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Délocalisations, relocalisations : Mise en perspective et enjeux pour la région Aquitaine Rapport du GREThA (UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux) pour la DIRECCTE Aquitaine Marie CORIS (coordinatrice) Christophe CARRINCAZEAUX Vincent FRIGANT Alain PIVETEAU

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Délocalisations, relocalisations :

Mise en perspective et enjeux pour la région Aquitaine

Rapport du GREThA (UMR CNRS 5113, Université de Bordeaux)

pour la DIRECCTE Aquitaine

Marie CORIS

(coordinatrice)

Christophe CARRINCAZEAUX

Vincent FRIGANT

Alain PIVETEAU

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Présentation de l’étude

Le présent rapport a été effectué dans le cadre du marché de services et de développement (études et recherches fondamentales et appliquées) conclu entre la DIRECCTE Aquitaine et une équipe de chercheurs du GREThA. L’étude s’est étendue sur une période de sept mois. Elle s’intègre dans le projet de recherche ESCAPE (CCRRDT Région Aquitaine, 2010-2013).

Problématique générale

L’actualité des délocalisations se lit dans la médiatisation croissante du phénomène et de ses effets sociaux. Si la croissance quantitative des mouvements de délocalisation s’interprète comme une manifestation de la globalisation des économies, c’est leur évolution qualitative qui retient l’attention des décideurs et des praticiens. En effet, l’extension des délocalisations à l’ensemble des secteurs industriels et de services, y compris aux activités à fort contenu technologique (notamment les activités de R&D), signale une transformation du phénomène qui en bouscule les perceptions courantes. Deux séries d’interrogations orientent alors les débats en cours, indiquant par là même un fort enjeu de connaissance auquel l’étude commanditée par la DIRECCTE Aquitaine se propose de contribuer.

C’est en premier lieu l’ampleur du phénomène des « délocalisations » qui interroge l’observateur car il semble beaucoup plus limité que ce qu’en suggère sa couverture médiatique. Une partie de ce décalage vient du fait que, le plus souvent, seules les fermetures consécutives à des délocalisations vers les pays à bas coûts retiennent l’attention des médias alors qu’une approche d’ensemble de ces mouvements oblige à appréhender, certes les sorties, mais également les entrées. Ainsi, la question des délocalisations est plus large et nécessite d’être réintégrée dans celle de la mobilité des entreprises.

En second lieu, certaines analyses soulignent que des mouvements plus complexes qu’un simple transfert d’activités motivé par des gains salariaux seraient à l’œuvre. La mobilité des firmes ne se fait pas uniquement dans le sens nord-sud mais également dans un sens nord-nord et dans un sens sud-nord. En effet, à côté des exemples de délocalisations, on observe des relocalisations d’entreprises après des expériences jugées décevantes. De plus, et c’est là un phénomène relativement récent, des études montrent que des multinationales originaires des pays à bas coûts, en particulier des pays émergents (Chine et Inde), cherchent à leur tour à s’implanter dans les pays développés

Ces mouvements croisés reflètent les dynamiques de la géographie des activités économiques qui se restructurent rapidement dans le contexte actuel de mondialisation. Le schéma traditionnel de division internationale du travail, réservant les activités de conception au centre (i.e. les pays développés) et la production à bas coûts dans les pays émergents, est largement remis en cause : à la fois par la capacité limitée à dissocier les différentes fonctions (notamment de conception et de production) de la firme, et par la montée en puissance du potentiel technologique des “périphéries”.

Plutôt que de proposer un nouveau diagnostic macroéconomique des délocalisations, l’étude propose d’en observer et d’en étudier la mécanique d’ensemble depuis une échelle d’observation infranationale où, précisément, se manifestent les effets productifs et

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économiques des délocalisations/relocalisations et où se contextualisent les décisions des entreprises. C’est de cette manière que l’équipe du GREThA a décidé de répondre à la demande de la DIRECCTE.

Les quatre points clefs de l’étude

1 – La contextualisation des débats : comprendre les délocalisations pour mieux les maîtriser

Le rapport propose une contextualisation et un bilan du phénomène des délocalisations. En revenant sur l’ampleur limitée des délocalisations dans le contexte français, il fait ressortir que les principaux enjeux sous-jacents du phénomène sont d’ordre qualitatif.

Un diagnostic global des mouvements de localisation est ainsi proposé afin de préciser la manière dont se posent les termes du débat et dont peuvent s’appréhender les stratégies de délocalisation mais aussi les choix de relocalisation (au sens de retour d’activités précédemment délocalisées) des firmes.

Trois propositions analytiques se dégagent pour affiner la compréhension du phénomène :

- une identification des facteurs de délocalisations croisant les résultats des grandes enquêtes disponibles et ceux des analyses plus théoriques ;

- la mise en évidence de l’existence de spécificités sectorielles et territoriales ;

- le passage d’une logique statique à une appréhension dans le temps des processus de localisation.

2 – Situer les délocalisations dans la mobilité des firmes en Aquitaine : quel poids, quelles tendances ?

La question des délocalisations se pose à différentes échelles spatiales (infranationale, nationale, internationale…) et fait intervenir plusieurs niveaux de concurrence territoriale (entre pays, entre régions…). Certains enjeux ou certaines tendances sont partagés par l’ensemble des régions françaises mais d’autres semblent plus spécifiques à l’Aquitaine.

L’évaluation de la mobilité des activités économiques en Aquitaine proposée par la base ESPA permet de situer les mouvements de délocalisation et de relocalisation dans le contexte général de la mobilité (attraction/répulsion).

L’étude fait ressortir, pour deux années (2003 et 2008), les secteurs et les activités les plus concernés par la mobilité et souligne ainsi les points de force et de faiblesse de la capacité d’attraction de l’Aquitaine.

3 – De la diversité des trajectoires à la reconstitution de cas types de (dé)localisation

Il ressort des trois types d’analyses menées (revue de littérature, étude quantitative et analyse qualitative) que les délocalisations sont des processus complexes qui ne se traduisent pas par un mouvement massif obéissant à une logique unique, ni même dominante. Une même mobilité peut combiner différentes stratégies de localisation (ancrage, délocalisation partielle, externalisation…). Ses impacts et ses conséquences ne sont pas nécessairement immédiats et directs.

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Une grille de lecture de la mobilité des firmes a donc été construite par l’équipe pour permettre une analyse en termes de trajectoires temporelles. Grâce à cette grille, l’étude offre une illustration d’un certain nombre de cas types de délocalisation et relocalisation.

Construites à partir des éléments significatifs collectés au cours des entretiens, les narratives d’entreprises reconstituées et anonymées rendent compte de la multiplicité des facteurs qui, dans un contexte marqué par la mondialisation des processus productifs, fondent les stratégies de mobilité des entreprises.

4 – Proposer une lecture sectorielle et territoriale de la mobilité des entreprises : quelles stratégies pour l’Aquitaine ?

La grille de lecture construite pour le projet offre la possibilité de resituer la mobilité des firmes dans leurs contextes sectoriel et territorial.

Cinq secteurs jugés prioritaires par les instances régionales font l’objet d’un focus particulier : l’automobile, l’aéronautique, l’informatique de santé, la filière glisse et la pharmacie. Chaque focus rend compte des dynamiques sectorielles de localisation (niveau national ou international) et dresse un panorama des enjeux liés pour l’Aquitaine (en termes de risque de mobilité et d’ancrage des activités).

Il ressort de l’étude que les dynamiques sectorielles sont déterminantes dans la mobilité des firmes. Mais l’action publique possède une influence certaine pour tenter d’infléchir les décisions stratégiques. La synthèse de l’ensemble des résultats de l’étude permet de proposer quelques pistes d’action en vue :

- de prévenir les délocalisations

- et/ou de favoriser les relocalisations en région.

Les deux méthodes mises en œuvre dans l’étude

L’étude repose sur la mise en œuvre de deux méthodes. L’une est statistique (construction d’une base de données) et l’autre est qualitative (réalisation d’entretiens).

L’un des apports du projet est d’ordre méthodologique. Partant de l’objectif de dresser un bilan quantitatif des mouvements de localisation-délocalisation-relocalisation des activités économiques en Aquitaine, l’équipe a été confrontée au manque de données statistiques disponibles sur la question. En suivant alors les méthodologies proposées par l’ERM (European Restructuring Monitor) au niveau européen et J.-P. Chanteau1 dans son étude de la région Rhône-Alpes, nous avons construit une base de données originales (ESPA) repérant, autant que faire se peut, les mouvements de mobilité en Aquitaine (industries manufacturières et services aux entreprises). Deux années ont été retenues (2003 et 2008).

ESPA est renseignée à partir des informations publiées par l’Aquitaine Presse Service (APS) et elle est complétée par la base DIANE, le site Internet Société.com ou les sites Internet des entreprises. D’autres sources de presse ont parfois été mobilisées afin d’affiner l’information

1 CHANTEAU Jean-Pierre, 2008, "Quantification et analyse stratégique des délocalisations : une étude empirique sur données d’entreprises", Revue d’économie industrielle, n°124, pp. 23-50.

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relative aux motivations à la mobilité (notamment la base de données Factiva qui recouvre l’ensemble de la presse nationale et régionale).

Les opérations recensées sont d’abord codées, puis analysées, selon qu’elles contribuent à renforcer le potentiel productif de la région (création d’entreprises et/ou d’établissements, reprises et extension d’activités, y compris les délocalisations à destination de l’Aquitaine) ou à réduire la capacité productive de l’Aquitaine (fermetures, investissements à l’étranger ou à destination d’autres régions françaises, y compris les délocalisations depuis l’Aquitaine).

Objectif général du travail d’enquête

Le cœur de l’étude repose sur la réalisation d’une série d’entretiens approfondis. De dimension qualitative, le travail d’enquête rend compte de la complexité des facteurs et du processus de décision qui, au sein de l’entreprise, fondent la stratégie de localisation des activités. Ces stratégies ne s’éclairent pleinement et ne peuvent s’expliquer qu’à la lumière des dynamiques sectorielles dans lesquelles elles s’inscrivent.

Le travail d’enquête intègre cette double dimension, entre dynamique d’ensemble d’un secteur et stratégie plus « individuelle » de l’entreprise, et permet de resituer ces réalités sectorielles et d’entreprises dans le territoire aquitain. Pour ce faire, une cinquantaine d’entretiens approfondis (d’une durée moyenne d’une heure et trente minutes) ont été menés auprès de deux groupes d’acteurs : des représentants (responsables) d’entreprises issus des différents secteurs retenus pour l’étude (une trentaine) ; des experts sectoriels et des associations et organisations professionnelles ainsi que des représentants des institutions et organismes en charge de la politique économique du territoire (une douzaine).

Pour des raisons de confidentialité, la liste des personnes rencontrées n’est pas reproduite dans le présent rapport.

Méthodologie du travail d’enquête

Les entretiens auprès des acteurs de la politique économique locale ceux menés auprès des représentants professionnels et des experts sectoriels ont poursuivis le même objectif de croiser les points de vue des représentants de la politique territoriale sur :

- la réalité et les facteurs explicatifs des délocalisations/relocalisations en Aquitaine ;

- le risque à venir des délocalisations

- les tendances à la relocalisation

Les enquêtes auprès des entreprises avaient pour enjeu majeur de reconstruire des histoires vécues de mobilité en vue d’en comprendre le processus et de recueillir les expériences et les attentes en matière de politique publique des acteurs impliqués dans ces mouvements.

Un travail préalable de sélection a été réalisé auprès de personnes ressources en lien avec la DIRECCTE. Une vingtaine d’entreprises ont été ciblées lors de cette phase, retenues sur la base d’un double critère : leur appartenance à l’un des secteurs retenus et/ou le fait qu’elles aient été confrontées à une situation de mobilité. Le ciblage s’est affiné et s’est complété au cours des entretiens (notamment ceux auprès des institutionnels et des représentants sectoriels).

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Dans cette phase du travail d’enquête, la focale a été placée sur les « stratégies » de localisation des entreprises (délocalisation, absence de délocalisation, relocalisation). L’approche est donc résolument qualitative puisqu’elle vise à déconstruire puis reconstruire le processus de décision conduisant au « choix » de localisation.

Suivant une méthodologie éprouvée par les économistes du GREThA, la « stratégie » de l’entreprise est appréhendée comme le produit d’une combinaison de quatre relations fondamentales : la relation avec les travailleurs, la relation avec les fournisseurs, la relation avec les clients et la relation avec les financeurs.

Une compilation de données (fiche entreprise et dossier de presse) a été réalisée pour chacune des entreprises enquêtées, préalablement aux entretiens approfondis conduits auprès de leurs responsables et décisionnaires afin :

a) de mettre à jour les caractéristiques essentielles de chacune des quatre relations constitutives de la stratégie ;

b) d’identifier les principaux éléments qui, dans ces relations, ont conduit l’entreprise à son choix de localisation ;

c) de décrire et analyser le processus de décision qui a conduit à ce choix.

Testé dans une première phase auprès de quatre entreprises, un guide complet d’entretien semi ouvert et une grille d’analyse ont été mis à disposition des enquêteurs. Ils sont directement issus de la grille de lecture mobilisée pour cette étude.

Plan du rapport

Le rapport est composé de trois parties.

1 – « Les délocalisations : une réalité controversée » pose la question de la France face aux délocalisations. La contextualisation du phénomène et le développement de la grille d’analyse qui en découle font l’objet de cette première partie.

2 – « ESPA : une évaluation de la mobilité des activités en Aquitaine » présente la base de données originale construite pour l’étude et détaille les éléments de cadrage qui ressortent, relativement à la mobilité des activités économiques sur le territoire aquitain. Le poids et les formes des délocalisations vers et depuis l’Aquitaine sont resitués dans cette mobilité.

3 – « Analyse qualitative de la mobilité des firmes : enjeux et orientations possibles pour l’Aquitaine » offre, en mobilisant la grille de lecture développée dans la première partie, trois grandes séries de résultats. Le premier chapitre est dédié à l’illustration des « cas types » reconstruits en termes de trajectoires de mobilité. Les focus sectoriels et les résultats de l’ensemble de l’enquête qualitative sont ensuite synthétisés et discutés dans un second chapitre mettant en relief une série d’enjeux et d’orientations possibles pour l’Aquitaine.

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Sommaire

Présentation de l’étude 3

Synthèse 11

Partie 1 - Les délocalisations : une réalité controversée 23 Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on ? 24 Section 2. Les délocalisations : quelle quantification du phénomène et quels enjeux sous-jacents ?29 Section 3. Les facteurs explicatifs des délocalisations 37 Conclusion de la partie 1 56

Partie 2 - ESPA : une évaluation de la mobilité des activités économiques en Aquitaine 57 Section 1. Présentation de la Base de Données des Evolutions des Structures Productives en Aquitaine (ESPA) 59 Section 2. Un panorama général de l’évolution des capacités productives en Aquitaine 63 Section 3. Les créations d’entreprises et les implantations en Aquitaine 71 Section 4. Les fermetures, faillites et réductions significatives d’effectifs 81 Section 5. Le renforcement du potentiel régional 86 Section 6. Les délocalisations à destination de l’Aquitaine 93 Section 7. Entre attractivité et ancrage : les acquisitions et les prises de participation en Aquitaine 97 Section 8. La mobilité extra-régionale (y compris délocalisations) des entreprises aquitaines 102

Partie 3 - Analyse qualitative de la mobilité des firmes : enjeux et orientations pour l’Aquitaine 113

Chapitre 1 - Histoires de mobilité en Aquitaine 115

Chapitre 2 - Synthèse des expériences de mobilité en Aquitaine et pistes d’action 140 Section 1. Les déterminants de la mobilité : focus sur cinq secteurs en Aquitaine 142 Section 2. Les enjeux de la mobilité des firmes en Aquitaine : des faits saillants aux pistes d’action 168

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Synthèse

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Préambule : la problématique des délocalisations à l’échelle régionale

L’actualité des délocalisations se lit dans la médiatisation croissante du phénomène et de ses effets sociaux présumés. Si elles peuvent être vues comme une manifestation de la globalisation des économies, leurs évolutions quantitative et qualitative retiennent l’attention des décideurs et des praticiens.

Plutôt que de proposer un nouveau diagnostic macroéconomique des délocalisations, l’étude du GREThA et de la DIRECCTE analyse le phénomène depuis une échelle d’observation infranationale, celle de la région. C’est en effet à cette échelle que se manifestent les effets productifs et économiques des délocalisations (et des relocalisations) et que se contextualisent les décisions des entreprises.

Les délocalisations sont une source inépuisable de débats car elles ne font pas l’objet d’une définition consensuelle ni de mesures satisfaisantes. Certes les effets mesurés sur l’emploi (principale crainte suscitée par ce mouvement) apparaissent faibles, mais la rapidité des transformations actuelles du commerce européen (ouverture à l’Est) et la montée des pays émergents (des BRIC en général et de la Chine en particulier) renforcent les inquiétudes à ce sujet.

D’une façon générale, la théorie économique souligne les effets bénéfiques sur la croissance de cette forme de mondialisation qui contribue à l’approfondissement des « avantages comparatifs dynamiques » et à la diffusion des technologies au niveau mondial. Il reste que l’accélération du processus présente dans certains cas des dangers à la fois pour les pays émergents (enfermés dans une stratégie coût empêchant toute forme de rattrapage) et pour les pays développés (perte de compétitivité dans certains domaines). Le jeu des effets de compensation n’est donc pas assuré ce qui, d’un point de vue théorique, laisse entrevoir le risque d’une dégradation des conditions locales (nationales) de l’emploi. Cette indétermination des effets des délocalisations est d’autant plus prononcée au niveau des régions que les effets négatifs à court terme peuvent ne pas être compensés dans une temporalité équivalente ou au sein de la zone initialement concernée.

La présente étude a pour but de contribuer à une meilleure compréhension des mouvements de délocalisation en Aquitaine à partir du recueil d’expériences locales. A cet effet, deux méthodes ont été mobilisées : un dépouillement de la presse locale à des fins de quantification du phénomène et une série d’entretiens approfondis à des fins de compréhension des motivations à la délocalisation. Dans les deux cas, il s’est avéré nécessaire de repenser les délocalisations comme modalité particulière de la mobilité des entreprises.

L’éclairage proposé des situations observées repose sur une approche sectorielle des déterminants de la mobilité au travers de la mobilisation d’une grille permettant de comprendre les logiques d’ancrage et de mobilité des entreprises. Cette étude s’intègre dans le projet de recherche ESCAPE (CCRRDT Région Aquitaine, 2010-2013).

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1- Les termes du débat Définition, mesures, impacts sur l’emploi, déterminants : les délocalisations, de quoi parle-t-on ? Un premier temps consiste à poser les termes du débat.

Les délocalisations : une absence de définition consensuelle

On sait combien la notion de délocalisation est floue et pose des problèmes de mesure. Stricto sensu, une délocalisation suppose la fermeture d’une unité de production sur le territoire national suivie de sa réouverture à l’étranger, en vue de réimporter sur le territoire national les biens produits et/ou de continuer à fournir les marchés d’exportation à partir de cette implantation. Cette définition ne permet ni de prendre en compte la complexité du phénomène ni de le mesurer correctement. Au contraire, elle le sous-estime. Afin de ne pas négliger les différents types de déplacements d’activités (fermeture partielle, IDE, non localisation), une définition élargie des délocalisations s’impose. On considère alors, avec la Commission des Finances française, que sur un plan microéconomique, la délocalisation regroupe tous les arbitrages réalisés par les entreprises dans un sens défavorable à la localisation des activités et des emplois sur le territoire national. Cette définition permet de resituer les choix de localisation dans l’ensemble du processus décisionnel de l’entreprise.

Le poids des délocalisations : une absence de mesure satisfaisante

Les débats portant sur la définition se retrouvent dans l’hétérogénéité des modes de quantification des mouvements de délocalisation. Chaque type de mesure a ses limites. La mesure par la suppression d’emplois imputés, dite mesure directe, sous-estime le phénomène ; la mesure indirecte en termes d’investissements directs à l’étranger ou d’importations donne une indication

d’ampleur mais n’offre pas d’évaluation fiable des délocalisations qui ne sont pas assimilables aux IDE ou aux importations. En l’absence d’enquête systématique sur les délocalisations, aucune tentative de mesure ne peut fournir, comme le rappelle l’OCDE dans différents rapports, une appréhension satisfaisante du phénomène. Les études sur les délocalisations : analyse

de quelques idées reçues Les études et les enquêtes menées sur la question permettent cependant d’interroger quelques idées reçues couramment admises. Idée reçue n°1 : les délocalisations sont un important facteur de destruction d’emplois Une étude de l’OCDE montre que lorsque la part de production des biens manufacturés externalisée à l’étranger puis importée augmente de 1%, la perte d’emplois dans le pays d’origine se chiffre à 0,15% de l’emploi sectoriel. L’ERM, observatoire européen des restructurations, estime quant à lui que seuls 6 % des emplois détruits en France seraient imputables aux délocalisations (la majorité des destructions proviennent de faillites ou fermetures). L’effet des délocalisations sur la destruction d’emploi serait donc sinon négligeable, du moins marginal au niveau macroéconomique. Les évaluations statistiques nuancent ainsi les préjugés sur l’étendue du phénomène, mais son accélération dans la période récente et la fragilité des mesures proposées doivent être rappelées.

L’impact direct sur le niveau d’emploi semble marginal au niveau macroéconomique

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Idée reçue n°2 : les délocalisations se font à destination des pays « low cost »

D’après une enquête de l’INSEE, une légère majorité (53%) des délocalisations au sens large ne se font pas vers des pays à bas salaires mais entre pays développés.

Les délocalisations se font autant à destination des pays développés que des pays low cost

Idée reçue n°3 : les délocalisations sont motivées par les différentiels de coûts salariaux La hiérarchie des critères énoncés par les entreprises pour justifier leur choix d’externalisation dans les différentes enquêtes (AFCCI, KPMG, A.T. Kearney, Ernst and Young) ne permet pas d’attester de la prédominance de la motivation par les coûts salariaux. Les diverses enquêtes montrent qu’il existe un large éventail de déterminants des délocalisations. Sont ainsi mis en évidence le recentrage sur le cœur de métier et la recherche de compétences complémentaires externes. Ceci autorise un transfert des coûts fixes (et parfois des risques) sur les fournisseurs afin de générer une réduction des coûts et une amélioration de la performance productive et commerciale. La pénétration de nouveaux marchés et la conservation des clients actuels peuvent se conjuguer pour motiver les délocalisations.

Le choix de délocaliser : une pluralité de facteurs explicatifs

Des motivations aux enjeux : deux tendances remarquables

Tendance n°1 : Des délocalisations sous contrainte, la pression des parties prenantes L’enquête AFCCI met en exergue les pressions de la clientèle (donneurs d’ordres et clients) et des actionnaires qui poussent les entreprises à délocaliser. Tendance n°2 : Des enjeux locaux, dépendants du contexte sectoriel Les impacts positifs et négatifs sur l’emploi et sur le tissu productif, s’ils peuvent se compenser au niveau national, sont ressentis différemment, et peuvent perdurer, au niveau local. Les secteurs de basse technologie, tels que le textile ou l’habillement-cuir, qui emploient une main d’œuvre peu qualifiée, sont plus enclins à délocaliser vers les pays low cost (motivation par les coûts salariaux). Mais certains secteurs de plus haute intensité technologique semblent de plus en plus attirés par les pays émergents (biens d’équipements, électronique, etc.). Les différences régionales s’expliquent par la composition du tissu productif local. Une région qui concentre majoritairement des secteurs de basse technologie sera plus sensible aux délocalisations qu’une région dont le tissu productif est basé sur des industries de haute technologie. Cependant, cette logique pourrait être remise en cause par de nouvelles formes spécifiques de délocalisations, touchant les laboratoires de R&D, les centres de décision et plus généralement par la restructuration internationale de la chaîne de valeur.

Ces divers enseignements incitent à déplacer la réflexion vers une analyse dans la durée afin d’appréhender la mobilité des entreprises comme un processus temporel et une trajectoire décisionnelle. Deux techniques d’étude doivent pour cela être mises en œuvre (voir encadré).

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Les deux méthodes mobilisées dans l’étude

La construction d’une base de données originale (ESPA). La base de données ESPA (Evolution des Structures Productives en Aquitaine) a été spécifiquement construite pour évaluer le poids des délocalisations dans la mobilité des firmes en Aquitaine. Elle recense les mouvements de mobilité, depuis et à destination de l’Aquitaine, observés en 2003 et 2008 pour les industries manufacturières et les services aux entreprises. Les informations publiées par Aquitaine Presse Service (APS) sont la principale source de renseignement d’ESPA. La réalisation d’une enquête de terrain. Afin de comprendre les choix de localisation (délocalisations et relocalisations) dans leur contexte sectoriel et spatial, une cinquantaine d’entretiens approfondis ont été menés auprès de représentants (responsables) d’entreprises, d’experts sectoriels et de représentants des institutions et organismes en charge de l’animation économique du territoire. Ce travail d’enquête intègre la double dimension de la dynamique d’ensemble d’un secteur et de la stratégie plus « individuelle » de l’entreprise en les resituant dans le territoire aquitain.

2- ESPA : le poids des délocalisations dans la mobilité des firmes en Aquitaine

Le principe d’enregistrement des opérations de mobilité dans ESPA

ESPA recense les opérations de mobilité des activités productives depuis ou à destination du territoire aquitain :

- selon qu’elles contribuent à renforcer le potentiel productif de la région (création d’entreprises et/ou d’établissements, reprises et extension d’activités, y compris les délocalisations à destination de l’Aquitaine)

- ou selon qu’elles participent à réduire la capacité productive de l’Aquitaine (fermetures, investissement à l’étranger ou à destination d’autres régions françaises, y compris les délocalisations depuis l’Aquitaine).

Les quatre grands résultats d’ESPA

1) Les mobilités infranationales et infrarégionales sont les premières

pratiques de mobilité des entreprises La mobilité se joue d’abord au sein de l’espace domestique (national et régional). Ce point est d’importance car il signifie que la question de l’ancrage du potentiel productif se joue aussi dans la capacité à cerner les attentes des entreprises locales, pas seulement dans la capacité à attirer des entreprises étrangères. La question de l’ancrage doit se poser y compris lorsque les enjeux de mobilité à l’international semblent absents.

2) Une attractivité relative mais une véritable capacité d’ancrage des

entreprises étrangères ESPA permet de distinguer les opérations relevant d’un choix initial de localisation de celles relevant d’une réaffirmation, dans le temps, de ce choix. Pour les entreprises étrangères, l’analyse montre : - une faiblesse relative de l’attractivité régionale (difficulté à attirer les entreprises étrangères sur son territoire) - une capacité d’ancrage certaine dans la mesure où les entreprises étrangères implantées sur le territoire aquitain ont tendance à y renforcer leur potentiel productif.

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3) La fragilité de l’industrie manufacturière

Quelle que soit la forme de mobilité étudiée, l’industrie manufacturière apparaît sujette à une certaine faiblesse. L’Aquitaine souffre d’une difficulté récurrente à ancrer les activités manufacturières (notamment les activités de production). Ceci est en particulier vérifié lorsqu’on étudie les délocalisations. N’oublions pas qu’une part importante du tissu local relève du low tech et que ce dernier n’est pas forcément le moins mobile.

4) La pluralité des motifs à la mobilité à l’international

Un des grands enseignements d’ESPA est de vérifier : - la diversité des formes (extension, substitution), des motivations (accès au marché, aux compétences, recherche de gains en termes de coûts) et des destinations (pays développés et low cost) pour la mobilité à l’international. - la dimension temporelle des pratiques de mobilité.

Quelques chiffres sur les délocalisations et les relocalisations en Aquitaine

Les délocalisations à destination de l’Aquitaine

Très difficiles à évaluer sur la base des « annonces » des entreprises, les délocalisations à destination de l’Aquitaine (d’origine étrangère ou nationale) comptent pour seulement 1,2% du total des opérations de mobilité en 2003 (7 cas identifiés) et 2,2% en 2008 (17 cas). Les trois quarts de ces opérations renvoient à une logique de substitution (l’activité en Aquitaine se substitue à l’activité extrarégionale) ; 4 cas sont des cas de relocalisation d’activités précédemment délocalisées depuis l’Aquitaine.

Les pratiques de délocalisations des firmes aquitaines

Le choix de la mobilité extrarégionale pour les entreprises aquitaines (y compris les délocalisations infranationales et les délocalisations à l’étranger) concerneraient 16 opérations en 2003 et 83 en 2008. Parmi ces opérations, seules 4 d’entre elles renvoient à des délocalisations au sens strict en 2003. Ce chiffre est cependant porté à 34 en 2008. En 2008, 12 opérations de délocalisations se font à destination de la France (délocalisations infranationales) et 22 à destination de l’étranger. Les délocalisations pures à l’étranger pèsent ainsi pour 2,9% des opérations de mobilité enregistrées en 2008. Elles concernent très majoritairement les fonctions de production et d’assemblage.

3- Les « narratives » (histoires de mobilité) Entre rapports de forces et repositionnement de gamme

Les objectifs de l’enquête par entretien

Les entretiens menés auprès des acteurs de la politique économique locale et des experts sectoriels ont poursuivi l’objectif de croiser les points de vue sur la réalité et les facteurs explicatifs des délocalisations en Aquitaine, les risques à venir et les tendances à la relocalisation. Les enquêtes auprès des entreprises avaient pour enjeu majeur de reconstruire des histoires vécues de mobilité afin d’en comprendre le processus, ainsi que de recueillir les expériences et attentes des entreprises en matière d’action publique.

Une approche résolument qualitative : la réalisation d’entretiens approfondis auprès des responsables et décisionnaires a permis de déconstruire puis de reconstruire le processus de décision conduisant au « choix » de localisation (délocalisation, absence de délocalisation, relocalisation).

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Les études de cas ont révélé la très grande variété des cas de mobilité en Aquitaine : délocalisation pure, relocalisation, double délocalisation (infranationale et partielle), délocalisation partielle de la R&D, ancrage (plus ou moins incertain) par la ressource, etc.

Quatre faits saillants issus des narratives

Les six « narratives » confirment l’importance des phénomènes de « délocalisation partielle » qui, indissociables des logiques d’externalisation (d’ailleurs peu ou pas mesurées), sont pourtant souvent associés à une stratégie d’ancrage des activités sur le territoire. Le jeu des rapports de forces entre les différentes parties-prenantes de la firme est prégnant dans les choix de localisation (délocalisation versus ancrage). L’étude confirme le poids des délocalisations réalisées « sous-contrainte » des actionnaires ou des donneurs-d’ordres. L’enjeu de l’attractivité du territoire est mis en avant, notamment à travers l’existence d’infrastructures locales adéquates et de systèmes productifs locaux. La présence de sous-traitants compétents est un atout pour des firmes qui sont en recherche de qualité, de réactivité et de répartition de l’effort d’investissement. Ces effets sont renforcés par l’existence d’une demande locale. La mobilité des firmes apparaît fortement sensible à ces éléments. L’attractivité joue aussi au travers des financements publics locaux. Le repositionnement de la gamme des produits (montée en gamme) semble jouer un rôle prépondérant dans la mobilité des firmes. La décision de produire des biens de qualité supérieure est un facteur de non mobilité, voire de relocalisation.

Une illustration par le cas Machette : les impacts d’une « non-délocalisation »

Machette est une entreprise agissant dans la conception, l’assemblage et la maintenance de machines d’usage spécifique. Son secteur d’activité est oligopolistique (deux acteurs se partagent la majorité du marché). En 200X et sous pression de ses actionnaires, l’entreprise envisage la délocalisation de la production en Chine (seule la conception serait maintenue sur le territoire aquitain). Les études spécifiques menées indiquent une économie en termes de coûts de l’ordre de 20%. Parallèlement, les dirigeants réalisent une « contre-étude » montrant qu’en reconcevant les machines (en partenariat avec les sous-traitants locaux), une baisse des coûts de l’ordre de 20 à 25% peut être envisagée. La délocalisation n’est pas effectuée. Dans le temps, le choix de l’ancrage réalisé par Machette aura trois principaux impacts :

- Sur la relation financière par l’acquisition de la minorité de blocage par les dirigeants (souhaitée pour s’affranchir de la pression des actionnaires à la délocalisation)

- Sur la relation commerciale puisque la re-conception des machines se traduira par une remontée en gamme et un repositionnement (sur la réactivité et les services liés)

- Sur la relation d’approvisionnement car la co-conception des machines avec le réseau de sous-traitants (locaux) conduira à un renforcement des liens « locaux » mais aussi à de la délocalisation partielle « par procuration » (ce sont les sous-traitants qui délocalisent une partie de leur production sur demande de leur donneur-d’ordres, Machette).

Cette narrative souligne l’importance des besoins de proximité entre le donneur-d’ordres et ses fournisseurs dans le cas où la dissociation entre conception et production n’est pas totalement praticable. Les dirigeants affirment que « si la production avait été délocalisée, à terme, la conception aurait suivi ».

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L’influence du contexte sectoriel Les exemples de l’aéronautique et du secteur de la glisse

Les trajectoires des firmes ont chacune leur part de spécificité mais l’étude révèle le poids des déterminants sectoriels dans les choix de localisation. Un focus analytique sur chacun de cinq secteurs « clés » en Aquitaine (automobile aéronautique, informatique de santé, pharmacie et secteur de la glisse) a été réalisé. Il ressort que la problématique de la mobilité se pose en des termes différents au sein des cinq secteurs étudiés. La mobilité d’une firme est dépendante du secteur dans lequel elle opère, mais également de la place qu’elle occupe au sein de la filière. A titre d’exemple, le secteur aéronautique et le secteur de la glisse font tous deux preuves d’un ancrage ancien dans la région Aquitaine mais ils sont aujourd’hui concernés par des logiques de mobilité très différentes. Dans le secteur aéronautique, le resserrement de la pyramide d’approvisionnement a positionné les équipementiers et les sous-traitants en « victimes » de la pression sur les prix. La mobilité semble dès lors imposée par les donneurs d’ordres. De plus, la facturation en dollars d’une production effectuée en zone euro pose un dilemme commercial aux donneurs d’ordres du secteur. Ils optent donc pour un transfert du risque de change et du risque d’investissement vers les fournisseurs qui s’efforcent d’ouvrir des sites de production dans les zones dollar. Ces pratiques sont principalement l’apanage de grands groupes, les PME réfléchissent à cette possibilité mais elles n’ont pas toujours les moyens de la mettre en œuvre.

Le secteur de la glisse renvoie largement à celui du textile puisque 80% de la valeur ajoutée est généré par la vente de vêtements et autres équipements textiles. La question de la mobilité s’aborde ici de façon différente car la majorité de la production s’effectue depuis plusieurs années en Asie. Les activités de conception, de marketing, de logistique et de design sont toujours localisées à proximité des bassins de clientèle (choix de la côte basquo-landaise en Europe). La question de la mobilité se pose aujourd’hui pour ces activités. Les sections marketing s’internationalisent et le défaut d’infrastructures ou de formation pourraient conduire les entreprises à délocaliser les activités de logistique ou de design (ailleurs en Europe occidentale). L’ancrage par les « spots de surf » peut se révéler fragile à terme.

4- Ancrage et délocalisation en Aquitaine

Une lecture suivant quatre relations fondamentales

Quatre relations fondamentales structurent les relations que la firme entretient avec ses partenaires : la relation salariale (marché du travail), la relation d’approvisionnement (avec les fournisseurs), la relation commerciale (avec les clients finals ou les donneurs-d’ordres) et la relation avec les financeurs. Au niveau sectoriel, ces quatre relations définissent le jeu concurrentiel. En synthétisant l’ensemble des résultats d’enquête, on peut offrir une lecture des principaux facteurs d’ancrage et de délocalisations selon ces quatre relations. Bien que certains de ces éléments puissent être généralisés, l’analyse reste spécifique à l’Aquitaine.

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La relation financière ou la pression des actionnaires Un facteur d’accélération des délocalisations ?

La relation financière est déterminante pour les choix de localisation. Les différences sont essentielles en fonction de la structure du capital. Premier résultat, la pression actionnariale ressort bien comme un facteur important de fragilisation de l’ancrage local (autrement dit comme un facteur de délocalisation). En revanche, l’attachement au territoire (par l’origine des dirigeants et/ou le cadre de vie « en région ») associé à une structure de propriété plus « locale » joue bien son rôle de facteur d’ancrage. La relation financière renvoie aussi au rôle des financements publics pour l’attractivité et l’ancrage des activités sur le territoire. Un constat et une proposition ressortent de l’analyse du discours des dirigeants. Le constat : les aides publiques sont plébiscitées par les PME (en particulier le crédit impôt recherche) mais certaines d’entre elles peuvent avoir des effets macroéconomiques (nationaux) limités et nuancés par le jeu de la concurrence territoriale. La proposition : le dispositif financier d’aides publiques pourrait être renforcé et doublé d’un principe de reversement lorsque le risque diminue.

La relation d’approvisionnement ou le paradoxe de la « dictature » des coûts

L’argument du moindre coût est systématiquement évoqué ou invoqué par les responsables d’entreprises… mais il s’accompagne d’une imprécision chronique du calcul « ex ante ». Pourquoi une telle imprécision que les entretiens approfondis et confidentiels ne permettent pas de lever ? Deux interprétations sont possibles :

- l’élément serait trop stratégique pour être dévoilé ; - le coût global réel ne se révèlerait qu’au cours de l’expérience, une fois la décision prise et

la délocalisation effective. Le « coût réel » serait incalculable ex ante. N.B. D’après les expériences de mobilité analysées, le coût réel serait sensiblement différent en fonction de la taille de l’entreprise (relativement plus élevé pour la PME en raison, notamment, de son défaut de pouvoir de négociation, auprès des fournisseurs comme des autorités, et pouvant conduire à la relocalisation de l’entreprise). La décision de délocaliser ne dépend pas nécessairement d’un calcul en termes de coûts. La dépendance de l’entreprise (par exemple au donneur-d’ordres) peut-être telle que la « décision » ne dépend pas d’un tel calcul. Le discours sur la séparabilité des activités de conception (au Nord) et de production (au Sud) ne semble pas passer l’épreuve des faits. L’innovation est un facteur d’ancrage par la différenciation, la qualité et le service MAIS les interactions entre conception et production limitent les possibilités de séparation géographique DONC l’innovation retient la production, mais si la production part, à terme la conception suivra.

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La relation commerciale ou l’impératif de qualité La relation commerciale peut jouer tout à la fois comme facteur d’ancrage et comme facteur de mobilité des activités. La relation commerciale : facteur de mobilité Le premier motif est bien entendu l’accès à de nouveaux marchés. L’apprentissage lié à ces implantations facilite alors les délocalisations éventuelles futures : à partir d’une masse critique d’implantations sur les marchés offshore, le verrou de la distance culturelle et logistique s’estompe jusqu’à pouvoir devenir un accélérateur des délocalisations. Le second motif peut être celui du « suivi » des donneurs-d’ordres (voire des fournisseurs) : la mobilité des grands donneurs d’ordres s’accompagne généralement de celle de leurs principaux fournisseurs. La relation commerciale : facteur d’ancrage La relation commerciale reste l’un des principaux facteurs d’ancrage des entreprises au travers du besoin de proximité au marché MAIS la proximité peut être gérée de manière temporaire (simple implantation commerciale ou délégation de personnel chez le client) DONC la proximité au marché joue finalement plus à l’échelle nationale ou des grandes zones. Le nearshore (délocalisation à proximité) est alors compatible avec la contrainte de proximité au marché. La stratégie d’ancrage la plus souvent constatée est celle qui mise sur la remontée en gamme par différenciation (innovation, marketing « Made in France », qualité, réactivité et services) et le rôle des normes (par exemple celles montantes du développement durable, tant au plan environnemental que social). Cette stratégie est celle qui est invoquée dans les cas de relocalisation et de « non-délocalisation » analysés dans l’étude. On constate à ce titre le rôle important des grands comptes qui sont en capacité d’influencer les stratégies de localisation de leurs fournisseurs au travers des critères de leur approvisionnement (le plus souvent liés à des normes de développement durable).

La relation salariale ou l’ancrage par les compétences Les débats autour du coût de la main d’œuvre sont évidemment au centre de la motivation des délocalisations Globalement, les délocalisations touchent d’abord et principalement les parties du processus productif les plus intenses en main d’œuvre. MAIS on retrouve l’imprécision de calcul ex ante et la relativisation de l’avantage du coût par l’élévation des prix liée à l’élévation de la qualification de la main d’œuvre dans les pays émergents. L’ancrage des activités productives et la maîtrise des délocalisations sont envisageables en Aquitaine car la région peut s’appuyer sur la main d’œuvre qualifiée disponible dans le bassin d’emplois aquitain. Sont alors soulignés :

- l’enjeu de la qualité de l’offre de formation en tant que facteur d’attractivité et d’ancrage (la région, lieu de production et d’attraction de talents)

- la capacité du système de formation (écoles et universités) à favoriser et à structurer l’émergence de réseaux sociaux innovants

- la nécessité d’améliorer les moyens de transport pour favoriser la connexion avec les autres villes françaises et européennes (mobilité temporaire de la main d’œuvre).

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5- Quelques pistes pour l’Aquitaine Entre actions spécifiques et politiques transversales

Constat d’ensemble : le risque de mobilité varie d’une entreprise à l’autre suivant la combinaison dans le temps des quatre relations. Les enquêtes qualitatives mettent à jour une grande diversité de cas en Aquitaine combinant des dimensions sectorielles, stratégiques et territoriales propres. Ce constat appelle deux types d’actions combinés : des actions relevant d’une démarche ciblée (actions individualisées) et des actions s’inscrivant dans le renforcement des politiques transversales. Elles font l’objet de six propositions formulées en partenariat avec la DIRECCTE.

Une démarche ciblée : l’ajustement de l’action publique

Le renforcement des actions transversales

Proposition 1

Développer une expertise régionale dans le domaine de la mobilité des entreprises

Compte tenu de la complexité du phénomène et de sa méconnaissance

Proposition 4

Améliorer l’environnement local de la production

En privilégiant le développement des réseaux (haut débit, énergie et transport) et l’inter-modalité pour répondre au besoin croissant

d’approvisionnements de proximité

Proposition 2

Evaluer les systèmes d’aides publiques existants, en particulier au regard de leur

cohérence à l’échelle nationale

&

Ajuster les types d’aide en fonction du risque de mobilité et des capacités

alternatives d’ancrage

Proposition 5

Appuyer les stratégies hors coûts des entreprises en passant de l’innovation à la

créativité mieux articuler recherche et innovation ;

étendre le champ des interactions concernées par une politique d’innovation territoriale en

sortant de la dimension strictement technologique de l’innovation

Proposition 3

Accentuer l’implication des acteurs institutionnels dans la gouvernance

horizontale du territoire Dans une logique de coopération et non de

concurrence territoriale

Proposition 6

Passer de l’attraction volontariste à l’attractivité

capter les « ressources » productives externes vs créer les conditions de l’attractivité par un appui aux dynamiques locales, passant par le renforcement de partenariats locaux et non

locaux

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Partie 1

Les délocalisations : une réalité controversée

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Introduction

La question des délocalisations est largement étudiée dans la littérature économique et débattue sur la scène publique. Or, parler de délocalisation n’est pas chose aisée. On sait combien cette notion est floue et pose des problèmes de mesure (Arthuis , 2005 ; Aubert et Sillard, 2005 ; Bouba-Olga, 2006 ; Mouhoud, 2006)2.

« Les délocalisations : une réalité controversée » se propose de poser la question de la France face au phénomène des délocalisations. Pour en saisir les enjeux et présenter les objectifs de notre analyse spécifique à l’Aquitaine, sa structure suit celle des principales études réalisées sur la question.

Dans un premier temps, nous précisons ce qu’il faut entendre par « délocalisations » (section 1). En cherchant ensuite à proposer un bilan chiffré des délocalisations, nous sommes conduits à exposer les problèmes de mesure posés et à envisager les enjeux sous-jacents du phénomène, non mesurables (section 2). Sont ensuite discutés les déterminants (autrement dit les motivations) des délocalisations que nous nous proposons d’envisager dans le temps et en tenant compte des contextes sectoriels et territoriaux dans lesquels les firmes s’inscrivent (section 3). Enfin, nous résumons les principales recommandations couramment formulées en termes de politique publique (section 4).

*

* *

Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on ?

Plusieurs réalités aux impacts sociaux et économiques différenciés cohabitent sous le terme unique de délocalisation. Parler des délocalisations nécessite donc de préciser le sens qu’on leur donne, autrement dit de revenir sur la définition même du phénomène.

1.1. La définition stricto sensu des délocalisations

La définition la plus étroite considère qu’il y a délocalisation si un espace de production « étranger » se substitue totalement à un espace de production national :

Une délocalisation se définit comme la fermeture d’une unité de production sur le territoire national suivie de sa réouverture à l’étranger, en vue de réimporter sur le territoire national les biens produits et/ou de continuer à fournir les marchés d’exportations à partir de cette implantation (Fontagné et Lorenzi, 2005)3.

Le phénomène est facilement repérable donc aisément mesurable. Elle est d’ailleurs fréquemment mobilisée en Europe et aux Etats-Unis où le débat se focalise sur la question des emplois supprimés. La définition se heurte toutefois à la qualité et à l’incomplétude des sources de données, mais ce n’est pas sa principale limite.

2 Arthuis, 2005, La globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois, Rapport au Sénat ; Aubert P., Sillard P., 2005, Délocalisations et réduction d’effectifs dans l’industrie française, Insse ; Bouba-Olga O., 2006, Les nouvelles géographies du capitalisme, Comprendre et maîtriser les délocalisations, Seuil ; Mouhoud el M., 2006, Mondialisation et délocalisation des entreprises, Repères, La Découverte. 3 Fontagné et Lorenzi, 2005, Désindustrialisation, Délocalisations, Rapport du Conseil d’Analyse Economique.

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Son principal défaut est de sous-estimer le phénomène : elle ne prend en compte ni les déplacements partiels d’activité, ni le recours à la sous-traitance internationale (Benaroya, 2005)4. Cette définition est ainsi qualifiée de restrictive. Il est en outre impossible d’identifier dans quelle mesure les firmes font, dans le cadre de la délocalisation, appel à leurs filiales historiquement implantées à l’étranger et orientées pour ce marché. Or, l’ensemble de ces éléments relève bien des logiques de la délocalisation. Pour en tenir compte, il est nécessaire de partir d’une définition élargie.

1.2. Elargir la notion de délocalisation : proposition de définition

L’élargissement de la définition se fait en abandonnant la logique de pure substitution, autrement dit de fermeture/ouverture. Dans cette perspective, l’OCDE (OCDE, 2007)5 propose de définir une délocalisation de la manière suivante :

Déplacement total ou partiel d’une activité industrielle (manufacturière ou de services) à l’étranger, soit auprès d’une filiale existante ou nouvelle, soit à travers une sous-traitance auprès de firmes non affiliées. La partie de l’activité délocalisée qui auparavant été destinée au marché intérieur est ensuite importée.

Cette définition permet d’appréhender des réalités connexes à celle que recouvre la définition stricto sensu et conduit à préciser un ensemble de termes qui font désormais partie du débat public (cf. encadré 1.1).

Encadré 1.1. Les termes associés aux délocalisations selon l’OCDE

Externalisation (outsourcing) : utilisation de biens ou services produits à l’extérieur de l’entreprise. - Si elle a lieu à l’intérieur du pays où est localisée l’entreprise : domestic outsourcing ; - Si elle a lieu à l’étranger : outsourcing abroad.

Délocalisation (offshoring) : externalisation à l’étranger.

On distingue deux formes de délocalisations : - L’Offshore-inhouse sourcing : au sein du même groupe, soit des filiales préexistantes, soit des filiales créées à partir de zéro (ex nihilo, filiales « greenfields ») - Le transfert auprès d’une entreprise non affiliée (offshore outsourcing) : c’est de la sous-traitance à l’étranger (subcontracting aboard).

On se situe néanmoins dans une acception encore trop restrictive car seuls sont pris en compte les déplacements (complets ou partiels) d’activités.

• Les délocalisations : une proposition de définition « extensive »

L’approche retenue par la Commission des Finances française permet de tenir compte des cas de « non localisation », autrement dit de resituer le phénomène dans l’ensemble du processus décisionnel de l’entreprise :

4 In Fontagné et Lorenzi, 2005, op. cit. 5 Les délocalisations et l’emploi : tendances et impacts, Emploi, OCDE, 2007, pp. 1-216.

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Sur un plan micro-économique, la délocalisation regroupe tous les arbitrages réalisés par les entreprises dans un sens défavorable à la localisation des activités et des emplois sur le territoire national (Arthuis, 2005 ; Brunel, 20066).

La « délocalisation » désigne alors toute localisation réalisée à l’étranger qui s’effectue aux dépens d’une localisation domestique. La définition suppose un lien mécanique et négatif entre délocalisation et emploi dans le pays émetteur et elle nous autorise à exclure les stratégies de localisation à l’étranger à des fins de desserte du marché local. Trois types de délocalisations peuvent maintenant être distingués :

- La délocalisation pure : transfert direct vers un pays étranger d’activités réalisées sur le territoire national (entraînant la fermeture ou la réduction forte de l’activité des sites sur ce territoire) ;

- La délocalisation diffuse (ou partielle) : transfert et regroupement vers un pays étranger d’une activité répartie sur un ou plusieurs sites sur le territoire national (et n’entraînant pas nécessairement de fermeture) ;

- La non-localisation : ouverture à l’étranger d’activités qui auraient pu être ouvertes sur le territoire national (elles sont par nature très difficiles à évaluer).

Cette définition (extensive) pose un véritable problème de mesure. Il devient difficile de repérer et donc de quantifier ce qui relève réellement des délocalisations dans les stratégies d’internationalisation des firmes. Mais elle offre l’avantage indéniable de refléter la complexité du phénomène.

1.3. L’intérêt de la définition : la prise en compte de la complexité du phénomène

Les délocalisations concernent aussi bien les transferts d'activités que les localisations d'unités nouvelles (avec ou sans prise de participation en capital) ayant pour objectif de réexporter la production. La volonté d’envelopper ces différentes réalités dans ce qu’elles ont de commun renvoie à la question de la prise de décision, autrement dit à un choix de nature micro-économique. C’est dans cette différence avec les analyses macroéconomiques que réside l’intérêt de l’approche extensive des délocalisations : la délocalisation est le fait des firmes.

La complexité des délocalisations se retrouve dans les formes organisationnelles multiples qu’elles peuvent prendre. Elles vont de la sous-traitance, aux Investissement Directs à l’Etranger (IDE), en passant par des créations de filiales. Proposé par Van Welsum et Vickery (2004) et repris par l’OCDE7, un tableau à double entrée croisant la localisation de la firme (nationale ou internationale) avec son mode d’approvisionnement (externe ou interne), permet de mieux situer les délocalisations par rapport aux logiques plus larges de l’externalisation (figure 1.1).

6 Arthuis, 2005, op. cit ;, Brunel, 2006, Les délocalisations, Rapport d’informations à l’Assemblée Nationale. 7 Molnar M., Pain N., Taglioni D., 2007, The Internationalisation Of Production, International Outsourcing And Employment In The OECD, Economics Department Working Papers N°.561.

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Figure 1.1. Délocalisations et externalisation

Localisation Nationale

(dans le pays considéré)

Internationale (dans d’autres pays)

Auprès d’autres entreprises

(externalisation)

Externalisation dans le pays

Externalisation internationale

Mode d’approvisionnement Au sein de

l’entreprise (approvisionnement

interne)

Approvisionnement interne dans le pays

Approvisionnement interne international

Délocalisation

Source : Van Welsum et Vickery (2004)8.

Le déplacement de perspective que nous retenons a des conséquences du point de vue de l’analyse. Il oblige à considérer les délocalisations sous l’angle d’un processus dont il faut saisir la temporalité. Parallèlement, il suggère de changer d’échelle spatiale.

La question de la mobilité des firmes s’insère : dans son environnement national (souvent signalé en termes de fiscalité, de coûts et de législation du travail, etc.) ; mais aussi dans son contexte productif local (ou territorial). La question des délocalisations ne peut donc être durablement dissociée de celle, plus générale, de la localisation. Autrement dit, elle ne peut être envisagée indépendamment des questions d’attractivité et de compétitivité des territoires. Parce que les lieux de la mobilité ne se réduisent pas aux espaces nationaux, il faut aussi considérer la mobilité des firmes à l’échelle infranationale.

1.3.1. Les échelles spatiales des délocalisations : à l’international et à l’infranational

On distingue généralement trois formes de délocalisations suivant la proximité géographique de l’espace de production à l’espace de consommation (finale ou intermédiaire). Dans la mesure où les problématiques diffèrent selon la distance (coûts de coordination économiques, évolution des réglementations juridiques, etc.), cette typologie enrichit la définition des délocalisations :

- Le offshore traduit l’idée de délocalisations lointaines (par exemple depuis la France vers l’Inde ou la Chine).

- Le nearshore désigne les « délocalisations à proximité », c'est-à-dire dans un pays géographiquement proche (par exemple le Maroc ou la Roumanie pour la France).

- Le onshore (ou délocalisations sur le territoire national) a deux acceptions.

o Il traduit d’abord le fait de faire venir travailler des étrangers selon la législation du travail de leur pays d’origine. En l’état actuel des

8 Van Welsum, D. Vickery, G. (2006), Potential Impacts of International Sourcing on Different Occupations, DSTI/ICCP/IE(2006)1, OECD, Paris.

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réglementations, le onshore est autorisé aux Etats-Unis mais, pour l’instant, prohibé en Europe9.

o Selon une deuxième acception, le onshore désigne les « délocalisations » d’activités au niveau infranational (en général de la capitale vers la province), notamment motivée par les différentiels salariaux pouvant exister entre régions.

Il est primordial de tenir compte de ces deux dernières formes de mobilité dans notre analyse des délocalisations car les enjeux de compétitivité et les politiques d’attractivité mettent en jeu la concurrence entre territoires, à l’échelle infranationale aussi.

1.3.2. La compétitivité et l’attractivité des territoires. La mobilité des activités économiques est nécessairement liée à la compétitivité et à l’attractivité des territoires. Le choix auquel l’entreprise est confrontée n’est pas simple car il ne se résume pas à quitter ou non l’espace productif national. La localisation dépend certes de facteurs macroscopiques, à l’instar de celui des écarts internationaux de coût des facteurs, mais la décision s’éclaire différemment lorsque l’on tient compte de la qualité relative des espaces de départ et d’arrivée, telle qu’une zone industrielle, un cluster, un territoire productif, une métropole, etc. Par exemple, lorsque le secteur informatique délocalise en Inde, ce n’est pas nécessairement l’Inde qui est choisie mais Bangalore et toutes les singularités productives, institutionnelles, technologiques qui lui sont associées. Peut-être en va-t-il de même lorsque les constructeurs et les équipementiers automobiles s’installent au Maroc, initialement dans la région de Casablanca, puis plus récemment à Tanger.

Dans ces conditions, les délocalisations, mais aussi les relocalisations conçues comme un retour sur le territoire originel d’activités précédemment délocalisées, sont un révélateur de la compétitivité des espaces. S’il est bien question d’attirer de nouvelles activités économiques – et notamment d’attirer en Région ce qui pourrait partir sous la forme du nearshore – les mouvements de délocalisation/relocalisation rappellent qu’il est aussi question d’ancrage et qu’ils sont alors à considérer sous l’angle de la compétitivité des espaces.

*

* *

La notion de délocalisation est loin de faire l’objet d’une définition consensuelle et unifiée. Plusieurs définitions co-existent selon que l’on adopte une vision étroite ou large du phénomène à étudier. De ce débat terminologique, on retient l’intérêt analytique d’une définition extensive. Elle seule permet d’appréhender la complexité du processus plus général de la localisation de la firme : dimension temporelle, influence des stratégies organisationnelles des entreprises (en particulier la question de l’externalisation), phénomènes exogènes concernant la compétitivité et l’attractivité des territoires.

9 Une des clauses de la directive Bolkestein entendait autoriser la référence au droit du travail d’origine pour les tâches durant moins de 8 jours.

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Section 2. Les délocalisations : quelle quantification du phénomène et quels enjeux sous-jacents ?

La difficulté à qualifier les délocalisations se retrouve quand on cherche à les quantifier. A la diversité des définitions est ainsi associée une variété d’estimations statistiques. Toutes les tentatives de mesure empirique convergent cependant sur un point : l’importance quantitative du phénomène reste modérée. Mais la faiblesse du repérage statistique n’enlève rien au fait que les délocalisations dessinent de nouveaux enjeux pour le tissu productif français à court et à long termes

2.1. Quantifier les délocalisations : des problèmes de mesure La quantification des mouvements de délocalisation renvoie à deux grands types de mesure. La mesure statistique directe décompte les présomptions de suppression d’emplois directement liées aux délocalisations. Elle est peu développée car les délocalisations ne font l’objet d’aucun repérage systématique, ce qui tient à la complexité du phénomène et à l’absence de définition claire et consensuelle, mais surtout au défaut d’enquêtes portant directement sur la question (OCDE, 2007, op. cit.). D’où le fait que l’on recourt à des méthodes indirectes.

Les mesures statistiques indirectes estiment les délocalisations soit par les importations directes de biens manufacturés en provenance des pays « à bas salaires » (émergents et en voie de développement) effectués par les entreprises localisées sur le territoire national, soit par les IDE à destination de ces pays. Ces mesures indirectes souffrent néanmoins de plusieurs limites.

• L’approche par les importations

Elle surestime nécessairement les délocalisations car les importations considérées renvoient non seulement aux investissements de délocalisation et à la sous-traitance internationale mais aussi au développement des approvisionnements auprès des pays émergents et en voie de développement. Il est impossible de dissocier ce qui est imputable à l’un ou à l’autre.

• L’approche par les IDE

Une délocalisation au sens strict implique un flux de capital à destination du pays où a lieu l’implantation de la filiale. C’est pourquoi les IDE sont parfois utilisés pour estimer les délocalisations. On calcule alors la part des IDE destinés aux pays « à bas salaires ». Cette méthode est sujette à quatre critiques principales conduisant à minorer (a et b) ou à majorer (c et d) le phénomène sans qu’on puisse au total espérer que les effets se compensent.

a. Basée sur la définition stricto sensu des délocalisations, elle ne rend pas compte de la complexité du phénomène (échanges intragroupes ou sous-traitance, par exemple).

b. Une partie de la croissance des capacités de production délocalisées peut être autofinancée par des entités juridiques implantées dans le pays. On a donc dans ce cas, croissance des capacités de production dans le pays concerné sans flux d’IDE.

c. A l’inverse, tous les IDE ne sont pas des délocalisations et tous les IDE n’impliquent pas de fermeture, ne serait-ce que partielle, sur le territoire national d’origine.

d. Les IDE peuvent être des opérations purement financières, n’ayant rien à voir avec un transfert d’activités d’un pays à l’autre.

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Ces deux approches (IDE et importations) donnent une indication sur l’ampleur du mouvement mais elles ne peuvent pas offrir une évaluation fiable des délocalisations. La raison fondamentale tient à ce que délocalisation et redistribution de capital productif ne sont pas synonymes. En outre, elles présupposent que les délocalisations se font exclusivement à destination des pays à « bas salaires ». D’autres approches existent mais souffrent, selon l’OCDE (2007, p.54), des mêmes limites : « seule l’utilisation de données de firmes individuelles permet une approximation plus proche de la réalité concernant l’impact des délocalisations sur l’emploi ». C’est l’objet des enquêtes et des mesures dites directes.

2.2. Les délocalisations : des chiffres aux enjeux sous-jacents

Différentes études ont tenté de quantifier les délocalisations. Relativement insatisfaisantes au regard de l’impératif quantitatif, elles permettent cependant de révéler un certain nombre de faits stylisés utiles à la caractérisation du phénomène et de ses impacts sur le tissu productif.

2.2.1. Les délocalisations sont marginales. L’ensemble des rapports académiques et publics (OCDE, Sénat, Assemblée Nationale, etc.) propose une quantification des délocalisations. Basés sur des estimations ou des champs d’études différents, ces rapports concluent que l’effet des délocalisations sur la destruction des emplois reste de faible ampleur (cf. tableau 1.1). A titre d’exemple, l’étude réalisée par l’OCDE avance que lorsque la part des biens manufacturés externalisée à l’étranger (et importés) augmente de 1%, la perte d’emplois se chiffre à 0,15% de l’emploi sectoriel dans le pays d’origine (0,8% dans le cas des services).

Tableau 1.1. Comparaison des quantifications des délocalisations en France

Source Champ Résultats Méthode Mesure en pourcentage de la

production (trois années)

1993 1999 2002 SESSI

(De Gimel, 2005)

Industrie manufacturière,

entreprises de plus de 20 salariés

1,3 2,4 2,7

Estimation par les importations directes en provenance des pays « à bas salaires » rapportées à la production domestique.

CAE (Fontagné et

Lorenzi, 2005)

Industrie manufacturière,

entreprises de plus de 20 salariés

1% de l’emploi industriel (et moins de 0,5% de l’emploi total entre 1993 et 2002)

Méthode des balances-emplois

INSEE (Aubert et

Sillard, 2005)

Industrie manufacturière hors

énergie, toutes entreprises

0,35% de l’emploi par an (en moyenne, 1995-2001) 2,34% de l’emploi sur l’ensemble de la période 1995-2001

2 conditions cumulées : -Réduction d’effectifs (au moins 25%) ou fermeture d’établissement - Accroissement des importations en provenance d’un pays donné, pour le même type de biens

Sénat (Katalyste,

2005) Tertiaire marchand

0,1 à 2,6% de l’emploi (variation selon les branches

considérées)

Estimation à partir d’entretiens individuels auprès de 100 dirigeants d’entreprise, extrapolées en fonction de l’évolution des importations sectorielles

Source : Adapté de Chanteau (2008)

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La plupart des rapports (CAE, Sénat, etc.) sont venus alimenter les débats en concluant donc à la faible ampleur des délocalisations. Toutefois, tous soulignent la « faiblesse » de leurs propres estimations quantitatives.

Deux initiatives ont tenté de quantifier plus précisément les délocalisations en utilisant des données individuelles d’entreprises : celle de l’ERM (European Restructuring Monitor : ERM, 2007)10 et celle de l’Insee (Aubert et Sillard, 2005, op. cit.). Leurs estimations corroborent la faiblesse relative du phénomène.

• L’estimation fournie par l’ERM

L’European Restructuring Monitor (ERM, observatoire européen des restructurations) est un observatoire créé en 200211 pour suivre l'ampleur de la restructuration des activités en Europe et de leurs conséquences sur l’emploi. La mise en place de l’observatoire au début des années 2000 est certainement liée à l’accélération du phénomène à partir de ce moment-là.

L’ERM rassemble des données issues d'une revue quotidienne de la presse nationale spécialisée et de la presse économique. Les informations récoltées (annonces de la part des entreprises) fondent les estimations de l’ERM sur les restructurations relevant des délocalisations. Elles sont mesurées en termes d’emplois affectés. Cette méthode est soumise à un certain nombre de biais (exhaustivité et « effets d’annonce » par exemple) mais, en l’absence d’enquête systématique, elle demeure la source principale d’estimation des délocalisations. Celles-ci s’entendent ici au sens de l’OCDE d’un déplacement partiel ou total de l’activité initiale (cf. 1.3).

Les principaux résultats concernent les pertes d’emplois dues aux restructurations en Europe, parmi lesquelles celles attribuables aux délocalisations (tableau 1.2).

Tableau 1.2. Pertes d’emplois (restructurations et délocalisations, 2003-2006)

Total des cas Délocalisations Part des délocalisations dans le total (%)

Nombre de cas

Pertes d’emplois annoncées

Nombre de cas

Pertes d’emplois annoncées

Nombre de cas

Pertes d’emplois annoncées

2003 745 525389 55 47011 7 9 2004 745 662986 89 45241 12 7 2005 1049 657072 112 63894 11 10 2006 936 600346 100 38144 11 6 2003-2006 3475 2445793 356 194290 10 8 Source : ERM, 2007, p.26

Pour la France, seuls 6,6% des emplois détruits seraient imputables aux délocalisations, ce qui les place loin derrière les faillites ou les fermetures. La tendance est la même pour l’ensemble de l’Europe (8%). Soulignons dès à présent que les données intégrées dans la base de l’ERM sous-estiment la réalité (nous reviendrons sur ce point dans la partie 2 du rapport).

10 European restructuring monitor quarterly - Issue 2, summer 2007. 11 Sa couverture géographique a été étendue en mai 2005 aux 27 États membres de l'UE plus la Norvège.

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• L’estimation fournie par l’INSEE

Pour l’INSEE (Aubert et Sillard 2005, p.64), « on parlera de délocalisation s’il y a substitution de production étrangère à une production française, résultant de l’arbitrage d’un producteur qui renonce à produire en France pour produire ou sous-traiter à l’étranger ».

Afin de repérer statistiquement les délocalisations, les deux auteurs choisissent de croiser plusieurs sources de données (notamment le répertoire SIRENE d’établissements et d’entreprises, les Déclarations annuelles de données sociales (DADS) et les données douanières). La méthode reste soumise à l’impossibilité de repérer et d’enregistrer directement les délocalisations : ce sont les effets des délocalisations sur l’emploi et sur les importations qui servent à en repérer l’importance.

Ce repérage se fait selon la méthode suivante. Il y a présomption de délocalisation si deux conditions sont conjointement remplies :

1- Une fermeture d’établissement ou une réduction d’effectif importante (au moins 25% du total) sur une période de temps limitée ;

2- Une augmentation, dans le même temps, des importations en provenance d’un pays étranger donné, du même type de biens auparavant produits en France.

Les estimations de l’INSEE donnent les résultats suivants : dans les secteurs manufacturiers en France, 95000 emplois auraient été supprimés entre 1995 et 2001 du fait des délocalisations, ce qui ne représente que 2,4% des effectifs de l’industrie manufacturière.

Bien que limités par l’impossibilité de mesurer directement le phénomène, les travaux de l’INSEE corroborent les conclusions des études précédentes concernant la faiblesse des délocalisations. Mais surtout, cette étude apporte trois résultats d’importance pour la caractérisation des enjeux liés aux mouvements de délocalisation : le premier concerne les pays de destination des délocalisations, le second, les variations sectorielles et le troisième, l’absence de fortes disparités régionales.

2.2.2. Des délocalisations… à destination des pays développés ! Contrairement à l’idée fortement répandue et fondant d’ailleurs la plupart des méthodes d’estimation, les délocalisations vers les pays « à bas salaires » ne sont pas majoritaires. Selon les chiffres de l’INSEE, elles ne concerneraient que 47% des délocalisations françaises.

53% des emplois perdus par les délocalisations sont le fait de migrations d’activités vers des pays développés.

Ce résultat peut expliquer la faiblesse du phénomène lorsqu’il est mesuré sur la base de mouvements enregistrés vers les pays à « bas salaires ». A défaut d’analyse plus fine, il relativise la prédominance du coût des facteurs dans la décision de délocaliser ou, tout au moins, il indique que les entreprises exploitent des différences relativement minimes de coûts et de déplacer leurs sites de production pour d’autres raisons.

Un autre résultat porte sur les formes organisationnelles prises par les délocalisations : les délocalisations à destination des pays développés passent majoritairement par la création de filiales ou le recours aux filiales préexistantes, tandis que la sous-traitance est le mode organisationnel dominant (à l’exception de l’Europe de l’Est) dans le cas des délocalisations à destination des pays à « bas salaires ».

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2.2.3. Tous les secteurs sont concernés, mais certains plus que d’autres

Les secteurs principalement touchés par les délocalisations vers les pays « à bas salaires » sont bien les secteurs de basse technologie employant une main d’œuvre peu qualifiée tels que l’habillement-cuir ou le textile (cf. tableau 1.3). Mais les délocalisations sont aussi de plus en plus nombreuses dans les secteurs de plus haute technologie, comme l’électronique et l’électroménager ou les biens d’équipement.

Tableau 1.3. Emplois délocalisés par secteur Emplois délocalisés, moyenne annuelle (1995-2001), en % de

l’emploi de 1994 Secteur Vers les pays développés

Vers les pays « à bas salaires »

Principales destinations

Habillement, cuir 0,1 0,7 Maroc, Tunisie, Vietnam, Chine

Industrie textile 0,1 0,3 Roumanie, Chine, Italie, Mexique

Industrie des équipements électriques et électroniques 0,3 0,3 Chine, République Tchèque,

Etats-Unis

Pharmacie, parfumerie et entretien 0,6 0,0 Suisse, Etats-Unis, Allemagne, Irlande

Industrie des produits minéraux 0,2 0,1 Italie, Venezuela, Belgique

Edition, imprimerie, reproduction 0,1 0,0 Italie

Industries du bois et du papier 0,1 0,1 Indonésie, Brésil, Finlande

Industries des équipements des foyers 0,1 0,5 Chine, Pologne

Construction navale, aéronautique et ferroviaire 0,4 0,0 Etats-Unis, Allemagne

Industrie automobile 0,2 0,0 Espagne

Industrie des équipements mécaniques 0,1 0,1 Italie, Turquie, Royaume-Uni, Chine

Métallurgie et transformation des métaux 0,1 0,1 Belgique, Brésil

Chimie, caoutchouc, plastiques 0,2 0,1 Inde, Espagne, Pays-Bas

Industries agricoles et alimentaires 0,1 0,1 Allemagne, Pays Bas, Espagne, Belgique

Industrie des composants électriques et électroniques 0,4 0,3 Italie, Espagne, Chine, Maroc

Total 0,2 0,2

Source : Aubert et Sillard, 2005, p.78 N.B. : il faut manier les données avec prudence car elles sont relativement anciennes (1995-2001).

2.2.4. Peu de différences régionales Contrairement à la variabilité qui s’observe entre secteurs d’activités, les différences entre régions sont de moindre ampleur. Trois régions ont toutefois été plus durement touchées que les autres par les délocalisations : la Basse Normandie, la Lorraine et la région Champagne-Ardenne. Ces différences tiennent probablement aux poids des secteurs les plus touchés dans

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ces trois régions, bien que cette présomption ne fasse l’objet d’aucun développement dans l’étude de l’INSEE.

Au final, quelle que soit la méthode d’estimation retenue, les études réalisées sur les délocalisations convergent pour relativiser l’ampleur économique du phénomène. Compte tenu des faiblesses intrinsèques des méthodologies déployées, il ne fait cependant guère de doute qu’une partie du phénomène reste masquée.

Le décalage entre la perception courante du phénomène et sa mesure dite « scientifique » est loin de trancher le débat. Les délocalisations posent de réels problèmes économiques et sociaux plus ou moins aigus selon les secteurs, les régions et les périodes. Pour appréhender les points de retournement de 2003 et 2008, il serait nécessaire de disposer de données plus récentes (l’enquête de l’INSEE porte sur 1995-2001)

Ce sont maintenant les enjeux et les craintes légitimes que les délocalisations véhiculent qui doivent être considérés et replacés au cœur des débats.

2.3. Les enjeux sous-jacents des délocalisations

Quelques thèmes récurrents suscitent le débat sur les délocalisations et justifient les inquiétudes des politiques comme des analystes.

2.3.1. L’incertitude sur la mesure Outre le problème lié au chiffrage lui-même, l’impact économique du phénomène est nécessairement sous-estimé compte tenu de l’absence de données sur les effets de rétroaction des délocalisations. Les études ne peuvent pas évaluer les effets indirects sur les tissus productifs existants : effets sur la chaîne d’approvisionnement (notamment sur les firmes qui ne délocalisent pas, sur les sous-traitants lorsqu’une firme « délocalise » sa sous-traitance auprès d’un prestataire étranger…), effets négatifs du multiplicateur de revenu, etc. En outre, les délocalisations cachées issues d’un arbitrage conduisant à refuser le choix de la France au profit d’un site à l’étranger (lors, par exemple, d’une augmentation de la capacité de production) sont pratiquement impossibles à évaluer.

Exemple : d’après l’INSEE, le secteur « habillement, cuir » aurait perdu, chaque année, 5,8% de ses effectifs de 1994 par an sur la période 1995-2001. Seulement 15% des emplois détruits seraient directement imputables aux délocalisations (dont 14% vers les pays « à bas salaires »). On peut s’interroger sur le lien entre la destruction totale d’emplois et les délocalisations. Si les effets indirects ne sont pas repérables, cela ne signifie pas qu’ils n’existent pas. Peut-être même expliqueraient-ils cette forte réduction de l’emploi dans le secteur.

2.3.2. La question de la localisation des industries de haute-technologie Les délocalisations ne sont plus limitées aux secteurs de faible technologie mobilisant une main d’œuvre peu qualifiée. Elles s’étendent aux secteurs à plus forte technologie et à ceux des services. Elles touchent désormais les emplois qualifiés. Ce n’est donc pas tant son extension quantitative que qualitative qui suscite l’inquiétude.

L’ensemble des rapports alerte les décideurs politiques sur cette évolution, notamment ceux réalisés pour le CAE (Fontagné et Lorenzi, 2005, op. cit.) et l’Assemblée Nationale (Brunel, 2006, op. cit.). On devrait, selon eux, s’attendre à une accélération indéniable du phénomène ces prochaines années.

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2.3.3. La montée des Pays Emergents. L’émergence des grandes économies d’Asie (notamment l’Inde et la Chine), ayant rattrapé leur retard technologique et disposant d’une main d’œuvre nombreuse et de plus en plus qualifiée, tend à modifier la division internationale du travail. Longtemps considérés comme des territoires d’accueil des délocalisations des pays développés, les pays émergents deviennent de véritables concurrents sur des marchés que ceux-là croyaient protégés.

Cet argument est développé par Coris et Rallet (2008)12 dans le cas du logiciel et des services informatiques. L’analyse de ce qu’ils appellent « l’effet retour des délocalisations » permet d’envisager dans quelle mesure les délocalisations (emplois peu qualifiés) participent de la constitution d’avantages compétitifs pour les firmes des pays émergents pouvant s’engager dans un processus de remontée de la chaîne de valeur en vue, à terme, de concurrencer les firmes des pays développés sur des activités (services à haute valeur ajoutée) qu’elles croyaient protégés. Cet enjeu est aussi analysé par l’OCDE (2007)13 lorsque l’organisation s’interroge sur la capacité des pays développés à rester compétitifs face à la montée des pays émergents.

2.3.4. L’importance des délocalisations à l’échelle locale La fermeture d’un site ou d’une usine n’a que peu d’impact au niveau macroéconomique mais les conséquences pour une région peuvent être particulièrement sévères. Les délocalisations n’ont pas non plus les mêmes effets sur les différentes classes de travailleurs. Si elles ont peu d’impact au niveau de l’emploi global, les travailleurs les moins qualifiés peuvent être fortement et durablement touchés. Compte tenu des spécialisations sectorielles à une échelle régionale et infrarégionale, les délocalisations touchant certains secteurs se soldent parfois par une véritable destruction des tissus économiques et sociaux de zones spécialisées au plan sectoriel.

Cela pose la question de la reconversion professionnelle et des enjeux en termes de formation. Nous reviendrons sur cette question dans la section 4 et dans les enseignements de l’étude (partie 3 du rapport). La question régionale est quand à elle l’enjeu central de la présente étude.

2.3.5. La question cruciale des activités de recherche et développement (R&D) et des centres décisionnels

Il existe des formes spécifiques de délocalisation auxquelles on commence juste à être attentif : les délocalisations des laboratoires de R&D, les délocalisations des maisons mères ou des centres de décision ou encore la migration de personnel scientifique à l’étranger. Bien que très marginaux au plan quantitatif, ces types de délocalisations peuvent avoir des impacts sur les économies d’origine bien plus importants que les seules pertes d’emplois à court terme. Ils sont liés à la compétitivité des pays (et des territoires) et interrogent alors leur capacité d’innovation.

L’attention particulière à ces formes de délocalisations fonde certaines recommandations politiques (section 4).

2.3.6. L’impact incertain de la crise économique Une dernière question, largement ouverte, concerne l’impact de la crise économique. La récession actuelle, inédite par son ampleur et par sa synchronisation mondiale, conduit les états-majors des entreprises à reconsidérer ou du moins à s’interroger sur la taille de leur

12 CORIS M., RALLET A., 2008, « Les pays émergents à la conquête des marchés mondiaux », Revue de la régulation, n°2, janvier 2008. 13 Molnar M., Pain N., Taglioni D., 2007, The Internationalisation Of Production, International Outsourcing And Employment In The OECD, Economics Department Working Papers N°.561.

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appareil productif à moyen terme. Il en découle de nouveaux arbitrages à faire entre les différentes localisations existantes et/ou envisagées. En outre, les prévisions macroéconomiques concernant des zones traditionnelles de délocalisation sont incertaines, à l’image du Maghreb, de l’Asie du Sud-est, du Mexique mais aussi de quelques pays d’Europe de l’Est singulièrement touchés par la crise comme la Hongrie ou la Lettonie. On voit réémerger dans les centres décisionnels des grands groupes des questionnements sur la stabilité politique des pays, sur les risques crédits, sur la volatilité des cours de change et des taux d’intérêts, etc.

Il est évidemment trop tôt pour établir des prévisions dans la mesure où les entreprises interprètent différemment ces nouvelles données conjoncturelles. Toutefois, deux scénarii (extrêmes) peuvent être envisagés.

- Le poids des incertitudes sur les économies qui reçoivent en masse les délocalisations pourrait conduire à ralentir le mouvement, voire générer des relocalisations dans le cadre d’une stratégie de minimisation des risques. On retrouve ici l’hypothèse d’une réaction protectionniste dans les pays d’origine, qui peut se manifester par le renforcement des barrières à l’entrée. Par exemple, en janvier 2009, le gouvernement français a fait signer aux constructeurs automobiles une charte par laquelle ils s’engagent à cesser d’exiger de leurs fournisseurs qu’ils s’implantent dans les pays à bas coûts afin de rentrer dans le panel des fournisseurs « sélectionnables ».

- La réduction de la profitabilité des entreprises compte tenu de la baisse de la demande couplée à une exacerbation des pressions concurrentielles peut, à l’inverse, conduire les entreprises à amplifier le mouvement de délocalisation dans les pays à bas coûts. Toujours à titre d’exemple et dans le cadre de son plan de sauvetage et avant sa nationalisation, General Motors avait déclaré vouloir accroître ses approvisionnements venant d’Inde pour réduire ses coûts de revient.

*

* *

L’estimation quantitative des délocalisations suggère qu’elles sont relativement marginales. Cet exercice est malaisé, ce qui tient à la pluralité des définitions et au manque de données mobilisables. La « mesure » ne peut ainsi recouvrir qu’une partie du phénomène.

L’impact sectoriel des délocalisations peut être lourd avec l’apparition possible de trous durables dans le tissu productif régional et d’effets significatifs sur la balance commerciale extérieure. Les processus de délocalisation/relocalisation, méritent d’être en permanence surveillés. La crise est là pour le rappeler, le système économique est évolutif.

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Section 3. Les facteurs explicatifs des délocalisations

Les délocalisations ne se font pas seulement à destination des pays « à bas salaires ». Elles ne concernent pas uniquement (et de moins en moins) les secteurs de faible intensité technologique et les emplois peu qualifiés. On ne peut donc pas retenir comme seul critère explicatif du phénomène celui du « coût de la main d’œuvre ». Il n’est qu’un élément parmi un ensemble de facteurs souvent corrélés entre eux et dont l’importance évolue dans le temps.

3.1. Les résultats des enquêtes : une motivation par les coûts… mais pas seulement salariaux

Selon l’enquête réalisée par A.T. Kearney (cf. tableau 1.4) auprès des grandes entreprises ayant délocalisé, la réduction des coûts serait la principale motivation à la délocalisation. Mais ces « coûts » ne se limitent pas à ceux du travail. Ils englobent aussi les coûts financiers, de management, de publicité, de communication, de transport, etc.

Tableau 1.4. Les motivations pour délocaliser (grandes entreprises) en %

Réduction des coûts 36 Proximité clients 17 Croissance des ventes 14 Amélioration de la productivité 13 Ouverture à un marché étranger 9 Amélioration de la qualité de service 6 Accroissement des compétences 3 Autres 2

Source : Enquête A.T. Kearney d’après OCDE (2007)

Très peu d’enquêtes de grande envergure ont été menées auprès des entreprises ayant délocalisé. Trois études, menées au niveau français , ont cependant pu être identifiées : celle du cabinet KPMG, celle de l’Assemblée des CCI et celle du cabinet Ernst&Young.

3.1.1. Les enquêtes de KPMG pour le MEDEF En 2003, KPMG a mené une première enquête pour le MEDEF sur les motivations des PME à délocaliser (cf. tableau 1.5). L’échantillon était composé de 200 PME dont le chiffre d’affaires se situait entre 7 et 75 millions d’euros.

Tableau 1.5. Les facteurs déterminants pour les délocalisations vers l’étranger Critère Coûts

salariaux Administration Fiscalité Infrastructures Cadre de vie

Droit des

affaires Part des PME jugeant le critère déterminant

79% 54% 42% 42% 25% 25%

Source : KPMG (2003)

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Le critère du coût de la main d’œuvre se dégage nettement pour justifier le choix d’une délocalisation. Plus des trois quarts des entreprises citent cet item comme facteur déterminant. Viennent ensuite l’Administration (54%), la fiscalité (42%) et les infrastructures (42%). L’exploitation des données ne nous renseigne pas sur le recouvrement des facteurs cités (on note que les critères ne sont pas ordonnés). Or, on peut supposer que les lieux retenus par les entreprises remplissent simultanément différents critères, le niveau relatif des coûts salariaux et la faiblesse des contraintes administratives allant de pair pour un certain nombre de destinations. Cependant, l’idée courante selon laquelle les coûts salariaux sont un déterminant fort des délocalisations est mise en avant par les PME ayant effectivement délocalisé.

A la suite de cette première enquête, KPMG a renouvelé l’expérience en 2004 et en 2005 (KPMG, 2005). L’échantillon est élargi : les enquêtes ne portent plus exclusivement sur les délocalisations mais elles les resituent dans le contexte plus large des investissements à l’international des PME (voir encadré 1.2 pour la méthodologie retenue).

Encadré 1.2. Les enquêtes de KPMG, objectif et méthodologie

L’objectif clef des enquêtes KPMG est de « connaître l’attractivité de la France et son influence sur la perception des problématiques de délocalisation des investissements de la part des dirigeants de PME/PMI ».

L’échantillon (200 entreprises) reflète le tissu des PME/PMI françaises dont le CA se situe entre 7 et 75 millions d’euros (soit 12 162 entreprises selon la base de données DIANE). Les entreprises interrogées correspondent aux secteurs clefs sélectionnés dans le cadre de l’étude, soit : Transport (15%), Métallurgie/Mécanique (15%), Services (17%), IAA (10%), Equipement (10%), Electronique et Informatique (10%), BTP (10%) et Autres industries (13%).

L’enquête a été réalisée sous la forme d’entretiens téléphoniques.

Tableau 1.6. Les raisons de l’externalisation (France ou étranger) des PME/PMI (%) Raison/Motivation Taux de réponse Réduction des coûts / Modification de la structure des coûts 42,30

Recentrage sur le cœur de métier 16,50 Recherche d’un gain de souplesse 14,40 Recherche de compétences accrues 13,40 Recherche de capacité supérieure (S-T) 4,10 Amélioration de la productivité 3,10 Amélioration de la qualité 3,10 Amélioration des moyens de contrôle 1,00 Autres/divers 15,50

Source : KPMG (2003)

On retrouve (tableau 1.6), toute une série de facteurs qui reflètent les logiques traditionnelles de l’externalisation d’activités (des PME comme des grands groupes). L’externalisation est en général animée par deux objectifs complémentaires : la réduction des coûts par le recours à des fournisseurs (transferts des coûts fixes) et l’amélioration de la performance commerciale

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et productive par le recentrage sur le cœur de métier de l’entreprise (et le transfert des risques sur les fournisseurs). L’externalisation est ainsi souvent formulée par les firmes comme la recherche de compétences « complémentaires ». La question de l’externalisation se pose alors dans le cadre d’un arbitrage entre le risque d’un excès de recentrage et donc de dépendance « à l’externe » et les gains en termes de rentabilité à court terme et de performance productive à moyen terme.

Le tableau 1.7 distingue les PME selon l’objectif poursuivi par l’externalisation. On retrouve d’un côté celles pour lesquelles elle relève essentiellement d’une problématique de coûts et, d’un autre côté, celles pour lesquelles l’externalisation repose plutôt sur une logique de compétences. La coexistence de ces deux profils de motivation se fera nécessairement sentir dans les choix de localisation puisque ceux-ci se réaliseront selon des critères de sélection des fournisseurs différant significativement.

Tableau 1.7. Les projets d’investissement à l’international (%) Projet

Année Croissance de nouveaux

marchés Délocalisation de la

production Création d’une activité différente à l’étranger

2003 43 20 2 2004 49 18 7 2005 51 15 7

Source : KPMG (2003)

Comme souligné par le rapport KPMG, ces données (tableau 1.7) contredisent l’idée reçue selon laquelle les délocalisations dominent dans les projets d’investissement à l’étranger des PME. La majorité des projets (environ 50%) vise la pénétration de nouveaux marchés. Le motif de délocalisation n’est cité que dans 15% à 20% des projets. On note que le total en ligne est inférieur à 100%. Les données n’indiquent pas la provenance de cet écart.

Contrairement à une autre idée répandue, les projets d’investissements à l’étranger des PME ne seraient pas « en explosion » : selon les enquêtes de KPMG, la part des PME ayant un projet d’IDE reste stable sur les trois années (entre 56% et 58% des PME interrogées).

Ces premiers résultats sont complétés par l’analyse des motivations de l’investissement international (toutes formes de projets confondues).

Tableau 1.8. Les motivations de l’investissement à l’international (%) Motivation

Année

Contrainte d’internationalisation

des marchés

Conquête de nouveaux marchés

Suivi des donneurs d’ordres

Rapprochement au réseau des sous-traitants

Diminuer les coûts

2003 29 71 26 8 2004 15 61 27 4 26 2005 53 78 32 11 42

Source : KPMG (2003)

On retrouve (tableau 1.8) l’accès à de nouveaux marchés en tant que motivation principale de l’implantation à l’international. C’est donc essentiellement la volonté d’approvisionner un marché étranger qui domine dans les IDE des PME. En termes de choix de localisation, ce critère indique pourquoi les investissements sont en majorité réalisés dans les pays développés (pour conquérir un nouveau marché il faut que la demande y soit solvable).

La deuxième série de « motivations » renvoie aux contraintes imposées par les clients. Chez les grands industriels, les logiques d’externalisation sont orientées vers un resserrement des

40

pyramides d’approvisionnement. Cela passe par la réduction du nombre de sous-traitants mais aussi par le follow sourcing (lorsque le donneur-d’ordres impose à ses sous-traitants de le suivre dans son internationalisation). Né dans l’industrie automobile, le follow sourcing se déploie dans un nombre croissant de secteurs. Dans l’enquête auprès des PME, cette motivation transparaît dans les deux items « Suivi des donneurs d’ordres » et « Contrainte d’internationalisation des marchés ».

On retrouve ici encore une dualité de situations : des entreprises qui entendent s’implanter à l’international pour gagner de nouveaux clients et des entreprises qui le font afin de conserver leurs clients traditionnels (actuels). On note tout de même que l’internationalisation peut conjuguer ces deux motivations puisque le total en ligne des taux de réponses donnés dans le tableau 1.8 dépasse les 100%. Ne disposant pas des données sources, nous ne pouvons pas tester la corrélation en vue de l’interpréter.

Tableau 1.9. L’apport d’une délocalisation totale ou partielle de la production (%) Apport

Année Rien du tout Un éventuel

gain de compétitivité

Un gain de compétitivité

certain

Un avantage concurrentiel

majeur

Pas de réponse

2004 29 21 22 15 13 2005 56 13 17 14

Source : KPMG (2003)

En 2004 et 2005, les PME/PMI ayant délocalisé en 2003 ont été interrogées sur l’apport de cette délocalisation (tableau 1.9). Les résultats montrent que les retours d’expérience sont décevants au regard des motivations annoncées en 2003. En se basant sur l’évolution des déclarations entre 2004 et 2005 (passage de 29% à 56% de l’item « Rien du tout »), on est amené à croire que le sentiment d’insatisfaction est croissant dans le temps sans que l’on puisse savoir si cela vient avec l’expérience de l’internalisation ou si cela est lié à l’année 2005 en particulier.

3.1.2. L’enquête des CCI françaises

En 2005, l’Association française des CCI (AFCCI) a réalisé une enquête originale auprès de 100 entreprises moyennes des secteurs de production et de services ayant délocalisé en 2004-2005. Dans cette enquête, une délocalisation correspond à un approvisionnement à partir d’un pays à faible coût de main d’œuvre ayant des conséquences sur l’organisation ou le développement de l’activité du ou des sites français de production.

Les résultats donnés par l’AFCCI font ressortir une grande diversité des stratégies d’entreprise. Même si les résultats sont à manipuler avec prudence compte tenu de la structure de l’échantillon (voir plus bas, tableau 1.11) et de sa faible taille, ils offrent des éléments d’éclairage. On retrouve notamment le fait que, du point de vue des PME, la décision de délocaliser relève plutôt de la contrainte.

• La délocalisation : une opération souvent décidée « sous contrainte »

Les entreprises avaient à classer cinq des sept critères suivants par ordre d’importance (de 1 à 5). Le tableau 1.10 reprend par ordre décroissant les items cités en rang l par les entreprises.

41

Tableau 1.10. Les critères déterminants des délocalisations

Critère Taux de classement en tant que critère le plus

important Nécessité de baisser le prix de revient 36% Pression des donneurs d’ordres pour accompagner une nouvelle implantation 18%

Opportunité d’implantation sur un marché en croissance 18% Obligation de justifier l’implantation dans un pays à bas coût pour réponse à un Appel d’Offre 10%

Contrainte de réglementation du marché du travail 7% Recherche de main d’œuvre qualifiée 3% Autres 8%

Source : AFCCI (2005)

Un biais d’interprétation est introduit par le champ même de l’étude car seuls les transferts vers des pays « à bas salaires » sont pris en compte. Il est donc logique de retrouver au premier rang des critères de la délocalisation, les écarts internationaux de coûts des facteurs (« baisser le prix de revient »). Toutefois, ce taux de 36% n’est pas aussi important que celui que l’on pouvait attendre dans le cas d’une approche ciblée sur les pays « à bas salaires ».

Plus significative, l’opportunité d’implantation sur un marché en croissance est le principal critère sélectionné par 18% des entreprises. La conquête de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents, se confond ici avec la notion de délocalisation. Les résultats des enquêtes de KPMG sur les investissements à l’étranger semblent se confirmer.

La recherche d’une main d’œuvre qualifiée ne serait le critère dominant que dans 3% des cas de délocalisation par les PME. Une nouvelle fois, il faut interpréter ce résultat en tenant compte du biais initial de la démarche focalisée sur les pays « à bas salaires ».

En revanche, la mise en évidence de la pression exercée par les donneurs d’ordres (18% au rang 1) et/ou les clients (10%) confirme le principe d’une décision de délocalisation prise sous contrainte. En totalité des réponses données, 27% des entreprises interrogées sélectionnent ce motif de délocalisation.

Plus surprenant, parmi les entreprises subissant la pression des donneurs d’ordres, la majorité signale qu’elle observe une progression des coûts de transport et de logistique capable de remettre en question la délocalisation. Dans ce cas, l’opération ne revêt qu’un caractère temporaire (réponse à la demande à un instant donné) et n’a pas vocation, a priori, à se pérenniser.

• L’impact des délocalisations

D’après l’étude de l’AFCCI, les retombées des délocalisations seraient globalement positives : dans la plupart des cas, la part de marché de l’entreprise serait restée stable ou aurait augmenté ; l’emploi sur le territoire national aurait été maintenu dans 44% des cas et se serait même développé pour 19% des entreprises interrogées. 40% des entreprises interrogées envisageraient de renouveler l’opération.

Les données peuvent toutefois se lire « à l’envers » : 60% des entreprises n’envisageraient pas de renouveler l’expérience et l’emploi aurait été réduit dans 37% des cas.

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• Le point sur les secteurs jugés sensibles

Les principaux secteurs concernés par les délocalisations seraient les sous-traitance automobile et aéronautique. Le rapport de l’AFCCI propose une mise en perspective des filières jugées « sensibles », secteurs auxquels il faut porter une attention particulière : l’industrie automobile, les industries du textile et de l’habillement, les TIC, la pharmacie et les biotechnologies. Toutefois, les résultats obtenus sur un échantillon de 100 entreprises moyennes ne sont pas généralisables (tableau 1.11).

Tableau 1.11. Structure de l’échantillon : les secteurs dans l’enquête de l’ACFCI Secteur d’activités Part dans

l’échantillon Mécanique et transformation des métaux 33%

Plasturgie/assemblage 26% Textile/confection 12%

Bureau d’études, Biotechs, Services 10% Electronique / Bobinage 8%

Négoce 5% Chimie / Matières premières 4%

Traitement de surface 1% Divers 1%

Source : AFCCI (2005)

3.1.3. L’enquête Ernst & Young -2009 : une inflexion des critères de localisation

L’enquête la plus récente a été produite par le cabinet Ernst & Young (la même étude est produite chaque année). Un de ses intérêts majeurs est d’avoir été réalisée après le début de la récession économique. Elle offre ainsi de premières indications sur la manière dont les dirigeants d’entreprises envisagent leurs décisions d’implantation14 dans ce contexte particulier.

Le rapport donne aussi un certain nombre d’indications quand à l’attractivité relative de la France et de ses métropoles.

Globalement (tableau 1.12), la crise semble s’accompagner d’une stabilité des implantations étrangères en Europe, mais avec une forte baisse des investissements en direction de la partie centrale et orientale de Europe : la crise renforce la base historique des investisseurs dans un contexte d’incertitude. La France affiche quant à elle un léger recul, mais elle conserve le second rang des investissements étrangers derrière le Royaume Uni, l’Allemagne présentant un dynamisme très fort en 2008.

En Europe occidentale, ce sont les emplois tertiaires qui sont affectés par un recul des IDE, en particulier les activités financières. En Europe orientale, c’est plutôt l’industrie (automobile, électronique, informatique) qui est touchée par ce recul.

14 Réalisée auprès de 809 décideurs de grandes entreprises issues des cinq continent, l’enquête couvre l’ensemble des secteurs économiques et tient compte de différentes taille d’entreprises (21% d’entreprises avec moins de 150 M€ de CA ; 41% entre 150M€ et 1500 M€, 38% à plus de 15000M€). Elle a été administrée par téléphone entre février et mars 2009. La partie relative à l’attractivité de la France est basée sur 206 répondants.

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Tableau 1.12. Les projets d’IDE selon European Investment Monitor

Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009

La crise semble clairement renforcer l’attractivité des zones développées (Europe, US), mais aussi celle des BRIC qui restent bien placés à plus long terme dans les intentions d’IDE.

En ce qui concerne les secteurs les plus touchés en France, il s’agit des logiciels, des services aux entreprises et de l’automobile. Le maintien de l’emploi industriel au niveau des IDE en France est surtout lié à la pharmacie et au transport- logistique. De plus, et malgré un poids relativement faible, les éco-technologies semblent aussi attirer les investisseurs étrangers.

Cette enquête se distingue des précédentes car les décideurs sont interrogés sur la localisation de nouvelles opérations. L’enquête cherche à recenser et à analyser les projets futurs de délocalisation. Les critères cités comme les plus importants sont recensés dans le tableau 1.13

Tableau 1.13. Critères de localisation pour une nouvelle opération pour votre entreprise Critères % de citation

Infrastructures logistiques et transports 52 Qualification de la main d’œuvre 49 Stabilité et transparence de l’environnement politique et légal 49 Marché intérieur national et régional 47 Infrastructures de télécommunication 47 Potentiel de croissance de la productivité 47 Coûts de la main d’œuvre 45 Taxation des entreprises 42 Stabilité du climat social 41 Flexibilité du marché du travail 35

Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009

Ces résultats montrent une certaine inflexion de la hiérarchie des critères de localisation en temps de crise. Face à l’incertitude sur la conjoncture, la préférence des décideurs va aux localisations « rassurantes » : en termes d’infrastructures (logistiques, transport ou communication) et de qualification de la main d’oeuvre, au regard du potentiel de marché comme à celui de la stabilité de l’environnement politique et légal. Ils semblent mettre au second plan les critères de coût ou de flexibilité. Cette tendance s’inscrit dans le premier scénario évoqué plus haut : l’hypothèse d’un frein aux délocalisations, voire d’une relocalisation d’activités dans les espaces centraux, développés, mieux dotés en facteurs jugés prioritaires. Soulignons que la tendance est encore incertaine, qu’il ne s’agit que

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d’ « intentions » de localisations et que des espaces dans les pays à bas coûts peuvent tout aussi bien satisfaire aux critères recherchés : les écarts sur les taux de réponses sont relativement faibles.

Notons toutefois que 29% des entreprises interrogées (206 répondants) envisagent une extension d’activité ou une implantation en France (contre 19% l’année précédente) et 15% envisagent une délocalisation (contre 24% l’année précédente). Le motif de ces délocalisations est un motif de coûts et concerne plutôt les grandes entreprises (27%). A propos des domaines technologiques sources d’innovation en France dans les cinq années à venir, les répondants soulignent : l’Energie et les éco-activités à 46 et 41 % (la France représente 20% du poids européen dans les éco-industries mais n’attire que 6% des investissements directs), les TIC et la pharmacie/biotechnologies (à 24 et 21 %), mais aussi les transports.

Les 206 répondants classent par contre l’Allemagne en tête comme principal concurrent de la France en termes d’attractivité, en raison de son marché intérieur et de la qualité de sa main d’œuvre. Le Royaume Uni reste quant à lui très attractif pour la flexibilité de son marché du travail.

L’attractivité régionale peut être approchée par le classement des métropoles françaises. Sans surprise, le classement suit celui de la taille des zones urbaines et souligne une attractivité relative encore faible pour Bordeaux.

Figure 1.2. L’attractivité des métropoles françaises

Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009

Ce rapport va donc dans le sens d’un ralentissement des intentions de délocalisation dans le nouveau contexte de crise. Il ne s’agit bien entendu que de déclarations, mais le rapport souligne aussi des éléments rassurants quant à l’attractivité de la France, en particulier dans les domaines de la santé et des transports.

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*

* *

Au terme de cette revue des principales études sur les motifs des délocalisations, deux enseignements fondamentaux apparaissent.

En premier lieu, l’hétérogénéité des résultats selon le type d’entreprise considéré ou le moment de mise en œuvre de l’enquête montre que l’on ne peut se satisfaire d’une vision unidimensionnelle des facteurs de délocalisation. La réalité vécue par les entreprises est plurielle. Elle s’incarne dans l’expression différenciée des motifs de délocalisation. L’effet taille et l’effet sectoriel semblent les deux aspects les plus structurants de cette diversité.

En second lieu, la recherche d’une localisation low cost n’est pas le seul facteur explicatif des délocalisations. Celui-ci intervient à côté d’autres éléments qu’il convient d’articuler. Les facteurs de marché ou les contraintes exercées par les donneurs d’ordres (notamment pour les PME) sont tout autant, voire plus fortement, cités dans ces études.

Ces premiers enseignements suggèrent de déplacer la réflexion sur les délocalisations d’une perspective statique (à l’instant t) vers une analyse des processus temporel de localisation.

3.2. La nécessité d’analyser les mouvements de délocalisation dans le temps

La question de la mobilité des activités productives doit s’appréhender sous l’angle de la compétitivité des lieux : l’entreprise choisit une localisation en fonction des avantages qu’elle lui procure. On considère alors que les dotations factorielles, et donc les coûts des facteurs, sont structurants dans les choix de localisation. En généralisant au niveau macro-économique, on peut définir des spécialisations productives nationales déterminées en fonction des dotations factorielles. Mais l’introduction du facteur temps conduit à modifier l’appréhension habituelle de la délocalisation et à élargir en conséquence l’angle d’analyse.

3.2.1. Les trois temps du processus de délocalisation

L’analyse de la compétitivité des sites passe habituellement par la comparaison des coûts induits de fonctionnement entre deux ou plusieurs localisations pour une activité donnée. Or, ces coûts s’expriment différemment lors des trois phases de la vie d’une localisation productive :

- La phase d’implantation pour laquelle il faut prendre en compte l’ensemble des coûts d’implantation en distinguant les investissements greenfield (implantation par création) et brownfield (implantation par rachat). Dans le cas où l’activité nouvelle s’inscrit dans le cadre d’une substitution de localisation (délocalisation au sens stricte), il convient d’ajouter les coûts de fermeture/réduction d’activité (plan social, diminution de l’actif comptable, etc.).

- La phase de production pour laquelle les coûts de production directs et indirects doivent être pondérés par le niveau d’efficacité d’utilisation des facteurs de production (productivité, taux de défaut des produits, etc.).

- La phase de pérennisation de la localisation concerne son évolution dans le temps du point de vue de l’activité : extension/réduction des capacités de production, investissements de

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renouvellement, dépenses de R&D, etc. Il s’agit de considérer à la fois les coûts de la croissance/décroissance et les différentes opportunités et contraintes (disponibilité de main d’œuvre, risque pays, croissance du marché local, etc.). C’est lors de cette phase que peuvent apparaître les relocalisations.

3.2.2. Des coûts et des facteurs multiples

Trop souvent, l’attention se focalise sur les coûts de production, voire sur les coûts relatifs du travail. Ceux-ci sont un élément important pour les activités intensives en travail, au premier rang desquelles les productions manufacturières. Mais ils ne représentent qu’une partie de la structure des coûts nécessaires au fonctionnement opérationnel d’une unité de production. Pour une approche complète de la délocalisation par les coûts, il faut distinguer les coûts directs des coûts indirects en les considérant au cours des trois phases du processus de la délocalisation. Nous proposons une typologie de ces différents coûts selon trois catégories : les coûts de « réalisation » de l’activité, les coûts (gains) liés à l’utilisation de l’architecture réglementaire et les coûts (gains) liés aux externalités de localisation

• Les coûts de « réalisation » de l’activité

On distingue les coûts d’utilisation des facteurs de production des autres coûts de réalisation de l’activité.

- Parmi les coûts d’utilisation des facteurs de production, on distingue ceux liés au travail, au capital physique et au capital financier.

Les coûts du travail recouvrent principalement les salaires directs et indirects (charges sociales, cotisations…) et les coûts de la formation. Les coûts du capital physique sont liés à l’achat ou à la location des locaux, des équipements (y compris leur maintenance) mais aussi au taux d’amortissement fiscal, etc. Les taux d’intérêt sont les principaux coûts du capital financier.

L’ensemble de ces facteurs ne peuvent s’évaluer toutes choses égales par ailleurs. Ils doivent être pondérés par leur efficacité de production, autrement dit par les productivités du travail et du capital, par le taux de défaut des pièces, par les taux d’absentéisme, de turn-over ou d’accidents du travail.

- Parmi les autres coûts de réalisation de l’activité, on distingue généralement les coûts des « utilities », des services annexes, des impôts et taxes.

Les coûts des « utilities » s’appliquent, par exemple, aux télécommunications, à l’eau ou à l’énergie. Des coûts sont aussi associés aux « services annexes ». Il s’agit des coûts associés au financement des besoins de trésorerie, à la gestion et/ou à la comptabilité mais aussi des coûts des services auxiliaires de production (nettoyage, services informatiques…) ou encore (et ce ne sont pas les moindres) des coûts logistiques et de transport. Enfin, les impôts et les taxes doivent être considérés.

• Les coûts (gains) liés à l’utilisation de l’architecture réglementaire

L’activité des entreprises s’insère dans un environnement institutionnel qui définit les « modalités de fonctionnement » possibles des différentes localisations (cf. les rapports annuels de la Banque mondiale Doing Business). Cet environnement génère des coûts et/ou

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des gains dont les firmes doivent tenir compte même s’ils sont difficiles à mesurer et encore plus à anticiper.

Il existe en effet des coûts bureaucratiques associés aux délais de création ou de fermeture d’entreprise, aux procédures d’importation/exportation, au permis de construire, à la certification des sites, aux réglementations environnementales, etc. ; et des coûts liés au fonctionnement du marché du travail relatifs aux procédures d’embauche et de licenciement, conditions de l’emploi en termes de flexibilité du temps de travail par exemple, de syndicalisation, de grève, de taille du marché du travail, etc.

A l’inverse, il faut tenir compte des gains potentiels associés aux subventions pouvant être proposées : les déductions des dépenses de R&D, d’innovation et de dépôts de brevets, les subventions d’investissement (création/renouvellement/reconversion/adaptation), les aides à l’exportation, le conseil en organisation et en technologie (veille, intelligence économique, etc.), pour ne citer que les dispositifs les plus connus.

• Les externalités de localisation

Les dynamiques d’agglomération sont motrices dans les choix de localisation. On parle alors d’externalités d’agglomération positives (respectivement négatives) à propos des gains monétaires et non monétaires (respectivement pertes) liés à la localisation dans un même espace de plusieurs activités économiques. Plus largement, certaines localisations permettent de générer un gain économique car les entreprises bénéficient des infrastructures partagées et qu’elles se trouvent à proximité d’autres activités dont la présence peut leur bénéficier sans qu’elles aient à en supporter directement le coût. Dans le cas d’une externalité négative, le raisonnement est le même mais l’effet économique de la localisation ou de l’agglomération d’activités se traduit par une perte économique. La pollution, l’encombrement, l’accroissement des délais de livraison sont des exemples courants d’externalités négatives.

Les principales externalités positives (perspectives de gains) sont associées : à la qualité des infrastructures de transport assurant l’accessibilité des biens et des personnes, à la présence d’organismes publics de recherche, à celle des partenaires économiques complémentaires (offre de produits conjoints, sous-traitants, fournisseurs, etc.) ou à celle d’entreprises de même nationalité déjà implantées, ou encore à l’existence d’aménités positives facilitant l’expatriation des cadres (écoles internationales, systèmes d’impositions, règles d’obtention de visas, services culturels, qualité du cadre de vie, etc.).

A l’inverse, diverses externalités négatives (perspectives de perte) peuvent être mentionnées, liées : à la congestion (système de transport..), à la concurrence pour l’accès au marché du travail (particulièrement vraie pour les PME) et au marché foncier, aux systèmes de dépollution, aux dépenses de protection et de sécurité, aux aménités négatives pour les expatriés, etc.

Du point de vue de la firme, ces facteurs sont difficiles à évaluer en amont de la prise de décision. Ils le sont d’autant plus que non seulement ils évoluent mais qu’ils se révèlent aussi pour partie dans le temps, une fois l’implantation réalisée. Par conséquent, les gains effectifs d’une délocalisation ne seront pas toujours à la hauteur des attentes, ainsi que l’ont montré les études précédemment exposées (3.1). Ce décalage peut conduire à une révision du choix initial.

Mais surtout, les responsables sont-ils dotés d’une rationalité suffisante pour faire un choix optimal ? Autrement dit, ont-ils toute l’information et ont-ils les « capacités cognitives » pour

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la traiter ? Tous ces éléments de coût peuvent-ils être estimés, anticipés et correctement évalués par les entreprises au moment d’une décision d’implantation à l’étranger ? Peuvent-ils seulement être pris en compte ? D’autres facteurs n’interviendraient-ils pas dans la prise de décision ? Il semble difficilement tenable de ramener la question de la localisation à une décision purement rationnelle de maximisation du profit (ou de minimisation des coûts) sous contraintes. Le processus de décision est probablement imparfait, inabouti, révisable et enchâssé dans des contextes territoriaux, productifs et sectoriels. Il semble impératif d’interroger ce processus.

3.3. Le choix de délocaliser : le processus de décision

Ainsi que l’indiquent les enquêtes de KPMG et de l’AFCCI, la décision de délocaliser n’est pas nécessairement issue d’un processus rationnel d’anticipation dans le temps de l’ensemble des coûts directs et indirects. Au contraire, la délocalisation peut être guidée par la pression des donneurs d’ordres ou des clients. Dans le même sens, la délocalisation peut naître de la pression des actionnaires de la firme à la recherche d’un maintien ou d’une amélioration de la rentabilité financière à plus ou moins court terme.

Il convient alors de situer la décision de délocaliser prise par une firme dans la dynamique sectorielle dans laquelle la firme s’inscrit et dans la stratégie plus individuelle de l’entreprise. La dynamique sectorielle s’entend au sens de la concurrence entre les acteurs, concurrence qui ne se joue pas nécessairement à l’échelle nationale. On sait par exemple que, dans le secteur du logiciel, les délocalisations des firmes européennes suivent les délocalisations américaines. La stratégie de la firme est appréhendée à travers quatre relations fondamentales qu’elle entretient avec ses partenaires : la relation salariale (marché du travail), la relation d’approvisionnement (avec les fournisseurs), la relation commerciale (avec les clients finals ou les donneurs-d’ordres) et la relation avec les financeurs (figure 1.3). Ces quatre relations sont à la fois définies au niveau de la firme et au niveau sectoriel puisqu’elles définissent le jeu concurrentiel.

Figure 1.3. Un champ concurrentiel structuré autour de 4 piliers

Source : Jullien et Smtih (2008)

Relation salariale

(salariés et marché du travail)

Relation commerciale

(clients finals et donneurs-d’ordres)

Relation d’approvisionnement

(fournisseurs)

Relation financière

(investisseurs et institutionnels)

Firme & Secteur

(articulation des 4 relations au sein de l’organisation et dans le jeu concurrentiel)

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Cette grille de lecture est issue des travaux académiques de B. Jullien et A. Smith (2008)15 et constitue l’arrière plan théorique de notre approche (notamment dans la construction des guides d’entretien et d’analyse). Elle nous permet d’ordonner de manière synthétique l’ensemble des facteurs de délocalisation jusqu’alors évoqués, selon la dimension (ou relation) à laquelle ils se réfèrent (tableau 1.14).

Tableau 1.14. Principaux facteurs de délocalisation selon les quatre relations de la firme

Relation commerciale

Relation d’approvisionnement Relation salariale Relation

financière

Pression des clients

(finals ou donneurs d’ordres, y compris pour les cas de délocalisation

temporaire liée aux exigences des appels

d’offre)

Coûts d’approvisionnement

(matières, logistiques, coût total d’achat dans

le cas des délocalisations par sous-

traitance)

Coûts du travail

(pas seulement le salaire horaire mais

productivité, coûts de licenciement…)

Accès au financement

Positionnement sur le marché

(prix, qualité, délais)

Caractéristiques produit/process

(qualité, délais, taille des séries…)

Compétences

(accès aux compétences, mais au sens large

incluant les enjeux de dépendance et de perte

des compétences)

Aides publiques

Suivi des clients à l’étranger

Suivi des sous-traitants à l’étranger

Taille et disponibilité du bassin de main

d’œuvre

(y compris turnover, poids des syndicats…)

Pression actionnariale

Nous avons regroupé les principaux déterminants des choix de délocalisation selon un nombre limité de classes de facteurs. Par exemple, la classe « positionnement sur le marché » regroupe les délocalisations ayant pour objectif d’améliorer (ou de maintenir) les parts de marché de l’entreprise qu’elle joue, pour le faire, sur les prix, la qualité (y compris les services) ou encore les délais. Nous rappelons que nous ne considérons pas les localisations de type « accès au marché local » comme des délocalisations, bien qu’elles puissent, à terme, orienter les délocalisations (par réorientation de filiales).

Cette grille est au cœur de notre étude de la mobilité des firmes en Aquitaine. Elle est mobilisée dans l’analyse des résultats de l’enquête (partie 3) parce qu’elle répond aux deux impératifs d’appréhension des délocalisations/relocalisations : la dimension temporelle des processus et leur insertion dans un contexte plus large.

15 Au niveau empirique, elle a été mobilisée pour étudier des secteurs aussi différents que les industries agro-alimentaires, aéronautique/défense, pharmaceutique ou les AOC viticoles.

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3.2.1. La temporalité des processus de délocalisation/relocalisation

Les firmes peuvent être contraintes de délocaliser par leurs partenaires…

Nous l’avons déjà vu, les partenaires de la firme peuvent influencer ses choix stratégiques de localisation (cas, par exemple, de délocalisations réalisées sous la pression des clients ou des actionnaires). La délocalisation est alors vécue comme une contrainte.

… et réciproquement, les délocalisations des firmes ont des impacts sur leurs partenaires.

La décision de délocaliser relève fréquemment d’une recherche de compétitivité (maintien ou amélioration des parts de marché) de la firme. Dans ce cas, c’est la stratégie de la firme qui va avoir un impact, à plus ou moins court terme, une ou plusieurs des relations avec les partenaires. Par exemple, une délocalisation guidée par des gains en termes de coûts de main d’œuvre génère du chômage local dans le pays d’origine (détérioration de la relation salariale). Dans le cas de délocalisation par sous-traitance, celle-ci affecte le réseau de sous-traitants initial (baisse plus ou moins importante de l’activité…).

Des facteurs qui se lisent aussi « en positif » : les relocalisations

Les facteurs sont ici présentés sous l’angle « négatif » de la délocalisation mais, pour l’ensemble, ils se lisent aussi dans le jeu inverse :

- d’un frein aux délocalisations (ils se révèlent alors à la firme avant la délocalisation)

- ou d’un moteur aux relocalisations (ils se révèlent alors dans le temps, une fois la délocalisation réalisée).

Parmi les facteurs défavorables aux délocalisations (ou favorables aux relocalisations), on peut par exemple citer : la qualité insuffisante des biens et services fournis pouvant nécessiter un système de contrôle rigoureux (complexe et coûteux) ; les retards dans les délais de livraison, bloquant la production et engendrant la perte de parts de marché voire de marchés ; les coûts supérieurs à ceux qui étaient prévus (en plus des coûts de contrôle de la qualité), notamment les coûts de transports ou les évolutions possibles des salaires dans les pays de délocalisation ; les difficultés de management (liés aux problèmes linguistiques, culturels, de communication, etc.).

Nous retrouvons l’idée que l’ensemble des facteurs de (dé)localisation sont, à l’instar des coûts salariaux, amenés à évoluer dans le temps : le gain à un instant donné peut, à terme, diminuer voire se transformer en perte.

3.2.2. L’influence des contextes sectoriels et spatiaux : attractivité et ancrage

Les facteurs de délocalisation précités n’agissent pas nécessairement au niveau de la firme. Au contraire, ils peuvent être définis à l’échelle du secteur et donc jouer sur les décisions de l’ensemble des firmes d’un secteur. Parallèlement, les firmes peuvent aussi être influencées par les prescriptions des cabinets de consulting (benchmark par exemple) ou par le mythe du « c’est mieux ailleurs ».

Par leur capacité d’attractivité, certains lieux deviennent, à terme, des « normes » de localisation (ou de délocalisation), à l’exemple de la Silicon Valley ou de Bangalore dans le

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cas des délocalisations, autrement dits des « lieux » où les firmes d’un même secteur s’agglomèrent. On les désigne souvent par le terme de clusters. La littérature sur le sujet (par exemple Vicente, 2005)16 souligne que les normes de (dé)localisation sont globalement générées par deux types de comportement :

- Un comportement mimétique (on parle d’ « effet pingouin »). Une entreprise va là où sont les autres firmes uniquement parce qu’elles y sont. Ce phénomène résulte de l’incapacité des agents économiques à recueillir toute l’information nécessaire à la prise de décision. L’agglomération constatée des activités économiques agit ainsi comme un signal positif dans les choix d’implantation. Le mimétisme est le principal facteur de localisation et il est souvent question d’attractivité sans ancrage a priori.

- Un comportement lié à la présence d’externalités positives de localisation : on va là où les autres firmes sont parce qu’avec leur présence sur le territoire s’y sont développées des compétences spécifiques. Plus le nombre de firmes augmente, plus les effets positifs sont importants : disponibilité d’une main d’œuvre spécialisée, possibilités de coopération entre les firmes (partage d’informations) et présence de fournisseurs spécialisés, relations science-industrie, image locale et d’une façon générale, présence de ressources partagées.

Ainsi, l’espace n’est pas neutre. Lorsqu’une firme délocalise, elle ne va pas simplement « ailleurs », elle va aussi quelque part. L’espace d’accueil est caractérisé par un certain nombre de critères intrinsèques (ressources naturelles par exemple) ainsi que par son architecture institutionnelle (cadre législatif, infrastructures, etc.). L’attractivité d’un territoire est à la fois « donnée » mais elle est surtout construite, par les politiques publiques visant à favoriser l’attractivité et l’ancrage des activités économiques sur le territoire. Or, comme nous l’avons déjà signalé, ces politiques sont définies à des échelles géographiques différentes, supranationales (européenne), nationales et régionales. L’action publique régionale est ainsi contrainte au sens où, par exemple, ce n’est pas à son échelle que se définissent les principaux cadres législatifs et réglementaires. Comment l’action régionale peut-elle ou doit-elle agir sur les deux volets de l’attractivité et de l’ancrage afin de limiter les délocalisations et de favoriser les relocalisations ? Si cette action doit nécessairement être ciblée sur certaines activités économiques et sur certains types d’entreprises (on sait que les PME sont plus « attachées » au territoire), elle ne fait pas l’objet de recommandations dans les principaux rapports publiés sur la question.

16 Vicente J., 2005, Les Espaces de la net-économie : Clusters TIC et aménagement numérique des territoires, Economica.

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Section 4 – De l’impact des délocalisations aux recommandations politiques

Lorsqu’on déplace la question vers l’action publique se pose, en préalable, celle du bilan ou de l’impact des délocalisations. Il faut alors reconnaître que les cadres théoriques les plus fréquemment mobilisés pour fonder la politique économique considèrent globalement les délocalisations sous un angle positif.

4.1. Un bilan globalement positif ? Oui, mais…

La théorie économique dominante défend l’efficacité économique de la mobilité des entreprises. Dit autrement, les délocalisations font partie du jeu normal d’une économie mondialisée. Si les conséquences négatives des délocalisations d’activités sont reconnues et confirmées empiriquement, par exemple sur le marché de l’emploi des pays industrialisés, elles sont censées n’être que de court ou moyen termes.

4.1.1. Un petit détour par la théorie économique : un bilan positif Les théories traditionnelles du commerce international reposent sur le postulat que les délocalisations font partie d’un processus normal et globalement bénéfique pour la croissance :

1) La mobilité des entreprises s’effectue sur la base de la recherche de l’efficacité économique (autrement dit la maximisation du profit) ;

2) La localisation des activités s’inscrit dans cette démarche : les entreprises implantent les établissements de production en fonction des dotations factorielles dont disposent les espaces. Les facteurs de production (travail, capital, ressources naturelles) étant supposés peu ou pas mobiles, les entreprises optimisent l’utilisation de ces facteurs en se déplaçant elles-mêmes.

Selon cette lecture, les pays verraient leurs spécialisations productives s’affiner au fur et à mesure que les frontières commerciales s’ouvrent : une division internationale du travail basée sur les dotations factorielles se met en place. Pour les pays développés, les délocalisations concernent des produits arrivés à maturité et relevant d’une production nécessitant un outil productif à faible technologie. Il semble alors normal que les pays en développement, peu innovants, se développent sur ce secteur tandis que les pays développés ont avantage à se spécialiser dans la production de biens à plus forte valeur ajoutée et continuent à innover. Les spécialisations réciproques permettraient ainsi un échange bénéfique à l’ensemble des partenaires.

Cet effet bénéfique, dit de « substitution/compensation » (figure 1.4), se produit dans le temps. Si les délocalisations sont en effet porteuses de destruction des emplois au niveau local (certaines régions) et à court terme, ces pertes d’emplois se compensent au niveau macro (nation) et à plus long terme. En partie, cette anticipation d’effets positifs se vérifie sur le temps long de l’histoire économique (substitution de l’industrie puis des services à l’agriculture). A long terme, les délocalisations s’inscriraient dans un processus normal et bénéfique : amélioration de la compétitivité, croissance, firmes plus efficaces et plus performantes.

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Figure 1.4. L’effet de compensation/substitution

Source : Adapaté de M. el Mouhoud, 2006, op. cit.

4.1.2. Un bilan plus mitigé au niveau empirique

Selon les études de l’OCDE, le schéma que nous venons d’exposer se vérifierait dans les faits : les délocalisations ont un bilan globalement positif. Notamment, l’amélioration de la compétitivité des entreprises engendrerait à terme un accroissement des parts de marché, d’où la possibilité de création de nouveaux emplois dans les pays d’origine.

Ce bilan est relativisé par l’organisme lui-même (OCDE, 2007, op. cit.) quand il recense les principaux effets positifs et négatifs des délocalisations (tableau 1.15). L’OCDE affirme toutefois que seules les pertes d’emplois étant immédiatement connues, la plupart des bénéfices n’apparaissent qu’à plus long terme et ne sont donc pas perçus comme des conséquences directes des délocalisations. A notre sens, il en va de même pour les effets négatifs.

Plus encore, nous rappelons (section 2) que les délocalisations peuvent avoir des effets dramatiques au niveau local et qu’il convient de ne pas s’en tenir à une évaluation quantitative du phénomène. Nombreux sont les enjeux sous-jacents au phénomène : notamment, il est légitime de s’interroger sur la validité du processus de compensation dès lors que les délocalisations touchent des secteurs de moyenne à haute technologie et affectent les emplois qualifiés.

Délocalisations

Création d’emplois dans le pays d’accueil

Destruction de l’emploi non qualifié dans le pays

d’origine

Effet de court terme Effet de long terme

Baisse des coûts de production

Amélioration de la compétitivité dans le pays d’origine (aug° des exportations et des bénéfices)

Réinvestissement (dans le pays

d’origine)

Augmentation de l’emploi qualifié

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Tableau 1.15. Principaux impacts positifs et négatifs des délocalisations.

Les effets positifs des délocalisations Les effets négatifs des délocalisations

Accroissement du pouvoir d’achat des consommateurs (bas prix des importations).

Baisse des salaires réels de certaines catégories de travailleurs.

Amélioration de la rentabilité des entreprises qui délocalisent. Détérioration de la balance commerciale.

Meilleure maîtrise de l’inflation grâce à l’impact des faibles prix à l’importation.

Affaiblissement possible de la capacité innovatrice (cas des délocalisations de

laboratoires de R&D).

Amélioration de la capacité exportatrice. Perte de recettes fiscales.

Les effets locaux (régionaux, emploi peu qualifié).

Source : Elaboration des auteurs d’après OCDE (2007).

Nous présentons maintenant les principales recommandations politiques formulées dans la littérature (rapports, études).

4.2. Face aux délocalisations, quelles recommandations pour quelle politique ?

La conception « positive » des délocalisations conduit à penser la politique économique, et la politique industrielle, comme une série d’accompagnements qui s’imposent d’eux-mêmes pendant la phase de transition. Il s’agit en quelque sorte de minimiser les coûts sociaux et économiques des ajustements inéluctables à cette nouvelle donne mondiale, ajustements dont font partie les délocalisations. A plus long terme, c’est un ajustement structurel des économies qui est recommandé.

Ainsi, l’ensemble des rapports et études s’accorde en général pour formuler des recommandations politiques combinant deux dimensions :

1) La première vise à rendre l’économie plus flexible afin d’accélérer la transition, en améliorant le fonctionnement des marchés des produits et du travail et en prenant des mesures d’accompagnement des pertes d’emplois induites par les délocalisations.

2) La seconde consiste à faciliter l’adaptation des économies aux nouvelles spécialisations productives que leur réserve la mondialisation. Pour les économies développées, l’effort de recherche développement et l’adaptation au progrès technique sont au coeur de ce second enjeu des politiques économiques.

Nous ne détaillons pas ici ces préconisations qui cachent souvent un présupposé idéologique. Nous citons cependant pour les illustrer, les principales mesures recommandées par l’OCDE (OCDE, 2007) aux économies développées afin de faciliter leur ajustement structurel face aux délocalisations (tableau 1.16).

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Tableau 1.16 : Les principales mesures d’ajustement structurel préconisées par l’OCDE.

Mesure Commentaire

Organiser au niveau national et local un bon système d’éducation et une formation continue de

toutes les personnes

L’OCDE met ici en évidence que les travailleurs recevant une bonne formation ont moins de

risque de se retrouver au chômage. Si tel est le cas, ils retrouveront plus facilement un emploi

Appliquer un traitement social aux personnes qui perdent leur emploi.

Le traitement social ne peut être que transitoire. A long terme, il faut agir sur les structures du

marché du travail afin de le rendre plus flexible.

Inviter les firmes multinationales à bien respecter les normes sociales et à discuter leur plan de

délocalisation avec les salariés.

Accroître les efforts de R&D et d’innovation.

Seule l’innovation permanente permettrait de limiter la nécessité de délocaliser. L’innovation

technologique est mise en avant et il est recommandé de prendre les PME en

considération.

Réhabiliter la culture scientifique et technologique.

Il faut lutter contre la pénurie d’ingénieurs et de techniciens afin de limiter les délocalisations

dans les secteurs innovants et intensifs en connaissances.

Eliminer les barrières aux échanges et aux investissements.

Il faut réduire les barrières réglementaires afin d’augmenter les exportations (et compenser ainsi

les pertes d’emplois).

Améliorer l’évaluation quantitative des coûts et des bénéfices des délocalisations.

Une meilleure connaissance du phénomène est nécessaire pour permettre une meilleure

orientation des politiques publiques.

Source : Synthèse effectuée d’après OCDE (2007).

Bien qu’elle insiste aussi et avant tout sur l’évaluation qualitative et la compréhension du phénomène, notre étude suit cette dernière mesure. Son principal enjeu et de fournir aux décideurs les éléments de connaissance qui leur permettront d’orienter leurs actions politiques. L’étude s’inscrit en effet dans la perspective suggérée par le Conseil d’Analyse Economique (Fontagné et Lorenzi, 2005, p.93) : « les délocalisations posent avant tout une question d’aménagement du territoire et une question politique ».

*

* *

56

Conclusion de la partie 1

Tout au long de cette première partie, nous avons défendu la nécessité d’une meilleure compréhension des mouvements de délocalisation-relocalisation. Le caractère souvent émotionnel associé à ces mots montre à quel point le phénomène est en réalité difficile à cerner. Il convient donc d’en accepter la complexité et de tenter de la réduire pour la rendre intelligible. Au sens de cette étude, cela passe par une acception ouverte du phénomène nécessitant son évaluation à la fois quantitative et qualitative. Il convient aussi de prendre en compte la temporalité des processus et des décisions de localisation et d’adopter une lecture qui s’inscrit dans les contextes sectoriels et territoriaux qui sont ceux des entreprises. Enfin, il faut positionner l’action publique dans une optique plus offensive que défensive. Cela ne peut se faire sans une bonne compréhension des mobilités afin de déterminer où, quand et comment agir.

Pour satisfaire ces exigences, deux méthodologies ont été mobilisées dans notre étude. La première renvoie à la construction d’une base de données régionale originale (ESPA). La seconde concerne l’analyse qualitative des mouvements de délocalisation-relocalisation et de leurs enjeux (potentiels ou effectifs) pour l’Aquitaine. Cette analyse est issue du traitement des entretiens menés auprès d’entreprises, d’experts sectoriels et d’acteurs institutionnels.

Partie 2

ESPA : une évaluation de la mobilité des activités économiques en Aquitaine

Avec la collaboration de Mathieu Bécue (Ingénieur d’études au GREThA) et Damien

Vandendriessche (Etudiant en Licence d’Economie à l’Université de Bordeaux)

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Introduction

Les transformations des structures productives sont traditionnellement mesurées et analysées par des méthodes de statique comparative. A partir du système de la statistique nationale, il est possible de mesurer les stocks d’entreprises, d’emplois, de chiffre d’affaires, etc. et, en comparant le niveau des stocks à deux dates données, de percevoir comment les structures ont évolué. De la même façon, il existe des variables de flux d’investissements (FBCF), de créations et défaillances d’entreprises, de créations d’emploi, etc. mais ces données sont en général disponibles avec un retard de l’ordre d’une à deux années. En outre, quelles que soient les données mobilisées (agrégées ou individuelles), les chiffres manipulés traduisent un état de fait sans que l’on puisse identifier les motifs de leur évolution. Dit autrement, l’analyste doit composer avec les données brutes pour reconstituer le processus économique dont elles sont le résultat.

C’est ici que se trouve le fondement de la base de données sur les évolutions des structures productives en Aquitaine (ESPA). La démarche consiste à recenser, à partir des informations publiées dans la presse économique, l’ensemble des opérations qui affectent la capacité et les spécialisations productives de l’Aquitaine. L’objectif n’est pas tant de mesurer l’emploi occupé ou les volumes de production réalisés en région, que de dresser un portrait des domaines d’activités qui « entrent », « quittent », « demeurent » en Aquitaine et d’identifier les acteurs porteurs de cette logique. Ce faisant, nous espérons saisir une partie des logiques de mobilité en œuvre en région. Cette méthode est inspirée des travaux proposés par l’ERM et développés sur la région Rhône-Alpes par J.P. Chanteau (2008)17. Certes, l’image construite n’a pas la force de la statistique officielle : nous ne prétendons nullement retracer la totalité des évolutions. La base ESPA est sujette à un certain nombre de biais et ne prétend à pas à l’exhaustivité. Néanmoins, nous pensons qu’elle reflète une part significative de ce qui se produit en Aquitaine. Elle recense une succession de cas singuliers qui, par leur combinaison et leur agrégation, finissent par être signifiants.

La base a été construite sur les deux années 2003 et 2008 afin de dresser deux photographies de la mobilité en région à deux moments de notre histoire récente. Cette partie est dédiée à l’analyse de ces deux années. Après une première section méthodologique où nous présentons les principes qui ont présidé à la construction d’ESPA, nous analyserons les différents formes de mobilité qui affectent l’Aquitaine et contribuent de facto à transformer ses capacités productives.

17 CHANTEAU Jean-Pierre, 2008, "Quantification et analyse stratégique des délocalisations : une étude empirique sur données d’entreprises", Revue d’économie industrielle, n°124, pp. 23-50.

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Section 1. Présentation de la Base de Données des Evolutions des Structures Productives en Aquitaine (ESPA)

Il convient de présenter, rapidement, les principes de construction de la base ESPA. L’objectif était de construire une source d’information relevant une succession de cas singuliers d’entreprises/établissements qui « bougent » (arrivent, partent, s’ancrent) en région (paragraphe 1.1). Le deuxième paragraphe explicite certains choix : catégories d’informations qui ont été prises en compte ou au contraire ignorées. La base se limite finalement aux activités industrielles et de services aux entreprises, deux branches qui semblent, potentiellement, les plus sensibles aux mouvements de délocalisations et relocalisations.

1.1. L’objectif de la base : évaluer l’évolution des capacités productives

Un des problèmes concernant la mobilité des entreprises est celui du manque d’informations disponibles. A défaut d’enquêtes traitant explicitement de la question, la plupart des études fonctionnent sur la base de proxi : investissements directs à l’étranger (entrant/sortant) ce qui néglige les extensions locales ; créations/faillites d’entreprises éventuellement couplées à l’exploitation du fichier Liaisons Financières de l’INSEE sur la nationalité des groupes, etc.

Il reste que quelle que soit la méthode employée des incertitudes existent sur le fait de manquer certaines informations surtout lorsqu’on travaille à un niveau régional où les données sont plus rarement désagrégées.

Cette étude a souhaité mettre en œuvre une méthode tentant d’approcher, dans leur ensemble, les logiques de mobilité des entreprises. Conformément aux enseignements de l’analyse de la littérature (cf. Partie I), il convient d’appréhender la question de la « localisation/délocalisation » comme étant la résultante d’une décision d’ordre micro-économique mettant en arbitrage une « localisation ici et une localisation ailleurs ». Le questionnement vise donc à comprendre ce qui se crée, s’implante en région et, a contrario, ce qui se crée ailleurs ou déménage d’ici vers ailleurs, de l’Aquitaine vers le « reste du monde ». Du point de vue des échelles spatiales productives, la région est donc considérée l’espace domestique.

Sous cette hypothèse, les situations de mobilité se révèlent multiples et conjugent différentes modalités et différents espaces d’origine et d’accueil.

Sont tout d’abord considérées les décisions favorables à l’Aquitaine qui recouvrent l’ensemble des modalités qui conduisent à renforcer le potentiel productif de la région :

- Les créations d’entreprises et/ou d’établissements en région qu’il s’agisse de créations d’entreprises nouvelles, d’implantations d’activités provenant d’une autre région ou d’un autre pays ou encore de rachats d’entreprise/établissement (et cela quelle que soit la nationalité de l’entreprises porteuse du projet).

- Les reprises et extensions d’activités. Leur prise en compte est originale par rapport aux travaux existants. Ces opérations sont ici comptabilisées car elles résultent d’une décision visant à valider l’implantation locale et, de ce fait, s’inscrivent bien dans un processus d’arbitrage qui conduit à confirmer la localisation domestique (au détriment d’une alternative externe).

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Ensuite, sont considérées toutes les décisions qui aboutissent à réduire la capacité productive de l’Aquitaine:

- Fermetures de sites ou désinvestissements qu’ils s’accompagnent ou non d’une délocalisation, en France ou à l’étranger.

- Toute création dans un espace non domestique réalisée par une entreprise Aquitaine.

Ce dernier point peut poser un problème car ces opérations peuvent renforcer le potentiel productif d’une entreprise locale (par exemple, lorsqu’il s’agit de construire une représentation commerciale dans un espace que l’entreprise souhaite démarcher). Pour tenir compte de cela, la base comprend des items visant à dissocier les situations où l’implantation nouvelle relève d’une logique de substitution de celles qui relèvent d’une logique d’extension.

L’analyse du renforcement/déclin de la capacité productive est conduite à partir d’informations sur les flux (mouvements des entreprises) et leurs motivations. La base ESPA a donc été construite dans le but cerner ce qui se passe en Aquitaine en matière de croissance/décroissance des potentiels de production locaux. Au lieu de mesurer les capacités existantes (en termes d’effectif ou de chiffre d’affaires), sont considérées les décisions individuelles des entreprises présentes en Aquitaine, ce qui offre une appréciation du potentiel d’attraction/répulsion dans certains domaines productifs18.

1.2. La méthode de construction

La méthode de construction de la base s’inscrit dans la perspective ouverte par l’European Restructuring Monitor d’alimentation de base de données à partir d’un suivi de la presse économique. Le postulat méthodologique est le suivant : il est pertinent de construire des bases de données sur le recueil des pratiques des acteurs économiques dont l’objet est d’ordonner et de synthétiser des données qualitatives. L’approche est complémentaire des autres outils de mesures des phénomènes économiques. Cependant, l’ERM sous-estime les mouvements régionaux, d’où l’utilité d’ESPA.

• Les sources d’informations

ESPA est renseignée à partir de l’information publiée par Aquitaine Presse Service (APS) dans sa version papier et dans la forme électronique des « 16h00 d’APS ». Deux raisons justifient ce choix. D’une part APS vise, par son projet éditorial, à rendre compte d’un maximum d’évènements affectant la région. D’autre part, les descriptifs des opérations autorisent leur codage dans une base afin de structurer l’information pour la rendre

18 Le déclin d’un domaine d’activité ou au contraire l’émergence d’un autre n’est pas nécessairement lié à la taille des établissements/entreprises disparaissant ou arrivant. Les travaux récents en économie mettent en avant la notion « de firmes structurantes » parmi lesquelles on distingue les entreprises de grandes tailles (conception traditionnellement envisagée compte tenu de leur poids économique en termes d’effectifs, d’achat local (sous-traitance) ou de de distribution de revenu) mais aussi les entreprises qui sont structurantes par leur position dans la chaîne de valeur (compétences singulières détenues) ou par leur comportement particulièrement innovant (Colletis, 2009, « Les firmes structurantes : entre dynamiques industrielles et dynamiques sptatiales », Article présenté aux 6ème Journées de la Proximité, 14-16 octobre, Poitiers). Ainsi, certaines firmes de petite taille sont des vecteurs d’attraction importants et contribuent à structurer l’économie d’un territoire au-delà de ce que suggère leur poids économique. La seule approche quantitative ne permet pas de saisir ces entreprises et donc, la capacité productive intrinsèque d’un espace.

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manipulable. L’information obtenue est, au niveau régional, plus « riche » que celle recensée dans la base ERM.

Chaque article d’APS a été dépouillé et codé. Pour l’identification des codes APE et trouver des données de cadrage sur les établissements concernés, ainsi que leurs éventuelles têtes de groupe, ont par ailleurs été mobilisés : la base DIANE, le site Internet Société.com et les sites Internet des entreprises (en particulier pour les multinationales). Lorsque le descriptif fourni comportait certaines ambiguïtés, d’autres sources d’informations ont été mobilisées : la presse par le biais de la base de données Factiva qui recouvre l’ensemble de la presse nationale et régionale, et Internet (sites d’entreprises, sites des syndicats –ces derniers permettant parfois de trancher sur la « réalité d’une délocalisation » dans le cas de certaines fermetures ambiguës).

• Le champ de l’enquête

L’objectif étant de saisir la mobilité des entreprises, l’étude s’est focalisée sur :

- les activités industrielles (production, transformation, réalisation) (Groupe B, C de la classification NAF19 de l’INSEE) ;

- les services aux entreprises (conseil, études…) à l’exclusion du secteur du transport proprement dit ;

- les activités de stockage et de distribution à destination des entreprises ;

- les activités de recherche, développement et de direction.

Ont ainsi été exclus du champ de l’enquête, les secteurs qui sont réputés ancrés car liés fonctionnellement au territoire :

- les activités agricoles, Groupe A de la classification sectorielle de l’INSEE sauf lorsque des activités connexes de nature industrielle était identifiable ;

- toutes les activités de service à la personne (économie résidentielle, services touristiques, commerce de détail, banque, immobilier) (Groupe, T, K, I, H, L, G sauf la Division 46-niveau 3 de la classification INSEE) ;

- les activités liées à la construction (Groupe F) à l’exception des activités de Siège et des activités industrielles des entreprises classées dans le secteur de la construction (43.3 au niveau 4 de la classification INSEE) ;

- le secteur des transports dans la mesure où sa trop forte fragmentation rendait illusoire l’espoir de rendre compte d’une image approximante de la réalité. Ont néanmoins été conservées les activités logistiques significatives autour des activités portuaires dans la mesure où ils participent d’un renforcement/déclin de la capacité attractive au titre des grandes infrastructures (groupe 52 en niveau 3). De fait, ont été exclus les affréteurs de transport ;

- les activités liées à l’Administration (groupe O), l’Enseignement (Groupe P), Arts (groupe R)

19 Nous utilisons la classification révisée de 2008. Voir infra pour certaines précisions concernant les établissements en 2003.

62

- La production et distribution d’énergie sauf la production d’électricité (code NAF 3511Z) car le développement des énergies alternatives amène à développer des capacités productives potentiellement porteuses d’emplois directs et indirects.

Dans certains cas et en descendant à un niveau plus fin d’analyse, sont « ajoutées » les activités de production, d’administration (siège) et distribution/logistique pour d’éventuelles entreprises relevant de ces 6 domaines mais dont le projet considéré recouvre directement un registre industriel ou de service aux entreprises. En effet, chaque enregistrement est d’abord réalisé sur la base de sa vocation industrielle ou de service aux entreprises avant d’être recoupé avec le code NAF de l’entreprise.

• La sélection des projets

Les projets et réalisations pris en compte devaient correspondre à une des opérations suivantes :

- Création d’entreprise

- Liquidation judiciaire

- Annonce d’investissement (extension de production, de site, implantation nouvelle), et de recrutement important (le seuil d’un accroissement des effectifs de 10% ou +100 emplois a été retenu conformément à la méthode proposée par European Restructuring Monitor) que ce soit en France ou à l’étranger.

- Annonce de désinvestissement ou de réduction significative d’effectif.

- Relocalisation, délocalisation (l’utilisation du terme est rare une partie des lignes a dû être recodée pour recréer l’information).

Le mode de renseignement de la base est déclaratif. La plupart des enregistrements correspondent à des annonces en ce qui concerne les implantations et les extensions. Pour un certain nombre de cas, il a été tenté de mener une analyse complémentaire à partir d’autres sources (presse et sites Internet des entreprises) pour estimer si les projets étaient confirmés ou au contraire invalidés (en particulier pour 2008 où les incertitudes de la crise amènent à reconsidérer certains choix initiaux). Les liquidations sont par contre enregistrées à leur date effective.

Les deux bases initiales comprenaient 659 enregistrements pour l’année 2003 et 850 pour l’année 200820. L’écart peut se justifier de trois manières : une plus faible activité des entreprises aquitaines ; une diffusion moindre des informations21 ; une élimination plus systématique de certains codes NAF après l’expérience de l’année 2008 (nous avons en effet commencé par l’année 2008 avant de traiter l’année 2003).

20 L’architecture de la base a été conçue par les membres de l’équipe de recherche. Damien Vandendriessche, étudiant en Licence sciences économiques et gestion à l’Université Bordeaux IV, a été chargé de collecter les informations dans APS (de fin juin à fin juillet 2009). La base a ensuite été vérifiée, recodée éventuellement en particulier en recherchant des informations complémentaires et triée par les membres de l’équipe. 21 Il est à noter qu’en 2003, le « 16h00 » n’existait pas et que son « équivalent » de l’époque (« e-spy » diffusé à 17h45) est difficilement retrouvable en utilisant le moteur de recherche du site APS ce qui peut expliquer en partie la moindre quantité d’informations recueillies.

63

Après nettoyage (élimination des projets éloignés de l’objectif de l’étude, élimination des doublons, élimination de certains projets annoncés dont la réalisation a été explicitement annulée), la base comprend 580 enregistrements pour 2003 et 766 pour 2008, soit un total de 1 346 enregistrements qu’il s’agit désormais d’analyser.

Section 2. Un panorama général de l’évolution des capacités productives en Aquitaine

La base permet d’appréhender les traits marquants de l’évolution des capacités productives de l’économie régionale tant sur le plan industriel que sur celui des services aux entreprises. ESPA recense des actes, des opérations, qu’elle appréhende sous l’angle informationnel. L’étude étant ciblée sur les transformations du potentiel productif, ce sont des données de flux qui sont analysées. La base recense trois types de flux (cf. figures 2.1 et 2.2) :

- Des opérations qui conduisent à renforcer le potentiel régional. Elles sont le fruit des créations d’entreprises, des implantations, des extensions (investissements ou recrutements significatifs), des déménagements intra-régionaux ou des délocalisations à destination de l’Aquitaine.

- Des opérations qui fragilisent le tissu régional : faillites et fermetures de sites, délocalisations, externalisations sous forme de sous-traitance conduisant à faire « partir des activités locales », autrement dit l’ensemble des investissements productifs non réalisés localement.

- Une troisième rubrique s’est imposée : elle concerne des opérations a priori « Neutres » dans la mesure où elles ne transforment pas immédiatement le potentiel productif régional. Ces opérations correspondent pour l’essentiel à des déménagements à l’intérieur de l’espace régional d’une part et à des acquisitions (rarement cessions) d’entreprises ou d’établissements en Aquitaine. Ainsi qu’on le verra plus tard, ces opérations relèvent dans leur logique intrinsèque d’une réaffirmation de l’ancrage local ce qui justifie leur insertion dans la base.

D’un point de vue productif, les années 2003 et 2008 se caractérisent avant tout par un renforcement des capacités de production. Bien qu’il s’agisse d’années conjoncturellement difficiles (cf. encadré 1), un certain optimisme22 prévaut lorsqu’on considère que les caractères dominants dans notre échantillon correspondent aux items Création/implantation et Extension. Les deux années sont assez similaires à cet égard puisque, dans les deux cas, les créations/implantation représentent un peu moins de la moitié des opérations enregistrées.

22 La base est travaillée en nombre de cas et non en termes d’emplois. Il est bien évident qu’une approche par les effectifs supprimés/crées pourraient fortement nuancer cette vision. L’encadré 2 (voir infra) confirme d’ailleurs qu’une dynamique positive en termes de création d’entreprises ne correspond pas nécessairement à une image similaire en termes d’emplois.

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Les projets d’extension sont, en nombre, très proche mais leur poids diffère significativement de sorte qu’ils apparaissent moins nombreux en 2008. Il est possible que cela soit lié à la conjoncture (il a été constaté que plusieurs projets ont été annulés au cours de l’année 2009). Enfin, les annonces de mobilité intra-aquitaine ou de délocalisations à destination de l’aquitaine (quelle que soit leur provenance) sont, en valeurs relative et absolue, peu nombreuses même si on note qu’elles sont moins rares en 2008 qu’en 2003 (elles représentent respectivement en 2003 et 2008, 1,2 et 2,2% des opérations).

Encadré 2. 1 . Quelques données de cadrage sur l’économie Aquitaine (2003 ; 2008)

Les deux années 2003 et 2008 ont été choisies car elles offrent des profils similaires dans l’histoire économique récente : celle d’une entrée en récession, même si les ajustements ne s’effectuent pas de manière identique compte tenu des évolutions macroéconomiques nationale et internationale et des mutations des structures productives qui se sont opérées depuis une dizaine d’année.

2003 2008 Croissance PIB en volume -1% 0,3% Créations d'entreprises en Aquitaine (données CVS-CJO) - toutes activités marchandes hors agriculture

12 414 17 591

Créations d’entreprises, taux croissance n-1 12.1%

0.4%

Défaillances d’entreprises, unités Insee-BODACC 1940 2660

Défaillances d’entreprises, taux croissance n-1 Insee-BODACC 8.7% 21.9%

Croissance de l’emploi salariée marchand (yc interim)

-0,2% (-0,4%)

+0,4%

Chômage Unité et Taux T4 (CVS, DEFM cat A, 31/12)

132 100; 8.9%

107.300; 7,6%

Chômage Taux croissance n-1 +4% +10% Importations (évolution, valeur) -7% +5,3% Exportations (évolution, valeur) -7% +2,1%

Sources données : INSEE-Aquitaine

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Figure 2.1 – Nature des opérations enregistrées en 2003

Source : ESPA Figure 2.2 – Nature des opérations enregistrées en 2008

Source : ESPA

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Un autre item important est celui des déménagements intra-aquitains. Souvent négligés dans les travaux sur la mobilité des firmes, il peut pourtant être mis en évidence que loin d’être immobiles, les entreprises régionales se déplacent à l’intérieur des frontières régionales. Plusieurs logiques se retrouvent ici : des start-up qui quittent les pépinières d’entreprises pour emménager dans leurs propres locaux, des entreprises anciennes qui déménagent pour de nouveaux locaux plus vastes, des entreprises qui restructurent plusieurs implantations locales historiquement accumulées et rationalisent leurs différents sites (fermeture et/ou spécialisation), des entreprises expropriées à l’occasion de la construction de grandes infrastructures, des entreprises confrontées à des problèmes d’obsolescence de leur ancienne localisation… Quel que soit le motif, il est à retenir que ces déménagements intra-aquitains peuvent s’interpréter comme une réaffirmation du choix de la localisation en région. Dans notre démarche qui consiste à considérer que la délocalisation correspond à un arbitrage d’ordre micro-économique entre aller ici ou ailleurs, ces déménagements relèvent d’une réaffirmation de la légitimité du choix d’être là.

Figure 2.3. – Distribution par objet des opérations en 2003 et 2008

Source : ESPA

A l’opposé, ont été identifiés 16 cas en 2003 et 83 cas en 2008 d’entreprises qui font le choix d’aller ou d’investir ailleurs. L’augmentation est significative aussi en valeur relative puisqu’ils représentent respectivement 2,8% et 10,8% des projets recensés dans ESPA. Avant d’en faire l’analyse proprement dite, retenons pour l’instant que cette évolution dénote d’une internationalisation des entreprises régionales et, pour une part non négligeable des cas, des mouvements de délocalisation au sens strict.

Dans la rubrique Fragilisation où figurent les délocalisations, le poids relatif des fermetures et faillites d’entreprises évoluent fortement (sans que puisse y être associé un motif de délocalisation proprement dit). Signe que la conjoncture n’a pas encore produit la totalité de

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ses effets ou bien (sans qu’on puisse totalement trancher par manque de recul) d’une plus forte résilience de l’économie régionale, le nombre de fermetures est singulièrement plus important en 2003 qu’en 2008 (89 cas contre 64 cas, soit 15,3% contre 8,4% des opérations enregistrées).

Trois constats se dégagent de ce panorama rapide :

la dynamique régionale est avant tout marquée par un renforcement de son potentiel productif (appréhendé selon le nombre d’unités présentes);

les cas de mobilité, y compris intra-régionale, sont nombreux ;

s’ils ne sont qu’une des formes la mobilité des entreprises, les phénomènes de délocalisation vers ou depuis l’Aquitaine existent et paraissent en augmentation.

Les problématiques sont scindées pour être détaillées dans les différentes sections : créations et implantations (section 3), fermetures et réductions significatives d’activité (section 4), stratégies d’ancrage en Aquitaine (section 5), délocalisations vers l’Aquitaine (section 6), acquisitions et prises de participation (section 7), mobilité extra-régionale, y compris délocalisations (section 8).

Encadré 2.2 Une analyse de la migration des entreprises à partir de la base Coface

De manière similaire à ce qui a été fait pour les créations d’entreprises (cf. encadré 2), ont été collectées des données sur les migrations d’entreprises entendues comme étant la différence entre les aménagements (entrées) et les déménagements (sorties) d’entreprises sur ce territoire. Cette analyse est réalisée sur la période 2006-2008, et propose également une analyse de cette dynamique à l’échelle sectorielle et en termes de soldes nets d’emplois issues de ces migrations.

Les données proviennent de la Coface via son site Cofacerating. Elles ne permettent pas d’identifier la provenance et la destination des entreprises migrantes. Ces données de migration sont exhaustives dès lors que les entreprises entrantes ou sortantes restent sur le territoire national. Les mobilités internationales ne sont que partiellement renseignées.

• Un solde net migratoire d’entreprise qui pourrait attester de la forte attractivité de la Région Aquitaine

Avec un solde migratoire net positif de quelques 1 200 entreprises sur la période 2006-2008, l’Aquitaine est la région la plus attractive du territoire métropolitain : 3377 nouvelles entreprises sont venues s’installer (emménager) en Aquitaine, et 2170 en sont parties

L’analyse des données souligne un fort héliotropisme. Parmi les 5 régions françaises ayant enregistré un solde net négative, toutes font partie de la moitié Nord du pays.

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Solde net de migration d’entreprises par Région

1189

-600 -400 -200 0 200 400 600 800 1000 1200 1400

AquitaineProvence Alpes Côte d'Azur

Languedoc RoussillonBretagne

Midi PyrénéesPays de la LoirePoitou Charente

basse NormandieBourgogne

CorseCentre

LimousinRhône Alpes

AuvergneFranche Comté

Haute NormandiePicardie

Champagne ArdenneLorraineAlsace

Nord Pas de Calais

Source : données Cofacerating, traitement CRITEC

• Une attractivité portée par de nombreux secteurs sur lesquels la Région Aquitaine affiche un leadership

Cette forte attractivité de l’Aquitaine se retrouve pour de nombreux secteurs d’activité. Parmi les 20 étudiés, l’Aquitaine appartient aux 5 régions les plus attractives pour 14 d’entre eux et elle est leader dans les domaines du « Bois, Papier, Carton », de « l’Edition, Imprimerie, Reproduction », « l’Equipement du foyer », les « services aux entreprises » et « les services aux particuliers ». Les seules « fausses notes » sont à rechercher du côté de « l’Agriculture » (11ème place), des « Machines Outils équipements » et de la « Métallurgie, travail des métaux » (17ème place).

Dans ce contexte, les secteurs des « services aux entreprises » et des « services aux particuliers » concentrent plus de 60% du total du solde positif migratoire, avec des soldes respectifs de 209 et 511 entreprises devant les activités du BTP et de la distribution généraliste. Cette proportion élevée se retrouve plus globalement à l’échelle nationale. Seul le secteur des « Machines et outils équipements » affiche un solde négatif.

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Solde net de migration d’entreprises par secteur

511

-50 0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550

Services aux particuliersServices aux entreprises

Bâtiment et travaux publicsDistribution généraliste

Technologie de l'informationEquipement du foyer

Agro - alimentaireTextile habillement cuir

Energie - services collectifsEdition imprimerie et reproduction

Biens de consommationBanques et assurances

Chimie pharmacie plastiquesElectrique électronique informatique

Bois papier cartonAgriculture

Transports et logistiqueAutomobile aéronautique et autres

Métallurgie et travail des métauxMachines - outils équipements

Source : données brutes Cofacerating, traitement CRITEC Solde net d’emplois par secteur d’activité

-1000 -800 -600 -400 -200 0 200 400 600 800

Distribution généralisteAutomobile aéronautique et autres

Bâtiment et travaux publicsAgro - alimentaire

Chimie pharmacie plastiquesTransports et logistique

Equipement du foyerBiens de consommation

Edition imprimerie et reproductionElectrique électronique informatique

Machines - outils équipementsTechnologie de l'information

Services aux particuliersMétallurgie et travail des métaux

Bois papier cartonEnergie - services collectifs

Banques et assurancesAgriculture

Textile habillement cuirServices aux entreprises

+1723

-2904

Source : données brutes Cofacerating, traitement CRITEC

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• Mais une attractivité à nuancer au regard du solde net d’emplois issu du solde migratoire d’entreprise

Néanmoins, cette dynamique doit être relativisée au regard des soldes d’emplois issus de ces mouvements de mobilité. En effet, et bien qu’il soit imputable à la seule année 2006, sur la période d’analyse, le solde net d’emplois de la région Aquitaine issu de ces migrations est négatif (perte nette d’environ 1 200 postes).

Il est alors possible d’opposer : - d’un côté les secteurs ayant enregistré un solde négatif (12 au total), parmi lesquels les

« services aux entreprises » et le « textile habillement Cuir » ont joué un rôle majeur en représentant plus de 40% des pertes d’emplois, sur les 2 900 emplois nets perdus,

- de l’autre côté, les secteurs ayant enregistré un solde positif, où l’on retrouve notamment les activités de « distribution généraliste » et de « l’automobile et aéronautique ».

Synthèse matricielle

Une typologie peut être proposée, visant à mesurer la véritable « épaisseur-intensité » de l’attractivité sectorielle de la région Aquitaine. Pour ce faire, les activités économiques de la région sont positionnées en fonction de leur solde net d’emplois issu des migrations enregistrées et de leur place en termes de solde net d’entreprises à l’échelle nationale.

L’intensité de l’attractivité d’un secteur sera d’autant plus importante que solde net d’emploi sera positif conjointement au bon positionnement à l’échelle nationale de la région Aquitaine dans le solde net migratoire.

Dans ce cadre, il est entre autre possible de distinguer les secteurs régionaux : - fortement attractifs, parmi lesquels nous retrouvons les activités « Equipement de Foyer »,

l’ »Agro-alimentaire », le « Bâtiments et travaux publics », la « Chimie, pharmacie, plastique » et la « Distribution Générale »,

- apparemment attractifs, pour lesquels le solde net d’emplois a été négatif conjointement à un solde migratoire positif. On y retrouve, les secteurs du « Bois, papier, Carton », des « services aux entreprises » et des « services aux particuliers »

- pas ou peu attractifs, avec en particulier les secteurs de l’Agriculture » et de la « Métallurgie, travail des métaux ».

Leader Parmi les 5 régions les plus

« attractives *» « Manque »

d’attractivité »

Solde net d’emploi positif

Equipement du foyer

Agro-alimentaire Bâtiments et travaux publics Chimie, pharmacie, plastique

Distribution généraliste

Equilibre Edition,

imprimerie, reproduction

Electrique, électronique, informatique Technologie de l’information

Machine, outils équipements

Solde net d’emploi négatif

Bois, papier, carton Services aux entreprises

Services aux particuliers

Banques et assurances Energie, services collectifs Textile, Habillement, cuir

Agriculture Métallurgie, travail

des métaux

* Note : Les secteurs des biens de consommation (6ème région, solde neutre) et du Transport et logistique (7ème région, solde emplois positif) ne sont pas représentés dans ce tableau. Par ailleurs, les observations sont trop peu nombreuses (faible mobilité) pour faire apparaître l’automobile et l’aéronautique.

71

Section 3. Les créations d’entreprises et les implantations en Aquitaine

L’item Création/implantation recense (dans le cas des nouvelles activiéts) toutes les décisions de localisation des entreprises en Aquitaine. On s’intéresse donc aux établissements ou entreprises créés en région.

3.1. Les activités créées/implantées en Aquitaine

Les logiques de localisation renvoient souvent à des logiques sectorielles, c’est pourquoi il convient d’abord d’orienter l’analyse en fonction des secteurs concernés. Mais la diversité des dynamiques de localisation s’appréhende aussi selon les fonctions considérées (de production, de services, de conception, de commercialisation…), c’est pourquoi l’entrée sectorielle est complétée par une entrée « fonctionnelle ». Ce croisement nous permet de mieux qualifier la nature des activités qui « bougent » en région.

3.1.1. Approche sectorielle

D’un point de vue sectoriel, le secteur le plus dynamique est celui des services aux entreprises. Ceci n’est pas surprenant compte tenu de la tertiarisation de l’économie et du mouvement d’externalisation amorcé dans les industries depuis la décennie quatre-vingts qui s’amplifie et se diffuse sectoriellement depuis la deuxième moitié de la décennie quatre-vingt-dix.

Tableau 2.1. Distribution sectorielle des créations/implantations 2003 et 2008

2003 2008 Unités % Unités % Industries manufacturières 66 25.6% 50 13.5% Utilities & construction 4 1.6% 17 4.6% Commerce (gros), entreposage 47 18.2% 28 7.5% Information et communication (sauf ci-dessous) 21 8.1% 9 2.4% Programmation, conseil, services informatiques 18 7.0% 58 15.6% Activités spécialisées, scientifiques et techniques 9 3.5% 17 4.6% Activités des sièges sociaux ; conseil de gestion 27 10.5% 98 26.4% Activités d'ingénierie, Activités de contrôle et analyses techniques 29 11.2% 42 11.3%

Publicité et études de marché 16 6.2% 16 4.3% Activités de services administratifs et de soutien 17 6.6% 28 7.5% Divers 4 1.6% 8 2.2%

Total sous-ensemble déterminé 258 100% 371 100% Indéterminé 23 8.2% 8 2.1% Total 281 379

Notes : 1) l’analyse est basée sur la classification révisée 2008 de l’INSEE. 2) Le niveau des renseignements des codes NAF est plus faible en 2003 car un certain nombre d’entreprises ont disparu ou changé de nom sur la période (sans que l’on puisse retrouver leur code). Lorsque la description de l’activité été insuffisante, un code sectoriel a été affecté un code sectoriel par nos soins. Source : ESPA

L’industrie représente environ un quart des établissements crées/implantés recensés dans ESPA en 2003 et seulement 13,5% en 2008 (cf. tableau 2.1). Ce dernier taux est faible car s’il est comparable au poids de l’industrie en région (14,8% de l’emploi), il lui est très inférieur si l’on considère qu’ont été exclues de la base toutes les activités agricoles et de services aux ménages.

72

Une première conclusion pourrait être énoncée sur la faiblesse apparente de la dynamique des créations d’établissements industriels en Aquitaine sur la période récente.

Un deuxième point notable concerne le dynamisme des activités « de soutien » aux activités industrielles. Traduisant à la fois la logique d’externalisation, le poids des industries de haute technologie en région et la qualité du système de formation technologique régionale, la Division Activités d’ingénierie & Activités de contrôle et analyses techniques représente un peu plus de 11% des créations en 2003 et 2008.

En troisième lieu, deux activités se développent sur la période récente. Tout d’abord, la Division Programmation, conseil et autres activités informatiques représente à elle seule 15,6% des créations d’établissements et entreprises. Le secteur de l’informatique connaît un dynamisme important lié au rythme de création d’entreprises ainsi qu’aux mouvements de mobilité (voir plus bas). Ensuite, les Activités de sièges sociaux & conseil de gestion semble en forte croissance puisque qu’elles représentent plus du quart des créations.

Tableau 2.2. Les 10 premiers secteurs (niveau Division 2008) de créations/implantations (2003 et 2008)

Rang 2003 Unités Cumul 1 Commerce de gros, à l'exception des automobiles et des motocycles 39 15.1% 2 Activités d'ingénierie, Activités de contrôle et analyses techniques 29 26.4% 3 Activités des sièges sociaux ; conseil de gestion 27 36.8% 4 Programmation, conseil, services informatiques 18 43.8% 5 Publicité et études de marché 16 50.0% 6 Activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises 13 55.0% 7 Imprimerie et reproduction enregistrements 12 59.7% 8 Fabrication de produits métalliques 9 63.2% 9 Réparation et installation machines 9 66.7%

10 Services d'information 8 69.8%

Rang 2008 Unités Cumul 1 Activités des sièges sociaux ; conseil de gestion 98 26.4% 2 Programmation, conseil, services informatiques 58 42.0% 3 Activités d'ingénierie, Activités de contrôle et analyses techniques 42 53.4% 4 Commerce de gros, à l'exception des automobiles et des motocycles 24 59.8% 5 Activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises 19 65.0% 6 Publicité et études de marché 16 69.3% 7 Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques 16 73.6% 8 Réparation et installation machines 9 76.0% 9 Collecte traitements déchets, récupération, Dépollution 9 78.4%

10 Fabrication de produits métalliques 7 80.3% Source : ESPA

Par ailleurs, il est à craindre qu’un grand nombre des entreprises de Conseil de Gestion disparaissent durant les années prochaines sous l’effet d’un engorgement du marché ; d’autant plus qu’il s’agit en général de créations d’entreprises individuelles dont on sait la pérennité faible à cinq ans.

Pour résumer, les créations/implantation en Aquitaine sont d’autant moins surprenantes que l’on tient compte du biais de sélection initialement adopté : les services aux entreprises sont les plus dynamiques même si les performances de l’industrie (en particulier la baisse de son poids relatif dans l’échantillon) semblent quelque peu inquiétantes.

73

Dans le même registre, la fréquence cumulée (cf. tableau 2.2) montre que le poids des secteurs les plus dynamiques tend à s’accentuer. Alors que les cinq premiers secteurs représentaient la moitié des créations/implantations en 2003, ce seuil est atteint avec seulement trois secteurs en 2008.

Afin de vérifier le calibrage de la base ESPA, ont été collectées des données complémentaires sur les créations nettes d’entreprises entendues comme la différence entre les créations, les défaillances (liquidation judiciaire) et les cessations d’entreprises (encadré 2.3).

Encadré 2.3. Une analyse des créations d’entreprises d’après les données Cofacerating

Nous mobilisons la base de données de la Coface pour lesquels nous avons considéré trois années (de 2006 à 2008).

L’examen des soldes nets de créations d’entreprises confirme les deux points clés de notre conclusion sur les créations : une faiblesse de l’industrie, une forte concentration sectorielle.

En effet, l’essentiel des créations nettes d’entreprises se déploient dans le secteur des services et notamment dans les Services aux particuliers (qui rappelons-le sont exclus d’ESPA). A eux seuls, les Services aux particuliers, les Services aux entreprises et le Bâtiment et travaux publics concentrent près de 70% du solde net des créations d’entreprises en Aquitaine. Une seule activité, Bois, papier, carton, présente un solde négatif sur la période.

Ces données permettent de mettre en évidence le positionnement de l’Aquitaine dans le paysage français. Avec un solde net de création de près de 17 000 entreprises, sur la période 2006-2008, la région Aquitaine se positionne en 5ème position des régions de la France Métropolitaine, devant les régions Midi-Pyrénées et Bretagne.

Ventilation sectorielle des soldes nets des créations d’entreprises en Aquitaine

4006

-89

-500 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 3500 4000 4500

Services aux particuliersServices aux entreprises

Bâtiment et travaux publicsAgriculture

Distribution généralisteTechnologie de l'information

Banques et assurancesAutomobile aéronautique et autres

Transports et logistiqueBiens de consommation

Equipement du foyerTextile habillement cuir

Chimie pharmacie plastiquesMachines - outils équipements

Energie - services collectifsAgro - alimentaire

Edition imprimerie et reproductionElectrique électronique informatique

Métallurgie et travail des métauxBois papier carton

Source : données brutes Cofacerating, traitement CRITEC

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Soldes nets des créations d’entreprises par région française

14839

1906716922

86490

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 70000 80000 90000 100000

Ile de FranceProvence Alpes Côte d'Azur

Rhône AlpesLanguedoc Roussillon

AquitaineMidi Pyrénées

Pays de la LoireNord Pas de Calais

BretagneAlsaceCentre

LorraineHaute NormandiePoitou Charente

BourgognePicardie

Champagne Ardennebasse Normandie

AuvergneFranche Comté

CorseLimousin

Source : données brutes Cofacerating, traitement CRITEC

3.1.2. Approche fonctionnelle La démarche qualitative permet de dresser une autre cartographie des créations/implantations, basée sur un raisonnement par fonctions.

En suivant la typologie de l’Agence Française pour les Investissements Internationaux (AFII), les projets ont été décomposés par distinction des ouvertures selon qu’elles concernent (i) des Bureaux commerciaux, des Centres de RD, des Centres d’appels, des Unités de distribution, de logistique ou de conditionnement ; (ii) des activités de Production visant à produire des biens ou à transformer des produits, (iii) des activités de type Siège social23.

Il a semblé utile de décomposer la catégorie « autres activités » en plusieurs rubriques : Autres Services aux entreprises (essentiellement composée par les activités d’ingénierie et techniques), Services de Communication et publicité, Services informatiques au sens large, Services de conseil en organisation et les fonctions de support administratif (du type secrétariat et traduction ; dissociés des centres d’appels).

Enfin une rubrique Autres, correspond essentiellement aux activités de recyclage et, sur la période récente, à la production d’électricité (solaire, biomasse…).

23 La notion de Siège social s’entend au sens d’un établissement chargé d’assurer les fonctions de direction d’une entreprise. On exclut ainsi les entreprises mono-établissement où par définition toutes les activités sont présentes sur un site unique.

75

Figure 2.4 – Distribution fonctionnelle des créations/implantations, 2003 et 2008 0.0% 5.0% 10.0% 15.0% 20.0% 25.0% 30.0% 35.0%

Bureau commercial

Centre RD

Centre appels

Unité de distribution, logistique, conditionnement

Communication, Publicité

Informatique

Conseil organisation, fonction administrative

Autres Services entreprises

Production/réalisation/assemblage

Service administratif interne ou quartier général

Autres (recyclage, production électricité…)

Indéterminé

2003 2008

Source : ESPA

Cette décomposition confirme le constat du poids relativement faible des industries manufacturières : les créations/implantions d’activités de Production (à proprement parler) ne recouvrent plus que respectivement 20,3% et 10,3% des projets annoncés en 2003 et 2008 (soit 58 et 39 opérations). Au contraire, les activités Services aux entreprises sont bien la catégorie la plus dynamique et cette image se renforce dans la décomposition puisque les activités de conseil en organisation vont jusqu’à représenter plus du tiers des créations/implantations en 2008 (13,9% en 2003, ce qui témoigne bien de l’engouement actuel pour ce type d’activité).

Le poids des activités d’ingénierie et services techniques est globalement important en région, mais on doit cependant noter qu’ESPA recense peu de création d’unités de R&D. Plus inquiétant, ce chiffre décline en valeur relative et absolue entre 2003 et 2008.

Au total, que soit adoptée une entrée sectorielle ou une entrée fonctionnelle, l’image qui se dessine ici est celle d’une Aquitaine qui peine à attirer de nouveaux projets industriels (et dans une moindre mesure de recherche). A contrario, le dynamisme est fort en matière de services aux entreprises, en particulier pour les services de Conseil en organisation (pour la période récente) dont on se demande si la taille du marché sera suffisante à terme pour assurer la survie de toutes les unités créées.

3.2. Un examen du devenir des établissements créés en 2003

Il est difficile de suivre, dans le temps, le devenir des entreprises (à cause des changements de dénomination sociale, des déménagements de siège…). Cette information a cependant été recherchée afin d’obtenir une appréhension générale du devenir des projets annoncés en 2003. Seules les « créations pures d’entreprises » donnant naissance à de nouvelles entreprises isolées (ie. indépendantes de groupes au sens de l’INSEE) ont été prises en compte.

Sur cet échantillon, le taux de survie des entreprises (en 2008) atteint :

76

- 69,3% des entreprises pour lesquelles il est possible de disposer d’une information certaine quant à leur pérennité (courbe en bleu avec marque « losange plein » sur la figure ci-dessous) ou disparition

- 59,8% (courbe en rouge avec marque « rond vide ») lorsque sont introduites les entreprises dont on présume la disparition, i.e. dont on ne retrouve plus la trace dans les bases de données DIANE et Société.com ou dans les revues de presses économiques (Factiva).

Le fort taux de survie pour les entreprises Utilities et construction repose sur un très faible effectif (4 cas seulement) et n’est donc pas significatif. Les taux de survie sont donc assez homogènes selon les secteurs identifiés, de l’ordre de 60% avec une faiblesse un peu plus marquée pour les entreprises de services spécialisées dans l’Information et la Communication et les Services administratifs & soutien.

Lorsque la totalité des projets est considérée (et non plus uniquement les créations d’entreprises nouvelles), le taux de survie passe à 72,2% (cas certains) ou à 63% (présomptions de fermeture). Ceci semble lié au fait qu’une part de ces projets émanent d’entreprises (nouveaux établissements) déjà implantées.

Le tableau 2.3 permet de préciser certains points utiles.

Figure 2.5. Distribution sectorielle du taux de survie des entreprises créées en 2003

Note : 21 établissements n’ont pas pu être affectés sectoriellement (sur un total de 234 cas). Le taux de survie les concernant est bien plus faible puisqu’il atteint 50% sur les cas certains et 10% lorsqu’on élargit la base aux présomptions de disparition. Source : ESPA

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Tableau 2.3. Devenir en 2008 des établissements créés/implantés en 2003 Origine tête de groupe

Unité % Isolée Multinationale étrangère

dont rachat

Groupe national

dont rachat

Suspicion de fermeture 4 1.6% 4 0 0 0 0 Liquidés/radiés/fermés 64 26.1% 58 5 1 2 0 Actifs 177 72.2% 146 11 2 20 2

Dont délocalisés en France 4 2.3% des

actifs - - - - -

Sous-ensemble 245 100.0% 208 16 3 22 2 Pas d'information 36 Total 281

Source : ESPA

Il est possible de raisonner en considérant l’origine de la tête de groupe (tableau 2.3.). Le taux de survie global s’élève maintenant à 72,2% (cas certains) et 63,0% (avec les présomptions de fermeture).

Sur les 64 disparitions d’établissements identifiées avec certitude, 7 dépendaient d’un groupe dont 1 a été racheté entre 2003 et 2008 à une multinationale étrangère par une autre multinationale.

Parmi les établissements pérennes, 4 ont changé de propriétaire depuis 2003. 2 d’entre eux ont été rachetés par des multinationales étrangères (ils appartenaient déjà à des multinationales étrangères). Les 2 autres cas correspondent à des entreprises isolées qui ont perdu ce statut à l’occasion de leur rachat par des groupes d’origine française24.

Egalement parmi les entreprises pérennes, 4 entreprises implantées en 2003 ont quitté la région, en l’occurrence pour être délocalisées en France. Autrement dit, ces établissements/entreprises sont toujours actifs mais n’exercent plus leur activité en région.

Discriminés par fonction (cf. Figure 2.6), les taux de survie sont assez disparates (la catégorie Bureau commercial est ignorée car elle ne concerne qu’1 cas). Ils oscillent entre 85,2% pour les créations/implantations dans les services de Communication, publicité et 41,4% pour les Services informatique et 56,4% pour les services de Conseil en organisation. Les activités de Production et de Distribution, logistique, conditionnement ont des taux proches de ceux de la moyenne alors que, sur de petits effectifs, les Centres d’appels et Centres de RD présentent un taux de survie élevé avec des taux respectif de 75% (3 survies sur 4 cas) et 70% (7 survies sur 10 cas).

24 On peut s’étonner de la coïncidence : les établissements appartenant à des multinationales étrangères sont revendues à d’autres multinationales étrangères alors que les groupes français acquièretnt des entreprises autonomes. Un travail spécifique mobilisant la base LIFI de l’INSEE pourrait permettre d’examiner plus avant cette question.

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Figure 2.6. Distribution fonctionnelle des taux de survie des entreprises créées ou implantées en 2003

00.10.20.30.40.50.60.70.80.9

1Bureau co

Centre RD

Centre appels

Distribution, log.

Autres services

Com.

Informatique

Conseil

Prod.

Divers

Source : ESPA

L’examen des taux de survie confirme les interrogations sur le devenir des secteurs dynamiques en termes de créations : les activités de Conseil en organisation ainsi que les Services informatiques. En revanche, si les créations d’activités de Production industrielle et de Centres de RD sont assez faibles, elles sont relativement pérennes une fois établies. Les entreprises de Communication font, pour leur part, preuve d’une bonne capacité de résilience pouvant être attribuée à la bonne tenue de la demande et, surtout, à leur flexibilité structurelle (la plupart des entreprises recensées dans ESPA sont en fait des TPE).

3.3. Qui crée des établissements en Aquitaine ?

L’essentiel des opérations de création/implantation enregistrées dans la base correspond à des entreprises indépendantes. Ce taux est d’ailleurs remarquablement stable aux deux dates examinées (légèrement supérieur à 85%).

Les points de pourcentage restant se répartissent de manière assez équitable entre Groupes nationaux et Firmes multinationales. On note cependant une légère domination de ces dernières aux deux dates et une stabilité remarquable des écarts : 7,8% contre 5,7% en 2003 et 8,2% contre 6,1% en 2008 (cf. tableau 2.4).

On assiste à un renforcement des créations émanant des groupes aquitains. Alors que les groupes d’envergure nationale (ie. ne possédant pas d’implantation internationale avérée) d’origine aquitaine sont plus nombreux à investir en région, autrement dit à s’ancrer en région, les groupes nationaux issus d’autres régions françaises réduisent leurs activités en région.

Les créations/implantations réalisées par des multinationales étrangères sont en recul relatif sur les deux dates et elles ne représentent plus que 3,7% de l’ensemble des créations en 2008. Cette faible appétence pour la région Aquitaine est néanmoins compensée par une

79

augmentation (en valeur relative et absolue) des créations d’unités issues de multinationales françaises.

Tableau 2.4. Statut des têtes de groupes créant/implantant des établissements en Aquitaine, 2003 et 2008

Statut de la tête de groupe 2003 2008 Entreprises isolées 85.8% 85.2%

Aquitaine 2.1% 3.7% Groupes nationaux

Autres régions 3.6% 2.4% Etrangères 5.3% 3.7%

Multinationales Françaises 2.5% 4.5%

Indéterminé 0.7% 0.5% Ensemble 100% 100%

Notes : Nous considérons l’origine de la tête de groupe durant l’année en cours (ce qui explique l’écart numérique avec le tableau 2.3 pour l’année 2003) ; 2) Lorsqu’une entreprise appartient à un groupe multirégional, nous l’affectons à la région dominante, de même pour les groupes internationaux. Source : ESPA

ESPA ne renseignant que partiellement les emplois concernés, il est difficile d’en apprécier l’ampleur. Ainsi, les 11 multinationales (sur 31) pour lesquelles les données sont disponibles auraient contribué à la création d’environ 868 emplois (annonces) en 2008. Du coté des groupes nationaux, les 13 cas renseignés (pour 23 cas recensés) ont participé à créer 310 emplois.

Lorsqu’on s’intéresse aux fonctions implantées par les firmes multinationales pour l’année 2008 (cf. tableau 2.5), on s’aperçoit qu’il n’y a guère de différences significatives sur l’objet des créations de sites en Aquitaine par les multinationales étrangères ou françaises. En revanche, signe des temps, 4 projets annoncés visent à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables. Il conviendrait de suivre dans les années prochaines ce type d’activité et de dresser un benchmarking aux niveaux national et international.

Tableau 2.5. Distribution par fonction des unités créées/implantées par des Firmes

multinationales en Aquitaine, 2008 (Unité)

Françaises Etrangères Bureau commercial 1 1 Centre d’appels 1 0 Distribution, logistique, conditionnement 5 4 Production, réalisation, assemblage 2 3 Autres 3 1 Services entreprises 3 3 Production électricité 2 2 Ensemble 17 14

Source : ESPA

*

* *

80

Les données sur les créations/implantations en Aquitaine a été introduite dans la base ESPA car elles permettent, d’une part, de calibrer la base et, d’autre part, de souligner quelques points clefs.

En premier lieu, la tertiarisation de l’économie Aquitaine est confirmée : les projets du type services aux entreprises sont largement dominants dans la base (en particulier les services de conseils en organisation). Il faut cependant souligner le faible nombre de projets industriels et de RD annoncés en 2008 qui apparaissent en baisse (dans l’absolu et en relatif) par rapport à 2003. La base suggère assez nettement que la région peine à attirer des activités industrielles.

Les établissements industriels créés sont cependant plus stables, plus pérennes. Mais l’examen des taux de survie calculés sur l’année 2003 ne permet pas d’étayer cette hypothèse.

Un autre point d’inquiétude concerne la faible capacité d’attractivité des investisseurs étrangers. Peu nombreux en termes absolus, leur poids relatif semble décliner entre les deux dates d’études. Ceci suggère que la région dispose peut-être d’une faible attractivité aux yeux des multinationales étrangères.

L’existence de ressources locales suggère que la région peut espérer des investissements industriels significatifs autour des énergies renouvelables grâce à son potentiel en biomasse et en solaire mais ce type d’investissements ne semble pas particulièrement générateur d’emplois induits sauf à faire émerger une filière produisant les biens d’équipements utilisés.

81

Section 4. Les fermetures, faillites et réductions significatives d’effectifs

Cette section rend compte des annonces de fermetures et de réductions significatives d’effectifs. Les cas particuliers de fermetures liés à des délocalisations sont traités dans la section 8. P. Cahuc et A. Zylberberg (2004)25 défendent la thèse qu’un système économique se restructure en permanence ce qui se traduit par de nombreuses destructions d’entreprises et d’emplois sans que l’on doive y percevoir nécessairement un signe de déclin dudit système. Les faillites seraient intrinsèquement liées au fonctionnement efficace du capitalisme dans la mesure où elles traduisent son adaptation et son évolution.

Si on admet l’idée d’une nécessaire adaptation des structures productives, il faut cependant examiner dans les détails les secteurs impliqués et mettre en rapport les créations avec les destructions afin de voir si des processus de compensation émergent.

ESPA recense 89 fermetures pour l’année 2003 et 64 pour l’année 2008. Il est difficile de traduire ces chiffres en nombre d’emplois compte tenu du faible taux d’opérations pour lesquelles l’information est disponible. En 2003, le taux renseigné est très faible (de l’ordre de 6%, pour 304 emplois détruits). En 2008, 42% des opérations ont pu être renseignées (correspondant à la suppression de 1265 postes).

La même démarche que dans la section 3 est reprise (présentation successive des approches sectorielle et fonctionnelle). La question du « Qui ? » est cependant ignorée dans la mesure où le nombre de cas concernés limite fortement la pertinence de l’analyse.

4.1. Approche sectorielle

L’étude des fermetures semble confirmer les difficultés de l’industrie en Aquitaine. En effet, ce secteur compte pour beaucoup dans les fermetures : 41,7% des cas en 2003 et 34,9% des cas en 200826. L’analyse est affinée grâce à la construction d’un indicateur estimant le poids relatif des créations par rapport aux ouvertures27 (cf. figure 2.7). L’industrie manufacturière enregistre l’un des taux les plus faibles avec 2,6 créations par fermeture en 2003 et 2,3 créations par fermeture en 2008, ce qui témoigne du faible renouvellement du potentiel productif manufacturier de la région.

Le secteur du Commerce de gros et les activités d’entreposage se distingue également en 2008 : taux de fermeture important et rapport créations/disparition relativement faible (2,8). Dans la mesure où les créations étaient importantes en 2003, que ce soit en nombre absolu, relatif ou selon notre indicateur de renouvellement, seules des hypothèses d’interprétation peuvent être données : impact conjoncturel, effet d’engorgement du marché après une phase dynamique de créations ou encore phénomène structurel.

25 Cahuc P., Zylberberg A., 2004, Le chômage, Fatalité ou nécessité ?, Flammarion, Paris. 26 Ce poids est probablement surestimé en 2003 compte tenu du nombre important d’établissements pour lesquels le code NAF n’a pas pu être identifié mais pour un certain nombre lesquels il est possible de présumer qu’ils relèvent d’activités de services (activités en général moins bien identifiés dans les bases de données utilisées pour constituer ESPA). Par ailleurs, le nombre relativement important d’entreprises fermées non ventilées sectoriellement en 2003 n’autorise pas de commentaire sur l’évolution des taux entre l’année 2003 et 2008. 27 L’indicateur est un ratio simple : nombre de créations du secteur i l’année t divisé par nombre de fermetures du secteur i l’année t.

82

Figure 2.7. Rapport Créations/Fermetures par secteur en 2003 et 2008

Source : ESPA

En revanche, les secteurs Conseil de gestion, Activités spécialisées, scientifiques et techniques, Publicité et études de marché, Programmation, conseil, services informatiques semblent fortement dynamiques. Les créations y sont nombreuses par rapport aux fermetures, l’indicateur de renouvellement est ainsi en forte croissance en 2008 par rapport à 2003. Autrement dit, le potentiel productif dans ces secteurs se renforce assez nettement en région en 2008. En revanche, on peut s’interroger sur la pérennité de ces entreprises (cf. 3.2).

Enfin, les Activités de services administratifs et de soutien et Activités d'ingénierie, Activités de contrôle et analyses techniques se caractérisent par des niveaux relativement élevés de disparition et, symétriquement, de création. Le taux de renouvellement prend ainsi une valeur intermédiaire entre l’industrie et les secteurs de services précédemment évoqués. Ce taux est par ailleurs relativement stable (de l’ordre de 7 créations pour une fermeture pour les Activités d'ingénierie en 2003 et 2008 et de 5,6 pour les Services administratifs en 2008 (3,4 en 2003).

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Tableau 2.6. Distribution sectorielle des fermetures et réductions significatives d’emplois en 2003 et 2008

2003 2008 Unités % Unités % Industries Manufacturières 25 41,7% 22 34,9% Utilities & construction 1 1,7% 2 3,2% Commerce (gros), entreposage 4 6,7% 10 15,9% Information et communication (sauf ci-dessous) 8 13,3% 6 9,5%

Programmation, conseil, services informatique 4 6,7% 5 7,9% Activités spécialisées, scientifiques et techniques (sauf ci-dessous) 4 6,7% 1 1,6%

Activités des sièges sociaux ; conseil de gestion 2 3,3% 3 4,8% Activités d'ingénierie, Activités de contrôle et analyses

techniques 4 6,7% 6 9,5%

Publicité et études de marché 3 5,0% 1 1,6% Activités de services administratifs et de soutien 5 8,3% 5 7,9% Divers 0 0,0% 2 3,2%

Total sous-ensemble déterminé 60 100% 63 100% Indéterminé 29 32,6% 1 1,6% Total 89 64

Source : ESPA

4.2. Approche fonctionnelle28

Lorsqu’on examine la distribution des fermetures selon les fonctions concernée, il se confirme que les activités de production sont les plus touchées par les fermetures et de manière croissante dans ESPA entre 2003 et 2008. En 2008, les activités de Production, transformation, assemblage représentent 37,5% des cas de fermetures ; elles pesaient déjà 30,3% en 2003. Si on calcule le rapport entre les créations et les fermetures, la situation de l’industrie apparaît d’autant plus préoccupante que, les centres d’appels mis à part (voir ci-dessous), les activités de production et d’assemblage présentent le taux le plus faible de renouvellement durant l’année 2008 (ratio de 1,65 création par fermeture, cf. figure 2.9).

La fonction Conseil organisation conserve son statut particulier avec un ratio créations/fermeture de 43 en 2008. Ce secteur connaît une très forte croissance de son nombre d’intervenants, résultant de l’effet croisé d’un fort dynamisme des créations et d’un nombre relativement faible de fermetures pour l’année 2008.

L’Informatique et les Autres services aux entreprises présentent également un fort taux de renouvellement : leur taux de créations par fermeture s’élèvent respectivement à 9,2 et 8,7. Pour ces deux activités, les nombreuses créations s’accompagnent en revanche d’un nombre de fermeture élevé venant réduire la croissance du potentiel régional dans ces domaines.

Sur des effectifs moindres, les activités relevant des fonctions Unités de distribution, logistique, conditionnement, Communication et publicité et Autres connaissent toutes un ratio créations/fermeture supérieur à 1, signe de croissance du potentiel productif régional (le rapport oscille entre 3,5 pour les Unités de distribution et 5 pour les Autres services.

28 Les fonctions Bureau commercial et Siège ne sont pas commentées car le nombre de cas est très faible : aucun pour 2003, 5 en 2008 pour les deux fonctions.

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Toutefois, les niveaux sont ici obtenus par combinaison d’un faible nombre de fermeture mais également d’un nombre relativement faible de créations.

Les activités relevant des Centres de RD se développent. Le rapport créations sur fermetures atteint 4 en 2008. Toutefois, le faible poids dans ESPA de cette fonction traduit, en fait, qu’un seul Centre a fermé en 2008 quand seulement quatre ont été ouverts durant la même année. Rappelons que dans la base, seul 10 cas de création en 2003 (pour 4 fermetures la même année).

Figure 2.8. Distribution fonctionnelle des Fermetures en 2003 et 2008

Source : ESPA

En raisonnant sur des effectifs très faibles, les fermetures de Centres d’appels occupent un poids croissant dans la base en 2008 par rapport à 2003. Dans la mesure où les créations dans cette fonction ont été particulièrement peu nombreuses en 2008, il en découle que le rapport créations/fermeture devient inférieur à 1. Dans notre base, les Centres d’appels constituent la seule fonction dont le ratio traduit une réduction des capacités productives.

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Figure 2.9. Rapport créations/fermeture par fonction en 2008

Note : (*) Le rapport création/fermeture pour les activités de Conseil en organisation est hors échelle puisqu’il se situe à 43 créations pour 1 fermeture. (**)Le rapport création/fermeture pour les activités de Centre d’appel est inférieur à 1 (0,5) ce qui dénote d’un nombre de fermetures dépassant le nombre de créations. Source : ESPA

*

* *

L’analyse des fermetures et des réductions significatives d’effectif permet, par un effet miroir, de mettre en évidence que les activités industrielles connaissent des difficultés sur les deux années étudiées. Ceci se vérifie à la fois par les entrées sectorielle ou fonctionnelle. Cette image visible en nombre absolu de fermetures est également perceptible en termes de renouvellement (qui croise créations et fermetures) dans la mesure où, si certes la base montre un différentiel positif entre créations et fermetures, ce taux de renouvellement s’avère singulièrement faible.

La faiblesse des activités de RD mérite d’être notée sur la base d’un couple fondé sur un faible nombre de fermetures et un tout aussi faible nombre de créations. La tendance est d’ailleurs confirmée par le recul des dépenses (en valeur) de R&D en Aquitaine depuis 3 ans.

En revanche, les services aux entreprises sont dynamiques à l’exception des Centres d’appels qui connaissent une baisse absolue du nombre d’unités fonctionnant sur le territoire aquitain en 2008. Toutefois, on observe une assez forte hétérogénéité dans cet ensemble où les activités les plus dynamiques concernent selon un ordre hiérarchique les activités liées au Conseil en organisations, les domaines liés à l’Informatique et les Autres services aux entreprises.

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Section 5. Le renforcement du potentiel régional

Les analyses classiques sur la mobilité (notamment internationale) des entreprises négligent les pratiques d’ancrage local. Or, dès que l’on considère que la mobilité relève d’un arbitrage micro-économique en termes de localisation, il faut tenir compte des décisions qui se traduisent par l’affirmation du choix de localisation dans un espace donné.

Deux types d’opérations sont concernés : les opérations de mobilité intra-régionale (à l’intérieur des frontières régionales) et les opérations visant à accroître les capacités productives des unités implantées en Aquitaine.

5.1. La mobilité intra-Aquitaine

Sont ici examinées les opérations de mobilité à l’intérieur des frontières administratives de la Région (considérée comme l’espace domestique). Il ressort en effet d’ESPA qu’une part significative de la mobilité des entreprises aquitaines consiste à se déplacer au sein de leur espace domestique.

Les cas de mobilité intra-Aquitaine correspondent aux déménagements d’établissements et/ou extension de site en Aquitaine. Ils représentent 47 opérations pour l’année 2003 et 58 opérations pour l’année 2008, soit respectivement 8,1% et 7,6% de l’ensemble des opérations recensées.

En étudiant au cas par cas l’ensemble de ces opérations, quatre configurations principales se dégagent :

• Les mobilités de « start-up »: cas des start-up qui quittent leur pépinière ou incubateur d’origine. Le cas inverse peut exister : des entreprises rejoignent ces pépinières après avoir été créées ‘ailleurs’.

• Les mobilités de croissance : cas d’entreprises recherchant des locaux plus vastes (parfois pour les aquérir).

• Les mobilités contraintes : entreprises contraintes au déménagement, soit parce qu’elles sont expropriées, soit parce que la mise aux normes de leur site initial serait dispendieuse par rapport à la construction d’un nouveau site.

• Les mobilités de rationalisation : entreprises rationalisant leur appareil de production par spécialisation des sites, ce qui se traduit en général par des fermetures de site(s) (il est parfois difficile d’avoir la certitude que les sites concernés sont effectivement abandonnés). Nous avons ainsi identifié avec certitude un cas de ce type chaque année et avons de fortes suspicions pour 5 cas en 2003 et 3 cas en 2008 (voir tableau ci-dessous). Rappelons ici que ces éventuels transferts se font au bénéfice d’un autre établissement aquitain de l’entreprise (et non pas d’une fermeture ou d’une délocalisation hors région).

• Dans deux cas, un pour chaque année, le « déménagement » correspond en fait à la reprise d’un établissement ou d’une activité par une autre entreprise.

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Enfin on peut noter que l’essentiel des opérations de mobilité intra-Aquitaine est le fait des entreprises d’origine régionale. Nous n’avons relevé qu’1 cas en 2003 et 3 en 2008 concernant des entreprises étrangères.

Ces opérations ne sont pas neutres dans une lecture en termes de mobilité : la mobilité intra-Aquitaine signifie que les entreprises concernées valident leur choix initial d’une localisation en Aquitaine, ce qui peut s’interpréter comme une affirmation du choix de localisation.

Tableau 2.7. Synthèse sur les opérations de mobilité intra-Aquitaine en 2003 et 2008 Unités 2003 2008 Nouvelle construction/extension de sites 45 55 Transfert/Reprise d’une activité/site d’une autre entreprise 1 1

Avec fermeture de plus d’un site (suspicion) 1 (5) 1 (3) Entreprises étrangères 1 3

Notes : Le total est supérieur au nombre de cas recensés car une opération donnée peut donner lieu à différentes modalités. Par exemple, une entreprise peut étendre un site de production en rapatriant les activités présentes sur deux sites qu’elle décide de fermer. Par défaut, la première ligne « Nouvelle construction » s’accompagne du déplacement de l’établissement et donc, de l’ouverture et de la fermeture d’un site : le bilan net pour la région est neutre puisque une adresse est supprimée alors qu’une est créée. Source : ESPA

La distribution sectorielle de ces opérations diffère de celle des Créations/implantations et des Fermetures (cf. figure 2.10). Pour les deux années considérées, ce sont les activités industrielles qui sont les plus actives en termes de mobilité intra-régionale (51,1% des opérations recensées en 2003 et 43,1% en 2008). Ces données nuancent le « pessimisme » jusque là relevé.

Figure 2.10. Distribution des cas de mobilité intra-Aquitaine par grands secteurs, 2003 et 2008

Source : ESPA

Un deuxième secteur se distingue, celui du Commerce de gros et l’entreposage. Une étude des annonces recensées montre que ces activités sont en croissance (du moins pour les acteurs qui survivent en région), d’où la nécessité de construire de nouvelles bases logistiques et zones de stockage.

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5.2. Les extensions des sites et les accroissements significatifs des effectifs

Ont ensuite été analysées les données sur les opérations visant à étendre de manière significative les capacités de production d’unités implantées en région. Seules ont été retenues les annonces d’investissements majeurs et de recrutements significatifs (proposé par l’European Restructuring Monitor, le seuil de 10% a été retenu).

5.2.1. Des extensions essentiellement industrielles

126 opérations d’extensions ont été recensées pour l’année 2003 et 129 pour l’année 2008. La majorité de ces extensions concerne des agrandissements d’unités existantes et passent assez souvent par la construction de nouveaux bâtiments. Pour 1 cas en 2003 et 4 cas en 2008, l’opération s’effectue lors de l’acquisition d’un établissement appartenant préalablement à une autre entreprise. La décision de rachat s’accompagne d’une extension des activités réalisées sur le site.

Malgré la pluralité des motifs évoqués, on peut distinguer quatre principales motivations à l’extension :

• Augmentation des volumes de production afin de satisfaire de nouvelles commandes ponctuelles ou structurelles (par exemple en 2003, 2 entreprises investissent dans le cadre du programme A380 d’Airbus) ;

• Diversification des marchés. Il s’agit ici soit de la construction d’une nouvelle ligne de production proche des marchés initiaux, soit la diversification par ajout d’une activité ;

• Modernisation des équipements : que ce soit pour se mettre aux normes, accroître la productivité, ou augmenter la qualité du process ;

• Accroissement des capacités de stockage : que ce soit en volume ou en qualité. On retrouve en majorité ici des entreprises liées au Commerce de gros et Entreposage (3 projets ont toutefois été réalisés par des entreprises relevant de l’industrie manufacturière.

L’essentiel des opérations concerne l’industrie manufacturière : 70,6% des extensions en 2003 et 60,3% en 2008 (cf. figure 2.11). Le nombre absolu de cas recensés (89 et 76) semble traduire une certaine résilience de l’industrie Aquitaine au regard des fermetures d’entreprises (25 et 22). Autrement dit, si l’économie régionale peine à attirer de nouveaux acteurs industriels, pour les entreprises industrielles déjà présentes, la région semble conserver ses atouts.

Le secteur Commerce et entreposage se montre lui aussi très dynamique en matière d’extension. Trois interprétations sont possibles : la présence du port de Bordeaux, la dynamique d’externalisation qui pousse les entreprises à externaliser cette fonction, la présence de quelques grands acteurs régionaux.

A un niveau sectoriel plus fin (niveau Division, cf. tableau 2.8), nous confirmons tout d’abord que le Commerce de gros hors automobile est particulièrement dynamique durant les deux années étudiées.

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L’Agro-alimentaire et la Fabrication de produits métalliques sont les deux secteurs industriels les plus dynamiques. Le Travail du bois est bien positionné également ainsi que, dans une moindre mesure, la Fabrication de produits minéraux non métalliques. Les autres secteurs se montrent plus inégaux. Certaines activités de services font leur apparition dans le classement : ceux liés à l’informatique dont nous avons déjà soulignés la forte croissance en région, les Activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises, et le secteur Recherche-développement scientifique.

Figure 2.11. Distribution sectorielle des opérations d’extension, 2003 et 2008

Source : ESPA

L’approche fonctionnelle complète l’analyse sectroielle sur deux points :

- Pour l’industrie manufacturière, les projets annoncés relèvent bien d’une extension des capacités de production (67 des 76 projets de 2008). Les 9 autres se répartissant entre la construction d’une unité de ‘Tests et essais’, trois opérations liées à des capacités de stockage, deux à la construction de showroom et deux restructurations de sièges.

- Trois sièges d’entreprises multinationales font l’objet d’une extension en Aquitaine pour 2008. L’un est d’origine Aquitaine (spécialisé dans l’industrie agro-alimentaire), les deux autres sont des firmes multinationales du secteur textile. De plus, deux entreprises régionales importantes (Véhicules utilitaires électriques et Bâtiment) ont étendu leurs établissements de direction. S’il ne s’agit pas ici d’arrivées nouvelles (par définition, sinon il s’agirait d’une implantation), ces opérations confirment l’intérêt de la région pour les activités concernées.

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Tableau 2.8. Les dix principaux secteurs des opérations d’extension, 2003 et 2008

2003 2008 Rang Secteur, niveau Division Unités Rang Secteur, niveau Division Unités

1 Commerce de gros, à l'exception des automobiles et des motocycles

17 1 Industries agro-alimentaires 15

2 Industries agro-alimentaires 13 2 Fabrication de produits métalliques 13

3 Fabrication de produits métalliques 13 3

Commerce de gros, à l'exception des automobiles et des motocycles

12

Caoutchouc, plastique 9 4 Travail du Bois 11 4 Réparation et installation machines 9 Fabrication de machines et

équipements 7

6 Travail du Bois 7

5

Autres transport 7

7 Entreposage et services auxiliaires des transports 6 Pharmacie 5

8 Fabrication produits minéraux non métalliques 5

6

Programmation, conseil et services informatiques 5

Textile, Habillement, Chaussure 5 Entreposage et services auxiliaires des transports 4

Collecte traitements déchets, récupération, Dépollution 4 Fabrication produits minéraux non

métalliques 4

Imprimerie et reproduction enregistrements 4 Commerce de détail 4

Chimie 4 Edition 4

Activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises

4

10

8

Recherche-développement scientifique 4

Source : ESPA

5.2.2. Un croisement des données sur les créations, extensions et fermetures selon le statut des têtes de groupes

Si les entreprises isolées d’origine Aquitaine dominent en matière d’annonces d’extension, une part significative des projets est le fait de multinationales et en particulier de multinationales étrangères. Ce poids des investisseurs étrangers s’élève d’ailleurs de 3 points entre les deux dates (de 10,3% des opérations à 13,2%) au détriment, essentiellement, des entreprises isolées aquitaines (de 62,7% à 53,5%), les autres types de têtes de groupes progressant quasiment tous (cf. tableau 2.9).

Le croisement de ces données avec celles portant sur les créations fait ressortir que les firmes multinationales étrangères déjà implantées consolident leurs implantations régionales alors que la région semble peiner (en valeur relative par rapport aux autres acteurs) à attirer de nouveaux acteurs de ce type. Au total, le bilan pour l’année 2008 est globalement positif : les multinationales étrangères sont à l’origine de 17 cas d’extension, de 14 créations/implantations et de 4 fermetures. D’après ESPA, le taux de créations et extensions par fermeture pour les multinationales étrangères en Aquitaine est de 7,8 (Tableau 2.10).

91

On retrouve un mouvement similaire de consolidation pour les multinationales d’origine française, dont a déjà été soulignée l’activité en matière de créations et d’implantations. Elles occupent ainsi un poids croissant dans les opérations d’extension : elles en ont réalisé près de 18% en 2008 (12,7% en 2003).

Tableau 2.9. Statut des têtes de groupes des entreprises réalisant des extensions, 2003 et 2008

2003 2008 Entreprises isolées 62,7% 53,5%

Aquitains 8,7% 9,3% Groupes nationaux Autres régions 4,8% 3,1%

Etrangères 10,3% 13,2% Multinationales

Françaises 12,7% 17,8% Fonds d'investissements 0,8% 1,6% Indéterminé 0,0% 1,6% 100% 100%

Source : ESPA

Le croisement des deux indicateurs de créations/implantations et d’extensions fait en revanche ressortir une capacité limitée de la Région à attirer des groupes français de taille régionale. Ce constat est contrebalancé par le peu de fermetures constatées.

Tableau 2.10. Synthèse des opérations selon le statut des têtes de groupes en 2008

Distribution des opérations selon statut tête de groupe Rapport créations/fermetures

Créations et implantations Extensions Fermetures Créations /

Fermeture Créations+Extensions/

Fermeture Entreprise Isolée 85,7% 54,3% 79,7% 6,3 7,7

Groupe national Aquitain

3,7% 9,4% 1,6% 14,0 26,0

Groupe national hors région

2,4% 3,1% 1,6% 9,0 13,0

Multinationale française 4,5% 18,1% 9,4% 2,8 6,7

Multinationale étrangère 3,7% 13,4% 6,3% 3,5 7,8

Fonds investissements 0,0% 1,6% 1,6% 0,0 2,0

Ensemble 100% 100% 100% 5,9 7,9 Note : Le tableau ci-dessus est construit après élimination des têtes de groupes non déterminées Source : ESPA

Au final, ce sont les groupes régionaux aquitains qui se montrent les plus dynamiques.

Le rôle des multinationales (en particulier étrangères) dans le développement du potentiel productif fait l’objet de la figure 2.12. On note la place des activités de Commerce et de l’entreposage, qui s’explique en particulier par la réalisation d’investissements autour des ports de Bayonne et Bordeaux par des opérateurs mondiaux. En 2008, ce sont les activités de Services aux entreprises qui se distinguent avec une montée des activités tournant autour de

92

l’informatique et du traitement des données. Les multinationales s’inscrivent dans la tendance à tertiarisation de l’économie.

Figure 2.12. Distribution sectorielle des extensions réalisées par les firmes multinationales en Aquitaine, 2003 et 2008

Source : ESPA

*

* *

Cette section s’est focalisée sur des opérations (parfois peu étudiées) basées sur des actes de renforcement des capacités productives existantes et des cas de mobilité intra-régionale.

Les spécialisations régionales restent marquées et les industries dites traditionnelles comme l’agroalimentaire, le travail du bois et les domaines liés à la métallurgie/mécanique conservent un rôle important. Les activités liées aux services aux entreprises occupent un poids croissant.

Le nombre significatif d’opérations recensées tend à souligner que l’Aquitaine demeure, pour les entreprises déjà implantées, une localisation viable. Pour les entreprises présentes, et notamment pour les industries manufacturières, l’implantation en région semble être un choix pérenne29. La plupart des entreprises recensées dans la base 2003 pour un projet d’extension sont encore actives en 2009 (117 sur 126, soit 92,8%). Cette affirmation de l’intérêt pour la région n’est pas uniquement le fait d’entreprises d’origine locale. Ces opérations sont aussi le fait de firmes multinationales.

29 Ce résultat est conforme aux enseignements de la littérature sur les fermetures d’établissements (l’importance des coûts irrécouvrables dans l’industrie manufacturière tend à accroître les inerties géographiques).

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Section 6. Les délocalisations à destination de l’Aquitaine

Les « délocalisations à destination de l’Aquitaine » recouvrent les délocalisations infranationales, les délocalisations depuis l’étranger et les relocalisations (dont l’identification pose problème). Ces cas de délocalisations vers l’Aquitaine30 sont peu nombreux : 7 opérations recensées en 2003 et 17 en 2008, soit respectivement 1,2% et 2,2% du total des opérations.

Plus de la moitié des délocalisations à destination de l’Aquitaine impliquent des entreprises relevant de l’Industrie manufacturière (figure 2.13). Les secteurs Activités spécialisées, scientifiques et techniques et Activités de services administratifs et de soutien suivent très loin derrière. L’étude des fonctions concernées (croisées dans le tableau 2.11 avec la provenance de la délocalisation) permet d’affiner l’analyse.

Pour les deux années étudiées, les délocalisations vers l’Aquitaine correspondent majoritairement à des activités de production (15 opérations, dont les trois quarts sont réalisés en 2008). 5 cas concernent des délocalisations de sièges sociaux d’entreprises qui quittent une région de France pour venir s’implanter en Aquitaine.

Figure 2.13. Distribution sectorielle (niveau Division) des délocalisations à destination de l’Aquitaine, années 2003 et 2008 agrégées (unités)

Source : ESPA

30 En 2008, les données en termes de créations d’emplois ne sont disponibles que pour 6 des 17 cas recensés (soit 175 emplois). Pour chacun de ces 6 cas, il s’agit de transferts d’une région française vers l’Aquitaine (délocalisations infranationales).

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Tableau 2.11. Provenances et fonctions concernées par les délocalisations vers l’Aquitaine, 2003 et 2008

Fonction Provenance

Production RD Etudes Siège Logistique

Stockage Ensemble

France 1 1 2 1 5 2003 Etranger 2 2 France 8 1 3 1 13 2008 Etranger 4 4

Ensemble 15 2 5 2 24 Source : ESPA

Pour chaque année, on recense le transfert vers l’Aquitaine d’un centre de RD auparavant localisé en France (délocalisation infranationale). En 2003, l’opération concerne le secteur de l’édition de logiciel (déplacement depuis la région parisienne31). Celle de 2008 est le fait d’un grand nom de l’industrie aéronautique qui déplace une partie d’un bureau d’étude en Gironde afin de se rapprocher des grands comptes locaux (CEA, Thales, Clim).

Les opérations de délocalisation se traduisent par un transfert d’activités (fermeture de site dans la majorité des cas) depuis le lieu d’origine vers l’Aquitaine32 et répondent à trois logiques:

- Des délocalisations relèvent d’une véritable logique de substitution d’un site à un autre

- D’autres s’effectuent dans le cadre d’une extension des activités. L’entreprise augmente ses capacités de production en Aquitaine (et les réduit ailleurs) pour faire face à l’augmentation programmée de ses volumes.

- Enfin, d’autres sont d’ordre défensif ou de sauvegarde dans le sens où la fermeture du site localisé ailleurs à pour objectif de préserver l’activité du site en Aquitaine.

Le tableau 2.12 retrace les différents cas recensés dans la base.

Tableau 2.12. Provenances et logiques des délocalisations vers l’Aquitaine, 2003 et 2008 Extension Substitution Sauvegarde

France 0 5 0 2003 Etranger 1 1 0 France 3 8 2 2008 Etranger 0 4 0

Source : ESPA

31 L’entreprise sera ultérieurement rachetée par un groupe Américain. 32 Deux activités relèvent des services logistiques et de stockage : celle de 2003 concerne la construction d’une base logistique afin de mieux servir un grand compte aquitain (auparavant le service était réalisé depuis deux autres sites localisés en PACA et Poitou-Charentes) ; celle de 2008 concerne un transfert d’activité de Poitou-Charentes à partir d’un centre de collecte de déchet qui était en voie de saturation dans le cadre de l’extension des activités de l’opérateur industriel.

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6.1. Les délocalisations de substitution

L’essentiel des opérations de délocalisation (18 sur 24) relève d’une logique de substitution.

C’est le cas pour la totalité des sièges sociaux d’entreprises qui sont délocalisés (5 cas) vers l’Aquitaine. Les 5 cas concernés sont des délocalisations infranationales. Trois de ces cas sont intéressants car ils soulignent un certain « effet cluster ». En effet, l’une de ces délocalisations est le fait d’une entreprise du surfwear (délocalisation depuis Marseille vers le Pays Basque) et deux autres sont le fait d’entreprises du secteur des TIC de Santé. Ces cas rappellent que l’attractivité d’une région dépend aussi de sa faculté à se marquer sectoriellement33.

Du côté des activités de production industrielle (13 cas), la fermeture du site d’origine est avérée dans cinq cas qui renvoient tous à des délocalisations infranationales (4 en 2008 et 1 en 2003).

Pour les autres cas (8), la substitution semble se réaliser dans le cadre d’un arbitrage « en faveur de l’Aquitaine » sans que l’on ait pu clairement identifier si le transfert s’est traduit ou non par une fermeture dans le pays (ou dans la région) d’origine.

Quatre opérations s’apparentent à des relocalisations de production : 3 des opérations identifiées (1 en 2003 et 2 en 2008) renvoient à de la relocalisation d’activités précédemment sous-traitées en Espagne, une autre (2008) concerne une ré-internalisation de production.

Les quatre derniers cas sont plus ambigus. 2 d’entre eux (2008) correspondent à des transferts d’activités de production, en faveur de l’Aquitaine, entre deux sites existants : le premier est le fait d’une entreprise aquitaine rapatriant une activité depuis son site auvergnat vers son site landais ; le second est le fait d’une multinationale décidant d’allouer une production à son site aquitain au détriment de son site allemand. Un transfert d’activités est réalisé dans le cadre du rachat d’une entreprise espagnole par une entreprise aquitaine. Le dernier cas de transfert serait quant à lui motivé par la volonté de réduire les coûts de transport de l’entreprise.

6.2. Les délocalisations d’extension

Les quatre cas d’extension identifiés sont qualifiés de délocalisations car l’activité était auparavant assurée depuis le lieu d’origine de la délocalisation, ce qui les distingue des autres cas d’extension (section 5). 3 proviennent de France (tous trois en 2008) et un de l’étranger (en 2003).

Les trois délocalisations infranationales vers l’Aquitaine renvoient à deux logiques : une logique de rapprochement du marché (implantation d’une base de stockage et implantation d’un bureau d’étude) ; une logique productive (augmentation des capacités de production d’une entreprise en Gironde).

La délocalisation étrangère est le fait d’une firme italienne (production de machines-outils) confrontée à une augmentation de la demande. Celle-ci n’est pas le fait des seuls clients aquitains ou français, mais pour y répondre, l’entreprise décide d’accroître les capacités de production de son usine girondine. La production est destinée aux marchés français, belge, luxembourgeois, maghrébin et moyen-oriental.

33 cf la partie 3 du rapport pour des développements relatifs à ces secteurs.

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6.3. Les délocalisations de sauvegarde

Les deux cas identifiés concernent une seule entreprise d’origine girondine qui a fermé deux de ses établissements localisés en France. En 2008, l’entreprise (sous-traitant travaillant les métaux) est particulièrement affectée par la crise des grandes entreprises manufacturières et se voit dans l’obligation de réduire ces capacités de production.

L’entreprise choisit de fermer deux sites implantés en France et de rapatrier une partie de la charge en Aquitaine (sans que cette décision ait suffi à rétablir la situation en 2009, le site Aquitain étant aujourd’hui affecté par un plan de réduction partielle d’effectif).

Tableau 2.13. Nationalité/région des acteurs relocalisant des activités en Aquitaine, 2003 et 2008

Aquitain Autre région française Etranger

2003 3 2 2 2008 9 4 4

Ensemble 12 5 6

Source : ESPA

*

* *

Bien que les délocalisations identifiées par ESAP soient peu nombreuses, un élément significatif de l’étude est que la majorité des délocalisations à destination de l’Aquitaine sont des délocalisations infranationales. Deux motivations sont à souligner : la logique d’attractivité sectorielle (clusterisation) dans les cas du surfwear et de l’informatique de santé ; la recherche de proximité avec les clients.

Les quelques cas de délocalisation depuis l’étranger sont le fait de l’industrie manufacturière. Une délocalisation vers l’Aquitaine sur quatre est le fait de groupes de nationalité étrangère.

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Section 7. Entre attractivité et ancrage : les acquisitions et les prises de participation en Aquitaine

Les opérations de fusions/acquisitions d’entreprises aquitaines peuvent se retrouver dans les autres sections mais cette section a pour objet de considérer plus explicitement les opérations visant à conserver en état l’appareil productif. Dans la présentation initiale d’ESPA, ces opérations étaient rangées dans la rubrique « Neutre » puisque, a priori, elles n’affectent pas les capacités de production de l’économie régionale à court terme.

La base recense 14 et 36 opérations pour les années 2003 et 2008 (2,4% et 4,7% de l’ensemble des enregistrements).

Une première distinction est à faire entre les opérations de cession et d’acquisition (cf. figures 2.14 et 215 pages suivantes).

Les cessions correspondent à des ventes de sites localisés en France ou à l’étranger par des entreprises aquitaines. Elles sont peu nombreuses (4 sur les deux années).

- La première cession (3 opérations) de 2003 s’inscrit dans le cadre d’un groupe régional spécialisé dans les boissons qui connaît de profondes difficultés économiques. Elle relève donc d’une stratégie de démantèlement afin de tenter de reconstituer une trésorerie mise à mal et de recentrer le groupe sur son cœur de métier. L’histoire, ultérieure, de ce groupe montrera d’ailleurs que cette stratégie était vaine. Les deux autres relèvent de stratégies différentes puisqu’il s’agit de recompositions de portefeuille de la part d’entreprises dont la santé économique n’est a priori pas en cause.

- L’unique34 cession enregistrée en 2008 concerne un établissement de l’industrie agro-alimentaire localisé dans le Var qui dépend d’un très grand groupe d’origine Aquitaine. A priori disposant d’une bonne santé économique, cette vente semble découler d’une volonté du groupe aquitain de se recentrer sur son cœur des compétences.

Il convient d’insister sur les « acquisitions » de sites ou entreprises régionales par d’autres entreprises (par des entreprises/groupes aquitains ou par des entreprises/groupes français ou étranger). Ces mouvements financiers sont a priori neutres pour le potentiel productif régional, mais ils sont révélateurs de l’attractivité relative de l’économie régionale : par l’information que ESPA permet de recueillir, ces acquisitions sont ventilées selon l’origine géographique de l’investisseur et le type d’activité concernée.

34 Une autre opération (duale) aurait pu être classée ici : 1 entreprise girondine a en effet revendu 2 de ses établissements en conseil et ingénierie en électronique à une multinationale française du domaine. Dans la mesure où un des deux sites est localisé à Belfort, il aurait pu être enregistré ici.

98

Figure 2.14 – Répartition des opérations d’acquisition en 2003

Source : ESPA

Acquisitions 11

Aquitaine 6

Groupe français 5

Groupe étranger 0

Achat 3 Prise participation 3

Achat 5 Prise participation 0

Entreprise 3

Etablissement 2

Entreprise 2

Etablissement 1

99

Figure 2.15 – Répartition des opérations d’acquisition en 2008

Source : ESPA

Acquisitions 35

Aquitaine 16

Groupe français 12

Groupe étranger 7

Achat 14 Prise participation 2

Achat 9 Prise participation 3

Entreprise 7

Etablissement 2

Entreprise 10

Etablissement 4

Achat 7 Prise participation 0

Entreprise 5

Etablissement 2

100

Les acquisitions sont proportionnellement plus fréquentes en 2008 qu’en 2003. Par ailleurs, les prises de participation semblent décliner au profit des rachats complets d’établissements ou d’entreprises (sauf pour ce qui concerne les groupes français en 2008). Ces prises de participation relèvent principalement d’acteurs industriels qui entendent se renforcer dans leur secteur. Ce résultat paraît contre-intuitif par rapport à nos connaissances concernant la financiarisation de l’économie et l’économie régionale (la logique sous-jacente est plus industrielle que purement financière).

Les opérations peuvent être distinguées selon la nationalité/région du groupe acquéreur.

Tableau 2.14. Ventilation par secteur et nationalité/région d’origine des acteurs réalisant les acquisitions (années 2003 et 2008 agrégées ; Unité)

Aquitaine France Etranger Ensemble IAA 6 2 8 Autres industries manufacturières 4 4 6 14 Commerce Gros, entreposage 2 2 4 Services d’ingénierie 1 2 3 Services informatiques 3 1 4 Autres 1 3 1 5 Ensemble 17 14 7 38

Source : ESPA

• Les groupes aquitains

ESPA fait ressortie un certain activisme des entreprises aquitaines. Les rachats mutuels, locaux, représentent 44,7% du total des achats d’entreprises ou d’établissements. Autrement dit, les acquisitions sont majoritairement locales. Trois interprétations peuvent être avancées :

- L’information sur les opportunités. A une échelle locale, il est plus facile de connaître le « marché » des entreprises à vendre. L’appartenance aux réseaux locaux, le rôle des structure d’interface (type CCI), permettent de diffuser l’information sur les entreprises qui sont à potentiellement à vendre.

- La réduction des incertitudes. L’acte de rachat d’une entreprise est toujours risqué car l’acheteur souffre d’une asymétrie d’informations (réalité de la situation de l’entreprise en particulier sur les éléments internes immatériels qui ne sont pas, par nature, quantifiables). Là encore, l’effet réseau permet de capter des informations sur la réalité des compétences internes, des relations sociales internes, de la réputation sur le marché de l’entreprise, etc.

- Le biais sectoriel. Les entreprises aquitaines ciblent prioritairement le secteur des industries agro-alimentaires. Ce biais sectoriel s’explique de deux manières. Premièrement, la région dispose d’acteurs puissants qui ont les moyens de racheter certains de leurs concurrents ou fournisseurs. Deuxièmement, et complémentairement, les IAA sont, encore, marquées par une forte fragmentation de l’offre.

101

• Les groupes français non aquitains

Les groupes français constituent le deuxième contingent le plus actif. Et ceci que l’on considère le nombre d’opérations ou les effectifs concernés. L’analyse des descriptifs des opérations montre que, dans la plupart des cas, il s’agit de groupes de taille régionale (par opposition aux multinationales françaises) qui étoffent leur portefeuille produits et leur offre de compétences en venant racheter des entreprises locales qui disposent de savoir-faire particuliers (industrie manufacturière) ou d’un catalogue clients (items Commerce et entreposage et Autres qui est composé de services aux entreprises à une exception près).

• Les groupes étrangers

Enfin les groupes étrangers font leur apparition en 2008 avec 7 opérations relevant toutes de cette rubrique acquisition. Ils contribuent à accroître significativement la taille moyenne des effectifs repris puisque sur les 6 cas pour lesquels les effectifs sont renseignés, nous totalisons 499 emplois, soit une moyenne de 83 salariés par opération. En dehors d’une entreprise d’origine danoise qui a racheté une entreprise locale spécialisée dans les Services d’accueil à destination des entreprises, les 6 autres acquisitions se concentrent dans l’industrie manufacturière. Lorsqu’on observe le détail de ces acquisitions, il se détache qu’elles visent avant tout un couple accès aux ressources/accès aux savoir-faire puisque 2 concernent le travail du bois et 2 la fabrication de meubles.

*

* *

Le statut des acquisitions (en région) et des cessions (d’activités hors région) examinées dans cette section peut sembler ambigu. En effet, en termes de mobilité des capacités productives, elles sont a priori neutres puisqu’il s’agit d’un transfert de titre de propriété. Toutefois, elles traduisent une forme d’attractivité de la région, en particulier par les savoir-faire que l’on y trouve. Trois enseignements peuvent être tirés de l’analyse :

Les entreprises locales sont actives dans le registre des acquisitions. C’est notamment le cas dans l’industrie, et surtout dans l’agro-alimentaire qui demeure un secteur phare de l’économie régionale.

Les industriels présents en région conservent une faculté certaine à attirer leurs homologues étrangers dans les spécialités traditionnelles de la région. Ces deux points combinés suggèrent qu’il ne faut pas oublier, à l’heure du high-tech et de l’économie de la connaissance, que les forces locales sont aussi dans ces secteurs low-tech.

Le triptyque aires de marché, ressources locales et savoir-faire locaux semble le dénominateur commun des acquisitions, quelle que soit la provenance des acquéreurs.

102

Section 8. La mobilité extra-régionale (y compris délocalisations) des entreprises aquitaines

C’est maintenant la mobilité extra-régionale des entreprises localisées en Aquitaine qui est étudiée par la prise en compte de l’ensemble des décisions microéconomiques d’ « investir ailleurs » (que l’ « ailleurs » désigne l’étranger ou d’autres régions françaises). Cette mobilité inclut donc les délocalisations (infranationales, offshore et nearshore).

Par effet de miroir à la section 6 (délocalisations vers l’Aquitaine) et parce que les descriptifs d’annonces ne permettent pas clairement de distinguer ce qui relève clairement des délocalisations35 de ce qui relève d’implantations visant à desservir les marchés locaux, l’analyse est d’abord menée en termes d’impact direct pour l’Aquitaine.

Sont ainsi distinguées les opérations d’extension extra-régionale (absence d’impact direct pour les activités localisées en Aquitaine) des opérations de substitution (impactant directement les sites aquitains par transfert de capacités d’ici vers l’« ailleurs »). Au sein de chacune de ces sous-sections, les opérations sont ensuite étudiées selon leur lieu de destination (France ou Etranger), puis selon la principale motivation justifiant la mobilité (accès au marché, réduction des coûts…). Les opérations ainsi distinguées sont présentées dans les figures 2.16 (2003) et 2.17 (2008).

La base recense 16 opérations pour l’année 2003 et 83 pour l’année 2008. Parmi celles-ci, les cas de substitution (assimilables à des délocalisations) passent de 4 en 2003 à 34 en 2008. Cette différence est non seulement importante, mais c’est uniquement dans ce cas (voir sections précédentes) que l’écart entre 2003 et 2008 est aussi important.

Cet écart suggère que la problématique de la délocalisation occupe une place croissante dans la vie des entreprises aquitaines. Cela semble d’autant plus probable qu’entre les deux années, les opérations d’extension s’accroissent de la même manière. Or, ces mouvements peuvent être le support de délocalisations existantes (il peut s’agir d’extension d’activités délocalisées) ou futures (par reconversion de filiales par exemple).

Compte tenu du grand nombre de cas enregistrés 2008 l’étude est centrée sur 2008, les cas de 2003 venant illustrer les différentes situations étudiées.

35 Au sens large incluant les non-localisations, les extensions de délocalisations précédentes…

103

Figure 2.16. Répartition des délocalisations au sens large des entreprises aquitaines en 2003 (Unité et pourcentage)

Source : ESPA

Figure 2.17. Répartition des délocalisations au sens large des entreprises aquitaines en 2008 (Unité et pourcentage)

Source : ESPA

Mobilité extra-Aquitaine 16 opérations

Extension (75%)

Substitution (25%)

France 9 (56,2%) Etranger 3 (18,7%)

France 1 (6,3%) Etranger 3 (18,7%)

Mobilité extra-Aquitaine 83 opérations

Extension (59,0%)

Substitution (40,9%)

France 26 (31,3%) Etranger 23 (27,7%)

France 12 (14,5%) Etranger 22 (26,5%)

104

8.1. Le choix de la mobilité extra-régionale pour étendre ses capacités productives.

Les opérations ici considérées36 contribuent à renforcer le potentiel économique des entreprises aquitaines, non par extension des capacités de production localisées en région mais par extension des capacités hors région. Dans une vision en termes de mobilité, il faut envisager qu’elles peuvent être le support de délocalisations futures. Par ailleurs, il pourrait aussi s’agir de cas de « non-localisation » (d’activités qui auraient pu être implantées en Aquitaine). C’est pourquoi ces opérations relèvent plutôt des « fragilisations » dans l’appréhension en dynamique de la mobilité des activités économiques (cf. figures 2.1 et 2.2).

A destination de l’étranger, l’objectif commercial domine nettement. Les motifs sont plus nombreux et plus diversifiés lorsque ces opérations se font à destination de la France.

8.1.1. L’extension des capacités productives en France

D’un point de vue sectoriel, la majorité des opérations est le fait d’entreprises appartenant au secteur de l’industrie (13 entreprises dont 3 pour les industries agro-alimentaires, cf. tableau 2.15). Les entreprises du secteur Information et communication (en particulier des services informatiques) viennent ensuite avec 7 opérations.

En croisant les données sectorielles avec la fonction des sites concernés, il apparaît que le principal objectif de ces opérations (50%) est d’accroître les volumes potentiels de production. Les opérations émanant des entreprises de services sont des implantations de nouvelles agences qui conjuguant un objectif de prospections commerciales et une visée plus productive (dans la mesure où l’offre de services est majoritairement le fruit d’une co-production utilisateur/producteur).

Tableau 2.15. Distribution des extensions en France par secteurs et fonctions (2008 ; Unités)

Production Bureau

commercial, Agences

Autres Distribution logistique

Unité RD Ensemble

Industries manufacturières 12 1 13 Commerce de gros 1 1 2 Information et communication 7 7

Utilities 1 1 Autres 1 2 3 Ensemble 14 10 1 1 0 26

Source : ESPA

Les opérations d’extension procèdent essentiellement par acquisition (cf. tableau 2.16) : les entreprises aquitaines préfèrent racheter des entreprises ou des établissements existant plutôt

36 Il a été décidé de n’enregistrer qu’une seule fois certains opérations : 1) celles qui correspondent à l’annonce de plusieurs implantations simultanées de bureaux et agences ; 2) celles qui correspondent à l’acquisition d’entreprises multi-établissements (ce qui aurait conduit à enregistrer d’autant d’opérations que l’entreprise acquise avait d’établissements). Il en découle que le nombre de sites créés/implantés en France par les entreprises aquitaines dépassent les 26 annoncés ici. L’objectif était de tracer les acteurs porteurs d’une logique d’extension afin de mieux en comprendre les enjeux sous-jacents ; raisonner sur la totalité des établissements n’aurait rien apporté sauf à déporter l’attention sur des opérations massives réalisées par un acteur donné.

105

que de construire/louer de nouveaux locaux. Ceci est particulièrement le cas pour les activités concernant la production/assemblage. Ces résultats sont assez conformes aux prévisions car les acquisitions permettent de minimiser les risques, de faciliter l’accès au financement bancaire et d’accéder simultanément à des capacités de production et à un portefeuille clients.

Tableau 2.16. Modalités utilisées pour les extensions en France (2008 ; Unités) Acquisition Extension Construction Ensemble Production 10 2 2 14 Bureau commercial, Agences 3 7 10

Distribution, logistique 1 1 Autres 1 1 Ensemble 15 2 9 26

Source : ESPA

Il est possible de distinguer trois grands motifs à l’extension par mobilité nationale :

• L’extension du portefeuille clients par un rapprochement géographique

C’est le principal motif porté par les entreprises de services. Plusieurs entreprises aquitaines développent des unités dans d’autres régions pour se rapprocher de leurs clients, soit par implantation de bureaux commerciaux, soit en combinant activités productives et prospections commerciales (cas de l’informatique). Pour certaines activités, l’implantation locale est guidée par une contrainte absolue (cas d’une entreprise de recyclage qui devant se localiser dans l’espace qu’elle souhaite desservir).

• La recherche de compétences complémentaires par acquisition

Essentiellement présente dans l’industrie mais aussi chez certaines entreprises de services, la motivation principale à la mobilité peut être de renforcer et/ou d’étendre ces compétences foncières. L’objectif précédent peut lui être combiné mais il apparaît alors secondaire.

• L’extension de la production

Les deux cas d’extension s’inscrivent dans cette logique. Dans le premier cas, l’accroissement de la capacité productive vise à répondre à une augmentation de la demande. Le second correspond à une stratégie de descente de la filière (une entreprise de RD aquitaine souhaitant développer des activités de production).

Deux autres cas relèvent explicitement d’une stratégie de diversification sectorielle (rachat de sites industriels).

8.1.2. L’extension à l’international

La base ESPA recense 22 opérations d’extension à l’internationalisation réalisées par des entreprises implantées en Aquitaine (tableau 2.17).

Une première lecture peut en être donnée en termes sectoriel et fonctionnel.

Du point de vue sectoriel, les entreprises des industries manufacturières sont les plus actives avec 12 opérations (environ 50%). Du point de vue fonctionnel, les opérations se répartissent d’abord entre les fonctions commerciales (50%) et de production/assemblage (environ 36%).

106

Le principal objectif des entreprises semble la création de points de contact pour atteindre les clients locaux. Cet objectif se retrouve très clairement pour les entreprises de services (ouverture d’agences pour établir une présence commerciale dans le pays ciblé). Enfin, deux opérations concernent la création de plateformes logistiques (accroissement des capacités de distribution à l’étranger).

Tableau 2.17. Distribution des extensions à l’international par secteurs et fonctions (2008 ; Unités)

ProductionBureau

commercial, Agences

Distribution, logistique

Unités de RD Ensemble

Industries manufacturières 7 5 12 Commerce de gros 1 2 3 Information et communication 3 3 Activités spécialisées, scientifiques et techniques 2 2 Activités de services administratifs et de soutien 2 2

Ensemble 8 12 2 0 22 Source : ESPA

Une lecture en termes de pays d’accueil permet de distinguer les mobilités à destination des pays développés de celles visant les pays « low cost ». Nous affinons alors les données d’ESPA en réintégrant les opérations multiples (ouverture simultanée de plusieurs bureaux commerciaux par une entreprise donnée – il n’y a pas de « doublon » pour la production). Les destinations des investissements sont présentées dans le tableau 2.18.

Tableau 2.18. Pays destinataires des extensions à l’international par secteurs (2008 ; Unités)

Europe Ouest

Europe Est Afrique Inde Chine Amérique

du nord Reste du monde

Industries manufacturières 2 4 3 2 1 2 3 dont production 2 1 1 2 1

Commerce de gros 1 1 2 dont production 1

Information et communication 7 Activités spécialisées, scientifiques et techniques 2

Activités de services administratifs et de soutien 2

Note : le nombre d’opérations est supérieur à celui du tableau 2.17 car les opérations réalisées par une même entreprises sont ventilées en autant de zones destinataires Cf. note 15 pour une explication concernant la méthodologie d’enregistrement des opérations d’extension. Source : ESPA

• Une petite majorité des investissements se fait à destination des pays développés.

Ce fait tient particulièrement aux opérations dans le secteur Information et communication. Le même constat s’observe pour les Activités de services administratifs et de soutien.

107

Mais les pays développés sont aussi la principale destination pour les activités de Production/Assemblage (5 ou 6 cas parmi 8). Pour ces activités, la mobilité renvoie : soit à l’obligation de produire sur place parce que les coûts logistiques prohibitifs par rapport à la valeur ajoutée de la production ; soit à l’accès au portefeuille clients simultanément à l’acquisition du site de production (cas en Australie) ; soit encore à l’accès à des compétences complémentaires (d’ordre technologique).

Les opérations à destination des pays « low cost » (12, en comptant les doublons) se distinguent par leurs objectifs :

- Les deux entreprises d’Activités spécialisées (conseil en organisation et réalisation d’études) qui s’implantent en Chine les font pour deux raisons : accéder au marché chinois pour produire des études à destination des clients locaux mais aussi pour fournir de l’information sur la Chine auprès des clients occidentaux.

- Le cas de l’implantation en Afrique (encore en projet) est motivé par le rapprochement à une source de matières premières et l’opportunité de la traiter localement avant de l’importer.

- Le projet en Europe de l’Est correspond à une extension de capacités (lié au transfert d’une production depuis l’Italie). Ce cas d’extension est clairement le fait d’une délocalisation.

Au final dans le cas de la mobilité « à l’étranger », l’extension du portefeuille clients par un rapprochement géographique semble la principale motivation à la mobilité.

8.2. Les délocalisations de substitution

Il semble possible de parler de délocalisation lorsque les opérations de mobilité se traduisent par l’implantation/l’extension d’activités hors de l’Aquitaine et qu’elles s’accompagnent simultanément d’un transfert de charge en faveur des entités hors région. On distingue les délocalisations infranationales de celles à destination de l’étranger. Elles convergent sur un point : les délocalisations concernent essentiellement des activités industrielles et plus particulièrement de production.

8.2.1. Les délocalisations infranationales

En 2008, les opérations de délocalisations infranationales depuis l’Aquitaine (tableau 2.19) sont relativement peu nombreuses (12 cas) mais comparables aux mouvements inverses de délocalisations infranationales à destination de l’Aquitaine (17 cas)37. Elles affectent essentiellement l’industrie manufacturière (7 opérations), puis les entreprises classées en Commerce de gros38 (3). Enfin deux entreprises de services sont concernées.

37 Pour l’année 2003 on dénombre une seule délocalisation de l’Aquitaine vers la France contre 4 opérations de délocalisation de la France vers l’Aquitaine. 38 Parmi les entreprises Commerce de Gros recensées (3), l’une relève d’une entreprise industrielle du secteur textile mais l’établissement concerné dans ESPA est enregistré par l’INSEE dans le secteur du Commerce.

108

Tableau 2.19. Distribution par secteurs des délocalisations vers la France (2008 ; Unités)

Production Siège et Administration

Prestation de Services Ensemble

Industrie manufacturière 7 7 Commerce de gros 1 2 3 Production audio video 1 1 Activités des sièges sociaux conseil de gestion 1 1

Ensemble 8 2 2 12 Source : ESPA

Sept cas correspondent à des délocalisations au sens strict : les sites Aquitains sont ainsi totalement fermés (deux établissements de service, deux sites industriels et trois établissements rattachés au commerce de gros39).

Les cinq autre cas renvoient à une logique d’arbitrage entre sites de production défavorable à l’implantation en Aquitaine. Elle est avérée dans deux cas et présumée dans les trois autres.

- Les deux premiers cas concernent l’industrie manufacturière et se soldent par des fermetures partielles en Aquitaine. L’arbitrage (par spécialisation des sites) se fait alors que les deux entreprises sont en bonne santé économique (il ne s’agit donc pas de stratégie de sauvegarde). L’activité est transférer de l’Aquitaine vers un autre site. Auparavant, les deux sites (Aquitaine et hors-région) réalisaient des activités similaires.

- Dans les trois autres cas (doublons d’activités), le transfert n’est pas encore effectif mais il est planifié pour l’une de ces entreprises (agissant dans l’industrie agro-alimentaire) et fortement présumé pour les deux autres (développement de capacités de production dans le travail des métaux en Hérault).

Tableau 2.20. Conséquence par site aquitain des délocalisations vers la France (2008 ; Unités)

Fermeture complète

Fermeture Partielle Doublon Ensemble

Industrie manufacturière 2 2 3 7 Commerce de gros 3 3 Production audio video 1 1 Activités des sièges sociaux conseil de gestion 1 1

Ensemble 7 2 3 12 Source : ESPA

Les délocalisations « au sens strict » (7 cas) devraient se solder par la suppression de 310 emplois en Aquitaine (annonces).

Les délocalisations sont un sujet sensible et les annonces recensées par ESPA ne permettent pas d’identifier clairement les motivations à ces mobilités. L’argumentaire en termes de « rationalisation » ou de « spécialisation » des sites est le plus fréquemment avancé pour justifier les décisions. Certains cas suggèrent que des motivations relevant de la capacité d’attractivité de la région est en cause, relativement à d’autres espaces. On peut par exemple

39 Deux des unités fermées correspondent à des activités de direction (commerce des vins et spiritueux et textile).

109

considérer le cas de l’entreprise relevant de la Production audio-vidéo. Cette délocalisation semble motivée par l’existence du pôle image à Angoulême (logique de clusterisation).

8.2.2. Les délocalisations vers l’étranger

On dénombre 22 délocalisations vers l’étranger dans EPSA, soit 2,9% du total pour l’année 2008 (tableau 2.21).

D’un point de vue sectoriel, les entreprises de l’industrie comptent pour plus de trois quart des délocalisations. Le constat s’alourdit du fait que deux des trois opérations provenant d’entreprises du Commerce de gros sont attribuables à l’industrie (ayant aussi une fonction de vente, ces entreprises sont classées en Commerce de gros).

En raisonnant sur les fonctions, on confirme que les délocalisations concernent très majoritairement la fonction de production/assemblage : 20 opérations sur 22 recensées. Deux opérations seulement ne portent pas directement sur des activités de production : l’une renvoie à la création d’une plateforme logistique (dont le but est de renforcer les capacités de service après-vente au Canada) afin de remplacer un service assuré auparavant depuis la France ; l’autre concerne la création d’un centre de Recherche et Développement en Inde.

Tableau 2.21. Distribution des délocalisations vers l’étranger, secteurs et fonctions (2008 ; Unités)

Fonction Secteur

Production Distribution support logistique

Recherche et développement Ensemble

Industrie 16 1 17 Commerce de gros 3 3 Recherche-développement scientifique 1 1 Activités de services administratifs et de soutien 1 1

Ensemble 20 1 1 22 Source : ESPA

Tableau 2.22. Zones ou pays d’accueil des délocalisations vers l’étranger (2008 ; Unités)

Production Distribution,

support logistique RD

Asie du sud-est (7) (dont Chine 6) Canada Inde Europe des 15 (5)

Tunisie (3) Inde (2)

Europe de l'Est (2)

Zone ou pays

USA Source : ESPA

Les délocalisations par substitution se font essentiellement à destination des pays « low cost » (tableau 2.22). L’Asie du Sud-est (Chine en particulier) constitue la principale zone visée (environ 1/3 des opérations). Les délocalisations aquitaines suivent les destinations des délocalisations européennes : Chine, Maghreb, Europe de l’Est et Inde.

Cinq opérations concernent « l’Europe des 15 ». Deux cas correspondent à des rapatriements de charge par des têtes de groupes étrangers vers des entités préexistantes (en Italie et en

110

Irlande), la délocalisation en Italie faisant par exemple suite au rachat d’une entreprise aquitaine par une entreprise italienne. Trois délocalisations se font à destination du Portugal (secteurs de la Construction métallique, de la Construction de meubles et de l’Industrie de la chaussure). Les descriptifs de ces opérations confirment que l’objectif de ces délocalisations est de réduire les coûts (stratégie low cost)

L’analyse du couple produit/pays destinataire suggère que l’objectif de réduction des coûts de production est premier dans le cas des délocalisations mais l’étude des descriptifs des opérations fait ressortir une diversité des motivations qu’il est possible de synthétiser en 4 grands profils :

• La réduction des coûts avec préservation partielle de l’emploi domestique

Ce profil (4 cas dans ESPA) est celui des entreprises maintenant une base productive en Aquitaine (en général les activités de conception) mais qui cherchent à réduire leurs coûts en s’implantant ou en sous-traitant à l’international. Il y a dédoublement des structures productives : une partie en Aquitaine, une partie dans un pays low cost.

• La fermeture pour répondre à un objectif de rentabilité financière

On retrouver ici le cas emblématique des délocalisations par contrainte financière. Les normes de rentabilité imposée aux entreprises dépendantes les contraindraient à délocaliser afin d’atteindre ces objectifs. Les travaux récents soulignent que la relation finance-industrie est plus complexe que cela (Mouhoub, Plihon, 2009) même si on ne peut nier qu’elle renvoie à une certaine réalité. Dans notre base, deux cas au moins renvoient à cette logique.

• La réduction des coûts dans des industries où la compétitivité coût est déterminante

Ce profil est celui des entreprises opérant dans des secteurs où la concurrence par les prix est le critère déterminant de la survie de l’entreprise. Le transfert partiel (profil 1) n’étant pas suffisant, c’est la totalité des activités qui est transférée vers des zones low cost. On retrouve ce profil dans ESPA dans l’électronique, dans la fabrication de chaussures (2 cas) et pour des articles de douches.

• La pénétration de marchés protégés

Les 5 cas associés à ce profil correspondent à des entreprises choisissant l’implantation afin d’améliorer leur processus de pénétration du marché ciblé. Dans un certain sens, il s’agit d’une extension à l’international mais nous faisons la distinction avec celle-ci car la nouvelle implantation conduit, dans ces cas, à faire moins appel aux établissements aquitains. Il y a substitution. Deux facteurs légitiment cette stratégie. En premier lieu, une volonté d’améliorer l’accès au pays ciblé en contournant les barrières réglementaires (IAA). En second lieu, il s’agit de suivre l’évolution du centre de gravité du marché qui se déplace vers l’Amérique du Nord.

*

* *

111

L’analyse de la mobilité extra-régionale des entreprises aquitaines montre qu’il existe une large diversité des logiques et des profils de firmes. En particulier dans le cas des délocalisations, il n’y a pas de mouvement massif obéissant à une logique unique, ni même dominante. Au contraire, la diversité des situations peut dépendre :

- de l’histoire des entreprises (par exemple les héritages de localisation)

- des caractéristiques techniques et productives (par exemple la nature pondéreuse des marchandises) et des modes d’inscription concurrentiels des entreprises (concurrence par les prix versus qualité)

- des caractéristiques capitalistiques des entreprises (nationalité et actionnariat de l’entreprise)

Le rapport à la mobilité diffère selon les entreprises. ESPA suggère néanmoins que la logique d’extension domine dans le comportement des entreprises aquitaines (59% des cas en 2008) même si on perçoit que les pressions sur les coûts/rentabilité existent et s’expriment parfois très intensément dans certains secteurs.

La diversité des lieux de localisation peut être rapprochée des motivations à la mobilité :

- la mobilité infranationale est relativement plus importante pour les cas d’ « extension » que de délocalisation ;

- le choix d’une destination « low cost » semble souvent associée aux cas de délocalisation par substitution.

112

Conclusion de la partie 2

L’objectif de cette partie était de proposer un panorama complet de la manière dont se décline la notion de mobilité des entreprises en Aquitaine. La mobilité n’a pas été réduite aux seules migrations internationales : le niveau infranational a été pris en compte. La base ESPA montre d’ailleurs que la mobilité des firmes se joue d’abord au sein de leur espace domestique (la région) et national : les mobilités infranationales et infrarégionales sont les premières pratiques de mobilité des entreprises. Ce point est important car il signifie que la question de l’ancrage du potentiel productif se joue aussi dans la capacité à cerner les attentes des entreprises locales, y compris lorsque les enjeux de mobilité à l’international semblent absents. Mais il convient de ne pas oublier qu’une part importante du tissu local relève du low tech et que ce dernier n’est pas forcément le moins mobile.

Un deuxième enseignement concerne la distinction qu’il convient de faire entre choix initial et affirmation de ce choix. Cette distinction prend notamment son sens pour ce qui concerne les entreprises d’origine étrangère. ESPSA montre ainsi qu’en termes d’attractivité pure, l’Aquitaine peine quelque peu à attirer des acteurs étrangers mais que ceux-ci une fois présents sont plutôt enclins à renforcer leur potentiel productif.

Un troisième enseignement de la base est de souligner qu’à différents niveaux, autrement dit selon les différentes formes de mobilité étudiées, l’industrie manufacturière est relativement fragile. Clairement, la région souffre d’une faiblesse récurrente à ancrer ces activités (notamment les activités de production). Ceci est en particulier vérifié lorsqu’on étudie les formes de mobilité renvoyant aux pratiques de délocalisation.

Toutefois, et c’est le quatrième grand enseignemente, l’examen des délocalisations montre que les motifs à la mobilité à l’international sont pluriels et leurs fondements sous-jacents complexes à cerner. A partir des cas recensés par ESPA, nous avons proposé une première appréhension de cette diversité. Toutefois, on perçoit que les pratiques de mobilités se jouent dans le temps. Pour cerner ce type de comportement, c’est vers une lecture en termes de trajectoire de firme qu’il convient de s’orienter. Telle est l’objet de la troisième partie.

113

Partie 3

Analyse qualitative de la mobilité des firmes : enjeux et orientations pour l’Aquitaine

114

Introduction

De la revue de la littérature (partie 1) comme de l’analyse spécifique à l’Aquitaine (ESPA, partie 2), il ressort que la mobilité des activités économiques est un phénomène complexe. Contrairement aux idées les plus répandues, les mouvements de délocalisation – et de relocalisation – ne s’inscrivent pas dans un schéma stratégique unique des entreprises. L’analyse qualitative développée dans la présente partie confirme et affine ce constat d’une diversité des trajectoires de mobilité.

Les résultats se basent sur deux séries d’entretiens qui ont été menées : (1) auprès d’une trentaine d’entreprises ayant connu ou anticipant une mobilité de tout ou partie de leurs activités ; (2) auprès d’un groupe représentatif d’experts institutionnels et académiques à même d’éclairer les principales tendances des cinq secteurs jugés prioritaires dans le cadre de l’étude, à savoir : l’aéronautique, l’automobile, la filière « glisse », l’informatique de santé et la pharmacie.

Le premier chapitre présente et commente un certain nombre de cas emblématiques ou « narratives » de délocalisation et relocalisation. Construites à partir des éléments significatifs collectés aux cours des entretiens, ces narratives rendent compte de la multiplicité des facteurs qui, dans un contexte marqué par la mondialisation des processus productifs, fondent les stratégies de mobilité des entreprises.

Le second chapitre propose une synthèse des résultats les plus significatifs à l’appui desquels peut être dégagé un certain nombre d’enseignements pour l’action publique. Chaque secteur prioritaire fait l’objet d’une analyse spécifique préalable à la synthèse générale.

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Chapitre 1

Histoires de mobilité en Aquitaine

Introduction

L’un des résultats les plus significatifs de l’analyse qualitative se traduit par la mise au jour de trajectoires types de délocalisation-relocalisation représentatives de la variété des situations présentes sur le territoire aquitain.

Une première démarche de construction de ces « idéaux-types » consiste à identifier un facteur déterminant puis à envisager l’évolution de ce facteur dans le temps et son articulation (ou non) aux autres facteurs de localisation. Il s’agit dans ce cas de privilégier une entrée par la stratégie de l’entreprise en tentant de répondre à la question suivante : « pourquoi un mouvement de mobilité ? ».

Une autre approche, ici retenue, tient compte d’un plus grand nombre de variables comme la nature et l’importance des activités réellement déplacées – tout ou partie seulement –, le lieu de la mobilité – pays développés versus low cost, nearshore versus offshore, etc. – et les formes organisationnelles prises par les déplacements d’activités – création ou réorientation de filiales, sous-traitance, etc. Trois questions permettent alors de tenir compte des différentes variables explicatives et de leur combinaison : « quoi ? », (autrement dit « quelles activités sont ou peuvent être amenées à être déplacées ? ») ; « où ? » ; et « comment ? » (c’est-à-dire sous quelle(s) forme(s) organisationnelle(s) ?).

Les réponses à ces trois séries de questions permettent, comme l’illustre la figure 3.1, de dresser une typologie des principaux cas de délocalisation – ou relocalisation dès que l’on inverse le sens de la lecture – des entreprises.

La présentation en trois colonnes ne signifie pas que le processus soit séquentiel. En effet, une firme ne se pose par successivement la question du « quoi », puis du « où » et enfin du « comment ». Par exemple, elle peut être amenée à se poser la question du lieu avant celle des activités, c’est le cas lorsque des appels d’offre stipulent depuis quelle source, nearshore ou offshore, telle partie de la production devra être réalisée. S’il n’existe pas de séquentialité unique, c’est que la question du « pourquoi ? » se pose en même temps que chacune des autres questions. Par exemple, la question du choix d’un lieu peut être influencée par le coût de la main d’œuvre locale, mais aussi par les besoins de proximité aux ressources ou encore par le suivi des donneurs d’ordres.

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Figure 3.1 : Une typologie des principaux cas de mobilité des activités économiques

La diversité des situations regroupées dans la figure 3.1 ne peut être confondue avec des situations réelles. Autrement dit, les cas observées de (dé)localisation combinent le plus souvent plusieurs types de localisation, de la même manière qu’ils combinent les sources externes (externalisation) et internes (délocalisées ou non) d’approvisionnement. Cette diversité des situations a été mise en évidence au cours des entretiens. Elles conduisent ici, sous la forme « d’idéaux-types », à la présentation de six narratives de mobilité (tableau 3.1). Anonymées par construction, elles sont présentées en accord avec la grille de lecture développée dans la première partie du rapport.

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Tableau 3.1 : Présentation des histoires d’entreprises

Cas de mobilité Cas concret Résumé

Délocalisation pure Solectron Cas de délocalisation impliquant à terme la fermeture du site

Refus de délocalisation Machette

Cas de refus de délocalisation de la production conduisant à la délocalisation partielle des sous-traitants (délocalisation

« par procuration »)

Relocalisation Tablar, Mézom…

Cas de relocalisation (incohérence avec le positionnement des entreprises) faisant suite à une délocalisation en Chine motivée par

les coûts salariaux.

Double délocalisation : infranationale et

partielle

Kapalouest

Cas de délocalisation infranationale motivée par la proximité aux utilisateurs des

produits, doublée d’une délocalisation partielle (offshore et nearshore).

Risque de délocalisation de la

R&D Ingenia Cas de délocalisation partielle de la R&D

sous une forme proche du onshore.

Ancrage incertain (risque de

délocalisation ou de fermeture)

Panoboi

Cas d’ancrage par la ressource naturelle mais risque de délocalisation ou de

fermeture si les principaux donneurs-d’ordres ferment ou délocalisent

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HISTOIRE N°1

De la délocalisation à la fermeture du site de Canéjan :

le cas de Solectron

Le cas de Solectron est bien connu dans la région Aquitaine et il est représentatif d’autres cas observés, c’est pourquoi il échappe ici au principe d’anonymat. Solectron offre en effet une illustration type du cas de « délocalisation pure motivée par les coûts salariaux ». Or, la fermeture du site interviendra quelques années après les mouvements de délocalisations. Ce cas permet ainsi de revenir sur la question de la définition des délocalisations stricto sensu (fermeture puis réouverture à l’étranger) et donc de leur mesure (ou de leur identification) : les deux processus ne sont pas nécessairement synchrones au sens où les temporalités peuvent différer. Dans le cas présent, la fermeture n’a pas précédé la délocalisation, mais lui a été consécutive.

La trajectoire de Solectron est indissociable de son contexte sectoriel marqué par l’ampleur de la sous-traitance. L’organisation de la sous-traitance dans l’électronique explique dans un premier temps, les années 1990, la « période faste » de l’entreprise puis, dans un second temps, le mouvement de délocalisation et la fermeture du site de Canéjan suite au rachat par Flextronics dans les années 2000.

Ce qui est valable pour Solectron l’étant pour l’ensemble des entreprises européennes (et américaines) du secteur, la figure 3.3 illustre la transformation d’ensemble du secteur telle qu’elle se présente en fin de processus, suivant les quatre relations fondamentales d’approvisionnement, commerciale, salariale et financière.

L’inégalité des coûts d’accès à la matière : de la naissance de l’externalisation à l’âge d’or de la sous-traitance électronique (années 1990)

La sous-traitance électronique apparaît au début des années 1990 par externalisation de cette activité. La recherche de gains de coûts de production motive ce mouvement qui émerge d’abord aux Etats-Unis où des acteurs, encore de taille limitée, se positionnent auprès des entreprises clientes en leur montrant les économies potentiellement réalisables par l’externalisation de leur production. Majoritairement issus des grandes entreprises informatiques, les sous-traitants proposent de « faire deux fois moins cher » en recourant à l’externalisation mais tout en continuant à maîtriser le design. Ce gain en termes de coût repose sur deux éléments :

- d’un côté, l’internalisation de la production suppose des frais de structure que les sous-traitants, fonctionnant sur le modèle de l’usine – flexibilité, absence de structure de gouvernance lourde, etc. – n’ont pas à supporter, l’économie pouvant être directement répercutée dans les prix de vente ;

- d’un autre côté, l’asymétrie du coût d’accès à la matière entre client et sous-traitant justifie l’externalisation de la production des composants électroniques (les cartes par exemple). En effet, les sous-traitants sont avant tout des « centrales d’achat » agissant pour le compte de plusieurs clients. Leur « poids » relatif, lié à leur volume d’achat, leur permet ainsi de négocier auprès des fournisseurs des tarifs plus avantageux que ceux auxquels peuvent prétendre les clients internalisant cette production. L’équation gagnante pour les deux parties-

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prenantes de la relation, client et sous-traitant, tient à ce que le prix de vente du sous-traitant intégrant son coût d’accès à la matière plus sa marge demeure inférieur au coût d’accès du client.

La relation commerciale apparaît alors fondamentale. L’asymétrie est déterminante, les « coûts matières » représentant environ 88% du coût total chargé de la production des composants électroniques, soit plus de 90% du coût total hors charge.

Evidemment, plus le sous-traitant croît, plus ses volumes d’achat augmentent et plus son coût d’accès à la matière diminue. Autrement dit, sa croissance augmente sa compétitivité (répercussion de la baisse du coût dans le prix de vente) ou sa profitabilité (répercussion dans la marge). Les bases de données d’approvisionnement sont mondialisées et partagées par les différentes entités des sous-traitants qui ne tardent pas à devenir des sortes de fédération d’usines, le modèle de la fédération étant retenu afin de minimiser les frais de structures.

La décennie 1990 sera ainsi qualifiée de « course au gigantisme » pour les acteurs de la sous-traitance électronique. Sous-traitant d’origine américaine, Solectron va se développer en Europe au cours de ces années, suite au rachat de l’usine IBM du site de Canéjan alors spécialisée dans la réalisation de cartes électroniques. Choisissant la voie de l’externalisation, IBM accepte de vendre son usine à Solectron et s’engage pour trois ans de commandes. L’usine sera reprise « en l’état », avec l’équipe en place pour ceux qui le souhaitent, les autres étant reclassés dans d’autres entités d’IBM. Les efforts d’adaptation des salariés et de l’équipe d’encadrement partiellement augmentée pour assurer de nouvelles fonctions de l’usine, notamment commerciales, conduiront au succès de la reprise et à l’extension de la présence de Solectron en Europe. L’entreprise ne cessera plus de croître entre 1993 et 2000, le site de Canéjan passant de 300 à 4500 personnes en même temps que 12 usines seront rachetées en Europe.

La croissance de Solectron s’inscrit dans la phase d’expansion du secteur au niveau mondial : « c’est l’époque de la sous-traitance à grande échelle ».

Cette croissance se réalise sous une forte pression financière. Il est impératif de maintenir un haut niveau de rentabilité et de conserver les avantages en termes de coûts d’accès à la matière et de coûts de structure liés au modèle de type « usine » (« on ne vit que pour et par les comptes clients »). De ce point de vue, la gestion de la supply chain est déterminante et fortement inspirée du modèle popularisé par DELL : « obtenir le meilleur prix des composants au dernier moment mais au bon moment ». L’impératif de synchronisation, tous les composants devant être là au même moment, et les besoins de proximité au client expliquent la multi-localisation des sites de production à l’échelle internationale. Si les produits sont génériques, ils sont adaptés aux besoins du client, ce qui suppose une proximité géographique temporaire (design). Une fois le design réalisé, la production peut être réalisée n’importe où. Or, en raison des coûts logistiques, s’organise une répartition géographique de la production selon les trois grandes zones de la triade : ce qui est vendu aux Etats-Unis est produit aux Etats-Unis, ce qui est vendu en Asie est produit en Asie et ce qui est vendu en Europe est produit en Europe. C’est aussi une règle « corporate » valable pour l’ensemble des grands acteurs du secteur, des multinationales implantées dans les trois grandes zones économiques. Tant que les clients sont satisfaits, il n’y a aucune raison de changer de modèle.

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Les différentiels de coûts salariaux : de la délocalisation à la fermeture des usines en Europe Occidentale (années 2000)

Impactant le secteur informatique, client majeur de l’électronique, la crise « Internet » du début des années 2000 entraîne la remise en cause du modèle des années 1990.

Les différentiels de coûts de production, notamment salariaux, sautent aux yeux des donneurs d’ordres dont le discours tenu aux sous-traitants opèrera très rapidement : « au lieu de nous livrer depuis l’Europe, VOUS allez délocaliser en Asie ». Chez Solectron, « on a fait la sourde oreille pendant 6 mois mais on vendait déjà 10% de moins ». La pression sur les coûts pousse à délocaliser.

Or, ce n’est pas sur les coûts matières qu’il est possible de jouer, « les sources d’approvisionnement étaient déjà internationalisées ». Le gain possible demandé par le donneur d’ordres concerne le seul coût du travail. Tous les acteurs du secteur vont suivre le même schéma de délocalisation en « transférant [d’eux-mêmes] tout ce qui est transférable » :

- une implantation offshore (en Asie pour l’Europe et les Etats-Unis) ;

- une implantation nearshore répondant aux impératifs de flexbilité/réactivité liés à l’imépratif de synchronisation, au Mexique pour les Etats-Unis, en Europe de l’Est pour l’Europe.

Solectron-Canéjan délocalisera en Chine et en Roumanie. Les délocalisations restent partielles et les activités à forte valeur ajoutée sont conservées sur place – bureau d’études, R&D, production sur-mesure et spécifique, etc.

Globalement, il ressort de l’estimation réalisée sur le « coût total » du secteur que les coûts du travail auxquels s’ajoutent ceux de l’amortissement machines représentaient seulement 7% du coût total chargé. Le coût matière pesant pour 88% et les frais généraux pour 2%, la marge est d’environ 3%, entre 2 et 4% selon les surcoûts. Les gains réalisables en jouant sur le coût du travail sont alors estimés à environ 1% de ce coût total. « Mais pour ce 1%, on va en Asie ». Il représente en effet entre 25 et 50% de la marge. Certains concurrents de Solectron diront pourtant qu’« il est possible de récupérer ce point de pourcentage sur le coût matière grâce à la puissance d’achat du groupe ».

Deux évolutions vont finir par « condamner » les acteurs européens sur ce secteur.

La première tient à la domination des « dragons » asiatiques sur le secteur de l’électronique, ce qui n’avait pas été pressenti par les leaders européens et américains du secteur. Cette domination opère non seulement par le coût du travail, notamment en Chine, mais surtout par le design, la facturation et plusieurs autres fonctions ce qui amène à ce constat ‘désabusé’ : « Ils sont meilleurs sur tout ». Autrement dit, les compétences sont asiatiques dans un secteur où les besoins de proximité avec le client – produits génériques et matures – et les coûts logistiques en baisse ne justifient plus de « produire ici ce qui est vendu ici », ceci dès les années 2000.

La seconde renvoie à la baisse du marché, notamment hexagonal, donc des volumes de production et d’achat de composants au milieu des années 2000. Cette situation met le secteur en très forte difficulté.

121

Dans le secteur, six usines françaises fermeront, souvent par rupture de contrat d’un grand compte, entre 2005 et 2007. Elles délocaliseront leur production en Europe de l’Est (Tchéquie, Roumanie, Hongrie). Seules seront maintenues les usines positionnées sur des productions « high mix low volume » (petites quantités à forte valeur ajoutée) pour lesquelles jouent principalement (a) la réactivité et la spécificité des commandes – besoin de proximité fort avec le client et rôle secondaire du coût – et (b) les savoir-faire technologiques spécifiques.

Le rachat de Solectron par Flextronics conduira ainsi à la fermeture du site de Canéjan, jugé non rentable et dont les productions seront intégralement délocalisées en Roumanie, tandis que le site de Saint-Etienne « high miw low volume » sera maintenu.

Quelques retours sur l’expérience de Solectron

Au final, un seul argument, celui du coût, explique l’émergence puis la remise en question du modèle européen de la sous-traitance électronique. Plusieurs conclusions se dégagent de l’histoire de Solectron recontextualisée dans celle de son secteur d’appartenance.

Associé au volume, l’argument du coût peut être déterminant : 1% de gain justifie, aux yeux des actionnaires et des clients, la fermeture et la délocalisation de la production… Il est évident que l’Europe occidentale ne peut être concurrentielle sur des marchés pour lesquels le coût est premier.

La question des compétences peut se révéler tout aussi déterminante car la domination asiatique ne repose pas seulement sur les différentiels de salaires mais avant tout sur la maîtrise des compétences clefs dans le secteur.

En revanche, la spécialisation sur des productions à haute valeur ajoutée mobilisant des compétences spécifiques (à l’usine ou au territoire) et nécessitant une proximité aux clients justifie le maintien des sites de conception et de production en France.

Il n’est pas avéré que la dissociation conception-production se maintienne dans le temps. Dans les cas précités, il apparaît que les deux activités sont au contraire indissociées. Lorsqu’une usine est maintenue sur le territoire, les deux activités sont concernées. Les délocalisations suivent la même logique. Si Solectron-Canéjan a pu, un temps, maintenir sa conception en France, celle-ci n’a pas tardé à « suivre la production ». Autrement dit, les compétences se développent aussi là où les biens sont produits.

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Figure 3.2 : Les évolutions du secteur de la sous-traitance électronique

Relation salariale

Années 1990 : pas de « problème » de coûts ou de compétences (chaque

zone semble convenablement dotée)

Années 2000 : Importance des différentiels de salaires (avec les zones nearshore

et l’Asie) Domination asiatique par

les compétences

Relation d’approvisionnement

Approvisionnement en composants mondialisé

Tendance à la baisse des coûts logistiques

Possibilité de décomposer les processus productifs

Relation financière

Dominations des groupes (multinationales)

Pression actionnariale forte

Relation commerciale

Années 1990 : basée sur l’inégalité des coûts d’accès à la matière

Années 2000 : pression des clients à la baisse des coûts

(salariaux)

Peu de proximité et argument premier du coût

pour les produits génériques

Forte proximité et argument du coût second

pour les produits spécifiques

Organisation sectorielle

Années 1990 : Découpage du marché

(conception et production) selon les trois zones de la

Triade (proximité aux clients)

Années 2000 : Nette domination de l’Asie

pour la conception et la production (produits

génériques)

Existence de marchés de niches localisés (produits spécifiques)

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HISTOIRE N°2

Quand Machette évite de délocaliser :

Ancrage de l’entreprise mais délocalisation partielle des sous-traitants

Le cas de Machette illustre le cas d’une non-délocalisation des activités de production. Parce que la question s’est posée il y a quelques années déjà, c’est dans le temps que la trajectoire de l’entreprise peut être considérée, à travers les conséquences du maintien du site de production en Aquitaine. La figure 3.4 résume les principaux impacts de la décision sur la stratégie et les partenaires de la firme.

Figure 3.3 : Machette et ses partenaires, avant et après la « non-délocalisation »

Relation salariale

Importance de la culture d’entreprise

Main d’œuvre chère mais productive (argument du maintien en Aquitaine)

Relation d’approvisionnement

Externalisation des pièces aux sous-traitants

(composants des machines)

Réseau « local » de sous-traitants

Renforcement du partenariat « local » (co-

conception)

Approvisionnement partiel en « low cost countries »

(délocalisation par procuration)

Relation financière

Importance des aides publiques

Structure du capital répartie entre fonds de

pension (pression actionnariale) et dirigeants

Rachat de parts par les dirigeants (minorité de

blocage)

Relation commerciale

Activité : conception, assemblage (modules

produits par ST)

Petites et moyennes séries

Produit standardisé mais adapté (variété sur

« catalogue »)

Remontée en gamme (qualité, délais)

Développement de l’activité de services

(maintenance et pièces détachées)

Contexte sectoriel

Secteur très concentré : 1 concurrent principal (Etats-

Unis)

Concurrence par les coûts

Positionnement de Machette : Qualité & Réactivité

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Machette en quelques mots

Machette est une PME localisée en Aquitaine. Sur ce site, elle conçoit, produit (assemblage) et assure la maintenance de machines d’usage spécifique. La fabrication des différents éléments est externalisée auprès des sous-traitants, exception faite de la pièce « maîtresse » du système car « c’est le savoir-faire de l’entreprise ». L’entreprise dispose d’un autre site de production, localisé à l’étranger, issu du rachat d’un concurrent. Cet établissement est de petite taille et il est spécialisé sur une machine non produite sur le site Aquitain. Machette est cependant représentée dans le monde entier, à travers ses nombreuses entités commerciales (filiales).

Le secteur d’activité de Machette est oligopolistique : deux acteurs dominent le marché (Machette, talonnée par son concurrent américain). Comme dans le cas de Solectron, les « coûts matières » sont prégnants dans ce secteur (environ 85% du coût total), d’où l’importance de la politique d’achat et du besoin de synchronisation des pièces pour l’assemblage. La synchronisation repose sur la flexibilité/réactivité des fournisseurs.

Machette, à deux doigts de délocaliser

En 200X, les actionnaires de Machette sont majoritairement des fonds de pension. Ils demandent à l’entreprise de délocaliser leur activité de production en Chine. Deux raisons motivent ce choix. D’abord, il est impératif que Machette réduise ces coûts de production, ce dont tous les acteurs de l’entreprise conviennent. Une étude révèle que le gain théorique attendu d’une localisation de la production en Chine, la conception devant rester en Aquitaine, serait de l’ordre de 20%. Ensuite, la conjoncture laisse supposer un décollage à très court terme de la demande chinoise pour le type de machines produites par Machette, ce qui renforce d’autant plus ce projet de délocalisation.

A l’époque, les dirigeants de Machette ne souhaitent pas délocaliser. Ils sont par ailleurs conscients qu’une telle décision conduirait, à terme, à la délocalisation des activités de R&D en Chine. Si la production s’en va, la conception suivra. « Il y a un trop fort besoin de proximité entre R&D et production dans notre métier pour qu’il en soit autrement ». Les dirigeants vont alors envisager de relever le défi de réduire les coûts tout en restant en France. Une étude est menée en parallèle à celle réalisée en Chine. Avec une re-conception totale des machines, la réduction des coûts serait, en France, de l’ordre de 25%. Le maintien sur place paraît possible et Machette reste en Aquitaine.

Dans le même temps, le principal concurrent de Machette décide, lui, de délocaliser l’ensemble de ses activités de conception et de production en Chine.

Un retour d’expérience positif

Trois ans plus tard, Machette et son concurrent « sortent » leur nouvelle machine. Alors que Machette rencontre un véritable succès, son concurrent fait face à des problèmes de qualité. Le maintien de l’entreprise en Aquitaine n’est pas sans conséquence. Cette décision s’accompagne d’une modification de trois des quatre relations fondamentales de l’entreprise.

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La modification de la relation financière

Les dirigeants ont choisi d’augmenter leur prise de participation dans le capital de Machette afin de détenir la minorité de blocage (33%). L’entreprise sortant de la pression « court-termiste » de l’actionnariat, les dirigeants sont à même de privilégier une logique industrielle et, ainsi, d’accroître la maîtrise des localisations.

La relation d’approvisionnement : un lien local renforcé, des délocalisations « par procuration »

La re-conception totale des machines s’est faite en partenariat avec le réseau préexistant de sous-traitants locaux. Une majorité des trois cents sous-traitants de Machette est localisée en France. Environ 50% du chiffre des achats est réalisé en région dans un rayon de 200 à 300 km autour de l’entreprise. L’activité de Machette repose donc sur un fort besoin de proximité entre conception, production et sous-traitance. Dans ce cas de figure, le partenariat avec les fournisseurs permet de répartir l’effort de baisse des coûts et confirme le positionnement de l’entreprise sur le « haut de gamme » et la vente de solution à valeur ajoutée.

En revanche, la recherche d’économies de coûts de production n’aurait pas été possible sans un approvisionnement partiellement « low cost ». Plutôt que d’avoir exclusivement recours à de la sous-traitance étrangère, Machette « pousse » ses propres sous-traitants à créer des filiales à l’étranger, en fait à délocaliser une partie de leur activité dans des pays géographiquement proches, au Maghreb et en Europe de l’Est. Du point de vue du donneur d’ordres, il s’agit d’une « délocalisation par procuration ». L’équation pour les fournisseurs devient la suivante : d’un côté, des implantations nearshore vont permette de rester dans le catalogue d’autres acteurs industriels que Machette (celle-ci refusant de peser « plus de 40% » dans le CA de ses fournisseurs) ; de l’autre, le donneur d’ordres offre une visibilité à 15 ou 20 ans, élément majeur de sécurisation de l’activité.

Remontée en gamme, réactivité et services : les trois mots clefs de la relation commerciale

La re-conception des machines a conduit l’entreprise à se différencier de son concurrent. Alors que ce dernier continue de privilégier une stratégie « prix », Machette s’inscrit dans une stratégie « qualité ». La remontée en gamme passe non seulement par la qualité des machines (haut de gamme) mais aussi par la réactivité, fondant le choix d’un réseau de sous-traitants flexibles localisés « à proximité », et par le développement, ces dernières années, des services (maintenance et pièces détachées).

In fine, seule la relation salariale de départ n’a pas été modifiée. Si le coût relatif de la main d’œuvre reste plus élevé en France, la productivité du travail peut permettre de compenser tout ou partie du différentiel salarial. Certains travaux démontrent que les rapports de coûts entre pays développés et low cost s’inversent lorsqu’il est tenu compte de la productivité du travail40. Cet argument est défendu par les dirigeants de Machette.

40 Le lecteur intéressé peut se référer à l’ouvrage d’Olivier Bouba-Olga (Les nouvelles géographies du capitalisme, Comprendre et maîtriser les délocalisations, Seuil, 2006) pour une analyse comparative des coûts et de la productivité du travail dans différents pays (développés et low cost).

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Aujourd’hui, le partage du marché entre les deux grands acteurs semble confirmé. Machette, qualifiée d’entreprise « saine », envisageait même de se développer sur son site aquitain, perspective d’extension qui confirme la pertinence de la stratégie mise en place face au risque de délocalisation. Cette évolution pourrait néanmoins être contrariée par la crise actuelle.

Ancrage et fragilité de Machette face à la crise

Avec la crise, le maintien de l’activité demeure très dépendant des aides publiques, en particulier du versement du crédit impôt-recherche. Le recours au chômage partiel n’étant qu’une solution de court terme, l’entreprise espère une reprise des commandes dans les mois à venir.

Pour autant, la délocalisation n’apparaît pas comme une stratégie envisagée dans ce contexte de crise. L’ancrage dans le territoire tient ici à la proximité constitutive de la relation d’approvisionnement. Machette aurait plus à craindre d’une délocalisation totale ou de la fermeture de ses sous-traitants aquitains, ceux-ci faisant face aux mêmes difficultés. Compte tenu des besoins de proximité signalés, une délocalisation par « suivi des sous-traitants » pourrait dès lors s’envisager.

Le contexte de crise ne conduit donc pas l’entreprise à « aller autant vers le low cost que ce que l’on aurait pu croire ». Pourtant, la nécessité de réduire le nombre de fournisseurs est clairement posée. Si elle conduit bien à un arbitrage entre deux sources d’approvisionnement existantes – l’une occidentale et l’autre low cost –, dans la plupart des cas le maintien de la source occidentale se fait au détriment de la source « délocalisée ». « Les coûts sont certes moins élevés dans les pays low cost mais les sous-traitants occidentaux offre une flexibilité que les low cost ne peuvent pas offrir ». Dans l’équation globale « coût-qualité-délais », les fournisseurs occidentaux et locaux sont les mieux placés.

En termes d’action publique, les rapports locaux de sous-traitance, autrement dit le tissu des PME sous-traitantes, deviennent la cible pertinente.

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HISTOIRE N°3

Plusieurs cas pour une trajectoire similaire de relocalisation

De fortes analogies existent entre les cas de relocalisation analysés pour l’étude. Dans un premier temps, chaque entreprise a eu recours à une délocalisation partielle ou totale de sa production en Chine afin de profiter d’un fort différentiel de coûts salariaux. Par la suite, toutes ont procédé à la relocalisation de leur activité en France en même temps qu’elles engageaient un repositionnement vers du moyen-haut de gamme.

Ces cas sont synthétisés sous la forme d’une trajectoire type de délocalisation-relocalisation dont il convient de tirer deux principaux enseignements :

- a posteriori, la délocalisation ne s’est pas nécessairement pertinente, ce qui conduit à penser que les décisions initiales de l’entreprise se prennent dans un contexte d’information imparfaite sur le coût effectif de la délocalisation ;

- une délocalisation peut être réversible, la relocalisation devenant la solution mise en œuvre par l’entreprise pour pérenniser son activité dans un contexte de concurrence internationale accrue.

Ces premiers constats issus de l’observation vont à l’encontre du discours économique le plus courant pour lequel les délocalisations ne sont pas un problème, mais la solution. Ils méritent quelques explications.

Les deux temps de la trajectoire de délocalisation-relocalisation

Les quatre entreprises agissent sur des marchés divers, à savoir la lunetterie, les arts de la table, le meuble, le petit équipement ménager, etc. Elles sont de tailles et de structures financières différentes, respectivement groupe, TPE et PME, puis actionnariat, capital familial et coopérative. Elles partagent cependant le fait d’externaliser leur production en ayant recours à la sous-traitance ou à l’approvisionnement externe.

Toutes les quatre vont suivre la même trajectoire de délocalisation.

Dès les années 1990 ou au début des années 2000, les entreprises délocalisent leur production en Chine. Elles le font pour un même motif, celui d’un gain de coût d’approvisionnement lié au différentiel salarial entre la France et la Chine que résume cette déclaration : « on s’est gavé sur la Chine, on produisait, quoi… 6 ou 7 fois moins cher ? ». En revanche, la conception des produits reste française. Il s’agit d’activités de type « textile » pour lesquelles il est possible de dissocier le prototype (le « patron ») de la fabrication. Une fois le « patron » mis au point, il peut être envoyé « à distance » pour être produit en série sans qu’aucune interaction entre les activités de conception et de fabrication ne soit nécessaire.

Que ce soit quelques années ou quelques mois plus tard, les entreprises décident de relocaliser tout ou partie de la production en France. Les problèmes de qualité auxquels elles se heurtent viennent diminuer les marges attendues et relativisent fortement l’argument initial du coût de la production : « sur un container, on en jette la moitié », « on a des retours au service après-vente car les produits ne tiennent pas la route, ils sont défectueux », « on demande du ‘rouge

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Cartier’ mais forcément, c’est pas du tout ce qu’on obtient, parce que ça ne leur évoque rien ».

Pourtant, c’est davantage du côté du positionnement (ou du repositionnement) de l’entreprise qu’il faut chercher l’explication d’un retour en France. Les entreprises partagent l’objectif de « faire la différence sur des marchés très concurrentiels ». Il ne s’agit pas de s’engager dans une simple concurrence par les coûts, mais de trouver l’argument commercial qui fera la différence aux yeux du consommateur et, partant, augmentera son consentement à payer. Cela se concrétise dans la relation commerciale par la mise en avant de l’argument marketing du « Made in France », d’où le constat d’une forte médiatisation de deux de ces relocalisations.

Toutefois, une partie de la production est maintenue en Chine : le bas de gamme, celui sur lequel la France ne peut pas être concurrentielle. Dans le cas de la lunetterie, cela concerne d’abord les produits de type « pour 1 euro de plus ». «Aucune de ces paires de lunettes n’a jamais été produite en France, et c’est vrai pour tout le monde », un des dirigeants rencontrés poussant le constat jusqu’à déclarer « la France ne peut pas être compétitive sur les [produits très manufacturiers] fabriqués par les enfants ! ».

Le cas particulier de l’entreprise Tablar illustre ce type de trajectoire. Celui de Mézom permettra, quant à lui, d’envisager la relocalisation du point de vue du sous-traitant.

Une illustration de cette trajectoire : le cas Tablar

La trajectoire de l’entreprise Tablar est schématisée dans la figure 3.5.

La dynamique d’ensemble du secteur a poussé l’entreprise à délocaliser, son modèle phare des années 1980 ne fonctionnant plus : fin des quotas, démocratisation de la décoration, apparition des concurrents « cheap », etc.

Le choix de la Chine s’est alors rapidement imposé : « une main d’œuvre peu chère et disciplinée, des réglementations environnementales peu contraignantes ». Il s’est tout aussi vite révélé un mauvais choix et ceci pour deux raisons : les problèmes de qualité et de contrefaçon (face à laquelle une PME ne peut pas lutter), et l’inadéquation du « Made in China » avec le positionnement de l’enseigne à l’international. L’augmentation des salaires, effective en Chine, n’a alors joué qu’un rôle secondaire dans la décision de relocaliser.

La relocalisation intervient après le rachat de l’entreprise, autrement dit à l’occasion d’un changement d’actionnaires. L’entreprise est en difficulté et la stratégie de reconquête des parts de marché perdues à l’international passe par une relocalisation, facteur premier d’un renforcement de l’image du produit dégradée à la suite du départ de la production en Chine.

Le cas Tablar est emblématique des difficultés rencontrées par les PME lorsqu’elles délocalisent dans les grandes zones économiques de l’offshore asiatique. Non seulement leur pouvoir de négociation est faible compte tenu de la taille limitée des séries commandées (qui plus est face à celui des grandes entreprises et des multinationales), mais surtout, les PME n’ont pas la capacité financière et juridique de s’opposer à la contrefaçon.

129

Figure 3.4 : Les principaux facteurs de délocalisation et de relocalisation dans le cas de Tablar

Relation salariale

Relation d’approvisionnement

Relation financière

Facteur de relocalisation

Changement de stratégie suite à la vente de

l’entreprise par son fondateur-dirigeant au

début des années 2000 conduisant à la

relocalisation

Relation commerciale

Facteurs de relocalisation

Problème du positionnement (Made in China) de

l’enseigne à l’international

Souplesse, adaptabilité et délais courts : jouent en faveur d’une production

locale ou nearshore

Contexte sectoriel

Facteur de délocalisation

Importance du coût de la main d’œuvre (« Une

main d’œuvre chinoise peu chère et

disciplinée »)

Facteur de relocalisation (secondaire)

« L’augmentation des salaires en Chine »

Facteurs de relocalisation

Le « faible poids » d’une

PME (relation de pouvoir)

Les problèmes récurrents

de qualité et d’alimentarité

La contrefaçon

Facteur de délocalisation

Le coût

Facteur de délocalisation

Déréglementation des licences à l’exportation

Facteurs de relocalisation

Démocratisation de la « déco » : remise en question

du positionnement « concept » de Tablar et arrivée des

concurrents « pas chers »

Repositionnement de l’entreprise : différenciation par

la qualité

La relocalisation du point de vue du sous-traitant : quelques mots du cas Mézom

Mézom, entreprise familiale spécialisée dans la tôlerie fine, est localisée en périphérie d’une ville moyenne de la région Aquitaine. Elle ne mise ni sur le démarchage ni sur la publicité pour se faire connaître mais se développe auprès d’une clientèle très localisée. Le client le plus éloigné se trouve à 250 km du site de l’entreprise. L’entreprise compte un grand nombre de clients souvent associés à des productions en petite série. Les deux frères qui gèrent l’entreprise à la suite de leur père ne sont pas des « chefs d’entreprise » issus de grandes écoles. Ils ont fait leurs armes dans leur entreprise, ont tout appris en se formant sur le tas. Mézom ressemble aux entreprises artisanales. Les produits créés sont tous originaux. La créativité des dirigeants qui dessinent et conçoivent eux-mêmes leurs produits en

130

collaboration avec leurs clients et la maîtrise de la découpe au laser renforcent la compétitivité de l’entreprise.

Ce point est plus important qu’il n’y paraît en théorie. Rien n’indiquait que Mézom, petite PME artisanale soit en capacité de concurrencer la production de masse chinoise. Or, aujourd’hui, Mézom répond à la demande de son client avec un surcoût estimé à 5 euros par pièce.

L’histoire de la relocalisation commence lorsque le dirigeant de Normi discute avec l’un des deux frères de ses problèmes de production en Chine, problèmes de qualité des produits qui conduisent à jeter la moitié des containers, auxquels s’ajoutent des difficultés à respecter les normes d’alimentarité. Ils se connaissent, ont grandi au même endroit, là où sont implantées leurs sociétés. Mézom propose d’étudier la réalisation de la production et conçoit un prototype pour Normi. Quelques mois plus tard, la production sera effectivement confiée à Mézom. Pour ce bien, Mézom conçoit, produit et réalise les emballages jusqu’aux étiquettes et au manuel d’utilisation. Progressivement, l’éventail des produits Normi fabriqués par Mézom s’étend. On compte aujourd’hui 4 ou 5 déclinaisons du modèle initial. La relocalisation de la conception/production a permis la remontée en gamme souhaitée par Normi. Aujourd’hui, la marque Normi se positionne comme numéro 1 en France et Mézom projette d’investir dans une nouvelle machine pour tenir son carnet de commandes.

Les relations de proximité, le gain de temps associé à la réactivité de Mézom situé à quelques kilomètres de Normi, de nouveau le marketing du « Made in France » font de la relocalisation un succès pour Normi comme pour le développement de Mézom, succès confirmé par le maintien de l’activité en temps de crise.

Les cas de relocalisation interrogent le caractère inéluctable des délocalisations.

Retour sur les expériences de relocalisation

L’inadéquation apparente entre une production chinoise (stratégie « coût ») et le positionnement (ou repositionnement) souhaité par les entreprise (stratégie « qualité ») se dégage des cas de relocalisation étudiés. Partant de ce constat, une première question se pose : les coûts de la délocalisation puis de la relocalisation auraient-ils peut-être être évités ? Si oui comment ? Autrement dit, l’action publique doit-elle rester cantonnée aux situations de grandes difficultés des entreprises ou plus fondamentalement d’attractivité de nouvelles activités ? Est-il envisageable que l’information sur les conditions réelles des délocalisations par zone géographique soit capitalisée, puis diffusée auprès des entreprises pour limiter, lorsque cela s’avère possible, les stratégies d’apprentissage par l’expérience qu’ont révélé les études de cas et dont les coûts sociaux et économiques restent élevés ?

La médiatisation de certaines relocalisations joue en faveur des entreprises. Le gain marketing a pu limiter les coûts précités de la relocalisation. Mais cela ne saurait ni durer, ni se généraliser, ni même compenser les effets initiaux de la délocalisation.

Enfin, et presque systématiquement dans les cas de relocalisation, le problème de la qualité est évoqué eu égard aux normes européennes. Les normes d’alimentarité illustrent ce problème. L’édiction et le contrôle de normes peut jouer en faveur d’une production « de qualité », notamment française : soit par l’interdiction de la vente des produits ne les respectant pas, soit par la réduction du différentiel de coûts induite par le respect de la normalisation.

131

HISTOIRE N°4

Délocalisation infranationale, sourcing à l’international :

le cas de l’entreprise Kapalouest

Kapalouest offre un cas de mobilité conjuguant deux éléments : une délocalisation infranationale motivée par la relation commerciale (« image » et besoin de proximité au lieu d’utilisation des produits) ; un sourcing international (délocalisation partielle) motivé par les gains en termes de coûts de production.

Les relations entre organisation et localisation de la production de l’entreprise sont schématisées dans la figure 3.6.

Figure 3.5 : L’organisation spatio-productive de Kapalouest

Conception et réalisation des prototypes (à 99%)

Production en série

Localisation (où ?) Forme orga (comment ?)

Site aquitain (interne)

Sourcing international nearshore et offshore

(sous-traitance et appro externe)

Motivations (pourquoi ?)

Activités (quoi ?)

Proximité aux utilisateurs (innovation)

Image

Coûts de production (composants et main

d’œuvre)

Choix des lieux d’approvisionnement en fonction d’un arbitrage

coûts-délais

L’histoire de mobilité de Kapalouest reprend les deux localisations de l’entreprise. Elle tient compte des relations structurantes pour ces mobilités. Une vue d’ensemble est proposée dans la figure 3.7.

132

Figure 3.6 : Les relations structurantes pour les deux mobilités de Kapalouest

Relation salariale

Sur site aquitain : nécessité de « passionnés ». Rôle

premier donné à la maîtrise des compétences

(argument du coût secondaire).

Pour le sourcing : rôle

déterminant du coût de la main d’œuvre

Relation d’approvisionnement

Sourcing nearshore et

offshore (15 pays « sources »)

Maîtrise de certaines

marques de composants par le groupe

Prototypage sur site

(machines spécifiques produites par fournisseur

local)

Relation financière

Kapalouest dépend de la maison mère du groupe

(allocation de l’ « enveloppe globale »)

Contrôle familial

favorisant une vision à long terme

Importance des

subventions locales lors de l’implantation en Aquitaine

Relation commerciale

Besoin de proximité aux lieux d’utilisation des

produits : - pour l’innovation et la

conception des produits

- pour l’ « image » de l’entreprise

Marché de masse et remontée en gamme

(segment des « experts »)

Contexte sectoriel

Marché de masse

Concurrence éparpillée (des acteurs très différents agissant

sur les divers segments de marché correspondant aux

différents produits)

Positionnement de Kapalouest par rapport à la concurrence :

Compromis qualité-prix

Une délocalisation infranationale guidée par la relation commerciale

Kapalouest est l’une des marques d’un groupe plus important. Jusqu’à l’implantation de l’établissement en Aquitaine, la conception de l’ensemble des produits du groupe était centralisée sur un site commun aux différentes marques.

Kapalouest se positionne d’abord en tant que généraliste sur un marché de masse mais elle envisage aussi la remontée en gamme pour s’adresser au segment des « spécialistes ». Son principal objectif est de « s’adresser au plus grand nombre en proposant des produits offrant le meilleur compromis qualité-prix ». La délocalisation infranationale a été guidée par la nécessité de rapprocher la conception des produits de leurs lieux d’utilisation. L’interaction permanente entre utilisateurs et concepteurs est au cœur du modèle organisationnel de l’entreprise (remontée des besoins, tests des prototypes). Le rôle de Kapalouest est ainsi de faire émerger les besoins des utilisateurs puis de les traduire en termes techniques sous

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contrainte de coût. Toutes les décisions stratégiques sont prises sur place, dans une grande autonomie vis-à-vis du groupe.

Placé sous contrôle familial, le groupe favorise une vision de long terme en privilégiant les efforts d’innovation. La relation financière contribue à un arbitrage entre rentabilité et investissements jouant en faveur des projets innovants.

Du point de vue de la relation salariale, l’enjeu pour Kapalouest est de « maintenir les compétences au sein de la firme », autrement dit d’éviter qu’elles « fuient avec la production ».

Ancrage/Fragilité de l’implantation aquitaine

Les facteurs d’ancrage sont liés à la stabilité de l’entreprise par la relation financière, la main d’œuvre et la « ressource ». La maîtrise du processus productif liée à la réalisation sur place des prototypes favorise aussi la viabilité de l’entreprise qui mise avant tout sur l’innovation.

En revanche, deux éléments pourraient fragiliser l’implantation en Aquitaine et conduire à un départ possible de l’entité. Le premier est l’enclavement relatif du site qui rend difficile la mobilité des salariés faute de moyens de transports adéquats notamment vers le siège du groupe et vers les sites de production. Le second est d’ordre foncier. Il serait très difficile pour Kapalouest d’envisager une extension de son site alors que celle-ci serait à l’étude ou pourrait être envisagée à court terme.

Une délocalisation partielle guidée par la relation d’approvisionnement

La stratégie d’approvisionnement et de production de Kapalouest repose d’abord sur un arbitrage entre coûts et délais.

L’argument du coût, pertinent compte tenu de la stratégie de profit du groupe, favorise une externalisation de type offshore, majoritairement en Asie. Le choix des sources d’approvisionnement se fait aussi selon la répartition géographique des savoir-faire à l’échelle internationale. Ainsi, pour certains des composants intégrés à la production de Kapalouest, c’est en Asie que sont maîtrisés les coûts et les savoir-faire. Pour d’autres, des sources nearshore (y compris occidentales) seront préférées. La production des séries longues se réalise principalement en offshore. Dans ce cas, c’est le coût qui est déterminant.

Les délais arbitrent en faveur d’une production nearshore dans le cas des produits pour lesquels le réassort des séries lié aux effets de mode (« fast fashion ») ou de saison, est déterminant. « L’approvisionnement par bateau suppose parfois des commandes à douze mois » ce qui explique que Kapalouest fasse appel aux « circuits courts » du nearshore (Maghreb notamment) moins économes du point de vue du coût mais beaucoup plus « réactifs ».

Au final, ce sont environ quinze sources d’approvisionnement qui sont mobilisées par l’entreprise. Ce multi-sourcing permet à Kapalouest de s’affranchir en partie d’une trop forte dépendance aux fournisseurs. Or, cet enjeu de maîtrise de la production est fondamental pour l’entreprise. Il se retrouve dans deux éléments de la relation d’approvisionnement :

134

- La maîtrise des composants : le groupe auquel appartient Kapalouest a choisi de développer une stratégie « composants » passant par une production en propre de certains composants et par la mise en place de partenariats avec des fournisseurs « proches ».

- La maîtrise des savoir faire et du processus de production : Kapalouest réalise elle-même les prototypes au sein de son atelier sur le site aquitain équipé de machines spécifiques réalisées par des fournisseurs locaux (sur-mesure, paramétrage, etc.). Cette stratégie répond à trois enjeux : celui du contrôle des fournisseurs (en connaissant le process de production, les délais et les coûts sont connus et maîtrisés) ; celui de l’anticipation à long terme de l’évolution des coûts de transport ou des coûts salariaux qui peuvent changer la donne ; celui plus « marketing » qui consiste à « produire localement ce qui est consommé localement » pour des raisons d’image.

En conclusion, il est possible de qualifier ce cas de « délocalisation maîtrisée ». L’approvisionnement externe en offshore et en nearshore sert une stratégie de profit misant sur l’innovation et la production pour les marchés de masse. S’il ne semble pas possible pour Kapalouest de maintenir sa compétitivité autrement qu’en délocalisant sa production, les enjeux de fuite de compétences ou de perte de maîtrise du processus productif sont anticipés par l’entreprise. La question qui reste en suspens est celle de la viabilité de la stratégie à moyen ou long termes.

135

HISTOIRE N°5

Un cas de délocalisation de la R&D : l’entreprise INGENIA

Le cas de l’entreprise Ingenia pose la question de la délocalisation d’activités de R&D.

Une délocalisation envisagée d’une partie de la R&D en nearshore

Ingenia est un sous-traitant pour l’industrie manufacturière. Elle est sujette à une très forte pression à la réduction des coûts de la part de ses principaux donneurs-d’ordres. Le recours à la délocalisation se pose clairement chez Ingenia. La société étant spécialisée dans la conception (développement de prototypes sur spécifications), la délocalisation concernera la R&D. Jusqu’à présent, c’étaient les sous-traitants de l’entreprise (production des composants) qui délocalisaient dans les pays low cost (nearshore).

Ingenia va procéder à la délocalisation d’une partie de son activité de R&D. Très concrètement, l’entreprise va s’implanter dans un des pays du Maghreb par création d’une filiale 100% exportatrice. Elle bénéficiera des subventions accordées pour ce type de localisation. Un seul salarié, devant à terme manager la future équipe locale, y sera embauché. Celui-ci est actuellement en stage de fin d’études sur le site aquitain d’Ingenia. Le développement de la filiale n’est pas prévu à très court terme.

Durant les trois années pendant lesquelles cela lui sera permis, Ingenia compte faire venir ce salarié sur le site aquitain afin de parfaire sa formation. Il sera donc rémunéré selon la législation du pays d’implantation de la filiale délocalisée. L’entreprise envisage d’indemniser son salarié afin de combler le différentiel de niveau de vie entre les deux pays. Elle réduira tout de même sensiblement ses charges salariales par rapport à une embauche en France, compte tenu des subventions dont l’entreprise bénéficiera et du fait que les indemnisations ne sont pas soumises aux mêmes charges sociales que les salaires.

La question posée par ce cas de délocalisation

Il est possible de qualifier ce mouvement de « onshore déguisé ». Le onshore est certes « interdit » en Europe mais la procédure suivie par l’entreprise est tout à fait légale. Et d’ailleurs, là n’est pas la question posée par ce cas.

Si Ingenia fait venir son salarié, c’est non seulement pour parfaire sa formation, mais surtout en raison des besoins de proximité et d’intégration à l’équipe existante. Quelle pourrait alors être l’alternative ? Une délocalisation totale de l’entreprise ? Une délocalisation (d’ailleurs envisagée à moyen terme) de tout un pan de l’activité de R&D ?

Si le cas n’est pas d’ampleur à susciter l’inquiétude, le mouvement probable de délocalisation de la R&D sous pression des clients pose problème. D’une part, le rôle du donneur d’ordres dans la décision met en relief la dépendance au client dans les stratégies de mobilité. D’autre part, la mobilité concerne ici l’amont de la production, c'est-à-dire le cœur de l’activité des pays riches à forte valeur ajoutée.

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HISTOIRE N°6

Panoboi : un cas d’ancrage rendu incertain par le risque de délocalisation des clients

Le cas de la société Panoboi illustre le cas du fournisseur pouvant se retrouver menacé de fermeture (ou de délocalisation) en fonction de l’évolution de la situation et de la localisation de ses principaux donneurs d’ordres. La relation dominante est donc la relation commerciale et le contexte est commun aux entreprises du secteur d’activités. La figure 3.8 synthétise la situation de l’entreprise.

Figure 3.7 : Panoboi dans son contexte sectoriel

Relation salariale

« Ce n’est pas une industrie de main

d’œuvre »

Pas d’influence particulière, ni dans un

sens, ni dans l’autre

Relation d’approvisionnement

Forte proximité à la

ressource (bois)

Utilisation de machines allemandes (faible taux de

remplacement)

L’approvisionnement en colle est une question

stratégique

Relation financière

Groupe (16 usines) sous contrôle patrimonial.

Vision de long terme pour

le financement (« on construit des usines pour

20 ans »)

Pas de problème de financement (provenant du groupe et des collectivités

locales)

Relation commerciale

Forte proximité à l’aire de marché (400 à 500km) liée aux coûts de transports et

aux délais de livraison (courts)

Deux marchés principaux : l’industrie (principalement l’industrie du meuble) et le

négoce

Risque de disparition/délocalisation

des clients (DO) : l’industrie du meuble ne se

porte pas bien en France

Contexte sectoriel

Secteur du panneau de bois

Industrie concentrée mais existence de marchés de niche : quatre principaux acteurs sur le

marché européen (dont Panoboi)

Positionnement par rapport à la concurrence :

Les décors des panneaux (250, gamme européenne avec

déclinaisons locales)

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En France, Panoboi dispose de deux usines, à proximité de deux massifs forestiers différents. Cette double localisation s’explique par le besoin de proximité à l’aire de marché (découpage de la France en deux) et le besoin de proximité aux fournisseurs (copeaux de bois). Liés à l’importance des coûts de transport, ces besoins de proximité jouent donc plus fortement que les économies d’échelle qui seraient potentiellement réalisables par le regroupement des capacités industrielles au sein d’un seul et même site de production. La proximité de deux massifs permet aussi de sécuriser l’approvisionnement.

Panoboi représente un cas d’ancrage par la ressource et par les bassins de clientèle. Ni la relation salariale ni la relation financière ne sont de nature à remettre en cause la pérennité de la société et de sa localisation landaise (cf. figure 3.8).

En revanche, deux problèmes sont posés à la société au niveau de la relation d’approvisionnement :

- Le premier est celui de la baisse d’activité des scieries, accentué par la question des nouveaux débouchés que trouvent les sciures de bois à travers leur valorisation énergétique.

- Le second renvoie à la question stratégique de l’approvisionnement en colle. Panoboi envisage l’intégration de cette activité, mais le projet se heurte à la configuration des zones portuaires d’Aquitaine. Les bateaux d’approvisionnement en méthanol seraient « trop gros » pour accéder au port de Bordeaux (celui de Bayonne pose quant à lui des problèmes d’accessibilité, reportant le trafic vers celui de Bilbao).

Ces deux problèmes ne sont pourtant pas, a priori, de nature à remettre en cause l’activité de Panoboi. Des solutions partielles y sont apportées par l’entreprise. Leur pérennisation suppose l’implication des pouvoirs publics :

- La filière « recyclage » de l’entreprise permet de substituer en partie les « déchets des clients » à la sciure de bois. Toutefois, l’approvisionnement dépasse alors les frontières purement locales, engendrant une augmentation des coûts de transport. Le seul moyen de les réduire serait le recours au ferroutage. Si le raccordement est envisagé pour 2011 dans le cas de Panoboi (car deux industriels seraient concernés sur le site), c’est à l’échelle régionale voire nationale que la question du transport ferroviaire est posée.

- D’un point de vue logistique, la question des ports aquitains est directement posée aux pouvoirs publics.

Le véritable risque pour la survie (ici ou ailleurs) de l’entreprise est lié à celle de ses principaux donneurs d’ordres, les fabricants de meubles. Autrement dit, c’est la relation commerciale qui est déterminante dans le cas de Panoboi.

En effet, l’industrie du meuble se porte mal en France et le risque d’une délocalisation (cf. le mouvement de délocalisation-relocalisation médiatisé de l’entreprise Samas) de ces acteurs dans des pays « à bas salaires » n’est pas à exclure. Dans ce cas, l’approvisionnement ne pourrait se faire « à distance » en raison des coûts de transport. Seront choisis des fournisseurs

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de panneaux de bois à proximité des nouvelles localisations. Dans ce contexte, soit Panoboi disparaîtrait par fermeture soit elle délocaliserait pour « suivre ses clients ». La délocalisation de l’entreprise n’aurait d’autre raison que celle-ci car « il n’y a aucune différence de coûts de production entre « ici et ailleurs » car nous ne sommes pas une industrie de main d’œuvre. Nos coûts sont ceux du bois, de la colle et du transport ».

Le véritable problème de Panoboi se résume en quelques mots : « Nous n’avons pas assez de clients ‘locaux’ ». Anticipant le risque précité, l’entreprise tente aujourd’hui de « percer sur le marché Espagnol ». Elle mise sur une croissance potentiellement forte bien que mise en suspens dans le contexte actuel de la crise économique.

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Conclusion du chapitre 1

Les études menées au niveau de la France le montre (partie 1), l’analyse détaillée réalisée sur l’Aquitaine (partie 2) le confirme, les délocalisations pèsent a priori peu en termes quantitatifs.

Ce que révèle l’étude de terrain détaille voire nuance ce constat. Des « narratives » comme de l’ensemble des entretiens, ressort l’importance des phénomènes de « délocalisation partielle » qui se combinent d’ailleurs souvent à des stratégies d’ancrage. Or, ces mouvements ne peuvent être clairement quantifiés en ce qu’ils renvoient plus à des logiques d’externalisation à l’étranger qu’à des délocalisations au sens strict. Quelle que soit la méthode d’estimation (cf. parties 1 et 2), il paraît très difficile voire impossible de les mesurer. Si tel est le cas, c’est que la question des délocalisations est non seulement complexe mais qu’elle est surtout indissociable de celle, plus générale, de l’externalisation. Le phénomène est, de ce point de vue, plus important qu’il n’y paraissait en termes purement quantitatifs.

Plus encore, le phénomène ne renvoie pas simplement à des déplacements d’activités de production motivés par les gains salariaux. Le motif est prégnant dans les mouvements observés (notons que si tel n’était pas le cas, on ne parlerait pas de délocalisation) mais ce qui en ressort est plus la confirmation que la focale doit être placée sur les enjeux sous-jacents (partie 1) des délocalisations.

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Chapitre 2

Synthèse des expériences de mobilité en Aquitaine et pistes d’action

Introduction

Lorsqu’on déplace la question vers l’action publique se pose, en préalable, celle du bilan ou de l’impact des délocalisations. Au-delà des discours politiques convenus, il faut reconnaître que les cadres théoriques les plus fréquemment mobilisés pour fonder la politique économique, considèrent globalement les délocalisations sous un angle positif.

La théorie économique dominante bâtie autour du paradigme de l’économie ouverte défend l’efficacité économique de la mobilité des entreprises. Dit autrement, les délocalisations font partie du jeu normal d’une économie mondialisée qui, en intégrant rapidement de nouveaux pays dans le commerce international, pousse les économies mures à des mutations structurelles importantes. Si les conséquences négatives des délocalisations d’activités sont reconnues et confirmées empiriquement, par exemple sur le marché de l’emploi des pays industrialisés, elles ne doivent être que de court ou moyen terme. L’horizon temporel de long terme, sous condition d’institution à l’échelle internationale des règles de la concurrence non faussée, ne comporte que des gagnants.

Cette conception toute théorique conduit à penser la politique économique, et la politique industrielle, comme une série d’accompagnements qui s’imposent d’eux mêmes pendant cette phase de transition. Il s’agit en quelque sorte de minimiser le coût social et économique des ajustements inéluctables à cette nouvelle donne mondiale, ajustements dont font partie les délocalisations. La politique économique combine alors deux dimensions. La première vise à rendre l’économie plus flexible afin d’accélérer la transition, en améliorant le fonctionnement des marchés des produits et du travail et en prenant des mesures d’accompagnement des pertes d’emplois induits par cette transformation, au premier rang desquels des délocalisations. La seconde consiste à faciliter l’adaptation des économies aux nouvelles spécialisations productives que leur réserve la mondialisation à savoir, pour les anciennes économies industrielles, le développement d’activité de production et de services à haute valeur ajoutée. L’effort de recherche développement et l’adaptation au progrès technique sont au cœur de ce second enjeu des politiques économiques.

D’autres productions théoriques rejettent le caractère inéluctable des évolutions en cours en réaffirmant la dimension proactive des politiques économiques et industrielles. Si les contraintes globales sont bien présentes, tout comme les effets des délocalisations sur l’activité et l’emploi, elles ne sont pas un donné mais un construit qui participe de l’établissement de compromis nouveaux entre le capital et le travail, différents de celui des Trente Glorieuses. Compromis dont l’efficacité économique et l’équité sociale sont loin d’être acquises et dont le niveau national n’est plus la seule échelle de construction. Sous cet angle, les délocalisations, qu’elles soient réelles ou potentielles – comme par exemple dans le cas d’une simple menace, celle d’un chantage à l’emploi pour faire pression sur les salaires –, contribuent au plan macroéconomique et au même titre que la mondialisation, à la

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déformation du partage des revenus au détriment des salaires. Mais pour ce qui nous concerne, ces approches mettent l’accent sur le fait que rien n’est totalement écrit.

La réalité des dynamiques économiques dépend des relations entre acteurs et de leurs rapports de pouvoir. Les délocalisations sont donc le produit de ces relations dont il convient de comprendre les évolutions et sur lesquelles la politique économique et la politique industrielle sont en capacité de peser, même modérément. La politique publique vise cette fois-ci la transformation des relations entre acteurs. Quoi qu’il en soit, sous cet angle théorique, les recommandations ne peuvent être déduites d’un horizon lointain qui finira par s’imposer, autrement dit réduites à des « prêts-à-agir ». Elles sont à ajuster au plus près des motivations et attentes des acteurs concernés. C’est sans doute parce que les effets des délocalisations sont d’abord territoriaux qu’il convient aussi de penser les régulations à l’échelle infranationale.

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Section 1. Les déterminants de la mobilité : focus sur cinq secteurs en Aquitaine

Les quelques focus sectoriels proposés ici (aéronautique, automobile, pharmacie, informatique de santé et secteur de la glisse) répondent d’abord au besoin de cadrage exprimé par rapport à certains secteurs « clés » de la région. Au-delà de ce cadrage, ils illustrent l’intérêt d’une réflexion approfondie sur la mobilité articulée autour des quatre relations fondamentales.

1.1. Focus sur le secteur aéronautique

Le secteur aéronautique se structure autour de quelques donneurs d’ordres, eux-mêmes fruits d’un long processus de concentration initié dès l’entre-deux guerres par le Front Populaire. L’Etat est d’ailleurs un acteur clé pour comprendre comment s’est structurée l’industrie aéronautique au fil du temps et comment s’est noué le compromis industriel longtemps en vigueur dans ce secteur : celui de la performance technologique qui s’organise autour de donneurs d’ordres fortement intégrés faisant appel à des sous-traitants spécialisés et de petite taille.

A partir des années quatre-vingt, ce compromis connaît une première remise en cause lorsque Airbus amorce sa mutation d’une logique d’arsenal vers une logique commerciale (Frigant, Kechidi, Talbot, 2006). La transition sera lente mais structurante : l’industrie devient concurrentielle, le critère d’excellence technologique non suffisant. La décennie quatre-vingt-dix marque l’accélération du processus au fur et à mesure que Dassault, les autres branches d’EADS, les motoristes… adoptent plus ou moins conformément le triptyque Coût-Qualité-Délai.

Cette première phase, qui se traduit par un accroissement de la pression concurrentielle sur les fournisseurs et sous-traitants, fragilisant les plus petits d’entre eux confinés dans le travail à façon, s’est complétée plus récemment par un accroissement du mouvement d’externalisation avec transfert de risque (le très mal nommé risk-sharing). Cette modalité d’externalisation a été impulsée par le développement d’une décomposition modulaire des produits aéronautiques. Initiée par Boeing, la démarche est adoptée massivement par Dassault sur le projet Falcon 7X et Airbus avec l’A380. Cette évolution organisationnelle amplifie le mouvement précédent et en vient à toucher des entreprises qui longtemps se pensaient protégées car elles avaient plutôt bien réussi à s’adapter à la première mutation. Demeurer au premier rang de la pyramide d’approvisionnement requiert désormais des compétences élargies et une capacité à financer les investissements, ce qui limite le nombre de prétendants et oblige la plupart des firmes à sélectionner le nombre de projets sur lesquels elles peuvent s’engager. Ce qui nuit évidemment à la diversification des risques et favorise les plus grandes entreprises, tout en constituant une pression à la concentration dans l’ensemble de la chaîne puisque chaque rang tend à reporter sur les rangs inférieurs les pratiques qu’il subit lui-même.

Une problématique prégnante dans la filière concerne la pression sur les prix. Les donneurs d’ordres imposent en effet, comme dans l’automobile, des programmes permanents de baisse de coûts fondés sur des estimations de gains de productivité (par effets d’amortissement ou effets d’apprentissage) auxquels doivent se soumettre les rangs 1 (lesquels tendent à exiger les mêmes objectifs des rangs inférieurs). Avec une limite incompressible ici : les matières sont bien souvent fournies par des oligopoles de taille mondiale (par exemple les fibres utilisées dans les productions de composites). Evidemment, plus on descend dans la filière, plus la valeur ajoutée est faible et le poids des matières dans le

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processus de production important, même s’il peut aussi être crucial pour des domaines relativement haut placés dans la pyramide. La crise des prix sur les matières premières en 2008 l’a puissamment rappelé.

Un autre élément posant problème pour la pyramide d’approvisionnement concerne la question spécifique de la production en zone euros avec une facturation en dollars. Les donneurs d’ordres européens ne sont jamais parvenus à imposer leur monnaie comme base de facturation et les faiblesses récurrentes de la devise états-unienne posent de manière tout aussi récurrente la question d’une harmonisation des monnaies de facturation en aval et en amont. Là encore, il s’agit pour les donneurs d’ordres de transférer un risque (de change en l’occurrence) vers leurs fournisseurs ou, branche de l’alternative, il s’agit pour les fournisseurs de constituer une base de production en zone dollar. Certes, le discours n’est pas nouveau, mais il semble prendre une acuité soutenue dans la période actuelle où les donneurs d’ordres semblent ne plus vouloir supporter le risque de change et limiter l’utilisation des instruments de couverture existants.

Les possibilités de s’implanter dans une zone dollar sont évidemment conditionnées par la taille de l’entreprise. Les sous-traitants de grande taille et les équipementiers de premier rang ont déjà constitué des bases productives dans ce type de pays et dans les pays low cost de manière générale, avec une prédilection pour les pays du Maghreb et de l’Europe de l’Est. Parallèlement, soulignons que les destinations low cost ne sont pas les seules visées par ce type de firme. En effet, les phases les plus en amont du processus de développement requièrent des formes de proximité (pour concevoir les pièces mais aussi pour contribuer à la prédéfinition des décompositions modulaires) et, parallèlement aux implantations low cost, des mouvements croisés d’entreprises états-uniennes venant s’implanter en Europe (et plus particulièrement en France, comme en Midi-Pyrénées) et inversement vers les Etats-Unis.

Outre une amplification de ces mobilités pour les grandes firmes, la période actuelle se caractérise par de nombreuses interrogations chez les PME de moindre taille. Ici, la réponse est complexe. Autant face à la pression des prix, une implantation dans un pays low cost semble constituer une réponse possible afin d’abaisser la structure des coûts, autant l’atout concurrentiel de nombreuses PME du secteur repose sur leur réactivité et leur flexibilité. Délocaliser réduirait cet atout.

En outre, pour l’ensemble des acteurs se pose la question récurrente de la qualité de la production qui suppose bien souvent de prévoir des heures de travail pour vérifier la conformité des pièces. Toutefois, la pression sur les prix est forte, même pour ceux qui ont déjà des implantations low cost. La question de s’implanter, ou de renforcer une présence, en zone low cost est posée en permanence. Notons cependant qu’il s’agit bien souvent d’implanter des établissements secondaires à ceux localisés dans les pays centres dans la mesure où les compétences sur les domaines les plus techniques restent au centre de la convention de qualité de l’industrie aéronautiques. Le secteur semble se dualiser selon deux types d’organisation identifiés dans la littérature (Mouhoub, Plihon, 2009)41 : une logique taylorienne où les délocalisations en zones low cost sont aisées ; une logique cognitive où les sites de production demeurent en zones high cost. Ce dualisme est néanmoins amené à évoluer comme nous avons pu le constater dans quelques cas.

41 Mouhoub E.M, Plihon D., 2009, Le savoir et la finance, La Découverte, Paris.

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Figure 3.8 : Le secteur aéronautique

Relation salariale

Place majeure des effets d’apprentissage

Dualisation des process : compétences génériques

versus compétences idiosyncrasiques (logique taylorienne versus logique

cognitive)

Relation d’approvisionnement

Equipementiers : pour marchés importants, recherche de proximité physique ; pour le reste approvisionnement à distance Pour la sous-traitance : atout de la flexibilité/réactivité. Proximité recherchée

Relation financière

Besoin de financement accru pour les sous-traitants/fournisseurs

Besoin d’accroître les

fonds propres

Relation commerciale

Marché mondial de forme oligopolistique pour les premiers rangs Marché national/régional pour les rangs inférieurs

Contexte sectoriel

Externalisation sous une forme pyramidale exacerbée dans un contexte de modularisation du

produit

Transfert du risque financier

Concentration de la filière aux premiers rangs

Transfert du risque de change

La situation de l’Aquitaine

La spécialisation aéronautique de l’Aquitaine est forte et ancienne. Elle s’appuie sur la présence de plusieurs grands noms du secteur qui ont forgé la vocation aéronautique-spatiale-défense de la région (Dassault, Astrium Space Transportation, Turbomeca, SNECMA Propulsion Solide, AIA, Thales, SNPE) auxquels s’ajoutent quelques entreprises de taille importante intervenant alternativement en rang 1 ou 2 (Composites Aquitaine, Lauak, Creuzet, Exameca, MAP, Potez…) et une myriade de PME de moindre taille couvrant un large spectre d’activités connexes allant du travail des métaux à la sous-traitance électronique la plus pointue.

Pour ces trois types d’entreprise, la question de la délocalisation et de l’ancrage local se pose de manière différente.

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Pour les donneurs d’ordres, les coûts irrécouvrables sont élevés. La question de la délocalisation en tant que telle des unités existantes n’est guère envisageable même si elle peut se présenter sous deux formes indirectes.

- En premier lieu, à l’occasion de la constitution de nouvelles bases productives à l’étranger lorsque l’entreprise est en croissance. Plus que de délocalisation, il s’agit d’une logique d’extension à l’international qui suit le déplacement du centre de gravité des marchés (implantation de Dassault aux USA, Turbomeca aux USA et Canada par exemple). A terme, ce type de localisation pourrait cependant enlever de la charge de travail aux établissements locaux dans la mesure où la tête de groupe (et les actionnaires in fine) déciderait d’attribuer les nouvelles tâches à ces sites au détriment des sites régionaux. En effet, n’oublions pas qu’aucun de ces donneurs d’ordres n’est local. Le passé nous a déjà montré comment de tels arbitrages défavorables à la région peuvent se nouer.

- En deuxième lieu, via une pression sur leurs sous-traitants pour qu’ils délocalisent. Dans l’automobile ces pressions sont désormais sur la place publique. Dans l’aéronautique, ces pratiques sont encore largement cachées mais elles existent et nous les avons rencontrées.

Si les risques sont faibles de voir les sites productifs des donneurs d’ordres quitter la région, c’est aussi parce qu’ils peuvent bénéficier d’un soutien public fort (national ou régional), direct ou plus souvent indirect compte tenu de leur taille. Le pôle de compétitivité constitue un facteur d’ancrage dans la mesure où il a contribué à renforcer les liens entre l’industrie et la recherche. Ce système bénéficie d’ailleurs en partie au deuxième type d’entreprises intervenant dans le secteur. Notons néanmoins que certaines PME sont parfois critiques à l’égard du fonctionnement du pôle.

Les grandes PME sous-traitantes sont pour plusieurs d’entre elles engagées dans des programmes de délocalisations ou en réflexion à ce sujet. L’objectif est d’abaisser la structure de coût en disposant d’unités implantées dans les zones low cost tout en conservant le cœur de leur dispositif productif en région. Dans la période actuelle, la question principale semble concerner l’opportunité de s’implanter en zone dollar et plus particulièrement au Mexique qui offre le quintuple avantage du dollar, de bas coûts de production, de la proximité à l’Amérique du nord, de posséder une base productive aéronautique et d’être déjà investi par des entreprises françaises. Si les pratiques actuelles de pression exacerbée sur les prix se prolongent, on peut penser que le mouvement de délocalisation se renforcera à l’avenir. L’équilibre actuel du couple conservation d’activités locales/création d’activités nouvelles dans les pays low cost pour réduire les coûts est par nature instable et il est probable que certaines firmes vont l’infléchir à l’avenir dans un sens défavorable à la région. Toutefois, ce trait de pessimisme est partiellement compensé par trois phénomènes.

- En premier lieu, la proximité avec les donneurs d’ordres constitue un avantage concurrentiel ;

- en second lieu, délocaliser totalement ou fortement risquerait de priver ces firmes des financements publics ;

- en troisième lieu, les compétences organisationnelles et technologiques demeurent encore nettement favorables à la région pour les productions les plus complexes, sans oublier que certains processus sont fortement automatisés (le différentiel de coût devient faiblement favorable voire défavorable aux pays low cost lorsqu’on considère la totalité des coûts).

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Le dernier noyau d’entreprises concerne les PME travaillant en sous-traitance de second ou troisième rang pour l’aéronautique. Plus petites, ces entreprises souffrent justement d’un problème de taille dans le contexte actuel de restructuration des chaînes de valeur. L’idée d’encourager leur regroupement ou de créer des structures fédératives, déjà prônée lors de la crise de l’industrie spatiale de défense à la fin des années quatre-vingt-dix par le DRRIRD Gilber Courrier, revient ainsi sur le devant de la scène avec une relative pertinence. En effet, les délocalisations pour ces entreprises sont risquées car le calcul économique sur la rentabilité d’un tel investissement est compliqué, leur avantage concurrentiel tourne essentiellement autour de leur réactivité/flexibilité dans cette production quasi-unitaire, et des marges de manœuvre en matière organisationnelle existent pour accroître leur productivité. Si l’opportunité de délocaliser pour de telles entreprises n’est pas toujours évidente, il reste que certains dirigeants d’entreprise semblent assez convaincus que leur salut passe par cette voie (d’autant qu’ils y sont poussés).

Pour résumer, les principaux risques de délocalisation concernent les entreprises de premier/second rang. Le triptyque -pressions sur les prix, transfert des risques d’investissement, transfert du risque de change- pose de réels problèmes de rentabilité économique dont la résolution semble devoir passer par la délocalisation. Une manière de limiter un tel mouvement pourrait passer par la redéfinition du système de soutien public pour prendre acte des besoins des entreprises. La Région Aquitaine et d’autres sont déjà engagées dans ces démarches mais ceci soulève un autre problème : celui d’une concurrence inter-régionale dispendieuse en deniers publics pour un résultat agrégé à l’échelle de la nation à somme nulle en termes économiques et négatifs en termes budgétaires.

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1.2. Focus sur le secteur automobile

Ce cadrage sectoriel s’appuie sur deux entretiens réalisés auprès de trois experts reconnus de la dynamique économique et spatiale du secteur. Ils ont été réalisés en deux temps : l’un au mois de juillet, puis les deux autres au mois de septembre 2009. Les connaissances expertes ainsi récoltées permettent de cerner les logiques actuelles de localisation et de délocalisation de la production dans le secteur automobile. Elles autorisent également quelques commentaires et remarques sur leur évolution probable discutée à l’aune du contexte de crise économique.

Etat des lieux de l’internationalisation et des délocalisations

Les motifs de la localisation de l’industrie automobile sont d’ordre historique et géographique. A titre d’exemple, l’implantation de Ford à Bordeaux au début des années soixante-dix s’inscrit très clairement dans des liens anciens entre la ville et les USA42. La production mondiale d’automobiles se concentre régionalement sur trois zones : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Au sein de l’Union Européenne, sur laquelle porte l’essentiel des commentaires qui suivent, la concentration géographique se donne alors principalement à voir dans cinq pays : l’Allemagne, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie.

Deux caractéristiques générales de l’organisation productive du secteur orientent les mouvements de localisation des activités. En premier lieu et pour conséquence d’une politique d’approvisionnement de composants sous forme de flux continu, les fabricants imposent aux fournisseurs qu’ils soient à proximité de leurs usines et forment des « Parcs de Fournisseurs ». En second lieu et accompagnant ce mouvement de concentration, des délocalisations ont eu lieu dont il convient d’identifier la nature et les principales phases.

Le type dominant de délocalisation

Le terme délocalisation désigne plusieurs réalités dont la distinction, sur le terrain des pratiques des entreprises, peut être difficile ainsi que l’illustre l’implantation des activités automobiles. En effet, si le secteur fait face à un mouvement continu d’internationalisation des entreprises, les raisons profondes de ce mouvement mêlent deux objectifs : la recherche d’une diminution des coûts de la production – par implantation d’unités de montage dans des économies où le coût de la main d’œuvre est moins élevé – et la recherche de nouveaux marchés.

L’installation de fabricants dans la péninsule ibérique, principalement en Espagne, recouvrait déjà cette ambiguïté. Les déterminants macro-économiques de l’évolution des marchés n’étant pas du ressort de la décision stratégique des firmes, le déplacement des activités reposait sur une sorte « de liquidité de la position productive » pouvant servir soit le marché d’origine, soit le marché d’arrivée. Pour cette région de l’Europe, si l’intention initiale reste aujourd’hui encore relativement floue, les deux motifs paraissent s’être équilibrés. De fait, la plupart des modèles qui sont fabriqués sur la péninsule ibérique sont aussi fabriqués en France par les constructeurs français. Puis si, effectivement, une réimportation assez importante de ces véhicules en direction de la France a lieu, des flux en sens opposé existent aussi. Dit

42 Durant la première guerre mondiale, débarquent à Bordeaux les troupes états-uniennes. La ville du Sud-ouest est alors le principal port de commerce entre la France et les USA. L’importateur français dispose bien d’un site à Levallois-Perret chargé de préparer les véhicules mais il souffre régulièrement de problème de livraison. Aussi, Ford Mortor Cie lui demande-t-il de s’implanter à Bordeaux.

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autrement, le commerce dans son ensemble, à savoir véhicules puis pièces et accessoires, reste équilibrée entre les deux zones. La France conservant même une position commerciale excédentaire vis-à-vis de l’Espagne.

En revanche, ce constat à propos d’une première phase d’internationalisation en Europe du Sud ne fonctionne plus avec l’intégration qui a suivi, au début des années 2000, des pays de l’Europe centrale et occidentale. Le mouvement d’externalisation engagé dans l’industrie automobile européenne et mondiale au milieu des années 1980 se poursuit, pour la première, vers l’est. Mais globalement la balance commerciale avec les nouveaux membres de l’Union européenne se dégrade depuis 2004 et devient même déficitaire en 2007 lorsqu’on considère l’ensemble de l’industrie automobile (déficit sur les véhicules automobiles, excédents sur les pièces et équipements automobiles même si ce dernier solde connaît une baisse importante sur l’année 2008).

La délocalisation vers l’est de l’Europe intervient en deux temps. Elle organise sur les modèles d’entrée de gamme une mise en concurrence des sites d’assemblages. Les constructeurs triplent leurs implantations (un assemblage français, un assemblage espagnol ou portugais et un assemblage est/européen) dans un premier temps ; à terme, il leur est possible de décider de l’abandon d’un des deux sites historiques au profit du site est/européen. Dans la période récente, nous voyons aussi apparaître des sites « exclusifs » pour certains modèles en Europe de l’Est.

L’importance des délocalisations

Sur un marché européen stagnant de 17 M de véhicules, dans la période 2002 à aujourd’hui – les français ayant été un peu tardif sur le mouvement –, 2.5 M de voitures ont été produites dans cette zone de l’Europe sans mouvement massif de fermetures (Fermeture en 1997 de Renault Vilvorde en Belgique ; en 2007, usine Peugeot de Rython au Royaume-Uni). Toutefois, l’accroissement des capacités de production en Europe de l’Est conduit à une marginalisation relative de la France et de l’Espagne, y compris au regard de l’implantation plus récente de producteurs asiatiques en Europe (Coréens). Les trajectoires de ces deux pays sont parallèles. Pour l’Allemagne, la proximité avec les pays de l’Europe de l’Est, doublée de concessions salariales fortes, a permis de maintenir sur place l’assemblage des véhicules contre une délocalisation massive de la sous-traitance. Si le commerce structuré de l’Allemagne est différent, le mouvement général est comparable.

La répartition de la production entre les trois zones – voiture Européenne produite en Europe, Asiatique en Asie et Américaine en Amérique - se maintient et le mouvement européen décrit se retrouve dans les autres zones de production à quelques nuances près. Les mouvements de délocalisation vers le Mexique sont très proches de ce que l’on rencontre sur les PECO. En Asie, le mouvement est moins net. Globalement, le modèle japonais ressemble d’assez près au modèle allemand avec un assemblage de véhicules maintenu au Japon et une propension à aller s’approvisionner en pièces hors du pays qui s’est accrue dans des proportions comparables à celles de l’Allemagne. L’intégration de la zone sud-est asiatique se distingue par un marché intérieur important (Chine), ce que l’Europe n’a pas sauf avec la Russie où on assiste à un développement important en 2007 et 2008 avant l’effondrement de 2009.

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En dehors de quelques niches qui s’ouvrent à l’échelle mondiale, la production à proximité des marchés reste une contrainte et une constante extrêmement forte de l’organisation spatiale de l’industrie automobile. Dans la période toute récente, sur des modèles de 10 000 euros, pour l’essentiel des modèles anciens dont le fabricant conserve la commercialisation alors qu’un véhicule concurrent a été développé récemment, la tendance forte est de localiser l’assemblage en France pour répondre à une demande croissante sous l’effet de dispositifs d’aide du type prime à la casse. Pour une demande localisée et assez forte, le montage en France y compris d’un véhicule bas prix ici est justifiable.

Les activités et les fonctions les plus touchées par les délocalisations

Le schéma de délocalisation en Europe est toujours le même. Très vite les constructeurs européens, français en particulier, amènent dans leur bagage leurs équipementiers de rang 1 et ce n’est qu’au rang 2, plus souvent au rang 3 voire 4 qu’on trouve une sous-traitance locale réellement sollicitée. Valeo, Faurecia, etc. sont appelés à s’implanter dès qu’on dépasse 50 000 véhicules/an. D’ailleurs on l’observe assez clairement – avec un laps de temps très court, pour la France entre 2004-2008 – sur le commerce extérieur de pièces, avec un excédent français dans la première période qui s’amenuise très vite. Statistiquement, cela correspond à ce mouvement général de localisation/délocalisation.

Quant à la conception des modèles, le schéma français initial évolue mais différemment suivant les groupes. Jusqu’à présent, à l’image de PSA, la conception reste sur le site français et ne souffre aucune exception y compris lors de l’implantation du groupe en Chine. En revanche, avec l’expérience Nissan, Renault organise un certain partage de l’ingénierie et tend à promouvoir pour ces implantations à l’étranger le modèle de l’alliance plus que celui de la fusion/acquisition.

Des expériences de conception hors des sites centraux en France tendent à se développer dans le but d’une plus forte adaptation des modèles aux caractéristiques des nouveaux marchés, en particulier émergents. Le management central de la conception évolue dans certains cas, comme par exemple avec l’Inde, vers un management partagé. Pour l’instant, on ne dénote pas de mouvement massif de délocalisation des activités d’ingéniérie chez Renault-Nissan, même si la création récente d’un centre dédié au développement des véhicules low cost en Roumanie semble dessiner une certaine inflexion. Il faudra néanmoins attendre quelques années pour juger de l’ampleur du mouvement.

Les principaux pays (ou régions) destinataires des délocalisations

Si l’on considère les constructeurs automobiles, la création de nouvelles unités de production s’inscrit dans le cadre d’une régionalisation (au sens continental) de la production. L’idée est de coupler les aires de production et de commercialisation. Certes, à l’intérieur des zones d’intégration régionale, on peut voir se dessiner une relation centre-périphérie comme en Europe avec la création d’unités dans les pays à bas coût de la zone (l’Espagne en son temps, l’Europe de l’Est et la Turquie aujourd’hui et le Maroc prochainement) ou en Amérique du Nord où le Mexique répond à la même logique. Toutefois, n’oublions pas que dans chacune de ces zones, les implantations dans les pays centraux restent très largement majoritaires et que l’on assiste régulièrement à de nouvelles implantations ou au renforcement de certains sites. C’est le cas aux USA où les japonais et coréens mais aussi Volkswagen privilégient des implantations sur le sol états-unien. C’est également en partie le cas en Europe occidentale dans la décennie quatre-vingt-dix : Volkswagen en Allemagne de l’Est, MCC à Hambach en France.

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En Asie, la problématique se pose de manière différente : l’ensemble des constructeurs cherchent à s’implanter directement en Chine, désormais premier marché mondial. Compte tenu des taxes à l’importation et des coûts de transport les coûts d’acheminement sont en effet prohibitifs et seules les marques de luxes peuvent supporter un tel coût. Plusieurs d’entre elles ont néanmoins des projets d’investissement de ce type.

Les équipementiers automobiles ont, pour leur part, largement développé leur base productive dans les pays low cost des zones d’intégration régionale. Si le motif de suivi à l’international explique une partie de ce mouvement, la pression concurrentielle a justifié de la création de nombreuses unités dans ces pays. On assiste ainsi depuis une décennie à une explosion du commerce des pièces et équipements automobiles dont une part croissante provient des pays low costs : Mexique pour approvisionner le marché nord-américain, Europe de l’Est et Maghreb pour approvisionner l’Europe occidentale. Les approvisionnements sur des distances plus lointaines, par exemple en Chine pour livrer des usines nord-américaines ou européennes, existent, certes, mais le fonctionnement en flux tendus de la chaîne logistique les rendent peu efficaces et finalement peu nombreuses.

Les facteurs et les motivations des délocalisations

Le poids de l’optimisation de la fonction de production de l’entreprise dans les derniers mouvements de délocalisation

La montée en puissance très forte, très rapide avec des effets d’agglomération importants de l’industrie à l’est de l’Europe a répondu à une demande croissante de véhicules urbains ou d’entrée de gamme dans les pays murs.

Les fabricants sont in fine allés rechercher des économies de coûts de main d’œuvre à l’est de l’Europe en encourageant une intégration locale relativement forte de l’industrie automobile. En effet, en termes d’importance relative des coûts dans un véhicule, l’assemblage compte pour 7% à 12-15%. Le reste étant réparti entre la commercialisation (25 à 30%) et les approvisionnements, l’achat de pièces.

Dans le processus d’intégration européenne, le poids symbolique très fort de l’industrie automobile conduit à une intervention des pouvoirs publics locaux est/européens qui mettent beaucoup d’argent et d’énergie et pèsent de tout leur poids au sein de l’Union Européenne pour que rien ne viennent contrecarrer le mouvement actuel.

Si rien n’indique que les fabricants se soient déplacés à l’Est uniquement pour les coûts moins élevés de la main d’œuvre ou dans la perspective du développement de nouveaux marchés, force est de constater, aujourd’hui, que la croissance des salaires en Pologne ou en Tchéquie provoque chez les constructeurs une réflexion sur l’opportunité de déplacer la frontière productive vers l’Europe orientale.

Le(s) facteur(s) déterminant(s) des mouvements de délocalisations dans le secteur

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S’il y a internationalisation de l’industrie automobile, on ne peut pas parler de globalisation au sens d’un marché unique avec un produit homogène. La proximité de la conception au marché reste un élément fort de la localisation des activités.

Le rapport commercial est donc structurant parce qu’il asservit les autres. Assez évidemment, on l’a signalé, pour la relation d’approvisionnement. Dans un marché considéré comme devant croître à partir d’une gamme de prix très limité, l’idée d’aller chercher des ingénieurs qui vont proposer des technologies très sophistiquées est invalidée. De la même manière sur la relation salariale, on a une certaine cohérence entre le type de clients en bout de chaîne et le type de salariés. Il y a une forme de parenté qui correspond à l’inscription de l’entreprise automobile dans le paysage social, dans le rapport salarial. La relation commerciale dépend elle-aussi du rapport salarial, fortement au niveau macro-économique, mais aussi plus qualitativement.

Les mouvements de délocalisation productive dont le principal argument est la réduction des coûts existent bien et sont toujours présents. Mais on l’a vu ils restent contraint par la relation commerciale. C’est une explication au fait qu’on les observe principalement dans le cadre de l’intégration européenne où l’argument parfois évoqué de la croissance des marchés (vrai pour l’Espagne) a cessé de l’être pour l’Europe de l’est.

Le poids de l’ « accès aux marchés émergents » dans les décisions de délocalisation

Renault avec le site Roumain (Dacia/Logan) offre un exemple de stratégie de délocalisation pour pénétrer des marchés émergents en Europe. Il s’agissait de chercher pour l’Europe centrale et orientale un modèle fabriqué localement avec des contenus locaux, adapté aux marchés locaux, et positionné en prix pour ces marchés-là. En fait, cette expérience est l’une des rares réussites de réexportation de véhicules sur le marché d’origine.

Les nouveaux marchés porteurs d’une réelle dynamique commerciale (marchés émergents) sont aujourd’hui restreints, situés en dehors de l’Europe et déjà fortement concurrentiels : l’Inde, après la Russie au cours des années 2006, 2007 et mi 2008, ou encore le Brésil et un peu la Chine dont la politique des champions nationaux risque de générer de lourdes déconvenues à ceux qui sont présents, y compris depuis longtemps.

L’épuisement de la dynamique de vente de véhicules en Europe a à voir avec celui du modèle de croissance des trente glorieuses. Elle s’appuyait sur une demande soutenue par une progression continue des revenus (indexation des salaires). La croissance a ensuite été recherchée sans distribution de pouvoir d’achat, autrement dit par l’appui d’une profitabilité accrue à coup de réduction des coûts, d’asphyxie des sous-traitants et de délocalisations. Au final, ce nouveau modèle de croissance auxquels ont contribué les délocalisations vers l’est de l’Europe n’a pas permis de générer de nouveaux marchés émergents, tout en participant paradoxalement de la dynamique de saturation de la demande en France et en Europe occidentale.

Les mobilités à venir s’inscriront probablement dans un modèle de production et de consommation largement refondé.

L’automobile s’est toujours, sur le plan des marchés comme sur le plan productif, structurée autour du triptyque Etat/Consommateurs/Constructeurs. Il n’y a eu de développement fort d’une industrie automobile qu’avec une participation très active des Etats aux négociations d’implantations. Le rôle des politiques publiques, comme cela a toujours été le cas, reste

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central comme on a pu le voir, une fois encore, en contexte de crise financière et économique.

Perspectives

Perspectives générales en termes de délocalisation à attendre dans le secteur et effet de la crise

De quelques faits d’actualité…

Dans le cas américain, il y a des appels à la relocalisation aux Etats-Unis, à l’élévation des contenus locaux, qui sont extrêmement forts depuis le début de la crise et déclenchent – par exemple, la relocalisation de l’usine Ford de Blanquefort aux USA.

La proximité production/marché évoquée (poids de la relation commerciale) revêt un autre aspect non signalé. Pour des modèles de milieu de gamme à diffusion très largement centrée sur l’Europe occidentale, le positionnement de l’assemblage en France reste extrêmement pertinent43. Or ces modèles commercialisés aujourd’hui aux alentours de 10 000 à 20 000 euros sont au cœur de l’offre française. Le cœur franco-espagnol a donc relativement peu de chance d’être déstabilisé dans l’immédiat.

… à quelques éléments de prospectives.

Il ne paraît pas possible que soient servid depuis la France les grands marchés émergents (contrainte de coût). Il ne paraît pas pertinent que soit conçu en France pour les émergents l’ensemble des modèles (besoin de proximité de la conception). Des renégociations de la place de l’automobile dans les sociétés ont lieu qui, là encore, poussent à une plus grande proximité entre marché, fabrication et conception – dans le cas de l’électrique et des questions environnementales par exemple.

La possibilité que l’on passe de la production de « modèles globaux » à des « modèles locaux » semble devoir être prise en compte.

Ces éléments convergent pour le redéploiement d’une stratégie nationale tenant compte d’une demande de véhicules conforme à des usages sociaux renouvelés et laissant une place, sur certains segments du marché, au déploiement de modèles productifs régionaux.

Pertinence de ce secteur pour l’avenir de l’économie Aquitaine

L’Aquitaine a les atouts de sa virginité automobile. Elle a une industrie automobile qui a fonctionné lorsqu’elle a été parachutée. Elle dispose de quelques acteurs significatifs si on l’étend à Poitou-Charentes et, surtout, de savoir-faire locaux dans le domaine.

Mais il ne faut pas survaloriser ces éléments que l’on retrouve dans beaucoup de régions de France. Une faiblesse connue du site aquitain est qu’il n’est jamais parvenu à structurer un réseau de sous-traitants locaux : 80% des fournisseurs de l’usine Ford à Blanquefort

43 Pour les producteurs français par exemple, la France demeure le premier marché; ensuite a parité ou presque, quatre marchés se font concurrence à hauteur de 400 000 véhicules par an, à savoir l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Espagne et l’Italie.

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était localisé en Allemagne. La relocalisation en 2009 de l’entreprise aux USA illustre la fragilité du site régional en dépit de la réalité des soutiens publics.

Ce qui reste le plus singulier en Aquitaine c’est la « forme » du territoire. Il y a un caractère incompressible du déplacement automobile dans la région. Les kilométrages y compris dans l’aire urbaine sont élevés. C’est donc un laboratoire intéressant d’expérimentation des formes alternatives de véhicules où la réduction du budget automobile des ménages devient un enjeu énorme.

Le caractère expérimental et les remarques faites plus haut sur le rôle en général de l’action publique dans le développement de l’industrie automobile convergent vers l’opportunité d’une action publique innovante dans ce domaine mêlant implication des autorités locales et nationales.

1.3. Focus sur le secteur pharmaceutique

Le contexte sectoriel

Le secteur pharmaceutique est marqué par un important changement de paradigme dans les années 1990 : passage du paradigme de la chimie à celui des biotechnologies. Ce changement progressif de paradigme affecte le poids relatif des quatre principales relations en donnant un importance croissante à la relation financière et en affectant aussi la relation d’approvisionnement. Il en résulte une modification des besoins de coordination de l’activité par une articulation différente entre les phases (de l’identification des molécules à leur mise sur le marché), le tout orienté par une logique financière plus prégnante.

Ces modifications du contexte sectoriel reposent sur une double évolution.

- Premièrement, la montée des coûts de R&D, la pression à la baisse sur le prix des médicaments et la concurrence croissante des médicaments génériques mettent à mal le modèle des Blockbusters hérités du précédent paradigme.

- Deuxièmement, le paradigme de biotechnologique conduit à définir des médicaments dédiés et ciblés sur des profils génomiques particuliers, limitant la taille du marché eu égard aux investissements nécessaires en recherche.

L’organisation de la filière connaît plusieurs évolutions marquantes. Tout d’abord la nécessité de partage du risque et des coûts de R&D se traduit par une montée des coopérations scientifiques en amont. La complexification des processus de production en rend par contre l’externalisation plus difficile. On assiste ainsi à un accroissement du risque en matière de recherche, un développement plus rentable compte tenu du ciblage amont des molécules (dans les phases protéomique et de ciblage thérapeutique), mais un processus de production plus coûteux qui ne compense pas le gain sur le ciblage.

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Il en résulte une coexistence des paradigmes (parfois au sein des mêmes firmes), chacun faisant face à des risques propres (concurrence des génériques et des productions des pays émergents d’un côté, nécessité de coopération et de répartition des risques de l’autre).

Le secteur pharmaceutique est ainsi marqué par de profondes restructurations (fusions/acquisitions), la recherche de nouveaux marchés (extension vers les pays émergents, diversification) et la montée des partenariats, publics ou privés.

L’organisation du secteur et les logiques de localisation

Les logiques de localisation dans le secteur peuvent être lues autour des quatre relations structurantes. La relation commerciale est déterminante du fait du poids de la réglementation dans le secteur (procédures de mise sur le marché, bonnes pratiques d’essais cliniques, modes de tarification, propriété industrielle…). Il en résulte une tendance au rapprochement des marchés que l’on peut considérer comme un frein aux délocalisations (proximité du marché). Il reste qu’en miroir, cette structuration s’accompagne d’implantations nouvelles sur les marchés émergents, ce qui peut agir en retour sur la relation d’approvisionnement (rationalisation et division des tâches entre les différentes zones).

Du côté de la relation d’approvisionnement, autrement dit des relations productives, il existe une grande variété dans les stratégies suivies. En amont, les logiques de partage de risque et de coopération se traduisent par un recours important à la recherche scientifique, souvent publique. Les résultats scientifiques sont largement transmissibles à distance et les réseaux d’innovation dans le secteur sont souvent transnationaux. La proximité des grands centres universitaires et l’agglomération des activités biotechnologiques sont cependant largement soulignées par la littérature sur le sujet. La géographie de la recherche des firmes pharmaceutiques suit donc généralement celle de la recherche scientifique de haut niveau en fonction des spécialités. Il y a donc un jeu ici entre externalisation/coopération, localisation à proximité des ressources scientifiques et réseaux distants. Une partie de la recherche peut donc être délocalisée en fonction des compétences et des molécules recherchées.

La phase de développement du principe actif reste quant à elle souvent internalisée et dédiée au marché ciblé. La logique de localisation est dans ce cas plutôt guidée par la relation commerciale présentée supra.

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Figure 3.9 : Le secteur de la pharmacie

Relation salariale Importance des ressources

humaines liées à la recherche.

Importance des réseaux

personnels et du système de formation dans la

circulation des connaissances.

Relation d’approvisionnement

Besoin de proximité aux

lieux de production scientifique mais réseaux

distants. Possibilité d’externalisation

des essais cliniques. Production ancrée sur les

marchés locaux en fonction de sa complexité et des

régulations.

Relation financière

Montée des coûts et des risques. Développement

des coopérations / partage du risque.

Montée des financements publics par la recherche

scientifique.

Capital risque et financement des start up

biotech.

Relation commerciale

Importance de la régulation du secteur. Localisation généralement contrainte par l’accès au marché.

Développement des

implantations dans les pays émergents.

Localisation/délocalisations

- Ancrage par la recherche et les universités, main d’oeuvre - Ancrage par la production et

la proximité du marché

Externalisation/délocalisations - Risque sur la recherche avec

le développement des collaborations distantes - Risque sur certaines

productions génériques - Essais cliniques parfois

délocalisés - Montée en puissance des pays

émergents

En ce qui concerne les phases d’essais cliniques et de production/conditionnement du médicament, les logiques d’externalisation sont variables et affectent les localisations possibles. En matière d’essais cliniques, la conformité aux normes locales est prégnante, mais certains essais peuvent être sous-traités ou réalisés dans des pays autres pour des raisons de coût. Une partie de ces activités peut être délocalisée, vers la Chine par exemple mais aussi vers l’Europe centrale et orientale. Il est cependant difficile d’isoler les logiques d’accès au marché de celles qui répondent à une volonté de réduction des coûts (pouvant être interprétées comme des délocalisations).

Du point de vue de la production, les choses sont aussi nuancées. Les blockbusters sont généralement maîtrisés en interne. En fonction des capacités de production, il est fait appel à des façonniers, ou à l’externalisation dans le cas de productions secondaires ou de génériques. Cette externalisation est aussi envisageable dans le cas du paradigme biotechnologique, mais la complexité des processus de production reste un facteur limitatif fort à l’externalisation et à la production en dehors du marché visé. A ce titre, le lieu de production reste largement guidé par la relation commerciale.

156

Quelles délocalisations ?

Les délocalisations au sens strict dans le secteur sont relativement rares, mais une volonté claire de pénétration des marchés émergents (Chine et Inde en particulier) s’affirme depuis le début des années 2000. Si cela ne peut être considéré comme un mouvement de délocalisation, il peut y avoir à terme des velléités de transferts d’activité compte tenu des coûts que représentent la production et les essais cliniques. La combinaison de la pression financière avec une relation commerciale qui pousse au rapprochement des marchés et une externalisation croissante de certaines activités pourrait à terme constituer un terreau favorable aux délocalisations dans le secteur.

Du point de vue des activités concernées, il y a un risque fort sur la recherche dans la mesure où elle peut être externalisée ou menée en collaboration à distance. Pour l’instant elle reste généralement centrée sur les pays d’origine avec une dominance forte pour les Etats-Unis.

En ce qui concerne les essais cliniques, tout dépend des pratiques, mais ils sont en partie délocalisables. Certaines multinationales optent pour des essais moins coûteux en Asie ou dans les pays d’Europe centrale et orientale.

Les risques sur la production dépendent du type de produit. La production du principe actif n’est généralement pas délocalisée. En revanche, les phases de formulation et conditionnement des médicaments peuvent être délocalisées. Tout dépend alors du degré de complexité de la production concernée : compétences (notamment sur les biotechnologies), exigences de traçabilité et maîtrise de la fabrication. La présence de normes et d’accréditations tend à renforcer l’ancrage de la production sur les marchés nationaux.

La situation de l’Aquitaine

L’Aquitaine est assez bien représentée dans la branche pharmaceutique à l’échelle nationale, même si elle n’est pas à la hauteur de la région parisienne ni des régions Rhône Alpes ou Centre qui concentrent plus de 47% des emplois de la branche. L’Aquitaine représente pour sa part 5,5% de l’emploi national du secteur. Plusieurs filiales de sociétés sont localisées sur le territoire aquitain : Sanofi-Aventis possède une usine à Ambarès, BMS à Agen, Pierre Fabre dans le Lot-et-Garonne, Flamel Technologies située à Pessac. Il existe aussi quelques sociétés de biotechnologies. Les deux grands groupes installés effectuent essentiellement de la fabrication/formulation/mise en forme galénique. La région semble moins attractive pour la recherche.

Cette configuration appelle un premier commentaire : celui d’un positionnement sur la production qui est une activité plutôt bien ancrée avec de faibles risques de délocalisation. Les entreprises rencontrées dans le cadre de notre étude semblent peu sujettes à un risque fort de mobilité. Il reste que le type de production est fortement soumis aux régulations nationales, en particulier sur les modalités de remboursement des médicaments. Les produits de marque ont ainsi un avenir conditionné à celui des régulations nationales européennes. Par ailleurs, la relation financière et la gestion par des grands groupes donne peu d’autonomie aux établissements locaux dans leur positionnement stratégique. Il y a donc un réel danger de voir évoluer les stratégies de groupe et la position des établissements aquitains. L’ancrage local par la relation d’approvisionnement peut être faible (les substances peuvent provenir de Chine par exemple) et les liens à la recherche sont relativement faibles.

157

Il y a donc un double risque pour les établissement de grands groupes : celui de la dominance de la relation financière avec absence d’autonomie décisionnelle locale, celui de la relation commerciale au travers de l’évolution des régulations nationales.

Du point de vue de la recherche et du développement des biotechnologies, le processus d’externalisation et de coopération à distance constitue plutôt un atout pour l’Aquitaine qui ne dispose pas d’un potentiel fort dans le secteur. On assiste ainsi en Aquitaine à un mouvement qui se généralise à de nombreuses régions européennes : un soutien public massif aux start up et aux coopérations science / industrie au travers de l’exploitation de niches. Certaines petites entreprises peuvent ainsi espérer émerger par des compétences spécifiques sur des domaines restreints. Les entreprises de ce type que nous avons rencontrées sont toutes très sensibles aux aides à l’innovation, à la présence de recherche universitaire et d’une main d’œuvre qualifiée. Les aménités locales et la qualité de vie dans la région complètent le tableau d’une relation salariale favorisant l’ancrage de ce type d’entreprises.

L’orientation actuelle vers la nutraceutique relève de ce type de stratégie régionale. Il reste que les coopérations entre les acteurs de mondes différents (biotechnologies/santé et agroalimentaire) sont difficiles à construire. Pour l’instant, ce secteur présente une dynamique satisfaisante en région, une entreprise récemment implantée confirme le bon positionnement local en matière de ressources scientifiques et humaines. La concurrence sur la production de substances actives par certains pays asiatiques (Chine et Inde en particulier) constitue néanmoins un risque réel pour l’avenir lorsque les marchés desservis ne sont plus seulement nationaux.

Le bilan apparaît donc plutôt positif pour l’Aquitaine avec un savoir-faire dans la production pharmaceutique et le développement de niches de compétences sur les biotechnologies. La région semble plutôt attractive de ce point de vue. L’ancrage se fait donc par la relation salariale et la relation d’approvisionnement (ressources académiques).

Les risques qui pèsent sont de deux ordres :

- Pour les établissements de grands groupes, l’absence d’autonomie de décision rend la pérennité de ces sites relativement fragile.

- Pour le secteur des petites entreprises biotechnologiques, l’émergence d’une dynamique régionale reste à confirmer, d’autant que la politique suivie est très classique à l’échelon européen : les biotechnologies constituent un terrain privilégié de l’action publique compte tenu du levier d’intervention par les aides au financement de l’innovation et la recherche académique. La concurrence interrégionale risque donc de peser à terme et l’identification de niches porteuses est un enjeu déterminant de l’avenir du secteur en région.

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1.4. Focus sur l’informatique de santé

L’informatique de santé fait l’objet d’une attention particulière en Aquitaine car 45% de la valeur ajoutée française du secteur y est produite (contre 30% pour l’Ile de France, selon l’étude DMS réalisée en 200844). Une série d’entretiens a été menée dans ce secteur afin d’interroger l’ancrage et les risques de mobilité des activités localisées sur le territoire aquitain.

Le contexte sectoriel

L’informatique de Santé en Aquitaine (édition de logiciels) est une branche du secteur des « Logiciels et Services Informatiques ». Ce secteur est lui-même le fait de deux types d’acteurs dominants, les Editeurs et les SSII (Sociétés de Services en Ingénierie Informatique). Les Editeurs ont pour principale activité la production de logiciels dits génériques car destinés à la « masse des consommateurs anonymes ». Les SSII ont pour objet de répondre aux besoins d’adaptation des outils informatiques au métier de l’organisation cliente. Leurs prestations recouvrent la fourniture de services standards ou sur-mesure autour de logiciels génériques (fournis par les éditeurs ou développés par les SSII) et la production de logiciels sur-mesure sur la base de composants standardisés (idem). Les SSII fournissent ce qu’on appelle des « solutions métiers » qui nécessitent, du moins en partie, leur coproduction avec les clients.

Les acteurs de l’informatique de santé interviennent à la fois en tant qu’éditeurs de solutions ‘génériques’ (pour les hôpitaux, les cliniques, les médecins libéraux…) mais ils agissent en réalité comme des SSII (adaptations, spécifications…). Outre la particularité de leur positionnement entre éditeurs et sociétés de services (intégrateurs), les acteurs de l’informatique de santé agissent sur un marché « non mature » (en construction). Il se distingue du reste du secteur « logiciels et services informatiques » par au moins deux points d’importance pour les logiques de localisation et de mobilité des activités :

- la normalisation (interopérabilité entre les différents éléments d’un système informatisé : briques logicielles ou logiciels) est contrôlée par l’Etat ;

- le marché est nécessairement national en raison des différences de réglementations nationales et de la ‘sensibilité’ du secteur (données médicales et personnelles).

L’organisation du secteur et les logiques de localisation

Globalement dans le secteur, Editeurs et SSII se distinguent d’abord par leur relation commerciale : la principale différence tient à ce que les clients sont directement impliqués dans l’ensemble des activités des SSII alors qu'ils sont anonymement pris en compte dans la phase préalable d'études de marché dans le cas de logiciels génériques. De ce point de vue, les acteurs de l’informatique de santé sont très proches des SSII. Or, ces dernières ont, depuis une dizaine d’années, connu un fort mouvement d’industrialisation. Autrement dit, si les solutions restent partiellement spécifiques aux clients, la généricité des solutions s’est développée. On parle de « sur-mesure de masse » pour qualifier leur activité.

Les réglementations et les pratiques étant différentes d’un pays à l'autre, les données traitées étant sensibles, le marché de l’informatique de santé est national. Du point de vue des

44 DMS Conseil, 2008, Etude économique et financière sur le secteur de l’informatique de santé en région Aquitaine, Conseil Régional d’Aquitaine, Multig.

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acteurs nationaux, cela « protège » le marché de la concurrence internationale. Du point de vue des multinationales, cela implique de s’implanter au sein de chacun des marchés nationaux visés.

Le marché est qualifié de « non mature » au sens où il pourrait encore apparaître comme émergent. Le degré de spécificité des produits est encore très fort, malgré la volonté des acteurs d’aller vers plus d’industrialisation. L’activité relève largement du « sur-mesure ». L’informatisation des acteurs de la santé (notamment les hôpitaux et les cliniques) en est encore à ses débuts et les besoins d’interaction, en amont (développement des solutions selon les particularités du client) et en aval (accompagnement, maintenance), sont prégnants.

La relation commerciale a des implications en termes de localisation et de mobilité des activités informatiques de santé.

Dans le secteur au sens large des logiciels et services informatiques, la tendance actuelle est à la délocalisation, autrement dit à l’éclatement géographique (à l’international) des processus productifs. Pour les éditeurs (majoritairement américains), les mouvements de délocalisation sont très forts et reposent sur un découplage entre conception (maintenue sur le territoire national en raison des enjeux en termes d’appropriation des connaissances et des technologies) et production (aujourd’hui majoritairement réalisée sous la forme du offshore en Inde). Pour les SSII, l’industrialisation des process de production (permise par l’usage des TIC et la modularité) s’est traduite par : le maintien d’ « agences » sur les territoires nationaux (besoins de proximité physique et culturelle avec les clients) et le développement des centres de production en offshore (Inde), en nearshore (Maroc et Europe de l’Est) ainsi qu’en province (en Aquitaine aussi).

Pour les acteurs de l’informatique de santé, le constat est sensiblement différent. Conception et production sont internalisées au sein des mêmes unités, localisées sur le territoire national. Or, le marché étant national et non local (au point que l’hôpital de Bordeaux n’est pas équipé d’une solution produite en région), la relation commerciale, prégnante dans le secteur, n’est pas un facteur d’ancrage des acteurs sur le territoire régional.

La relation commerciale impacte directement les relations salariale et d’approvisionnement.

Les clients étant situés sur l’ensemble du territoire national, les salariés qui agissent à leur interface sont soumis à une très forte mobilité. D’après nos entretiens, les salariés « fonctionnels » (ceux qui sont en relation avec le client, à la différence des « techniques » qui ne gèrent pas cette interface) passent environ quatre jours par semaine en clientèle. Or, la tendance est au rapatriement des équipes au sein d’une même entité (les sociétés ne sont pas multi-établissements sur le territoire national). La relation salariale présente ainsi à la fois des facteurs d’ancrage et des éléments de fragilité pour les entreprises aquitaines de l’informatique de santé.

D’un côté, l’ancrage est lié : à la stabilité de la main d’œuvre en région (turnover moins important qu’en région parisienne), au cadre de vie (attraction des collaborateurs) et à la qualité de la main d’œuvre locale. L’un de nos interlocuteurs est ainsi allé jusqu’à qualifier le système de formation local de « régal » (on pense notamment à la nouvelle formation dédiée à l’informatique de santé ouverte dans le cadre de la Miage de l’Université de Bordeaux).

160

En revanche, la forte mobilité imposée aux salariés génère d’importants coûts de transports (en termes financiers mais aussi en termes de temps car il semble difficile de desservir la France entière depuis la gare ou l’aéroport de Bordeaux). Ces coûts relativisent le différentiel salarial existant avec Paris ainsi que l’argument du cadre de vie.

Du point de vue de la relation d’approvisionnement, le poids des réglementations et la spécificité du marché conduisent les acteurs du marché à ‘faire’ plutôt qu’à ‘faire faire’. De la même manière, les industriels de l’informatique de santé n’agissent pas pour le compte des SSII. Ces dernières tentent de pénétrer le marché (en proposant d’intégrer les logiciels de santé dans leur solutions) mais la spécificité des marchés impose le partenariat. Ainsi, les acteurs de l’informatique de santé ne sont pas de simples ‘fournisseurs’ des SSII. Seule la SSII SQLI offrirait un véritable positionnement sur le secteur (avec SQLI santé) mais issu d’un partenariat avec l’un des grands noms du secteur. Il existe un fort besoin d’interopérabilité entre les logiciels fournis par les acteurs de l’informatique de santé (les modules des uns doivent s’intégrer aux solutions des autres), notamment entre les petits acteurs spécialisés sur certaines fonctionnalités précises et les gros acteurs fournissant des solutions globales. Cette interopérabilité est garantie par la normalisation très forte existant dans le secteur (et visant à éviter l’émergence et le contrôle d’un « Microsoft de la santé »), contrôlée par l’Etat et faisant l’objet de projets nationaux ou internationaux dans lesquels l’Aquitaine joue un rôle moteur.

Le marché est ainsi structuré autour d’un nombre important d’acteurs. D’un côté, on trouve une myriade de petits acteurs très spécialisés. De l’autre, quelques grands généralistes, agissant soit sur les mêmes marchés, soit sur des marchés différents (hôpitaux ou cliniques par exemple). La tendance actuelle est à la concentration : « le marché est émergent, il y a encore trop d’acteurs ». La relation financière apparaît alors de prime importance car la concentration passera d’abord par la vente d’activités (la société Gegedim a par exemple revendu son activité ‘hôpitaux’ à McKesson avant de se recentrer sur le marché des ‘médecins libéraux’) puis par des opérations de rachats intrasectoriels. Les grandes sociétés appartiennent à des groupes détenus par des fonds de pension. Les conseils d’administration soutiennent les divisions « Tic de santé » en raison de la dimension stratégique du marché (dans l’espérance d’un décollage) et en dépit du défaut de rentabilité actuellement présentée par ces divisions. Or, la question du soutien d’activités peu ou pas rentables se pose déjà. Du côté des petits acteurs, la structure actionnariale étant contrôlée par les dirigeants, l’activité est soutenue mais la perspective du rachat se pose clairement pour bon nombre d’entre eux.

Quelles délocalisations ? Quels risques pour la localisation de l’informatique de santé en Aquitaine ?

La question de la délocalisation ne se pose pas en tant que telle ni en tant que perspective pour l’informatique de santé pour au moins trois séries de raisons :

- Les process de production ne sont pas suffisamment industrialisés pour que les entreprises puissent tirer bénéfice d’une offshorisation (comme dans le cas de l’informatique de gestion, par exemple).

- Quand bien même cela serait le cas, les données sont trop stratégiques et les systèmes nationaux trop spécifiques pour envisager l’externalisation de la production. Les clients eux-mêmes sont réticents à l’idée d’une production réalisée en dehors du territoire national.

- Il existerait des retours négatifs d’expériences d’offshorisation (tentées aux Etats-Unis) en mesure d’annihiler les velléités de délocalisation.

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Deux risques existent cependant au regard du devenir de la localisation des acteurs en Aquitaine.

Le premier est lié au mouvement de concentration sectorielle. Rien n’implique par exemple que les entreprises aquitaines rachetées resteront sur le territoire (rapatriement au sein des implantations des sociétés « acheteuses »). Ce risque concerne aussi bien les petits que les grands acteurs du secteur.

Le second est particulier au marché de l’informatique hospitalière. C’est l’existence même du marché qui serait posée. Outre le retard pris par le projet Hôpital 2012, c’est surtout la question du budget alloué à l’informatisation des hôpitaux (environ 1,5% du budget total contre 5% aux Etats-Unis) et le défaut de compétences informatiques dans le personnel hospitalier qui posent de véritables problèmes et enjeux, d’ordre nationaux. Comme le souligne l’un de nos interviewés « cela fait vingt ans que le marché est devant nous ».

Au final, il ressort de notre étude que rien ne suggère la « dé »localisation des acteurs du secteur. Mais rien ne garantit non plus leur localisation actuelle. « Si nous n’avons pas de raison de partir, nous pourrions tout aussi bien être ailleurs qu’ici ».

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Figure 3.10 : Le secteur des TIC de santé

Relation salariale

Très forte mobilité des « fonctionnels »

Recrutement national

Qualité du système de

formation local

Relation d’approvisionnement

Se joue entre les acteurs du

secteur : importance de l’interopérabilité

(normalisation) pour l’intégration des briques

des uns dans les solutions des autres

Positionnement des acteurs dans la chaîne de valeur :

Editeurs et SSII

Relation financière

Groupes : établissements soutenus (marché

stratégique) malgré le défaut de rentabilité. Peut

être remis en question

PME : capitalisme familial (problématique, à terme, du

rachat)

Tendance à la concentration

Importance des

financements publics

Relation commerciale

Marché national

Fort besoin d’interactions

avec les clients (spécifications et

adaptations)

Marché en construction sur lequel coexistent des grands groupes et une

myriade de petits acteurs très spécialisés

Ancrage/Fragilité

Ancrage Implications des pouvoirs

publics (Innovalis) Attractivité de la main d’œuvre

(compétences, système de formation, stabilité, cadre de

vie) Localisation historique

Fragilité

Immaturité du marché Concentration

Problématique des transports

De la localisation à l’ancrage en Aquitaine

La présence de l’informatique de santé en Aquitaine s’explique par l’histoire de l’informatique hospitalière. Tout commence il y a trente ans, à l’époque où le ministère fait le choix structurant de créer des pôles de développement de l’informatique hospitalière attachés aux CHU. Bordeaux est l’un de ces pôles (avec Poitiers et Lyon, notamment) et sa particularité est d’être un centre relativement autonome (par rapport aux autres). Cette autonomie à l’hôpital aurait permis, en partie, l’émergence du secteur. Les acteurs locaux se développent, d’autres viennent s’implanter. La dynamique serait propre à Bordeaux, il ne s’est passé la même chose ni à Poitiers, ni à Lyon. Par exemple, McKesson s’est implantée après l’an 2000 à Bordeaux, mais en rachetant la division CapGemini Santé, elle-même issue d’un certain nombre de rachats trouvant leur source au sein même du centre régional d’informatique hospitalière (spin-off). « A Bordeaux, il y avait plus de monde et c’est là que

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ce sont créées les compétences ». L’histoire d’Agfa, s’implantant par le rachat de la société Symphonie, est sensiblement similaire.

Dans un second temps, les implantations aquitaines se sont développées (rapatriement d’activités localisées ailleurs sur le territoire national, notamment à Paris, Poitiers et Lyon). « On a rapatrié les activités sur un seul lieu pour des raisons de coûts de structure, on a choisi l’Aquitaine, parce que c’est là qu’il y avait la plus grosse activité ».

A l’origine de l’émergence du secteur par la création du centre, les pouvoirs publics ont accompagné son développement (aides aux rapatriements…). Aujourd’hui, cette implication est symbolisée par les nombreuses actions notamment menées par la région (dont Innovalis est une émanation) pour dynamiser et structurer le secteur.

L’enjeu pour la Région consiste à parvenir à ancrer les acteurs (et le secteur) sur le territoire. Une première action envisageable touche aux moyens de transport (« l’Aquitaine est enclavée, les moyens de transport actuels ne nous permettent pas de ‘bien’ desservir certaines régions de France où sont localisés nos clients »). Un « espoir » est donné par la perspective de la LGV qui mettrait Paris à deux heures de Bordeaux et par le développement du quartier d’affaires à Belcier. Mais cela ne peut, en soi, constituer un facteur d’ancrage suffisant.

Il conviendrait surtout de maintenir l’implication des institutionnels en faveur de ces activités. Cela se fait avec Innovalis mais peut-être il envisager une tentative de type « pôle de compétitivité ».

D’un côté, si la question du marché de l’informatique hospitalière est nationale, il faut accompagner le lobbying des industriels par une implication plus directe de la Région et la mise en avant d’un rayonnement du secteur régional (et national) des TIC de santé. Une structuration du secteur selon une logique proche des pôles de compétitivité permettrait, d’un autre côté, d’agir sur les deux pistes suivantes : le besoin d’innovation (quelles activités en dehors de la maintenance une fois que tous les « clients potentiels » seront équipés ?) et le positionnement sur les marchés de demain (notamment celui de la télésanté, pour lequel les compétences ne sont pas forcément localisées en Aquitaine).

164

1.5. Focus sur le secteur de la glisse

En tant que secteur porteur pour la Région, la glisse a fait l’objet d’une attention particulière dans notre étude. La position de l’Aquitaine dans ce secteur est liée à la présence historique de sept des majors du secteur. Elle se traduit par le fait que 1,2 milliards du CA Européen (1,5 milliards) sont réalisés en Aquitaine. La filière représente 400 entreprises et 3200 emplois.

Le contexte sectoriel

Le textile contribue à 80% de la valeur ajoutée des firmes de la filière glisse, les autres 20% étant attribués à la partie technique (combinaisons, planches, accessoires). Le contexte sectoriel renvoie donc en partie à celui des industries type textile auxquelles on peut associer le secteur des arts de la table (cf le chapitre précédent, histoire n°3 sur les cas de relocalisation).

Ces industries se caractérisent par (1) la tendance forte à la délocalisation des activités de production que l’on connaît et (2) l’importance des stratégies de différenciation s’appuyant notamment sur l’argument commercial du « Made in France ». Les cas de relocalisation ou de délocalisation évitée identifiés par l’étude de terrain montrent qu’ils reposent sur des repositionnements stratégiques marketing souvent associés à une remontée en gamme.

Le Made in France renvoie à la fois à « une idée que l’on peut se faire de la mode » (textile en particulier) et/ou à « une image de qualité » (arts de la table en particulier). Dans le cas du surfwear, l’argument commercial est fondé sur l’image du « Made in surf spot ». Autrement dit, la conviction que ce que l’on porte (textile) ou utilise (produits techniques) a été créé et testé par les surfeurs, jouant alors le rôle de prescripteurs, importe dans l’imaginaire du client et dans ses comportements d’achat.

Ces quinze dernières années ont été marquées par la ‘démocratisation’ du surf, au sens de l’accessibilité au « plus grand nombre ». On a pu observer la même tendance dans le secteur des arts de la table (décoration). Ces marchés s’ouvrent alors aux concurrents privilégiant des stratégies par les coûts (les « casseurs de prix »). Le développement du marché de masse, s’il offre de nouveaux débouchés, légitime aussi un déplacement des stratégies de profit vers la combinaison « prix et volume » face auxquelles les acteurs historiques, jouant de l’image (stratégie de profit basée sur la « marque ») doivent se positionner.

L’organisation du secteur et les logiques de localisation

La localisation du secteur de la glisse en Aquitaine est historique. Les premiers majors (Quicksilver et Rip Curl) s’y sont implantés il y a 25 ans. Le choix de la localisation est initialement lié aux relations commerciale et salariale.

Les entreprises du surf sont originaires des Etats-Unis et d’Australie (maisons mères). Les implantations françaises ont été guidées par le besoin d’adaptation des produits aux marchés européens. Le choix s’est directement porté sur Biarritz, berceau du surf en Europe. Des déménagements intra Pays Basque ou à destination des Landes ont pu ensuite avoir lieu.

C’est en effet dans le Sud-Ouest de la France qu’est localisée (de manière permanente ou temporaire) le cœur de la clientèle. C’est surtout là que vivent compétiteurs sponsorisés par ces marques qui deviendront d’abord leurs collaborateurs puis leurs associés. La majorité des salariés sont des surfeurs (professionnels sponsorisés ou amateurs). La stratégie des

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entreprises s’appuie sur l’image de la culture surf et la co-conception (y compris dans les phases de test) avec les utilisateurs.

La production (textile) n’a jamais été localisée en France. Dès le départ, elle est le fait d’une sous-traitance à dominante asiatique (Asie du Sud-Est). Toutes les autres activités, de la conception au marketing, en passant par la logistique et le design, sont présentes en France et, de la même manière, en Australie et aux Etats-Unis. Une partie de la production de combinaisons a été un temps localisée en Aquitaine (entre 1986 et 1994 pour Rip Curl inventeur de la combinaison isotherme) puis délocalisée en Thaïlande (domination très nette sur le néoprène). Seules les planches « très haut de gamme » (sur-mesure) sont produites en France, mais elles sont de moins en moins nombreuses. Une entreprise thaïlandaise produit à elle seule entre 30 et 40% des volumes mondiaux de planches de surf. L’activité principale des entreprises est le marketing. Une partie de la conception est aussi réalisée ici (avant d’être intégrée dans le catalogue commun aux différents établissements géographiques des marques).

Les gains sur les coûts liés aux délocalisations en offshore sont d’autant plus importants que le marché se démocratise et que la mode s’uniformise à l’international. La relation financière pèse sur l’ensemble des sociétés car elles sont dorénavant (à une exception près) cotées en bourse.

Quelles délocalisations ?

La production ayant toujours été localisée « ailleurs », il n’est pas totalement correct de parler de délocalisation bien que la motivation soit celle d’un gain en termes coûts, notamment salariaux. La tendance actuelle est à une réduction de la production en France et en Aquitaine. La sérigraphie a été touchée en premier et c’est aujourd’hui l’activité des shapers (80 en France dont 50 sont localisés en Aquitaine) qui est sérieusement menacée. Par ailleurs, la conception semble aussi s’internationaliser sous l’effet de la démocratisation et de la tendance à l’uniformisation de la mode à l’international. L’activité principale restant en Aquitaine est le marketing.

Trois risques pour le maintien de la localisation des activités en Aquitaine méritent d’être soulignés : les problèmes de recrutement pour les fonctions liées à la logistique et au design et, plus généralement, les difficultés à recruter des surfeurs (qui ne représentent que 15 à 20% de la masse salariale) ; la pression exercée par les actionnaires (pression sur les coûts), pression qui prend toute son importance lorsqu’elle est associée à la question de la logistique. Le Pays-Bas apparaît aujourd’hui comme une localisation possible aux yeux des actionnaires des grands groupes du surf. Rotterdam est visible pour son positionnement logistique et, du point de vue des Etats-Unis ou de l’Australie, elle est située (en relatif) à proximité géographique des spots de surf basquo-landais. L’entreprise O’neill s’est récemment implantée là-bas.

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Figure 3.11 : Le secteur de la glisse

Relation salariale

Volonté mais difficulté de recruter des surfers

Problèmes de recrutement

sur le design et la logistique

Prégnance des différentiels

salariaux pour la localisation des activités de

production

Relation d’approvisionnement

Quasiment toutes les

activités de production sont externalisées en Asie du Sud-Est pour des raisons

de coûts salariaux (textile) associés aux compétences (planches et combinaisons)

Positionnement dans la

chaîne de valeur : Marketing et conception

(de moins en moins)

Relation financière

Contrôle par les actionnaires depuis

l’Australie et les Etats-Unis : forte pression

pouvant influencer les stratégies de localisation (éloignement aux « spots

de surf »)

Importance des financements publics

(logique d’attractivité)

Relation commerciale

Stratégie de ventre d’image et de rêve (marketing)

Co-conception avec les

utilisateurs (partie technique)

Evolution vers des marchés de masse (démocratisation

du surf)

Différenciation future par l’environnement et

l’innovation ?

Ancrage/Fragilité

Ancrage Par la main d’œuvre et par les dirigeants des établissements

(surfeurs) Par l’ « image » du « Made in

Surf Spot » Par les pouvoirs publics et la logique de cluster (Eurosima)

Fragilité

Par la relation financière Par la question logistique

Par « l’uniformisation » de la mode à l’international

La situation actuelle et les enjeux pour l’Aquitaine

Le marché s’accroît en même temps que le choix de la localisation en Aquitaine semble se pérenniser avec le rapprochement entre entreprises de la glisse (mer et montagne). La situation géographique du Pays Basque est de ce point de vue très attractive. Les rapprochements dans la filière se font en faveur d’une localisation en Aquitaine et « l’ensemble des entreprises du surf ont glissé vers le snow ». En même temps, « rien n’ancre en dehors de l’attachement des dirigeants à leur région ». Sur décision des actionnaires, les entreprises pourraient se déplacer vers d’autres localisations (offrant des atouts en termes de main d’œuvre, comme le Portugal, ou de capacité logistique, comme les Pays-Bas). La proximité aux « spots de surf » ne semble pas si déterminante que cela.

La localisation des acteurs de la filière en Aquitaine doit aussi beaucoup à l’implication des pouvoirs publics. Elle s’est d’abord développée seule (pendant près de vingt ans) en affichant une croissance à deux chiffres (entre 15 et 20%). Secteur porteur pour la Région, il fait depuis 2000 l’attention des pouvoirs publics qui créent (CCI Bayonne) alors un pôle d’implantation focalisé sur ce secteur (il a depuis évolué pour s’ouvrir à tout un ensemble d’activités visant à

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renforcer l’attractivité du Pays Basque en sortant de l’image « agro-tourisitique » qui lui est associée) puis en se rapprochant de l’initiative Eurosima (association d’entreprises du Surf, jumelle de Sima US) dont le bureau était localisé dans les Landes. On passe d’abord à une logique de clusterisation soutenue par les collectivités publiques (accompagnement à l’implantation financé par fonds publics).

La refonte d’Eurosima, née de la fusion des deux entités, soutient ensuite les activités des entreprises dans quatre domaines : la création d’un observatoire de la filière (site Internet), la création d’un label environnemental, la mise en place d’une coopérative de shape et la création d’un concours d’innovation technologique et environnementale.

L’observatoire (comme la réalisation d’études de marché collectives) a pour enjeu de favoriser la mutualisation de l’information et des moyens entre entreprises (une dimension ressources humaines est intégrée à la plateforme pour faciliter le recrutement) ; la mise en place de la coopérative vise à soutenir les micro-entreprises (shapers) en difficulté. Les deux autres actions engagent la filière dans deux nouvelles orientations : l’environnement et l’innovation. Ce sont sur ces deux points que les pouvoirs publics souhaitent aujourd’hui orienter leurs actions. D’une part parce que l’environnement est devenu un enjeu d’importance (en même temps qu’un instrument de différenciation « par le haut » et un argument commercial), d’autre part car l’innovation serait insuffisamment développée en Aquitaine pour le maintien du secteur (on peut expliquer le refus national de labelliser le cluster « pôle de compétitivité » par le défaut d’innovation dans le secteur).

L’ « image » véhiculée par le surf (le rêve) et justifiant la localisation au plus près des spots pourrait pâtir de la démocratisation du marché. Par leur activisme en matière de sponsoring et leur présence publicitaire dans les magazines spécialisés (financement), les entreprises parviennent pour l’instant à « maintenir » leur image. Leur orientation « écolo » ne pourrait aller que dans le sens d’un renforcement de cette image (les majors historiques du surf sont qualifiés de « gardiens de l’esprit du surf »). Eurosima se porte d’ailleurs garant de cet « esprit surf » et les nouveaux entrants dans le secteur, à l’exemple de Tribord, se voit refuser leur adhésion à l’association en raison de leur manque d’implication en faveur du sport. Nous soulignons que ce positionnement pourrait être perçu comme une espèce de sectarisme de la part des entreprises « hors-tribu » souhaitant s’implanter en Aquitaine.

La question de la concurrence territoriale est aussi posée, à l’échelle départementale (Landes et Pays Basque). Il serait peut-être opportun de raisonner plus directement au niveau régional (avec une intégration de la Gironde, elle aussi pourvue de spots de surf). Sur ce point, certains acteurs ont souligné qu’ils se sentaient parfois un peu trop « hors du jeu » du BRA.

Enfin, la question de la formation est posée. Des initiatives positives existent (Master 2 de Bordeaux, Estia) mais sont jugées insuffisantes pour répondre aux besoins des entreprises.

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Section 2. Les enjeux de la mobilité des firmes en Aquitaine : des faits saillants aux pistes d’action

Il est souvent difficile d’isoler le contexte local de tendances plus globales associées à des contextes sectoriels (cf supra) ou macroéconomiques. La synthèse proposée pour l’Aquitaine est effectuée toutes choses égales par ailleurs : le cadre réglementaire national est pris pour donné, l’approche étant d’ordre régional. Cela n’exclut évidemment pas quelques retours sur les aspects législatifs et fiscaux qui relèvent du niveau national, voire européen.

Les questions de mobilité et d’ancrage se découpent autour des quatre relations fondamentales. Cette approche permet tout d’abord de réduire la complexité du phénomène. Elle autorise ensuite une déclinaison des orientations en termes d’action publique selon les objectifs poursuivis. Cette décomposition analytique amène à effectuer des aller-retours entre les différentes relations car c’est bien entendu à partir de leur articulation dynamique que se donnent à comprendre les logiques de délocalisation/relocalisation des firmes.

2.1. La relation financière ou la pression actionnariale comme accélérateur des délocalisations ?

Pression financière vs attachement des PME à leur territoire

Les entretiens conduits en région confirment de façon évidente ce que les analyses sectorielles et la littérature sur le sujet ne manquent pas d’affirmer : le processus de financiarisation de l’économie engendre une pression sur les coûts liée à une recherche de rentabilité élevée.

Nous constatons clairement une différence dans le rapport à la mobilité des entreprises liée à la structure patrimoniale. Les établissements de grandes entreprises, malgré l’importance des coûts irrécouvrables (importance du capital physique en particulier) présentent un potentiel de mobilité bien supérieur à celui des PME indépendantes. Le discours des acteurs sur le sujet est édifiant.

Du côté des structures financières « indépendantes » (propriété familiale, structure coopérative, propriété détenue par les dirigeants et/ou les salariés) les arguments relèvent généralement de trois grands types : la pression sur les coûts n’est pas la même, l’exigence de rentabilité ne joue pas à court terme, et il est possible de développer une véritable stratégie industrielle. Ces trois aspects (coûts, rentabilité de court terme et stratégie autonome) permettent d’envisager la mobilité de façon moins brutale. L’argument de la stratégie industrielle à moyen/long terme est couramment avancé dans la littérature. Ce que l’étude confirme de façon plus évidente, c’est l’impact de la relation financière sur la décision de mobilité. La plupart des cas de relocalisation ou de délocalisation « avortée » sont non seulement associés à une structure de propriété particulière, mais tout aussi généralement à une évolution de cette structure : c’est généralement à l’occasion d’une prise de majorité par les dirigeants et/ou les salariés que la question de la mobilité se pose.

Du côté des établissements « dépendants » sous contrôle des actionnaires et des cours de bourse, les exemples de délocalisation ou de fermeture partielle ne manquent pas. La structure financière est évidemment évoquée comme étant un élément majeur de la prise de décision (même si elle n’est pas la seule). Elle est aussi un facteur important de fragilisation de l’ancrage local des sites existants sur le territoire.

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De ce point de vue, la sensibilité aux délocalisations se pose en des termes différents selon la structure de propriété. Les établissements de firmes multinationales subissent une pression plus importante sur la réduction des coûts avec une mise en concurrence entre les sites, nationaux ou étrangers. La pérennité du site relève alors du jeu des autres dimensions qu’il convient alors d’analyser en dynamique (voir infra). Il y a cependant une conséquence directe du lieu de décision de mobilité sur l’intensité de l’ancrage local car l’attachement au territoire ne rentre pas dans le processus de décision de la part des grandes entreprises, en dehors évidemment du volet social qui tombe sous le coup de la législation en vigueur. En effet, indépendamment d’une logique économique qui pourrait s’imposer aux entreprises, l’attachement au territoire constitue un élément fort de l’ancrage de certaines activités. Dans de nombreux cas, l’origine géographique des dirigeants et leur attachement à la région sont les éléments déterminants de la pérennité d’une localisation. Il y a là une différence fondamentale avec les établissements dépendants de décisions prises en dehors du territoire.

Ce dernier aspect est sans doute une dimension importante qui émerge des entretiens et qui est tout à fait cohérente avec les analyses contemporaines des processus de localisation des activités économiques : c’est par l’ancrage local des réseaux sociaux que l’on explique une grande partie des dynamiques économiques locales. Cela signifie que l’origine géographique des dirigeants et les relations qu’ils développent déterminent pour beaucoup leur ancrage local. Une piste importante de l’action sur le tissu économique local est celle de la stimulation des créations d’entreprises régionales et de l’aide à leur développement (ou leur transmission) dans la mesure où elles contribuent au renforcement local de ce tissu. L’indépendance financière à plus long terme constitue aussi un enjeu qui pourrait faire l’objet d’un soutien par un fond d’investissement local.

Les limites actuelles des aides accordées aux entreprises sont bien connues : la faiblesse des taux de survie à cinq ans invite à mieux en définir les principes d’attribution, mais aussi à assurer un soutien durable aux activités jugées stratégiques pour la région. Le capital risque constitue un élément essentiel du dispositif financier, qui pourrait être prolongé par un fond souverain régional.

Une proposition a été faite lors d’un entretien à propos des avances remboursables. Il serait tout à fait imaginable que les entreprises locales ayant bénéficié d’un soutien public important puissent être financièrement associées par la suite au développement de nouvelles entreprises. Une sorte d’échange de bons précédés visant à renforcer la solidarité régionale des acteurs économiques.

Au-delà de cet attachement au territoire qui permet de différencier largement les comportements des entreprises en fonction de leur structure de propriété, il reste difficile de distinguer, dans les discours, ce qui relève d’une réelle dimension économique de ce qui serait plutôt la conséquence de l’assimilation d’un discours largement répandu. Pour l’essentiel des entretiens menés au sein de ces PME indépendantes, les arguments de la structure financière et de l’autonomie décisionnelle sont apparus. A l’inverse, dans les grandes entreprises, les structures de coûts sont toujours évoquées. D’autres éléments peuvent expliquer ces différences de comportements dans la mesure où les marchés et l’organisation de la filière sont tout aussi importants. Cette question sera reprise lors du développement sur les autres relations déterminantes de la mobilité des entreprises.

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De la ressource financière à la ressource informationnelle

L’impact de la structure financière ne se limite pas à ce simple aspect de distance au territoire dans la prise de décision de mobilité. A chaque niveau du déroulement du processus de mobilité, les ressources que l’on peut associer à la structure financière jouent un rôle important.

La décision de délocalisation ou de mobilité intervient dans un jeu de concurrence entre les sites de production existants dans le cadre de grandes entreprises pilotées par une logique financière. L’arbitrage entre les différents sites est alors réalisé à périmètre d’activités données. Le processus est très différent lorsqu’il s’agit de la stratégie d’un établissement indépendant qui peut décider de réorienter sa stratégie et son mode d’organisation. Encore une fois, les différents cas de non-délocalisation ou de relocalisation rencontrées s’accompagnent d’une révision de la stratégie de l’entreprise. Inversement, les délocalisations ou fermetures par de grandes entreprises se font sans tenter de réorienter l’activité mais plutôt en rationalisant l’existant. A ce niveau-là, l’autonomie de décision des établissements est un élément majeur de leur degré de fragilité locale par rapport à une gouvernance par la finance. La fragilité notée de certains grands établissements en région résulte de leur incapacité à décider de réorienter leur activité de façon autonome. La survie de ces établissements dépend en grande partie de décisions stratégiques non maîtrisées localement.

Il existe aussi une différence majeure dans la prise de décision effective de mobilité entre les grandes entreprises multi-établissements et les PME régionales. La qualité de l’information mobilisée dans le processus de décision de délocalisation est parfois très approximative. Les exemples de relocalisation révèlent une surestimation des gains en termes de coûts : les gains retirés de la délocalisation sont finalement très en dessous des espérances. Ceci peut être interprété comme un manque d’information et de relais locaux pour les PME indépendantes. La situation est très différente pour les groupes dont les implantations internationales sont autant de sources d’information réduisant le tâtonnement observé pour les PME. Les ressources financières et industrielles des grands groupes leur permettent de prendre des décisions en situation d’incertitude bien plus favorable. Dans ce cas d’ailleurs, la délocalisation peut s’avérer peu réversible puisque reposant sur un calcul sans doute plus proche de la réalité. Cet aspect déborde cependant la relation financière et sera plus amplement abordé dans les développements concernant la relation d’approvisionnement.

Une fois la délocalisation réalisée, il apparaît une autre différence importante entre grands groupes et PME indépendantes : celle de leur poids dans les négociations. Nous reviendrons aussi sur cet aspect en liaison avec la relation d’approvisionnement mais, du strict point de vue de la taille, et donc de l’assise financière et industrielle des entreprises, la qualité de l’approvisionnement ou des facilités d’implantations offshore peut être très différente. La situation des PME à cet égard peut être difficile lorsqu’elles ne disposent pas d’un poids suffisant pour négocier les délais et la qualité ou même les conditions d’une implantation locale.

Face à cette asymétrie dans l’assise financière entre grands groupes et PME, certaines décisions ou hésitations de ces dernières sont parfois préjudiciables à leur développement, et les efforts consentis par les pouvoirs publics pour limiter les délocalisations sont parfois vains. Ils visent à assurer un équilibre négocié entre un départ a priori inévitable d’une partie de l’activité, et le maintien local de ce qui peut être sauvegardé. Améliorer l’information des

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décideurs quant à l’incertitude des gains à la délocalisation constitue alors un enjeu majeur. Il y a ici une légitimité pour l’intervention publique dans un processus de production et de diffusion de connaissances auprès des acteurs économiques, en particulier en capitalisant l’information sur les retours d’expérience. Ceci permettrait sans doute de limiter les coûts de délocalisations parfois hâtives qui sont suivies de relocalisations tout aussi rapides.

D’une manière générale cependant, les aides publiques sont souvent citées comme déterminantes par les PME, en particulier en matière d’innovation. La lisibilité du système et de ses différents échelons ainsi que la lourdeur de leur mise en place sont encore critiquées par nombre des interlocuteurs rencontrés. Les efforts faits dans ce sens depuis quelques années méritent donc d’être poursuivis. Les grands groupes semblent quant à eux mieux maîtriser le système d’aides publiques. Ils ne manquent pas d’y recourir en région pour des résultats en termes d’emplois ancrés (ou sauvegardés) sur le territoire qui semblent satisfaisants pour les financeurs. Il ne s’agit pas d’ouvrir ici un débat sur la pertinence de ces aides, débat sur lequel le matériau informatif issu des entretiens réalisés ne permet pas de trancher, mais simplement d’en souligner l’intérêt du point de vue des entreprises rencontrées. Deux cas attirent cependant l’attention. Celui d’aides perçues dans le cadre d’une relocalisation infra-nationale pour laquelle les aides accompagnent une décision de changement de région sans pour autant que cela ne soit déterminant pour la survie de l’entreprise. Au niveau de la nation, cette opération n’a pas d’impact économique immédiat. Il s’agit simplement d’une région qui perd une PME allant s’implanter en Aquitaine. La concurrence territoriale peut aussi s’exprimer au niveau infra-régional lorsque les cofinancements conduisent à des gains et des pertes symétriques en matière d’implantations pour les collectivités territoriales participantes : le jeu coopératif rencontre alors certaines limites puisque chaque collectivité attend un juste retour de ses investissements.

Ces éléments devront alimenter une réflexion sur la concurrence territoriale dans la mesure où les politiques d’attractivité locale sont certes justifiées du point de vue territorial, mais conduisent à des jeux de négociation qui rendent l’intervention publique moins pertinente d’un point de vue plus collectif. Ce débat renvoie à l’orientation générale des politiques publiques en la matière, mais la notion d’attractivité par les aides publiques est indissociable de celle de concurrence territoriale. Vieux débat s’il en est, mais sans doute renouvelé dans ce contexte de mobilité importante des entreprises.

L’entrée par la relation financière permet de souligner la différence essentielle de comportement en fonction de la structure du capital des entreprises. Cette différence recouvre en partie les logiques de taille entre PME et grands groupes internationaux. La distinction entre PME et grands groupes est essentielle pour la compréhension de la mobilité des entreprises régionales, mais la pertinence de cette distinction dépend du contexte sectoriel et des relations de pouvoir entre PME et donneurs d’ordres qui renvoient aux autres relations.

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2.2. La relation d’approvisionnement ou la dictature des coûts

Il est utile de préciser, en amont de l’analyse, que la relation d’approvisionnement des uns relève, du moins pour partie, de la relation commerciale des autres. On pense évidemment à la relation qui lie donneurs d’ordres et sous-traitants.

Les délocalisations motivées par les coûts

Les motivations de mobilité et de délocalisations reposent largement sur des arguments de coûts. C’est certainement le premier facteur évoqué au cours de l’ensemble des entretiens, les questions de délocalisations étant avant tout des questions de coût. Il reste que si cet élément est toujours abordé, le manque de précision sur le sujet est aussi la règle. Deux interprétations sont possibles : soit la dimension stratégique empêche d’apporter une réponse précise à la question, soit la notion de coût elle-même n’est pas si claire.

La première interprétation paraît recevable tant le flou et les contradictions sont légions dans les entretiens. Nous n’avons que deux ou trois cas pour lesquels les chiffres avancés semblent cohérents. Par contre les cas de relocalisation ou de non délocalisation nous donnent une information qui nous rapproche de la seconde interprétation en termes d’incertitude sur les gains à la délocalisation.

L’approche du coût global se veut prendre en compte l’ensemble des coûts directs et indirects de l’activité, en particulier dans la relation d’approvisionnement. Même si la méthode est difficile à mettre en œuvre (en particulier lorsque la délocalisation ne se fait pas par sourcing mais par implantation offshore) certaines entreprises ont pu mesurer a posteriori l’importance de ces coûts.

Le premier coût qui émerge est évidemment celui de la non qualité qui peut s’exprimer par des défauts de fabrication ou une conformité approximative par rapport aux spécifications initiales. Sur ce point les discours sont divergents entre ceux qui ont une vision très négative de la production low cost et ceux qui concèdent que les problèmes de qualité ne sont pas tellement supérieurs à ce qui se passe dans toute forme d’approvisionnement externe. Au sein du premier groupe on trouve des défauts sur les pièces (électronique, aéronautique en particulier), des défauts de spécification (mobilier, textile) ou d’alimentarité, de respect des normes ou de nature des composants utilisés (pharmacie, alimentaire…). La différence de culture, en particulier avec l’Asie, induit aussi des soucis d’interprétation des spécifications en amont. Si ces défauts de qualité existent, ils sont généralement anticipés et ne posent pas de problème majeur sur les produits standards et peuvent largement être contournés en se réduisant à une question de coût.

Plusieurs stratégies de contournement nous on tété présentées. La plus simple consiste à jouer sur les volumes en anticipant le taux de défauts (textile, électronique). Une autre stratégie fréquemment utilisée repose sur le contrôle qualité sur place par l’intermédiaire d’un tiers local, le déplacement fréquent de personnel ou l’ouverture d’une représentation locale (aéronautique, textile). Enfin, certains fournisseurs détachent en permanence du personnel auprès des donneurs d’ordres (logiciel par exemple avec présence de personnel indien en France). Lorsque la motivation principale du sourcing offshore est le coût, ces différentes méthodes semblent efficaces : elles ne font qu’augmenter le coût initial estimé sans pour autant remettre en cause le gain justifiant un approvisionnement externe.

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Ces coûts, souvent non estimés a priori, viennent s’ajouter à ceux du transport qui eux aussi sont parfois largement sous-estimés. Ici, le caractère pondéreux ou volumineux (différence entre des composants électroniques et des meubles par exemple) joue un rôle très important sur les délais et la flexibilité. Le développement du offshore induit en effet une tension sur le transport des marchandises qui allongent les délais de livraison ainsi que la concurrence entre les entreprises. La réactivité est d’abord extrêmement faible lorsque des défauts constatés induisent un nouvel acheminement d’une marchandise défectueuse. La possibilité de modifier les spécifications et de décaler des livraisons est aussi très limitée. Le poids de l’entreprise joue alors beaucoup dans les conditions de négociations : une grande entreprise jouant sur des volumes importants aura une capacité de négociation bien plus importante qu’une PME dont les approvisionnements sont moins réguliers. Cette capacité de négociation est aussi une des raisons importantes de la relocalisation de certaines productions lorsque le fournisseur ne tient pas compte des retours et exigences concernant la qualité.

La différence de taille se traduit par des surcoûts généralement non anticipés par les PME qui ont dû faire face à ce type de problème. Les volumes concernés, indépendamment des autres dimensions, jouent donc un rôle important dans la structure de coûts non anticipés.

Si le coût global est une méthode aujourd’hui largement diffusée, les incertitudes sur les gains en termes de coûts restent très fortes et sont une des principales motivations de relocalisation au sein de l’échantillon. Ces coûts de mobilité auraient certainement pu être anticipés (un dirigeant a clairement indiqué ne pas avoir compris les décisions prises par ses prédécesseurs) et évités par un conseil approprié. Il existe d’ailleurs des entreprises spécialisées dans l’interface entre les résidents et des fournisseurs implantés en zone à bas coûts.

Aux côtés des moyens directs mis en place pour réduire ces coûts (représentation locale, service qualité, déplacement de personnel), d’autres solutions de maîtrise des coûts nous ont été présentées.

La solution nearshore est certainement la plus courante. Les gains de coûts directs sont certes plus faibles, mais les aller-retours sur la qualité sont facilités et les contraintes d’approvisionnement relâchées. La pertinence de cette solution dépend du besoin de réactivité (relation commerciale) et de la complexité des produits. Les gains relatifs entre coûts directs et indirects sont cependant difficiles à évaluer.

L’implantation locale et la connaissance du lieu de délocalisation constituent aussi un puissant facteur de réduction d’incertitude. Le facteur taille intervient de nouveau à ce stade. Les firmes multinationales peuvent jouer sur la pénétration des marchés émergents et en utiliser leur connaissance pour rationaliser progressivement leur production au niveau mondial. Le cas Solectron l’illustre : la rationalisation entre les différentes unités du groupe se fait en fonction des localisations les plus rentables. Certaines PME rencontrées ouvrent aussi des représentations pour pénétrer de nouveaux marchés avec la volonté d’y amorcer progressivement une production. D’un point de vue économique, cela renforce dans un premier temps la position de l’entreprise. On peut cependant imaginer à terme un risque sous-jacent de délocalisation. Tout dépend en fait du potentiel de délocalisation et de la stratégie d’entreprise, en particulier l’attachement au territoire et le poids de la relation financière.

Une autre stratégie possible concerne la délocalisation partielle avec maîtrise du processus de production. L’entreprise Kapalouest en est un bon exemple, emblématique des entreprises

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type textile. Il s’agit dans ce cas de maîtriser la conception et la fabrication de prototypes. La maîtrise de la production qui en résulte permet de maintenir le lien entre développement et production ainsi que le maintien d’une compétence interne. Ceci présente le double avantage de conserver la maîtrise de compétences productives tout en réduisant les asymétries d’information entre le donneur d’ordres et son sous-traitant parfois distant. Cette stratégie permet une maîtrise des coûts sans perte de compétences industrielles tout aussi nécessaires pour les retours en conception.

Ces alternatives stratégiques, permettant aux entreprises de maîtriser leurs délocalisations, illustrent aussi la difficulté à évaluer a priori le coût global associé à une délocalisation. Toute externalisation offshore de la production est ainsi associée à une incertitude forte que la méthode par le coût global réduit certainement, mais apparemment de façon insuffisante.

Certains secteurs sont alors caractérisés par des comportements de mimétisme qualifiés d’effet pingouin par la littérature traitant de géographie des activités économiques : en situation d’incertitude forte, les localisations existantes (les implantations constatées des autres acteurs) agissent comme un signal positif quant à l’intérêt d’un lieu. Autrement dit, les délocalisations sont bénéfiques puisque d’autres le font. La pertinence du choix n’est alors validée qu’a posteriori, une fois la délocalisation réalisée.

Les exemples de relocalisation semblent indiquer que le mimétisme n’est pas toujours une stratégie gagnante. Il reste que le discours semble bien ancré et conduise nombre de donneurs d’ordres à imposer une délocalisation et/ou un sourcing offshore à leurs sous-traitants. La délocalisation sous pression des donneurs d’ordres ressort de l’analyse, en particulier dans les industries d’assemblage, avec parfois des incitations fermes à utiliser les zones à bas coûts. Ces exigences de réduction des coûts peuvent concerner des activités à forte valeur ajoutée compte tenu de l’activité de certains sous-traitants rencontrés.

Ce type de pression n’est pas non plus l’apanage des grandes entreprises. Certaines PME demandent aussi à leurs sous-traitants d’envisager une production à bas coûts de façon à maintenir la rentabilité de leur activité en région. Il s’agit de ce que nous qualifions de délocalisation par procuration dans la mesure où l’externalisation de certaines activités s’accompagne d’une exigence de réduction des coûts passant explicitement par un sourcing à l’étranger. Certaines entreprises ne délocalisent donc pas directement, mais le demandent à leurs fournisseurs de façon plus ou moins explicite. Ce phénomène donne un éclairage sur la complexité des mécanismes en jeu qui fait que le recours aux zones à bas coût apparaît généralisé mais prend des formes extrêmement variées.

La distinction que nous opérions plus tôt entre grandes entreprises sous pression actionnariale et petites entreprises indépendantes doit être largement nuancée lorsque la relation d’approvisionnement est prise en compte. La dépendance des fournisseurs à leurs donneurs d’ordres constitue un élément explicatif majeur des délocalisations de certaines entreprises, y compris de PME qui n’avaient pas adopté cette stratégie a priori. Agir sur les PME ne constitue donc pas une solution suffisante au maintien de l’activité économique sur un territoire. Si le coût reste l’argument premier évoqué pour justifier de ces délocalisations par procuration, il est cependant permis de nourrir quelques doutes sur la nature du calcul effectué compte tenu de incertitudes notées quant à la détermination du coût global. L’enquête réalisée n’autorise pas une conclusion définitive sur le sujet, simplement d’éveiller l’attention sur un calcul économique dont la responsabilité et les incertitudes sont repoussées plus en amont dans la chaîne de valeur. Ainsi, en prolongeant la conversation avec certains de nos interlocuteurs, nous avons parfois mesuré l’écart entre le discours de

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justification par les coûts (la production est clairement moins coûteuse), et une réalité plus incertaine (lorsque tous les coûts sont pris en compte le gain apparaît moins évident).

Les délocalisations sous contraintes de la relation d’approvisionnement : coordination, compétences et ancrage des activités

Les délocalisations, qu’elles soient réalisées en interne ou par externalisation, posent un problème de distance dans la coordination des activités. Cette contrainte apparaît de façon évidente lorsque la délocalisation ne concerne qu’une partie du processus productif, mais pas seulement.

Les difficultés de coordination peuvent exister dans la situation d’achat d’un produit fini (dont la production serait entièrement délocalisée) qui ne correspond pas toujours exactement aux spécifications initiales. Ces problèmes dans la relation d’achat existent quelles que soient les transactions considérées, mais la distance en élève le coût. La distance culturelle avec les pays asiatiques a souvent été citée comme un frein dans la compréhension des spécifications initiales du produit. La distance géographique ajoute des difficultés de communication et de retour en arrière compte tenu des délais d’approvisionnement. Cette distance est plus facilement maîtrisée par les grandes entreprises multinationales qui ont l’expérience de ces localisations, un poids suffisant pour renégocier les contrats et un volume d’achat leur permettant de négocier les délais d’acheminement.

Les cas de relocalisation rencontrés relèvent essentiellement de ce modèle. Mais une autre dimension apparaît aussi à la lecture de ces cas. Elle concerne le choix dans la relation d’approvisionnement, choix qui peut être très réduit dans la situation de délocalisation entière d’une production. Il y a en effet un risque d’irréversibilité importante dans le processus de délocalisation lorsqu’il se traduit par une perte de compétence aux niveaux régional et surtout national. Le retour de production devient très difficile lorsque la généralisation du mouvement de délocalisation a entraîné la disparition d’une part importante des entreprises locales dans le domaine. Cette inquiétude a été signalée à plusieurs reprises, le secteur de l’électronique étant sans doute le plus marquant à ce niveau. Il s’agit là d’une sorte d’effet externe des délocalisations qui résulte de la convergence d’un certain nombre de comportements dont le résultat collectif n’est individuellement pas anticipé. Cet effet peut être plus important au niveau régional face à l’étroitesse des ressources locales. Il est difficile, et parfois inutile, de lutter contre ces phénomènes de division internationale du travail et de spécialisation des espaces, mais il est important de les prendre en considération dans le cadre d’une stratégie régionale tant les irréversibilités peuvent être fortes à ce niveau.

Dans le cadre d’une division spatiale du processus productif, la coordination à distance pose des problèmes d’une ampleur différente. En fonction du degré de complexité de coordination des tâches, la contrainte de proximité géographique s’avère plus ou moins difficile à relâcher. Il existe aujourd’hui un débat important au sein de la communauté scientifique à propos de l’étendue des possibilités de coordination à distance. Sans doute le développement des techniques de communication à distance et des moyens de transport ont-ils contribué à relâcher en partie cette contrainte, mais la littérature autour des effets locaux de la recherche scientifique ou du fonctionnement des clusters soulignent dans le même temps que la géographie compte dans la coordination des activités économiques. Sans reprendre ici l’ensemble des termes du débat, il convient d’identifier les activités pour lesquelles la géographie importe.

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Lorsque la relation d’approvisionnement porte sur des composants ou produits standards (achat « sur catalogue », définition préalable et « objective » des spécifications), il est relativement courant de considérer que la distance géographique importe peu. Ce phénomène est observable pour l’ensemble des entreprises enquêtées, et traverse aussi les secteurs.

Les questions de coordination apparaissent comme déterminantes de la mobilité dés lors que les produits sont complexes ou spécifiques/dédiés et que les interactions sont nécessaires entre les acteurs. C’est en particulier le cas en matière d’innovation. Il convient alors de s’interroger sur les possibilités d’éclatement spatial des activités et donc leur mobilité.

Innovation et ancrage

Le rapport à la science constitue l’une des relations d’ancrage spatial les plus connues et sur laquelle agissent généralement les politiques publiques car l’intervention y est sans doute la plus visible. Le besoin de proximité dans ce type de relation est parfois surestimé d’autant que les échanges avec les universités peuvent être réalisés à distance. Par ailleurs, seules certaines entreprises mobilisent la recherche universitaire. Il convient donc d’être prudent en termes de recommandations de soutien aux relations science/industrie tant elles peuvent ne concerner qu’un nombre limité d’entreprises et de secteurs.

La littérature dans ce domaine insiste sur le caractère localisé de ces relations, non pas pour des besoins d’interactions à proximité, mais plus du fait des réseaux relationnels, souvent localisés, qui supportent ce type de coopérations. Avec des besoins différents, ceci est apparu déterminant dans un certain nombre de cas. Dans la pharmacie et les biotechnologies, les relations avec les universités sont jugées très importantes pour l’innovation, et même si la proximité n’est pas indispensable à la communication, c’est d’abord le potentiel régional qui est évoqué. La connaissance du milieu scientifique local, la mise en place de projets coopératifs, les start up essaimées des universités et la mobilité des étudiants sont autant de supports de cet ancrage local des entreprises avec les universités. Il en va de même dans l’aéronautique ou l’informatique de santé. Il ne faut cependant pas généraliser cette observation car nous avons aussi noté l’absence de coopération avec les universités pour des entreprises de ces mêmes secteurs.

Ce type d’ancrage reste fragile puisque les réseaux sociaux localisés sont reproductibles dans d’autres espaces, et que les échanges à distance sont aussi possibles. Le maillage interpersonnel et le développement de ces réseaux constituent un atout qui ne s’avère déterminant que dans un nombre limité de cas (lorsque la ressource universitaire est indispensable). Il en résulte un double risque pour l’action publique à ce niveau : celui de surestimer l’impact d’une action sur les relations science/industrie (qui ne concerne qu’un nombre limité de situations), et celui de trop enfermer les relations dans un espace local (au détriment d’une ouverture à d’autres coopérations non locales par exemple). Le soutien à la recherche publique a par contre d’autres effets sur le niveau de formation de la main d’œuvre sur lequel nous reviendrons.

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La co-conception

La difficulté d’opérer une coordination à distance en matière d’innovation affecte aussi les relations entre les entreprises. Dans une situation de co-conception la distance constitue un frein aux interactions répétées et ralentit le processus en rendant les ajustements parfois difficiles. Il convient à nouveau d’être prudent car la coordination à distance est généralement facilitée par le développement des outils de conception partagée. La notion de distance est en même temps relative à la capacité de déplacement lorsque les interactions nécessaires ne concernent qu’un nombre limité de personnes. Ce type de phénomène a été repéré dans un certain nombre de cas, en particulier dans les industries d’assemblage faisant appel à un nombre d’acteurs dont la coordination simultanée s’effectue sur une base locale (souvent régionale). L’industrie aéronautique en est un bon exemple en région, mais elle n’est pas la seule concernée ainsi qu’en témoigne le cas de Machette (histoire de mobilité n°2). La proximité joue dans le cas de situations d’innovation moins complexes, en tant qu’alternative à une coordination à distance géographique se doublant d’une distance culturelle et linguistique. Dans ce dernier cas en revanche, la solution n’est pas toujours locale, mais souvent nationale, voire européenne (industries type textile ou composants électroniques).

Ces besoins de proximité dans la coordination ne renvoient qu’à un nombre limité de cas dans notre enquête, mais il s’agit-là d’un biais lié à la sélection de cas de mobilité.

Le lien conception – production

Reste enfin la question de l’articulation entre recherche/conception et production au sein même des entreprises. Dans un certain nombre de cas, la conception et la production peuvent être géographiquement séparées : les secteurs de l’automobile et de la pharmacie répondent à cette logique en Aquitaine, même si certaines capacités technologiques sont conservées sur place (ajustement de process ou adaptation de produits).

Il existe, à l’inverse, des situations d’externalisation de la production, avec sourcing hors région, mais qui s’accompagnent d’un maintien local d’une capacité de production, même légère. La maîtrise de l’innovation passe généralement par celle de la production. Dans le cas de produits peu complexes, la réalisation de prototypes ou de quelques séries demeure importante pour le développement des produits (situation que l’on peut rencontrer au sein des industries type textile mais aussi dans la réalisation de composants électroniques spécifiques ou les biotechnologies). Le lien entre production et innovation renforce la maîtrise des deux fonctions. L’enjeu du maintien local de la production n’est donc pas neutre.

Le maintien d’un lien fort entre développement et production constitue la configuration la plus fréquente dans la stratégie d’innovation des entreprises. Ici encore ce sont les industries d’assemblage qui sont principalement concernées, mais pas seulement. Cette contrainte de proximité est bien connue de la littérature sur l’innovation qui met l’accent sur la fréquence des interactions nécessaires au raccourcissement des délais de conception ainsi qu’à l’obtention de solutions technologiques satisfaisantes. Dans le même temps, la pression à la délocalisation de la production la plus intense en main d’œuvre met ces entreprises devant un arbitrage difficile entre production délocalisée et production conservée localement.

Tout ceci conduit les entreprises à opérer un dosage complexe entre la maîtrise des activités en interne, l’externalisation et la délocalisation. Les situations rencontrées sont ainsi variables

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en fonction du secteur, du type de produit et de compétences ou de la distance à laquelle s’effectue la coordination. Un effort important d’innovation ou une complexité forte des produits s’accompagnent généralement d’un besoin de proximité entre conception et production. Dans ces situations, lorsqu’une partie de la production est délocalisée, elle l’est sous forme d’implantation nearshore ou en joint venture : la complexité du produit limite les possibilités d’externalisation à distance. Ceci peut s’interpréter comme une forme d’arbitrage entre externalisation à proximité et maîtrise de la production en interne, ce qui autorise un peu plus de distance géographique. Les choix effectués dépendent ensuite de la relation au marché sur laquelle nous revenons plus loin.

Le poids des stratégies

Il reste enfin à introduire la dimension stratégique. Dès lors que les stratégies d’innovation impliquent un savoir-faire technologique spécifique, les questions de confidentialité deviennent déterminantes. Les relations externes sont alors très encadrées et se prêtent assez mal à des relations à distance lorsque le cœur de métier est concerné. La proximité n’est pas nécessaire à la coordination des entreprises, mais elle devient un moyen de gérer cette confidentialité. Il s’agit d’un frein important à la délocalisation de certaines activités de production ou d’innovation car il s’agit du maintien de la spécificité des actifs de l’entreprise concernée.

De la même façon, les velléités de délocalisation par externalisation sont souvent limitées par le caractère stratégique des savoir-faire de certains sous-traitants locaux (ou nationaux). Les donneurs d’ordres sont souvent confrontés à des choix de répartition de charge qui ne soient pas trop pénalisants pour leurs sous-traitants stratégiques. Le jeu consiste alors à articuler sourcing low cost, pression sur les sous-traitants pour une délocalisation partielle de leurs activités, et « gestion de la survie » de ces sous-traitants. Cette structuration de la chaîne d’approvisionnement, courante dans le secteur aéronautique, a tendance à se généraliser dans d’autres secteurs. La question se pose d’autant plus que la crise accentue le risque de défaillance de certaines entreprises tout en exerçant une pression à l’internalisation de la charge par les donneurs d’ordres. Dans une certaine mesure, la relocalisation de Ford aux Etats-Unis peut s’interpréter comme une nécessité de rapatriement de la charge en interne face au ralentissement de l’activité de l’entreprise. Les choix stratégiques sont donc tout aussi essentiels à la compréhension de cette pyramide de relations.

Il ne faudrait cependant pas en conclure que la proximité (et l’organisation en clusters qui est souvent mise en avant) constitue une panacée en présence d’activités intense en technologies, pour lesquelles la confidentialité et les relations de dépendance supposent des relations spécifiques entre les entreprises et leurs fonctions. Le fait d’être « trop proches » des sous-traitants engendre aussi une relation de dépendance réciproque parfois peu compatible avec des stratégies de diversification ou de multi-sourcing. Cette remarque montre à quel point les relations de proximité sont sensibles et répondent à des logiques parfois contradictoires. La « bonne distance » serait ainsi pour certains celle qui permet de gérer la coordination et la confidentialité, sans se transformer en dépendance réciproque trop forte (diversification du sourcing).

Ces observations amènent plusieurs considérations. Le cas traditionnellement décrit est celui de la conception dans le pays d’origine avec délocalisation des activités de production. Il s’agit d’une situation clairement observée en Aquitaine, mais qui s’accompagne souvent d’un

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maintien de compétences en production indispensable au processus de développement de nouveaux produits ou procédés. Dans cette situation, les politiques d’aide visant à maintenir l’innovation sur le territoire peuvent être justifiées. Notons cependant que si la production a déjà été délocalisée pour des raisons de coûts généralement, le fait que les activités de conception ne partent pas indiquerait que le coût est alors secondaire pour cette activité.

Néanmoins, le besoin d’interactions entre les différentes phases, de façon interne ou externe à l’entreprise, pousse au maintien d’une certaine proximité entre production et conception. Le jeu est alors plus ouvert entre maintien d’une partie de la production et délocalisation des activités pouvant être gérées à distance. On peut donc émettre l’hypothèse d’une relation d’approvisionnement allant d’un simple maintien des activités de conception à l’intégration locale de toutes les activités, et ce en passant par divers niveaux de délocalisation de la production (des tâches simples en sourcing offshore aux tâches plus compliquées par implantation en nearshore).

La tentation est donc forte de chercher à ancrer les activités d’innovation qui sont réputées plus ancrées localement (du fait des autres relations, à la science, au marché ou à la main d’œuvre). Ceci se justifie non seulement lorsque la dissociation entre production et conception est possible, mais aussi lorsque ces activités sont intégrées : ancrer l’innovation permet aussi d’ancrer la production.

Si ces hypothèses sont recevables, le lien peut tout aussi bien être interprété dans l’autre sens : lorsque conception et production sont très liées, le départ de la production peut entraîner celui de la conception. Il ne faut donc pas sous-estimer la dynamique qui se met en place lorsque des activités de production de plus en plus complexes sont délocalisées, car tôt ou tard l’innovation peut elle-même être amenée à suivre. Le cas de l’électronique en région est assez édifiant, les risques autour de l’aéronautique ne sont pas négligeables, et la pression sur certaines activités de service ou d’ingénierie (en particulier le logiciel) montrent aussi que le nearshore offre des alternatives possibles de localisation à bas coûts.

La relation d’approvisionnement est donc porteuse de tendances contradictoires en matière de mobilité des entreprises, mais la concentration de l’action sur l’innovation semble insuffisante dans la mesure où le départ de la production obère très fortement la capacité d’innovation. Les politiques de soutien à l’innovation nous paraissent donc indissociables d’une intervention plus large au niveau de la production.

Il convient cependant de prendre aussi en compte le rôle de la relation commerciale ainsi que de la relation salariale qui participent aussi à l’ancrage local des entreprises.

2.3. La relation commerciale ou l’impératif de qualité

La relation commerciale renvoie à l’étendue des stratégies possibles de positionnement/différenciation face à la concurrence. Cette relation n’est pas source de mobilité dans un certain nombre de cas dans la mesure où les marchés sont parfois nationaux, voire internationaux. Il n’y a alors pas de lien direct avec l’ancrage régional. En revanche, la zone de marché (au sens de la triade Europe, Amérique, Asie) peut elle constituer une des raisons de mobilité de la zone de production. La relation commerciale contribue alors à ancrer les entreprises en France (ou en Europe), les autres relations permettant ensuite de comprendre la logique d’ancrage régional. Il convient donc d’être nuancé.

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D’une manière générale, cette relation est l’un des principaux facteurs d’ancrage des entreprises au travers du besoin de proximité au marché. La relation joue alors dans deux directions opposées : celle de la mobilité induisant un départ de la région (vers d’autres marchés), ou celle de l’ancrage par différenciation ou besoin de proximité au client

La relation commerciale comme facteur de mobilité

Deux principaux motifs de mobilité liés à la relation clients ont été identifiés : l’accès à de nouveaux marchés et la relation au donneur d’ordres.

Le premier motif est bien entendu celui de l’accès à de nouveaux marchés fréquemment observé dans les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique ou de la pharmacie par exemple. Le phénomène correspond en général à une logique d’extension de l’activité des entreprises qui est interprétée comme un signe positif. Le cas Solectron montre cependant que la connaissance que les entreprises acquièrent sur les zones d’implantation et le développement des compétences qui en résultent, autorisent à terme une rationalisation internationale des activités des firmes au détriment de certains espaces. De plus, nous l’avons déjà signalé plus haut, ces implantations facilitent l’apprentissage des firmes en matière de gestion des compétences locales et d’approvisionnement à distance, ce qui facilite d’éventuelles délocalisations ultérieures. On peut ainsi formuler l’hypothèse selon laquelle à partir d’une masse critique d’implantations sur des marchés offshore, le verrou de la distance culturelle et logistique peut s’estomper et devenir un accélérateur des délocalisations. Le secteur de l’électronique est sans doute l’un des plus touchés par ce phénomène.

La logique de pénétration des marchés avec implantation locale ne se limite pas au libre fonctionnement du marché. Les enjeux politiques ne sont pas étrangers à ces mouvements et interviennent à plusieurs niveaux. Tout d’abord celui de la compensation qui impose une production locale ou un transfert de technologie en contrepartie de l’obtention d’un nouveau marché. Cette situation est fréquente dans les secteurs de haute technologie. La compensation permet une contribution au développement des marchés visés et se comprend parfaitement dans une logique de développement économique des zones. Elle peut cependant être considérée comme une forme de délocalisation forcée (logique de substitution) qui inquiète parfois les industriels concernés : ces implantations sont parfois peu compatibles avec la confidentialité et le caractère stratégique de certaines technologies. La situation peut s’avérer d’autant plus hasardeuse que les droits de propriété ne sont pas toujours suffisamment respectés. Ces éléments relèvent cependant plus de considérations stratégiques individuelles (implantation dans une zone selon le cadre législatif du pays d’accueil) et surtout politiques qui ne relèvent pas d’un niveau régional. La menace existe pourtant.

Au-delà de la compensation, les législations et cultures nationales imposent parfois une implantation locale. Certains marchés exigent une forme de reconnaissance nationale pour accepter un producteur étranger. Il s’agit là aussi d’une situation très fréquente dans l’industrie aéronautique, en particulier la pénétration du marché américain s’est généralement faite par implantation de firmes européennes, l’inverse étant vrai aussi (cf le focus sectoriel). Les mouvements croisés observés à ce niveau se compensent en partie, mais ils peuvent être assimilés à des formes de délocalisation dans la mesure où une production est réalisée en dehors de la zone d’origine alors qu’elle aurait pu y être conservée. Nous mesurons encore la difficulté à donner une appréhension précise de ce que recouvrent les délocalisations.

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L’ampleur de ces mouvements ne se limite pas à l’implantation d’une entreprise souhaitant pénétrer un marché. La relation d’approvisionnement (miroir de la relation commerciale pour un fournisseur face à un donneur d’ordres) intervient lorsque la coordination avec un donneur d’ordres implique un suivi à l’étranger de la part des sous-traitants. Ce phénomène de suivi est extrêmement courant et vient amplifier la tendance initiale : la mobilité des grands donneurs d’ordres s’accompagne de celle de leurs principaux sous-traitants. Il en résulte un renforcement et une amplification de la mobilité, et ce quelle qu’en soit la raison. Outre la volonté de pénétrer un nouveau marché, toute délocalisation d’un donneur d’ordres, en particulier pour des raisons de réduction des coûts de production, impose un suivi des sous-traitants pour ces mêmes raisons. La relation commerciale est ainsi une relation de pouvoir par laquelle la satisfaction du client impose la mobilité. Nous avons déjà vu les formes de délocalisations par procuration ou les délocalisations forcées par lesquelles les donneurs d’ordres imposent un sourcing low cost.

L’action publique à ce niveau n’est pas aisée car elle recouvre des dimensions politiques (au sens de la négociation internationale) et stratégiques (au sens de la relation de pouvoir entre les donneurs d’ordres et leurs sous-traitants). Nous laissons de côté le niveau politique qui dépasse à la fois le cadre de notre étude ainsi que le cadre régional.

Du point de vue de la relation verticale en revanche, certaines orientations peuvent être envisagées. Il convient sans doute de maintenir l’attention portée aux grands donneurs d’ordres locaux dont l’ancrage est essentiel au maintien de la base locale de PME sous-traitantes. L’ancrage des groupes locaux est souvent plus fort que celui des groupes nationaux ou internationaux (cf partie 2), et l’autonomie de décision est souvent faible pour ces derniers. Le niveau régional n’est sans doute pas suffisant comme le montre la politique nationale des pôles de compétitivité. Malgré les critiques adressées par ailleurs à ce mode spécifique d’intervention, les pôles de compétitivité constituent un levier d’ancrage de ces groupes.

Du côté des sous-traitants, c’est certainement sur le rééquilibrage de la relation commerciale que peut porter l’action publique. Quatre niveaux d’action sont envisageables : les aides financières, la remontée dans la chaîne de valeur, le soutien à la diversification et enfin, la sensibilisation des donneurs d’ordres à la responsabilité sociale.

Le soutien financier aux PME peut être déterminant de leur autonomie face au donneur d’ordres. L’exemple le plus marquant est sans doute celui du « risk sharing », autrement dit du transfert de charge financière qui pèse sur les PME dans le secteur aéronautique et qui les fragilise, voire ne leur permet plus d’intervenir de façon déterminante dans la chaîne de valeur. Or la pression sur les coûts et la mobilité vers le low cost augmente avec l’éloignement de rang du fournisseur, l’assise financière devient ainsi une façon de maintenir les PME régionales à des niveaux pour lesquels la pression sur les coûts est moins forte.

De façon liée à ce qui précède, la remontée dans la chaîne de valeur induit souvent une relation de dépendance mutuelle (interactions entre relation commerciale et relation d’approvisionnement) réduisant l’asymétrie de pouvoir, et par conséquent l’autonomie de décision du fournisseur. Le soutien à la stratégie d’innovation et de développement d’une offre spécifique des PME régionales va dans cette direction.

Une stratégie alternative pourrait être un soutien à la diversification des activités des PME de façon à les rendre moins dépendantes de leurs clients. Ce choix peut s’avérer risqué et passe par un conseil et une aide à l’identification des opportunités de diversification. Les entreprises rencontrées agissant sur des marchés sectoriellement ou géographiquement

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diversifiés nous sont apparues comme plus ancrées, toutes choses égales par ailleurs bien entendu (eu égard aux autres relations).

Il convient enfin de sensibiliser les donneurs d’ordres à l’impact sur le territoire de leur gestion de la relation d’approvisionnement. Le niveau régional n’est peut-être pas le plus pertinent en la matière, mais leur association à la définition d’une stratégie de développement local par exemple, permet au moins une confrontation des points de vue et une prise de conscience par rapport à une simple approche basée sur les coûts.

La relation à la demande comme stratégie d’ancrage

Dans de nombreux cas, les stratégies développées pour se soustraire à la concurrence par les coûts passent par la relation commerciale. A titre d’exemple, on a pu constater l’influence de la demande des grands comptes, en particulier celles des acteurs publics, sur la stratégie de remontée en gamme, notamment dans la relocalisation de certaines entreprises (exigences de développement durable versus localisation en Chine). Le positionnement stratégique devient ainsi un moyen d’éviter les délocalisations, ou tout au moins d’en atténuer l’ampleur.

Nous avons déjà vu les difficultés d’approvisionnement que peut engendrer la distance culturelle en sourcing offshore. De façon symétrique, les interactions directes avec les clients et la définition précise des besoins passe dans un certain nombre de cas par une localisation à proximité du marché. Bien entendu l’ampleur de ce besoin de proximité avec l’ensemble des activités de l’entreprise dépend des autres relations puisqu’il suffit parfois d’une implantation commerciale sur le marché pour en connaître les tendances. Dans les industries électronique ou du logiciel par exemple, le déplacement temporaire du personnel auprès du client peut être suffisant à la définition des besoins alors que conception et production peuvent être éloignées. En termes de mobilité des entreprises, cette forme de proximité au marché joue finalement plus à l’échelle nationale ou des grandes zones que dans l’ancrage local. Le nearshore reste alors parfaitement compatible avec la connaissance du marché.

Au niveau national, la relation commerciale peut aussi reposer sur la confiance ou l’impact positif du « Made in France ». L’argument vaut pour nombre de cas allant des industries type textile (argument du Made in France) à l’aéronautique (confidentialité) ou la santé (confiance).

Les implications en matière d’intervention publique ne concernent pas directement le niveau local, mais ces éléments sont indispensables à la compréhension des phénomènes d’ancrage et de différenciation commerciale.

La stratégie la plus fréquemment avancée est très certainement celle de la remontée en gamme par différenciation. La stratégie coût n’est pas pour autant abandonnée, mais elle est contournée. Les cas de relocalisation, ou de délocalisation évitée, que nous avons pu observer sont quasi systématiquement associés à une stratégie de montée en gamme. La remontée dans la chaîne de valeur et l’offre de services spécifiques relèvent aussi de ce type de stratégie. Il convient de noter que ce type de stratégie n’exclut pas, bien au contraire, l’externalisation de fonctions moins stratégiques et, par suite, les délocalisations par procuration.

Cette montée en gamme peut être associée à des stratégies de niche, de production en séries courtes dédiées avec des exigences fortes en termes de délais. C’est pour cela que la relation commerciale influence directement les autres relations : approvisionnement et organisation interne (ingénierie concourante, gestion des stocks et du sourcing, etc.), relation

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salariale (besoin de compétences spécifiques), voire financière (impact de la gestion d’un portefeuille client plus diversifié sur le besoin en fond de roulement).

L’innovation joue alors un rôle déterminant, non seulement au niveau technologique bien entendu, mais surtout au niveau organisationnel et souvent serviciel. Ce modèle est transversal à l’ensemble des secteurs, et associe étroitement la conception du produit, sa distribution et le service lié. Cela suppose généralement une volonté forte, de la part des dirigeants, associée à une forte autonomie de décision (cette stratégie aurait été envisageable dans le cas Solectron par exemple). Il en résulte parfois une réduction des aires de marché liée aux petites séries et aux délais de livraison (certains dirigeants utilisent le terme « d’épicerie » pour qualifier ces évolutions) qui impliquent un ancrage local assez fort par la clientèle.

Il s’agit là d’un domaine d’intervention assez traditionnel pour les acteurs publics, mais qui nécessite une compétence forte en matière de ciblage et d’orientation des aides. De plus les aspects technologiques de l’innovation sont plus souvent pris en compte alors que la dimension organisationnelle est au moins aussi importante à ce niveau. Accompagner les stratégies de remontée en gamme implique l’adoption d’une vision très élargie du processus d’innovation.

La protection par les normes

L’élaboration de normes est souvent assimilée à une dérive protectionniste. Sans entrer dans les débats autour de la nature de ces normes et de leur justification, cette dimension est importante dans la plupart des secteurs. La thématique est d’autant plus justifiée qu’elle donne aussi lieu à de nombreuses critiques de la part des entreprises interrogées.

Les normes sont centrales dans la compréhension de la relation commerciale. Elles jouent d’abord dans le sens d’un signal de qualité ou de compétences, parfois de façon très poussée comme dans l’industrie pharmaceutique. Du strict point de vue de la relation commerciale, la normalisation joue le rôle d’une forte barrière à l’entrée qui limite l’étendue des délocalisations. Les normes jouent le même rôle dans le domaine de la pharmacie et de la santé puisque l’accès au marché suppose le respect de normes strictes de traçabilité et de fabrication de substances actives. Les TIC de santé offrent aussi cette configuration d’une localisation contrainte par les normes d’interopérabilité ou de confidentialité des données traitées. Signalons aussi l’opportunité que constitue la réforme des allégations santé pour le domaine de l’alimentation fonctionnelle porté par un pôle de compétitivité. Ces aspects ont été présentés à l’occasion des analyses sectorielles et sont autant de facteurs d’ancrage à proximité du marché, et ce d’autant plus que les entreprises sont associées à la définition de ces normes.

Evidemment, la normalisation est aussi une contrainte pour les entreprises qui doivent s’y conformer. Au-delà du discours souvent répandu à propos des lourdeurs administratives, des difficultés et du coût liés au respect de ces normes, certains dirigeants ont attiré notre attention sur le risque de perte de compétitivité que peuvent constituer les normes lorsqu’elles ne sont exigées que sur le territoire national. Certains produits en provenance de zones à bas coûts sont fabriqués et acheminés en dehors de contrôles efficaces ou de respect des normes de production imposées en France.

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Là encore, le niveau national est évidemment concerné, mais une réflexion plus locale a été régulièrement suggérée. Il est difficile de faire la part des choses entre le discours et la réalité de la perte de compétitivité. Les outils offerts par la responsabilité sociale des entreprises et leur sanction sur le marché (pour certaines multinationales par exemple) ne semblent pas opérer suffisamment pour rétablir l’équilibre compétitif à ce niveau.

Les normes agissent donc au niveau national comme un facteur d’ancrage par la relation commerciale, mais aussi parfois comme un facteur de délocalisation lié à une volonté de contournement d’autres normes (exemple des havres de pollution).

La relation commerciale conduit donc à plaider pour un soutien actif aux stratégies de diversification et de différenciation par l’innovation technologique et organisationnelle, tout en veillant à assurer le soutien nécessaire au respect des normes par les entreprises locales.

2.4. La relation salariale ou l’ancrage par les compétences

Coût, productivité, compétences

Les débats autour du coût de la main d’œuvre sont évidemment au centre de la motivation des délocalisations. La question du coût du travail est souvent appréhendée comme une donnée par les entreprises rencontrées, et non pas comme un sujet de critique. Ceci révèle sans doute l’intégration dans leur approche des délocalisations de questions plus fondamentales de productivité et de compétences de la main d’œuvre.

Globalement, il nous a été confirmé que les délocalisations touchent souvent les parties du processus productif les plus intenses en main d’œuvre. Se pose alors immédiatement la question des compétences locales. Lorsque les délocalisations se font par externalisation, le manque de compétences et de qualification de la main d’œuvre se mesure par la qualité des produits, dont le coût est généralement mesuré et intégré au fur et à mesure de la relation d’approvisionnement. Lorsqu’il s’agit de délocalisation par investissement greenfield ou rachat, le problème se pose directement à l’entreprise qui souhaite délocaliser. Les expériences analysées montrent que le besoin de contrôle et de maîtrise des processus de production impose souvent une délocalisation en nearshore avec échanges de personnel. Dans ce cas, la question des compétences ne semble pas poser directement problème puisque ne sont délocalisées que les activités qui peuvent être menées à distance, en tenant compte de la qualification de la main d’œuvre locale.

La coordination des tâches, en fonction du type et de l’étendue de l’approvisionnement délocalisé, peut se traduire par des besoins importants de contrôle et de déplacement de la main d’œuvre, ce qui a pour effet direct une augmentation de ces coûts de coordination. Dans le même temps, le recours à une main d’œuvre qualifiée et le développement des zones concernées a pour effet une tension sur les salaires locaux qui tend à en réduire les écarts : l’élévation de la qualification de la main d’œuvre dans les pays émergents a pour résultat une élévation de son prix.

Ce débat n’est pas sans rappeler celui du coût global : la coordination de la main d’œuvre et des compétences à distance génère un coût supérieur, et les délocalisations ont un effet (attendu) d’élévation des qualifications, certes, mais aussi du prix de la main d’œuvre au sein de ces zones. Lorsque le niveau de productivité du travail est pris en compte, l’équation du

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coût du travail semble beaucoup moins simple. La question du coût semble difficile à trancher par manque d’information suffisamment précise et exhaustive sur le sujet.

L’arbitrage observé entre coût, productivité et compétences consiste en une délocalisation des activités plutôt standardisées et intenses en main d’œuvre. Ceci pose évidemment la question du devenir de la main d’œuvre peu qualifiée en région.

Le niveau de formation de la main d’œuvre ne se pose pas en des termes renouvelés lorsque les délocalisations sont prises en compte. Il s’agit d’une part d’assurer une formation de haut niveau en cohérence avec les besoins des entreprises régionales dans un contexte de remontée en gamme et de différenciation, tout en ayant une action spécifique en direction des personnes les moins qualifiées.

La disponibilité de la main d’œuvre qualifiée en région, ou la capacité à attirer cette main d’œuvre, ne sont pas apparues comme posant des problèmes particuliers. Au contraire, la satisfaction semble être le sentiment dominant, d’autant que des actions spécifiques à destination de certains secteurs répondent aux besoins exprimés (informatique de santé par exemple). Le point négatif parfois exprimé concerne surtout les besoins de déplacement auprès de la clientèle lorsqu’elle n’est pas régionale. La critique porte alors sur les moyens de transport et la connexion de Bordeaux aux autres villes françaises et européennes.

L’effort mérite donc d’être maintenu dans ce domaine. La poursuite des délocalisations des activités intenses en main d’œuvre moins qualifiée risque par contre de fragiliser une partie des salariés aquitains pour lesquels des solutions de formation et de reclassement devront être trouvées.

Le rôle des universités et des réseaux sociaux

Le potentiel universitaire est souvent au centre des politiques de soutien à l’innovation car il est sensé répondre aux besoins des entreprises locales. Pourtant, les relations avec le potentiel scientifique local ne sont pas forcément la règle, ou ne répondent pas à une nécessité, dans la mesure où leur mobilisation par les entreprises ne concerne que quelques situations ou secteurs particuliers. D’un strict point de vue technologique, la contribution locale des universités à l’innovation peut ainsi apparaître décevante compte tenu des espoirs placés dans ce domaine.

C’est pourtant oublier un certain nombre d’effets indirects qui ont leur importance dans les dynamiques de mobilité des entreprises. Il y a d’abord la qualité de la formation de la main d’œuvre locale, dont nous avons mesuré le caractère satisfaisant au cours de nos entretiens. La qualité de l’offre de formation régionale constitue aussi un signal, à la fois pour les entreprises et les étudiants potentiels qui sont attirés. Il s’agit donc d’un élément essentiel de l’attractivité locale. Le système régional de formation doit donc faire l’objet d’une attention soutenue, en tant que lieu de production et d’attraction de talents.

Une dimension souvent oubliée du système de formation, c’est sa capacité à générer des réseaux sociaux fortement ancrés localement. La littérature académique en sciences sociales insiste beaucoup aujourd’hui sur l’importance des réseaux sociaux dans les dynamiques économiques. Les coopérations et les mises en relations passent souvent par ces réseaux qui sont très ancrés localement : avoir suivi une même formation, être sorti d’une même école ou avoir créé une spinoff expliquent l’ancrage régional de certaines entreprises rencontrées. L’insertion dans les réseaux sociaux constitue un avantage certain pour les entreprises locales

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en instaurant des relations de confiance, mais aussi de dépendance, qui ancrent les activités économiques.

Si les universités et les écoles apportent un savoir faire et des technologies, elles sont aussi au centre de la structuration des réseaux relationnels. La contrepartie négative de ce phénomène concerne le risque de fermeture ou de manque de renouvellement de ces réseaux qui nuisent alors à sa créativité. Il convient alors d’insister sur l’ouverture externe et la mobilité nécessaires à leur renouvellement. Les universités offrent aussi cette ouverture vers l’extérieur grâce au développement de réseaux nationaux et internationaux.

Ainsi même si les réseaux sociaux peuvent largement se développer à distance, ils restent majoritairement locaux et constituent un support majeur de mise en relation et d’ancrage des entreprises régionales. Toute la difficulté réside dans l’étendue des actions possibles à ce niveau, entre renforcement local (synonyme d’ancrage, mais aussi de fermeture) et ouverture extérieure (nécessaire au renouvellement des idées et de l’innovation). L’action sur le système de formation est un levier privilégié, en termes d’image et d’attractivité, mais l’attraction de la main d’œuvre relève aussi de la qualité de vie et de l’accessibilité de la région. Cet élargissement de perspective conduit à aborder des éléments beaucoup plus génériques de la politique régionale d’attractivité et de renforcement du potentiel économique local sur lesquels nous revenons à partir des types d’ancrage rencontrés.

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Conclusion

La région face aux délocalisations : entre actions spécifiques et politiques transversales

La « lutte » contre les délocalisations (départ d’activités implantées en région) implique en miroir de raisonner sur l’attractivité régionale (faculté à attirer et ancrer les activités). L’attractivité régionale est néanmoins un domaine trop large pour être développée dans le cadre précis de ce rapport. Nous faisons le choix de définir les actions envisageables en fonction des types d’ancrage des entreprises rencontrées. Les recommandations formulées en termes d’action publique partent des propositions et commentaires émis par les acteurs concernés, puis tiennent compte des connaissances acquises sur l’ancrage des activités, en particulier sur la fragilité de ces dynamiques.

Face à la complexité du phénomène, l’analyse des quatre relations permet d’identifier de manière ordonnée les facteurs favorables ou défavorables à la mobilité et à la délocalisation des entreprises. Le risque de mobilité, que nous qualifions par le degré d’ancrage, est alors fonction de la combinaison dans le temps et l’espace des quatre relations précitées. Toute la difficulté réside dans l’interprétation de l’importance relative des relations : la relation financière peut pousser aux délocalisations alors que la relation commerciale freine le mouvement par exemple. La diversité des situations envisageables ne fait alors qu’ajouter à la complexité initiale. Il ressort des enquêtes de terrain une extrême diversité des cas rencontrés combinant des dimensions sectorielles, stratégiques (propres aux entreprises) et territoriales (selon les besoins individuels).

Si l’entrée par les quatre relations présentées dans la section précédente permet de faire émerger un certain nombre d’orientations pour les politiques régionales, il convient maintenant de revenir sur deux principes de mise en œuvre induits de l’analyse : le besoin de tenir compte des situations individuelles d’une part, et celui de mener des actions plus structurelles de l’autre.

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Figure 3.12. Ancrage et délocalisations : une lecture selon les quatre relations fondamentales

Relation salariale

Délocalisation - Coût de la main d’oeuvre - Niveau de qualification

en amélioration

Ancrage - Réduction du différentiel

de coût - Productivité de la main

d’œuvre - Niveau de compétences

- Logique de réseaux sociaux

- Confidentialité

Relation d’approvisionnement

Délocalisation

- Niveau des coûts, incertitude sur les coûts - Pression des DO, effet

pingouin - Connaissance des zones

- Coûts de transport - Capacité de négociation

avec les fournisseurs - Fuite des compétences

(innovation suit production)

Ancrage - Distance culturelle aux

zones low cost - Faible dépendance aux DO

- Relation à la science - Nécessité d’interactions

entre les fonctions (conception/production)

- Confidentialité - Maîtrise du transport

Relation financière

Délocalisation - grandes entreprises,

pression des actionnaires - éloignement des centres

de décision

Ancrage - PME autonome,

attachement au territoire - Aides publiques, capital

risque

Relation commerciale

Délocalisation - Pénétration de nouveaux marchés et compensation

- Suivi des DO

Ancrage - Relation client

- Caractéristiques hors coût de la demande

- Réduction des délais, réactivité, adaptation à la

demande : montée en gamme, innovation - Normes locales,

régulation et législation sur les marchés

Contexte spatial

Aménités, attractivité de la zone pour la main d’œuvre

qualifiée

Offre scientifique

Infrastructures de transport

Spécialisations sectorielles et opportunités de coopérations

Intervention politique,

implication institutionnelle des acteurs locaux

Marché local

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1. Une action ciblée

Malgré des déterminants sectoriels parfois forts, le degré d’ancrage et le « risque délocalisation » présentés par les entreprises rencontrées sont très disparates. Une première recommandation consiste à développer une expertise régionale dans le domaine.

Si l’ampleur des délocalisations reste faible en région, le mouvement semble bien s’amplifier (partie 2) et menacer parfois des activités de plus en plus complexes (jugées non délocalisables a priori). Ce rapport contribue à une meilleure compréhension du phénomène, mais il ne peut se substituer à une connaissance plus fine du « terrain ». La grille utilisée pourrait être utilement mobilisée dans le cadre, par exemple de dispositifs d’aide, pour une meilleure évaluation des risques. Face à la diversité des situations envisageables et observées, les actions à mener doivent être individuelles.

A titre d’exemple, la situation d’ancrage « idéale » consisterait en une combinaison particulière des quatre relations constitutives de la stratégie de l’entreprise : absence de pression financière (autonomie de décision), marché local, dépendance aux ressources locales (fournisseurs au rapport à la science) et recours à un savoir-faire spécifique local. Nous n’avons pas rencontré d’entreprise de ce type. Le risque maximum se présente lorsqu’aucune des quatre relations n’est ancrée. Des situations fragiles de ce type résultent de l’histoire industrielle (implantations anciennes, sans raison apparente de mobilité pour l’instant) ou de celle plus individuelle des dirigeants.

Deux questions se posent alors : faut-il renforcer l’ancrage de ces entreprises et, si oui, comment ? La réponse à la première question dépend du risque de mobilité et de ses conséquences probables sur le tissu local. Le risque est supérieur lorsqu’il s’agit d’un établissement d’un groupe non aquitain. La relation financière s’imposera et dominera les autres en cas de remise en cause de l’utilité du site dans la stratégie d’entreprise. Dans cette situation, relativement classique, les solutions sont nécessairement spécifiques. Parmi les quelques cas rencontrés, l’intervention publique anticipant le risque de mobilité semble adaptée, l’efficacité de l’intervention est peu probable lorsque la remise en cause est avérée.

Dans le cas de PME ou d’entreprises autonomes dont l’ancrage ne tient qu’à la volonté des dirigeants (main d’œuvre sans qualifications particulières, peu de relations avec le tissu local et les marchés national ou international), la question de la mobilité se pose peu, si ce n’est dans les caractéristiques du territoire qui en font l’attrait. Nous reviendrons sur cette question. Un risque identifié par l’étude concerne l’évolution de la relation financière par modification de la propriété du capital : la croissance de l’entreprise peut nécessiter des entrées dans le capital qui modifient à terme les arbitrages en faveur de l’implantation locale (lorsque les dirigeants/créateurs perdent leur majorité). C’est le cas par exemple de start up ou de PME de haute technologie dont le succès conduit souvent au rachat de la technologie par des investisseurs externes. S’il s’agit d’une situation économique banale, les implications locales peuvent être moins positives en matière de délocalisations. Cet aspect du financement des entreprises locales doit être surveillé avec attention.

Dans la plupart des cas rencontrés, l’ancrage identifié tenant à une ou plusieurs relations est menacé par l’articulation aux autres relations. Cette situation n’exclut donc pas une fuite du territoire par certaines activités. Les délocalisations ou le sourcing à l’étranger ne sont d’ailleurs pas rares même dans des situations d’ancrage fort. C’est en ce sens que l’on propose une approche individuelle des cas. Avec des modalités comparables d’ancrage, le jeu croisé des différentes relations peut se traduire par des options stratégiques différentes.

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2. Des actions transversales

La région Aquitaine est engagée dans une stratégie de développement économique qui, par son étendue, couvre nombre d’orientations suggérées par le présent rapport. Il ne s’agit pas ici de dresser un état des lieux des orientations de la politique locale. En revanche, les enseignements tirés des travaux d’enquêtes et des différentes analyses conduisent à privilégier une logique d’action articulable au cadre existant de la politique régionale. Ces considérations résultent du caractère transversal aux différentes relations et au territoire de certains « besoins » en termes de mobilité et d’ancrage des activités économiques dans la région. Se dessinent ainsi quatre principales logiques d’action sur le territoire.

Désenclaver l’Aquitaine : l’éternelle question du transport

Des entretiens menés ressort la question du transport : celui des personnes pour des besoins de coordination (relations clients, d’approvisionnement ou relation salariale), mais surtout celui des marchandises. Faciliter les échanges comporte évidemment un risque : celui de faciliter l’approvisionnement externe avant de favoriser le développement local. Toutefois, les évolutions actuelles et la prise en compte croissante des questions environnementales conduiront probablement à une montée des coûts de transport dont on sait qu’elle est porteuse d’une dispersion des activités dans l’espace45. L’hypothèse d’une montée des coûts46 réduisant sensiblement les approvisionnements offshore au profit du nearshore paraît raisonnable.

En tenant compte de ce double effet des moyens de transport sur la mobilité des entreprises (facteur à la fois de mobilité et d’ancrage), il convient donc de poursuivre les efforts en direction des grands équipements de transport régionaux, nationaux, voire européens et d’en réinterroger l’urgence à l’aune des enjeux de mobilité des entreprises.

La question du transport fluvial et des équipements portuaires a souvent été abordée, en particulier pour les questions d’approvisionnement distant. Cette problématique du transport fluvial en Aquitaine (et en France) doit cependant être abordée de façon spécifique en tenant compte des logiques de localisation des entreprises. Celles d’un approvisionnement distant, pour lesquelles les délais sont généralement moins prégnants que les coûts. Puis celles contraintes par la relation commerciale qui conduit à une triple forme d’ancrage par l’offre de services joints, par la réduction des délais et par une capacité de réactivité accrue à la demande. Dans ce contexte, le transport fluvial doit aussi pouvoir apporter une certaine flexibilité sur des distances plus courtes, cohérente avec les impératifs liés à la modification de la relation commerciale.

Cette première série de remarques conduit aux enjeux de l’inter-modalité dans le transport de marchandises. Le développement du fret et du ferroutage se heurtent à de traditionnels effets de rendements croissants d’adoption : l’insuffisance de l’offre interdit le développement de la demande qui ne peut intervenir qu’à partir d’une certaine masse critique

45 Conséquence du besoin d’interactions à proximité : les activités doivent être déconcentrées dans l’espace pour limiter les coûts de transport (rapprochement des lieux de production des marchés). A l’inverse, la diminution des coûts de transport renforce l’agglomération des activités productives dans certaines zones, les marchés pouvant être distants. 46 L’introduction d’une taxe carbone pourrait largement modifier la donne en matière d’approvisionnement low cost en renversant l’avantage coût sur certains pondéreux. Les modalités de sa mise en œuvre à l’international seront d’une importance déterminante. Mais l’évaluation du contenu en carbone d’une production donnée dépend elle-même des formes d’externalisation. Question complexe s’il en est.

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rentabilisant l’investissement initial. Ces questions soulevées au cours des entretiens appellent à la poursuite des efforts dans ce domaine.

Il est cependant possible de s’interroger sur l’opportunité d’un maillage ferroviaire articulant rentabilité des investissements et besoins spécifiques à chaque entreprise en termes de relation d’approvisionnement ou commerciale. La poursuite de la réflexion collective régionale et nationale est nécessaire à ce niveau.

Quant au transport des personnes, les besoins là aussi sont clairement exprimés. Ils ne font que conforter les orientations habituellement souhaitées dans le domaine : une meilleure connectivité de la région passant par un développement accéléré du transport à grande vitesse. Les liaisons aériennes ont aussi fait l’objet de critiques. Enfin, force est de constater que la structuration bipolaire de l’espace aquitain ne facilite pas la prise de décision en la matière. La connectivité à la fois externe et interne à la région doit être améliorée, en particulier en liaison avec la problématique d’interactions étendues que portent les logiques d’innovation et de créativité.

De l’innovation à la créativité : pour une vision élargie de l’innovation

L’étude a mis en exergue la rationalité de la stratégie hors coûts développée par les entreprises face à la concurrence des zones low cost. Dans cette perspective, il n’est pas surprenant de constater que les responsables des entreprises enquêtées se déclarent sensibles aux aides et au soutien de la région à l’innovation. Le dispositif du Crédit impôt recherche a aussi été souvent salué.

Certaines critiques sont apparues par rapport à l’éligibilité des dépenses (le développement d’un logiciel de gestion par exemple). Ceci est sans doute révélateur d’une conception parfois restrictive de l’innovation. Or, l’enjeu des stratégies observées consiste à développer des offres technologiques certes, mais surtout accompagnées de services joints : produit technologique en co-conception, adaptation permanente aux besoins spécifiques du client, services après-vente personnalisé et maintenance, image etc. La technologie en soit ne constitue plus le pilier de la stratégie compétitive des entreprises concernées, mais un élément particulier constitutif d’une relation commerciale intégrée aux autres relations (nouvelles formes d’implication de la main d’œuvre, restructuration de la relation d’approvisionnement et de la chaîne de valeur).

L’innovation apparaît « à tous les étages » et invite à élargir la vision habituelle de l’intervention publique. Le récent rapport du Centre d’analyse stratégique au Premier ministre47 insiste sur la montée de « l’économie de l’usage et de la fonctionnalité à forte valeur ajoutée », les « services cognitifs (R&D, enseignement supérieur, conseil en entreprise, publicité, marketing…) et organisationnels » étant appelés à jouer un rôle décisif dans le développement futur des territoires.

Cette étude confirme l’intérêt de ce type de stratégie territoriale en matière d’ancrage des activités par la relation commerciale, tout en insistant sur son impact sur les autres relations.

47 Cohen D. et alii, Sortie de crise. Vers l’émergence de nouveaux modèles de croissance ?, Rapport du CAE, octobre 2009.

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Ceci a deux implications majeures : la première concerne le besoin d’interactions et d’échanges entre des acteurs différents, la seconde renvoie à la notion de créativité.

Le fait que l’innovation repose sur les interactions n’est pas nouveau. Ce qui est en jeu aujourd’hui serait plus la capacité à étendre le champ des interactions à des domaines habituellement séparés : passage d’une logique de transfert de technologie à une logique d’intégration de compétences éloignées (production, marketing, services). Cela suppose un décloisonnement des actions en faveur de l’innovation et des actions plus génériques en direction de l’industrie, la formation, la culture, etc.

La créativité est une thématique montante dans les travaux sur les dynamiques de la croissance locale, en particulier avec la diffusion des conclusions médiatiques et controversés de Richard Florida. Les développements à ce sujet insistent généralement sur la capacité à attirer et générer des « talents » de façon à stimuler la créativité locale, d’où les recommandations en termes de services cognitifs. Le principal défaut de cette vision de la créativité est son caractère parfois élitiste. La créativité de certaines des entreprises rencontrées entre parfois dans le cadre du « tout cognitif », le niveau de formation des entrepreneurs accompagnant leur créativité. Le cas de Mézom (Histoire n°3) interpelle cette conception dans la mesure où la créativité, et la relocalisation qui en découle, a peu à voir avec une formation d’élite.

Ces tendances récentes transforment les acceptions courantes de l’innovation et des politiques publiques qui les concernent en plaidant pour une approche élargie – d’un domaine réduit le plus souvent à sa dimension technologique – et orientée vers la créativité.

Attraction ou attractivité : opportunités et menaces de la concurrence territoriale

Comme conséquence des propos précédents, l’illusion d’une cohérence d’ensemble qui reviendrait à associer une politique des transports (connectivité) à une politique élargie de l’innovation (créativité) doublée d’une stratégie d’attraction des talents et des entreprises pourrait s’imposer. L’attraction reste un domaine important de la stratégie territoriale dont on peut mesurer l’ampleur dans les représentations régionales à l’occasion de divers salons nationaux ou internationaux ou avec le développement d’un marketing territorial.

L’un des risques de cette conception dite « cohérente » a trait à la concurrence territoriale qui lui est adossée et que peuvent instrumentaliser les entreprises. Des suspicions de ce type sont apparues au cours des entretiens. Elles légitiment d’autant plus l’actualité d’une réflexion en partie renouvelée sur la notion d’ancrage. Ce n’est pas temps l’attraction volontariste d’activités externes qui importe, mais l’attractivité par la dynamique créative du territoire. Ces orientations de politiques locales sont bien évidemment complémentaires, mais la première insiste sur l’allocation d’un stock d’activités existantes entre les territoires, alors que la seconde vise la création d’activités nouvelles. Le renforcement du potentiel de créativité repose par nature sur le degré d’ouverture. L’attraction d’activités extérieures renvoie par définition à une conception plus fermée des territoires en concurrence. La stimulation de la créativité locale passe plutôt par l’activation de réseaux qui doivent dépasser le seul cadre régional.

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Table des matières

Présentation de l’étude 3

Synthèse 11

Partie 1 - Les délocalisations : une réalité controversée 23

Introduction 24

Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on ? 24 1.1. La définition stricto sensu des délocalisations 24 1.2. Elargir la notion de délocalisation : proposition de définition 25 1.3. L’intérêt de la définition : la prise en compte de la complexité du phénomène 26

1.3.1. Les échelles spatiales des délocalisations : à l’international et à l’infranational 27 1.3.2. La compétitivité et l’attractivité des territoires. 28

Section 2. Les délocalisations : quelle quantification du phénomène et quels enjeux sous-jacents ?29 2.2. Les délocalisations : des chiffres aux enjeux sous-jacents 30

2.2.1. Les délocalisations sont marginales. 30 2.2.2. Des délocalisations… à destination des pays développés ! 32 2.2.3. Tous les secteurs sont concernés, mais certains plus que d’autres 33 2.2.4. Peu de différences régionales 33

2.3. Les enjeux sous-jacents des délocalisations 34 2.3.1. L’incertitude sur la mesure 34 2.3.2. La question de la localisation des industries de haute-technologie 34 2.3.3. La montée des Pays Emergents. 35 2.3.4. L’importance des délocalisations à l’échelle locale 35 2.3.5. La question cruciale des activités de recherche et développement (R&D) et des centres décisionnels 35 2.3.6. L’impact incertain de la crise économique 35

Section 3. Les facteurs explicatifs des délocalisations 37 3.1. Les résultats des enquêtes : une motivation par les coûts… mais pas seulement salariaux 37

3.1.1. Les enquêtes de KPMG pour le MEDEF 37 3.1.2. L’enquête des CCI françaises 40 3.1.3. L’enquête Ernst & Young -2009 : une inflexion des critères de localisation 42

3.2. La nécessité d’analyser les mouvements de délocalisation dans le temps 45 3.2.1. Les trois temps du processus de délocalisation 45 3.2.2. Des coûts et des facteurs multiples 46

3.3. Le choix de délocaliser : le processus de décision 48 3.2.1. La temporalité des processus de délocalisation/relocalisation 50 3.2.2. L’influence des contextes sectoriels et spatiaux : attractivité et ancrage 50

4.1. Un bilan globalement positif ? Oui, mais… 52 4.1.1. Un petit détour par la théorie économique : un bilan positif 52 4.1.2. Un bilan plus mitigé au niveau empirique 53

4.2. Face aux délocalisations, quelles recommandations pour quelle politique ? 54 Conclusion de la partie 1 56

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Partie 2 - ESPA : une évaluation de la mobilité des activités économiques en Aquitaine 57

Introduction 58

Section 1. Présentation de la Base de Données des Evolutions des Structures Productives en Aquitaine (ESPA) 59

1.1. L’objectif de la base : évaluer l’évolution des capacités productives 59 1.2. La méthode de construction 60

Section 2. Un panorama général de l’évolution des capacités productives en Aquitaine 63

Section 3. Les créations d’entreprises et les implantations en Aquitaine 71 3.1. Les activités créées/implantées en Aquitaine 71

3.1.1. Approche sectorielle 71 3.1.2. Approche fonctionnelle 74

3.2. Un examen du devenir des établissements créés en 2003 75 3.3. Qui crée des établissements en Aquitaine ? 78

Section 4. Les fermetures, faillites et réductions significatives d’effectifs 81 4.1. Approche sectorielle 81 4.2. Approche fonctionnelle 83

Section 5. Le renforcement du potentiel régional 86 5.1. La mobilité intra-Aquitaine 86 5.2. Les extensions des sites et les accroissements significatifs des effectifs 88

5.2.1. Des extensions essentiellement industrielles 88 5.2.2. Un croisement des données sur les créations, extensions et fermetures selon le statut des têtes de groupes 90

Section 6. Les délocalisations à destination de l’Aquitaine 93 6.1. Les délocalisations de substitution 95 6.2. Les délocalisations d’extension 95 6.3. Les délocalisations de sauvegarde 96

Section 7. Entre attractivité et ancrage : les acquisitions et les prises de participation en Aquitaine 97

Section 8. La mobilité extra-régionale (y compris délocalisations) des entreprises aquitaines 102 8.1. Le choix de la mobilité extra-régionale pour étendre ses capacités productives. 104

8.1.1. L’extension des capacités productives en France 104 8.1.2. L’extension à l’international 105

8.2. Les délocalisations de substitution 107 8.2.1. Les délocalisations infranationales 107 8.2.2. Les délocalisations vers l’étranger 109

195

Partie 3 - Analyse qualitative de la mobilité des firmes : enjeux et orientations pour l’Aquitaine 113

Introduction 114

Chapitre 1 - Histoires de mobilité en Aquitaine 115 Introduction 115 HISTOIRE N°1 - De la délocalisation à la fermeture du site de Canéjan : le cas de Solectron 118

HISTOIRE N°2 - Quand Machette évite de délocaliser : Ancrage de l’entreprise mais délocalisation partielle des sous-traitants 123

HISTOIRE N°3 - Plusieurs cas pour une trajectoire similaire de relocalisation 127

HISTOIRE N°4 - Délocalisation infranationale, sourcing à l’international : le cas de l’entreprise Kapalouest 131

HISTOIRE N°5 - Un cas de délocalisation de la R&D : l’entreprise INGENIA 135

HISTOIRE N°6 - Panoboi : un cas d’ancrage rendu incertain par le risque de délocalisation des clients 136

Conclusion du chapitre 1 139

Chapitre 2 - Synthèse des expériences de mobilité en Aquitaine et pistes d’action 140 Introduction 140 Section 1. Les déterminants de la mobilité : focus sur cinq secteurs en Aquitaine 142

1.1. Focus sur le secteur aéronautique 142 1.2. Focus sur le secteur automobile 147 1.3. Focus sur le secteur pharmaceutique 153 1.4. Focus sur l’informatique de santé 158 1.5. Focus sur le secteur de la glisse 164

Section 2. Les enjeux de la mobilité des firmes en Aquitaine : des faits saillants aux pistes d’action 168

2.1. La relation financière ou la pression actionnariale comme accélérateur des délocalisations ? 168 2.2. La relation d’approvisionnement ou la dictature des coûts 172 2.3. La relation commerciale ou l’impératif de qualité 179 2.4. La relation salariale ou l’ancrage par les compétences 184

Conclusion 187 La région face aux délocalisations : entre actions spécifiques et politiques transversales 187

1. Une action ciblée 189 2. Des actions transversales 190

196

Liste des tableaux et figures

Liste des tableaux

Tableau 1.1. Comparaison des quantifications des délocalisations en France 30

Tableau 1.2. Pertes d’emplois (restructurations et délocalisations, 2003-2006) 31

Tableau 1.3. Emplois délocalisés par secteur 33

Tableau 1.4. Les motivations pour délocaliser (grandes entreprises) en % 37

Tableau 1.5. Les facteurs déterminants pour les délocalisations vers l’étranger 37

Tableau 1.6. Les raisons de l’externalisation (France ou étranger) des PME/PMI (%) 38

Tableau 1.7. Les projets d’investissement à l’international (%) 39

Tableau 1.8. Les motivations de l’investissement à l’international (%) 39

Tableau 1.9. L’apport d’une délocalisation totale ou partielle de la production (%) 40

Tableau 1.10. Les critères déterminants des délocalisations 41

Tableau 1.11. Structure de l’échantillon : les secteurs dans l’enquête de l’ACFCI 42

Tableau 1.12. Les projets d’IDE selon European Investment Monitor 43

Tableau 1.13. Critères de localisation pour une nouvelle opération pour votre entreprise 43

Tableau 1.14. Principaux facteurs de délocalisation selon les quatre relations de la firme 49

Tableau 1.15. Principaux impacts positifs et négatifs des délocalisations. 54

Tableau 1.16 : Les principales mesures d’ajustement structurel préconisées par l’OCDE. 55

Tableau 2.1. Distribution sectorielle des créations/implantations 2003 et 2008 71

Tableau 2.2. Les 10 premiers secteurs (niveau Division 2008) de créations/implantations (2003 et 2008) 72

Figure 2.4 – Distribution fonctionnelle des créations/implantations, 2003 et 2008 75

Figure 2.5. Distribution sectorielle du taux de survie des entreprises créées en 2003 76

Tableau 2.3. Devenir en 2008 des établissements créés/implantés en 2003 77

Tableau 2.4. Statut des têtes de groupes créant/implantant des établissements en Aquitaine, 2003 et 2008 79

Tableau 2.5. Distribution par fonction des unités créées/implantées par des Firmes multinationales en Aquitaine, 2008 (Unité) 79

Tableau 2.6. Distribution sectorielle des fermetures et réductions significatives d’emplois en 2003 et 2008 83

Tableau 2.7. Synthèse sur les opérations de mobilité intra-Aquitaine en 2003 et 2008 87

Figure 2.10. Distribution des cas de mobilité intra-Aquitaine par grands secteurs, 2003 et 2008 87

Tableau 2.8. Les dix principaux secteurs des opérations d’extension, 2003 et 2008 90

Tableau 2.9. Statut des têtes de groupes des entreprises réalisant des extensions, 2003 et 2008 91

Tableau 2.10. Synthèse des opérations selon le statut des têtes de groupes en 2008 91

Tableau 2.11. Provenances et fonctions concernées par les délocalisations vers l’Aquitaine, 2003 et 2008 94

Tableau 2.12. Provenances et logiques des délocalisations vers l’Aquitaine, 2003 et 2008 94

Tableau 2.13. Nationalité/région des acteurs relocalisant des activités en Aquitaine, 2003 et 2008 96

Tableau 2.14. Ventilation par secteur et nationalité/région d’origine des acteurs réalisant les acquisitions (années 2003 et 2008 agrégées ; Unité) 100

197

Tableau 2.15. Distribution des extensions en France par secteurs et fonctions (2008 ; Unités) 104

Tableau 2.16. Modalités utilisées pour les extensions en France (2008 ; Unités) 105

Tableau 2.17. Distribution des extensions à l’international par secteurs et fonctions (2008 ; Unités) 106

Tableau 2.18. Pays destinataires des extensions à l’international par secteurs (2008 ; Unités) 106

Tableau 2.19. Distribution par secteurs des délocalisations vers la France (2008 ; Unités) 108

Tableau 2.20. Conséquence par site aquitain des délocalisations vers la France (2008 ; Unités) 108

Tableau 2.21. Distribution des délocalisations vers l’étranger, secteurs et fonctions (2008 ; Unités) 109

Tableau 2.22. Zones ou pays d’accueil des délocalisations vers l’étranger (2008 ; Unités) 109

Tableau 3.1 : Présentation des histoires d’entreprises 117

Liste des figures

Figure 1.1. Délocalisations et externalisation 27

Figure 1.2. L’attractivité des métropoles françaises 44

Figure 1.3. Un champ concurrentiel structuré autour de 4 piliers 48

Figure 1.4. L’effet de compensation/substitution 53

Figure 2.1 – Nature des opérations enregistrées en 2003 65

Figure 2.2 – Nature des opérations enregistrées en 2008 65

Figure 2.3. – Distribution par objet des opérations en 2003 et 2008 66

Figure 2.4 – Distribution fonctionnelle des créations/implantations, 2003 et 2008 75

Figure 2.5. Distribution sectorielle du taux de survie des entreprises créées en 2003 76

Figure 2.6. Distribution fonctionnelle des taux de survie des entreprises créées ou implantées en 2003 78

Figure 2.7. Rapport Créations/Fermetures par secteur en 2003 et 2008 82

Figure 2.8. Distribution fonctionnelle des Fermetures en 2003 et 2008 84

Figure 2.9. Rapport créations/fermeture par fonction en 2008 85

Figure 2.10. Distribution des cas de mobilité intra-Aquitaine par grands secteurs, 2003 et 2008 87

Figure 2.11. Distribution sectorielle des opérations d’extension, 2003 et 2008 89

Figure 2.12. Distribution sectorielle des extensions réalisées par les firmes multinationales en Aquitaine, 2003 et 2008 92

Figure 2.13. Distribution sectorielle (niveau Division) des délocalisations à destination de l’Aquitaine, années 2003 et 2008 agrégées (unités) 93

Figure 2.14 – Répartition des opérations d’acquisition en 2003 98

Figure 2.15 – Répartition des opérations d’acquisition en 2008 99

Figure 2.16. Répartition des délocalisations au sens large des entreprises aquitaines en 2003 (Unité et pourcentage) 103

Figure 2.17. Répartition des délocalisations au sens large des entreprises aquitaines en 2008 (Unité et pourcentage) 103

Figure 3.1 : Une typologie des principaux cas de mobilité des activités économiques 116

Figure 3.2 : Les évolutions du secteur de la sous-traitance électronique 122

Figure 3.3 : Machette et ses partenaires, avant et après la « non-délocalisation » 123

Figure 3.4 : Les principaux facteurs de délocalisation et de relocalisation dans le cas de Tablar 129

198

Figure 3.5 : L’organisation spatio-productive de Kapalouest 131

Figure 3.6 : Les relations structurantes pour les deux mobilités de Kapalouest 132

Figure 3.7 : Panoboi dans son contexte sectoriel 136

Figure 3.8 : Le secteur aéronautique 144

Figure 3.9 : Le secteur de la pharmacie 155

Figure 3.10 : Le secteur des TIC de santé 162

Figure 3.11 : Le secteur de la glisse 166

Figure 3.12. Ancrage et délocalisations : une lecture selon les quatre relations fondamentales 188