Diderot Fils Naturel

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  • Quatrime Secousse

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    Denis Diderot

    Entretiens sur le fils naturel (extrait du second entretien)

    Dorval () Je ne voudrais pas remettre sur la scne les grands socs et les hauts cothurnes, les habits colossals, les masques, les porte-voix, quoique toutes ces choses ne

    fussent que les parties ncessaires dun systme thtral. Mais, ny avait-il pas dans ce systme des cts prcieux ? et croyez-vous quil ft propos dajouter encore des entraves au gnie, au moment o il se trouvait priv dune grande ressource ?

    Moi Quelle ressource ?

    Dorval Le concours dun grand nombre de spectateurs. Il ny a plus, proprement parler, de spectacles publics. Quel rapport entre nos

    assembles au thtre dans les jours les plus nombreux, et celles du peuple dAthnes ou de Rome ? Les thtres anciens recevaient jusqu quatre-vingt mille citoyens. La scne de Scaurus tait dcore de trois cent soixante colonnes et de trois mille statues.

    On employait, la construction de ces difices, tous les moyens de faire valoir les

    instruments et les voix. On en avait lide dun grand instrument. () Jugez de la force dun grand concours de spectateurs, par ce que vous savez vous-

    mme de laction des hommes les uns sur les autres, et de la communication des passions dans les meutes populaires. Quarante cinquante mille hommes ne se

    contiennent pas par dcence. Et sil arrivait un grand personnage de la rpublique de verser une larme, quel effet croyez-vous que sa douleur dt produire sur le reste des

    spectateurs ? Y a-t-il rien de plus pathtique que la douleur dun homme vnrable ? Celui qui ne sent pas augmenter sa sensation par le grand nombre de ceux qui la

    partagent, a quelque vice secret ; il y a dans son caractre je ne sais quoi de solitaire qui

    me dplat.

    Mais, si le concours dun grand nombre dhommes devait ajouter lmotion du spectateur, quelle influence ne devait-il point avoir sur les auteurs, sur les acteurs ?

    Quelle diffrence, entre amuser tel jour, depuis telle jusqu telle heure, dans un petit endroit obscur, quelques centaines de personnes ; ou fixer lattention dune nation entire dans ses jours solennels, occuper ses difices les plus somptueux, et voir ces

    difices environns et remplis dune multitude innombrable, dont lamusement ou lennui va dpendre de notre talent ?

    Moi Vous attachez bien de leffet des circonstances purement locales.

    Dorval Celui quelles auraient sur moi ; et je crois sentir juste.

    Moi Mais on dirait, vous entendre, que ce sont ces circonstances qui ont soutenu et peut-tre introduit la posie et lemphase au thtre.

    Dorval Je nexige pas quon admette cette conjecture. Je demande quon lexamine. Nest-il pas assez vraisemblable que le grand nombre des spectateurs auxquels il fallait

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    se faire entendre, malgr le murmure confus quils excitent, mme dans les moments attentifs, a fait lever la voix, dtacher les syllabes, soutenir la prononciation, et sentir

    lutilit de la versification ? Horace dit du vers dramatique, Vincentem strepitus, et natum rebus agendis. Il est commode pour lintrigue, et il se fait entendre travers le bruit. Mais ne fallait-il pas que lexagration se rpandt en mme temps et par la mme cause, sur la dmarche, le geste et toutes les autres parties de laction ? De l vint un art quon appela la dclamation.

    Quoi quil en soit ; que la posie ait fait natre la dclamation thtrale ; que la ncessit de cette dclamation ait introduit, ait soutenu sur la scne la posie et

    lemphase ; ou, que ce systme, form peu peu, ait dur par la convenance de ses parties, il est certain que tout ce que laction dramatique a dnorme, se produit et disparat en mme temps. Lacteur laisse et reprend lexagration sur la scne.

    Il y a une sorte dunit quon cherche sans sen apercevoir, et laquelle on se fixe, quand on la trouve. Cette unit ordonne des vtements, du ton, du geste, de la contenance, depuis la chaire place dans les temples, jusquaux trteaux levs dans les carrefours. Voyez un charlatan au coin de la place Dauphine ; il est bigarr de toutes

    sortes de couleurs ; ses doigts sont chargs de bagues ; de longues plumes rouges

    flottent autour de son chapeau. Il mne avec lui un singe ou un ours ; il slve sur ses triers ; il crie pleine tte ; il gesticule de la manire la plus outre : et toutes ces

    choses conviennent au lieu, lorateur et son auditoire. Jai un peu tudi le systme dramatique des Anciens. Jespre vous en entretenir un jour, vous exposer, sans partialit, sa nature, ses dfauts et ses avantages, et vous montrer que ceux qui lont attaqu ne lavaient pas considr dassez prs