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LE VITRAIL DE SAINT LOUIS PAR M. CL. LAVÈRCNE Lorsqu'au mois de juin de l'année dernière, on rendait compte id-même des grisailles de la Chapelle de la Vierge, on se rappelle combien la cathédrale était tristement partagée à l'endroit de ce genre si riche d'ornementation, qu'on appelle le vitrail. A part les trois verrières de M. Gandins Lavergne et les deux panneaux de M. Steinheil dans la chapelle Sainte-Ce- neviève, partout la désolante uniformité du jour blanc que nous envoie ic soleil car je ne puis parier des deux croisées qui avoisinent la chapelle de la Vierge, sortes de laideurs plus affligeantes encore que le vitrage le plus vulgaire. - A cette époque le sanctuaire était donc livré, si j'ose dire, ù la nation de de la lumière extérieure l'église, cette patrie des âmes, n'avait plus son soleil consacré pal' les saintes images, sa clarté mystérieuse et chaste , si bien faite pont' illuminer la prière et recueillir la pensée. Ce vide va être comblé, et nous pouvons presque prévoir le jour où l'abside de Notre-Daine ne sera plus qu'une riche monture garnie de ses gemmes étincelâmes ce jour-là les humbles auront retrouvé le livre qui leur parle ait coeur, reconquis cette splendeur de la maison de Dieu qui qui les console de la nudité de leur demeure; - et la généreuse piété du riche aura effacé la trace du vandalisme du XVJIIO siècle, et doté l'église de sou plus bel ornement. Nous n'avons pas assez de voeux pour hâter l'entier accomplissement de cette pensée réparatrice. - Document 111111 I 1111111111111111111111 r 0000005518210

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LE VITRAIL

DE SAINT LOUIS

PAR M. CL. LAVÈRCNE

Lorsqu'au mois de juin de l'année dernière, on rendaitcompte id-même des grisailles de la Chapelle de la Vierge,on se rappelle combien la cathédrale était tristement partagéeà l'endroit de ce genre si riche d'ornementation, qu'on appellele vitrail. A part les trois verrières de M. Gandins Lavergne etles deux panneaux de M. Steinheil dans la chapelle Sainte-Ce-neviève, partout la désolante uniformité du jour blanc quenous envoie ic soleil car je ne puis parier des deux croiséesqui avoisinent la chapelle de la Vierge, sortes de laideurs plusaffligeantes encore que le vitrage le plus vulgaire. - A cetteépoque le sanctuaire était donc livré, si j'ose dire, ù lanation dede la lumière extérieure l'église, cette patrie des âmes,n'avait plus son soleil consacré pal' les saintes images, sa clartémystérieuse et chaste , si bien faite pont' illuminer la prière etrecueillir la pensée. Ce vide va être comblé, et nous pouvonspresque prévoir le jour où l'abside de Notre-Daine ne sera plusqu'une riche monture garnie de ses gemmes étincelâmes cejour-là les humbles auront retrouvé le livre qui leur parle aitcoeur, reconquis cette splendeur de la maison de Dieu quiqui lesconsole de la nudité de leur demeure; - et la généreuse piétédu riche aura effacé la trace du vandalisme du XVJIIO siècle,et doté l'église de sou plus bel ornement. Nous n'avons pasassez de voeux pour hâter l'entier accomplissement de cettepensée réparatrice.

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L'automne dernier a vu placer le premier auirieari de cettebrillante chaîne de verrières et, en contemplant à divers pointsde la cathédrale le vitrail de Saint-Louis, ou a déjà pu pres-sentir l'impression religieuse et l'ineffable harmonie que pro-duirait dans le sanctuaire toute une ceinture de ces précieuxjoyaux, inondant l'architecture robuste du XII- siècle de leursmille teintes diaprées.

Entre tin double rang de colonnettes annelées, s'ouvre unefenêtre cintrée, qnijetait naguère les rayons du plein midi jusquesur le maître-autel. Il importait de fermer tout d'abord cettelarge baie: et, d'ailleurs, c'est pour ces basses fenêtres, placéessous l'oeil mirne du spectateur, qu'on a toujours réservé tontesles délicatesses chu pinceau- et les détails multiples des pieuseslégendes. Quand au sujet, commandé déjà par le patron mêmede cette petite Chapelle, il était encore conseillé par tous lessouvenirs laissés chez nons , pat- le fils de la reine Blanche, parle fondateur de ce vieux Château-royal, ce Louvre de Senlis (4),qui dresse encore d'assez beaux débris en regard de Notre-Darne.

La verrière où M. Lavergne a retracé la vie héroïque du saintroi, se partage en huit compartiments carrés, produits par lacharpente en fer. -Dans chaque division s'inscrit titi

qui se relie au rectangle pal- ses attaches triangulaires.La réunion de ces médaillons forme sur le fond un lacis decroix latines; le centre de chaque croix est rehaussé par uncartouche circulaire aux couleurs de la maison de France. Ausommet du panneau , un cercle de fer circonscrit un neuvièmemédaillon. Cette ordonnance, si logique et si simple , produit,à distance, le meilleur effet. —Tel est le cidre où s'est enfermél'artiste : entrons dans le détail; et suivons le développementde ce poème, le plus beau peut-être que puissent offrir les -la-rieuses annales de notre pays.

i. En commençant de droite à gauche , nous sommes danstin oratoire derrière tiiie colonnadeado tenclne de, courtines depourpre et (l'or, Blanche de Castille est assise sur un trône la

(1) Voir tome il, P31C 36.

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belle et sévère princesse, absorbée dans un recueillement pro-fond, couve son jeune fils avec un regard de mélancolique ten-dresse; d'une main, elle le ramène entre ses genoux Louis,appuyé sur la jambe droite qu'il tourmente convulsivement dela gauche, les bras croisés avec force, suit de l'oeil Le doigtmaternel, et contemple ardemment le crucifix qui s'élève surun autel d'azur sous la sauvegarde de la croix, repose la cou-ronne du royaume; nue lampe est allumée. Chacun a déjà mur-muré le utol si populaire que celte scène traduit « J'aimerais« mieux vous voir mort, etc. » Louis lXréside tout entier danscette forte leçon si elle révèle la volonté indomptable de larégente, et son ardente dévotion, elle annonce aussi ce (lue doitétre un jour le roi. Posée sur de tels principes, sa vie ne flé

-chira pas, et le meilleur chrétien de France en sera aussi lemeilleur chevalier sur ce front soucieux et grave, dans ce re-gard fixe , dans cette attitude frémissante on devine qu'il sauraopposer à ses turbulents vassaux toute l'énergie qu'il déploie-rait devant Le mal. L'honneur et le devoir, - le devoir en dépitde tous les obstacles, l'honneur compris avec toutes les délica-tesses d'une conscience chrétienne, - ces deux-grandes vertusvont grandir ainsi sous les soins de la plus sainte et de la pluspoétique in si lin trce. Cette noble et exquise influence de laDame des Dames, qui élèvera le niveau moral du siècle commeelle inspirera sans cesse le roi, devait être marquée au débutde sa carri&e.

L'oratoire où se flotte si solidement tout ce drame héroïque,laisse apercevoir dans le lointain nu castel, qui mire ses tou-relles gothiques dans les belles eaux du lac de Comelle lesSe al isiens aimeront à retro

uver, à côté de la reine Blanche, le

souvenir du monument légendaire qui a gardé son nom (I).n. Le second médaillon nous transporte à Taillebourg. L'au-

torité royale a été bravée les barons de l'ouest lèvent l'éten-dard de la révolte; Hugues de Lusignan vient d'appeler les An-

(1) Peut-être est-il permis toutefois de regretter, qu'à la place deCC Pavillon sans valeur historique, on n'ait pas fait revivre quelquechose (le la vieille résidence de Saint-Louis, de cc cl,neau de Sentis,dônt nous parlions plus haut.

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glais sur le sol de Fiance Il est temps de briser tant d'effortsconjurés. Louis apparaît à la tète de ses chevaliers et de sesmilices. Le jour se lève sur un ciel sombre et orageux et,taudis que le frère dia roi Henri négocie une trêve , une mêléeterrible s'est engagée sur le pont qui couvre la Chai-ente;l'avant-garde de Louis, malgré son faible nombre, charg'e brus-quement l'ennemi, étonné de tant d'audace le roi est à lent-tête, et déploie cette bravoure presque téméraire, cette furiafrancesc qui nous vaudra tant de triomphes.

Le pont de Taillebourg présente de face une de ses arcadessurbaissées le cheval du roi, bel animal à la robe isabelle, lefranchit d'un bond; les chevaux bais des deux chevaliers quisuivent, les cuirasses d'or, tout cela forme une gamme de tonsroux qui se détache à merveille sur un ciel de bataille, et serelie heureusement avec la pàlenr livide des Anglais décon-certés , incertains s'ils doivent fuir, ou profiter de leur supé-riorité numérique. - Puisque je me home en ce moment àl'anal yse de la composition générale, je regretterai en passantque les dimensions étriquées du médaillon XIII' siècle aient in-terdit au peintre de figurer dans lin angle du tableau les ruinesimposantes du vieux donjon de Taillebourg qui domine la Cha-rente. Cette Dote, toute archéologique, eût été en accord par-fait avec le chûteau de la Reine-Blanche du médAillon voisin,et mieux encore avec les tours romaines du château de Senlis,si M. Lavergne l'eût préféré.

in. L'indépendance du sol une fois assurée, il rèste à défendreencore les droits du peuple contre les arrêts non moins redou-tables des seigneurs. Après le chrélien , après le chevalier,voici le grand justicier; - après Taillebourg, le chêne de Vin-cenues, « ce monument que M. de Montalembert trouve plus« beau et plus immortel encore que la sainte Chapelle, son

oratoire, et Saitit.-Denys, son tombeau! » Ici la pensée sereporte volontiers vers l'éducation de Saint-Louis elle y vachercher comme à sa sommice « ce culte exalté et scrupuleux de

la justice n qui lui méritera d'être appelé le plus droiturierdes monarques, celui-là enfin qui , avant de s'embarquer pourla croisade, ne moligira pas »d' envoyer par tout son royaume01 (les moines mendiants, chargés de s'informer auprès des plus

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• pauvres gens 'il leur avait été full, quelque toit au noiti du• roi, et de le réparer aussitôt à ses dépens (1). » - AussiM. Lavergne a-t-il cru devoir rapprocher le plus possible cettevertu singulière de sou principe fondamental.

Non loin du chûieau de Vincennes, dont les tours se profilentà droite, on ùperçoil un chêne magnifique ses vieux rameauxfestonnés de clairs feuillages forment un dais léger d'ombreau-dessus d'un tertre de gazon tel est dans sa simplicité rus-tique le lit de justice où, après sa messe, « le roy est venuu seoir, accotoyé à un chesue, pour dépeseher diligemment

son peuple ,sans destourbier de huissier ni autre. » Adroite,un vilain, appuyé sur son bâton, vêtu d'un surcot à capuchon,la gibecière en sautoir, avec un geste plein de franchise, opposenaïvement son bon droit à l'astuce du chàtelain oppresseur. Leroi, en manteau bleu fleurdelysé, et le front couronné, est vude face il tient la main de justice, et sa droite ramenée versle visage, médite profondément; - Cette simple compositionest, à mon sens, une des plus parfaites clarté d'exposition,harmonie et richesse de couleurs, dessin, caractère des têtes,justesse des attitudes, tout s'y trouve réuni. Le geste faux,l'expression perfide, la cambrure étudiée de ce tyranneau re-tors , drapé dans l'inviolabilité de son brillant manteau' 1 pré-sentent un contraste bien senti avec la mMe iiaiveté du paysan.On prévoitque la force restera, non pins comme au temps du bonplaisir, à l'épée du gentilhomme, mais au toi qui est « souve-« rai par dessus tout, » selon le mot de son conseiller Beau-manoir (2) et ainsi sema véritablement créée cette magistraturefrançaise, qui n porte si haut son renom d'incorruptible inté-grité (3). La composition s'enlève en vigueur sur tin fond deciel dune délicatesse infinie.-

(-1) Histoire de Sainte-Elisabeth de Ilongrie,, par M. le comte deMontalembert, tome a, introduction, pages 39-41.

(2) Coutume du Beauvaisis.(3) La belle légende du chêne de Vincennes avait tenté le pinceau

si profondément expressif de Pierre C udrin, et l'on peut voir chezM. Alph. l'eriu, son élève, deux esquisses peintes très avancées, re-présentant ce pathétique sujet.

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iv. Comme il était , dit l'historien que je prends plaisir àu cite, , , une sorte d'incarnation de l'équiié suprême, Louis• est choisi pour arbitre dans tous les grands procès de son• temps, entre le Pape et l'Empereur, entre le baron d'An- gleterre et leur roi; captif et enchaîné par les infidèles, c'estu encore lui qu'ils prennent pour juge (I). o M. Lavergne aretracé dans son quatrième médaillon la mémorable interven-tion de Saint-Louis entre Fleuri III et ses vassaux rebelles.N'ayan t j am ais voulu battre en brèche le pouvoir féodal, maisle faire tourner à l'avantage des peuples; d'autre part, défen-seur in trépide de l'autorité royale, - il l'avait prouvé plusd'une fois , - il convenait à un prince si impartial de t raiteherun débat, dont la cou ronne d'Angleterre était l'enjeu. Et encorel'arbitrage si conciliant du roi sera-t-il impuissant ii cimenterle pacte d'Amiens le sang des fêlons versé à Eveshani seraplus efficace.

Les Etats sont convoqués , et la décision royale prononcéeLouis de Fiance se lève de SOI) trône, et, d'un geste douce-ment impérieux, il fait tomber les barons aux pieds de leur ti-mide suzerain l'un d'enx , le plus jeune, - sans doute le filsdu fameux Simon de Montfort , comte de Leicester, - n déjàmis un genou en terre, pour prêter serinent à soit sa mainhésitante cherche la main de Henri , qui accueille son hommageembarrassé - les autres gentilshommes s'apprêtent à suivresoli exemple.-

La tête de Si Louis, si belle d'énergiqne volonté, semblerempliraà elle seule tout le tableau cou, meu t refuser obéissanceà un arrêi prononcé avec u u n sentiment si violent. et si )tii

tt du devoir? f, C'est la Justice même (lui parle

Le fond (rémail azuré, ternie par soit neutre., un repous-soir excellent à la brillante harmonie de cou leurs qui résultedes riches costumes des rois et des barons. -. -

y . Après avoir vil comment la ferme ci chrétienne tutelle dela régente avait fait de Louis de Poissi le vengeur naturel desdroits de la monarchie en Angleterre comme en France, et le

I) M. de Moutolcmbert, loto rit.

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protecteur des droits de soir revenons su!' nos pas avec lepeintre, Cl reportons-nous de quinze ans en arrière, pour em-brasser d'un seul COUI) d'oeil les saintes expéditions de ce roiqui porta la croix pendant un quart de siècle.

Nous sommes cri des côtes basses de Damiette sui larive, les troupes circassiennes _appelées mameluks, « tout le

pouvoir du soudan, moult belle gent à regarder, dit Join-ville avec ce sang-froid égayé du Français; à l'horizon, la villeavec ses formidables remparts. - Au lever de l'aurore, la ga-lère royale entre dans les eaux de Damiette comme l'abor-dage dans ces bas-fonds serait périlleux et lent, Louis, ne pou-vant contenir soir à la vue des ennemis du Christ, seprécipite à la met', en brandissant sa grande épée d'Allemagne.Le légat Eudes de Chàteauroux a vainement essayé de l'arrê-ter ses frères, et les chevaliers, ainsi que les prélats, - parmilesquels nous trouvons l'évêque de Beauvais, —seront entrainSpar cette audacieuse bravoure.

L'hésitation des Sarrasins est rendue avec beaucoup 'de vé-rité on devine qu'ils ne tiendront pas devant tant de vaillance,ci que les murs de Damiette ne leur offriront bientôt plus assezde sécurité les croisés pourront y entrer sans coup férir.

Le roi porte sur sa tunique la grande croix des péleins deTerre-Sainte à travers la grille de son heaume d'or, on litl'impatient enthousiasme qui lui fait abréger les difficiles leu-leurs du débarquement. - Sans doute, c'est avant tout la viede Saint-Louis que M. Claudius Lavergne veut mettre en relief:mais pourquoi, daims le cas présent, a-t-il quelque peu altéréla vérité historique? Le roi tic descendit pasà la mer le l ire-miel- : ce furent le sire de Joinville, Beaudoin et le comte deJaffa, qui allèrent sur la rive planter l'oriflamme; c'est.en voyantflotter la bannière de Saint-Denys, que le roi se serait laisséentraîner à cc noble appel.

Yi. Après la gloire, les revers! mais il y a des revers aussiglorieux que les plus grandes victoires : ce sont ceux où laforce morale s'élève au-dessus de la force matérielle qui t'op-prime et la réduit à s'lnimilier devant elle et à confesser sa dé-faite. C'est ainsi que Louis va racheter l'iiuprudcnte journée dela Mansourah.

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Pour comble de malheurs, Louis est donc pris à Miniebil est dans les fers ei à la merci des barbares Et iciM. Lavergne nous pei4 l'anecdote héroïque rapportée parGuillaume de Nangis. Pdir obtenir sa liberté et celle des siens,Louis n offert la ville de lkamiette et 400,000 livres la paroleQ'un roi dc France ne suffitpas aux Emirs. Ils exigent de l'hon-neur et de la piété du captif un serment impossible il refusénet. - « Le serment ou la mort! » lui crie un amiral, -

A ce repondi li bons roys, et dist le corps de mo y pourrez-vous bien occire, mais l'àme n'occirrez pas » Ce sont ces

exemples, celte intrépidité, cette loyauté simple , ce res-pect de la justice qui ont établi en Palestine ces Iraditiousdont nous recueillons après six siècles le glorieux héritagele nom- dit bon sultan des .Franks y vit encore dans toutes lesmémoires.

Telle est la scène choisie par le peintre. Le roi est attachià une colonne, les pieds et les bras chargés de chaînes. TroisSarrasins vont le frapper, s'il persiste dans son refus l'un d'euxa déjà levé son cimeterre; un second, égaré par la fureur, s'a-vauiee un poignard ci] main. Mais ces menaces n'ont pu trou-bler la sereint intrépidité du croisé les bras pressés résolu-ment sur la croix rouge qui décore sa poitrine, il attend, l'oeilcalme, la bouche presque riante, de cet air qui semble défierl'égarement et le crime. A. ce spectacle, le dernier des assas-sins arrête ses complices Attendez quelques jours encore, etils vont lui offrir la couronne

Il y a lÙ un'groupe admirable de mouvement et d'ordonnance,d'expression vive et d'exacte retenue.

vii Le septième médaillon inaugure la dernière croisade.Les fruits de la conquête eu Palestine sont anéantis; l'islamismeenvahit [a Méditerranée; la Sicile trcrnbledevant•Tunis, commeJérusalem devant le soudan d'Alep. Les barons sont convoquésau Louvre; le roi, débile, presque défaillant, n'hésite pas tininstant et la croisade est proclamée. Accompagnéde ses troislits, il se rend à Saint-Denys, et là, avec le bourdon du pèlerin,il va prendre encore une fois sur l'autel de l'abbaye ce glorieuxgonfanon , qui titi jour s'éclipsera lui aussi pour jamais avec lafortune du royaume, tin Moment évanouie aux plaines d'Azin-

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court.. - Mathieu , abbé tIc Saint-Denys , a saisi l'oriflamme etl'a remise aux mains du roi , vieilli, mais plus fier et plus ma-gnanime que jamais : derrière lui ç ses trois frères, le bourdonà la main. L'expression de l'abbé est solennelle et triste : luisinistre pressentiment se mêle à cette dernière bénédiction (4).

viii. L'armée est débarquée sur les ruines de Carihage, pen-dant l'été de 4210 « sur la plage barbare, où l'amour du Christ• l'a deux fois poussé, Louis va trouver la mort après la cap-• tivité c'était une sorte de martyre, le seul qui fût à sa• portée, et le seul trépas digne de lui n Le soleil et les sablesdévorants de l'Afriqtte, les émanations méphitiques des eauxcroupies ,le Kansim, ce terrible vent du désert, souffle de feuchargé de l'arène ventilée par les Maures, amènent la pestemalgré des prodiges d'énergie morale, la frêle santé du roi nebravera pas plus longtemps des fatigues surhumaines. Les fossésdu camp sont comblés par les cadavres; deux frères de Louisont succombé : lui-même va tomber pour ne plus se relever.

C'est le moment choisi pat' le peintre de notre verrière. -Louis est étendu sur soit de mort soit et l'écu reposenti ses côtés; les mains retiennent la croix pressée sur le coeur.Un guerrier casqué, au manteau de pourpre, - c'est Charlesd'Anjou, - lève les bras vers le ciel; à droite le chapelain duroi, Guillaume de Chartres, est en prière: deux religieux sontplongés dans une morne douleur. Quand au royal défunt, « son« visage garde encore toutes les couleurs de la vie, et ses lèvres« mômes sont vermeilles (2). n Sa figure sereine révèle le dci-niervoeu de soit :0,1 ysentptaner commeYécho de ces motsmystérieux qu'il murmurait eu mourant: Jérusalem Jérusalein- Son fils, lejeune Philippe, semble encore tout pénétréde « ces• mémorables instructions)) qu'il vient de recueillir, « les plus• belles paroles qui soient jamais sorties de la bouche d'un roi. »

« On n'a vit fois, dit CWfteaubriand (3), et l'oit ne ie-verra jamais un pareil spectacle : la flotte du roi de Sicile se

(4) Voir le même sujet traité par M. Hipp. Flandrin sur les vitraux(le Dreux.

(2) ChAteaubriand : I tin.(3) Itinéraire de Paris A Jérusalem, tome u, page 199.

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e montrait à l'horizon la campagne et les collines étaient C0t1

• vertes de l'armée des Maures. Ait des débris de Car-• thage, le ea ni p des chrétiens offrait l'image dc la plus affreuse• douleur: aucun bruit ne s'y faisait entendre; les soldats mon-• bonds sortaient des hôpitaux et se tramaient à travers les• ruines, pour s'approcher de leur roi expirant. Lotus était« entouré de sa famille en larmes, des princes consternés, des• princesses défaillantes. Les députés de l'Empereur de Cons-• tantinople se trouvaient présents à cette scène ils purent• raconter à la Grèce les merveilles d'un trépas que Socrate• aurait admiré. Du lit de cendres où saint Louis rendait le• dernier soupir, on découvrait le rivage d'Utique chacun« pouvait faire la comparaison dit philosophe stoïcien et du• philosophe chrétien ........Enfin, vers les trois heures de• l'après-midi, le roi jetant un graud soupir, prononça distinc-• tentent ces paroles Seigneur, j'entrerai dans votre maison,• et je vous adorerai dans votre saint Temple, » et son âmes'envola dans le saint Temple qu'il était digne d'habiter.

Telle fut ta mort de saint Louis : telle l'a représentée enabrégé Fauteur du vitrail. - Dans le fond du tableau, les tentesfuient à l'horizon deux hommes transportent un cadavre pes-tiféré hors des retranchements. Celte composition, avec sesnuances dégradées, pâlies et presque éteintes, respire unedouce tristesse, la tristesse des chrétiens qui voient briller lacouronne à travers les épines du martyre.

Peut-être quelque archéologue regrettera-t-il de ne pas voit-s'élever le chàteau gothique sur les ruines de la vieille Byrsa,avec la riante ceinture d'oliviers qui avaient, dès l'abord, raviles regards des croisés j'avoue que je partage ce regret.

n. Enfin, la gloire d'en haut s'ouvre devant le-roimartyrA est là, Louis de Poissi , Je sergeant du Christ, à genoux, savaillante épée inclinée devant Notre-Dame, et la poitrine cou-verte de ee.bouclier qui a toujours paru le premier aux. com-bats : dans un pli de son manteatt il offre à la Reine des cieuxla couronne sainte, sy mbole pacifique des luttes soutenuespour la foi. A gauche, saint Denys, élevant l'oriflamme, pré-sente le héros chrétien avec un noble orgueil la Vierge,« brillante oriflamme de pahj, beauté qui est la joie des yeux

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« de toits les Saints (1), o accueille avec un sourire son féalserviteur et la fleur d'or qu'elle tient la main, comme nos roiseux-mêmes sur le sceau de leurs urines, exprime sa suzerainetésur l'eut pire des Fra tics. L'En fait t .lJieu bénit lafleur delys, etcon-sacre l'adoption maternelle: Regnum Galliœ, regnum ifariœ. Adroite, en regard de Monseigneursaint Denys de France, se voitmadame sainte Geneviève, cette autre protectrice, dont le saintroi invoquait encore le nom en recevant les derniers sacre-ments elle supporte la nef parisienne, qui vogue sans som-brer jamais; l'agneau qui repose à ses pieds .achève de dé-signer la pastourelle de iNanterre. Derrière elle brille l'ardentet généreux Michel, le premier patron de nos rois, avec la lanceet le bouclier revêtu du signe de la croix.

Au-dessous du trône de Marie, dans les angles'laissés par lemédaillon circulaire inscrit dans le cintre, M. Lavergne a placésaint Thomas d'Aquin et saint Jonaventure : et c'était justice.Ces deux noms ite résument-ils pas la vie de Louis IX, qu'ilsinspirèrent, et sa cour, où ils Furent tout puissants? Ne sont-ils pas en même temps l'image vraie du Xlll e siècle? Les deuxordres nouveaux dont ils sont la gloire, portèrent la foi dansle royaume de Tunis; ce furent e trois frères prêcheurs qui en-« tendaient le • langage sarrasin, qui portèrent au khan des• Mongols une tente d'écarlate finé, Faite en forme de dia-• lie le , sur laquelle était représentée l'Annonciation de la• Vierge Marie, mère de Dieu, et tous les autres points (le la• foi. » C'était aussi parmi les dominicains et les franciscainsque le roi avait choisi les guides de sa conscience. Enfin, n'est-ce pas à eux que reviennent pour une bonne part ces Etablisse-

mcnts de Saint-Louis, un des plus purs et des plus beaux titresqui recommandent son nom à la postérité? - Le peintre are-présenté suint Thomas, ce boetil' dont les mugissements ontrempli toute la terre, tenant la Somme de la main gauchede la droite il montre Marie, trône de la sagesse, et semble ladésigner comme l'inspiratrice de son grand trayait théologique.

A droite, le docteur séraphique, dont la pourpre éclatante

(1) Dante, Div. Coinédig.

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tranche en regard de l'humble chape du frère mineur, est dansune attitude méditative et profondément absorbée, qui ne con-traste pas moins avec l'air radieux et dilaté de lange de l'école:d'une part, le plus grand des théologiens , de l'autre, le plusgrand des philosophes du Moyeu-Age.

Telle est l'apothéose chrétienne de Louis IX, cette glorifica-tion d'une sainteté et d'un esprit qui fut le scandale même de sontemps on se rappelle le mot d'une commère de Paris : « Fi fitu es roy tant seulement des prêtres et des clercs! n Là résidepourtant r le foyer de son immortelle auréole; n et ce n'est paseu vain qu'il « a mis son épée de chevalier et sa couronne de• roi très-chrétien au service des intérêts éternels de son âme• et de l'âme de ses peuples n cc prince, dont Voltaire a ditqu'il n'était pas donné à l'homme de porter plus loin la vertu,• placé dans les cieux depuis 1297, reste encore pour la patrie• une espèce de roi éternel, n suivant la magnifique expressionde CliÇiteaubriand (t).

il.

Arrivé à ce point de ma tâche, et avant d'entrer dans l'exa-men critique d'une oeuvre que je me suis complu à décrire troplonguement peut-être, il est à propos de dégager le terrain surlequel je m'avance, et de,mettre en lumière les principes quime servent de guides.

La Chapelle de Saint-Louis, par son caractère architecto-nique, est du XII- siècle une verrière placée dans une baie dustyle de transition, doit-elle se conformer à l'esprit décoratifde cette époque? Sur une colonne romane, nous ne plaçonspas un clifipiteau du XIIP siècle : la même loi s'applique-t-elledans tonte sa rigueur au peintre-verrier qui comble les lacunesdu passé, ou répare les ravages du temps et du vandalisme?Telle est là question que plus d'un d'entre vous, Messieurs, sesera déjà posée. - Dans la théorie comme datîs l'application,elle reçoit une double et contradictoire solution ; le oui et lenon sont également profesés et mis eu pratique. Nous nous

(1) Itinér., tonte ii, page 201

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trouvons eu présence de deux systèmes , le deux écoles rinte-mies, qui s'attaquent avec autant d'acltarttement que les parti-sans célèbres de la ligne ci de la couleur.

C'est le privilège des époques de renouvellement, - de dé-cadence, dirait un pessimiste, - de soulever ces questionsardentes, qui, en somme, passionnent utilement les esprits etles amènent tôt ou taud à la vérité. On comprend que, n'ayantpas, - je me borne à cet exemple, - une forme d'architec-ture qui nous soit personnelle, on repasse sur lotis les typésépuisés, qu'on du discute les mérites, qu'on se rattache au typequi répond le mieux aux tendances actuelles, qu'on se pénètre,s'il se peut, de l'esprit qu'il recèle et qu'on en reproduise les ca-ractères avec intelligence. Là repose toute la question s'assi-miler l'esprit, et sur cette aile puissante, s'élever des bas-fondsdu fac-sirnile jusqu'à des conceptions originales. Et l'on convientassez, même chez les romantiques, qu'il faut un foyer créateuroù s'allume la flamme du génie l'histoire des lettres et des ailsdépose en faveur de cette loi générale. Malheureusement, unefois perdu, l'esprit de.l'art n'est pas facile à retrouver souventla raison du beau nous manque, parce que l'étude sérieuse etprofonde fait défaut; on surprend-bien les formes extérieuresmais la source vitale (lui les a produites, reste à jamais cachée.Et quand l'industrie se ligue avec l'incapacité et l'ignorance, onpressent sans effort à quel degré d'abaissement petit descendrel'art sur la pente rapide de l'imitation matérielle. -

Quoi qu'il en soit, exposons les deux opinions régnantes enmatière de peinture sur verre.

Les partisans de la première placent leur idéal au XIlI0siècle, à l'époque de ce même saint Louis, que M. Lavergnea célébré une fois de plus, et qui était digne de l'être par unafialtre de cet art dont le pieux roi peut être regardé comme leplus ardent protecteur (4). Rien ne nous empêche de recon-

(t) Qu'il me soit permis de rappeler ici l'opinion du P. l2acôrdairesur M. Lnvergne, dont il était l'ami n Je suis bien aise que vous ayez• vu la copie de M. lavergue (copie du saint Dominique de Fra An-• getico). C'est nu jeune peintre de mérite et parfaitement bon chré-

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naitce les qualités des verrières de ce temps, leur riche et puis-sanie coloration, leur unité, et, dans certains cas, à Reims,pat' exemple, la fière tournure des silhouettes qui font songerencore à l'art grec l'expression du sentiment chrétien est sou-vent aussi heureusement rendue surces panneaux naifs. Jusqu'icije suis d'accord avec mes adversaires niaisje rn!arrête, quandje les entends réclamer, avec M. Jules Renouvier (t) ci M. deCaumont, « une peinture transparente et décorative, dont lae destination soit plutôt (le frapper et d'éblouir par l'éclat et« l'effet d'ensemble, que d'attacher par la perfection des dé-« tails; » quand je les entends, avec M. Thévenot, reprocheraux siècles postérieurs de substituer le dessin

ci couleur, etc.

- On le voit, cette école ne cherche dans la peinture surverre qu'un équivalent facile et moins coûteux des mosaïqueséclatantes que l'art byzantin- déployait sur les absides desbasiliques et plût à Dieu- que les travaux du XIllc siècleen fassent une digue continuation , car on dessinait mieuxaux iXe et Xc siècles que dans les deux siècles qui suivirent!Pour eux, les vitraux de Chartres et de Bourges marquentl'apogée du beau; sortir de ces types absolus, c'est dégénérer,c'est démériter de l'ait clii'étien et profaner nos vieilles cathé-diales. hors du XllIc siècle, en un mot, point de salut pour.le peintre-verrier (2)!

tien. il fait partie d'une petite confrérie d'artistes que nous avonsinstituée l'an dernier, et qui va bien. » L'éminent religieux parle

de la confrérie de Saint-Jean -1'Evaugéliste, fondée à Borne en 1839.- (Lettré à madame Svetcltinc, 1setVtémbre 1840, page 249).

(I) Peinture sur verre dons le midi de là- F'$ance; cité par M. deCaumont, Cours d'antiquités inonunjéntales, sixième partie, p. 531.- (2) e Présenter l'ordre du Moyen-Agà comme un ordre absolu,conséquence exacte de l'Evangile et de Jésus-Christ; en caresser lapensée, l'élever à la dignité d'archétype souverain , c'est froisser inu-tilement le siècle où nous vivons et s'exposer très probableinentûrecevoir de,l'avenir, ce juge en dernier ressort, un éclatant dé-menti. ' (Le P Lacordaire, Lettre à 'nadatùe Swetchine, 23mai 1846,p. 433).--

Et ailleur« On n presque toujours vu ces divergencesdans les

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Ces doctiinessoutconnues, elle violent coi itre-cotip dont ellesviennent cl'tre suivies dans le domaine de l'architecture, prouveassez que je n'exagère rien.

En regard de cette Opinion rétrograde, il y n place, ce-pendant, pour un sage et fécond éclectisme, pour l'école qui,sans répudier aucun progrès ni dans le passé ni dans le pré-sent,

S'avance vers te Bien par le chemin du Beau (1).

Faitt-il établir maintenant que cette voie est la beule sérieuse,la seule pratique en pi'ésence de l'état avancé des arts dii des-si " ? Éli vérité, on sciait confondu d'avbir ii soutenir mie pa-reille thèse, si L'on ne savait que les meilleurs réactions ar-rivent vile à leur derifier terme, et que lés excès de doctrinerencontrent un grand nombre de sectateurs et des apologistesà foison.

La sève chrétienne a (!il plus magnifique floraison auXI1Io siècle soit. Maisle vase étriqué qui renfermait cette belleplante, en refoulant ses racines, n'en a-t-il pas gèné le coni-plet essor? Qui oserait soutenir le contraire, à moins de pi-é-tendre résolument, avec l'absolutisme extra-religieux de l'abbéLecanu, que Léonard de Vinci, Poussin, Lesueur et Orsel sontau-dessous du gi-and mais barbare Cimabue, et qu'ils n'ont riencompris â l'art religieux ()? Mais les théoriciens du vitrailgothique atHaient honte de ces conséquences qui découlentpourtant de leurs principes, et s'accusent hélas! trop souventdans la pratique. Il faut donc reconnaltre que le véritable es-prit de PE-lise n'est pas plus stationnaire que l'esprit humain;et qte si le dogme lui-même est, en un certain sens, capabledé développement, ainsi en est-il, à plus forte raison, desformes dogmatiques (3). Et le Beau, qui est le reflet de Dieu, ne

oeuvres de restauration, l'antitiité leuri'antquèlques-uns d'une uni-talion étroite et puérile, tandis que d'autres sentent mieux ],a

des temps et des situations. (Ibid. page 578-9.)(1) A. Brizeux Poélique nouvelle, chant ni.(!) Revue du Monde catholique, 10 novembre 1863.(3) ' Nierquela polémique etl'apologétiqueehrtienne doiven t pré--

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saurait être non plus défini et limité sou expression est aussivaste que la source sans fond-ni rive, d'où il émane. Ne pro-nonçons donc pas d'arrêt coutre la marche de l'Art Lotit n'a-t-il pas marché autour de nous? La poésie a4-elle été fixéeavec Ronsard 011 Malherbe, - avec Racine lui-même, diraientles modernes novateurs? Le plain-chant est-il l'idéal de la nui-sique sacrée? La symphonie doit-elle remonter à l'époque deSaint-Grégoire , comme si de Palestrina à Scarlatti , de Scar-latti à Pqtsiello elle n'avait rien gagné? Dans les cathédralesdu Moyen-Age, les prédicateurs ne patient-ils pas la langue deleur temps, s'ils veulent être entendus et goûtés? Trans-portent-ils dans la chaire les maladresses enfantines d'un idiômequi bégaie, par exemple, l'idiôme sept fois séculaire de Carnierde Pont-Sainte-Maxence (1)? Prôneurs arriérés des ébauchesgothiques, faites de même! Reproduisez, si vous le voulez,ces ornements exquis (111e les sculpteurs du Moyen-Age Irai -laient avec tin plein respect de la forme, je n'y contredis pasj'applaudirai même à cet élément d'unité que l'on tend ainsi àde vieux monuments. Mais là se borne mou admiration , comme

seuter des caractères divers et des développements nécessaires selonles exigenees des temps et des évènements, ce scraitnier dans l'Églisele mouvement, c'est-à-dire la vie, et lui refuser ce progrès de lu-mière et de certitude qu'ont réclamé pour elle ses plus beaux génieset ses plus fidèles enfants, depuis Si Vinceiit de Lérins (a) jusqu'à nosjours. » Le père Lacordaire, par M. de Montalembert, page 185.

(1) Je conçois ces imitations, quand elles ont un caractère pure-meut scientifique. Ainsi, qu'un philologue, comme M. Littré, essaiede nous rendre ami chant de l'Iliade dans le langage naïf du Xlllesiècle, qui lui parait être la parfaite image du dialecte homérique, jene vols rien que de fort légitime à une restitution ainsi entendue etlimitée. (Voir. Revue des Deux-Mondes :1847).

li y n là unesorte d'art scolastique, destiné à nous faire mieuxenirerdans l'esprit des vieux maiLres, à l'aide d'une formule plus exacte,à peu près comme les peintres font copier à leurs élèves les imagesincomplètes des Catacombes, de Cimabue et de Giotto.

(n) Nollus,,e ergô in EcoIiâ Christi proreotus liahebitur inielligentiac? Habebiturplané et maximus, sed ILS tamen ut veré profectus sit lite Udri, non permutalio. Coma-øionitoriu,ti, c.29

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moi; laissez-passer. Lorsque sur une époque , vous crierai-jeon prétend se régler, C'est par les beaux côtés qu'il lui fafa res-sembler. Je suis convaincu que les anciens eux-mêmes, s'ilspouvaient être témoins des progrès réalisés par l'Art depuis kXVe siècle, seraient fort étonnés de nous voir retomber en en-fance avec l'entêtement du doctrinaire vieilli, et reprendrela tradition au point oit laissée l'impéritie première et lesttonnements de l'ignorance; ils nous renieraient pour leursfils , pour les véritables héritiers de leur esprit et de leurs pli r-cipes - Collatéraux de l'Art! disait Orsel; Gothiques de lamain gauche, disait le sculpteur Eue-. Bien. Voilà l'Arehalsinece bâtard de l'Archéologie, cet art noué, byzainin ou chinois,qui ne peut même nous donner tin pastiche fidèle de l'époqueâ laquelle il se rive, et aboutit à la pl us honteuse barbarie.

Car, il faut tout dire, si quelques antiquaires naïfs ont pu;se laisser prendre à ces théoi'ies préendnes réformatrices, ceuxqui les ont érigées en système pratique, n'étaient pas tôus vic-times d'un sens dépravé. Ils y ont vit machine esthé-tique féconde en résultats pécuniaires et comme il fallait àleur industrie facile et fructueuse une enseigne qui imposât auclients, ils l'ont faite aussi solennelle (lue possible. La passiond'un lucre interlope est le thermomètre vrai de beaucoup deconvictions gothiques. « Il va nt mieux,, dit titi grand pci nu rc-• verrier (4) qu'un homme oit un petit nombre d'hommes• fassent leur profit de quelque Ait en vivant honnêtement,« que non pas un grand nombre d'hommes, lesquels s'en-• dom magen t si fort les titis les autres qu'ils n'auront pas• moyen de vivre , sinon en profanant les Arts e laissant les• choses à demi-faites , comme l'on voit communément (le tous• les Arts auxquels le nombre des ouvriers est trop grand. »Oit de nos jours les artistes, qui s'indignent connue Dci'-nau'd de Palissy de « travailler beaucoup à vivre? n Voilà tinmoi qui risquerait fort de les scandaliser! Et cependant, dit

(1) Bernard de Palissy, cité par P. Levieil (Traite historique etpratique (le la Peinture sur verre, 1774, in-fol. de 245 pages, avecxiii pl.), - page 62.

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amèrement ce digne maitre, qu'il est plus que jamais à proposde citer, «l'état de verrier est noble mais plusieurs sont geu-• tilshommes pour exercer ledit Art, qui voudraient être ro-• turlers , et avoir de quoi payer les subsides des : rinceso et vivent plus méchaniquemeut - que les crocheteurs deo Paris. »

Si du moins les mauvais peintres-verriers eomteniporainsavaient toujours cette excuse à alléguer

En second lieu, dans la théorie de l'imitation scrupuleusedes données du Moyen-Age, que devient le Beau, l'objet prin-cipal de l'Art après le Bien? Ne l'oublions pas : de nos jours,pour mener ait il faut le revêtir .de formes correctes CLattrayantes; s'il faut une belle âme, il faut aussi un beau corps,ou du moins tin corps qui serve à traduire excellemment labeauté de l'âme. Or, où trouvez-vous l'idéal dans les pastichesineptes, qu'on étale aux regards ébahis du vulgaire, dans cesenluminures ridicules dont la recette est si banale et si coin-mode (1)? Pour cela, il n'est guère besoin de méditer une com-position, d'étudier la nature, d'arrêter un carton, d'eu chercherharmonieusement la coloration : tout s'improvise d'un pinceausuperflciel, et tout vient à bien, pourvu que le kaléïdoscope n'aitrien à envier à ces vitresflamboyantes. - Mais le Beau? Esteque toutes les couleurs du monde, fussent-elles broyées à Epinalmême, nous le donneront jamais? Tandis qu'il suffira souventd'un simple trait pour produire une impression morale. Lapeinture sur verre a un but, aussi bien que la mosaïque(lui était toujours dédiée : Sanctac Plebi Dei. Or, je ledemande eu bonne foi, qu'est-ce que comprendraient nos po-pulations modernes à des verrières comme celles de la Sainte-Cliapelle.Saiiraient-elles lire •ce catéchisme illustré? Ellespasseraient vite devant « ces tableaux grossiers, entourés, »je le veux bien par « des fonds du plus charmant effet (2), »mais d'un effet moral à peu près nul-

(1)Voir, entre mille spécimens, les vitraux de Notre-Dame deISlou(méliai].

(2) Levieil, eh. ix, p. 26.

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Non , jamais la maladresse systématique tua été un art niune beauté et nous ne croironsjamais que Dieu, qui a mis eunous le sentiment de toutes les beautés que nous pouvons at-teindre, et le moyen de les réaliser, nous ait parqués dans uneépoque typique, hors de laquelle il n'y a point d'idéal chrétien.Victor Hugo seul a pu écrire ce blasphème hégélien «le beauu n'a qu'un type, le laid en mille (4) » Pont, noirs, nouscroyons à la diversité du Beau et surtout à sa merveilleuse ap-propriation au génie etau progrès de chaque âge et de chaquepeuple.

Honorons les XII' et XIlI c siècles, anxquels nous devons levitrail , cette forme nouvelle de l'Art, ce progrès accompli pardes mains inhabiles, et que n'avait pas su créer la science sibien informée, le goût si pur des meilleures 'époques anté-rieurer: -mais que notre admiration reste libre; et que l'Artreligieux craigne de s'inféoder à des fouines transitoires, etne s'attache qu'à la pensée primordiale. -

Et maintenant, Messiers, voulez-vous savoir et voir parvous-mémes, à quels résultats pratiques conduisenC ces bellesthéories? aux deux figures de saint Germain et de saiute Gene-viève., que vous pourrez contempler sans sortir de noire caillé-du-ale, à ces deux momids de pain d'épice, - passez-moi lemot, - qui couronnent une grisaille aigrelette et discordantecomme un éclat de rire sardoni4uel Notei que je cite M. Stem-heu, un des héros du vitrail archaïque, le restaurateur de laSainte-Chapelle 'Avec lui, nous voilà ramenés aux -fondsrouge-pùle, sur lesquels on trace du bout du pinceau je, ne saisquels contours roussàlres, qui cernent un semblant de tête, debras et de pieds, et figurent en traits grossiers les plis des vê-ternents. Joignez-y à droite ou à gauche - il n'importe -quelques feuilles tréflées - le trèfle est de rigueur— enfer-mées dans un filet bien noir et vous aurez réalisé le summumde l'art gothique Je nie trompe il n'y manque que la repro-duction minutieuse de la mise en plomb des trecentisti, avec

(t) Cité par M. E. Hello, les Sophistes et le P. Gratry. - Revuedu Monde catholique, 10 Avril 1864.

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ses innombrables pièces de verre, dont « quelques-unes sontsi petites, dit P. Levi'eil , qu'on peut à peine les tenir avec

« les doigts. »Voulez-vous d'autres exemples, celle fois moins choquanls

des excès de l'archaïsme? les trois verrières absidales de l'égliseSaint-Vincent vous les offriront surabondamment. C'est d'abordl'impuissance -de mettre d'ensemble ds compositions multiplesles fonds brillants miroitent et étouffent par leur valeur intem-pérante les carnations claires et blanchâtres ; ce sont autant detrous agaçants pour l'oeil on dirait de ces étoiles scintillantesque place le soleil aux fentes d'un volet. Mais voici qui est plusgrave, et où se fait sentir la tyrannie dut médaillon circulairecirculaire,quadrilobé, etc la recette gothique nous donne des figures quidéborderaient le cùJre, si leur docile souplesse ne les faisaitrentrer bien vite, par une dislocation savante, dans le champétroit qui les enserre (I). Ainsi, nous, les peintres-verriers deChoisy-le-Roi, modernes héritiers de l'esprit des vieux Ûges,nous n'aurons garde depenserque pour avoir réformé l'esprit duvieil homme, le Christianisme n'a point déformé ses membres àplaisir en conséquence, dans la Prédication de saint Jean-Baptiste, un juif, vu de profil , et qui tourne, on ne sait pour-quoi, le dos ait précnrseu r, s'imposera nu impossible torticolis,moins pour écouter lit sainte que pour ne pas dépasserle cartouche losangé qui limite sa stature. - Je ne puis insis-ter mais partout dans ces verrières les figures sont gondolées,les reins se déjettent, la taille se creuse, la tête et les piedsconvergent au centre de la composition comme les extrémitésd'un arc , ait ces images déviées quo nous renvoie un.globe de verre. Et tout cela pour la plus grande gloire de 'Artreligieux

En dehors de ces erreurs monstrueuses, reste donc un sys-

(1) A Montniélian, le peintre n été plus naïf encore û genoux ouen pied, les personnages remplissent rigoureusement le cadre. E.sein pre bene. Voir MMgrs Gignoux, Alleu et Gros (l'inscription ledit:il faut l'en croire' agenouillés et toujours aussi grands malgré leurhumble attitude que les personnages supérieurs.

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téme de peinture sur verre , vraiment rationnelitel et vraimentchrétien ; celui-là même qui s'inspire de l'esprit nouveau à quil'on doit ta grande restauration de l'Art chétien contemporain.Ce système n fleuri longtemps sur le sol français il nous avain titi geit ra d'art presque exclusivement na I 1011 al , et petittous, iflessieitrs, presque provincial. Ne faisons donc pus bon

marché de notre passé etde nos gloires:lIe renionspas des nomscomme ceux des Angrand, des Lepot, des Claude et des Guil-Intime que tiens enviait Jules li et qu'il appelait au Vatican es-timons-trous heureux plutôt, quand nous Noyons cette tradi-tion se renouveler de nosjours, et la Rome de Pie IX demanderdes vitraux à l'auteur du Saint-Louis de Sentis.

Aussi bien dirons-nous avec M. Ed. Qidron (I), « les ver-iières peintes, tableaux transparents, admetteni fort bien ledessin lele plus correct, le modelé le plus fini, en même temps(lue la coloration la plus vive ct la pins harmonieuse . Nonseulement ta peinture sur verre ne répudie aucune des par-ties du grand art de peindre, puisque nous savons que les Ra-phaèi, les Albert Durer, les Jules Romain ne dédaignaient pasd'envoyer des carions à Angrand Leprince pour Saint-Etiennede Beauvais, et faisaient même quelquefois exécuter sur verreleurs grandes compositions mais nous rappellerons de plusd'après le témoignage de P. Levieil (2), que des artistes commeMignard et Lebruit ne pouvaient se lasser d'admirer pour lacori'ecuion du dessin et la beauté du colris les vitraux du bas-côté droit de Saint-Hippolyte , tontes les fois que leur inspec-tion à l'Hôtel-Royal (les Gobelins les y appelait.

Este à dire totttefois qu'il n 'y ait aucune différence entre lesdeux genres de peinture, et qtc'un - vitrail doive ressembler àun tableau de chevalet? Loin de là la nature et le but de lapeinture sur verre exigent des moyens différents. La transpa-rence est soit même u les païens ont fait le corps dela peinture, dit avec titi d'exagération M. flidron aîné, sa

(4) Annales archéologiques toute x nu. - Histoire de la Pein-ture sur verre, page 4-7.

() licité de la Peinture, etc., page 33.

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substance matérielle les chrétiens lui ont donné son Aine, lalumière (4). » Cette lumière rie l'éclaire plus par la surface,elle en pénètre les éléments le vitrail s'illumine par transmis-sion, et non par réflexion. Par conséquent, le modelé des fi-gures et des accessoires devra toujours être clair et translucide,et ne pas s'aider de toits noirs et opaques pour fuie briller lestètes tin rendu tourd a besoin seul de cette grosse opposition.De là aussi l'obscurité générale qui gâtait les tableaux surverre des XVII° et XVIII' siècles (2).

En second lieu, le vitrail n'existe pas par lui-méni&: il estune partie d'un vaste.enseFnble , et doit humblement se subor-don ner à J 'architecture, pour la fortifier et l'embellir. IL doit,comme la fresque, atténuer ses effets et laisser dominer leslignes rnonumenjales. Mosaïque ferme et serrée, qu'il gruiissebien la fenêtre qu'il clôt; que sur ce fond s'accusent nettementles sujets, sans sortir de l'ensemble en tin mot, que le verriersoit décorateur à distance et peintre de près telle est la loi.

111.

11'œirvre tIc M. Cl. Lavergne répond-elle .à ce programme?nous le croyons et nous allons le montrer.

Et (l'abord le peintre n gardé assez de couleur locale peut-nous reporieriinmédiatcnientan XiI'siècle Nous y retrouvonset le fond de mosaïque réticulé, et les nombreux médaillonsquzadrilohés, et les ornements perlés et les riches feuillages de

(U Ana. archéol., t. x, P. 4.() Ou ne saurait trop le répéter, un vitrail ne doit être considéré

que comme Hile clôture riche et lumineuse, destinée à diaprer laclarté du jour sans la neutraliser, à saisir et à charnier la vue au pre-mier aspect par son ensemble splendide et harmonieux, Ù la captiverPIF ses détails. Ce n'est qu'à ces conditions qu'on fera véritablementdes itraux et non (ce qui est loin ('être la mémèelïos'e) db bpcftïturesur du verre. Sans être encore proclamées et de principe, ces véritésne tardèrent pas à se fairejour, etl'on songea à revenir aux anciennesméthodes. » 0e la Peint nrc sur verre, par M. Baltard, membre del'Académie des Beaux-Arts, architecte de St Eustache, de St-Au-gustin, etc. (Moniteur, 17 sept. 1864.)

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se

la bordure. La légende suit une marche ascendante de droiteà gauche, toujours comme chez les byzantins. Point de dais,ni de clochetons, ni d'architectures fourmillantes comme auXV' siècle. Les lointains eux-mêmes, par où M. Lavergne s'é-carte des usages reçus au temps de Suger, sont modérés etn'a tireli L pas loeil en (les perspectives infinies ils laissent gé-néralemeni dominer les figures sur lin plan unique, ce qui as-:seOit solidement l'ensemble de l'oeuvre et la préserve de ce ca-ractèrede diffusion qui nuisait à l'effet décoratif des verrièresde la Renaissance.

Mais là où le peintre-verrier contemporain cesse formellementde reproduire les procédés de l'époque de transition, c'est dansla misese eii plomb, la composition et la couleur.

Ces réseaux inextricables de plomb ne sont plus nécessaires,puisque nous savons peindre sur le verre déjà teint dans lamasse, Oit si!r des tables de verre blanc et, en tout cas, lacomposition n'a rien à gagner à cc lacis compacte qui emmail-bitait les figures.

Quautau dessin, le goût ne supporterait plus un simbc traitrenforcé de hcliures bistrées qui laissaient transparaître le (onlocal des draperies ou des carnations. Supprimerons-nons, pourêtre fidles au XIIl e siècle, la perspective linéaire et aérienne?Moyen . coin mode, sans doute, et à la hauteur de tous les talents,d'imprimer une grande imitéé à sa mosaïq u e ! Cette unité, nousla voulons aussi, mais avec tontes les ressources du dessin.

Enfin, nous ne saurions rions contenter des trois tons, rouge,bleu et vert, qui suffisaietrt à tins aïeux adorable simplicitéqui adonné naissance aux chevaux verts, pourpres, etc.,-et auxbâtisses tricolores des verrières absidales de St-Denys. Celaétait bon quand on ne voulait que flatter l'oeil par les brillantesféeries de la lumière irisée. La peinture réclàme de plus au-jourd'hui les couleurs . claires, le blanc, le jaune, l'orangé, leviolels et les verts pâles, etc. Nous allons même plus loin nousexigeons, outre les nuances des époques avancées, celles,plusnombreuses encore dont la chimie moderne et la pratique del'émaillage ont récemmentdotéla peinture sur verre. Je n'ignorepas qu'ici un double écueil est à craindre ou l'empâtementlourd et terne —je l'ai déjà dit . pluss hatit - oui la transparence

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aigre qui blesse le regard. De ces défauts, le premier vien t tItipeintre, le second tient au verrier et.) l'artiste tout ensemble -ux verriers ignorants ou cupides qui ne surveillent pas la pâte

colorée qui s'incorpore ail verre en fusion, au peintre qui liesait pas on ne veut pas corriger par les émaux puissants etharmonieux les fonds trop légers que lui livre l'usine. Ce délicattravail et les périls du moufle, devant lesquels ou recule tropsouVeit, ont seuls accrédité l'idée fausse que nous avons perdule secret de ces beaux tons veloutés (les vieux maures. Lascience elle talent protestent également contre cette prétendueinfériorité.

J'ai été revoir à St-Etienne les merveilles de coloris dit XV lesiècle, qui ravissaient le carditial de Jauson, et dont il aimait àfairepersonnellerneut les honneurs aux étrangers de distinction.J'avais l'imagination pleine encore des peintures du St-Louisj'avoue que les vitraux de Beauvais m'ont ébloui comme autre-fois par leur coloration splendide, mais sans me faire regretterque M. Lavcrgne n'et pas monté si haut sa palette. Je lui saismême gré d'avoir étouffé ses fonds pour laisser la parole à sessujets, se réservant de les raccorder avec la bordure elles noeudsfleurdelysés qui les rattachent entre eux. Les pages si égalementétincelantes d'Angrand, oserai-je le dire, font vite baisser lesyeux, et la valeur uniforme que revêt chaque objet manque unpeu aux lois de la subordination, qu'il faut respecter sur leverre comme sur la toile. Envisagés au point (le vue dit

chrétien, les viii-aux de St-Etienne me paraissent encorele céder à l'oeuvre de M. Lavergne une trop grande préoccu-pation du dessin et de la pose, l'excessive recherche de la cou-]cul , et des broderies ruisselantes de pierreries et d'or, enunmot, l'influence de l'école de Fontainebleau, qui s'y fait partoutsentir, ne laissent guère de place à l'émotion pieuse et à l'effetmoral la verrière de St-Louis, plus suave et plus contenue,atteint dim'ecteàient ce but, l'unique et digne objet de la grandepeinture, sans toutefois démériter en rien de la couleur et dudessin. Car en se sauvant des excès, M. Laverguie n'est paiombé dans les tons gris du XVC siècle, par exemple ses figuressont d'un modelé fin et harmonieux, et une lumière chaude etambrée enveloppe toti ie la composition. Le seul point où les

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vitraux d'A tigra ii é Leprince l 'emportent nettement, c'est par lefini du dessin, la vigueur des silhouettes, et l'énergie du rendu.

Je vais paraitre énoncer un paradoxe mais j'estime que ledessin est plus nécessaire encore dans fil sur verreMLI C dans un tableau de chevalet. Sur la verrière que traversele soleil, lotit est en relief, aucun détail n'est sous-cri rendu, leclair-obscur si commode à masquer l'ignorance, tes L ici d'aucunsecours toute incorrection est littéralement percée ù jour depari en pal, les p!ombs eux-mêmes accusent plus nettementencore les contours, en sorte que cette peinture, en apparencesi éclatante, exige plutôt encore les qualités du graveur quecelles du coloriste. Malheureusement le vulgaire inattentif et lafoule des petits connaisseurs soit[ aisément dupes des illusionsde la couleur. C'est l'inconvénient accoutumé dont se plaignait

_P. Levieul au dernier siècle e Avant l'invention des émaux parJ. de Bruges, la pci n Lur'e sut verre, dit-il, comme l'arc-eu-ciel,dont les couleurs variées, ne formant aucun dessin particulier,ne laissent pas de surprendre l'attention, ou telle qu'un parterreémaillé de fleurs de toutes lercouleurs et de toutes espèces qui,quoique moins précieuses les unes que les autres, concourentà l'effet de ce lotit ensemble dont les yeux ne peuvent se lasser,lit sur verre, dis-je, avait plus frappé les yeux du corpsque ceux de tdme, par la beauté des objets représentés (1). »Encore un coup, on ne va ù l'ùme que par le dessin, (lire par Jascience de la forme, qui accuse les mouvements de l'âme. Privéede certaines ressources et de certains effets, voisine .du bas-relief, la peinture sur verre doiten reproduire les lignes étudiéeset nettes, et frapper d'abord l'esprit par leur simple mais vi-goureux contour.

Sous ce rapport, M. Lavergne nous permettra de regretterqu'il n'ait pas serré davantage le rendu des médaillons qui ontle plus à redouter la facile perspicacité du critique. Les extré-mités manquent un peu de précision, surtout dans le tableaude la Reine-Blanche; te style contourné des draperies a lui-même je ne sais quel accent gothique; on dirait un agencement

(1 Page 36, 'Einir' iirtorique, etc.

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fait de souvenir: la nature a pins de liberté, de souplesse, desimplicité et de largeur. Et, puisque j'entre dans nue voiede restriction,j'ajouterai que la reproduction exacte du chûteaude Comelle jure trop avec les grêles motifs architectoniques dupremier plan. Il fallait être conséquent et ne pas associer à uneimage réelle une avant-scène fictive. Le compromis adopté parle peintre exigeait qu'il noirs offrit dans l'oratoite de la reineun exemple moins léger et moins fantaisiste des belles COuS-

tructiojis du temps, sans toutefois tomber dans les excès ditXVIC siècle. On ne serait pas fàché de trouver quelque part leprofil de la Sainte-Chapelle, un bas-côté de St-Denys, on leleréfectoire de St-i%lartin-des-Cliamps. Je n'adore pas lé bric-à-bracde l'archaïsme: mais employés avec discernement, et sans nuireà la simplicité de l'action, il est des monuments que le specta-teur aime à retrouver dans une légende comme celle de St-Louis; on s'attache à certains détails en proportion des évène-meuts illustres dont ils ont été les instruments ou (es témoinsainsi les fonts où fut baptisé Si Louis, et que l'on conserve àPoissy; ainsi la belle cassette émaillée qu'il portait avec lui, etc.

Pans le second médaillon, je noterai un grave défaut deperspective. Le pont de Taillebourg ne vient pas assez en avant:en revanche,' le noble niais imprudent animal qui emporte leloi, semble pressentir cet oubli; et, pour rétablir l'équilibredes plans, il s'élance en dehors du parapet. Le peintre n'aurapas de peine, quand il le voudra, à corriger ce désaccord danssa composition.

Le débarquement à Damiette offre aussi une ombre troppoussée, à l'extrémité droite du navire c'est la seule tache danscette limpide verrière. Oti moins, 'les artistes deSt-Oenysn'avaient: garde de tomber dans cet écueil, eux qui nous repré-seuteuitles pnissons sejouantà travers les rames transparentesde la coquille de noix amirale. Quand j'aurai dit que dans ladernière scène, le manteau du Roi se confond un peu avec celuide la Vierge (tant la gamme de tons est déliée), et que la cou-ronne d'épines ne ressort pas avec assez de netteté sur le fondde la composition, j'en aurai fini avec les quelques observationscritiques que suggère cette admirable mipiature sur verre. Maisje ne Anirais pas, si je voulais louer, comme elles le méritent,

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les têtes de chaque composition. Tant valent les têtes, tant vautle tableau et l'artiste; au caractère, à l'expression de la tête,on reconnatt le talent sérieux et profond, comme la science duportrait révèle le peintre d'histoire. Or, je [le sais pas ii ne têteimportante qui soit faible dans le vitrail de St-Louis. Et main-tenant, parlerai-je de l'art de grouper les figures, de simplifierles lignes de la composition, de l'harmonie des contours qui sedétachent sans opposition violente? Rappelerai-je surtout l'liar-monie du coloris, obtenue, comme dans le couronnement dusaint, par la parenté de teintes si voisines, qu'on se demandequel est le secret de celte suave splendeur c'est bien la paixdi, ciel Car ii le coloris ne consiste pas, comme on le croit tropsouvent, dans l'emploi du vert, du bleu, dit en nuancesvives, mais bien dans la gain me suivie d'un bout à l'antre, dansl'harmonie de l'ensemble (4). »

Quant à la vérité historique, je dirai en peu de mots, - carje sais que j'ai déjà bien abusé (Je votre al lention, - que M. La-vergne a reproduit fidèlement les types consacrés par les mo-numents ou la tradition ainsi Si

Thomas et Si Bonaventure,etc. Les portraits de Blanche de Castille et de Si Louis offraientplus de difficultés. Sans doute l'imitation de la figure humainecommence au Xlb siècle, mais avec tui caractère encore assezvague; les sceaux de nos rois, qui sont les meilleurs modèles àsuivre, sont d'une admirable: finesse de dessin. Toutefois, il estassez reconnu qu'on a de portraits bien authentiques quàdateide Philippe-le-Hardi. Outre les sceaux, restaient donc, cdtnmeélémeuis dinforuiation, lès vitraux de la sacristie de St-Denys,où le roi nous apparaît sous les traits les pins eh ami au [s, quandil iusl ruit ses enfants, notamment; puis nue tête de Louis IXdans une verrière de Poissy ; ensuite, à Versailles, une copied'une peinture sur bois conservée jadis à la Sainte-Chapelle,représentant le Roi à l'âge de treize ans; enfin, on buste en orrepoussé que l'on voit à la Sainte-Chapelle. Dans ces divers mo-numents, Si Louis s'offre à nous avec de longs cheveux bouclés,

(t) Th. Gautier. - Revue des Deux-Mondes, tome xix, septembre4847, page 896.

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légèrement séparés sur le- Frbht, de grands swircils tIes yeuxlarges ét doux, 1e nez lông et bien fait; les puiuntettes;fot:t sail-lantes, la boùche finement coupée, spirituelle avec un boit

La force et la sérénité se fondent heureusement sur cebeàii visage. M. Lavergue a itîterrogé ces documents et lâchéderamenerle type deStLouisù une sorte d'a nthen Licite, relative:Il n'est pas tombé dans les procédés familiers des peintres etsculpteurs de Versailles, (Jili, vingt ans durant, 0111 donné ausaint Roi le type de Charles V (1), et, par ce temps de rapideirprovisation, nous lui en savons quelque gré- Si l'on ne peutrncou ti'c r la certitude absolue, il faut ait moins éviter l'erreurpalpable et grossière.

En résumé, M. Claudius Lavergime s'est mofltré,.dans cettenouvelle oeuvre, archéologue de bon goûl et artiste éminent;sans cesser d'être peintre chrétien. Je ne crois pas qu'un puisseme contester cette conclusion.

Suger, dans l'histoire qu'il a laissée de son gouvernementmonacal (2), nous apprend, -au sujet des vitres qu'il faisaitexé-enter et qui « le ravissaient véritablement en admiration, ndit Levieil , « qu'il avait fait venir à cet effet des italiens écran-gères, les plus subtils et les plus exquis maîtres, pour eu faireles vitres peintes depuis la chapelle de la Ste-Vierge datas lechevet, jusqu'à dettes qui sont au-dessus de la principale porteà l'entrée de l'église.... et que la dévotion, lorsqu'il faisait faireces vitres, était si grande, tant des grands que des petits, qu'iltrouvait l'argent en telle abondance dans les troncs, qu'il y enavait quasi assez pour payer les ouvriers au bout de chaquesemaine. n -

Ce succès de bon aloi est depuis longtemps commencé pont-le vitrail de St-Louisespérons qu'il est destiné, à grandirencore. --

(1) Voyez M. F. de Guilhermy, Annales areli., 1846 et 1847.() De administr. Sug. Ahbat. —Traduction de ,lom Doublet, citée

par P. Levieil, page M.

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