De CORTONE, Élie - Deux Sonnets Alchimiques

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    386 Alfredo Perifano

    mineur dont frère Elie avait été le supérieur, qui compila l acte des fautes

    qu on lui imputa. Frère Salimbene formula douze chefs d accusation contre

    frère Elie, parmi lesquels

    le

    onzième

    lui

    reproche

    de

    s être occupé d alchimie :

    « Undecimus

    defectus Fratris Jlelyefuit, quia infamatusfuit, quod intromit

    ·teret se de

    alchimia

    »3

    Il est fort probable

    que

    frère Elie faisait partie de ce courant franciscain

    qui utilisait l alchimie pour la préparation de remèdes, pratiquant la distil

    lation des herbes et d autres substances. Il faut se rappeler qu une des tâches

    fondamentales des frères mineurs était l assistance aux malades, et si l on peut

    exclure

    la

    présence d alambics et d autres objets utilisés en alchimie médicale

    dans le

    contexte de pauvreté

    de

    la

    vie de

    saint François, la situation changea

    après sa mort, surtout

    du

    fait de la lèpre, qui, introduite en Europe par ceux

    qui revenaient des croisades, frappa durement

    les

    populations. a diffusion des

    lazarets fut la riposte médicale

    à

    la maladie en ·même temps qu une mesure de

    prévention, et une des épreuves du noviciat chez les frères mineurs fut

    l assistance

    aux

    lépreux

    dans

    ces lieux

    de

    souffrance.

    Les clarisses

    de

    saint Damien étaient déjà connues pour leurs préparations

    de médicaments à l intention des lépreux, et les frères mineurs ont assurément

    suivre leur exemple, à

    en

    juger par leur intense activité

    dans les

    lazarets.

    Ce développement de leur intérêt pour la médecine a dû se conjuguer, proba-

    blement à deux facteurs non négligeables : d une

    part,

    l arrivée dans l ordre

    de

    laïcs et de moines venant d autres ordres (notamment

    de

    celui

    des

    bénédictins),

    qui contribuèrent fortement à l organisation de la vie monastique ; d autre

    part,

    les

    donations de terrains et d immeubles qui, conformément

    à

    la règle de

    saint Benoît, ~ l i i e n t permettre,

    à

    l intérieur des monastères, la pratique des

    diverses

    artes, en particulier de la pharmacologie. Dans ce contexte, Elie a pu

    certainement mettre

    à

    profit

    des

    connaissances

    acquises

    pendant

    son

    séjour

    en

    Syrie. Là, l alchimie avait trouvé

    un

    terrain de développement favorable de-

    puis plusieurs siècles, et la pratique distillatoire était chose courante, surtout

    3. Chronica Fratris Salimbene de Adam Parmensis ordinis minorum, Bari,

    1942, Liber de Prelato, 1, p. 233. Sur cette question de frère Elie alchimiste, cf.

    H. M. Briggs,

    «

    De duobus fratribus minoribus Medii Aevi alchimistis : Fr.

    Paulo de Tarento et Fr. Elia» Archivum Franciscanum Historicum,

    XX

    (1927),

    pp. 305-313 ; Mario Mazzoni, Sonetti alchemici-ermetici di Frate Elia e Cecco

    d Ascoli, S. Gimignano, 1930 ; Gino Testi, «Frate Elia

    u

    alchimista ? »,

    La

    Chimica, X (1934), pp. 86-89 ; G. Del Guerra, lmpronte Pisane nella storia

    della Medecina e delle Scieme, Pise, 1931, pp. 119-127 et De Maximo secreto

    Medicinae.

    Un

    codice medico-alchimico del sec. XV con scritti del XIII, Pise,

    1953, pp. 3-28 et 49-71 (tiré

    à

    part du Bolletino storico pisano, XX-XXI

    (1951-1952) ; Bruno Boni, «Frate Elia e l alchimia »

    Chimica,

    X (1956).

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    Deux sonnets alchimiques attribués Elie

    e

    Cortone

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    dans la préparation des parfums vendus devant les mosquées. Frère Elie put

    avoir ensuite l occasion, lors de son séjour à la cour

    de

    Frédéric Il, de se

    perfectionner dans la pratique distillaloire, bien connue à l école de Salerne, où

    l on exerçait la médecine depuis le 1xe siècle: les alchimistes et astrologues y

    pratiquaient couramment leurs arts dans un milieu intellectuel

    et

    savant, dont

    Michel Scot fut une figure de première importance, défini par Dante comme

    celui qui «delle

    magiche frodi seppe

    l

    gioco (Enfer,

    XX, 117).

    La construction de la basilique de Saint François fut certainement l une

    des principales causes de l animosité des frères mineurs envers frère Elie et des

    accusations subséquentes de pratiques alchimiques portées contre lui ; cela

    pour deux raisons. D abord, la rapidité avec laquelle la basilique fut achevée

    nécessita un gros effort financier de la part des différentes provinces de l ordre,

    et l exigence perpétuelle de fonds dont frère Elie faisait preuve donna l oc-

    casion à ses ennemis personnels, mais aussi aux ennemis de l ordre, de

    l accuser de pratiques alchimiques : l accusation ne devait pas apparaître tout à

    fait sans fondement, car l achèvement de l imposante basilique en quatre an-

    nées, comme nous le dit

    G.

    Vasari dans

    La vita di Arnolfo di Lapo,

    nécessita

    une grande quantité d or, qui pouvait sembler n avoir pu être obtenue qu à tra-

    vers des opérations alchimiques; le problème des faussaires se posait déjà

    et

    devait aller en s aggravant, ce qui aurait poussé le pape Jean XXII à prononcer

    l extravagante Spondent quas non exhibent

    4

    • L autre raison était que frère Elie

    côtoya pendant la construction de la basilique toutes sortes d artisans spéciali-

    sés dans plusieurs

    artes

    et surtout le fait qu il voulut ériger un clocher

    d imposantes dimensions : or l art de fondre les cloches, et surtout de leur

    donner une certaine sonorité, entrait dans le cadre de secrets métallurgiques

    mal distingués des secrets alchimiques.

    La réputation d alchimiste de frère Elie s installa de façon stable au cours

    des x1ve et xve siècles, où

    l

    est cité comme tel par J. Lacinius dans sa

    Preciosa margarita novellas. Au xve encore, dans le Liber laureatus, dont G.

    Carbonelli nous offre quelques passages, frère Elie est rangé parmi les doc-

    teurs avec Albert le Grand, Vincent de Beauvais, saint Thomas et Roger

    l Anglais6. Au

    XVIe

    siècle, V. Biringuccio le mentionne dans sa Pirotechnia

    (Venise, 1550) parmi les alchimistes de renom (p. 5),

    et

    G. B. Nazari, dans

    l édition de 1572 (p. 139)

    de

    son Della tramutatione metallica sogni tre,

    4. Cf.

    Extravagantes communes, V

    VI « De crimine falsi

    ».

    5. Cf. éd. Venise, 1557, f. [6r]. C est par erreur que Bruno Boni, art. cit.,

    note 36, renvoie à la P.retiosa Margarita de Petrus Bonus, où Elie n est pas cité.

    6. Cf. G. Carbonelli, Sulle fonti sloriche della chimica e dell alchimia in

    ltalia,

    Rome 1925, p. 5.

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    attribue lui-même à Elie trois ouvrages d'alchimie : un Ad componendum

    lapidem,

    un

    De lapide philosophorum

    et un Vade

    mecum.

    Cette réputation

    paraît bien montrer que, de quelque façon, Elie a

    pu

    s'occuper d'alchimie

    7

    L'authenticité des traités qui lui sont attribués

    8

    n'a pas encore pu être

    vérifiée. La plupart d'entre eux sont très certainement apocryphes, car ils

    contiennent des anachronismes facilement repérables, même s'il faut tenir

    compte du fait qu'il était fréquent pendant le travail de copie, surtout chez les

    alchimistes, d'interpoler les textes à la guise du copiste. Et cette attribution

    d'ouvrages à frère Elie répondit peut-être à la nécessité de cacher leurs véri

    tables auteurs après· les décisions, prises au chapitre de Narbonne de 1272,

    d'interdire aux franciscains de posséder des livres de magie ou d'alchimie .

    Réduits comme nous le sommes à l'incertitude, nous considèrerons donc

    que les sonnets alchimiques attribués à frère Elie présentés ici constituent

    d'abord un témoignage de la renommée dont ce dernier jouissait à la fin du

    xve siècle. Ils sont tirés d'un incunable publié à Venise en 1475

    et

    contenant

    une série d'ouvrages d'alchimie : Summa perfectionis magisterii Liber trium

    verborum Epistola Alexandri M. Geberi liber investigationis magisterii,

    Carmina

    lalina et Fr. de Asculo.fratris

    E/iae

    et

    anonymi carmina

    ita/ica.

    Signalons que dans la première partie de l'ouvrage, se trouve une autre

    version du poème Solvete

    li corpi

    ... , attribuée celle fois à Cecco d'Ascoli.

    Les variantes par rapport

    à

    la version attribuée

    à

    frère Elie sont minimes, et

    portent surtout sur la partie finale: il manque en fait deux lignes conclusives

    à l version du pscudo-Cecco d'Ascoli9.

    Les deux sonnets ne sont pas d'une grande pureté stylistique, surtout le

    Solvete ....Ils ne respectent pas toujours la versification en décasyllabes, et la

    structure de chaque sonnet dans son ensemble n'est pas correcte - signe,

    peut-être, d'un remaniement à partir de vers non encore organisés en sonnets.

    7 Toutefois le cas, entre autres, du pseudo-Flamel incite à la prudence (cf.

    R. Halleux,

    «

    Le mythe de Nicolas Flamel ou les mécanismes de la

    pseudépigraphie alchimique » Archives internationales d histoires des sciences,

    XXXIII

    (1983), pp. 243-255).

    8. Voir la liste (incomplète) donnée par L. Di Fonzo, art. cit., p. 175.

    9 Compte tenu des maigres éléments dont nous disposons en l'état actuel

    des recherches, contentons-nous d'observer

    à

    titre d'exemple que Giuseppe

    Castelli attribue nos sonnets à Cecco d'Ascoli (cf.

    La vita e

    le

    opere di Cecco

    d Ascoli, Bologne, 1892) ; V Rossi, dans un compte-rendu du livre de Castelli

    (Giornale storico della Letteratura ltaliana, XXI (1893), pp. 386-399), est plus

    enclin à croire que frère Elie en est l'auteur. Enfm, un manuscrit français recensé

    par J Corbett, le Montpellier 493 (cf. Catalogue des manuscrits alchimiques

    latins,

    Paris, 1939, II, p. 131), attribue le second sonnet

    (Solvete ... )

    à Dante.

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    Solvete

    l

    corpi in acqua d tucti

    dico

    Voi che cercate fare sole e Luna

    delle doi acque

    prenderete

    una

    quai

    piu

    ve

    pi cef te

    que che

    hio

    dico.

    Date/a

    bere

    quel

    vostro

    inimico

    sensa

    mangiare hio

    dico

    cosa

    alcuna

    morio Io travarai el vero ve

    dico

    dentro de

    corpo del lione antiqoo.

    Possa li date l

    sua sepultura

    si e in ta/ modo che tucto

    se

    desfaccia

    la

    carne

    e

    le

    ossa

    e

    tucta sua iontura.

    Et facto questo fate

    che

    se fac ci

    de

    l acqua

    terra che

    sia

    necta epura

    e della terra e de lacqua se vol terra/are

    Cosi

    la

    pret

    vole multiplicare

    Si tu

    me

    scolti e pr tichi el sonecto

    serrai signor de quel che

    si

    sogiecto.

    El vostro Frate lleli

    Dissolvez les corps dans l eau, à tous je dis,

    Vous

    qui cherchez

    à

    faire soleil et lune

    Des deux eaux prenez l une,

    Celle que vous préférez, faites cc

    que

    je

    dis.

    Donnez-la à boire à ce vôtre ennemi,

    Sans manger dis-je, aucune chose,

    Mort

    tu

    le trouveras, je vous dis le

    vrai

    ,

    A l intérieur du corps du lion antique.

    Puis donnez-lui sa

    sépulture,

    Ainsi

    et de telle sorte que tout [entier] l se défasse,

    a

    chair et les os et toute sa jointure.

    Et cela fait faites que se fasse

    e

    l eau terre

    qui

    soit nette et pure,

    Et

    de la

    terre et de l eau se veut faire la

    terre.

    Ainsi la pierre veut multiplier.

    Si tu m écoutes et pratiques le sonnet,

    Tu seras seigneur de ce qui est sujet.

    Votre

    frère

    Elie

    Alfredo Perifano