).

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L'éducation affective vise à influencer positivement le développement émotionnel,et par ce biais, à favoriser le développement humain dans une de ses dimensionsessentielles : les affects. Cela signifie que l'estime de soi, ainsi que les compétencespersonnelles et relationnelles doivent être favorisées. La transmission de contenuscognitifs s'effectue elle aussi dans un contexte affectif. Les sentiments qui animent unepersonne influencent nécessairement sa capacité de raisonnement ; pourtant ils ne sont engénéral pas pris consciemment en compte dans le processus d'apprentissage et detransmission de connaissances. L'éducation affective est fondée sur l'hypothèse que lesaptitudes relevant du domaine de l'affectivité sont susceptibles d'être enseignées etapprises par des moyens utilisés consciemment ou inconsciemment.

Les modèles récents d'éducation affective se réfèrent essentiellement aux travaux dePiaget, de Kohlberg et d'Erikson, mais aussi à ceux des représentants de la "psychologiehumanister" (Rogers, Maslow, Péris). L'objectif principal visé par l'éducation affectiveest de transmettre aux individus certaines compétences personnelles et relationnelles.

C'est dans le domaine anglo-saxon en particulier qu'un modèle opérationnel d'éducationaffective a été développé. Cette approche part de l'idée que la prise de conscience desvaleurs et des besoins personnels, ainsi que du rôle qu'ils jouent dans les processus dedécision permet de favoriser une manière d'agir responsable ; une attention particulièreest portée aux conduites relatives à la consommation de substances psycho-actives(clarification des valeurs).

Les évaluations portant sur l'efficacité de la méthode de clarification des valeurs et detransmission d'autres éléments de décision ne sont pas très nombreuses. Gerbasi (1976)constate que les écoliers qui ont bénéficié d'un tel programme font moins usage dedrogue que leurs pairs du groupe de contrôle. Goodstadt/Sheppard (1983) comparent leseffets de trois programmes ; le premier agit essentiellement au niveau cognitif, alors queles deux autres travaillent avec des moyens affectifs. L'évaluation soigneuse des troisprogrammes a montré ceci : seul le programme comportant des informations cognitives aamélioré les connaissances du groupe expérimental par rapport à celles du groupe decontrôle, et cela tant dans le test de vérification appliqué immédiatement après leprogramme que dans celui appliqué six mois plus tard. Aucun de ces programmes n'a eud'effet vérifiable sur les attitudes à l'égard de l'alcool et six mois après, il s'est avéré quele groupe ayant bénéficié d'un programme de clarification des valeurs se caractérisait parune consommation d'alcool plus importante que les deux autres groupes expérimentaux.Il est intéressant également de constater que les élèves affirmaient préférer le programmed'information cognitive comportant peu d'éléments affectifs tel qu'il avait été proposé auxdeux autres groupes. Cela s'explique probablement par le fait que le programmetraditionnel correspondait le mieux, tant par sa forme que par son contenu, aux attentesdes élèves. C'est la raison pour laquelle il est important d'introduire les nouvellesméthodes d'éducation par étapes, de manière à pouvoir modifier progressivement lesattentes des élèves et à les adapter aux nouveaux moyens pédagogiques.

Les réserves émises plus haut sur la validité des évaluations ne concernent pas seulementles programmes d'orientation cognitive, mais aussi pour les programmes d'éducationaffective. Il existe bien un certain nombre d'études d'évaluation de tels programmes, maisles données empiriques qu'elles comportent sur l'efficacité de l'éducation affective enmatière d'alcool et de drogue n'incitent pas particulièrement à l'optimisme. Goodstadt(1974) passe en revue un grand nombre de problèmes méthodologiques posés par

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l'évaluation de tels programmes et en conclut que l'évaluation strictement scientifique nepermet pas de rendre compte de l'efficacité de ce type de prévention des toxicomanies.Dans leur étude générale, Kinder et al. parviennent à la conclusion que, si l'on appliquecomme critère d'évaluation l'usage abusif actuel ou futur de drogue, les programmes deprévention des toxicomanies, quels qu'ils soient, apparaissent tous comme totalementinefficaces. De même, Berberian et al. (1976) et Blum (1976) manifestent, dans leursétudes globales, un point de vue pessimiste quant à la possibilité de prévenir efficacementla toxicomanie par l'éducation. Des conclusions semblables se retrouvent également chezHansen (1982), Muller (1982), Grant (1983) et Goodstadt (1983).

Il faut cependant mentionner ici deux travaux de Schaps et de ses collaborateurs (1980)dont les conclusions sont quelque peu différentes. Dans la première de ces études, lesauteurs analysent 35 programmes de prévention des toxicomanies dont ils mesurent leseffets sur la consommation de drogue. Parmi ces programmes, 14 sont fondés sur latransmission d'informations sur les drogues ; les autres font partie de la « nouvellegénération », c'est-à-dire qu'ils mettent l'accent sur l'approche affective, l'orientation versles pairs ou une approche multidimensionnelle. L'évaluation montre assez nettement queles nouvelles méthodes de prévention produisent davantage d'effets positifs - et surtoutmoins d'effets négatifs - que les programmes traditionnels. Ce qui n'empêche pas lesauteurs de mettre en garde contre des conclusions hâtives. Ils indiquent en effet que lesméthodes d'évaluation appliquées dans plusieurs de ces études ne correspondent pas àdes critères scientifiques rigoureux. Les auteurs estiment néanmoins que leurs résultatsindiquent qu'il est possible que certaines de ces nouvelles méthodes de prévention destoxicomanies soient en mesure d'avoir les effets positifs souhaités et que les méthodestraditionnelles n'ont jamais permis d'atteindre. Us n'en ajoutent pas moins que ce potentieldoit encore être testé de manière rigoureuse.

Dans une seconde étude, Schaps et al. (1981) passent en revue 127 évaluations deprogrammes de prévention des toxicomanies et en trouvent 7 qui mettent en évidencedes résultats négatifs. Parmi ces 127 évaluations, rares sont pourtant celles qui neprésentent pas des lacunes méthodologiques importantes et seules 8 d'entre elles sontconsidérées comme exemplaires par Schaps et ses collaborateurs, tant en ce qui concernela méthode d'évaluation que l'intensité du programme. Ces 8 études mettent en évidencedes résultats globalement plutôt positifs, c'est-à-dire une concordance satisfaisante entreles effets attendus et les effets produits.

L'objectif final de l'éducation préventive est celui de faire qu'à chaquecirconstance particulière, des choix sélectifs soient réalisés. Ces choix ne sont paspour autant exhaustifs. Il s'agit de choisir entre niveaux divers d'intervention,abords théoriques divers et entre techniques différentes, les mesures qui serontadaptées à chaque contexte. De ce fait, l'éducation préventive de l'abus de droguescontribue effectivement au développement humain. •

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Comme phénomène humain, l'abus de drogues exige l'apport de différentes scienceshumaines ; c'est par la mise en controverse d'approches diverses que la complexité duphénomène peut être abordée - la transdisciplinarité devient donc exigence d'efficacité.

Comme phénomène humain, enraciné dans les différents contextes socio-culturels, l'abusde drogues exige la mise en place de stratégies d'actions préventives basée surl'éducation et l'information , il s'agit de relier les connaissances aux affects, à partir dela mise en place des stratégies d'action adressées à l'individu et à la collectivité, par desinteractions dynamiques et complémentaires intégrant des réseaux de socialisationformels et informels.

Comme phénomène humain, l'usage de drogues ne peut pas être éradiqué ; il s'agit demettre en place des stratégies de prévention réalistes et pragmatiques visant la réductiondes nuisances liées à l'abus de drogues d'une part, et d'autre part à faire émerger desalternatives de développement social.

Comme phénomène humain, les frontières entre drogues légales et illégales sontinsuffisantes pour faire face à l'abus de drogues ; il faut tenir compte de la fonctionsymbolique et des modes de régulations sociales institués dans chaque culture, pourévaluer le degré de dangerosité lié à l'abus de drogues spécifique à cette culture.

Comme phénomène humain, faire face à l'abus de drogues demande de relier l'offre et lademande ; il faut comprendre réduction de l'offre et réduction de la demande comme despôles d'une même réalité indissociable.

Comme phénomène humain, la prévention de l'abus de drogues requiert la prise encompte de la dimension symbolique, de ce fait on ne peut pas désigner de groupe àrisque sous peine de renforcer l'exclusion sociale de certains secteurs de la population ; lanotion de situation à risque est beaucoup plus adaptée à la réalité des relations socialescomplexes dans lesquels l'usage de drogues s'enracinent et fait bien mieux référence auconcept de développement humain.

Comme phénomène humain, la prévention d'abus de drogues exige participation etresponsabilisation à différents niveaux. Le partenariat est donc question fondamentaleen éducation préventive. Il faut qu'il soit large, intégrant ainsi les organisationsgouvernementales, les organisations non-gouvernementales, les organisationspopulaires et les Institutions spécialisées en matière de drogues et toxicomanie.

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Comme phénomène humain, la prévention de l'abus de drogues exige le développementdes capacités des résistances personnelles et culturelles à travers le choix sélectif desréponses adaptées à chaque situation problème.

C'est pour tout cela que l'éducation préventive de l'abus de drogues exige à la foiscomme préalable et comme objectif le développement humain.

Voici les grands paris de l'UNESCO en termes d'éducation préventive pour les années àvenir, contribuant ainsi par la prévention de l'abus de drogues au développement humainà l'échelle mondiale. •

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