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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS D’AQUIN de Cornelio Fabro Note de lecture et saute d’humeur 1°- UN VRAI FILS DE THOMAS ................................................................................................................. 2 2°- L’“ESSE INTENSIF”, UN TRAIT DE GENIE ............................................................................................. 2 3°- PRISONNIER DE MAUVAISES INFLUENCES ......................................................................................... 4 - Un cadre de dichotomies désastreux .......................................................................................... 5 - Une mécompréhension d’Aristote .............................................................................................. 7 - Une thèse centrale de la métaphysique de saint Thomas ? ....................................................... 7 - Thomas, un néo-platonicien ? ..................................................................................................... 8 - Les concepts fondamentaux de la métaphysique néo-scolastique........................................... 10 - Une quantité d’esse ? ................................................................................................................ 13 4°- TRADUIRE “ESSE” ............................................................................................................................. 14 - Équivoque en français ............................................................................................................... 14 - Esse est un verbe ....................................................................................................................... 15 - Esse, vivere, intelligere .............................................................................................................. 18 5°- LE CHEMIN DE CROIX DE FABRO ...................................................................................................... 20 - Forma dat esse .......................................................................................................................... 22 - Participation .............................................................................................................................. 25 - La causalité équivoque .............................................................................................................. 26 6°- CONCLUSION.................................................................................................................................... 31

de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Page 1: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

de Cornelio Fabro

Note de lecture et saute drsquohumeur

1deg- UN VRAI FILS DE THOMAS 2

2deg- LrsquoldquoESSE INTENSIFrdquo UN TRAIT DE GENIE 2

3deg- PRISONNIER DE MAUVAISES INFLUENCES 4

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux 5

- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote 7

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas 7

- Thomas un neacuteo-platonicien 8

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique 10

- Une quantiteacute drsquoesse 13

4deg- TRADUIRE ldquoESSErdquo 14

- Eacutequivoque en franccedilais 14

- Esse est un verbe 15

- Esse vivere intelligere 18

5deg- LE CHEMIN DE CROIX DE FABRO 20

- Forma dat esse 22

- Participation 25

- La causaliteacute eacutequivoque 26

6deg- CONCLUSION 31

Note de lecture et saute drsquohumeur

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1deg- Un vrai fils de Thomas

La quecircte de la ldquoMeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo passe ineacutevitablement par Cornelio Fabro La

ldquoBibliothegraveque de la Revue Thomisterdquo avec le concours des eacuteditions ldquoParole et Silencerdquo a eu la bonne

ideacutee de reacuteeacutediter son maicirctre ouvrage Participation et causaliteacute selon Saint Thomas drsquoAquin1

Je mrsquoattendais comme dans mes explorations preacuteceacutedentes chez Gilson Mercier et autres agrave

deacutecouvrir un auteur didactique plus dialecticien et historien que philosophe pour qui les peacutetitions

de principe pegravesent peu devant la faconde des dissertations Mais au contraire je dois reconnaicirctre

que nous avons devant les yeux un exercice de philosophie de tregraves grande classe sans comparaison

avec les preacuteciteacutes Tout le mal que jrsquoen pourrai dire par la suite agrave cause de mon tempeacuterament

atrabilaire doit ecirctre mesureacute agrave lrsquoaune de ce jugement premier Il y a longtemps que je nrsquoavais lu un

ouvrage de philosophie drsquoune telle longueur largeur et profondeur En geacuteneacuteral lorsqursquoun critique

commence comme je viens de la faire crsquoest tregraves mauvais signe pour la suite qui promet drsquoecirctre une

mise agrave mort en bonne et due forme Mais lagrave il nrsquoen est rien jrsquoai reacuteellement eacuteprouveacute du plaisir agrave lire

Fabro Eacutegalement reccedilu une grande deacutemonstration de pratique philosophique

Lrsquoauteur nous apprend en effet comment utiliser Thomas agrave pleines tirades et non avec de petites

citations de fortune en suivant sa cadence et non en vadrouillant agrave droite et agrave gauche et dans le

contexte de lrsquointention premiegravere indeacutependamment de nos propres viseacutees Il nous montre comment

traiter des lieux parallegraveles qui se confortent mutuellement sans jamais se superposer Il nous fait

deacutecouvrir la complexiteacute de la penseacutee de Thomas drsquoAquin qui nrsquoest pourtant nulle part ni

contradictoire ni redondante toujours tendue vers lrsquouniteacute Lire Fabro est une extraordinaire leccedilon de

lecture de Thomas Au-delagrave drsquoune parfaite connaissance de son œuvre on sent chez lui une

admiration une affection oui un amour filial de celui qui repreacutesente agrave ses yeux le seul maicirctre du

moins agrave lrsquoeacutechelle simplement humaine

Ce seul beacuteneacutefice meacuterite largement drsquoouvrir son livre Une bonne recension devrait drsquoailleurs srsquoen

tenir lagrave car aller plus loin dans la preacutesentation devient tregraves difficile sauf agrave reacuteeacutecrire lrsquoouvrage en

entier tant la lettre de Fabro est de celles qui ne se reacutesument pas sans perte Par ailleurs la

progression de sa penseacutee nrsquoest pas lineacuteaire et il est presque impossible de tirer un fil conducteur

Mecircme la table des matiegraveres nrsquoest drsquoaucun secours Se deacutegage au cours de la lecture le sentiment

drsquoune reacuteflexion eacutevolutive et sinueuse Ce livre ne fut sans doute pas eacutecrit drsquoune traite mais tout au

long drsquoune peacuteriode de sa vie intellectuelle Fabro est un deacutefricheur qui se fraye un chemin dans la

jungle de la penseacutee au hasard des opportuniteacutes drsquoouvertures et de passages Souvent il revient sur

ses pas parfois il se contredit agrave quelques pages de distance Mais cela est sans conseacutequences graves

tant qursquoil reste tendu vers les intuitions de fond qui constituent la valeur et la personnaliteacute du livre

Certainement cela ne contribue pas peu agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoœuvre elle est comme le deacuterouleacute drsquoune vie

intellectuelle agrave lrsquoeffort

Pour ces raisons et drsquoautres dont nous parlerons par la suite nous ne pourrons pas en faire une

preacutesentation seacutequentielle chapitre apregraves chapitre

2deg- Lrsquoldquoesse intensifrdquo un trait de geacutenie

Fabro est le pegravere de lrsquoldquoesse intensifrdquo Pourtant le terme ne se trouve nulle part chez Thomas encore

moins sa justification2 Drsquoambleacutee le sens nrsquoen est pas aiseacute Fabro consacre presqursquoentiegraverement agrave

1 Participation et causaliteacute selon S Thomas drsquoAquin Ed Parole et Silence Coll laquo Bibliothegraveque de la Revue thomiste raquo 2015 Reprint de lrsquoeacutedition franccedilaise de 1961 2 Tout de mecircme Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire page 253 note 18 laquo Cette terminologie drsquoldquoesse intensifrdquo se rencontre explicitement chez saint Thomas dans la discussion sur lrsquoinfini cf de Veritate q 29 a 3 laquo Si enim

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de

Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli

de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse

thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut

eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de

Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans

le sens des mots

Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme

des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense

lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les

autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une

autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il

srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de

non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche

plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne

Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde

quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum

habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de

Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee

drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au

rouge incandescent

Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la

causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle

extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour

pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de

tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le

terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu

est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et

contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au

premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le

degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4

intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446

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Ou encore

laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue

de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la

creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition

reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la

pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de

son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5

Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme

un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non

seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune

partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet

immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans

lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici

lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage

On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans

son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo

laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en

geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il

semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint

Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la

fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo

Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune

intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de

lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique

ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse

existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par

nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse

essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre

Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro

Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre

comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par

conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont

plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute

Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote

louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement

cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir

3deg- Prisonnier de mauvaises influences

Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de

mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du

19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis

5 Page 513 6 Page 62 7 Page 63

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et

Heidegger

On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la

penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes

mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux

Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales

eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en

effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo

au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou

de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave

ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo

Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue

dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne

transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave

Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le

point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)

Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions

heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit

laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins

prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui

est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au

Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses

qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie

laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et

Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne

Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas

monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave

propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en

est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans

un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans

gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte

qursquoil en va de mecircme des autres oppositions

Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro

entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce

terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et

praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait

lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des

preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les

cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour

parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour

lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique

8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

Note de lecture et saute drsquohumeur

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 2: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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1deg- Un vrai fils de Thomas

La quecircte de la ldquoMeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo passe ineacutevitablement par Cornelio Fabro La

ldquoBibliothegraveque de la Revue Thomisterdquo avec le concours des eacuteditions ldquoParole et Silencerdquo a eu la bonne

ideacutee de reacuteeacutediter son maicirctre ouvrage Participation et causaliteacute selon Saint Thomas drsquoAquin1

Je mrsquoattendais comme dans mes explorations preacuteceacutedentes chez Gilson Mercier et autres agrave

deacutecouvrir un auteur didactique plus dialecticien et historien que philosophe pour qui les peacutetitions

de principe pegravesent peu devant la faconde des dissertations Mais au contraire je dois reconnaicirctre

que nous avons devant les yeux un exercice de philosophie de tregraves grande classe sans comparaison

avec les preacuteciteacutes Tout le mal que jrsquoen pourrai dire par la suite agrave cause de mon tempeacuterament

atrabilaire doit ecirctre mesureacute agrave lrsquoaune de ce jugement premier Il y a longtemps que je nrsquoavais lu un

ouvrage de philosophie drsquoune telle longueur largeur et profondeur En geacuteneacuteral lorsqursquoun critique

commence comme je viens de la faire crsquoest tregraves mauvais signe pour la suite qui promet drsquoecirctre une

mise agrave mort en bonne et due forme Mais lagrave il nrsquoen est rien jrsquoai reacuteellement eacuteprouveacute du plaisir agrave lire

Fabro Eacutegalement reccedilu une grande deacutemonstration de pratique philosophique

Lrsquoauteur nous apprend en effet comment utiliser Thomas agrave pleines tirades et non avec de petites

citations de fortune en suivant sa cadence et non en vadrouillant agrave droite et agrave gauche et dans le

contexte de lrsquointention premiegravere indeacutependamment de nos propres viseacutees Il nous montre comment

traiter des lieux parallegraveles qui se confortent mutuellement sans jamais se superposer Il nous fait

deacutecouvrir la complexiteacute de la penseacutee de Thomas drsquoAquin qui nrsquoest pourtant nulle part ni

contradictoire ni redondante toujours tendue vers lrsquouniteacute Lire Fabro est une extraordinaire leccedilon de

lecture de Thomas Au-delagrave drsquoune parfaite connaissance de son œuvre on sent chez lui une

admiration une affection oui un amour filial de celui qui repreacutesente agrave ses yeux le seul maicirctre du

moins agrave lrsquoeacutechelle simplement humaine

Ce seul beacuteneacutefice meacuterite largement drsquoouvrir son livre Une bonne recension devrait drsquoailleurs srsquoen

tenir lagrave car aller plus loin dans la preacutesentation devient tregraves difficile sauf agrave reacuteeacutecrire lrsquoouvrage en

entier tant la lettre de Fabro est de celles qui ne se reacutesument pas sans perte Par ailleurs la

progression de sa penseacutee nrsquoest pas lineacuteaire et il est presque impossible de tirer un fil conducteur

Mecircme la table des matiegraveres nrsquoest drsquoaucun secours Se deacutegage au cours de la lecture le sentiment

drsquoune reacuteflexion eacutevolutive et sinueuse Ce livre ne fut sans doute pas eacutecrit drsquoune traite mais tout au

long drsquoune peacuteriode de sa vie intellectuelle Fabro est un deacutefricheur qui se fraye un chemin dans la

jungle de la penseacutee au hasard des opportuniteacutes drsquoouvertures et de passages Souvent il revient sur

ses pas parfois il se contredit agrave quelques pages de distance Mais cela est sans conseacutequences graves

tant qursquoil reste tendu vers les intuitions de fond qui constituent la valeur et la personnaliteacute du livre

Certainement cela ne contribue pas peu agrave lrsquointeacuterecirct de lrsquoœuvre elle est comme le deacuterouleacute drsquoune vie

intellectuelle agrave lrsquoeffort

Pour ces raisons et drsquoautres dont nous parlerons par la suite nous ne pourrons pas en faire une

preacutesentation seacutequentielle chapitre apregraves chapitre

2deg- Lrsquoldquoesse intensifrdquo un trait de geacutenie

Fabro est le pegravere de lrsquoldquoesse intensifrdquo Pourtant le terme ne se trouve nulle part chez Thomas encore

moins sa justification2 Drsquoambleacutee le sens nrsquoen est pas aiseacute Fabro consacre presqursquoentiegraverement agrave

1 Participation et causaliteacute selon S Thomas drsquoAquin Ed Parole et Silence Coll laquo Bibliothegraveque de la Revue thomiste raquo 2015 Reprint de lrsquoeacutedition franccedilaise de 1961 2 Tout de mecircme Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire page 253 note 18 laquo Cette terminologie drsquoldquoesse intensifrdquo se rencontre explicitement chez saint Thomas dans la discussion sur lrsquoinfini cf de Veritate q 29 a 3 laquo Si enim

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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de

Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli

de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse

thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut

eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de

Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans

le sens des mots

Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme

des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense

lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les

autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une

autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il

srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de

non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche

plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne

Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde

quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum

habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de

Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee

drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au

rouge incandescent

Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la

causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle

extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour

pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de

tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le

terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu

est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et

contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au

premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le

degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4

intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Ou encore

laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue

de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la

creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition

reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la

pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de

son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5

Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme

un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non

seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune

partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet

immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans

lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici

lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage

On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans

son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo

laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en

geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il

semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint

Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la

fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo

Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune

intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de

lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique

ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse

existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par

nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse

essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre

Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro

Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre

comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par

conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont

plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute

Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote

louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement

cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir

3deg- Prisonnier de mauvaises influences

Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de

mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du

19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis

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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et

Heidegger

On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la

penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes

mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux

Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales

eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en

effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo

au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou

de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave

ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo

Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue

dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne

transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave

Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le

point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)

Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions

heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit

laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins

prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui

est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au

Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses

qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie

laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et

Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne

Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas

monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave

propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en

est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans

un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans

gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte

qursquoil en va de mecircme des autres oppositions

Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro

entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce

terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et

praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait

lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des

preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les

cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour

parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour

lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique

8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

Note de lecture et saute drsquohumeur

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 3: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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lrsquoesse les trois cents premiegraveres pages de son livre Il brasse les perspectives historiques de

Parmeacutenide agrave Heidegger sans heacutesiter agrave soutenir une querelle sur ce qursquoon pourrait appeler un ldquooubli

de lrsquoesserdquo propre agrave lrsquoEacutecole Une de ses grandes preacuteoccupations fut de montrer que la notion drsquoesse

thomiste eacutechappe totalement agrave la mortelle critique heideggeacuterienne drsquoldquoontotheacuteologismerdquo Il eut

eacutegalement agrave cœur de manifester ndash jrsquoy reviendrai pour protester ndash combien la meacutetaphysique de

Thomas drsquoAquin meacutetamorphose et mecircme subvertit de fond en comble celle drsquoAristote jusque dans

le sens des mots

Il me semble avoir mieux compris ce qursquoil entendait par ldquoecirctre intensifrdquo en eacutevoquant pour moi-mecircme

des notions comme ldquoeffort intensifrdquo ldquolumiegravere couleur ou goucirct intenserdquo Un rouge est intense

lorsqursquoil est plus rouge que les autres au point mecircme drsquoeacuteblouir la vue par son rayonnement Tous les

autres rouges paraissent plus ou moins fades en comparaison agrave proportion du meacutelange avec une

autre couleur du blanc ou du noir Plus le rouge se purifie de ce qui nrsquoest pas rouge en lui plus il

srsquointensifie et srsquoapproche du ldquorouge intensif par soirdquo qui serait le rouge pur sans aucun meacutelange de

non-rouge Le rouge le plus intense qui soit est donc la cause de la rougeur de ce qui srsquoen approche

plus ou moins et ce qursquoil y a de non-rouge dans lrsquoobjet est la cause du fait qursquoil srsquoen eacuteloigne

Comme dit saint Thomas laquo esse simpliciter et absolute dictum de solo divino esse intelligitur Unde

quantum creatura accedit ad Deum tantum habet de esse quantum vero ab eo recedit tantum

habet de non esse raquo3 Plus son esse srsquoaffadit en quelque sorte comme notre rouge Ainsi lrsquoesse de

Dieu qui est pur esse sans meacutelange est lrsquoesse par soi dont la gloire eacuteblouit toute intelligence creacuteeacutee

drsquoune intensiteacute insupportable Comme lrsquoœil ne supporte pas sans dommage la vue de lrsquoacier porteacute au

rouge incandescent

Lrsquoesse intensif est donc lrsquoexact symeacutetrique de lrsquoesse commune Les seacutepare toute la distance entre la

causaliteacute universelle intensivement concentreacutee en un seul ecirctre et la preacutedication universelle

extensivement disseacutemineacutee parmi tous les ecirctres Autant le dernier est pauvre en signification pour

pouvoir srsquoadapter indiffeacuteremment agrave nrsquoimporte quel ecirctre autant le premier reacuteunit en lui la reacutealiteacute de

tous les esse deacutegradeacutes des creacuteatures et plus encore et dans lrsquouniteacute et la simpliciteacute parfaites Le

terme drsquoesse pris en ce sens ne peut donc convenir qursquoagrave un seul ecirctre parfait et simple Lrsquoesse absolu

est intenseacutement tout ce que les autres esse deacutegradeacutes sont pour partie

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension Lrsquoesse subsistens intensif embrasse toute perfection et

contient la pleacutenitude du vivere et intelligere en Dieu lrsquoens au contraire au

premier degreacute formel par exemple dans le mineacuteral le plus simple exprime le

degreacute le plus eacuteleacutementaire du reacuteel raquo4

intelligatur corpus album infinitum non proter hoc albedo intensive infinita erit sed solum extensive et per accidens poterit enim aliquid albius invenirirdquo raquo - laquo Si lrsquoon conccediloit un corps blanc infini ce nrsquoest pas pour cela que la blancheur sera infinie intensivement mais seulement extensivement et par accident on pourrait en effet trouver quelque chose de plus blanc raquo Avouons ne rien y voir du tout drsquoexplicite crsquoest pourtant la seule justification litteacuterale que donnera Fabro de lrsquoenracinement de lrsquoesse intensif dans la penseacutee de Thomas drsquoAquin 3 De Veritate q 2 a 3 ad 16 laquo Lrsquoesse absolu et simple ne se comprend qursquoen Dieu et plus une creacuteature lui est proche plus elle a drsquoesse en revanche plus elle srsquoen eacuteloigne et plus elle a de non-esse raquo 4 Page 446

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Ou encore

laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue

de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la

creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition

reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la

pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de

son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5

Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme

un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non

seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune

partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet

immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans

lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici

lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage

On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans

son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo

laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en

geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il

semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint

Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la

fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo

Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune

intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de

lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique

ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse

existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par

nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse

essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre

Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro

Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre

comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par

conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont

plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute

Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote

louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement

cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir

3deg- Prisonnier de mauvaises influences

Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de

mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du

19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis

5 Page 513 6 Page 62 7 Page 63

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et

Heidegger

On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la

penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes

mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux

Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales

eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en

effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo

au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou

de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave

ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo

Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue

dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne

transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave

Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le

point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)

Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions

heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit

laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins

prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui

est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au

Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses

qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie

laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et

Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne

Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas

monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave

propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en

est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans

un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans

gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte

qursquoil en va de mecircme des autres oppositions

Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro

entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce

terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et

praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait

lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des

preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les

cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour

parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour

lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique

8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

Note de lecture et saute drsquohumeur

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 4: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Ou encore

laquo Dans la conception thomiste lrsquoldquoesse per essentiamrdquo exige la pleacutenitude absolue

de perfection dans la simpliciteacute absolue (eacutemergence de lrsquoesse intensif) dans la

creacuteature avoir lrsquoldquoesse per participationemrdquo suppose la division et la composition

reacuteelle crsquoest-agrave-dire la division dans la multipliciteacute des essences creacuteeacutees de la

pleacutenitude de perfection de lrsquoesse divin et la composition dans chaque creacuteature de

son essence ou perfection avec lrsquoacte drsquoecirctre (esse) correspondant raquo5

Cette notion drsquoesse intensif se prolonge donc tregraves naturellement par celle de participation Comme

un rouge deacutelaveacute participe peu ou prou de la couleur rouge Il srsquoagit bien ici drsquoune participation non

seulement de lrsquoimparfait au parfait mais encore de lrsquoeffet agrave la cause car lrsquoesse causeacute reccediloit ldquoune

partrdquo de lrsquoesse intensif Et mecircme drsquoune participation de la cause agrave lrsquoeffet car lrsquoesse causeacute est lrsquoeffet

immeacutediat de lrsquoesse intensif il exige donc la preacutesence continueacutee de sa cause pour se maintenir dans

lrsquoecirctre et srsquoaneacuteantirait instantaneacutement si cette derniegravere venait agrave le quitter Nous tenons ici

lrsquoexplication du titre de lrsquoouvrage

On comprend alors pourquoi avec une si haute conception de la notion drsquoesse Fabro srsquoeacutetrangle dans

son col romain lorsqursquoon la traduit par ldquoexistencerdquo

laquo Le dommage causeacute agrave lrsquointerpreacutetation du thomisme et de la philosophie en

geacuteneacuteral par ce terme si innocent en apparence drsquoexistentia est incalculable6hellip Il

semble donc qursquoune discrimination srsquoimpose deacutesormais entre lrsquoesse de saint

Thomas et celui de la plus grande partie de son eacutecole si lrsquoon veut comprendre la

fonction centrale qursquooccupe lrsquoesse dans sa meacutetaphysique7 raquo

Existence est un universel pauvre en contenu afin de convenir agrave tout ce qui existe et sans aucune

intensiviteacute pas mecircme deacutegradeacutee puisqursquoil ne signifie au fond rien drsquoautre que le fait drsquoecirctre ldquohors de

lrsquoacircmerdquo Et crsquoest huit siegravecles de thomisme que Fabro contestera seul contre tous La dialectique

ldquoessence-existencerdquo ne peut conduire selon lui qursquoagrave lrsquoaffirmation drsquoun ldquoesse essentiaeligrdquo et un ldquoesse

existentiaeligrdquo crsquoest-agrave-dire un esse ou acte de lrsquoessence et un esse ou acte de lrsquoexistence preacutealables (par

nature si ce nrsquoest dans le temps) agrave leur union Crsquoest alors multiplier le problegraveme agrave lrsquoinfini ndash lrsquoesse

essentiaelig est-il deacutejagrave une existence de lrsquoessence avant lrsquoesse existentiaelig ndash sans jamais le reacutesoudre

Probleacutematique totalement eacutetrangegravere agrave toute lrsquoœuvre de Thomas et ldquoanti-thomisterdquo ajoutera Fabro

Il est rare qursquoun grand disciple de saint Thomas laisse agrave la communauteacute un concept ignoreacute du maicirctre

comme celui drsquoldquoesse intensifrdquo mais qui corresponde reacuteellement agrave sa penseacutee et constitue par

conseacutequent un vrai progregraves de lrsquointelligence Beaucoup parmi les plus grands en ont inventeacute qui ont

plutocirct embrouilleacute des probleacutematiques assez claires chez leur maicirctre et qui pour cela nrsquoont pas perdureacute

Puisque nous tenons une notion qui meacuterite vie il mrsquoa paru important de marquer le trait Aristote

louerait sans doute son inventeur comme un de ces esprits conduits par la veacuteriteacute et tregraves certainement

cette expression drsquoldquoesse intensifrdquo restera le testament de Fabro pour les geacuteneacuterations agrave venir

3deg- Prisonnier de mauvaises influences

Et pourtant Fabro fut en bonne partie sauveacute des eaux malgreacute (autant qursquoon puisse en juger) de

mauvaises influences agrave son berceau Drsquoabord celle de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique de la fin du

19e et de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle qui fut certainement au cœur de ses premiegraveres eacutetudes puis

5 Page 513 6 Page 62 7 Page 63

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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et

Heidegger

On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la

penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes

mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux

Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales

eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en

effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo

au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou

de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave

ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo

Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue

dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne

transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave

Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le

point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)

Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions

heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit

laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins

prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui

est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au

Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses

qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie

laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et

Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne

Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas

monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave

propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en

est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans

un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans

gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte

qursquoil en va de mecircme des autres oppositions

Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro

entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce

terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et

praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait

lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des

preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les

cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour

parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour

lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique

8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

Note de lecture et saute drsquohumeur

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

Note de lecture et saute drsquohumeur

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 5: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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celle des philosophes modernes agrave travers une freacutequentation gourmande de Hegel Kierkegaard et

Heidegger

On peut rattacher agrave lrsquoinfluence moderne deux obstacles massifs au deacuteveloppement harmonieux de la

penseacutee un cadre de divisions deacutesastreux et une meacutecompreacutehension drsquoAristote Les deux sont lieacutes

mais nous les prendrons lrsquoun apregraves lrsquoautre

- Un cadre de dichotomies deacutesastreux

Fabro tout drsquoabord emprisonne sa reacuteflexion dans le carcan drsquoune seacuterie drsquooppositions brutales

eacutetrangegraveres agrave saint Thomas mais bien dans lrsquoesprit drsquoune meacutethode heacutegeacutelienne Constamment en

effet il confronte ldquola ligne preacutedicamentalerdquo agrave la ldquoligne transcendantalerdquo ldquole point de vue statiquerdquo

au rdquopoint de vue dynamiqueldquo ldquola ligne horizontalerdquo agrave ldquola ligne verticalerdquo ldquole point de vue formel ou

de lrsquoessencerdquo au ldquopoint de vue de lrsquoecirctrerdquo ldquolrsquoordre de lrsquoecirctrerdquo agrave ldquolrsquoordre du devenirrdquo ldquoPlatonrdquo agrave

ldquoAristoterdquo et enfin ldquoPlaton et Aristoterdquo agrave ldquoSaint Thomasrdquo

Il y a une coheacuterence entre ces paires drsquoopposeacutes La ligne preacutedicamentale regroupe le point de vue

dynamique lrsquoordre du devenir et la ligne horizontale attacheacutee agrave Aristote tandis que la ligne

transcendantale regroupe le point de vue statique lrsquoordre de lrsquoecirctre et la ligne verticale attacheacutee agrave

Platon Enfin le point de vue formel ou de lrsquoessence est le fait de Platon et Aristote tandis que le

point de vue de lrsquoecirctre est propre agrave saint Thomas (et agrave Parmeacutenide aussi semble-t-il)

Mais ces oppositions rigidifient la penseacutee parfois elles ne se surmontent qursquoagrave coup de subsomptions

heacutegeacuteliennes et souvent elles finissent en impasse Fabro semble avoir oublieacute qursquoAristote a eacutecrit

laquo nous autres platoniciens8 raquo La contradiction entre les deux penseurs est beaucoup moins

prononceacutee qursquoil ne le dit Pour srsquoecirctre opposeacute agrave son maicirctre sur des points importants Aristote ne lui

est pas moins redevable sur lrsquoessentiel Prenons cet unique exemple mais combien symbolique au

Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme nous lisons laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses

qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute comme le supposaient les platoniciens raquo9 La premiegravere partie

laquo lrsquoobjet de lrsquointelligence est la speacutecificiteacute des choses hellip raquo marque lrsquoaccord geacuteneacuterique entre Platon et

Aristote tandis que laquo hellip qui nrsquoest pas seacutepareacutee de la reacutealiteacute raquo signale la diffeacuterence qui les eacuteloigne

Pour Platon en effet crsquoest la mecircme forme qui est agrave la fois principe drsquoecirctre des choses en ce bas

monde et principe de leur connaissance dans lrsquointelligence Or on peut tenir le mecircme discours agrave

propos drsquoAristote La notion de forme est geacuteneacuteriquement identique chez les deux et le Stagirite en

est redevable agrave lrsquoAtheacutenien Mais Aristote agrave la diffeacuterence de Platon la place dans la chose et non dans

un monde seacutepareacute Cet exemple doit illustrer le lien de principe entre les deux philosophes sans

gommer des diffeacuterences assez profondes Lrsquoantithegravese instaureacutee par Fabro est injustifieacutee De sorte

qursquoil en va de mecircme des autres oppositions

Les appellations ldquopreacutedicamentalrdquo et ldquotranscendantalrdquo par exemple sont regrettables Ce que Fabro

entend par preacutedicamental a peu agrave voir avec le sens donneacute par saint Thomas agrave ldquopreacutedicamentrdquo Ce

terme relegraveve du vocabulaire logique Praeligdicare signifie ldquoattribuer agraverdquo (dicare dire de deacuteclarer et

praelig- au-devant de agrave propos de) le suffixe ldquo-mentrdquo vient de ldquomens -tisrdquo qui indique ce qui fait

lrsquoesprit mecircme le cœur drsquoune notion les preacutedicaments sont donc les lieux fondamentaux des

preacutedicats dans lrsquoopeacuteration drsquoattribution Il est vrai que la logique srsquoadosse agrave la reacutealiteacute et que les

cateacutegories correspondent aux caracteacuteristiques des choses mais se servir drsquoun registre logique pour

parler du reacuteel ne peut qursquoentraicircner agrave la confusion On comprend agrave lire Fabro que ce terme est pour

lui plus ou moins synonyme drsquounivoque ou de speacutecifiquement identique

8 Meacutetaphysique L I ch 9 990b9 9 Commentaire du Traiteacute de lrsquoacircme L 3 l 8 ndeg 777

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

Note de lecture et saute drsquohumeur

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

Note de lecture et saute drsquohumeur

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 6: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Et de mecircme ce qursquoon entend traditionnellement par transcendantal chez Thomas drsquoAquin agrave savoir la

reacutefeacuterence aux attributs communs de lrsquoecirctre que sont lrsquoessence lrsquoun lrsquoaliquid le vrai et le bon10 nrsquoa

pas de rapport avec le ldquotranscendantalrdquo de Fabro qui rejoint plutocirct la notion de transcendant Crsquoest

mecircme en un sens le contraire que veut expliquer saint Thomas dans le ceacutelegravebre article premier des

Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Ces laquo modes geacuteneacuteraux accompagnant tout ecirctre raquo ne qualifient pas

une sorte drsquohyper-reacutealiteacute drsquoldquoecirctrerdquo anteacuterieure et surplombant les ecirctres reacutepartis en cateacutegories Ces

modes geacuteneacuteraux ne ldquotranscendentrdquo pas les ecirctres cateacutegoriels mais au contraire se distribuent

analogiquement agrave lrsquointeacuterieur de chaque genre suprecircme Chaque cateacutegorie a sa faccedilon drsquoecirctre une

aliquid vraie etc11 Les transcendantaux comme lrsquoecirctre nrsquoont drsquouniteacute qursquoanalogique

Par ailleurs associer preacutedicamental agrave horizontal et agrave Aristote et transcendantal agrave vertical et agrave Platon

nrsquoest pas non plus sans poser de seacuterieuses difficulteacutes Il est aventureux de parler de verticaliteacute chez

Platon Il srsquoagit davantage de strates horizontales parallegraveles se superposant les unes aux autres

strate du monde sublunaire strate des nombres strate du monde des Ideacutees et strate finale du Bien

Mais preacuteciseacutement le lien de verticaliteacute entre ces strates horizontales a toujours poseacute problegraveme chez

cet auteur Il est question de ldquoparticipationrdquo ou drsquoldquoimitationrdquo mais pour Aristote suivi par Thomas

drsquoAquin ces mots sont vides de sens nrsquoexprimant pas de veacuteritable causaliteacute efficiente Les objections

du vieux Parmeacutenide au jeune Socrate sont deacutecisives Platon en est drsquoailleurs pleinement conscient

On pourrait mecircme soutenir que crsquoest Platon qui est ldquopreacutedicamentalrdquo au sens de Fabro tant lrsquoordre

des Ideacutees est univoque avec celui des reacutealiteacutes sensibles Comme le laisse entendre Aristote les

platoniciens se sont contenteacutes de rajouter ldquoen soirdquo aux espegraveces sublunaires pour en faire des Ideacutees12

Limiter Aristote agrave lrsquohorizontaliteacute est en revanche tregraves reacuteducteur Fabro le sent plus ou moins tout en

continuant drsquoaffirmer ce point Il signale plusieurs fois qursquoAristote eacutecrit laquo crsquoest lrsquohomme et le soleil

qui engendrent lrsquohomme raquo mais donne lrsquoimpression tantocirct de ne pas comprendre cette association

de causaliteacutes et de faire du soleil une cause accidentelle en contre-sens exact de la penseacutee

drsquoAristote et tantocirct drsquoecirctre contraint drsquoadmettre une dimension de verticaliteacute chez Aristote

contrairement agrave ses principes Affirmons-le degraves maintenant pour y revenir par la suite Aristote est

ldquolerdquo philosophe de la verticaliteacute

Ce cadre heacutegeacutelien de divisions parcourt lrsquoensemble du livre et crsquoest en permanence que Fabro est

deacutechireacute entre lrsquoinadeacutequation de ses dichotomies et sa connaissance de Thomas drsquoAquin et drsquoAristote

Balanccedilant freacutequemment de lrsquoun agrave lrsquoautre il ne parviendra pas agrave reacutesoudre ce dilemme Il nrsquoa pas su se

libeacuterer suffisamment du formatage conceptuel de la philosophie ideacutealiste moderne

10 Questions disputeacutees sur la Veacuteriteacute Q1 a1 corp (pourtant Thomas nrsquoemploie pas le terme ldquotranscendantalrdquo ni dans les Questions disputeacutees ni dans le Commentaire de la Meacutetaphysique) 11 laquo De mecircme que les subdivisions de lrsquoecirctre sont la substance la quantiteacute la qualiteacute etc de mecircme celles de lrsquoun seront lrsquoidentique lrsquoeacutegal et le semblable Lrsquoidentique sera lrsquouniteacute dans la substance lrsquoeacutegal lrsquouniteacute dans la quantiteacute et le semblable lrsquouniteacute dans la qualiteacute etc au sein des divers ecirctres les diverses uniteacutes si des noms leur avaient eacuteteacute attribueacutes raquo Commentaire de la Meacutetaphysique L IV l 2 ndeg 561 Et ainsi en va-t-il des autres transcendantaux 12 Commentaire de la Meacutetaphysique Livre VII l 16 nos 1644 - 1645 laquo Crsquoest pour pouvoir transmettre une connaissance des substances incorporelles incorruptibles qursquoils ont forgeacute dans leur imagination des espegraveces identiques aux substances peacuterissables hellip Ils ajoutent donc aux substances singuliegraveres ce verbe et cette expression ldquoautordquo pour signifier ldquoen soirdquo hellip Ceci montre que dans lrsquoesprit des platoniciens ces substances seacutepareacutees eacutetaient de mecircme espegravece que les sensibles et nrsquoen diffeacuteraient que dans leur attribution pertinente du nom drsquoespegravece en soi qui eacutetait refuseacute aux ecirctres concrets raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

Note de lecture et saute drsquohumeur

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 7: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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- Une meacutecompreacutehension drsquoAristote

Agrave lrsquoeacutegard drsquoAristote Fabro est tregraves ambivalent Tantocirct il commente sa penseacutee comme si le Stagirite

eacutetait pour lui aussi ldquoLe Philosopherdquo et tantocirct il sous-estime la porteacutee des concepts principaux Les

Jugeant peut-ecirctre bien connus il fait lrsquoimpasse de leur deacutefinition pour ne retenir que des opinions

ldquoofficiellesrdquo en son temps deacutevalueacutees par lrsquoeacuterosion tant heideggeacuterienne que neacuteo-scolastique Crsquoest

surtout agrave propos de la connaissance en Dieu ou de la causaliteacute eacutequivoque chez Aristote qursquoil nous

semble apercevoir deux Fabro en conflit Lrsquoun lorsqursquoil se contente de faire allusion au Stagirite se

reacutefegravere sans preacutecaution agrave lrsquoopinion ambiante autour de lui lrsquoautre en revanche lorsqursquoil se plonge

veacuteritablement dans sa penseacutee en extrait toute la richesse le plus souvent en opposition avec les

opinions en question

Crsquoest un paradoxe constant de lrsquoauteur Crsquoest aussi le signe que Fabro parvient agrave se deacutegager drsquoun

contexte intellectuel alieacutenant lorsqursquoil reacutefleacutechit par lui-mecircme bien qursquoil y cegravede lorsqursquoil eacutevoque

Aristote en surface De nombreux points de lrsquoouvrage sont du pur ldquoaristoteacutelo-thomismerdquo agrave condition

de faire en permanence le tri entre ce qui sort du for inteacuterieur de Fabro et ce qui vient du dehors

Mais alors nouvelle ambivalence de lrsquoauteur ses analyses montrent agrave lrsquoeacutevidence que Thomas loin

de subvertir Aristote comme il le reacutepegravete lrsquoaccomplit au contraire parfaitement

- Une thegravese centrale de la meacutetaphysique de saint Thomas

Fabro baigne aussi dans lrsquoatmosphegravere neacuteo-scolastique de la premiegravere moitieacute du 20e siegravecle et en

assume sans discussion les principales probleacutematiques laquo On convient hellip raquo eacutecrit-il laquo hellip que la thegravese

centrale de la meacutetaphysique thomiste est lrsquoaffirmation de la distinction reacuteelle en toute creacuteature

drsquoessence et drsquoesse selon le rapport de puissance et acte dans lrsquoordre ontologico-meacutetaphysique raquo13

comme srsquoil srsquoagissait de lrsquoeacutevidence premiegravere entre toutes Or preacuteciseacutement crsquoest de cela qursquoil est

impossible de convenir aveugleacutement sans une ample analyse des notions en question Et pour

premier constat nous ne trouvons nulle part chez saint Thomas une telle rdquoaffirmationldquo il est donc

difficile drsquoadmettre qursquoil srsquoagisse pour lui drsquoune thegravese centrale Gageons qursquoil lrsquoaurait sinon formuleacutee

de nombreuses fois et lrsquoaurait amplement deacuteveloppeacutee pour elle-mecircme Or il nrsquoen est rien

En revanche crsquoest bien un des deacutebat majeurs entre thomistes et suareacuteziens entre dominicains

augustiniens et jeacutesuites entre laiumlcs et religieux entre partisan et adversaires des Vingt-quatre thegraveses

thomistes durant plus de cinquante ans Fabro qui nrsquoheacutesite pas par ailleurs agrave se dresser contre huit

siegravecles de scolastique assume sans procegraves cette hypotheacutetique ldquothegravese centralerdquo nulle part poseacutee

comme telle chez Thomas mais omnipreacutesente chez les neacuteo-scolastiques Il ne srsquoagit drsquoailleurs pas de

nier que saint Thomas agrave la suite drsquoAristote aborde la distinction agrave opeacuterer entre essence et esse chez

les ecirctres composeacutes mais de voir qursquoil ne traite jamais de cette probleacutematique pour elle-mecircme en

dehors du livre VII de son Commentaire de la Meacutetaphysique14 La thegravese y est preacutesente certes mais

pas plus centrale que nombre drsquoautres Crsquoest drsquoautant plus eacutetonnant que cette thegravese cette fois-ci

centrale de la neacuteo-scolastique ruine lrsquoideacutee mecircme drsquoesse intensif en confinant lrsquoesse au seul sens

drsquoexister sans concept crsquoest-agrave-dire vide de toute intensiviteacute puisque le ldquodegreacute drsquoecirctrerdquo de lrsquoecirctre

composeacute viendrait de lrsquoessence et non de lrsquoesse

De sorte que Fabro assume sans heacutesitation le cadre de raisonnement traditionnellement associeacute agrave

cette thegravese centrale crsquoest-agrave-dire les notions drsquoldquoesse ut actusrdquo drsquoldquoacte de tous les actesrdquo de ldquoforme

13 Page 280 14 Comm Meacutetaphysique L VII l 11 ndeg 1533-1535 repris en Comm De Anima L III l 8 ndeg 705-708

Note de lecture et saute drsquohumeur

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 8: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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des formesrdquo15 drsquoldquoactus essendirdquo16 et drsquoautres voisines sans jamais prendre soin de construire leur

deacutefinition ni de se fonder sur celles deacutejagrave existantes drsquoldquoessencerdquo drsquoldquoacterdquo ou de ldquoformerdquo hellip Crsquoest

drsquoautant plus regrettable qursquoagrave nouveau ldquoesse ut actusrdquo17 ne se remarque qursquoune seule fois chez saint

Thomas (sous reacuteserve drsquoomission de notre part) en un sens drsquoailleurs eacuteloigneacute de celui de Fabro

qursquoldquoacte de tous les actesrdquo et ldquoforme des formesrdquo18 sont totalement absents et qursquoldquoactus essendirdquo

ne srsquoy trouve qursquoune quinzaine de fois sans aucune explication et dans des contextes plutocirct

secondaires19 Ces notions qui ont pourtant connu une telle inflation neacuteo-scolastique sont

partiellement ou totalement neacutegligeacutees par Thomas Difficile drsquoy voir le cœur de la meacutetaphysique

thomiste difficile de ne pas reconnaicirctre une emprise funeste de la neacuteo-scolastique sur Fabro

- Thomas un neacuteo-platonicien

Un autre aspect de lrsquoinfluence neacuteo-scolastique veut faire de Thomas un neacuteo-platonicien plus qursquoun

aristoteacutelicien particuliegraverement en meacutetaphysique Ici Fabro se reacutevegravele beaucoup plus qursquoun simple

suiveur Il est persuadeacute que lrsquoauteur du Traiteacute des Noms divins comme celui du Livre des Causes ont

eu plus de poids dans la penseacutee de saint Thomas que lrsquoensemble de ses commentaires drsquoAristote

Pourtant la quantiteacute de pages comme la chronologie des textes si elles ne sont certes pas des

preuves repreacutesentent tout de mecircme de seacuterieux indices de la fragiliteacute drsquoune telle position

Tout drsquoabord rappelons qursquoAristote ne srsquooppose pas terme agrave terme agrave Platon mais en deacutepend pour le

geacuteneacuteral et srsquoen seacutepare pour le speacutecifique Ensuite on ne peut plus revenir agrave un platonisme naiumlf apregraves

Aristote Crsquoest pourquoi les neacuteo-platoniciens sont dits ldquoneacuteo-rdquo et non pas seulement ldquoplatoniciensrdquo (il

nrsquoy a pas de ldquoneacuteo-aristoteacutelicienrdquo20 par exemple et il faut toujours se demander pourquoi on ajoute

ldquoneacuteo-rdquo agrave un courant de penseacutee) Tous les neacuteo-platoniciens ont eacuteteacute influenceacutes par la penseacutee

drsquoAristote et lorsqursquoon attribue agrave Thomas des jugements neacuteo-platoniciens ce sont tregraves souvent des

deacuteveloppements sur un socle aristoteacutelicien Thomas nrsquoheacutesite pas en effet agrave eacutecrire laquo Denys qui fut

dans lrsquoensemble disciple des [neacuteo-] platoniciens hellip raquo21 et agrave ajouter

laquo Tous ceux qui ont preacuteceacutedeacute Aristote ont affirmeacute que le ciel avait la nature des quatre

eacuteleacutements Mais le premier Aristote a rejeteacute cette approche et a affirmeacute que le ciel relegraveve

de la quintessence hellip En raison de la force de ses arguments les philosophes qui lrsquoont suivi

ont eacuteteacute drsquoaccord avec lui Aussi tous suivent-ils maintenant son opinion De mecircme aussi

15 Lrsquoipsum esse commune est laquo le fondement de la deacuterivation reacuteelle de toute perfection et formaliteacute la forma

formarum et lrsquoacte de tous les actes raquo page 277 16 laquo Lrsquoesse comme actus essendi est participeacute par les eacutetants en leur essence il est lrsquoacte et la perfection de

lrsquoessence mais en mecircme temps crsquoest lrsquoessence qui le deacutetermine et en le limitant lrsquoinsegravere dans le tout reacuteel raquo

page 245 17 Contra Gentiles L 2 chap 54 ndeg 5 18 On trouve une fois ldquoforma formarumrdquo lorsque saint Thomas cite saint Augustin Catena in Io cap 1 l 1 Augustinus de Verb Dom 19 Nous lisons en page 1 de Les fonctions theacuteoriques de la notion drsquoacte drsquoecirctre (actus essendi) chez Thomas

drsquoAquin ndash G Barette Universiteacute de Montreacuteal Dpt de philosophie 2010 ndash que La notion drsquoacte drsquoecirctre (actus

essendi) laquo hellip nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Apregraves un tel aveu en

deacutebut drsquoeacutetude il faut se demander ce qui a pu pousser lrsquoauteur agrave produire un travail drsquoune centaine de pages

sur lrsquoldquoactus essendirdquo et lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal agrave lrsquoeacutediter sous le titre de Lecirctre comme perfection Les sens

dactus essendi chez Thomas dAquin Ed Univer Montreacuteal 2014 Eacutevidemment pas la lecture de saint Thomas

puisqursquoon avoue ne trouver nulle part drsquoexplication chez lui Comment ne pas y voir la pression de la penseacutee

neacuteo-scolastique 20 Pourtant on pourrait qualifier de ldquoneacuteo-aristoteacuteliciensrdquo les nombreux disciples de Heidegger qui sur la parole de leur maicirctre se sont consacreacutes agrave lrsquoeacutetude drsquoAristote lui-mecircme 21 De Malo q 16 a 1 ad 3

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

Note de lecture et saute drsquohumeur

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 9: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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les interpregravetes de la Sainte Eacutecriture se sont-ils diviseacutes selon qursquoils eacutetaient partisans de

divers philosophes dont ils avaient reccedilu leur formation en matiegravere philosophique hellip Mais

Denys suit Aristote presque partout comme cela ressort pour celui qui examine ses livres

avec attention raquo 22

Il nrsquoest plus possible apregraves Aristote drsquoecirctre un platonicien drsquoantan Or Fabro concentre la reacutevolution

meacutetaphysique de saint Thomas autour du commentaire de ces deux œuvres dites ldquoneacuteo-

platoniciennesrdquo Il veut y remarquer une liberteacute de penseacutee absente dans les commentaires

drsquoAristote Ceci lui fait dire comme beaucoup qursquoen commentant Aristote Thomas drsquoAquin se

contente drsquoeacuteclaircir la penseacutee du Stagirite sans livrer la sienne propre alors qursquoagrave propos des deux

auteurs en question il se montre plus personnel Jugement discutable srsquoopposant au jugement

inverse non moins discutable de ceux qui considegraverent que saint Thomas srsquoest construit un Aristote

bien agrave lui afin de mieux lrsquointeacutegrer agrave sa theacuteologie

Osons dire que Thomas commente Aristote dans lrsquoesprit que ce dernier a quasiment tout fondeacute en

meacutetaphysique Crsquoest pourquoi il lrsquoappelle avec insistance ldquole Philosopherdquo mecircme srsquoil le complegravete lagrave ougrave

sa penseacutee nrsquoest pas assez aboutie pour se conformer agrave la Reacuteveacutelation comme les questions de la

Providence de la connaissance en Dieu de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme de la Creacuteation etc Pour prendre

une comparaison lorsque saint Thomas cite Euclide (une vingtaine de fois) il ne viendrait agrave lrsquoideacutee de

personne de consideacuterer qursquoil parle drsquoEuclide sans exprimer sa propre penseacutee ni encore moins qursquoil

srsquoest confectionneacute un Euclide agrave sa main non chacun pense qursquoEuclide a dit le dernier mot sur la

geacuteomeacutetrie plane et que les jugements drsquoEuclide sont bien aussi ceux que partage Thomas Il en va de

mecircme pour Aristote

Ce qui nrsquoest pas le cas pour Pseudo-Denys ni Pseudo-Proclus Lrsquoeacutetude de ces œuvres reacutepond tout

drsquoabord agrave des besoins diffeacuterents et nrsquoest pas du tout le reacutesultat drsquoune volonteacute de Thomas drsquoouvrir une

aire neacuteo-platonicienne dans ses travaux La question des Noms divins est un thegraveme theacuteologique

majeur et parmi les premiers agrave reacutesoudre avant drsquoaller plus loin Il consiste au fond agrave se demander si

ce qursquoon dit de Dieu possegravede une quelconque valeur au cas ougrave la reacuteponse serait neacutegative il serait

inutile de poursuivre du moins par la voie de la raison Pseudo-Denys a abordeacute ce sujet en vraie

grandeur sa penseacutee srsquoest reacutepandue avec autoriteacute dans tout le Moyen-acircge il eacutetait donc neacutecessaire

que saint Thomas se reacutefegravere agrave lui

Concernant le Livre des Causes le contexte est diffeacuterent Jusqursquoagrave Thomas il eacutetait traditionnellement

attribueacute agrave Aristote et consideacutereacute comme lrsquoaboutissement de sa meacutetaphysique (malgreacute un style

reacutedactionnel tregraves inhabituel) Cet ouvrage a lui aussi connu un grand retentissement et Thomas ne

pouvait lrsquoignorer En entamant son eacutetude il pensait donc commenter Aristote avant de deacutecouvrir

qursquoil srsquoagissait de la reacuteeacutecriture de certains passages de lrsquoElementatio theologica de Proclus Le cours

de son travail en fut ineacutevitablement modifieacute

Crsquoest pourquoi le commentaire de ces deux œuvres peut donner lrsquoillusion drsquoecirctre plus original Non

pas que saint Thomas libegravere ici une penseacutee personnelle qursquoil reacuteprimerait avec Aristote mais bien au

contraire parce que la neacutecessiteacute de redresser la doctrine et lrsquoexpression se fait beaucoup plus

freacutequente Une lecture cursive de ces commentaires montre assez clairement que Thomas soumet

toujours la validiteacute du texte agrave une interpreacutetation aristoteacutelicienne23

Crsquoest donc bien lrsquoinverse de ce que dit Fabro Thomas corrige en permanence les auteurs

drsquoinspiration neacuteo-platonicienne qursquoil commente en reacutetablissant une lecture aristoteacutelicienne partout

22 Super Sent lib 2 d 14 q 1 a 2 co 23 L Elders le montre dans son dernier livre Thomas drsquoAquin et ses preacutedeacutecesseurs PUIPC Paris 2015

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 10: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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ougrave la confusion des sens eacutetait possible Nous avons un bon exemple de cette inversion dans le

passage suivant

[Saint Thomas] laquo deacutebute par la correspondance neacutecessaire doctrine drsquoinspiration

aristoteacutelicienne entre lrsquouniversaliteacute drsquoextension de lrsquoeffet et lrsquouniversaliteacute

drsquoefficaciteacute de la cause de sorte que la cause particuliegravere devient ldquoinstrumentrdquo de

la cause universelle et agit comme tel Le point saillant de lrsquoargument est pourtant

drsquoorigine neacuteo-platonicienne et vient preacuteciseacutement du De causis (prop I) raquo24

Or voici cette proposition I laquo Toute cause premiegravere influe plus sur son effet que la cause universelle

seconde raquo Il est eacutevident qursquoun tel principe srsquoil trouve effectivement ses preacutemices chez Platon est

authentiquement aristoteacutelicien comme nous le verrons agrave propos de la causaliteacute eacutequivoque Il faut

donc dire que le ldquopoint saillant du De Causisrdquo suit la philosophie drsquoAristote laquo en raison de la force de

ses arguments raquo et nrsquoest neacuteo-platonicien que par accident

Cette inversion des responsabiliteacutes est omnipreacutesente chez Fabro et contribue agrave obscurcir un

raisonnement agrave drsquoautres endroits pourtant lumineux Encore cette bipolariteacute paradoxale de lrsquoauteur

Le plus eacutetonnant est que Fabro lui-mecircme en convient parfois laquo Aristote lui-mecircme a contribueacute de

maniegravere deacutecisive agrave la formation du neacuteo-platonisme raquo25 ou encore

laquo Ce qui est le plus important et peut-ecirctre le plus surprenant crsquoest que ce fond

speacuteculatif neacuteoplatonicien se base presque toujours dans le thomisme sur des

principes aristoteacuteliciens raquo26

La surprise de Fabro nrsquoest pas surprenante Elle prouve que malgreacute ses a priori sur le neacuteo-platonisme

de Thomas son intelligence est tout de mecircme obligeacutee de se rendre agrave la reacutealiteacute saint Thomas est

avant tout aristoteacutelicien y compris lorsqursquoil commente un texte neacuteo-platonicien Et crsquoest cela avoue-

t-il qui est le plus important

- Les concepts fondamentaux de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique

Les trois thegraveses principales de la meacutetaphysique neacuteo-scolastique sont les suivantes

a- Lrsquoacte drsquoexister (actus essendi) est lrsquoacte des actes (actus actuum) Fabro ne parle

eacutevidemment pas drsquoacte drsquoldquoexisterrdquo nous lrsquoavons vu mais drsquoacte drsquoesse refusant drsquoailleurs de

traduire ce dernier terme Seul cet actus essendi est lrsquoacte final faisant reacuteellement ecirctre la

chose tandis que la forme aristoteacutelicienne nrsquoest qursquoun acte formel faisant partie de

lrsquoessence et encore en puissance agrave lrsquoacte drsquoesse

b- La seconde thegravese deacutecoule naturellement de la premiegravere lrsquoessence est une puissance en

puissance agrave lrsquoacte drsquoesse Lrsquoessence des ecirctres naturels est la nature mecircme de ce qursquoils sont

leur ldquoquidditeacuterdquo exprimeacutee par la deacutefinition Mais cette deacutefinition nrsquoindique en rien que

lrsquoessence existe ou non Lrsquoesse nrsquoest pas de la notion de lrsquoessence qui sinon existerait

neacutecessairement comme est neacutecessaire tout ce qui est essentiel

c- Troisiegraveme thegravese reacutesultat des deux preacuteceacutedentes lrsquoactus essendi est de soi illimiteacute car crsquoest

lrsquoessence qui le limite de lrsquoexteacuterieur comme une puissance limite un acte

Sans jamais lrsquoeacutetayer Fabro reprend agrave son compte ce triptyque et lrsquoon se demande pourquoi Car

autant il peut y avoir une certaine coheacuterence degraves lors qursquoesse se limite agrave exister autant cela ne

24 Page 401 25 Page 460 26 Page 196 Fabro cite son premier ouvrage La nozione metafisica di partecipazione 2e ed SEI Torino 1950

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 11: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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fonctionne plus avec lrsquoesse intensif Lrsquoexister est vide de toute formaliteacute alors que lrsquoesse intensif est

LA formaliteacute par excellence laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee raquo eacutecrira Fabro27

Selon Aristote dans ses Topiques lorsqursquoune probleacutematique est obscure il faut en deacutefinir les termes

Or crsquoest une constante du courant neacuteo-scolastique nulle part on ne donne de deacutefinition preacutecise des

termes ldquoacterdquo et ldquoessencerdquo les jugeant sans doute et agrave tort trop bien connus Srsquoil en avait eacuteteacute

autrement des bibliothegraveques entiegraveres se seraient eacutecrouleacutees Retenons donc celles qursquoAristote et

saint Thomas formulent

Agrave la ligne 1048a31 du chapitre 6 du livre θ de la Meacutetaphysique Aristote eacutecrit laquo Ἔστι δὴ ἐνέργεια τὸ

ὑπάρχειν τὸ πρᾶγμα μὴ οὕτως ὥσπερ λέγομεν δυνάμει raquo Guillaume de Mœrbeke traduit en latin agrave

lrsquoattention de Thomas drsquoAquin laquo Est autem actus existere rem non ita sicut dicimus potentia raquo Les

traductions franccedilaises reacutecentes drsquoAristote donnent laquo Lrsquoacte est donc lrsquoexister de la chose non comme

nous disons en puissance raquo28 laquo Donc lrsquoacte est pour la chose le fait drsquoexister mais non de la maniegravere

dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo29 laquo Lrsquoacte donc est le fait pour une chose drsquoexister

en reacutealiteacute et non de la faccedilon dont nous disons qursquoelle existe en puissance raquo30 Et deux traductions

notables en langue anglaise proposent laquo Actuality then is the existence of a thing not in the way

which we express by potentially raquo31 laquo Now actuality is the existence of a thing not in the sense in

which we say that a thing exists potentially raquo32 Lrsquoaccord se fait donc agrave travers les siegravecles et les

langues pour deacutefinir lrsquoacte et tout acte comme ldquolrsquoexister de la chose non comme nous disons en

puissancerdquo Puis Aristote donne une seacuterie drsquoexemples pour mieux se faire une image de ce qui est

aux dires de Thomas la deacutefinition drsquoun principe tout agrave fait premier dont nous ne pouvons avoir de

concept anteacuterieur auquel le rattacher

Toujours drsquoapregraves les Topiques il est recommandeacute en cas de probleacutematique obscure de remplacer

les termes par leur deacutefinition car cela ne modifie en rien le sens drsquoune proposition mais au contraire

lrsquoeacuteclaircit Donc eacutecrire ldquoLrsquoacte de tous les actesrdquo revient agrave parler de ldquolrsquoexister non comme en

puissance de tous les exister non comme en puissance des chosesrdquo autrement dit ldquolrsquoexister effectif

de lrsquoexister effectifrdquo Cela nrsquoa aucun sens Telle qursquoelle est formuleacutee lrsquoexpression donne le sentiment

ndash sentiment confirmeacute un peu plus loin ndash de poupeacutee russe ougrave un acte serait agrave lrsquointeacuterieur drsquoun autre

acte ce qui ne voudrait rien dire Le concept drsquoldquoacte de tous les actesrdquo ougrave rdquoacteldquo est pris

univoquement dans les deux cas est donc agrave rejeter pour incoheacuterence il en va de mecircme bien sucircr de

ldquola forme de toutes les formesrdquo

Objectera-t-on que dans lrsquoexpression ldquoacte de tous les actesrdquo le premier terme ldquoacterdquo nrsquoa pas la

mecircme signification que le second Nous reviendrons sur ce point Mais il ne semble pas que la neacuteo-

scolastique ni Fabro ne fassent de diffeacuterence de sens pour eux saint Thomas reprend les notions

aristoteacuteliciennes drsquoacte et de forme en elles-mecircmes pour les appliquer plus speacutecialement mais

univoquement agrave lrsquoacte drsquoecirctre Crsquoest dit-on la grande reacutevolution de la meacutetaphysique thomiste

Tout pareillement parler de ldquolrsquoexister des choses naturelles (application de la deacutefinition de lrsquoacte

agrave la forme comme acte drsquoune reacutealiteacute physique) en puissance agrave lrsquoexister ou lrsquoesse (en puissance agrave

lrsquoactus essendi)rdquo nrsquoa pas davantage de signification un ldquoexister en puissance agrave lrsquoexister ou

lrsquoesserdquo nrsquoest effectivement pas compreacutehensible Plus fondamentalement un ldquoacte en puissancerdquo

27 Page 373 28 A de Muralt Les Meacutetaphysiques Eacuted Les Belles Lettres Paris 2010 29 MP Duminil amp A Jaulin La Meacutetaphysique Ed Garnier-Flammarion Paris 2008 30 J Tricot La Meacutetaphysique T II Reacuteeacuted Vrin Paris 1986 31 WD Ross Metaphysics T II Oxford 1958 32 J P Rowan (traduisant Mœrbeke) Commentary on the Metaphysics Ed Dumb Ox Books Chicago 1961

Note de lecture et saute drsquohumeur

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 12: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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est une notion intrinsegravequement contradictoire puisque preacuteciseacutement lrsquoacte est ldquohellip non comme

nous disons en puissancerdquo

ldquoEssencerdquo pose une difficulteacute analogue laquo hellip Dans les ecirctres composeacutes de matiegravere et de forme

lrsquoessence ne signifie pas seulement la forme ni seulement la matiegravere mais le composeacute de matiegravere et

de forme communes consideacutereacutees comme principes de lespegravece raquo33 ou encore laquo Lrsquoessence dans les

substances mateacuterielles signifie le composeacute de matiegravere et de forme cependant pas de la matiegravere

individuelle mais de la matiegravere commune raquo34 et enfin laquo Cette identiteacute encore nommeacutee essence hellip

diffegravere de la forme comme lrsquohumaniteacute diffegravere de lrsquoacircme raquo35 Ces deacutefinitions de lrsquoessence sont une

constante dans toute lrsquoœuvre de saint Thomas degraves le De Ente et essentia et jusqursquoagrave la fin

Plusieurs points sont agrave noter lrsquoessence provient ldquodes principes de lrsquoespegravecerdquo que sont la matiegravere et la

forme communes Matiegravere et forme communes sont des abstractions issues de la matiegravere et de la

forme individuelle qui seules existent reacuteellement Lrsquoessence en effet est agrave la forme reacuteelle comme

lrsquohumaniteacute agrave lrsquoacircme humaine ldquoHumaniteacuterdquo est un universel abstrait et pour Aristote laquo il nrsquoexiste rien

de tel dans la nature des choses sauf agrave ecirctre second raquo36 Ce qui existe crsquoest lrsquoacircme forme du corps Or

les principes de lrsquoessence ndash matiegravere et forme ndash sont drsquoabord les principes de lrsquoesse laquo Esse enim rei hellip

quasi constituitur per principia essentiaelig raquo37 lrsquoesse des choses est comme constitueacute par les principes

mecircmes de lrsquoessence agrave savoir la matiegravere et la forme

Ainsi donc lorsqursquoune matiegravere concregravete est informeacutee par une forme concregravete la chose ldquoestrdquo et par

voie de conseacutequence ayant drsquoecirctre elle a ldquoen secondrdquo une essence Mais lrsquoessence ne peut en aucun

cas ecirctre ldquoen puissance agrave lrsquoesserdquo car laquo ipsa quidditas hellip antequam esse habeat nihil est raquo38 avant

drsquoavoir lrsquoesse une essence nrsquoest rien contrairement agrave la matiegravere qui est ldquoecirctre en puissancerdquo et nrsquoest

donc pas rien avant drsquoavoir lrsquoesse Si lrsquoessence eacutetait en puissance agrave lrsquoesse il y aurait conseacutecution

reacuteciproque dans lrsquoecirctre car lrsquoesse aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoessence comme

puissance pour pouvoir en ecirctre lrsquoacte mais lrsquoessence aurait besoin de la preacutesence preacutealable de lrsquoesse

pour pouvoir ecirctre puissance agrave lrsquoesse crsquoest impossible (entendons ldquopreacutealablerdquo au sens de preacuteseacuteance

dans lrsquoecirctre sans impliquer neacutecessairement drsquoanteacuterioriteacute chronologique) Crsquoest pourtant bien ce que

soutiendra Fabro

laquo La forme existe moyennant la participation de lrsquoesse mais lrsquoesse participeacute

nrsquoexiste agrave son tour qursquoen tant que reccedilue dans la forme ou essence participante raquo39

Tregraves souvent il est vrai saint Thomas eacutecrit qursquolaquo il importe que lrsquoesse soit compareacute agrave lrsquoessence hellip

comme lrsquoacte agrave la puissance raquo40 Notre difficulteacute sera donc de comprendre en quel sens entendre une

telle affirmation sans contredire ce qui preacutecegravede Ceci devrait deacutejagrave nous mettre sur la voie drsquoun

contre-sens agrave la racine mecircme de la notion drsquoesse

La troisiegraveme thegravese enfin eut notamment Gilson pour promoteur Essence et existence sont tenues

pour reacuteellement distinctes or lrsquoessence indique la ldquoquidditeacuterdquo de la chose eacutenonceacutee par son concept

Lrsquoexistence nrsquoa donc pas de quidditeacute propre Or crsquoest lrsquoessence qui est le contour la limite des

choses Ce qursquoest une chose est distinct de ce qursquoest lrsquoautre du fait de ses limites agrave la fois

33 Somme Th Ia q 29 a2 ad 3 34 QD de Pot Q 9 a 1 ad 6 35 Comm Meacutetaph L V l 10 ndeg 902 36 Comm du Traiteacute de lrsquoacircme LI l1 ndeg13 37 Comm Meacutetaph L IV l 2 ndeg 11 38 De potentia q 3 a 5 ad 2 39 Page 379 40 Somme Th Ia q 3 a 4 co

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 13: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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quantitatives et quidditatives Mais si la limite vient de lrsquoessence alors lrsquoexistence qui en est

reacuteellement distincte et nrsquoa pas de quidditeacute propre nrsquoest pas drsquoelle-mecircme limiteacutee Lrsquoacte drsquoecirctre ndash tout

acte drsquoecirctre ndash est pour Gilson illimiteacute crsquoest-agrave-dire infini et absolu en lui-mecircme laquo Dieu lui-mecircme ne

pourrait creacuteer ces monstres que seraient des actes finis drsquoexister raquo41 Fabro reprend cette thegravese de la

limitation de lrsquoacte drsquoesse par lrsquoessence

laquo Acte de tous les actes lrsquoesse est lrsquounique acte qui srsquoimpose dans sa reacutealiteacute sans

un contenu propre et il est donc sans limite parce que lrsquoesse nrsquoest pas et nrsquoa pas

une essence mais crsquoest lrsquoessence qui a lrsquoesse raquo42

Il parlera de laquo principe fondamental de lrsquoantithomisme qui affirme que ldquolrsquoacte est limiteacute par lui-

mecircmerdquo raquo43

Mais crsquoest intenable Lrsquoinfini est incommensurable au fini et nrsquoexiste pas en acte dans la nature des

choses Une puissance finie ne peut aucunement ecirctre en puissance agrave un acte infini Elle peut encore

moins le limiter de lrsquoexteacuterieur puisque lrsquoinfini est preacuteciseacutement ce qui nrsquoa pas drsquoexteacuterieur Un acte

infini ferait comme exploser une puissance finie cette derniegravere loin de limiter lrsquoacte deviendrait au

contraire elle-mecircme infinie Crsquoest peut-ecirctre la plus incroyable des affirmations de la meacutetaphysique

neacuteo-scolastique On reste stupeacutefait devant le nombre et la qualiteacute des penseurs qui lrsquoont soutenue a

priori sans jamais se poser de question

- Une quantiteacute drsquoesse

On ne peut suivre non plus Fabro lorsqursquoil eacutecrit dans la droite ligne neacuteo-scolastique

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo44

Plus de trace drsquointensiviteacute Lrsquoesse est reacuteduit agrave une sorte de pacircte agrave modeler qui se malaxe au greacute des

rencontres drsquoessences Drsquoailleurs nous lisons

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels45 hellip On

dirait que le monde une fois creacuteeacute par Dieu maintient gracircce agrave la conservation

divine sa ldquoquantiteacute drsquoesserdquo Les geacuteneacuterations et corruptions des formes dans les

composeacutes qui constituent la causaliteacute preacutedicamentale ne touchent pas agrave cette

quantiteacute drsquoesse mais elles deacuteterminent agrave proprement parleacute le changement des

sujets appeleacutes agrave la participation de lrsquoesse46 raquo

Crsquoest un de ces passages tregraves eacutetranges de Fabro reacuteveacutelateur drsquoune penseacutee qui srsquoeacuteloigne parfois

dangereusement de saint Thomas Lrsquoesse serait comme une motte un stock disponible dont chaque

substance ou accident prendrait sa part en venant agrave lrsquoecirctre pour sans doute la remettre au vestiaire agrave

41 E Gilson LrsquoEcirctre et lrsquoessence Reacuteeacuted Vrin Paris 2008 page 121 42 Page 83 43 Page 64 44 Page 482 45 Page 359 46 Page 486

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 14: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sa mort afin qursquoelle puisse resservir agrave autrui Sauf bien eacutevidemment les substances incorruptibles

qui auraient la chance de conserver agrave jamais leur part Il continue

laquo Lrsquoesse des choses sujettes agrave geacuteneacuteration et corruption appartient agrave lrsquoordre de la

reacutealiteacute preacutedicamentale comme la forme et lrsquoessence qui le portent et dont il est

lrsquoacte Eacutetant speacutecifieacute par la forme et lrsquoessence il en suit les vicissitudes De mecircme

agrave lrsquoopposeacute lrsquoesse des substances spirituelles eacutetant speacutecifieacute par leur subsistance

simple et immuable est doteacute par elles de consistance immuable et de la

perpeacutetuiteacute de dureacutee eacuteternelle II en est de ce dernier esse terme drsquoune creacuteation

immeacutediate comme de la ldquoquantitas essendirdquo primordiale du monde physique raquo47

Esse serait en soi indiffeacuterent au fait drsquoecirctre corruptible ou non Ce nrsquoest que le hasard de lrsquoassomption

par les essences qui ferait la diffeacuterence un mecircme esse pourrait donc fort bien pourquoi pas passer

de corruptible agrave incorruptible srsquoil avait la chance drsquoecirctre porteacute par une essence incorruptible apregraves

avoir quitteacute son essence corruptible Mais crsquoest deacutetruire les notions mecircmes de corruptibiliteacute et

drsquoincorruptibiliteacute Fabro en vient aussi agrave faire une diffeacuterence entre la reacuteception de lrsquoesse drsquoun cocircteacute et

le devenir substantiel de lrsquoautre Ici nous avons deacutefinitivement quitteacute Aristote et saint Thomas pour

revenir en quelque sorte agrave Thales pour qui cette motte drsquoesse srsquoappelait eau Drsquoailleurs Fabro admet

implicitement lrsquoanalogie

laquo On peut dire que lrsquoesse a dans lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier

fondementrdquo qui est analogue par contraste agrave celle de la matiegravere premiegravere dans

lrsquoordre de la puissance raquo48

La reacutealiteacute mecircme du devenir substantiel crsquoest-agrave-dire la venue agrave ecirctre est nieacutee Crsquoest une des

incoheacuterences remarquables auxquelles conduit la neacuteo-scolastique

Il nous faudra cependant lagrave encore expliquer pourquoi saint Thomas eacutecrit parfois que lrsquoesse est reccedilu

par lrsquoessence comme un acte est reccedilu dans les limites drsquoune puissance mais toujours en refusant de

mettre Thomas en contradiction ni avec lui-mecircme ni avec la raison

4deg- Traduire ldquoesserdquo

Il est tregraves remarquable que Fabro ait refuseacute de traduire esse mais a constamment utiliseacute ce terme

sous sa forme latine et en italique comme srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacutequivalent franccedilais Ce constat deacutepasse

drsquoailleurs largement notre auteur pour srsquoeacutetendre agrave la plupart des thomistes actuels notamment

anglo-saxons49 Nrsquoy a-t-il donc aucun vocable moderne digne de traduire esse Pourquoi le verbe

ldquoecirctrerdquo ne ferait-il pas lrsquoaffaire tout simplement Crsquoest pourtant son exact correspondant

seacutemantique Mais le vocabulaire franccedilais est sujet ici agrave une ambiguiumlteacute qui en fait un piegravege diabolique

pour la neacuteo-scolastique

- Eacutequivoque en franccedilais

Le nom ecirctre et le verbe ecirctre sont des mots phoneacutetiquement identiques pour exprimer des notions

certes lieacutees mais diffeacuterentes Le risque de confusion est donc majeur Lrsquohabitude semble avoir eacuteteacute

prise drsquoutiliser le neacuteologisme ldquoeacutetantrdquo pour signifier le nom ecirctre cela correspond drsquoailleurs bien au

mot latin ens qui est aussi un neacuteologisme formeacute pour traduire le non moins neacuteologisme grec ldquoto onrdquo

En contrepartie ldquoecirctrerdquo ldquolrsquoecirctrerdquo sembleraient deacutedieacutes agrave deacutesigner exclusivement le verbe et traduire

47 Page 487 48 Page 373 49 Cf John F Wippel The Metaphysical thought of Thomas Aquinas CUA Press Washington 2000

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 15: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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esse Mais autant la question de lrsquoens reccediloit une solution satisfaisante quoique disgracieuse autant

la traduction drsquoesse en revanche est loin drsquoecirctre clarifieacutee

Dans une perspective neacuteo-scolastique en effet esse parce qursquoil est deacutefini comme lrsquoacte des actes et

des formes est lui-mecircme penseacute comme un acte et une forme que lrsquoon exprime par un nom abstrait et

non par un verbe De sorte qursquoen traduisant esse par ldquolrsquoecirctrerdquo en parlant par exemple de lrsquoecirctre drsquoune

substance pour traduire esse substantiaelig nous refaisons du mot ecirctre un nom abstrait le ldquonomrdquo lrsquoecirctre

et nous retombons dans lrsquoamphibologie que preacuteciseacutement nous voulions dissoudre Crsquoest tregraves

certainement pour eacuteviter ce dilemme que Fabro a conserveacute esse en italique La distinction entre lrsquoeacutetant

et lrsquoecirctre nrsquoeacuteclairerait donc que le premier membre mais eacutepaissirait plutocirct la confusion du deuxiegraveme

Il est tregraves curieux que nos voisins anglo-saxons qui ne connaissent pas cette ambiguiumlteacute en aient creacuteeacute

une comparable mais beaucoup plus artificielle que la nocirctre Chez eux lrsquoeacutequivoque existe entre le

nom ldquoa beingrdquo un ecirctre ou un eacutetant et le participe preacutesent ldquobeingrdquo eacutetant Mais lrsquoinfinitif du verbe ecirctre

se dit ldquoto berdquo et ne precircte agrave aucune heacutesitation Alors pourquoi diable srsquoentecirctent-ils agrave vouloir traduire

esse par being et actus essendi par ldquoact of beingrdquo50 reacutetablissant ainsi lrsquoobscuriteacute lagrave ougrave elle nrsquoeacutetait

pas Est-ce par fideacuteliteacute agrave une meacutetaphysique qui naquit en Europe continentale De plus est-ce

parce qursquoeux-mecircmes sont eacutegalement insatisfaits de cette traduction qursquoils en sont venus agrave conserver

esse en latin et en italique Mystegravere Comme ils ont les moyens linguistiques lagrave ougrave nous autres

franccedilais en sommes deacutepourvus nos amis anglophones rendraient un service signaleacute agrave la

communauteacute thomiste mondiale en traduisant deacutelibeacutereacutement actus essendi par ldquothe act of to berdquo (et

non ldquothe act of beingrdquo) ou esse substantiaelig par ldquothe to be [transposition exacte de ldquoto eiumlnaiumlrdquo] of a

substancerdquo ou forma dat esse par ldquothe form gives to berdquo (and so on hellip)

- Esse est un verbe

Car esse est un verbe et non pas un nom Crsquoest ce qursquoa drsquoabord parfaitement vu Fabro

laquo ldquoEcirctrerdquo est un verbe et comme tout verbe il peut ecirctre employeacute comme simple

verbe agrave lrsquoinfinitif et comme substantif nous disons ldquoallerrdquo et ldquolrsquoallerrdquo ldquoleverrdquo et

ldquole leverrdquo et nous pouvons eacutegalement dire ldquoecirctrerdquo et ldquolrsquoecirctrerdquo ndash agrave la diffeacuterence des

substantifs nominaux tels ldquopainrdquo ldquomaisonrdquo ldquobacirctimentrdquohellip Il est clair aussi que dans

le rapport de la forme infinitive du verbe au substantif verbal crsquoest le substantif

qui renvoie au verbe par exemple ldquolrsquoallerrdquo agrave ldquoallerrdquo et de mecircme alors ldquolrsquoecirctrerdquo

renvoie agrave ldquoecirctrerdquo51 hellip Le nom selon Platon a un double genre ou il fait connaicirctre

les choses et srsquoappelle ldquonomrdquo (onoma) simplement ou il exprime lrsquoaction et

srsquoappelle ldquoverberdquo (regravema)52 hellip Le nom est significatif intemporellement (homme

cheval hellip) alors que le verbe est significatif du temps (courait court courra hellip)53 raquo

Mais lrsquoauteur revient tregraves rapidement agrave ses peacutetitions fondamentales

laquo Esse peut ecirctre employeacute comme verbe ou comme substantif54 hellip Lrsquoesse (et le non-

esse) comme substantif exprime la situation fondamentale du reacuteel qui est celle de

la non-contradiction point de deacutepart de Parmeacutenide Crsquoest lrsquointerpreacutetation de cet

esse substantif qui deacutecide de la nature de la philosophie Aristote lrsquoa deacutetourneacute

50 Cf The Metaphysical thought of Thomas Aquinas 51 Page 158 52 Page 159 53 Page 161 54 Page 173

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 16: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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pour exprimer lrsquoactualiteacute des formes et de lrsquoessence Saint Thomas lrsquoa assumeacute pour

exprimer lrsquoacte pur autosuffisant55 raquo

Esse est redevenu un nom exprimant un eacutetat abstrait et intemporel de chose et ne renvoyant plus

au verbe dont la fonction est de signifier une action dans le temps Lrsquoecirctre ne renvoie plus agrave ecirctre

comme Fabro en avait eu lrsquointuition si juste mais agrave lrsquoinverse crsquoest ecirctre qui renvoie agrave lrsquoecirctre Il deacutesigne

deacutesormais ldquolrsquoacte pur autosuffisantrdquo dans le contexte meacutetaphysique en question crsquoest-agrave-dire un acte

et une forme qui relegravevent de lrsquoonoma et non du regravema Les a priori de la meacutetaphysique neacuteo-

scolastique lrsquoont emporteacute sur sa clairvoyance Pourtant encore Thomas drsquoAquin preacutecise

laquo Le propre du verbe crsquoest drsquoindiquer une action ou une passion Or on peut

signifier une action de trois faccedilons En un premier sens abstraitement et par soi

comme une chose et crsquoest alors un nom comme ldquoactionrdquo ldquopassionrdquo ldquomarcherdquo

ldquocourserdquo etc qui lrsquoexprime En un autre sens au mode actif elle est issue de la

substance et lui est inheacuterente comme agrave un sujet elle est alors dite par un verbe agrave

lrsquoun des autres modes attribueacutes aux preacutedicats Mais parce que cette provenance

ou cette inheacuterence de lrsquoaction peut elle-mecircme ecirctre objet drsquoappreacutehension de

lrsquointelligence et se preacutesenter comme une chose le verbe agrave lrsquoinfinitif qui formule

cette inheacuterence de lrsquoaction au sujet se regarde comme un verbe exprimant ce

qursquoelle a de concret et comme un nom dans la mesure ougrave il la deacutesigne quasiment

comme une chose raquo56

Le propre du verbe est drsquoindiquer une action ou une passion hellip Comme le disait Platon et comme le

confirme saint Thomas apregraves Aristote Et cela vaut bien entendu pour esse peut-ecirctre plus encore que

pour tous les autres verbes puisqursquoil entre en composition avec tous marcher en effet crsquoest ecirctre

marchant et vivre crsquoest ecirctre vivant Toute la recherche meacutetaphysique drsquoAristote consistera agrave

preacuteciser progressivement le sens de cette activiteacute qursquoest lrsquoesse to eiumlnaiuml

Redonner agrave esse sa nature de verbe dissipe les contradictions de la neacuteo-scolastique comme la bruine

srsquoeacutevapore au soleil Actualitas actuum et formarum57 ne se traduit plus de faccedilon falsifieacutee par ldquoacte

des actes et des formesrdquo mais garde bien sa transposition litteacuterale drsquordquoactualiteacute des actes et des

formesldquo ougrave actualiteacute a quasiment le sens drsquoldquoactiviteacuterdquo Esse ecirctre est comme lrsquoactiviteacute de lrsquoacte et de

la forme Tout acte et toute forme exercent un pouvoir actif de faire ecirctre ndash une ldquovirtus essendirdquo58

comme le dira saint Thomas ndash agrave leur mesure crsquoest ainsi que la puissance toise lrsquoacte et le contraint agrave

ses propres limites

55 Page 175 Ce passage est surprenant car saint Thomas eacutecrit preacuteciseacutement qursquoesse est lrsquoactualiteacute des formes (Somme Th Ia q 3 a 4 c) Agrave vouloir trop prouver il arrive que ce soit Fabro qui ldquodeacutetournerdquo saint Thomas comme ici 56 Peryermeneias L I l 5 ndeg 56 57 laquo Hoc quod dico esse est actualitas omnium actuum raquo De Potentia q 7 a 2 ad 9 laquo esse est actualitas omnis formae vel naturae raquo Somme Th Ia qu 3 a 4 c 58 laquo Nam quantum unicuique inest de forma tantum inest ei de virtute essendi raquo - En effet autant quelque chose possegravede de forme autant il a en lui de pouvoir drsquoecirctre - QD De Potentia q 5 a 4 ad 1 laquo In quibus vero forma non complet totam potentiam materiae remanet adhuc in materia potentia ad aliam formam Et ideo non est in eis necessitas essendi sed virtus essendi consequitur in eis victoriam formae super materia raquo - Dans les choses ougrave la forme ne remplit pas toute la puissance de la matiegravere il reste encore dans la matiegravere de la puissance agrave une autre forme Et par conseacutequent il nrsquoy a pas dans ces choses de neacutecessiteacute drsquoecirctre mais une force drsquoecirctre qui fait suite en elles agrave la victoire de la forme sur la matiegravere - Contra Gentes L 2 ch 30 Voir agrave ce sujet lrsquoarticle tregraves eacuteclairant de L Dewan OP A note on Thomas Aquinas and virtus essendi The Thomist ndeg 75 2011 pp 637 - 51 mecircme si agrave propos de lrsquoactus essendi lrsquoauteur ne va pas jusqursquoau bout de la logique qursquoil deacuteveloppe Lrsquoacte drsquoune virtus en effet ne saurait ecirctre qursquoune operatio

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 17: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Par une ironie du sort crsquoest une des reacutefeacuterences centrales des deacutefenseurs du ldquodouble acterdquo qui

deacutemontre comment se reacutesolvent leurs contradictions

CE NrsquoEST PAS LA MEME CHOSE DrsquoETRE COMPOSE DE SUBSTANCE ET DrsquoETRE OU DE MATIERE ET DE

FORME La composition de matiegravere et de forme ne relegraveve pas de la mecircme notion

que celle de substance et drsquoecirctre mecircme si toutes les deux sont compositions de

puissance et drsquoacte hellip Ecirctre est lrsquoacte de ce dont on peut dire qursquoil est Ecirctre ne se dit

pas de la matiegravere mais du tout crsquoest pourquoi on ne peut dire de la matiegravere

qursquoelle est ce qui est mais de la substance En outre la forme nrsquoest pas elle-mecircme

ecirctre mais respecte un certain ordre agrave son eacutegard forme se compare agrave ecirctre comme

lumiegravere agrave luire ou blancheur agrave ecirctre blanc Enfin ecirctre est pour la forme comme un

acte Pour cela dans les composeacutes de matiegravere et de forme la forme est dite

principe drsquoecirctre parce qursquoelle parachegraveve la substance dont lrsquoacte mecircme est drsquoecirctre

comme le diaphane est le principe qui fait luire lrsquoair parce qursquoil en fait un milieu

propice agrave la luminositeacute Dans les composeacutes de matiegravere et de forme par

conseacutequent ni la matiegravere ni la forme ne peuvent ecirctre dites cela mecircme qui est ni

drsquoailleurs lrsquoecirctre en tant que tel On peut toutefois dire que la forme est ce par quoi

quelque chose a drsquoecirctre puisqursquoelle est principe drsquoecirctre mais crsquoest la substance

entiegravere elle-mecircme qui est ce qui est et ecirctre pour la substance est ce par quoi elle

est deacutenommeacutee eacutetant 59

On ne saurait ecirctre plus clair la composition de matiegravere et de forme est diffeacuterente de celle de

substance et drsquoecirctre Si toutes deux sont bien compositions de puissance et drsquoacte ce nrsquoest pas dans

le mecircme sens et la solution paraicirct lorsqursquoon a su cerner les diffeacuterentes notions drsquoacte et de

puissance mises en jeu La matiegravere est on le sait pure puissance passive agrave la forme qui est acte

reacutepondant agrave la deacutefinition drsquoacte ldquoexister de la chose non comme en puissancerdquo Mais la forme est

en rapport agrave ecirctre comme la lumiegravere agrave luire ou la blancheur agrave ecirctre blanc crsquoest-agrave-dire comme un nom agrave

un verbe comme un eacutetat de chose agrave une action

Autrement dit une fois la forme unie agrave la matiegravere la substance devient puissance non plus passive

mais active agrave ecirctre Ecirctre suit avec neacutecessiteacute lrsquounion drsquoune forme et drsquoune matiegravere Faire ecirctre est le

pouvoir de la forme sa puissance active sa virtus comme la lumiegravere est pouvoir drsquoeacuteclairer

possibiliteacute active drsquoilluminer lrsquoair Luire est le reacutesultat neacutecessaire de lrsquounion du diaphane et de la

lumiegravere comme ecirctre celui non moins neacutecessaire de lrsquounion de la matiegravere et de la forme Drsquoune

neacutecessiteacute non pas a priori mais a posteriori Si en effet les conditions sont reacuteunies alors ecirctre suit

neacutecessairement Drsquoun cocircteacute donc nous avons lrsquounion drsquoune puissance passive la matiegravere et drsquoune

forme-acte union eacuteminemment contingente et de lrsquoautre celle drsquoun pouvoir actif et de son activiteacute

union quasi neacutecessaire Double acte peut-ecirctre mais combien diffeacuterent lrsquoun de lrsquoautre Le second srsquoil

ne peut eacutevidemment en aucun cas ecirctre lrsquoacte du premier agrave titre de forme peut au contraire

parfaitement en ecirctre lrsquoactualiteacute ou lrsquoactiviteacute

Reste agrave montrer que la forme ldquonrsquoaurait aucun pouvoir srsquoil ne lui avait eacuteteacute donneacute drsquoEn Hautrdquo60 ce qui

srsquoeacuteclaircira en eacutetudiant la conception aristoteacutelicienne de la causaliteacute eacutequivoque

Mais en eacutecrivant

laquo Saint Thomas appelle lrsquoesse plus souvent lrsquoldquoeffet proprerdquo de Dieu parce qursquoil est

lrsquoacte de toute essence et forme de mecircme que la forme est lrsquoacte de la matiegravere hellip

59 Contra Gentiles lib 2 cap 54 60 Jean 1911

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 18: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Lrsquoacte suprecircme par lequel tout autre acte est en acte substantiel ou accidentel

est lrsquoesse raquo61

Fabro reacutevegravele le contre-sens originel de la neacuteo-scolastique qui a malheureusement eu raison de lui sur

ce point central Pour lui lrsquoesse est lrsquoacte de lrsquoessence ldquode mecircme querdquo la forme est lrsquoacte de la

matiegravere Or saint Thomas vient de dire le contraire ldquo Ce nrsquoest pas la mecircme chose hellip Cela ne relegraveve

pas de la mecircme notion helliprdquo

Pourtant Fabro avoue rester dubitatif Citant les Sentences

laquo dicitur esse quod pertinet ad naturam rei secundum quod dividitur secundum

decem genera et hoc quidem esse est in re et est actus entis resultans ex

principiis rei sicut lucere est actus lucentis raquo62

Il commente de faccedilon tregraves reacuteveacutelatrice que cette conception de lrsquoesse comme acte reacutesultant des

principes de la chose comme luire est lrsquoacte du lumineux renvoie au Commentaire de la

Meacutetaphysique63 et ldquopeut laisser perplexerdquo si on la laisse isoleacutee [dans son contexte aristoteacutelicien64] et

qursquoon ne la reporte pas agrave la notion de participation des sources platoniciennes (Boegravece Denys De

Causis) Pourtant rien nrsquoest plus aristoteacutelicien rien nrsquoest plus thomiste non plus Saint Thomas

reacutepeacutetera plusieurs fois que lrsquoesse provient des principes de la chose ou de lrsquoessence Mais une telle

conception est eacutevidemment incompatible avec lrsquoesse acte de lrsquoessence au sens neacuteo-scolastique drsquoougrave

la perplexiteacute de notre auteur

Crsquoest devant ce genre de signe de contradiction dont Fabro prend conscience qursquoil aurait ducirc

srsquointerroger sur sa conception de lrsquoactus essendi et revenir agrave sa premiegravere affirmation drsquoesse comme

verbe Car alors il devient tout agrave fait coheacuterent qursquoecirctre soit lrsquoactiviteacute produite par la matiegravere et la

forme principes de lrsquoessence Lorsque le flot de spermatozoiumldes se preacutecipite vers lrsquoovule les chances

de chaque gamegravete macircle de parvenir agrave destination sont assez faibles La rencontre de la forme avec la

matiegravere est donc tregraves contingente mecircme si elle preacutesente une bonne probabiliteacute statistique du fait du

nombre Mais une fois la fusion des gamegravetes en cours lrsquoapparition de lrsquoesse est neacutecessaire Un ecirctre

nouveau voit le jour avec un nouvel actus essendi qui lui est propre fruit neacutecessaire des principes de

lrsquoessence ou de la chose que sont la matiegravere et la forme

- Esse vivere intelligere

Arriveacutee agrave ce niveau la ldquomeacutetaphysique de lrsquoacte drsquoecirctrerdquo marque le pas Pour elle lrsquoactus essendi acte

de lrsquoessence et acte des actes serait le sommet de la reacuteflexion meacutetaphysique ougrave saint Thomas

deacutepasserait Aristote qui nrsquoen serait resteacute qursquoagrave la ldquopenseacutee de la penseacuteerdquo Il est maintenant eacutevident

qursquoil nrsquoen est rien sur les deux points 1deg- cette meacutetaphysique nrsquoest pas celle de Thomas drsquoAquin

2deg- elle est fort en retrait de celle drsquoAristote

Et paradoxe drsquoune intelligence sans doute au-dessus du commun des philosophes crsquoest ce qursquoa

parfaitement vu Fabro Sur cette question ses entraves neacuteo-scolastiques ont ceacutedeacute devant sa fideacuteliteacute

agrave saint Thomas Bien plus la notion drsquoesse intensif est toute porteuse drsquoune eacutevolution de la notion

drsquoesse vers un maximum drsquointensiteacute Esse redevient ainsi un verbe dont le sens se concentre

61 Page 370 62 Page 213 note 72 Super Sent lib 3 d 6 q 2 a 2 co laquo On parle de lrsquoesse qui appartient agrave la nature

des choses selon qursquoil se divise en dix genres et cet esse est dans la chose et il est lrsquoacte de lrsquoeacutetant

reacutesultant des principes de la chose comme luire est lrsquoacte du luminescent raquo 63 L IV l 2 n 11 64 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 19: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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laquo Ainsi lrsquointelligence est aussi vivere et esse et vivere est aussi esse hellip Mais lrsquoesse

au sens intensif comprend la vie et la connaissance et toute autre perfection

possible hellip De cette maniegravere esse vivere intelligere sont essentiellement et

identiquement la mecircme chose Dieu hellip Sed in immaterialibus substantiis ipsum esse

eorum est ipsum vivere eorum nec in eis aliud quam intellectivum esse unde a

nullo alio habent quod vivant et intellectiva sint quam a quo habent quod sint65 raquo66

Et encore

laquo La dialectique double deacutecrite plus haut montre comment les perfections

transcendantales ldquoesse vivere et intelligererdquo coiumlncident dans la notion intensive

et par suite dans la reacutealiteacute et comment elles sont Dieu mecircme comme acte pur

alors que dans la notion formelle elles se rangent par degreacutes drsquoextension

diffeacuterente ougrave lrsquoextension la plus grande indique le degreacute le plus bas drsquoougrave le reacuteel

commence son ascension raquo67

Si Fabro attribue cette ldquoascension transcendantalerdquo au Pseudo-Denys il sait aussi surmonter le

carcan moderniste dont il a cru devoir se charger en la fondant sur celui qursquoil regarde pourtant

comme le penseur de lrsquoordre ldquopreacutedicamentalrdquo agrave savoir Aristote il le fait qui plus est en citant le

commentaire preacutesenteacute comme neacuteo-platonicien du De Causis

laquo Vivere viventis est ipsum esse ejus ut dicitur in secundo De Anima et ipsum

intelligere primi intelligentis est vitaelig ejus et esse ipsius ut in duodecimo

Metaphysicorum dicitur68 raquo69

Au fur et agrave mesure du progregraves de sa reacuteflexion tout le cadre que srsquoeacutetait donneacute Fabro au deacutebut a

exploseacute en vol Lrsquoauteur confirme implicitement le jugement de Thomas ldquoDenys suit Aristote

presque partoutrdquo et ceci vaut eacutegalement pour le De Causis Il confirme qursquoesse est un verbe car nul

nrsquoen doute pour vivere ni pour intelligere lrsquoacte pur qursquoest Dieu est donc un pouvoir en exercice ndash

une puissance active ndash drsquoecirctre et cette activiteacute drsquoecirctre consiste agrave vivre et ce vivre consiste agrave intelliger

laquo La reacuteponse70 deacuteveloppe deacutejagrave lrsquoideacutee de lrsquoesse intensif ldquoQuamvis bonitates

participataelig in creaturis sint differentes ratione tamen habent ordinem ad

invicem et una includit alteram et una fundatur super altera sicut in intelligere

includitur vivere et in vivere includitur esse et ideo non reducuntur in diversa

principia sed in unumrdquo raquo71

Et Fabro eacutenonce ce principe final

65 De Subst Sep c XI 66 Page 418 laquo Mais dans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest rien drsquoautre en elles que drsquointelliger Elles ne tiennent donc agrave rien drsquoautre qursquoagrave leur ecirctre le fait de vivre et drsquointelliger raquo 67 Page 446 68 I De Causis l XII S 79 10 69 Page 419 laquo Vivre crsquoest ecirctre pour le vivant comme dit au second livre du De Anima et intelliger est la vie de lrsquointelligent premier et son ecirctre comme dit au douziegraveme livre des Meacutetaphysiques raquo 70 I Sent d 2 q 1 a 1 ad 1 71 Page 437 note 46 laquo Bien que les biens participeacutes dans les creacuteatures soient diffeacuterents en notion ils ont cependant une hieacuterarchie et lrsquoun inclut lrsquoautre et lrsquoun se fonde sur lrsquoautre comme dans intelliger est inclus vivre et dans vivre est inclus ecirctre et par conseacutequent ils se reacuteduisent non en des principes divers mais en un seul raquo

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 20: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Saint thomas veut conclure du texte drsquoAristote72 lrsquoidentiteacute drsquoesse et drsquointelligere

dans la spiritualiteacute absolue de Dieu en tant qursquoil est acte pur raquo73

Il rejoint ainsi quasiment le sommet de la meacutetaphysique aristoteacutelicienne Quasiment mais pas

totalement parce qursquoil ne va pas jusqursquoau bout agrave nouveau bloqueacute par ses a priori Car le Pseudo-

Denys auquel il srsquoattache dans cette reacuteflexion ne parvient pas lui-mecircme au terme Comme lrsquoeacutecrit

Fabro en citant saint Thomas ldquodans les substances immateacuterielles leur ecirctre est leur vivre et ce nrsquoest

rien drsquoautre en elles que drsquointelligerrdquo Autrement dit lrsquoidentiteacute ldquoesse vivere intelligererdquo nrsquoest pas la

marque propre de Dieu mais de toute substance immateacuterielle Aristote en revanche franchit une

eacutetape suppleacutementaire

laquo Cum igitur intellectus in actu et intellectum non sit alterum in his quaeligcumque

materiam non habent manifestum est quod in substantia prima quaelig maxime

remota est a materia maxime idem est intelligere et intellectum Et sic una est

intelligentia intellecti tantum et non est aliud intelligentia intellecti et aliud

intelligentia intelligentiaelig raquo74

Lrsquointensiteacute de lrsquoesse ne se limite pas agrave lrsquointelliger mais va jusqursquoagrave ldquolrsquointelliger drsquointelligerrdquo Et nous

devons reconnaicirctre qursquoagrave cette altitude meacutetaphysique notre intelligence humaine est asphyxieacutee elle

est impuissante agrave comprendre de lrsquointeacuterieur la signification de lrsquoexpression ldquointelliger drsquointelligerrdquo

comme acte subsistant Elle est neacuteanmoins obligeacutee drsquoen accepter la conclusion Le rayonnement de

cette intensiteacute drsquoesse est si puissant que lrsquoesprit humain est aveugleacute comme un hibou agrave la lumiegravere

Tout juste peut-il prononcer les mots

laquo Deus est ipsum intelligere subsistens raquo75

Tout le mystegravere reacuteside dans cette identification Comment lrsquoactiviteacute divine ndash son intelliger et son

vouloir en exercice ndash peut-elle ecirctre non pas lrsquoactiviteacute drsquoune substance mais cette substance mecircme

Ou en sens inverse comment la substance divine son essence peut-elle ecirctre non pas active mais

activiteacute non pas intelligente mais intelliger Comment lrsquoessence de Dieu peut-elle ecirctre non pas

eacutetant mais ecirctre La reacuteponse qursquoAristote ne pouvait bien eacutevidemment entrevoir est agrave la fois cacheacutee

et deacutevoileacutee dans le Mystegravere de la Triniteacute Crsquoest au fond la probleacutematique globale de la Question

disputeacutee De Potentia Dei et lrsquoexplication de son titre

5deg- Le chemin de croix de Fabro

La neacuteo-scolastique conclut logiquement sur la thegravese ldquoDeus dat esserdquo Dieu donne lrsquoesse Crsquoest lrsquoeffet

propre et immeacutediat de Dieu lui seul le peut et il le fait une fois pour toute lors de la Creacuteation selon

la ceacutelegravebre proposition 4 du Livre des Causes

laquo La premiegravere des choses creacuteeacutees est lecirctre et avant lui il ny a pas drsquoautre creacutee raquo76

72 Meacutetaphysique L XII ch 7 1072b22 73 Page 430 74 Commentaire de la Meacutetaphysique L XII l 11 ndeg 2620 laquo Or lrsquointellect en acte et lrsquoobjet conccedilu se confondent chaque fois qursquoils sont deacutemateacuterialiseacutes il est eacutevident qursquoau sein de la substance premiegravere deacutetacheacutee srsquoil en est de la matiegravere acte de conception et objet conccedilu se confondent totalement Il nrsquoexiste donc qursquoune seule intellection de lrsquoobjet intelligeacute et lrsquointellection de cet intelligeacute srsquoidentifie agrave lrsquointellection de lrsquointellection raquo 75 Summa Th Ia q 54 a 1 co laquo Dieu est lrsquointelliger mecircme subsistant raquo Eacutegalement laquo intelligere Dei est eius substantia hellip Intelliger est la substance de Dieu raquo Summa Th Ia q14 a 4 76 Livre des Causes Prop 4

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 21: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Que Dieu soit la cause premiegravere et unique de lrsquoecirctre des choses crsquoest une thegravese constante de Thomas

drsquoAquin et au-delagrave de lui de la foi catholique Nul ne songe agrave le nier Fabro commente ainsi cette

proposition laquo Lrsquoesse devient ainsi la premiegravere formaliteacute creacuteeacutee hellip On peut dire que lrsquoesse a dans

lrsquoordre de lrsquoacte la fonction de ldquopremier fondementrdquo raquo77 En outre Dieu a creacuteeacute lrsquoesse en une certaine

quantiteacute donneacutee comme il a eacuteteacute dit dont chaque parcelle se speacutecifie au greacute de sa reacuteception dans

lrsquoune ou lrsquoautre essence Un penseur proche eacutecrit de faccedilon particuliegraverement explicite

laquo Lrsquoacte drsquoecirctre est ipsum esse subsistens Mais il est contracteacute par la puissance qui

le reccediloit agrave ecirctre lrsquoacte de tel ou tel ecirctre deacutefini agrave ecirctre ldquoune eacutetoile un pommier ou

une libellulerdquo raquo78

Ecirctre pommier ou libellule est en quelque sorte accidentel agrave lrsquoesse ldquoune pure formaliteacuterdquo (mecircme au

sens trivial de lrsquoexpression) comme drsquoailleurs ecirctre corruptible ou non Fabro nrsquoheacutesite pas agrave eacutecrire

laquo Lrsquoesse acte reccedilu par lrsquoessence qursquoil actualise est agrave son tour deacutetermineacute par elle

dans lrsquoordre reacuteel Ainsi lrsquoesse devient mateacuteriel si lrsquoessence est mateacuterielle spirituel

si lrsquoessence lrsquoest de mecircme il devient corruptible ou incorruptible suivant lrsquoessence

qui le reccediloit et ceci revient agrave dire qursquoil est contingent ou neacutecessaire raquo79

Processus qursquoil explique ainsi

laquo Lrsquoesse causeacute par Dieu signifie lrsquoindeacutetermination de pleacutenitude et drsquoactualiteacute hellip

Alors intervient par les causes secondes la ldquodeterminatiordquo qui est la naissance des

actes particuliers par deacutecision libre jaillissant de lrsquoeacutenergie de lrsquoacte fondamental

commun de lrsquoesse Cette deacutetermination est agrave la fois effet et limitation de la

pleacutenitude originaire de lrsquoesse commune et de lrsquoactualiteacute fondamentale de lrsquoesse

commune participeacute raquo80

Lrsquoesse commune joue le rocircle de chaos initial comme lrsquoeacutevoque lrsquoexpression ldquoindeacutetermination de

pleacutenituderdquo drsquoougrave sont extraites toutes les espegraveces drsquoecirctres Si la penseacutee neacuteo-scolastique est moins

grossiegravere que celle drsquoHeacutesiode ou des premiers ioniens sa faccedilon de raisonner leur est cependant

exactement superposable Le devenir substantiel nrsquoest plus une ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo mais la simple

speacutecification drsquoun esse commune deacutejagrave preacutesent une modaliteacute de lrsquoeau primordiale

laquo Lrsquoagent particulier nrsquoatteint donc pas directement et en sens propre dans le

devenir ni la matiegravere premiegravere comme telle ni lrsquoesse en tant qursquoacte premier

profond mais il est la cause des changements substantiels et accidentels Sa

causaliteacute a comme terme direct la forme (substantielle et accidentelle) non lrsquoesse

et comme terme adeacutequat lrsquoessence et non lrsquoecirctre raquo81

Ce chaos informe cette eau primordiale cette laquo quantitas essendi primordiale du monde

physique raquo82 Fabro lrsquoappelle acte premier profond Lrsquoagent particulier ne lrsquoatteint pas mais le

transforme accidentellement ou substantiellement Le devenir qursquoil soit substantiel ou accidentel

reste accidentel par rapport agrave lrsquoesse Le pegravere ne donne plus lrsquoecirctre agrave son fils mais transforme en sa

faveur une parcelle de la motte drsquoecirctre Il est inteacuteressant que Fabro parle drsquoacte premier ldquoprofondrdquo Il

77 Page 373 78 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 37 79 Page 482 80 Page 508 81 Page 359 82 Page 487

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 22: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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sait en effet qursquoldquoacte premierrdquo est la deacutefinition de lrsquoacircme Mais dans la conception neacuteo-scolastique

lrsquoacircme nrsquoest qursquoune forme elle ne peut ecirctre lrsquoacte de lrsquoacte du vivant son acte veacuteritablement premier

Lrsquoacircme est sans doute agrave ses yeux un acte premier hellip ldquode surfacerdquo Remarquons agrave nouveau combien

nous sommes eacuteloigneacutes drsquoAristote et par tant de saint Thomas

- Forma dat esse

Fabro est trop fin connaisseur de Thomas drsquoAquin pour ignorer que ldquoforma dat esserdquo est un thegraveme

reacutecurrent chez lui

laquo Crsquoest donc lrsquointerpreacutetation de la formule ldquoFORMA DAT ESSErdquo qui revient agrave chaque

instant dans lrsquoœuvre de saint Thomas qui doit nous livrer agrave notre avis lrsquoultime

explication du problegraveme de la causaliteacute preacutedicamentale selon saint Thomas raquo83

Aussi les probleacutematiques de son livre se concentrent-elles toutes pourrait-on dire dans la

reacutesolution de ce dilemme ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo Qui au vrai donne lrsquoesse La forme

selon Thomas apregraves Aristote dans une perspective preacutedicamentale Ou Dieu selon Thomas apregraves

Platon dans une perspective transcendantale Tel est le veacuteritable chemin de croix de Fabro

Mais avant de vouloir reacutesoudre la question se pose agrave nouveau la difficulteacute de traduire Pour la neacuteo-

scolastique nous devons eacutecrire ldquola forme donne lrsquoecirctrerdquo afin de respecter le sens drsquoacte des actes

assigneacute au terme ecirctre Au contraire rien dans lrsquoexpression latine nue nrsquoinvite agrave traduire autrement

que par ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Pourtant chacun mesure intuitivement la diffeacuterence Dans le

premier cas nous avons trois participants le donateur autrement dit la forme le beacuteneacuteficiaire (le

sujet ou la matiegravere) et lrsquoobjet donneacute lrsquoecirctre acte des actes Dans le second en revanche nous nrsquoen

avons que deux le donateur et le beacuteneacuteficiaire le premier agissant sur le second pour le faire ecirctre

Dans le premier cas esse est un nom tandis qursquoil srsquoagit drsquoun verbe dans le second Traduire par ldquola

forme donne lrsquoecirctrerdquo est donc un a priori meacutetaphysique ne reposant sur aucune autre justification que

le besoin de coheacuterence du systegraveme Nous sommes bel et bien devant une pure peacutetition de principe

Ce nrsquoest pas le cas en revanche de la traduction ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo qui se contente de suivre

la grammaire latine

Dans la logique de lrsquoacte des actes ce principe ldquoforma dat esserdquo est inconciliable avec le preacuteceacutedent

ldquoDeus dat esserdquo Un seul objet ndash lrsquoecirctre ndash ne peut ecirctre donneacute qursquoune fois par un seul donateur Dieu

Crsquoest pourquoi la plupart des auteurs de ce courant ignorent cet aspect de la philosophie de saint

Thomas Mais Fabro est trop fidegravele agrave son maicirctre pour se reacutesoudre agrave une reacuteponse bifide agrave une

ldquodouble veacuteriteacuterdquo Il faut bien attribuer lrsquoecirctre des choses agrave une seule cause fondatrice mais sans nier

une partie de la penseacutee de Thomas au profit de lrsquoautre Crsquoest preacuteciseacutement ici que son cadre

drsquooppositions fait faillite Il eacutecrit

laquo Forma dat esse signifie donc pour Aristote que toute forme deacutetermine tout reacuteel

dans son espegravece propre (son ecirctre) et qursquoelle fait par conseacutequent exister chaque

ecirctre particulier selon sa nature propre hellip La formule forma dat esse reacutesume donc

dans son noyau originaire la meacutetaphysique drsquoAristote raquo84

On commence agrave entrevoir degraves cette premiegravere phrase toute lrsquoambiguiumlteacute mais aussi toute la gecircne de

Fabro La forme ne donne pas lrsquoesse comme tel (Fabro ne le dit pas encore mais nous le laisse deacutejagrave

entendre) elle confegravere une speacutecification agrave lrsquoesse reccedilu par ailleurs pour en faire un esse particulier selon sa

83 Page 341 84 Page 347

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 23: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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nature propre La forme speacutecifie lrsquoesse commune pour en faire un esse particulier Mais alors le verbe

ldquodonnerrdquo nrsquoest plus de mise Il vaudrait beaucoup mieux dire la forme ldquoinformerdquo (au sens eacutetymologique)

lrsquoesse Lagrave ougrave Fabro fait erreur crsquoest que ce nrsquoest en rien le noyau originaire de la meacutetaphysique drsquoAristote

Pour ce dernier forma dat esse est agrave entendre au sens pleacutenier la forme donne drsquoecirctre

Drsquoailleurs Fabro srsquoempresse drsquoajouter

laquo Pour saint Thomas au contraire hellip la formule forma dat esse a sa valeur dans

lrsquoordre essentiel et lrsquoordre reacuteel mais seulement dans le domaine preacutedicamental

Crsquoeacutetait impossible pour le transcendantal hellip Dans lrsquoordre transcendantal la forme

nrsquoest pas lrsquoesse actus essendi qui procegravede de Dieu par participation raquo85

Cette opposition nrsquoest absolument pas compreacutehensible Il nous dit en somme que drsquoun cocircteacute la

forme donne bien lrsquoesse mais que de lrsquoautre il est impossible que la forme donne lrsquoesse Sous

couvert de lrsquoopposition ldquopreacutedicamental transcendantalrdquo crsquoest en fait lrsquoincompatibiliteacute de la formule

forma dat esse reccedilue en son sens brut avec la thegravese de lrsquoacte des actes qui est insinueacutee Crsquoest

pourquoi il est obligeacute de tordre saint Thomas pour le faire coller au systegraveme neacuteo-scolastique

laquo Le sens du ldquoforma dat esserdquo nrsquoest plus simple mais double dans le thomisme Il y

a un sens implicite et fondamental et un autre explicite et secondaire Avant tout

ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest-agrave-dire elle est lrsquoeacuteleacutement constitutif (seule ou avec

la matiegravere) de toute lrsquoessence reacuteelle Crsquoest le sens purement aristoteacutelicien (mais au

fond platonicien aussi) Ensuite ldquoforma dat esserdquo parce que seule lrsquoessence reacuteelle

qursquoelle deacutetermine comme acte formel est le veacuteritable sujet de lrsquoesse-actus essendi

La forme est pour ainsi dire transfigureacutee meacutetaphysiquement dans le thomisme

elle donne agrave lrsquoessence lrsquoacte formel et par conseacutequent en fait ensuite la puissance

reacuteceptive de lrsquoesse-actus essendi raquo86

Un tel passage est embleacutematique agrave plusieurs titres Tout drsquoabord ce nrsquoest pas saint Thomas qui

ldquotransfigurerdquo Aristote mais bien Fabro qui interpregravete saint Thomas Ce dernier ne dit jamais nulle

part que ldquoforma dat esse formalerdquo crsquoest une pure invention de la neacuteo-scolastique Il eacutecrit agrave maintes

reprises ldquoforma dat esserdquo dans la stricte simpliciteacute de termes et la pleacutenitude de sens il y a lagrave encore

modification indue de la lettre En outre le texte distingue entre une penseacutee implicite et une penseacutee

explicite chez Thomas Le penseur proche que nous avons citeacute tout agrave lrsquoheure nrsquoa pas heacutesiteacute quant agrave

lui agrave parler drsquoune laquo expression particuliegraverement deacutefectueuse teacutemoignant drsquoune certaine

inconseacutequence raquo87 entre ce qursquoeacutecrit litteacuteralement saint Thomas et ce qursquoil faut entendre en veacuteriteacute En

gros saint Thomas ne comprend pas tregraves bien ce qursquoil dit

Le principe selon lequel ce qursquoon fait dire agrave saint Thomas il ne lrsquoa eacutecrit nulle part certes mais crsquoest

bien ce qursquoil voulait implicitement dire ce principe est une constante majeure de toute la neacuteo-

scolastique chez Mercier Gilson Wippel Leacuteonard et consorts Nous avons citeacute Barette en note agrave

propos de lrsquoacte drsquoecirctre donner ici la phrase entiegravere prend tout son sens laquo Bien que la notion drsquoacte

drsquoecirctre soit sousjacente agrave nombre de deacuteveloppements philosophiques et theacuteologiques de lrsquoAquinate

elle nrsquoest consideacutereacutee pour elle-mecircme dans aucun texte du corpus thomasien raquo Autrement dit bien

que saint Thomas nrsquoait jamais deacuteveloppeacute nulle part dans toute son œuvre la notion drsquoacte drsquoecirctre

celle-ci est ldquosousjacenterdquo ndash le terme est expressif ndash agrave toute sa philosophie Lrsquoaveu est drsquoimportance

85 Page 348 86 Page 351 87 Meacutetaphysique de lrsquoecirctre Mgr Leacuteonard eacuted du Cerf 2006 p 42

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 24: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Le cœur mecircme de sa propre meacutetaphysique a totalement eacutechappeacute agrave Thomas hellip ou bien ne lui est

apparu drsquoaucun inteacuterecirct

Fabro ne fait pas autre chose Lrsquoexpression forma dat esse porte selon lui un sens explicite et un

sens implicite Le premier qui est secondaire est celui drsquoAristote crsquoest-agrave-dire ce que signifie cette

formule prise en elle-mecircme ldquola forme donne drsquoecirctrerdquo Mais le second qui est qualifieacute de

fondamental suggegravere tout autre chose la forme ne donne qursquoun ecirctre formel agrave la matiegravere pour que

lrsquoessence ainsi constitueacutee puisse recevoir de lrsquoexteacuterieur lrsquoesse pur et simple Ainsi agrave deacutefaut de savoir

ce qursquoest un esse formale anteacuterieur agrave lrsquoesse nous sommes au moins certains drsquoune chose la forme

ne donne plus lrsquoesse le vrai Voici un cas exemplaire de deacutetournement de la penseacutee de Thomas

drsquoAquin au profit drsquoune meacutetaphysique qui lui est eacutetrangegravere Drsquoailleurs Fabro nrsquoheacutesite pas agrave lrsquoavouer

mais en attribuant agrave saint Thomas ce deacutetournement

laquo Saint Thomas semble srsquoen tenir agrave un deacutecalque des textes aristoteacuteliciens mais degraves

les premiers eacutecrits on remarque la preacutesence drsquoun horizon meacutetaphysique original

ougrave les termes prennent une signification qui les transforme compleacutetement de

lrsquointeacuterieur pour conduire agrave ce ldquomonde renverseacuterdquo qursquoest la perspective de lrsquoecirctre de

la meacutetaphysique raquo88

Une telle accusation est difficilement recevable Thomas aurait signaleacute qursquoil accomplissait un tel

renversement Jamais il nrsquoaurait eacutecrit par insinuation au second degreacute Surtout pas dans la Somme par

exemple qui se veut un manuel pour deacutebutant Rien nrsquoeut eacuteteacute plus anti-peacutedagogique Non nous pensons

que crsquoest plutocirct Fabro qui deacutetourne la penseacutee de Thomas sans en prendre pleinement conscience

Agrave quelque chose malheur est bon Nous avons lagrave une deacutemonstration de lrsquoincompatibiliteacute entre les

expressions ldquoDeus dat esserdquo et ldquoforma dat esserdquo du moins si nous les entendons dans lrsquoesprit de la

meacutetaphysique neacuteo-scolastique crsquoest-agrave-dire si nous entendons esse comme un nom Fabro qui sait

que la seconde formule est familiegravere chez Thomas ne peut lrsquoaccepter que par un deacutetournement de

sens qui frise la manipulation Au moins lui cependant refuse de nier tout un pan de la penseacutee de

son maicirctre au profit de lrsquoautre et srsquoessaye agrave la synthegravese

laquo Nullum igitur ens creatum potest producere aliquod ens absolute nisi in quantum

esse causat in hoc89 hellip Lrsquoagent creacuteeacute peut causer lrsquoesse absolute non pas selon

lrsquouniversaliteacute drsquoecirctre parce que lrsquoeffet ne peut pas deacutepasser la cause mais bien dans

la concreacutetion de lrsquoacte individuel Cette position semble harmoniser les deux thegraveses

apparemment contraires mais en reacutealiteacute compleacutementaires la distinction reacuteelle

entre essence et esse dans les creacuteatures et le principe forma dat esse raquo90

Mais cette synthegravese demeure bancale Lrsquoincompatibiliteacute des deux thegraveses dans une lecture neacuteo-

scolastique stricte est reacuteaffirmeacutee agrave juste titre Et pour les concilier Fabro traduit saint Thomas agrave sa

faccedilon Mais nous devons agrave nouveau rectifier la traduction qursquoil propose Thomas ne dit pas que

lrsquoagent creacuteeacute cause lrsquoesse absolute mais qursquoil cause purement et simplement (absolute) un ecirctre (ens)

Il nrsquoest nullement question non plus de causer un esse ldquoselon lrsquouniversaliteacute de lrsquoecirctrerdquo ndash

interpreacutetation neacutecessaire cependant dans le systegraveme neacuteo-scolastique puisque ldquola concreacutetion de

lrsquoacte individuelrdquo ne saurait se produire sans la preacutesence de lrsquoesse absolute dont elle serait une

speacutecification Non saint Thomas eacutecrit ldquonisi in quantum esse causat in hocrdquo crsquoest-agrave-dire ldquodans la

88 Page 209 89 Somme Th Ia q 45 a 1 90 Page 378

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 25: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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mesure ougrave il (lrsquoagent qui est un ecirctre creacuteeacute) cause lrsquoesse dans cet ecirctre qursquoil produitrdquo ce qui est en total

contre-sens avec lrsquointerpreacutetation de Fabro

- Participation

Mais gracircce au concept de participation Fabro parvient agrave surmonter son dilemme Une fois encore sa

profonde connaissance de saint Thomas (et drsquoAristote) renverse les obstacles qursquoil avait lui-mecircme

accumuleacutes Thomas deacuteveloppe le cœur de cette doctrine dans le Commentaire du De Hebdomadibus

que Fabro commentera longuement91

laquo Participer eacutequivaut agrave prendre part Lorsqursquoune notion reccediloit de faccedilon partielle

une note universellement preacutesente en une autre on la dit participer de cette

autre Homme par exemple est dit participer drsquoanimal car il ne possegravede pas

la notion drsquoanimal en toute son eacutetendue et pour la mecircme raison Socrate participe

drsquohomme De faccedilon comparable le sujet participe de lrsquoaccident et la matiegravere de la

forme car la forme substantielle ou accidentelle qui est une notion geacuteneacuterale se

voit restreinte agrave tel ou tel sujet lrsquoeffet lui aussi est dit participer de sa cause

surtout lorsqursquoil nrsquoatteint pas la puissance de cette cause comme par exemple de

dire que lrsquoair participe de la lumiegravere du soleil parce que la luminositeacute qursquoil reccediloit

nrsquoest pas eacutequivalente agrave celle produite dans le soleil raquo 92

Participer crsquoest donc prendre part cela peut srsquoentendre comme prendre une part (nom) de quelque

chose ou prendre part (verbe) agrave une action Saint Thomas distingue trois types de participation lrsquoun

drsquoordre logique lorsque une espegravece particuliegravere est dite participer drsquoun genre plus universel qursquoelle

ne contient pas entiegraverement mais seulement pour partie lrsquoautre de lrsquoordre de la preacutedication

lorsque nous disons que les eacutethiopiens sont noirs ou que leur chevelure est humaine le troisiegraveme

dans lrsquoordre de la causaliteacute lorsque nous disons que le bouillonnement drsquoun liquide est lrsquoeffet de la

flamme ou que lrsquoair est empli de soleil pour reprendre lrsquoexemple de saint Thomas

Le premier type de participation nrsquoest que logique et non reacuteel du moins si lrsquoon eacutecarte lrsquointerpreacutetation

platonicienne dans la reacutealiteacute crsquoest plutocirct le genre qui est une partie de lrsquoespegravece comme lrsquoanimaliteacute

fait partie de lrsquohumaniteacute Le second et le troisiegraveme sont des participations reacuteelles mais la seconde se

fonde sur la troisiegraveme Que lrsquoeacutethiopien participe du noir provient de la cause de la couleur noire sur

une surface crsquoest-agrave-dire selon Aristote de lrsquoabsorption complegravete des rayons de lumiegravere par cette

surface sans reacuteverbeacuteration Mais lrsquoeacutethiopien est dit participer du noir non pas seulement parce que

la puissance de la cause deacutepasse lrsquoeffet produit mais aussi parce que le noir srsquoeacutetend bien au-delagrave du

seul eacutethiopien Ce dernier nrsquoest pas le noir en soi Crsquoest donc le troisiegraveme mode ndash la participation de

lrsquoeffet agrave une cause dont la puissance le deacutepasse ndash qui est la veacuteritable deacutefinition de ce concept

Mecircme si nous prenions le second mode exclusivement en lui-mecircme en disant que lrsquoeacutethiopien

participe du noir comme participe du noir tout ce qui nrsquoest pas noir par essence ce mode nrsquoaurait de

reacutealiteacute objective autonome que dans une vision platonicienne ougrave lrsquoideacutee seacutepareacutee parfaite de noir

serait la raison de la noirceur imparfaite de tout ce qui est noir par participation agrave cette ideacutee Mais en

veacuteriteacute le parfait nrsquoest participeacute de lrsquoimparfait que dans une relation de cause agrave effet et non dans une

sorte de relation platonicienne de ldquoparticipation ou imitationrdquo de lrsquoimparfait au parfait vide de sens

pour Aristote et saint Thomas

91 Pages 271 - 272 92 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 26: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Fabro agrave la suite de saint Thomas qualifiera lrsquoesse des reacutealiteacutes creacuteeacutees drsquoldquoesse participeacuterdquo Drsquoabord

selon le troisiegraveme mode celui de lrsquoeffet creacuteeacute de reacutealiteacute infeacuterieure agrave sa cause increacuteeacutee qui est lrsquoesse par

soi crsquoest-agrave-dire Dieu ensuite selon le second mode dans la mesure ougrave lrsquoesse imparfait de la reacutealiteacute

creacuteeacutee participe de la perfection de lrsquoesse increacuteeacute enfin agrave la rigueur selon le premier mode ougrave lrsquoesse

particulier creacuteeacute participe drsquoun esse universel increacuteeacute non pas comme une espegravece participe drsquoun genre

ni un individu drsquoune espegravece mais comme un analogueacute second participe du premier analogueacute

Comme Thomas le preacutecise toutefois

laquo En eacutecartant cependant cette troisiegraveme sorte de participation il devient

impossible qursquoecirctre comme tel prenne part agrave quoi que ce soit selon les deux

premiegraveres sortes raquo93

Le Fabro neacuteo-scolastique tient eacutevidemment agrave interpreacuteter la participation en termes de deacutepassement

par Thomas drsquoAquin des thegraveses neacuteo-platoniciennes

laquo La participation preacutedicamentale se disperse dans les participants [premier mode

de participation ndash crsquoest nous qui preacutecisons] tandis que la participation

transcendantale se condense en forme intensive par rapport agrave lrsquoesse [second

mode] hellip La doctrine platonicienne des hypostases (on zoegrave nous) est ainsi

rectifieacutee par lrsquoidentification de lrsquoesse intensif avec Dieu raquo94

Pensant avoir suffisamment manifesteacute les impasses drsquoune telle perspective je ne mrsquoy attarderai pas

malgreacute lrsquoimportance quantitative qursquoelle tient dans le livre

Le Fabro disciple de saint Thomas en revanche preacutecise qursquoil faut maintenir agrave la suite du maicirctre

le principe geacuteneacuteral de la participation qui ldquoselon luirdquo95 est attribuable agrave Aristote notamment

dans ce passage

laquo Mais nous ne connaissons pas le vrai sans connaicirctre la cause et la chose qui

parmi les autres possegravede eacuteminemment une nature est toujours celle dont les

autres choses tiennent en commun [partagent] cette nature par exemple le Feu

est le chaud par excellence parce que dans les autres ecirctres il est la cause de la

chaleur raquo96

Pourtant il ne peut srsquoempecirccher de laisser transpirer sa gecircne en rajoutant ldquoselon luirdquo comme si cette

paterniteacute deacuterangeait ses plans et ne devait ecirctre sans doute guegravere plus qursquoune clause de style Or il

nrsquoen est rien Toute la doctrine thomiste de la participation est enracineacutee dans la notion

aristoteacutelicienne de causaliteacute eacutequivoque

- La causaliteacute eacutequivoque

Cette causaliteacute eacutequivoque il est indeacuteniable que Fabro tourne sans cesse autour sans jamais la

prendre agrave bras le corps Il cite beaucoup Thomas drsquoAquin sur ce sujet et la rattache explicitement agrave

la question de la participation

laquo Forma non potest esse principium essendi nisi aliquo priori principio

praesupponatur97 hellip esse per se consequitur formam creaturae supposito

93 Comm De Hebdo l 2 ndeg 24 94 Page 388 95 Page 234 96 Aristote Meacutetaphysique L II ch 1 993b24 Crsquoest nous qui ajoutons entre crochets 97 De Pot q 5 a 1 ad 18 La forme ne peut ecirctre principe drsquoecirctre qursquoen preacutesupposant un principe anteacuterieur

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 27: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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tamen influxu dei sicut lumen sequitur diaphanum aeris supposito influxu

solis98 hellip Omnis autem forma per quam res habet esse est participatio

quaedam divinae claritatis99 raquo100

Une cause est dite eacutequivoque lorsque son effet est de nature diffeacuterente drsquoelle Ainsi le feu cause le feu de

faccedilon univoque mais il cause le bouillonnement drsquoun liquide de faccedilon eacutequivoque Univociteacute et eacutequivociteacute

en domaine causal ne doivent pas ecirctre confondues avec lrsquounivociteacute et lrsquoeacutequivociteacute de preacutedication mecircme

si des liens peuvent exister Ici nous parlons drsquoattribution logique lagrave drsquoaffectation reacuteelle

Le texte fondateur de cette doctrine est le suivant

laquo La premiegravere cateacutegorie ndash ou combinaison ndash de comportement causal relegraveve de

lrsquoanteacuterioriteacute et de la posteacuterioriteacute La cause anteacuterieure est plus universelle Le

meacutedecin est la cause propre et prochaine de la santeacute mais le ldquopraticienrdquo est cause

anteacuterieure et plus commune hellip Tout ce qui contient une cause dans la

communauteacute de son extension est dit cause anteacuterieure

raquo Universaliteacute ou proximiteacute de la cause de mecircme qursquoanteacuterioriteacute et posteacuterioriteacute

peuvent srsquoentendre selon la communauteacute de preacutedication comme dans lrsquoexemple du

meacutedecin et du praticien ou selon la communauteacute de causaliteacute comme lorsque nous

disons que le soleil est cause universelle de reacutechauffement le feu nrsquoeacutetant que la

cause propre Il y a eacutevidemment correspondance entre les deux Un influx affecte

quelque chose dans la mesure ougrave ils coexistent dans la mecircme notion drsquoobjet Et plus

son impact est eacutetendu plus cette notion est commune Lrsquoinflux est proportionnel agrave

son objet du fait de sa notion et la cause supeacuterieure agit en raison drsquoune forme plus

universelle et moins contracteacutee Crsquoest lagrave le point agrave consideacuterer dans la hieacuterarchie des

ecirctres Autant leur ecirctre est supeacuterieur autant leur forme est deacutesengageacutee et domine la

matiegravere que son pouvoir agregravege Donc la primauteacute dans la causaliteacute rejoint la

primauteacute dans lrsquouniversaliteacute de preacutedication Si le feu est le premier agrave chauffer alors

le Ciel nrsquoest plus seulement le premier agrave chauffer mais le premier agrave alteacuterer raquo101

La meacutedecine est cause de la santeacute certes mais crsquoest lrsquoart qui fait du meacutedecin autre chose qursquoun

gueacuterisseur Crsquoest le respect des regravegles de lrsquoart en geacuteneacuteral (eacutenonceacutees par Aristote en deacutebut de la

Meacutetaphysique ou agrave la fin des Seconds Analytiques) qui fait de la meacutedecine une pratique rationnelle et

universelle et non un simple savoir expeacuterimental obscur Lrsquoart pris dans son universaliteacute est cause

propre de la rationaliteacute et de lrsquoefficaciteacute dans lrsquoindustrie humaine il est aussi cause ldquoeacutequivoquerdquo de la

gueacuterison drsquoun patient comme de lrsquoeacutedification de catheacutedrales ou des victoires militaires

Pour deacutevelopper un peu plus cette notion modernisons lrsquoantique exemple aristoteacutelicien du bacircton

deacuteplaccedilant une pierre102 Imaginons un bricoleur qui veuille serrer deux piegraveces de meacutetal lrsquoune contre

lrsquoautre en vissant un eacutecrou contre un boulon agrave lrsquoaide drsquoune cleacute agrave cliquet Le cheminement est le suivant

98 Somme Th q 104 a 1 ad 1 Ecirctre pour la creacuteature suit par soi la forme si lrsquoon suppose cependant un influx de Dieu comme la lumiegravere suit le diaphane de lrsquoair si lrsquoon suppose lrsquoinflux du soleil 99 De Div Nom ch IV l 5 ndeg 349 Toute forme par laquelle quelque chose a drsquoecirctre est une participation agrave la clarteacute divine 100 Pages 353 - 355 101 Commentaire des Physiques L II l 6 ndeg 188 - 189 Cf eacutegalement Commentaire Meacutetaphysique L V l 3 ndeg 783 - 786 102 laquo A lrsquoimage du levier deacuteplaccedilant une pierre parce qursquoil est actionneacute drsquoune main elle-mecircme sous la mouvance de lrsquohomme qui quant agrave lui ne meut pas du fait de la motion drsquoautre chose raquo Commentaire Physiques L VIII l 9 ndeg 1038

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 28: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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la volonteacute deacutecide le bras effectue un mouvement de va et vient la cleacute effectue une rotation lrsquoeacutecrou

parcourt un mouvement de spirale descendante le long du filetage jusqursquoagrave son impact contre la piegravece

de meacutetal agrave fixer La question est qui est cause du serrage des piegraveces de meacutetal Lrsquoeacutecrou la cleacute le bras

ou la volonteacute humaine Dira-t-on que la volonteacute est cause de changement global le bras de ce

changement particulier qursquoest le mouvement physique la cleacute de ce mouvement physique particulier

qursquoest la rotation lrsquoeacutecrou de de cette rotation particuliegravere qursquoest la spirale descendante et donc

finalement du serrage Crsquoest en un sens ce que disent Aristote et saint Thomas

Mais on ne peut en conclure pour autant que lrsquohomme ait voulu deacuteclencher un changement en

geacuteneacuteral que le destin aurait traduit par un mouvement brachial de va et vient lequel aurait

meacutecaniquement entraicircneacute une rotation de la cleacute provoquant automatiquement la descente de lrsquoeacutecrou

contre la piegravece comme si tous ces mouvements ne srsquoimbriquaient que par pure fataliteacute Mecircme si

cette descente de lrsquoeacutecrou est la cause immeacutediate du serrage crsquoest bien aussi ce qursquoa voulu la volonteacute

degraves le deacutebut son propos nrsquoeacutetait pas simplement de provoquer un changement mais bien de serrer

un eacutecrou Tous les moyens intermeacutediaires ainsi que la volonteacute de deacutepart sont causes conjointes

synchroniseacutees et ordonneacutees de la fixation des piegraveces de meacutetal Crsquoest drsquoailleurs la volonteacute qui voulant

serrer ces piegraveces a voulu bouger le bras crsquoest elle qui a voulu en bougeant le bras faire tourner la

cleacute et crsquoest elle qui finalement a voulu faire descendre lrsquoeacutecrou gracircce agrave des rotations successives le

long drsquoun filetage pour obtenir le but escompteacute

La motion universelle de la volonteacute se speacutecialise intentionnellement au fur et agrave mesure des

intermeacutediaires pour aboutir au reacutesultat attendu Ces intermeacutediaires ont eux-mecircmes une causaliteacute

deacutedieacutee dont la nature varie et lrsquouniversaliteacute diminue par degreacutes pour parvenir agrave lrsquoeffet singulier

contingent Crsquoest pourquoi il nrsquoexiste au fond qursquoun seul et mecircme mouvement de serrage

attribuable agrave travers ses multiples eacutetapes agrave la volonteacute en premier et agrave lrsquoeacutecrou en dernier Crsquoest un

seul et unique changement synchrone qui parcourt la chaicircne de causaliteacutes en se speacutecifiant

progressivement selon la nature des supports qui le transmettent

Remarquons au passage un fait inteacuteressant Si nous examinons attentivement le mouvement

veacuteritable de lrsquoeacutecrou est de descendre le long du filetage Que ce faisant il parvienne agrave serrer les

piegraveces de meacutetal lrsquoune contre lrsquoautre cela lui est finalement tregraves accidentel Au dernier niveau en

effet tel ou tel reacutesultat peut paraicirctre le fruit du hasard alors qursquoen remontant la hieacuterarchie des

causaliteacutes nous deacutecouvrons une organisation rigoureuse Saint Thomas se sert de ce raisonnement

inverseacute pour relier la conception aristoteacutelicienne de la contingence au dogme catholique de la

Providence Si lrsquoon tient absolument agrave mettre la main sur des thegravemes ougrave saint Thomas offre un vrai

progregraves par rapport agrave Aristote en voici un authentique

Aristote conccediloit selon ce scheacutema de la causaliteacute eacutequivoque la motion du Premier Moteur sur lrsquoecirctre et

le mouvement de tous les mobiles qursquoils soient moteurs agrave leur tour ou qursquoils soient effets derniers

Scheacutema que le Fabro disciple de Thomas semble avoir compris en plusieurs occasions mais que le

Fabro soumis agrave la neacuteo-scolastique et agrave la philosophie moderne interpregravete agrave contresens De nombreux

passages montrent en effet qursquoil nrsquoa pas saisi la porteacutee de la causaliteacute universelle chez Aristote Il en

parsegraveme son livre

Page 17 il eacutecrit

laquo Ni le Bien ou lrsquoIdeacutee platonicienne ni lrsquoActe pur aristoteacutelicien ne se mecirclent au

ldquodevenirrdquo et au ldquomultiplerdquo auxquels au contraire se mecircle se rend essentiellement

preacutesent le Dieu qui est creacuteateur et conservateur du monde selon le christianisme raquo

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

copy Grand Portail Thomas drsquoAquin 29 wwwthomas-d-aquincom

Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

copy Grand Portail Thomas drsquoAquin 30 wwwthomas-d-aquincom

Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 29: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

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Crsquoest oublier deux points fondamentaux de lrsquoaristoteacutelisme 1deg- le terme ldquoacterdquo provient en premier

de lrsquoanalyse du mouvement Seacutemantiquement comprendre lrsquoActe pur est indissolublement lieacute agrave la

compreacutehension du devenir Sinon le terme serait eacutequivoque et tregraves certainement Aristote en aurait

forgeacute un autre 2deg- La cause propre de lrsquoeffet en cours de reacutealisation est toujours preacutesente agrave cet

effet103 et la cause supprimeacute lrsquoeffet est soit arrecircteacute soit mecircme aneacuteanti Cette conception est

pleinement applicable au Premier Moteur drsquoAristote cause drsquoecirctre de conservation et de devenir de

tous les ecirctres Fabro est ici soumis agrave lrsquointerpreacutetation moderne et notamment heideggeacuterienne drsquoun

Aristote videacute de sa substance

Page 31

laquo La penseacutee grecque par exemple Aristote nrsquoignore pas la cause mais parce qursquoelle

atteint seulement les formes (accidentelles et substantielles) de lrsquoeacutetant et non pas

lrsquoecirctre lui-mecircme elle se reacuteduit au procegraves physique et non proprement meacutetaphysique

de lrsquoecirctre elle est cause de mutation et non de ldquofondationrdquo de lrsquoecirctre raquo

Nous avons deacutejagrave rencontreacute cette deacutebilitation de la causaliteacute de la forme nous nrsquoy reviendrons pas

Mais crsquoest une preuve suppleacutementaire que Fabro nie le devenir substantiel comme une veacuteritable

ldquovenue agrave lrsquoecirctrerdquo Lorsqursquoun chien engendre un chiot il ldquofonderdquo son ecirctre

Page 185

laquo Si maintenant Aristote pouvait expliquer ainsi la causaliteacute preacutedicamentale il ne

reacuteussit pas agrave fonder lrsquoactualiteacute plus profonde et universelle de la causaliteacute telle

que la vie et surtout lrsquoecirctre raquo

Fabro est toujours aveugleacute par les exigences de la theacuteorie neacuteo-scolastique de lrsquoacte drsquoecirctre ainsi que par

le carcan des divisions qursquoil srsquoest fabriqueacute Saint Thomas le reacutepegravete souvent la causaliteacute chez Aristote ne

porte pas seulement sur le devenir mais aussi sur lrsquoecirctre Drsquoailleurs venir agrave lrsquoecirctre est le terme du

mouvement de geacuteneacuteration Commencer drsquoecirctre appartient agrave lrsquoengendrement comme lrsquoarriveacutee au

parcours laquo Cum enim generatio sit mutatio de non esse in esse secundum illum modum dicitur aliquid

generari quo ex non esse in esse mutatur raquo104 Dieu rdquoLe vivant eacuteternel et parfaitldquo auquel tous les

vivants suspendent leur quecircte est la cause premiegravere drsquointelliger de vivre et drsquoecirctre pour Aristote105

Page 203

laquo Ce que lrsquoon nomme le ldquodualismerdquo est agrave chercher plutocirct chez Aristote que chez

Platon Crsquoest lrsquoIntellect pur drsquoAristote qui est totalement seacutepareacute du monde et qui

est dans lrsquoimpossibiliteacute (parce que cela ne ldquoconvientrdquo pas agrave sa nature) de connaicirctre

des ecirctres singuliers de peur de se disperser et de se contaminer raquo

On se demande vraiment pourquoi Fabro est alleacute rechercher cette vieille erreur plusieurs fois

deacutementie par saint Thomas Tout le monde srsquoaccorde aujourdrsquohui pour dire que la penseacutee drsquoAristote

est agrave lrsquoopposeacute Fabro lui-mecircme citera des passages exactement contraires Cette constante

ambivalence fait partie du ldquomystegravere Fabrordquo En lrsquoeacutetat elle lui interdit de comprendre comment pour

Aristote lrsquointellect pur est cause universelle

103 Aristote Seconds Analytiques L II ch 12 104 Commentaire Physiques L V l 2 ndeg 654 laquo Comme la geacuteneacuteration est en effet une mutation de non-ecirctre agrave ecirctre quelque chose est dit engendreacute en ce sens qursquoil est changeacute de non-ecirctre agrave ecirctre raquo 105 Commentaire Meacutetaphysique L XII l 8 ndeg 2543

Note de lecture et saute drsquohumeur

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laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 30: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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Page 356

laquo Le point principal de divergence et drsquoopposition entre platonisme et

aristoteacutelisme hellip Lrsquoagent preacutedicamental [aristoteacutelicien] qui agit toujours dans

lrsquoordre accidentel et dans lrsquoordre substantiel selon sa propre forme contrairement

agrave lrsquoagent platonicien qui est toujours transcendantal Pour Aristote ldquoHomo

(singularis) generat hominem (singularem) canis canemrdquo etc Pour Platon drsquoapregraves

lrsquoexpression de Proclus ldquoHomo per essentiam (universalis) est causa

participationis humanitatis in hominibus singularibusrdquo106 hellip Dans la logique de

lrsquoaristoteacutelisme la causaliteacute des corps ceacutelestes quelle qursquoen soit la nature est un

soutien non la speacutecification ou la constitution car la cause de chaque individu

nouveau ne peut ecirctre autre chose qursquoun individu de la mecircme espegravece raquo

Ce point est effectivement principal Lrsquoopposition que fait Fabro entre Aristote et Platon est tregraves

bancale Si lrsquoagent univoque aristoteacutelicien (qursquoil appelle preacutedicamental) agit effectivement selon sa

propre forme de singulier agrave singulier lrsquoIdeacutee platonicienne fait exactement de mecircme Elle agit selon

sa propre forme de singulier agrave singulier car mecircme porteuse drsquouniversel chaque Ideacutee est un ecirctre

singulier Au fond lrsquoIdeacutee platonicienne matrice drsquoune multitude de speacutecimens singuliers naturels ne

diffegravere guegravere du pegravere de famille geacuteniteur drsquoune multitude drsquoenfants agrave cette reacuteserve pregraves qursquoon ne

peut plus parler de geacuteneacuteration mais seulement de ldquoparticipation ou imitationrdquo platonicienne Nous

avons vu ce que saint Thomas en pense Il nrsquoy a donc pas veacuteritablement de transcendance (de

transcendantaliteacute dans le vocabulaire de Fabro) LrsquoIdeacutee platonicienne nrsquoest qursquoune projection ideacuteale

de lrsquoessence des ecirctres naturels que lrsquoon baptise en rajoutant ldquoen soirdquo

De plus Fabro est cachottier Apregraves avoir eacutecrit que lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier)

il srsquoempresse de preacuteciser laquo la causaliteacute des corps ceacutelestes est un soutien non une speacutecification raquo

Comme si de rien nrsquoeacutetait Mais Fabro sait pertinemment que lrsquoadage ldquohomo generat homo et solrdquo107

est une constante de la penseacutee drsquoAristote Crsquoest pourquoi il veut le disqualifier dans lrsquoœuf il ne veut

pas voir que nous sommes dans un processus de causaliteacute eacutequivoque

Or dans la chaicircne des mouvements synchrones qui vont de la rotation de lrsquoUnivers agrave lrsquoengendrement

de Pierre par Paul lrsquoUnivers se compare au bras de notre bricoleur Le soleil joue le rocircle de la cleacute agrave

cliquet lrsquoenvironnement eacutecologique terrestre celui du filetage et Paul celui de lrsquoeacutecrou Le soleil est

cause de geacuteneacuteration ldquoen geacuteneacuteralrdquo (comme lrsquoart est cause de pratique rationnelle ldquoen geacuteneacuteralrdquo) placeacute

entre lrsquoUnivers cause universelle de changement physique et lrsquoagent humain cause propre de la

geacuteneacuteration drsquoun homme Saint Thomas eacutecrit

laquo Lrsquoefficaciteacute drsquoune cause est drsquoautant plus eacutetendue que celle-ci est plus eacuteleveacutee

Une cause eacuteminente produit un effet supeacuterieur plus commun et que lrsquoon retrouve

en davantage drsquoinfeacuterieurs hellip La mise en ordre effectueacutee par la cause au sein des

effets srsquoapplique agrave tous ceux qui sont toucheacutes par son influence Toute cause

produit des effets preacutecis selon un ordre eacutetabli Relieacutes agrave une cause infeacuterieure

certains faits semblent nrsquoavoir aucune coheacuterence effectivement mais srsquoenchaicircner

par pure coiumlncidence Si toutefois on les rattache agrave une cause supeacuterieure

commune ils deviennent ordonneacutes et reacuteunis sans aucune contingence car ils sont

produits par une cause par soi

106 laquo Lrsquohomme (singulier) engendre lrsquohomme (singulier) et le chien le chien raquo laquo Lrsquohomme par essence (universel) est cause de la participation de lrsquohumaniteacute dans les hommes singuliers raquo 107 ldquoLrsquohomme et le soleil engendrent lrsquohommerdquo Aristote Physiques L II ch 2 194b13

PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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(hellip)

On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

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PARTICIPATION ET CAUSALITE SELON SAINT THOMAS DrsquoAQUIN

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On observe trois degreacutes de causaliteacute Le premier est eacuteternel et immuable

autrement dit divin sous lui on remarque une causaliteacute incorruptible mais

mobile les corps ceacutelestes encore en dessous se trouvent les causes peacuterissables et

changeantes Ces derniegraveres sont particuliegraveres et produisent en propre des effets

speacutecifiques preacutecis Le feu engendre le feu lrsquohomme lrsquohomme et la fleur la fleur

Le second degreacute de causaliteacute est pour partie universel et pour partie particulier

Particulier agrave dire vrai parce qursquoil srsquoeacutetend au genre circonscrit des reacutealiteacutes qui

viennent agrave lrsquoecirctre au terme drsquoun mouvement Il srsquoagit en effet drsquoune causaliteacute

motrice et mue Universel cependant car sa causaliteacute deacutepasse une seule espegravece de

mobiles pour srsquoeacutetendre agrave tout ce qui srsquoaltegravere naicirct et meurt Lrsquoecirctre qui reccediloit la

premiegravere motion doit ecirctre la cause de tous les mobiles qui lui font suite

Mais la causaliteacute du premier degreacute est purement et simplement universelle Son

effet propre est drsquoecirctre Tout ecirctre quel qursquoil soit et de quelque faccedilon qursquoil soit

deacutepend directement de cette cause et est ordonneacute par elle raquo108

Nrsquoen deacuteplaise agrave Fabro les causes du second degreacute opegraverent deacutejagrave des speacutecifications intermeacutediaires de

lrsquoesse conformes agrave leur nature entre la cause premiegravere drsquoecirctre et lrsquoagent dernier Paul Et pour assurer

qursquoil ne srsquoagit pas seulement drsquoune abstraction de lrsquoesprit Aristote reconnaicirct dans la semence

humaine un gaz de constitution ldquoastralerdquo109 Ce gaz est sans doute dans son esprit lrsquoeffet conforme

au soleil dans la geacuteneacuteration humaine (crsquoest nous qui extrapolons) Il eacutecrit aussi que ldquola forme est

divinerdquo110 autrement dit qursquoelle est lrsquoeffet conforme agrave la cause la plus universelle le divin La venue agrave

lrsquoecirctre est le reacutesultat de cet ensemble coordonneacute de causaliteacutes depuis la plus universelle jusqursquoagrave la

plus particuliegravere qui toutes concourent conformeacutement agrave ce qursquoelles sont agrave un mecircme effet final

6deg- Conclusion

Telle est briegravevement illustreacutee la causaliteacute eacutequivoque aristoteacutelicienne qui est la seule agrave pouvoir

donner corps agrave la participation comme lrsquoenvisage Thomas drsquoAquin notamment en commentant

Boegravece Les neacuteo-platoniciens nrsquoont agrave offrir en eacutechange que la theacuteorie de lrsquoeacutemanatisme neacutecessaire

parfaitement incompatible avec la foi chreacutetienne comme avec la raison drsquoailleurs

Lrsquoacte pur ldquoipsum intelligere subsistensrdquo est par essence cette ldquovirtus essendirdquo cette ldquopotentia deirdquo qui

le fait ecirctre drsquoune intensiteacute absolue Dieu eucirct pu srsquoil lrsquoavait voulu donner agrave tout un chacun lrsquoecirctre qui lui

revient sans aucun intermeacutediaire Il a preacutefeacutereacute au contraire deacutemultiplier son pouvoir drsquoecirctre par le jeu

des causes naturelles intermeacutediaires jusqursquoagrave la cause propre derniegravere la forme qui donne agrave la chose

drsquoecirctre drsquoun ecirctre conforme agrave celui de lrsquoagent qui lrsquointroduit Cette ldquovirtus essendirdquo deacutegradeacutee et speacutecifieacutee

de la forme est la participation derniegravere au pouvoir absolu drsquoecirctre de lrsquoesse intensif Ecirctre est donc tout

108 Commentaire Meacutetaphysique L VI l 3 ndeg 1205 agrave 1209 109 Aristote De Generatione animalium L II ch 3 736b38 Il y a toujours dans le sperme ce qui rend

les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle la chaleur Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni

une substance de ce genre mais le gaz emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature

inheacuterente agrave ce gaz et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral raquo 110 laquo La privation est un mal Aristote lrsquoexplique en deacutecrivant la forme comme une reacutealiteacute deacutesirable parfaite et divine raquo Commentaire des Physiques L I l 15 ndeg 135

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016

Page 32: de Cornelio Fabro - Thomas d'Aquin · 2016-08-05 · La uête de la “Métaphysiue de l’acte d’êt e” passe inévitablement par Cornelio Fabro. La “Bibliothèque de la Revue

Note de lecture et saute drsquohumeur

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autant lrsquoeffet immeacutediat et propre de la cause premiegravere qui nrsquoa pas voulu changer ldquoen geacuteneacuteralrdquo mais

donner preacuteciseacutement le jour agrave lrsquoeffet dernier Crsquoest ainsi que ldquoDeus dat esse forma dat esserdquo

En vidant lrsquoeau neacuteo-scolastique et moderne du bain thomiste il nous faut ecirctre tregraves prudent de ne

rien jeter des preacutecieux deacuteveloppements de Fabro hellip lorsqursquoil privileacutegie sa familiariteacute avec saint

Thomas (et mecircme avec Aristote) et deacutelaisse les mauvaises influences de sa geacuteneacuteration Crsquoest alors

qursquoil est le plus intensif

Guy Delaporte

30 juillet 2016