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BIBEBOOK CHARLES DICKENS CANTIQUE DE NOËL

Dickens Charles - Cantique de Noel

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  • BIBEBOOK

    CHARLES DICKENS

    CANTIQUE DE NOL

  • CHARLES DICKENS

    CANTIQUE DE NOLTraduit par Mlle de Saint-Romain et M. de Goy

    1890

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-0194-3

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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  • Credits

    Sources : Librairie Hachee et Cie, 1890. Bibliothque lectronique dubec

    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

  • LicenceLe texte suivant est une uvre du domaine public ditsous la licence Creatives Commons BY-SA

    Except where otherwise noted, this work is licensed under http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/

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  • CHAPITRE I

    Premier coupletLe spectre de Marley

    M , pour commencer. L-dessus, pas lombredun doute. Le registre mortuaire tait sign par le ministre,le clerc, lentrepreneur des pompes funbres et celui qui avaitmen le deuil. Scrooge lavait sign, et le nom de Scrooge tait bon labourse, quel que ft le papier sur lequel il lui plt dapposer sa signature.

    Le vieux Marley tait aussi mort quun clou de porte. Aention ! je ne veux pas dire que je sache par moi-mme ce quil y a

    de particulirement mort dans un clou de porte. Jaurais pu, quant moi,me sentir port plutt regarder un clou de cercueil comme lemorceau defer le plus mort qui soit dans le commerce ; mais la sagesse de nos anctresclate dans les similitudes, et mes mains profanes niront pas toucher

    1. Locution proverbiale en Angleterre.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    larche sainte ; autrement le pays est perdu. Vous me permerez donc derpter avec nergie que Marley tait aussi mort quun clou de porte.

    Scrooge savait-il quil ft mort ? Sans contredit. Comment aurait-ilpu en tre autrement ? Scrooge et lui taient associs depuis je ne saiscombien dannes. Scrooge tait son seul excuteur testamentaire, le seuladministrateur de son bien, son seul lgataire universel, son unique ami,le seul qui et suivi son convoi. oiqu dire vrai, il ne ft pas si terri-blement boulevers par ce triste vnement, quil ne se montrt un habilehomme daaires le jour mme des funrailles et quil ne let solennispar un march des plus avantageux.

    La mention des funrailles de Marley me ramne mon point de d-part. Il ny a pas de doute que Marley tait mort : ceci doit tre parfaite-ment compris, autrement lhistoire que je vais raconter ne pourrait rienavoir de merveilleux. Si nous ntions bien convaincus que le pre d-Hamlet est mort, avant que la pice commence, il ny aurait rien de plusremarquable le voir rder la nuit, par un vent dest, sur les remparts desa ville, qu voir tout autre monsieur dun ge mr se promener mal propos au milieu des tnbres, dans un lieu rafrachi par la brise, commeserait, par exemple, le cimetire de Saint-Paul, simplement pour frapperdtonnement lesprit faible de son ls.

    Scrooge neaa jamais le nom du vieux Marley. Il tait encore ins-crit, plusieurs annes aprs, au-dessus de la porte du magasin : ScroogeetMarley. La maison de commerce tait connue sous la raison Scrooge etMarley. elquefois des gens peu au courant des aaires lappelaientScrooge-Scrooge, quelquefois Marley tout court ; mais il rpondait ga-lement lun et lautre nom ; pour lui ctait tout un.

    Oh ! il tenait bien le poing ferm sur la meule, le bonhomme Scrooge !Le vieux pcheur tait un avare qui savait saisir fortement, arracher,tordre, pressurer, graer, ne point lcher surtout ! Dur et tranchantcomme une pierre fusil dont jamais lacier na fait jaillir une tincellegnreuse, secret, renferm en lui-mme et solitaire comme une hutre.Le froid qui tait au dedans de lui gelait son vieux visage, pinait sonnez pointu, ridait sa joue, rendait sa dmarche roide et ses yeux rouges,bleuissait ses lvres minces et se manifestait au dehors par le son aigre desa voix. Une gele blanche recouvrait constamment sa tte, ses sourcils et

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    son menton n et nerveux. Il portait toujours et partout avec lui sa tem-prature au-dessous de zro ; il glaait son bureau aux jours caniculaireset ne le dgelait pas dun degr Nol.

    La chaleur et le froid extrieurs avaient peu dinuence sur Scrooge.Les ardeurs de lt ne pouvaient le rchauer, et lhiver le plus rigoureuxne parvenait pas le refroidir. Aucun soue de vent ntait plus pre quelui. Jamais neige en tombant nalla plus droit son but, jamais pluie bat-tante ne fut plus inexorable. Le mauvais temps ne savait par o trouverprise sur lui ; les plus fortes averses, la neige, la grle, les giboules nepouvaient se vanter davoir sur lui quun avantage : elles tombaient sou-vent avec profusion. Scrooge ne connut jamais ce mot.

    Personne ne larrta jamais dans la rue pour lui dire dun air satisfait : Mon cher Scrooge, comment vous portez-vous ? quand viendrez-vousme voir ? Aucunmendiant nimplorait de lui le plus lger secours, aucunenfant ne lui demandait lheure. On ne vit jamais personne, soit homme,soit femme, prier Scrooge, une seule fois dans toute sa vie, de lui indi-quer le chemin de tel ou tel endroit. Les chiens daveugles eux-mmessemblaient le connatre, et, quand ils le voyaient venir, ils entranaientleurs matres sous les portes cochres et dans les ruelles, puis remuaientla queue comme pour dire : Mon pauvre matre aveugle, mieux vaut pasdoeil du tout quun mauvais oeil !

    Mais quimportait Scrooge ? Ctait l prcisment ce quil voulait.Se faire un chemin solitaire le long des grands chemins de la vie frquen-ts par la foule, en avertissant les passants par un criteau quils eussent se tenir distance, ctait pour Scrooge du vrai nanan, comme disentles petits gourmands.

    Un jour, le meilleur de tous les bons jours de lanne, la veille de Nol,le vieux Scrooge tait assis, fort occup, dans son comptoir. Il faisait unfroid vif et perant, le temps tait brumeux ; Scrooge pouvait entendreles gens aller et venir dehors, dans la ruelle, souant dans leurs doigts,respirant avec bruit, se frappant la poitrine avec les mains et tapant despieds sur le trooir pour les rchauer. Trois heures seulement venaientde sonner aux horloges de la Cit, et cependant il tait dj presque nuit. Ilnavait pas fait clair de tout le jour, et les lumires qui paraissaient derrireles fentres des comptoirs voisins ressemblaient des taches de graisse

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    rougetres qui stalaient sur le fond noirtre dun air pais et en quelquesorte palpable. Le brouillard pntrait dans lintrieur des maisons partoutes les fentes et les trous de serrure ; au dehors il tait si dense, que,quoique la rue ft des plus troites, les maisons en face ne paraissaientplus que comme des fantmes. voir les nuages sombres sabaisser deplus en plus et rpandre sur tous les objets une obscurit profonde, onaurait pu croire que la nature tait venue stablir tout prs de l pour yexploiter une brasserie monte sur une vaste chelle.

    La porte du comptoir de Scrooge demeurait ouverte, an quil ptavoir loeil sur son commis qui se tenait un peu plus loin, dans une petitecellule triste, sorte de citerne sombre, occup copier des leres. Scroogeavait un trs petit feu, mais celui du commis tait beaucoup plus petitencore : on aurait dit quil ny avait quun seul morceau de charbon. Ilne pouvait laugmenter, car Scrooge gardait la bote charbon dans sachambre, et toutes les fois que le malheureux entrait avec la pelle, sonpatron ne manquait pas de lui dclarer quil serait forc de le quier.Cest pourquoi le commis meait son cache-nez blanc et essayait de se r-chauer la chandelle ; mais comme ce ntait pas un homme de grandeimaginative, ses eorts demeurrent superus.

    Je vous souhaite un gai Nol, mon oncle, et que Dieu vous garde ! ,cria une voix joyeuse. Ctait la voix du neveu de Scrooge, qui tait venule surprendre si vivement quil navait pas eu le temps de le voir.

    Bah ! dit Scrooge, soise ! Il stait tellement chau dans sa marche rapide par ce temps de

    brouillard et de gele, le neveu de Scrooge, quil en tait tout en feu ; sonvisage tait rouge comme une cerise, ses yeux tincelaient, et la vapeurde son haleine tait encore toute fumante.

    Nol, une soise, mon oncle ! dit le neveu de Scrooge ; ce nest pasl ce que vous voulez dire sans doute ?

    Si fait, rpondit Scrooge. Un gai Nol ! el droit avez-vous dtregai ? elle raison auriez-vous de vous livrer des gaiets ruineuses ?Vous tes dj bien assez pauvre !

    Allons, allons ! reprit gaiement le neveu, quel droit avez-vous dtretriste ? elle raison avez-vous de vous livrer vos chires moroses ?Vous tes dj bien assez riche !

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Bah ! dit encore Scrooge, qui, pour le moment, navait pas unemeilleure rponse prte ; et son bah ! fut suivi de lautre mot : soise !

    Ne soyez pas de mauvaise humeur, mon oncle, t le neveu. Et comment ne pas ltre, repartit loncle, lorsquon vit dans un

    monde de fous tel que celui-ci ? Un gai Nol ! Au diable vos gais Nols !est-ce que Nol, si ce nest une poque pour payer lchance de vosbillets, souvent sans avoir dargent ? un jour o vous vous trouvez plusvieux dune anne et pas plus riche dune heure ? un jour o, la balance devos livres tablie, vous reconnaissez, aprs douze mois couls, que cha-cun des articles qui sy trouvent mentionns vous a laiss sans le moindreprot ? Si je pouvais en faire ma tte, continua Scrooge dun ton indi-gn, tout imbcile qui court les rues avec un gai Nol sur les lvres seraitmis bouillir dans la marmite avec son propre pouding et enterr avecune branche de houx au travers du coeur. Cest comme a.

    Mon oncle ! dit le neveu, voulant se faire lavocat de Nol. Mon neveu ! reprit loncle svrement, ftez Nol votre faon, et

    laissez-moi le fter la mienne. Fter Nol ! rpta le neveu de Scrooge ; mais vous ne le ftez pas,

    mon oncle. Alors laissez-moi ne pas le fter. Grand bien puisse-t-il vous faire !

    Avec cela quil vous a toujours fait grand bien ! Il y a quantit de choses, je lavoue, dont jaurais pu retirer quelque

    bien, sans en avoir prot nanmoins, rpondit le neveu ; Nol entreautres.Mais aumoins ai-je toujours regard le jour deNol quand il est re-venu (meant de ct le respect d son nom sacr et sa divine origine,si on peut les mere de ct en songeant Nol), comme un beau jour,un jour de bienveillance, de pardon, de charit, de plaisir, le seul, dansle long calendrier de lanne, o je sache que tous, hommes et femmes,semblent, par un consentement unanime, ouvrir librement les secrets deleurs coeurs et voir dans les gens au-dessous deux de vrais compagnonsde voyage sur le chemin du tombeau, et non pas une autre race de cra-tures marchant vers un autre but. Cest pourquoi, mon oncle, quoiquilnait jamais mis dans ma poche la moindre pice dor ou dargent, je croisque Nol ma fait vraiment du bien et quil men fera encore ; aussi jerpte : Vive Nol !

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Le commis dans sa citerne applaudit involontairement ; mais, saper-cevant linstant mme quil venait de commere une inconvenance, ilvoulut aiser le feu et ne t quen teindre pour toujours la dernire ap-parence dtincelle.

    e jentende encore le moindre bruit de votre ct, dit Scrooge, etvous fterez votre Nol en perdant votre place. ant vous, monsieur,ajouta-t-il en se tournant vers son neveu, vous tes en vrit un orateurdistingu. Je mtonne que vous nentriez pas au parlement.

    Ne vous fchez pas, mon oncle. Allons, venez dner demain cheznous.

    Scrooge dit quil voudrait le voir au. . . oui, en vrit, il le dit. Il pro-nona le mot tout entier, et dit quil aimerait mieux le voir au d. . . (Lelecteur nira le mot si cela lui plat.)

    Mais pourquoi ? scria son neveu. . . Pourquoi ? Pourquoi vous tes-vous mari ? demanda Scrooge. Parce que jtais amoureux. Parce que vous tiez amoureux ! grommela Scrooge, comme si c-

    tait la plus grosse soise du monde aprs le gai Nol. Bonsoir !Mais, mon oncle, vous ne veniez jamais me voir avant monmariage.

    Pourquoi vous en faire un prtexte pour ne pas venir maintenant ? Bonsoir, dit Scrooge. Je ne dsire rien de vous ; je ne vous demande rien. Pourquoi ne

    serions-nous pas amis ? Bonsoir, dit Scrooge. Je suis pein, bien sincrement pein de vous voir si rsolu. Nous

    navons jamais eu rien lun contre lautre, au moins de mon ct. Mais jaifait cee tentative pour honorer Nol, et je garderai ma bonne humeurde Nol jusquau bout. Ainsi, un gai Nol, mon oncle !

    Bonsoir, dit Scrooge. Et je vous souhaite aussi la bonne anne ! Bonsoir, rpta Scrooge.Son neveu quia la chambre sans dire seulement un mot de mcon-

    tentement. Il sarrta la porte dentre pour faire ses souhaits de bonneanne au commis, qui, bien que gel, tait nanmoins plus chaud queScrooge, car il les lui rendit cordialement.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Voil un autre fou, murmura Scrooge, qui lentendit de sa place : moncommis, avec quinze schellings par semaine, une femme et des enfants,parlant dun gai Nol. Il y a de quoi se retirer aux petites maisons.

    Ce fou e donc, en allant reconduire le neveu le Scrooge, avait in-troduit deux autres personnes. Ctaient deux messieurs de bonne mine,dune gure avenante, qui se tenaient en ce moment, chapeau bas, dansle bureau de Scrooge. Ils avaient la main des registres et des papiers, etle salurent.

    Scrooge et Marley, je crois ? dit lun deux en consultant sa liste.Est-ce M. Scrooge ou M. Marley que jai le plaisir de parler ?

    M. Marley est mort depuis sept ans, rpondit Scrooge. Il y a justesept ans quil est mort, cee nuit mme.

    Nous ne doutons pas que sa gnrosit ne soit bien reprsente parson associ survivant, dit ltranger en prsentant ses pouvoirs pourquter.

    Elle ltait certainement ; car les deux associs se ressemblaient commedeux goues deau. Aumot fcheux de gnrosit, Scrooge frona le sour-cil, hocha la tte et rendit au visiteur ses certicats.

    cee poque joyeuse de lanne, monsieur Scrooge, dit celui-cien prenant une plume, il est plus dsirable encore que dhabitude quenous puissions recueillir un lger secours pour les pauvres et les indigentsqui sourent normment dans la saison o nous sommes. Il y en a desmilliers qui manquent du plus strict ncessaire, et des centaines de millequi nont pas se donner le plus lger bien-tre.

    Ny a-t-il pas des prisons ? demanda Scrooge. Oh ! en trs grand nombre, dit ltranger laissant retomber sa

    plume. Et les maisons de refuge, continua Scrooge, ne sont- elles plus en

    activit ? Pardon, monsieur, rpondit lautre ; et plt Dieu quelles ne le

    fussent pas ! Le moulin de discipline et la loi des pauvres sont toujours en pleine

    vigueur, alors ? dit Scrooge. Toujours ; et ils ont fort faire tous les deux.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Oh ! javais craint, daprs ce que vous me disiez dabord, quequelque circonstance imprvue ne ft venue entraver la marche de cesutiles institutions. Je suis vraiment ravi dapprendre le contraire, ditScrooge.

    Persuads quelles ne peuvent gure fournir une satisfaction chr-tienne du corps et de lme la multitude, quelques-uns dentre nousseorcent de runir une petite somme pour acheter aux pauvres un peude viande et de bire, avec du charbon pour se chauer. Nous choisissonscee poque, parce que cest, de toute lanne, le temps o le besoin sefait le plus vivement sentir, et o labondance fait le plus de plaisir. Pourcombien vous inscrirai-je ?

    Pour rien ! rpondit Scrooge. Vous dsirez garder lanonyme. Je dsire quon me laisse en repos. Puisque vous me demandez ce

    que je dsire, messieurs, voil ma rponse. Je neme rjouis pas moi-mmeNol, et je ne puis fournir aux paresseux lesmoyens de se rjouir. Jaide soutenir les tablissements dont je vous parlais tout lheure ; ils cotentassez cher : ceux qui ne se trouvent pas bien ailleurs nont qu y aller.

    Il y en a beaucoup qui ne le peuvent pas, et beaucoup dautres quiaimeraient mieux mourir.

    Sils aiment mieux mourir, reprit Scrooge, ils feraient trs bien desuivre cee ide et de diminuer lexcdent de la population. Au reste,excusez-moi ; je ne connais pas tout a.

    Mais il vous serait facile de le connatre, observa ltranger. Ce nest pas ma besogne, rpliqua Scrooge. Un homme a bien assez

    de faire ses propres aaires, sans semler de celles des autres. Lesmiennesprennent tout mon temps. Bonsoir, messieurs.

    Voyant clairement quil serait inutile de poursuivre leur requte, lesdeux trangers se retirrent. Scrooge se remit au travail, de plus en pluscontent de lui, et dune humeur plus enjoue qu son ordinaire.

    Cependant le brouillard et lobscurit spaississaient tellement, quelon voyait des gens courir et l par les rues avec des torches allumes,orant leurs services aux cochers pour marcher devant les chevaux etles guider dans leur chemin. Lantique tour dune glise, dont la vieillecloche renfrogne avait toujours lair de regarder Scrooge curieusement

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    son bureau par une fentre gothique pratique dans le mur, devint invi-sible et sonna les heures, les demies et les quarts dans les nuages avec desvibrations tremblantes et prolonges, comme si ses dents eussent claqul-haut dans sa tte gele. Le froid devint intense dans la rue mme. Aucoin de la cour, quelques ouvriers, occups rparer les conduits du gaz,avaient allum un norme brasier, autour duquel se pressait une foule d-hommes et denfants dguenills, se chauant les mains et clignant lesyeux devant la amme avec un air de ravissement. Le robinet de la fon-taine tait dlaiss et les eaux refoules qui staient congeles tout au-tour de lui formaient comme un cadre de glace misanthropique, qui faisaithorreur voir.

    Les lumires brillantes des magasins, o les branches et les baies dehoux ptillaient la chaleur des becs de gaz placs derrire les fentres, je-taient sur les visages ples des passants un reet rougetre. Les boutiquesde marchands de volailles et dpiciers taient devenues comme un dcorsplendide, un glorieux spectacle, qui ne permeait pas de croire que lavulgaire pense de ngoce et de trac et rien dmler avec ce luxe in-usit. Le lord-maire, dans sa puissante forteresse deMansion-House, don-nait ses ordres ses cinquante cuisiniers et ses cinquante sommelierspour fter Nol, comme doit le faire la maison dun lord-maire ; et mmele petit tailleur quil avait condamn, le lundi prcdent, une amendede cinq schellings pour stre laiss arrter dans les rues ivre et faisantun tapage infernal, prparait tout dans son galetas pour le pouding dulendemain, tandis que sa maigre moiti sortait, avec son maigre nourris-son dans les bras, pour aller acheter la boucherie le morceau de boeufindispensable.

    Cependant le brouillard redouble, le froid redouble ! un froid vif, pre,pntrant. Si le bon saint Dunstan avait seulement pinc le nez du diableavec un temps pareil, au lieu de se servir de ses armes familires, cestpour le coup que le malin esprit naurait pas manqu de pousser des hur-lements. Le propritaire dun jeune nez, petit, rong, mch par le froidaam, comme les os sont rongs par les chiens, se baissa devant le troude la serrure de Scrooge pour le rgaler dun chant de Nol ; mais au pre-mier mot de

    Dieu vous aide, mon gai monsieur !

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    e rien ne trouble votre coeur !Scrooge saisit sa rgle avec un geste si nergique que le chanteur sen-

    fuit pouvant, abandonnant le trou de la serrure au brouillard et auxfrimas qui semblrent sy prcipiter vers Scrooge par sympathie.

    Enn lheure de fermer le comptoir arriva. Scrooge descendit de sontabouret dun air bourru, paraissant donner ainsi le signal tacite du d-part au commis qui aendait dans la citerne et qui, teignant aussitt sachandelle, mit son chapeau sur sa tte.

    Vous voudriez avoir toute la journe de demain, je suppose ? ditScrooge.

    Si cela vous convenait, monsieur. Cela ne me convient nullement, et ce nest point juste. Si je vous

    retenais une demi-couronne pour ce jour-l, vous vous croiriez ls, jensuis sr.

    Le commis sourit lgrement. Et cependant, dit Scrooge, vous ne me regardez pas comme ls,

    moi, si je vous paye une journe pour ne rien faire. Le commis observa que cela narrivait quune fois lan. Pauvre excuse pour mere la main dans la poche dun homme tous

    les 25 dcembre, dit Scrooge en boutonnant sa redingote jusquaumenton.Mais je suppose quil vous faut la journe tout entire ; tchez au moinsde men ddommager en venant de bonne heure aprs-demain matin.

    Le commis le promit et Scrooge sortit en grommelant. Le comptoirfut ferm en un clin doeil, et le commis, les deux bouts de son cache-nezblanc pendant jusquau bas de sa veste (car il nlevait pas ses prtentionsjusqu porter une redingote), se mit glisser une vingtaine de fois sur letrooir de Cornhill, la suite dune bande de gamins, en lhonneur de laveille de Nol, et, se dirigeant ensuite vers sa demeure Camden-Town, ily arriva toujours courant de toutes ses forces pour jouer colin-maillard.

    Scrooge prit son triste dner dans la triste taverne o il mangeait dor-dinaire. Ayant lu tous les journaux et charm le reste de la soire en par-courant son livre de comptes, il alla chez lui pour se coucher. Il habitaitun appartement occup autrefois par feu son associ. Ctait une enladede chambres obscures qui faisaient partie dun vieux btiment sombre,situ lextrmit dune ruelle o il avait si peu de raison dtre, quon

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    ne pouvait sempcher de croire quil tait venu se bloir l, un jour que,dans sa jeunesse, il jouait cache-cache avec dautres maisons et ne s-tait plus ensuite souvenu de son chemin. Il tait alors assez vieux et asseztriste, car personne ny habitait, except Scrooge, tous les autres apparte-ments tant lous pour servir de comptoirs ou de bureaux. La cour tait siobscure, que Scrooge lui-mme, quoiquil en connt parfaitement chaquepav, fut oblig de ttonner avec les mains. Le brouillard et les frimas en-veloppaient tellement la vieille porte sombre de la maison, quil semblaitque le gnie de lhiver se tnt assis sur le seuil, absorb dans ses tristesmditations.

    Le fait est quil ny avait absolument rien de particulier dans le mar-teau de la porte, sinon quil tait trop gros : le fait est encore que Scroogelavait vu soir et matin, chaque jour, depuis quil demeurait en ce lieu ;quen outre Scrooge possdait aussi peu de ce quon appelle imaginationquaucun habitant de la Cit de Londres, y compris mme, je crains dtreun peu tmraire, la corporation, les aldermen et les notables. Il faut bienaussi se mere dans lesprit que Scrooge navait pas pens une seule fois Marley, depuis quil avait, cee aprs-midi mme, fait mention de lamort de son ancien associ, laquelle remontait sept ans. on mex-plique alors, si on le peut, comment il se t que Scrooge, au moment o ilmit la clef dans la serrure, vit dans le marteau, sans avoir prononc de pa-roles magiques pour le transformer, non plus un marteau, mais la gurede Marley.

    Oui, vraiment, la gure de Marley ! Ce ntait pas une ombre impn-trable comme les autres objets de la cour, elle paraissait au contraire en-toure dune lueur sinistre, semblable un homard avari dans une caveobscure. Son expression navait rien qui rappelt la colre ou la frocit,mais elle regardait Scrooge commeMarley avait coutume de le faire, avecdes lunees de spectre releves sur son front de revenant. La cheveluretait curieusement souleve comme par un soue ou une vapeur chaude,et, quoique les yeux fussent tout grands ouverts, ils demeuraient parfai-tement immobiles. Cee circonstance et sa couleur livide la rendaienthorrible ; mais lhorreur quprouvait Scrooge sa vue ne semblait pasdu fait de la gure, elle venait plutt de lui-mme et ne tenait pas lex-pression de la physionomie du dfunt. Lorsquil eut considr xement

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    ce phnomne, il ny trouva plus quun marteau.Dire quil ne tressaillit pas ou que son sang ne ressentit point une im-

    pression terrible laquelle il avait t tranger depuis son enfance, seraitun mensonge. Mais il mit la main sur la clef, quil avait lche dabord, latourna brusquement, entra et alluma sa chandelle.

    Il sarrta, unmoment irrsolu, avant de fermer la porte, et commenapar regarder avec prcaution derrire elle, comme sil se ft presque at-tendu tre pouvant par la vue de la queue ele deMarley savanantjusque dans le vestibule. Mais il ny avait rien derrire la porte, exceptles crous et les vis qui y xaient le marteau ; ce que voyant, il dit : Bah !bah ! en la poussant avec violence.

    Le bruit rsonna dans toute la maison comme un tonnerre. Chaquechambre au-dessus et chaque futaille au-dessous, dans la cave du mar-chand de vin, semblait rendre un son particulier pour faire sa partie dansce concert dchos. Scrooge ntait pas homme se laisser erayer pardes chos. Il ferma solidement la porte, traversa le vestibule et montalescalier, prenant le temps dajuster sa chandelle chemin faisant.

    Vous parlez des bons vieux escaliers dautrefois par o lon aurait faitmonter facilement un carrosse six chevaux ou le cortge dun petit actedu parlement ; mais moi, je vous dis que celui de Scrooge tait bien autrechose ; vous auriez pu y faire monter un corbillard, en le prenant dans saplus grande largeur, la barre dappui contre le mur, et la portire du ctede la rampe, et cet t chose facile : il y avait bien assez de place pourcela et plus encore quil nen fallait. Voil peut-tre pourquoi Scroogecrut voir marcher devant lui, dans lobscurit, un convoi funbre. Unedemi-douzaine des becs de gaz de la rue auraient eu peine clairer su-samment le vestibule ; vous pouvez donc supposer quil y faisait jolimentsombre avec la chandelle de Scrooge.

    Il montait toujours, ne sen souciant pas plus que de rien du tout.Lobscurit ne cote pas cher, cest pour cela que Scrooge ne la dtestaitpas. Mais avant de fermer sa lourde porte, il parcourut les pices de sonappartement pour voir si tout tait en ordre. Ctait peut-tre un souvenirinquiet de la mystrieuse gure qui lui troait dans la tte.

    Le salon, la chambre coucher, la chambre de dbarras, tout se trou-vait en ordre. Personne sous la table, personne sous le sofa ; un petit feu

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    dans la grille ; la cuiller et la tasse prtes ; et sur le feu la petite casse-role deau de gruau (car Scrooge avait un rhume de cerveau). Personnesous son lit, personne dans le cabinet, personne dans sa robe de chambresuspendue contre la muraille dans une aitude suspecte. La chambre dedbarras comme dhabitude : un vieux garde-feu, de vieilles savates, deuxpaniers poisson, un lavabo sur trois pieds et un fourgon.

    Parfaitement rassur, Scrooge tira sa porte et senferma double tour,ce qui ntait point son habitude. Ainsi garanti de toute surprise, il ta sacravate, mit sa robe de chambre, ses pantoues et son bonnet de nuit, etsassit devant le feu pour prendre son gruau.

    Ctait, en vrit, un trs petit feu, si peu que rien pour une nuit sifroide. Il fut oblig de sasseoir tout prs et de le couver en quelque sorte,avant de pouvoir extraire la moindre sensation de chaleur dun feu si mes-quin quil aurait tenu dans la main. Le foyer ancien avait t construit, ily a longtemps, par quelque marchand hollandais, et garni tout autour deplaques amandes sur lesquelles on avait reprsent des scnes de l-criture. Il y avait des Can et des Abel, des lles de Pharaon, des reinesde Saba, des messagers angliques descendant au travers des airs sur desnuages semblables des lits de plume, des Abraham, des Balthazar, desaptres sembarquant dans des bateaux en forme de saucire, des cen-taines de gures capables de distraire sa pense ; et cependant, ce visagede Marley, mort depuis sept ans, venait, comme la baguee de lancienprophte, absorber tout le reste. Si chacune de ces plaques vernies etcommenc par tre un cadre vide avec le pouvoir de reprsenter sur sasurface unie quelques formes composes des fragments pars des pen-ses de Scrooge, chaque carreau aurait oert une copie de la tte du vieuxMarley.

    Soise ! , dit Scrooge ; et il se mit marcher dans la chambre delong en large.

    Aprs plusieurs tours, il se rassit. Comme il se renversait la tte dansson fauteuil, son regard sarrta par hasard sur une sonnee hors de ser-vice suspendue dans la chambre et qui, pour quelque dessein depuis long-temps oubli, communiquait avec une pice situe au dernier tage de lamaison. Ce fut avec une extrme surprise, avec une terreur trange, inex-plicable, quau moment o il la regardait, il vit cee sonnee commencer

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    se mere en mouvement. Elle sagita dabord si doucement, qu peinerendit-elle un son ; mais bientt elle sonna double carillon, et toutes lesautres sonnees de la maison se mirent de la partie.

    Cela ne dura peut-tre quune demi-minute ou une minute au plus,mais cee minute pour Scrooge fut aussi longue quune heure. Lessonnees sarrtrent comme elles avaient commenc, toutes en mmetemps. Leur bruit fut remplac par un choc de ferrailles venant de pro-fondeurs souterraines, comme si quelquun tranait une lourde chane surles tonneaux dans la cave du marchand de vin. Scrooge se souvint alorsdavoir ou dire que, dans les maisons hantes par les revenants, ils tra-naient toujours des chanes aprs eux.

    La porte de la cave souvrit avec un horrible fracas, et alors il enten-dit le bruit devenir beaucoup plus fort au rez-de-chausse, puis monterlescalier, et enn savancer directement vers sa porte.

    Soise encore que tout cela ! dit Scrooge ; je ne veux pas y croire. Il changea cependant de couleur, lorsque, sans le moindre temps dar-

    rt, le spectre traversa la porte massive et, pntrant dans la chambre,passa devant ses yeux. Au moment o il entrait, la amme mourante sereleva comme pour crier : Je le reconnais ! cest le spectre de Marley ! ,puis elle retomba.

    Le mme visage, absolument le mme : Marley avec sa queue ele,son gilet ordinaire, ses pantalons collants et ses boes dont les glandsde soie se balanaient en mesure avec sa queue, les pans de son habitet son toupet. La chane quil tranait tait passe autour de sa ceinture ;elle tait longue, tournait autour de lui comme une queue, et tait faite(car Scrooge la considra de prs) de cores-forts, de clefs, de cadenas,de grands-livres, de paperasses et de bourses pesantes en acier. Son corpstait transparent, si bien que Scrooge, en lobservant et regardant traversson gilet, pouvait voir les deux boutons cousus par derrire la taille deson habit.

    Scrooge avait souvent entendu dire que Marley navait pas den-trailles, mais il ne lavait jamais cru jusqualors.

    Non, et mme il ne le croyait pas encore.oique son regard pt tra-verser le fantme doutre en outre, quoiquil le vt l debout devant lui,quoiquil sentt linuence glaciale de ses yeux glacs par la mort, quoi-

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    quil remarqut jusquau tissu du foulard pli qui lui couvrait la tte, enpassant sous son menton, et auquel il navait point pris garde auparavant,il refusait encore de croire et luait contre le tmoignage de ses sens.

    e veut dire ceci ? demanda Scrooge caustique et froid commetoujours. e dsirez-vous de moi ?

    Beaucoup de choses ! Cest la voix de Marley, plus de doute cet gard.i tes-vous ? Demandez-moi qui jtais. i tiez-vous alors ? dit Scrooge, levant la voix. Vous tes bien

    puriste. . . pour une ombre. De mon vivant jtais votre associ, Jacob Marley. Pouvez-vous. . . pouvez-vous vous asseoir ? demanda Scrooge en le

    regardant dun air de doute. Je le puis. Alors faites-le. Scrooge t cee question parce quil ne savait pas si un spectre aussi

    transparent pouvait se trouver dans la condition voulue pour prendre unsige, et il sentait que, si par hasard la chose tait impossible, il le rduirait la ncessit dune explication embarrassante.Mais le fantme sassit vis--vis de lui, de lautre ct de la chemine, comme sil ne faisait que celatoute la journe.

    Vous ne croyez pas en moi ? observa le spectre. Non, dit Scrooge. elle preuve de ma ralit voudriez-vous avoir, outre le tmoi-

    gnage de vos sens ? Je ne sais trop, rpondit Scrooge. Pourquoi doutez-vous de vos sens ? Parce que, rpondit Scrooge, la moindre chose sut pour les aec-

    ter. Il sut dun lger drangement dans lestomac pour les rendre trom-peurs ; et vous pourriez bien ntre au bout du compte quune tranchede boeuf mal digre, une demi-cuillere de moutarde, un morceau defromage, un fragment de pomme de terre mal cuite. i que vous soyez,pour un mort vous sentez plus la bierre que la bire.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Scrooge ntait pas trop dans lhabitude de faire des calembours, et ilse sentait alors rellement, au fond du coeur, fort peu dispos faire leplaisant. La vrit est quil essayait ce badinage comme unmoyen de fairediversion ses penses et de surmonter son eroi, car la voix du spectrele faisait frissonner jusque dans la moelle des os.

    Demeurer assis, mme pour un moment, ses regards arrts sur cesyeux xes, vitreux, ctait l, Scrooge le sentait bien, une preuve diabo-lique. Il y avait aussi quelque chose de vraiment terrible dans cee at-mosphre infernale dont le spectre tait environn. Scrooge ne pouvait lasentir lui-mme, mais elle ntait pas moins relle ; car, quoique le spectrerestt assis, parfaitement immobile, ses cheveux, les basques de son habit,les glands de ses boes taient encore agits comme par la vapeur chaudequi sexhale dun four.

    Voyez-vous ce cure-dent ? dit Scrooge, retournant vivement lacharge, pour donner le change sa frayeur, et dsirant, ne ft-ce quepour une seconde, dtourner de lui le regard du spectre, froid comme unmarbre.

    Oui, rpondit le fantme. Mais vous ne le regardez seulement pas, dit Scrooge. Cela ne mempche pas de le voir, dit le spectre. Eh bien ! reprit Scrooge, je nai qu lavaler, et le reste de mes jours

    je serai perscut par une lgion de lutins, tous de ma propre cration.Soise, je vous dis. . . soise !

    cemot le spectre poussa un cri erayant et secoua sa chane avec unbruit si lugubre et si pouvantable, que Scrooge se cramponna sa chaisepour sempcher de tomber en dfaillance. Mais combien redoubla sonhorreur lorsque le fantme, tant le bandage qui entourait sa tte, commesil tait trop chaud pour le garder dans lintrieur de lappartement, samchoire infrieure retomba sur sa poitrine.

    Scrooge tomba genoux et se cacha le visage dans ses mains.Misricorde ! scria-t-il. pouvantable apparition !. . . pourquoi venez-

    vous me tourmenter ? me mondaine et terrestre ! rpliqua le spectre ; croyez-vous en

    moi ou ny croyez-vous pas ?

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Jy crois, dit Scrooge ; il le faut bien. Mais pourquoi les esprits sepromnent-ils sur terre, et pourquoi viennent-ils me trouver ?

    Cest une obligation de chaque homme, rpondit le spectre, queson me renferme au dedans de lui se mle ses semblables et voyagede tous cts ; si elle ne le fait pendant la vie, elle est condamne le faireaprs la mort. Elle est oblige derrer par le monde. . . (oh ! malheureuxque je suis !). . .. et doit tre tmoin inutile de choses dont il ne lui est pluspossible de prendre sa part, quand elle aurait pu en jouir avec les autressur la terre pour les faire servir son bonheur !

    Le spectre poussa encore un cri, secoua sa chane et tordit ses mainsfantastiques.

    Vous tes enchan ? demanda Scrooge tremblant ; dites-moi pour-quoi.

    Je porte la chane que jai forge pendant ma vie, rpondit le fan-tme. Cest moi qui lai faite anneau par anneau, mtre par mtre ; cestmoi qui lai suspendue autour de mon corps, librement et de ma proprevolont, comme je la porterai toujours de mon plein gr. Est-ce que lemodle vous en parat trange ?

    Scrooge tremblait de plus en plus. Ou bien voudriez-vous savoir, poursuivit le spectre, le poids et la

    longueur du cble norme que vous tranez vous-mme ? Il tait exacte-ment aussi long et aussi pesant que cee chane que vous voyez, il y aaujourdhui sept veilles de Nol. Vous y avez travaill depuis. Cest unebonne chane prsent !

    Scrooge regarda autour de lui sur le plancher, saendant se trouverlui-mme entour de quelque cinquante ou soixante brasses de cbles defer ; mais il ne vit rien.

    Jacob, dit-il dun ton suppliant, mon vieux Jacob Marley, parlez-moiencore. Adressez-moi quelques paroles de consolation, Jacob.

    Je nai pas de consolation donner, reprit le spectre. Les conso-lations viennent dailleurs, Ebenezer Scrooge ; elles sont apportes pardautres ministres dautres espces dhommes que vous. Je ne puis nonplus vous dire tout ce que je voudrais. Je nai plus que trs peu de temps ma disposition. Je ne puis me reposer, je ne puis marrter, je ne puissjourner nulle part. Mon esprit ne scarta jamais gure au-del de notre

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    comptoir ; vous savez, pendant ma vie, mon esprit ne dpassa jamais lestroites limites de notre bureau de change ; et voil pourquoi, maintenant,il me reste faire tant de pnibles voyages.

    Ctait chez Scrooge une habitude de fourrer les mains dans les gous-sets de son pantalon toutes les fois quil devenait pensif. Rchissant ce quavait dit le fantme, il prit la mme aitude, mais sans lever lesyeux et toujours agenouill.

    Il faut donc que vous soyez bien en retard, Jacob, observa Scroogeen vritable homme daaires, quoique avec humilit et dfrence.

    En retard ! rpta le spectre. Mort depuis sept ans, rumina Scrooge, et en route tout ce temps-l. Tout ce temps-l, dit le spectre. . . ni trve ni repos, lincessante tor-

    ture du remords. Vous voyagez vite ? demanda Scrooge. Sur les ailes du vent, rpliqua le fantme. Vous devez avoir vu bien du pays en sept ans , reprit Scrooge.Le spectre, entendant ces paroles, poussa un troisime cri, et produisit

    avec sa chane un cliquetis si horrible dans le morne silence de la nuit, quele guet aurait eu toutes les raisons du monde de le traduire en justice pourcause de tapage nocturne.

    Oh ! captif, enchan, charg de fers ! scria-t-il, pour avoir oublique chaque homme doit sassocier, pour sa part, au grand travail de lhu-manit, prescrit par ltre suprme, et en perptuer le progrs, car ceeterre doit passer dans lternit avant que le bien dont elle est susceptiblesoit entirement dvelopp : pour avoir oubli que limmensit de nos re-grets ne pourra pas compenser les occasions manques dans notre vie !et cependant cest ce que jai fait : oh ! oui, malheureusement, cest ce quejai fait !

    Cependant vous ftes toujours un homme exact, habile en aaires,Jacob, balbutia Scrooge qui commenait en ce moment faire un retoursur lui-mme.

    Les aaires ! scria le fantme en se tordant de nouveau les mains.Cest lhumanit qui tait mon aaire ; cest le bien gnral qui tait monaaire ; cest la charit, la misricorde, la tolrance et la bienveillance ;

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    cest tout cela qui tait mon aaire. Les oprations de mon commercentaient quune goue deau dans le vaste ocan de mes aaires.

    Il releva sa chane de toute la longueur de son bras, comme pour mon-trer la cause de tous ses striles regrets, et la rejeta lourdement terre.

    Cest cee poque de lanne expirante, dit le spectre, que jesoure le plus. Pourquoi ai-je alors travers la foule de mes semblablestoujours les yeux baisss vers les choses de la terre, sans les lever jamaisvers cee toile bnie qui conduisit les mages une pauvre demeure ? Nyavait-il donc pas de pauvres demeures aussi vers lesquelles sa lumire au-rait pu me conduire ?

    Scrooge tait trs eray dentendre le spectre continuer sur ce ton,et il commenait trembler de tous ses membres.

    coutez-moi, scria le fantme. Mon temps est bientt pass. Jcoute, dit Scrooge ; mais pargnez-moi, ne faites pas trop de rh-

    torique, Jacob, je vous en prie. Comment se fait-il que je paraisse devant vous sous une forme que

    vous puissiez voir, je ne saurais le dire. Je me suis assis mainte et maintefois vos cts en restant invisible.

    Ce ntait pas une ide agrable. Scrooge fut saisi de frissons et essuyala sueur qui dcoulait de son front.

    Et ce nest pas mon moindre supplice, continua le spectre. . . Je suisici ce soir pour vous avertir quil vous reste encore une chance et un espoirdchapper ma destine, une chance et un espoir que vous tiendrez demoi, Ebenezer.

    Vous ftes toujours pour moi un bon ami, dit Scrooge. Merci. Vous allez tre hant par trois esprits , ajouta le spectre.La gure de Scrooge devint en un moment aussi ple que celle du

    fantme lui-mme. Est-ce l cee chance et cet espoir dont vous me parliez, Jacob ?

    demanda-t-il dune voix dfaillante. Oui. Je. . . je. . . crois que jaimerais mieux quil nen ft rien, dit Scrooge. Sans leurs visites, reprit le spectre, vous ne pouvez esprer dviter

    mon sort. Aendez-vous recevoir le premier demain quand lhorlogesonnera une heure.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Ne pourrais-je pas les prendre tous la fois pour en nir, Jacob ?insinua Scrooge.

    Aendez le second la mme heure la nuit daprs, et le troisimela nuit suivante, quand le dernier coup de minuit aura cess de vibrer. Necomptez pas me revoir, mais, dans votre propre intrt, ayez soin de vousrappeler ce qui vient de se passer entre nous.

    Aprs avoir ainsi parl, le spectre prit sa mentonnire sur la table etlaacha autour de sa tte comme auparavant. Scrooge le comprit au bruitsec que rent ses dents lorsque les deux mchoires furent runies lune lautre par le bandage. Alors il se hasarda lever les yeux et aperut sonvisiteur surnaturel debout devant lui, portant sa chane roule autour deson bras.

    Lapparition sloigna en marchant reculons ; chaque pas quellefaisait, la fentre se soulevait un peu, de sorte que, quand le spectre letaeinte, elle tait toute grande ouverte. Il t signe Scrooge dapprocher ;celui-ci obit. Lorsquils furent deux pas lun de lautre, lombre de Mar-ley leva la main et lavertit de ne pas approcher davantage. Scrooge sar-rta, non pas tant par obissance que par surprise et par crainte ; car, aumoment o le fantme leva lamain, il entendit des bruits confus dans lair,des sons incohrents de lamentation et de dsespoir, des plaintes duneinexprimable tristesse, des voix de regrets et de remords. Le spectre, ayantun moment prt loreille, se joignit ce choeur lugubre, et svanouit ausein de la nuit ple et sombre.

    Scrooge suivit lombre jusqu la fentre, et, dans sa curiosit hale-tante, il regarda par la croise.

    Lair tait rempli de fantmes errant et l, comme des mes enpeine, exhalant, mesure quils passaient, de profonds gmissements.Chacun deux tranait une chane comme le spectre de Marley ; quelques-uns, en petit nombre (ctaient peut-tre des cabinets de ministres com-plices dune mme politique), taient enchans ensemble ; aucun ntaitlibre. Plusieurs avaient t, pendant leur vie, personnellement connus deScrooge. Il avait t intimement li avec un vieux fantme en gilet blanc, la cheville duquel tait aach un monstrueux anneau de fer et qui selamentait piteusement de ne pouvoir assister une malheureuse femmeavec son enfant quil voyait au-dessous de lui sur le seuil dune porte.

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  • Cantique de Nol Chapitre I

    Le supplice de tous ces spectres consistait videmment en ce quils sef-foraient, mais trop tard, dintervenir dans les aaires humaines, pour yfaire quelque bien ; ils en avaient pour jamais perdu le pouvoir.

    Ces cratures fantastiques se fondirent-elles dans le brouillard ou lebrouillard vint-il les envelopper dans son ombre, Scrooge nen put riensavoir, mais et les ombres et leurs voix steignirent ensemble, et la nuitredevint ce quelle avait t lorsquil tait rentr chez lui.

    Il ferma la fentre : il examina soigneusement la porte par laquelletait entr le fantme. Elle tait ferme double tour, comme il lavaitferme de ses propres mains ; les verrous ntaient point drangs. Il es-saya de dire : Soise ! , mais il sarrta la premire syllabe. Se sentantun grand besoin de repos, soit par suite de lmotion quil avait prouve,des fatigues de la journe, de cet aperu dumonde invisible, ou de la tristeconversation du spectre, soit cause de lheure avance, il alla droit sonlit, sans mme se dshabiller, et sendormit aussitt.

    n

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  • CHAPITRE II

    Deuxime coupletLe premier des trois esprits

    Q S , il faisait si noir, que, regardant de sonlit, il pouvait peine distinguer la fentre transparente des mursopaques de sa chambre. Il seorait de percer lobscurit avecses yeux de furet, lorsque lhorloge dune glise voisine sonna les quatrequarts. Scrooge couta pour savoir lheure.

    son grand tonnement, la lourde cloche alla de six sept, puis desept huit, et ainsi rgulirement jusqu douze ; alors elle sarrta. Mi-nuit ! Il tait deux heures passes quand il stait couch. Lhorloge allaitdonc mal ? Un glaon devait stre introduit dans les rouages. Minuit !

    Scrooge toucha le ressort de sa montre rptition, pour corriger ler-reur de cee horloge qui allait tout de travers. Le petit pouls rapide de lamontre bait douze fois et sarrta.

    Comment ! il nest pas possible, dit Scrooge, que jaie dormi tout un

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    jour et une partie dune seconde nuit. Il nest pas possible quil soit arrivquelque chose au soleil et quil soit minuit midi !

    Cee ide tant de nature linquiter, il sauta bas de son lit et mar-cha ttons vers la fentre. Il fut oblig dessuyer les vitres geles avecla manche de sa robe de chambre avant de pouvoir bien voir, et encoreil ne put pas voir grandchose. Tout ce quil put distinguer, cest que lebrouillard tait toujours trs pais, quil faisait extrmement froid, quonnentendait pas dehors les gens aller et venir et faire grand bruit, commecela aurait indubitablement eu lieu si le jour avait chass la nuit et pritpossession du monde. Ce lui fut un grand soulagement ; car, sans cela queseraient devenues ses leres de change : trois jours de vue, payez M. Ebenezer Scrooge ou son ordre , et ainsi de suite ? de pures hypo-thques sur les brouillards de lHudson.

    Scrooge reprit le chemin de son lit et se mit penser, repenser, penser encore tout cela, toujours et toujours et toujours, sans rien ycomprendre. Plus il pensait, plus il tait embarrass ; et plus il seoraitde ne pas penser, plus il pensait. Le spectre de Marley le troublait exces-sivement. Chaque fois quaprs un mr examen il dcidait, au-dedans delui-mme, que tout cela tait un songe, son esprit, comme un ressort quicesse dtre comprim, retournait en hte sa premire position et luiprsentait le mme problme rsoudre : tait-ce ou ntait-ce pas unsonge ?

    Scrooge demeura dans cet tat jusqu ce que le carillon et sonntrois quarts dheure de plus ; alors il se souvint tout coup que le spectrelavait prvenu dune visite quand le timbre sonnerait une heure. Il rsolutde se tenir veill jusqu ce que lheure ft passe, et considrant quilne lui tait pas plus possible de sendormir que davaler la lune, ctaitpeut-tre la rsolution la plus sage qui ft en son pouvoir.

    Ce quart dheure lui parut si long, quil crut plus dune fois streassoupi sans sen apercevoir, et navoir pas entendu sonner lheure. L-horloge la n frappa son oreille aentive.

    Ding, dong ! Un quart, dit Scrooge comptant. Ding, dong ! La demie ! dit Scrooge.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Ding, dong ! Les trois quarts, dit Scrooge. Ding, dong ! Lheure, lheure ! scria Scrooge triomphant, et rien autre ! Il parlait avant que le timbre de lhorloge et retenti ; mais au moment

    o celui-ci et fait entendre un coup profond, lugubre, sourd, mlanco-lique, une vive lueur brilla aussitt dans la chambre et les rideaux de sonlit furent tirs.

    Les rideaux de son lit furent tirs, vous dis-je, de ct, par une maininvisible ; non pas les rideaux qui tombaient ses pieds ou derrire satte, mais ceux vers lesquels son visage tait tourn. Les rideaux de sonlit furent tirs, et Scrooge, se dressant dans laitude dune personne demi couche, se trouva face face avec le visiteur surnaturel qui lestirait, aussi prs de lui que je le suis maintenant de vous, et notez que jeme tiens debout, en esprit, votre coude.

    Ctait une trange gure. . . celle dun enfant ; et, nanmoins, pasaussi semblable un enfant qu un vieillard vu au travers de quelquemilieu surnaturel, qui lui donnait lair de stre loign distance et da-voir diminu jusquaux proportions dun enfant. Ses cheveux, qui ot-taient autour de son cou et tombaient sur son dos, taient blancs commesi cet t leet de lge ; et, cependant son visage navait pas une ride,sa peau brillait de lincarnat le plus dlicat. Les bras taient trs longs etmusculeux ; les mains de mme, comme sil et possd une force peucommune. Ses jambes et ses pieds, trs dlicatement forms, taient nus,comme les membres suprieurs. Il portait une tunique du blanc le pluspur, et autour de sa taille tait serre une ceinture lumineuse, qui brillaitdun vif clat. Il tenait la main une branche verte de houx frachementcoupe ; et, par un singulier contraste avec cet emblme de lhiver, il avaitses vtements garnis des eurs de lt. Mais la chose la plus trange quift en lui, cest que du sommet de sa tte jaillissait un brillant jet de lu-mire, laide duquel toutes ces choses taient visibles, et do venait,sans doute, que dans ses moments de tristesse, il se servait en guise dechapeau dun grand teignoir, quil tenait prsentement sous son bras.

    Ce ntait point l cependant, en regardant de plus prs, son aributle plus trange aux yeux de Scrooge. Car, comme sa ceinture brillait et

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    reluisait tantt sur un point, tantt sur un autre, ce qui tait clair un mo-ment devenait obscur linstant daprs ; lensemble de sa personne subis-sait aussi ces uctuations et se montrait en consquence sous des aspectsdivers. Tantt ctait un tre avec un seul bras, une seule jambe ou bienvingt jambes, tantt deux jambes sans tte, tantt une tte sans corps ; lesmembres qui disparaissaient la vue ne laissaient pas apercevoir un seulcontour dans lobscurit paisse aumilieu de laquelle ils svanouissaient.Puis, par un prodige singulier, il redevenait lui-mme, aussi distinct etaussi visible que jamais.

    Monsieur, demanda Scrooge, tes-vous lesprit dont la venue mat prdite ?

    Je le suis. La voix tait douce et agrable, singulirement basse, comme si, au

    lieu dtre si prs de lui, il se ft trouv dans lloignement.i tes-vous donc ? demanda Scrooge. Je suis lesprit de Nol pass. Pass depuis longtemps ? demanda Scrooge, remarquant la stature

    du nain. Non, votre dernier Nol. Peut-tre Scrooge naurait pu dire pourquoi, si on le lui avait demand,

    mais il prouvait un dsir tout particulier de voir lesprit coi de sonchapeau, et il le pria de se couvrir.

    Eh quoi ! scria le spectre, voudriez-vous sitt teindre avec desmains mondaines la lumire que je donne ? Nest-ce pas assez que voussoyez un de ceux dont les passions gostes mont fait ce chapeau et meforcent le porter travers les sicles enfonc sur mon front !

    Scrooge nia respectueusement quil et lintention de loenser, etprotesta qu aucune poque de sa vie il navait volontairement coi lesprit. Puis il osa lui demander quelle besogne lamenait.

    Votre bonheur ! dit le fantme.Scrooge se dclara fort reconnaissant, mais il ne put sempcher de

    penser quune nuit de repos non interrompu aurait contribu davantage aeindre ce but. Il fallait que lesprit let entendu penser, car il ditimmdiatement :

    Votre conversion, alors. . . Prenez garde !

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Tout en parlant, il tendit sa forte main, et le saisit doucement par lebras.

    Levez-vous ! et marchez avec moi ! Cet t en vain que Scrooge aurait allgu que le temps et lheure

    ntaient pas propices pour une promenade pied ; que son lit tait chaudet le thermomtre bien au-dessous de glace ; quil tait lgrement vtu,nayant que ses pantoues, sa robe de chambre et son bonnet de nuit ; etquen mme temps il avait mnager son rhume. Pas moyen de rsister cee treinte, quoique aussi douce que celle dune main de femme. Il seleva ; mais, sapercevant que lesprit se dirigeait vers la fentre, il saisit sarobe dans une aitude suppliante.

    Je ne suis quun mortel, lui reprsenta Scrooge, et par consquentje pourrais bien tomber.

    Permeez seulement que ma main vous touche l, dit lesprit met-tant sa main sur le coeur de Scrooge, et vous serez soutenu dans biendautres preuves encore.

    Comme il prononait ces paroles, ils passrent travers la murailleet se trouvrent sur une route en rase campagne, avec des champs dechaque ct. La ville avait entirement disparu : on ne pouvait plus envoir de vestige. Lobscurit et le brouillard staient vanouis en mmetemps, car ctait un jour dhiver, brillant de clart, et la neige couvrait laterre.

    Bon Dieu ! dit Scrooge en joignant les mains tandis quil promenaitses regards autour de lui. Cest en ce lieu que jai t lev ; cest ici quejai pass mon enfance !

    Lesprit le regarda avec bont. Son doux aouchement, quoiquilet t lger et net dur quun instant, avait rveill la sensibilit duvieillard. Il avait la conscience dune foule dodeurs oant dans lair,dont chacune tait associe avec un millier de penses, desprances, dejoies et de proccupations oublies depuis longtemps, bien longtemps !

    Votre lvre tremble, dit le fantme. Et quest-ce que vous avez doncl sur la joue ?

    Rien, dit Scrooge tout bas, dune voix singulirement mue ; ce nestpas la peur qui me creuse les joues ; ce nest rien, cest seulement unefossee que jai l. Menez-moi, je vous prie, o vous voulez.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Vous vous rappelez le chemin ? demanda lesprit. Me le rappeler ! scria Scrooge avec chaleur. . . Je pourrais my re-

    trouver les yeux bands. Il est bien trange alors que vous layez oubli depuis tant dannes !

    observa le fantme. Avanons. Ils marchrent le long de la route, Scrooge reconnaissant chaque

    porte ; chaque poteau, chaque arbre, jusquau moment o un petit bourgapparut dans le lointain, avec son pont, son glise et sa rivire au courssinueux. elques poneys aux longs crins se montrrent en ce momenttroant vers eux, monts par des enfants qui appelaient dautres enfantsjuchs dans des carrioles rustiques et des charrees que conduisaient desfermiers. Tous ces enfants taient trs anims, et changeaient ensemblemille cris varis, jusqu ce que les vastes campagnes furent si rempliesde cee musique joyeuse, que lair mis en vibration riait de lentendre.

    Ce ne sont l que les ombres des choses qui ont t, dit le spectre.Elles ne se doutent pas de notre prsence.

    Les gais voyageurs avancrent vers eux ; et, mesure quils venaient,Scrooge les reconnaissait et appelait chacun deux par son nom. Pour-quoi tait-il rjoui, plus quon ne peut dire, de les voir ? pourquoi sonoeil, ordinairement sans expression, silluminait-il ? pourquoi son coeurbondissait-il mesure quils passaient ? Pourquoi fut-il rempli de bonheurquand il les entendit se souhaiter lun lautre un gai Nol, en se sparantaux carrefours et aux chemins de traverse qui devaient les ramener cha-cun son logis ? tait un gai Nol pour Scrooge ? Foin du gai Nol !el bien lui avait-il jamais fait ?

    Lcole nest pas encore tout fait dserte, dit le fantme. Il y resteencore un enfant solitaire, oubli par ses amis.

    Scrooge dit quil le reconnaissait, et il soupira.Ils quirent la grandroute pour sengager dans un chemin creux par-

    faitement connu de Scrooge, et sapprochrent bientt dune constructionen briques dun rouge sombre, avec un petit dme surmont dune gi-rouee ; sous le toit une cloche tait suspendue. Ctait une maison vaste,mais qui tmoignait des vicissitudes de la fortune ; car on se servait peude ses spacieuses dpendances ; les murs taient humides et couverts demousse, leurs fentres brises et les portes dlabres. Des poules glous-

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    saient et se pavanaient dans les curies ; les remises et les hangars taientenvahis par lherbe. lintrieur, elle navait pas gard plus de restes deson ancien tat ; car, en entrant dans le sombre vestibule, et, en jetant unregard travers les portes ouvertes de plusieurs pices, ils les trouvrentpauvrement meubles, froides et solitaires ; il y avait dans lair une odeurde renferm ; tout, en ce lieu, respirait un dnuement glacial qui donnait penser que ses habitants se levaient souvent avant le jour pour travailler,et navaient pas trop de quoi manger.

    Ils allrent, lesprit et Scrooge, travers le vestibule, une porte si-tue sur le derrire de la maison. Elle souvrit devant eux, et laissa voirune longue salle triste et dserte, que rendaient plus dserte encore desranges de bancs et de pupitres en simple sapin. lun de ces pupitres,prs dun faible feu, lisait un enfant demeur tout seul ; Scrooge sassit surun banc et pleura en se reconnaissant lui-mme, oubli, dlaiss commeil avait coutume de ltre alors.

    Pas un cho endormi dans la maison, pas un cri des souris se livrantbataille derrire les boiseries, pas un son produit par le jet deau demigel, tombant goue goue dans larrire-cour, pas un soupir du ventparmi les branches sans feuilles dun peuplier dcourag, pas un bae-ment sourd dune porte de magasin vide, non, non, pas le plus lger p-tillement du feu qui ne ft sentir au coeur de Scrooge sa douce inuence,et ne donnt un plus libre cours ses larmes.

    Lesprit lui toucha le bras et lui montra lenfant, cet autre lui-mme,aentif sa lecture.

    Soudain, un homme vtu dun costume tranger, visible, comme jevous vois, parut debout derrire la fentre, avec une hache aache saceinture, et conduisant par le licou un ne charg de bois. Mais cestAli-Baba ! scria Scrooge en extase. Cest le bon vieil Ali-Baba, lhonntehomme ! Oui, oui, je le reconnais. Cest un jour de Nol que cet enfantl-bas avait t laiss ici tout seul, et que lui il vint, pour la premirefois, prcisment accoutr comme cela. Pauvre enfant ! Et Valentin, ditScrooge, et son coquin de frre, Orson ; les voil aussi. Et quel est son nom celui-l, qui fut dpos tout endormi, presque nu, la porte de Damas ;ne le voyez-vous pas ? Et le palefrenier du sultan renvers sens dessusdessous par les gnies ; le voil la tte en bas ! Bon ! traitez-le comme il le

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    mrite ; jen suis bien aise. avait-il besoin dpouser la princesse ! elle surprise pour ses confrres de la Cit, sils avaient pu entendre

    Scrooge dpenser tout ce que sa nature avait dardeur et dnergie sex-tasier sur de tels souvenirs, moiti riant, moiti pleurant, avec un son devoix des plus extraordinaires, et voir lanimation empreinte sur les traitsde son visage !

    Voil le perroquet ! continua-t-il ; le corps vert et la queue jaune,avec une huppe semblable une laitue sur le haut de la tte ; le voil ! Pauvre Robinson Cruso ! lui criait-il quand il revint au logis, aprsavoir fait le tour de lle en canot. Pauvre Robinson Cruso, o avez-vous t, Robinson Cruso ? Lhomme croyait rver, mais non, il nervait pas. Ctait le perroquet, vous savez. Voil Vendredi courant lapetite baie pour sauver sa vie ! Allons, vite, courage, houp !

    Puis, passant dun sujet un autre avec une rapidit qui ntait pointdans son caractre, touch de compassion pour cet autre lui-mme quilisait ces contes : Pauvre enfant ! rpta-t-il, et il se mit encore pleu-rer.

    Je voudrais. . . murmura Scrooge en meant la main dans sa pocheet en regardant autour de lui aprs stre essuy les yeux avec sa manche ;mais il est trop tard maintenant.

    y a-t-il ? demanda lesprit. Rien, dit Scrooge, rien. Je pensais un enfant qui chantait un Nol

    hier soir ma porte ; je voudrais lui avoir donn quelque chose : voiltout.

    Le fantme sourit dun air pensif, et de la main, lui t signe de se taireen disant : Voyons un autre Nol.

    ces mots, Scrooge vit son autre lui-mme dj grandi, et la salledevint un peu plus sombre et un peu plus sale. Les panneaux staientfendills, les fentres taient crevasses, des fragments de pltre taienttombs du plafond, et les laes se montraient dcouvert. Mais com-ment tous ces changements vue se faisaient-ils ? Scrooge ne le savaitpas plus que vous. Il savait seulement que ctait exact, que tout staitpass comme cela, quil se trouvait l, seul encore, tandis que tous lesautres jeunes garons taient alls passer les joyeux jours de fte dansleurs familles.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Maintenant il ne lisait plus, mais se promenait de long en large enproie au dsespoir. Scrooge regarda le spectre ; puis, avec un triste ho-chement de tte, jeta du ct de la porte un coup doeil plein danxit.

    Elle souvrit ; et une petite lle, beaucoup plus jeune que lcolier, en-tra comme un trait ; elle passa ses bras autour de son cou et lembrassaplusieurs fois en lui disant : Cher, cher frre ! Je suis venue pour vousemmener la maison, cher frre, dit-elle en frappant ses petites mainslune contre lautre, et toute courbe en deux force de rire. Vous emme-ner la maison, la maison, la maison !

    la maison, petite Fanny ? rpta lenfant. Oui, dit-elle radieuse. la maison, pour tout de bon, la maison,

    pour toujours, toujours. Papa est maintenant si bon, en comparaison de cequil tait autrefois, que la maison est comme un paradis ! Un de ces soirs,comme jallais me coucher, il me parla avec une si grande tendresse, queje nai pas eu peur de lui demander encore une fois si vous ne pourriezpas venir la maison ; il ma rpondu que oui, que vous le pouviez, et maenvoye avec une voiture pour vous chercher. Vous allez tre un homme !ajouta-t-elle en ouvrant de grands yeux ; vous ne reviendrez jamais ici ;mais dabord, nous allons demeurer ensemble toutes les ftes de Nol, etpasser notre temps de la manire la plus joyeuse du monde.

    Vous tes une vraie femme, petite Fanny ! , scria le jeune garon.Elle bait des mains et se mit rire ; ensuite elle essaya de lui cares-

    ser la tte ; mais, comme elle tait trop petite, elle se mit rire encore, etse dressa sur la pointe des pieds pour lembrasser. Alors, dans son em-pressement enfantin, elle commena lentraner vers la porte, et lui, illaccompagnait sans regret.

    Une voix terrible se t entendre dans le vestibule : Descendez lamalle de master Scrooge, allons ! Et en mme temps parut le matreen personne, qui jeta sur le jeune M. Scrooge un regard de condescen-dance farouche, et le plongea dans un trouble areux en lui secouant lamain en signe dadieu. Il lintroduisit ensuite, ainsi que sa soeur, dans lavieille salle basse, la plus froide quon ait jamais vue, vritable cave, oles cartes suspendues aux murailles, les globes clestes et terrestres dansles embrasures de fentres, semblaient glacs par le froid. Il leur servitune carafe dun vin singulirement lger, et un morceau de gteau sin-

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    gulirement lourd, rgalant lui-mme de ces friandises le jeune couple,en mme temps quil envoyait un domestique de chtive apparence pourorir quelque chose au postillon, qui rpondit quil remerciait bienmonsieur, mais que, si ctait le mme vin dont il avait dj got au-paravant, il aimait mieux ne rien prendre. Pendant ce temps-l on avaitaach la malle de matre Scrooge sur le haut de la voiture ; les enfantsdirent adieu de trs grand coeur au matre, et, montant en voiture, ilstraversrent gaiement lalle du jardin ; les roues rapides faisaient jaillir,comme des ots dcume, la neige et le givre qui recouvraient les sombresfeuilles des arbres.

    Ce fut toujours une crature dlicate quun simple soue aurait putrir, dit le spectre. . . Mais elle avait un grand coeur.

    Oh ! oui, scria Scrooge. Vous avez raison. Ce nest pas moi quidirai le contraire, esprit, Dieu men garde !

    Elle est morte marie, dit lesprit, et a laiss deux enfants, je crois. Un seul, rpondit Scrooge. Cest vrai, dit le spectre, votre neveu. Scrooge parut mal laise et rpondit brivement : Oui. oiquils neussent fait que quier la pension en ce moment, ils se

    trouvaient dj dans les rues populeuses dune ville, o passaient et repas-saient des ombres humaines, o des ombres de charrees et de voitures sedisputaient le pav, o se rencontraient enn le bruit et lagitation dunevritable ville. On voyait assez clairement, ltalage des boutiques, que laussi on clbrait le retour de Nol ; mais ctait le soir, et les rues taientclaires.

    Le spectre sarrta la porte dun certain magasin, et demanda Scrooge sil le reconnaissait.

    Si je le reconnais ! dit Scrooge. Nest-ce pas ici que jai fait monapprentissage ?

    Ils entrrent. la vue dun vieux monsieur en perruque galloise, assisderrire un pupitre si lev, que, si le gentleman avait eu deux pouces deplus, il se serait cogn la tte contre le plafond, Scrooge scria en proie une grande excitation :

    Mais cest le vieux Fezziwig ! Dieu le bnisse ! Cest Fezziwig res-suscit !

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Le vieux Fezziwig posa sa plume et regarda lhorloge qui marquaitsept heures. Il se froa les mains, rajusta son vaste gilet, rit de toutes sesforces, depuis la plante des pieds jusqu la pointe des cheveux, et appeladune voix puissante, sonore, riche, pleine et joviale :

    Hol ! oh ! Ebenezer ! Dick ! Lautre Scrooge, devenu maintenant un jeune homme, entra leste-

    ment, accompagn de son camarade dapprentissage. Cest Dick Wilkins, pour sr ! dit Scrooge au fantme. . . Oui, cest

    lui ; misricorde ! le voil. Il mtait trs aach, le pauvre Dick ! ce biencher Dick !

    Allons, allons, mes enfants ! scria Fezziwig, on ne travaille plusce soir. Cest la veille de Nol, Dick. Cest Nol, Ebenezer ! Vite, meonsles volets, cria le vieux Fezziwig en faisant gaiement claquer ses mains.Allons tt ! comment ! ce nest pas encore fait ?

    Vous ne croiriez jamais comment ces deux gaillards se mirent lou-vrage ! Ils se prcipitrent dans la rue avec les volets, un, deux, trois ;. . .les mirent en place,. . . quatre, cinq, six ;. . . posrent les barres et les cla-vees ;. . . sept, huit, neuf,. . . et revinrent avant que vous eussiez pu comp-ter jusqu douze, haletants comme des chevaux de course.

    Oh ! oh ! scria le vieux Fezziwig descendant de son pupitre avecune merveilleuse agilit. Dbarrassons, mes enfants, et faisons de la placeici ! Hol, Dick ! Allons, preste, Ebenezer !

    Dbarrasser ! ils auraient mme tout dmnag sil avait fallu, sousles yeux du vieux Fezziwig. Ce fut fait en une minute. Tout ce qui taittransportable fut enlev comme pour disparatre tout jamais de la viepublique, le plancher balay et arros, les lampes apprtes, un tas decharbon jet sur le feu, et le magasin devint une salle de bal aussi com-mode, aussi chaude, aussi sche, aussi brillante quon pouvait le dsirerpour une soire dhiver.

    Vint alors un mntrier avec son livre de musique. Il monta au hautdu grand pupitre, en t un orchestre et produisit des accords rjouis-sants comme la colique. Puis entra Mme Fezziwig, un vaste sourire enpersonne ; puis entrrent les trois miss Fezziwig, radieuses et adorables ;puis entrrent les six jeunes poursuivants dont elles brisaient les coeurs ;puis entrrent tous les jeunes gens et toutes les jeunes lles employs

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    dans le commerce de la maison ; puis entra la servante avec son cousinle boulanger ; puis entra la cuisinire avec lami intime de son frre, lemarchand de lait ; puis entra le petit apprenti den face, souponn de nepas avoir assez de quoi manger chez son matre ; il se cachait derrire laservante du numro 15, laquelle sa matresse, le fait tait prouv, avaittir les oreilles. Ils entrrent tous, lun aprs lautre, quelques-uns dunair timide, dautres plus hardiment, ceux-ci avec grce, ceux-l avec gau-cherie, qui poussant, qui tirant ; enn tous entrrent de faon ou dautreet nimporte comment. Ils partirent tous, vingt couples la fois, se tenantpar la main et formant une ronde. La moiti se porte en avant, puis re-vient en arrire ; cest au tour de ceux-ci se balancer en cadence, cest autour de ceux-l entraner le mouvement ; puis ils recommencent tous tourner en rond plusieurs fois, se groupant, se serrant, se poursuivant lesuns les autres : le vieux couple nest jamais sa place, et les jeunes couplesrepartent avec vivacit, quand ils lont mis dans lembarras, puis, enn,la chane est rompue et les danseurs se trouvent sans vis--vis. Aprsce beau rsultat, le vieux Fezziwig, frappant des mains pour suspendre ladanse, scria : Cest bien ! et le mntrier plongea son visage chaudans un pot de porter, spcialement prpar cee intention. Mais, lors-quil reparut, ddaignant le repos, il recommena de plus belle, quoiquilny et pas encore de danseurs, comme si lautre mntrier avait t re-port chez lui, puis, sur un volet de fentre, et que ce fut un nouveaumusicien qui fut venu le remplacer, rsolu vaincre ou prir.

    Il y eut encore des danses, et le jeu des gages touchs ; puis encore desdanses, un gteau, du ngus, une norme pice de rti froid, une autre debouilli froid, des pts au hachis et de la bire en abondance. Mais le grandeet de la soire, ce fut aprs le rti et le bouilli, quand le mntrier (un nmatois, remarquez bien, un diable dhomme qui connaissait bien son af-faire : ce nest ni vous ni moi qui aurions pu lui en remontrer !) commena jouer Sir Robert de Coverley . Alors savana le vieux Fezziwig pourdanser avec Mme Fezziwig. Ils se placrent en tte de la danse. En voilde la besogne ! vingt-trois ou vingt-quatre couples conduire, et des gensavec lesquels il ny avait pas badiner, des gens qui voulaient danser etne savaient ce que ctait que daller le pas.

    Mais quand ils auraient bien t deux ou trois fois aussi nombreux,

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    quatre fois mme, le vieux Fezziwig aurait t capable de leur tenir tte,Mme Fezziwig pareillement.ant elle, ctait sa digne compagne, danstoute ltendue du mot. Si ce nest pas l un assez bel loge, quon menfournisse un autre, et jen ferai mon prot. Les mollets de Fezziwig taientpositivement comme deux astres. Ctaient des lunes qui se multipliaientdans toutes les volutions de la danse. Ils paraissaient, disparaissaient,reparaissaient de plus belle. Et quand le vieux Fezziwig et Mme Fezziwigeurent excut toute la danse : avancez et reculez, tenez votre danseuse parla main, balancez, saluez ; le tire-bouchon ; enlez laiguille et reprenez vosplaces ; Fezziwig faisait des entrechats si lestement, quil semblait jouerdu ageolet avec ses jambes, et retombait ensuite en place sur ses piedsdroit comme un I.

    and lhorloge sonna onze heures, ce bal domestique prit n. M.et Mme Fezziwig allrent se placer de chaque ct de la porte, et se-couant amicalement les mains chaque personne individuellement, luiaux hommes, elle aux femmes, mesure que lon sortait, ils leur souhai-trent tous un joyeux Nol. Lorsquil ne resta plus que les deux appren-tis, ils leur rent les mmes adieux, puis les voix joyeuses se turent, et lesjeunes gens regagnrent leurs lits placs sous un comptoir de larrire-boutique.

    Pendant tout ce temps, Scrooge stait agit comme un homme quiaurait perdu lesprit. Son coeur et son me avaient pris part cee scneavec son autre lui-mme. Il reconnaissait tout, se rappelait tout, jouissaitde tout et prouvait la plus trange agitation. Ce ne fut plus que quand cesbrillants visages de son autre lui-mme et de Dick eurent disparu leursyeux, quil se souvint du fantme et saperut que ce dernier le consid-rait trs aentivement, tandis que la lumire dont sa tte tait surmontebrillait dune clart de plus en plus vive.

    Il faut bien peu de chose, dit le fantme, pour inspirer ces soesgens tant de reconnaissance. . .

    Peu de chose ! rpta Scrooge. Lesprit lui t signe dcouter les deux apprentis qui rpandaient leurs

    coeurs en louanges sur Fezziwig, puis ajouta, lorsquil eut obi : Eh quoi ! voil-t-il pas grandchose ? Il a dpens quelques livres

    sterling de votre argent mortel ; trois ou quatre peut-tre. Cela vaut-il la

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    peine de lui donner tant dloges ? Ce nest pas cela, dit Scrooge excit par cee remarque, et parlant,

    sans sen douter, comme son autre lui-mme et non pas comme le Scroogedaujourdhui. Ce nest pas cela, esprit. Fezziwig a le pouvoir de nousrendre heureux ou malheureux ; de faire que notre service devienne lgerou pesant, un plaisir ou une peine. e ce pouvoir consiste en paroleset en regards, en choses si insigniantes, si fugitives quil est impossiblede les additionner et de les aligner en compte, eh bien, quest-ce que celafait ? le bonheur quil nous donne est tout aussi grand que sil cotait unefortune.

    Scrooge surprit le regard perant de lesprit et sarrta.est-ce que vous avez ? demanda le fantme. Rien de particulier, rpondit Scrooge. Vous avez lair davoir quelque chose, insista le spectre. Non, dit Scrooge, non. Seulement jaimerais pouvoir dire en ce

    moment un mot ou deux mon commis. Voil tout. Son autre lui-mme teignit les lampes au moment o il exprimait ce

    dsir ; et Scrooge et le fantme se trouvrent de nouveau cte cte enplein air.

    Mon temps scoule, observa lesprit. . . Vite ! Cee parole ntait point adresse Scrooge ou quelquun quil pt

    voir, mais elle produisit un eet immdiat, car Scrooge se revit encore.Il tait plus g maintenant, un homme dans la eur de lge. Son visagenavait point les traits durs et svres de sa maturit ; mais il avait com-menc porter les marques de linquitude et de lavarice. Il y avait dansson regard une mobilit ardente, avide, inquite, qui indiquait la passionqui avait pris racine en lui : on devinait dj de quel cot allait se projeterlombre de larbre qui commenait grandir.

    Il ntait pas seul, il se trouvait au contraire ct dune belle jeunelle vtue de deuil, dont les yeux pleins de larmes brillaient la lumiredu spectre de Nol pass.

    Peu importe, disait-elle doucement, vous dumoins. Une autre idolea pris ma place, et, si elle peut vous rjouir et vous consoler plus tard,comme jaurais essay de le faire, je nai pas autant de raison demaiger.

    elle idole a pris votre place ? rpondit-il.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Le veau dor. Voil bien limpartialit du monde ! dit-il. Il ny a rien quil traite

    plus durement que la pauvret ; et il ny a rien quil fasse profession decondamner avec autant de svrit que la poursuite de la richesse !

    Vous craignez trop lopinion dumonde, rpliquait la jeune lle avecdouceur. Vous avez sacri toutes vos esprances celle dchapper unjour son mpris sordide. Jai vu vos plus nobles aspirations disparatreune une, jusqu ce que la passion dominante, le lucre, vous ait absorb.Nai-je pas raison ?

    Eh bien ! quoi ? reprit-il. Lors mme que je serais devenu plus rai-sonnable en vieillissant, aprs ? Je ne suis pas chang votre gard.

    Elle secoua la tte. Suis-je chang ? Notre engagement est bien ancien. Nous lavons pris ensemble

    quand nous tions tous les deux pauvres et contents de notre tat, enaendant le jour o nous pourrions amliorer notre fortune en ce mondepar notre patiente industrie. Vous avez bien chang. and cet engage-ment fut pris, vous tiez un autre homme.

    Jtais un enfant, scria-t-il avec impatience. Votre propre conscience vous dit que vous ntiez point alors ce

    que vous tes aujourdhui, rpliqua-t-elle. Pour moi, je suis la mme. Cequi pouvait nous promere le bonheur, quand nous navions quun coeur,nest plus quune source de peines depuis que nous en avons deux. Com-bien de fois et avec quelle amertume jy ai pens, je ne veux pas vous ledire. Il sut que jy aie pens, et que je puisse prsent vous rendre votreparole.

    Ai-je jamais cherch la reprendre ? De bouche, non, jamais. Comment, alors ? En changeant du tout au tout. Votre humeur nest plus la mme,

    ni latmosphre au milieu de laquelle vous vivez ; ni lesprance qui taitle but principal de votre vie. Si cet engagement net jamais exist entrenous, dit la jeune lle, le regardant avec douceur, mais avec fermet, dites-le-moi, rechercheriez-vous ma main aujourdhui ? Oh ! non.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Il parut prt cder en dpit de lui-mme cee supposition tropvraisemblable. Cependant il ne se rendit pas encore :

    Vous ne le pensez pas, dit-il. Je serais bien heureuse de penser autrement si je le pouvais,

    rpondit-elle ; Dieu le sait ! Pour que je me sois rendue moi-mme unevrit aussi pnible, il faut bien quelle ait une force irrsistible. Mais, sivous tiez libre aujourdhui ou demain, comme hier, puis-je croire quevous choisiriez pour femme une lle sans dot, vous qui, dans vos plusintimes condences, alors que vous lui ouvriez votre coeur avec le plusdabandon, ne cessiez de peser toutes choses dans les balances de lintrt,et de tout estimer par le prot que vous pouviez en retirer ! ou si, venant oublier un instant, cause delle, les principes qui font votre seule rglede conduite, vous vous arrtiez ce choix, ne sais-je donc pas que vous netarderiez point le regreer et vous en repentir ? jen suis convaincue ;cest pourquoi je vous rends votre libert, de grand coeur, cause mmede lamour que je vous portais autrefois, quand vous tiez si dirent dece que vous tes aujourdhui.

    Il allait parler ; mais elle continua en dtournant les yeux : Peut-tre. . . mais non, disons plutt : sans aucun doute, la mmoire

    du pass mautorise lesprer, vous sourirez de ce parti. Mais encore unpeu, bien peu de temps, et vous bannirez avec empressement ce souvenirimportun comme un rve inutile et fcheux dont vous vous fliciterezdtre dlivr. Puisse la nouvelle existence que vous aurez choisie vousrendre heureux !

    Elle le quia, et ils se sparrent. Esprit, dit Scrooge, ne me montrez plus rien ! Ramenez-moi la

    maison. Pourquoi vous plaisez-vous me tourmenter ? Encore une ombre ! cria le spectre. Non, plus dautres ! dit Scrooge ; je nen veux pas voir davantage.

    Ne me montrez plus rien !. . . Mais le fantme impitoyable ltreignit entre ses deux bras et le fora

    considrer la suite des vnements.Ils se trouvrent tout coup transports dans un autre lieu o une

    scne dun autre genre vint frapper leurs regards ; ctait une chambre,ni grande, ni belle, mais agrable et commode. Prs dun bon feu dhiver

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    tait assise une belle jeune lle, qui ressemblait tellement la dernire,que Scrooge la prit pour elle, jusqu ce quil apert cee dernire deve-nue maintenant une grave mre de famille, assise vis--vis de sa lle. Lebruit qui se faisait dans cee chambre tait assourdissant, car il y avait lplus denfants que Scrooge, dans lagitation extrme de son esprit, nenpouvait compter ; et, bien dirents de la joyeuse troupe dont parle lepome, au lieu de quarante enfants silencieux comme sil ny en avait euquun seul, chacun deux, au contraire, se montrait bruyant et tapageurcomme quarante. La consquence invitable dune telle situation tait unvacarme dont rien ne saurait donner une ide ; mais personne ne semblaitsen inquiter. Bien plus, la mre et la lle en riaient de tout leur coeuret sen amusaient beaucoup. Celle-ci, ayant commenc se mler leursjeux, fut aussitt mise au pillage par ces petits brigands qui la traitrentsans piti. e naurais-je pas donn pour tre lun deux ! oique as-surment je ne me fusse jamais conduit avec tant de rudesse, oh ! non ! Jenaurais pas voulu, pour tout lor du monde, avoir emml si rudement, nitir avec tant de brutalit ces cheveux si bien peigns ; et quant au char-mant petit soulier, je me serais bien gard de le lui ter de force, Dieume bnisse ! quand il se serait agi de sauver ma vie. Pour ce qui est demesurer sa taille en jouant comme ils le faisaient sans scrupule, ces petitsaudacieux, je ne laurais certainement pas os non plus ; jaurais craintquen punition de ce sacrilge, mon bras ne ft condamn sarrondirtoujours, sans pouvoir se redresser jamais. Et pourtant, je lavoue, jau-rais bien voulu toucher ses lvres, lui adresser des questions an quelleft force de les ouvrir pour me rpondre, xer mes regards sur les cilsde ses yeux baisss, sans la faire rougir ; dnouer sa chevelure ondoyantedont une seule boucle et t pour moi le plus prcieux de tous les sou-venirs ; bref, jaurais voulu, je le confesse, quil me ft permis de jouirauprs delle des privilges dun enfant, et, cependant, demeurer assezhomme pour en apprcier toute la valeur.

    Mais voil quen ce moment on entendit frapper la porte, et il sen-suivit immdiatement un tel tumulte et une telle confusion, que ce groupeaussi bruyant quanim qui lentourait la porta violemment, sans quelleput sen dfendre, la gure riante et les vtements en dsordre, du ctde la porte, au-devant du pre qui rentrait suivi dun homme charg de

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    joujoux et de cadeaux de Nol. on se gure les cris, les batailles, lesassauts livrs au commissionnaire sans dfense ! Cest qui lescaladeraavec des chaises en guise dchelles, pour fouiller dans ses poches, lui ar-racher les petits paquets envelopps de papier gris, le saisir par la cravate,se suspendre son cou, lui distribuer, en signe dune tendresse que rienne peut rprimer, force coups de poing dans le dos, force coups de pieddans les os des jambes. Et puis, quels cris de joie et de bonheur accueillentlouverture de chaque paquet !el eet produit la fcheuse nouvelle quele marmot a t pris sur le fait, meant dans sa bouche une pole friredu petit mnage, et quil est plus que suspect davoir aval un dindonen sucre, coll sur un plat de bois !el immense soulagement de recon-natre que cest une fausse alarme ! Leur joie, leur reconnaissance, leurenthousiasme, tout cela ne saurait se dcrire. Enn, lheure tant arrive,peu peu les enfants, avec leurs motions, sortent du salon lun aprslautre, montent lescalier quatre quatre jusqu leur chambre situe audernier tage, o ils se couchent, et le calme renat.

    Alors Scrooge redoubla daention quand le matre du logis, sur le-quel sappuyait tendrement sa lle, sassit entre elle et sa mre, au coindu feu ; et quand il vint penser quune autre crature semblable, toutaussi gracieuse, tout aussi belle, aurait pu lappeler son pre, et faire unprintemps du triste hiver de sa vie, ses yeux se remplirent de larmes.

    Bella, dit le mari se tournant vers sa femme avec un sourire, jai vuce soir un de vos anciens amis.

    i donc ? Devinez ! Comment le puis-je ?. . . Mais, jy suis, ajouta-t-elle aussitt en riant

    comme lui. Cest M. Scrooge. Lui-mme. Je passais devant la fentre de son comptoir ; et, comme

    les volets ntaient point ferms et quil avait de la lumire, je nai pumempcher de le voir. Son associ se meurt, dit-on ; il tait donc l seulcomme toujours, je pense, tout seul au monde.

    Esprit, dit Scrooge dune voix saccade, loignez-moi dici. Je vous ai prvenu, rpondit le fantme, que je vous montrerais les

    ombres de ce qui a t ; ne vous en prenez pas moi si elles sont ce quellessont, et non autre chose.

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  • Cantique de Nol Chapitre II

    Emmenez-moi ! scria Scrooge, je ne puis supporter davantage cespectacle !

    Il se tourna vers lesprit, et voyant quil le regardait avec un visagedans lequel, par une singularit trange, se retrouvaient des traits parsde tous les visages quil lui avait montrs, il se jeta sur lui.

    Laissez-moi ! scria-t-il ; ramenez-moi, cessez de mobsder ! Dans la lue, si toutefois ctait une lue, car le spectre, sans aucune

    rsistance apparente, ne pouvait tre branl par aucun eort de son ad-versaire, Scrooge observa que la lumire de sa tte brillait, de plus enplus clatante. Rapprochant alors dans son esprit cee circonstance delinuence que le fantme exerait sur lui, il saisit lteignoir et, par unmouvement soudain, le lui enfona vivement sur la tte.

    Lesprit saaissa tellement sous ce chapeau fantastique, quil disparutpresque en entier ; mais Scrooge avait beau peser sur lui de toutes sesforces, il ne pouvait venir bout de cacher la lumire qui schappait dedessous lteignoir et rayonnait autour de lui sur le sol.

    Il se sentit puis et domin par un irrsistible besoin de dormir, puisbientt il se trouva dans sa chambre coucher. Alors il t un derniereort pour enfoncer encore davantage lteignoir, sa main se dtendit, etil neut que le temps de rouler sur son lit avant de tomber dans un profondsommeil.

    n

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  • CHAPITRE III

    Troisime coupletLe second des trois esprits

    R dun ronement dune force prodigieuse, etsasseyant sur son lit pour recueillir ses penses, Scrooge neutpas besoin quon lui dise que lhorloge allait de nouveau sonnerune heure. Il sentit de lui-mme quil reprenait connaissance juste pointnomm pour se mere en rapport avec le second messager qui lui seraitenvoy par lintervention de JacobMarley. Mais trouvant trs dsagrablele frisson quil prouvait en restant l se demander lequel de ses rideauxtirerait ce nouveau spectre, il les tira tous les deux de ses propres mains,puis, se laissant retomber sur son oreiller, il tint loeil au guet tout autourde son lit, car il dsirait aronter bravement lesprit au moment de sonapparition, et navait envie ni dtre assailli par surprise, ni de se laisserdominer par une trop vive motion.

    Messieurs les esprits forts, habitus ne douter de rien, qui se piquent

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  • Cantique de Nol Chapitre III

    dtre blass sur tous les genres dmotion, et de se trouver, toute heure, la hauteur des circonstances, expriment la vaste tendue de leur courageimpassible en face des aventures imprvues, en se dclarant prts tout,depuis une partie de croix ou pile, jusqu une partie dhonneur (cestainsi, je crois, quon appelle lhomicide). Entre ces deux extrmes, il setrouve, sans aucun doute, un champ assez spacieux, et une grande varitde sujets. Sans vouloir faire de Scrooge un matamore si farouche, je nesaurais mempcher de vous prier de croire quil tait prt aussi derun nombre presque inni dapparitions tranges et fantastiques, et ne selaisser tonner par quoi que ce ft en ce genre, depuis la vue dun enfantau berceau, jusqu celle dun rhinocros !

    Mais, sil saendait presque tout, il ntait, par le fait, nullementprpar ce quil ny et rien, et cest pourquoi, quand lhorloge vint sonner une heure, et quaucun fantme ne lui apparut, il fut pris dun fris-son violent et se mit trembler de tous ses membres. Cinq minutes, dixminutes, un quart dheure se passrent, rien ne se montra. Pendant toutce temps, il demeura tendu sur son lit, o se runissaient, comme en unpoint central, les rayons dune lumire rougetre qui lclaira tout entierquand lhorloge annona lheure. Cee lumire toute seule lui causait plusdalarmes quune douzaine de spectres, car il ne pouvait en comprendre nila signication ni la cause, et parfois il craignait dtre en ce moment uncas intressant de combustion spontane, sans avoir au moins la consola-tion de le savoir. la n, cependant, il commena penser, comme vouset moi laurions pens dabord (car cest toujours la personne qui ne setrouve point dans lembarras, qui sait ce quon aurait d faire alors, et cequelle aurait fait incontestablement) ; la n, dis-je, il commena pen-ser que le foyer mystrieux de cee lumire fantastique pourrait tre dansla chambre voisine, do, en la suivant pour ainsi dire la trace, on recon-naissait quelle semblait schapper. Cee ide sempara si compltementde son esprit, quil se leva aussitt tout doucement, mit ses pantoues, etse glissa sans bruit du ct de la porte.

    Au moment o Scrooge meait la main sur la serrure, une voixtrange lappela par son nom et lui dit dentrer. Il obit.

    Ctait bien son salon ; il ny avait pas le moindre doute cet gard ;mais son salon avait subi une transformation surprenante. Les murs et

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  • Cantique de Nol Chapitre III

    le plafond taient si richement dcors de guirlandes de feuillage ver-doyant, quon et dit un bosquet vritable dont toutes les branches re-luisaient de baies cramoisies. Les feuilles lustres du houx, du gui et dulierre retaient la lumire, comme si on y avait suspendu une innit depetits miroirs ; dans la chemine ambait un feu magnique, tel que cefoyer morne