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De l'intérêt pour les proportions

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De l’intérêt pour les proportionsParcours historique & Étude de cas

Sébastien Guidi

Christian GilotJanvier 2014

EPFL

«On a cherché des combinaisons en quelque sorte cabalistiques, je ne sais quelles propriétés mystérieuses des nombres, ou encore des rapports comme la musique en trouve. [...] Pures chimères. D’autres se contentaient de proclamer un legs de l’antiquité, et en cela ils étaient plus vrais, mais ils le recevaient comme une révélation indiscutable : comme si l’artiste devait d’abord s’interdire la liberté de l’homme ! [...] Laissons là ces chimères ou ces superstitions. Il m’est impossible, vous le concevez bien, de vous donner des règles à cet égard.

Lesproportions,c’estl’infini.»

Julien Guadet

sommaire

Avant - propos _ p. 7

Introduction _ p. 13

- Proportion _ p. 19

a _ l’ordre et la société _ p. 25

b _ origine des systèmes proportionnels occidentaux _ p. 33

c _ systèmes géométriques et proportions au Moyen-Âge _ p. 39

d _ proportions harmoniques à travers la Renaissance _ p. 45

e _ pragmatisme et visions modernes _ p. 53

f _ théories contemporaines _ p. 59

- Étude _ p. 67

a _ critères _ p. 73

b_ cas d’étude Le Corbusier - L’Hôpital de Venise _ p. 79 Josep Ll. Sert - Peabody Terrace _ p. 89 Peter Eisenman - Wexman Center _ p. 97 Rem Koolhaas - Congrexpo _ p. 105

- Épilogue _ p. 113

Sources _ p. 117

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avant - propos

Dans sa définition de laBigness, Rem Koolhaas théorise que lorsque un bâtiment atteint une certaine taille, la masse critique du bâtiment devient «incontrôlable par un seul geste architectural».1 Selon lui cette impossibilité déclencherait l’autonomie de ses parties, rendant ainsi les problèmes de composition, d’échelle, de proportion, de modularité, hypothétiques.

À travers différentes analyses de cas, je souhaiteraisquestionner cette hypothèse.

Je voudrais utiliser ici le terme de Bigness pour définirunecertaineéchelledebâtiments,parfoiségalementappelés «machines» par les modernistes en référenceaux paquebots2. Dans ce terme on peut regrouper les hôpitaux, les prisons, les centres-commerciaux, les grands programmes de logements et toute une série de bâtiments au programme hétérogène, destinés à accueillir un grand nombre de personne. Cette classe de bâtiment semble se soustraire à une pensée architecturale d’ensemble par laquelle on pourrait la contrôler.

Certains architectes ont pour autant tenté d’imposer des systèmes, voire des «proportions» à leurs créations. Je pense en premier lieu à Le Corbusier et son travail avec leModulor. A partir des années 50, les projets deLe Corbusier sont pensés à l’aide de cet outil qui donne une série de mesure, dans l’idée de rationnaliser la construction3. Les unités d’habitation, les plans de la ville radieuse, le concours pour les Nations Unis, l’hôpital de Venise, sont des bâtiments de grandes tailles, certes sans avoir la complexité de la Bigness, auquel Le Corbusier a appliqué ce système de dimensionnement. Serait-il alors le seul à s’être posé la question d’un système de «proportions» pour rendre cohérent l’homme à toutes

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leséchellesd’unbâtiment,dansdesprogrammestoujoursplusgrands,quiparfoissemblen’êtreplusàsamesure?

Si la question des proportions m’intéresse, les différentes lecturesque j’ai faites,m’ontamenéàpenserqu’il fallait la remettre en perspective avec la notiond’échelle. En effet, les deux notions semblent liées, etles textes contemporains qui traitent de la question, notamment les thèses de l’architecturologie, rendent les deux notions indissociables. Mais il faut probablementenpremierlieudéfinircequ’impliquentcestermes.RenéDaumaldéfinitcesnotionsainsidans«Le Mont Analogue» :

«La«proportion»concernelesrapportsentrelesdimensionsdumonument,l’«échelle»lesrapportsentrecesdimensionsetcellesducorpshumain.»4

Philippe Boudon dans son travail sur l’architecturologie va plus loin. Il propose une tentative de définitiondel’espacearchitecturaletexpliquequel’échelleest le principal outil mental pour concevoir un bâtiment et qu’on ne peut réduire sa lecture aux simples proportions. C’est par l’échelle que l’architecte est censé passer de l’espace réel à l’espace mental. La proportion est alors tenue à un rôle mathématique. À l’intérieur d’un espace, c’est elle qui règle les rapports de dimensions.

«Géométrie et proportion ont partie liée. C’est pourquoi la limitation du discours concernant la mesure à la seule proportion telle qu’on peut l’examiner dans la majorité des traités d’architecture - depuis Vitruve jusqu’à Viollet-le-Duc, [...] - procède de la puissance supposée du modèle mathématique, qu’on retrouve dans le Modulor de Le Corbusier, et forme un véritable obstacle épistémologique, suivant le terme de Bachelard, à une connaissance de l’architecture.»5

Boudon fait le postulat d’une multiplicité deséchelles, la proportion servirait à mettre en cohérence cesdifférentsniveauxde lecture.PourP.Boudon, il fautabsolument prendre en compte le problème de l’échelle, pour une lecture des proportions, tel que l’a simplement

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résumé Paul Valéry dans «Eupalinos», à savoir que «tout change avec la grosseur».6

Les architectes de la Renaissance n’ont par exemple pas pris en compte cette problématique et appliqué des rapports mathématiques simples (1/2, 1/3, 2/3, etc.), sans distinction d’échelle, de la villa jusqu’autemple,dansunerecherchedeperfection.Lesarchitectescontemporains ont dépassé cette problématique pour une vision plus personnelle des proportions. Dans la droite ligne desrecherchesduModulor,laquestionaujourd’huiseposedu rapport de l’homme avec l’architecture, ce que l’on trouve trop grand, trop large, trop étroit. Les proportions semblentêtredevenuesplussubjectives.

Comment l’architecture contemporaine tente de gérer les proportions, en rapport à l’échelle, dans des bâtiments qui échappent de plus en plus à une appréhension de leur grandeur ?Est ce que la problèmatique des proportionsest encore une question en soit ou bien la réflexion seserait-elle déplacée vers de nouvelles manières d’aborder lacomposition?

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notes1. KOOLHAAS Rem, «Bigness or the Problem of Large»Domus, Milan, n°764, octobre 1994, repris dans O.M.A., KOOLHAAS Rem & MAU Bruce, S, M, L, XL, Rotterdam-New York, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, pp.495-516. 2. JEANNERET Charles-Edouard, dit Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Crès et Cie, 1923

3. JEANNERET Charles-Edouard, dit Le Corbusier, Le Modulor, Paris, L’Architectured’Aujourd’hui,1950

4. DAUMAL René, Le mont analogue, Paris, Gallimard, 1952

5. BOUDON Philippe, Sur l’espace architectural, Paris, Éditions Parenthèses, 1971

6. VALERY Paul, Eupalinos, Paris, Éditions Gallimard, 1996

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Le Corbusier, Le jour de l’inauguration de l’Unité d’habitation de Marseille, 1952, Photo Lucien Hervé, tirage argentique

Introduction

Pour être passé quotidiennement devant le Modulor durant une grande partie de mes études d’architecture, la question des proportions m’a toujoursintrigué. Cet engouement quasi mystique de certains architectes pour les nombres m’a souvent interloqué.Une pièce de 4,79 m par 9,57 m pour une hauteur sous plafondde 2,26m est-elle indéniablement plus agréableàvivrequ’uneautre?Desdimensionsenrapportde1/3sont-ellesobjectivementplusharmonieusesque celles aurapportde1/6?

Avant même de se pencher sur le sens des nombres, il est important de revenir sur le fait que lamesure est lapremière opération de l’architecte. C’est en effet, par lamesure que l’architecte passe de l’espace mental à l’espace construit. Les nombres sont donc essentiels à la réalisation architecturale, pour passer d’une idée à un bâtiment.Il semblerait alors qu’au cours de l’histoire, diverses théories motivées par une compréhension du monde en pleineévolution,aientmodifiélavisionquel’onavaitdesnombres et ainsi de l’ordre et de la proportion.Les architectes ont alors accordé diverses importances à la proportion, à l’ordre et réglé la production architecturale des édificesde l’époqueen fonction ;nombreux sont lesrécitsdediscordeausujetdelavaliditédeteloutelrapportde proportion et on ne compte plus au cours des siècles, les traitéssevantantdedonnerlesjustesproportionsauseulsujetdelacompositionarchitecturale.

Mais alors dans notre vision du monde occidental contemporain,oùlareligionaperdudesoninfluencesurla société et la production artistique, et où la science se faitfortdenousexpliqueretdedompterlanature,peut-on encore concevoir que certains rapports prévalent sur d’autres dans leur capacité à régler le désordre et à susciter ennousunsentimentdebeauté,dejustesse?

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«La beauté n’est pas une qualité des choses elles-mêmes : elle n’existe que dans l’esprit qui les contemple et chaque esprit perçoit unebeautédifférente.»1

Cepostulat,formuléparDavidHumedès1757,estpourtantencorereconnuaujourd’huidèslorsquel’onabordedesnotionsesthétiquesdoncsubjectivescommel’artoul’architecture.Lesjugementsdevaleurs,trèscourantàlaRenaissance,nesontplusautantd’actualitéaujourd’huietontétéremplacéspardesnotionsplusobjectivesquandils’agitdejugerdesqualitésd’unbâtiment.Chaqueindividuperçoitlemondedifféremmentetvitdoncune expérience architecturale particulière. Ce qui implique que chacun apprécie les proportions personnellement rendantl’idéed’«unejusteproportion»anecdotique.

Aujourd’hui, on emploie le terme de proportion avecune vision plus pragmatique, une façade nous paraitharmonieuse, bien proportionnée, elle touche notre sens esthétique. Il semble que ce que Claude Perrault théorisait un peu naïvement par «les règles de l’architecture nous semblent agréables pour la seule raison que nous y sommes habitués.»2 soit en faitunmécanismepsychologiquepluscomplexequenouscommençonsjusteàappréhenderàtraverslapsychologiecontemporaine.

Dans le travail quotidien de l’architecte, le processus de gestation d’un projet a égalementprofondément évolué depuis la Renaissance. Lacomposition formelleduprojetportéepar lesBeaux-artsa disparue avec la révolution culturelle des mouvements modernes.Aujourd’hui, lapenséeduprojet s’est libérée,elle se structure différement pour chaque architecte quis’attache à trouver des justifications à sa pensée, chacundéveloppe un process. Autour d’une série de phénomènes, defacteursplusoumoinsrationnels,l’architectevadéfiniruneformequ’ildevrajustifieretdontildoitsavoirexploiterles forces. La question de l’utilisation de proportionspour dessiner le projet semble apparaitre alors commeunfacteursubsidiaireetcomplexeàmettreenplacepar

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rapport à d’autres problématiques d’ordre fonctionel,matériel, économique, etc.Rem Koolhaas va plus loin et théorise que l’application de règles de composition, comme les rapports de proportion, n’estmêmeplusenvisageabledanscertainsprojetsdeparla complexité des programmes modernes et leur taille de plus en plus grande. Dans le monde qui nous entoure où lasciencefaitfiguredereligion,ilsemblepourtantquandonparledeproportions,quel’hommeatoujoursbesoindecomparer l’architecture à son échelle.

«Cherchant à construire un concept entrant dans un système deconnaissancescientifiquedel’architecture,ons’apercevraqueceluide«proportion»nepeutêtreéclairéqueparunautreconceptquiluiestextérieuretl’englobe,celuid’«échelle».»3

Cette approche de Philippe Boudon revêt également une grande importance pour ce travail. Dans sestentativesdedéfinitiondel’architecturologie,Boudonse confronte aux notions d’échelles et de proportionset propose une lecture épystémologique de ces termes longtemps mal définis et imbriqués par les architectes.Cesdéfinitionsconstituentégalementunebasedetravailthéorique qui a guidée de manière subconsciente mes réflexions.

Àtraversce travailderecherche, j’aimeraisparcourir lesdifférentscourantsdepenséequiontmarquél’histoiredelaquestiondesproportions,ilmesembleeneffet,quecetteconstruction historique est importante pour comprendre l’étatactueldesréfexions.Dansunsecondtemps,suivantdes critères préalablement définis, proposer une analysepersonnelle de l’application de ces théories pour des exemples choisis, en lien avec la Bigness et les questions d’échelle.Je voudrais ainsi tenter de dégager des règles de lecture des positions historiques, applicables à une architecture plus contemporaine qui me servirait de base de compréhension pour mon propre processus de pensée de la composition. Il semble qu’une façon d’aborder la question serait un

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parallèle entre les courants de pensées et la vision de l’architecture et donc de la proportion. Le travail de Wittkower par exemple tend vers cette interprétation d’un parallèle entre la pensée humaniste de la Renaissance et la pensée des proportions harmoniques dans l’architecture.

J’espère avec ce travail, être en mesure de dégager des notions dans l’optique du projet quime permettraitd’aborder les problèmes de compositions d’un bâtiment, de sa gestiondes échelles auxquelles il se réfère et de laproportion qui le règle.

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notes1. Traduction, GUIDI Sébastien :«Beauty is no quality in things themselves: It exists merely in the mind which contemplatesthem;andeachmindperceivesadifferentbeauty.»HUME David, On the Standard of Taste, 1757

2. TILBURY Eric, Claude Perrault Ordonnance des cinq espèces de colonnes selon la méthode des anciens, Lausanne, 1985

3. BOUDON Philippe, GUILLERME Jacques, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL :http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

Charles Dieussart, Theatrum Architecturae Civilis Palladiano, 1697, Gravure

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- Proportions

«Le traitement historique du sujet est essentiel afin demontrerlesthéoriesactuellesdansleurjustecontexte.»1

Dans l’hypothèse ambitieuse de définirépistémologiquement la question de proportions nous pourrions faire l’impasse sur l’histoire des pensées de laproportion comme le fait Philippe Boudon.2 Mais pour le déroulement de ce travail plus modeste, il me semble néanmoins important de passer en revue les différentssystèmes de proportions utilisés en fonction des époquespour garder en tête leur évolution logique et suivre dans un sens la démarche de Scholfield ou de Wittkower.Une définition épistémologique suppose égalementque l’architecture soit une science, postulat déjà posépar Vitruve, et que semble confirmer P. Boudon par ladéfinitiondel’architecturologie.

Chaque évolution de l’emploi des proportions semble liée à un progrès des courants de pensée étroitement lié à son époque et à la manière de comprendre le monde. Assimiler comment lire les proportions à travers les époques peut nous permettre, il me semble, de guider une lecture des proportions dans l’architecture contemporaine, et ainsi nous ouvrir des portes pour la suite de ce travail.

Laquestiondelacompositionetafortioridesproportionssemble avoir passionné les débats dans de nombreuses périodes de l’histoire et cela depuis l’Antiquité.3 La bibliographie à ce sujet est déjà des plus conséquente,et le but de ce travail n’est pas de s’y ajoutermais d’enproposer une lecture condensée.4 L’intérêt est plus nuancé aujourd’hui, en effet très peu d’architectes admettentouvertementdans leurdiscoursdeprojet se servird’une«règle de proportion» ou d’un système similaire pour définir les dimensions de leurs réalisations ; néanmoinsquand on discute du sujet, l’imaginaire semble rester

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vivaceetilnefautpaslongtempsavantquesoientévoquésles possibilités mystiques du nombre d’or ou les séries du Modulor.5

Sicetravailn’apasuneviséeencyclopédiquedelafaçondont ont été abordés les rapports de proportion à travers lesâges,nousdevonsnéanmoinstenterd’enfaireunrapideparcours de manière à construire les analyses qui suivront sur un socle historique continu.

Onpeutremonterjusqu’audébutdescivilisationspour trouver un intérêt à cette question. De tout temps, l’homme,dèsqu’ilafaitpartied’unesociétéstructurée,avoulu donner à ses réalisations un ordre. Cette idée d’ordre peut aussi trouver son origine dans la structure des états antiques dirigés de manière autoritaire voir totalitaire.Pendant de nombreux siècles, la religion a également eu unrôleprimordial,c’estellequisefaisaitfortd’expliquerles phénomènes inexplicables du monde, et c’est elle qui a dictée sa propre doctrine esthétique et a guidée la création danslesartsjusqu’àlarecherchedel’ordredivin.Eneffetc’est la religion, principalement chrétienne pour le corpus qui nous intéresse, qui commande et censure les œuvres d’art.Larecherchede«la justeproportion»a longtempsétémotivéeparlarecherchedelaperfectiondivine.C’estun trait de l’homme qui se retrouve aux travers de cette recherchede«proportions»,quelarecherchedeperfection,au sens de proportions justes, de rapports agréables etharmonieux.

Sinotrevisioncontemporaineconçoittoutelasubjectivitéde cette notion de «proportions justes», de nombreusescivilisations avant nous, les égyptiens, les grecs, les romains étaient à la recherche de «La» juste proportion. Laproportion divine qui permettrait à l’homme de s’accorder avec ses divinités, ses croyances mystiques. L’abstraction mathématique était le meilleur moyen de répondre à des questionsquidépassaientlesconnaissancesscientifiquesdel’époque.Au fil du temps, cette vision du divin a évoluémais les

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premières recherches, et notamment celles de Pythagore sur la signification des nombres n’ont cessé d’avoir del’influenceduMoyen-âgejusqu’àlaRenaissance,chaqueauteur déclinant sa propre lecture de la doctrine,6 souvent en altérant le sens de la précédente.

Encore aujourd’hui, des travaux comme ceux deMatilaGhyka sur le nombre d’or ou de Hans Kayser sur les harmonies traduisent cet intérêt intemporel pour la mystiquedesnombres.LeModulorfaitégalement,partiede cette suite de réflexion sur les déclinaisons possiblesd’une suite du nombre d’or et de rapports déclinés de formesgéométriquessimples.7

Les architectes ont constamment utilisés les proportions pourréglerlesrapportsentrelesdifférentesdimensionsdeleurs bâtiments.Aujourd’hui, ils conçoivent ces rapportsplus ou moins conscients de la proportion qu’ils créent et dans une visée plus personnelle, où le facteur de lasubjectivitédel’esprithumainaprisunegrandeplace.Le langage architectural contemporain semble vouloir se détacherdesesréférenceshistoriquesetcréersespropresrègles de composition. Cette volonté se perçoit dans la grandelibertédesformesarchitecturalesetlelexiquesanscesse renouvelé du vocabulaire employé par les architectes. Dans une approche nouvelle de la compréhension de l’architecture, Philippe Boudon tente avec l’architecturologie dedéfinirune scientificitéde l’architectureoù l’onverraque la proportion tient une place importante en tant qu’outil de l’architecte.8 Si la mesure en est l’outil principal, l’échelle et la proportion semblent être indispensables à la pensée de l’architecture.

Mais dans l’architecture contemporaine, comment sont utiliséstouscesoutils?Letermedeproportionsembleservirà toutes les analyses esthétiques, toutes les descriptions de bâtiment et comparaisons ; c’est souvent alors qu’onle confond avec d’autres notions comme l’échelle.L’individualité semble avoir remplacée l’humanité dans

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cette question d’échelle et les rapports sont vus de manière toujours plus personnelle. C’est pourtant toujours notregabaritquisertderéférentpourjugerd’unearchitecture.«Trop large, pas assez grand, trop fin» autant de termeoùl’hommesertderéférent,demesure.Sinotrelangageest imparfait, il permet probablement demieux saisir laproportion comme nous la percevons contrairement aux idées de la Renaissance abstraites dans leurs mathématiques et dont la construction était souvent très peu fidèle à lareprésentation.

Nouscommenceronsd’abordpardéfinirplusprécisémentcette notion de proportion et son intérêt.

Le parcours historique se déroulera à travers quatre grandespériodesplusoumoinsétendues,figurantainsilesidéauxmajeursqui semblent se regrouperdans le temps; de l’antiquité jusqu’aux derniers travaux modernes,développant un panorama assez large des différentsconceptsclefspourpermettreunepremièreappréhension.

Puis, dans un dernier temps, nous tenterons d’aborder la théorie architecturologique et les visions contemporaines en rapport avec les diverses psychologies de notre société qui développe une compréhension de notre manière de saisirl’espaceetdelaforme.

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notes1. Traduction, GUIDI Sébastien :«A historical treatment of the subject is essential in order to show the present theory in itsproperperspective.»SCHOLFIELD P. H., Theory of proportions, Cambridge, Cambridge University Press, 1958

2. BOUDON Philippe, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

3. On peut citer GRAF Herman, Bibliographie zum Problem der Proportionen, Spire, 1958 ou encore VON NAREDI-RAINER Paul, Architektur und Harmonie, Köln, DuMont Buchverlag, 1984

4.WITTKOWERRudolf,La proportion dans l’art et l’architecture, Conférence,Yorshire Architectural Society, 19 avril 1951, in Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

5. Pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres : URBAIN Pascal, Echelle architecturale?,[enligne],consultéle28octobre2013,URL:http://www.stoa-architecture.com/theorie/?p=164

6.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

7. JEANNERET Charles-Edouard, dit Le Corbusier, Le Modulor, Paris, L’Architectured’Aujourd’hui,1950

8. BOUDON Philippe, Sur l’espace architectural, Paris, Éditions Parenthèses, 1971

Cesare Cesariano, Sezione del Duomo di Milano, 1521

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a _ l’ordre et la sociétéDéfinitiondelaproportion&Naissanced’unbesoin

Ladéfinitionmathématiquedelaproportionestune équivalence entre deux rapports. Ces rapports étant les quotients de deux grandeurs, l’esthétique classique a toujours cherchée un facteur fini, entier, simple surlequel composer. Une manière de mettre en relation des dimensions, dans le but de créer un ordre qui règle le chaos de l’univers.

Laproportionet l’ordrequiendécoulerait,ont toujourspassionné les architectes par son côté mystique mais aussi dans l’idée de trouver une règle universelle à un problème insoluble.S’ilne faitaucundouteque lesujeta toujoursfasciné, on ne peut être qu’interloqué par le nombre dethèsescontradictoiresquiontétédéfendues.Onpourraitcroire que les racines mathématiques de la proportion en auraientfaitunfacteurobjectif,maiselledivisepourtantles débats.En effet, utilisée pour définir des critères esthétiquesde composition donc subjectifs, elle se confronte auxappréciations de chacun. De tout temps, architectes et théoriciens ont donc développé leurs visions de la proportion juste mais depuis un socle pourtant trèssimilaire.

Lapremièredéfinitionarchitecturalequiestarrivéejusqu’ànous semble être celle de Vitruve :

«La proportion est le rapport que toute l’œuvre a avec ses parties, et celui qu’elles ont séparément, comparativement au tout, suivant la mesure d’une certaine partie. Car de même que, dans le corps humain, il y a un rapport entre le coude, le pied et la paume de la main, le doigt et les autres parties, ainsi dans les ouvrages qui ont atteint la perfection, un membre en particulier fait juger de la grandeurdetoutel’œuvre[...].L’ordonnanced’unédificeconsistedansla proportion qui doit être soigneusement observée par les architectes.

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Jean Nicolas Louis Durand, Détails particuliers à quelques ordres, Précis des leçons d’architecture données à l’École royale polytechnique, 1809

Or la proportion dépend du rapport, que les Grecs appelent analogie ; et par rapport, il faut entendre la subordination des mesures au module dans tout l’ensemble de l’ouvrage, ce par quoi toutes les proportions sont réglées ; car jamais bâtiment ne pourra être bien ordonné, s’il n’a cette proportion et ce rapport et si toutes les parties ne sont, les unes par rapport aux autres, comme le sont celles du corps d’un homme bien formé»1

Silacomplexitédecettedéfinitionnenouséclairepasbeaucoup,onpeutquandmêmedéjànoterlarigueurde composition que semble appeler la proportion dans le respect de ses rapports, la problématique de la traduction duvocabulairegrecetlasubjectivitéesthétiqueauquelseheurte tout de suite la proportion.

CommementionnéparVitruve, il faut remonter encoreplus en amont dans l’histoire pour retrouver l’origine des proportions. Le terme désigne un concept mathématique hérité de la Grèce antique et dont l’application peut s’étendreàtouteslesnotionsquantifiables,c’estPythagorequi a posé les bases de cette notion.

Elle est donc normalement composée de quatre termes : le second et le troisième sont appelés moyens par opposition au premier et au dernier, les extrêmes. Quand les deux moyens

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sont égaux, la proportion se réduit à trois termes dont la séquence engendre une progression.2LesGrecs,Archytasparaitêtrelepremier,fontétatdetroisproportions, l’arithmétique, la géométrique et la subcontraire ou harmonique.

Dans l’arithmétique, chaque terme surpasse de la même quantitésonantécédent;danslagéométriquecomposédetrois termes, le premier est au second ce que le second est autroisième;quantàlasubcontraire,Porphyreladéfinitcomme, «un premier terme excédant de quelque quotité de lui-même le second, celui-ci excède le troisième par la même quotité du troisième». Donc, si a, b et c sont en progression subcontraire, la relation a=b + a/n entraîne b = c + b/n;d’oùilrésultequea/c = (a - b)/(b - c), ou 1/a + 1/c =2/b.Une autre relation traditionnelle, particulièrement valorisée au cours de l’histoire associe quatre termes, selon une loi qui combine les proportions harmoniques et géométriques;parexemple,danslasuite12,9,8,6.

Ce sont ces différentes proportions que nous allonsretrouver au cours de l’histoire, diversement prisées selon les courants de pensée et les canons de beauté recherchés.Au cours de la Renaissance par exemple, selon Wittkower, la pensée humaniste va être déterminante pour la conception de l’architecture, et ce sont les proportions harmoniques qui seront privilégiées pour leur rapport avec la musique.3

L’homme étant à l’image de Dieu, il doit être en proportion avec lui et c’est à travers la proportion subcontraire que va se fairecetteanalogie.Par l’intermédiairede l’esthétiquemusicale, considérée comme faisant partie des artsclassiques, les architectes de la Renaissance utilisent les propriétés mathématiques des rapports de rapports pour créerl’analogiequedéfinitEuclide:

«Le rapport est la relation qualitative en ce qui concerne la dimension entre deux grandeurs homogènes. La proportion est l’équivalence de rapports»4

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Dans cette «équivalence» se retrouve également le«même»del’analogiequel’onapuliredansladéfinitionde Vitruve et qui est une caractéristique principale de la proportion en architecture, analogie avec la nature, analogie avec la musique, analogie avec le corpus humain. On retrouvera bien plus tard dans la «loi du même» cette analogie dont M. Borissavliévitch voulait faire une loiscientifiquedel’architectureàtraverslaproportionencoreunefois.5

Mais alors pourquoi cet intérêt à travers les siècles pourlesproportions?Il semble d’abord important de mentionner que l’esprit humain est psychologiquement et physiquement disposé à la recherche d’ordre, et qui plus est, d’ordre mathématique, de logique. Le corps humain avec ses deux moitiés, est basé sur la symétrie et plus cette symétrie est parfaite plus sabeauté nous paraît grande.6 Il n’est donc pas étonnant que ce soit également par des lois mathématiques que nous ayons réglé le monde qui nous entoure et les lois qui le gouvernent.

Si l’on convient que l’homme aborde la nature en termes mathématiques, il faut envisager que nous faisons demêmeavecl’art.Ilsembleeneffetquel’hommechercheàordonner le «chaos naturel».On constate d’ailleurs aisément que chaque civilisation a voulu établir un ordre basé sur les nombres, et a tenté defaireunparallèleentredesconceptscosmologiquesetuniversels et la vie humaine.

Artsetmathématiquessontliésdepuislesfondementsdelacivilisation. L’esprit humain a cela de particulier que l’un ne peut s’épanouir sans l’autre. Tenter de mettre de l’ordre dans le chaos qui nous entoure est l’essence de l’activité intellectuelle.

Cette quête de l’ordre est une des qualités intrinsèques de l’esprit humain. S’il est peut être exagéré de considérer cette envie d’ordre comme un instinct, vouloir ordonner et

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Matila C. Ghyka, Section dorée, Pentagone, Pentagramme, Rectangle Ø, 1931

proportionner la création artistique revient à intellectualiser uneréflexioninconsciente.Cedésird’ordreinnéestnéanmoinsduràjustifieràtraversun absolu mathématique ; malgré toutes les théoriesdéveloppées,aucunen’ajamaisconvaincuel’ensembledesesprits qui s’y sont intéressés. Pour tourner la question autrement on ne peut pas dire qu’ilyaituneproportionquisoitvraie,justeetquisatisfassel’esprit humain.

Il est aujourd’hui clair que les différentes théories deproportions à travers les âges à partir desquelles les architectessesontefforcésdecréerunedoctrine,nesontque des solutions parmi tant d’autres au problème de la composition architecturale.

Einstein lui même disait qu’«il n’y a aucun moyen logique de découvrir les élémentaires, mais seulement la voie de l’intuition, soutenue par une sensibilité particulière à l’ordre sous-jacent aux apparences».7

Tenter de trouver une règle universelle est clairement une utopie ; la question des proportions estaujourd’huiplussubtile,larecherchetourneplutôtautourde constatations générales comme une certaine esthétique qui découlerait de certains rapports réutilisables dans des

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conditions particulières, autant dire que l’idée est devenue trèssubjective.Pour revenir à l’architecture, aux travers de ces premières définitions apparaissent des notions qui concernent lacomposition.D’abord la finitude, qui sera prise en compte dès laRenaissance et qui semble être la base de tout ordre possible, c’est dans cette ordre clos que les proportions peuvent s’appliquer, car à travers cette dimension elles deviennent commensurables, une des notions primordiales de l’architecture qui nous renvoie directement à une autre notion : l’échelle.

En effet, c’est également cette notion d’échelle souventconfondue avec la proportionqui distingue la géométriede l’architecture et permet de passer d’un espace idéal à unespaceréel.Enfin,lanotiond’analogiedelaproportionque montre la définition de Vitruve, analogie musicale,analogie avec les proportions du corps humain.

Si les proportions dérivent des mathématiques, elles agissent sur l’esprit humain par un biais éminemment psychologique, notre sens esthétique réagit de façonplus ou moins rationnelle à des sollicitations que nous tentonsdedéfinirpardes rapportsmathématiques fauted’une meilleure compréhension de phénomènes qui nous dépassent encore.Ilfaudraitalorsrevenirauxsourcesdecetteinterprétationmathématique pour comprendre la situation actuelle et les différentessignificationsquiontpunouséchapper.

«La vitalité étant le principe mystérieux de l’existence, elle devra cependant trouver un ordre capable de la comprendre et de l’exprimer.»8

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notes1. DALMAS André, Vitruve, Les dix livres d’architecture, Traduction intégrale de Claude Perrault, 1673, revue et corrigée sur les textes latins, Balland, 1965, réédité en 1979

2. GUILLERME Jacques, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

3.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

4. PEYRARD François, Les éléments d’Euclide, Paris, Editions Blanchard, 1993

5. BORISSAVLIEVITCH Miloutine, Les théories de l’architecture, Paris, Payot, 1926

6.WITTKOWERRudolf,«InternationalCongressonProportionsintheArts», The Burlington Magazine, n°587, 1952

7. EINSTEIN Albert, Ideas and Opinions, New York, Random House, 1954

8. ABRIANI Alberto, «Les proportions en architecture, Concepts en détresse», matières, n°2, 1998

Louis I. Kahn, Dessin du temple d’Apollon à Corinthe, 1928, Croquis de voyage

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b _ origine des systèmes proportionnels occidentaux

Pythagore,Platon,leTimée&lesNombres

D’après l’Histoire de l’architecture d’Auguste Choisy, l’architecture serait l’expression d’un idéal esthétique, lui même sentiment et sensation de plaisir des sens et de l’intellect. On retrouve cette conception dès la plus haute antiquité égyptienne dans toute la tradition classique mais également gothique et néoclassique.

«Cet idéal se résume en un mot : symétrie, qui se traduit normalement par proportion, bien que l’on y perde les nuances du latin, commensuratio, commodulatio, et du grec analogia, harmonia, eurythmia.»1

Il faut en effet revenir jusqu’en Egypte et àBabylone, il y a de cela trois millénaires pour trouver le premier ordre mathématique dont nous ayons connaissance.Effectivement,lespyramides,lestemples,lespalais qui nous sont parvenus ne peuvent avoir été tracés qu’à l’aide d’un ordonnancement précis, soigneusement conçu et appliqué par les artisans de l’époque.2

Un tel ordre n’a pu naître que dans une société hautement développée, à la structure complexe, basée sur un pouvoir fort et centralisé. Il est également clair que la directionintellectuelle était dictée par les prêtres qui guidaient les rites,lescérémoniesetlescroyances;ainsiquelesprincipesquiréglaientlesédificessacrés.L’artdetoutecetteépoquereflétaitl’ordrecosmologiquedont les prêtres étaient les dépositaires.

Le concept de proportion dérive du concept d’ordre par saformenumérique.Ilfautparticulièrementretenirl’idéeclef deladoctrinedel’écoledePythagore:

«Tout est arrangé selon le nombre»3oiuy

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Par nombre il faut néanmoins imaginer unevision philosophique du nombre qu’une grande partie de l’humanité a complètement occulté avec l’adoption du système mathématique arabe. En pensant «à l’antique» les notions de nombres, de rapports et de proportions, ondécouvre quenos ancêtres identifiaient la perceptiondes rapports et des proportions à l’opération élémentaire dujugementetduchoixcréatif etdanscetteconceptionharmonique du savoir, le Un par exemple représente le Vrai et le Bien.

La théorie de Pythagore a façonné la vision occidentaledu mode de composition ; en d’autres termes, on peutcomprendre la réalité physique à travers les nombres rationnelset lesclefsdelabeautéseraientarithmétiques.Cette conviction était basée sur la découverte primordiale que les rapports numériques simples correspondaient aux intervalles musicaux de la musique grecque : l’octave, la quinte et la quarte. Les disciples du pythagorisme ont alors dû croire que la nature répondait à la logique mathématique et le rêve de mettre en parallèle diversité desformesetordrearithmétiquen’aplusquittél’histoiredes théories esthétiques.

La pensée pythagoriste a dominé les spéculations sur l’harmonie entre art et nature grâce à l’impulsion de Platon qui la cite comme règle dans le Timée. Ce livre, un des derniers du philosophe Grec, tente d’écrire une cosmologie de l’univers et d’expliquer l’origine de l’ordre sur terre après le chaos primordial. De manière inédite, Platon appuie son discours sur les mathématiques et tentera d’expliquer sa philosophie grâce aux théories de Pythagore. Ce livre aura un impact très important au Moyen-Âge puis à la Renaissance par son caractère à la fois d’explication vraisemblable du monde et de mytheplausible.4

Tout comme la philosophie des nombres, le Timée contient des termes dont le sens s’est appauvri aujourd’huimaisqui nous permettent de mieux comprendre la puissance

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Matila C. Ghyka, Pentagramme pythagoricien, 1931

mystique de la notion antique de beauté.La «symétrie» qui signifiait justes rapports entre les mesures, harmonie, pondération, rapports modérés, calculés en vue d’un résultat satisfaisant pour l’esprit ou pour les yeux au sens antique n’a aucun rapport avec ce que nous appelons actuellement de ce nom, mais résulte du lien, de la commodulatio, de la mise en proportion, qui relie par l’emploi de la mesure commune (le module), tous les éléments entre eux et avec le tout.

Comme l’a fait Viollet-le-Duc, on peut également sequestionner sur l’abandon du mot «eurythmie» signifiantbon rythme, beau rythme, qui aurait finalementpu êtreplusapproprié à un emploi dans le vocabulaire architectural que proportion.5

Si, comme nous l’avons vu précédemment, Pythagore et Archytas, nous ont légué leurs définitionsde la proportion pour des rapports simples, les Grecs connaissaient également des entités mathématiques et géométriques incommensurables appartenant au domaine de l’infini comme la série des nombres naturels, lesnombres décimaux illimités, les rapports irrationnels tels la diagonale du carré à son côté, le rayon du cercle à sa circonférenceouencorelepartageenmoyenneetextrêmeraison d’un segment.

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Autantdeprincipesmathématiquesreprisaufildessièclespour créer des séries, notamment la diagonale du carré, pourcréerlenombred’orjusqu’auxsériesduModulor.

Ce n’est que quelques siècles plus tard qu’apparaitront les premières tentatives de quantification des rapportshumains. La source littéraire n’est autre que Vitruve dans son troisième livre (De architectura) qui théorise les relations proportionnelles de chaque membre avec le tout, et préconise alors un système de composition similaire pour lesédifices:

«Jamais un bâtiment ne pourra être bien ordonné [...] si toutes les parties ne sont, les unes par rapports aux autres, comme le sont celles du corps d’un homme bien formé»6

Apparaît ainsi la principale source de travail pour les théoriciens persuadés d’une harmonie universelle de la nature. Cette idée deviendra une obsession pendant toute la Renaissance et les illustrations sont légions de De Vinci àCesarianopouressayerdefairerentrerl’hommedansunsystème numérique et géométrique.

Ainsi, on comprend comment l’antiquité a créé tout un ensemble de doctrines, de thèses, de mystiques autour des nombres, de leur puissance et de leur sens. Des idées plus ou moins claires qui sont devenues obscures au fildes siècles pour façonner des théories nouvelles, parfoiscomplètement déformées de leur concept de départ. Laprofondeévolutiondelaréflexiongrecquearéussiàcréerdes doctrines suffisamment puissantes pour influencer lapenséeoccidentalequasimentjusqu’auXXème siècle

«C’est que, parmi les paroles, sont les nombres, qui sont les paroles les plus simples»

Socrate, Eupalinos

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notes1. ABRIANI Alberto, «Les proportions en architecture, Concepts en détresse», matières, n°2, 1998

2.WITTKOWERRudolf, «Laquêtede laproportion»,ConférenceàYork, 14 Mars 1953, in Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

3. GUILLERME Jacques, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

4. BOUDON Philippe, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

5. VIOLLET-LE-DUC Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle, 10 vol., Paris, Bance et Morel, 1854

6. DALMAS André, Vitruve, Les dix livres d’architecture, Traduction intégrale de Claude Perrault, 1673, revue et corrigée sur les textes latins, Balland, 1965, réédité en 1979

Vi l l a r d - d e - H o n n e c o u r t , Folio 36, 1230, Carnet de travail, 14 x 22 cm

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c _ systèmes géométriques et proportions au Moyen-ÂgeNaturegéométrique&Trianglepythagoricien

On retrouve dans le Timée deux sortes de mathématiques pythagoriciennes parmi les trois que nous avons identifiées précédemment. Pour expliquer lemonde Platon base sa pensée sur les rapports harmoniques dérivésdesintervallesdelamusiquegrecque;maisquandilabordesa«théoriedel’atome»ilrevientauxfigureslesplus simples et qui lui paraissent les plus géométriques.

De même, il est aisé de lire à travers l’histoire de l’art européen que seulement deux types de proportions ont été favorisées et il clairque la coïncidencen’estpas fortuite.On retrouve des proportions de nombres entiers et des proportions arithmétiquement inexprimables, qui sont baséessurdesfiguresgéométriquesfondamentalescommele carré, le cercle ou certains triangles.

SilaRenaissanceafavorisélapremièreclasse,leMoyen-Âge a préféré les proportions géométriques. Chacuned’elles prenant racine dans le Timée,ilfautbiencomprendrel’importance de ce livre, c’est quasiment le seul écrit de Platon connu à cette époque et ce sera un classique absolu durant de nombreux siècles.

«Il n’y avait pas une librairie médiévale digne de ce nom, qui n’en eût la version que de Chalcidius ; sans oublier le De Musica et le De Arithmetica de Boèce, le In Somnium Scipionis de Macrobe et, surtout, le De Architectura de Vitruve, tous directement ou indirectement divulguant les conceptions mathématiques du Timée»1

Néanmoins, les traités sont bien plus rares à cetteépoquequ’ilsneleserontàlaRenaissance;l’emploiplus pratique que théorique de ces proportions mérite cependant un éclairage rapide sur la manière dont sont

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employéesces formesgéométriques,par lesbâtisseursdecathédrales notamment.

Quand Platon dans le Timéeabordelaphysique,ilfaitunegrandepartaux«vertues»formellesdesfiguresrégulières,et notamment des cinq corps dits platoniciens, dont la théorie constitue une sorte de prolongement géométrique du pythagorisme arithmétique.

L’univers serait, selon Platon, créé autour de quatre éléments de base : la terre, l’eau, le feu et l’air.Grâce à différents triangles rectangles, il construit unereprésentation géométrique de chaque élément : le cube pour la terre, l’icosaèdre régulier pour l’eau, le tétraèdre régulier pour le feu et l’octaèdre régulier pour l’air.Finalement tous ces éléments seraient contenus dans un cinquièmeélément: ledodécaèdre,formelaplusprochede la sphère, construite avec des pentagones, eux-mêmes construits avec des triangles.

On rencontre dans deux de ces corps le rapport irrationnel de la section d’or dont l’origine n’est pourtant pas pythagoricienne;cesontcesgéométriesparticulièresquel’on croisera le plus souvent au Moyen-Âge.

Ainsi les artistes médiévaux comme Villard de Honnecourt ont cherché à faire rentrer leur art dans des systèmesgéométriquessimplesavecunepréférencemarquéepourle carré ou le triangle. Nombre de traités deviseront sur la bonne manière de dessiner, basant le tracé sur le carré pourarriverjusqu’aupentagramme.

Parmi ces artistes, les musiciens, sous l’influence deBoèce entre autres, vont chercher à étendre l’harmonie deleurmusiquejusquedanslaviemorale.Lavertuétaitalors considérée comme moyenne «harmonique» entre les extrêmes des vices opposés et rejoignent l’héritaged’Hippocrate, du mélange harmonieux des tempéraments, justeproportiondelasantéphysique.Dans leurs traités qui commencent par l’harmonie

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Franchino Gafurio, Pythagore, Phillolaos et Tubalcain découvrant les harmonies musicales, Theorica Musice, 1492

cosmique, ces musiciens relèguent l’harmonie auditive et la musique instrumentale dans les derniers chapitres.

Les architectes ont appliqué les mêmes systèmes à base de carrés ou de triangles. La Cathédrale de Milan par exemple, dont la construction commence en 1390 en est une bonne représentation. Dans un premier temps dessinée sur base triangulaire, on changea d’avis pour une base carré mais les nouveaux plans ne pouvant être adoptés jusqu’auxailes,onoptafinalementpourletrianglepythagoricien.

Ce triangle présente la particularité d’avoir ses côtés dans un rapport de 3/4/5 en faisant le seul triangle à 90°ayant ses côtés dans une progression arithmétique, il sera particulièrement à l’honneur à cette époque.

Le carré n’est pas utilisé uniquement comme quadrillage mais comme outil de dessin pour donner une justeproportion, on l’utilise par exemple dans le dessin des pinacles2,maiségalementjusquedansledessinmêmedesoutils de représentation.

«Il est impossible de connaître la nature sans géométrie. Les principes de la géométrie ont dans tout l’univers, comme dans chacune desesparties,unevaleurabsolue.»3

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Cette citation de Robert Grosseteste, philosophe et théologien du Moyen-Âge, révèle bien la pensée médiévale. Tout l’univers est alors pensé selon la géométrie, et tout doitpouvoirs’yplier.L’artistemédiévalprojetteunefiguregéométriqueprédéfiniesursonœuvretandisqueceluidela Renaissance tend à extraire une norme métrique des phénomènes qu’il observe.

Dürer qui marquera la transition entre les deux époques, déclarera à son retour d’Italie :

«Les lignes qui déterminent une figure ne peuvent êtreconstruites ni au compas, ni à la règle.»4

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notes1.WITTKOWERRudolf, «Laquêtede laproportion»,ConférenceàYork, 14 Mars 1953, in Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

2.WITTKOWERRudolf,«Laproportiondans l’artet l’architecture»,Conférence à la Yorkshire Architectural Society, 19 Avril 1951, inLes principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

3. GROSSETESTE Robert, De luce. Trad. an. On light or the Beginning of Forms, Marquette University Press, 1942

4. DÜRER Albrecht, traduction PEIFFER Jeanne, Géométrie, Paris, Seuil, 1995

Franchino Gafurio, «GafurioDissertant», De Harmonia Musicorum Instrumentorum , 1518, Gravure

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d _ proportions harmoniques à la Renaissance

Proportion arithmétique simple, Musique & Commensurabilité

À la Renaissance, la perception des nombres évolueprofondément,lesfiguresgéométriquesperdentdeleur importance et c’est la commensurabilité qui devient la question centrale des mathématiques. Les théoriciens vont alors multiplier les traités déclinant diverses interprétations de théories puisant invariablement leurs racines dans les traités antiques, dont la transmission à travers les siècles a parfoisaltérélacompréhension.

«(…) toutes les parties des constructions doivent correspondre entre elles, et avoir des proportions telles que toutes doiventpermettredemesurerl’ensembledel’édifice,demêmequetoutesles autres parties.»1

Palladio exprime là, relativement clairement, cet objectif decommensurabilitéettraduitunenouvellepenséedelaconstructionetdefaçonplusgénéraledel’humanité.C’estunenouvelleapprochescientifiquedelanaturequise fait jour avec les artistes du XVème siècle, Alberti et Léonard De Vinci en tête, vont permettre l’élaboration et la diffusion d’une interprétation mathématique del’univers. Ils ont décelé et analysé les rapports entre monde visible et monde intelligible, des corrélations qui étaient jusque làétrangèresà la scolastiqued’Aristoteenseignéeau Moyen-Âge aussi bien qu’à la théologie mystique.

Ilsontpourlapremièrefois,entrevul’architecturecommeune sciencemathématique fonctionnantàpartird’unitésspatiales issues de cet espace universel, dont ils abordaient toutjustelacompréhensiongrâceauxnouvellesloisdelaperspective.

Ils en vinrent alors à croire qu’il serait possible de recréer des proportions universelles et de les utiliser avec simplicité pour

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Leon Battista Alberti, Dessin de la façade de Santa Maria Novella, Florence

arriver aussi près que possible de l’abstraction géométrique et rendre lisible l’ordre divin de l’univers. Ainsi l’harmonie universelledevenaitleurobjectif,seulementconcrétisabledans l’espace par le biais d’une architecture entièrement mise au service d’une cause supérieur, la religion.

Etdanscetobjectif,c’estl’architecturedeplancentréquiconnaitra leplusgrand intérêt ; sagéométriestricte, sonéquilibreharmonique,sasérénitéformelleet,ausommet,la sphère du dôme, reflétait et révélait la perfection,l’omnipotence de Dieu. On retrouve ainsi nombre de plans basés sur ce schéma notamment dans les planches de Leonard De Vinci, de di Giorgio, Alberti ou encore de Serlio, puis bien sur Palladio. Et pour que les églises suscitent la piété, celle ci devaient dépasser en beauté tous lesautresédificesdelaville.

«La beauté d’un bâtiment consiste en l’intégration rationnelledesproportionsde toutes lespartiesd’unédificedefaçonquechaquepartieacquièreunetailleetuneformefixéesunefoispourtoutes et qu’on ne puisse rien ajouter ou retirer sans détruire l’harmonie de l’ensemble.»3

CettedéfinitiondonnéparAlbertietlargementbaséesurVitruve, nous explique bien la vision de la beauté à cette

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époque,quiest inhérenteàl’harmoniedel’édificeetquine peut résulter d’une fantaisie de l’artiste mais de sonraisonnementobjectif.C’est l’idée classique qui guide sa démarche vers un systèmedeproportionsuniformepourtouteslespartiesdel’édifice,etaprèslespenseursgrecs,cesontlesarchitectesde la Renaissance qui vont se tourner vers les harmonies musicales pour baser leurs théories.

Une tradition ininterrompue depuis l’antiquité fait del’arithmétique, de la géométrie, de l’astronomie et de la musique, le carré des «arts» mathématiques. Les «arts libéraux» que sont la peinture, la sculpture et l’architecture, n’étant considérés que comme de simples occupations manuelles.Pourleséleverdecestatutmécanique,ilafalluleurfournirunebasethéoriquesolidequipuisesesracinesdans la musique et c’est toute à l’honneur des artistes du XVème siècle d’avoir étudié les théories musicales pour mieux aborder leurs problèmes architecturaux.

Dans les harmonies musicales, ce sont particulièrement les intervalles musicaux qui intéressent les architectes et non les intervalles consonants. Les artistes de la Renaissance ne souhaitaient pas traduire la musique en architecture mais considéraient les intervalles consonants de la gamme musicale comme des preuves audibles de beauté, basés sur des rapports de petits nombres entiers 1/2/3/4 reproduisibles dans leurs plans.

Ainsi, dans une esthétique directement dérivée du Timée, les artistes voyaient l’harmonie du monde s’exprimer dans les sept nombres 1, 2, 3, 4, 8, 9, 27 qui auraient englobés le rythme secret du macrocosme et du microcosme ;ces nombres contenants dans leurs rapports toutes les consonances de la musique, mais aussi l’inaudible musique des sphères et la structure de l’âme.4

«Les nombres dont l’expression sonore captive nos oreilles sont ceux-là mêmes qui plaisent à nos yeux et à notre esprit. Dès lors, nous emprunterons toutes nos règles concernant les relations

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harmoniques(«finitio»)auxmusiciens,quiconnaissentàmerveillecegenredenombre,etàtouslesdomainesparticuliersoùlaNaturesemontre la plus excellente et la plus complète.»5

Dans la même croyance que les grecs, les artistes de la Renaissance, suivant encore une fois les thèsesd’Alberti, voient dans la musique la représentation de leur esthétique. Ils vont donc articuler leurs compositions autourdecesfacteurs1/2,1/2,2/3,3/4correspondantaux octaves, quintes et quartes.

Laconvictionquechaquepartied’unédificedoits’intégrerà un système unique de rapports mathématiques et a fortiori que l’architecture est une science, constitueprobablement l’axiome principal de la Renaissance. Pourcesthéoriciens,onl’adéjàabordé,l’architecten’estpas libre d’appliquer un système qu’il aurait lui même choisi;lesrapportsdoiventrespecterdesconceptionsd’unordre supérieur et l’édifice doit refléter les proportionsdu corps humain, un principe pour lequel Vitruve faitautorité.5

Michel-Ange, dans une lettre de 1560 environ, écrit qu’«il est indubitableque lesmembresarchitecturauxreflètent lesmembreshumains», et que ceux qui ne connaissent pas le corps humain ne peuvent pas être de bons architectes.6

L’homme étant à l’image de Dieu et les proportions de son corps provenant d’une volonté divine, les proportions architecturales doivent englober et exprimer l’ordre cosmique. Cet ordre, les artistes de la Renaissance vont le trouver chez Pythagore et Platon dont les idées connaissaient un véritable regain.

Palladio par exemple, plaçait Vitruve au dessus de tous les théoriciens contemporains, l’ayant choisi «per maestro, e guida». Sa connaissance de Vitruve dépassait certainement n’importequelautrearchitecteduXVème siècle et il était convaincu d’y trouver des secrets de l’architecture antique. Soninterprétation,parmilesplusprofondesetimagéesdel’auteur latin, apparaît clairement dans les illustrations de

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Leonard De Vinci, Codex Atlanticus, Dessin d’église à plan centré, ca. 1500, 64,5 x 43,5 cm

la traduction que propose Barbaro, en 1556.7

La définition du gabarit humain idéal devint un projetphilosophique en soit lorsque la tradition pythagorico-platonicienne rencontra les préoccupations scientifiquesdu Quattrocento : M. Ficin (1484), L. Pacioli (1509), F. Di Giorgio (1525), C. Agrippa (1533) entre autres, ont chacun écrit des traités qui contribuèrent à l’intérêt pour les canons régulateurs d’un «microcosme» corporel.

Si l’homme est le centre de la pensée architecturale de la Renaissance, c’est bien en tant que création divine à l’image deDieu.Ilfaitainsipartiedusystèmeclosdel’édificedanslequel les mesures sont rapportées idéalement les unes aux autres. Dans cette théorie harmonieuse, la réalisation a peudeplaceetlagéométrieduprojetprévauttoujourssurla réalisation qui correspond rarement aux dessins.

Les proportions simples de petit facteur (1/2, 2/3, 3/4)sontconformesàlaloigénéraledel’harmoniedémontréepar Alberti, mais ces relations mathématiques entre le plan et la section ne peuvent être perçues quand on parcourt l’édifice, la perfection harmonique du schémagéométrique représente une valeur absolue, indépendante de notre existence. Cette harmonie est perçue comme un écho visible d’une harmonie céleste et universelle, c’est donc elle la plus importante et notre perception visuelle ne

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passe qu’au second plan.Dans ce système très strict de composition, ce sera finalement Palladio qui admettra que l’architecte doitparfoissepasserdecertainesrègles,carilresteleseuljugeet maître : il existe d’autres rapports «qui ne tombent guère sous la règle, dont l’Architecte aura à se servir selon son jugement et selonlanécessité».MaiscejugementseravraimentceluidelamaturitépourPalladio,ilfaudraattendreplusieurssièclesavantquecetteidéefasseécole.

Ilpréfiguraitalorslespenseursàveniràl’aubeduXVIIème siècle, plus sceptiques quand à la puissance de la proportion et des rapports harmoniques, qui vont une nouvelle foisreprendre complètement la lecture des mathématiques pourlafairerentrerdansleurlecturedel’univers.

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notes1. PALLADIO Andrea, I quattro Libri dell’architettura, (1570)

2.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

3. LEONI James, The Architecture of Leon Battista Alberti in Ten Books, Londres, 1726, J. Rykwert Editors, 1955

4. Ibidem

5. ALBERTI Leon Batista, Dereaedificatoria,(1485)

6. Une pensée partagée par de nombreux contemporains, Barbaro, Lomazzo, Michel-Ange, Palladio. On en retrouve aussi l’analyse dans les écritsdePanofsky,L’Œuvred’artetsessignifications, Paris, Gallimard, 1969

7. MILANESI Gaetano, Le lettere di Michelangelo Buonarroti, Florence, 1875, p. 554

8.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

Claude Perrault, Ordre Corinthien, Subdivisions harmonieuses choisies par pure convenance, 1683, Ordonnance des cinq espèces de colonnes

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e _ pragmatisme et visions modernesSubjectivité du jugement, Classicisme & Art Moderne

La Renaissance occidentale a eu la particularité de mélanger un retour à des idées antiques et des découvertes scientifiques de premier ordre. Depuis cetteperspective, on peut par exemple s’étonner que Johannes Kepler ait poursuivi sa recherche de la musique des sphères dans son Harmonices Mundi en 1619, proposant clairement des «gammes planétaires», en parallèle de théories scientifiques toujours valables aujourd’hui ; onretrouvera encore cette conception de l’harmonie musicale chezGaliléeetplustardencorechezShaftesbury.Maiscetunivers mathématique dont toutes les parties auraient été en rapport va être vigoureusement remis en cause dès le XVIIème siècle.1

Avec l’émergence de la science comme nous la connaissons, la synthèse qui liait micro et macrocosme, l’harmonie diffuse à laquelle adhéraient tous les penseurs depuisPythagore, commence à se désagréger. L’«atomisation» entraîneuneprofonderemiseencausedetouslesacquisscientifiquesmais égalementdans ledomainedesarts etimplicitement, des proportions.C’est depuis la Grande-Bretagne que l’esthétique classique vacille, Hogarth ou plus tard Hume vont dénoncer la relation entre mathématiques et esthétique, devenant porte-parole de tendances nouvelles.

«Étrange notion que celle selon laquelle, puisque certaines divisions uniformes et consonantes d’une corde produisent une harmonie sensible à l’ouïe, celles-ci raviraient la vue sur les lignes d’une forme. Rien de ce que prouve l’observation en somme, pourtant ce genre de notion appliquant l’harmonie des parties à la forme aussi bien qu’à la musique a prévalu jusqu’à nos jours.»2

Les critiques se feront nombreuses au sujet desproportions,LordKamesparexemplerejointlescritiques

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italiens qui dénoncent la subjectivité des proportions.Quand nous nous déplaçons dans un espace, les proportions de longueur et de largeur varient en permanence, et si l’œil étaitunjugeabsolu,onnesesentiraitbienqu’enunseulpoint.

«Nous devons donc nous féliciter que l’œil soit moinssensible aux proportions que notre oreille ne l’est aux harmonies.»3

Devenant soumise à la sensibilité individuelle, l’architecture se retrouve peu à peu dégagée de la rigueur des rapports mathématiques. Claude Perrault est une des figures lesplusimportantesdecetteémancipation,s’ilesttrèsaufaitdes théories antiques puisqu’il propose une traduction de Vitruve en 1673, celui-ci va s’opposer à Francois Blondel dans le prolongement architectural de la querelle entre anciens et modernes. Si Blondel défend une vision antique des proportions,Perrault soutient que la mise en proportion ne résulte d’aucune beauté universelle et que l’ordre doit être définiparchacun. Ilproposeune lecturemodernede lasymmetria, un équilibre des masses de part et d’autre d’un axe, au détriment de la proportion antique qui implique le recours à un module et à une «raison de progression» pour régler la correspondance entre les parties. Ses idées se concrétiseront avec la colonnade du Louvre pour laquelle il propose un cinquième «ordre Français» pour compléter ceux de Vitruve.

Si l’architecture n’est pas encore complètement libre dans sa composition, le carcan de règles se délie progressivement pour autoriser de plus en plus le libre arbitre de l’architecte à prendre des décisions esthétiques.

Cettenouvelleimpulsionvainfluencerlecomportementdelaplupartdesarchitectesjusqu’ànosjours,maiségalementdu public. Car tout autant que les architectes, ce sont les usagers dont l’esprit esthétique va se libérer au contact de ces pensées modernes qui va permettre une évolution de la pensée artistique.

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Louis Etienne Boullée, Esquisse pour un Opéra, 1781

Ruskin, parmi bien d’autres, théorise que les proportions sont aussi illimitées que le sont les mélodies musicales et il revient à l’artiste de trouver l’harmonie de son bâtiment.4

Le postulat de ce nouvel humanisme est une observation plusobjectivedelanaturequitendàunedisqualificationdes prétentions du pythagorisme. Les mêmes lois numériques ou géométriques ne peuvent pas régir nature etbeauté,optiqueouacoustique,lespenseursfinissentparréfuterlatropgrandesimplificationdecettepensée.

La proportion serait donc un terme de mathématique mais dans la langue des critiques, elle désignera de plus en plus aucoursdutemps,unequalitéquiinformedujugementesthétique,commeladéfinitl’Encyclopédie :

«La convenance du tout et des parties entr’elles dans les ouvrages de goût.»5

Si le XVIIIème siècle est caractérisé par son classicisme,leXIXèmesièclevaprofondémentfaireévoluerles idées. La beauté et la proportion sont alors considérées comme des phénomènes psychologiques qui trouvent leurs sources dans l’esprit de l’artiste lui même inspiré par la nature, devenant en somme, dépendant d’une pulsion créative irrationnelle. Cet instinct, c’est la réponse à une nouvelle conception de l’univers, un univers de lois

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mécaniques, détaché d’un projet ultérieur, en d’autreterme, de la religion. L’homme perd sa place centrale et pourlapremièrefois,dansl’histoire,leprinciped’ordreestlaissé à l’entière discrétion de l’artiste individuel.

AuXXème siècle, la révolution artistique des mouvements modernes va de nouveau bouleverser le concept de beauté et les notions d’esthétique. Les Cubistes par exemple, vont renier les formes conventionnelles pour un retouraux formes géométriques élémentaires, ils trouvent leursréférences dans les formes géométriques simples et lesrapports incommensurables avec un retour en grâce Nombre d’Or. Ils vont inaugurer des principes nouveaux de déconstruction, de multiplicité du point de vue, de matière, autantd’idéesnouvellesquioffrentunpointdevueinéditsur l’art et qui se retrouveront dans l’architecture.

«Une société nouvelle s’est constituée, qui veut un art nouveau. L’abolition des maîtrises ouvre le champ aux innovations [...].»6

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notes1. GUILLERME Jacques, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

2.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

3. HOME Henry dit Lord Kames, Elements of criticism, 1762

4. RUSKIN John, Modern Painters, 1843

5. DIDEROT Denis, D’ALEMBERT Jean, L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, 1751

6. CHOISY Auguste, Histoire de l’architecture, 2 vol., 1899

Theo Van Doesburg, Composition arithmétique, 1930, Huile sur toile, 101 x 101 cm, Kunsthaus Winterthur

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f _ théories contemporainesModulor,Nombred’or&Architecturologie

Le travail de Le Corbusier s’inscrit dans la démarche du mouvement moderne, la concrétisation de sapenséedansleModulordoitsevoircommelefruitdutravaild’unevie.Plusqu’unenormeapplicablesansfaille,ce sont de nombreuses observations faites au cours desa vie qui ont nourries l’intime conviction de l’existence d’unesériededimensionsplusjustesqued’autres,quis’estconcrétisée à travers le nombre d’or.

LeModulorestfinalementdansladroitelignedel’héritagepythagorico-platonicien, ce système tente de relier notre mondeposteuclidienàdessystèmesantiques;basésurdesformesgéométriques simples,deuxcarrés, etdeux sériesde nombres irrationnels, des suites du nombre d’or.

En 1945, la guerre prive l’atelier du Corbusier de commandes suffisantes pour payer tous ses employés,le bureau se disperse dans les zones libres. Le Corbusier confielatâcheàcertainsdesescollaborateursdetravaillerà l’élaboration d’un système qu’il échoue à mettre au point depuis de nombreuses années, ces recherches qui se concrétiseront avec la sortie du livre Le Modulor en 1950 visent à établir une règle pour l’industrialisation de la construction d’après guerre.1Le Corbusier préfigure que la reconstruction seranormalisée dans un souci d’efficacité, mais il souhaitetrouver un système plus riche que ce que propose les ministèresavecunesortedeNeufert.

La solution qu’il propose avec le Modulor, est d’une granderichessedepossibilité,eneffetenplusdelasériedenombres qu’il établit en relation avec la posture humaine, il développe deux séries de nombres dérivés du nombre d’orquipeuvent se combinerpour créerune infinitédepossible.

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«Le fait que les mesures dérivées du corps humain soient considérées comme plus agréables que d’autres est un cas-type de la mystique des nombres.»2

La place que ce système réserve à l’homme est complexe, ilenestà la fois lepointdedépartmaisaussilaplusgrandecritiquequ’onpuisseluiformuler;sic’estl’homme qui donne sa mesure de 183 cm pour établir le restedesdimensions,toutelasubjectivitéduModulorestjustementdepartirdupostulatd’unhommemoyen.

Les proportions ont connu un véritable regain au début duXXèmesiècle,avecleModulor,lesréflexionsdeGhykaou Kayser, les travaux de Van Der Lan, les discussions au 8 e CIAM à Hoddeson en 1951 puis le 1er Congrès International sur les Proportions en Arts tenu dans le cadre de la 9ème Triennale de Milan mais cela n’aura été que decourtedurée.L’après-guerreafavoriséceretouràunhumanismedansunesociétéquelquepeueffrayéeparlesmachines et l’industrialisation des villes, la recherche d’un module humain fait figure d’alternative.Néanmoins trèsvite l’émancipation reprendra le pas avec les travaux des Smithson ou de Reyner Banham et plus tard les critiques de Eisenman.

«Parelletouteslesfiguresdumondepeuventserapprocher.Il existe cependant dans cet espace sillonné en toutes directions un point privilégié : il est saturé d’analogies (chacune peut trouver l’un de ses points d’appui) et en passant par lui les rapports s’inversent sans s’altérer. Ce point c’est l’homme ; il est en proportion avec le ciel, comme avec les animaux et les plantes, comme avec la terre, les métaux, les stalactites ou les orages … le corps de l’homme est toujours la moitié possible d’un atlas universel»3

Cette citation de Michel Foucault me semble bien traduire les préoccupations de la société d’alors et d’aujourd’hui : trouversaplaceparrapportàunmondedans lequel nous avons l’impression d’être déconnecté. Jusqu’ànosjours,lesartistescroyantàlaproportionavaientoubliédesfacteurscommel’individualitéduspectateur,la

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Le Corbusier, Grille de formes possibles dérivés des séries rouges et bleues du Modulor, Le Modulor, 1950

matière des œuvres ou les circonstances culturelles, autant de variables sans quoi les proportions auraient fournide sûres recettes de composition.Mais si naïf qu’il soitle pythagorisme s’est appuyé sur l’incontestable valeur esthétique du module et du rythme.

«On est toujours satisfait quand une quantité discrète quelconque peut être sentie comme un commun dénominateur de plusieurs autres quantités de même espèce dans un ensemble soumis à notre appréciation esthétique.»4

À la suite de la commensuration humaine de la Renaissance, on a également cherché des proportions dans la nature, dans lamanière dont poussent les feuilles surles branches, dans l’enroulement des coquilles, mais ces considérations sont hasardeuses pour le moins, car il est complexedejustifierlaprésencedunombred’ordansdesgrandeurs aussi variables. Il en va de même en prenant des mesures moyennes des membres de l’organisme humain commel’afaitLeCorbusier.Si l’hommeabiententédetrouverdes loisdiversespour justifier sesproportions, ceserait beaucoup demander à notre vision de la beauté quederéagiravecprécisionàcertainesformes,certainesconstitutions,lejugementesthétiquenepeutêtrepositif entoute circonstance. Pourtant le lien entre nombre et beauté

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organique n’est pas insignifiant, nous cherchons ainsi àrépondreànotreexigencede«justesse»;lebeaudoitêtrejuste.

Denombreusesthéoriessefont jourpourtenterdenousexpliquer l’esthétique à la lumière de la psychologie contemporaine : sympathie pour la forme (Einfühlung),psychologie de la forme (Gestalt) ou du comportement(Behaviorism), voire phénoménologie de la perception.5

L’analyse ne porte plus tant sur les proportions que sur les réactionsdusujet,c’estàdiresurdesvariablessujettesàdes données aussi diverses que l’histoire ou la psychologie différentielle. Il est difficile d’imaginer ainsi pouvoirdégager une règle de proportion, au mieux une «esthétique mathématisée»quisatisfassel’humanité.

Quelquesréflexionstendentversunesortedepythagorismerenversé, présenté par Jacques Guillerme, où l’art chercherait à imiter la beauté des mathématiques, au lieu de trouver dans les nombres les raisons de sa beauté. Mais pas plus que les tentatives précédentes, ces opérations ne nous permettent de comprendre une raison mathématique du beau. La pensée esthétique trouve toujours unerécusation de l’approche mathématique.6

D’autres courants esthétiques ont voulu régler leur composition par des tracés régulateurs, «version bourgeoise désenchantée des harmonies classiques, le décalogue qui devient catalogue, un reflet de l’hémiplégie moderne du souvenir»7 mais ces tracés que certains théoriciens arrivent à déceler dans n’importe quelle bâtiment, sont moins riches que les proportions et souvent trouvés à posteriori et ne traduisent pasgrandchosedelapenséesous-jacenteàlaconstruction.Les proportions, dans l’ensemble de ses théories et de son idée de quantification des rapports en vue d’établir unebeauté, seraient peut être l’ultime ambition humaine de mathématiser le monde, de le miniaturiser pour mieux le comprendre.

Maisalorspeut-êtrefaut-ilchercherplusloinunnouveausens aux proportions. La thèse de l’architecturologie

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comme science architecturale, semble se détacher de cette problèmatique de la beauté pour placer la proportion dans les outils de l’architecte et retourner vers un rapport de dimensions. Le premier vocabulaire des architectes serait peut être celui des proportions mais à l’image d’une langue morte, nous pourrions le parler sans le comprendre, notre mémoire en ayant oublié le sens.L’architecturologie se propose de cerner la proportion comme concept spécifiquement architectural, delui donner un sens architecturologique, plutôt que mathématique, psychologique ou historique. Plus que le problème de l’esthétique, l’architecturologie identifiela question de la taille comme principale question de la pensée architecturale. Donner une dimension à l’espace que l’on pense est en effet la première démarche d’uneréflexionarchitectonique.

«Le projet de l’architecte est projet de l’espace, d’un espace réel ; il est de réaliser l’espace.»8

Et pour donner une dimension il faut unréférentetunsystèmepourpasserde l’unà l’autre,c’estalors l’utilisation de l’échelle qui gère cette transition. L’embrayage de l’espace mental à l’espace réel, qui différenciel’architecturedelagéométriepure,nepeutsefairequeparl’échelle.

«Parembrayageonchercheàsignifierquesilaproportioncontribue à donner des mesures, elle n’assure pas la possibilité d’installer l’objet dans l’epace réel - l’embrayage de l’objet virtuel sur l’espace réel -, nécessaire pour que celui-ci ait des dimensions.»9

C’estdoncunecombinaisond’outilsetderéflexionsqui permettrait à l’architecte de penser l’architecture que nouspratiquons.Aujourd’hui, l’architecturepoursuit sonévolution, un nouveau vocabulaire montre que la pensée architecturale est en perpétuelle mutation, le temps et le coût sont entrés en ligne de compte, le programme devient programmation et les normes prennent toujours plus deplace pour régir la construction.

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notes1. JEANNERET Charles-Edouard, dit Le Corbusier, Le Modulor, Paris, L’Architectured’Aujourd’hui,1950

2. NORBERG-SCHULZ Christian, Système logique de l’architecture, Paris, Pierre Mardaga éditeur, 1962

3. FOUCAULT Michel, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966

4. GUILLERME Jacques, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

5. Wittkower et Norberg-Schulz, entre autres, abordent ces notions dans leurstravauxrespectifs.

6. GUILLERME Jacques, Ibidem

7. ABRIANI Alberto, «De divina proportione», matières, n°5, 2002

8. BOUDON Philippe, Échelle(s), Paris, Éditions Economica, 2002

9. Ibidem

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Aldo Rossi, Architerttura assassinata, 1974, 15 x 21 cm, Deutsches Architektur Museum

- Étude

Pour compléter ce parcours historique, j’aisouhaité mettre en pratique les différentes approchesanalytiquesquej’aipurencontreraucoursdemeslectures,pour tenter de comprendre l’approche contemporaine des architectes sur la composition et la démarche adoptée quand aux proportions.

Même si la question ne semble plus un débat en soi particulièrement d’actualité dans la profession, ouseulement un intérêt de quelques architectes qui ont su développer leur doctrine, l’idée de cette seconde partie est de proposer une lecture de diverses positions adoptées dans le paysage architectural quand à l’approche de la composition,delagestiondesrapportsentrelesdifférenteséchelles et des questions de proportions quand elles deviennent une question clairement prise en compte.

En effet, si le débat sur le projet tend souventà parler de formes, on fait peu cas de la compositionau sens classique du terme, et des architectes, comme Zaha Hadid, semblent proposer une architecture qui échappe complètement à tout type de composition au sensclassique,leurjustificationdelaformepassepardesfacteurs souvent extérieurs au projet, une réponse à desphénomènesobservésdanslecontexteduprojet,oualorslaformeréagitauprogrammeintérieurduprojet.1Ainsilesarchitectesdéconstructivistesvontjusqu’àunrejetcomplet des mathématiques euclidiennes, remettant en causeprofondémentlesbaseshistoriquesquenousavonspuvoirprécédemment ; chez lespost-modernes, le rejetest plus nuancé, si les proportions universelles ne sont plus àl’ordredujour,onconstatenéanmoinsunerecherchedecomposition comme chez Aldo Rossi par exemple.

Qui parle encore de proportion alors ? L’occurrence laplus récurrente de la question des proportions semble,

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paradoxalement, se faire dans la bouche des usagers, àposterioride lagestationduprojet.Quin’apasentendu«ce bâtiment a des proportions étranges» ou une critique du même acabit. Comme nous l’avons vu précédemment ce type de commentaire bien qu’incorrect d’un point de vue purement sémantique ne nuit pas à la question des proportions.2

La relation métrique d’une partie et du tout entraîne une corrélation des parties entre elles mais ce qui est organiquementdéfinin’estpasforcémentsujetàunmêmerapport. Le langage courant participe à cette position lorsque par exemple, il est dit d’un immeuble qu’il a de «vastes proportions», la taille humaine est prise pour référence et intervient alors la question d’échelle. Latendance est à l’utilisation du terme de proportions à tort et à travers mais cela n’empêche pas la compréhension.

La composition reste une question que l’architecte sedoitd’aborder,eneffet,l’esthétiqueestaujourd’huiunpointdevuepersonnel,et s’ilest impossiblede satisfairetous les goûts, l’architecte a des questions nouvelles à se poserparrapportàlacomposition;lerapportàl’homme,leréférentqu’ilchoisitpoursontravail,commentdonnerdes dimensions à son projet, puis des questions plusconcrètesquelesarchitectesneseposaientpasforcémentjusqu’icipar rapportà lamatérialité,au temps,aucoût,etc.

Autant de questions qui semblent inhérentes à l’architecture mais qui ont pris une importance nouvelle depuis que la composition classique a été remise en cause et le rapport auprojetsefaitdansunbutdeconstructionplusquederéflexion.

Certains bureaux ont bien compris l’enjeu nouveauque propose la composition et ont pris pour objectif dedévelopper un travail autour de la question. On peut par exemple parler de l’agence Diener & Diener où le travail de cette «inquiétante étrangeté» pour reprendre les termes

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freudiens, est particulièrement intéressant. Le travail deproportion classique prend une tournure beaucoup plus raffinée,cherchantàbrouillernotreperception,nousfaireredécouvrir des éléments classiques, participer à la ville mais en apportant une touche plus sensible.

Maisalorsilfautprobablementsedemanderdanscetypede réflexionqu’elle est la part accordée à la proportion,ou alors est-on déja en train de parler d’échelle ? Levocabulaire de la composition mérite probablement encore des précisions.

C’est donc pour tester une lecture de ces différentes sensibilités que j’ai voulu aborder quelquesréalisations plus ou moins tournées vers les proportions. Quelquesoitlecas,ilafalluchoisirdescritèrespourdéfinircettesélection.J’aidoncvoulurevenirsurcettedéfinitionde la Bigness qui semble sonner le glas de la proportion, et chercher à comprendre comment ces architectes avaient puseconfronterauthèmedu«grand»bâtiment.Bignessétant un terme complexe, il me semble important de revenir sur la théorie proposée par Koolhaas et de préciser cequejevoulaistirerdecettedéfinition.

Si cet énoncé théorique a d’abord voulu aborder la questionbienspécifiquedeshôpitaux,ilm’estviteapparuque cette typologie revêtait trop d’enjeux dépassant lasimple composition et les attributions de l’architecte, en toutcasdans sa formecontemporaine,pourque l’onaitpu franchement tenter d’appliquer quelques règles deproportions que ce soit. Seul Le Corbusier semble avoir tentécedéficommenousleverrons.

Le champ de recherche s’est donc élargi à des bâtiments d’une échelle conséquente qu’on appele parfois«machines»etquipossèdentdifférentsniveauxdelecture,sommairement de l’utilisateur à la ville, dans des contextes urbains bâtis et denses.

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notes1. LUCAN Jacques, Composition,Non-composition, Lausanne, PPUR, 2009

2.Voirpp.25-37,sujetégalementparBOUDONPhilippe,Introduction à l’Architecturologie, Paris, Éditions Dunod, 1992

Double page de S, M, L, XL publié par The Monacelli Press (New York, 1995), Photo Criticat

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a _ critèresÉchelle & Bigness

Un des enseignements que l’on peut tirer de la première partie de cet énoncé serait la place du débat théoriquedansl’architecture.Lafrontièreentrethéorieetpratiqueatoujoursétécomplexeetfluctuante.Sipendantla Renaissance tout l’intérêt était porté au dessin, les réalisationsdifféraientparfoistrèslargementduprojet,cetétatdefaits’estcomplètementrenverséaveclesarchitectesmodernes qui apportaient grand soin à leurs réalisations avec une pratique du chantier plus assidue. Dans les deux cas, l’architecte était praticien et s’il développait une théorie celle ci dérivait de sa pratique.

Ces quarante dernières années, les disciplines semblent se séparer. Certains architectes préfèrent délaissercomplètement la pratique pour développer une activité critique et théorique de l’architecture. Ainsi des architectes,commeKennethFrampton,SiegfriedGiedion,Christian Norberg-Schulz, ou Bruno Zevi ont passé leurs vies à développer des travaux théoriques, d’autres comme Philippe Boudon veulent aller encore plus loin et développer une scientificité de l’architecture avec sonpropre lexique et ses propres outils.

Dans ce vocabulaire, semble se distinguer assez clairement la question d’échelle comme outil principal du travail de l’architecte. Roland Barthes écrivit :

«L’architecture, cet art de la taille des choses»1

Oncomprendalorstoutl’enjeuqu’ilsembleêtrefaitdelataille,dufaitdedonnerunedimensionetalorsdupassageduprojetmentalauprojetréeletl’importancede cette question d’échelle. Dans ce système, la proportion vientréglerlesrapportsentrelesdifférenteséchellesd’unbâtiment.

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«Dans l’histoire de l’architecture, la notion d’échelle fait sonapparitionsignificativementauXIXème siècle. Si elle commence à prendre corps et à devenir une réalité pratique dans le Modulor de Le Corbusier, dernier en date des systèmes de proportions, il reste à donner à cette notion le statut de concept dans une théorie scientifiquedel’architecture.»2

Selon P. Boudon, il reste encore de larges champs de l’architecturologie à définir pour créer une réellediscipline scientifique. Il est intéressant de constater que, tout comme les théoriciens de la Renaissance qui avaient déjàunproblèmepourcrédibiliser l’architecturecommediscipline artistique mathématisée et sont allés puiser leurs théories dans les règles musicales pour comprendre leur problèmes3, les théoriciens modernes ont également des problèmesàrésoudredontlaclef resteàtrouver.

Il semble donc que l’objet de ces analyses aurait toutintérêt à se porter sur des bâtiments où la grande diversité d’échelleàcoordonnerrevêtunenjeuprimordialetoùlaquestiondeproportionestdoncunfacteurclef dutravailde l’architecte.

«La meilleure raison de s’attaquer à la Bigness est celle que donnent les grimpeurs du mont Everest : «parce que c’est là».La Bigness est le comble de l’architecture.»4

Parallèlement à ce premier critère de sélection pourlescasd’étude,j’aivoulurevenirsurlacritiqued’untype d’architecture qui me semble se rapprocher de cette problématique. Formulé par un théoricien-praticien : Rem KoolhaasàtraverssonmanifestedelaBigness.Koolhaasdans son article paru dans Domus en 1994 pose ce qu’il pense être les limites de la composition dans l’architecture moderne.

Comme d’autres architectes de sa génération (Peter Einsenman, Bernard Tschumi entre autres) à travers différents arguments, il propose une remise en causeprofondedenotrefaçondeconcevoirl’architecture.

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Les règles séculaires héritées de l’histoire de l’architecture, proche comme lointaine, n’auraient plus cours dans une société moderne où la place de l’homme, les idéaux sociaux et politiques, les performances techniques ontprofondément évolué, de manière trop radicale pourprolonger l’évolution historique traditionnelle.

Des méthodes nouvelles et plus libres de composer devraient alors être employées, des questions comme la placedunumériquedansleprocessusduprojet,l’utilisationde diagrammes, de paramètres, de statistiques, le partage de la pensée avec une équipe de techniciens, d’ingénieurs, de sociologues,devraientmodifier laconceptionde faireduprojet.

«La Bignesss est le dernier bastion de l’architecture - une contraction, une hyper-architecture. Ses contenants seront les monuments d’un paysage post-architectural [...]. La Bigness cède le terrain à l’après-architecture.»5

Les points communs de ce corpus de travail seront une grande variété d’échelles impliquant une complexité de relation dans la composition des bâtiments. Une taille et une richesse programmatique qui pourraient les classer dans une typologie de la Bigness qui reste volontairement assez large et qui se tournera également vers cette conception moderniste du «bâtiment-machine» pourtrouversonsensainsiqueverslesprojetsurbains.

Puisparrapportàcescritèresrelativementobjectifsmaistrès larges, il me semblait important d’introduire des choix plus personnels pour affiner la sélection. D’abordunparamètredeproximitéoudefamiliarité:choisirdesbâtiments dans un contexte facilement appréhendable,si ce n’est similaire à des événements déjà vécus, demanière à en saisir les enjeux d’échelle et d’intégrationurbaine plus clairement. Il me parait important que ces exemples manifestent une posture forte par rapport àla ville mais dans un environnement familier qu’il soitfaciledesereprésenter;lavilleoccidentaleetlescampus

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me semblent des terrains de travail qui rentrent dans notre compréhension. Egalement introduire un critère «théorique», que les projets selectionnés fassent partied’une pensée plus vaste de l’architecte de manière à en dégager des lignes claires et non se focaliser sur uneréflexionanecdotiqueaucoursd’uneréalisation.

Enfin,unesélectionrestreinteàquatrecas,carl’objetdece travail n’est pas une lecture exhaustive des proportions dans la production contemporaine mais plutôt la tentative d’appliquerune lecturedans lebutde faireressortirunepensée,untravailduprojet.

Cesdifférentscritèresm’ontamenéàchoisircestravaux :

- L’Hôpital de Venise de Le Corbusier

- Les logements de Peabody Terrace de J. L. Sert

-LeWexnerCenterfortheartsdePeterEisenman

- Le Grand Palais d’Euralille de Rem Koolhaas

Cesquatreprojets,quireprésententunepériodetemporelleassez courte,marquentpourtantune fracturedans la pensée architecturale. Le Corbusier incarne le mouvement moderne alors que Koolhaas symbolise une remise en question profonde de la modernité et de lamanière même de faire de l’architecture. Nous verronscomment en une trentaine d’années les préoccupations architecturales et urbaines ont évolué, et avec elles la place de la composition et des proportions.Ces bâtiments, au programme complexe et à la taille conséquente, ont tous été des jalons importants dans lacarrière de leur architecte, il me semble que les leçons à en tirer sont nombreuses du point de vue des proportions bien sûr, mais également dans la manière de penser l’architecture.

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notes1. BARTHES Roland, L’obvie et l’obtus, Paris, Seuil, 1982

2. BOUDON Philippe, «PROPORTION», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 novembre 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/proportion/

3.WITTKOWERRudolf, Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, Les éditions de la passion, 1980, réédité en 2003

4. Traduction, FROMONOT Françoise«The best reason to broach Bigness is the one given by climbers of Mount Everest : «becauseitisthere»Bignessisultimatearchitecture.»O.M.A., KOOLHAAS Rem & MAU Bruce, S, M, L, XL, Rotterdam-New York, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, traduction in Criticat 01, Janvier 2008

5. Ibidem

Le Corbusier, Axonométrie et perspective avec le campanille et la basilique Saint Marc, 1964, Croquis à l’encre de Chine sur Velin, 27 x 21 cm

Le Corbusier, Le lit ici est mauvais, 1964, Etude au crayon sur papier, 27 x 21 cm

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Hôpital de Venise - Le Corbusier1963 - 1970

La carrière de Le Corbusier aura été particulièrement riche en projets dont finalement lesréalisations ont du mal à représenter toute l’étendue de sa réflexion ; si certains de ses projets avaient une viséeutopiquepourfaireréagirlesconsciences,ilenestcertainsque nombre d’architectes auraient voulu voir réalisés.

LedernierprojetduCorbusiersusciteencoreunegrandefascination1 : La situation, Venise, le programme, un hôpital,etlespremièresesquissesdeLeCorbusierontfaitde ceprojet unmythede l’architectureduXXème siècle. Hélas, la mort de l’architecte le 27 août 1965 marqua le déclinduprojet,malgréletravaildeGuillermoJulliandelaFuente, responsable duprojet à l’atelier de laRuedeSèvrespourfaireavancerl’élaboration,celui-ciferal’objetdediscussion jusquedans lesannées1970maisneverrajamaislejour.2

Dès 1959, le nouveau plan d’aménagement de Venise prévoit un hôpital pour remplacer l’hôpital San Giovanni e Paolo, qui ne répond plus aux attentes modernes, sur la zone de San Giobbe avec l’idée de conserver à Venise des infrastructures urbaines vitales auxhabitants pour éviterque la ville devienne un musée.3 En 1963, une consultation est lancée,mais les résultatsneconvainquentpas le jury,Giuseppe Mazzariol, directeur de l’IUAV propose alors de faireappelàLeCorbusier,enmars1964celui-ciaccepterades’occuperduprojet:

«L’hôpital est une maison d’homme, comme le logis est aussi une «maison d’homme». La clef étant l’homme : sa stature (hauteur), la marche (l’étendue) ; son œil, son point de vue ; sa main, soeur de l’œil. Tout le psychisme y est attaché en total contact. [...]Le bonheur est un fait d’harmonie. [...] C’est pour amour de votre ville que j’ai accepté d’être avec vous.»4

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Le Corbusier, Situation dans la ville, Echelle du document 1:750, Paris, 30 Mars 1965, encre de chine sur calque, 50 x 100 cm

Le site du projet se situe au Nord de la garede Venise, sur une zone aujourd’hui occupée par deslogements, mais au début du projet Le Corbusier estcontrecetteidée;pourlui, l’hôpitalestuneorganisationverticalequinepeutpass’intégrerauprofilhorizontaldelacitéetdoitsetrouversur la«terraferma».Différentesproblématiques sont déterminées comme essentielles pour faire la forceduprojet : la relationà l’eau, lerespectduprofilphysiqueethistoriquedeVenise,l’implantationparrapportà laville ; l’équipemédicaleavec laquelle il seraen dialogue permanent pendant l’élaboration du projet,convainc finalement Le Corbusier de l’importance d’unéquipement proche du centre, il va donc chercher une solutionetarriveràceprojetsurseulementtroisniveaux:deux niveaux en double hauteur pour l’accueil et la médecine de 5m de hauteur chacun, un niveau à 3 m 66 pour les chambres des malades puis un toit terrasse.Leprogrammeduprojetestunhôpitalde1200litsavecdifférents services spécialisés capable de répondre à lamajoritédesproblèmesdesantédelaville.

Ce qui nous intéresse ici est bien sûr l’intérêt porté aux proportions. Le Corbusier utilise, depuis 1950 leModulordontilafaitunlivreetunrubandemesures.Fruits d’une vie de réflexions sur les proportions etl’harmonie, le Modulor a concrétisé les aspirations de Le

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Le Corbusier, Maquette du second projet à l’échelle 1:1000

Corbusier à proposer un système de standardisation plus «juste» à ses yeux que lamoyenne que voulait proposerl’AFNOR. Il faut préciser le contexte historique d’uneEurope de la reconstruction qui cherche des systèmes pour rationnaliser les chantiers de logements.5 Si la plupart des architectes et des penseurs de l’époque reconnaissent dans ces mesures un système qui comme le dira Einstein «facilite le juste et complique le mal», comme nous l’avons vu précédemment, naîtra dans les générations suivantes une critiqueplusprofondesurl’universalitédelarègleetsonrapport à un homme moyen.6

La particularité de ce projet réside dans le fait que LeCorbusiervarevoir lafaçondepenserlacellule, ilvaenquelque sorte coucher le Modulor.Proche de la cellule d’habitation, la chambre d’hôpital n’estpourtantpasoccupéede lamême façon, luimêmemalade quand on lui commande le projet, Le Corbusier fait l’expérience d’être alité, il prend conscience que laspatialité change, on ne voit plus la pièce à 1 m 70 mais à 43 / 70 cm du sol.7 Il pense donc l’espace de la chambre comme le module de base du bâtiment et l’hôpital dans son ensemble apparaît comme une agglutination d’unité, de module, sorte de ruche.

Onpeutlire3phasesdifférentesduprojet, lespremièresesquissesàlafin1964duprojetpour1200lits,ladeuxième

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Le Corbusier, Second projet de masse, niveau 5, Echelle du document 1:500, Paris, 30 Mars 1965, Encre de Chine sur calque, 100 x 100 cm

version bien plus aboutie en avril 1965 et la dernière version élaborée par De la Fuente qui est une variante à 800litsprésentéeenfévrier1966.Cetravails’intéresseàla seconde version, la dernière élaborée avec Le Corbusier qui semble la plus intéressante par sa position urbaine.De la Fuente, explique très largement la démarche du projetlorsdelaprésentationdesplanchesauxétudiantsdel’IUAVle13avril1965,remplaçantLeCorbusierfatigué,il dit :

«Nousavonsd’abordétabliquelachoselaplusimportanteest la chambre et qu’un ensemble de chambres formerait l’unité d’hospitalisation. L’unité d’hospitalisation est un secteur à disposition des malades à laquelle on adjoint l’unité de soin, correspondant à la partie médicale. Puis nous sommes arrivés à la conclusion que vingt malades constituaient une échelle humaine nécessaire pour produire une relation avec le malade et l’équipe médicale.»8

Il faut également replacer cet hôpital dans son contextemédical, la médecine moderne prend tout juste formeaprès la seconde guerre mondiale et soigne enfin lespatients plus qu’elle ne leur offre l’«hospitalité», le litdevient l’unité de soin dans laquelle le malade sera ausculté, traité. Différentes typologies d’hôpitaux sonttestées par les architectes et les médecins, si le pavillonnaire

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Le Corbusier, Maquette du second projet à l’échelle 1:1000

est longtemps privilégié pour sa possibilité d’isoler les malades,leXXème siècle signe l’avènement de la barre, un hôpital super condensé dans lequel l’ascenceur prend toute son importance, la rationalisation devient totale, chaque patient à un lit, chaque lit à une chambre, ne devant pas être trop loin de l’ascenseur, qui n’est pas trop loin du bloc, qui n’est pas trop loin des urgences, etc.9

Pour ceprojet, c’est donc la chambrequi vamodeler lebâtiment, «l’élément créé à l’échelle humaine», qui va s’intégrer dans une structure urbaine. C’est la visite de la ville qui donne ensuite l’idée d’utiliser le système de «la calle e il campiello» : les ruelles et placettes vénitiennes qui vont se former autour d’une organisation en svastika des unitésd’hospitalisation et de soins.

«D’abord le malade, puis le groupe de chambres d’hospitalisation, puis le service de soins, et on peut agréger autant d’unité que désiré pour agrandir le service. Cela constitue des éléments autonomes que nous avons appelé unité de bâtisse, qui s’imbriquent entre eux dans un système logique.»10

On voit ainsi la démarche logique à travers laquelle le Corbusier arrive à créer un système pour passer de l’échelle du malade à l’échelle du bâtiment en gardant des proportions cohérentes. Toutes les solutions trouvéesparLeCorbusierseréfèrentàlaville,lesruelles

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Le Corbusier, Second projet de Masse, coupes et élévations de l’hôpital, Echelle du document 1:500, Paris, 30 Mars 1965, Encre de Chine sur Calque,100 x 100 cm

et placettes veulent donner l’impression au malade d’être dans une ville et non dans un hôpital ainsi éviter les longs couloirs monotones, le système d’ouverture des chambres quiregardentversleciel,laseulevraiefenêtredeVenisepour Le Corbusier.

Cette articulation donne le dernier niveau aux chambres d’hôpital, il est décidé de laisser le rez-de-chaussée à la ville, le second niveau est donc destiné à la médecine pour les interventions spécialisées et les diagnostics,lahauteurtotaledubâtimentn’excèdejamais13 m 66 pour respecter la hauteur moyenne de la ville. Un système de rampes connecte les chambres et les niveaux inférieurs,desascenseursfontlelienentrelesdeuxniveauxbas.

«Pour cette raison, l’hôpital est vénitien, parce que tout est né de la ville : c’est une sorte de conjonction poétique entre la fonctionnalitéetl’observationdelavilleetdesesspécificités.»11

La nappe qui se déploie vers l’eau, ménage un grand nombre de puits de lumière pour les niveaux inférieurs,deux entités se décrochent de la masse, une partie traverse un canal vers le nord pour aller créer la pédiatrie, le pont ainsi créé accueille des logements pour médecins, une autre

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Le Corbusier, Second projet de Masse, plan et coupe de la chambre, Echelle du document 1:2, Paris, 30 Mars 1965, Encre de Chine sur Calque,100 x 100 cm

partiesetendversl’eauàl’ouestpourformerunponton.La simplicité de l’organisation en svastika des unités réussit pourtant à créer une richesse d’événements qui rend la morphologie de la nappe complexe à appréhender. De plus, tout comme la réflexion pour un musée infini, lesystème en croix permettrait d’agrandir l’hôpital si besoin.La situation sur pilotis et l’ouverture des niveaux bas rendent le bâtiment très poreux à la ville. Les différentsdécrochés et puits de lumière créent des places aux différentes entrées dans l’hôpital. Tout en réinterprétantdes typologies vénitiennes dans le bâtiment, Le Corbusier propose également de nouveaux campielli pour la ville pour prolonger Venise.

LeCorbusierdisaitdeceprojet:

«C’est un programme très particulier : une vieille ville, un problème extrêmement complexe, et il est impossible de le résoudre en utilisant les méthodes avec lesquelles nous avons fait de l’architecture jusqu’à maintenant.»12

Ilsemblequepourcettedernièreréflexionilavaitsuencoreunefoistranscendersaréflexionpouraboutiràunsystèmecomplexeimbriquantdifférenteséchellesavecdes rapports continus de l’humain au bâtiment.

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notes1. Pour preuve les différentes expositions du projet en 1965 avec LeCorbusierengrandepompepuisen1972parScarpapour laXXXVIBiennale, en 1985 pour l’exposition De Palladio à Le Corbusier puis en 1987 pour le centenaire de la naissance du Corbusier. La bibliographie est égalementassezcopieusepourunprojetquin’apasvulejour.

2. FARINATI Valeria, HVENLCHôpitaldeVeniseLeCorbusier, inventarioanalitico degli atti nuovo ospedale, IUAV, 1999

3. Ibidem

4. Lettre du Corbusier à Carlo Ottolenghi, Paris, 11 mars 1964, Archives duprojet

5. JEANNERET Charles-Edouard, dit Le Corbusier, Le Modulor, l’Architectured’aujourd’hui,,1950

6. Voir pages 53 / 59

7. DUBBINI Renzo, SORDINA Roberto, HVENLCHôpitaldeVeniseLeCorbusier, testimonianze, IUAV, 1999

8. Traduction, GUIDI Sébastien :«Quindi,abbiamoaffermatochelacosapiùimportanteèlacameraecheuninsiemedicamereraggruppateformanol’unitàdidegenza.Nell’unitàdidegenza,unsettoreèa disposizione dei malati e l’altro, l’unità di cura, corrisponde alla parte medica. Poi, siamo arrivati a stabilire che ventotto malati costituiscono una scala umana necessaria per produrre la relazione tra il malato e l’équipe medica che deve lavoro.»DE LA FUENTE Guillermo Julian, «Il progetto è la parola del maestro», 13 avril 1965, IUAV, transcription de l’enrigestrement sur bande magnétique, in FARINATI Valeria, HVENLCHôpitaldeVeniseLeCorbusier,inventario analitico degli atti nuovo ospedale, IUAV, 1999

9. BINET Jacques-Louis, Dessins : BURAGLIO Pierre, Les architectes de la médecine, Besançon, Editions de l’Imprimeur, 1996

10. Traduction, GUIDI Sébastien :«prima il malato, poi i gruppi delle camere dei malati, poi i servizi per le cure mediche, e si possono aggregare due, tre, quattro o cinque unità. Individuata cosi quella che chiamiamo l’unité de bâtisse - l’unità costruttiva - e afffiancate via le altre unitàcostruttive,abbiamodefinitounsistemalogicoperraggrupparetralorotaliunità.»DE LA FUENTE Guillermo Juian, Ibidem

11. Traduction, GUIDI Sébastien :«Per questa ragione l’ospedale è veneziano, perché tutto è nato da questo: è una sorta di congiunzione poetica tra la funzionalità e il modo di osservare la città e la sua specificità.»Ibidem

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Le Corbusier, Maquette des chambres d’hôpital à l’échelle 1:1 construite sur la terrasse de la blanchisserie de l’hôpital civil Santi Giovanni e Paolo di Venezia, Photo Ferruzi, 1965

12. Traduction, GUIDI Sébastien :«Io trovo un programma molto speciale : una vecchia città, un problema di una complessitàenormeedèimpossibilerisolverloconilmetodoconcuihannolavoratofinoa oggi gli architetti.»Ibidem

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Le complexe résidentiel, vu depuis le Nord, 1964

Le complexe résidentiel,vu depuis l’Ouest de l’autre rive de la Charles River, 1964

Peabody Terrace - Josep Ll. Sert1962 - 1964

Après la première génération d’architectes du mouvement moderne qui concrétisent leur grande révolution dans la construction du siège des Nations Unis, etdontLeCorbusierestlafiguredeproue,émergedanslesannées 1950 une seconde génération de modernes.Colin Rowe parlera d’une prise de conscience qui va pousseraudéveloppementd’écolesrégionalesdontferontpartie les Smithson, Aalto, Niemeyer, Rogers entre autres.1 Casabella ou Architectural Design vont être les portes paroles de ces mouvements. En Italie, les conceptions de «préexistences historiques» apparaissent et en Angleterre, se posent des questions de «caractère local, de valeurs sentimentales, de pittoresque». Lesdoctrinesmodernessontmisesencriseetlaréflexionse tourne au plus près de l’usager, la révolution de la reconstruction reste une utopie et le rationalisme urbanistiqueneserajamaisréalisé.

Josep Ll. Sert qui a du quitter son pays après ses études à cause de la république espagnole, n’a pas pu participer à la tendance régionaliste locale. De 1949 à 1956, il présidera les derniers C.I.A.M. et assistera à la décadence du mouvement international, mais en 1953 il est nommé doyen de l’Ecole d’architecture de Harvard succédant à Gropius. Ceposteluipermettradesefocalisersursonenseignementet de développer des projets d’urbanisme concrets, àtravers l’aménagement de campus universitaires. Il aura la libertédemeneràtermedesprojetsquin’auraientpasvulejourailleursdansuneamériquemaccarthystequin’avaitpas beaucoup de sympathie pour des recherches urbaines jugéesd’«inspirationmarxiste».

Ces grands domaines de campus appartenant à des coopérativesàbutnonlucratif,étaientjustementdestinésà accueillir des logements et des services pour les étudiants

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Plan de situation de la zone Harvard square à Cambridge (Massachussetts), Peabody Terrace en 2

et lesprofesseursdans lapluspure traditionaméricaine,sortes de ville miniature.Sert à travers des livres comme «Can Our Cities Survive ?» va montrer une grande préoccupation pour l’urbanisation en cours qui semble incontrôlable.

«Les communautés urbaines ont augmentés au-delà de toute échelle humaine»2

Le coût exponentiel de l’étalement urbain à très faible densité ainsi que l’anarchie des centres-villesà la congestion toujours plus forte inquiète Sert,mais ilest également très critique des projets de ses collèguescomme E. Beaudoin et M. Lods avec la cité de la Muette à Drancy, ou Le Corbusier avec son plan pour St Dié ou l’unité d’habitation à Marseille qui sont, selon lui, tout aussiinapteàrésoudrelesproblèmesd’urbanisme;etàcetitre,ilrejettelacharted’Athènes.

À travers les campus de l’université de Boston, de l’université de Guelph et surtout de Harvard, J. Sert aura la possibilité de mettre en pratique ses propres théories urbaines. Pour lui, la ville rationaliste a manqué de richesse et de mixité d’usage, d’interactions entre logements privés, commerces de proximités, complexes de bureaux et institutions

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Plan de l’ensemble de logements. Une avenue centrale pour piétons traverse le tout, reliant le quartier avec la rive.

publics, minimisant l’importance de la topographie, du climat et du contexte. Sert était convaincu d’un problème de taille et d’échelle dans l’architecture moderne, selon lui c’est par l’analyse de la composition des villes existantes et des règles de proportion mathématique - de Le Corbusier ou de Ghyka ainsi que dans la peinture moderne - qu’il étaitpossibledetrouvercommentharmoniserdesprojetsde grande échelle avec le quotidien des usagers.3

L’université de Harvard sera ainsi un des plus gros client de l’agence Sert, Jackson et associés. Proche de la ville de Cambridge, le campus qui n’avait pas de réel pland’aménagementjusquelà,commencaitàconsommertrop rapidement les terrains disponibles. Outre le plan d’aménagement, l’université commanda trois bâtiments à l’agence de Sert : le Centre Holyoke, la Faculté des Sciences et les dortoirs pour étudiants mariés (Peabody Terrace).

«Cesontdesédificeschargésdesignification,car ils fontfigurede«portails»et,enmêmetemps,ilsapportentdanslepanoramaurbain comme le signal illustrant le parcours.»4

Ces logements vont donner l’occasion à Sert de concrétiser ses idées et de prouver que l’on peut embrasser les idées modernistes tout en portant attention au caractère du lieu et en créant un sentiment unique de localité. Les

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Photo depuis l’espace public le long de la rivière Charles, 1964

bâtiments sont situés au bout d’une série d’habitations pour étudiants s’alignant le long de la rivière, ils terminent la perspective. Depuis l’autre rive, ils marquent le début du campus.Troistoursde22étagesformentuncentreautourduquel s’alignent des bâtiments de 7, 5 et 3 étages pour un total de 497 appartements qui viennent se connecter avec l’échelle des quartiers périphériques et concrétiser la connexion avec la ville.

«Un aménagement compact avec une forte densité de population, protégé par des espaces publics généreux et pérennes.»5

Dansceprojet,Serttentedeconnecteràlafoislaville de Cambridge, et à travers elle, la ville de Boston qui lui est contiguë, et le campus de Harvard. Il mélange deux échelles, le campus et la ville, aux densités très contrastées. Serttentededensifierlecampuspouréviterunétalementbâti alors que la ville proche est constituée de banlieues résidentiellesdefaibledensité.

Il va également mettre en place une autre de ses convictions: que l’interaction sociale se constitue autour des monuments,6 l’alternance de tours, relativement massives pour le contexte, et de bâtiments plus bas, crée un ensemble urbain cohérent. Ainsi les étudiants mariés, qui font à la fois partie du campus deHarvard en tant

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Plan type des appartements dans les tours.

qu’étudiantetdelavilledeCambridgeentantquefamille,seront situés sur un entre deux mettant en relation deux échelles.

L’implantation des tours en hélice et les bâtiments bas adjacentsmatérialise troisespacespublicsdeproportionsdifférentes. L’espace principal au centre de l’alléepiétonne, de forme carrée, donne lieu à une interactionentre les commerces et les services publics. Construite sur différentsniveauxcréantdesassisesencastrées,ilfavoriseles rencontres et la vie publique des résidents.Les deux autres espaces de forme rectangulaire, l’undevant la rivière et l’autre plus au nord, sont quand à eux desparcs,des respirationsdans lebâti,qui toutà la foisbrisent le vent, créent de l’ombre et servent de terrains de sportpourlesenfants.

Lecaractèreuniquedechaqueplacecombinéauxfaçadesdes bâtiments variant suivant l’orientation, crée une réelle diversité d’identité. Cette nouvelle typologie de bâtiment en «Unité de voisinage» se rapproche de celle d’autres architectes aux idées novatrices dans l’urbanisme mais se démarquedesprojetsdeKahn,d’Atelier5oudeBakema.En plus de la dimension sociale et de la prise en compte du caractère et de la topographie du lieu, Sert croyait profondémentdanslebesoindecomposition,unequalité

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en plus, qui rendrait l’architecture réellement attrayante à ses usagers. Mais si le plan de masse s’appuie sur une grille géométrique, Sert l’a «tempéré» par de légères variations - la touche «artistique» probablement inspirée par ses relations avec Miro, Léger, Calder - en pivotant une des tours vers la rivière.

De même, si tout le complexe réside sur un module de neuf carrés sur 3 étages de béton coulé sur place, Sertréussit à créer 17 variations d’appartement de une à trois chambres. Il utilise également le Modulor pour la plupart desdimensionnements,pourlesappartements,lesfaçadeset la plupart des espaces communs.

Néanmoins, le projet de Josep Sert n’est pas exempt decritiques, malgré sa volonté d’adaptation au contexte, le projetsesituedansunerégionauclimatrelativementfroidmais aucun espace commun n’est intérieur et les places ne sont pas très conviviales en hiver. De plus, la grande taille du programme rend les rencontres très anecdotiques. La mixité dont rêvait Sert et le mélange avec les banlieues de Boston ne s’est jamais vraimentréalisés. Certaines critiques sont également émises sur les appartements pas assez fonctionnels, ou les fenêtres tripartites qui divisent les fonctions lumières, ventilation etvuemaisquiducoupn’offrentquepeud’ouverture.

DanslestrèsnombreuxprojetsdeSert,celuicisedistinguepar le nombre d’idée qu’il a essayé de mettre en place, mais,malgré toute cette volonté théorique, la formen’apas fonctionné, tendant encore une fois à prouver qu’iln’y a pas de recettes, il n’y pas «une» juste proportionuniverselle mais une proportion à trouver, que Josep Sert a peutêtremanquédepeudansceprojet.

«Nous dessinons des projets qui ont l’air très bien enmaquette ou à l’échelle d’une page de magazine, mais qui sont terribles à leur taille réelle.»7

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Photographie des appartements témoins, 1964

notes1. ROWE Colin, «Neo-“classicism” and modern architecture II» , in The mathematics of the ideal villa and other essays, Cambridge, M.I.T. Press, 1957

2.FREIXAJaume,Josep Ll. Sert, Zurich, Les éditions d’Architecture, 1980

3. L’intérêt de Sert pour la proportion humaine dans la ville se lit pendant de longues années : dans des articles comme «The human scale in City Planning» in ZUCKER P. New Architecture and City Planning, New York, 1944 ; dans ses cours à Harvard avec GIEDION et SEKLERintitulé «TheHuman Scale» ; dans sa conférence intitulé «DeDivinaProporzione;oudansdifférentesinterviews,SERTJ.L.«UrbanDesign»,Progressive Architecture, August 1956 ou «Memo for Harvard GraduateSchoolof Design2ndUrbanDesignConference»,1957

4. Traduction, GUIDI Sébastien :«Communities, have grown beyond the human scale.»Sert in notes dated 28 december, «Correspondence 1952 July - Dec CIAM»

5.HarvardUniversityPlanningOffice,AnInventoryforPlanning,1960

6. SERT J. L., GIEDION S., LEGER F., Nine points on Monumentality, 1943

7. Traduction, GUIDI Sébastien :«We design things that look very well as models or blown down to magazine-page size, but very bad when blown up to full size.»SERT J. L. «Urban Design», Progressive Architecture, August 1956

Peter Eisenman, Wexner Center for the Arts, Dessin et collage, 1984

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Wexner Center - Peter Eisenman1983 - 1989

A la manière des artistes de l’art moderne ou de certains travaux de Marcel Duchamp, Peter Einsenman s’intéresseàlaprojectiondeformequenousnepouvonscomplètement appréhender par nos sens, il propose à l’usagerde se confronterà sesprojets sansàpriori, sanspréconception :

«Comme toutes les énigmes, ce ne sont pas des choses à contemplermaisàdéchiffrer»1

Si l’on peut aborder son architecture comme un simple objet esthétique, celui ci n’est pas extrait de toutcontexte socio-politique. Ses bâtiments ne sont pas des objets posés dans un décor mais ils font bien partie deleur contexte, un contexte où l’homme est devenu dans les années 80 un homo ludens2, coincé entre «les évolutions technologiques sans fin et l’éventualité d’une guerrenucléaire».3 Mais ce déracinement est aussi l’apanage d’une certaine avant garde post-moderne dans laquelle Kenneth Frampton classe Eisenman comme Gehry ou Koolhaas. Ce sont des architectes également inspirés par les propos déconstructiviste de l’écrivain J. Derrida.

Le positionnement de Eisenman par rapport aux proportions est également complexe à l’image de son architecture. La démarche de Peter Eisenman est de développer une réflexion intellectuelle qui le détache del’anthropocentrisme de l’architecture. Dans ce sens, il rejette les théories dumouvementmoderne et toutes lespensées qui s’y rattachent.

«Le Modulor a occulté le seul aspect du travail de Le Corbusier véritablement moderniste : en tant que signe référentiel propre, dans le discours d’une architecture qui parle d’architecture»4

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Peter Eisenman, Wexner Center for the Arts, Plan du campus

Il garde pourtant une grande admiration pour la rationalité de l’architecture de Le Corbusier tout en critiquant l’«humanisme» qui a motivé son travail. Il utilisera néanmoins le Modulor pour dimensionner ses premières maisons.4

«Le Mouvement Moderne en architecture fut une variation stylistiquesurdesthèmeshumanistes(«fictions»)liésàlareprésentation,à la raison et à l’histoire. Comme tel, il fait conceptuellement partie du même épistème qui a gouverné les 500 dernières années de l’histoire architecturale,différantseulementdanssaprétentionaudétachementdesdifférentestechniquesquiontétabliesleparadigmeduclassique.Le modernisme a été principalement intéressé par la recherche de l’intemporel, de l’éloquent, de l’ordre pour devenir une nouvelle version du classicisme.»5

Si Eisenman finira par se détacher du Modulor, ilremontera à ses sources : la section d’or et le rapport A/B =B/A+B.Dans son travail avecDerrida«Choral Works» ils seront également très intéressés par le Timée et même si Platon n’y parle pas clairement du nombre d’or, il mentionne pourtant les solides réguliers que l’on retrouve danslestravauxduprofesseurEisenman.

CeprojetfutlepremierbâtimentpublicdePeterEisenman après avoir développé une vision théorique et

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Peter Eisenman, Wexner Center for the Arts,Axonométrie du projet

critique pendant des années ; attendu par la critique, ila également été le premier bâtiment déconstructiviste de cette taille.

Ceprojetdecentrepour lesartsvisuelspour l’universitéde l’Ohio, fait appel à la fois à l’historique et autopographique pour ancrer etmatérialiser le projet ; lesproportions ne semblent pas y tenir une grande place, mais la question de l’échelle reste néanmoins très présente.

Le campus d’Ohio State se situe à proximité de la villedeColumbusetilsformentmaintenantunecontinuitébâtie.Pour sedifférencierde laville, les ruesducampusont adoptéune grille pivotéede12,25degrés.Leprojetde Eisenman se situant à la rencontre de ces deux grilles, il propose un croisement et une excavation entre les deux systèmes, la grille de la ville ménage les circulations dans la trame du campus qui règle le bâtiment. De plus, Eisenman est allé chercher les «traces» (réelles ou imaginaires) de l’anciennearmurerieducampusdétruiteen1959,jouantavec l’image des tours déconstruites de l’ancien bâtiment.

«L’extension de la grille des rues de Columbus génère un nouveau cheminement piéton dans le campus, un axe Est-Ouest en pente. La colonne vertébrale du bâtiment s’accroche sur cet axe, une double circulation - une asymptote s’étendant depuis l’ovale central du

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Peter Eisenman, Wexner Center for the Arts,Plan et coupe du projet

campus-quisortdusol,etcourtduNordauSud.Cetteallée-dontune moitié est protégée par du verre et l’autre est enfermée dans un échafaudage - est perpendiculaire à l’axe Est-Ouest. Le croisement de cesdeuxaxes«fondateurs»n’estpasunesimpleintersectionmaisunévénement,littéralementle«centre»pourlesartsvisuels,unitinérairede circulation par lequel les gens devront passer pour aller ou revenir de leursactivités.Néanmoins,unegrandepartiedubâtimentn’estpasuneconstructionensoit,maisune«absencedebâtiment».L’échafaudageest traditionnellement la partie la plus éphémère d’une construction. On l’utilise pour construire, réparer ou démolir un bâtiment, mais jamaisdemanièredéfinitive.Ainsi,lafonctionprincipaled’uncentrepour les arts visuels, qui est normalement d’abriter les œuvres, n’est pas figuréeparlebâtiment.Pourautantquecebâtimentaccueille,ilnelemontre pas.»6

Eisenman prône un discours architectural qui puisse être autonome et indépendant de son contexte, libre de valeurs externes et qui permettrait à l’architecture de «jouer dans l’intervalle de la libre expression, de l’arbitraire et de l’intemporel».7

La grille devient un reliquat archéologique fictif quilui permet de justifier l’implantation, la structure et lacirculationdesonprojet.Ilsesertd’«excavationartificielle»etdescénariosquiluipermettentdetransformerlespetites

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Peter Eisenman, Wexner Center for the Arts, Axe Nord Sud

histoires du site pour créer une connexion conceptuelle entre l’ancien et le nouveau campus.

En jouantavec lesgrilles,artefactmoderniste,Eisenmana créé une nouvelle armature qui se veut bien plus qu’un simple centre, qui manipule l’histoire du site, les axes et les points de vues du campus qui deviennent alors étrangers et méconnaissables.La«greffe»decettenouvellegrillenefaitplusdubâtimentune division entre les deux mais une négociation du territoire ; ce nouveau paysage, ces échafaudages et lesdifférentesinterventionsspatialesbrisentladialectiquedelaformeetducontexte.

L’échelle des grilles a dû être cependant manipulée pour s’adapter à leur usage de cheminement ou de structure. L’échafaudage semble être une version géante d’unesculpture de Sol Lewitt et l’intérieur du bâtiment reprend également beaucoup de vocabulaires du langage des artistes minimalistes de l’époque.

De manière analogique à J. Derrida, Eisenman conçoit ses plans comme des textes. D’un point de vue sémiotique, le sensn’enest jamaisépuisé ;denouvellesadditionsoumodifications dans le plan/texte ouvrent de nouvellesinterprétations. Comme dans un texte, il y a la possibilité

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Sol LeWitt, Construction cubique Vs Peter Eisenman, Wexner Center, Echaffaudage permanent

de faire des erreurs d’interprétation. Ou, comme le ditEisenman, un texte ne mène pas à une vérité ou une conclusion, mais, au contraire, il mène à des interprétations souvent erronées.

Ainsi ce bâtiment complexe à appréhender manipule toute une série d’échelle pour s’intégrer à son contexte. Les proportions mises en œuvre pour lier cette structure paraissent à l’image du centre, tout aussi étranges, les usagers ont du mal à se repérer dans le bâtiment et P. Eisenman se vantait même du sentiment de malaise que peut procurer son bâtiment.8 La recherche déconstructiviste menée à terme dans cette réalisation laisse perplexe quand aux réelles qualités d’usage procurés par ces espaces.

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notes1. GRAAFLAND Arie, «Introduction» in GRAAFLAND Arie, Peter EisenmanRecentProjectscontibutionsbyP.EisenmanK.FramptonA.GraaflandJ.Kipnis J. Derrida, Amsterdam, SUN, 1989

2.DanslaréflexiondeEisenman,suivantlathéoriedeJohanHuizinga,l’homme serait passé du statut d’homo sapiens, l’homme qui sait, à l’homo faber,quifabrique,jusqu’àl’homo ludens,quijoue,quisecréedesrègles.

3.FRAMPTONKenneth,«EisenmanRevisited:RunningInterference»,in Ibidem

4.EISENMANPeter, «Aspectsof Modernism :MaisonDom-inoandSelf-ReferentielSign»,Oppositions, n°15/16, 1979

4.Eisenmanc’est également servide lagrilleduprojetde l’hôpitaldeVenisepoursonpropreprojetdanslequartierduCannaregio

5. EISENMAN Peter, «The End of the Classical: The End of theBeginning,theEndof theEnd»,Perspecta:YaleSchoolof Architecture,Vol. 21, 1984, pp. 154-173

6. Traduction, GUIDI Sébastien :«The extension of the Columbus street grid generates a new pedestrian path into the campus, a ramped east-west axis. The major circulation spine of this scheme, a double passageway - an asymptote extending from the central oval of the campus - wracks out of the ground, and runs north-south. This passageway - one half of which is glass-enclosed,theotherhalf of whichisenclosedinanopenscaffolding-isperpendicularto the east-west axis.The crossing of these two «found»axes is not simply a routebutanevent,literallya«center»forthevisualarts,acirculationroutethroughwhichpeople must pass on the way to and from orther activities. Thus, a major part of the projectisnotabuildingitself,buta«non-building».Scafoldingtraditionallyisthemostimpermanent part of a building. It is put up to build, repair or demolish buildings, but it never shelters. Thus, the primary symbolization of a visual arts center, which is traditionallythatof ashelterof art, isnotfiguredinthiscase.Foralthoughthisbuilding shelters, it does not symbolize that function.»EISENMAN Peter, Architecture and Urbanism, Tokyo : A + U Publishing Co., 1988

7. EISENMAN Peter, «The End of the Classical: The End of theBeginning,theEndof theEnd»,Ibidem

8. EISENMANPeter, «EnTerror Firma: InTrails of Grotexts»,Pratt Journal of Architecture: Form; Being; Absence, Architecture and Philosophy, 1988

KRAUSS Rosalind, “Grids”, October, Vol. 9, Summer 1979

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OMA, Le Palais des Congrès et l’opération Euralille, 1995

OMA, Le Palais des congrès et les quartiers périphériques de Lille, 1995

Congrexpo - Rem Koolhaas1988 - 1994

Au début des années 1990, la construction du tunnel sous la manche donne une importance nouvelle à Lille. Le besoin est pressant de redéfinir le masterplan de la zone au croisement des routes régionales et internationales et proche de la gare TGV. Ce quartier, Euralille, a l’ambition de former un centre d’affaire, decommerce, de culture, d’art et de musique à une échelle européenne proche des grandes capitales anglaise, belge et française.1

C’est OMA qui sera commissionné du master plan et réaliseraainsi sonpremierprojetd’envergurebasésur laCulture of Congestion. Le choix de l’architecte s’est fondévolontairement,nonpas,surl’imageprésentéepourlefuturquartier, ou sur la capacité à résoudre la problématique, mais sur la mise en œuvre d’une pensée, d’une idée ambitieuse et d’une pratique théorique, un choix motivé par des questions politico-économiques.

Si les tours sont attribuées à des architectes françaiscomme C. de Potzamparc ou J. Nouvel, c’est également OMA qui aura la tâche de concevoir le Palais des congrès, un immense bâtiment de 45 000 m2 qui réunit plusieurs programmesdeconférencesetd’expositions.Après les concours pour la Très Grande Bibliothèque de France, le Zeebrugge terminal ou le parc de la Villette, c’est lapremièrefoisqueOMAvaseconfronteràlaréalisationd’un bâtiment d’une telle complexité programmatique.

Les premières études du Grand Palais, montraient unprojetrectangulairequienjambaitroutesetrailspourvenir terminer le master plan à l’Est, et ainsi connecter Euralille au tissu ancien de la ville. Il sera finalementconstruit sur une parcelle triangulaire et adopte un plan ovalequi se réfèreà lamystiquedumanifestedeOMA,

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OMA, Croquis conceptuel du plan masse d’Euralille, 1994

publié presque 20 ans plus tôt, voulant symboliser la naissance du centre de la mégapole Européenne.2

Congrexpo est un bâtiment de 300 mètres, conçu comme undiagrammeavec trois composantesmajeurs :Zenith,unesalledeconcertde5000places;Congrès,uncentredeconférenceavec3auditoiresprincipaux;etExpo,unesalle d’exposition de 20 000 m2.Tous ces éléments peuvent être utilisés indépendamment sur un axe Est-Ouest, mais des connexions permettent d’utiliser le bâtiment comme une seule entité sur l’axe Nord-Sud, mixant les programmes, générant des hybrides.2

Il n’y a finalement que le toit qui fait la liaison de tousces éléments. Le bâtiment ne présente pas une cohérence architecturale claire mais veut montrer qu’il peut créer des possibilités, presque une ville en soit.Chacune des trois zones adopte une identité propre, tantôt brute pour la salle de concert, tantôt raffinée pour lessalles de congrès, chacune adopte un vocabulaire propre qui brouille encore un peu plus la vision du bâtiment et fragmentel’unitédesurface.

L’esthétique du bâtiment qui mêle un véritable catalogue de matériaux peut être assez rebutante de prime abord et son rapport au contexte est assez ambigu, on en revient à une des caractéristiques de la Bigness «Fuck the context».3

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OMA, Diagramme de répartition programmatique du projet, 1994

L’échelle complètement démesurée du Grand Palais est également pour beaucoup dans l’impression ressentie d’un objetposédanslaville.

Dans un dessin de OMA «Size comparison»4 on voit six super-structures comparées au plan du Congrexpo: le Concorde, un Boeing 747, un Zeppelin, le Normandie, unporteavionetlaTourEiffel.Onremarqueégalementcette démesure dans le système structurel, ou plutôt dans les systèmes, tellement il est impossible de résumer la structure de ce bâtiment à une solution mais plus à un catalogue d’idées regroupées dans une enveloppe.La démesure de l’échelle dans laquelle Koolhaas veut inscrirelebâtimentsefaitalorsdeplusenplusvisible.Ledialogue qu’il veut créer dépasse l’échelle urbaine pour viser l’échelle de la métropole, de l’Europe.

«Ce qui était très important, c’était de comprendre l’échelle de l’opération, car l’échelle était littéralement incroyable [...] Nousétions dans une situation dans laquelle il y avait déjà beaucoup de données en présence»5

Koolhaas publie en 1994 son manifeste de laBignessetonnepeutdouterqueceprojetadûnourrirsaréflexionparsadémesureetsacomplexité.LeCongrexpos’inscrit dans la pensée de «Delirious New York» pour la

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OMA, Grand Palais à Euralille, en collaboration avec Ove Arup, Dessin d’avant projet,Niveau Principal, 1990-1994

diversité de programme que l’on trouve dans une même enveloppe et nous rappelle le Downtown Athletic Club célébré par Koolhaas comme l’apothéose de la Culture of Congestion.Laréflexionsurlagrandedimensionpourconcevoirleprojeturbain,seraitselonKoolhaasunmoyendeproposerunenouvelle formeafinde repenser lavillemoderne.

«A côté d’une ville ancienne relativement intacte, et d’atmosphère flamande, il s’agissait de greffer une forte densité deprogrammes.Nousavonsemployécesfigurescommedesélémentsdetransitionentreune échelle etuneautre.Nous lesavonsmanipuléescomme une série de grandes masses construites ou paysagères»6

L’architecture de grande dimension permet d’effacerlesdifférenteséchellesenlesabsorbantdansunseul contenant, devenant ainsi un «trou noir» qui gère les problèmes de composition.7 L’ensemble du bâtiment semble une collection de formes et de programmes quioutrepasse l’échelle humaine. Rem Koolhaas dépasse toute question de composition classique pour dessiner un bâtimentatypique,tenuparcetteseuleformeovaledontl’échelle dépasse complètement l’homme.

Néanmoins OMA est cohérent dans les proportions adoptées par le bâtiment : tout est grand, gigantesque, trop

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OMA, Grand Palais à Euralille, Les sorties de secours, référenceàArchigram

grand.Leréférentn’estclairementplusl’hommeetonaréellement du mal à appréhender le bâtiment qui rentre sans mal dans la catégorie des «machines».

Tout comme Eisenman, Koolhaas cherche à perturber l’usager, dans la Salle Jeanne de Flandre par exemple, vaste salle ouverte sur une terrasse panoramique, le plafondest incliné vers l’extérieur pour créer un sentiment de compressionetdedilatationlorsdelasortie.Lesdispositifsemployés par OMA pour la composition sont pour le moins inédit mais tous très savament calculés pour prodiguer l’effetdésiré.Etsil’esthétiqueparaîtdatéeaujourd’hui,ellen’atoujourspasperdudesonoriginalité.

La Bigness de Rem Koolhaas, pour la première foisconcrétiséedanscevasteprojeturbainetbâti,adonnélieuà une sorte de télescopage des échelles, une vision utopique du réel. Cette réalisation n’est pas une totale réussite dans sa partie urbaine, mais elle a néanmoins créé un bâtiment trèsfonctionnel,quinetientpasàjouersurleterrainducontextuel mais qui parvient à être très commode pour ses usagers.

110

OMA, Grand Palais à Euralille, La matérialité du hall des expositions

notes1. GARGIANI Roberto, Rem Koolhaas / OMA : The Construction of Merveilles, Lausanne, PPUR, 2008

2. Ibidem

3. OMA - CONGREXPO, Description du projet par OMA, URL :http://www.oma.eu/projects/1994/congrexpo,consultéle20décembre2013

4. O.M.A., KOOLHAAS Rem & MAU Bruce, S, M, L, XL, Rotterdam-New York, 010 Publishers/Monacelli Press, 1995, traduction in Criticat 01, Janvier 2008

5. [Koolhaas - OMA 1987-1992], «Congrexpo in lille», El Croquis, n°53, 1992, p. 158-181

6. MENU I., VERMANDEL F., «Euralille, poser, s’exposer», SEM Euralille, Entretien avec Rem Koolhaas, 1995

7.DOUTRIAUXE.,«Euralille,entrevilleetbanlieue,unemétropolesur l’intervalle», Architecture d’Aujourd’hui, n° 280, avril 1992

8. MALVERTI Xavier, «La grande échelle de Rem Koolhaas», Lesannales de la recherche urbaines, n°82, Mars 1999

113

Herbert List, Hellas, L’acropole, Parthénon intérieur, 1937

- Épilogue

«S’il y a un idéal du beau, il repose sur une idée, pas sur un concept. Seul l’être humain peut le produire, ce qui implique de s’appuyer sur la raison, sur l’imagination et aussi sur la moralité.»1

Dans toute l’histoire de l’humanité, jamaisl’homme n’a été aussi libre dans sa création artistique que de nos jours. Les architectes, depuis leur émancipationde l’académisme classique enseigné par les Beaux-Arts, possèdent une totale liberté de composition.Il semblerait pourtant que malgré cette liberté beaucoup d’entre eux aient essayé de trouver des règles, des systèmes pourguiderleurpensée.L’influencedeLeCorbusiersursesdescendants est importante, nombreux sont les architectes à avoir tenté d’appliquer leModulor à leur projet,maisavec l’expérience des années et la pratique, ils ont pour la plupartrejetécesystème.

Se libérant d’un mouvement moderne que certains ont déjàqualifiédenouveauclassicisme,lagénérationactuelled’architecte, dont la pensée théorique est relativement importante, s’est complètement libérée du système de composition classique pour inventer ses propres règles, justifiantleurprocessdeprojetpardesscénarios,desfaitshistoriques ou statistiques.

Si les proportions ont connu un regain inattendu et relativement anachronique après guerre, la recherche de proportions universelles pour la construction semble très loin des préoccupations actuelles, et imaginer un retour de ces recherches semble peu probable dans le climat intellectuel qui nous entoure.

Malgrétout,larecherchedeproportionsintéressetoujoursunepartiedesarchitectesquicontinuentà seconfronterà la composition. Si les déconstructivistes ont fait lechoix d’une autre architecture, nombres d’architectes

114

contemporains restent attachés à la composition dans un sens plus classique et leurs recherches ne semblent pas faiblir,maissemblentplutôtseportersurdesdétailsplussubtils.

L’évolutiondelaréflexionsurlesproportionscorrespondraitfinalement avec l’évolution de notre appréhension de labeauté et de ce que la société dans laquelle nous vivons définiecommebeau.

Si la société des humanistes de la Renaissance appréciait la régularité, la symétrie, le respect des ordres architecturaux, il semble que notre société ne voit pas la beauté dans les mêmes formes. Ou finalement ne serait même plusvraiment à la recherche de la beauté. L’éducation culturelle bien différente de nos aînés et larecherchedudiscoursde fondplutôtque l’appréhensionbrutdelaformeaprofondémentmodifiénotrevisiondel’esthétique. Probablement, la question de la beauté s’est dissoutedanslaquestiondelafonctionalité?

PourconclurejesouhaiteraisutilisercettecitationdeRudolf Wittkowerquiaprèslaréflexionmenéepourcetravailmesembletoujoursaussijuste:

«On peut prédire sans trop de risque que le «chaos organique»d’aujourd’huiestunemodeetquelarecherched’unsystèmede proportions […] continuera aussi longtemps que l’art restera une préoccupation pour l’homme.»2

115

notes1. KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger, Paris, Gallimard (Pléïade, tome 2), 1985

2. Traduction, GUIDI Sébastien :«Itcanconfidentlybepredictedthattoday’s«organicchaos»isapassingphaseandthat the search for systems of proportions in the arts will continue as long as art remains anendeavorof man.»WITTKOWERRudolf,«Systemsof proportion»,Architects, Yearbook, vol. V, 1953

117

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Remerciements

Mon groupe de suivi pour leurs précieux conseils :Christian Gilot, Luca Ortelli & Sara Formery

Ma famille pour le soutien, la patience et les corrections

JulianeLawrence, Agathe & Louis

Benoît, Robin, Anaïs & Colin

Janvier 2014

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