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7009 TG Licence en Sciences Humaines et Sociales : Sciences de l’éducation Didactique des mathématiques Cours

Didactique Mathématiques

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Cours de didactique des Mathématiques utilisé dans le cadre d'une licence3 Sciences de l'Education

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7009 TG

Licence en Sciences Humaines et Sociales : Sciences de l’éducation

Didactique des mathématiques

Cours

7009 TG [2]

Co-Rédacteur et Coordinateur

Jean-Claude Régnier, Professeur des Universités à l’Université Lyon2 Co-Rédacteur

Denis Gardes, Professeur agrégé de mathématiques Co-Rédacteur de la version numérique et hypermédiatisée

Jean-Pierre Pivin, Professeur agrégé de mathématiques

Licence en Sciences Humaines et Sociales : Sciences de l’éducation

Didactique des mathématiques Cours

Présentation Didactique des mathématiques

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [3]

Présentation du cours

Ce cours de Didactique des mathématiques s’adresse à des étudiants non

nécessairement spécialistes de la discipline des mathématiques qui sont engagés dans une

formation universitaire au niveau L3 de la licence de sciences de l’éducation. Pour ceux qui

se destinent aux métiers de l’enseignement au niveau de l’école maternelle ou de l’école

primaire, sa finalité première est de développer des compétences qui leur faciliteront

l’approche des questions touchant à l’enseignement des mathématiques. Il peut être

considéré comme participant d’une pré-professionnalisation. Pour ceux qui exercent déjà le

métier d’enseignant, ce cours vise à apporter un cadre théorique pouvant les aider à mieux

comprendre leurs pratiques pédagogiques, participant ainsi à leur professionnalisation. Pour

les autres, sa finalité procède de la participation au développement culturel comme toute

autre discipline.

Le cours est organisé autour de deux axes principaux correspondant aux deux grandes

parties de présentation :

Réflexion sur les mathématiques et leur enseignement

Approche didactique de l’enseignement-apprentissage des mathématiques.

Certes le but des auteurs est de s’en tenir à une introduction à la didactique des

mathématiques à partir de questions qui ont pu concourir à son développement historique et

épistémologique principalement dans un contexte culturel français.

Mais leur but est aussi d’aborder cette initiation pour amener, à des niveaux divers de

conceptualisation, chaque étudiant à :

- interroger des évidences qu’induisent des représentations sociales ou des stéréotypes à

l’égard des mathématiques dans notre société,

- prendre de la distance par rapport à l’acte d’enseigner et celui d’apprendre une

discipline scientifique,

- s’approprier quelques concepts et quelques méthodes permettant d’interroger sa

pratique pédagogique passée, présente ou future, de la décrire, d’essayer d’identifier

quelques phénomènes générés par une situation d’enseignement,

Présentation Didactique des mathématiques

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [4]

- s’informer sur l’existence de pistes de recherche et de travaux correspondants dans le

domaine de la didactique d’une discipline scientifique,

- s’informer sur les fondements, les méthodes et les objets de la didactique d'une

discipline scientifique,

- offrir un espace de réflexion et de discussion tant comme novice que comme expert,

sur des questions qui touchent aux mathématiques, à leur enseignement et à leur

apprentissage à un niveau élémentaire de l’école primaire ou à un niveau plus avancé

du collège ou du lycée.

Une bibliographie et des lieux de ressources sont fournis en référence pour ceux qui

souhaiteront aller plus loin.

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [5]

INTRODUCTION :

Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ? L’intérêt qu’il soit d’ordre éducatif, pédagogique ou autre, pour des questions portant sur

l’enseignement des mathématiques n’est pas nouveau.

Au XVIIIe un début est déjà bien identifiable dans le mouvement d’installation des Écoles primaires et des Écoles centrales de la Révolution. Ainsi dans les objectifs éducatifs des Écoles centrales qui ont été décrétées le 7 ventôse An III (2 février 1795) avec une mise en application le 3 brumaire An IV (25 Octobre 1795), nous pouvons identifier l’intérêt porté aux mathématiques, à leur enseignement et à la formation mathématique du citoyen. En 1808, toutes les Écoles centrales de la Révolution avaient cessé d’exister et avaient été complètement remplacées par les Lycées impériaux.

Les documents reproduits ci-dessous ont été trouvés aux Archives départementales de Saône et Loire. [In-10]

(Source : Archives départementales de Saône et Loire)

Dans l’extrait suivant de la transcription d’intervention des membres du jury d'instruction publique et des professeurs de l'École Centrale, aux jeunes citoyens et aux pères de familles, nous pouvons identifier le rôle attribué à la formation en mathématiques :

Extrait d'une intervention.

« Des connaissances plus étendues viennent successivement enrichir votre raison : vous trouvez

dans les mathématiques, les principes incontestables d'une logique précise ; c'est là que le raisonnement

se montre inaccessible à tous les sophismes et c'est là surtout que vous rassemblez en faisceau les

éléments de ces arts utiles, qui assurent la supériorité d'une nation et la conduisent à la victoire... »

(Source : Archives départementales de Saône et Loire)

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [6]

Les deux extraits qui suivent proviennent du Procès verbal des exercices de l'École Centrale du département de Saône et Loire qui se sont déroulés à Autun les 10-12 Fructidor An VI (jour de la fête de la vieillesse)

Extrait 1

« (...) Vous avez encore parcouru un cercle brillant de sciences utiles et nécessaires sous le nom de

mathématiques. Cette étude sublime et profonde, jadis tant négligée doit occuper un rang distingué dans

l'instruction républicaine. Elles renferment les connaissances les plus certaines accordées aux lumières

de l'esprit humain; infaillibles dans leurs principes, vraies dans les conséquences qu'en découlent, ces

sciences conduisent l'homme de vérité en vérité. L'étude de la nature est celle des corps, et pour

l'utiliser, il faut connaître leur grandeur en général, leurs propriétés, leur mouvement et leurs figures. Il

est deux autres sciences qui sont aussi du domaine des mathématiques et qui en tirent un grand secours

pour leurs opérations et leurs procédés, je veux parler de la physique et de la chimie expérimentales,

elles ne manqueront pas de devenir pour vous l'objet d'une étude particulière (...) »

Extrait 2

« Le II au matin les élèves de mathématiques sont rassemblés au dit lieu des séances - Ce cours est

divisé en deux sections suivant la force des élèves; la première section, qui renferme les moins avancés

s'est occupée de l'arithmétique et de l'algèbre dont elle a poussé l'étude jusqu'aux équations du second

degré, la seconde réunit à ces connaissances les principes de la géométrie et de la trigonométrie plane.

Les élèves des deux sections répondent sur leurs parties respectives, et leurs réponses accompagnées de

démonstrations font sentir aux citoyens les avantages d'une science uniquement fondée sur le

raisonnement. Un des élèves termine par une dissertation où analysant les principes les plus importants

de la géométrie, il soumet aux yeux du public les opérations relatives aux objets qu'il traite, il s'étend

surtout sur le nivellement et l'art de lever des plans. ».

(Source : Archives départementales de Saône et Loire)

Pour avoir une idée de l’enseignement du point de vue des souvenirs d’adolescence, nous pouvons lire un roman qui y fait référence : La vie d’Henry Brulard de Stendhal où l’auteur rapporte des évènements liés à sa vie d’élève en cours de mathématiques à l’École centrale de Grenoble.

Aux XIXe et XXe siècles, les programmes d’enseignement ou des textes introductifs de manuels ou d’ouvrages de mathématiques, sont porteurs de questionnements. L’étude de ces sources qui constitue déjà un objet de ce qui est nommé la didactique des mathématiques, nous en donne un aperçu. Il est important de rappeler que nous distinguons ici très précisément enseigner et apprendre. Enseigner c’est ce que fait un sujet (enseignant) dans l’intention de faire apprendre quelque chose par un autre sujet (apprenant) : celui qui apprend.

Comme les deux processus enseigner et apprendre sont en jeu dans des situations spécifiques, nous parlons alors de situations d’enseignement-apprentissage dont l’enseignant a la charge de l’organisation et de la mise en œuvre dans un lieu qui habituellement est une salle de classe au sein d’une institution éducative scolaire.

Dans les années 60-70, une attention forte a été portée sur les mathématiques en tant qu’objet d’enseignement. Il s’agissait de réfléchir sur les moyens d’améliorer cet enseignement des mathématiques. Des réformes ont été engagées dont la Réforme dite des mathématiques modernes est sans doute celle qui a laissé les traces les plus prégnantes. En 1970, Gilbert Walusinski [In-14] a tenté de présenter le sens de cette réforme orientée par un enseignement des mathématiques modernes. Il introduit son ouvrage par ce propos « Pour qui a des enfants d’âge scolaire ou simplement pour qui s’intéresse aux affaires de l’éducation, l’actualité pose de nombreuses et parfois irritantes questions sur l’enseignement des mathématiques. » et conclut quelques lignes plus bas en espérant que son propos aide

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [7]

« le citoyen de bonne volonté à comprendre les divers aspects de l’un des problèmes qu’il aura, un jour ou l’autre, à examiner s’il veut mériter ce beau titre. » [In-14] (p.8) En 1966, une commission ministérielle présidée par le Professeur Lichnerowicz a pour mission de travailler sur la question de l’enseignement des mathématiques. Elle publie un rapport en mars 1967 et préconise la création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement Mathématique [I.R.E.M.]. En 1968, dans la Charte de Chambéry, l’A.P.M.E.P., association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public, créée en 1909 pour que « De la Maternelle à l’Université » des maîtres, enseignant les mathématiques à tous les niveaux, puissent mettre en commun leurs expériences pédagogiques, s’engage dans les débats. L’objectif principal de l’A.P.M.E.P. est celui de « donner aux élèves une formation de mathématiques mieux adaptée à leurs goûts et à leurs besoins et d’y intéresser le plus grand nombre1. » Par cette charte de Chambéry, l’A.P.M.E.P. soutient que :

« Une réforme de l’enseignement des mathématiques est indispensable afin de tenir compte :

des idées directrices qui animent la vie mathématique contemporaine ;

de la nécessité d’un renouvellement pédagogique découvrant de vraies méthodes actives et initiant très progressivement aux notions les plus abstraites ;

du rôle primordial joué par les mathématiques dans l’organisation sociale, la production des biens et des services et donc de la nécessité de la rendre plus accessible.

La Réforme est possible :

Partout des expériences sont en cours (…) ;

Mais il faut informer les maîtres, parents et tous éducateurs des objectifs de la réforme, des conditions optimales de sa réalisation et s’efforcer de les obtenir.

La réalisation des réformes commence par :

une expérimentation pédagogique sérieuse et sans idée préconçue ;

un effort toujours accru pour la formation des maîtres : formation initiale et formation permanente. »

En 2008, 40 ans plus tard, nous pouvons réfléchir sur l’actualité de ces propos. Tout l’esprit de la Charte de Chambéry est articulé à l’idée que « expérimentation et formation des maîtres sont les deux moteurs de la réforme ». Ce qui conduit l’APMEP à militer activement pour la création des IREM dont la vocation majeure reste « d’assurer la formation continue des maîtres de tous les niveaux et organiser les expériences désirables sur l’enseignement des mathématiques, faciliter ou provoquer le travail en équipe et tisser tout un réseau d’équipes (…). »

L’acte de création des IREM peut être daté du 25 Octobre 1968. Les trois premiers sont créés dans les académies de Paris, Lyon et Strasbourg, respectivement sous la direction de Revuz, Glaymann et Frenkel. Un comité permanent des IREM est organisé et présidé par Lichnerowicz.

Ce comité décide, le 24 février 1969, la création de quatre nouveaux IREM : Rennes, Aix-Marseille, Bordeaux et Besançon. Viendront ensuite, en 1970, les IREM de Lille, Montpellier et Clermont-Ferrand, puis en 1971, ceux de Grenoble, Nancy et Toulouse. Et ainsi de suite. Un axe de travail domine au sein des IREM : celui de l’organisation du « recyclage » des professeurs de mathématiques en raison des réformes des programmes d’enseignement, en particulier, avec l’introduction des mathématiques modernes. Ces instituts ont constitué

1 Charte de Caen Supplément au Bulletin de l’A.P.M.E.P. n°285 sept. 1972

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [8]

des lieux de ressources fondamentaux pour l’émergence de la didactique des mathématiques. A ce jour, ils demeurent des espaces de ressources accessibles par Internet pour l’étude de la didactique des mathématiques.

En ce qui concerne la mise en place du réseau des IREM, à ce jour, plus d’une dizaine de commissions Inter-IREM ont été créées, résultat de la vie de groupes de travail dans les différents instituts. Ces commissions organisent des colloques et des écoles d’été. Elles produisent des ressources pédagogiques sous forme de revues, de livres ou de documents. En 1990, la revue Repères a été créée en tant que publication nationale de ce réseau.

A partir de 1975, le développement institutionnel de ce qui a été désigné par didactique des mathématiques est accentué avec la constitution d'équipes de recherche au CNRS, dans quelques universités et dans les IREM. En 1978 un Séminaire national de didactique des mathématiques est créé et se tient pendant un jour et demi, quatre fois par an. Puis en 1980, une association savante est créée ARDM, association de soutien à la recherche en didactique des mathématiques ainsi que la Revue : Recherche en Didactique des Mathématiques dont la publication reçoit l’appui du CNRS.

En 1999, le Ministre Claude Allègre institue un Commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques sous la présidence de Jean-Pierre Kahane, professeur émérite à l’Université de Paris-Sud, membre de l’Académie des sciences. Plusieurs didacticiens des mathématiques parmi lesquels nous pourrions citer Guy Brousseau, participent aux travaux de cette commission dont le Rapport [In-12] adressé au ministre de l’Education nationale a été publié en 2002. Nous y retrouvons les thèmes récurrents concernant les mathématiques, leur utilité et donc l’intérêt qu’elles soient enseignées et surtout apprises en se défiant des effets pervers de l’utilitarisme. Comme l’écrivait Joseph Fourier à propos de l’Analyse mathématique en tant que « faculté de la raison humaine, destinée à suppléer à la brièveté de la vie et à l’imperfection des sens », la formation de la raison humaine à laquelle participe la formation au raisonnement mathématique, est aussi une des conditions de la vie en démocratie. Ceci maintient la question récurrente de la formation mathématique du citoyen.

A ce stade, comment peut-on déjà définir la didactique des mathématiques ?

Nous pouvons déjà la considérer comme l’étude des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques, à la lumière d’une théorie des situations didactiques, situations d’enseignement et d’apprentissage, dans un cadre institutionnel donné, dont l’étude ne peut être réduite à la connaissance scientifique enseignée et apprise, à savoir : les mathématiques.

Revenons au terme même : didactique. Nous pouvons distinguer son emploi en tant qu’adjectif, substantif féminin ou substantif masculin.

Le Dictionnaire de l’Académie Française de 1822 donne les définitions suivantes : « DIDACTIQUE : Qui est propre à l’instruction. » Il est ajouté « On dit aussi substantivement, LE DIDACTIQUE, pour le genre didactique. » Nous pouvons rappeler que le genre didactique est un genre littéraire par lequel l’auteur s’efforce d’instruire sous une forme agréable et poétique.

En 1974, Joseph Leif dans son vocabulaire2 identifie les sens suivants : ce terme « qualifie l’action ou la démarche dont l’objet est d’instruire par enseignement » mais il désigne aussi « l’ensemble des matières, des contenus de l’enseignement. » Relativement à ce sens, Leif pointe la nécessité de faire une différence entre la didactique et les méthodes pédagogiques même si il y a un rapport étroit entre contenus et démarches propres à les

2 Leif, J., (1974) Philosophie de l’éducation : vocabulaire technique et critique de la pédagogie et des sciences

de l’éducation Paris : Delagrave (p. 78)

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [9]

transmettre. Enfin il complète en disant que « les méthodes didactiques font essentiellement appel à la mémoire, prennent soin d’ordonner systématiquement les matières d’enseignement, recommandent l’exposé, la leçon construite mais elles considèrent aussi la nécessité, pour le maître d’expliquer, de faire comprendre. Ces méthodes sont souvent dogmatiques, ennuyeuses, conduisent au verbalisme. »

Dans son dictionnaire3, Paul Foulquié relève des sens identiques aux précédents en ajoutant toutefois l’idée de technique ou d’art d’enseigner ainsi que celle de l’étude des méthodes d’enseignement. Il rapporte aussi un propos de Maurice Debesse pour qui « la pédagogie moderne considère la didactique tout au plus comme un pis-aller parce qu’elle s’appuie surtout sur les mécanismes d’enregistrement mnémique, au lieu de favoriser l’assimilation du savoir par le travail de découverte et de création. » Foulquié identifie quatre usages du substantif féminin didactique :

Didactique générale Didactique spéciale

Elle concerne les diverses manières d’enseigner : cours magistraux, leçons dialo-guées, travaux pratiques individuels ou col-lectifs, utilisation de manuels…

Elle se caractérise par son adaptation aux diverses disciplines : lecture et écriture, calcul et mathématiques, langues, histoire et géographie…

Didactique empirique Didactique expérimentale

Bien que fondée sur l’expérience, elle s’en tient à l’expérience acquise par l’utilisation successive de procédés différents.

Elle se fonde sur les expériences effectuées dans le but de comparer le rendement relatif de ces procédés.

André Lalande dans son vocabulaire4 n’aborde que le substantif féminin « DIDACTIQUE : partie de la pédagogie qui a pour objet l’enseignement. »

Le dictionnaire Le Grand Robert de 1986 définit la didactique comme « théorie et méthode de l’enseignement. ». Il introduit aussi la référence à l’usage du terme didactique dans le domaine de la psychanalyse. « Analyse didactique, psychanalyse didactique : analyse d’une personne qui se destine à être psychanalyste. »

Aujourd’hui, comme nous le verrons tout au long de cet ouvrage, l’adjectif didactique détermine une partie des termes du lexique de la didactique des mathématiques : situation didactique, variable didactique, contrat didactique, transposition didactique, ingénierie didactique pour n’en citer que quelques uns.

Essayons d’avancer vers une définition un peu plus précise de la didactique des mathématiques quand elle se constitue en discipline scientifique. Une caractérisation de ce champ disciplinaire nouveau doit prendre en considération ce que Gérard Vergnaud5 exprime clairement en disant qu’il faut écarter tout schéma réductionniste : la didactique n'est réductible ni à la connaissance d'une discipline, ni à la psychologie, ni à la pédagogie, ni à l'histoire, ni à l'épistémologie. Elle suppose tout cela, elle ne s'y réduit pas ; elle a son identité, ses problèmes, ses méthodes. C'est maintenant un point acquis pour les chercheurs qui se sont engagés dans cette voie.

De là nous proposons de considérer la didactique des mathématiques comme un cadre théorique d’étude des processus de communication, de diffusion et d’acquisition des connaissances et des compétences mathématiques, notamment en situation formelle de formation scolaire, universitaire ou professionnelle, qui ne peut être réduite à la seule

3 Foulquié, P., (1971) Dictionnaire de la langue pédagogique. Paris : PUF (p.126-127)

4 Lalande A. (1926, 1991) Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Paris : PUF (p.229)

5 Vergnaud G. (1978) in Revue Française de Pédagogie n° 45.

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [10]

connaissance de la discipline des mathématiques. Un but est de pouvoir décrire, comprendre et expliquer les phénomènes relatifs aux rapports entre l’enseignement des mathématiques et leur apprentissage. À terme, on peut penser que les connaissances ainsi scientifiquement produites puissent contribuer à l’amélioration des méthodes d’enseignement pour aider l’apprenant à acquérir un savoir mathématique évolutif et fonctionnel, et à développer des compétences qui lui permettent de résoudre des problèmes de mathématiques de plus en plus complexes jusque dans la vie quotidienne et même de les construire.

Pour aller plus loin, nous avons fourni des références d’articles qui donneront à voir plus précisément l’objet et les méthodes de la didactique des mathématiques en tant que discipline scientifique. Par ailleurs tout long des chapitres de cet ouvrage, nous abordons les principaux concepts de la didactique des mathématiques en relation aux problèmes d’enseignement et d’apprentissage posés.

Racines historiques de la didactique des mathématiques Il est clair que le développement de la didactique des mathématiques est à replacer dans

une histoire de l’enseignement des mathématiques. Pour que des préoccupations surgissent, il y a fort à parier sur la nécessité que les sociétés aient, en premier lieu, institué un enseignement de mathématiques et que cet enseignement ait impliqué un nombre d’individus dépassant une masse critique. Dans ce sens, Georges Glaeser dans [In-7] Une introduction à la didactique expérimentale des mathématiques, a recherché au travers des documents divers tels que des romans, des témoignages, des iconographies, des ouvrages de mathématiques, etc., à repérer l’apparition d’un enseignement de mathématiques mais surtout tenter de comprendre et d’expliciter comment cet enseignement était réellement organisé. Il introduit cette perspective de la façon suivante :

« Lors d’une conférence prononcée au congrès mondial d’Exeter sur l’enseignement des mathématiques, René Thom déclarait à propos de l’enseignement de la mathématique : « Le souci d’enseigner la mathématique d’une façon heuristique ne date pas d’hier. Il est directement issu de la pédagogie de Rousseau, et sans exagération l’on peut dire que les éducateurs modernes pourraient s’inspirer de la pédagogie heuristique développée dans la leçon que Socrate donne au petit esclave dans la « Menon » [In-9] Si nous rapportons ce propos, c’est qu’il reflète un état d’esprit encore fort répandu que l’on retrouve aussi au travers de lieux communs tels que : « On n’apprend pas à enseigner, c’est un art et la pédagogie ne peut être une science... Et s’il y a quelque chose à dire, cela l’a été depuis longtemps. » Et faute de citer ici Aristote, Hippocrate ou Gallien, on se contente de recueillir auprès d’éminentes personnalités (en) affirmant que Platon, Rousseau ou Coménius ont épuisé la question depuis longtemps. C’est en tournant le dos à ce Moyen-Age-là, que je me suis engagé dans l’élaboration d’une didactique scientifique des mathématiques. »

En poursuivant l’idée de Georges Glaeser, il nous faut rappeler que nous devons prendre des précautions quand nous retrouvons dans les écrits les mots comme école, écoliers, maître, livre, lecture, mathématiques, calcul, etc., qui nous sont familiers. Ils peuvent constituer de redoutables pièges d’interprétation en ce qu’ils peuvent ne pas désigner la même réalité que celle que nous vivons. Les documents iconiques : images ou tableaux picturaux peuvent donner à voir un aspect d’une réalité passée que nous ne renvoient pas les mots.

Dans les années soiante-dix, lors de ses recherches sur l’histoire de l’enseignement des mathématiques, Jean-Claude Régnier [In-10] avait découvert dans les Archives départementales de Saône et Loire les traces d’un concours de recrutement de maître

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [11]

d’école à Bourbourg dans le Nord rapporté par un document de Fontaine de Rebescq6 en 1878. Il semblait qu’à Bourbourg, les maîtres d’école étaient nommés par le Magistrat, à la suite d’un concours. Il est alors dit que les archives de cette ville possédaient encore les compositions d’un concours passé en 1764 par quatorze candidats. Le concours était constitué de deux dictées : l’une en langue française, l’autre en langue flamande, d’une page d’écriture et des épreuves de mathématiques.

Voici les contenus de ces épreuves que les candidats ont eu à affronter.

Multiplication.

1,500 x 1,100 = …..

9 candidats sur 14 donnent un résultat exact 11 candidats sur 14 donnent un résultat exact

Règle de trois

45 livres coûtent 138 florins. Combien coûtèrent 70 livres ?

4 candidats sur 14 réalisent correctement la règle de proportionnalité, ici la règle de trois

Règle de Société.

Quatre particuliers se sont associés et ont mis en communauté, comme suit : le premier 3,490, le deuxième 7,730, le troisième 5,450 et le quatrième 1,080 livres ; ils font un bénéfice de 4,589 livres ; combien en revient-il à chacun d’eux, proportionnellement à sa mise ?

2 candidats sur 14 réalisent seulement correctement la règle de proportionnalité

Dans les notations françaises usuelles actuelles, nous utilisons la virgule pour l’écriture des nombres décimaux et le point comme séparateur dans l’écriture des nombres entiers. Ainsi dans le codage actuel 7,730 serait lu oralement « sept virgule sept cent trente ». Dans le codage utilisé dans les énoncés des problèmes de l’épreuve, il s’agit du nombre « sept mille sept cent trente ». Actuellement il serait écrit 7.730 avec un point comme séparateur. Dans la notation anglo-saxonne à l’instar de ce qui est en usage sur les calculettes, ce sont les signes point décimal et virgule séparatrice qui sont utilisés comme au XIXe siècle.

Nous pouvons nous intéresser aux ressources auxquelles un candidat avait pu avoir recours à cette époque. En 1764, nous trouvons, par exemple, une édition posthume de l’Arithmétique du Sieur Barreme7 publiée chez Nyon à Paris.

6 Fontaine de Rebescq (1878) L’histoire de l’enseignement primaire avant 1789 dans les Communes qui ont

formé le département du Nord. Lille : L. Qarré, Paris : H. Champion 7 François Barreme (Tarascon 1638 ou Lyon 1640 ; Paris 1703) mathématicien, son patronyme est à l’origine

de nom commun : barème.

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [12]

-ter tous à la fois comme plusieurs enseignent.

Il faut seulement de 12 en 12 deniers poser un

point à côté, qui marquera 1 Sol : autant de

points seront autant de Sols qu’il faut retenir, et

qu’il faut ajouter aux Sols qui précèdent : et s’il

reste quelques deniers comme à celle-ci il en

reste 4, il faut les écrire au bas comme vous

voyez à la page (ci-contre).

Après retenant les 5 sols provenus des deniers,

et marqués par les 5 points, il les faut ajouter

avec les sols de la prochaine colonne et vous

trouverez 46 sols : il faut poser 6 sols en bas et

retenir les 4 dizaines pour les joindre avec les 7

qui devancent et feront 11 dizaines ou 11 fois

10 sols dont la moitié est 5 livres et 10 sols ;

pour les 10 sols vous poserez 1 devant les 6

sols et retiendrez 5 livres, pour les ajouter à la

prochaine colonne des Livres, et en observant

l’enseignement des Livres seules, (feuillet 8)

vous trouverez que la somme de votre Addition

montera.

Sept mille six cens quatre-vingt-trois livres,

seize sols, quatre deniers.

(Source : Archives privées Jean-Claude Régnier)

Examinons maintenant l’énoncé portant sur la règle de trois.

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [13]

vrai nom, il la faudrait appeler LA REGLE DE

RAISON, parce que les propositions y sont

raisonnées et résolues par des démonstrations

convaincantes.

Par elle on propose des questions, on les résout, et on tire

des conséquences plus assurées et plus solides que celles

de la Philosophie : nos conséquences sont si certaines et

nos preuves si véritables, qu’il n’est pas permis d’en

douter, à moins que de renoncer au sens commun.

qu'on sache bien la Multiplication et la Division ; car

ordinairement il n’y a qu’une Multiplication et une

Division à faire.

Pour la faire, multipliez seulement les deux derniers

nombres ensemble et divisez ce qui viendra par le

premier, et votre Règle sera faite.

(Source : Archives privées Jean-Claude Régnier)

Quant à la procédure de résolution du problème portant sur la Règle des sociétés, elle est abordée dans un chapitre consacré aux Règles de Compagnie financière.

(Source : Archives privées Jean-Claude Régnier)

Introduction Qu’est-ce que la didactique des mathématiques ?

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [14]

Dans [In-11], Jean-Claude Régnier a rapporté et analysé l’approche de l’enseignement du comptage fondé sur le boulier-numérateur tel que Marie Pape-Carpantier le concevait au XIXème siècle pour l’école maternelle.

Nous avons ainsi posé des éléments à la fois d’ordre historique, épistémologique et éducationnel qui permettent d’entendre dans quelles conditions historico-socio-culturelles a émergé le courant français de la didactique des mathématiques en France. La didactique des mathématiques est alors vue en simplifiant comme une science des conditions spécifiques de l’acquisition provoquée des connaissances mathématiques [In-3].

Pour aller plus loin… [In-1] Brousseau G. (1986) Théorisation des phénomènes d’enseignement des mathématiques

Thèse de doctorat d’état. Université Bordeaux1 [In-2] Brousseau G. (1986) Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques Revue

RDM, (Vol 7-2, pp. 33-115) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions [In-3] Brousseau G. (1994) Perspectives pour la didactique des mathématiques. Vingt ans de

didactique des mathématiques en France, M. Artigue, & al. (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions, (pp.51-66)

[In-4] Brousseau G. (1998) Théorie des situations didactiques, N. Balacheff, et al. (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage

[In-5] Brun J. (1994) Évolution des rapports entre la psychologie du développement cognitif et la didactique des mathématiques. Vingt ans de didactique des mathématiques en France, M. Artigue, & al. (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions, (pp.67-83)

[In-6] Rouchier A.. (1994) Naissance et développement de la didactique des mathématiques. Vingt ans de didactique des mathématiques en France, M. Artigue, & al. (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions, (pp.148-160)

[In-7] Glaeser G. (1999) Une introduction à la didactique expérimentale des mathématiques, B. Blochs, et JC Régnier (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions,

[In-8] Régnier, JC, Perrier F., (2002) La didactique des mathématiques au travers d'un récit de vie. Entretiens avec Georges Glaeser. Strasbourg : I.R.E.M. ISBN 2-911446-19-4

[In-9] Thom R. (1976) Modern mathematics: does it exist ? in Developments in mathematical education. Cambridge University Press

[In-10] Régnier, JC, (1979) Contribution à la recherche sur l'histoire de l'enseignement des mathématiques, Strasbourg: I.R.E.M.

[In-11] Régnier, JC, (2003) Le Boulier-Numérateur de Marie Pape-Carpantier Bulletin de l'APMEP n°447 (pp.457-47)

[In-12] Kahane J-P.,(dir.) (2002) L’enseignement des sciences mathématiques Rapport au Ministre de l’Éducation nationale. Paris : CNDP & Odile Jacob.

[In-13] Bouvier A.,(dir.) (1986) Didactique des mathématiques. Le dire et le faire. Paris : CEDIC/Nathan ISBN : 2-7124-0165-4

[In-14] Walusinki G. (1970) Pourquoi une mathématique moderne ?. Paris : Armand Colin [In-15] Portugais J. (1995) Didactique des mathématiques et formation des enseignants. Berne :

Peter Lang

Chapitre I.1 Mathématiques comme objets culturels

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Réflexion sur les mathématiques et leur enseignement

Partie 1

À quoi tient tout le bouillonnement depuis près de quatre décennies autour des mathématiques ? Nous reprenons trois raisons attribuées par Jean-Pierre Kahane : un certain rejet des mathématiques par une partie des citoyens pour des causes diverses et multiples qu’il convient d’identifier et d’analyser ; une utilité patente des mathématiques dans un grand nombre de pratiques humaines mais dont on peut observer un effet paradoxal sur l’enseignement des mathématiques dans une dérive utilitariste ; la place des mathématiques dans la culture, leur relation à la démocratie et leur contribution à la lecture du monde et à la vision de l’avenir.

Face à la mondialisation croissante et aux grandes questions qui touchent notre planète et notre monde engageant la politique et la démocratie, il convient de laisser place à une réflexion approfondie sur le rôle des mathématiques, leur enseignement et leur apprentissage.

Objectifs Contenu Faire comprendre que les

mathématiques ne sont pas seulement techniquement utiles mais qu’elles font partie de notre culture.

Amener à réfléchir sur les mathématiques en ce qu’elles sont considérées comme objet de l’enseignement.

Amener à réfléchir sur les mathématiques selon les dimensions cognitive et affective, épistémologique et historique, sociale et culturelle.

1. Les mathématiques comme objets

culturels. 2. Les mathématiques ont une histoire. 3. Mathématiques et affectivité. 4. Mathématiques et usages sociaux. 5. Mathématiques, sexe et genre.

Mots clé : Culture, patrimoine scientifique, genre, compétences, langage, relations affectives, imaginaire, conceptualisation.

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1. Les mathématiques comme objets culturels. Dans notre société, il y a comme une certaine fascination pour l'étrangeté des

mathématiques. Comme nous le verrons plus loin dans le rapport affectif aux mathématiques, nous rencontrons presque toujours des individus qui disent ne pas les aimer ou que les mathématiques ne les aiment pas ou bien qui affirment leur passion, mais rarement les mathématiques laissent indifférentes. Pour les élèves comme pour beaucoup de parents, les mathématiques ne sont qu'une réalité scolaire. À entendre les propos qui circulent ça et là, ils semblent exprimer les symptômes d’une culture qui n'aimerait pas les mathématiques, qui ne les comprend pas et même qui ne saurait les faire apprécier. À quel paradoxe sommes-nous confrontés quand nous savons que les pratiques sociales mettant en jeu des mathématiques sont toujours plus nombreuses ?

1A. Que sont les mathématiques ? A prime abord la question : « Que sont les mathématiques ? » peut surprendre par une

présupposée évidence de la réponse. Cependant cette réponse est loin d’être simple et rapide. D’ailleurs il en est de toutes les disciplines scientifiques dont la délimitation des champs respectifs est souvent problématique. Si nous considérons la statistique, par exemple, en tant que science parente proche des mathématiques, nous dénombrons plus d’une centaine de définitions qui vont des plus sérieuses et épistémologiquement fondées aux plus farfelues.

Le Dictionnaire de l’Académie Française dans sa 5e édition de 1822 donne la définition suivante :

MATHEMATIQUE : Science qui a pour objet la grandeur en général, c’est à dire tout ce qui est susceptible d’augmentation ou de diminution, et qui en considère les propriétés. (…) Il est plus usité au pluriel. Le peuple dit quelquefois et le peuple seul dit, La Mathématique (…)

Dans la célèbre Encyclopédie méthodique de Diderot et D’Alembert de 1785, nous pouvons trouver l’article suivant :

(Source : Archives privées

Jean-Claude Régnier)

La plus commune opinion dérive le mot Mathématique d’un mot grec, qui signifie science ; parce qu’en effet on peut regarder, selon eux, les Mathématiques, comme étant la science par excellence, puisqu’elles renferment les seules connaissances certaines accordées à nos lumières natu-relles ; nous disons à nos lumières naturelles, pour ne point comprendre ici les vérités de foi, & les dogmes théologiques.

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D’autres donnent au mot Mathématique une autre origine, sur laquelle nous n’insisterons pas, & qu’on peut voir dans l’histoire des mathématiques de M. Montucla, pag 2&3. Au fond, il importe peu quelle origine on donne à ce mot, pourvu que l’on se fasse une idée juste de ce que c’est les Mathématiques. Or cette idée est comprise dans la définition que nous en avons donnée ; & cette définition va être encore mieux éclaircie.

Les Mathématiques se divisent en deux classes ; la première, qu’on appelle Mathématiques pures, considère les propriétés de la grandeur d’une manière abstraite : or la grandeur sous ce point de vue, est ou calculable, ou mesurable : dans le premier cas, elle est représentée par des nombres ; dans le second cas, elle est représentée, par l’étendue ; dans le premier cas les Mathématiques pures s’appellent Arithmétique ; dans le second, Géométrie. (…)

La seconde classe s’appelle Mathématiques mixtes ; elle a pour objet les propriétés de la grandeur concrète, entant qu’elle est mesurable ou calculable ; nous disons de la grandeur concrète, c’est à dire, de la grandeur envisagée dans certains corps ou sujets particuliers. (…)

Du nombre des Mathématiques mixtes, sont la Méchanique, l’Optique, l’Astronomie, la Géographie, la Chronologie, l’Architecture militaire, l’Hydrostatique, l’Hydraulique, l’Hydrographie ou Navigation. (…)

Quant à l’utilité des Mathématiques, voyez les différens articles déjà cités ; & sur-tout les articles GEOMETRIE & GEOMETRE.

Nous dirons seulement ici, que si plusieurs écrivains ont voulu contester aux Mathématiques leur utilité réelle, si bien prouvée par la préface de l’histoire de l’Académie des Sciences, il y en a eu d’autres qui ont cherché dans ces sciences des objets d’utilités frivoles ou ridicules. On peut en voir un léger détail dans l’histoire des Mathématiques de M. Montucla (…) Cela me rappelle le trait d’un chirurgien, qui, voulant prouver la nécessité que les chirurgiens ont d’être lettrés, prétend qu’un chirurgien qui n’a pas fait sa rhétorique, n’est pas en état de persuader à un malade de se faire saigner lorsqu’il en a besoin. (…)

Différentes branches des Mathématiques se divisent encore en spéculatives & pratiques.(…) »

Louis-Marie Morfaux dans son Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines de 1980 définit ainsi la mathématique ou les mathématiques de la façon suivante : « ensemble des sciences déductives ayant pour objet le nombre, l’espace, l’ordre ». Il distingue parmi cet ensemble : les mathématiques pures ou abstraites (arithmétique, algèbre, calcul des fonctions, calcul infinitésimal), les mathématiques concrètes (géométrie, topologie) et les mathématiques appliquées (trigonométrie, géométrie descriptive, calcul des probabilités.). Il rappelle que le pluriel indique la diversité de fait des disciplines de cet ordre tandis que le singulier renvoie à l’idéal des mathématiciens de les unifier en une seule théorie.

Pour entrer dans une des disciplines des mathématiques pures, nous donnons un exemple concernant l’Arithmétique à partir d’un traité du XIXe siècle.

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(Source : Archives privées Jean-Claude Régnier)

Nous voyons que définir les mathématiques n’est pas chose simple et que des références aussi fondamentales que celles d’un Diderot ou d’un D’Alembert ne fournissent pas une caractérisation précise de leur objet. Jean Dhombres [I.1-10] (p. 3), en tant que spécialiste de l’histoire des mathématiques, aborde l’objet et l’utilité de celles-ci à partir de textes classiques. Ainsi pointe-t-il :

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Thème du texte Auteurs Dates des textes de référence

valeur intellectuelle des mathématiques

Platon

utilité de mathématiques Plutarque

Pan Lei 1690

mathématisation du monde physique

Galilée 1604, 1623, 1638

recherche de la vérité Descartes 1637

Pascal 1657

mathématiques et les lumières D’Alembert 1746, 1751

Condillac 1798

question des progrès des mathématiques

Fourier 1822

Galois 1831

architecture des mathématiques Bourbaki 1948

Concomitamment au développement des connaissances mathématiques, les mathématiques assument aussi, dans les sociétés, un certain nombre de rôles parmi lesquels Jean Dhombres identifie un rôle éducatif, un rôle social, un rôle méthodologique et un rôle culturel.

Un rôle éducatif des mathématiques qui n’a fait que s’accroître au delà de la formation des géomètres ou des experts-comptables.

Un rôle social des mathématiques en ce qu’elles concernent tant les calculs calendériques, les calculs des conjonctions des planètes et des prévisions des éclipses, que ceux des impôts ou des taxes ou encore aujourd’hui des divers calculs statistiques ou économiques.

Un rôle méthodologique des mathématiques en ce qu’elles interviennent dans la modélisation des phénomènes étudiés dans de nombreuses sciences y compris, aujourd’hui, les sciences humaines et sociales.

Un rôle culturel des mathématiques en ce qu’elles sont incorporées au sein des grands systèmes de pensée visant la compréhension ou l’explication du monde.

Faute d’une définition des mathématiques précise donnant des contours et des objets bien identifiés, la compréhension des rôles qu’elles jouent dans notre vie quotidienne, dans le monde qui nous entoure, peut constituer une clé de lecture de ce que sont les mathématiques.

Selon le mathématicien René Thom, les mathématiques sont à considérer comme un langage théorique universel fondé sur des axiomes avec une logique propre et une cohérence interne. Elles constituent une science vivante et évolutive dont le développement provient autant de la confrontation à des problèmes internes qu’à des problèmes externes et de leur résolution. Dans un entretien avec Jacques Nimier [I.1-1], René Thom va jusqu’à affirmer que dans les sciences, il ne peut y avoir une théorisation à validité réellement universelle fondée sur des concepts exprimés dans le langage ordinaire, si ces concepts ne sont pas exprimables MATHEMATIQUEMENT en terme d’entités fondamentales. Pour René Thom, il n’y aurait de théorisation que mathématique !

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Cette théorisation qui se réalise par la mathématisation conçoit les mathématiques comme se développant selon un processus qui part de l’expérience, s’en abstrait pour y revenir ensuite. Il s’agit là d’une conception platonicienne selon laquelle les objets mathématiques ont une réalité objective, une existence propre indépendante de la connaissance que nous en avons. L’activité du mathématicien consiste en une sorte d’activité de découverte.

Au XIXe siècle apparaît une conception dite « formaliste » selon laquelle les objets mathématiques n’existent plus en dehors des théories qui les définissent. Les mathématiques ne consistent plus qu’en des formules, des assemblages de symboles, qui n’ont aucune signification en soi. Sur la base des règles de raisonnement identiques à celles de la conception platonicienne, les formules sont déduites d’autres formules. La vérité n’a plus qu’un statut formel. Le jeu sur le choix du système initial d’axiomes conduit à produire des théories consistantes où l’expérience sensible ne semble avoir aucune place. Il en est ainsi de l’origine des géométries non euclidiennes.

Au XXe siècle est apparue une troisième conception dite « constructiviste » en particulier développée à partir de 1907 par le logicien et mathématicien Luitzen Brouwer (1881-1966). Dans cette conception, seuls les résultats obtenus par une « construction finie » constituent des objets mathématiques. Dit autrement, les résultats bien établis sont ceux qui sont « expérimentables », c’est à dire réalisables en supposant qu’aucune limitation purement matérielle ne vienne s’y opposer. Dans cette conception des mathématiques, le raisonnement réfute le recours au principe logique du tiers exclu. Toute démonstration d’existence repose sur un algorithme de construction de l’objet.

Reste une autre question qui touche celle de la définition des mathématiques. Il s’agit de la question portant sur la ligne de démarcation entre la logique et les mathématiques. Nous n’abordons pas celle-ci dans ce cours.

1B. Quelques caractéristiques des mathématiques. Nous pourrions caractériser les mathématiques par la généralité de leur objet, le lien avec

leur histoire et le lien avec leur enseignement.

La généralité de leur objet : les mathématiques sont utilisées comme telles dans de nombreux et divers domaines.

Le lien avec leur histoire : les connaissances enseignées aujourd'hui comme concepts de base, sont déjà le fruit de très longues élaborations qui ont demandé, pour la plupart, plusieurs siècles. Mais chaque jour de nouvelles connaissances mathématiques sont produites par la communauté des mathématiciens. La masse de ces connaissances s’accroît même d’une manière vertigineuse d’année en année. Parmi ces nouvelles connaissances, se trouvent celles qui sont en meilleure adéquation avec le monde actuel.

Le lien avec leur enseignement : pour une part importante les mathématiques sont une mise en forme de raisonnements et de méthodes. Dans l'enseignement des mathématiques, beaucoup d'aspects sont mêlés : leur utilité dans la lecture du monde, leur rôle dans la sélection scolaire, le langage qu’elles constituent, leur place dans des concours comme les rallyes mathématiques, les olympiades des mathématiques ou le concours Kangourou.

L’analyse des besoins sociaux peut être conduite à partir d’une modélisation mathématique ou conduire à des problèmes dont la résolution est réalisée dans le cadre de théories mathématiques. Nous percevons alors l'importance de ne pas réduire l'enseignement des mathématiques à un enseignement de connaissances anciennes pour tenir compte des nouveaux liens qui sont apparus avec de nouveaux outils et instruments comme l'informatique par exemple.

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La lecture du monde fondée sur les apports des théories statistiques qui s’appuient elles aussi sur des modèles mathématiques, requiert une formation citoyenne en mathématiques. Les mathématiques font partie des objets de notre culture moderne et des moyens doivent en faciliter l’accès. L’enseignement organisé au sein de l’école en constitue un médiateur pour faire apprendre.

Nous pouvons aussi identifier trois sortes de mathématiques :

Les mathématiques de tout le monde et celles du quotidien : ces mathématiques matérialisent l'expression quantitative des faits à côté de leur expression verbale qui demeure qualitative. Ce sont les mathématiques comme outil nécessaire pour vivre au quotidien.

Les mathématiques des usagers : ce sont les mathématiques utilisées par les ingénieurs, les physiciens, les sociologues, les économistes, ou les psychologues. Les mathématiques leur sont un outil de travail indispensable.

Les mathématiques des mathématiciens : nous pourrions désigner ces mathématiques par l’expression : savoir savant. Pour les mathématiciens, les mathématiques sont tout autant un but qu’un moyen. Les mathématiques sont l’objet de leurs recherches. Les entretiens conduits par Jaques Nimier [I.1-1]

nous donnent à voir ce que sont les mathématiques pour cette communauté. Pour avoir une idée plus incarnée d’un mathématicien, homme en chair et en os impliqué dans la vie dans son époque, l’ouvrage biographique [I.1-5]

de Laurent Schwartz, un des plus grands mathématiciens français du XXe, est une bonne ressource. Voilà comment Laurent Schwarz se présente en avant-propos « Je suis mathématicien. Les mathématiques ont rempli ma vie : une passion pour la recherche et l’enseignement, tour à tour comme professeur à l’université et à l’Ecole polytechnique. J’ai en même temps réfléchi au rôle des mathématiques, de la recherche et de l’enseignement, dans ma vie et celle des autres, aux processus mentaux de la recherche, et je me suis consacré pendant des décennies aux réformes bien nécessaires de l’Université et des grandes écoles. »

1C. Le langage mathématique. Dans un texte de mathématique sont utilisés deux codes : le langage naturel et le langage

symbolique.

Le langage naturel écrit est le même que celui utilisé quotidiennement même si le lexique peut parfois être différent, mais en tel cas c'est plutôt typique de la science mathématique qu'au texte mathématique lui-même.

Le langage symbolique a non seulement son propre lexique mais aussi sa propre syntaxe. Les mots y sont formés par des combinaisons de lettres et de symboles. Les difficultés de tels mots dépendent à la fois de leur longueur mais aussi des conventions implicites qui y sont utilisées. Ce vocabulaire précis et concis présente une économie de communication tout à fait appréciable mais aussi apporte une facilité dans le traitement même de l’information. Toutefois la syntaxe de ce langage symbolique ne consiste pas en une traduction symbolique du langage naturel écrit. Le langage symbolique est un outil particulier de communication écrite. Bien qu’il soit indispensable mais il n’est pas suffisant pour le texte mathématique, d'où cette difficulté du glissement incessant d'un langage à un autre.

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1C1. Exemples de textes mathématiques écrits :

Texte écrit uniquement en langage naturel

Dans un parallélogramme, si un angle est un droit, alors les trois autres angles sont aussi des angles droits et ce quadrilatère est un rectangle.

Textes écrits uniquement en langage symbolique

)30)(2(260)260( 22 xxxxxxz 602 yxxyx 300 x

2

222

),(

2)(

ba

bababa

Ces textes présentent des expressions symboliques insérées dans des phrases en langage naturel

Calculer 10a2, puis (10a)2 et 100a2, pour a = 6, puis a = 0,6

L’expression )30)(2(260)260( 22 xxxxxxz peut être vue comme le début

d’une identité remarquable

Ces deux codes, langage naturel et langage symbolique, ne sont pas seulement juxtaposés mais ils sont utilisés dans une véritable interaction. L'emploi de ces deux codes donne lieu à trois modalités du langage mathématique :

des expressions symboliques ;

des formulations relevant du langage naturel ;

des formulations relevant d'un langage mathématique distinct du langage naturel par la présence d'éléments du langage symbolique, de termes lexicaux ayant un sens spécifique en mathématiques ou de tournures syntaxiques privilégiées.

Voici des exemples :

D'une manière générale, si deux ensembles ne sont pas disjoints, le nombre d'éléments de leur réunion n'est pas égal à la somme des nombres respectifs d'éléments de ces ensembles.

Ce texte comporte des éléments lexicaux ayant un sens spécifique en mathématiques : ensemble, disjoint, élément. Le terme respectif n'est pas un terme mathématique, il possède ici son sens habituel ; son emploi est dû à des raisons de concision.

La relation est telle que de chaque point représentant un élément de E part une flèche et une seule et telle qu'en chaque point représentant un élément de [1, 4] arrive une flèche et une seule.

Ce texte comporte des expressions symboliques E, [1, 4] (cet objet est nommé intervalle et désigne l'ensemble des nombres de 1 à 4), comme des éléments lexicaux ayant un sens spécifique en mathématique, et la construction « une et une seule » non utilisée couramment qui peut être considérée d'un point de vue transformationnel, comme le résultat de transformations de coordination et d'effacement à partir des deux phrases : « une flèche part » et « une seule flèche part ».

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Certaines particularités des textes mathématiques résident dans le choix préférentiel de constructions moins usitées en langage naturel courant comme l’emploi de formes passives, de nominalisations. La précision et la concision amènent à la formation de compléments de noms en cascade et de phrases composées de plusieurs subordonnées. Les termes scientifiques sont généralement monosémiques (un seul signe). Dans le langage mathématique, on note l’importance de la préposition de, des noms, des adjectifs et la relative absence de verbes. Cette imbrication des deux codes langage naturel et langage symbolique est l'une des originalités des textes mathématiques écrits.

1C2. Les divers modes d’insertion de l’écriture symbolique dans le langage naturel.

Trois modes d’insertion coexistent : l’insertion sans déformation de la syntaxe du langage naturel, l’insertion avec déformation de la syntaxe du langage naturel et l’insertion avec déformation du langage symbolique.

Insertion sans déformation de la syntaxe du langage naturel.

Ce mode correspond à l’emploi d'une expression du langage symbolique en syntagme nominal (syntagme : fusion ou réunion de deux ou plusieurs éléments en un seul complexe). L’expression du langage symbolique peut prendre deux formes : terme ou proposition.

L'expression du langage symbolique est un terme :

- soit employé seul. Exemple : La division euclidienne de a par b. Chacun des deux

termes a et b est employé seul.

- soit employé en apposition d'un système nominal. Exemple : Le sous-ensemble E de

l'ensemble F. Le terme E est en apposition au terme sous-ensemble et le terme F l'est au

terme ensemble. Les termes sont insérés dans la phrase de la même manière que le sont des noms propres.

L'expression du langage symbolique insérée à la place d'un syntagme nominal est une proposition :

- soit employée seule. Exemples : On suppose a> 2. On a : a>2. A B signifie que tout

élément de A est élément de B. Remarquons que les deux propositions a>2 sont employées

en complément d'objet, alors que la proposition A B est employée en sujet,

- soit employée en apposition à un syntagme nominal qui précise sa nature ou sa place

dans le raisonnement. Exemple : ce sont les solutions de l'équation f(x) = g(x), la proposition

f(x) = g(x) est en apposition au terme équation.

Insertion avec déformation de la syntaxe du langage naturel.

Prenons un exemple : Le point A D est différent de B. Cette phrase se lit : le point A qui

appartient à D est différent de B ou le point A appartenant à D est différent de B. A D est une proposition enchâssée dans la phrase matrice : le point A est différent de B.

Insertion avec déformation de la syntaxe du langage symbolique.

Les symboles remplacent un adjectif éventuellement suivi d'un complément. Exemples :

être supérieur ou égal à (≥), être égal à (=), être différent de (≠).

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1C3. Les divers types d’énoncé du langage mathématique.

Les mathématiques savantes écrites sont exprimées à partir d’énoncés dont le statut peut varier d’une présentation à l’autre. Nous reprenons les termes en usage au XIXe dans l’ouvrage de Vincent Croizet [I.1-6] :

Définition Proposition par laquelle on attribue un nom à une chose, ou l’explication d’un terme inconnu et qui n’a besoin d’aucune démonstration.

Proposition Exposé d’une chose ou d’un fait

Axiome Vérité évidente par elle-même

Théorème Proposition à démontrer. Il renferme deux parties : l’hypothèse et la conclusion qui en est la conséquence.

Corollaire Conséquence d’une proposition démontrée.

Lemme Proposition qui ne sert que de préparation à une autre.

Scolie Remarque relative à une ou plusieurs propositions précédentes

Hypothèse Supposition faite dans l’énoncé d’un problème ou pendant une démonstration.

Problème Question à résoudre ou qui exige une solution

Démonstration Preuve d’une proposition

C’est ainsi que l’auteur rappelle le raisonnement adopté dans son ouvrage. Aujourd’hui, nous pourrions dire :

Proposition Par référence à la logique : Énoncé de jugement susceptible d’être vrai ou faux

Axiome Chez les Grecs : proposition ou principe évident et non démontrable, concernant la notion de grandeur.

Actuellement : notions de base arbitrairement posées comme telles et dont la fonction est de constituer une science cohérente.

Postulat Dans la géométrie euclidienne : proposition ni évidente ni démontrable que le géomètre demande d’admettre pour qu’il puisse construire son système hypothético-déductif.

Actuellement : synonyme d’Axiome

Théorème Proposition démontrable dont on établit qu’elle résulte nécessairement d’autres propositions déjà démontrées ou de principes posés et qui généralement à son tour sert à démontrer d’autres propositions.

Le théorème est totalement lié à la notion de démonstration.

Conjecture Proposition présumée vraie mais non encore démontrée.

Dans une méthode axiomatique d’explicitation des mathématiques, comme il en est de la perspective adoptée par le groupe Bourbaki [I.1-7], un objet n’est alors pas directement défini par lui-même, par son essence, mais par les axiomes qu’il doit vérifier.

Donnons deux exemples de présentation axiomatique qui fonde des domaines des mathématiques :

Les fondements axiomatiques de la géométrie euclidienne ont été formulés par les axiomes d’Euclide, puis aujourd’hui ils le sont par les axiomes de Hilbert. Ces 20 énoncés donne une description rigoureuse et complète des bases à partir desquelles est construite toute la géométrie euclidienne.

Les fondements axiomatiques de l’ensemble des nombres entiers naturels IN sont donnés par les axiomes de Peano. Cette arithmétique repose sur des notions primitives comme le 0 (zéro), entier naturel, et successeur, et sur les 5 axiomes suivants :

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1. 0 est un nombre entier naturel ;

2. Tout nombre entier naturel a un successeur ;

3. Des nombres entiers naturels ayant même successeur sont égaux ;

4. 0 n’est le successeur d’aucun nombre entier naturel ;

5. Une partie P de IN contenant 0 et tel que le successeur de tout élément de P appartienne à P est égale à IN tout entier.

Un nombre entier est alors un objet qui respecte ces axiomes.

L’identification du statut des énoncés en mathématiques à partir de la catégorisation exposée ci-dessus, joue un rôle dans la compréhension même des mathématiques et dans leur apprentissage. Les travaux conduits par Raymond Duval [I.1-8] ou ceux de Damm [I.1-9] prennent en compte cette caractéristique pour penser l’enseignement des mathématiques. En particulier, dans le fonctionnement même de la démonstration considérée comme une argumentation fondée sur la substitution et non l’accumulation. Chaque démonstration peut être décomposée en une suite de pas, partant d’un ou plusieurs énoncés-source pour parvenir à un énoncé-but en utilisant une règle de transformation qui autorise cette substitution. Les deux énoncés sont d’égale valeur de vérité. Ils disent la même chose autrement.

1D. Finalités de l’enseignement des mathématiques de la scolarité obligatoire.

Force est de constater que la place des mathématiques dans des domaines variés et pour des rôles divers s’est accrue. Ainsi en est-il dans l'éducation tout comme dans la vie quotidienne mais aussi dans les relais que constituent les organes de diffusion de l'information ou encore dans les prises de décision politique et économique. De nombreuses questions surgissent telles que :

À quoi concourt l'enseignement des mathématiques ? D’une manière simplifiée nous pouvons dire que cet enseignement participe d’une formation générale, de la culture, d’une familiarisation avec une discipline de l'esprit (logique).

Dans quelle mesure la sélection par les mathématiques est-elle néfaste à l’enseignement même des mathématiques ?

Essayons de distinguer les principales finalités d’un enseignement de mathématiques. Ici, nous n’en retenons que trois que nous aborderons tour à tour : transmettre le patrimoine scientifique, former aux compétences mathématiques pour divers usages professionnels et aider à la conceptualisation du réel.

1D1. Transmettre le patrimoine scientifique.

Transmettre le patrimoine scientifique proprement mathématique comme finalité d’enseignement se situe au lycée. Pourtant, pendant des siècles on a enseigné aux élèves de 13 à 16 ans le modèle euclidien de la géométrie, ou du moins certaines parties de ce modèle, comme aujourd'hui on enseigne certaines versions de la théorie des nombres, de la

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géométrie et de l'algèbre linéaire. La réforme dite des « mathématiques modernes » aboutit à enseigner à des élèves de sixième, et même aux jeunes enfants du cours élémentaire, des parties de la logique des classes et de leur symbolisme. Des transformations et déformations profondes du savoir mathématique, lors des choix des concepts mathématiques au moment des réformes, sont faites pour que ce savoir savant devienne le savoir à enseigner (programmes et instructions) puis le savoir effectivement enseigné (manuels, pratiques de classe). On aboutit à un savoir scolaire. Certaines d'entre elles aboutissent à détourner complètement de leur signification les concepts et procédures mathématiques qu'il s'agit de transmettre. Or, les raisons de ces déformations ne sont pas claires même si elles ne sont pas toutes mauvaises. Ce n'est pas seulement pour faire simple ou semblant d’être « savant » que ce processus de transformation a lieu mais pour que les élèves puissent apprendre. Cependant cette transmission du patrimoine scientifique commence tout de même pour une part à l'école élémentaire. Ce qui est enseigné actuellement à des élèves de 10 ans a été dans les siècles passés, l’objet des recherches d’une petite communauté de mathématiciens.

L’histoire des mathématiques nous permet de connaître que : l'écriture des égalités et des inégalités avec des symboles particuliers pour les relations ( =, >, < ) et pour les opérations (+, -, X, :, /...), les tableaux de correspondance entre grandeurs proportionnelles, la représentation d'un nombre par un point sur une droite, ou la notation décimale sont autant d’inventions qui ont fait progresser les connaissances en mathématiques. Les propriétés des concepts qui sont enseignés aujourd’hui ont nécessité de nombreuses années pour être établies comme des vérités mathématiques. Par exemple, il en est ainsi de la nature du

nombre réel irrationnel 2 ou celui du nombre dont le caractère de nombre irrationnel n’a

été établi qu’au XIXe siècle. Dit autrement ces deux nombres ne peuvent être écrits sous la forme du rapport de deux nombres entiers.

1D2. Former aux compétences mathématiques pour divers usages professionnels.

L'enseignement des mathématiques est profondément marqué par l'idée que les mathématiques sont avant tout une discipline scientifique, et que l'objectif de former des mathématiciens ou des utilisateurs des mathématiques de haut niveau est primordial. La réforme des « mathématiques modernes » est un bel exemple : certains universitaires, mécontents des connaissances des étudiants qui entraient à l'Université, ont influencé cette réforme. La formation de mathématiciens et d’ingénieurs de haut niveau ne concerne qu’une minorité de la population des élèves du collège et du lycée. Même à l'Université, on enseigne des mathématiques à une diversité de populations d'étudiants : des physiciens, des chimistes, des économistes, des biologistes, des psychologues, des sociologues ou des littéraires.

Les textes de réflexion sur les mathématiques comme discipline de service renvoient aux spécialités scientifiques qui font usage des mathématiques (physique, biologie, sciences sociales et humaines) et nullement aux professions elles-mêmes. La réflexion des mathématiciens sur l'importance des savoirs et savoir-faire mathématiques chez les ouvriers, les employés, les agriculteurs, les commerçants est quasi inexistante.

Prenons un exemple : les calculs de mélanges que les éleveurs et les agriculteurs ont souvent besoin de faire notamment pour des mélanges d'engrais et des mélanges d'aliments. Un éleveur doit pouvoir comparer les valeurs alimentaires et les prix des mélanges d'aliments en vente dans le commerce, et déterminer le bénéfice possible en faisant les mélanges. Quelle proportion d'orge et de soja donne quelle proportion d'unités fourragères et de matières azotées, et à quel prix ? Les éleveurs qui n’entendent rien à

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l'algèbre linéaire, peuvent utiliser « la croix des mélanges » ou croire la publicité, ou faire comme le voisin.

Des recherches sont à mener quant à l'analyse de la part des mathématiques dans l'exercice d'une grande diversité de professions telles que celles d’ingénieur ou de technicien. Certaines professions ont besoin de mathématiques.

Mais, de quelles mathématiques ont-elles besoin ?

L'ergonomie cognitive qui est l'étude systématique des opérations de pensée nécessaires à l'accomplissement de telle ou telle activité ou à la résolution de tel ou tel problème, met en général en évidence les opérations de pensée qui présentent beaucoup d'aspects mathématiques et logiques. Elle permettrait d’aider à mieux déterminer les mathématiques utiles comme base d’une culture professionnelle, comme à apporter des solutions aux délicats problèmes d’éducation et de formation.

1D3. Aider à la conceptualisation du réel.

Cette finalité a été abordée dans les recherches des psychologues surtout celles de Jean Piaget. Mais, elle est reprise et développée par la recherche en didactique des mathématiques qui prend en compte l'épistémologie spécifique des différents concepts mathématiques. Les recherches en didactique des mathématiques qui se focalisent sur cette finalité, considèrent les contenus de l'enseignement. Cette finalité transparaît surtout dans les débats sur les programmes et sur la formation des maîtres.

L'enfant développe spontanément certaines représentations du réel pour vivre dans son environnement. Il développe une représentation de l'espace comprenant des opérations analysables en termes mathématiques : calcul des relations spatiales en fonction des déplacements ou calcul de positions.

Le nombre naturel est lui-même appris largement en dehors de l'école. C'est un concept qui apparaît d'abord comme une réponse à des problèmes de comparaison (plus, moins, pareil) et à des problèmes d'addition et de soustraction. L'enfant apprend dans l'action, à travers des situations de prévision ou de production dans lesquelles ses procédures manifestent la prise en compte progressive de certaines propriétés. Gérard VERGNAUD [I.1-2]

parle de théorèmes-en-acte [I.1-3] qui sont compris progressivement par l'enfant. Ces

théorèmes ne sont le plus souvent qu'implicites. Il arrive toutefois que les enfants en expriment des aspects essentiels. Le domaine d'application de ces théorèmes-en-acte est très local, limité à des valeurs numériques simples, et à des domaines d'expérience familiers. Toutefois les enfants étendent spontanément, et dans certaines limites, le domaine de validité des opérations logiques ainsi découvertes. Nous pourrions donc considérer que l'enseignement des mathématiques doit créer les conditions favorables à l'émergence, à l'approfondissement, à l'extension et à l'explicitation progressive de tels théorèmes-en-acte qui sont des traces de la conceptualisation progressive dans un contexte socioculturel donné. Par exemple, la conceptualisation de l'aire et du volume relève de théorèmes –en-acte et elle n'est pas achevée à la fin du collège.

Si l'on considère dans l'enseignement cette idée que les mathématiques apportent une contribution importante à la conceptualisation du réel, nous sommes amenés à revoir profondément les curricula de mathématiques et la relation qu'ils entretiennent avec les autres curricula. En particulier, le recours à des situations et à des domaines autres que les mathématiques elles-mêmes, peut être un puissant facteur de renouvellement de l'enseignement. Cela ne signifie pas que doivent pour autant être reléguées au second plan les conceptualisations proprement mathématiques. Mais, peut-être ces conceptualisations prendraient-elles de la profondeur si elles étaient moins isolées du reste ?

Chapitre I.1 Mathématiques comme objets culturels

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [28]

1E. Apport pour l’enseignant. Les enjeux sociaux et culturels auxquels se confronte aujourd'hui l'enseignement des

mathématiques justifient suffisamment que tout enseignant réfléchisse sur les finalités de cet enseignement en particulier. Les postures prises a priori contre les mathématiques construites sur la base d’un rapport plutôt négatif et de mauvais souvenirs scolaires, ne sont pas propices à une telle réflexion. Il ne s’agit pas de nier la nature du rapport affectif aux mathématiques comme nous pouvons le voir au chapitre 3 mathématiques et affectivité. Bien au contraire il s’agit de prendre en considération tant la répulsion que l’attirance pour les mathématiques, pour analyser ce qui, dans la pratique d’enseignement, peut fournir les conditions favorables au franchissement des inévitables obstacles à l’apprentissage des mathématiques. La prise en compte des dimensions sociale et culturelle à côté des dimensions cognitive et affective ne peut qu’enrichir les cadres d’analyse et favoriser l’intelligibilité des situations d’enseignement-apprentissage dont les enseignants ont la responsabilité dans leur mission.

Pour avancer, nous nous devons de développer des recherches nombreuses et précises sur les compétences mathématiques effectivement requises dans une grande diversité d'usages des mathématiques, ainsi que sur les étapes et les processus par lesquels les élèves maîtrisent progressivement, à travers des situations et des activités caractérisées avec précision, la diversité des savoirs et savoir-faire mathématiques qu'on attend qu'ils apprennent. Actuellement, nous restons encore trop souvent dans l'illusion. Ces recherches permettraient aux enseignants de mieux cerner les difficultés conceptuelles que rencontrent les élèves, parce qu'ils n'arrivent pas à remettre en question la transparence de leurs propres acquis, et à reconstituer le chemin que les élèves ont à parcourir. Ils se trompent parfois dans l'autre sens et voient des difficultés là où il y en a peu. Enfin, ils sous-estiment beaucoup la durée requise par le processus d’apprentissage pour parvenir à des étapes significatives de la formation des individus. Par ailleurs, il est aussi nécessaire de prendre effectivement en compte la grande diversités des compétences entre élèves à un âge donné.

L’aide à la conceptualisation du réel comme finalité d’enseignement peut être considérée comme intégrative des deux finalités que constituent la transmission d’un patrimoine scientifique et la formation des compétences mathématiques pour divers usages professionnels. Cette finalité est adaptée aux processus de développement et d'appropriation des connaissances qui gouvernent les apprentissages de l'élève. Mais en même temps, elle ne se suffit pas à elle-même car l'analyse de cette finalité renvoie nécessairement aux mathématiques comme science constituée et comme discipline de service.

Nous sommes une fois de plus renvoyés à des questions fondamentales telles que :

Quelle épistémologie ferait-on des savoirs et savoir-faire de l'élève si les mathématiques ne nous fournissaient une partie des outils pour les analyser ?

Quelle vision aurait-on de l'utilité des mathématiques pour l'élève si nous ne disposions pas d'une certaine vision des diverses utilisations des mathématiques dans les autres sciences et dans différentes professions ?

L’objectif de ce cours même est de contribuer à introduire ces considérations dans la conception de l'enseignement [I.1-4]

des mathématiques à tous les niveaux d'enseignement.

Chapitre I.1 Mathématiques comme objets culturels

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [29]

Pour aller plus loin… [I.1-1] Nimier J. (1989) Entretien avec des mathématiciens. L’heuristique mathématique.

Villeurbanne : IREM de Lyon [I.1-2] Vergnaud G, (1981), L'enfant, la mathématique et la réalité, Peter Lang Berne

[I.1-3] Vergnaud G. (1991). La théorie des champs conceptuels, R. D.M. 10/2-3, p. 133-170. [I.1-4] Vergnaud, G., (1994) Le rôle de l'enseignant à la lumière des concepts de schème et de

champ conceptuel, M. Artigue, R. Gras, C. Laborde, P. Tavignot (Eds) Vingt ans de didactique des mathématiques Grenoble : La pensée Sauvage, p.177-191

[I.1-5] Schwartz, L. (1997) Un mathématicien aux prises avec le siècle. Paris : O. Jacob [I.1-6] Croizet, V., (1840) Géodésie générale et méthodique des géodésies considérée sous le

rapport de la mesure et de la division des terres. Paris : Pélissonnier, libraire [I.1-7] Le groupe Bourbaki a été fondé en 1935 par d’anciens élèves de l’École normale supérieure

dont Henri Cartan, André Weil et Jean Dieudonné. [I.1-8] Duval, R., (1995). Sémiosis et pensée humaine. Registres sémiotiques et apprentissages

humains. Berne : Peter Lang [I.1-9] Damm R. (1992). Apprentissage des problèmes additifs et compréhension de texte.

Strasbourg : Thèse U.L.P [I.1-10] Dhombres J, & al (1987) Mathématiques au fil des âges. Paris : Gauthier-Villars

Chapitre I.2 Mathématiques ont une histoire

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [30]

2. Les mathématiques ont une histoire. Il nous est apparu important de revenir sur la dimension historique des mathématiques.

En effet les modalités de rencontre avec les mathématiques dans leur approche scolaire les présentent la plupart du temps comme un édifice achevé, pérenne, jamais soumis aux aléas de la découverte ni porteuses d’erreur en leur sein. Elles ne sont pas présentées comme le produit d’un travail humain de découverte, d’invention ou de créativité. Elles n’apparaissent pas comme le produit d’une activité humaine qui a débuté, sans doute à l’aube de l’humanité et surtout qui se poursuit inlassablement.

2A. Prise en compte du développement historique des mathématiques.

Dans les années 1970, un courant est apparu dans la communauté des enseignants de mathématiques considérant comme important d’introduire dans l’enseignement des mathématiques, une perspective historique. Cette idée était en lien avec l’épistémologie des mathématiques : les connaissances des mathématiques naissent de la résolution de problèmes. Nous reviendrons plus précisément sur ce point plus loin. On a pu alors penser que la connaissance des problèmes qui se sont historiquement posés et dont la résolution avait conduit au développement des mathématiques, pouvait donner du sens à la fois à l’enseignement même des mathématiques et faciliter la compréhension des concepts abordés.

Dans son ouvrage de Géodésie publié en 1840 que nous avons déjà évoqué, Vincent Croizet [I.2-8]

commence par un coup-d’œil rapide sur l’histoire des mathématiques. Il écrit que « les Mathématiques, dont le nom veut Science ou Instruction, ont pour objet de comparer les grandeurs. Elles se divisent naturellement en Mathématiques pures et Mathématiques mixtes. Les Mathématiques pures considèrent les propriétés de la quantité d’une manière abstraite, et capable d’augmentation ou de diminution. Les Mathématiques mixtes, qu’on nomme plus ordinairement Sciences Physico-Mathématiques, sont des parties de la Physique susceptibles, par leur nature, d’une application spéciale des Mathématiques pures. Telles sont la Mécanique, science de l’équilibre et du mouvement des corps solides ; l’Optique ou la théorie du mouvement de la lumière ; l’Astronomie, science du mouvement des corps célestes ; l’Acoustique ou la théorie du son, etc.. Les Mathématiques pures, les seules dont je me propose de parler, renferment l’Arithmétique, la Géométrie et l’Algèbre. » Il dit alors s’appuyer sur l’ouvrage Histoire des mathématiques [I.2-1]

de Jean-Etienne Montucla (1725-1799) dont la première édition avait été réalisée en 1758. Le sous-titre présente une histoire « dans laquelle on rend compte de leurs progrès depuis leur origine jusqu’à nos jours ; où l’on expose le tableau et le développement des principales découvertes dans toutes les parties de mathématiques, les contestations qui se sont élevées entre les mathématiciens et les principaux traits de la vie des plus célèbres. »

L’apport de l’étude de l’histoire des mathématiques montre, selon Jean Dieudonné [I.2-4],

que, la plupart du temps, une théorie commence par la confrontation à un problème très particulier. Par exemple, citons le cas du problème de la duplication du cube dans les mathématiques grecques. À partir de l’analyse des résultats de cette confrontation, Jean Dieudonné était parvenu à une catégorisation de ces situations problèmes en six classes.

Les efforts pour résoudre le problème posé peuvent rester vains. Ce problème constitue un représentant d’une première classe : celle des problèmes morts-nés. Par exemple : la détermination des nombres premiers de Fermat ou l’irrationalité de la constante d’Euler.

Chapitre I.2 Mathématiques ont une histoire

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [31]

Les efforts pour résoudre le problème peuvent être fructueux mais cette résolution n’apporte pas de progrès pour résoudre d’autres problèmes. Cela constitue la seconde classe des problèmes sans postérité.

Mais une situation plus favorable peut surgir à la suite d’un approfondissement des techniques mises en œuvre pour résoudre le problème initial. Ces techniques enrichies peuvent être mises à profit pour affronter des problèmes similaires voire plus difficiles. Cependant il se peut que les mathématiciens restent avec le sentiment de ne pas vraiment comprendre la raison de ces succès. Il y a là une troisième classe, celle des problèmes qui engendrent une méthode.

Parfois, au bout d’un temps assez long, il se peut que l’étude du problème conduise à des résultats insoupçonnés, révélant l’existence de structures sous-jacentes qui éclairent la question posée, et mieux encore, fournissent des outils généraux et puissants qui vont donner la possibilité d’élucider quantité d’autres problèmes dans divers domaines. Cette quatrième classe est alors formée des problèmes qui s’ordonnent autour d’une théorie générale, féconde et vivante.

Toutefois Jean Dieudonné rappelle ce que soulignait David Hilbert qu’une théorie ne prospère que par l’apport ininterrompu de problèmes nouveaux. Ayant résolu les problèmes les plus importants par leurs conséquences et leurs liens avec d’autres branches des mathématiques, la théorie a tendance à se centrer sur des questions de plus en plus spéciales et isolées qui peuvent même être très difficiles. Il s’agit alors d’une cinquième classe de problèmes sur laquelle les théories qui s’y alimentent vont, plus ou moins passagèrement, se trouver en voie d’étiolement.

Enfin il se peut que, partant d’une théorie fondée sur un choix heureux d’axiomes motivé par des problèmes précis et ayant développé des techniques d’une grande efficacité dans de nombreuses parties des mathématiques, on se mette à chercher, sans motif apparent, à modifier assez arbitrairement la base des axiomes. Pour Jean Dieudonné, l’espoir du renouvellement des succès de la théorie initiale est la plupart du temps trompeur. S’appuyant sur une suggestion de Polya et Szegö, il détermine une sixième classe qui conduit aux théories en voie de délayage.

En ce qui concerne le groupe Bourbaki auquel il a appartenu, et dont les travaux de ce groupe ont participé à la construction de l’histoire des mathématiques, Jean Dieudonné considère ici que les sujets traités dans le séminaire Bourbaki relèvent plutôt de la quatrième catégorie et dans une moindre mesure de la troisième.

Notre but ici n’est pas d’exposer une histoire des mathématiques. Il est avant tout celui de faire comprendre que les mathématiques ont une histoire au cours de laquelle des points de vue se sont affrontés et des erreurs ont été perpétrées au sein des théories mathématiques en vigueur à l’époque. Évidemment, comme le précise Gaston Bachelard dans ses propos sur l’épistémologie des sciences, ces erreurs apparaissent après-coup.

La plupart des personnes non spécialistes de mathématiques n’imagine pas que les mathématiciens dans leur contribution au développement ont commis des erreurs. Lorsqu’elles pensent erreurs, celles-ci ne l’associent qu’aux erreurs que l’élève commet lors de ses études à l’école, au collège ou au lycée. Pour illustrer comment les évolutions et les erreurs font partie de la construction des mathématiques au cours de leur histoire, nous rapportons les propos de Laurent Schwartz [I.2-11] (p.160-161)

quand il parle de sa rencontre avec Bourbaki et des satisfactions intellectuelles qui en ont découlé. « Bourbaki fut pour moi une révélation » écrit-il. Le mode de pensée que développe Bourbaki à partir de la méthode axiomatique, conduit à une pratique de recherche qui le satisfait tout à fait. « J’ai pris l’habitude de déterminer dès le début de chaque recherche la structure dans laquelle j’évoluais. (…) Chaque structure est entièrement caractérisée par ses axiomes. Cela permet

Chapitre I.2 Mathématiques ont une histoire

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [32]

une classification des divers objets mathématiques les uns par rapport aux autres. (…) on se débarrasse de contraintes stupides qui existaient auparavant. » et il poursuit « Le langage devient (…) extrêmement épuré. Les romans, que rappelaient les livres de la Collection Borel, disparurent. Les modèles de rédaction ont varié à travers les siècles et ont subi diverses transformations. C’est d’abord, en Grèce, le mathématicien (ou groupe de mathématiciens) Euclide qui réorganisa complètement la géométrie grâce, déjà, à une théorie plus ou moins axiomatique et une rédaction extrêmement précise. Les articles des Grecs sont écrits avec une précision infiniment plus élevée que ceux de la Collection Borel ou de Lebesgue ou ceux du XVIIe ou XVIIIe siècles. » Il y a donc lieu de percevoir que l’expression du discours est variable au cours du temps. En ce qui concerne les erreurs véhiculées par ce discours, Laurent Schwartz parle des mathématiques du début du XIXe siècle qui ont perdu toute rigueur. « On manipulait des séries sans trop savoir si elles étaient convergentes ou divergentes (…) et s’il y avait convergence, on ne précisait pas si elle était uniforme. » Il poursuit en relatant comment, en 1821, Cauchy, dans son cours à l’École polytechnique « démontre » que la somme d’une série simplement convergente de fonctions continues est continue. En 1826, Abel publie un contre-exemple où la somme n’est pas une fonction continue, ce qui invalide la proposition de Cauchy. Pourtant, comme le note Laurent Schwartz, Cauchy dont l’exigence de rigueur ne peut être mise en doute, répète l’erreur en 1833 ! Parlant de Lagrange, Laurent Schwartz rappelle que ce célèbre mathématicien écrivit un traité sur les « dérivées, sans les infiniment petits » dans lequel il s’est incroyablement trompé. Son approche pour obtenir la dérivée est localement valide si la fonction est un polynôme ou encore une fonction analytique, objet encore inconnu à son époque. Sinon elle est fausse.

Nombre d’élèves n’arrivent pas à bien gérer le lien entre la comparaison de deux nombres quelconques et celle de leur carré. Ou encore sur la compatibilité entre la relation d’ordre et la multiplication. Ainsi trouve-t-on une erreur courante avec cette proposition : si a<b alors a2<b2. Elle est vraie si a et b sont deux nombres positifs mais elle est fausse si les deux sont négatifs. Quand l’un est négatif et l’autre, positif, on ne peut conclure globalement. Prenons un exemple :

Signe de a Signe de b a b a<b a2 b2 a2<b2

+ + 4 6 Vrai 16 36 Vrai

- - -5 -1 Vrai 25 1 Faux

- + -2 8 Vrai 4 64 Vrai

+ - -3 2 Vrai 9 4 Faux

Dans un article consacré aux nombres relatifs [I.2-12], Georges Glaeser rappelle combien en

1803, un grand mathématicien comme Lazare Carnot (1753-1823), membre de l’Académie des Sciences exprimait ses difficultés à l’égard de la compréhension de cette propriété en écrivant « -3 serait plus petit que 2, cependant que (-3)2 serait plus que 22, c’est à dire qu’entre deux quantités inégales le carré de la plus grande serait moindre que le carré de la plus petite, ce qui choque toutes les idées claires qu’on peut se faire de la quantité. »

Dans les diverses enquêtes que Jean-Claude Régnier a faites au cours des 15 dernières années dans nos cours de didactique des mathématiques auprès des étudiants de licence, incontestablement le hit-parade est d’une grande stabilité. À la demande : citer quelques mathématiciens en précisant leur contribution et leur époque, Pythagore et Thalès se disputent la tête du classement. De manière massive, les noms de mathématiciens viennent surtout en association avec un théorème : théorème de Pythagore, théorème de Thalès. En règle générale, pour ces étudiants la contribution du mathématicien se restreint à ce théorème. Quant à l’époque, elle demeure très imprécise. Cette absence de repère

Chapitre I.2 Mathématiques ont une histoire

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [33]

historique est aussi la marque de l’orientation pédagogique dominante adoptée pour l’enseignement des mathématiques. Par manque de formation et par une certaine conviction qu’il y aura là un temps précieux perdu en s’engageant dans une perspective historique pour aborder les concepts, les méthodes et les techniques mathématiques, il semble se perpétuer une ignorance de l’histoire des mathématiques qui paraît laisser penser que les mathématiques n’ont pas d’histoire.

Pour revenir au théorème de Thalès, on a pu trouver dans les manuels scolaires, l’énoncé du type suivant :

« Soient A et B deux points distincts et M un point quelconque d’une droite D. Les points A’, B’ et M’ étant les images des points A, B, M par projection non constante p de la droite D sur la droite D’, le point M’ a même abscisse dans le repère (A’ ; B’) que M dans le repère (A ; B). »

Nous sommes tenté de dire mais où est Thalès dans tout cela ? À quoi peut servir ce théorème ? À quel problème répond-il ?

En retournant aux sources, nous apprenons par Diogène Laërce (IIIe après JC) que « Hiéronyme dit que Thalès mesura les pyramides d’après leur ombre ayant observé le temps où notre propre ombre est égale à notre hauteur ». Alors pour Michel Serres [I.2-13]

« La géométrie est une ruse, elle fait un détour, elle prend la route indirecte pour accéder à ce qui dépasse la pratique immédiate. La ruse, ici, c’est le modèle : construire en réduction, à module constant, un résumé, un squelette de la pyramide. De fait, Thalès n’a rien découvert d’autre que la possibilité de la réduction, que l’idée de module, que la notion de modèle. La pyramide est inaccessible, il invente l’échelle. »

Nombre sont ceux qui savent que le Prix Nobel vient récompenser les travaux scientifiques ou les contributions exemplaires dans divers domaines. Mais qu’en est-il des mathématiques ? La communauté des mathématiciens ne peut prétendre à cette haute récompense qu’est le Prix Nobel. La petite histoire parle d’un conflit entre Nobel et le mathématicien Mittag-Leffler qui a conduit à une sorte de mesure de rétorsion privant la discipline des mathématiques de cette récompense.

Toutefois une distinction a été créée en 1936 sur la base de fonds résultant d’un bilan positif du financement du Congrès de l’Union mathématique internationale, tenu à Toronto en 1924 et présidé par le Professeur canadien John Charles Fields (1863-1932). Il s’agit de la Médaille Fields qui est décernée tous les quatre ans à au moins deux jeunes mathématiciens brillants, âgés de moins de 40 ans, lors du congrès par un comité émanant de l’Union. Parmi la quarantaine de lauréats honorés depuis la création, nous pouvons citer les mathématiciens français ou issus des laboratoires français :

Année de la remise de la Médaille Lauréat Né en…

1950 Laurent Schwartz 1915

1954 Jean-Pierre Serre 1926

1958 René Thom 1923

1966 Alexandre Grothendieck 1928

1982 Alain Connes 1947

1994 Pierre-Louis Lions 1956

Jean-Christophe Yoccoz 1957

2002 Laurent Lafforgue 1966

2006 Wendelin Werner 1968

Chapitre I.2 Mathématiques ont une histoire

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [34]

Ces mathématiciens sont d’éminents contributeurs au développement contemporain des mathématiques.

2B. Apport pour l’enseignant. Il y a tout à penser que la formation en histoire des mathématiques ou même des

disciplines scientifiques pourrait bénéficier à l’enseignant dans sa pratique pédagogique pour enseigner les mathématiques à l’école, au collège ou au lycée. A ce jour, des ressources accessibles à tous existent dans lesquelles l’enseignant peut puiser pour étayer la construction des séquences et des situations d’enseignement-apprentissage. La prise en compte d’une perspective historique dans l’enseignement des mathématiques est une condition qui contribuera très certainement aux modifications des représentations sociales qui affectent les mathématiques dans notre culture.

Pour aller plus loin… [I.2-1] Montucla JF, Lalande J. (1799-1802) Histoire des Mathématiques. Paris : H. Agasse,

Libraire [I.2-2] Dhombres J, & al (1987) Mathématiques au fil des âges. Paris : Gauthier-Villars [I.2-3] Bouveresse, J, Itard, J. Sallé, E. (1977) Histoire des mathématiques Paris : Librairie

Larousse [I.2-4] Dieudonné J, (1977) Panorama des mathématiques pures. Le choix bourbachique. Paris :

Gauthier-Villars I.2-5] Youschkevith, A. & al, (1981) Fragments d’histoire des mathématiques. Brochure n°41.

Paris : APMEP [I.2-6] Collette. JP (1973) Histoire des mathématiques. Tome 1 (De la préhistoire à l’aube des

mathématiques modernes XVIème

siècle) Montréal : ERPI. [I.2-7] Collette. JP (1979) Histoire des mathématiques. Tome 2 (Du XVII

ème à l’aube des

mathématiques du XXème

siècle) Montréal : ERPI. [I.2-8] Croizet, V., (1840) Géodésie générale et méthodique des géodésies considérée sous le

rapport de la mesure et de la division des terres. Paris : Pélissonnier, libraire [I.2-9] Dedron, P., Itard, J. (1959) Mathématiques et Mathématiciens. Paris : Editions Magnard [I.2-10] Ifrah G. (1981) Histoire universelle des chiffres. Lorsque les nombres racontent les hommes.

Paris : Seghers [I.2-11] Schwartz, L. (1997) Un mathématicien aux prises avec le siècle. Paris : O. Jacob [I.2-12] Glaeser, G. (1981) Épistémologie des nombres relatifs. RDM Vol 2.3 Grenoble : La Pensée

Sauvage [I.2-13] Serres, M. (1972) Ce que Thalès a vu au pied des pyramides in Hermès II : L’interférence.

Paris : Ed. de Minuit.

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [35]

3. Mathématiques et affectivité. Nous nous limitons ici à quelques apports issus des nombreux travaux de Jacques Nimier

centrés les dimensions affectives dans les processus d’apprentissage et d’enseignement des mathématiques et sur la relation d’objet aux mathématiques. Mathématique et affectivité est le titre d’un ouvrage publié en 1976 [I.3-4], qui, à l’époque, s’inscrivait de façon marginale dans un champ de la didactique des mathématiques en construction. Claudine Blanchard-Laville a aussi pris en compte cette dimension dans sa thèse [I.3-7] et le titre de son article de 1981 [I.3-6] Les dimensions affectives de l'apprentissage des … est éclairant. En préface à l’ouvrage de 1988 [I.3-2], Jean Maisonneuve situe d’emblée la nouveauté de la contribution de Jacques Nimier dans un domaine qui a toujours fasciné l’esprit humain parce qu’il y va de sa contexture même, où l’affect et l’intellect se mêlent étroitement. Et il nous précise que Jacques Nimier vise à expliciter ce mixte d’affect et d’intellect à propos des mathématiques habituellement identifiées à la raison en explorant les ressorts et les freins affectifs qu’elles mettent en jeu tant chez l’enseignant que chez l’apprenant, tant pour l’usager que pour le chercheur.

Si l’influence de l’imaginaire est admise dans de nombreux domaines comme la création artistique, les phénomènes publicitaires ou politiques, etc., il est en revanche beaucoup plus difficile voire impossible d’admettre cette influence dans le temple de la raison que sont les mathématiques, pour reprendre l’expression même de Jacques Nimier.

Les travaux de Jacques Nimier se sont fondés sur des constructions rigoureuses de données tant à partir d’enquêtes par entretien que d’enquêtes par questionnaire auprès d’échantillons de grandes tailles dans divers contextes culturels.

Jacques Nimier a construit cette recherche au cœur de laquelle se place le concept de relation d’objet, en posant l’hypothèse suivante [I.3-2](p. 59), « tout sujet, qu’il soit en particulier élève, professeur de mathématiques ou mathématicien, établit avec les mathématiques une certaine relation d’objet, c’est à dire que le sujet a, avec les mathématiques, une relation qui est le résultat complexe et total d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels types privilégiés de défense. »

Nous nous en tiendrons là invitant à aller plus en avant de manière autonome pour ceux que les approches psychosociale et psychanalytique intéressent. Il s’agirait de ne pas créer de confusion entre le sens commun des concepts utilisés et le sens précis qu’ils recouvrent dans les domaines scientifiques de référence. Le cours de psychologie de l’éducation constitue une source de référence.

Nous présenterons une série d’extraits significatifs des entretiens conduits par Jacques Nimier pour expliciter les facteurs affectifs dans les relations au monde des mathématiques et pour tenter de comprendre leurs rôles facilitateurs ou inhibiteurs dans le travail des sujets ou dans leurs développements cognitifs.

Les sujets déforment l’objet « mathématiques » pour se l’approprier. Jacques NIMIER, dans l’ouvrage [I.3-2], Les modes de relations aux mathématiques dégage différents modes d’investissement des mathématiques. On se situe dans une transformation avant tout imaginaire. Examinons certains extraits d’entretiens d’élèves8 pour cerner les modes prédominants de relations aux mathématiques.

8 Symboles des locuteurs dans les transcriptions : N : NIMIER, E : élève, G : garçon, F : fille, T : classe de

Terminale, 1 : classe de première, 2 : classe de seconde, A : série A (littéraire), C : série C (scientifique)

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [36]

3A. Rapport entre mathématiques et famille. Nous procédons à l’analyse d’extraits de transcriptions d’entretiens d’élèves selon les

quatre entrées retenues pour cette partie :

la position des parents,

le reflet du rapport au père,

le reflet du rapport à la mère

le reflet de la famille.

3A1. Position des parents. « E : Mes parents pensent que c’est une matière importante. Quand on dit les maths, on

pense en général, la matière la plus importante, celle où on doit travailler le plus. Ensuite, les maths, on s’imagine que c’est la matière la plus difficile, la matière qu’on envie le plus, qu’on désire le plus. Quand on sait que quelqu’un est bon en maths, on dit : lui, il est bon en maths. Parce qu’on sait que les maths, c’est un peu l’avenir en ce moment avec les ordinateurs ; alors les parents «c’est dommage que tu ne sois pas bonne en maths ! Qu’est-ce qu’il y a que tu ne comprennes pas ? ».

Souvent les gens, pour eux, on dirait que c’est la matière principale, je ne sais pas pourquoi ? Peut-être est-ce parce que c’est la plus difficile ? C’est elle qui domine ? On envie toujours quelqu’un qui est bon en maths, je ne sais pas pourquoi : « il a du pot celui-là, il est bon en maths ». Je ne sais pas pourquoi. Les maths, les maths... !

Au conseil de classe, il n’y avait que le prof de maths ! Il y en a, les maths, ils s’en font une montagne: « j’ai une « compale » de maths ! ».

« Qu’est-ce que vous avez eu en maths ? ». Tout le monde pense que les maths, c’est la matière supérieure. » (FA 2) [I.3-2](p.89)

Cette jeune fille exprime le désir anonyme des parents, de la société de réussir en mathématiques. La fantasmatique collective est investie par les parents qui intériorisent l’image sociale des mathématiques puissantes et reflet de réussite. Cet investissement des parents aboutit à une pression sur l’enfant pour que lui aussi accorde de l’importance aux mathématiques.

3A2. Reflet du rapport au père. « E : Moi, il m’a poussée, ça m’a très bien aidée, mais ma grande sœur, je crois qu’il l’a

trop poussée, ma grande sœur. Et elle n’était pas douée pour les études. Et ça n’a pas été profitable, parce qu’elle l’a repoussé presque... Moi ça a très bien marché ; ça dépend des caractères. Je ne l’ai pas repoussé, au contraire, j’ai tout fait pour qu’il m’aide. Même maintenant il aime bien s’intéresser à ce que je fais... Bien sûr, si on arrive pas à faire quelque chose d’assez simple, bien sûr, il haussera un peu la voix. Mais ça ne me dérange pas, enfin ça ne me choque pas, mais mes sœurs en ont presque peur. Mais c’est rien ! Et moi, ça ne me gêne pas du tout. C’est pour ça qu’on a toujours... qu’il m’a toujours expliqué, quoi ! Alors que mes sœurs, elles n’ont pas été comme ça. D’ailleurs à la fin, elles ne lui demandaient presque plus rien ; parce qu’elles avaient peur de se faire un peu disputer ou n’importe. Enfin, je souris ou des trucs comme ça, alors il se calme quoi !

N : Alors vous obtenez de lui ce que vous désirez. E : Oui, oui, oh toujours... enfin, presque; oh, puis de toutes façons, il peut pas résister

devant un problème de maths ! (rires) il faut toujours qu’il s’intéresse à un... N : Il ne peut pas vous résister...

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [37]

E : (rires) Non ! ...Mais je lui présente un devoir de maths, il... il me suivra jusqu’à temps que je l’ai fait ou que j’ai recopié ce devoir-là. Il me dit, au début : « bon, ben c’est... tu n’as qu’à le faire toute seule, heu... il faudrait que je relise toute la leçon. ». Et puis, en fin de compte, il vient, et puis... il faut qu’il relise la leçon, quoi ! Alors maintenant que je le sais...

N : Comment le gagner, quoi... E : Oui !... Non, mais enfin il est très, très gentil. Enfin moi, il m’a... il m’a beaucoup

aidée. » (FC 1) [I.3-2](p.91)

Cette jeune fille laisse transparaître une relation mathématique particulière. Elle manipule son père et utilise les mathématiques comme un moyen de séduction sur le père.

« E : Quand j’étais petite et que je voyais mon père expliquer les sinus et les cosinus,

alors ces mots-là, ça m’intriguait. J’avais hâte de le faire. Remarquez que je les ai faits, ça n’a rien fait... Quand il expliquait à ma sœur les sinus, ça m’intriguait énormément ; c’était des signes un petit peu mystérieux. Je comprenais pas. Alors je demandais à quoi ça servait et puis, quand il disait des problèmes à deux inconnues, des choses comme cela, quand il parlait d’équations, c’était tout des mots. J’avais hâte d’apprendre, ça m’étonnait et puis je faisais des cours à mes poupées, alors je leur replaçais toujours ces mots-là, je leur disais : « Vous allez avoir un problème à deux inconnues.». Je refaisais comme mon père, d’ailleurs je voulais être professeur de maths... C’était une passion pour moi. » (FA 2). [I.3-2](p.92)

Cette jeune fille exprime une autre relation mathématique particulière vis à vis du père. Elle s’identifie à son père, se construit à son image pour répondre à ses attentes.

3A3. Reflet du rapport à la mère. « E : Les divisions justement, ça je m’en souviendrai toujours, je ne les ai jamais

digérées... Oui ma mère m’a toujours fait... je me rappelle, le soir, des divisions sur mon petit tableau. J’avais eu un tableau pour Noël. Tous les soirs, je faisais des divisions. Je n’y arrivais pas à l’école, je revois très bien cela : toutes les deux à côté, ma mère et puis moi, quoi ! en face du petit tableau. Ma mère me marquait les chiffres et puis moi, alors, j’essayais. Alors, quand je me trompais : « non c’est pas ça, recommence » On effaçait et puis on recommençait... J’aimais pas ça, à chaque coup, c’était le moment critique. Je rentrais chez moi et hop ! j’allais vers les divisions. J’étais bien contente quand c’était terminé ! Alors maman me disait : « Dépêche-toi, t’en auras plus vite terminé, essaie de les faire correctement. ». Et ça ne venait pas. Alors souvent, je pleurais parce que ça venait pas. Et puis ma mère, elle est assez nerveuse, alors quand elle voyait que ça traînait trop et puis que je me mettais à pleurer, alors elle rouspétait. ». (FA 2). [I.3-2](p.104-105)

Dans ce discours, les mathématiques sont l’objet qu’on donne ou refuse à la mère. La jeune fille se réfère à son vécu. Son premier apprentissage en mathématiques correspondrait aux séances « pot » de sa petite enfance. La mère attend que sa fille lui offre quelque chose et cela ne vient pas, la fille refuse.

3A4. Reflet de la famille.

Les rôles assignés sont tributaires des propres fantasmes des parents sur les mathématiques en terme de cellule familiale.

« E : J’ai toujours été destinée aux maths et puis ça m’a toujours tentée plus que le français... J’avais des sœurs qui avaient fait littéraire, du latin, du grec. Maman n’a pas voulu de ça. Elle a dit, au contraire, elle, ça sera plutôt les maths. Alors, j’ai été en moderne, je suis arrivée là, toujours suivant les maths et puis j’ai été la scientifique de la famille, et puis voilà. ». (FC 1) [I.3-2](p. 90)

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

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Tous les mots sont pesés dans ce discours. Le désir que la jeune fille assume est celui de la mère. Cette mère qui lui assigne sa place de scientifique de la famille.

« E : Mon père, il m’introduisait toujours un petit x ; il me disait : tiens tu vois ça, tu vas appeler ça « petit x » ; il voulait absolument me... Moi, je ne comprenais pas du tout pourquoi ce petit x, ça me paraissait complètement idiot et... oui, manifestement, il voulait me... me plonger dans la forme scientifique telle qu’on la voit... mathématique. ». (GC T) [I.3-2] (p. 91)

Les mathématiques servent de support à un dialogue imaginaire entre les parents et l’enfant. Dans cet exemple, le garçon ressent son père comme voulant toujours lui « introduire un petit x » pour lui cet acte est initiatique et lui consignera son rôle dans la famille.

« E : En mathématiques, finalement, je ne sais pas si c’est un coup du sort, mais c’est comme cela. Le coup du sort, j’y crois pas, mais enfin, j’ai pas été fait pour ça, quoi ! J’ai un esprit, non pas sous-développé, mais non développé, pour les mathématiques. Je crois que c’est tout. Mes parents auraient été forts, peut-être que... de toute façon, ça remonte peut-être plus à l’origine, je sais pas, c’est peut-être tout. » (GA 2) [I.3-2] (p. 90)

Du fait que ses parents n’étaient pas forts en mathématiques, il ne pouvait l’être. Cet élève attribue son sous-développement en mathématiques non à un coup du sort mais à ses origines donc à ses parents. Il exprime la thèse innéiste.

3B. Rapport entre mathématiques et enseignant. Deux aspects de ce rapport entre mathématiques et enseignant se dégagent : celui du

pouvoir de l’enseignant et celui de la non communication enseignant–enseigné.

3B1. Pouvoir de l’enseignant.

« E : Parce que je me rappelle, rien qu’à l’école maternelle, on nous faisait classer des fleurs, additionner cinq fleurs et cinq fleurs. Je me rappelle que je n’arrivais pas à faire cela, et je me rappelle aussi avoir été très vexée. Et déjà, les institutrices avaient dit à mes parents « elle ne sera pas bonne en calcul. ». (FA 2). [I.3-2] (p. 94)

Comme pour les parents, le professeur peut assigner une place à l’élève et cette assignation lui déterminera ses relations aux mathématiques.

« E : Ben ! La matière... le prof qu’est là... le prof qui sait, et puis qui nous pose un problème qu’il sait qu’il va résoudre, mais qui sait que sur trente mecs, il y en a quinze qui trouveront pas, ça me... Surtout, il y a un autre fait, c’est que lui sait et qu’il est encore au-dessus du problème que... Bon ! Vous qui êtes professeur, vous faites étudier n’importe quoi. Des équations. Mais vous êtes largement au-dessus de cela, vous avez déjà étudié des problèmes quinze fois plus difficiles. Alors, j’ai toujours le sentiment dans cette matière-là que vous êtes au-dessus de tout çà ! Bon ! Vous donnez l’équation, vous savez, vous, la faire... Enfin, ça vous amuse, j’ai l’impression que vous posez des colles à vos élèves : « Hein, vous y arrivez pas !... ». Enfin, c’est pas pour...

N : Non, non. Allez-y !

E : Alors ça m’a toujours fait... et puis surtout... et puis il y a des jeunes professeurs qui vraiment se foutent du monde ; et s’il y a des choses dont j’ai horreur, c’est qu’on se foute du monde, qu’on se moque de quelqu’un. Le gars qui arrive les mains dans les poches, qui

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

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pose un problème de vingt lignes au tableau et qui le résout comme ça en cinq minutes, ça me fait penser à un jeu : au chat et à la souris. Le chat c’est le prof et puis moi ! Salut les gamins ! Il y a des mecs qui ont trouvé ça et vous, vous y arriverez pas !

N : Quelqu’un qui vous rabaisse.

E : Hé oui ! C’est ça ! Oui, je crois que c’est ça ! Enfin, ce n’est pas une généralité. En tout cas, moi, ce que j’ai comme expérience mathématique, c’est ça. C’est intéressant, parce que je n’avais jamais... (Rires). ». (GA 1) [I.3-2] (p. 95-96)

Ce discours est l’expression du pouvoir du professeur par les élèves. Le professeur paraît posséder un savoir supérieur qui va délimiter une frontière entre lui et ceux qui comprennent ou ne comprennent pas, entre ceux qui ont ou n’ont pas le savoir mathématique.

3B2. À l’origine de la non-communication.

« E : Ça interdit les relations, ça coupe vraiment. Et puis pour moi, lorsque je parle maths, je ne sens plus vivre la personne qui est en face de moi, je sens... à croire que j’ai un ordinateur en face de moi, ça me ferait la même impression. Et puis vraiment, oui, c’est ça : lorsque je fais des maths, c’est pas vraiment une personne que je ressens ; je ne ressens pas vraiment la présence de la personne, je ressens... un livre fait exactement le même travail. Par exemple, M. X, pour moi, c’est pas M. X, c’est un livre. J’aimerais bien le connaître à l’extérieur de son cours, de sa petite craie et de sa blouse blanche...

N : Qu’est-ce qui vous en empêche ?

E : Eh bien ça doit être cela : le fait que je le considère comme un livre, pour moi, il n’est devenu qu’un livre, j’ai effacé sa personnalité qui était derrière le livre. Pour moi, c’est un livre ambulant, c’est tout. ».(FC T) [I.3-2] (p. 99)

Face à un enseignant de mathématiques, la communication réelle semble impossible. Les mathématiques, objet de savoir complexe, sont vécues comme un obstacle à la communication.

3C. Rapport entre mathématiques et construction du Soi. Le rapport entre mathématiques et construction de Soi renvoie pour chaque individu soit à

un moment clef de son existence et/ou de son développement personnel.

« N : Ça serait terrible, au fond, d’être bonne en maths ?

E : Oui, ça serait terrible, car ce serait vraiment un esprit qui ne ferait que compter, que faire de grandes théories, des choses qui me paraissent un peu... où je suis un peu profane. J’ai pas tellement, au fond, envie de connaître ce genre de choses. C’est un peu comme la magie.

Moi, je suis à l’extérieur des maths et puis je regarde cela d’une façon extrêmement bizarre. Je trouve que c’est un peu torturé, j’ai peur d’aller à l’intérieur. Oui, c’est un peu comme la magie pour moi les maths.

N : Qu’est-ce que la magie pour vous ?

E : C’est quelque chose qui me dépasse un peu. Pour moi, la magie, ça donne, ça devrait donner des pouvoirs considérables. Et puis, c’est un peu, peut-être, ce que j’espérais des maths. Je me disais que ça embellirait le monde, et tout. Et puis, ça l’embellissait pas tellement. C’est peut-être pour cela que je refuse d’aller jusqu’au bout du raisonnement.

N : Vous refusez d’avoir des pouvoirs considérables ?

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

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E : Oui, ça doit être cela. Enfin, je voudrais bien beaucoup de pouvoir, si c’était pour faire beaucoup de bien. Mais je ne sais pas exactement ce que cela m’apporterait. Oui, je voudrais faire des choses bien, mais pas faire des choses mal. De toutes façons, quand on fait quelque chose, il y a toujours une part de bien et une part de mal, c’est peut-être ce qui m’effraie. Aussitôt qu’on fait quelque chose, ça plaît et ça plaît pas. On ne sait pas exactement si ça donne le pouvoir en bien ou en mal.

N : On ne voit pas exactement comment on se servira de ce pouvoir.

E : Voilà. Exactement. Il vaut mieux ne pas s’en servir du tout. (Rire) ». (FCT) [I.3-2] (p. 103-104)

Cet extrait montre une relation duelle avec son sentiment de toute puissance qui fait peur. Cet élève exprime la toute puissance magique. Elle refuse ce pouvoir.

« E : Il y a deux solutions, on trouve ou on ne trouve pas. C’est simplement mon tempérament qui fait ça, mais si je ne trouve pas, je me sens vraiment vaincu, même malheureux. Vraiment malheureux de n’avoir pas trouvé. Et puis, si je trouve, je me sens vraiment vainqueur... Si j’ai fait un problème ... c’est un peu normal d’ailleurs.., un problème qui est difficile et que j’ai réussi à faire, il est évident que je serai... que là! je me sentirai vainqueur. » (GC1). [I.3-2] (p. 106)

Le problème mathématique est un adversaire avec lequel il y a compétition. C’est l’adversaire qu’il faut battre pour ne pas être battu. Ces manifestations compétitives sont le reflet d’une recherche de prestige et de l’impossibilité de supporter l’échec.

« E : Ben j’ai tellement de lacunes que je ne peux même pas... Quand on dit, un problème tenez, ce problème... ça va vous obliger à réfléchir. Moi, quand on me met un problème devant... une figure géométrique, je vois des traits... mais je reste là comme ça, mais je ne vois rien du tout. Alors je ne peux même pas savoir justement, ce que la recherche des figures géométriques va pouvoir m’apporter.

N : Vous ne voyez rien.

E : Non, je deviens un peu... un peu aveugle. C’est même une sorte de réflexe, dès qu’il y a des chiffres, des x et des y, ça me rejette, j’aime pas ça.

N : Vous ne voulez pas les voir.

E : Ça, c’est difficile à... à avouer, quoi ! Je ne sais pas justement... j’ai essayé de faire des efforts ! Je suis resté toujours aussi bouché justement que, à la fin, j’ai laissé tomber ; à partir de la troisième, seconde, j’ai laissé complètement tomber, je me suis dit : « c’est pas normal que je me crève comme ça ». ». (GA1) [I.3-2] (p. 107)

Cet élève se crève sous-entendu les yeux, il devient aveugle dès qu’il rencontre des x et des y. Nous sommes dans la version mathématique du mythe œdipien.

« E : Oui. C’est-à-dire que, quand j’étais en troisième, je ne voyais pas tellement l’intérêt du français, je voyais surtout l’intérêt des maths. Bonne en maths, c’est très bien. C’est bon, quoi ! Oui, c’est vrai, ça m’a déçue et puis, comme tout ce qui me déçoit, je le hais. Ou ça me plaît, ou je le hais, je reste pas indifférente devant.

N : C’est parce que vous les aimiez beaucoup que vous les haïssez maintenant...

E : Oh! Oui. C’est certainement cela. Car généralement quelqu’un qui plaît et puis après, qui joue un tour comme cela, on ne peut que le haïr.

N : De qui parlez-vous maintenant?

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

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E : Des maths.

N : Vous êtes sûre ?

E : Je ne peux vous le dire... (Très long silence)... (Très forte émotion et pleurs, silence)... Je me comprends très bien et puis je me connais beaucoup trop de toute façon. Je sais à peu près tout ce que je fais ; je sais pourquoi je le fais. Tous les traits de mon caractère, je les connais très bien et puis je sais pourquoi je le fais, je sais même pourquoi je suis agressive.., mais je ne peux pas faire autrement aussi.

N : Vous avez le droit de l’être.

E : Eh bien ! Ça, je ne sais pas si j’ai le droit de l’être. C’est-à-dire qu’avant, je ne m’accordais aucun droit, tandis que maintenant, je m’en accorde beaucoup. Parce que je me considère sous l’emprise des autres. Je me suis aperçue qu’on arrive mieux à se contrôler quand on se contrôle soi-même et qu’on ne fait pas confiance aux autres.

N : Vous comptiez avant sur les autres pour vous contrôler, autrement dit, maintenant, vous comptez plutôt sur vous-même.

E : Oui. Parce que j’ai été tellement déçue quand j’étais petite que, maintenant, j’aime mieux faire confiance en moi... (Pleurs)... J’ai été tellement déçue par ce qui m’entourait ; une fois, quand j’étais petite... les maths, je me raccrochais aux maths, quoi ! … c’est un peu ça... et puis maintenant j’ai perdu mes illusions sur les maths, alors j’essaie de me raccrocher à autre chose... je suis toujours en train de chercher quelque chose...

N : Quelque chose pour vous raccrocher ?

E : Oui, oui, c’est cela. Et puis, j’ai eu peur quand j’ai perdu mes illusions sur les maths : je me suis dit, les maths, c’est rien. Alors, qu’est-ce qui vaut quelque chose ? ». (FCT). [I.3-2] (p. 111-112)

Les mathématiques sont l’objet d’amour et/ou de haine. Pour cette jeune fille, elles représentent fantastiquement une personne proche. Elles reçoivent l’amour puis la haine voués à cette personne. La jeune fille construit ses relations amoureuses.

3D. Que peut-on retenir ? A partir de ces extraits, nous retiendrons que les individus établissent un mode de

relations aux mathématiques sur trois plans : appréhension fantasmatique, mécanismes de défense et organisation de la personnalité.

Appréhension fantasmatique : quels que soient l’âge et le lieu, l’individu appréhende de façon fantasmatique l’objet mathématique. Cette appréhension est liée au mode d’appropriation de cet objet. Les phénomènes sociaux et culturels fournissent des matériaux intégrés à l’histoire personnelle de l’individu pour faire naître cette fantasmatique des mathématiques.

Mécanismes de défense : divers types de mécanismes de défense sont utilisés. Ils déterminent l’attitude positive ou négative (comme l’anxiété) à l’égard des mathématiques.

Organisation de la personnalité : diverses fonctions des mathématiques dans l’organisation de la personnalité avec l’appréhension fantasmatique et les mécanismes de défenses sont utilisées. L’individu y trouve son compte dans sa dynamique psychique. Il se sert de cet objet pour lui faire remplir différentes fonctions dont il a besoin pour son équilibre et la structuration de sa personnalité.

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

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3E. Perceptions des mathématiques et de leur enseignement.

Deux grandes perceptions des mathématiques et de leur enseignement se dégagent : celle de l’ordre et celle d’un objet dangereux.

3E1. Un ordre.

Il y a obligation de faire des mathématiques : « fallait le faire je le faisais », « les théorèmes je les apprenais parce qu'il le fallait… ». Cette obligation n’est pas naturelle (on n'en tire aucun plaisir), en mathématiques il faut admettre (si a+b = 0 pourquoi toujours égal à 0). Ce qui est imposé l'est parfois contre la logique personnelle de l'élève. Cette obligation imposée de l'extérieur aboutit soit à la soumission, soit à la révolte mais il est impossible d'y échapper. Les mathématiques sont ressenties comme une discipline contraignante. De plus, elles sont un objet ordonné en lui-même (tout s'enchaîne, tout se déduit). D’où pour les élèves, les mathématiques sont un domaine organisé avec des lois, des règles, et un enchaînement logique à observer. L’organisation stricte des mathématiques fait qu’elles apparaissent comme un objet formant un tout. Pour certains individus, les mathématiques sont une recherche de stabilité notamment en suivant des associations d'idées. Pour d'autres individus, les mathématiques sont réduites à la dimension d'une machine (on répète un truc, une sorte de mécanique) Cet ordre contraignant est parfois ressenti par l'élève comme le dépossédant d'une possibilité personnelle d'expression. Les mathématiques sont l’expression de la loi symbolique.

3E2. Un objet dangereux.

Les élèves ressentent des impressions de risques face aux mathématiques tels que le risque de mauvaises notes, celui d'incompréhension entre les individus (langage symbolique), celui d'erreurs d’où celui d'être rabaissé par le professeur, ou celui de se sentir bête, d'être différent des autres (les mathématiques sont le signe de différence par rapport à l’intelligence), ou d'être coupé des autres (impossible d'établir de véritables relations lors de discussion), ou encore d'isolement (être enfermé). Des impressions de dangers d’existence de Soi sont exprimées comme celles de détournement du vrai sens de la vie ou l’association à une idée de mort. Ces impressions de risques et de dangers peuvent aboutir soit à l’installation d’une inquiétude, soit à un sentiment de manque, soit à celui de différence entre élèves et aussi à un sentiment de fatalité. Le sentiment d’inquiétude transparaît à travers des attitudes d’énervement ou de peur à cause d'un manque de confiance en soi. Le sentiment de manque correspond à une impression d'impuissance ou à une crainte d'impuissance (incapacité à faire quelque chose). Le sentiment d'une différence entre élèves se traduit par la sensation d’être rejeté ou par le désir d’être admiré par l’enseignant. Le sentiment de fatalité s’exprime par « être bon » ou par « être mauvais c'est ainsi ».

Quels sont les moyens utilisés par certains élèves pour écarter ou réduire le sentiment de risque ou de danger ressenti au contact des mathématiques ?

Certains élèves optent pour une mise à distance du danger. Les mathématiques apparaissent comme éloignées même inaccessibles. Une barrière s’installe entre l’élève et les mathématiques, d’où l’impossibilité à résoudre ou à appréhender les mathématiques. Ce qui conduit à abandonner les mathématiques. D’autres élèves s’orientent vers une maîtrise du danger. Pour cela, ils recherchent de l'aide auprès de quelqu'un de compétent. Les

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [43]

mathématiques peuvent être vécues comme un adversaire qu’il faut vaincre. Enfin, d’autres élèves encore désirent combler le manque, la lacune pour créer. Les mathématiques laissent place à l'imagination à la création de la solution. Elles servent à ouvrir des portes, à imaginer un monde magique (pour y être à l'aise). Les sentiments de risque ou de danger et les moyens utilisés par les élèves face à ces sentiments ont un impact sur la réussite ou l’échec en mathématiques. Réussite ou échec cela va dépendre de la plus ou moins grande valeur que l'élève attribue aux mathématiques.

Les valeurs attribuées aux mathématiques sont de l’ordre de quatre :

base des autres disciplines,

discipline sans importance ou aberrante,

grandiose pour tous,

utilité.

Les mathématiques comme base des autres disciplines renvoient à la notion de fondement des autres disciplines même éloignées. Ce sont surtout les élèves scientifiques qui expriment cette valeur.

Les mathématiques comme discipline sans importance ou aberrante est associée à l’absurde. Ce sont surtout les élèves littéraires qui énoncent cette valeur.

Les mathématiques comme grandiose pour tous donnent une impression de grandeur. On associe à cette valeur l’idée de grands problèmes, de trop grands problèmes, ou celle de grosses fractions à réduire. Tous types d’élèves peuvent exprimer cette valeur.

La valeur utilité des mathématiques se traduit par discipline utile, inutile plus ou moins utile. Cela conduit à des attitudes vis à vis des mathématiques d'amour ou de haine, de recherche ou de refus de recherche. Selon les moments de la vie scolaire, cette valeur est présente ou absente.

3F. Apport pour l’enseignant. Jacques Nimier a montré qu'un vécu affectif très important est lié aux mathématiques. Les

mathématiques sont soit un objet d'angoisse ou un objet de défense contre l'angoisse. On dégage certains types de défense :

nier la valeur des mathématiques qui ainsi ne posent plus de problèmes ;

mettre une distance entre soi et les mathématiques ;

maîtriser les mathématiques par la lutte, elles peuvent être alors un objet utilisable et de valeur, le caractère dangereux s'estompe ;

se servir du caractère rigide des mathématiques pour maîtriser certaines tendances personnelles (acquérir un équilibre de caractère) ou comme refoulement de la blessure narcissique (combler un manque). Les mathématiques sont utiles et en même temps contraignantes d'où un sentiment d'ambivalence à leur égard.

Les filles ont une vue plus négative des mathématiques que les garçons (elles les trouvent plus difficiles, plus éloignées, plus dangereuses...), les garçons y voient plus d'intérêt (pour leur personnalité, leur profession, le plaisir...). La très grande majorité des élèves ressentent les mathématiques comme une matière plus exigeante plus rigoureuse que les autres matières. L’enseignant peut être considéré comme celui possédant les mathématiques (il sait et résout tout). Il peut se concevoir comme garant d'un certain ordre (règles à respecter).

Chapitre I.3 Mathématiques & affectivité

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [44]

Notons que certaines erreurs récurrentes sont des indices des relations affectives aux mathématiques comme la non-utilisation du 0, ou l’impossibilité d’utiliser une virgule essentielle pour déterminer un nombre décimal ou encore d’utiliser les symboles en géométrie.

Pour aller plus loin… [I.3-1] Nimier J. (1989) Entretien avec des mathématiciens. L’heuristique mathématique.

Villeurbanne : IREM de Lyon [I.3-2] Nimier J. (1988) Les modes de relations aux mathématiques. Attitudes et représentations

Paris : Méridiens Klincksieck. [I.3-3] Nimier J. (1985) Les mathématiques, le français, les langues… A quoi ça me sert ?.

L’enseignant et la représentation de sa discipline. Paris : CEDIC-Nathan. [I.3-4] Nimier J. (1976) Mathématique et affectivité. Une explication des échecs et des réussites

Paris : Stock. [I.3-5] Site de Jacques Nimier Les facteurs humains dans l’enseignement et la formation des adultes

http://www.pedagopsy.eu/ [I.3-6] Blanchard-Laville, C. (1981) Les dimensions affectives de l'apprentissage des statistiques,

Éducation Permanente (61) pp.41-62 [I.3-7] Blanchard-Laville, C. (1980) Les étudiants de psychologie face à l'enseignement de

statistiques (analyse des réponses à un test de mathématiques et à des questionnaires d'opinion.) Thèse de Doctorat de 3ème cycle, Université Paris VII

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [45]

4. Mathématiques et usages sociaux. Une question récurrente touche le domaine des mathématiques particulièrement quand

elles sont objets d’apprentissage : à quoi servent les mathématiques ?

4A. Les métiers des mathématiques. Récemment une brochure publiée par l’ONISEP [I.4-1] apporte une réponse en l’abordant

du point de vue des métiers des mathématiques. Dans les présentations introductives, il nous est rappelé que les mathématiques sont omniprésentes dans l’industrie comme, par exemple, dans les domaines de l’aérospatiale, de l’imagerie, de la cryptographie, dans les services tels ceux des banques ou des assurances, mais aussi dans ce qui touche directement chaque individu dans la vie quotidienne tels que les télécommunications, les transports, la médecine, la météorologie et même la musique. Des grandes problématiques actuelles comme, par exemple énergie, santé, environnement, climatologie, développement durable, etc. requièrent des modèles mathématiques dans les tentatives de résolution mises en œuvre par les êtres humains qui s’y confrontent. Cette actualité s’inscrit d’ailleurs dans une continuité historique, car dès l’Antiquité les mathématiques constituaient un outil efficace pour mesurer la Terre comme le donne à entendre l’étymologie de géométrie, et se constituer en un langage efficace pour connaître le monde physique.

En d’autres termes, les réponses à cette question cruciale : à quoi servent les mathématiques ?, qui bien souvent détermine en partie les rapports que les individus construisent dans le cours du processus d’apprentissage dans les situations scolaires d’enseignement, peuvent s’articuler autour des finalités suivantes :

Fournir aux autres sciences un langage efficace et des outils ;

Jouer un rôle essentiel dans le développement des technologies qui transforment le quotidien ;

Défier les grandes problématiques d’aujourd’hui et de demain ;

Développer la rigueur et le raisonnement, mais aussi l’intuition, l’imagination, voire le rêve !

4B. L’orientation scolaire vers des filières scientifiques universitaires ou supérieures.

Lorsqu’on s’intéresse aux usages sociaux des mathématiques, on peut aussi explorer la variable « orientation scolaire » en particulier du point de vue de la place des mathématiques dans le processus. Nous nous appuyons sur une analyse conduite par Jean-Louis Piednoir, Inspecteur Général Honoraire de Mathématiques, sur cette question de l’« orientation scientifique ». La baisse du nombre des jeunes qui choisissent une orientation vers des études scientifiques ou industrielles est depuis quelques années un motif d’inquiétude pour qui se préoccupe de l’évolution de la société française. En 2001 le Ministre de l’éducation a demandé à deux personnalités : Guy Ourisson, chimiste et Maurice Porchet, biologiste, de réaliser des rapports sur cette question.

Dans le passé, des politiques éducatives volontaristes ont été menées pour développer ce que nous appellerons l’orientation scientifique. Ainsi la réforme de 1902 visait à instaurer la parité humanités/culture scientifique dans l’enseignement secondaire. À partir de 1982, Claude Pair, Directeur des Lycées au Ministère de l’éducation nationale (MEN), a impulsé

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [46]

une politique volontariste poursuivie par ses successeurs, avec sur le terrain, l’action menée par Jean-Louis Ovaert, Inspecteur général de mathématiques. C’est cette politique d’éducation et les conséquences de la rénovation pédagogique des lycées, avec la création de la Terminale S et l’état actuel de l’orientation scientifique et industrielle que nous analysons ici pour mieux comprendre ce que nous vivons en 2007. Dans diverses publications, nous trouvons des statistiques illustrant le phénomène. Toutefois leurs comparaisons sont souvent difficiles, car la base statistique change d’un tableau à l’autre. Ici, nous limitons la base de référence aux jeunes admis en Seconde générale et technologique, entrant en 1re puis Terminale dans une filière générale ou technologique.

4B1. La période de 1982 à 1992.

Le contexte

Le début de la période est caractérisé par une véritable explosion scolaire. Une demande spontanée de scolarisation exprimée par les familles fait voler en éclats les prévisions faites avant 1981 par les services du ministère MEN. Tous les effectifs sont à revoir à la hausse : nombre de classes, importance des recrutements de professeurs à opérer, etc... Le slogan « 80% d’une génération au niveau du baccalauréat » est lancé en 1984, en même temps que la création du baccalauréat professionnel.

Durant la période, les effectifs des classes de 1re générale et technologique passent de 269 000 à 414 000, soit 54% d’augmentation, d’où une croissance annuelle moyenne de 4,4%, ce qui est considérable. Ces nouveaux lycéens se seraient orientés, les années précédentes, en lycée professionnel. Les effectifs de ce dernier fléchissent mais ne s’effondrent pas. En fait, ils scolarisent, en fin de période, des élèves qui, autrefois, quittaient le système éducatif et qui étaient, le plus souvent, issus des milieux sociaux les plus défavorisés de la société. La croissance du nombre moyen de parts de bourse par lycéen professionnel illustre ce phénomène.

La demande sociale a été stimulée par le chômage croissant qui touchait particulièrement les jeunes générations. Un diplôme était vu, pour un nombre de plus en plus grand de familles, comme une assurance contre le chômage. Le discours officiel sur la nécessaire requalification de la population active entretient le phénomène qui a des causes objectives.

Cette croissance des effectifs comportait le risque que les jeunes ne s’orientent pas massivement vers les filières réputées les plus difficiles ou plus austères, comme C, D, E ou F. De plus, on constatait à l’époque un déséquilibre entre les effectifs des séries C et D qui se traduisait par des orientations scientifiques ne correspondant pas aux besoins de la société : trop d’étudiants en biologie, pas assez en mathématiques ou en physique.

Une politique volontariste

Claude PAIR fixe trois objectifs :

ouverture de sections S en 1re

croissance de la filière E

rééquilibrage du rapport des effectifs entre les Terminales C et D. Pour les atteindre, les moyens suivants sont déployés :

un discours ferme et sans ambiguïté vis à vis des chefs d’établissements, qui sera assumé de 1982 à 1988, au delà donc des alternances politiques ;

des crédits et des postes spécifiques sont attribués aux proviseurs développant l’orientation en 1re S et en 1re E ;

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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une action de conviction est menée sur le terrain par Jean-Louis Ovaert par la mobilisation du corps des IA-IPR et une action sur les sujets du baccalauréat à partir de l’argument suivant : on ne peut attirer les élèves vers la Terminale C quand une des disciplines principales de la série (les mathématiques) voit sa moyenne être au Baccalauréat C inférieure aux moyennes de la même discipline dans les autres séries.

Les résultats

Les résultats de la politique menée sont loin d’être négligeables. En Ière, la part des séries S et E passe de 34 à 37% sur la période. En particulier, la série E est en pleine ascension, passant de 2,9% des bacheliers à 3,1% (et même 3,4% en 1993). Cela est obtenu en même temps que la croissance des effectifs de 1re qui passent de 268 700 élèves à 413 800 en France métropolitaine. C’est sur le rééquilibrage des effectifs entre les séries C et D que le résultat est le plus spectaculaire, le rapport des effectifs C/C+D passe de 0,38 à 0,51, quasiment du tiers à la moitié, conformément à l’objectif affiché. On peut noter que les résultats obtenus dans les filières scientifiques ne s’effectuent pas au détriment des séries littéraires. La 1re A passe de 15% à 14,6% des effectifs. En revanche, en Terminale littéraire, la série A1, avec ses 5 heures de mathématiques par semaine, voit ses effectifs croître (au détriment de A2 et A3). Le rapport des effectifs A1/A passe de 0,39 à 0,46 (culmine à 0,48 en 1994).

Le lycée en question

Dès 1984, la structure des séries du lycée est objet de débat. Les ministres de l’Éducation, CHEVENEMENT puis MONORY, feront élaborer des projets de réforme qui seront victimes des alternances politiques. Ces projets avaient d'ailleurs des présupposés très différents l'un de l'autre et différent de celui qui sera élaboré ultérieurement. Dans certains milieux, on critique le fonctionnement de l’orientation, davantage déterminée par des considérations de prestige social que par les goûts et aptitudes. En particulier la série C regroupe beaucoup d’élèves ayant de bons résultats, et sont issus, en majorité, de milieux sociaux favorisés.

La présence de 30% de bacheliers C dans les hypokhâgnes, classes préparatoires littéraires, (soit 1000 élèves en France !) est dénoncée comme un scandale. Des biologistes se plaignent d’avoir, dans la série D, des élèves qui ont choisi D par défaut. Pour de nombreux participants à la décision, dont la majorité n'a pas fait d'études scientifiques, la responsable de la situation est la discipline mathématique, hégémonique et facteur de sélection. Les scientifiques consultés sont essentiellement issus d'un courant des sciences expérimentales qui pense que le primat de l'expérience est essentiel dans l'apprentissage scientifique. L'idéologie dominante a remplacé l'examen objectif des faits. On a entendu des affirmations comme celle-ci : « maintenant on sélectionne les futurs médecins par les mathématiques », en arguant du fait que les reçus au concours en fin de première année d'études médicales étaient, en majorité des bacheliers C. C'était oublier que le coefficient de l'épreuve de mathématiques au dit concours était faible et que la réussite des bacheliers C était due au fait qu'ils étaient au départ scolairement performants et que leurs professeurs, sachant qu'ils avaient de bons élèves, étaient avec eux plus exigeants, renforçant ainsi leur aptitude à la réussite.

En 1989, le comité des programmes présente une nouvelle architecture des séries, avec la création d’une série S regroupant les anciennes séries C, D et E. Après de nombreuses discussions, le projet chemine sous les ministres de l’éducation, JOSPIN, LANG puis BAYROU. En 1993, la nouvelle structure rentre en application. L’essentiel du projet de départ est retenu. L’instauration d’une spécialité avec un horaire de deux heures par

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semaine vient apporter une certaine diversification des choix possibles. Les horaires de mathématiques subissent une baisse importante, ceux de biologie sont renforcés.

Curieusement, lors des discussions sur la mise en place de la nouvelle structure, aucun bilan n’a été tiré de la politique éducative menée antérieurement et les conséquences sur l’orientation des élèves n’ont pas été abordées sérieusement. On peut noter que les séries technologiques ont été maintenues en dehors de la réforme, sauf en ce qui concerne leur dénomination (STI – STL).

4B2. La période de 1993 à 2002.

Les élèves et leur orientation au lycée

Trois phénomènes influent sur le nombre d’élèves en formation et leur répartition dans les diverses filières des lycées et des lycées professionnels :

phénomène démographique : le nombre des naissances 17 ans auparavant

phénomène sociologique : la fin de la demande spontanée de poursuite d’études

phénomène scolaire : la réforme des études en lycée.

Le nombre des naissances varie assez fortement entre 1976 et 1986.

Années 1976 1981 1983 1986

Nombre de naissances (milliers) 715 808 756 782

Tableau 1 : naissances entre 1976 et 1986

Ces données statistiques sont nécessaires pour interpréter correctement le nombre de bacheliers 18 ans après. Concrètement, on s’aperçoit que la proportion de jeunes d’une génération titulaires d’un Baccalauréat général ou technologique reste relativement fixe dans la période, autour de 54%. Cela illustre le phénomène sociologique mentionné plus haut. En 2001-2002, avec le regain d’intérêt pour les lycées professionnels, le ratio précédent est alors en baisse.

En 1994, la réforme des études au lycée est arrivée en classe Terminale. Elle a profondément changé le visage des sections générales, les sections technologiques se contentant de changer de nom. Cela a eu des incidences sur le choix des filières par les élèves. On prendra pour base les effectifs des classes conduisant aux Baccalauréats généraux et technologiques.

Années

Baccalauréat 1990 1995 2001 2005 2007

A puis L 17,7 16,8 13,9 11,9 11,9

B puis ES 16,6 18,0 18,6 20,9 21,6

C, D, E puis S 34,1 32,7 31,1 33,1 33,8

F puis STI 7,5 8,3 8,8 8,4 8,2

G puis STT 19,9 18,6 19,2 17,8 16,4

Autres (SMS, etc.) 4,2 5,7 8,4 7,9 8,2

Totaux (%) 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Nombre de bacheliers (milliers) 366,7 425,3 406,3 413,3 418,4

Tableau 2 : Répartition en % des bacheliers

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Une première analyse du tableau permet de dégager de grandes tendances :

diminution importante du nombre de littéraires ;

tassement du nombre de scientifiques ; avec une reprise très récente dont l'interprétation est difficile compte tenu de l'élévation des taux de réussite.

accroissement en ES et dans les filières « autres » avec une part dominante pour le baccalauréat SMS qui sera intitulé STSS en 2009.

Il est difficile de déterminer les causes de ces phénomènes, de déterminer ce qui tient à des tendances de fond de la société, ce qui provient des modifications de l’offre scolaire. Certains observateurs calculant le ratio en Ière ou en Terminale des élèves scientifiques par rapport aux élèves des sections générales, observent que celui-ci, sur la longue période, se situe autour de 51% ou 52% et concluent que l’impact sur l’orientation de la rénovation pédagogique des lycées est plutôt faible. C’est oublier que la baisse importante des effectifs en section littéraire abaisse la part des élèves suivant des études générales dans le second cycle long. Il est probable que des élèves qui auraient choisi la section A avant la réforme se soient, pour une part, orientés en ES, pour une autre part en STT, voire en SMS.

En ce qui concerne les études scientifiques, la rénovation du second cycle s’est traduite par une baisse des effectifs. En 1992, il y avait 13 500 élèves en Ière E et 133 400 en Ière S. En 1994, la 1re S-TI (S-SI) accueillait 10 800 élèves et la 1re S-SVT 107 800. La chute est brutale.

En deux ans, les orientations scientifiques sont passées de 36,5% à 33%, soit une chute de 3,5% représentant une baisse de 28 000 élèves sur les 37 000 en moins que les classes de 1re enregistraient. Après ce décrochement lié à la réforme des lycées, une certaine récupération s’observe depuis 1997, elle s'est accélérée depuis 2004. Il n’est pas exagéré de dire que la réforme des lycées a effacé les efforts faits les années précédentes pour développer la formation scientifique des jeunes. Toutefois l’évolution des orientations scientifiques varie d’une académie à l’autre. En 1999, le poids des élèves en séries scientifiques parmi les élèves de 1re générale varie de 46,3% dans l’académie d’Amiens à 54,3% à dans l’académie de Lille. Globalement, quand on examine le passé, on observe que, de ce point de vue, des académies progressent tandis que d’autres régressent. Il serait intéressant de voir si des politiques éducatives rectorales actives peuvent expliquer ces variations.

A l’intérieur de la section S, le choix de la spécialité est important pour déterminer les orientations post-baccalauréat. Rappelons que les élèves de S-SI peuvent ne pas choisir de spécialité. Or sur la période, le poids des mathématiques ne cesse de baisser. Comparons les choix des spécialités en S-SVT et S-TI en % des élèves :

Spécialité 1995 1999 2005

S-SVT

Mathématiques 38% 34% 23%

Sciences Physiques Chimie 24% 30% 37%

SVT 34% 36% 40%

S-TI (S-SI) Mathématiques 43% 29% 34%

Sciences Physiques Chimie 21% 17% 22%

Tableau 3 : Répartition en % des choix de spécialité

En section L et en section ES, il existe des enseignements de mathématiques. En L, en 1993, l’ex-A1 représentait avant sa suppression 48% des effectifs de la série A. En 1998, dernière année de la spécialité mathématique dans cette filière L, celle-ci représentait 23% des effectifs de la filière L; elle a été rétablie en 2003 et regroupait 11% des élèves de la série en 2006 . Il est à peu près certain que la fin de l’ex-A1 et de ses héritiers explique

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largement la baisse très forte des effectifs de la filière littéraire. En Terminale ES, la spécialité mathématique a également fléchi, passant de 49% des effectifs en 1994 à 42% en 1998 et 32% en 2005.

Avec la structure mise en place en 1993, les horaires de mathématiques ont fortement baissé. En première S on est passé de 6 heures hebdomadaires à 5 heures. En terminale S, 53% des élèves en avait 9, maintenant 24% en ont 7,5, les autres passant de 6 à 5,5. Il n'est pas étonnant que les professeurs de l'enseignement supérieur, et pas seulement ceux de mathématiques se plaignent de la baisse de niveau dans la discipline.

Comme on ne change pas par décret la hiérarchie des disciplines, c'es la spécialité mathématiques qui attire les meilleurs élèves de première, cela se repère par les performances au baccalauréat selon les spécialités. A titre d'exemple voici ce que l'on observe dans l'académie de Lille en 2006 :

Spécialité bac S Mentions B &TB Refusés

SVT, mathématiques 42% 7%

SVT, physique 24% 12%

SVT, SVT 12% 18%

SI, mathématiques 41% 2%

SI, physique 20% 7%

SI sans spécialité 7% 18%

Tableau 4 : Performance au baccalauréat selon la spécialité

Les différences sont importantes. Dans toutes les disciplines les candidats ayant choisi la spécialité mathématiques ont obtenu, en moyenne, de meilleurs notes que leurs camarades des autres spécialités.

Les poursuites d’études après le Baccalauréat

Si l’orientation vers les études scientifiques a faibli dans les lycées, la désaffection relative des jeunes pour ces études après l’obtention du Baccalauréat se reflète dans le choix des études poursuivies. Attention dans le tableau ci-dessous les pourcentages sont calculés sur les inscriptions, or un même individu peut avoir plusieurs inscriptions. En particulier beaucoup d'élèves des classes préparatoires sont aussi inscrits à l'université, les effectifs des élèves suivant des études en première année d'université (DEUG 1 puis L1) sont plus faibles que l'indique le tableau, surtout en sciences.

1990 1995 2001 2006

Droit 8,8 8,7 7,2 8,0

Sciences Economiques 8,6 7 6,6 6,3

Lettres 21,2 23,8 22 20,8

Sciences 13,6 13,5 10,5 8,8

STAPS 0,5 1,3 2,7 2,4

Santé 4,2 5 4,4 7,9

IUT 8,4 10,6 11,3 11,1

CPGE 8,7 8,2 8,3 8,8

STS 26 23,6 27,2 25,6

TOTAL 100% 100% 100% 100%

Nb d’inscrits en milliers 401,3 470,3 430,7 430,7

Tableau 5 : Flux d’entrée en Ière

année d’enseignement supérieur (en %)

Outre l’engouement pour les activités physiques et sportives, ce tableau montre le recul de l’orientation scientifique. La montée des formations supérieures courtes (IUT + STS) est

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frappante, toutefois cette croissance ne se produit pas dans les secteurs industriels, sauf en informatique. La baisse des effectifs touche surtout les DEUG et, pendant 10 ans, dans une moindre mesure les classes préparatoires scientifiques. Depuis 2005 on assiste à un boom en médecine provoqué par une augmentation du nombres de places offertes au concours. Cette baisse des orientations scientifiques hors secteur santé est principalement due au moindre choix par les bacheliers scientifiques ou industriels (S + STI) des filières de même nature dans l’enseignement supérieur.

1995 2000

Études scientifiques ou industrielles 86,3 76,3

Répartition

DEUG 32,5 24,4

IUT 11,2 12,8

CPGE Sc1 13,8 12,4

STS Second 15,3 14,9

Autre scientifique 13,5 12,3

Tableau 6 : Poursuite d’études des bacheliers S + STI (en %)

Les études disponibles ne permettent pas d'actualiser ce tableau. Par contre il est possible de donner la répartition des inscriptions des seuls bacheliers S en sachant qu'il existe des doubles inscriptions (CPGE+L1) et que l'on ignore ceux qui poursuivent leurs études ailleurs: paramédical, secteur social etc.

Année 1995 2000 2004

% de bacheliers S 105,8 98,3 100,5

Droit 2,8 2,7 2,9

Sc. Eco+ AES 3,3 3,4 3,3

Lettres +sc. humaines 5,3 5,5 6,6

Sciences 39,9 30,2 25,8

STAPS 2,0 3,8 4,2

Santé 14,5 12,3 17,5

CPGE sciences 16,8 15,2 16,1

CPGE économique 2,9 3,1 3,1

CPGE lettres 0,9 0,8 1,1

IUT secondaire 8,8 10,1 9,1

IUT tertiaire 2,4 4,5 4,7

STS 6,2 6,7 6,1

Tableau 7 : Répartition des bacheliers S inscrits dans une des filières du supérieur

Le désengagement des élèves ayant un Baccalauréat S (éventuellement STI) par rapport aux études scientifiques longues est frappant. Cela a une influence sur les effectifs d’élèves en premier cycle supérieur.

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1995 2000

DEUG 150 119

dont

Physique 46 24

SVT 54 39

SI 8 11

Informatique 0,4 1,3

Santé 56 47

IUT Scientifique 55 62

CPGE Scientifique 48 44

STS secondaires 87 90

Ecoles d’Ingénieurs 8 10

Tableau 8 : Effectifs des premiers cycles scientifiques (en milliers)

Le passage au système LMD et l'apparition de nouveaux intitulé comme "pluri-sciences" ne permet pas d'actualiser ce tableau

La situation est surtout dramatique pour le DEUG de Sciences physiques qui perd près de la moitié de ses effectifs en cinq ans. Mais on observe aussi que les classes préparatoires scientifiques avaient perdu 10% de leurs effectifs, un rattrapage s'est effectué depuis 2004. Les poursuites d’études après obtention d’un DUT et, dans une moindre mesure, après un BTS, permettront peut-être de combler une partie du déficit en licence et en Master1-Maîtrise.

Les conséquences de cet état de fait commencent à inquiéter les responsables. Il est vrai que la France n’est pas le pays le plus touché et que beaucoup de pays développés voient baisser leurs effectifs d’étudiants des disciplines scientifiques, surtout dans les filières académiques longues.

Ainsi, en Allemagne, les effectifs d’étudiants en première année de Chimie ont chuté de 54% entre 1990 et 1994, ceux de Sciences physiques ont été divisés par trois. Mais les causes ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Pour l'Allemagne la courbe des inscriptions en chimie est étroitement liée à celle des offres d'emplois dans le secteur, avec évidemment un décalage dans le temps. Aux Pays-Bas, à l’université libre d’Amsterdam, les étudiants de première année en mathématiques étaient 800 en 1989 et seulement 105 en 1994. Aux États-Unis, les asiatiques deviennent majoritaires dans les laboratoires !

Regardons plus en détail les orientations des bacheliers S selon le choix de la spécialité et la performance du Baccalauréat en 2000 : Les choses ont peu évoluées depuis.

Spécialité Mention

Total Maths Phys. SVT TB ou B AB P

Classes Préparatoires 24 42 22 7 68 36 8

DEUG M, P, C 14 20 20 4 5 14 16

DEUG SVT 10 4 6 24 3 8 13

Santé 12 9 11 20 13 14 12

IUT-STS 20 11 23 15 3 16 25

Etudes non scientifiques 20 14 18 30 8 13 36

Tableau 9 : Répartition des bacheliers S- SVT après le Baccalauréat (en %)

On voit que le choix de l’orientation dépend largement du choix de la spécialité et de la performance scolaire. Les deux variables sont d’ailleurs liées. Les moyennes aux épreuves

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du Baccalauréat décroissent quand on passe de la spécialité Mathématiques à la spécialité SVT, la spécialité Physique ayant une position intermédiaire. La baisse du nombre de bacheliers S ayant choisi la spécialité mathématiques rend plus difficile le recrutement d'étudiants dans les filières scientifiques longues.

Par rapport à la situation qui prévalait avant la réforme des lycées, l’évolution est frappante : un sociologue du CNRS, Bernard Convert, a analysé les premiers vœux d’orientation faits par les élèves de l’Académie de Lille en 1987 et en 2001, pouvant ainsi mettre en évidence les évolutions. Il ressort une augmentation relative des vœux d’orientation vers les études non scientifiques ou vers les études courtes, et une baisse relative des vœux vers les classes préparatoires et les DEUG scientifiques. Bernard Convert donne de cette évolution les déterminants suivants : par rapport à la Terminale C, la Terminale S spécialité mathématiques est à la fois plus féminisée (42% de filles en 2001 contre 35% en 1987), moins bourgeoise (50% d’enfants des catégories cadres supérieurs ou cadres intermédiaires, contre 56% en 1987). Or, ces filles, comme les catégories sociales populaires, ont une propension moindre à postuler une classe préparatoire ou des études universitaires longues. L’autre facteur important est la capacité que le jeune se donne de réussir dans des études jugées prestigieuses ; en particulier, pour les jeunes de milieu populaire, l’accès en filière E était un gage de réussite future. Un effet « noblesse oblige » jouait. Être dans une classe prestigieuse incitait à faire des études prestigieuses. En 1987, le choix par les élèves de Terminale C ou E d’une classe préparatoire était indépendant de son origine sociale. En 2001, seuls les enfants des milieux favorisés ont maintenu le taux de premier vœu vers des classes préparatoires. Ce choix, parmi les bacheliers S, est maintenant davantage dépendant de l’origine sociale.

On peut ainsi être surpris de constater que l’institution d’une spécialité Sciences physiques en Terminale a contribué à vider le DEUG de Sciences physiques de ses étudiants. L’explication donnée par Bernard Convert est simple : les élèves ayant fait choix de cette spécialité sont surtout, sociologiquement et scolairement, attirés par des études courtes, en tout cas ils redoutent le DEUG et envisagent éventuellement, des études longues par le passage par un IUT ou une STS. Il y a là une stratégie du contournement des deux premières années d'université. Il en résulte une fuite de l’université en première année. Comme les élèves choisissant les spécialités mathématiques ou SVT n’envisagent pas de faire un DEUG de Sciences physiques, on observe une baisse de recrutement d’étudiants. Ainsi des phénomènes sociologiques, d’ailleurs internationaux tel que un moindre attrait pour les sciences se conjuguent avec les effets, évidemment non voulus, de la réforme des lycées, pour aboutir à une baisse de l’orientation vers les filières scientifiques, préoccupante pour l’avenir du pays.

4C. Essais pour déterminer des causes possibles. Les analyses statistiques précédentes et les faits rapportés ont montré que la désaffection

pour les études scientifiques est un phénomène complexe qui touche la plupart des pays industrialisés. Seul le Québec voit ses effectifs d’étudiants croître, sauf en Sciences physiques où il fléchit. Mais, si la désaffection globale est présente partout, dans le détail elle varie fortement d’un pays à l’autre. En France, les effectifs d’étudiants dans les filières scientifiques générales sont en baisse importante mais ils augmentent dans les filières technologiques, alors qu’on observe le contraire en Allemagne. A partir d’un paysage commun en gros, il existe de fortes différences selon les pays. On a vu qu’en France, la réforme des études des lycées a été un facteur d’accélération du phénomène.

Les auteurs des rapports officiels sur la question avancent des causes possibles pour expliquer la désaffection pour les études scientifiques. Disons qu’il s’agit d’hypothèses, mais

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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le lecteur est dubitatif sur leur pouvoir d’explication. Tout d’abord, on n’observe pas d’attitude anti-scientifique dans la population ; les enquêtes d’opinion ne mettent pas en évidence un rejet de la science jugée mauvaise par ses conséquences : armement nucléaire, pollutions diverses… Par contre, la liaison entre sciences et technologie est mal perçue ; peu de gens imaginent que, derrière INTERNET, le téléphone portable, le DVD, le TGV, il y a un substrat scientifique important.

La désaffection semble liée à la réputation de difficulté et d’austérité des études scientifiques. Du lycée aux études supérieures, il est plus facile de décrocher un niveau de qualification par d’autres voies que la voie scientifique, un bachelier S a plus de chances de décrocher une licence autre que scientifique qu'une licence scientifique. En particulier, le lycéen juge la réussite en mathématiques fondamentale pour s’estimer capable de poursuivre des études scientifiques et cela est encore plus vrai pour les filles que pour les garçons. Reste à savoir si les scientifiques sont trop exigeants ou les autres études trop laxistes !

Les sciences sont peu présentes dans les médias et les discours politiques très discrets en matière de politique scientifique, sauf quand il s’agit de bioéthique. Une science peu présente dans les médias n’attire pas.

Certains observateurs tel que Maurice Porchet, contrairement à d’autres, mettent en cause les contenus de l’enseignement scientifique, de la maternelle au Baccalauréat. Au primaire, peu de maîtres ont une culture scientifique suffisante pour présenter avec attrait des phénomènes scientifiques. Au collège et au lycée, l’enseignement des sciences physiques serait trop mathématisé, abstrait, insuffisamment expérimental. Les enquêtes d’opinion montrent que l’image des sciences physiques se dégrade dès la classe de 3ème. Au collège, les programmes de biologie seraient trop ambitieux, selon d’autres. En mathématiques, on montre des objets tout faits en faisant l’impasse sur la façon dont ils ont été mis en place. Bref, le sens manque et la scolastique envahit la pratique pédagogique.

Les jeunes, dans leur choix d’orientation, recherchent aussi un avenir professionnel. Il est connu, par les médias, que les emplois les mieux rémunérés ne sont pas des emplois de scientifiques. Par contre, il est peu connu que les taux de chômage ou d’emplois précaires sont beaucoup plus faibles à la sortie des études scientifiques qu’à la sortie des études en sciences humaines ou en activités physiques et sportives.

L’engouement des jeunes pour les études supérieures courtes (DUT + STS) est, certes, lié à ces préoccupations d’emploi futur, mais aussi à l’attractivité très faible des premiers cycles universitaires. La faiblesse de l’encadrement en DEUG et le taux d’échec important font fuir les futurs étudiants. On passe d’abord son DUT puis ensuite on rejoint une filière longue à l’université. La moitié des titulaires d’un DUT poursuivent leurs études.

La stratégie de contournement explique aussi le nombre important de bacheliers S s’orientant vers des études non scientifiques. Elle était connue depuis longtemps. L’une des critiques faite à la section C avant la réforme des lycées était d’être la classe des bons élèves et on citait la proportion des bacheliers C en hypokhâgne (1/3). On peut remarquer que la réforme a amplifié le phénomène qui a des bases objectives : 55% des bacheliers S obtient un DEUG autre que scientifique en deux ans, contre 38% des autres bacheliers. Elle avait été faite pour diversifier les voies de réussite. Cela avait, provisoirement, réussi pour les classes préparatoires littéraires, pas pour les DEUG. Actuellement on est revenu à la situation de 1995.

A noter que les études scientifiques restent, globalement, dans l’opinion publique, comme des études pour les garçons en mathématique, informatique, sciences physiques, chimie. Par contre, la biologie est vue comme ouverte aux filles.

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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Cette énumération des causes possibles de la désaffection pour les études scientifiques montre que des études plus approfondies, dépassant le cadre français, sont indispensables pour mieux comprendre le phénomène. Un chapitre d’une publication [I.4-2] aborde cette question de la désaffection des étudiants pour les études scientifiques avec un regard critique sur les méthodes de construction, de traitement et d’analyse des données

4D. Au sein de l’OCDE. En juillet 2003, au Forum mondial de la science, un groupe de travail s’est constitué sur la

thématique du désintérêt des jeunes pour les études scientifiques et technologiques (S&T), à partir d’une proposition de la France et des Pays-Bas. De là une analyse au sein de l’OCDE a été mise en œuvre afin de préciser le niveau de réalité de phénomène et les causes possibles. Nous rapportons les quatre grands constats issus de cette analyse

4E. Les mathématiques dans la vie quotidienne et la vie citoyenne.

A quoi et à qui d’autres que les mathématiciens, les mathématiques servent-elles ?

Nous reprenons à notre compte le point de vue de Georges Glaeser, un des fondateurs français de la didactique des mathématiques exprimé dans [I.4-4]. Voilà ce qu’il écrit : « Succédant à l'âge de fer, l'ère de la mathématique et de la science couvre les trois derniers millénaires de l'histoire de l'humanité. Que l’on se réfère aux plus grands exploits de l'humanité. Le 20 juillet 1969 l'homme prend pied sur la Lune, à trois mètres de but assigné, à quelques secondes de l'instant choisi. Cette prouesse n'est pas que le résultat des tous derniers progrès accomplis au XXe siècle. Elle couronne beaucoup d'efforts théoriques et techniques poursuivis pendant des siècles. Certes la construction du premier ordinateur ENIAC en 1946 contribua largement à cet exploit mais n'est-il pas aussi le fruit de la lente élaboration de la numération arabe de position ? Tout reposait sur une connaissance précise des lois de la mécanique, de la biologie, de la chimie et de l'électricité. Et rien de cela n'aurait été possible sans une maîtrise du calcul différentiel et intégral. Il fallait posséder de bonnes connaissances des grandeurs astronomiques : or, la première estimation du rayon de la Terre fut donnée à 10% près par Erathostène, contemporain d'Archimède. La première évaluation de la vitesse de la lumière est due à Olaüs Römer qui, en 1675 fournit la valeur 210 000 km/s. Ainsi la premier alunissage est bien plus qu’un événement important de l'année 1969. C'est par contre le succès le plus éclatant des 3000 dernières années !

Les mathématiques sont la base de l'édification des cathédrales. L'inspiration mathématique est avouée dans les œuvres de Phidias, Léonard de Vinci, Albert Dürer, Jean-Sébastien Bach. De là, elle diffuse son influence vers de nombreux artistes, même ceux qui se piquent d'ignorance en matière de science. Ainsi, la musique de jazz s'appuie sur des structures rythmiques, mélodiques, harmoniques transmises par des traditions dont les germes apparaissent déjà chez Pythagore.

Mais la civilisation mathématique ne se manifeste pas uniquement dans ses réussites les plus spectaculaires. Elle imprègne notre vie quotidienne, dans ses aspects les plus humbles, par accumulation de détails dérisoires et insignifiants. Prenons, comme exemple, un objet particulièrement banal, un simple pot de moutarde ! La forme du récipient, son dispositif de fermeture, son emballage, ses conditions de transport et de stockage... portent l'empreinte d'une pensée humaine. Les ingrédients y ont été dosés du point de vue gastronomique, nutritif, médical et commercial. Le choix des matières premières, de la main d'œuvre, de l'outillage, débouche sur une évaluation du prix de revient et sur une stratégie anticipatrice

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [56]

de publicité et de promotion. Tout est d'abord planifié sur le papier. Pourtant, nous ne pouvons pas déclarer à nos élèves : « Vous allez apprendre des mathématiques pendant dix ans pour comprendre ce qu'est un pot de moutarde ! » Il est presque impossible de trouver un bon exemple, suffisamment global pour que la grande masse de l'humanité scolarisée se sente directement concernée.

Les mathématiques sont localement inutiles. En effet, si l'on passe en revue divers alinéas des programmes scolaires, et que l'on demande à l'infirmière, au notaire, à la boulangère et même à l'ingénieur ; « À quoi ça sert ? », la réponse sera évidemment « À rien. » La plupart de nos contemporains n'ont jamais eu à calculer l'aire d'un trapèze ou à résoudre une équation du second degré et encore moins à participer au lancement d'un vaisseau spatial. Parfois quelques individus auront l'occasion d'utiliser une notion mathématique subtile au cours de leur vie. Mais alors, ils la réapprendront quand elle leur sera nécessaire.

En revanche, les mathématiques sont globalement indispensables à nos contemporains. Plusieurs fois par jour, face à des situations inhabituelles, ils sont amenés à réfléchir avant d’agir. S’ils ne le font pas, ils manquent d’efficacité dans beaucoup d’occasions. Deux mille ans d'assimilation de notre héritage culturel fécondés par des progrès techniques ont révélé à l'homme l'importance pratique de l'abstraction. Jadis, l'homme préhistorique construisant un pont de lianes pour franchir un torrent constatait que le dispositif était solide si le pont ne s'effondrait pas. Aujourd'hui toute construction est préalablement pensée, calculée, anticipée et les risques sont probabilisés. On réalise des plans, des maquettes. On substitue des symboles aux choses pour éprouver, à l'avance, la réalité. Toute notre vie repose sur des prévisions théoriques : notre nourriture, nos vêtements, nos logements, nos transports, notre santé, nos assurances... sont conçus avant d'être mis en œuvre. Nous vivons dans un monde calculé. »

4F. Les mathématiques parfois localement utiles. Nous reprenons l’idée suggérée par Yves Chevallard [I.4-6] qui a développé un exemple

dans le but de donner appui aux raisons de l’utilité des mathématiques et donc à l’intérêt tant individuel que social de leur apprentissage à l’école. Il s’agit de s’opposer à des représentations sociales qui alimentent une phobie culturelle.

Voici une situation tout à fait réaliste de la vie quotidienne. « Vous désirez enclore une partie de votre jardin adossée au mur d’un bâtiment avec une palissade dont vous disposez déjà d’un rouleau de 60 mètres. Évidemment vous souhaitez que la surface du jardin soit la plus grande possible. »

Cette situation se constitue très vite en situation-problème car la réponse à la question : comment allez-vous réaliser cette construction pour obtenir une superficie la plus grande possible du jardin sachant que le mur du bâtiment peut être utilisé comme palissade ? n’apparaît pas immédiatement. Une première façon de construire la solution consisterait à procéder directement à la construction sur le terrain en déroulant la palissade et en l’installant par tâtonnement. C’est alors que le recours à une représentation symbolique : faire un dessin sur le papier, tout comme le recours au langage mathématique peuvent apporter une aide précieuse à la résolution de ce problème qui se traduit par une construction concrète.

Nous procédons alors à la modélisation mathématique du problème. Ainsi pouvons-nous imposer la forme géométrique simple et facilement réalisable qu’est celle du rectangle. Par

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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une représentation graphique, le problème s’énonce alors : . Nous pouvons voir que le problème revient à connaître la largeur et la longueur du jardin rectangulaire.

Le recours au langage symbolique permet de désigner les sommets du rectangle par les lettres A, B, C, et D ainsi que la largeur par la lettre x et la longueur par y.

La question centrale du problème s’énonce de la manière suivante :

Comment choisir la largeur x et la longueur y pour que l’aire du rectangle soit la plus grande possible ?

Plus précisément, il y a lieu de s’interroger sur l’existence même de valeurs pour x et y respectant les contraintes données. Quelle(s) valeur(s) doit-on attribuer à x et à y pour que l’aire du rectangle soit la plus grande possible ?

Il est sans doute possible de donner des réponses intuitives. Toutefois nous allons développer une réponse que les mathématiques nous donnent les moyens de construire.

Il faut d’abord nous rappeler que la longueur totale de palissade dont nous disposons, vaut 60 mètres. Cette palissade doit être disposée le long des côtés AB, BC et CD. Dans le langage symbolique, cette information est traduite par la relation algébrique :

602 yxxyx . Cette relation met en évidence le fait que la largeur et la longueur sont

mutuellement déterminées et par exemple la connaissance de la largeur détermine celle de la longueur puisque xy 260 .

Une seconde information réside dans le lien entre l’aire, la largeur et la longueur. Si nous désignons l’aire par la lettre z, nous avons )260( xxxyz

Une troisième information est donnée par l’intervalle des valeurs possibles pour la largeur. Pour cela nous prenons en compte le lien entre la largeur et la longueur, xy 260 . La

longueur est obtenue en retranchant deux fois la largeur à la longueur totale du rouleau de palissade. Nous ne pouvons donc pas retrancher plus que la valeur 60, ce qui nous conduit à considérer que la largeur x est forcément comprise entre 0 et 30.

Ainsi la situation-problème concrète initiale est traduite dans le langage mathématique par le problème abstrait suivant : Existe-t-il dans l’intervalle [0 ; 30] au moins une valeur de x pour laquelle la valeur z est la plus grande possible ?

Une réponse à cette question est à chercher dans le monde formel des mathématiques. Dit autrement, la solution de ce problème est contenue dans les propriétés mathématiques de l'expression algébrique )260( xx . Évidemment une telle expression nécessite des

connaissances en mathématiques. Son traitement s’effectue au sein du domaine mathématique avec ses règles propres.

Une idée pourrait laisser penser qu’une forme particulière de rectangle, à savoir le carré, avec ses quatre côtés isométriques. Mentalement, nous pouvons raisonner ainsi : la palissade serait alors divisée et pliée en trois segments d’égale longueur dont la totalité

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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vaudrait 60. De là le carré obtenu aurait ses quatre côtés de mesure égale à 20. De là l’aire vaudrait 400 m2 en faisant le produit 20 par 20.

Si nous avions appliqué la formule donnant z quand x=20, nous aurions obtenu 400)4060(20 z

Mais nous ne savons pas si 400 m2 est la plus grande valeur possible. Il faudrait faire le calcul avec toutes les valeurs de l’intervalle [0 ; 30], ce qui est impossible puisqu’il y en a une infinité.

Nous pouvons cependant, en utilisant un logiciel de type tableur, réaliser le calcul de z pour plusieurs valeurs comme le montre le tableau suivant :

Valeurs de x 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 6 6,5 7

Valeurs de z 0 29,5 58 85,5 112 137,5 162 185,5 208 229,5 250 269,5 288 305,5 322

Valeurs de x 7,5 8 8,5 9 9,5 10 10,5 11 11,5 12 12,5 13 13,5 14 14,5

Valeurs de z 337,5 352 365,5 378 389,5 400 409,5 418 425,5 432 437,5 442 445,5 448 449,5

Valeurs de x 15 15,5 16 16,5 17 17,5 18 18,5 19 19,5 20 20,5 21 21,5 22

Valeurs de z 450 449,5 448 445,5 442 437,5 432 425,5 418 409,5 400 389,5 378 365,5 352

Valeurs de x 22,5 23 23,5 24 24,5 25 25,5 26 26,5 27 27,5 28 28,5 29 29,5 30

Valeurs de z 337,5 322 305,5 288 269,5 250 229,5 208 185,5 162 137,5 112 85,5 58 29,5 0

Tableau 10 : Valeurs associées (x, z)

Nous pouvons traduire ce tableau dans un autre registre, celui de la représentation graphique. Les points dont les coordonnées sont (x ; z), se répartissent sur une courbe que les mathématiciens connaissent et qu’ils nomment un arc de parabole.

L’analyse conjointe du tableau et de la représentation graphique nous montre deux propriétés intéressantes :

une seconde valeur de x permet d’obtenir une valeur de z=400, à savoir x=10 ;

il apparaît que la plus grande valeur de l’aire donnée par le tableau est z=450 ; elle correspond à x=15. Sur la représentation graphique, elle correspond au sommet du segment parabolique.

À ce stade du raisonnement, nous pouvons énoncer une conjecture : il semble que l’aire la plus grande possible soit 450 m2 qui n’est obtenue qu’avec la largeur 15 mètres.

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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La mise à l’épreuve de la conjecture consiste à la soumettre à une argumentation que les mathématiciens appelle la démonstration.

Cette démonstration est réalisable en faisant usage de la représentation dans le langage symbolique algébrique qui en facilite le traitement. L’idée qu’eurent certains mathématiciens par le passé et qui est maintenant transmise par l’enseignement des mathématiques, consiste à réaliser une transformation de l’écriture de l’expression algébrique de z comme nous allons le voir ci-après. Certes chacun peut retrouver de lui-même cette transformation, mais la transmission culturelle permet aussi de gagner du temps.

L’expression algébrique de z, à savoir )260( xxz , rappelle une forme classique

d’expression algébrique du second degré qui renvoie à des formes standards nommées identités remarquables telles

222 2)( bababa

222 2)( bababa

))((22 bababa

L’expression )30)(2(260)260( 22 xxxxxxz peut être vue comme le début d’une

identité remarquable. La plus proche est du second type. xx 302 est le début d’une

expression du type 222 2)( bbxxbx . Ce qui nous indique que 302 b et 15b . En

retournant à l’identité, nous avons 225301530)15( 2222 xxxxx ou encore 2222 15)15(225)15(30 xxxx

De là nous obtenons une autre écriture équivalente de z à partir de laquelle nous pouvons tirer des conclusions certaines.

222 )15(2450225)15()2()30)(2()260( xxxxxxz

En effet nous constatons que la valeur de z peut aussi être obtenue en soustrayant à la valeur 450 une quantité positive car elle est le double d’une quantité élevée au carré. La plus

grande valeur possible de z est donc 450 qui est obtenue quand 0)15(2 2 x c’est à dire

quand x=15.

Cette fois il ne s’agit plus d’une conjecture mais bien d’un résultat certain et vrai. Une sorte de théorème attaché à notre problème particulier. En choisissant l’unique solution possible pour la largeur, c’est à dire 15 mètres, il en ressort que la longueur correspondante, elle-même unique, est de 30 mètres car 30)15(260 et par conséquent l’aire maximale de

450 m2 obtenue par le produit 15x30.

La résolution de ce problème est rendue d’une manière particulièrement efficace par le moyen des outils mathématiques. Il y a évidemment différents niveaux de conceptualisation qui sont sollicités pour cette résolution.

Nous pouvons aussi rappeler la puissance opératoire de cette approche mathématique en ce qu’elle ne dépend pas de la valeur attribuée à la longueur du rouleau de palissade, ni encore de la nature du rouleau. Si la longueur du rouleau était une valeur quelconque positive, la notation symbolique autorise alors de la désigner efficacement grâce à l’usage de la notation littérale, choisissons la lettre r, il en ressort que )2( xrxz . Par une démarche

analogue en raisonnant avec r au lieu de 60, nous obtenons : )2

)(2(2 22 xr

xxrxz .

Après quoi, xr

x2

2 , début d’une expression du type 222 2)( bbxxbx , nous indique que

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

7009 TG Régnier – Gardes – Pivin – Didactique des mathématiques [60]

22

rb et

4

rb . En retournant à l’identité, nous avons

16242)

4(

22

222 r

xr

xr

xr

xr

x

ou encore 2

22

22

4)

4(

16)

4(

2

rrx

rrxx

rx

De là nous obtenons une autre écriture équivalente de z à partir de laquelle nous pouvons tirer des conclusions certaines.

222

22 )4

(21616

)4

()2()2

)(2()2(r

xrrr

xxr

xxrxz

Par ailleurs il est clair que la propriété relationnelle : la longueur est obtenue en retranchant deux fois la largeur à la longueur totale du rouleau de palissade est elle-même indépendante de la valeur même de longueur totale. Et donc, nous ne pouvons pas retrancher plus que la valeur r, ce qui nous conduit à considérer que la largeur x est forcément comprise entre 0 et r/2. Dit dans le langage des mathématiques, la valeur x est à

rechercher dans l’intervalle [ 0 ; 2

r]. La valeur x qui produit la valeur optimale

16

2rz , est

donc obtenue par la résolution de l’équation : 0)4

(2 2 r

x c’est à dire si 4

rx et

22422

rrr

rrxry

.

Autrement dit la solution optimale à ce problème, « obtenir la plus grande surface rectangulaire », est produite avec un rectangle dont la largeur vaut le quart de la longueur du rouleau et la longueur, la moitié. Le schéma ci-contre indique une procédure générale applicable concrètement. Le rouleau de palissade F1 est déroulé pour être mis dans la forme rectiligne F2. Après quoi, il suffit de plier en quatre parties isométriques pour réaliser un carré F3. Enfin il suffit d’ouvrir le carré pour aboutir à la forme rectangulaire recherchée F4.

Encore plus généralement, nous pouvons constater que la mesure de la surface rectangulaire recherchée est donnée par la fonction numérique réelle que nous pouvons

noter par la lettre grecque (psy) . Ainsi à une valeur initiale x correspond la valeur z=(x) avec )2()( xrxx . Pour chaque valeur de r, nombre réel positif, que le mathématicien

nomme paramètre, il y a une fonction dont la représentation graphique est un segment de

parabole sur l’intervalle [0 ; 2

r]. Mais nous pouvons encore placer cette modélisation à un

niveau de généralité plus élevé. La fonction est définissable sur tout l’ensemble des

nombres réels et pour toute valeur du paramètre r prise elle aussi quelconque sur . Dans tous les cas, la représentation graphique est une parabole.

Nous voyons que le problème concrètement posé n’est qu’un cas particulier d’un ensemble de situations que le langage mathématique rend traitable.

Chapitre I.4 Mathématiques et usages sociaux

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Pour aller plus loin… [I.4-1] O.N.I.S.E.P.-M.E.N. (2007) Zoom sur les métiers : Les métiers des mathématiques,

Publication réalisée à la demande et avec la collaboration des 4 associations suivantes : la Société mathématique de France (SMF), la Société de mathématiques appliquées et industrielles (SMAI), la Société française de statistique (SFdS), femmes et mathématiques. ISSN : 1772-2063 ISBN : 978-2-273-00695-8 Internet : http://www.onisep.fr

[I.4-2] PARCOURS et ORIENTATIONS http://www.academie-sciences.fr/publications/rapports/pdf/rapport_JD0604_chap2.pdf

[I.4-3] Évolution de l’intérêt des jeunes pour les études scientifiques et technologiques Rapport

d’orientation Forum mondial de la science Organisation de Coopération et de Développement Economiques (4 mai 2006)

[I.4-4] Glaeser G. (1999) Une introduction à la didactique expérimentale des mathématiques, B. Blochs, et JC Régnier (Eds) Grenoble : La Pensée Sauvage Éditions, (pp. 28-29)

[I.4-5] Glaeser G. (1971) Mathématiques pour l'élève-professeur. Paris Hermann.

[I.4-6] Chevallard Y. (1992) Pour en finir avec une phobie culturelle. Sciences à l’école : les raisons

du malaise. Sciences & Vie ( HS 180 –sept 1992 pp 60-69) [I.4-7] Hennequin P-L., (2007) Mesurer la terre avec des élèves. Bulletin de l’A.P.M.E.P. (470)

PARIS : A.P.M.E.P. (pp 300-310)

Chapitre I.5 Mathématiques, Sexe et Genre

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5. Mathématiques, Sexe et Genre. Le Ministère de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie s’est engagé

le 25 février 2000 par une convention qui se donne comme objet de promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif [http://www.education.gouv.fr/syst/egalite/default.htm]

5A. Promouvoir l’égalité des chances… « La promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons constitue désormais

une priorité non seulement au niveau national, mais également dans le programme de l'Union Européenne, qui consacre des fonds structurels à sa mise en œuvre. L'obtention de cette égalité à laquelle l'histoire, pendant des siècles, s'est montrée réticente, constitue un véritable enjeu de société. C'est pourquoi il convient de prendre des mesures qui agissent à la fois sur les structures et les mentalités, sur les mécanismes et les comportements, de la toute première éducation à la vie dans l'entreprise, à l'intégration sociale et professionnelle tout au long de la vie. (…)

La prise de conscience passe par l'intégration dans les programmes scolaires d'une réflexion sur les rôles sociaux ; par un élargissement de l'information sur le connaissance du corps ; par une prévention des violences sexistes avec une participation et une responsabilisation accrues de l'entourage familial.

Elle suppose également une formation de l'ensemble des membres de la communauté éducative, par une analyse de la situation comparée des filles et des garçons dans les établissements, et des études identifiant leurs cursus ainsi que les critères de sélection pour l'accès aux diplômes. (…) »

Cette promotion de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes concerne aussi la question du rapport du genre, sexe et des mathématiques. Si on demande de citer des scientifiques ayant contribué au développement des mathématiques au cours de l’histoire, rares sont ceux ou celles qui nomment des femmes mathématiciennes.

En 2001, Renate Tobies, historienne des mathématiques écrit que [I.5-2] « La participation des femmes à l’activité mathématique est étroitement liée aux positions et aux rôles qui sont les leurs dans la société. Aujourd’hui dans de nombreux pays des femmes mathématiciennes accèdent aux grades les plus élevés. Il reste que partout le développement des carrières des mathématiciennes se heurte à des obstacles persistants. »

La question de la comparaison des femmes et des hommes face aux mathématiques est abordée dans un article paru dans le Journal du CNRS en 2004 [I.5-2] sous le titre : Mathématiques : Les femmes et les hommes tous égaux. L’auteur écrit : « Une idée largement diffusée dans nos sociétés est l'infériorité des femmes en mathématiques comparées aux hommes. Adam et Ève seraient-ils donc biologiquement inégaux sur le terrain de Pythagore ? S'agit-il au contraire d'un stéréotype ? Comme le note Claude Steele aux États-Unis (Université de Stanford), il est vrai que les femmes s'avèrent parfois moins performantes que les hommes sur les tests standardisés de mathématiques utilisés pour sélectionner les étudiants à leur entrée à l'université. Il reste que c'est souvent la seule crainte de se montrer conforme au stéréotype négatif (infériorité du sexe féminin) qui entrave la performance des femmes sur les tests en question. En effet, comme le montrent Steele et son équipe, il suffit en situation de laboratoire de présenter ces mêmes tests de manière plus neutre (par exemple en affirmant qu'ils ne révèlent généralement aucune différence entre les deux sexes), pour que les femmes se montrent aussi performantes que les hommes !

Chapitre I.5 Mathématiques, Sexe et Genre

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Difficile à expliquer en termes strictement biologiques, ce phénomène conduit davantage à conclure que les stéréotypes, en particulier celui lié à l'infériorité supposée des femmes en mathématiques, ont la capacité de créer de toute pièce la réalité qu'ils ne prétendent que décrire. En France, Pascal Huguet (CNRS) et Isabelle Régner (Université de Toulouse) reprennent le dispositif expérimental « géométrie / dessin » avec plusieurs centaines d'élèves des deux sexes de 6e et de 5e. Conformément à l'hypothèse de Steele, les filles en condition « géométrie » produisent une performance inférieure à celle des garçons. Cette différence s'inverse dans la condition « dessin » ! Le simple fait de croire que le test présenté implique des compétences en mathématiques suffit donc à entraver la performance des filles, cela quel que soit leur niveau de performance dans ce domaine. En effet, les filles avec une moyenne supérieure à 14/20 en mathématiques n'échappent pas à ce phénomène, dont on imagine les conséquences dramatiques lorsque l'enjeu est un examen d'entrée à l'université. Pour réussir en mathématiques, les filles doivent donc surmonter un handicap psychosocial (et non biologique) auquel les garçons n'ont pas à faire face. »

Cette perspective culturelle et non biologique du rapport des femmes et des hommes aux mathématiques est sans doute à l’origine d’une auto-sélection pratiquée par les femmes elles-mêmes dans leur orientation. C’est ainsi qu’est abordée cette question dans l’article Les mathématiques ont-elles un sexe ? [I.5-4]

5B. Les mathématiques ont-elles un sexe ? « Selon une idée largement répandue, les femmes seraient moins douées pour les

mathématiques que les hommes, tout comme pour la lecture des cartes routières… Même si l'on refuse de verser dans le discours sexiste qui fait de toutes les petites filles des littéraires en puissance et de tous les petits garçons des scientifiques en herbe, force est de constater que les choix d'orientation établissent d'eux-mêmes cette distinction. Si les filles sont surreprésentées dans les filières littéraires et dans les filières professionnelles des services, dans les IUFM et les écoles paramédicales et sociales, les garçons tiennent le haut du pavé dans les filières scientifiques et industrielles, notamment les IUT et les écoles d'ingénieurs. Il est néanmoins à souligner que les filles obtiennent globalement de meilleurs résultats scolaires que les garçons, toutes disciplines confondues. Les filles et les garçons entretiennent très tôt dans leur scolarité des rapports complètement opposés aux mathématiques et au français. Dès le CP, à niveau de compétence égal, les filles creusent rapidement l'écart en français, tandis que les garçons progressent plus vite en mathématiques. Ainsi, selon une étude 2005 du ministère de l'Éducation nationale, 28 % des filles de première sont en série S, contre 41 % des garçons. 17 % d'entre elles sont en L contre seulement 5 % des garçons. Les filles représentent 75,6 % des classes préparatoires littéraires, 52 % des prépas économiques, contre seulement 28,8 % de leur pendant scientifique. On constate que les filles, même si elles s'estiment très bonnes en mathématiques, se dirigent moins vers les filières scientifiques que les garçons, alors qu'elles sont souvent dotées d'un meilleur bagage scolaire : elles pratiquent elles-mêmes une auto-sélection. »

De nombreux travaux abordent cette question dans les deux directions opposées : une qui tente de montrer que le rapport aux mathématiques selon le sexe est d’origine biologique tandis que l’autre vise à expliciter que ce rapport est le fruit d’un processus culturel, d’une construction sociale à laquelle vient s’articuler la singularité du sujet.

Dans la première catégorie, l’article [I.5-4] rapporte « Nulle en maths, de mère en fille ? : Doreen Kimura, auteure de Cerveau d'homme, cerveau de femme ? Paris Odile Jacob, 2003, a également mené des travaux sur les différences cognitives entre l'homme et la femme. Les tests neuropsychologiques qu'elle a effectués aboutissent à la conclusion que

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les femmes réussissent mieux dans les tests de langage alors que les hommes seraient meilleurs dans les tests d'orientation dans l'espace. La chercheuse attribue ces différences à l'hérédité et aux gènes : depuis des millénaires, les deux sexes se sont spécialisés dans des tâches particulières, la chasse et la guerre à travers de vastes étendues géographiques pour l'homme, la collecte et la garde des enfants dans un espace restreint pour la femme. Selon elle, il faut adapter la scolarité des filles et des garçons en fonction du postulat qu'ils naissent avec des atouts et des handicaps spécifiques, dus à leurs sexes, et donc immuables. Il ne servirait donc à rien de pousser les jeunes filles à suivre des filières scientifiques : ce serait « contre-nature »… et contre-productif. Force est de constater que ce genre de théories est difficilement démontrable sur un plan rigoureusement scientifique. Catherine Vidal [qui a co-écrit avec Dorothée Benoit-Browaeys Cerveau, sexe et pouvoir, éd. Belin, 2005] souligne, à propos des résultats obtenus par Kimura, que ces différences ne sont détectées qu'après l'adolescence, qu'elles sont plus marquées chez les Blancs que dans les autres communautés et que les écarts de performances entre hommes et femmes se sont considérablement réduits depuis 20 ans, à mesure que les femmes se sont intégrées socialement. »

Notons que cette catégorie centrée sur l’origine biologique entre particulièrement en résonance avec les stéréotypes qui sont véhiculés dans nos sociétés à l’égard de ce rapport aux mathématiques. Ces stéréotypes sont en particulier entretenus par une inversion des causes et des conséquences : on explique les phénomènes du désintérêt des femmes pour les mathématiques comme si elles les n’aimaient pas « naturellement » alors que nous pourrions plutôt dire que culturellement tout est fait pour que ce soit les mathématiques qui ne les aiment pas !

5C. Rôles des représentations des mathématiques selon le genre.

Dans la seconde catégorie, Nadja Acioly-Régnier [I.5-5] a mis en évidence quelques résultats à partir de trois études permettant d’analyser les rôles des représentations des mathématiques selon le genre (femme, homme), la catégorie d’âge (adolescent, adulte), les compétences scolaires (analphabète, illettré, lettré), le contexte de réalisation des tâches impliquant le recours aux mathématiques (scolaire, extrascolaire) et la proximité culturelle du contenu extra-mathématique (familier, non-familier). Ainsi cette auteure conclut entre autre « Les questions de l’identité sexuelle féminine et masculine, et des représentations des mathématiques nous ont semblé jouer un rôle (…) important (…). La réussite des adolescentes et des femmes a pu, dans certains exemples, constituer un danger à un équilibre social établi, et même une menace à leur propre équilibre interne. » Elle complète en disant que ce point vient corroborer l’interprétation selon laquelle en faisant références aux facteurs de socialisation, on « observe que les filles qui réussissent en mathématiques appréhendent leur succès : il aurait un effet néfaste à leur relation avec les garçons. Celles qui échouent en mathématiques considèrent la réalisation intellectuelle par la réussite en mathématiques comme une caractéristique clairement masculine. »

D’autres études ont montré une différenciation observable dans les interactions entre les enseignant(e)s et les élèves selon le sexe. Ainsi Nicole Mosconi [I.5-7] fait observer en conclusion de quelques uns de ses travaux que « Les pratiques enseignantes réalisent-elles l’égalité entre les sexes, comme, sincèrement, le croient la plupart des enseignants ? En fait, comme les élèves, les enseignant-es (que nous sommes) sont pris dans cette « cognition sociale implicite » qui divise et hiérarchise les sexes et les disciplines. Et, par leurs représentations, leurs attentes et leurs pratiques, dans des processus quotidiens parfois très fins, le plus souvent inaperçus d’eux, ils-elles peuvent aussi parfois contribuer à une

Chapitre I.5 Mathématiques, Sexe et Genre

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socialisation très différente et, plus important encore, à une constitution du rapport au savoir différente pour les garçons et pour les filles. ».

Cette dimension du rapport du genre aux mathématiques est à considérer d’une manière réfléchie quand on observe l’importance quantitative du taux de féminisation dans l’enseignement primaire. C’est en effet à ce niveau de l’école et à cette période de la vie que les enfants initient leur formation en mathématiques.

Pour aller plus loin… [I.5-1] Au-delà des idées reçues, sur le site «Elles-en-sciences» développé par les trois

associations : Femmes & mathématiques, Femmes & Sciences, Femmes Ingénieurs http://www.femmes-et-maths.fr/documents/Livret_fe_sc_2006_2.pdf

[I.5-2] Tobies Renate, (2001) Femmes et mathématiques dans le monde occidental, un panorama historiographique. SMF – Gazette – 90, Octobre 2001 http://smf.emath.fr/Publications/Gazette/2001/90/smf_gazette_90_26-35.pdf

[I.5-3] Bia S. (2004) Mathématiques : Les femmes et les hommes tous égaux, Journal du CNRS

174-175 juillet-août 2004 http://www2.cnrs.fr/presse/journal/1546.htm

[I.5-4] MAIF (2007) Les mathématiques ont-elles un sexe ?

http://www.maif.fr/gear/generic/SelectPageContent?itemDesc=contenu&pcontentid=26100065

[I.5-5] Acioly-Régnier N. (1999) Compétences mathématiques et identité sexuelle : exemples de représentations des mathématiques Actes de la journée École et Inégalités de sexe, ANEF 18 décembre 1999 INETOP Paris (pp. 27-50)

[I.5-6] Jarlegand, A. (1999) Le rôle de l’école dans la fabrication des différences liées au sexe en mathématiques Actes de la journée École et Inégalités de sexe, ANEF 18 décembre 1999 INETOP Paris (pp. 7-18)

[I.5-7] Mosconi N. Interactions enseignant(e)s/élèves en fonction du sexe. CREF Paris X-Nanterre

Équipe « Savoirs et rapport au savoir »