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Défense et Stratégie N°8 (janvier 2004) 1 Défense & Stratégie Défense & Stratégie Janvier 2004 - Bulletin d’information de l’Observatoire Européen de Sécurité - N° 08 CRIS - Université de Paris 1 (Panthéon –Sorbonne) Éditorial : Les chemins difficiles de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) L’événement majeur de l’année 2003 aura été sans aucun doute la guerre d’Irak qui a eu des conséquences non seulement pour les Américains mais aussi pour « la vieille Europe ». Cette guerre est à peine terminée, même si l’avenir de l’Irak est loin d’être réglé, que l’armée américaine a déjà engagé des débats sur les leçons de ce conflit. Des discussions ont actuellement lieu aux États-Unis sur la transformation des forces armées américaines qui va toucher non seulement la stratégie opérationnelle mais aussi la stratégie des moyens et l’organisation des forces. Philippe Gros étudie pour chaque armée les conséquences de cette transformation. Il est intéressant de suivre cette expérience car elle aura très certainement des retombées pour les armées en Europe dans les années à venir. Malgré les divisions politiques provoquées par la guerre en Irak et l’échec de la Conférence intergouvernementale, la construction de la PESD a cependant fait des progrès. La Convention européenne présidée par Valéry Giscard d’Estaing a remis son projet de constitution européenne le 10 juillet 2003 qui prévoyait la possibilité de coopérations « structurées » entre plusieurs pays qui le souhaitent dans le domaine de la défense. La Conférence intergouverne- mentale en a décidé autrement en rejetant le projet. Pourtant des progrès ont été constatés avec la création d’une agence européenne d’armement, l’adoption d’une stratégie de l’Union européenne en matière de sécurité par le dernier Conseil européen et la mise en place d’une cellule militaire, futur embryon d’un quartier général européen. Dans le domaine de l’industrie d’armement, des avancées ont été aussi constatées. Sophie Batas étudie l’exemple de l’industrie aéronautique militaire où elle montre que malgré les progrès constatés, si les Européens n’augmentent pas leurs budgets de défense, l’industrie militaire risque de disparaître, faute de commandes suffisantes. Si les Européens ne réagissent pas, l’écart technologique dans le domaine de la défense risque de se creuser avec les Etats- Unis, à un point tel qu’il leur deviendra difficile de coopérer concrètement avec eux dans des opérations militaires, avec toutes les conséquences politiques dans les rapports au sein du camp transatlantique. Nathalie Hoffmann étudie l’implication des pays de l’Asie du Sud-Est dans un processus de maîtrise des armements qui ont mis en place une coopération régionale dans le domaine de la sécurité. Patrice Buffotot Directeur de l’OES Sommaire : Éditorial : Les chemins difficiles de la PESD par Patrice Buffotot.…………….p 1 Les différents processus de transformation des forces armées américaines par Philippe Gros…………………………………....p 2 Le bilan de la Politique Européenne de Sécurité et de défense (PESD) en 2003 par Patrice Buffotot….………………….…p 7 Vers un marché européen de l’armement dans le domaine aéronautique ?………... par Sophie Batas…………………….p 11 L’Asie du Sud-Est face aux questions de maîtrise des armements par Nathalie Hoffmann……………………………p 15

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D é f e n s e & S t r a t é g i eD é f e n s e & S t r a t é g i e Janvier 2004 - Bulletin d’information de l’Observatoire Européen de Sécurité - N° 08

CRIS - Université de Paris 1 (Panthéon –Sorbonne)

Éditorial : Les chemins difficiles de laPolitique européenne de sécurité et dedéfense (PESD)

L’événement majeur de l’année 2003 auraété sans aucun doute la guerre d’Irak qui aeu des conséquences non seulement pourles Américains mais aussi pour « la vieilleEurope ».

Cette guerre est à peine terminée, même sil’avenir de l’Irak est loin d’être réglé, quel’armée américaine a déjà engagé desdébats sur les leçons de ce conflit. Desdiscussions ont actuellement lieu auxÉtats-Unis sur la transformation des forcesarmées américaines qui va toucher nonseulement la stratégie opérationnelle maisaussi la stratégie des moyens etl’organisation des forces. Philippe Grosétudie pour chaque armée les conséquencesde cette transformation. Il est intéressant desuivre cette expérience car elle aura trèscertainement des retombées pour lesarmées en Europe dans les années à venir.Malgré les divisions politiques provoquéespar la guerre en Irak et l’échec de laConférence intergouvernementale, laconstruction de la PESD a cependant faitdes progrès.La Convention européenne présidée parValéry Giscard d’Estaing a remis sonprojet de constitution européenne le 10juillet 2003 qui prévoyait la possibilité decoopérations « structurées » entre plusieurspays qui le souhaitent dans le domaine dela défense. La Conférence intergouverne-mentale en a décidé autrement en rejetantle projet.Pourtant des progrès ont été constatés avecla création d’une agence européenned’armement, l’adoption d’une stratégie del’Union européenne en matière de sécurité

par le dernier Conseil européen et la miseen place d’une cellule militaire, futurembryon d’un quartier général européen.Dans le domaine de l’industried’armement, des avancées ont été aussiconstatées. Sophie Batas étudie l’exemplede l’industrie aéronautique militaire où ellemontre que malgré les progrès constatés, siles Européens n’augmentent pas leursbudgets de défense, l’industrie militairerisque de disparaître, faute de commandessuffisantes.Si les Européens ne réagissent pas, l’écarttechnologique dans le domaine de ladéfense risque de se creuser avec les Etats-Unis, à un point tel qu’il leur deviendradifficile de coopérer concrètement aveceux dans des opérations militaires, avectoutes les conséquences politiques dans lesrapports au sein du camp transatlantique.Nathalie Hoffmann étudie l’implicationdes pays de l’Asie du Sud-Est dans unprocessus de maîtrise des armements quiont mis en place une coopération régionaledans le domaine de la sécurité.

Patrice Buffotot Directeur de l’OES

Sommaire :Éditorial : Les chemins difficiles de laPESD par Patrice Buffotot.…………….p 1Les différents processus de transformationdes forces armées américaines par PhilippeGros…………………………………....p 2Le bilan de la Politique Européenne deSécurité et de défense (PESD) en 2003 parPatrice Buffotot….………………….…p 7Vers un marché européen de l’armement dans le domaine aéronautique ?………...par Sophie Batas…………………….p 11L’Asie du Sud-Est face aux questions demaîtrise des armements par NathalieHoffmann……………………………p 15

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La « transformation »des forces armées américaines

La « transformation » est un terme à lamode outre-atlantique depuis plusieursannées et, depuis peu, en Europe. Elledésigne en effet un axe majeur de lapolitique de défense des Etats-Unis. Latransformation s’applique non seulement àla stratégie opérationnelle, c’est-à-dire à lafaçon dont les forces américainescombattent ou sont employées mais aussi àla stratégie des moyens qui couvre desdomaines aussi variés que l’organisationdes systèmes de forces, l’acquisition dessystèmes d’arme ou le recrutement et lagestion de carrière des personnels.

La définition de la « transformation »évolue avec le temps en fonction desproblématiques auxquelles ses acteurs larattachent. Dans la Quadriennal DefenseReview de 2001, il est écrit qu’elle résultede « l’exploitation de nouvelles approchesen matière de concepts opérationnels et decapacités, de l’utilisation d’anciennes et denouvelles technologies, et de nouvellesformes d’organisation qui anticipent plusefficacement les défis et opportunitésstratégiques et opérationnels, nouveaux ouémergents, et qui rendent obsolètes ousecondaires les méthodes précédentes deconduite de la guerre »1. Dans laTransformation Planning Guidance de2003, elle devient « le processus quifaçonne le changement de nature de lacompétition et de la coopération militaire,par de nouvelles combinaisons deconcepts, de capacités, de personnes etd’organisations, qui exploitent lesavantages de notre nation et protège nosvulnérabilités asymétriques […] »2.

1 RUMSFELD Donald H., Quadriennal DefenseReview Report, 30 septembre 2001, p. 29,disponible sur le site Internet www.defenselink.mil2 RUMSFELD Donald H, Transformation PlanningGuidance, avril 2003, p.3

Ces définitions plongent leur racine danscelle de la « Révolution dans les affairesmilitaires » (RAM) qui fut l’objet de moultdébats durant les années 1990. La RAM,telle qu’envisagée par le Pentagone, futcaractérisée dans la Quadriennal DefenseReview3 de 1997, par le triptyque -nouvelles technologies / nouveauxconcepts opérationnels / nouvellesorganisations -. Les définitions de latransformation se détachent toutefois decelles de la RAM en insistant plus sur lacombinaison de ces éléments que sur leurcaractère novateur, ce qui a sonimportance, notamment sur le plantechnologique. Précisons s’il en étaitencore besoin que le fait technologiquemajeur à la source de la RAM puis de latransformation est l’émergence et ladiffusion des technologies del’information.

Lorsque l’on évoque la transformation desforces armées américaines, plusieurséléments doivent systématiquement êtrepris en compte :• la transformation renvoie au fond,

c'est-à-dire à la conception même desopérations, aux capacités des forces età la forme, c'est-à-dire au processus quipermet de développer cette conceptionet ces capacités ;

• il n’existe pas une mais plusieurstransformations : celles propres àchaque armée (service), et celle,encadrante, de niveau interarmées.

Les processus de transformation sontdésormais génériquement baptisés CDEpour Concept Development andExperimentation. En effet, s’ils gardent desspécificités propres à chaque service, ilsn’en partagent pas moins un cycle d’étapescommunes :• la production de « Vision » document

cadre prospectif sur les opérations à

3 Rapport sur les grandes orientations en matière depolitique de défense fait au Congrès par lesecrétaire à la défense de chaque nouvelleadministration.

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venir qui définit le but à atteindre par lastratégie des moyens ;

• l’élaboration de « concepts » deplusieurs types. Il peut s’agir deconcepts « intégrant » ou majeur, deconcepts « opérationnels » décrivantcomment telle forme d’opération doitêtre menée, ou encore de concepts« fonctionnels » décrivant commentchaque fonction opérationnelle(renseignement, commandement,logistique, feu, manœuvre, etc.) doitenvisager son action ;

• un programme de conférences, deséminaires, d’ateliers de travail,d’expérimentations de travaux d’états-majors, agrémentées parfois dudéploiement d’unités réelles,permettant d’affiner, de tester etd’analyser ces concepts ;

• la production de recommandationsissues des enseignements tirés de cesexpérimentations et des opérationsréelles, s’appliquant dans l’ensembledes domaines (doctrine, organisation,instruction et entraînement, acquisitiondes systèmes d’armes), permettantd’adapter les forces existantes à cesnouvelles normes.

Ces processus CDE se caractérisentégalement par leur itérativité. Aucunconcept n’est véritablement gravé dans lemarbre. Il doit pouvoir évoluer avec letemps, être remis en question, voire écartéen fonction des enseignements tirés. Ainsi,alors que chaque processus continue bontrain, aucune armée ne présente depuis ledébut exactement les mêmes concepts etchaque opération récente apporte son lot deconclusions contribuant à réorienter plusou moins profondément les orientations destratégie des moyens des forcesaméricaines.

Passons succinctement en revue lestransformations des services sur le fond.

L’US Army a lancé sa transformationactuelle en 1994. Il s’agissait alors de

moderniser le système de forces existant en« numérisant » les unités, du PC jusqu’à laplate-forme de combat. Ce programme,Force XXI, est une réalité dix ans plustard, puisque tout un corps d’armées (leIIIème de Fort Hood) a été équipé de cessystèmes d’information. Cettenumérisation, si elle autorise des modesd’action tactiques plus rapides et mieuxcoordonnés, ne changeait rien à la« lourdeur », à l’empreinte logistique et audélai de déploiement des unités mécaniséesqui en était dotées. Or, au sein duPentagone, se répandit rapidement l’idéeque les forces américaines devaient êtreaptes à répondre aux attaques surprisesd’un agresseur régional et les autresservices surenchérirent sur leurs capacités« expéditionnaires ».

En 1999, après la calamiteuse affaire de laTask Force Hawk4, le général Shinseki,nouveau chef d’état-major, décida delancer un nouvel élan de transformationdevant amener l’Army vers 2010 à uneObjective Force, rapidement déployable,reposant sur deux nouvelles structuresopérationnelles : les Unit of Employment,(UoE) structure de commandement et decontrôle de niveau corps et division et lesUnit of Action (UoA), des brigadesmodulaires, intégrant des capacitésactuellement maintenues au niveau corps etdivision et comprenant des Futur CombatSystems (FCS), un ensemble de 18systèmes d’arme terrestres et aériensopérant en réseau dont beaucoupd’éléments seront robotisés. Dans le mêmetemps, un objectif intermédiaire est la misesur pied d’une demi-douzaine de brigadesautonomes, équipées de véhicules à roues,déployables en 96 heures, les Stryker

4 Lors de l’opération Allied Force, à la demande duSACEUR, le général Clark, l’Army mit un mois àprojeter une brigade d’hélicoptères Apache enAlbanie, brigade que la Maison-Blanche refusafinalement d’employer sur les conseils de l’état-major de l’Army au Pentagone.

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Brigade Combat Team, dont deux sont déjàopérationnelles5.Dernièrement, le successeur de Shinseki, legénéral Schoomaker a décidé dans lafoulée de la guerre en Irak, de réaménagerce processus. Selon lui, l’US Army est enguerre depuis le 11 septembre 2001. Sesunités doivent donc bénéficier dès quepossible des caractéristiques de l’ObjectiveForce. Sur le plan organisationnel, il aainsi été décidé de mettre sur pied dèsmaintenant 5 Units of Action au sein de la3e division d’infanterie (celle qui a prisBagdad) puis de la 101e aéromobile. Sicette réorganisation est étendue aux autresdivisions, l’Army devrait passer de 33brigades de combat à 48 UoA. Sur le plantechnique, les différentes composantes duFCS seront gérées plus individuellement etrentreront en service au plus tôt, dèsmaturation de leur concept d’emploi et deleur technologie6.

La transformation au sein de la Navy prendavant tout sa source dans lebouleversement des missions des forcesnavales américaines à l’issue de la guerrefroide. En effet, avec la fin de la menacesoviétique, la maîtrise des océans nepouvait plus constituer une raison d’êtresuffisante des forces navales américaines.Ces dernières se sont donc logiquementtournées vers la maîtrise des littoraux et laprojection de forces sur les côtes dans lecadre d’une manœuvre interarmées. Dansla foulée du concept Forward…from theSea signé en 1994, se sont donc affirméesde nouvelles priorités : la projection des

5 Contrairement aux processus de transformationdes autres services, celui de l’Army a été biencouvert par plusieurs articles et études françaises.cf. la synthèse de CECILE Jean-Jacques, « L’arméede terre américaine en mutation », Histoiremondiale des conflits, n°11, décembre 2003 /janvier 2004, et pour plus de détails,CHASSILLAN Marc, « En route vers l’ObjectiveForce », Raids, n°202 (mars) /203 (avril) et 205,(juin) 2003.6 NAYLOR, Sean D., « Overhauling the USArmy », Defense News , September 29, 2003, pp. 1& 8.

feux navals, la lutte anti-mines, la défenseanti-missiles balistiques, le pré-positionnement, etc.

Actuellement, la Navy structure satransformation7 autour de trois grandsconcepts opérationnels : Sea Strike(projection de puissance navale offensive),Sea Shield (projection de puissance navaledéfensive) et Sea Basing (positionnementet projection des forces terrestres à partirde la mer perçue comme un espace demanœuvre à part entière). L’US Navy aégalement poussé à un niveau sansprécédent la recherche conceptuelle ettechnique en matière de technologie del’information. En effet, la guerre navaleprésente la nécessité de coordonner desplates-formes très distantes les unes desautres et capables chacune d’embarquer demultiples systèmes. C’est l’AmiralCebrowski qui, en 1998, a inventé leconcept de Network Centric Warfare(NCW)8, un des piliers de latransformation, toutes forces américainesconfondues. Le concept actuel de ForceNet, c'est-à-dire de mise en réseau detoutes les forces navales, au sol et à la mer,de la planification des forces à la conduitedes actions tactiques, est l’un des plusaboutis qui soit.

Forward…from the Sea a entraîné unrenforcement du partenariat de l’US Navyavec le Corps des Marines. L’USMC adécliné ce concept dans OperationalManeuver…From the Sea, dans lequel ilenvisage le littoral comme un espace demanœuvre à part entière. Le Corpsenvisage ainsi des modes d’action reposantsur la manœuvre directe de ses unités de lamer vers leurs objectifs, sans tête de pontpréalable. Les technologies de

7 ENGLAND Gordon, JONES James L, NavalTransformation Roadmap, Power and Access Fromthe Sea, 2002.8 CEBROWSKI Arthur K & GARTSKA John J.,« Network-Centric Warfare: Its Origin andFuture, » Proceedings, U.S. Naval Institute, octobre1998.

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l’information ont aussi permis d’exploreravantageusement les possibilités d’appui-feu aérien ou naval dirigé par de petitesunités dispersées sur un espaceopérationnel discontinu. Enfin l’USMC,qui a développé une vision très« chaotique » du contexte opérationnelfutur, s’est fortement impliqué dans la re-conceptualisation du combat urbain, dansla détermination des tactiques et systèmesd’armes appropriés. Sur le planorganisationnel en revanche, le Corps meten avant la pérennité de son concept, vieuxde 20 ans, de Marine Air-Ground TaskForce, l’unité opérationnelle interarmes,construite autour d’un bataillon, d’unebrigade ou d’une division avec deséléments aérien, logistique et decommandement adaptés9.

L’US Air Force envisage sa transformationcomme un processus continu, certesaccéléré aujourd’hui par les technologiesde l’information mais pour partie inhérenteaux possibilités extraordinaires de lapuissance aérienne et maintenantaérospatiale10. Cette dernière est en effetdésormais globale c'est-à-dire que lesEtats-Unis peuvent projeter la puissance etles forces par voie aérienne sur l’ensemblede la planète. Elle représente ainsi« l’avantage asymétrique » de l’Amériqueen contournant les forces de surfaceadverses. Il s’agit en quelque sorte dutriomphe de la théorie de la puissanceaérienne, élaborée par Douhet ou Mitchelldans les années 20.

Selon l’USAF, la première guerre du Golfea ouvert l’ère des opérations basées sur leseffets, c'est-à-dire les opérations dont laplanification et la conduite sont menées en

9 Cf. JONES James L, Expeditionary ManeuverWarfare, Marine Corps Capstone Concept, 10novembre 2001, disponible sur le site Internetwww.mccdc.usmc.mil10 Cf. DEPTULA, Effect-Based Operations :Change in the Nature of Warfare, Defense and AirPower Series, Aerospace Education Foundation,2001, disponible sur le site Internet www.AEF.org

prenant systématiquement en compte leurseffets directs, indirects, désirés ou nondésirés sur l’ensemble de l’entité ennemie,analysée comme un système. Chaquebombe doit être larguée, chaque actiond’information entreprise selon cettelogique. L’ubiquité de la puissanceaérienne permet aussi de menerparallèlement des opérations sur plusieurs« systèmes » ennemis. La mise en œuvreprogressive de ces concepts est nonseulement autorisée par les technologies derecueil, de traitement et de diffusion del’information, mais aussi par la furtivité etla capacité à opérer par tous les temps,gages de liberté d’action, et la précisiondes systèmes d’armes qui permet decalibrer les effets recherchés et autorise letraitement simultané d’un plus grandnombre de cibles par une seule plate-formede tir.

Enfin, la puissance aérienne américaine atesté lors de Allied Force et appliqué àgrande échelle lors de Iraqi Freedom (surplusieurs centaines de cibles), le ciblaged’opportunité ou Time Critical Targeting(TCT). Selon ce concept, les cibles trèsimportantes (un leader ennemi) et/oun’ayant qu’une petite fenêtre devulnérabilité (une colonne blindée endéplacement à découvert) doivent pouvoirêtre détectées, identifiées, suivies, cibléeset attaquées en quelques dizaines deminutes. La fameuse frappe du bombardierB1-B sur le restaurant de Bagdad où étaitpassé Saddam Hussein à la fin de la guerre,relève de cette catégorie. Notons que laNavy et l’USMC développent destechniques et tactiques analogues.

Les organisations et commandementsinterarmées ont naturellement fini parencadrer ces processus de transformation.Le but est double : harmoniser lesprocessus d’armée et transformer lescapacités de commandement et de contrôleinterarmées car les opérations sont conçueset conduites en interarmées aux niveauxstratégique et opératif. On peut distinguer

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plusieurs types d’acteurs dans cettetransformation de niveau interarmées :• Au sommet, le Secrétaire à la défense

et ses adjoints, qui orientent la stratégiedes moyens sur une base pluriannuelle,avec les vastes « revues » telles que les« Quadriennal Defense Review » et surune base annuelle avec les DefensePlanning Guidance. Le secrétaireRumsfeld a ajouté une annexe à ladernière DPG, la TransformationPlanning Guidance, rédigé par l’Officeof Force Transformation, dirigé parCebrowski, qui conseille le secrétaire àla défense sur les grandes orientationsen matière de transformation. En 2003,le DoD a demandé à chaque service deproduire sa Transformation Roadmap11

sa feuille de route pour latransformation, ce qui permettra demieux harmoniser chaque processus deservice.

• Les grandes agences du Pentagone, quigèrent dans leur domaine desarchitectures de systèmes d’arme,d’information et autres et tententégalement d’harmoniser les politiquesde services. Ainsi la DefenseInformation System Agency développela Global Information Grid, (GIG)12 unvaste projet de mise en réseau dessystèmes d’information actuels etfuturs de l’ensemble des armées etagences, allant des systèmes deplanification des opérations jusqu’auxliaison de données tactiques.

• le comité interarmées des chefs d’états-majors (Joint Chiefs of Staff), qui adéveloppé un premier document, JointVision 2010, en 1995. Le secrétaire à ladéfense a signé en novembre 2003 unnouveau corpus de texte élaboré par leJCS, le Joint Operations Concepts

11 Les « Roadmaps » de l’Army et de la NavalDepartment (Navy et Marine Corps) sont diffuséssur les sites Internet de ces services. Le documentde l’USAF n’a pas été diffusé publiquement.12 The Joint Staff, C4 Systems Directorate,Information Superiority Division (J6Q), Enablingthe Joint Vision, mai 2000, disponible sur le siteInternet www.dtic.mil/jcs/j6

(JOpsC) décrivant le contexte et lesprincipes de la force interarmées (prisedans un sens générique) et des JointOperating Concepts, (Major CombatOperations, Stability Operations,Homeland Security, StrategicDeterrence) pour les 15 à 20 ans àvenir13. Les processus de prise encompte des besoins à moyen terme dechaque commandement opérationnelrégional et de « labellisation »interarmées des programmes de chaqueservice (par le Joint RequirementsOversight Council) sont également depuissants moteurs de l’interopérabilitévoire de l’intégration destransformations de chaque armée,même si beaucoup d’analystesregrettent leur manque d’efficacité.

• Le Joint Forces Command, un desgrands commandements opérationnels,qui est devenu depuis 1999 l’agentd’exécution du Pentagone pour gérer leprocessus CDE interarmées. Depuis2000, il développe et expérimente lesconcepts permettant de mener desopérations rapides décisives (RapidDecisive Operations, RDO)14. L’un desobjectifs majeurs de court terme est lamise sur pied dans l’ensemble descommandements opérationnelsrégionaux, d’un Standing Joint Forceheadquarters (SJFHQ) c'est-à-dired’un PC opératif permanent organiséen pôles (commandement, plan,conduite, supériorité de l’informationet Knowledge Management) et non plusen bureaux fonctionnels, tirant partiedes dernières techniques defonctionnement en réseau, capable deplanifier dès le temps de paix et deconduire des opérations basées sur leseffets, d’organiser la nécessaire

13 Ces documents sont disponibles sur l’un des sitesInternet du JCS, www.dtic.mil/jointvision, quicomprend également les « visions » des services.14 US Joint Force Command, J9 Joint Futures Lab.,A Concept for Rapid Decisive Operations,Coordinating Draft, août 2001, disponible sur le siteInternet www.globalsecurity.org

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coordination interministérielle, etc. LeJFCOM travaille également à ladéclinaison des concepts interarméesfuturs, à « l’interarmisation » desexpérimentations et autres activités detransformation des services, et à lamise sur pied de la GIG.

Les caractéristiques de la force interarméespour les années à venir représentent undénominateur commun entre celles desforces de chaque service. Elles sontnéanmoins marquées par la volontépolitique permanente de renforcer laJointness, l’action interarmées. Selon leJopsC, la force interarmées :• procèdera de l’intégration – et non plus

de la simple interopérabilité – desforces de chaque service. Ces dernièresne doivent plus simplement assurer la« déconfliction » de leurs activités maisopérer en synergie dans le cadre d’unemanœuvre conçue de manièreinterarmées ;

• sera « expéditionnaire », rapidementdéployable et opérationnelle y comprisdans un contexte « non-permissif »c'est-à-dire ou l’adversaire dispose decapacités interdisant l’accès à la zone ;

• sera composée d’éléments, parfoisdispersés, opérant en réseau, selon leconcept de NCW, c'est-à-direpartageant une image commune de lasituation, agissant de manièrecoordonnée ;

• sera « décentralisée » au plus baséchelon qui planifiera et conduira sesactions en étroite et permanentecollaboration avec les échelonssupérieurs ;

• présentera des capacités rapidementadaptables et taillées pour le mandat, cequi repose sur la modularité et laflexibilité du système de forces.

• disposera de la « supérioritédécisionnelle » c'est-à-dire seracommandée et contrôlée plus vite etplus efficacement que la forceadversaire, en tirant partie de « la

supériorité de l’information »15

reposant elle-même sur de nouveauxprocédés de recueil, de traitement et dediffusion de l’information et durenseignement, sur la gestion de laconnaissance de l’environnement et del’adversaire, etc.

Les armées américaines sont donc censéesaujourd’hui se transformerprogressivement en forces modulaires,mieux adaptées à la mission, opérant enréseau, dans une pleine synergieinterarmées et visant l’atteinte d’effetsciblés, déterminés grâce à une situationopérationnelle mieux perçue, dépeinte etpartagée. Certes, il y a loin de la coupe auxlèvres : bien des aspects de la culturestratégique américaine, du contextebudgétaire et géostratégique actuel sontsusceptibles de freiner ou de réorienter leprocessus. Toutefois, force est de constaterque les opérations en cours en Afghanistanet en Iraq ont mis en exergue bien desévolutions tangibles dans les directionsexposées ci-dessus, preuve que cettedécennie de bouillonnement conceptuel etde CDE n’a pas été vaine. Enfin, cesopérations, dans leurs points forts commedans leurs points faibles, montrent, unefois encore, que quelque soit la portée de latransformation d’un outil militaire, lavictoire et la défaite restent avant tout liéesà la clairvoyance, à la détermination desdécideurs politiques et à la pertinence deleurs choix stratégiques.

Philippe GrosChargé de cours à l’Ecole des Hautes EtudesInternationales (Paris)

Les précédents numéros deDéfense et stratégiepeuvent être consultés à l’adresse :http://mjp.univ-perp.fr/defense/ds.htm

15 RUMSFELD Donald H., Joint OperationsConcepts, November 2003, pp 15-17.

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Le bilan de la Politique Européenne deSécurité et de Défense (PESD) en 2003

Un des paradoxes de la constructioneuropéenne réside dans le fait que malgrél’échec de la Conférence intergouver-nementale en 2003 à adopter un TraitéConstitutionnel pour l’Union européenneet la persistance d’une profonde divisiondes Européens face à la guerre d’Irak,prouvant une nouvelle fois l’absenced’une vision commune dans le domaine dela politique étrangère, l’Europe anéanmoins progressé dans le domaine de lapolitique européenne de sécurité et dedéfense. Il s’était produit le mêmephénomène lors du Conseil de Nice endécembre 2000 lorsque la présidencefrançaise avait réussi à mener à bien sesobjectifs dans le domaine de la défense etde la sécurité, peut être au détriment desautres. Comment expliquer le fait que l’onavance plus vite dans le domaine de ladéfense que ceux de la politique étrangèreet des institutions ?

Si l’on reprend la chronologie, ons’aperçoit que la France a mené au coursde cette année une action constante visant àfaire progresser la défense européenne enagissant à la fois au niveau des relationsbilatérales notamment franco-allemande oufranco-britannique mais aussi au niveaumultilatéral avec d’autres pays comme laBelgique et le Luxembourg par exemple.Cette méthode permet ensuite d’agir plusefficacement lors des Conseils européens.

Lors du 40e anniversaire du traité del’Elysée à Paris le 22 janvier 2003, leconseil de défense et de sécurité franco-allemand se fixe un objectif ambitieux« Nos deux pays souhaitent latransformation de la PESD en une Unioneuropéenne de sécurité et de défense(UESD), afin que l’Union européenne soitcapable de jouer pleinement son rôle sur lascène international » mais « également

contribuer au renforcement du piliereuropéen de l’Alliance »16.Parallèlement la France essaye de faireprogresser les Britanniques en fixant desobjectifs moins ambitieux face à leursréticences en ce domaine. Ainsi le 25e

sommet franco-britannique du Touquet le 4février 2003, déclare : « Nos deux payssouhaitent désormais promouvoir unenouvelle étape de l’Europe de la défense,dans les trois domaines qui répondent auxdéfis actuels : l’engagement de l’UE dansla gestion des crises, la solidarité de sesEtats membres face aux menaces quipèsent sur leur sécurité commune, et lerenforcement substantiel de leurs capacitésmilitaires »17.La réunion quadripartite des chefs d’Etat etde gouvernement d’Allemagne, deBelgique, de France et du Luxembourg àBruxelles le 29 avril 2003 entend donnerun nouvel élan à la PESD et propose lapossibilité de conduire des coopérationsrenforcées dans le domaine de la défense,d’introduire une clause de solidarité lianttous les Etats membres de l’Unioneuropéenne et de créer une Unioneuropéenne de sécurité et de défense(UESD) impliquant notamment la mise enplace d’un « noyau de capacité collectivede planification et de conduite d’opérationspour l’Union européenne »18. Cette clausede sécurité collective impliquant lasolidarité de tous les pays membres del’Union est source d’inquiétudes pour denombreux pays notamment les paysneutres (Autriche, Finlande, Suède,Irlande).

La Convention européenne présidée parValéry Giscard d’Estaing arrive à proposerun projet de constitution remissolennellement par son président au

16 In Documents d’Actualité Internationale (5) 1er

mars 2003, p 195.17 In Documents d’Actualité Internationale (7) 1er

avril 2003, p 279.18 Déclaration du Sommet quadripartite sur ladéfense européenne, in Documents d’ActualitéInternationale (12), 15 juin 2003, pp 487-489.

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Conseil le 18 juillet 2003.19 La politique desécurité et de défense fait partie intégrantede la politique étrangère et de sécuritécommune. Elle doit conduire à terme à unedéfense commune lorsque le Conseileuropéen en aura décidé en statuant àl’unanimité, toutes les décisions en cedomaine sont prises selon cette règle. Ilprévoit la mise en place d’une défensemutuelle, ce qui revient à reprendre encompte l’article V du Traité de l’UEO. Leprojet propose la création d’une agenceeuropéenne de l’armement (article III-212),autorise les Etats membres à instaurer entreeux une coopération structurée (article II-213), et enfin une coopération plus étroiteen matière de défense mutuelle. (ArticleIII-214) La Convention est allée assez loindans le domaine de la défense puisqu’elle aréussi à faire accepter la mise en placed’une défense mutuelle dans le cadre d’unecoopération entre les Etats volontaires.Ces avancées n’ont pas été acceptées parles chefs d’Etat et de gouvernement lors duConseil européen de décembre dernierpuisqu’ils ont rejeté le projet deconstitution.

Le Conseil européen de Thessalonique des19-20 juin 2003 avait chargé le Hautreprésentant pour la PESC, Javier Solana,de présenter pour le Conseil européen dedécembre « une stratégie de l’UE enmatière de sécurité » et les instancescompétentes du Conseil des ministres depréparer la création d’une Agenceintergouvernementale dans le domaine del’armement.C’est le Conseil des relations extérieuresréuni à Bruxelles le 17 novembre 2003,présidé par Franco Frattini qui décide lacréation d’ « une agence dans le domainedu développement des capacités de 19 La Convention européenne : Projet de Traitéinstituant une Constitution pour l’Europe. Remiseau président du Conseil européen le 18 juillet 2003.Luxembourg : Opoce, 2003. Concernant laPolitique de sécurité et de défense commune voirles dispositions particulières au Chapitre II, article40, pp 38-40 et Titre V, chapitre II, section 1,article III-210 à 214, pp 196-199.

défense, de la recherche, des acquisitionset de l’armement ». Une équipe est chargéede mettre en oeuvre cette décision. Leconseil fixe les fonctions et tâches de cetteagence ainsi que son organisation, sesstructures et le personnel20. La création decette agence européenne de l’armement aucours de l’année 2004 est sans aucun douteune avancée importante. Dans laconcurrence qui s’est engagée entre laFrance et la Grande-Bretagne pournommer le futur directeur de l’Agenceeuropéenne d’armement, ce sontfinalement les Britanniques qui ont réussi àfaire nommer l’un des leurs le 28 janvier2004 en la personne de Nick Whitney,actuel responsable de la politique desécurité internationale au ministère de ladéfense britannique.

Le Conseil européen de Bruxelles du 12décembre dernier a adopté le texte proposépar le Haut représentant pour la PESC,Javier Solana, intitulé Une Europe sûredans un monde meilleur. Stratégieeuropéenne de sécurité.21 Ce documentpart du principe que « l’Europe doit êtreprête à assumer sa part dans laresponsabilité de la sécurité internationaleet de la construction d’un mondemeilleur » et face à « la convergencecroissante des intérêts européens et lerenforcement de la solidarité au sein del’UE », il estime que l’Europe doit devenirun acteur plus crédible et efficace etpropose les éléments d’une stratégieeuropéenne de sécurité. Dans un premierchapitre, le document définit lesprincipales menaces contre l’Europe quisont le terrorisme, les armes dedestructions massives, les conflitsrégionaux et la criminalité organisée ; dansun second chapitre, il fixe les objectifsstratégiques de l’Europe à savoir, faire face

20 2541ème session du Conseil, Bruxelles, le 17novembre 2003. (N°14500/03- Presse 321), pp 11-17.21 UE, Institut d’Etudes et de Sécurité. Une Europesûre dans un monde meilleur. Luxembourg :Opoce, décembre 2003. 26 p.

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aux menaces, construire la sécurité dansnotre voisinage et construire un ordreinternational fondé sur un multilatéralismeefficace. Dans le dernier chapitre, intituléles implications politiques, il incite lesEuropéens à développer et renforcer leurscapacités civiles et militaires dans ledomaine de la gestion des crises et deréaliser un effort financier pourtransformer les forces armées européennes.Enfin un effort de cohérence est nécessairedans le domaine des politiques de l’Unionmais aussi de ses instruments et de sesmoyens. Le Conseil a décidé la créationd’une cellule militaire capable de conduiredes opérations militaires autonomes. LesFrançais avaient proposé un Etat-majormais ils se sont résolus à accepter unecellule, donc plus modeste mais selon eux,l’important c’est « que le ver est dansfruit ». Cette cellule sera l’embryon d’unfutur Quartier général européen. Pourarriver à ce résultat, il a fallu convaincreles Britanniques que cette « cellule » neferait pas double emploi avec l’OTAN etque cette dernière gardait la prééminence.Enfin il a été nécessaire de rassurer lesneutres comme l’Autriche, la Finlande et laSuède.Cette cellule est effectivement modestepuisqu’elle comptera une dizaine depersonnes. Sa mission est de maintenir leniveau nécessaire de disponibilité desforces mises à disposition de l’Union. Laconduite des opérations sera effectuée parun Etat-major « ad hoc » constitué àl’occasion de chaque intervention et quisera fourni par la nation cadre. Noussommes donc encore bien loin d’un Etat-major opérationnel permanent. À la suitede ce Conseil, Javier Solana écrittriomphalement que « C’est désormais uneréalité. L’Europe dispose de sa proprestratégie de sécurité. L’Europe est unacteur global ! »22

22 SOLANA, Javier : La stratégie européenne desécurité in Le Figaro des 13-14 décembre 2003, p11.

Volker Rühe, ancien ministre de la défense(CDU) et actuel président de laCommission des affaires étrangères duBundestag, ne crie pas pour autant victoireet émet un certain nombre de critiques dansun article publié le 24 janvier 2004 dans lequotidien Le Figaro. Il expliquenotamment que l’Union européenne « nedispose pas des capacités nécessaires à unefrappe militaire et puisque même sesengagements militaires plus importants nesauraient dépasser le cadre des opérationsde rétablissement de la paix ». Pour lui, lesvéritables opérations militaires, de guerre,ne peuvent se dérouler que dans le cadre del’OTAN avec la Force de Réaction Rapide.Au lieu de débattre de la nécessité d’unQuartier général européen, l’Union devraitréfléchir sérieusement à développer sescapacités militaires, à les regrouper et àengager un partage des tâches à l’échelleeuropéenne23. Ce texte définissant lastratégie européenne de sécurité n’apportepas, selon lui, une réponse complète auxdéfis posés à la sécurité de l’Europe. C’est« la première étape d’un processuscomplexe » qui doit faire l’objet dediscussions entre alliés, mais aussi avec lesAméricains, notamment dans le cadre del’OTAN.

À l’actif de l’Union européenne, on peutciter les interventions entreprises sous labannière de l’Union européenne au coursde l’année 2003 : la Mission de police(MPUE) en Bosnie-Herzégovine, les deuxinterventions de maintien de la paix,Concordia en Macédoine qui prend la suitede l’OTAN24, le 31 mars 2003 puisArtémis à Bunia en RépubliqueDémocratique du Congo25, première

23 Volker Rühe : « La stratégie européenne : unedoctrine à affiner » in Le Figaro des 24-25 janvier2004, p 10.24 L’opération fait appel aux moyens de l’OTAN.Les effectifs sont de 350 militaires et le budgets’élève à 6,2 millions d’euros.25 L’opération Artémis sous mandat de l’ONU(résolution 1484 du 30 mai 2003) est menée parl’Union européenne par la décision du conseil del’UE du 5 juin à partir du 7 juin au 1er septembre

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opération menée par l’Europe hors ducontient européen. C’est aussi l’occasionde tester un état-major européen(Operation Head Quarter) composé de 80personnes, installé pour l’occasion à Pariset qui fait le lien entre l’Etat-major del’Union européenne (EMUE), le ComitéPolitique et de Sécurité (COPS) et la forcestationnée à Bunia26. Pour la premièrefois, l’Union européenne a géré elle-mêmeces opérations. « Après Concorde etArtémis, l’Europe s’affirme, jour aprèsjour, comme une réalité militaire et dedéfense, prête à assumer pleinement sesresponsabilités » écrit le ministre françaisde la défense, Michèle Alliot-Marie27.Comment expliquer cette avancée dans ledomaine de la défense et le blocage dansles autres domaines comme la politiqueétrangère ou les institutions ? Même sil’Union européenne a des difficultés àmettre en place une politique étrangère, ladivergence sur la guerre du Golfe en estune preuve flagrante, rien n’empêche enattendant, de mettre en place un outilmilitaire efficace, qui permettra lorsquel’Union le décidera d’intervenir. Laméthode pour y parvenir n’est peut-êtrepas si mauvaise que cela. Mais iln’empêche qu’il faudra résoudre un certainnombre de questions si l’on entendprogresser. Tout d’abord celle des moyensfinanciers. La majorité des pays membresde l’Union affectent moins de 2% du PIB àleur défense (la moyenne de l’UE en 2000est de 1,8%)28 et ceux qui sont au dessusdes 2% sont la France, la Grèce, l’Italie, lePortugal, la Suède et la Grande-Bretagne.Le respect des critères de Maastricht,notamment celui du déficit budgétairedéfendu par la Commission européenne, nefavorise pas cette politique de hausse des

2003. Les effectifs sont de 1.400 hommes dont 700français. L’ONU prend le relais début septembreavec la MONUC.26 DUBOIS, Gérard (Colonel): « Montée enpuissance d’Artémis » in Terre InformationMagazine, N°146, juillet-août 2003, pp 18-19.27ALLIOT-MARIE, Michèle : « Les leçonsd’Artémis » in Le Figaro du 2 septembre 2003.28 Sipri Yearbook 2002

budgets de la défense. Une solutionconsisterait comme le propose JacquesBoyon, ancien secrétaire d’Etat à ladéfense, à les sortir du Pacte de stabilité,ou au minimum en pas prendre en compteles crédits d’investissements29. Les créditsaffectés à la recherche et développement(R&D) par les Quinze pays membres sontnettement inférieurs à ceux des Etats-Unis ; ils représentent 7,55% du total desbudgets de la défense contre 13,8% auxEtats-Unis pour l’année 200130. Si lasituation perdure, l’écart technologiqueentre les deux rives de l’Atlantique risquede s’agrandir encore plus et rendreinopérante toute coopération sérieuse dansle domaine militaire. Enfin la hausse del’Euro handicape aussi l’industrieeuropéenne d’armement en freinantnotamment sa compétitivité et sesexportations.

Il n’existera pas de véritable défenseeuropéenne sans l’adoption par l’ensembledes pays membres d’une défense collectivede l’Union européenne, ce qui veut dire end’autres termes, l’intégration de l’article Vde l’UEO. Cela nécessitera du temps et dela persuasion pour la faire accepter parplusieurs pays, dont notamment les neutrescomme l’Autriche, la Finlande, l’Irlande etla Suède. Il est vrai qu’une absence demenace militaire majeure ne facilite pas leprocessus.Les solutions aux questions posées par ladéfense européenne ne viendront que d’uneprise de conscience des Européens eux-mêmes. S’ils refusent d’investir plus dansleur outil de défense, celui-ci deviendraobsolète et la seule solution qu’il leurrestera, sera alors de s’intégrer dans unsystème de sécurité euroatlantique oùl’Europe ne pèsera plus d’un grand poids.

Patrice BuffototOES-CRIS

29 BOYON, Jacques : « L’Euro fort nuit àl’ambition militaire de l’Union » in Le Figaro 24-25 janvier 2004, p 10.30 The Military Balance 2001/2002, IISS, London.

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Vers un marché européen del’armement dans le domaine de

l’aéronautique ?

Lorsque l’on connaît les liens étroits quiunissent l’Etat à l’industrie aéronautique dedéfense en Europe, l’idée de la créationd’une industrie de défense transnationale etconcentrée paraît être une illusion. Àl’heure de l’internationalisation desentreprises, y compris dans le secteur del’aéronautique, il n’est cependant pluspossible d’envisager un repli national. Lesindustriels européens sont aujourd’hui dansune impasse : la concentration du secteur adevancé l’organisation de l’acquisition deséquipements au niveau européen et estdésormais en attente de nouveauxprogrammes, mais les crédits manquent etles fonds de développement s’échappentoutre-atlantique. Si des mesures ne sontpas rapidement prises par lesgouvernements européens, l’Europe risquede perdre son indépendance stratégique.

Depuis la fin de la guerre froide, unnouveau contexte stratégique s’est imposéet a incité les Européens à bénéficier desdividendes de la paix et à diminuer leursbudgets de la défense. Ces nouvellescontraintes ont été à l’origine d’une part del’initiative du gouvernement américain deconcentrer l’offre dans le secteuraéronautique de la défense et d’autre partd’une réforme de l’acquisition permettantd’intégrer le secteur commercial au secteurmilitaire. Le retrait de l’Etat du secteur dela défense s’est traduit en Europe par desprivatisations qui ont provoqué uneintégration définitive des industriesaéronautiques de défense à l’économie demarché, ces dernières empruntant lesméthodes de rationalisation et de gestiondes industries du secteur privé. Il fautreplacer cette restructuration des industriesaéronautiques de part et d’autre del’Atlantique dans le grand mouvement deconcurrence économique entre les Etats-Unis et l’Union européenne.

Si la restructuration du secteuraéronautique s’est imposée facilement auxEtats-Unis, il n’en a pas été de même enEurope. En effet, le risque majeur pour lesEuropéens était de perdre la direction deces entreprises au cours de cesrestructurations. Dans un premier temps lesconcentrations ont été réalisées dans uncadre national puis dans un second tempseuropéen avec la création de la sociétéEADS31, première entreprise transnationaledans le secteur de la défense qui a étéfacilitée par la coopération notammentfranco-allemande.

Si les industries aéronautiques européennessont actuellement en difficultés par rapportà leurs concurrentes américaines, compte-tenu notamment de leur déséquilibrebudgétaire, de nouvelles restructurations nesemblent pas nécessaires pour PhilippeCamus, cogérant du groupe Lagardère etcoprésident exécutif d’EADS :« L’industrie a pris un peu d’avance parrapport à la restructuration de nos clients,les gouvernements européens. L’Europeest encore trop émiettée dans ce domaine.Tant que les programmes de défenseeuropéens ne seront pas plus intégrés, il nesera pas nécessaire, pour l’industrie, d’allerplus loin »32. En effet, les préoccupationsne sont pas que d’ordre budgétaire, mêmesi elles posent actuellement de grosproblèmes dans le secteur spatial, maisaussi d’ordre juridique, avec le manque delégislation européenne sur les transferts detechnologie et de personnels, de droit àl’exportation et d’un statut de sociétéeuropéenne, mais aussi d’ordreadministratif avec l’organisation del’acquisition au niveau national. Desefforts ont été réalisés dès le début desannées quatre-vingt-dix avec la formation

31 European Aeronautic Defence and SpaceCompany. EADS provient de la fusion entrel’Aérospatiale et Daimler-Chrysler Aerospace.32 JAKUBYSZYN,C et MAUDUIT, L « Le groupeLagardère ne laissera pas son association avecThalès menacée par d’autres », in Le Monde du 23mai 2003.

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de groupes de réflexion sur les questionsd’armement au sein de l’Union de l’Europeoccidentale (UEO) comme le GAEO33 etl’OAEO34 mais aussi avec la création del’OCCAR35 chargée de gérer lesprogrammes de coopération au niveaueuropéen, et la Lettre d’Intention36 suiviede l’accord cadre pour faciliter lesexportations, traitant notamment desprocédures d’exportation et de la sécuritéde l’approvisionnement. Cependant, il est àdéplorer que l’OCCAR reste tributaire desprogrammes que les pays veulent bien luidéléguer, et que la LoI n’ait pas étéétendue à davantage de pays : elle neconcerne en effet que la France,l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, leRoyaume-Uni et la Suède, principaux paysproducteurs d’armement en Europe.

Les difficultés rencontrées par l’industrieaéronautique européenne au niveau de leurenvironnement européen ont pourconséquence de provoquer un déséquilibredans les relations transatlantiques car ellesse trouvent confrontées à des entreprisesfortement soutenues par le gouvernementfédéral américain qui dispose par ailleursde moyens de pression commerciale grâceà sa position dominante au sein del’OTAN. « L’Europe est en train de voleren éclats », soulignait en mars 2003,Monsieur Henri Martre, ancien présidentde l’Aérospatiale37.Or, cet éclatement de l’Europe del’armement permet également auxindustries américaines de diviser encore unpeu plus l’Europe en intégrant denombreux Etats européens dans lesprogrammes aéronautiques américainscomme celui de l’avion F-35 et quicontribuent à assécher les fonds pour les

33 Groupe armement de l’Europe occidentale.34 Organisation de l’armement de l’Europeoccidentale.35 Organisation conjointe de coopération en matièred’armement.36 Letter of Intent ou LoI.37 JAKUBYSKYN, C. « L’offensive sans précédentde l’industrie de l’armement américaine » in LeMonde du 19 mars 2003.

prochains programmes ou l’approfon-dissement de la coopération avec certainspartenaires comme le Royaume-Uni.

Toutefois, il semblerait que la mise enœuvre d’une réflexion sur une politiqued’armement en Europe dans le cadre de lacréation d’une défense européenne ait étéle signe de l’avancée de l’Europe enmatière de défense. À court et moyentermes, il s’agissait de tenir compte desprogrammes en cours, de la coordinationdes achats sur étagères et du lancement denouveaux programmes. À long terme,l’objectif est de renforcer la basetechnologique européenne et d’harmoniserles besoins en capacités communes. Laconstitution de nombreuses organisationsn’avait cependant qu’un seul objectif :régler les questions de convergenceopérationnelle, de droit des sociétés, desexportations, des systèmes juridiques etfiscaux, de Recherche & développement etd’acquisitions avec plus ou moins desuccès. La prolifération de cesorganisations au lieu de permettre desperspectives encourageantes a longtempsdénoté la persistance des problèmes deconvergence opérationnelle, desynchronisation des acquisitions, de retourindustriel, de transfert des technologies etdes droits à l’exportation parce que chaqueorganisme créé avait pour but de résoudreles problèmes hérités de ses prédécesseurs.

La décision du Conseil de l’Union du 17novembre 200338 à Bruxelles de s’engagerdavantage dans la voie de la coopération eninstituant un groupe de travail chargé demettre en place la future Agenceeuropéenne de l’armement en janvier 2004ouvre de nouvelles perspectives. Cetteagence est réclamée depuis de nombreusesannées par les industriels européens. Maismalgré les bienfaits d’une rationalisationinduite par l’organisation et laconcentration de la demande, l’agence

38 2541e session du Conseil des affaires générales(relations extérieures) à Bruxelles, N°14500/03(Press 321), pp 11-17.

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européenne parviendra-t-elle à ne pasmasquer encore davantage l’incapacitéeuropéenne à construire son propresystème d’acquisition ?

La future agence devrait posséder unepersonnalité juridique ce qui lui permettraitde passer des contrats. Ses objectifsconsisteront à développer les capacités dedéfense dans le domaine de la gestion decrise, de promouvoir et d’améliorer lacoopération dans le domaine del’armement, de renforcer la baseindustrielle et technologique européennedans le domaine de la défense et defavoriser la Recherche et Développementet la Recherche et Technologie. Pouratteindre ces objectifs, celle-ci devraévaluer les besoins futurs en étudiant lesengagements pris dans le cadre du Pland’action européen sur les capacités(PAEC)39, ainsi que promouvoir etcoordonner l’harmonisation des besoinsmilitaires. Elle pourra s’appuyer surl’expérience acquise par l’OCCAR dans ledomaine de la gestion des programmes encoopération dès que celle-ci pourra êtremise à contribution. L’Agence devraégalement soutenir la création d’un marchéeuropéen des équipements de défense enliaison avec la Commission européenne,marché concurrentiel qui impliquel’élaboration et l’harmonisation des règlesqui influent sur le fonctionnement dumarché. Enfin, elle devrait à termeincorporer les éléments pertinents desorganisations jusque-là compétentes enmatières d’armement comme le GAEO etl’OAEO. L’Agence pourra également sefonder sur les compétences du ComitéMilitaire de l’Union européenne (CMUE)agissant à partir des directives du COPS40,ou des directeurs nationaux d’armement.

Les industriels pourront d’autant plus seréjouir que cette Agence veillera à laréalisation de la deuxième phase du PAECvisant la création de centres d’excellence 39 Ou European Capabilities Action Plan (ECAP)40 Comité politique et de sécurité (COPS)

dans des domaines comme la recherche etle sauvetage au combat, les drones desurveillance et d’attaque, les capacités deravitaillement en vol, les centres decommandement et de contrôle, même si enmatière d’observation stratégique ettactique, pourtant essentielle pour lesgouvernements dans le domaine de lagestion de crise, les engagements restenttimides. Les avancées de la Commissioneuropéenne qui décide d’accorder 320millions d’euros au programme Galiléosont encourageantes41.

La PESD a également auguré de bonnesperspectives pour les acteurs du secteur dela défense. Si les décisions prises àCologne en juin 1999, à Helsinki endécembre 1999, à Feira en juin 2000 puis àNice en décembre 2000 n’ont pas permisde développer une politique globale enmatière d’armement, « elles renouvellentprofondément, selon Christophe Cornu, lecadre de cette coopération42 » puisquedésormais les ministres de la défense seréunissent en Conseil de défense, instanceoù ils ont réussi à se mettre d’accord sur unobjectif de capacités militaires dans lecadre des missions dites de Petersberg. Demême, la décision de créer un Quartiergénéral européen, prise sous la présidenceitalienne, devrait permettre d’améliorer lavisibilité et l’indépendance militaireopérationnelle de l’Union européenne. Àce titre « l’Union européenne pourraitfournir une enceinte de référence, decohérence et de mise en œuvre » avec pourconséquences la possibilité d’utiliser toute« la palette des mécanismes de l’UE(définition des priorités politiques au seinde deuxième pilier et les dispositionscontraignantes du premier pilier) » qu’uneorganisation comme le GAEO ne 41 PIRARD, T « Galiléo : la Commissioneuropéenne va de l’avant », in Air et Cosmos du 28mars 2003.42 CORNU,C : « La forteresse Europe : réalité ouvirtualité ? » in (Sous la direction de B.Schmitt),Entre coopération et concurrence : le marchétransatlantique de défense, Cahiers de Chaillot(44), janvier 2001, p 89.

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permettait pas mais également « larépercussion de l’objectif global de 2003sur le secteur de l’armement » quiappellerait des engagementssupplémentaires pour les équipements desforces.43

L’avenir de l’industrie aéronautiqueeuropéenne de défense et des relationstransatlantiques.

Pour Keith Hayward, chef du service desaffaires économiques et politiques de laSociety of British Aerospace Companies etprofesseur à l’université de Stafordshire, laglobalisation du secteur de l’industrieaéronautique militaire relève encorelargement de la prospective parce qu’elleimplique notamment un « déracinementdes consommateurs et du marché aussibien que des producteurs »44. Même s’ilexiste aujourd’hui une réelleinterdépendance, la construction decertains équipements reste encore nationalecomme la production des avions de combaten France et aux Etats-Unis. Ainsi pourl’avenir des relations transatlantiques, ilenvisage deux scénarios : le premieroptimiste, bien que peu probable, impliquel’intégration des marchés européens quipermettrait à l’Europe de gagner enautonomie. L’écart avec les Etats-Unis neserait pas comblé mais cela permettrait àdes entreprises européennes de prendre

43 Au regard des rapports de l’UEO, leséquipements nécessaires à la réalisation desmissions de Petersberg semblent être disponibles,même si certains équipements restent à analyser dupoint de vue qualitatif. Le ministre de la défensefrançais Alain Richard aurait cependant estimé enseptembre 2000 que l’objectif de 2003 pouvaitconduire à un embryon de programmation militairequi concernerait environ 10% des dépensesd’équipements des différents pays européens.44 HAYWARD, Keith : « De la Coopération à laglobalisation », communication faite au Colloqueorganisé par le Chear et le comité d’histoire del’Armement intitulé Histoire de la coopérationdans l’armement , les 27 et 28 février 2003 à Paris,auteur de « Vers un système européen d’acquisitiondes armements », in Cahiers de Chaillot (27),Paris, juin 1997.

part équitablement à des programmesaméricains. Le second scénario, pluspessimiste, mais cependant le plusprobable, implique un déclin des capacitéseuropéennes à participer aux programmesaméricains dans le cadre de partenariatsminoritaires.En conséquence, la décision de créer uneAgence européenne d’armement et unquartier général européen, même s’ilsreprésentent une avancée significative dansla construction d’une défense européennene peuvent malgré tout suffire. En effet aumoment où les Américains ont augmentéd’une façon massive leur budget de ladéfense depuis le 11 septembre 2001 ce quia eu pour conséquence de renforcer leurmarché, les Européens doivent se décider àaugmenter leurs budgets nationaux dedéfense et investir davantage dans laRecherche et le Développement afin desoutenir leur industrie d’armement qu’ellessoient nationales ou transnationales, fautede quoi, elle risque de disparaître.

Sophie Batas BjelicAuteur d’un mémoire de maîtrise « Unexemple de restructuration de l’industrieeuropéenne de défense : l’aéronautique »soutenu en juin 2003 à la Faculté desSciences Sociales et Economiques(Institut Catholique de Paris)

Pour contacter l’Observatoire Européen deSécurité ou bien pour demander à être surla liste des abonnés, vous pouvez écrire à :[email protected]

Le N °9 de Défense & Stratégie d’avril2004 portera sur « les nouvelles missionsde stabilisations des forces terrestresaprès une guerre »- Les acteurs de la violence.- Les approches françaises, britanniques,américaines de ma maîtrise de la violence.- Les leçons des conflits en ex-Yougoslavie- La maîtrise de la violence dans le cadredes opérations de maintien de la paix : lecas de la zone grise.

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L’Asie du Sud-Est face aux questions demaîtrise des armements :

un rôle en pointillés ?

Les positions des pays d’Asie du Sud-Est45

sur les questions de maîtrise desarmements n’ont, jusque récemment,qu’assez peu retenu l’attention et ce d’unemanière qui peut sembler paradoxale. LesEtats de la région ont, en effet, adopté despositions conformes à celles instituées parle Traité de non prolifération (TNP) de1968 et très proches du code de conduitedu groupe des exportateurs nucléaires(Nuclear Suppliers Group) de 197646. Dèsla constitution de l’Association des nationsdu sud-est asiatique (ASEAN) en 1967 eneffet les pays membres de l’Associationont cherché à promouvoir l’idée de lacréation d’une zone de paix. Formulée en1968 par la Malaisie, ce projet figure dansles priorités des autorités malaisiennes dès1970 ; il est adopté par les membres del’Association en 1971.

Plusieurs raisons majeures semblent doncdevoir être retenues pour expliquer le« désintérêt » porté aux positions de cespays. Le fait qu’aucun des pays de larégion ne détienne d’armement nucléaire etn’aie affirmé vouloir se doter de ce typed’armement (à la différence d’autres paysasiatiques comme la République populairede Chine par exemple47) a, sans conteste,joué un rôle déterminant dans lamarginalisation des pays d’Asie du Sud-Est. Leurs relations plus ou moins tenduesavec le camp occidental lui-mêmeresponsable pour une large part des

45 Zone qui s’étend de la Birmanie au nouveauterritoire du Timor Leste indépendant depuis mai2002 soit désormais onze pays : Birmanie,Thaïlande, Vietnam, Laos, Cambodge, Malaisie,Singapour, Indonésie, Brunéi, Philippines, TimorLeste.46 Voir la contribution de KLEIN, Jean « Les Etats-Unis et la maîtrise des armements : entrel’unilatéralisme et l’action collective » dansDéfense & Stratégie n° 7.47 qui procède en 1964 à son premier essainucléaire.

tensions qui secouent les pays de lapériphérie immédiate des premiersmembres de l’ASEAN n’a sans doute pasété sans avoir d’effet non plus.L’opposition des dirigeants locaux enversles armements non conventionnels -voirecertaines prises de position virulentesenvers les Etats dotés d’armes nucléaires(EDAN)- a également contribué à un trèsnet étouffement de la voix de ces pays.Enfin, leur volonté de se maintenir dans unespace excluant la montée aux extrêmes etpar voie de conséquence leur non-implication directe dans une crise nucléairen’a fait qu’accentuer cette quasi-exclusion.Leurs positions sur les questions dedésarmement ne sont que davantagepassées inaperçues48 surtout à un momentoù la dissuasion nucléaire était l’un desprincipaux fils directeurs de la politiqueinternationale. Dès lors, les grands traitésde désarmement en cours de négociationpendant toute la période du systèmebipolaire ne les concernant pas49, on nepeut s’étonner de voir le peu d’attentionqui a été porté à cette partie du globe.

Cette tendance a cependant connu unecertaine inflexion et de nombreuxchangements depuis les années 1980 etsurtout 1990.

La proclamation de l’Asie du Sud-Est« zone de paix, liberté et neutralité » 48 Il n’existe ainsi qu’assez peu de document surcette question. Parmi les principales référencesfigurent notamment : HUISKEN, Ronald: Armslimitation in Southeast Asia : a proposal, Strategicand Defence Studies Centre, Research School ofPacific Studies, Australian National University,1977 ; FINDLAY, Trevor: Southeast Asia, theSouth Pacific and the chemical weaponsconvention, Peace Research Centre, AustralianNational University, 1991 ; SINGH, Bilveer: TheChallenge of Conventional Arms Proliferation inSoutheast Asia , CSIS, Jakarta, 1997 ; GILL, Bates& MAK, J.N. (sous la direction de), Arms,Transparency and Security in South-East Asia,Stockholm International Peace Research Institute,Oxford University Press, 1997.49 Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aulivre de KLEIN, Jean : Maîtrise des armements etdésarmement, Les accords conclus depuis 1945, Ladocumentation française, 1991.

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(ZOPFAN en anglais) à compter de ladéclaration de Kuala Lumpur a ainsi donnélieu à l’adoption de nombreuses autresdispositions. Dès 1974 le concept de« résilience nationale » proposé parl’Indonésie est ainsi intégré au projet deZOPFAN. Dix ans plus tard, en 1984, leprojet d’Asie du Sud-est « zone exempted’armes nucléaires » y est joint tandis quedifférentes mesures de confiance sontprogressivement ajoutées aux premièresdispositions. Le traité d’amitié et decoopération conclu à Bali en 1976 yoccupe une place déterminante50. Acompter de cette période en effet, plusieursrégimes d’Asie du Sud-Est ont exprimé, demanière parfois tranchée51, leurs positionsdans ce domaine et également manifestéleur volonté d’aider au règlement de crisesimpliquant des puissances nucléaires oudites « du seuil ».

Parallèlement, plusieurs gouvernements dela région ont exprimé leur désir d’adhérer àcertains des régimes de contrôle existants(MTCR notamment) mais aussi leurvolonté de jouer un rôle plus actif dans lesmesures de contrôle. Cette volonté nesemble cependant pas avoir suscité ungrand intérêt de la part des puissances lesplus impliquées dans ces organismes.

I. l’Asie du Sud-Est en marge des systèmesinternationaux existants de maîtrise desarmements

Le manque d’unité et les très grandesdivergences qui opposent les pays de cette

50 Le texte stipule en effet que : 1. les Etats sedoivent de garantir un respect mutuel pour ce quiconcerne l’indépendance, la souveraineté, l’égalité,l’intégrité territoriale ainsi que l’identité nationalede chaque pays ; 2. chaque Etat a droit de menerson existence sans interférence extérieure ; 3. lanon-interférence dans les affaires intérieures doitêtre garantie ; 4. le règlement des disputes doit êtreeffectué par des moyens pacifiques ; 5. il faut queles Etats renoncent à la force ou à la menace d’yrecourir ; 6. une coopération effective entre lesEtats membres doit être mise en place.51 Voir notamment HOFFMANN, Nathalie : « Lespays d'Asie et la prorogation du TNP » in : défensenationale, décembre 1995.

région sont à l’origine de positions trèsdifférentes dans les domaines de lamaîtrise des armements. En dépit de cela,un certain nombre de points unissent lespays de la zone. Parmi ces derniers, leurvolonté d’éviter toute interférence despuissances étrangères à la zone dans lesaffaires régionales occupe une placedéterminante. Tout d’abord soutenue parles cinq membres fondateurs del’Association des nations du Sud-Estasiatique (ASEAN - Thaïlande, Malaisie,Indonésie, Singapour, Philippines52), cetteidée a progressivement été reprise parl’ensemble des membres de l’Associationcomme un principe de base et ce, en dépitdes orientations et justifications parfois trèsdifférentes des pays membres53.

La mise en place de plusieurs traitésd’amitié et de coopération régionale, lapromotion de l’Asie du Sud-Est, en tantque zone exempte d’armes nucléaires àpartir de juillet 1984 (à l’issue de la tenuede la réunion annuelle des ministres del’ASEAN à Jakarta, puis en septembre1984 à Kuala Lumpur) jusqu’à sonadoption de principe lors du sommet deManille en décembre 1987, puis la difficileélaboration du concept de « diplomatiepréventive » ont eu pour effet de resserrer–du moins en façade– les liens des pays del’ASEAN (et ce bien que des oppositionsse soient fait jour tout au long du parcourset ce, jusqu’aux derniers élargissements del’Association).

Tous ces points puisent leur source dansdes facteurs historiques. Après avoir étél’un des théâtres de l’expansion nipponepuis d’une décolonisation plus ou moinshouleuse, l’Asie du Sud-Est est en effet

52 Bien que certains d’entre eux aient entretenudéjà, à l’époque, de bonnes relations avec des paysoccidentaux, notamment d’un point de vuesécuritaire.53 Il est ainsi évident que les motifs qui ont soustendu les positions des autorités vietnamiennes,birmanes, laotiennes et khmères –dont les paysadhèrent à l’ASEAN en 1995, 1997 et 1999– necorrespondaient pas à ceux des premiers membresde l’association.

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devenue zone de confrontation directe etenjeu entre les grandes puissances durantla bataille idéologique de la guerre froide.Si les sources de contentieux entre les paysde la région ont été nombreuses depuis lafin de la Seconde guerre mondiale –àl’instar de la période dite de la« Konfrontasi »54– les interférences depuissances extérieures à la zone dans lesaffaires intérieures et extérieures ontsystématiquement donné le signal dudéclenchement de crises particulièrementinextricables.

L’analyse des membres fondateurs del’ASEAN a donc été qu’en évitant toutrisque d’immixtion étrangère, on éviteraittout risque de déstabilisation et surtoutd’escalade surtout dans le contexte defortes tensions internationales qui prévalait(et alors qu’en parallèle s’effectuait ledésengagement américain et britannique dela région). Pour ce faire, il fallait retirertout prétexte potentiel d’intervention de lapart des deux grandes puissances maisaussi de leurs affidés. Ce principe énoncédans l’acte fondateur de l’ASEAN a étéardemment appelé à se concrétiser pendantla période de guerre froide.

Les Etats membres de l’Association ontainsi estimé qu’en se gardant de détenir surzone ou de produire des armes dedestruction massive, ils limiteraient lesingérences des grandes puissances55 ainsi

54 « Confrontation » qui voit l’Indonésie et lesPhilippines s’opposer à la Malaisie de 1962 jusque1965-66 en réaction à l’annonce de l’élargissementdes territoires occidentaux de la Fédérationmalaisienne aux trois Etats du Nord de Bornéo(« North Borneo » –qui prend le nom de Sabah–Brunei, Sarawak). L’Indonésie du présidentSukarno dénonce ce qu’il perçoit être la poursuitesous des formes déguisées de la colonisationbritannique (ancienne puissance coloniale desterritoires qui constituent la Fédération malaisienneet puissance tutélaire des trois territoires au Nord deBornéo) tandis que les Philippines dénoncent lerattachement du Sabah pour lequel elles réaffirmentdes droits de souveraineté hérités de l’anciensultanat de Sulu.55 Déjà tentées de réviser leur politique de présencemilitaire dans plusieurs des Etats de la région.

que des sources potentielles dedéstabilisation régionale. La réunion desministres des Affaires étrangères des paysmembres de l’ASEAN lors du sommet denovembre 1971 a ainsi donné lieu à lapremière formulation de ce principe dansla déclaration dite de Kuala Lumpur quidevait marquer le point de départ de laneutralisation progressive de la région56.

En ce qui concerne les mesures de contrôleportant sur les armements par contre,l’Asie du Sud-Est n’est pas apparuedésireuse de suivre la même voie malgréplusieurs propositions faisant notammentétat de la constitution possible d’un recueilsur les transferts d’armes et d’autresprojets visant à établir une plus grandetransparence dans le domaine descirculations de matériels de guerre. Lesproposions formulées depuis les années1970 par différentes personnalités ontcependant toutes fait l’objet de réservestrès importantes. L’une des premièresjustifications de cet « échec relatif » tient àla volonté qu’ont les Etats concernés devouloir maintenir un niveau de défenseapproprié. Or les acquisitions d’armementsconventionnels se trouvent légitiméesselon les Etats par la nécessité de procéderau renouvellement de matériels obsolètesou sur le point de l’être ainsi que par cequ’ils qualifient être des dépenses bieninférieures à celles qui sont pratiquées dansd’autres pays du monde. De plus, denombreux acteurs, tant intérieursqu’internationaux trouvent intérêt àpoursuivre leurs activités…

II. Vers une implication croissante del’Asie du Sud-Est en faveur des systèmesde maîtrise des armements.

La décennie 1990 va marquer une plusgrande implication des pays d’Asie duSud-Est dans les questions de maîtrise desarmements. L’année 1995 est, à cet égard,particulièrement importante. C’est en effet

56 Voir notamment JOYAUX, François,L’Association des nations du sud-est asiatique,A.N.S.E.A., PUF, 1997.

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en 1995 que les pays d’Asie du Sud-Estmanifestent d’une manière plus tranchéeque précédemment leurs positions sur lesquestions de maîtrise des armements dansle cadre des travaux préparatoires à laconférence de prorogation du TNP. C’estégalement en décembre 1995 –alors qu’ilsviennent de s’élargir à un nouveaumembre, le Vietnam– qu’ils concluent leTraité de Bangkok qui vise à faire del’Asie du Sud-Est une zone exempted’armes nucléaires57.

S’inscrivant dans la lignée de certainespropositions formulées par des payscomme le Japon ou la Républiquepopulaire de Chine, les pays d’Asie duSud-Est, ont à leur tour, fait despropositions dans plusieurs domaines. Lesarmements conventionnels et nonconventionnels, les armes de petitscalibres, la promotion de différentesmesures de confiance ou la mise en placed’institutions spéciales font ainsi l’objet depropositions diverses.

Il est vrai que la décennie 1990, riche enévénements internationaux, s’avère toutparticulièrement propice à l’émergence depositions communes sur les questions dedésarmement et de stabilité régionale.Dans le même temps, cette période donneégalement lieu à la multiplication desfacteurs de crises régionales. La chute dubloc soviétique marque un premiertournant. La menace nucléaire communistesemble s’estomper définitivement mais lessources de déstabilisation quant à elles semultiplient. Les régimes peuventcependant se pencher de façon moinsmanichéenne et doctrinale sur la réalité desnombreux facteurs de crises (mouvementsde guérilla notamment) qui agitentl’ensemble de la zone. Ils prennent ainsi unpeu plus conscience des dommages causéspar leurs rivalités dont profitent lesdifférents acteurs étatiques et nonétatiques. Ils cernent la réalité de leurs

57 Voir également, HOFFMANN, Nathalie « Leszones dénucléarisées en Asie » in : défensenationale, mai 1996.

problématiques sécuritaires : elles nepeuvent pour la plupart –du fait deschevauchements de populations, ducaractère archipélagique des uns ou durelief particulièrement difficile des autres–être traitées hors d’une dimensionrégionale.

L’instauration de mesures de confiancesn’est cependant pas aisée à mettre enœuvre. Elle nécessite au moins deuxvolets : un premier destiné à s’appliquer« en interne » uniquement aux membres del’Association, un second destiné à établirdes discussions et rapprochements avec lespartenaires de l’ASEAN. La question esten effet particulièrement complexe, ellesuppose la résolution de différends etcontentieux de nature très diverse maistoujours d’actualité58 ainsi que la noninterférence de puissances étrangères à lazone.

La signature du traité de Bangkok en 1995qui fait de l’Asie du Sud-Est une « zoneexempte d’armement nucléaire » constituenéanmoins (surtout après les prises deposition parfois virulentes de certains desdirigeants de la région lors de laconférence de New York en mai 1995) unedate clé. La conclusion de ce traité marque,d’une part, la concrétisation des effortsentamés par l’ASEAN au début del’existence de l’organisation mais aussi,après la création de l’ASEAN RegionalForum -ARF- un nouveau pas vers uneplus grande solidarité et compréhension enterme de sécurité régionale. La questionavait réapparue au cours de réunions etconférences préparatoires de la conférencede New York en avril-mai 1995 avait denouveau été présenté par le ministreindonésien des Affaires étrangères lors dusommet de Bangkok de décembre 1995 oùelle devait finalement être acceptée. Ledernier projet similaire avait pour sa part

58 Plusieurs décennies de crises plus ou moinslarvées, de tensions et d’accusation de soutiensréciproques aux mouvements rebelles opérant chezleurs voisins ayant constitué une suspicion difficileà faire disparaître.

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été présenté à l’Assemblée générale del’ONU en 1988.

La signature de ce traité vise dans le mêmetemps à affirmer la place des pays de larégion au sein de la communautéinternationale. L’Asie du Sud-Est se poseainsi -comme l’avaient fait d’autres zonesgéographiques : Amérique latine-Caraïbesavec le traité de Tlatelolco, l’Antarctiqueavec le traité du même nom, le PacifiqueSud avec le traité de Rarontonga- enexemple. Les signataires affirment quant àeux également leur opposition à tout essainucléaire quelle que soit la zone ou le paysconcerné59. La principale difficulté àlaquelle les pays signataires se trouventconfrontés finalement provient des prisesde position réticentes -pour ne pas direhostiles- des cinq puissances nucléaires60

(alors que pour certains de leurs voisinsplutôt hostiles au nucléaire eux-mêmes -Australie en tête- la conclusion du traitéallait faire l’objet de commentairesparticulièrement élogieux).

Pour plusieurs des pays d’Asie du Sud-Est,déjà très actifs sur la scène régionale ouinternationale, le soutien qu’ils apportent àla création d’une zone exempte d’armesnucléaires aura d’ailleurs pour effet de lesvoir redoubler d’efforts pour se proposercomme médiateurs dans le règlement decertaines crises (ce qui ne permettratoutefois pas d’empêcher la poursuite desessais chinois, indiens ou pakistanais pasplus d’ailleurs que la montée des tensionsentre la Corée du Nord et la communautéinternationale après les premièresnégociations du début des années 1990).

La crise financière qui s’abat en 1997 surles pays de la zone, a cependant pour effetde fragiliser les régimes et de rappeler auxdirigeants que la stabilité n’est pas

59 Voir notamment, « Asean to oppose N-testby any power » in : The Star (Malaisie), 17décembre 1995.60 Voir aussi, « US can’t support SEA nuke-free zone ‘for now’ » in : The Star (Malaisie),8 février 1996.

forcément acquise. On assiste en effet avecla dégradation de la situation économiquedans l’ensemble de la zone à un très netaccroissement des tensions régionalesqu’elles aient des motifs économiques(afflux de clandestins en provenance depays voisins mais aussi clandestins venantd’autres continents et transitant par lespays de la région sur le chemin denouvelles terres d’accueil, intrusions dansles eaux territoriales des pays voisins pourcause de pêche…), politiques (montée dela contestation de certains régimes,manifestations, dénonciation de lacorruption etc.) ou sécuritaires61

(réaffirmation de certaines prétentionsterritoriales notamment).

Les événements du 11 septembre 2001,l’amplification de la menace terroriste etplus généralement l’ensemble des menacesde type asymétrique aggravent encoredavantage la situation des pays de la zone.

Les attentats de Bali puis de Jakarta, ladécouverte de réseaux terroristes possédantdes ramifications dans l’ensemble de larégion, ont rendu plus urgent ledéveloppement d’une coopérationsécuritaire souhaitée bien avant lesattentats de 200162. Elle semble toutefoisdevoir être renforcée et ce, quand bienmême elle apparaît diversement appréciéeet appliquée par les différents pays.

Néanmoins, au vu du niveau de la menaceasymétrique qui pèse à l’heure actuelle surles pays de la région63, l’absence pour le

61 Voir notamment, « Les questionsd’environnement en Asie du Sud-Est et leursrépercussions en matière de sécuritérégionale » in : La revue internationale etstratégique, n° 39, automne 2000.62 Voir : « Vers une relance de la coopérationsécuritaire en Asie du Sud-Est » in : défensenationale, août-septembre 2002.63 « L’asymétrie en Asie du Sud-Est, un modeopératoire systématique ? » in : Relationsinternationales et stratégiques, n° 51, automne2003.

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moment d’armes de destruction massive64 -et donc le risque de les voir détourner dansle cadre d’actions menées par des groupesà caractère terroriste - permet encore depréserver une relative « tranquillité » surzone.

Perspectives

Il est donc intéressant de voir à la foisquelles seront les suites données auxcoopérations régionales mais aussiinternationales dans le domaine de la lutteantiterroriste et quelles seront les initiativesconcrètes qui seront apportées dans ledomaine de la maîtrise des armements.

Pour avoir globalement soutenu dans leprincipe, les différents projets de luttecontre les ADM, les trafics, et avoirencouragé l’élaboration de mesures decontrôle, les pays d’Asie du Sud-Est nesont cependant pas encore parvenus àmettre en place une structure régionaletouchant à ces différents domaines. Peut-on toutefois les en blâmer quand on assiste,impuissants, à l’impossibilité de la mise enœuvre d’une politique commune à l’échelledes puissances qui ont le plus à craindre dece type de menaces ? Il est cependantintéressant de souligner la participationactive de plusieurs d’entre eux au sein derégimes de contrôle touchant à laprolifération.

L’Initiative de sécurité contre laprolifération (ISP65) lancée à Cracovie parle président Bush avant la tenue du sommetdu G8 à Evian au mois de mai 2003 a ainsireçu un écho favorable de la part de 64 Cette question permet notammentd’expliquer l’intérêt porté à la réalisationpotentielle par des groupes terroristes locaux -bénéficiant ou pas de contacts avérés avec desgroupes internationaux- d’attentats avec desmoyens non conventionnels. La maîtrise pardes groupes terroristes de certaines techniquesles placerait ipso facto dans une catégorie biensupérieure de menaces. La réponse qui devraitêtre apportée à ce type de menace pourraitpeut-être alors également changer de nature.65 « Proliferation Security Initiative » enanglais.

certains des pays de la région -Singapournotamment66. D’autres projets - portant parexemple spécifiquement sur les traficsd’armes et de drogue en provenance deCorée du Nord - faisaient l’objet dediscussions complémentaires67. Indonésie,Malaisie, Philippines, Thaïlande faisaientpartie des pays susceptibles de se rallieraux autres membres de l’ISP68.

Il est à parier que parmi les domaines quipourraient faire l’objet d’un suiviparticulier, le secteur biologique ne soitl’objet d’un intérêt spécifiquementimportant surtout après l’inquiétudesuscitée par le phénomène du SARS etl’actuelle épidémie de grippe aviaire…

La ratification du traité de Bangkok s’estdonc avérée être le premier pas vers laconsolidation d’une entente mutuelle auniveau sécuritaire. Elle a contribué àéloigner une menace plus indirecte quedirecte et offert aux dirigeants un premierespace de confiance mutuelle. Lesdirigeants de l’Asie du Sud-Est ont ducommencer par s’entendre sur des mesuresconcrètes de désarmement mais aussi, demanière plus générale, sur l’élaboration demesures de confiance. Ce premier stade dela collaboration sécuritaire qu’ils ontinstauré a pris encore plus de significationet d’acuité depuis l’émergence demouvements musulmans radicaux etterroristes faisant planer une menacesupplémentaire sur la stabilité régionale.

Nathalie HoffmannINALCO - Le Havre

66 Sans aller toutefois jusqu’à envisager departiciper directement à des exercices conjointsd’une échelle équivalente aux exercicesmaritimes baptisés « Protecteur du Pacifique »qui devaient se tenir en septembre 2003 dans lamer de Corail.67 Discussions à Madrid et Brisbane en juillet2003 puis à Paris en septembre 2003.68 Voir notamment, « Réunion mercredi etjeudi à Paris contre la prolifération », AFP du3 septembre 2003.