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1 DÉCEMBRE 2013 N° 25 Blog : www.panckoucke.org Lorsque, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, la presse ne se faisait plus d’illusion depuis plusieurs jours. Sans enthousiasme, mais résolue, elle souhaite comme la grande majorité de la population « en finir ». Après l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie à la Serbie, elle a cru à un conflit localisé qui pourrait épargner la France, détournant l’ennemi héréditaire vers l’est. Pourtant il y avait bien longtemps que les journaux prédisaient et redoutaient un conflit généralisé. L’Europe sur un volcan Le système des alliances, d’un côté la Triplice liant, dès 1882, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, de l’autre la Triple-Entente entre la France, la Russie et l’Angleterre, les tensions entre la France et l’Allemagne à propos du Maroc, les événements des Balkans, sans compter le contentieux de l’Alsace-Lorraine qui res- surgit à la faveur d’un réveil du nationalisme de chaque côté de la frontière,… tout concourt au déclenchement d’une guerre. Le 3 mai 1913, Le Progrès du Nord, jour- nal radical évoluant vers le centre, est à l’unisson de ses confrères : « On s’habitue aux plus graves dangers depuis Agadir, c’est-à-dire depuis deux ans, nous vivons dans cette pensée que peut-être nous pouvons, du jour au lendemain, être engagés dans la plus épouvantable conflagration. […] Jamais, […] plus qu’en ce moment, nous n’avons été à la merci des accents de la politique internationale. Jamais ne fut plus vraie la phrase de M. Joseph Prudhomme : l’Europe danse sur un volcan 1 » [sic]. Réplique à l’effort d’armement allemand, la loi des trois ans a été l’occasion de se compter entre périodiques qui jugent nécessaire de préparer la guerre et ceux qui veulent préserver la paix. Parmi les grands régionaux, seul le quotidien socia- liste rallié à Jaurès, Le Réveil du Nord, a encouragé toutes les initiatives en faveur de la paix et a dénoncé l’allongement de la durée du service militaire comme un fac- teur de guerre. La Croix du Nord qui accuse Jaurès d’être un traitre, La Dépêche et L’Écho du Nord ont fait leurs les arguments en faveur des trois ans. Le Progrès du Nord, après, à l’image des radicaux, avoir hésité, s’est rallié à cette idée. Les mani- festations, en mai 1913, de soldats libérables qui seront maintenus sous les dra- peaux, l’ont-elles fait basculer ? Partie de Toul et de Belfort, l’agitation a gagné la région. Le 26 mai 1913, Le Réveil du Nord rend compte « d’importants meetings » qui se sont tenus « sans incident » à Lille et dans la région. Marcel Deschamps, rédacteur en chef du Travailleur, l’hebdomadaire de la fédération du Nord du parti socialiste, est inculpé de « provocation de militaires à la désobéissance » pour un article paru dans l’édition du 24 mai et intitulé « Bravo les gars ! ». Deschamps écrit à propos des manifestants de Toul, de Belfort, de Reuilly, de Commercy,… : « Vous vous êtes conduits comme des hommes conscients de votre dignité et on ne saurait trop vous féliciter » et il conclut: « Quiconque pense, quiconque n’est pas une brute doit applaudir sans réserve au geste héroïque des vaillants pioupious. » Seul Le Réveil s’émeut de cette inculpation, mais aussi des perquisitions menées à la bourse du Travail de Lille et au domicile de plusieurs leaders du parti socialiste. L’entrée en guerre de la presse par Jean-Paul VISSE La guerre et la presse En 2014, la France commémore le centenaire de la guerre 14-18. Selon l’expression du prési- dent de la République, elle en fera un « événe- ment majeur ». Dans un discours solen- nel, le 7 novembre 2013, M. Hollande a présenté le programme officiel des com- mémorations concentrées essentielle- ment en 2014 : défilé sur les Champs- Elysées le 14 juillet en présence de représentants et de jeunes des 72 nations impliquées dans le conflit, minute de silence le 3 août dans tous les pays volon- taires, commémoration le 12 septembre à Reims de la bataille de la Marne,… À côté de ces manifestations nationales, plus de mille manifestations départementales ou locales sont prévues un peu partout en France. Coupée par la ligne de front, la région du Nord- Pas-de-Calais, qui garde encore dans ses pay- sages le souvenir douloureux de cette guerre, sera le théâtre de multiples initiatives. La presse, outil de propagande ou outil de résistance, a joué un rôle important dans ce conflit. La Société des Amis de Panckoucke, dont l’objet est l’étude de la presse dans cette région, ne pouvait pas ignorer ce centenaire. Sa revue, L’Abeille, a déjà publié plusieurs articles sur les périodiques édités durant la Grande Guerre. Consacré entièrement à cette période, ce numéro propose des études sur des sujets que notre revue n’avait pas encore abordés : les conditions dans lesquelles la grande presse a vécu l’entrée en guerre, les journaux de tran- chées, la vie du seul hebdomadaire créé sous les tirs de mortiers… Beaucoup reste à découvrir. Dans son prochain numéro, L’Abeille poursuivra donc son étude de la presse pendant les hostilités et au lende- main de l’armistice. J.-P. V. Couverture du numéro du journal Le Front. (Collection Archives départementales des Yvelines, 103J54) édito

DÉCEMBRE 2013 N° 25 L’entrée en guerre de la pressestart1g.ovh.net/~panckouc/Abeille/Abeille25.pdf · Réplique à l’effort d’armement allemand, ... de Zeppelins, les insultes

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DÉCEMBRE 2013 N° 25

Blog : www.panckoucke.org

Lorsque, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France,la presse ne se faisait plus d’illusion depuis plusieurs jours. Sans enthousiasme, mais résolue, elle souhaite comme la grande majorité de la population « en finir ». Après l’ultimatum de l’Autriche-Hongrie à la Serbie, elle a cru à un conflit localisé qui pourrait épargner la France, détournant l’ennemi héréditairevers l’est. Pourtant il y avait bien longtemps que les journaux prédisaient et redoutaient un conflit généralisé.

■ L’Europe sur un volcan

Le système des alliances, d’un côté la Triplice liant, dès 1882, l’Allemagne,l’Autriche-Hongrie et l’Italie, de l’autre la Triple-Entente entre la France, la Russieet l’Angleterre, les tensions entre la France et l’Allemagne à propos du Maroc, lesévénements des Balkans, sans compter le contentieux de l’Alsace-Lorraine qui res-surgit à la faveur d’un réveil du nationalisme de chaque côté de la frontière,… toutconcourt au déclenchement d’une guerre. Le 3 mai 1913, Le Progrès du Nord, jour-nal radical évoluant vers le centre, est à l’unisson de ses confrères : « On s’habitueaux plus graves dangers depuis Agadir, c’est-à-dire depuis deux ans, nous vivonsdans cette pensée que peut-être nous pouvons, du jour au lendemain, être engagésdans la plus épouvantable conflagration. […] Jamais, […] plus qu’en ce moment,nous n’avons été à la merci des accents de la politique internationale. Jamais ne futplus vraie la phrase de M. Joseph Prudhomme : l’Europe danse sur un volcan1 »[sic]. Réplique à l’effort d’armement allemand, la loi des trois ans a été l’occasionde se compter entre périodiques qui jugent nécessaire de préparer la guerre et ceuxqui veulent préserver la paix. Parmi les grands régionaux, seul le quotidien socia-liste rallié à Jaurès, Le Réveil du Nord, a encouragé toutes les initiatives en faveur dela paix et a dénoncé l’allongement de la durée du service militaire comme un fac-teur de guerre. La Croix du Nord qui accuse Jaurès d’être un traitre, La Dépêche etL’Écho du Nord ont fait leurs les arguments en faveur des trois ans. Le Progrès duNord, après, à l’image des radicaux, avoir hésité, s’est rallié à cette idée. Les mani-festations, en mai 1913, de soldats libérables qui seront maintenus sous les dra-peaux, l’ont-elles fait basculer ? Partie de Toul et de Belfort, l’agitation a gagné larégion. Le 26 mai 1913, Le Réveil du Nord rend compte « d’importants meetings»qui se sont tenus « sans incident » à Lille et dans la région. Marcel Deschamps,rédacteur en chef du Travailleur, l’hebdomadaire de la fédération du Nord du partisocialiste, est inculpé de « provocation de militaires à la désobéissance » pour unarticle paru dans l’édition du 24 mai et intitulé « Bravo les gars ! ». Deschamps écrità propos des manifestants de Toul, de Belfort, de Reuilly, de Commercy,… : « Vousvous êtes conduits comme des hommes conscients de votre dignité et on ne sauraittrop vous féliciter » et il conclut : « Quiconque pense, quiconque n’est pas une brutedoit applaudir sans réserve au geste héroïque des vaillants pioupious. » Seul LeRéveil s’émeut de cette inculpation, mais aussi des perquisitions menées à la boursedu Travail de Lille et au domicile de plusieurs leaders du parti socialiste.

L’entrée en guerre de la pressepar Jean-Paul VISSE

■ La guerre et la presseEn 2014, la France commémore le centenairede la guerre 14-18. Selon l’expression du prési-dent de la République, elle en fera un «événe-

ment majeur». Dans un discours solen-nel, le 7 novembre 2013, M. Hollande aprésenté le programme officiel des com-mémorations concentrées essentielle-ment en 2014 : défilé sur les Champs-Elysées le 14 juillet en présence dereprésentants et de jeunes des 72 nationsimpliquées dans le conflit, minute desilence le 3 août dans tous les pays volon-taires, commémoration le 12 septembre àReims de la bataille de la Marne,… À côté

de ces manifestations nationales, plus de millemanifestations départementales ou localessont prévues un peu partout en France.Coupée par la ligne de front, la région du Nord-Pas-de-Calais, qui garde encore dans ses pay-sages le souvenir douloureux de cette guerre,sera le théâtre de multiples initiatives.

La presse, outil de propagande ou outil derésistance, a joué un rôle important dans ceconflit. La Société des Amis de Panckoucke,dont l’objet est l’étude de la presse dans cetterégion, ne pouvait pas ignorer ce centenaire. Sarevue, L’Abeille, a déjà publié plusieurs articlessur les périodiques édités durant la GrandeGuerre. Consacré entièrement à cette période,ce numéro propose des études sur des sujetsque notre revue n’avait pas encore abordés : lesconditions dans lesquelles la grande presse avécu l’entrée en guerre, les journaux de tran-chées, la vie du seul hebdomadaire créé sousles tirs de mortiers…Beaucoup reste à découvrir. Dans son prochainnuméro, L’Abeille poursuivra donc son étudede la presse pendant les hostilités et au lende-main de l’armistice.

J.-P. V.

Couverture du numéro du journal Le Front. (CollectionArchives départementales des Yvelines, 103J54)

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tique pour celle des faits divers. «Ellesuffit, pour l’instant, à achalander lesfeuilles à grand tirage8 » déplore LeRéveil qui n’est pourtant pas en restesur ses confrères. Entre deux articlessur les exercices du 43e de ligne, les élec-tions législatives se profilent déjà. Lacampagne occupe une grande partie descolonnes des journaux pendant plu-sieurs jours. Le Réveil se prononce pourune politique de « bloc » ou, pourreprendre une expression à la mode,« l’entente cordiale entre socialistes etvéritables radicaux ». Le naturel reprendle dessus et les journaux polémiquent,se déchirent. Les désistements entresocialistes et radicaux assurent la vic-toire de la gauche, ainsi à Tourcoing,devancé par le socialiste Albert Inghels,le radical Gustave Dron s’est effacé, àHaubourdin le radical Georges Potié acédé la place au socialiste AugusteRagheboom… La région envoie ainsiseize socialistes et six radicaux surtrente-six députés au Palais-Bourbon.Les résultats électoraux à peine procla-més, Le Réveil s’en prend à la municipa-lité lilloise complice des fraudes électo-rales commises par les cléricaux :300 congréganistes auraient voté pour2 400 électeurs fictifs. Après Lille,Roubaix aurait également été touché.«Les corbeaux votaient partout » iro-nise le journal socialiste. De leur côté,La Dépêche et L’Écho du Nord soup-çonnent le maire socialiste d’Hel-lemmes, Hentgès de « tripatouillagesdes listes électorales ». La Croix duNord règle ses comptes avec les francs-maçons, révélant les émoluments dufrère Wellhoff 9, receveur municipal etadministrateur du Réveil, ou préfères’intéresser à la commémoration duseptième centenaire de la bataille deBouvines qui permet d’exalter le patrio-tisme français, répondant ainsi auximposantes cérémonies du centièmeanniversaire de Leipzig célébré quel-ques mois plus tôt en Allemagne.L’attention est également mobilisée parde multiples faits divers.L’assassinat de l’archiduc FrançoisFerdinand à Sarajevo semble relever decette rubrique. Pendant plusieurs jours,l’événement fait la une, occupe lescolonnes de la presse régionale. Lesjournaux s’apitoient sur le destin decette famille de Habsbourg. La Croixdu Nord parle de « Races tragiques10 ».

La presse nationaliste avait su exploitertous les incidents entre la France etl’Allemagne. L’atterrissage d’avions oude Zeppelins, les insultes ou les horionséchangés entre citoyens français et alle-mands faisaient leur une. Les journauxmodérés comme Le Progrès du Nords’inquiétaient de tous ces prétendusHollandais, Suisses et Luxembour-geois, « courtiers en photographie, des-sinateurs professionnels ou amateurs,marchands de tapis » qui circulaient«autour de nos ouvrages militaires, outravaillant dans de grandes administra-tions2 ». Le rédacteur en chef du mêmequotidien, Martin-Mamy3, s’offusquaitde l’arrestation à Cologne de l’industrielfrançais Clément-Bayard4 pour espion-nage.

■ Un horizon européen clair ?En 1914, la tension n’est pas retombée.L’acquittement par le tribunal militairede Strasbourg d’officiers allemands qui,à Saverne, avaient malmené des recrueset s’en étaient pris à des passants quiprotestaient, suscite une nouvelle pous-sée de nationalisme. Les Balkans inquiè-tent toujours. Poincaré est installé àl’Elysée depuis un an et Gaston Dou-mergue, un radical socialiste qui avaitvoté la loi des trois ans, a succédé àBarthou à la présidence du Conseil endécembre 1913. À tous les Cassandresqui prédisaient la guerre et annonçaientl’éclatement de la Triple-Entente, le10 janvier 1914, Le Réveil du Nordréplique : « Depuis cinq ans, l’horizonpolitique européen n’a jamais paru aussi

clair5. » D’ailleurs le président de laRépublique n’est-il pas allé dîner chezM. de Shoen, l’ambassadeur d’Allema-gne à Paris ? « Pour nous, se félicite lequotidien socialiste, qui, d’où qu’ellesviennent, sommes toujours prêts à nousassocier aux tentatives pacifistes, auxmanifestations contre la guerre oucontre les possibilités de guerre, nous nepouvons… qu’applaudir à l’attitudesignificative du chef de l’État6. »Les événements intérieurs entretiennentl’illusion d’une situation internationaleplus apaisée ou agissent comme autantde dérivatifs. La France s’apprête à élireses députés pour quatre ans. Les socia-listes et une partie des radicaux ayantpromis de revenir sur la durée du ser-vice militaire7, elle votera pour oucontre la loi des trois ans. Les journauxde la région, notamment La Croix et LaDépêche d’un côté, Le Réveil de l’autre

s’intéressent particulièrement auxdémêlés, avec sa hiérarchie, de l’abbéLemire, réélu en 1910 député d’Haze-brouck contre un candidat catholique.Dans le même temps, le quotidien socia-liste est certainement le premier, dans larégion, à s’indigner de la campagnede Gaston Calmette contre JosephCaillaux, ancien président du Conseil,qui s’était prononcé contre la loi destrois ans. Le 17 mars, l’affaire fait la unede tous les journaux : « Mme Caillauxblesse mortellement M. Gaston Cal-mette ». Elle a quitté la rubrique poli-

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J O U R N A L D E L A S O C I É T É D E S A M I S D E P A N C K O U C K E

En janvier 1913, Le Progrès du Nord est le seul quoti-dien régional à ne pas avoir approuvé la candidature dePoincaré.

Dessin paru dans Le Grand Echo au moment de la dis-cussion du projet de loi sur lʼallongement du servicemilitaire.

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Dans L’Écho du Nord11, Henriot re-trace la saga de « cette vieille cour féo-dale » où « les rois épousent les ber-gères».Tous s’interrogent sur le devenirde l’empire austro-hongrois : «un em-pire visiblement se disloque » poursuitLa Croix, « en raison du grand âge de

l’empereur François-Joseph, la Russieet l’Allemagne peuvent être appelées àrecueillir chez lui un héritage territorialimportant et à arbitrer la plus graveguerre civile qui, depuis des siècles,eût ensanglanté l’Europe » spécule LeRéveil12. Comme le remarque dès le30 juin, La Dépêche « la nouvelle n’apas causé à Paris une bien vive émo-tion». D’autres sujets accaparent l’at-tention : l’impôt sur le revenu, le procèsde Mme Caillaux, le voyage du prési-dent de la République et du présidentdu Conseil en Russie, les sénatoriales…

■ Union et résolutionLe ton change à la fin du mois. Aprèsl’ultimatum de l’Autriche à la Serbie,Le Réveil titre le 25 juillet « le feu quicouve ». Les journaux ne parlent encoreque de « tension austro-serbe» qui, dèsle lendemain, devient « le conflit austro-serbe ». L’Europe peut-elle rester endehors de cette affaire ? Déjà, Le Réveildu Nord ouvre une barrette « Le conflitaustro-serbe et l’Europe ». La diploma-tie est entrée en action. Le Progrès duNord13 reste optimiste : « Une lueurd’espoir. La diplomatie travaille etespère trouver un terrain d’entente ».On s’efforce de localiser le conflit.L’attitude de l’Allemagne serait mêmeplutôt rassurante. « Autant d’heuresgagnées, autant de conquis en faveurd’une solution pacifique », constate LeRéveil du Nord. Le rédacteur en chef deLa Dépêche croit-il que tout est résolulorsqu’il écrit : «Nous venons de traver-ser une crise, la plus grave que nousayons eue depuis la guerre franco-allemande14 » ? Le président de laRépublique est pourtant rentré brus-quement de Russie, passant parDunkerque. Et si la guerre éclatait…« Une hypothèse invraisemblable »répond Le Progrès qui, malgré tout,reprend une enquête publiée trois ansplus tôt par le Nord illustré. L’heb-domadaire avait alors interrogé le gou-verneur militaire, la banque de France,la gendarmerie, les douanes, la direc-tion des postes et télégraphe, des che-mins de fer sur les dispositions qu’ilsprendraient en cas de conflit. Le 30 juil-let, après la déclaration de guerre del’Autriche à la Serbie, « voici l’Europeprécitée dans les redoutables aventures,écrit Émile Ferré, que les diplomatiesavaient jusqu’ici conjurées». Les jour-

naux sortent des éditions spéciales. LeGrand Écho publie des photos de Lilloisattendant devant sa façade l’affichagede dépêches. Pour tous les quotidiens, iln’y a qu’un responsable, l’Allemagne«deus ex machina de la combinaisonaustro-hongroise ».La guerre ! « Il n’y a plus d’autre conver-sation » écrit le journaliste Léon Gobertdans sa chronique de la semaine. « Lesévénements ont […] surpris la majoritéde nos concitoyens en pleine quiétude ;ils se sont succédé avec une telle rapi-dité, une telle brutalité, que l’opinionpublique en eût pu être désemparée. »Aujourd’hui, cette opinion, affirme-t-il,« accepte l’inévitable s’il doit se pro-duire ». Contrairement à « l’enthou-siasme factice, théâtral et enfantin » del’été 1870, aucun journaliste ne note de« fièvre belliqueuse ». Seule s’exprime lavolonté d’en finir avec « ces alertes, avecces surprises, avec ces menaces qui,périodiquement, se renouvellent d’an-née en année qui paralysent le com-merce et l’industrie, qui sèment l’inquié-tude » pour assurer une paix solide. « Lapaix par la guerre s’il n’y a pas d’autremoyen pour l’obtenir », conclut Gobert.En effet, si chacun souligne le caractèrepacifique de la France face à un voisinagressif, tous rappellent que le paysn’entend « nullement jouer le rôle dedupe aveuglée ou celui de la victimevolontaire15 ». L’avis de mobilisationapparaît déjà comme un soulagement.L’assassinat de Jaurès est d’ailleurs venualourdir l’atmosphère. Aucun quotidienn’ignore la nouvelle, mais seul Le Réveildu Nord, qui paraît avec un liseré noirautour de sa biographie, lui rend un

Après lʼassassinat de lʼarchiduc dʼAutriche, La Croixretrace le destin tragique de la famille de Habsbourg.

Les quotidiens saluent lʼattitude de la populationdurant les jours qui précèdent la guerre. Ici, une photopubliée dans Le Grand Écho du Nord.

hommage appuyé. La Croix quicondamne le crime, au même titre que lemeurtre de Gaston Calmette, peine àtaire sa rancune envers le leader socia-liste. Pourtant les quotidiens mettentl’accent sur l’unité nationale. Le Progrèsn’hésite pas à demander au gouverne-ment « de réduire au silence les élémentsqui voudraient exposer publiquementles meilleurs moyens d’entraver la mobi-lisation ». Le 2 août, le directeur duRéveil du Nord, Édouard Delesalle,appelle à l’union de tous, « socialistes,républicains, conservateurs », pour dé-fendre, pour sauver la France. Le tonn’est guère différent dans La Croix duNord lorsque J. S., le journaliste lilloisÉmile Matthieu, reprend à son compteles propos du Figaro : « nous devonsavoir confiance dans le moral du pays,de tout le pays. Dans l’armée, dans legouvernement qui, nous le savons desource certaine, marche la main dans lamain de nos officiers supérieurs16. »« Guerre autro-serbe », « Crise euro-péenne », « Conflit européen »,… lesbarrettes traduisent le chemin qui mènevers une guerre généralisée. « L’irréparable est consommé17 » avec ladéclaration de guerre de l’Allemagne àla France le 3 août. Le rédacteur en chefde La Croix note le « sentiment de sou-lagement [de la population] parce qu’aumoins la situation est nette aujourd’huiet que le Français aime la clarté18 ». Aumoment des premiers départs, il sou-

ligne même « l’élan des populations,l’enthousiasme des partants [qui] dépas-sent vraiment toutes les prévisions lesplus optimistes », contrastant avec ledésespoir qui règnerait en Allemagne.La Dépêche n’y voit qu’une « sérénitécalme « et de « viriles résolutions ». Laveille, le gouverneur militaire de Lille ad’ailleurs appelé la population au calme,lui demandant de s’abstenir de toutgeste d’hostilité contre les personnes quisont arrêtées, d’attendre le jour de lavictoire pour organiser des manifesta-tions au son de la Marseillaise.

■ « La réserve patriotique »Comme beaucoup d’entreprises, lesjournaux paient à « un lourd tribut à la mobilisation », pour reprendre l’ex-pression du Grand Écho. Au total,quelque 3600000 hommes sont mobili-sés, dans les périodiques, ouvriers dulivre, administratifs et rédacteurs sontégalement appelés à rejoindre leurs uni-tés. Le Grand Écho donne une brèverelation des adieux des mobilisés à leurdirecteur Gustave Dubar. Si la mobili-sation désorganise les grands quoti-diens, leur effectif important leur permet de faire face. Par contre, elle porte généralement un coup fatal aux titres locaux qui fonctionnent avec un personnel restreint. Certains ferment définitivement. Dès le 30 juillet, lesdépêches télégraphiques sont censurées.Dans l’édition du 3 août de La Croix duNord, même s’il s’y résigne, Demdéplore les conditions dans lesquelles ildoit faire un quotidien : « Les nouvellesmanquent. Elles manqueront de longsjours encore sans doute. Pas un journalétranger, pas un journal de Paris n’estparvenu hier à Lille. Le téléphone desgrandes lignes est monopolisé par lesadministrations publiques. Mais lesréseaux urbains et restreints sontencore praticables. Le télégraphe nelaisse filtrer les dépêches qu’avec parci-monie et lenteur. C’est ainsi […] que destélégrammes d’Havas, expédiés de Parisdans la nuit de samedi à dimanche, nenous sommes parvenus qu’hier [lundi]vers cinq heures du soir. Il est vrai qu’ilsportaient cette mention : “Visé”19. »À la veille de la déclaration de guerre,l’état de siège, décrété le 2 août, limitela diffusion de l’information : l’autoritémilitaire peut désormais interdire toutepublication qui exciterait au désordre

ou l’entretiendrait. La loi du 5 aoûtinterdit la publication d’informationssur le transport des troupes, les effec-tifs, le nombre de tués ou de blessés, lesmouvements… autres que celles com-muniquées par le gouvernement ou lecommandement militaire. Les jour-naux du Nord se sont-ils « mobilisés »plus rapidement que le législateur l’im-posait ? Le communiqué qu’ils publientle 3 août laisse penser à une démarchevolontaire de leur part. La veille, lesdirecteurs des grands quotidiens, réu-nis au siège du Grand Écho, ont décidéde mettre leurs titres « à la dispositiondes autorités civiles et militaires » puisdans la journée en ont averti le préfetFélix Trépont et le général Franchetd’Esperey, commandant le 1er Corpsd’armée. Avant la loi du 5 août, ils ontainsi décidé d’un commun accord depasser sous silence les mouvements destroupes afin de faciliter la mobilisation.Dans son éditorial20, Le Réveil justified’ailleurs cette « réserve patriotique » et se déclare « certain de l’approbationunanime de ceux qui partagent [ses]idées pacifistes et d’émancipationhumaine », prêt à collaborer « de toutes[ses] forces, si les circonstances [le] met-tent en présence de cette éventualité, à l’œuvre de défense nationale ».L’ensemble de la presse s’engage àjouer un rôle pondérateur et à luttercontre les fausses nouvelles ou mal-adroitement optimistes.

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J O U R N A L D E L A S O C I É T É D E S A M I S D E P A N C K O U C K E

Le Réveil du Nord rend hommage à Jaurès dont il alongtemps soutenu lʼaction.

La déclaration de guerre de lʼAllemagne fait les grostitres. Ici, dans La Dépêche.

En attendant comme tous les journaux,les quotidiens régionaux ont vu leurpagination réduite à deux pages. À encroire La Dépêche qui parle de « tiragesformidables », l’intérêt des lecteurs pourla presse ne faiblit pourtant pas. Placéesous la surveillance de la censure, elle necesse d’annoncer des échecs allemands.Quels titres retenir alors que les Lilloissont gagnés par la panique après l’inva-sion de la Belgique? Ceux du Progrèsdu Nord qui annonce le 11 août que«notre armée déborde la frontière del’est », le 17 que « les Français repous-sent les Allemands » ? Ceux du Réveilqui mobilise les députés Ghesquière etDebierre, Le 24 août, Lille est pourtantdéclarée ville ouverte. Le 25, Le Réveils’affole : «Nous cessons notre publica-tion aujourd’hui au moment où notreplume va recevoir des injonctions », lelendemain, il sort une édition spécialepour annoncer le rétablissement de tousles services publics. Suivre la parutionde ces quotidiens à travers les collec-tions est bien difficile. Valenciennes est aux mains des Allemands dès le25 août, Cambrai le 26,… Un régimentde la Landwehr occupe Lille du 2 au6 septembre avant de repartir, infligeantau passage, selon Pierre Pierrard, uneamende de 350000 F à La Croix duNord « qui a comparé la marche desAllemands “au flot teutonique”21 ».La presse s’était engagée à faire lachasse aux fausses nouvelles, pourtantles titres victorieux s’enchaînent à la mi-septembre. Suivons encore LeProgrès qui, jour après jour, crie :« Vers la victoire » (13 septembre),« Est-ce la déroute allemande ? »(14 septembre) « Vers l’écrasement del’Allemagne » (15 septembre), « Oùs’arrêtera la retraite allemande ? »…pour annoncer triomphalement « Versla victoire ! » Au mot près, les man-chettes sont les mêmes d’un quotidienà un autre. Le mot « victoire » est celuiqui revient le plus souvent, alors queles Allemands viennent de s’emparerd’Orchies et de mettre méthodique-ment le feu à chaque habitation. LeRéveil du Nord a-t-il enfreint la loi surla censure ? Le 27 septembre, il est sus-pendu, il ne reparaît que le 2 octobresans aucune explication. Les journauxsemblent d’ailleurs supporter de plusen plus mal cette censure. Le 14 sep-tembre, La Croix s’en plaint, révélant

involontairement le sérieux de la situa-tion : « À mesure que le théâtre dugrand drame tend à se rapprocher de larégion, l’autorité militaire se fait plussévère avec la presse » et dénoncetoutes les mesures qui entravent laliberté de la presse. Les premiers blancsapparaissent dans les pages des jour-naux à la fin du mois de septembre. LeGrand Écho réussit pourtant à annon-cer que le curé de Maing a été tué parles Allemands. Le Progrès ne peut plusle cacher : les Allemands sont dans leNord même si, en plein siège de Lille,le 9 octobre, il affirme toujours sur sixcolonnes que la situation est excellente. À partir du 3 octobre, les Allemandsattaquent Lille qui tombe le 13 octobreaprès un intense bombardement :«882 immeubles ont été détruits ainsique 1500 maisons22 » dont les locauxde l’hebdomadaire Nord illustré. Lespériodiques ont fait paraître leur der-nière édition le 10 octobre. Le GrandHebdomadaire illustré qui vient de réaliser un numéro sur l’incendied’Orchies n’a pas eu le temps de le dif-fuser. Il ne le distribuera qu’après ladélivrance d’octobre 1918. La régionest désormais coupée en deux par unfront qui se stabilise selon une ligneallant de Nieuport à la frontière suissepassant à l’ouest de Lille, Lens,Péronne,… En zone occupée, les jour-naux français sont interdits, seule la

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J O U R N A L D E L A S O C I É T É D E S A M I S D E P A N C K O U C K E

presse sous contrôle allemand est auto-risée. Les locaux du Grand Écho, mal-gré les manœuvres dilatoires de sonrédacteur en chef 23, sont réquisition-nés. Pendant toute l’occupation lesAllemands y réalisent la Liller

Kriegszeitung. Dans la zone occupée,quelques titres continuent à paraître :Le Nord maritime à Calais, Le Télé-gramme du Pas-de-Calais à Boulogne,Le Petit Béthunois et Le Patriote àBéthune… sous contrôle français.

J.-P. V.

Lille va céder, Le Réveil du Nord annonce la cessationde sa parution.

1. « Atermoiements », Le Progrès du Nord, 3 mai 1913.2. Ch. de La Rue, « Gardons-nous ! », Le Progrès du Nord, 5 mars 1913.3. Martin-Mamy, « Ça va bien ! », Le Progrès du Nord, 27 mai 1914.4. Premier constructeur de cycles français, Adolphe Clément devient constructeur automo-

bile. Après s’être séparé de son associé, il prend le nom de Clément-Bayart. À partir de 1908, ilconstruit des dirigeables dont certains équipent l’armée française.

5. « Échec aux alarmistes », Le Réveil du Nord, 10 janvier 1914.6. « Un bon point », Le Réveil du Nord, 23 janvier 1914.7. La loi du 21 mars 1905, en ajoutant à l’obligation militaire l’universalité, avait ramené la

durée du service à deux ans.8. « Un clou chasse l’autre », Le Réveil du Nord, 22 mars 1914.9. « Les émoluments du frère Wellhoff », La Croix du Nord, 14 mai 1914.10. R. T., « Races tragiques », La Croix du Nord, 30 juin 1914.11. Henriot, « La semaine de Paris », L’Écho du Nord, 1er juillet 1914.12. « Le grain de sable », Le Réveil du Nord, 29 juin 1914.13. « Après la rupture austro-serbe », Le Progrès du Nord, 28 juillet 1914.14. Henri Langlais, « La situation », La Dépêche, 29 juillet 1914.15. Martin-Mamy, « Les suites du Kriegszustand », Le Progrès du Nord, 2 août 1914.16. J. S., « Confiance », La Croix du Nord, 1er août 1914.17. Titre de l’édition du 5 août 1914 du Réveil du Nord.18. Dem, « La guerre est déclarée », La Croix du Nord, 5 août 1914.19. Dem, « Impressions et scènes », La Croix du Nord, 3 août 1914.20. « Du sang froid ! », Le Réveil du Nord, 3 août 1914.21. Pierre Pierrard, Lille et les Lillois, Bloud et Gay, 1967, p. 259.22. Claudine Wallart, Le Nord en guerre 1914-1918, ADN, 1998. 23. Émile Ferré raconte cet épisode dans ses « Croquis et notes d’occupation », p. 12-17.

Octobre 1914. Les canons tonnent surle front. Les batailles rangées, lescharges de cavalerie et bientôt les panta-lons rouges sont passés de mode.Allemands, Français et Anglais se sontenterrés, face-à-face, sur un front quicourt de la Suisse à la mer du Nord.Dans les tranchées les soldats s’en-nuient, attendant le courrier. Et unpoilu, entre deux manilles et deuxassauts, a l’idée de faire un journal,rédigé dans la tranchée et polycopié àproximité. Il le nomme Le PetitColonial. Le premier numéro sort le23 octobre 1914. Trois jours plus tardparaît L’Écho de l’Argonne, suivi endécembre par Le Poilu, sans que, sem-ble-t-il, il n’y ait de lien entre ces créa-tions résultant « du besoin viscéral de ces soldats de trouver un exutoire à leurs misères et aussi de laisser un témoignage de leurs combats ».D’autres, beaucoup d’autres vont sui-vre, édités par des « biffins » bien sûr,mais aussi par des cuistots, des chas-seurs, des téléphonistes, des artilleurs,des médecins, des infirmiers1, desmarins, des aviateurs, des prisonniers2,etc. En France bien sûr, mais aussi sur lefront d’Orient, en Belgique, en Italie :André Charpentier (A. Ch.)3 recense474 titres différents pour l’armée fran-çaise, et il en a ignoré un certain nom-bre. Selon le même, l’armée belge connut laplus grande variété de ces journaux, sion rapporte ce nombre à la populationdu pays : on connaît 290 titres, dont130 d’expression française, 139 rédigésen flamand, et 21 bilingues. Amon nosautes, journal des soldats de Liège,compta jusqu’à 5000 abonnés. Il enexista au moins une cinquantaine rédi-gés par des soldats anglais, canadiens4,australiens ou néo-zélandais, et unecentaine édités par les combattants ita-liens. Les Américains en publièrentpeu, avec cette particularité que cer-tains journaux furent édités à bord desnavires les amenant en Europe. Biensûr les Allemands en publièrent aussi.On connaît 113 de leurs publications,et il faut y ajouter des titres autrichiens

ou hongrois. Certains de ces journauxont un rapport plus ou moins étroitavec notre région, un certain nombreétant accessible sur l’Internet. Dans son article « Guerre des mots,guerre des mémoires, la presse du frontallemande5 » Julien Collonges établitune distinction entre les Schützengra-benzeitungen (journaux des tranchées,au nombre de 22 sur 113) et lesArmeezeitungen (journaux des armées).Les premiers, émanant directement descombattants, réalisés et tirés dans lestranchées ou à proximité immédiateavec des moyens dérisoires à un faiblenombre d’exemplaires, réservés à lacompagnie, le bataillon ou le régimentqui les produisait, « furent, au moinsjusqu’à 1916, l’espace d’expression dela parole de témoignage et de dignitédes soldats ». Les Armeezeitungen,créés à l’initiative des autorités, dispo-sant de moyens importants (parfoisréquisitionnés comme la Liller Kriegs-zeitung) étaient un moyen de propa-gande par lequel le commandementmilitaire cherchait à s’assurer de l’étatd’esprit et du comportement des sol-dats. La distinction existe aussi bienentendu côté français, même si elle estmoins nette. Les autorités allemandesavaient-elles eu connaissance de l’ini-tiative du généralissime russe Kouro-patkine, qui lança, en 1904 un journal,Le Messager de l’armée de Mandchou-rie, à l’intention des soldats engagésdans la guerre russo-japonaise6 ?

■ Les « journaux du front » et notre région7

Des journaux nés en ArtoisCertains de ces journaux sont nés enArtois, tels Le Sans tabac du 66e régi-ment d’infanterie, Le Canard du boyaudu 74e RI, ou Le Terrible Poilu Torial.Le Crapouillot est également né cheznous. Le titre Á la 6-4-2 a été créé enautomne 1915 par des officiers du2e bataillon du 246e RI, alors que lerégiment se trouvait au repos à l’arrièredes lignes, après six mois de combats enArtois. Les créateurs du Sans tabac : organe

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Quand les poilus éditaient leurs journaux

par Bernard GRELLE

aimablement rosse ont combattu sur lefront d’Artois. On trouvera les numé-ros 16 (6 juin 1916) à 51 (décembre1918, le dernier) dans Gallica. Le jour-nal est né dans le secteur du Mont-saint-Éloi en octobre 1915, mis au jourpar cinq aspirants. Le titre vient durefrain du régiment, « Le Soixante-sixième Sans tabac » (A. Ch.). Le 66e abeaucoup voyagé. Il a reçu le « baptêmedu feu » à Nomeny (Meurthe-et-Moselle), où le régiment, képis et pan-talons rouge, a chargé en ligne, à labaïonnette ; il était à Verdun, a parti-cipé à la bataille de la Marne, puis estpassé dans l’Aisne et dans la Somme :ce sont les lieux évoqués dans le jour-nal, avant d’arriver dans le Pas-de-Calais, et de bénéficier d’une journée àla plage de Merlimont, décrite dans unarticle du numéro 16 et une page dedessins dans la livraison du 6 juin. Cessouvenirs prennent parfois un ton nos-talgique : combien le poète regrette den’avoir pu goûter à Sainte-Menehould,aux pieds de cochon, spécialité gastro-nomique de la ville ! Assez curieuse-ment le régiment terminera la guerre àl’endroit où il l’avait commencée. Le Canard du boyau, bulletin officieuxde la 74e demi-brigade a été fondé par quatre Poilus, dans le secteur deNeuville-Saint-Vaast, en juillet 1915.Un normand, Gaston Corroyer en futl’animateur. Le premier numéro estdaté d’août-septembre 1915, et le der-

Sans tabac : organe aimablement rosse parut jusquʼendécembre 1918.

nier, numéro 18, d’octobre-décembre1918. Il était imprimé par Le Journalde Rouen sur quatre pages, format25 × 33 centimètres, quelle que soit laposition de cette unité. Le tirage a variéde 1 000 à 2 500 exemplaires. Cettepublication fut irrégulière, trois, voiresept mois séparant la sortie de deuxnuméros, à cause des aléas de la guerre(A. Ch.). Le Terrible Poilu Torial, fondé en 1915,journal du 142e régiment territoriald’infanterie, est né à La Bourse, alorsque le régiment tenait le secteurCambrin-Mazingarbe. C’est ÉmileDaru, un instituteur qui se lança dansle journalisme après la guerre, qui eneut l’idée. Le premier numéro, datéd’avril 1915, fut imprimé à cinq centsexemplaires à Béthune. La hiérarchieapprécia peu cette initiative, et le jour-nal cessa de paraître après le troisièmenuméro (A. Ch). Le régiment était baséà Pau ; on y trouve donc des plaisante-ries mettant en scène Basques etGascons, certaines en langue basque –comme on trouve dans d’autres jour-naux des textes en langue d’Oc, enpicard, et même (de manière anecdo-tique) en chinois8 ; on y trouve aussipar exemple un « Soliloque de la tran-chée », signé « Cadet de Pamperruque »(la pamperruque est une danse origi-naire de Bayonne), qui fait appel auxmannes de Cyrano et de d’Artagnan.On ne trouve sur le site Gallica que lenuméro 1 (qui porte le numéro 11 parla grâce d’une fantaisie des créateursdu titre).Le premier numéro du Crapouillot :feuille de guerre, sans doute le plusconnu des journaux de tranchées àcause de sa pérennité, fut conçu àNeuville-Saint-Vaast et parut en août1915. Il n’avait alors que deux rédac-teurs, le caporal Jean Galtier-Boissière,qui, s’ennuyant ferme, dessinait et écri-vait, et Marcel Chassin, étudiant endroit avant la guerre. Les textes étaientenvoyés au père du fondateur, médecinà Paris, qui se chargeait de la mise enpage et veillait à l’impression. Le regis-tre du Crapouillot tranche avec la plu-part des autres journaux de tranchées,qui sont plus destinés à distraire qu’àdépeindre la réalité de la guerre. Dès lapremière livraison, intitulée Courageles civils!, le ton est donné. La volontéde lutter contre le bourrage de crâne

valut bien des coups de ciseaux aujournal. Qu’on juge de la verdeur del’expression : « Tous ces mercantis del’héroïsme n’ont rien compris à laguerre, à ses horreurs et à son caractèrecatastrophique ; ils n’ont pas compris,ou n’ont pas voulu comprendre le com-battant. […] Taisez-vous ! Pendant quenous supportions pour le pays les pluseffroyables épreuves que des hommesaient jamais supportées, vous, paro-distes infâmes, vous nous avez trahis ! ».

La Voix du 75, née en janvier 1915,est confectionné par les soldats du1er groupe du 62e régiment d’artillerie,«qui guerroyait alors autour de Notre-Dame-de-Lorette et dont le séjour enArtois devait se prolonger jusqu’à l’of-fensive de Verdun en janvier 1916(A. Ch.) ». Il fut imprimé à Nœux-les-Mines à 200, et parfois 300 exem-plaires, dans un minuscule atelier situétout près des lignes françaises, sous lefeu des canons allemands. Ce journals’arrêta au numéro 11, son promoteur,le lieutenant Baudre, ayant été blességrièvement à Verdun en mars 1916. Onpeut lire les numéros 1, 2, 4 et 5 sur lesite de la B.D.I.C.Ajoutons à ces titres Les Mitrons del’Avant : Écho de la boulangerie deguerre de Bourbourg. Organe Remèdecontre la Neurasthénie et le Mauvais

Temps. Paraissant à l’improviste ; cejournal n’aurait paru qu’en 1916. Seulsles numéros 9 (11 juin) et 10 (25 juin), –deux simples feuilles imprimées recto-verso – ont été mis en ligne par laBibliothèque de Documentation Inter-nationale Contemporaine (B.D.I.C.)9.Cette boulangerie, chargée de ravitail-ler le front, dépendait de la 1re C.O.A.La correspondance était à adresser à«M. le Directeur technique des Mi-trons de l’avant, Centre de fabricationde Bourbourg ». Ce titre est ignoréd’André Charpentier.

Des journaux nés sur l’Yser ou en FlandreD’autres journaux sont nés ou ont vécusur le front de l’Yser et la région deDunkerque. Le Télé-mail (ainsi nomméà cause de la proximité et de la fréquen-tation quotidienne des Tommies),organe des Sapeurs Télégraphistes etRadiotélégraphistes en campagne,paraissant où il peut, est né à Harringhepetit village belge frontalier, prèsd’Oost-Cappelle. Le 3e Bataillon estlancé par le commandant Blais, en mai1915, quelque part sur le front del’Yser, comme Face aux Boches (avril1915).

L’Écho des dunes, qui porte en sous-titre : le plus fort tirage des journaux dufront. Entièrement rédigé et imprimé surle front. Évitez les contrefaçons. Ne pasdemander L’Écho des Thunes. Paraît si

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Quand les poilus éditaient leurs journaux

La Voix du 75 fut imprimé à Nœux-les-Mines, sous lefeu des canons allemands.

La Revue poilusienne est vendue 40 centimes.

possible deux fois par mois avec supplé-ment, est un in-quarto de douze pages,il est imprimé entre Coxyde etDunkerque par les artilleurs de la111e batterie de 240 du 51e régimentd’artillerie. Il accueillait des contribu-tions de soldats de différentes armes,ainsi que de soldats belges. La batterieétait installée près de Nieuport. Lesnuméros 6 à 9 (décembre 1916-mars1917) sont consultables sur Gallica.L’Écho des dunes donna naissance à unsupplément humoristique, La Cane. Enjanvier 1918, L’Écho des dunes fut rem-placé, sous l’impulsion du colonelTahon, (un Dunkerquois), par LaRevue poilusienne franco-belge : revuesportive artistique et littéraire du front,après avoir absorbé La Cane. Ontrouve dans le premier numéro du nouveau périodique l’avis de décès de L’Écho : « L’Écho des Dunes n’estplus… Inclinons-nous devant sa morthéroïque au champ d’honneur. Cen’était qu’un timide enfant de la grèveet du sable hospitalier, mais, en bonFrançais, il a voulu suivre à l’attaqueles légions sublimes de la 1re armée.Trop dure était l’épreuve : il est restédans la plaine marécageuse de l’Ysersous la mitraille boche et les intempé-ries d’un ciel inclément et cruel. Soyonsfiers ! L’Écho des Dunes est mort pourla France ! »

Hurle Obus – devenu dès le deuxièmenuméro Hurl’obus – Écho des terriblesTorriaux (sic), organe des tranchées du12e Teral Infie, le plus fort tirage du front,

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est né en août 1916 « sur les bords fleu-ris de l’Yser, où tant de Boches ontrendu leur âme au diable et leur corps àla terre ». En supposant que lesAllemands n’aient pas deviné où setrouvait le 12e régiment d’infanterie dela territoriale qui publiait Hurl’obus,un sonnet sur Nieuport (n° 2), la villemartyre, les aura sans doute bien viteéclairés. Ce régiment, basé avant laguerre à Amiens, où le journal étaitréalisé par l’Imprimerie Pierrard, com-portait dans ses rangs nombre dePicards et de gars du Nord Pas-de-Calais. On trouve, dès le premiernuméro, une « Lettre à tchio Tisse »,écrite « Pour les Picards » dans unpicard proche de celui de la métropole.Par contre l’article « Pour finir eldjérre » est à coup sûr écrit par un natifde la Somme : les « pouéy » (pays) ou« j’avoué » (j’avais) ne trompent pas. Onpeut lire cinq livraisons de ce pério-dique sur le site de la B.D.I.C. (du n° 1,août 1916, au n° 5, décembre 1916). Lejournal nous éclaire sur le choix de sontitre. Un plaisantin avait transformé lenom d’une villa de Malo « Hurle bise »(qui n’est pas sans rappeler WutheringHeights) en « Hurle obus » : le nom dunouveau journal était tout trouvé. Ànoter que le numéro 8 est particulière-ment rare : la plupart des exemplairesfurent enfouis avec le porteur lors d’unbombardement (A. Ch.).Le Nonante : Journal de la Ville, de laCampagne et de la Mer, dont les numé-ros 2 (22 juillet 1916) et 3 (15 août 1916)sont lisibles sur Gallica, publie unroman à suivre, « Le Mystère deCoxyde», une chronique, « Le cri desdunes et du polder », une chanson inti-tulée Fleurs de Nieuport : il a été à coupsûr édité dans le même secteur queL’Écho des dunes. Quoique le journalsoit imprimé à Paris, quelques indicespourraient laisser supposer que c’estpeut-être un périodique écrit avec la col-laboration de poilus belges ; le titre biensûr, mais aussi l’emploi à nouveau de cemot dans un article (« Il se radoucit ennous apprenant une bonne nouvelle :celle de l’arrivée au parc d’artillerie d’unobusier de nonante…»), mais quatresur cinq des noms cités au tableaud’honneur de Nonante sont français (ouwallons), un seul a une consonance fla-mande. Selon la B.D.I.C., Le Nonantedeviendra L’Yser moi en 1916.

Face aux Boches, bulletin destiné à ladestruction des cafards dans les boyauxdu front (numéros 1 à 4 disponibles surle site de la B.D.I.C.) a été créé en août1915, par deux officiers, avec la per-mission du colonel commandant lerégiment. D’abord imprimé à Châlons-sur-Marne, puis à Paris, il fit l’objet,comme beaucoup d’autres, d’un faire-part de naissance dans la presse del’arrière (La Liberté, Le Petit Journal,La Presse, Les Débats, L’Éclair, L’Ouest-Éclair et La Chronique de Fougèresd’autres peut-être, tous les journauxn’arrivant pas au front, signalent lanaissance de ce périodique). Ces men-tions sont l’occasion d’un trait d’esprittypiquement « poilu ». L’un de cesjournaux avait écrit : « Face aux Bochesest un nouveau journal de tranchéesqui ne le cède en rien à tous ceux quipullulent sur le Front… », et un Poilude commenter « Diable ! Mais si je neme trompe, nous voici classés dans lacatégorie des parasites joyeux ! ». Faceaux Boches, organe du 76e régimentterritorial d’infanterie, qui fit toute laguerre en Belgique, connut les vicissi-tudes habituelles des journaux duFront.La Chéchia, journal du 1er régiment demarche de zouave, fut lancé le 23 mai1913 alors que le régiment se trouvait àCoxyde, secteur de la Grande Dune. Ilétait polycopié, entre 800 et 1000 ex-emplaires, et suivit les déplacements durégiment : Nieuport, la Champagne,

Quand les poilus éditaient leurs journaux

Hurle Obus est né en août 1916 sur les bords de lʼYser.

Le Nonante, imprimé à Paris, et écrit avec la collabora-tion de poilus belges ?

Verdun, la Somme, l’Aisne, l’Oise ; laMeuse pour terminer sa course à Ems.Le Zouzou, journal à éclipse, organespécial du 20e bataillon [de Zouave], futcréé par trois sous-lieutenants enattente d’affectation, à Wahrem, com-mune séparée de la Belgique par les vil-lages de Hondschoote et Les Moëres.Le Zouzou est un titre de substitution :les créateurs avaient d’abord nomméleur journal La Chéchia, avant des’apercevoir que ce titre était déjà pris,et de changer de titre au numéro 7. Lesjeunes responsables du journal y glissè-rent une devise ambigüe (« Pan Panl’Arbi, les chacals sont par ici »), quandon sait le rôle joué par les tirailleurstunisiens, algériens et marocains danscette guerre. Le Zouzou disparut aprèsle dix-neuvième numéro, ses promo-teurs étant envoyés dans différentesunités. Il tirait à 200 exemplaires (A.Ch.). D’autres d’unités sont passéesdans la région : on peut trouver dansleurs journaux l’écho de leur présencechez nous.

Des journaux créés par des NordistesLe 120 “court” et Les Cats-huants ontété produits ailleurs sur le front, maisoffrent la particularité d’avoir été crééset animés par deux soldats originairesdu Ternois. Les animateurs de cespériodiques font l’objet d’articlesdétaillés par M. Paul-André Trolle10.Le 120 “court”: revue d’un jeune

bataillon de chasseurs, seul Journal reliépar fil spécial « cordon détonant » avecles tranchées boches naquit le 20 juillet1915 ; le numéro 46 et dernier sortit endécembre 1918. On peut lire, grâce à laB.D.I.C., les cinq premiers numéros(du 20 juillet au 15 septembre 1915)sur internet. Le journal a été créé àl’initiative du commandant Rousseau,qui en confia la rédaction à ClovisGrimbert. Le journal parut sur quatrepages, (exceptionnellement douze)d’abord à Saint-Dié, puis Nancy, avecun format de 25 × 32 centimètres,et fut tiré jusqu’à 2 000 exemplaires(A. Ch.). Les Cats-huants est né dans une ambu-lance de campagne (la 1/1, section 40)en 1915, à l’initiative de Jules Garçon,alias Georges Lenternic en littérature,natif de Saint-Pol-sur-Ternoise. Il avaitdéjà créé à l’hôpital de Berck-sur-Merun autre journal, L’Embuscade, et ilcollabora au 120 “court” de son amiClovis Grimbert. Les Cats-huants estignoré d’André Charpentier.

Le Bulletin des réfugiés du nord(25 août 1915) fait état du Journal destranchées, dont l’un des principaux ani-mateurs, le sergent Ferdinand Lemaire,travaillait avant la mobilisation chezPlanquart à Roubaix. Le Bulletin setargue d’être « un peu le parrain » de ceJournal. Les premiers numéros étaientécrits à la main, à deux exemplaires,dont l’un était envoyé au Bulletin, l’au-

tre passant de main en main. LeBulletin décida d’aider FerdinandLemaire, et lui trouva une machine àpolycopier, afin que le journal puisseêtre distribué à toute la 10e compagniedu 84e régiment. Sans doute faut-ilconfondre ce Journal des tranchées avecLe Journal des tranchées de Saloniquecité par André Charpentier : une lettreenvoyée de Serbie par Lemaire, datéedu 18 décembre 1915 et publiée unmois après par Le Bulletin, annonce eneffet l’arrêt de la publication du jour-nal. Les conditions de vie sont très dif-férentes de celles du front français ; laguerre est certes moins meurtrière,mais beaucoup plus pénible : rien àacheter pour améliorer l’ordinaire, ter-rain humide en plaine, très accidenté enmontagne, sans voies de communica-tion ; pas de « cagnas » ni de cantonne-ment, froidure la nuit et chaleur acca-blante la journée. Publier un journalest devenu impossible !

Des journaux allemands dans la régionN’oublions pas les journaux allemandsfabriqués pour les troupes allemandesengagées dans la région, même si maméconnaissance de l’allemand ne m’aguère permis d’utiliser que les dessins.Tout d’abord la Liller Kriegszeitung etson supplément les Kriegsflugblätter,deux feuilles imprimées à Lille. Noslecteurs connaissent déjà ce journal,grâce à l’article que lui a consacré Jean-Paul Visse11. Les conditions de produc-tion de la Liller Kriegszeitung sont biendifférentes de celles des « journaux duFront ». Ce journal, destiné à l’ensem-ble des combattants de la 6e armée alle-mande dans le nord de la France, estimprimé à 75000 ou 100000 exem-plaires sur les presses – réquisitionnées– de L’Écho du Nord à Lille, ville derepos des troupes, et non dans les tran-chées ou sur le front, même si des arti-cles y ont été rédigés. Il s’agit pourtantd’un périodique écrit par et pour lessoldats. C’est à ce titre qu’il peut êtreretenu. On pourra lire la collectionintégrale (8 décembre 1914-27 septem-bre 1918) de la Liller Kriegszeitung surle site de l’Université d’Heidelberg12. On trouvera sur le site de laBibliothèque nationale autrichienne13

la collection du Schützengraben14, jour-nal du XIVe corps de réserve, qui parut

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Quand les poilus éditaient leurs journaux

Le 120 “court” a été créé à lʼinitiative du commandantRousseau, qui en confia la rédaction à Clovis Grimbert.

Face aux Boches a été créé en août 1915 par deux offi-ciers.

du 22 août 1915 au 7 juin 1917. Le pre-mier numéro contient une publicitépour le marché de Bapaume, où les sol-dats allemands étaient censés trouverlégumes, œufs, beurre et gibier (!). Àpartir du numéro 9 (11 novembre1916), il est clairement indiqué dans latêtière – qui change de présentation àchaque numéro – que le journal estimprimé à Bapaume, par l’imprimeriede campagne de l’intendance du corps,sur six, puis huit, voire douze pages.Mais la dernière livraison (7 juin 1917)est réduite à un recto : Les alliés vien-nent de reconquérir (temporairement)la ville. La rédaction était confiée auStabsarzt Dr Körber, puis en mai 1917,au Dr Schnabel.

La Bibliothèque nationale et universi-taire de Strasbourg a mis en lignequelques autres journaux du front édi-tés par des unités de l’armée allemande,dont les Hohnacker neueste Nachrich-ten, le tout premier périodique dugenre puisque le premier numéro parutle 14 septembre 1914, précédant deplus d’un mois Le Petit Colonial, etaussi la Schützengrabenzeitung, organed’une unité qui a combattu dans lesVosges, puis dans le Nord de la France.Il y eut sans doute d’autres journauxédités, au moins temporairement dansla région. Die Somme-Wacht, éditéepar la 1re armée, publia, malgré sontitre des dessins du château d’Havrin-court15 ou des reproductions de gra-vures du musée de Cambrai16.

■ Anatomie des « journaux du front »

Pourquoi de tels journaux ?Dans son adresse aux lecteurs, Le120 “court” affirme : notre « seuleambition […] sera d’entretenir dansvos rangs la gaîté et la bonne humeur,vertus du caractère français » ; ce pério-dique sera « tantôt sérieux, tantôt caus-tique, le plus souvent rieur et gavroche,il formera un acte de foi, de gestehéroïque, de bons mots, de trouvailles,de… papotages ». On peut lire dans lenuméro 1 de la Congoli-gazette, organedu « groupe 120 long du 17e d’artille-rie» : « La bonne humeur étant la forceprincipale des armées, cet organe estcréé pour entretenir la gaieté et labonne humeur du groupe » ; et dans lapremière livraison du Boum ! Voilà !Écho marmiteux des tranchées « la poli-tique étant supprimée depuis août1914, nous n’en parlerons pas, et il nenous restera plus qu’à essayer d’êtreamusant ». Faire rire et distraire sembleêtre la préoccupation principale descréateurs de ces journaux. Par contre,le contenu de L’Écho des dunes incite àpenser que ses créateurs affichaient,outre le souci de distraire, des buts plusnobles. Ce en quoi ils se rapproche-raient de la Liller Kriegszeitung, crééepour apporter aux officiers et hommesdu rang, qui « affrontent l’ennemi pourl’honneur et la protection de la GrandeAllemagne », un objet de lecture capa-ble d’élever leur esprit et de réjouir leurcœur, selon l’avertissement figurant entête du tout premier numéro (DenOffizieren und Mannenschaften unsererArmee, die vor dem Feinde stehen zuSchutz und Ehre unseres grossenDeutschen Vaterlandes wollen wir einenLesestoff bieten, der in stillen Stundender Wacht oder Ruhe ihnen Geist undHerz erhebt und erfreut).Mais ces journaux ne sont pas seule-ment simple distraction. StéphaneAudouin-Desrouzeau écrit à proposdes journaux de tranchées français :« Indice du besoin de parole d’unecommunauté frustrée de moyens d’ex-pression, la presse de tranchées se situefinalement au confluent d’aspirationsnombreuses et contradictoires. Cellesdu commandement, soucieux de main-tenir le moral, la discipline, l’esprit decorps et le respect de la hiérarchie s’op-posent à celles des combattants, dési-

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reux de s’élever au-dessus de la misèrequotidienne de la guerre, de témoigner,et de reconquérir une dignité par l’écri-ture. Ainsi trouve-t-on souvent propa-gande et témoignage inextricablementmêlés17 », et ailleurs : « écrire, éditer unjournal, être lu [c’est] reconquérir unedignité, s’élever au-dessus de l’anony-mat, du nivellement, de la médiocritéde la guerre et du quotidien ». Redevenir un homme, au moins pourun moment…

■ La fabrication de ces journauxRédactions et administrations Parfois les responsables de la publica-tion sont clairement identifiés, ainsipour L’Écho des Guitounes, La Chéchia,ou Bavons dans l’Paprika et, naturelle-ment, la Liller Kriegszeitung. L’Échodes dunes a un rédacteur en chef, un gérant, et même un dépositaire. LaRevue poilusienne franco-belge annoncefièrement deux directeurs fondateurs,un rédacteur en chef et une dizaine decollaborateurs attitrés. Mais ce n’est pas toujours le cas. Le 120 “court”ne désigne nommément personne, dumoins dans les numéros que j’ai puconsulter. Le Plus-que-Torial a pourdirecteur-fondateur un ecclésiastique,«Père Iscop » et pour rédacteur en chefun certain « O. Busier» ; Le Chat pelot-tant a, pour «gérant irresponsable » uncertain «Anonyme ». La Schützengra-benzeitung, organe d’une unité qui acombattu dans les Vosges, puis dans leNord de la France avant de partir sur lefront de l’est est plus hardie – ou timo-rée : personne n’est rédacteur ni respon-sable, car personne ne veut être respon-sable de la guerre (“VeranwortlicheRedaktion Niemand, weil für den Kriegauch Niemand verantwortlich sein will”).

Des journaux très surveillésMais que le nom du rédacteur-en-chefsoit indiqué ou pas ne change rien : cesjournaux sont étroitement surveillés.Certains des tout premiers, vraimentfabriqués dans les tranchées et tirés àquelques exemplaires, ont peut-êtrejoui d’une certaine liberté. Mais cela nedura pas. Dès que la hiérarchie mili-taire eut connaissance de cette activité,elle la réglementa. C’est que la guerre est aussi une affairepolitique. Les anarchistes la refusaient ;une partie des socialistes et des syndi-

La Liller Kriegszseitung est imprimée sur les rotativesdu Grand Écho du Nord interdit par lʼoccupant.

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calistes des deux camps, qui n’avaientpas oublié les résolutions de congrèsqui préconisaient la grève générale encas de guerre, refusant le triomphe duchauvinisme et du militarisme à l’inté-rieur de la Social-démocratie, etcondamnaient la participation auxgouvernements d’Union sacrée se réu-nirent du 5 au 8 septembre 1915 àZimmerwald. Français et Allemands yadoptèrent une déclaration communecondamnant la guerre. Les journaux,tous les journaux devaient donc êtresurveillés. En 1917, Le Pays lança unesouscription en faveur des journaux detranchées, souvent impécunieux. Laréponse ne se fit pas attendre. Une notede Pétain, général commandant enchef, datée du 21 octobre 1917, interdit« de la façon la plus absolue qu’aucunsubside provenant de l’initiative privéesoit acceptée par lesdits journaux sanspasser par mon intermédiaire ». C’estqu’on craignait que des journaux netombent sous la coupe de groupes hos-tiles à la guerre. Contrairement à cequ’écrivait Boum ! Voilà ! la politiquen’était pas supprimée depuis août1914, même si les journaux du frontn’en parlaient pas. Outre la censure surles journaux écrits par les combattants,on tentait de tenir ces derniers écartésdes mauvaises lectures. Le Droit despeuples rappelle ainsi à ses lecteurs queles vendeurs de journaux sur le frontdoivent toujours tenir ce titre. Il prieses « camarades soldats » de lui « signa-ler les vendeurs qui refuseraient de leurprocurer le journal18 ».Si le Grand Quartier Général étaitfavorable aux journaux de tranchées,témoin la note que signa Joffre fin 1915– « Il m’a été rendu compte que cer-tains journaux de tranchées avaient étésupprimés par ordre des officiers géné-raux sous les ordres desquels se trou-vent les corps où ils sont publiés. Cesjournaux ont pour but de distraire etd’amuser les combattants. En mêmetemps, ils montrent à tous que nos sol-dats sont pleins de gaité, de confianceet de courage […] J’estime que leurpublication mérite d’être envisagéeavec bienveillance. » –, c’est qu’il espé-rait en tirer un avantage : « Le servicede propagande au ministère desAffaires étrangères utilise les journauxde tranchées pour montrer aux corres-pondants des journaux étrangers l’ex-

cellent esprit qui anime nos troupes surtous les fronts. » Certains officiers com-prirent le message : le colonel Leclercqfavorisa successivement Paris Minen,Brise d’entonnoir et Le Bulletin dés-armé, au gré de ses affectations ;le colonel puis général Brissaud-Desmaillet réunit lui-même les comitésde rédaction des journaux qu’il lançapour les unités qu’il commandait(L’Esprit de cor, Le Diable au cor, LeVoltigeur) et certains en furent remer-ciés (« Merci au général […] et à tousles chefs qui, connaissant la valeurmorale de l’humour, ont bien voulu,avec tant d’indulgence, encouragerles premiers pas du 120 “court”. »)D’autres furent plus réticents : L’Échodes dunes, dans son n° 7, écrit au capi-taine d’infanterie M. « qui s’est emparédu local de notre direction à Malo-les-Bains et lui a mis son matériel dehorssans même lui donner le temps de trou-ver un cantonnement ». Par chance,L’Écho trouva un local « royal » àCoxyde-les-Bains.

Le Lacrymogène gagna une ronéo à unconcours des journaux du front : le chefde bataillon refusa qu’elle soit trans-portée dans la voiture du bataillon ; lelieutenant-colonel commandant le134e RI critiqua, dans une note augénéral commandant la Division, leton de certains articles parus dans LaGazette du Créneau, articles qui étaient

Quand les poilus éditaient leurs journaux

« presque toujours de nature à créerdans l’esprit des lecteurs du regret del’arrière, de la lassitude pour la vie deFront, et à évoquer des idées amollis-santes, sa patience et sa résistance », etcensura le journal. Le général fitrépondre au rédacteur-en-chef qu’ilattirait son attention « sur la nécessitéde chercher avant tout à distraire seslecteurs, en évitant de faire naître eneux des regrets de nature à les influen-cer de façon regrettable. [Qu’] il verraitpublier avec plaisir certains échos de lavie du secteur tels que les résultats heu-reux de vos coups de main, la résis-tance opposée à ceux de l’ennemi, lescitations, etc. »Quand il y avait bienveillance, elle n’al-lait pas sans surveillance. Elle n’existaitque « dans la mesure où elle ne nuir[ait]pas au service et à la condition que leurrédaction soit sérieusement surveillée,pour éviter l’apparition de tout articlene correspondant pas au but ci-des-sus».Joffre avait institué un contrôle auniveau de la division. Pétain dans sacirculaire du 21 octobre 1917 va le ren-forcer : « Mon attention a été appelée[…] sur les dangers que pourrait pré-senter, au point de vue militaire, unmanque de surveillance de la rédactiondes journaux de tranchées. Il est indis-pensable que leur censure soit régle-mentée d’une façon spéciale. En consé-quence, j’ai décidé qu’à l’avenir tous lesjournaux de tranchées rédigés dans lesÉtats-majors de division ou de brigadeet dans toutes les unités inférieuresseront censurés par la division ; ceuxrédigés dans les États-majors de divi-sion le seront par les C.A. (i.e. corpsd’armées)19 ». Les rédacteurs ne s’ytrompent pas : « Le soldat peut-il expri-mer son opinion sans craindre lesciseaux ? Peut-il critiquer les décisionsvenues d’en haut ? Non. Pour l’instant,il nous faut réfléchir » (La Revue poilu-sienne, n° 1, janvier 1918). On trouveaussi dans le numéro 5 de La Voix du75 la note suivante « Une belle publica-tion illustrée donne une vue d’un quar-tier du village de Notre-Dame-de-Lorette qui a échappé à la destruction »et de poursuivre : « pour votre instruc-tion, M. R., vous saurez qu’il n’y ajamais eu à N.-D.-de-Lorette un vil-lage, mais une chapelle seulement, dontil ne subsiste pas le moindre vestige, et

Le lacrymogène qui ne fut guère aidé par la hiérarchiemilitaire.

pour votre punition nous vous invitonsà lire ce que nous écrivions dans notredernier numéro sous le titre La galeriedes Salauds ». Si on se reporte aunuméro 4 on peut lire : « La rédactionde La Voix du 75 s’était promis designaler sous cette rubrique tous lesjournaux illustrés de l’intérieur quipublient des photos truquées de laguerre, mais elle a dû y renoncer parceque, d’abord, Anastasie20 “ne voudraitrien savoir”, et parce que les mar-chands du temple sont trop nom-breux». Et La Voix du 75 de réclamer àson tour la censure : « mais, désireusede sauvegarder l’intérêt historiquecompromis par de faux documentsqu’on présente au bon public commeétant l’image de la vérité, elle a l’hon-neur de demander qu’il soit désormaisinterdit à quiconque de publier desvues de la guerre ». Les journaux de tranchées ont le droitde parler de tout, comme Figaro, àcondition d’exclure la guerre, les opéra-tions, la politique, la religion, et leschefs – grands et petits –, sauf à lesencenser. La censure est une réalité, etcertains journaux osent la dénoncerdirectement ou indirectement. Lenuméro 30 du Seau à charbon est-ilégratigné ? La rédaction lance unconcours entre ses lecteurs : deviner etrestituer les mots censurés. La page 16du numéro 3 de Bellica (début 1916) necomporte qu’un dessin : la « silhouettehargneuse d’une vielle dame qui bran-dit d’énormes ciseaux » ; les censeursn’avaient pas apprécié un article dePaul Vaillant-Couturier « Cadavres ».Pourtant la censure civile (Les jour-naux du Front imprimés à l’arrièreétait soumis, comme tous les écrits, àcette autre censure, qui n’était pas tou-jours en harmonie avec son homologuecasquée) n’avait rien trouvé à couper, etle texte de Vaillant-Couturier parut unpeu plus tard dans une revue pari-sienne. Les dessins de la page 2 de l’édi-tion du 18 février 1915 du Télé mail(n° 18) sont occultés par des hachures :censurés. La livraison de février 1917du Poilu du 6-9 annonce que le numérosensationnel de janvier a été interditpar la censure. Le Tord boyau écrit queson numéro 1 a été intégralement cen-suré par le censeur militaire : il ne res-tait à imprimer qu’une publicité pourles Bons de la défense ! Il y eut donc

deux éditions de ce numéro : l’une avecle texte intégral distribuée aux abonnésde l’arrière, l’autre, blanche pour leFront. Lorsque la hiérarchie apprit lachose, elle voulut supprimer le journal,qui ne fut sauvé que par l’interventionde deux écrivains qui travaillaient àl’État-major (A. Ch.). Le Terrible PoiluTorial affirme que ses dix premiersnuméros ont été interdits par la censure– réalité ou ironie ? Un rectangle blancsuit le titre « La situation militaire »dans le numéro 1 de L’Ancre rouge.Anastasie veillait.De temps en temps, une assertion, unarticle, un dessin échappent à l’œil ducenseur. Dans L’Écho des dunes (n° 6),on trouve une historiette moquant lesofficiers de l’État-major. L’un d’eux ins-pecte les lignes, et houspille un soldatqui, dans un boyau à huit mètres destranchées allemandes, ne fait rien. Lesoldat dégoupille alors une grenade, etl’officier de s’écrier « Attendez unmoment ! » avant de déguerpir. Dans lemême numéro la rédaction invite à fêterNoël avec plus d’entrain que jamais :«Gaudeamus igitur21… (Ré-jouissons-nous) ». Il est vrai que le premier coupletcomplète ce vers dans un autre sens:réjouissons-nous tant que nous le pou-vons, car à la fin nous finirons en terre.Le Looping, journal d’aviateurs, porteen exergue « Je crois bien que je vais mecasser la g… ! ». Dans le numéro 3(22 août 1915) du 120 “court”, J. R.demande, dans un poème, où est « Lamaison du chasseur », et donne laréponse : « En Alsace, à l’abri d’un bois /six planches, de l’herbe, une croix ». Lelieutenant-colonel cité plus haut auraitsans doute vu là des injures à l’adressedu corps des officiers et des atteintes aumoral de l’armée !La même censure s’exerçait sans doutedu côté allemand, favorisée par legrand nombre d’Armeezeitungen. Etl’arrière imposait aussi sa censure : ImSchützengraben in den Vogesen, fut dis-tribué en Allemagne, sauf à Berlin etdans la province du Brandenburg : lepasteur et député Meyer-Herford enempêcha la diffusion, au prétexte quele contenu n’était pas « conforme ausérieux exigé par l’époque ».

Financer un « journal du Front »Publier un journal, certes, mais com-ment le financer, surtout dans la

durée ? N’oublions pas qu’il s’agissaitde créations personnelles, nullementfinancées par l’armée : les problèmesd’impression étaient les mêmes, à uneéchelle réduite, que ceux que rencontreune entreprise de presse traditionnelle.Bien sûr, lorsque la création du journalétait décidée par le commandement (LeVoltigeur créé à l’initiative du généralBrissaud-Desmaillet pour sa division apu tirer à 5 000 exemplaires, 10 000même pour le premier numéro) le jour-nal n’avait pas de soucis d’argent. Demême la Liller Kriegszeitung du côtéallemand, création officielle à l’usagedes soldats de la 6e armée, avec du per-sonnel dédié. Pour beaucoup d’autrestitres, le problème était crucial. Lesfrais du premier numéro étaient géné-ralement payés par les promoteurs dujournal, parfois par une quête auprèsdes officiers (Face aux Boches parexemple), rarement par un seul homme(Jacques Péricard économisa 500 francspour lancer son Boyau du 95e). Pourcontinuer la publication, il fallait del’argent : abonnements et ventes aunuméro étaient les cas les plus fré-quents. Les prix au numéro variaientde 5 à 10 centimes, parfois 15, prix pra-tiqué par L’Écho des dunes ou Le Sans-tabac. Certains journaux étaient plusgourmands : Tactacteufteuf demandait30 centimes (n° 6), le numéro 1 de LaRevue poilusienne était vendu 40 cen-

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Lʼabonnement aux Boyaux du 95e était de 5 francs«pour la durée de la campagne ».

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zontale, près parallèle 22 ». Mais certains réussirent à décrocher de véri-tables contrats, ainsi L’Écho des dunes,qui publiait une page entière d’an-nonces dans son numéro 12, vantantles mérites de la librairie Gheury, ceuxdu magasin « Au petit 75 » (« tous lesarticles pour militaires »), les piles etlampes électriques Perraud, « en ventechez Devis-Schaltin », ou, plus mor-bide, des couronnes et gerbes funé-raires chez le même, tous ces magasinsétant sis à Coxyde-sur-mer. On trouvedans d’autres numéros des réclamespour des commerces de Mers-les-Bainsou de Dunkerque. La Mitraille publiedes réclames pour une librairie pari-sienne, pour la maison Ramlot, « spé-cialiste de vêtements militaires », pourles chaussettes « S.W. » ou l’Aspirine duRhône. Le Canard du boyau fait savoirque « L’agent de liaison Louis Roy […]fait royalement de fort jolies bagues enaluminium », ou bien que « Lemonnier,de la 11e compagnie, vend et répare desmontres. Possède tout un attirail d’hor-logerie. Porte son atelier dans son sac etvous accueille avec le sourire… »Cinquante francs furent envoyés à tousles journaux du front qui avaient inséréune note publicitaire pour un empruntlancé par la ville de Paris : c’est, selonCharpentier, la seule subvention offi-cielle qu’ait reçue cette presse. Parfoison comprend mal les raisons desannonceurs : pourquoi l’Argus de lapresse fit-il de la publicité dans LesIdées noires, organe du 44e bataillon detirailleurs sénégalais, ou dans La Revuepoilusienne ? Et à quel prix cesannonces et publicités étaient-ellesinsérées ?Quelques fois le journal trouve un(e)mécène. La Chiffa était patronnée parle colonel commandant le régiment :

times, Le Crapouillot atteignait le prixrecord de 50 centimes. Quant à L’Échodes guitounes, son prix était « faculta-tif », et L’Écho des tranchées prévoyaitdouze numéros gratuits par compagnie,exemplaires « réservés aux hommes »est-il précisé ! Face aux boches se ven-dait 5 centimes aux militaires, 10 auxcivils, Le Bochofage 6 aux poilus, 12aux civils et 2 000 francs or aux« embusqués », catégorie universelle-ment détestée. Parfois un tarif plusélevé était demandé aux officiers ; parexemple Le Poilu sans poil, 15 centimespour les gradés au lieu de 10 pour lessoldats. La même disparité régnait en ce quiconcerne les abonnements. Il en existaitde deux types : des abonnements àtemps (un mois, six mois, un an), etd’autres pour la durée de la guerre, cequi était un pari risqué pour ceux quiont lancé un journal en 1915…On pouvait s’abonner aux Boyaux du95e au prix de 5 francs « pour la duréede la campagne », S.G.D.G.22, est-ilajouté ironiquement dans la manchettedu n° 9. Poil… et plume (5 mars 1917)proposait un abonnement « définitifpour la durée de la guerre » à 20 francs.Plus sage, Le 120 “court” imprimait(n° 1, 20 juillet 1915) : « Abonnement…à forfait, pour la durée de la guerre :

s’adresser au bureau du journal, quitraitera après avoir consulté Mme deThèbes23 ». L’Écho du Grand Couronnéprévoyait des abonnements pourl’étranger (10 francs au lieu de 5).

Quand les poilus éditaient leurs journaux

La Marmite échelonnait ses tarifs :20 francs pour les bienfaiteurs, 10 pourles donateurs, 6 pour les officiers et lescivils, 2 pour les poilus et les réformés.Sortir un journal quand on était aufront était plein d’aléas ; Le Poilu du 6-9 le savait bien, qui rassurait sesabonnés : « Les abonnements sontgarantis par le dépôt des versements auCrédit lyonnais ». Les journaux du Front, s’inspirant deleurs grands « confrères », faisaient, ouespéraient faire, appel à la publicité etaux petites annonces. Beaucoup eninsérèrent. Mais un examen rapidemontre qu’il s’agit souvent de plaisan-teries, par exemple celles-ci, prises dansle numéro 1 du 120 “court” : « La gre-nade de Béthune est terrifiante, mais laGRENAD’INE rafraîchit mieux… »,ou « Débiles ! Déprimés ! Défaits !Découragés ! Visitez vos Vosges. Hôtelsde 1er ordre. Nombreuses chambres(d’explosion). Eau (du ciel) et desource…, etc. » Il en va de même pourles petites annonces ; deux exemplespris encore dans Le 120 “court” : « Ondemande : Embusqués de bonnevolonté pour exécuter travaux délicatsdans les bureaux du Front. Peu deconnaissances exigées. L’emploi consis-terait à retourner les “feuillées”. Aucundanger » (n° 1), ou celle-ci (n° 2), grave-

leuse à souhait : «Demoiselle demandechasseurs avec grenades non usagéespour occuper petite tranchée. S’oc-cuperait elle-même du boyau. Prêteraitmême au besoin pétard. Écrire hori-

Reçu adressé aux abonnés du Poilu.

« Mais ce qui déconcerte le plus les soldats, c’est de voir que l’élitedes intellectuels n’a pas su s’élever au-dessus du patriotisme decinéma et fait chorus avec les vils professionnels du bourrage decrâne. Des barbons héroïques (qui, sans que personne leur rie au nez,jurent périodiquement d’aller jusqu’au bout) n’hésitent pas à raconterla vie du Front ; parce qu’ils furent menés une fois dans un boyau deseptième ligne, s’excitent à narrer d’invraisemblables combats etexpliquent froidement à leurs lecteurs attendris la psychologie ducombattant. L’un, qui comme certains insectes, vit sur les cadavres,délivre quotidiennement un glorieux permis d’inhumer à quelquepauvre bougre qui vit déchiqueté dans un trou de marmite, et s’arrogele droit de parler au nom des morts (qui évidemment ne lecontrediront pas). Tel autre narre sur un mode héroïque les terriblescombats qu’il soutint dans un état-major de l’arrière ; tel autre triture àsa façon des lettres que d’humbles poilus destinaient à leurs procheset non à une publicité tapageuse. À tous la guerre, qui leur apportesans souffrance aucune la gloire et les profits, semble parfaitementadmirable. »

Le Crapouillot, « La Faillite des bourreurs de crâne »

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c’est lui qui payait la pâte, les encres, le papier. D’autres faisaient appel àl’arrière. Mme Louise du Cros, uneLondonienne, s’instaura le mécène deL’Écho du boyau et Mme Rossollincelui du Bochofage, ce qui permit à cejournal d’être distribué gratuitement à1000 ou 2000 exemplaires selon lesnuméros aux hommes du régiment. Lacirculaire de Pétain, général en chef,interdisant formellement qu’« aucunsubside provenant de l’initiative privéesoit accepté par […] les journaux sanspasser par [son] intermédiaire », lecolonel commandant le 68e régimentd’infanterie dut s’entremettre pour quela manne continue d’arriver. Signalonsla solution adoptée par Face auxBoches : le colonel ayant accepté laparution du journal à condition qu’ilfût distribué gratuitement aux hommes,le journal émit, à l’été 1917, quelquepart en Belgique, des actions de20 francs, souscrites à l’arrière. Le textedu titre matérialisant ces actions nelaissait aucun espoir d’enrichissementaux souscripteurs : « Société à capitalnul, ayant pour objet la dilatation de larate. Action bénévole sans intérêt niaucun avantage autre que la reconnais-sance due à M. X…, qui est inscrit sur

les contrôles matricules de la Sociétépour Y… actions nominatives et per-sonnelles qu’il pourra transmettre à seshéritiers, ainsi que la nullité des droits

qui y sont attachés ». Le Télé-mail fit àpeu près la même chose, créant une«Société par action anonyme à capitalvariable » et lança une première émis-sion (cent cinquante actions à 1 franc).Cette émission ayant trouvé un francsuccès, ce capital suffit au journal(A. Ch.). De manière beaucoup plusaléatoire, les titres gagnants de l’un desconcours des journaux du Front orga-nisés par la grande presse (Le Pays deFrance ou Le Journal), se voyaientoffrir des prix en argent ou dumatériel (un duplicateurronéo par exemple).Certains journaux eurentpourtant des financesflorissantes. Le Poilu du6-9 put verser à laBanque de France millefrancs en or contre du papier monnaie(il reproduit avec fierté le reçu dans sescolonnes).Côté allemand, les Armeezeitungen,journaux « officiels » d’armée ou decorps d’armée n’eurent bien sûr aucunsouci d’argent. Les Schützengrabenzei-tungen recoururent aux mêmes procé-dés que leurs homologues français,vente aux soldats et aux civils (quandelle n’était pas interdite par la policemilitaire, comme ce fut un temps le caspour Der Bayrische Landwehrmann).

Fabriquer un journal au frontCertains titres tenaient à souligner leurauthenticité : ils sont vraiment des jour-naux de tranchées. L’Écho de Barba-poux se prétendait « Le seul journal duFront édité par des combattants » etL’Écho des dunes affirmait qu’il était«entièrement rédigé et imprimé sur lefront ». Il en va de même côté alle-mand ; la rédaction du Drahtverhausoulignait quant à elle que son journalétait un journal de tranchées pour lestranchées, rédigé en première ligne, elleénumérait les tâches que devait accom-plir la rédaction : recopier les textesavec des encres spéciales, titrer les des-sins, les placer dans les pages, corrigerles fautes de versification, etc. etc.,lorsque le service le permettait24…Si beaucoup d’articles, de poésies, dechansons, ont été écrits par des poilussur le front, il s’en faut de beaucoupque tous les journaux de tranchées yaient été fabriqués. Tous les procédésde reproduction, de la pâte à copier à la

rotative ont été utilisés pour imprimerces journaux, le mode d’impressiondéterminant en grande partie le formatet le nombre de copies. Le procédé le plus simple, la pâte àcopier : un cadre rempli de pâte, unesurface dure et bien plate pour écrire etdessiner sur des carbones spéciaux, del’alcool ou des encres à l’aniline, et letour est joué. Le matériel est peuencombrant, mais ne permet que des

tirages faibles, cent exemplaires auplus. En revanche des impressions enplusieurs couleurs sont possibles. C’estle cas de À la 6-4-2, qui tirait à trenteexemplaires dans un format 40 × 31 cm,du Grain de lumière ou du Soleild’or…riant, édité sur le front d’Orient,du Courrier des sapes, du Rat-à-poilmais aussi du moins jusqu’au numéro19, des Hohnacker neueste Nachrichten,le premier des journaux allemands.Le duplicateur à alcool (dit « ronéo »par antonomase) est un procédé dereproduction qui utilise des carboneshectographiques, une petite machine etde l’alcool, dont chaque feuille depapier doit être imbibée. C’est unemachine de petite taille, qui peut êtrefacilement emportée dans les bagagesd’un régiment. Beaucoup d’ailleurs enpossédaient une pour les besoins duservice. C’était l’appareil distribué auxgagnants des concours organisés pourles journaux du front par la grandepresse, et le recours de beaucoup detitres. Il permet des tirages poly-chromes, mais en nombre limité (unecentaine d’exemplaires).Un peu plus perfectionné, le limo-graphe, à l’honneur dans les écoles«Freinet » qui ne peuvent se payer dumatériel d’imprimerie. Il se compose

Quand les poilus éditaient leurs journaux

Le Drahtverhau, un journal de tranchées pour les tran-chées, rédigé en première ligne.

LʼÉcho des gourbis vendu à lacriée ? Un clin dʼœil du journal.

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d’une plaque de verre sur laquelle onapplique un cadre, où est tendu unstencil perforé au stylet ou à la machineà écrire, et d’un rouleau encreur. Il per-mettait des tirages un peu plus impor-tants. C’est le cas du Carillon du3e chasseur, tiré à 400 ou 600 exem-plaires. La Gazette du créneau est« limographiée » grâce à un appareiloffert par l’Œuvre du soldat. L’autographie est un autre mode dereproduction : on dessine et/ou écrit surun papier spécial, et le tout peut êtrereporté sur une pierre lithographique àl’arrière ; une presse est nécessaire. LeVer luisant et Die Sappe, côté allemand,sont reproduits de cette façon.Reste bien sûr le procédé traditionnel,l’imprimerie. Le tirage se faisait néces-sairement à l’arrière, parfois à proxi-mité des lignes, parfois fort loin, à Paris(Le Nonante, La Revue poilusienne), àBlois (Le Filon), Nantes ou Marseille.Côté allemand, beaucoup de journaux(Die Bayrische Landwehr, Vosgesen-wacht, Der Drahtverhau) furent impri-més à Colmar.Mais il est rare qu’un seul moyen dereproduction fût utilisé si le titre duraitquelque temps, exception faite desjournaux « institutionnels » lancés auniveau de la division en France, commeL’Horizon des poilus voulu par le géné-ral Gouraud, et imprimé à 20000 ex-emplaires par exemple, ou la LillerKriegszeitung. La Cingoli-gazette futd’abord écrite à la main, en un exem-plaire passant de main en main, chacuny ajoutant ce qu’il voulait. Les suivantsfurent reproduits grâce à la pâte à poly-copier. Le Sans tabac naît en juillet1915 : les cinq premiers numéros sonttirés à 50 exemplaires par ce même pro-cédé. Du numéro 5 au numéro 15, letirage est progressivement passé de 200à 300, puis 400 exemplaires sur unlimographe. Du numéro 22 au numéro24, Le Sans tabac fut imprimé sur 4,puis 8 pages. Par la suite, c’est le pro-cédé autographique qui sera utilisé25. L’irrégularité est aussi une des caracté-ristiques des véritables journaux depoilus. Ainsi Le 120 “court” avertit seslecteurs dans sa deuxième livraison :son premier numéro a été « un très grossuccès », mais il est « paru en pleinebataille [et] nous avons dû négligernotre journal ». De même Le Nonante,dans son numéro 2 : « L’interruption de

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notre publication est due à ce que notrerégiment vient de traverser une périodetrès cruelle pendant laquelle, sans per-dre notre vaillance et notre [illisible],nous n’avions cependant pas le cœur àrire.» Les incidents sont nombreux, entraî-nant une parution irrégulière. Lesvingt-quatre premiers numéros du Cride guerre furent tirés sur de la pâte àpolycopier : le premier numéro, mal

séché, est parfois illisible ; un autrenuméro disparut dans l’explosiond’une « marmite » ; le 25e fut imprimé àla ronéo, mais la machine fut détruitepar un obus aussitôt après le tirage. Àces incidents matériels s’ajoutent lesinnombrables directeurs de publicationou collaborateurs qui disparaissentbrutalement, mutés ou décédés (leLandsturmbote vom Briey indique ainsidans son sous-titre : « Journal quiparaît de façon irrégulière, et tant quenous sommes là26 »). Lorsque le journalétait imprimé à Blois ou Perpignan, lesdifficultés de communication entra-

vaient la régularité de la parution, sanscompter le fait qu’il était hors de ques-tion d’allers et retours pour d’éven-tuelles corrections.

« Éditeurs » et « journalistes »Les promoteurs de ces journaux, etceux qui y écrivaient ou y dessinaientne sont pas représentatifs de l’ensembledes combattants, composé essentielle-ment de paysans qui avaient quittél’école après le certificat d’études, qu’ilsl’aient obtenu ou pas. Souvent issus desclasses moyennes, souvent aussi sous-officiers ou officiers subalternes, insti-tuteurs, professeurs, journalistes (Char-pentier cite les noms de cent cinquantejournalistes ayant participé ou créé desjournaux du Front morts au combat),médecins, avocats, etc. trouvaient là undérivatif qui les valorisait, en les sor-tant de la masse de leurs camarades decombats. Prenons quelques exemples. Paul Reboux, journaliste et romancier,fonda et emplit à lui seul L’Écho destranchées. Quand le brigadier AndréLaurent, avocat, lança La Cingoli-gazette, il réunit pour l’aider troismédecins, l’administrateur du théâtre

de l’Athénée, et un certain Chobeaux27,futur ministre. À la 6-4-2, journal du246e R.I., vit se pencher sur son ber-ceau des « officiers de métier, des jour-nalistes professionnels, des anciensélèves des Beaux-Arts, des industriels,des médecins, des professeurs et mêmedes typos (A. Ch.) », tous galonnés.Des écrivains déjà connus, collaborè-rent occasionnellement à ces journaux.Maurice Genevoix, soldat au 106e R.I.écrivit dans Le Canard de Suippe, JulesLaforgue dans L’Écho des gourbis ;mais c’est Le Crapouillot qui peut ali-gner la plus belle brochette de collabo-

Quand les poilus éditaient leurs journaux

La salle de rédaction dʼun journal de tranchées, vue parle Temps buté.

LʼÉcho des gourbis auquel collabora Jules Laforgue.

rateurs, avec les signatures de GeorgesDuhamel, d’Alexandre Arnoux, dePierre Drieu la Rochelle, de Pierre MacOrlan entre autres, et des dessinsd’André Dunoyer de Segonzac…Théodore Botrel, le « barde breton »qui se trouvait alors à Coxyde, écrivitune poésie pour Hurl’obus. Il faut aussicompter avec les notabilités de l’arrièrequi acceptèrent d’écrire pour certainsde ces journaux, alors que d’autrescomme La Gazette du créneau refu-saient par principe ce genre de collabo-ration.Lorsque le capitaine Rousseau eutl’idée de créer un journal (Le120 “court”), il en confia la rédactionau sergent-major Clovis Grimbert,clerc de notaire dans le civil. Né le25 avril à Érin, habitant Saint-Pol,Grimbert avait collaboré à L’Abeille dela Ternoise avant-guerre. Il y publiaitun peu de tout, nouvelles, poèmes,comptes rendus, chansons, signant sesœuvres de pseudonymes, C.G. de laVallée, ou C. Benjamin, ou C. duTerdick, ou enfin Djenanine. Il fut l’undes créateurs des Rosati du Ternois, futmembre des Rosati d’Artois et secré-taire de rédaction du Renouveau, le bul-letin de cette association. Il travaillaaussi pour La Vie arrageoise et LeJournal de Saint-Pol, utilisant un autrepseudonyme, Jehan de la Glèbe, avantde publier des poèmes sous son nom.Pour Le 120 “court” Grimbert s’adjoi-gnit un aide, le chasseur Raoul, secré-taire de la mairie de Bois-Colombes,qui écrivait et dessinait. Ils remplirent àeux deux la plus grande partie du jour-nal. Le sous-lieutenant Clovis Grim-bert fut tué le 11 juin 1918 à Courcelles-Épayelles dans l’Oise28.Son ami Jules Garçon, alias Letervanicest né le 25 février 1888 à Saint-Pol-sur-Ternoise. Élève des frères maristes,il accompagna ses professeurs à l’écoleOzanam de Lille lorsque la loi de 1903sur les congrégations obligea les frèresà fermer leur pensionnat. En 1909, ildevient président de la Jeunesse catho-lique de l’arrondissement de Saint-Polet milita contre la loi de séparation del’Église et de l’État de 1905. Il publia lamême année ses premiers vers dans LeRenouveau. Incorporé comme ambu-lancier, affecté à l’hôpital de Berck-Plage, où il était secrétaire de l’officegestionnaire, il réunit quelques cama-

rades férus de littérature dans un«Cercle des embusqués », qui se dotad’un journal, L’Embuscade, tout encollaborant au 120 “court” de son amiClovis Grimbert. Puis, envoyé dans uneambulance de campagne (la 1/1, sec-tion 40), il y lança Les Cats-huants en1915. Il est tombé le 14 octobre 1918 àLa Neuvillette près d’Origny-Sainte-Benoîte dans l’Aisne29. Ces deux jour-naux sont ignorés d’André Char-pentier.Louis Leclabart, né le 26 juillet 1876 àPéronne († 22 octobre 1929) fit sesétudes à l’École des Beaux-Artsd’Amiens. Sculpteur professionnel etdessinateur, il fut en 1914 incorporé au12e régiment d’infanterie dans le ser-

vice de santé. En 1916, il sculpta quatreœuvres rupestres30 dans la carrière duChauffour, occupée par les soldatsfrançais à Thiescourt (Oise) ; il dessinapour plusieurs journaux du Front pen-dant toute la guerre. Il est en particu-lier responsable des têtières de l’Hurl’Obus. Après la guerre, il réalisera plu-sieurs monuments aux morts dans laSomme. Éditer un journal semble exiger unminimum de disponibilité et de protec-tion. José Germain, chef de section,chargé de créer le journal du régimentLes Tuyaux de la roulante, théorise lachose à sa manière : « le directeur d’un

journal de troupe combattante ne pou-vait être choisi que parmi les officiersde l’État-major régimentaire, bénéfi-ciant d’une liberté quasi-totale que luilaissaient liaisons et facilités de dépla-cement. Les moyens matériels étaient àleur immédiate portée, tandis que laresponsabilité était mise à couvert parla présence du chef de corps auprèsd’eux ». Ce ne fut pourtant pas le casde tous les responsables de journaux, etils ne furent pas tous journalistes ouécrivains. Certains d’entre eux, sortisdu rang, menèrent leur journal à boutde bras. On pensa après-guerre récom-penser les uns et les autres indistincte-ment en octroyant à ceux qui vivaientencore les « palmes académiques à titremilitaire ». Une liste de trois centsnoms fut dressée : il n’y eut quesoixante-huit élus.

Côté allemand, la Liller Kriegszeitunga été dirigée par deux écrivains Oskar Höcker et le baron Georg vonOmpteda, secondés par un dessinateurprofessionnel Karl Arnold. Oskar Höcker (1865-1944), fils de PaulOskar – un acteur et auteur de livrespour enfants fort en vogue de sontemps –, a publié une quarantaine deromans de 1897 à 1940. Il faut y ajou-ter des œuvres autobiographiques ;aucun de ses livres ne semble avoir ététraduit en français, même pas ceux quiconcernent directement notre région,An der Spitze meiner Kompagnie(Höcker s’est battu dans la région, enparticulier à Seclin), et surtout EinLiller Roman, publié à Lille en 1917par la Liller Kriegszeitung, et Die Stadtin Ketten. Ein neuer Liller Roman(Berlin, 1918) deux livres de souvenirsde sa présence à Lille à la tête de laLiller Kriegszeitung. Après la guerre,Höcker fut un des dévots du N.S.D.A.P.(Nationalsozialistische Deutsche Ar-beiterpartei), l’un des quatre-vingt-huitauteurs qui signèrent un texte connusous le nom de Gelöbnis TreuesterGefolgschaft, dans lequel ils promet-taient la plus loyale obéissance auFührer. Georg, Freiherr von Ompteda (1863-1931), élevé à Vienne et Dresde, com-mença une carrière militaire en fré-quentant l’École de guerre de Berlin.Rendu inapte au service armé, par unechute de cheval, il devint alors écrivain.

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Dessin dʼArnold qui participait à la Liller Kriegs-zeitung.

Traducteur de Maupassant, poète,auteur de romans où il critique lasociété allemande de son temps. Aucunde ses livres ne semble avoir été traduiten français. Il fut nommé codirecteurde la Liller Kriegszeitung dans Lilleoccupé.Höcker et Ompteda furent secondéspar Karl Arnold (1883-1953), un dessi-nateur talentueux, qui avait travaillépour plusieurs journaux, Die Jugend, leMunchener illustrierte Presse et le célè-bre journal satirique munichoisSimplicissimus. Opposé à la politiqueextérieure allemande avant le début dela guerre, Arnold se rallia ensuite à« l’union sacrée » allemande. En 1933,certains de ses livres furent mis à l’in-dex par les Nazis, et il fut interdit depublication. Ce qui ne l’empêcha pasde collaborer à des dessins animés pro-hitlériens pendant la Seconde Guerremondiale. Un certain nombre de sesdessins parus à Lille furent rassemblésdans un livre publié par la LillerKriegszeitung, qu’on pourra consulterdans la Bibliothèque numérique deRoubaix (BnR)31.

■ Le contenu de ses journauxLes journaux de tranchées français,encadrés par la censure, parlent surtout

de ce qui manque aux soldats, lesfemmes, le vin, le tabac, et de ce qu’ilsont en abondance, la boue (voir enca-dré), les poux et les rats. Et bien sûr lesobus, les « marmites », les « shrap-nells»… Les femmes sont tour à tourvierges sublimées, amantes, mères ouprostituées dans leurs écrits, qui oscil-lent de la poésie la plus pure à lafranche gauloiserie, voire l’obscénitéabsolue. Le vin est l’objet de nombreuxdessins quand on ne suppute pas larécolte à venir, et le « perlot » (le tabac)est indispensable à beaucoup : « cassersa pipe » est un malheur qui a plusieurssens. Côté allemand, la plupart desjournaux étant l’émanation directe dela hiérarchie, le ton est beaucoup plussérieux, les articles, poésie, chansonsplus patriotiques ; les écrits humoris-tiques sont plus rares (sauf dans laLiller Kriegszeitung) et la blague réser-vée aux « Lustigen Ecken » (le coin desblagues). Outre la boue, les deux campspartageaient la haine de l’ennemi,qu’on tente de rabaisser de toutes lesfaçons possibles. Les Français dénon-çant la barbarie des représentants de laKultur, les Allemands accusant souventl’inféodation des Français, Italiens, etc.aux Anglais, se moquant de la « neutra-lité » des Américains avant leur entrée

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en guerre, et répliquant aux attaquescontre la Kultur en soulignant la pré-sence de « civilisés anthropophages »d’Afrique noire parmi les troupesalliées. Les « embusqués » sont honnispar les soldats tant français qu’alle-mands, tandis que les écrivains quidécrivent la guerre de leur fauteuil sontmoqués des deux côtés.Mis à part ces thèmes omniprésents, ontrouve de tout en vrac : des nouvelles,des articles à caractères historique outouristique, des revues, des pièces dethéâtre ; des admonestations à l’arrière« qui doit tenir coûte que coûte » ; desarticles scientifiques et des critiques decinéma ; des odes à la baïonnette, aucanon de 75 ou à la mitrailleuse ; desrécits des combats et des gloires passésdeux côtés ; des dessins satiriques oupas. En bref, tout et n’importe quoi,sauf la peur de mourir et l’inhumanitéde la guerre : la hiérarchie veillait, etceux qui osèrent se rebeller le payèrentde leur vie.

B. G.

■ BibliographieQuelques journaux consultésLe 120 “court”, Revue d’un jeune bataillon de chasseurs, seul journal relié

par fil spécial « cordon détonnant » aux tranchées boches, 1915-1919,(fondateur et animateur Clovis Grimbert). Les nos 1 à 5 sont lisiblessur le site de la B.D.I.C.

Le Canard du boyau : Bulletin officieux de la 74e demi-brigade, Rouen,1915-1918. Les numéros 1 (août-septembre 1915) à 18 (octobre-décembre 1918) sont lisibles dans Gallica.

L’Écho des dunes. Le plus fort tirage des journaux du front. Les nos 6(décembre 1916) à 9 (mars 1917) sont lisibles sur Gallica

Hurle obus (puis Hurl’obus) ; Écho des terribles torriaux (sic), organedes tranchées du 12e Ter-[rritor]ial Inf[fanter]ie. Le plus fort tirage desjournaux du Front. Les nos 1 (août 1916) à 5 (décembre 1916) sont lisi-bles sur le site de la B.D.I.C.

Les Mitrons de l’Avant. Écho de la Boulangerie de Guerre de Bourbourg(Nord). Organe remède contre la Neurasthénie et le Mauvais Temps.Paraissant à l’Improviste. Le no 9-10 (1916) est lisible sur le site de laB.D.I.C.

Le Nonante : journal de la ville, de la campagne et de la mer. Les nos 2 (12juillet 1916) et 3 (15 août 1916) sont lisibles sur Gallica.

Sans tabac : organe aimablement rosse. Le numéro 34 (20 mars 1917) estlisible sur le site de la B.D.I.C.

Le Télé-mail : organe des sapeurs télégraphistes paraissant où et quand ilpeut. Les numéros 1 (18 février 1915) à 3 (25 mars 1915) sont lisiblessur le site de la B.D.I.C.

Le Terrible Poilu Torial, Bayonne. Le numéro 11 (avril 1915) est lisibledans Gallica.

La Voix du 75. Journal guerrier, puis à partir du n° 8 : Journal guerrier,Organe des poilus du 1er groupe du 62e régiment d’artillerie. 1915-1916,nos 1-11. Les nos 1 (30 janvier 1915 à 5 (31 juillet 1915) sont lisiblessur le site de la B.D.I.C.

Liller Kriegszeitung et son supplément Kriegs-Flugblätter, lisibles sur lesite de la bibliothèque universitaire d’Heidelberg http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/liller_kriegszeitung. (D’autres journaux deguerre allemands sur : http://www.ub.uni-heidelberg.de/helios/digi/feldzeitungen.html).

Der Schützengraben, Bapaume, 1915 (n°1, 22 août) – 1917 (n° 6, 7 juin)[journal du XIVe corps de réserve lisible sur le site de la Bibliothèquenationale autrichienne (ANNO) http://anno.onb.ac.at/cgi-content/anno?aid=szg].

Die Somme-Wacht. Kriegszeitung der 1. Armee. La collection est lisiblesur le site de l’université d’Heidelberg (http://www.ub.uni-heidel-berg.de/helios/digi/feldzeitungen.html).

MonographiesArnold, Karl, Arnolds Kriegsflugblaetter der Liller Kriegszeitung : ein

Album mit hundert Zeichnungen, Liller Kriegszeitung, 1915, 105 p., ill.(On peut voir cet ouvrage sur le site de la Médiathèque de Roubaixhttp://www.bn-r.fr).

Charpentier, André, 1914-1918, Feuilles bleu horizon : le livre d’or desjournaux du front, Triel-sur-Seine (78510), Éditions Italiques, 2007,397 p., ill. (fac-sim de l’édition de 1935).

Höcker, Paul Oskar, Vom Pfingstfest zu Weihnacht, der Auslese ersteFolge, Lille, Liller Kriegszeitung, 1916, 285 p.

Turbergue, Jean-Pierre, 1914-1918, Les journaux de tranchées : laGrande Guerre écrite par les Poilus, Paris, Éditions Italiques, 1999,159 p., ill.

ArticlesAbbes, Paul d’, « Livres nouveaux », Le Monde illustré, 1er janvier 1916,

p. 16.« Ce que lisent nos Poilus », Bulletin des réfugiés du nord, n° 40, 21 mars 1915F. A. [Fage, André], « La presse poilue du nord », Bulletin des réfugiés

du nord, 25 août 1915.« Les journaux du front », Almanach du Petit Parisien pour 1918, p. 38-48.

Lemaire, F., « Le Bulletin des réfugiés du Nord en Serbie », LeBulletin des réfugiés du Nord, 18 décembre 1915.

InternetCollonges, Julien, « Guerre des mots, guerre des mémoires : la presse

du Front allemande », site de la Bibliothèque nationale et univer-sitaire de Strasbourg (http://w1.bnu.fr/journauxtranchees/Article.aspx).

Trolle, Paul-André, « Clovis Grimbert, écrivain combattant mort auchamp d’honneur », Revue du Centre d’études généalogiques duPays des 7 vallées, mis en ligne en juillet 2009, sur le site internet“Mémorial du Ternois” (http : //memorialduternois.free.fr).

Trolle, Paul-André, « Jules Garçon alias Georges Letervanic, écri-vain combattant mort au champ d’honneur », Revue du Centred’études généalogiques du Pays des 7 vallées, mis en ligne en juillet2008, sur le site internet “Mémorial du Ternois” (http : //memo-rialduternois.free.fr).

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1. Outre Les Cats-huants de Jules Garçon, on connaît, grâce au Bulletin des réfugiés du nord (25 août 1916, n° 82), L’Écho du blessé et L’Écho duharicot, « journaux créés et mis au monde pour ou par des gars du nord».

2. Grâce au Journal des réfugiés du nord (auparavant Bulletin des réfugiés du nord) du 29 mars 1916 (n° 146), on connaît Le Camp desCambrésiens (nom allemand du camp illisible, mais situé près de Munster en Westphalie), dessin de têtière de M. Lacrinier.

3. Charpentier, André, 1914-1918, Feuilles bleu horizon : le livre d’or des journaux du front, Triel-sur-Seine (78510), Éditions Italiques, 2007,397 p., ill. (fac-sim. de l’édition de 1935). Pour ne pas augmenter indéfiniment le nombre de notes, (A.Ch.) renvoie au livre d’André Charpentier.

4. Tels The Dead Horse Corner Gazette, a Monthly Journal of Breezy Comment, published when possible, édité quelque part en Flandre, toutcomme The Silent 60th, ou The Twentieth Gazette.

5. http://w1.bnu.fr/journauxtranchees/Article.aspx.6. L’Égalité de Roubaix Tourcoing, 5 septembre 1904.7. L’étude qui suit est bien sûr basée sur les journaux dont j’ai eu connaissance, ceux que j’ai pu lire sur Internet ou ceux dont on parle dans les

ouvrages cités dans la bibliographie. Si vous en connaissez d’autres liés à notre région, signalez-les moi s’il vous plaît. Merci d’avance.8. En avant, n° 7.9. Le catalogue de la B.D.I.C. ne précise pas les dimensions des journaux de tranchées qu’elle a numérisés et mis en ligne.10. Paul-André Trolle (voir bibliographie).11. Visse, Jean-Paul, « La presse à Lille pendant la Grande Guerre : III : La Liller Kriegszeitung», L’Abeille, n° 12, septembre 2009, p. 1 et 6-9.12. http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/liller_kriegszeitung La bibliothèque municipale de Lille a entrepris une nouvelle numérisation, en

haute définition et en couleurs (certains dessins étaient en effet imprimés en couleurs). On y trouvera aussi sur ce site La Gazette des Ardennes etLa Gazette des Ardennes illustrée.

13. Austrian newspapers online. 14. Dans le prochain numéro paraîtra un article consacré à ce journal.15. Die Somme-Wacht, n° 21, 18 février 1917.16. Die Somme-Wacht, n° 12, 8 avril 1917.17. Audouin-Desrouzeau, Stéphane, Les Combattants des tranchées à travers leurs journaux : 14-18, Paris : A. Colin, 1986.18. La Rue rouge, 4 novembre 1916.19. Le Canard des boyaux (n° 16, novembre-décembre 1917) se fait l’écho de cette circulaire en accompagnant son texte d’un censeur tenant un

canard et des ciseaux.20. Cf. Albert, Pierre, « Comment le prénom Anastasie vint à la censure », L’Abeille, n° 11, p. 1 & 5.21. C’est là le premier vers d’une chanson de Goliard du XIIIe, fort en honneur chez les étudiants belges, et une indication supplémentaire de la

collaboration de soldats belges à L’Écho des dunes.22. S.G.D.G. : Sans garantie du gouvernement.23. Victorine Savigny, dite Mme de Thèbes (1845-1916), voyante et chiromancienne fort célèbre, aurait prédit la mort du général Boulanger, l’af-

faire Caillaux, la guerre des Boers, la guerre russo-japonaise et la Première Guerre mondiale.24. « Es seit daher wiederholt bemerkt, dass die “Dr” eine reine Schützengrabenzeitung, d.h eine Zeitung vom Schützengraben für den

Schützengraben ist. « Vom Schützengraben », dass heist, dass die Zeitung von uns, von unserem Regiment handelt und dass sie von Leuten hergestelltist, die in der 1. Kampflinie stehen. Die Schriftleitung schreibt die Zeitung in den freien Stunden, die ihr der Schützengrabendienst lässt, eigenhandigmit Autografentinte auf weissem Kanzleipapier ins Reine, reitet selbst den Verse-Schimmel, teilt die Zeichnungen ein, betextet sie, u.s.w, u.s.w. » « DieRedaktion-Stube des Drahtverhau auf dem… Kopf», Der Drahtverhau, n° 31, avril 1916, p. 2.

25. « Autographie : Procédé de report sur pierre dans la technique lithographique. On emploie pour cela un papier autographique enduit de collesur lequel on dessine avec une encre autographique ( encre lithographique liquide) » (Wikipédia).

26. Collonges, Julien, « Guerre des mots, guerre des mémoires : la presse du front allemande », sur le site de la BNU de Strasbourg.27. Chobeaux aurait été ministre après la guerre, selon André Charpentier. Mais Internet ignore cet homme politique.28. D’après Paul-André Trolle (Cf. bibliographie).29. D’après Paul-André Trolle (Cf. bibliographie).30. Œuvres classées à l’inventaire des monuments historiques en 1999.31. Bn-r.fr : Arnold, Karl, Arnolds Kriegsflugblaetter der Liller Kriegszeitung : ein Album mit hundert Zeichnungenszeitung, Lille, Liller

Kriegszeitung, 1915, non paginé, couv. ill. en coul, 32 cm, cartonnage d’éditeur.

Dans Arras assiégée, bombardée, vidéede ses habitants, « un petit grouped’hommes résolut de lancer aux quatrecoins de la France la vieille chansond’Artois et de rallier autour de l’éten-dard du Lion tous ceux qui n’avaientpas oublié, dans la tranchée ou dansl’exil, la douceur du pays natal2. » Ainsinaît Le Lion d’Arras. Journal de siège,organe hebdomadaire d’union atré-bate, il sera « le seul journal diffusé du1er janvier 1916 au 1er janvier 1920 enArtois3 ».

L’abbé Guerrin en est le rédacteur enchef. Son père est Eugène Guerrin4

(1856-1938), ingénieur de l’École cen-trale, industriel à Fampoux, cofonda-teur en 1886 de la revue La Sciencesociale, suivant la méthode de F. LePlay. Il est surtout le principal bailleurde fonds du journal Le Lion d’Arras,fondé par son fils, alors que lui-mêmeréfugié à Paris pendant la guerre, estsecrétaire de l’Union catholique duPas-de-Calais et président de l’Asso-ciation de défense des intérêts d’Arraset de son arrondissement. «L’abbé »

Aimé Guerrin5 (1890-1979) a 24 ans en1914. Élève chez les jésuites, enBelgique, il se destine à la vie religieuseet souhaite entrer au noviciat deFlorennes. Sa décision retardée en rai-son de sa santé, il est nommé profes-seur au collège Saint-Joseph de Reims.La déclaration de guerre surprendAimé Guerrin à Arras, en vacancesd’été dans sa famille. De santé fragile, ilest réformé, mais s’engage néanmoinscomme infirmier volontaire. « Commeil porte toujours la soutane, bien quesimple postulant, il est connu dans laville comme “l’abbé Guerrin”6 ». Quel est donc le parcours de cethomme, témoin actif de la vie à Arrasdurant la Première Guerre mondiale ?Que nous en apprend la lecture de sonLion d’Arras ?

■ Aimé Guerrin, infirmier volontaire à arras (1914-1915)

Affecté à l’hôpital Saint-Jean, onconnaît de manière assez précise lequotidien d’Aimé Guerrin durant lesannées 1914 et 1915, qu’il communiqueaux lecteurs du Lion d’Arras, sousla forme d’une rubrique intitulée«Journal d’un témoin ». Présenté commeun résumé de notes prises au jour lejour, il précise : « Il m’a semblé intéres-sant pour l’histoire d’Arras de revenirplus longuement sur ses événements7. »Cette rubrique, sous une dizaine desous-titres, paraît dans le journal dès len° 2 (10 janvier 1916) jusqu’au n° 80(31 janvier 1918), avec une interruptiond’une année (octobre 1916-novembre1917).Les premiers écrits d’Aimé Guerrindans son « Journal » remontent au17 août 1914. « À Arras, mouvementde troupes continuels : une armée y esten formation8 ». Les Allemands avan-cent, les premiers blessés arrivent àl’hôpital Saint-Jean, les habitants quit-tent la ville, c’est le premier exode.Bientôt, la bataille fait rage autourd’Arras. « Pendant les trois derniersjours d’août, l’hôpital absorbe le temps

et les pensées de tous ; Arras s’empresseautour de nos blessés9. » À la pousséeallemande contenue début septembre,qui fait dire à Aimé Guerrin, le 9,«Enfin !… La ville semble renaître10 »,succède le siège d’Arras. Le 6 octobre191411, décrit longuement par l’auteur,voit le premier bombardement d’Arras,« journée tragique ». Dans l’incertitudeet l’angoisse, un conseil de famille,« tenu debout, en hâte, dans le couloiroù le danger nous rassemble » fait lepoint sur la situation et prend les déci-sions qui s’imposent : « Mes fonctionsd’infirmier militaire m’ordonnent derester, les autres non. » Aimé Guerrinquitte bientôt la maison pour aller por-ter secours, à un incendie près de l’hô-tel de ville. C’est la dernière fois, avantquelque temps, qu’il reverra sa famille :à son retour le soir, il trouvera la mai-son vide, en dehors de la petite chienne,Gyp, qui lui saute dans les jambes ; il enest heureux, la solitude lui sera moinspesante. Dans l’après-midi, du premierétage de l’hôtel de ville, aux côtés deM. Deruy, comptable de la Ville, ilcontemple Arras : « Tous deux, je crois,ressentons la même émotion intense etversons les mêmes pleurs sur la Citéqui va mourir ; dans un silence que nuldes deux n’osera rompre, nous regar-dons. »

Arras, octobre-novembre 1914Les mois d’octobre et novembre vontainsi nous être contés jour après jour.Et jour après jour, Aimé Guerrin,comme tous les Atrébates, est confrontéà la peur, à la mort, à l’absurdité de laguerre et au courage des hommes « quin’acceptent pas la mort de la Cité12 ».La peur, tout d’abord ; sa descriptiondu canon, au matin du 6 octobre, est àglacer le sang : «Terrible ce sifflement,plus terrible que l’explosion ; l’explo-sion n’est qu’un coup de tonnerre, lesifflement, c’est l’imminence du dan-ger ; il vient de loin, accourt, vouspoursuit, vous pénètre ; on a l’impres-sion qu’il est dirigé vers soi ; on s’effacecontre un mur et, comme l’autruche,on se prend à fermer les yeux devantl’ennemi pour qu’il oublie celui quicherche à l’oublier. » Mais comme il le dit, on s’habitue au danger : le13 novembre, « Obus le matin, obus àmidi, obus le soir13 » ; le 27 novembre,« Il faut tromper l’appréhension, se ras-

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Le Lion d’Arras pour la Cité, pour la Patrie, tenir ! 1

par Audrey CASSAN

Eugène Guerrin, principal bailleur de fonds du journalLe Lion dʼArras, fondé par son fils. (Collection FamilleGuerrin)

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surer soi-même et rassurer les autres ;d’où rires et plaisanteries […]. Comme,plus que jamais, prudence exige pré-voyance, nous dictons nos dernièresvolontés : “Et surtout, ni fleurs, ni cou-ronnes !”14. » La mort, aussi, omniprésente, atrocevision. Les salles de l’hôpital sont com-bles, les morts sont alignés dans la courdans l’attente de funérailles « dont per-sonne ne prévoit le jour15 ». Il n’y a plusd’organisation de pompes funèbres, lecimetière est inaccessible ; il faudraenterrer les corps provisoirement der-rière l’ancienne porte d’Amiens, plu-sieurs voyages sont nécessaires. Il estobligé de faire boire les hommes – ilboit une gorgée également – pour sup-porter « l’odeur qui se dégage de cetteaccumulation de cadavres déchirés16 ».Le 29 novembre, il voit mourir l’abbéVallières, aumônier de l’hôpital mili-taire, « Je perds l’ami des heures tra-giques, je le perds dans le foudroiementd’un coup de tonnerre17. »

L’absurdité de la guerre, encore, multi-ple, brutale. À sa tentative d’interven-tion auprès d’un commandant pourobtenir chauffeurs et voitures pourévacuer les blessés graves, on luirépond que les autos sont inutilisables :la veille, « on avait sectionné desrouages essentiels pour les rendre inuti-lisables aux mains des Allemands18 »…L’exode continue, et c’est pour Aimé

Guerrin un sujet de réflexion récurrent,« je croise des gens qui s’en vont ; ilsabandonnent leur maison, tout cequ’ils ont, tout ce qu’ils aiment, pourse jeter sur la route19. » Les habitantsrestés sur place commencent à man-quer de vivres et sont prêts à tout, telqu’au pillage des magasins bombardés.Le 25 novembre, on lit : « C’est mainte-nant le commissaire de police qui vendle tabac, le charbon, le beurre et les sar-dines20. » Une file d’attente d’une cin-quantaine de personnes s’allongedevant les Beaux-Arts, où siège le com-missariat, tout cela… sous les bombar-dements. Enfin, le courage et le dévouement desAtrébates… Le 21 octobre, face aubombardement systématique du bef-froi, plusieurs personnes, des passants,des professeurs de Saint-Joseph, se réu-nissent spontanément pour combattrel’incendie dans tout le quartier, mais envain. Au milieu des décombres, gît leLion. Dans l’après-midi du 30 octobre,après un énième bombardement del’hôpital, accompagné de son vicairegénéral Guillemant, Mgr Lobbedey serend sur place et « salue, encourage,bénit21 ». À un sergent blessé dont ils’occupe et qui l’interpelle : « Tout àl’heure, c’était l’enfer ; maintenant c’estle paradis ; ah ! vous êtes de bravesgens, merci ! », Aimé Guerrin répond :«Vous avez fait votre devoir tout à

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l’heure ; maintenant, nous faisons lenôtre, voilà tout22. »

Arras, avril-mai 1915L’année 1915 est évoquée plus rapide-ment, se concentrant sur la « Bataillede mai », et décrivant principalementses occupations de classement destombes au cimetière provisoire, aumois d’avril 1915. Accompagné deM. Ahmann, aumônier de l’ambu-lance, il s’agit d’identifier les tombes :

Aimé Guerrin en tenue de « grand voyageur », en 1922,année au cours de laquelle il entreprit de grandsvoyages en Europe, dans les Balkans, et au Proche-Orient. (Collection Famille Guerrin)

Hôpital Saint-Jean. Salles défoncées par les obus (Abbé E. Foulon, Arras sous les obus, Paris, Bloud & Gay édi-teurs, 1915, p. 93).

Le Lion dʼArras après lʼeffondrement du beffroi. (AbbéE. Foulon, Arras sous les obus, Paris, Bloud & Gay édi-teurs, 1915, p. 114)

«Beaucoup ont été enterrés deux pardeux, l’un au-dessus de l’autre ; etcomme environ cent cinquante n’ontpas de cercueil, quelle peine donnerontles exhumations ! À nous maintenantde chercher de registre en registre, aidéspar des dates plus ou moins vagues demort et d’enterrement quel nom doitêtre posé sur la croix blanche ! » Demanière cocasse, il précise : « On peutêtre excellent fossoyeur et peu lettré :que d’orthographes fantaisistes ! que denoms baroques ! et que d’épitaphesdevant lesquelles la tristesse des tempset du lieu peut seule réprimer un sou-rire : ainsi celle qui, sur une tombetoute fraîche, annonce gravement :E. D. Tué par Aubus. 16 ans23. »

Ces deux années vécues comme infir-mier volontaire au cœur d’Arrasassiégé, son quotidien, partagé et tudans son « Journal d’un témoin », sem-blent avoir forgé, accompagné AiméGuerrin dans la fondation du Liond’Arras.

■ Aimé Guerrin, cofondateur du Lion d’Arras (1916)

Des intentions affichéesLes intentions de ce nouveau journalsont largement développées dans sonn° 1, numéro-programme (1er janvier1916). Face aux journaux de Francequi publient « tant de mises en scèneromanesques » sur Arras, Le Lion seveut le témoignage vrai « de ceux quivivent ici », de « ceux qui sont restés »,ceux-là même qui depuis quatorzemois « montent la garde civile sur nosremparts abandonnés ». « Nous dirons aussi ce que ne disent pasles journaux, mais ce que l’histoire dela Cité voudra savoir : la vie de chaquejour sur le front, humble et simple, par-fois monotone, jamais banale : le détailde nos faits de guerre quotidiens, tou-jours les mêmes pour l’étranger qui neconnaît ni les noms, ni les rues, maisqui parleront au cœur de l’Atrébate ; lachronique de ses tragédies fréquentes,enfantées par la Barbarie dont le flotbat nos portes. Nous dirons à laFrance, à ses Alliés, aux Neutres, nousdirons à l’ennemi que sa rage et letemps ont éclairci nos rangs et ruiné lacité, mais qu’ils ont laissé intacte etfière, plus ardente, plus française, l’âmed’Arras. »

Un triumvirat catholique à l’initiative…Durant la guerre, Aimé Guerrin évoluedans un milieu clérical. Postulant aunoviciat des Jésuites, infirmier volon-taire à Arras, il tisse des liens étroitsavec le clergé arrageois resté en placedurant la guerre, celui des services desanté et les congrégations religieuses.Ainsi, lorsqu’il déclare au commissa-riat de police d’Arras, le 9 décembre1915, le nouveau journal qu’il se pro-pose de faire paraître, c’est conjointe-ment avec « MM. Milléquant, curé-doyen de Saint-Nicolas-en-Cité etDucrocq, aumônier militaire, curé inté-rimaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste24 ». Le chanoine Jules Milléquant (1864-1939) a 52 ans quand commence àparaître Le Lion d’Arras. Nommé àArras en avril 1914, « il se met [durantla guerre] à la disposition des ambu-lances militaires de sa ville commeaumônier bénévole, avant d’être aumô-nier des troupes de la mission françaiseauprès des troupes britanniques àArras en 191625 ». Plusieurs fois cité,pour ses blessures et son rôle auprès dela population durant l’évacuation de laville en mars 1918, il est fait chevalier dela Légion d’honneur en 1920. Le cha-noine Milléquant ne semble pas partici-per au journal par la rédaction d’arti-cles mais, alors qu’il quitte Arras à lasuite de sa nomination comme archi-prêtre de Béthune en mars 1919, AiméGuerrin lui en attribue la paternité dansun article-hommage : « Bien que samodestie se soit toujours refusée à voir

paraître son nom dans ce journal, nousavons le devoir de dire que ses avis et sesconseils nous ont été des plus précieuxdès le berceau du Lion ; dans une cir-constance décisive, son “oui” fit pen-cher le plateau de la balance ; et sans ce“oui” ce journal ne serait pas né. »

L’abbé Louis Ducrocq (1863-1934),quant à lui, de la même génération quele chanoine Milléquant, est connucomme collaborateur de La Croixd’Arras, qui cessa de paraître dès ledébut de la guerre. Chargé durant cettepériode du service religieux de laparoisse Saint-Jean-Baptiste d’Arras, ilreçoit une citation pour avoir « faitpreuve d’une volonté et d’un courageremarquables, en assurant, quoiquemalade, l’exercice de son ministère sousles violents bombardements auxquelsArras a été soumis. » En 1920, il partira

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Le Lion dʼArras, page de garde de lʼédition reliée.

Dédicace de lʼabbé Louis Ducrocq à lʼabbé Foulon, pour sonlivre Une pure victime du bombardement dʼArras : Marie-Thérèse Trannin (1894-1914), dont on trouve quelques extraitsdans Le Lion dʼArras. (Archives diocésaines dʼArras, 4 Z 792/3)

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exercer son ministère en Louisiane,avant de revenir à Arras quelquesannées avant sa mort. C’est un « écrivainprolixe et éclectique26 », et pour Le Liond’Arras il rédige des articles rétrospectifssur la guerre à Arras et sur le patrimoinecivil et religieux de la ville, des noticesnécrologiques sur des membres duclergé ou des victimes du bombarde-ment, enfin des articles en anglais dans

la rubrique « To our Friends of theBritish Army ». Il signe un à plusieursarticles par numéro, dès les débuts dujournal et jusqu’à l’été 1917 ; les pre-mières semaines, il lui arrive même fré-quemment de signer l’éditorial. Ensuite,son nom apparaît encore, mais de plusen plus rarement, par exemple dans len° 83 (21 février 1918), dans un articleintitulé « Un deuil atrébate. La mort duPère de nos Orphelins », relatant ledécès du prêtre responsable de l’orpheli-nat du Père Halluin. À partir de cettedate, le nom de Louis Ducrocq ne figureplus au bas d’articles ; on relève parfoisles initiales L.D., mais qui peuvent aussiêtre attribuées à un autre collaborateurdu journal, Lucien Declercq, à qui lessujets des articles correspondent d’ail-leurs davantage.

… mais une neutralité respectéeFondé par des prêtres et postulants,comptant parmi ses soutiens et colla-borateurs un certain nombre de nota-bles laïcs engagés dans l’Église, Le Lionpeut cependant difficilement être définicomme journal officieusement catho-lique.D’une part, les autorités diocésaines nesemblent jamais avoir qualifié ce jour-nal local de « catholique » ou « d’inspi-ration catholique ». Mgr Julien, à sanomination à l’évêché d’Arras, apportecertes ses encouragements au Liond’Arras, dont il vient de recevoir par

son rédacteur en chef les numérosparus dans l’année, mais l’aspectpatriotique uniquement transparaîtdans cet échange. Il envoie en effet, le13 mars 1917, « Ses compliments auLion d’Arras qui rugit si bien et que lecanon ne fait pas taire », avec « sa cor-diale sympathie ». D’autre part, proportionnellement, lapart des articles touchant de près ou de

loin l’Église catholique, etcelle d’Arras en particulier esttout à fait moindre. En effet,les articles et nouvelles « reli-gieuses » se réduisent àquelques entrefilets, un articleplus long intervient de tempsen temps, ayant principale-ment pour sujet l’actualité del’évêque. À l’occasion dudécès de Mgr Lobbedey, parexemple, l’on pourrait s’at-tendre à une « couverture

médiatique » conséquente, lui qui a étési important pour le moral desArrageois depuis le début de laguerre… Sont effectivement reproduitsdeux longs articles, l’un de Charles LeGoffic27, l’autre de Pierre de La Gorcede l’Académie française, pour l’Écho deParis28. De la main des rédacteurs habi-tuels du Lion, un court article29, d’envi-ron 1500 signes, signé G. A. et accom-pagné d’un portrait de l’évêque. Est-cevolontairement qu’Aimé Guerrin rédigeun hommage court, qui ne manquepourtant pas d’efficacité ? Veut-ilconserver, comme en matière politique,une certaine neutralité religieuse à sonjournal ? Il laisse, par conséquent, àd’autres le soin d’honorer la mémoirede « l’évêque des ruines30 »…Aimé Guerrin n’est pas seulement l’un

des fondateurs du Lion, il en assureaussi la gestion et la rédaction. Quel estdonc le quotidien du rédacteur en chefd’un journal situé à quelques centainesde mètres du front ?

■ Aimé Guerrin, rédacteur en chefdu Lion d’Arras (1916-1920)

Sa double casquette de fondateur et derédacteur en chef fait peser sur les seulesépaules d’Aimé Guerrin toute la lourdemachine que représente un journal, quiplus est un journal de siège. À la lecturedu Lion d’Arras, on a le sentiment qu’ilest partout : il signe l’éditorial, il prend àsa charge une part importante des arti-cles, en particulier la chronique atrébatedétaillée, reprenant les bombardementsquotidiens, les événements militaires dufront d’Arras ; le compte-rendu des réu-nions des divers groupements atrébates ;des études sur toutes les questions inté-ressant la vie d’Arras (ravitaillement,indemnités, etc.). Ne signant jamais deson nom, il se cache sous différentspseudonymes, les plus courants :J. Darras et Gabriel Aymé. Mais aussi, ilrecherche des souscripteurs, distribuelui-même un certain nombre de jour-naux, combat comme il le peut la cen-sure… et risque sa vie !

Un journal censuréReprenant un trait d’humour du PetitJournal des Tranchées : « – Et quoiqu’c’est qu’tous ces espaces blancsdans vot’ journal, m’sieur Jules ? – Ça,père Mathieu, ce sont les endroitsréservés aux gens qui ne savent paslire31 », Aimé Guerrin pointe du doigtun problème récurrent qu’il rencontre :la censure. À partir du n° 4 (24 janvier1916) et jusque bien après la fin de la

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La résistance dʼArras. Le coq contre lʼaigle. (Le Lion dʼArras, n° 45, 5 mars 1917)

« À louer à Arras. Grande maison, bienaérée ; belle vue sur les tranchéesboches ; vitres toile huilée ; toituremoderne en carton bitumé. À tousles étages : eau de pluie, électricitéatmosphérique et gaz de fabricationallemande. Protection assurée paragence Securitas et fils barbelés.Prix modérés. »

Le Lion d’Arras, n° 42, 5 février 1917

guerre, le rédacteur – et le lecteur –devra faire avec ces grandes plagesblanches ornées de la mention « sup-primé par la censure »32. Aimé Guerrins’en amuse. Il lui arrive de relever mali-cieusement, dans un entrefilet, les foisoù la censure, qui avait caviardé tel outel renseignement dans un numéro pré-cédent, le laisse passer, quelque tempsplus tard, sous une autre forme :«Nous remercions [Anastasie] de cettedélicate attention, nos lecteurs n’au-ront qu’à compléter l’un par l’autre nosdeux articles33. » « Anastasie » est aussi le titre d’un arti-cle, du 11 juillet 1918, où sont repris lespropos du journaliste RaymondLevrault, dans La France envahie,concernant la censure à l’égard duLion. « Le rôle d’un journal est d’infor-mer scrupuleusement ses lecteurs surles événements en cours. Si vous luiimposez un silence, même partiel, vousle faites toujours au détriment de l’inté-rêt général. […] Pour avoir bâillonné lapresse, Anastasie a causé d’irréparablesdésastres. » Il revient sur l’évacuationdes Arrageois, fait dans la précipita-tion, face à l’avancée allemande, quientraîna en particulier le pillage desmagasins et habitations. L’article estaccompagné d’un dessin de F. Guilbert,collaborateur du Lion, intitulé « Lamaîtresse du silence », représentantSainte-Anastasie un doigt sur labouche, coupant de ses ciseaux laqueue du lion d’Arras.

Un journal bombardéAimé Guerrin doit faire face, à plusieursreprises, aux bombardements qui attei-gnent les locaux du Lion d’Arras. Ceuxqui se déroulent fin janvier 1916 noussont particulièrement connus, grâce à unarticle de sa main, intitulé « La semained’un journaliste34 ». Deux jours de suite,son tour des dépositaires est interrompupar les bombardements. Au soir dudeuxième jour, les obus se mettent à fon-dre sur le quartier. L’immeuble est tou-ché, alors qu’il a juste eu le temps de sor-tir pour se mettre à l’abri, « un 210surtout l’avait littéralement ruiné ; notrepauvre bureau saccagé offrait un tableaulamentable ; nos fiches, nos dossiers, nospapiers, nos manuscrits, si soigneuse-ment classés, plusieurs centaines de jour-naux gisaient pêle-mêle dans un désor-dre recouvert de la poussière carac-téristique. » Le surlendemain, vendredi28, l’immeuble où se trouve installé leservice des expéditions du journal est luiaussi la proie des obus. Et Aimé Guerrinde conclure : « Depuis ces jours-là, nostrois immeubles et nos deux salles princi-pales ont encore souffert ; […] sur lesruines de nos dernières demeures, le Liond’Arras se dressera, plus menaçant etplus fier ; la meute enrage, hurle et mord;elle ne passera pas. » Par ailleurs, lors de l’offensive alle-mande de mars 1918, le journal se voitcontraint de s’expatrier. « Son adresseest fixée jusqu’en juin 1919, rue desFrancs-bourgeois à Paris, puis 1,rue Théophile-Gautier à Neuilly-sur-Seine35. » En avril 1918, on apprend quele Lion d’Arras est également bombardéà Paris, mais « n’a eu à regretter que laperte de quelques vitres36 ».

Et, par conséquent, des éditions perturbées Les conditions d’existence duLion, dont les locaux sont situésà 1 500 mètres du front, nesont pas faciles : les moyenshumains, techniques et finan-ciers font parfois défaut etentraînent des retards ou desaménagements dans la parutionde l’hebdomadaire. Dans une note à ses lecteurs, en novem-bre 1916, Aimé Guerrin explique : « Unconcours de circonstances exceptionnel,ayant appelé certains d’entre nous horsd’Arras, nous a empêchés de publier

notre dernier numéro à la date fixée. Parune coïncidence malheureuse, la plusgrande partie de notre copie étantdepuis dix jours égarée sur les voies fer-rées, nous avons dû nous résigner à faireparaître “Le Lion” aujourd’hui seule-ment avec une copie de fortune37. » Demême, après l’évacuation d’Arras en1918, il évoque à plusieurs reprises lesdifficultés qu’entraînent ses déplace-ments entre Paris et Arras, et particuliè-rement les 22 et 23 mars 1918, dont ildéveloppe, dans un long article, ses péri-péties ferroviaires. Arrêté à Miraumont– le train ne peut aller plus loin –, ilespère pouvoir rejoindre Arras par laroute mais en vain. Décidé à reprendrela route d’Amiens, afin de rejoindreArras par Doullens, il attend toute lajournée, entre illusion et déception, « untrain problématique ». Il sera à Doullensle lendemain matin mais ne pourra fina-

lement pas rejoindre Arras, l’ordred’évacuation générale de la ville venantd’être donné… « Je quittai Doullens lesoir pour aller travailler à Paris à l’œu-vre que nous avons commencée sous lesobus d’Arras. Notre Rédaction y est

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Anastasie et Le Lion dʼArras, vue par le dessinateurF. Guilbert. (Le Lion dʼArras, n° 100, 11 juillet 1918)

(Bulletin des Églises dévastées du diocèse dʼArras,3e année, n° 8, décembre 1921, p. 5)

Abbé Louis Ducrocq : « Un ami nousadresse cette prophétie de bon augure :“Votre Lion d’Arras… mais on sel’arrachera. Ses collections auront plustard une valeur historique et artistiqueconsidérable”. »

Le Lion d’Arras, n° 3, 17 janvier 1916

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incomplète, nous nous trouvons séparésles uns des autres […], et par une ironiedu sort, il se trouve que seuls ceux quisont aujourd’hui à l’arrière peuventcontinuer la publication de notre jour-nal du front38. »La publication voit sa date souventperturbée, à partir de mai 1916, le jour-nal devient « trimensuel », paraissantgénéralement les 5, 15 et 25 du mois ;puis, pendant quelques numéros, men-suel. En septembre 1917, un articlenous annonce que le Lion d’Arras varedevenir hebdomadaire. Aimé Guerriny remercie les généreux souscripteursqui ont permis de conserver « un prixincroyablement faible » au journal et desurmonter les épreuves : « la fréquenceet la violence des bombardements, […]la suppression de nos annonces com-merciales, les difficultés dues au mau-vais vouloir de certains, la hausseconstante du papier, qui a gravementéprouvé la presse, enfin, le départ destroupes françaises qui nous achetaientà elles seules un millier d’exem-plaires39. » De nouveaux abonnements,britanniques, permettent de retrouverun rythme hebdomadaire au journal,moyennant une légère augmentationdu tarif des abonnements (1,25 F pour3 mois, 2,50 F pour 6 mois, et 4,50 Fpour un an ; ce qui représente 0,10 F lenuméro, qui correspond au prix de

vente à l’unité du Lion d’Arras dès sacréation). Le prix du numéro atteindra0,25 F en janvier 1920, suite aux aug-mentations imposées par l’État40.

L’étude du Lion d’Arras nous livrenon seulement des informations pré-cieuses sur la vie à Arras durant laPremière Guerre mondiale, mais nousa permis aussi de mettre en lumière lapersonnalité et le parcours d’AiméGuerrin, un jeune homme parmi tantd’autres dans la cité assiégée, mais unjeune homme plein de ressources,d’initiative et de courage. Face auxévénements, et à l’instar de son Liond’Arras, il a tenu bon.

Le 1er janvier 1920 voit la parution dudernier numéro du Lion. Le Beffroid’Arras lui succède : après le journal desiège, le journal du relèvement. Quedevient alors Aimé Guerrin ? Il « rentredans la voie où [l]’a trouvé la guerre41 »,c’est-à-dire la vie religieuse. Mais sasanté le contraint à y renoncer définiti-vement quelques années plus tard.C’est au journalisme qu’il revient fina-lement et avec succès, collaborant à denombreux quotidiens français et régio-naux, et s’illustrant encore, alors que laFrance est à nouveau occupée : il est àl’origine d’une publication clandestinedevenue France Libre…

A. C.Audrey Cassan est archiviste du diocèse d’Arras

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(Bulletin des Églises dévastées du diocèse dʼArras,3e année, n° 8, décembre 1921, p. 7)

1. C’est la maxime du journal, insérée sous le dessin du Lion d’Arras.2. Le Lion d’Arras, n° 171, 18 décembre 1919.3. Janicki Jérôme, « Le Lion d’Arras et les Poilus », Histoire et Mémoire, n° 55, septembre

2008, p. 4-8.4. Pour plus d’informations, se reporter à la notice biographique qui lui est consacrée par

M. Michel Beirnaert dans Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, t. 11.Arras – Artois-Côte d’Opale, Paris, Beauchesne, novembre 2013.

5. Arras – Artois-Côte d’Opale, op. cit.6. Id.7. N° 81, 7 février 1918.8. N° 28, 25 août 1916.9. N° 31, 25 septembre 1916.10. N° 33, 15 octobre 1916.11. N° 2-6, 10 janvier-16 février 1916.12. N° 9, 8 mars 1916.13. N° 72, 29 novembre 1917.14. N° 77, 3 janvier 1918.15. N° 5, 31 janvier 1916.16. N° 10, 15 mars 1916.17. N° 80, 31 janvier 1918.18. N° 7, 23 février 1916.19. N° 6, 16 février 1916.20. N° 75, 20 décembre 1917.21. N° 24, 15 juillet 1916.22. N° 67, 25 octobre 1917.23. N° 15, 19 avril 1916.24. A. D. Pas-de-Calais, 10 T 6, déclaration d’intention de créer Le Lion d’Arras au

Commissariat central de police d’Arras, 9 décembre 1915.25. Arras – Artois-Côte d’Opale, op. cit.26. Arras – Artois-Côte d’Opale, op. cit.27. N° 40, 15 janvier 191728. N° 42, 5 février 1917.29. N° 40, 15 janvier 1917.30. N° 9, 8 mars 1916.31. N° 7, 23 février 1916.32. Visse, Jean-Paul, La presse arrageoise, 1788-1940, Société des Amis de Panckoucke, collec-

tion Kiosque 59-62, 2009, p. 274-278.33. N° 45, 5 mars 1917 : « Anastasie ».34. N° 6, 16 février 1916.35. Visse, Jean-Paul, op. cit.36. N° 90, 18 avril 1918 : « Le Lion d’Arras bombardé à Paris ».37. N° 34, 5 novembre 1916 : « A nos lecteurs ».38. N° 90-91, 18 avril-2 mai 1918.39. N° 62, 5 septembre 1917.40. Visse, Jean-Paul, op. cit.41. n° 171, 18 décembre 1919.

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La Société des Amis de Panckouckepoursuit sa publication d’une bibliographiesur la presse du Nord et du Pas-de-Calais.Bernard Grelle est chargé de cette rubrique.Transmettez-lui les références que vousdécouvrez ([email protected], ou à

Société des Amis de Panckoucke, 31, avenue de la Gare Wambrechies).Soyez précis : auteur(s), titre de l’ouvrage (ou de l’article), lieu de publication et éditeur, (ou périodiquedans lequel vous avez trouvé ces renseignements), date et page(s), illustrations, etc. N’omettez pas depréciser de quel journal, magazine, revue il est parlé dans ce livre ou cet article, si ce renseignementn’apparaît pas clairement dans le titre, et le lieu d’édition du périodique. N’hésitez pas à joindre un com-mentaire explicatif.

GÉNÉRALITÉS SUR LA PRESSERÉGIONALE■ {Presse agricole} ; Allart, Marie-Christine, « Á l’ombre desdeux grands, la presse agricole régionale », L’Abeille n° 16,octobre 2010, p. 16-18■ {Presse du Bassin minier} ; « La presse du bassin minier duPas-de-Calais », L’Abeille n° 16, octobre 2010, p. 20

Histoire de la presse du Nord et du Pas-de-Calais■ Allart, Marie-Christine, « Le temps révolu des prêtres jour-nalistes agricoles dans la région Nord-Pas-de-Calais »,L’Abeille, n° 22, décembre 2012, p. 1-5

Histoire de la presse du NordHistoire de la presse locale, par ville■ {Cambrai}; Visse, Jean-Paul, « La presse cambrésienne auXIXe siècle », Jadis en Cambrésis, n° 109, septembre 2012,p. 2-24■ {Douai} ; Allender, Robert, « Les faits divers dans la pressedouaisienne au XIXe », L’Abeille, n° 16, p. 1-7■ {Lille} ; Guillon, Gilles, « Liberté chérie : la presse lilloise et laloi de 1881 », L’Abeille, n° 16, octobre 2010, p. 19 (Note delecture du mémoire de maîtrise de Sophie Hilmoine)

Distribution■ {Crieurs & colporteurs}; Adam, Dominique, « Maillon de lachaîne de l’info : Jean-Pierre, vendeur-colporteur de presse »,L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 13■ {Crieurs & colporteurs}; Adam, Dominique, « Séverine, lesourire aussi est gratuit », L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 15■ {Crieurs & colporteurs}; Grelle, Bernard, « Crier au jour lejour », L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 8-10■ {Crieurs & colporteurs}; Grelle, Bernard, « petite histoiredes crieurs de journaux », L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 1-7■ {Crieurs & colporteurs}; Lépinay, Frédéric, « Colportail, le filpour rompre l’isolement », L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 14 ■ {Crieurs & colporteurs};Visse, Jean-Paul, « Des crieursd’autrefois aux vendeurs-colporteurs d’aujourd’hui », L’Abeille,n° 17, mars 2011, p. 1■ {Crieurs & colporteurs}; Van Der Meersch, Maxence,«Quand Thérèze criait les journaux… », L’Abeille, n° 17, mars2011, p. 11-12 ■ {Dépositaires} ; « Jour de fête pour les dépositaires de jour-naux du Nord et du Pas-de-Calais », Nord France, 8 juillet1950, p. 28-29■ {Kiosquiers} ; Visse, Jean-Paul, « Tous n’en mourraitpas…», L’Abeille, n° 17, mars 2011, p. 16

■ {Kiosquiers} ; Finez, Ludovic, « Le kiosquier part en retraite,Wazemmes perd une figure locale », L’Abeille, n° 17, mars2011, p. 16-17

Justice, police et presse■ {Causette} ; Traullé Florence, « Rémi Pauvros, député-mairePS de Maubeuge, attaque Causette », Nord Éclair, 24 octobre2012, p. 6

Rédaction■ {Localiers}; Visse, Jean-Paul, « Localiers d’hier et d’au-jourd’hui », L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 1Visse, Jean-Paul ; « Journalistes en province : au tournant del’industrialisation de la presse », L’Abeille, n° 15, septembre2010, p. 6-10■ {Localiers}; Desreumeaux, Pierre-Jean, « Localiers desannées 50 », », L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 11-14■ {Localiers}; Leclercq, Maurice, « Premiers pas de l’informa-tique en locale », L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 14-15■ {Localiers}; Dubois, Marc, « Correspondants-militants deLiberté à Roubaix-Tourcoing », L’Abeille, n° 15, septembre2010, p. 16■ {Localiers}; Rouanet, Pierre, « Premiers mois au plus prèsde la vie », L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 16-18■ {Localiers}; Tronchet alias Didier Vasseur), « Le 4e pouvoir[bande dessinée]», L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 17

HOMMES ET FEMMES DE PRESSE■ {Belaïd, Lakhdar} ; « Lakhdar Belaïd, chasseur de fantômesà Roubaix », Roubaix mag, n° 19, avril 2012, p. 32 ■ {Dessauvage, Robert} ; Escamilla, Mathilde, « R. Dessau-vage, la passion de Tourcoing sur le Web », Nord Éclair,11 août, 2012, p. 18■ {Frère, Vincent} ; « Décès de M. Vincent Frère, ancienP.D.G. de L’Indépendant », L’Indépendant du Pas-de-Calais,20 décembre 1996■ {Ghesquière, Hervé} ; Barret, Bérangère, « Il y avait cettepolémique, unique dans les annales de prises d’otages »,Nord Éclair, 27 septembre 2012, p. 4■ {Ghesquière, Hervé} ; « Diffamation. Le procès d’HervéGhesquière probablement reporté », Nord Éclair, 6 octobre2012, p. 7■ {Hermant, Stéphane} ; Poizot, Agnès, « Il [StéphaneHermant] lance un site pour valoriser la vie économique de laville », Nord Éclair (éd. Roubaix), 4 octobre 2012, p. 16■ {Josson, Agathe} ; Graffeuille, Hélène, « Agathe, une blo-gueuse bientôt à plein temps », Nord Éclair, 12 août 2012, p. 14

■Bibliographiede la presse régionale

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Bibliographie de la presse régionale

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■ {Leleux, Vincent} ; Visse, Jean-Paul, « Vincent et AlexandreLeleux à la tête de L’Écho du Nord 1. Des chefs d’entrepriseavisés », L’Abeille, n° 18, septembre 2011, p. 1 & 6-10■ {Leleux, Vincent} ; Visse, Jean-Paul, « Vincent et AlexandreLeleux à la tête de L’Écho du Nord 2. Des défenseurs deslibertés fondamentales », L’Abeille, n° 19, décembre 2011,p. 1 & 5-10■ {Panckoucke, André} ; « André et Charles Panckoucke,libraires, éditeurs et promoteurs de la presse lilloise : au ser-vice de la diffusion de Lumières », L’Abeille, n° 15, septembre2010, p. 1-5 ; n° 16, p. 1 et p. 8-10■ {Panckoucke, Charles} ; « André et Charles Panckoucke,libraires, éditeurs et promoteurs de la presse lilloise : au ser-vice de la diffusion de Lumières », L’Abeille, n° 15, septembre2010, p. 1-5 ; n° 16, p. 1 et p. 8-10■ {Pille, Hélène}; Graffeuille, Hélène, « Dorothée Pille, uneblogueuse qui partage ses recettes », Nord Éclair, 2 octobre2012, p. 16■ {Renaud, Jean-Michel} ; « Jean-Michel Renaud nous aquitté », La Voix du Nord, 9 janvier 2012, p. 9■ {Stil, André} ; Mauriaucourt, Laurence, « André Stil : écriresans jamais perdre le Nord ; des journalistes et des combats,28/49 », L’Humanité, 16 août 2012■ {Vignozzi, Yves} ; « Yves Vignozzi ancien cadre de La Voix,s’est éteint », La Voix du Nord (Métro), 15 octobre 2012, p. 19

JOURNAUX PAR TITREDes origines à 1914■ {Le Démocrate} ; Allender, Roland, « Un journal douaisienéphémère : Le Démocrate (1900-1902), L’Abeille, n° 22,décembre 2012, p. 6-11■ {L’Écho de la Lys} ; Oudar, Marie, « L’évolution de la publi-cité dans L’Écho de la Lys de 1837 à 1914, L’Abeille, n° 22,décembre 2012, p. 19-21■ {L’Étendard de la Bible} ; Larvent, Laurie, « Le mouvementMissionnaire intérieur Laïque de France, une intense activitééditoriale », L’Abeille, n° 22, décembre 2012, p. 12-14■ {Le Magister plus savant que son curé…} ; Leroy, Aimé, «LeMagister plus savant que son curé, almanach très-chrétien desplus curieux et de toute nouveauté, composé pour la plus grandegloire de Dieu et de l’humanité / par MM Paliez fils, Bruneaux etautres, A la vallée des Cygnes [Valenciennes], à l’enseigne de laLumière [chez Prignet frères], l’an X de la République française,In 12 de 4 f.et 142 pages, orné d’une planche», In : Les hommeset les choses du Nord de la France et du Midi de la Belgique,Valenciennes, Bureau des Archives du Nord, 1829, p. 33-35.(Almanach antireligieux qui déclencha un scandale àValenciennes, ce qui amena le préfet du Nord à l’interdire)■ {Le Moulin à vent} ; Grelle Bernard, « Du Journal-cadavre aujournal fantôme… Le Moulin-à-vent vs La Tribune des dépar-

tements du Nord», L’Abeille, n° 19, décembre 2011, p. 11-16■ {La Revue du Nord} ; Visse, Jean-Paul, « La Revue du Nordà cent ans », L’Abeille n° 15, septembre 2010, p. 21-22■ {La Tribune du Nord} ; Grelle Bernard, « Du Journal-cadavreau journal fantôme… Le Moulin-à-vent vs La Tribune desdépartements du Nord », L’Abeille, n° 19, décembre 2011,pp. 11-16■ {La Vérité présente et héraut de l’épiphanie du Christ} ;Larvent, Laurie, « Le mouvement Missionnaire intérieur laïquede France, une intense activité éditoriale », L’Abeille, n° 22,décembre 2012, p. 12-14

L’entre-deux-guerres■ {Les Amitiés franco-belges} ; Declercq, Elien, Boudens,Heleen, Vanden Borre, Saartje, « Les Amitiés franco-belges»,L’Abeille, n° 16, p. 11-14

1945 et après■ {alire} ; Bootz, Philippe, « Une revue [de poésie] sur dis-quette », L’Abeille, n° 22, décembre 2012, p. 15-18■ {Lille Métropole Info} ; « Lille Métropole Info, votre nouveaujournal », Lille Métropole Info, n° 1, avril 2003, p. 3■ {Nord Éclair} ; Henry, Émile, « Fusion des rédactions de LaVoix du Nord et de Nord Éclair », L’Abeille, n° 16, mars 2011,p. 20■ {Nord Éclair} ; Lore, J. R., « À nos lecteurs : Nord Éclair enlocation-gérance au sein de Voix du Nord S. A. », Nord Éclair,3 octobre 2012, p. 6■ {Le Petit journal des Bois-Blancs-Canteleu} ; Rodrigo,René, « Le Petit Journal des Bois-Blancs a 25 ans et100 numéros », L’Abeille, n°16, mars 2011, p. 19-20■ {La Revue du Nord} ; Visse, Jean-Paul, « La Revue du Nordà cent ans », L’Abeille, n° 15, septembre 2010, p. 21-22■ {La Voix du Nord} ; « Mercredi dans votre journal, “Zou” lemag des petites vacances », La Voix du Nord, 12 décembre2012■ {La Voix du Nord} ; « Un partenariat La Recherche-GroupeLa Voix : cent idées reçues sur la santé », La Voix du Nord,17 février 2013, p. 39 (Les dossiers santé)

PRESSE, RADIO, TÉLÉVISION SUR L’INTERNET■ {Blogs et sites} ; Graffeuille, Hélène, « Dorothée Pille, uneblogueuse qui partage ses recettes », Nord Éclair, 2 octobre2012, p. 16■ {Blogs et sites} ; Poizot, Agnès, « Il [Stéphane Hermant]lance un site pour valoriser la vie économique de la ville »,Nord Éclair (éd. Roubaix), 4 octobre 2012, p. 16■ {Wéo} ; « Des changements d’adresses à la THT. Wéo passedu canal 20 au canal 30 », La Voix du Nord, 12 décembre 2012

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Fidélité à la boutique?

«Une société se forme pour la publication d’un journal. […] D’abord,il faut à cette société un capital ; ce capital est fourni par actions. C’estune société de commerce. Dès lors la loi du capital devient la domi-nante de l’entreprise ; le profit est son but, l’abonnement sa préoccu-pation constante. Voilà le journal, organe de la vérité, fait industrie,boutique. Pour accroître ses bénéfices, pour conquérir l’abonné, lejournal devra ménager, caresser le préjugé ; pour assurer son exis-tence, il ménagera davantage encore le pouvoir, soutiendra sa poli-

tique en ayant l’air de la censurer ; joignant l’hypocrisie à la couardiseet à l’avarice, il se justifiera en alléguant les nombreuses familles qu’ilfait vivre. Fidélité, à la vérité ? — non, à la boutique : tel sera, bon grémal gré, la première vertu du journaliste ».

Proudhon : Du principe fédératif et de la nécessité de recons-tituer le parti de la révolution, Paris, E. Dentu, 1863.

J O U R N A L D E L A S O C I É T É D E S A M I S D E P A N C K O U C K E

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Nord, par la voix de son rédacteur en chef, lui a égalementapporté son soutien.

■ Nord’way, c’est finiLa presse magazine régionale est-elle frappée de malédic-tion ? (Cf. L’Abeille n° 21, décembre 2012) La Voix duNord a annoncé récemment l’arrêt de Nord’way. Ce«magazine mensuel et urbain », lancé en décembre 2009,« n’a pas trouvé son équilibre économique », selon ladirection du groupe. Le périodique qui visait un lectoratdifférent de celui du quotidien, s’était, lui aussi, offert unpetit lifting il y a un an. Cela n’a pas suffi à enrayer ledéficit annuel. Réalisé par des journalistes du groupe etdes pigistes, il annonçait pourtant à l’époque un tirage de10000 exemplaires. C’est donc la deuxième fois que LaVoix du Nord essuie un échec dans le domaine des maga-zines. En avril 1954, le quotidien avait déjà sorti Semainedu Nord qui en avait duré 52. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, le groupearrête également le cahier régional de l’hebdomadaireVersion Femina, distribué, avec l’édition du samedi duquotidien, aux lecteurs qui le souhaitaient. Il sera rem-placé par des suppléments mensuels ou thématiques.Dans une conjoncture difficile, baisse des ventes de prèsde 5 % et des recettes publicitaires de 10 %, ces décisionsdoivent permettre au groupe de « s’adapter aux réalitéséconomiques et aux mutations en cours ». Elles sont eneffet motivées par la volonté de « poursuivre [les] projetsnumériques sur l’information de proximité ». Pour l’instant, les investissements du groupe dans lenumérique ne suffisent pas à compenser la chute desventes du quotidien. D’autres ajustements ne sont doncpas exclus dans les mois à venir, selon la direction. Quantaux journalistes touchés par ces arrêts, ils seront déployésdans la rédaction. Lors du dernier comité d’entreprise, ledirecteur général a, par ailleurs, annoncé que les départsnaturels à la rédaction ne seront plus remplacés. Jusqu’àprésent la rédaction avait été épargnée par cette mesurequi touchait déjà les autres collèges.

Émile HENRY

■ La Brique revient avec une nouvelle formule

Le dernier numéro de La Brique datait de l’été. Après plu-sieurs mois de silence, le journal alternatif revient avecune nouvelle formule. Plusieurs membres de la rédactionsont partis, d’autres sont arrivés. L’occasion, après six ansd’existence, de « trouver un nouveau rythme, [de] bouger[la] manière d’aborder l’actualité régionale, de revoir [la]présentation [du journal] – bref d’offrir un nouveau plu-mage à ce canard », comme le précise le communiqué dela rédaction. À l’approche des élections municipales, La Brique revientdonc avec trois numéros thématiques. Le premier d’entreeux est consacré au logement.

La vie des médias dans la région

LA PRESSE RÉGIONALE EN D I FF ICULTÉLa presse écrite va mal. Le temps est bien gris. Quel estd’ailleurs le constat le plus attristant ? Chacun scrute leciel. Qui regarde encore un journal ? Comme les nuages,les mauvaises nouvelles continuent de s’accumuler dansles rédactions… Des feuilles sont emportées par un ventmauvais, des feuilles finissent dans le caniveau. Unemenace sur le pluralisme, une menace sur la démocratie,chacun y va de son affirmation sentencieuse. Et puis… lanuit tombe vite en décembre. Les réalités économiquessont cruelles pour tout le monde. Alors, la presse que pluspersonne ne lit… Les bons prophètes l’avaient prédit il ya bien longtemps : « dans dix ans il n’y aura plus de jour-naux ». Il y aura des solutions alternatives. Après l’hiver,le printemps. Sauf que la rentabilité des sites web, àquelques exceptions près, ne leur permet pas encore defournir l’information qu’un vrai lecteur, qu’un citoyen esten droit d’attendre.

■ Liberté «en danger de mort »La bourrasque qui soufflait bien fort dans d’autrescontrées gagne le Nord-Pas-de-Calais. Le 11 octobre,Liberté-Hebdo sortait un numéro spécial. L’hebdo-madaire avertissait qu’il était «en danger de mort». Cen’est pas la première crise que traverse le périodiquedepuis sa création en 1992. Après la disparition du quotidien communiste Liberté,deux hebdomadaires avaient été créés : Liberté-Hebdodans le Nord et Liberté 62 dans le Pas-de-Calais qui, en2011, fusionnaient. Une nouvelle formule lancée avantl’été et un retour dans le quartier de Fives où le quotidien

s’était installé en 1956 laissaientenvisager un avenir plus paisiblepour le périodique. Illusion vitedétrompée ! Comme toute lapresse écrite, et encore plus lapresse d’opinion, Liberté-Hebdoétait confronté à une érosion deson lectorat. À un tirage insuffi-sant, que les plus optimistesévaluent à 6 à 7 000 exem-plaires, malgré l’arrivée de nou-veaux lecteurs, s’est ajoutée,selon son rédacteur en chef, unebaisse des recettes publicitaireset des annonces légales.

Le journal a indéniablement retrouvé un dynamismerédactionnel grâce à une équipe rajeunie. Sa nouvelle for-mule rend la lecture plus agréable. Pourtant « l’avenir dupetit canard rouge n’est pas assuré » comme le note, dansson éditorial du 11 octobre, Bruno Cadez, et Liberté-Hebdo pourrait disparaître. Le journal, qui peut comptersur les fédérations du Parti communiste, a besoin de2000 abonnés nouveaux et une souscription a donc étélancée. Pour cette campagne, l’hebdomadaire a reçu lesoutien de plusieurs personnalités. Dernier périodiqued’opinion dans la région avec Liberté-Hebdo, La Croix du

Revue éditée par la Société des Amis dePanckoucke, 31, avenue de la Gare 59118Wambrechies ■ ISSN : 1959-0245 ■ Directeur

de la publication : Jean-Paul Visse ■ Ont participé à ce numéro : Audrey Cassan,Bernard Grelle, Émile Henry, Jean-Paul Visse ■ Maquette : Triangle Bleu ■Abonnements (3 numéros par an) : 15 € ■ Vente sur demande à la Société desAmis de Panckoucke ■ Avertissement : les textes sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs ■ L’ensemble doit être adressé à l’adresseélectronique suivante : [email protected] ■ Les photos qui accompagnentles textes doivent être libres de droit ■ Blog : www.panckoucke.org

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J O U R N A L D E L A S O C I É T É D E S A M I S D E P A N C K O U C K E

souffrent, dans le but de permettre à de jeunes auteursamazighs de se faire connaître en publiant leurs textes etpermettre aussi à cette langue, qui a été interdite et com-battue, de conquérir de nouveaux genres littéraires, sur-tout la nouvelle, le théâtre et le roman.IDLES n’est pour l’instant lisible que sur Internet(http://www.idlesmagazine.com/), site toujours enconstruction, mais une édition papier est en préparation.

B. G.

■ La photo perd de son mystèreÀ la suite de notre appel dans le dernier numéro deL’Abeille à propos d’une photo transmise par MarcDubois, Gilles Guillon a levé une grande partie du mys-tère. Selon lui, « la présence d’un grand nombre de mem-bres de la rédaction de France 3 laisse penser que cette

photo a dû être prise dans les locaux de la télé régionaleboulevard de la Liberté à Lille. Pas à l’occasion d’une réu-nion du SNJ – [Certains des journalistes présents] étaientà la CGT et [d’autres] à la CFDT – mais plutôt à l’occa-sion d’une visite des locaux pour la présentation de lagrille de rentrée, une soirée électorale ou la venue d’unepersonnalité quelconque. »Gilles a également identifié de nouveaux journalistes :«En bas à gauche Marie-Noëlle Chades, journaliste àFR3, à côté d’elle, Jean-Michel Destang (moustachu),reporter caméraman. Le barbu avec la sacoche est feuBernard Lecomte, journaliste culture à FR3. DerrièreMichel Berry, il y a André Thomas, reporter caméraman,et au fond je crois reconnaitre Jacques Mariette, le docu-mentaliste de la rédaction, ainsi que Marc Drouet à côtéde feu Guy-Pierre Éloire. »

■ IDLES, une nouvelle revue littéraireLa région comptait déjà des périodiques en flamand, enallemand, en polonais… Une revue en langue amazighevient s’ajouter à ce nombre.L’association berbère AFAFA de Roubaix vient de lancer

une revue, IDLES, dont le premiernuméro est paru à l’été 2013.IDLES (« Culture » en Berbère)offre la particularité d’être écriteentièrement dans cette langue.Dans l’Antiquité, les peuples ber-bères occupèrent les territoiresallant de l’ouest du Nil àl’Atlantique. Connus alors sousdivers noms (Libyens, Maures,Gétules, Garamantes, Numides),ils formèrent des royaumes puis-sants. Qui n’a entendu parler deMassissima, allié de Rome dans les

guerres puniques contre Carthage, ou de son petit-filsJugurtha ? Les Berbères furent à l’origine des XXIIe etXXIIIe dynasties des pharaons d’Égypte. Les Berbèresfurent conquis par les Phéniciens (en partie), par lesRomains, ils furent christianisés, furent conquis par lesVandales, puis par les Arabes, qui les convertirent à l’islamet tentèrent de les arabiser. La culture berbère reste vivacedans certaines parties de l’Algérie et du Maroc. LesBerbères sont actuellement 20000000, dont un peu moinsde 10 % se trouvent en France. Il n’est donc pas étonnant detrouver dans le Nord, en particulier à Roubaix, une associa-tion (AFAFA) qui promeut cette culture, notamment pardes conférences, des spectacles musicaux, et en éditant unbulletin très revendicatif, lancé par « des activistes berbères»Krrez Ifs (« Sème la graine») rédigé, lui, en français. L’AFAFA vient de franchir un nouveau pas en éditant une

revue culturelle, IDLES, entière-ment en langue amazighe,quelques titres étant imprimés enalphabet tifinagh, l’alphabet pro-posé par les militants kabyles del’Académie berbère Afus DegWfus de Roubaix. Forte de20 pages très denses, parfois illus-trées, IDLES est un magazine lit-téraire publié par un groupe d'au-teurs membres de l'Association.On n’y trouve que des textes enprose. Le premier numéro ren-ferme six textes, quatre nouvelles

sur des thèmes différents, mais engagés (répression poli-tique, islamisme et injustice sociale), plus la critique d'unCD qui vient de sortir et la traduction en Amazigh d'untexte de James Huber « Embrassez les fesses de Marcel ».Le deuxième numéro renfermera des textes d'auteurs ama-zighs du Maroc, de Kabylie et de Libye. Le souhait despromoteurs de la revue est d’en faire une véritable revuelittéraire amazighe malgré le manque de moyens dont ils

La vie des médias dans la région