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Revue générale Des réseaux « de nutrition » : pourquoi et comment ? Healthcare networks in nutrition: how and why? Michel Rotily *, Alise Delabre ClinSearch, 1, rue de l’Égalité, 92220 Bagneux, France Reçu le 21 juin 2004 ; accepté le 24 juin 2004 Disponible sur internet le 02 septembre 2004 Résumé Nous nous proposons ici de clarifier la notion de réseaux « de nutrition ». Après un bref rappel de l’historique des réseaux de soins et de santé en France, nous fournissons une définition des réseaux, puis débattons de la question du pourquoi de tels réseaux dans le champ de la nutrition, et du comment les constituer et les évaluer. Bien que l’application de la théorie et de la pratique des réseaux à la nutrition s’impose d’elle-même, les expériences sont actuellement trop peu nombreuses pour pourvoir tirer des enseignements solides. Les réseaux constituent très certainement une stratégie d’avenir pour répondre aux grands défis de la santé publique (dénutrition d’une part, obésité et maladies de surcharge de l’autre). Leur mise en place devrait conduire à terme à une amélioration de l’état nutritionnel de la population mais également à une réorganisation majeure de la prise en charge nutritionnelle et de certaines maladies. De nombreuses tâches doivent être accomplies et de nombreux obstacles restent à surmonter : définition d’objectifs opérationnels, création d’outils adaptés, élaboration de référentiels, faible motivation des professionnels de santé et sociaux, évolution des pratiques médicales, définition de méthodologies d’évaluation spécifiques à la nutrition (e.g. Indicateurs), création de modes de financement souples, adaptés et permettant une pérennisation des réseaux. Les réseaux de nutrition pourraient aider au développement en France d’une véritable politique nutritionnelle qui a jusqu’ici cruellement manqué. Outre la volonté politique et des professionnels de la nutrition, il sera primordial de disposer d’une base d’informations concernant les réseaux de nutrition qui se mettront en place afin qu’un bilan puisse être dressé et des ajustements réalisés. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We hereby intend to clarify the notion of healthcare network in nutrition. Following a brief statement on the background of health and healthcare networks in France, we give a definition of healthcare networks in nutrition. Then we provide some information to answer to the following question: Why do such networks in the nutrition field exist and how to constitute and evaluate them? Although the theory and practice concerning healthcare networks can be surely applied in the nutrition field, the experiences are actually too sparse to provide a strong knowledge in this area. Healthcare networks are certainly a future strategy to take up the great challenges in Public Health (on the one hand, the malnutrition, and on the other hand, obesity and overweight disorders). The development of healthcare networks in nutrition should allow a successful improvement in the nutritional status of the population, as well as a major reorganisation in the clinical practice for nutritional and other disorders. Many efforts must be accomplished, and numerous obstacles must be overcome: definition of operational objectives, creation of adapted tools, development of reference frames, poor motivation of health and social professionals, evolution of medical practices, definition of methodologies for nutrition-specific evaluations (e.g. indicators), creation of flexible sources of income, adapted and enabling the perpetuation of healthcare networks. Healthcare networks in nutrition could help toward the development of real politic in nutrition in France, which was lacking until now. Besides the willing of politics and professionals in nutrition, it will be of primary importance to create a concerning healthcare networks in nutrition newly constituted in order to draw up a new assessment and realise adaptations. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Rotily). Nutrition clinique et métabolisme 18 (2004) 114–119 0985-0562/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2004.06.003

Des réseaux « de nutrition » : pourquoi et comment ?

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Revue générale

Des réseaux « de nutrition » : pourquoi et comment ?

Healthcare networks in nutrition: how and why?

Michel Rotily *, Alise Delabre

ClinSearch, 1, rue de l’Égalité, 92220 Bagneux, France

Reçu le 21 juin 2004 ; accepté le 24 juin 2004

Disponible sur internet le 02 septembre 2004

Résumé

Nous nous proposons ici de clarifier la notion de réseaux « de nutrition ». Après un bref rappel de l’historique des réseaux de soins et desanté en France, nous fournissons une définition des réseaux, puis débattons de la question du pourquoi de tels réseaux dans le champ de lanutrition, et du comment les constituer et les évaluer. Bien que l’application de la théorie et de la pratique des réseaux à la nutrition s’imposed’elle-même, les expériences sont actuellement trop peu nombreuses pour pourvoir tirer des enseignements solides. Les réseaux constituenttrès certainement une stratégie d’avenir pour répondre aux grands défis de la santé publique (dénutrition d’une part, obésité et maladies desurcharge de l’autre). Leur mise en place devrait conduire à terme à une amélioration de l’état nutritionnel de la population mais également àune réorganisation majeure de la prise en charge nutritionnelle et de certaines maladies. De nombreuses tâches doivent être accomplies et denombreux obstacles restent à surmonter : définition d’objectifs opérationnels, création d’outils adaptés, élaboration de référentiels, faiblemotivation des professionnels de santé et sociaux, évolution des pratiques médicales, définition de méthodologies d’évaluation spécifiques àla nutrition (e.g. Indicateurs), création de modes de financement souples, adaptés et permettant une pérennisation des réseaux. Les réseaux denutrition pourraient aider au développement en France d’une véritable politique nutritionnelle qui a jusqu’ici cruellement manqué. Outre lavolonté politique et des professionnels de la nutrition, il sera primordial de disposer d’une base d’informations concernant les réseaux denutrition qui se mettront en place afin qu’un bilan puisse être dressé et des ajustements réalisés.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

We hereby intend to clarify the notion of healthcare network in nutrition. Following a brief statement on the background of health andhealthcare networks in France, we give a definition of healthcare networks in nutrition. Then we provide some information to answer to thefollowing question: Why do such networks in the nutrition field exist and how to constitute and evaluate them? Although the theory andpractice concerning healthcare networks can be surely applied in the nutrition field, the experiences are actually too sparse to provide a strongknowledge in this area. Healthcare networks are certainly a future strategy to take up the great challenges in Public Health (on the one hand,the malnutrition, and on the other hand, obesity and overweight disorders). The development of healthcare networks in nutrition should allowa successful improvement in the nutritional status of the population, as well as a major reorganisation in the clinical practice for nutritional andother disorders. Many efforts must be accomplished, and numerous obstacles must be overcome: definition of operational objectives, creationof adapted tools, development of reference frames, poor motivation of health and social professionals, evolution of medical practices,definition of methodologies for nutrition-specific evaluations (e.g. indicators), creation of flexible sources of income, adapted and enabling theperpetuation of healthcare networks. Healthcare networks in nutrition could help toward the development of real politic in nutrition in France,which was lacking until now. Besides the willing of politics and professionals in nutrition, it will be of primary importance to create aconcerning healthcare networks in nutrition newly constituted in order to draw up a new assessment and realise adaptations.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Rotily).

Nutrition clinique et métabolisme 18 (2004) 114–119

0985-0562/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.nupar.2004.06.003

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Mots-clés : Réseau de soins ; Référentiels ; Indicateurs ; Santé publique ; Nutrition

Keywords: Clinical network; Referential; Indicators; Public health; Nutrition

1. Introduction

Depuis plus d’une dizaine d’années, la notion de réseauxde santé et de soins tend à être de plus en plus utilisée dans lapresse et les congrès médicaux comme dans les discours etles textes sur la politique de santé. Le terme de réseaux estapparu explicitement en 2001 dans le Programme nationalnutrition et santé (PNNS) [1], puis en 2003 dans celui sur lapolitique nutritionnelle dans les établissements de santé [2].L’application du concept des réseaux dans le champ de lanutrition dans une période de crise et de mutation probabledu système de santé français s’inscrit donc parfaitement dansla réflexion actuelle. Force est cependant de constater que lesprofessionnels de santé éprouvent généralement des difficul-tés pour définir ce qu’est ou n’est pas un réseau, et qu’uneambiguïté générale semble régner dans ce domaine.

Nous nous proposons donc dans cet article de clarifier lanotion de réseaux « de nutrition ». Après un bref rappel del’historique des réseaux de soins et de santé en France, nousfournirons une définition des réseaux, puis débattrons de laquestion du pourquoi de tels réseaux dans le champ de lanutrition, et du comment les constituer et les évaluer. Nousferons référence à quelques exemples de réseaux rapportésdans la littérature médicale.

2. Un bref historique des réseaux

Les réseaux de santé sont apparus en France au milieu desannées 1980, principalement à l’initiative de quelques pro-fessionnels désarmés face à la gestion de graves questions desanté publique (e.g. sida, toxicomanie, gérontologie), et seregroupant pour tenter de trouver des solutions. C’est égale-ment à cette époque que la prise de conscience de l’impor-tance de la participation des patients à leur prise en charge etde la nécessité d’une approche globale, incluant notammentles aspects médico-sociaux, s’est imposée. Ce n’est réelle-ment qu’au début des années 1990, avec la circulaire du4 juin 1991, qu’est institutionnalisée l’existence des réseauxville–hôpital dans le cadre de la prévention et de la prise encharge sanitaire et sociale des personnes atteintes du VIH ; lechamp couvert allant alors du préservatif aux soins palliatifsen passant par les appartements thérapeutiques. La mise enplace de réseaux expérimentaux a été ensuite inscrite dans lesordonnances de 1996 (no96-345 du 24 avril 1996) et dans lecode de la Sécurité Sociale (art L. 162.31.1). Quelques ré-seaux ont reçu un agrément ministériel, d’autres se sont misen place en dehors de cette procédure institutionnelle. Lacirculaire no5/99 du 24 mars 1999 a donné aux Unionsrégionales des caisses d’assurance maladie (URCAM) unrôle central puisque ces dernières avaient entre autres pour

mission d’instruire les dossiers présentés par les promoteursde réseaux. La création du Fonds d’aide a la qualité des soinsde ville (FAQSV) (décret no99-940 du 12 novembre 1999)allait constituer un véritable coup d’accélérateur en donnantdes moyens financiers à la création de réseaux mais enn’assurant cependant pas leur pérennité. Plusieurs textes ré-glementaires sont venus par la suite renforcer le soutien à lapolitique des réseaux de soins. Ainsi, la Loi de financementde la sécurité sociale (LFSS) pour l’année 2001 a prévu uneprocédure d’agrément allégée et régionalisée pour les ré-seaux expérimentaux. Les Agences régionales de l’hospitali-sation (ARH) et les URCAM ont mis en place des comitésrégionaux où siégent notamment des représentants des UR-CAM, des ARH, des Directions régionales des affaires sani-taires et sociales et des représentants des Unions régionalesdes médecins libéraux et des établissements de santé. En2002, la LFSS a institué une régionalisation des agréments deréseaux et instauré la création, au sein de l’Objectif nationald’évolution des dépenses d’assurance maladie (ONDAM),d’une Dotation nationale de développement des réseaux(DNDR) devant être répartie au niveau régional. Outre lasimplification administrative dans la création de nouveauxréseaux, cette disposition, en mettant en place une véritabledotation (communément appelée « 5e enveloppes »), devraitmettre fin à terme à l’éclatement actuel des financements etpermettre le renforcement et la pérennité des dispositifstransversaux entre la Ville et l’Hôpital (Décrets du 25 octobreet du 17 décembre 2002, Circulaire DHOS/CNAMTS du19 décembre 2002 et ses annexes du 8 juillet 2003). Actuel-lement, les réseaux tendent à se constituer sur la base duFAQSV et se renforcer à partir de la DNDR. Bien que desstatistiques soient peu disponibles et difficiles à établir, lenombre des réseaux financés par l’état qui était d’environ780 en 1997 (Source : Ministère chargé de la Santé) a proba-blement été multiplié au moins par deux depuis. Des réseauxsont présents dans une série de champs de la médecine :cancérologie, périnatalité, pathologies chroniques (sida, dia-bète, insuffisance rénale, bronchite chronique...), précarité etpathologies de l’enfant, soins palliatifs, toxicomanie... LePNNS est venu renforcer ce dispositif en appuyant à lacréation de réseaux de nutrition [1,2].

3. Pourquoi des réseaux de nutrition ?

Tous les praticiens élaborent un tissu de relations profes-sionnelles centrées sur la complémentarité des spécialitésmédicales pour les besoins du patient, et sur la formationmédicale. Ils se reconnaissent donc généralement comme« travaillant en réseau ». La notion de réseau semble êtreintégrée comme une pratique « naturelle » et tend souvent à

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n’être perçue que comme un nouvel instrument technocrati-que supplémentaire visant avant tout au contrôle de la profes-sion médicale.

La notion de réseau constitue en fait un mode d’organisa-tion particulier qui va bien au-delà du simple « travail enréseau ». Un réseau de soins peut se définir comme unestructure de production de soins, et plus généralement deservices, à l’égard de patients ou d’usagers, agissant suivantun mode coordonné et centré autour du patient, visant àdécloisonner le système de soins et à accroître le niveau descompétences. Il se caractérise par une dynamique d’acteurset constitue un espace de construction collective de nouvellesréférences professionnelles [3]. Les réseaux de santé ontpour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination et lacontinuité aux soins, de permettre une interdisciplinarité desprises en charges sanitaires, notamment celles spécifiques àcertaines populations, pathologies, activités de soins ou cer-taines zones géographiques. Ils entendent donc assurer uneprise en charge adaptée aux besoins de la personne, tant sur leplan de l’éducation de la santé, du diagnostic que des soins.Le réseau comprend ainsi un objectif d’amélioration de laqualité de la prise en charge. Les réseaux sont constituésentre les professionnels de santé libéraux, les médecins dutravail, des établissements de santé, des centres de santé, desinstitutions sociales ou médico-sociales et des organisationsà vocation sanitaire ou sociale, ainsi qu’avec des représen-tants des usagers (Art. L. 6321-1 du Code de Santé Publique).

Le besoin de nouveaux modes d’organisation des soinscomme les réseaux a plusieurs origines. L’évolution destechniques a conduit à un haut niveau de spécialisation ren-dant cependant de plus en plus difficile la prise en chargeglobale du patient. L’arrivée de médicaments et de techni-ques de diagnostic innovants, coûteux et impliquant un hautniveau de connaissance et de savoir-faire risquent d’amener àun plus grand encadrement de la prescription dans lequel leréseau pourrait avoir un rôle clé. L’accumulation desconnaissances et la rapide diffusion d’un nombre croissantd’informations provenant de sources multiples (congrès,journaux, laboratoires pharmaceutiques,...) constituent undéfi quotidien pour le praticien, et impliquent la création deréférences médicales communes, ainsi qu’un travail perma-nent de réflexion qu’il est difficile pour le professionnel isoléde conduire. De son côté, l’exigence croissante des maladestant en terme de qualité des soins que de l’information sur lamaladie et les traitements, et de la volonté du partage de ladécision amènent les professionnels de santé à repenser leursrapports avec les patients comme avec leurs pairs. Les avan-cées dans les techniques d’éducation sanitaire tant dans lechamp de la prévention que dans l’amélioration de la prise encharge (e.g. programmes d’éducation thérapeutique visant àaméliorer l’observance thérapeutique) rendent de plus enplus indispensable l’intervention coordonnée de plusieursdisciplines. De nombreuses questions de santé publique res-tent sans réponse ou bénéficient d’une réponse partielle ouinadaptée. Enfin les contraintes économiques et sociales exi-gent une révision en profondeur de l’organisation des soins àlaquelle peut contribuer la mise en place de réseaux de soins.

L’organisation de type « réseaux de soins » ouvre denombreuses perspectives dans le champ de la nutrition pourplusieurs raisons. La nutrition est en effet par essence unchamp multidisciplinaire dans lequel interviennent de nom-breuses compétences et de nombreux intervenants : nutri-tionnistes, diététicien(ne)s, médecins spécialistes et généra-listes, Comités de liaison alimentation nutrition (CLAN),psychologues, éducateurs, représentants d’usagers, profes-sionnels de la restauration, caisses d’assurance maladies,mutuelles et assurances, services déconcentrés de l’état,... Lanutrition est un déterminant majeur de la santé sur lequel desinterventions sont possibles à la condition qu’elles aient pourobjectif l’augmentation des connaissances et le niveau d’in-formation des usagers, la mise en œuvre de comportementsappropriés, l’adaptation aux paramètres cliniques et biologi-ques, une meilleure offre alimentaire par les services derestauration et les collectivités. Le PNNS cite plusieurs do-maines de la nutrition dans lesquels l’organisation de réseauxpourrait être utile : la lutte contre l’obésité de l’enfant et del’adulte, la prévention des maladies cardiovasculaires et desurcharge alimentaire, la prise en charge de la dénutritionchez les personnes âgées et chez les patients atteints demaladies ayant pour conséquence un état de dénutrition.D’un autre côté, de nombreux réseaux pourraient (devraient)inclure une dimension nutritionnelle, comme par exempleceux spécialisés dans les soins palliatifs, le diabète ou lagérontologie.

4. Quelques exemples de réseaux de nutrition

Il faut en premier lieu reconnaître que les expériences deréseaux de nutrition sont encore trop rares dans ce domaine,que la littérature nationale comme internationale sur le sujetest extrêmement pauvre, et qu’enfin le recul est tout à faitinsuffisant pour se faire une idée de leur impact sur la nutri-tion et la santé.

Les premiers réseaux dans le domaine de la nutrition sesont intéressés à la question de la nutrition entérale et paren-térale. Il est bien établi que cette dernière est une activitétransversale et pluridisciplinaire. La création des CLAN ad’ailleurs été prévue pour répondre à ce problème. Leurimplémentation n’est cependant pas aujourd’hui optimale,mais il est reconnu que les CLAN doivent participer auxréseaux de soins [2]. En Écosse, un réseau national s’est misen place autour de la nutrition parentérale à domicile [4,5].Son but est de permettre aux patients ayant une malabsorp-tion intestinale de bénéficier d’une qualité de vie satisfaisanteet d’aider à leur indépendance vis-à-vis de l’hôpital. Leréseau s’appuie sur un groupe pluridisciplinaire ayant mis aupoint des protocoles opératoires consensuels au plan natio-nal. Les principes d’équité entre les patients et d’assurancede qualité des soins sont centraux dans cette démarche. Unaudit de l’organisation a été réalisé pour s’assurer de l’ac-complissement des objectifs ciblés par le réseau. L’organisa-tion de ce réseau repose sur le principe des « Managed

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Clinical Network » (MCN). Ces derniers sont des groupe-ments de professionnels d’appartenances institutionnellesdiverses, travaillant de manière coordonnée, ayant pour butde produire de manière efficiente des soins de qualité au plusgrand nombre de patients [6]. Les principes sont ceux de laresponsabilité globale du patient par un membre du réseau,d’un travail fondé avant tout sur des recommandations natio-nales, sur le principe d’une assurance de qualité, sur l’impli-cation du patient et sur l’interdisciplinarité du réseau [7]. Lesnotions d’équité des soins et d’assurance qualité sont beau-coup plus marquées que dans la définition française desréseaux de soins. Les MCN sont reconnus comme pouvantstimuler la créativité et l’innovation grâce aux interactionsentre des acteurs de disciplines et d’organisation différents,et susceptibles de constituer des organisations flexibles per-mettant de répondre plus facilement aux évolutions de lamédecine [8].

En France, depuis 1990, le centre médical de Forcilles aétabli un partenariat entre l’hôpital, le médecin traitant et lemédecin spécialiste, mais ne se présente pas comme unréseau de soins a proprement parlé [9]. Ce service à vocationrégionale concerne les patients ayant une pathologie lourde(cancers de la sphère ORL et troubles neurologiques de ladéglutition). Une évaluation réalisée sur neuf années d’expé-riences et près de 4300 patients montre que ce dispositifsemble satisfaire les patients et être efficient sur le planéconomique. Il est très vraisemblable que l’organisation enréseau de soins pourrait contribuer à améliorer la prise encharge des patients. Nous n’avons pas identifié dans la litté-rature sur les réseaux d’autres expériences, ces derniers nefaisant probablement que peu l’objet d’évaluations et depublications dans la littérature référencée.

Une autre expérience de réseau — ou de projet de ré-seau — est celle du centre hospitalier du pays d’Aix-en-Provence, autour du dépistage et de la prise en charge de ladénutrition [10]. La dénutrition fréquente à l’hôpital poseégalement la question de la prise en charge des patientsdénutris en ville, avant autant qu’après leur séjour hospita-lier. Les possibilités de prise en charge en externe à partir del’hôpital, tout comme les possibilités de suivi en hospitalisa-tion de jour sont limitées et ne peuvent répondre à la de-mande des 40 % de patients dénutris habituellement recensésdans les hôpitaux. La prise en charge nutritionnelle en villepose le triple problème d’un nombre important de patientsconcernés, d’un dépistage souvent absent et de profession-nels, au premier rang desquels les médecins généralistes, peuou mal sensibilisés. Plus spécifiquement, l’objectif d’un ré-seau pourrait être pour les professionnels de santé d’avoiraccès à tout moyen leur facilitant le dépistage, le traitement etle suivi nutritionnel adapté des patients dénutris ; d’accroîtreleurs compétences et les moyens mis à leur disposition. Pourles patients, l’objectif d’un tel réseau serait d’améliorer leurétat nutritionnel et leur qualité de vie. L’un des problèmesmajeurs est d’un côté la nécessaire mobilisation des méde-cins de ville autour du réseau et de l’autre leur manqued’implication spontané et de connaissances. Afin de résoudre

ce problème, les porteurs du projet de réseau visent dans unpremier temps à modifier la perception et le comportementdes professionnels de santé et des patients, en les informant etles formant, en particulier les médecins généralistes ; à pro-poser des outils innovants susceptibles de favoriser l’impli-cation des médecins généralistes dans la prise en chargenutritionnelle (e.g. bilans nutritionnels). Le réseau souhaites’appuyer sur des « observateurs » (soignants, travailleurssociaux, pharmaciens,...) qui identifieraient les patients àrisques à l’aide d’une grille de signalement, simple et adaptéeà tout type d’observateur (commission locale d’insertion,autres réseaux de soins, association de patients,...). Ces ob-servateurs auraient pour mission de signaler les patients auréseau, d’alerter le médecin et le patient pour leur proposerun bilan nutritionnel suivant les recommandations del’ANAES. Les objectifs de ce bilan seraient de faire le dia-gnostic de dénutrition ou de risque nutritionnel élevé, demettre en évidence les causes de la dénutrition, d’identifierles causes curables ou réversibles, de proposer un schéma deprise en charge réalisable inspiré des algorithmes del’ANAES, de préciser les objectifs à atteindre. À partir de cebilan, le médecin coordinateur pourrait proposer au médecintraitant des recommandations de prise en charge en s’ap-puyant sur les recommandations édictées par les sociétéssavantes (SFNEP, ANAES,...) et sur les dispositifs existantactuellement.

Une autre expérience concerne une grande question desanté publique, l’obésité de l’enfant. La mission confiée parla Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins(DHOS) au Professeur. Claude Ricour comporte notammentla modélisation et la mise en place des réseaux ville–hôpitalde prévention, de dépistage et de prise en charge de l’obésitéde l’enfant [2]. Trois réseaux se sont constitués à Toulouse,Lyon et en Île-de-France (REPOP). Mis en place en 2001, ilsont obtenu un agrément des commissions régionales desréseaux en 2003. Leur objectif est d’impliquer tous les pro-fessionnels au contact des enfants et de leurs parents dans unprojet coordonné de prévention appropriée à l’âge de l’enfant(naissance, écoles maternelles et primaires, collège...), centrésur un dépistage précoce, notamment avec l’identification defacteurs de risque familiaux et socio-économiques. Le projetest de nature pluridisciplinaire, assure la continuité et laqualité des soins, réalise des actions comme la formation desprofessionnels, la recherche clinique et épidémiologique,l’évaluation de la qualité et de l’efficacité de la prise encharge et des résultats obtenus. Dans ce dispositif, le médecintraitant est l’interlocuteur permanent et correspondant prin-cipal de l’enfant et ses parents, garant de la globalité et de lacohérence de la prise en charge, en lien avec les autres acteursde la ville et de l’hôpital ainsi que les médecins de la santéscolaire et de la protection maternelle et infantile. Les méde-cins recrutés pour participer à ces réseaux s’engagent à faireune triple prescription, portant sur l’activité physique, l’ali-mentation et le changement comportemental, en fonction dumilieu familial de l’enfant obèse. Ils doivent le suivre pen-dant au moins deux ans, à raison d’une consultation par mois

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pendant les six premiers mois, puis plus espacées par la suite.Le médecin perçoit une rémunération pour cette prestation desoins. Les centres hospitaliers référents interviennent au titrede l’expertise et de l’évaluation pluridisciplinaire des obési-tés sévères et/ou compliquées, de la promotion et de lavalidation des outils d’éducation thérapeutique et de la re-cherche. Une coordination médicale et administrative assurela concertation, la gestion et l’évaluation du fonctionnementet des résultats. Un système d’information avec un dossierpartagé est prévu dans le dispositif. Le réseau est agréé par lacommission régionale des réseaux, financé par le FAQSV, laDHOS, le Ministère de la jeunesse et des sports ainsi que lescollectivités locales. En avril 2004, 175 patients étaient in-clus et une trentaine de médecins étaient membres du réseauREPOP Île-de-France [11].

5. Comment constituer un réseau de nutrition ?

La mise en place d’un réseau de nutrition devrait s’appa-renter à celle des réseaux de soins, pour lesquels on disposed’une plus longue expérience. La réalisation d’un état deslieux (étude d’opportunité) et la définition d’objectifs quali-tatifs et quantitatifs sont une étape primordiale (Fig. 1). Lesobjectifs du réseau doivent être très clairement décrits etrésulter d’un consensus entre les professionnels intervenantdans le réseau (objectifs, zone géographique visée, profil despatients/usagers ciblés). Cette étape est souvent délicate etplus longue que prévue initialement, car la logique des ac-teurs (public–privé, médical–social,...) n’est pas spontané-ment évidente, et un travail préparatoire s’avère toujoursindispensable. La prise de contact avec les organismes finan-ceurs, en particulier le comité régional des réseaux (URCA-M–ARH) est également une étape préparatoire incontourna-ble dès que les premières lignes directrices du réseau sontrédigées. La structuration du réseau et son mode d’organisa-tion sont essentiels. Le charisme et la motivation des concep-teurs comme des membres du réseau constituent des avanta-

ges décisifs mais la pérennité du dispositif dépendra avanttout des moyens humains, organisationnels et financiers quiseront définis et obtenus pour le fonctionnement du réseau.Le rôle des intervenants, leurs droits et leurs devoirs doiventêtre dessinés (comité de pilotage opérationnel, comité scien-tifique, comité d’évaluation, groupes de travail,...). La coor-dination et l’animation sont au cœur du réseau. Le coordon-nateur doit être avant tout une personne disponible,organisée, consensuelle et dynamique. Le réseau doit s’ap-puyer sur un système d’information solide qui ne passe parforcément par un dossier informatique partagé. Un dossier dequalité véhiculé par le patient, la création de fiches de liaisonopérationnelles peuvent tout à fait, au moins dans une pre-mière période, être suffisants. Il ne faut en effet pas perdre devue que la constitution d’un dossier partagé informatique estfortement consommatrice de temps, d’énergie et de ressour-ces financières. La priorité doit plutôt être donnée à la créa-tion de procédures opératoires simples et rigoureuses, s’ap-puyant sur des recommandations bien établies. Elles doiventêtre parfaitement adaptées aux modes de travail des acteursdu réseau, admises et intégrées dans la pratique de tous lesacteurs. En cela, leur élaboration par des groupes de travailmultidisciplinaires, leur validation par un comité scientifi-que, et leur intégration dans les programmes de formationsont des gages de leur appropriation par les professionnels.La notion de qualité des soins, de partage des informations,de respect des droits du malade sont des valeurs que doiventpartager tous les acteurs du réseau. La formalisation desoutils (conventions, chartes pour les patients et les profes-sionnels) ne doit enfin pas être laissée pour compte.

L’évaluation des réseaux a donné lieu en France à unelittérature relativement abondante et à l’élaboration de re-commandations [12–14]. Une des premières étapes de l’éva-luation d’un réseau est la définition de questions évaluativescommunes. Tous les acteurs ne s’accordent pas sur ce quesignifie concrètement l’amélioration des soins ou de la santé.Il est donc nécessaire de faire émerger des questions commu-nes, ce qui permettra à terme une plus grande appropriation

Fig. 1. Niveaux d’évaluation d’une intervention en santé.

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des résultats de l’évaluation et au choix d’actions correctives.L’évaluation du réseau doit surtout être pensée en amont, etnon pas en fin de course. Un comité d’évaluation devra ainsidéfinir l’orientation de l’évaluation, ses objectifs et ses mo-dalités de mise en œuvre (règles du jeu, outils, calendrier) dèsla conception du réseau. La présence d’un évaluateur externepermet de renforcer le niveau d’expertise et de disposer durecul que ne peuvent pas toujours avoir les concepteurs duréseau. L’évaluation complète d’un réseau de soins com-prend cinq dimensions [3] :• les conséquences du réseau pour l’usager (degré de parti-

cipation du patient dans la prise en charge, impact de laprise en charge sur le patient, mais également sur saqualité de vie, évaluation de la satisfaction des patients) ;

• les conséquences du réseau sur les trajectoires et les pra-tiques collectives et individuelles (optimisation de la tra-jectoire du patient, qualité des échanges entre les profes-sionnels, amélioration des pratiques individuelles parrapport aux référentiels) ;

• les conséquences du réseau sur l’institutionnalisation dupartenariat entre les professionnels (décloisonnement,complémentarités) ;

• les conséquences en termes de rémunération et de finan-cement (rémunération des professionnels, coût total duréseau...) ;

• les conséquences du réseau sur la réorganisation de l’offrede soins.Sur le plan pratique, une évaluation complète et compre-

nant toutes ces dimensions implique des coûts de réalisationélevés et souvent compatibles avec les objectifs des finan-ceurs. Il parait donc raisonnable d’adapter l’évaluation à lataille et aux objectifs du projet. La méthodologie comportegénéralement des aspects qualitatifs (entretiens semi-directifs, analyse des documents, comparatif entre procédu-res utilisées et recommandations nationales...), des aspectsquantitatifs fondés sur des indicateurs définis avant la miseen place du réseau (nombre de patients inclus, durée de priseen charge, motifs de sortie du réseau, marqueurs nutrition-nels...). Des questionnaires sont administrés aux patients(voire leur entourage) pour évaluer leur satisfaction et leurqualité de vie ; d’autres sont remplis par les professionnels duréseau pour évaluer leur degré de satisfaction et identifier lanature et l’ampleur des problèmes rencontrés. Des analysesplus sophistiquées peuvent être réalisées lorsque existe undossier patient informatisé et qu’il est possible de récupérerdes données. Une analyse économique approfondie n’estgénéralement pas envisageable, en raison du coût élevé pourun projet ; seule une analyse comptable du projet est enpratique réalisée.

6. Conclusion

Les réseaux constituent certainement une stratégie d’ave-nir pour répondre aux grands défis de la santé publique

(dénutrition d’une part, obésité et maladies de surcharge del’autre). Leur mise en place devrait conduire à terme à uneamélioration de l’état nutritionnel de la population maiségalement à une réorganisation majeure de la prise en chargenutritionnelle et de certaines maladies. De nombreuses tâ-ches doivent être accomplies et de nombreux obstacles res-tent à surmonter : définition d’objectifs opérationnels, créa-tion d’outils adaptés, élaboration de référentiels, faiblemotivation des professionnels de santé et sociaux, évolutiondes pratiques médicales, définition de méthodologies d’éva-luation spécifiques à la nutrition (e.g. Indicateurs), créationde modes de financement souples, adaptés et permettant unepérennisation des réseaux. Les réseaux de nutrition pour-raient aider au développement en France d’une véritablepolitique nutritionnelle qui a jusqu’ici cruellement manqué.Outre la volonté politique et des professionnels de la nutri-tion, il sera primordial de disposer d’une base d’informationsconcernant les réseaux de nutrition qui se mettront en placeafin qu’un bilan puisse être dressé et des ajustements réalisés.

Références

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