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Deborah David et Patrick Thiébart
Avocats associés – Jeantet
pthié[email protected]
DECRYPTAGE DE LA JURISPRUDENCE 2016
SUR LES PSE
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 4
I. LE TEMPS DE L’ELABORATION DU PSE : LA VISION PRAGMATIQUE DU CONSEIL D’ETAT ................. 5
A) Précisions sur la nature du contrôle de l’autorité administrative sur la procédure ...................... 5
1. Pas de nullité sans grief ............................................................................................................... 5
a) La non-transmission des observations de la Direccte n’est pas, en elle-même, un motif
d’annulation ................................................................................................................................ 5
b) Seules les irrégularités de procédure les plus graves permettent d’invalider la décision de
la Direccte .................................................................................................................................... 6
c) Une communication partielle de documents à l’expert du comité d’entreprise ne conduit
pas nécessairement à l’invalidation de la décision de la Direccte .............................................. 6
d) Une irrégularité, lors d’une procédure de consultation volontaire des IRP, ne permet pas
d’annuler la décision de la Direccte ............................................................................................ 7
2. Une application stricte de « l’esprit » de la loi ............................................................................ 7
a) Le CHCT peut, à l’instar du CE, adresser, à la Direccte, une demande d’injonction ........... 7
b) L’expert du CE doit être désigné dès la 1ère réunion ........................................................... 8
B. Précisions sur le champ de contrôle de l’autorité administrative sur le PSE ............................... 9
1. Un contrôle restreint de l’administration sur le PSE négocié ...................................................... 9
a) Un PSE conclu par des délégués syndicaux sans mandat valable est nul ........................... 9
b) Le contrôle des mesures du PSE limité à son plus strict minimum ................................... 10
c) En attendant la position du Conseil d’Etat sur le rôle des commissions de suivi ............. 10
2. Une jurisprudence qui s’affine sur le contenu du PSE non négocié .......................................... 11
a) Une définition renouvelée des catégories professionnelles ............................................. 11
b) L’appréciation globale des mesures du PSE ...................................................................... 12
La méthode du faisceau d’indices concordants ............................................................. 13
De simples démarches infructueuses auprès des actionnaires pour qu’ils abondent au
PSE ne suffisent pas .............................................................................................................. 13
La méthode de la « calculette » n’est pas pertinente ..................................................... 14
c) Confirmation des obligations de l’employeur en matière de reclassement ................... 15
L’employeur doit procéder à une recherche sérieuse et exhaustive au niveau du groupe
15
3
Le périmètre du groupe de reclassement selon le Conseil d’Etat .................................. 15
Quel est le « bon moment » pour procéder à la recherche de reclassement ? ............... 16
Reclassement des salariés protégés : une jurisprudence salutaire pour les employeurs 16
d) Le coemploi reste l’apanage du juge judiciaire ............................................................. 17
II. LE TEMPS DE LA MISE EN ŒUVRE DU PSE : LA COUR DE CASSATION AFFINE SA JURISPRUDENCE .. 18
A. Le contrôle économique du licenciement .................................................................................. 18
1. La notion de groupe redessinée ............................................................................................. 18
a) La notion de groupe pour apprécier la cause économique du licenciement .................... 18
b) La notion de groupe pour apprécier la pertinence des mesures du PSE .......................... 19
c) La notion de groupe pour apprécier l’obligation de reclassement ................................... 20
2. Le coemploi marginalisé ....................................................................................................... 20
3. La lettre de licenciement : pas d’obligation de faire référence à la situation du groupe ....... 24
4. La sauvegarde de la compétitivité toujours encadrée ............................................................ 24
B. La mise en œuvre des mesures du PSE enfin clarifiée .............................................................. 25
1. Les éclairages sur l’obligation de reclassement .................................................................... 25
a) Quelques précisions bien utiles sur l’obligation de reclassement à l’étranger ................. 25
b) La commission territoriale de l’emploi n’est plus incontournable .................................... 26
2. Les contours du plan de départ volontaire ............................................................................. 26
4
Introduction
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi
(« LSE »), les projets de grands licenciements collectifs élaborés dans une entreprise
employant au moins cinquante salariés sont soumis à un contrôle administratif préalable, que
l'entreprise soit in bonis ou non. Il appartient ainsi aux Direccte de valider ou, selon le cas,
d’homologuer les projets de licenciements afin que ceux-ci puissent être régulièrement mis en
œuvre et les ruptures valablement prononcées.
Ce faisant, la loi a profondément modifié les règles en matière de licenciement collectif pour
motif économique puisque les procédures contentieuses ne sont plus possibles durant la phase
de négociation des plans de sauvegarde de l’emploi (« PSE »), laquelle est elle-même soumise
à des délais préfix.
La LSE opère ainsi une distinction particulièrement nette entre le temps dédié à la négociation
et à la validation/homologation du PSE, qui relève de l’autorité de la Direccte sous le contrôle
du juge administratif, et le temps dédié à la mise en œuvre du PSE, laissé à l’appréciation du
juge prud’homal.
Cette répartition des rôles entre juridictions administratives et juridictions judiciaires s’est
finalement avérée plutôt efficace puisque les contentieux sont moins nombreux et les délais de
procédure significativement réduits. Il s’en est suivi davantage de sécurité juridique pour les
entreprises.
Si 2014 a été l’occasion de découvrir le fonctionnement de la justice administrative face aux
PSE ; 2015 a vu éclore les prémices de la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui a pris toute son
ampleur en 2016, grâce à une jurisprudence qui a apporté d’utiles précisions sur les modalités
du contrôle administratif des projets de grand licenciement collectif par l’administration.
Nous aborderons, au cours de cette matinale, les arrêts les plus marquants de l’année 2016
rendus par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation en distinguant le temps de la procédure
d’élaboration du PSE et le temps de sa mise en œuvre.
5
I. LE TEMPS DE L’ELABORATION DU PSE : LA VISION PRAGMATIQUE DU CONSEIL
D’ETAT
Une fois le PSE élaboré, que ce soit à travers un accord collectif signé avec les organisations
syndicales ou un document unilatéral, la Direccte est chargée d’un double contrôle : elle
vérifie que la procédure prévue par le code du travail a été respectée et que le contenu du PSE
est conforme aux exigences légales.
A) Précisions sur la nature du contrôle de l’autorité administrative sur la procédure
1. Pas de nullité sans grief
La procédure d’information-consultation des IRP est au cœur de la majorité des contentieux
mais les juges administratifs sont assez réticents à faire droit aux demandes d’annulation des
décisions des Direcctes en application de l’adage « pas de nullité sans grief ». Le régime des
nullités en droit administratif est, en effet, assez restrictif car il tend à sauvegarder l’acte
administratif, en l’occurrence la décision de la Direccte homologuant ou validant l’accord
collectif ou le document unilatéral fixant le PSE.
La volonté des juges administratifs de « sauver » l’acte administratif est bien mise en
évidence dans l’arrêt Danthony1. Dans cette décision, le Conseil d’Etat a affirmé qu’ « un
vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre
obligatoire ou facultative, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il
ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur
le sens de la décision prise ou qu’il a privé les parties d’une garantie ».
Le pragmatisme est donc de rigueur parmi les juges administratifs. Cette tendance n’a fait que
se confirmer au travers des arrêts rendus en 2016.
Voyons-en quelques illustrations ci-dessous.
a) La non-transmission des observations de la Direccte n’est pas, en elle-même,
un motif d’annulation
Aux termes de l’article L.1233-57-6 du code du travail, la Direccte, saisie d’un projet de
licenciement économique avec PSE, peut, à tout moment de la procédure, adresser une lettre
d’observations à l’employeur pour lui faire part de ses suggestions sur le déroulement de la
procédure ou sur les mesures envisagées dans le projet de PSE. Dans un tel cas, obligation est
faite à la Direccte d’en adresser copie au comité d’entreprise (ou, le cas échéant, aux délégués
du personnel) afin que ce dernier puisse disposer de l’ensemble des éléments pertinents pour
rendre un avis éclairé. Si la négociation d’un accord collectif majoritaire est engagée, les
organisations syndicales représentatives dans l'entreprise doivent également en être rendues
destinataires.
Or, dans son arrêt du 23 mars 20162, le Conseil d’Etat a considéré, faisant une appréciation
d’ensemble de la procédure consultative, que l’absence de transmission de ce même courrier
1 Cons. d’Etat, ass., 23 déc. 2011, n°335033
2 Cons. d’Etat, 23 mars 2016, n°389158
6
au comité d’entreprise par la Direccte n’entachait pas d’irrégularité la procédure
d’information-consultation. En l’espèce, si l’administration n’avait pas envoyé au comité
d’entreprise copie de son courrier d’observations, l’employeur l’avait lui-même communiqué
aux organisations syndicales, en même temps que la réponse qu’il y avait apportée. Dès lors,
dans la mesure où ces mêmes organisations syndicales étaient représentées au comité
d’entreprise par l’intermédiaire des représentants syndicaux au comité d’entreprise, le comité
avait pu rendre un avis éclairé en toute connaissance des éléments transmis.
b) Seules les irrégularités de procédure les plus graves permettent d’invalider la
décision de la Direccte
Avec ce même pragmatisme, le Conseil d’Etat rappelle, dans son arrêt Darty du 7 décembre
20153, que seules les irrégularités de procédure qui ont pu influencer l'appréciation des
représentants du personnel ou le contrôle exercé par l'administration permettent d'invalider la
décision de la Direccte. Ainsi, le fait que lors des réunions de consultation du comité
d’entreprise, l'employeur ait été assisté de plus de deux collaborateurs, contrairement à la
limite posée par l'article L.2325-1 du code du travail, n'entraîne pas l'annulation de la décision
de validation tant qu'il n'est pas démontré que cette présence a pu exercer une influence sur les
membres du comité d'entreprise. Or, cette preuve n'a pas été rapportée en l'espèce.
De même, le fait que la version du PSE remise en séance de CHSCT différait de celle
envoyée avec la convocation des membres du CHSCT ne faisait pas obstacle à ce que le
CHSCT exprime son avis en toute connaissance de cause et n’était donc pas susceptible de
vicier la procédure d’information-consultation.
c) Une communication partielle de documents à l’expert du comité d’entreprise
ne conduit pas nécessairement à l’invalidation de la décision de la Direccte
Lorsque l’assistance d’un expert-comptable a été demandée par le comité d’entreprise,
l’administration doit s’assurer que celui-ci a pu exercer sa mission dans des conditions
permettant au comité de formuler ses avis en toute connaissance de cause. Dans son arrêt du
21 octobre 20154, le Conseil d’Etat a jugé que la circonstance que l’expert-comptable du
comité d’entreprise n’ait pas eu accès à l’ensemble des documents dont il avait demandé la
communication ne vicie pas la procédure si les conditions dans lesquelles l’expert a accompli
sa mission ont néanmoins permis au comité d’entreprise de disposer de tous les éléments
utiles pour formuler un avis éclairé.
3
Cons. d’Etat, 7 déc. 2015, n°383856 4
Cons. d’Etat, 21 oct. 2015, n°385683
7
d) Une irrégularité, lors d’une procédure de consultation volontaire des IRP, ne
permet pas d’annuler la décision de la Direccte
Si le Conseil d’Etat a pu annuler des PSE sur le fondement d’une méconnaissance des
prérogatives de consultation du CHSCT, l’arrêt du 7 septembre 20165 précise qu’une
irrégularité lors de la consultation volontaire du CHSCT ne justifie pas l’annulation de la
décision d’homologation du PSE par la Direccte.
Dans cette affaire, la cour administrative d’appel de Marseille avait annulé le PSE en
constatant l’irrégularité de la consultation du CHSCT, les mandats des membres de l’instance
n’ayant pas été renouvelés depuis près de deux ans. Le Conseil d’Etat a considéré cet
argument comme étant inopérant en relevant que la consultation du CHSCT avait été réalisée
à titre purement volontaire par l’employeur de sorte qu’il ne pouvait se voir reprocher une
quelconque irrégularité.
S’il est vrai qu’il n’existe pas de texte prévoyant la consultation automatique du CHSCT en
cas de PSE, la décision du Conseil d’Etat est quelque peu surprenante sur le fond. En l’espèce,
l’employeur avait pris l’initiative de consulter le CHSCT, et ce n’est que lorsque la décision
d’homologation du PSE a été contestée en justice qu’il a prétendu que la consultation avait été
purement volontaire, le projet en question ne constituant pas « un aménagement important
modifiant […] les conditions de travail » aux termes de l’article L.4612-8-1 du code du
travail.
Il est probable que le critère de « l’importance » du projet d’aménagement ou de
réorganisation donnera lieu à nombre contentieux si elle n’est pas rapidement encadrée par le
Conseil d’Etat.
2. Une application stricte de « l’esprit » de la loi
a) Le CHCT peut, à l’instar du CE, adresser, à la Direccte, une demande
d’injonction
L’arrêt du 7 septembre 2016 fait écho à celui du 29 juin 20166. Dans ce dernier arrêt, le
Conseil d’Etat a annulé le PSE de la société Asterion en relevant que l’un des CHSCT de
l’entreprise avait été insuffisamment informé sur le projet de compression des effectifs
puisque seule une présentation PowerPoint de 5 pages avait été remise à ses membres, ce qui
ne leur avait pas permis de rendre un avis en toute connaissance de cause.
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat s’est appuyé sur les conclusions du rapporteur public, selon
lesquelles si l’intervention du CHSCT n’est pas expressément prévue dans les procédures de
PSE, son implication vient de sa compétence générale définie dans le code du travail.
Autrement dit, en l’absence de textes précis, « l’esprit de la loi » ordonne que soit attribué au
CHSCT les mêmes prérogatives que le comité d’entreprise. C’est donc tout naturellement que
le Conseil d’Etat en a conclu qu’à l’instar du comité d’entreprise, le CHSCT est autorisé à
5
Cons. d’Etat, 7 sept. 2016, n°394243 6 Cons. d’Etat, 29 juin 2016, n°386581
8
saisir l’autorité administrative, par une demande d’injonction, de toute atteinte à l’exercice de
sa mission ou de celle de l’expert qu’il a, le cas échéant, désigné.
b) L’expert du CE doit être désigné dès la 1ère
réunion
L’article L.1233-34 du code du travail prévoit que le comité d’entreprise peut, dans le cadre
de la procédure de consultation portant sur un PSE, recourir à l'assistance d'un expert-
comptable. Le comité prend sa décision lors de la première réunion prévue à l'article L.1233-
30, à savoir à l’occasion de la première réunion d’information-consultation au cours de
laquelle l’employeur lui soumet l’opération projetée ainsi que le projet de licenciement
collectif.
Sur le fondement de cet article, le Conseil d’Etat a précisé, dans un arrêt du 23 novembre
20167, que lors de la première réunion, le comité d’entreprise doit non seulement avoir pris la
décision de recourir à un expert mais il doit également l’avoir désigné nommément, sauf
circonstances exceptionnelles.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, la première réunion du comité d’entreprise s’était
tenue le 9 décembre 2013, et, à cette occasion, le comité n’avait pas pris de décision de
recourir à l’assistance d’un expert mais « s’était borné à en approuver la faculté à titre
éventuel ». L’expert n’avait finalement été désigné qu’au mois de janvier et l’homologation
du PSE était intervenue en avril 2014. Dans ces conditions, pour le Conseil d’État, les salariés
de l’entreprise ne pouvaient pas demander au tribunal administratif l’annulation de la décision
de la Direccte pour excès de pouvoir, en faisant valoir que l’employeur n’avait pas transmis à
l’expert, dans un délai suffisant, l’ensemble des documents que ce dernier lui avait réclamés.
Si le Conseil d’Etat prend une position aussi tranchée, c’est pour que l’esprit de la loi ne soit
pas altéré. En effet, l’un des apports essentiels de la LSE a été d’encadrer les délais de
procédure liés à la mise en œuvre des PSE.
Or, si l’expert est désigné tardivement, les délais contraignant prévus par la loi concernant la
collecte des informations risquent de ne plus permettre à l’expert de rendre son rapport 15
jours avant la dernière réunion. Ce faisant, c’est l’effet utile de l’expertise qui risque d’être
mise à mal.
Rappelons qu’à défaut de désignation dans les temps légaux, l’expert perd toutes les garanties
prévues par le code du travail et redevient un expert libre, n’ayant alors accès qu’aux
documents communiqués au comité d’entreprise, lequel doit alors prendre en charge le
règlement de ses honoraires.
Ainsi, si le Conseil d’Etat se montre strict sur l’application des textes légaux, ce ne pas tant
par souci de respecter un formalisme rigoureux que pour assurer la régularité de la
consultation du comité d’entreprise dans sa globalité.
7
Cons. d’Etat, 23 novembre 2016, n°388855
9
B. Précisions sur le champ de contrôle de l’autorité administrative sur le PSE
La LSE a précisé, dès l’origine, la différence de contrôle que l’administration doit opérer
selon que le PSE a été négocié dans le cadre d’un accord collectif ou qu’il a été préparé de
façon unilatérale par l’employeur. Schématiquement, en l’absence d’accord collectif, le
contrôle de l’administration porte sur l’ensemble de la procédure ainsi que sur le contenu
précis et détaillé des mesures prévues dans le plan, alors qu’il est nettement plus limité sur le
second point lorsqu’il est issu du dialogue social.
1. Un contrôle restreint de l’administration sur le PSE négocié
En cas d’accord majoritaire, l’administration doit essentiellement s’assurer du respect du
formalisme de l’accord et en particulier de la représentativité et de la qualité de ses signataires
Cela n’empêche pas le Conseil d’Etat de faire preuve de fermeté, comme cela avait déjà pu
être constaté à l’occasion de l’arrêt Pages Jaunes du 22 juillet 20158.
a) Un PSE conclu par des délégués syndicaux sans mandat valable est nul
Doit ainsi être annulée la décision de la Direccte ayant validé un PSE signé par un délégué
syndical qui n'avait alors plus de mandat valable depuis les dernières élections
professionnelles, le pourcentage de voix recueillies par son syndicat ne pouvant dès lors pas
être pris en considération pour décompter les 50 %.
C’est ce qui ressort de l’arrêt du 30 mai 20169 du Conseil d’Etat, aux termes duquel a été
annulée la décision de la Direccte ayant validé le PSE au motif que deux délégués syndicaux
centraux de la CFTC n’avaient pas fait l’objet d’une nouvelle désignation par le syndicat,
pourtant reconnu représentatif au sein de l’entreprise, à l’occasion des dernières élections. Ils
avaient donc continué à exercer de fait leur mandat de délégué syndical sans que l’employeur
et la Direccte se soient assurés qu’une nouvelle désignation par le syndicat était bien
intervenue.
On peut se demander si les raisons qui conduisent le Conseil d’Etat à se montrer aussi rigide
sont pertinentes car elles vont, nous semble t-il, à l’encontre du principe de sauvetage de
l’acte administratif, alors qu’aucun grief ne peut être constaté sur les salariés ou sur les
représentants du personnel.
En dehors de cette jurisprudence, il existe peu de cas d’annulation de PSE négocié, preuve
que la LSE a rempli son office, celui de déjudiciariser les PSE.
8 Cons. d’Etat, 22 juillet 2015, n°385668
9 Cons. d’Etat, 30 mai 2016, n°385730
10
b) Le contrôle des mesures du PSE limité à son plus strict minimum
Les juges rappellent volontiers que le contrôle administratif ne s’étend pas aux éléments du
PSE ayant fait l’objet d’un accord. C’est ainsi que dans son arrêt Darty du 7 décembre
201510
, le Conseil d’Etat a souligné que lorsque le contenu du PSE a été élaboré dans le cadre
de la négociation d’un accord majoritaire, l’administration « doit seulement s’assurer de la
présence, dans ce plan, des mesures prévues aux articles L.1233-61 et L.1233-63 »,
notamment de l’existence d’un plan de reclassement.
Autrement dit, dans un tel cas, la Direccte n’a pas à vérifier que les mesures du plan sont
proportionnelles aux moyens dont dispose l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient.
L’administration n’a pas davantage l’obligation de s’assurer que les mesures du PSE sont de
nature à satisfaire les objectifs de maintien des salariés dans l’emploi. C’est pourquoi, dans
l’affaire Darty, a été débouté le syndicat requérant qui avait sollicité l’annulation de la
validation du plan en raison de l’absence de remise aux membres du comité d’entreprise
d’une liste énumérant les postes de reclassement disponibles au sein du groupe.
c) En attendant la position du Conseil d’Etat sur le rôle des commissions de
suivi
Au cours de l’année 2016, une question inédite a été soumise aux juges administratifs
concernant les modalités de suivi du PSE telles que prévues dans les PSE. A cette occasion,
les cours administratives d’appel de Paris et de Douai ont exprimé une position radicalement
différente qui nécessitera une clarification du Conseil d’Etat.
Dans les deux affaires en litige, un accord collectif majoritaire portant sur le contenu du PSE
avait été conclu et validé par la Direccte. Dans les deux cas, une commission de suivi avait été
instituée avec pour membres des représentants de la Direction et du comité d’entreprise, cette
commission ayant pour mission d’assurer la mise en œuvre du plan de sauvegarde de
l’emploi.
La cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 4 août 201611
a annulé la décision de
validation de la Direccte sur le fondement de l’article L.1233-63 du code du travail, qui
précise que « le plan de sauvegarde de l’emploi détermine les modalités de suivi de la mise en
œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement […]. Ce suivi fait l’objet
d’une consultation régulière et détaillée du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du
personnel […] ».Or, la cour administrative d’appel relève que si une commission de suivi
avait bien été prévue dans le PSE, celui-ci ne déterminait pas les modalités de suivi de la mise
en œuvre effective du plan par le comité d’entreprise. La cour en déduit alors que la mise en
place d’une commission de suivi ne pouvait se substituer à cette exigence légale.
Au contraire, la cour administrative d’appel de Douai, dans son arrêt du 17 novembre 201612
considère que la commission de suivi permet de s’assurer le suivi opérationnel du plan de
reclassement et ne fait pas obstacle à ce que le comité d’entreprise soit, indépendamment,
régulièrement consulté sur le suivi des mesures du plan. Ainsi, sans revenir sur les 10
Cons. d’Etat, 7 décembre 2015, n°383856 11
CAA Paris, 4 août 2016, n°16PA01718 12
CAA Douai, 17 novembre 2016, n°16DA011513
11
prérogatives de consultation du comité d’entreprise, la cour administrative d’appel de Douai
retient que les dispositions du code du travail n’impliquent pas que les modalités suivant
lesquelles le comité d’entreprise sera consulté soient expressément mentionnées dans le PSE.
A suivre donc …
2. Une jurisprudence qui s’affine sur le contenu du PSE non négocié
Dans le cas où le PSE est fixé dans un document unilatéral, la portée du contrôle de
l’administration est plus approfondie puisque la Direccte doit vérifier :
– sa conformité aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives
aux éléments devant y figurer ;
– la régularité de la procédure d'information et consultation du comité d'entreprise et, le cas
échéant, du CHSCT et de l'instance de coordination ;
– le respect par le PSE des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du
travail, en fonction des critères suivants :
• les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe,
• les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de
licenciement,
• les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L.
6321-1 ;
– que l'employeur a prévu le recours au contrat de sécurisation professionnelle ou la mise en
place du congé de reclassement (art. L.1233-57-3 du code du travail).
Rappelons également que l'administration n'a pas à se prononcer sur le motif économique du
projet de licenciement collectif. Il s’agit là d’une prérogative qui relève du seul juge
judiciaire.13
a) Une définition renouvelée des catégories professionnelles
La définition de la notion de catégorie professionnelle a donné lieu à une jurisprudence
judiciaire abondante. La détermination appropriée des catégories professionnelles au sein
desquelles les critères d’ordre de licenciement sont appliqués a pour objet de garantir que le
PSE ne cible pas les salariés de façon discriminatoire.
Lorsque le PSE fait l’objet d’un accord, la Direccte n’a pas à apprécier la définition retenue
pour les catégories professionnelles. C’est la situation inverse, lorsque ces catégories ont été
définies dans le cadre d’un document unilatéral.
Le Conseil d’Etat avait précisé qu’il s’appuierait sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
C’est chose faite avec l’arrêt FNAC du 30 mai 201614
.
Dans cette affaire, la FNAC avait établi un PSE pour ses magasins de la région parisienne. Un
accord collectif partiel fixant le PSE avait été conclu avec les syndicats, alors que le nombre
13
Cons. d’Etat, 22 juillet 2015, n°385816 14 Cons. d’Etat, 30 mai 2016 - n°387798
12
de suppressions de postes et les catégories professionnelles concernées avaient fait l’objet
d’un document unilatéral.
A cette occasion, la direction de la FNAC avait décidé de retenir deux catégories
professionnelles distinctes pour les vendeurs de « disques » et de « livres », ce qui avait
provoqué l’ire des syndicats, qui soutenaient que cette distinction était purement artificielle.
La Direccte et, avec elle, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel n’avaient
cependant rien trouvé à y redire.
Pas le Conseil d’Etat qui, dans son arrêt du 30 mai 2016, a annulé décision, jugement et arrêt !
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat s’est appuyé sur la définition des catégories professionnelles
telle qu’élaborée par la Cour de cassation15
. Il s’agit, dit le Conseil d’Etat, des catégories
regroupant, chacune, « l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise des
fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ».
Toutefois, et c’est là l’intérêt principal de l’arrêt, le Conseil d’Etat va plus loin en prenant soin
de compléter la définition de la façon suivante : « si la caractérisation de l’appartenance à
une catégorie professionnelle doit, le cas échéant, tenir compte des acquis de l’expérience
professionnelle pour apprécier […] l’existence d’une formation professionnelle commune,
c’est toutefois à la condition, notamment, que de tels acquis équivalent à une formation
complémentaire qui excède l’obligation d’adaptation de l’employeur ».
Autrement dit, le Conseil d’Etat reconnaît que des salariés ayant bénéficié d’un même
parcours de formation, y compris au sein de l’entreprise, peuvent, en raison de l’expérience
acquise sur le terrain, avoir des compétences spécifiques qui conduisent à les placer dans des
catégories différentes. Cela ne sera toutefois possible que si ces compétences sont valorisables
et susceptibles de correspondre à une formation complémentaire, dans le cadre par exemple
d’une validation des acquis de l’expérience.
Puis, appliquant le principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que « les vendeurs de la
FNAC qui travaillaient exclusivement ou principalement dans la filière « disques » ne
pouvaient être regardés, eu égard, d'une part, à la nature de leurs fonctions et, d'autre part, à
leurs formations de base, aux formations complémentaires qui leur étaient délivrées et aux
compétences acquises dans leur pratique professionnelle, comme appartenant à une catégorie
professionnelle différente de celle, notamment, des vendeurs de la filière « livres ».
b) L’appréciation globale des mesures du PSE
Conformément à la loi, la Direccte homologue le document unilatéral après s’être assurée que
les mesures du PSE sont suffisantes, compte tenu des moyens dont dispose l’entreprise ou le
groupe auquel elle appartient.
Le Conseil d’Etat a pu préciser dans trois arrêts récents, l’office du juge administratif dans
l’appréciation du caractère suffisant des mesures du PSE.
15
Cass. soc. 13 fév. 1997 – n°95-16648
13
La méthode du faisceau d’indices concordants
Dans un arrêt du 30 mai 201616
, le Conseil d’Etat a précisé que le juge est fondé à recourir à
la méthode du faisceau d’indices concordants pour apprécier les moyens du groupe.
Parmi les éléments retenus par la cour administrative d’appel dans l’affaire dont a eu à
connaître le Conseil d’Etat, ont été retenus le fait que le groupe avait honoré les dettes de la
filiale envers des clients et organismes bancaires, qu’il avait contribué à un précédent PSE
quelques mois auparavant en versant une enveloppe au titre de l’indemnité supra-légale de
900.000€ et enfin que la principale filiale du groupe avait réalisé un chiffre d’affaires
important en croissance de 20%.
L’employeur, qui arguait que le juge s’immisçait là dans les options de gestion du groupe, n’a
pas été entendu.
Toutefois, il est patent qu’outre le chiffre d’affaires réalisé par une des filiales, c’est bien sur
la base d’actes de gestion pris au niveau du groupe que les juges se sont fondés pour apprécier
les mesures du plan.
Un contrôle aussi poussé ne nous semble pas justifié. Il ne faudrait pas que, sous prétexte
d’apprécier le caractère suffisant du plan, la justice administrative finisse par porter une
appréciation sur le motif économique du projet de licenciement, qui, rappelons-le ne ressort
pas de sa compétence.
De simples démarches infructueuses auprès des actionnaires pour
qu’ils abondent au PSE ne suffisent pas
Dans un arrêt du 13 juillet 201617
, le Conseil d’Etat a relevé que la Direccte avait manqué à
son obligation d’effectuer un contrôle de proportionnalité des mesures contenues dans le PSE
au regard des moyens du groupe dans la mesure où elle s’était contentée de relever l’existence
de démarches actives du liquidateur judiciaire auprès du groupe pour que celui-ci abonde au
PSE, sans succès.
Dans cette affaire, un plan de cession avait été arrêté par le tribunal de grande instance, ce qui
aurait pu justifier une certaine clémence de la part des juges.
Cela n’a pourtant pas empêché le Conseil d’Etat de retenir que « la brièveté du délai imparti
au liquidateur après le prononcé du jugement de cession était sans incidence sur
l’appréciation que doit porter l’administration sur le caractère suffisant des mesures
contenues dans le plan au regard des moyens du groupe ».
Ainsi, pour le Conseil d’Etat, la seule existence de démarches de l'employeur ou, en
l’occurrence, du liquidateur judiciaire auprès du groupe, pour qu'il abonde le plan élaboré par
sa filiale, ne saurait, à elle seule, démontrer la proportionnalité des mesures sociales
d'accompagnement prévues par le PSE au regard des moyens du groupe.
16
Cons. d’Etat, 30 mai 2016, n°384114 17
Cons. d’Etat, 13 juillet 2016, n°387448
14
Si cette solution doit être approuvée, elle ne saurait en revanche prospérer dans les litiges
relatifs au contenu du plan de sauvegarde de l'emploi élaboré dans une société soumise à une
procédure collective sous l'empire des dispositions de la loi « Macron » du 6 août 2015.
En effet, la Loi Macron prévoit que, dans un tel cas, la Direccte apprécie les mesures du plan
au regard des moyens dont dispose la seule entreprise, même si elle appartient à un groupe.
La méthode de la « calculette » n’est pas pertinente
Dans un arrêt du 17 octobre 201618
, le Conseil d’Etat a apporté une précision importante
concernant les modalités d’appréciation par le juge administratif de la conformité du PSE au
regard des moyens du groupe.
Le Conseil d’Etat a plus particulièrement précisé que le juge administratif ne doit pas se
contenter de prendre en considération le montant de l’enveloppe destinée au financement des
mesures d’accompagnement des salariés dont le licenciement est envisagé.
Il doit, au contraire, rechercher si, compte tenu notamment des moyens du groupe, les
différentes mesures prévues dans le PSE sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire
aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés.
En l’espèce, les salariés d’une l’entreprise avaient saisi le juge administratif pour faire annuler
la décision d’homologation du document unilatéral fixant le PSE par la Direccte.
La cour administrative d’appel avait accédé à leur demande, considérant que la Direccte
n’avait pas examiné la conformité du PSE au regard des moyens du groupe.
Cet arrêt a été cassé par le Conseil d’Etat, qui a considéré que la cour administrative d’appel
« ne pouvait se contenter de prendre en compte le montant de l’enveloppe destinée aux
mesures d’accompagnement des salariés pour déterminer que les mesures prises par
l’employeur étaient insuffisantes au regard des moyens du Groupe ».
En d’autres termes, la proportionnalité du PSE au regard des moyens du groupe ne se fait pas
en « sortant la calculette » et en additionnant le coût des mesures du PSE les unes après les
autres.
Les mesures du PSE doivent être appréciées globalement afin de déterminer si elles
permettent effectivement de maintenir l’emploi ou de favoriser le reclassement des salariés
concernés, compte tenu des efforts de formations déjà réalisés par l’employeur et des moyens
dont dispose le groupe. Elle reprend là l’attendu de principe de son arrêt « Calaire Chimie »
du 22 juillet 2015.19
En pratique, il appartiendra à donc l’entreprise de démontrer devant la Direccte que les
mesures qu’elle entend mettre en œuvre dans son PSE sont adaptées à la population salariée
concernée et permettent de façon concrète le retour à l’emploi des salariés visés par une
mesure de licenciement. Il ne sert à rien de prévoir une indemnité supra-légale aussi
importante soit-elle s’il s’avère que les mesures de reclassement ou de retour à l’emploi sont
18
Cons. d’Etat, 17 octobre 2016, n°386306 19
Cons. d’Etat, 22 juillet 2015, n°383481
15
faibles. Il convient, à cet égard, de rappeler que les Direccte n’ont pas à tenir compte de telles
indemnités dans l’appréciation de la proportionnalité des mesures du PSE20
.
c) Confirmation des obligations de l’employeur en matière de
reclassement
En vertu de l'article L.1233-4 du code du travail, « le licenciement pour motif économique
d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été
réalisés et que le reclassement de l'intéressé peut être opéré dans l'entreprise ou dans les
entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient [...] ». Il s'agit là d'une obligation de
moyens renforcée. La recherche des possibilités de reclassement par l'employeur doit se faire
au niveau de l'entreprise, puis, s'il existe, au niveau du groupe.
L’employeur doit procéder à une recherche sérieuse et exhaustive au
niveau du groupe
Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’étendue de l’obligation de
l’employeur en matière de reclassement en 201521
.
A l’occasion de l’arrêt rendu, le 4 mai 2016, dans l’affaire IPL Atlantique22
, il a pu réitérer sa
position, selon laquelle « lorsque l’entreprise appartient à un groupe, l’employeur, seul
débiteur de l’obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des
postes disponibles pour un reclassement dans les autre entreprises du groupe ; que pour
l’ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l’employeur doit avoir indiqué dans le
plan leur nombre, leur nature et leur localisation ».
Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a désavoué la cour d’appel qui avait jugé que, dans le
cadre de l’homologation du document unilatéral soumis par l’employeur en redressement
judiciaire, « l’autorité administrative devait uniquement s’assurer de ce que l’employeur avait
sollicité le groupe d’une demande d’abondement du plan de sauvegarde de l’emploi ».
Bien que les faits soient antérieurs à la Loi Macron, le Conseil d’Etat prend une position de
principe qui semble applicable dans les entreprises in bonis : la seule circonstance que
l’entreprise soit en redressement judiciaire ne dispense pas la Direccte de s’assurer que
« l’employeur a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un
reclassement dans les autres entreprises du groupe ».
Le périmètre du groupe de reclassement selon le Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat, confirmant la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 9 mars
201623
, a rappelé que la Direccte doit s’assurer que l’employeur « a procédé à la recherche de
reclassement dans les entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation
20
Instruction DGEFP/DGT n°2013/19 du 19 juillet 2013 21
Cons. d’Etat, 22 juillet 2015, n°383481 22
Cons. d’Etat, 4 mai 2016, n°384094 23
Cons. d’Etat, 9 mars 2016, n°384175
16
permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d’y effectuer la permutation de
tout ou partie de son personnel. ».
Le groupe n'est donc pas celui défini par le code de commerce. Le critère qui importe en
l’occurrence est celui tiré de la « permutabilité de l'emploi ». L'autorité administrative, tout
comme l'employeur, doit ainsi faire porter son examen sur les entreprises du groupe dont les
activités ou l'organisation offrent aux salariés susceptibles d’être licenciés la possibilité
d'exercer des « fonctions comparables » ou des « emplois équivalents » au sein du groupe
auquel l’entreprise appartient.
En l’espèce, la cour administrative d’appel s’était contentée de relever que les trois sociétés en
question devaient être regardées comme constituant un groupe au sens de l’article L.1233-4
du code du travail dans la mesure où elles avaient ou avaient eu des dirigeants communs,
qu’elles avaient des activités commerciales comparables et que plusieurs de leurs documents
comportaient un même logo. La cour avait cependant omis, et c’est ce qui lui est reproché par
le Conseil d’Etat, de rechercher en quoi les relations existants entre elles leur permettaient
d’effectuer la permutation de tout ou partie de leur personnel. Son arrêt ne pouvait qu’être
cassé.
Quel est le « bon moment » pour procéder à la recherche de
reclassement ?
Dans son arrêt du 23 mars 201624
, le Conseil d’Etat rappelle que les offres de reclassement
doivent être faites à compter du moment où le licenciement est envisagé. Cette position rejoint
celle de la Cour de cassation, pour qui les possibilités de reclassement doivent être appréciées
antérieurement à la date du licenciement, à compter du moment où le licenciement est
envisagé.25
Reclassement des salariés protégés : une jurisprudence salutaire pour
les employeurs
Un employeur n'est pas tenu, au titre de son obligation de reclassement, d'adresser à nouveau
au salarié, avant de présenter une seconde demande d'autorisation de licenciement après que
la première ait été refusée, les propositions de reclassement encore valides qu'il lui avait déjà
faites avant de présenter sa première demande d'autorisation de licenciement et que le salarié
avait refusées.
Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans son arrêt susvisé du 23 mars 2016.
Peu importe donc que l’employeur n’ait adressé au salarié aucune nouvelle offre de
reclassement, en France ou à l’étranger, malgré un délai de plus de cinq mois écoulé entre les
dernières propositions faites. Pour le Conseil d’Etat, « en déduisant cette méconnaissance des
obligations de reclassement du seul écoulement du temps entre les deux demandes, alors que
cette circonstance n'était pas, à elle seule, de nature à établir qu'à la date à laquelle le
ministre a autorisé le licenciement, la recherche, par l'employeur, des possibilités de
24
Cons. d’Etat, 23 mars 2016 n˚386108 25
Cass. soc., 30 mars 1999, n˚ 97-41.265
17
reclassement n'était pas complète, la cour administrative d’appel a commis une erreur de
droit ».
d) Le coemploi reste l’apanage du juge judiciaire
La LSE trace une délimitation assez claire entre les compétences du juge administratif et
celles du juge judiciaire. Ainsi, seul le second est chargé d’examiner le motif économique
invoqué par l’employeur pour justifier le licenciement.
Pour autant, l’autorité administrative doit s’assurer que les formalités liées au PSE ont été
accomplies conformément à la loi. C’est ainsi que le Conseil d’Etat26
a pu rappeler que si
l’administration n’a pas à se prononcer sur la pertinence du secteur d’activité du groupe choisi
par l’employeur, elle doit néanmoins s’assurer que le comité d’entreprise a été régulièrement
informé et a reçu toutes informations utiles sur ce secteur d’activité.
Dans son arrêt du 17 octobre 2016, le Conseil s’est, pour la première fois, prononcé sur la
délicate question du coemploi27
.
A cette occasion, le Conseil d’Etat sonne le glas de cette notion en considérant que le comité
d’entreprise ne saurait utilement soutenir que le contrôle opéré par l’administration sur la
procédure d’élaboration du PSE et sur son contenu aurait dû tenir compte de ce que la société-
mère et une autre société du groupe devaient être regardées comme coemployeurs des salariés
de la société mettant en œuvre le PSE.
Le Conseil d’Etat rejoint donc la position de la Cour de cassation, qui, depuis les arrêts Molex
du 2 juillet 2014 et Continental du 6 juillet 2016 a considérablement réduit la porté du
coemploi.
En revanche, le Conseil d’Etat considère, dans ce même arrêt du 17 octobre 2016, que la
Direccte doit vérifier que c’est bien le « véritable employeur » qui a soumis la demande
d’homologation.
En l’espèce, les requérants invoquaient la détention du capital de la filiale par la société-mère
et l'état de domination économique en résultant, le fait que la politique du groupe, déterminée
par la société-mère, avait eu une incidence sur l'activité économique et sociale de sa filiale et
que la société-mère avait pris, dans ce cadre, des décisions affectant son devenir, le recours à
des mises à disposition de personnel entre ces sociétés et, enfin, l'existence d'un recouvrement
des marchés et produits entre les deux entités. Ces arguments n’ont pas été jugés suffisants
aux yeux du Conseil d’Etat pour considérer que la filiale n’était pas le véritable employeur.
Cet arrêt est intéressant car il démontre une différence d’approche entre le Conseil d’Etat et la
Cour de cassation. Même si la Cour de cassation a quasiment fermé les vannes du coemploi,
elle considère qu’un salarié peut avoir une pluralité d’employeurs. Pour le Conseil d’Etat, au
contraire, il ne peut y avoir qu’un seul employeur et c’est à l’administration de l’identifier en
se demandant si l’employeur contractuel est bien celui qu’il prétend être.
26
Cons. d’Etat, 22 juillet 2015, n°385816, Heinz 27
Cons. d’Etat, 17 oct. 2016, n° 386306
18
Deux concepts, deux approches mais qui se comprennent au regard du fait que les juges
administratifs sont chargés de contrôler la négociation du PSE et s’assurer du respect de son
contenu conformément aux dispositions légales et réglementaires, tandis que les juges de
l’ordre judiciaire sont tenus de s’assurer du contrôle de la mise en œuvre du PSE.
II. LE TEMPS DE LA MISE EN ŒUVRE DU PSE : LA COUR DE CASSATION AFFINE SA
JURISPRUDENCE
A. Le contrôle économique du licenciement
1. La notion de groupe redessinée
Un des contentieux les plus fournis dont ont à connaître les juges judiciaires concerne le
contour des groupes de sociétés. Cette question est cruciale puisqu’un grand nombre
d’entreprises, en France, appartiennent à un groupe de sociétés.
Or, en dépit de leur très grande influence dans la vie économique, le droit français n’est pas
unifié sur la notion de groupe de sociétés.
Ainsi, en droit commercial, le groupe est essentiellement appréhendé du point de son
organisation (filiales, participations et sociétés contrôlées), ainsi qu’il ressort des articles
L.233-1 et suivants du code de commerce.
En droit du travail, le groupe est essentiellement perçu comme un périmètre pour créer, par
exemple, une instance de représentation du personnel, établir un comité de groupe (article
L.2331-1 du code du travail), conclure une convention ou un accord collectif (articles L.2232-
30 et L.2232-31 du code du travail), organiser un dispositif d’intéressement (article L.3344-1
du code du travail) ou encore apprécier la représentativité d’une organisation syndicale
(article L.2122-4 du code du travail).
La Cour de cassation précise, pour la première fois, dans trois arrêts du 16 novembre 2016 à
la publicité maximale (PBRI)28
la notion de groupe en tant que critère pour mesurer le
périmètre de l’obligation de l’employeur aussi bien pour l’appréciation de la cause
économique de licenciement, la pertinence des mesures du PSE et l’obligation de
reclassement.
a) La notion de groupe pour apprécier la cause économique du licenciement
Si la Cour de cassation juge de façon constante, depuis 1995, que lorsque l’entreprise fait
partie d’un groupe, la cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau du secteur
d’activité du groupe dans lequel elle intervient, sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux
sociétés ou entreprises situées sur le territoire national29
, elle n’avait jusqu’au 16 novembre
2016 jamais eu encore à définir le groupe de sociétés en tant que périmètre d’appréciation des
difficultés économiques.
28
PBRI : arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin des arrêts de la Cour, au bulletin d’information de la Cour, au rapport annuel de la Cour et sur le site internet de la Cour 29
Cass. soc., 5 avril 1995, n°93-42690 ; Cass. soc., 26 juin 2012, n°11-13736
19
C’est désormais chose faite. Pour la Cour de cassation, « le périmètre du groupe à prendre en
considération […] est l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une
entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L.2331-1 du code du travail, sans
qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national ». 30
Comme le souligne la Cour de cassation dans sa note explicative, l’article L.2331-1 du code
du travail se réfère à la notion d’entreprise dominante, plus large que celle de société mère, et
vise pour déterminer un ensemble économique, d’une part les entreprises contrôlées, ce qui
renvoie aux rapports de nature sociétaire du code de commerce et, d’autre part, les entreprises
sous influence dominante, ce qui renvoie à des éléments sociétaires et économiques.
Le groupe n’existe donc que lorsqu’un certain degré de filialisation ou de domination est
caractérisé. Ainsi, en l’espèce, la Cour de cassation approuve une cour d’appel qui a refusé de
reconnaitre l’existence d’un groupe car l’entreprise appartenait à un réseau de distribution
composé de commerçants indépendants et structuré autour d’une association des centres
distributeurs Leclerc, laquelle décidait de l’attribution de l’enseigne à ses adhérents et
définissait les orientations globales du réseau tout en assurant des fonctions logistiques au
bénéfice des commerçants adhérents. Il n’existait donc pas de liens capitalistiques entre les
sociétés ni de rapport de domination d’une entreprise sur les autres.
La Cour de cassation en déduit alors que la cause économique du licenciement devait
s’apprécier uniquement au niveau de l’entreprise adhérente.
D’un point de vue pratique, la Cour de cassation retient donc une approche capitalistique et
économique puisque seules les sociétés étant contrôlées ou sur lesquelles s’exerce une
influence dominante font partie du groupe.
b) La notion de groupe pour apprécier la pertinence des mesures du PSE
La Cour de cassation rappelle que la pertinence des mesures du PSE doit être appréciée
(notamment par la Direccte qui procède, en cas de demande d’homologation, à un contrôle de
proportionnalité du PSE) en fonction des moyens dont dispose l’entreprise et, le cas échéant,
le groupe dont elle fait partie pour maintenir les emplois ou faciliter le reclassement.
Pour la Cour de cassation, l’évaluation de la pertinence des mesures d’accompagnement doit
s’opérer au regard des moyens économiques et financiers du groupe, soit des moyens dont
dispose l’ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l’influence d’une entreprise
dominante au sens de l’article L.2331-1 du code du travail, sans qu’il y ait lieu de réduire le
groupe aux entreprises situées sur le territoire national.
Ainsi, la Cour retient la même définition du groupe que celle adoptée pour l’appréciation du
motif économique du licenciement économique.31
30
Cass. soc., 16 novembre 2016, n°14-30063 31
Cass. soc., 16 novembre 2016, n°15-15190
20
c) La notion de groupe pour apprécier l’obligation de reclassement
La Cour de cassation en profite également pour reprendre, dans son troisième arrêt du 16
novembre 2016, la définition du groupe pour l’appréciation de l’obligation de reclassement
qu’elle avait consacrée en 1995.32
Lorsque la société fait partie d’un groupe, l’obligation de reclassement doit s’apprécier auprès
des autres sociétés du groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail ou
d’exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.
Telle est également, on vient de le voir la position du Conseil d’Etat (Cf. arrêt du 9 mars
2016).
Comme le relève la Cour de cassation dans sa note explicative, la seule détention d’une partie
du capital de la société par d’autres sociétés n’implique pas en soi la possibilité d’effectuer
entre elles la permutation de tout ou partie du personnel et ne caractérise pas l’existence d’un
groupe dans lequel le reclassement doit s’effectuer.
Dans cette même note explicative, la Cour de cassation indique qu’il appartient au juge, en
cas de contestation sur la consistance ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa
conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.
Elle juge ainsi que ne méconnait pas les règles de la charge de la preuve relatives au périmètre
du groupe de reclassement, la cour d’appel qui, appréciant les éléments qui lui étaient soumis
tant par l’employeur que par le salarié, a constaté qu’il n’était pas démontré que l’organisation
du réseau de distribution Leclerc auquel appartenait l’entreprise permettait entre les sociétés
adhérentes la permutation de tout ou partie de leur personnel.
La Cour de cassation opère donc une distinction claire et nette entre le périmètre du groupe
pour l’appréciation du motif économique du licenciement, et celui du groupe de reclassement.
Le critère déterminant du groupe de reclassement n’est pas le lien capitalistique, mais la
permutabilité du personnel entre les entreprises rendue possible par l’activité, l’organisation
ou le lieu d’exploitation de celles-ci. En revanche, pour apprécier la réalité et le sérieux du
motif économique, le groupe doit être appréhendé comme le périmètre dans lequel s’inscrit la
décision de restructuration et des licenciements économiques consécutifs.
2. Le coemploi marginalisé
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le lien de subordination est
caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de
donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les
manquements de son subordonné.33
L’état de subordination est, en principe, caractérisé à l’égard du seul employeur désigné par le
contrat de travail. Il n’en demeure pas moins que l'existence d'une relation de travail ne
32
Cass. soc., 16 nov. 2016, n°15-19927 à 15-19939 33
Par ex., Cass. soc. 13 novembre 1996, n°94-13187
21
dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à
leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des salariés.34
Il en résulte qu’au-delà de la lettre du contrat de travail, la qualité d’employeur est reconnue à
celui qui exerce réellement le pouvoir de direction.
L’existence d’une situation de coemploi repose sur le pouvoir de requalification du juge et a
pour effet d’ajouter un rapport d’emploi à celui existant avec l’employeur initial.
Elle se rencontre dans deux hypothèses distinctes.
La première, qui ne soulève pas de difficultés, est celle où le salarié se trouve en état de
subordination juridique à l’égard de deux employeurs.
La seconde s’inscrit dans une démarche plus économique, prenant en considération les liens
noués entre différentes entreprises juridiquement indépendantes appartenant au même groupe
de sociétés.
Cette seconde approche a été consacrée par la Cour de cassation, dans les arrêts
Jungheinrich.35
La qualité de coemployeur est alors déduite de l’existence d’une confusion d’intérêts,
d'activités et de direction entre deux sociétés d’un même groupe, « sans qu'il soit nécessaire
de constater l'existence d'un rapport de subordination individuel de chacun des salariés de la
filiale à l'égard de la société mère ».36
Depuis plusieurs années, la chambre sociale de la Cour de cassation n’a eu de cesse de
souligner que la reconnaissance du coemploi doit rester exceptionnelle et de rappeler à l’ordre
les juges du fond, qui avaient une fâcheuse tendance à faire du critère de la triple confusion
une application particulièrement extensive.
C’est pourquoi, la Cour de cassation s’est attachée à circonscrire la notion de coemploi aux
comportements véritablement pathologiques au sein des groupes de sociétés.
Difficile, en effet, pour les sociétés d’un groupe d’être totalement autonomes dans leur choix
d’organisation et de gestion, de ne pas avoir des intérêts communs, de ne pas être guidées par
les options stratégiques de la société-mère et soumises de ce fait à un contrôle de cette
dernière. Qu’on le veuille ou non, l’appartenance à un groupe entraîne nécessairement une
domination de certaines sociétés sur d'autres, qui leur sont structurellement subordonnées sans
qu’elles perdent nécessairement leur autonomie juridique. Ne confondons donc pas confusion
de direction, d’activité et d’intérêts avec communauté de direction, d’activité et d’intérêts sans
laquelle il ne peut y avoir de notion de « groupe ».
Dorénavant, seule une ingérence « anormale » d’une société d’un groupe dans la gestion
économique et sociale d’une autre société de celui-ci peut caractériser une situation de
coemploi.
34
Par ex., Cass. soc. 3 juin 2009, n°08-40981 35
Cass. soc., 18 janvier 2011, n°09-69199 36
Cass. soc. 28 sept. 2011, n°10-12278
22
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les trois arrêts rendus le 6 juillet 2016 par la Cour de
cassation dans des affaires emblématiques (notamment « Continental » et « 3 Suisses »).
Dans le dossier Continental, la cour d’appel d’Amiens avait condamné solidairement du chef
de licenciement sans cause réelle et sérieuse la société mère allemande Continental AG en
qualité de coemployeur.
A l’appui de sa décision, la cour d’appel avait retenu que la société mère de droit allemand
exerçait un contrôle étroit et constant sur sa filiale française détenue à 100 %, lui dictait les
choix stratégiques et les décisions importantes en matière de gestion économique et sociale en
fonction de ses propres intérêts et de ceux du groupe, de sorte que la filiale, bien que
disposant de dirigeants propres, était dépourvue d’autonomie réelle. Etait notamment relevé le
fait que la société-mère était à l’origine de la décision de restructuration et de fermeture de
l’établissement de Clairoix, qu’elle avait assumé sa décision tant devant les salariés de la
filiale que les autorités politiques françaises et s’était fortement impliquée dans la procédure
de licenciement collectif pour motif économique, notamment pour l’élaboration des différents
accords de méthode aux termes desquels elle s’était engagée sur l’exécution par la société
Continental France de ses obligations et de la gestion des procédures de reclassement.37
Ce raisonnement a été censuré par la Cour de cassation, aux termes de son arrêt du 6 juillet
2016, qui a considéré que « le fait que la politique du groupe déterminée par la société mère
ait une incidence sur l’activité économique et sociale de sa filiale et que la société mère ait
pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de la filiale et se soit
engagée à garantir l’exécution des obligations de sa filiale liées à la fermeture du site et à la
suppression des emplois ne pouvaient pas suffire à caractériser une situation de coemploi ».38
Pragmatique, la Cour de cassation reprend, dans la seconde affaire, les critères retenus depuis
son arrêt Molex de 2014.39
Ainsi, la reconnaissance du coemploi nécessite davantage qu’une
simple coordination des activités économiques et des intérêts des sociétés qui composent le
groupe. C’est pourquoi, dans sa deuxième décision du 6 juillet 2016, la Cour de cassation
censure l’arrêt de la cour d’appel qui avait déduit une situation de coemploi à partir d’indices
liés au fait que les dirigeants de la filiale provenaient du groupe, agissaient en étroite
collaboration avec la société mère, que la politique du groupe déterminée par cette dernière
influait notamment sur la stratégie commerciale de la filiale et que la société-mère s’était
engagée au cours du redressement à prendre en charge le financement du plan de sauvegarde
de l'emploi.40
La troisième affaire dont avait à connaître la Cour de cassation, le 6 juillet 2016, concernait
les 3 Suisses. Elle est intéressante car elle démontre que si l’existence d’un coemploi est de
plus en plus rarement admise, cela ne signifie pas qu’elle a totalement disparu.
Dans cette affaire, en effet, la Cour de cassation a considéré que la société-mère allemande
avait la qualité de coemployeur en se fondant sur un faisceau d’indices concordants
(centralisation et transfert au sein de la société-mère des équipes informatiques, comptables et
RH ainsi que des pouvoirs de direction, perte d’autonomie décisionnelle de la filiale en
matière de formation, de mobilité et de recrutement, prise en charge des relations et
37
Cour d’appel d’Amiens, 5e ch. soc., cabinet A, Continental France SNC et a. c. divers salariés, n°13/05612 38
Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 14-27.266 39
Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-15.208 40
Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 14-26.541 et n° 14-27.266
23
contentieux contractuels de la filiale et contrôle des activités comptables renforcés par les
services de la société mère …).41
Du fait de la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le coemploi, les prétoires
connaissent d’un nouveau type de demande à l’encontre des sociétés-mères : la responsabilité
délictuelle.
L’objectif poursuivi est le même que celui qui sous-tend les actions en coemploi : fournir aux
salariés licenciés un débiteur solvable pour réparer le préjudice lié à la rupture de leur contrat
de travail, en cas de défaillance de l’employeur de droit.
L’existence de cette action en responsabilité délictuelle, y compris dans le domaine des
licenciements économiques, n’est pas nouvelle42
.
Elle n’est cependant pas encore très fréquente, d’où l’intérêt de l’arrêt rendu, le 28 juin 2016,
par la cour d’appel d’Amiens, aux termes duquel un fonds d’investissement, en l’occurrence
Sun Capital Partners, actionnaire majoritaire de Lee Cooper France, a été condamné sur la
base de sa responsabilité extracontractuelle à indemniser des salariés licenciés au titre de la
perte de leur emploi.43
En l’occurrence, 23 salariés de Lee Cooper France avaient été licenciés pour motif
économique après la mise en liquidation de leur société. Ils ont alors décidé de mettre en
cause le fonds d’investissement, Sun Capital Partners, en tant qu’actionnaire majoritaire et
donc décisionnaire principal du groupe Lee Cooper, en raison des fautes qui auraient été
commises dans la gestion de Lee Cooper France, à l’origine, selon eux, de la « déconfiture de
l’entreprise » et de la perte de leur emploi.
Bonne pioche ! Ils ont obtenu gain de cause devant la cour d’appel d’Amiens. Dans son arrêt
du 28 juin 2016, la cour d’appel a condamné Sun Capital, qui a « pris des décisions
dommageables vis-à-vis de sa filiale, de nature à aggraver sa situation économique et qui ne
répondaient à aucune utilité pour celle-ci, privilégiant ses intérêts au détriment de l’intérêt
social de la société. »
Sun Capital Partners s’est ainsi vu reprocher le non-paiement par les sociétés-sœurs de Lee
Cooper France des sommes qu’elles lui devaient ou encore le financement par Lee Cooper
France du groupe Lee Cooper pour des montants hors de proportion avec ses moyens
financiers. Sun Capital avait également permis que des contrats soient conclus avec des
sociétés du groupe dans des conditions défavorables à Lee Cooper France. La renégociation
du contrat de licence relative à l’exploitation de la marque Lee Cooper s’était faite dans des
conditions défavorables à la filiale française.
Que retenir de cet arrêt ? Tout d’abord, un fond d’investissement peut être condamné au titre
de sa responsabilité extracontractuelle à raison des décisions prises au détriment d’une filiale
dans laquelle elle détient des participations quand bien même il n’y aurait pas de coemploi. La
mise en cause de la responsabilité du fond interviendra alors sur le fondement des articles
1240 et 1241 du code civil44
.
Il est à craindre cependant que si cette nouvelle jurisprudence venait à être consacrée par la
Cour de cassation, elle ne décourage les fonds d’investissement à prendre des participations
41
Cass. soc., 6 juillet 2016, n° 15-15.481 42
Cass. soc. 14 novembre 2007, n°05-21239 43
Cour d’appel d’Amiens, 28 juin 2016, n°14/02817 44
Anciens articles 1382 et 1383 du code civil
24
dans les sociétés françaises. Il serait dommage que les effets positifs de l’abandon de la notion
extensive du coemploi soient totalement annihilés par l’avènement d’une jurisprudence ayant
les mêmes effets désastreux sur l’investissement.
3. La lettre de licenciement : pas d’obligation de faire référence à la situation du
groupe
Dans un arrêt rendu le 3 mai 2016, la Cour de Cassation s’est prononcée sur le formalisme
de la lettre de licenciement dans le cadre d’un licenciement pour motif économique lorsque
l’entreprise appartient à un groupe de sociétés.45
Bien qu’il soit de jurisprudence constante que lorsqu’une entreprise appartient à un groupe de
sociétés, les difficultés économiques invoquées doivent être appréciées au niveau du secteur
d’activité du groupe auquel appartient la société qui licencie, la question qui était posée à la
Cour de Cassation était de savoir de savoir si la lettre de licenciement devait expressément
faire état de la situation économique du secteur d’activité du groupe.
En l’espèce, une société mise en liquidation judiciaire avait été partiellement cédée à une
société tierce. Les contrats de travail des salariés avaient alors été transférés au repreneur qui,
dans le cadre d’une procédure de licenciement économique collectif, avait procédé à la
rupture du contrat de travail de plusieurs d’entre eux.
L’un de ces salariés considérait son licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse
dans la mesure où l’employeur s’était contenté, dans la lettre de licenciement, de ne faire état
que de ses propres difficultés économiques, faisant ainsi abstraction des autres entreprises du
groupe relevant du même secteur d’activité que lui.
La Cour de Cassation considère que la lettre de licenciement, bien qu’elle doive,
conformément à l’article L.1233-16 du code du travail, énoncer les motifs économiques
conduisant l’employeur à procéder à la rupture du contrat de travail, n’a pas pour autant à
préciser le niveau d’appréciation de la cause économique dans l’hypothèse où l’entreprise
appartient à un groupe.
Pour la Cour de cassation, « ce n’est qu’en cas de litige qu’il appartient à l’employeur de
démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué ».
La lettre de licenciement a donc essentiellement une fonction informative. Elle n’a, en tout
état de cause, pas pour objet de justifier l’existence même du motif économique, cette
discussion devant se dérouler devant le juge judiciaire.
4. La sauvegarde de la compétitivité toujours encadrée
Depuis, 1995, la Cour de cassation a reconnu comme cause économique de licenciement, la
réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.46
Ce motif est désormais expressément intégré dans le code du travail grâce à la loi El Khomri
du 8 août 2016 (Cf. art. L.1233-3 du code du travail).
45
Cass. Soc, 3 mai 2016, n°15-11046 46
Cass. soc. 5 avril 1995, Vidéocolor, n°93-42690
25
Pour autant, le législateur n’a pas donné de définition de ce motif. Il faut donc continuer à se
référer à la jurisprudence de la Cour de cassation et notamment à son arrêt rendu le 14
décembre 2016.47
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle qu’une restructuration pour anticiper une baisse
de subventions n’est pas, en soi, un motif valable de licenciement.
Cet arrêt n’est pas, à proprement parler une surprise dans la mesure où la Cour de cassation
juge de façon constante que la suppression d’un poste décidée dans le cadre d’une
restructuration destinée à faire des économies ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.
Rappelons-le, la réorganisation d’une entreprise ne peut constituer un motif de licenciement
que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou du secteur
d’activité du groupe dont elle relève.
B. La mise en œuvre des mesures du PSE enfin clarifiée
1. Les éclairages sur l’obligation de reclassement
a) Quelques précisions bien utiles sur l’obligation de reclassement à l’étranger
En ce début d’année 2017, la Cour de cassation a apporté une précision utile sur l’obligation
de reclassement à l’étranger pesant sur l’employeur.
Depuis la loi du 20 mai 2010, l’article L. 1233-4-1 du code du travail prévoit les modalités du
reclassement lorsque l’entreprise ou le groupe dont fait partie l’entreprise comporte des
établissements situés à l’étranger. La loi « Macron » a modifié cet article, qui dispose
désormais que le salarié souhaitant recevoir des offres de reclassement à l’étranger peut en
faire la demande auprès de son employeur, qui devra donc lui proposer des postes, en tenant
compte des éventuelles restrictions que le salarié aura formulé dans sa demande48
.
Dans un arrêt du 19 janvier 201749
, la Cour de cassation a précisé que l’employeur doit
seulement tenir compte des restrictions émises par le salarié et non pas des préférences qu’il a
exprimé.
En l’espèce, dans le cadre du questionnaire de reclassement, le salarié avait indiqué qu’il
préférait travailler en Suisse. L’employeur, qui avait identifié deux postes de reclassement
correspondant à l’emploi du salarié, lui avait alors proposé celui se situant en Suisse mais pas
celui localisé en Grande-Bretagne. Le salarié a refusé le poste en Suisse, et a, par la suite,
contesté son licenciement en invoquant le non-respect par l’employeur de son obligation de
reclassement.
47
Cass. soc. 14 déc. 2016, n°15-24500 48
Avant la loi Macron, l’article L. 1233-4-1 prévoyait que l’employeur devait demander aux salariés s’ils acceptaient de recevoir des offres de reclassement à l’étranger, et le salarié devait adresser par écrit sa réponse dans laquelle il pouvait faire état de restrictions. 49
Cass, Soc, 19 janvier 2017, n°15-20.421
26
Confirmant la décision de la cour d’appel qui avait fait droit à la demande du salarié, la Cour
de cassation a souligné que l’obligation de reclassement de l’employeur ne peut se limiter aux
préférences exprimées par les salariés.
b) La commission territoriale de l’emploi n’est plus incontournable
Concernant l’obligation de reclassement externe, la Cour de cassation éclaircit les dispositions
de l’accord national interprofessionnel du 10 février 1969. Aux termes des articles 5 et 15 de
cet accord, les branches professionnelles peuvent créer des commissions territoriales de
l’emploi dont l’une des missions consiste à examiner les possibilités de reclassement externe
en cas de licenciement pour motif économique.
Une partie de la doctrine avait considéré, au regard de la jurisprudence extensive de la Cour
de cassation50
, qu’il existait une application autonome de l’ANI de 1969, et donc que les
employeurs étaient soumis à une obligation de saisir la commission territoriale de l’emploi
préalablement à tout licenciement économique dès lors qu’une convention de branche faisait
référence à l’ANI.
Dans une décision du 11 juillet 201651
, la Cour de cassation met fin aux incertitudes qui
entouraient l’obligation de saisir, avant tout licenciement pour motif économique, les
commissions territoriales de l’emploi mises en place par certaines conventions collectives
nationales52
. Dorénavant, l’employeur n’a l’obligation de saisir la commission en question
que si cette dernière s’est vue attribuer, aux termes de la CCN applicable, une mission
expresse d’aider au reclassement externe.
Si tel n’est pas le cas, l’absence de saisine de cette commission n’a pas pour effet de priver le
licenciement de cause réelle et sérieuse.
2. Les contours du plan de départ volontaire
La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 12 janvier 201653
que le contenu du plan de
départ volontaire (« PDV ») s’impose à l’employeur.
En l’espèce, une société avait mis en place un PDV qui prévoyait que les salariés bénéficiant
d’un « emploi en mutation » pouvaient, le cas échéant, prétendre à l’indemnité de départ
volontaire si leur « départ offrait une opportunité à un salarié situé sur un emploi identifié
comme menacé » de bénéficier ainsi d’un nouveau poste non menacé.
Un salarié occupant un emploi en mutation et ayant trouvé un poste de travail à l’extérieur de
l’entreprise s’était porté candidat au départ. Il avait toutefois vu sa demande refusée par son
employeur au motif qu’aucun remplacement par un salarié menacé de licenciement n’était
envisageable dans l’immédiat sur son poste.
Il avait alors décidé de démissionner pour rejoindre son nouvel employeur.
50
Cass. soc, 30 septembre 2013, n°12-15.941 ; Cass. soc. 8 juillet 2014, n° 13-14611 51
Cass. soc, 11 juillet 2016, n°15-12.752 52
Cf. article 28 de l’accord national sur l’emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 53
Cass. soc, 12 janvier 2016, n°13-27776
27
Il a, par la suite, revendiqué devant la juridiction prud’homale le bénéfice de l’indemnité de
départ prévue par le plan car son poste, devenu vacant, avait été repris par un salarié, lui-
même remplacé par un salarié dont l’emploi était menacé. Il faisait ainsi valoir que sa
démission avait eu pour effet de sauver un emploi, quand bien même ce sauvetage était
indirect.
La question qui se posait alors devant la Cour de cassation était de savoir si les juges du fond,
qui avaient accédé à la demande du salarié, avaient dénaturé le PDV en considérant que la
condition concernant le sauvetage de l’emploi menacé pouvait être remplie indirectement
(remplacement dit « en cascade »).
Pour y répondre, la Cour de cassation s’attache à la façon dont le PDV était rédigé et relève, à
cet égard, que le plan n’opérait pas de distinction entre « sauvetage direct » et « sauvetage
indirect » d’un emploi, et que le départ du salarié avait effectivement permis de sauver un
emploi. Dès lors, la Cour de cassation a considéré que les conditions posées par le plan pour
l’obtention de la prime de départ étaient remplies et que l’employeur était ainsi redevable de
son versement au bénéfice du salarié démissionnaire.
Si cette décision n’est pas nouvelle, elle a toutefois le mérite de rappeler aux employeurs
l’exigence de précision nécessaire dans la rédaction des conditions exigées pour être éligibles
au départ. On peut, en effet, estimer que l’employeur aurait obtenu gain de cause s’il avait pris
soin d’indiquer, dans son PDV, que le sauvetage d’un emploi menacé devait nécessairement
résulter directement du départ volontaire envisagé. Dès lors, le salarié démissionnaire était
bien créancier de l’indemnité de départ prévue par ce plan.