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Dimension architecturale de la construction en sous-sol Monique LABBE, Architecte D.RL.G. es deux Journées d'études organisées par Espace Souterrain les 26 -27 mars dernier (cf article de Pierre Duffàut, Tunnels et Ouvrages Souterrains 176 p.l 16) ont donné lieu à une vingtaine de présentations sur les quatre aspects principaux (juridique, géographique, tech- f nique et architectural) de l'utilisation (raisonnable) du sous-sol qui, toutes, mériteraient d'être publiées dans notre revue ; en fait, seuls ont été retenus pour publication les textes rédigés sous forme d'article (et non simplement de séquence de diapositives). La première présentation publiée dans le dernier Tunnels et Ouvrages Souterrains (n°176, pp 117-119) est celle de J-Frédéric Collet (RATP), sur k problématique des transports urbains souterrains. L'article qui suit, le deuxième extrait de ces Journées Espace Souterrain, est rédigé par une architecte, ce qui n'est pas très fréquent dans nos colonnes... Monique Labbé nous donne un éclairage nouveau, créatif, plus humain que technique, sur l'utilisation de l'espace souterrain ; elle porte un regard original sur les contraintes particulières de la vie en souterrain et nous restitue ses réflexions sous la forme d'un texte dense et profond qui n'en est pas moins fort agréable à lire. MG CONSTRUIRE EN SOUS-SOL, C'EST PASSER DE L'OBJET A L'ESPACE Pas de façade, pas de Beaux-Arts La chance de l'architecture du sous-sol est de ne pas avoir de façades donc de ne pas être l'occasion d'exercice de style. La construction traditionnelle, aérienne, concerne un édifice vu de l'extérieur qui, dans le processus de construction, s'est petit à petit transformé en objet, en bel objet (ten- dance aggravée, d'ailleurs, par le principe des concours anonymes l'image, principa- lement, est support du jugement). En sous-sol, l'Architecture perd son objet et doit s'en trouver un autre ; est-ce pour autant que la "figure architecturale" (comme cer- tains disent ! le mot figure est significatif) n'est plus déterminée par le plein mais par le vide ? Le vide n'a jamais rien eu de structu- rant ni de motivant, bonne occasion sûre- ment, pour réfléchir au le véritable objet de l'Architecture. S'agit-il du vide ou, au contraire, d'un espace particulièrement plein parce qu'il est habité par la vie des hommes qu'il abrite ? d'un espace continu, en mouvement, qui intègre la dimension du temps ? L'Architecture, dans ce cas, ne trouve plus un autre "objet", mais un sujet, l'homme, piéton, automobiliste, chaland, résidant, l'homme au travail,... Construire en sous-sol : une chance de concevoir dynamique et fonctionnel vrai Les conséquences sont grandioses : le sujet est autrement plus complexe qu'un objet à habiller. Ce qui s'inverse, ce n'est pas le vide à la place du plein, c'est l'homme à la place de l'objet, c'est la logique de pensée. Construire en sous-sol oblige à repenser l'es- pace de manière dynamique autour de l'être humain, donc à créer une continuité d'es- pace partout ira l'usager, qu'il soit piéton dans un centre commercial ou au sortir de sa voiture dans un parking, qu'il devienne auto- mobiliste, ou accède à un équipement. Ainsi, s'il n'y a plus de rupture dans l'espace de cheminement, plus de rupture brutale entre le haut et le bas, on fait sauter le verrou prin- cipal d'utilisation du sous-sol qui est l'appré- hension de descendre sous terre, avec l'idée d'inconfort et de confinement qui s'y attache. Les dernières générations de parking souter- rain traitent les accès, la lumière, le repérage, la lisibilité et "dé-stressent" efficacement ces espaces. Ce qui pèche, dans un parking, n'est pas le fait qu'il oblige à descendre, mais plutôt qu'il n'est pas conçu pour le piéton ; c'est un lieu, à l'origine, purement technique. Dans ce cas, la situation de l'automobiliste hors de son véhicule n'est pas sécurisée et exacerbe l'idée de confinement et de souter- rain ; ainsi les parkings aériens (comme celui du Terminal A de Roissy, par exemple) qui suivent cette même logique de conception tout-voiture sont tout aussi stressants que leurs collègues souterrains. Les gares, récentes constructions souter- raines importantes dans Paris, sont riches et intéressantes parce qu'on y traite les flux. À l'origine, comme dans le rnétro, seuls étaient traités les flux des trains, des couloirs minima- listes reliant les stations et quais entre eux ; maintenant, leur programme a évolué, on y traite le flux des personnes et pas seulement du point de vue de la circulation, mais aussi de celui du confort psychologique, de l'offre de services. L'envie que l'on peut avoir, par- fois, de s'y arrêter, comme dans un centre commercial, est un critère pour apprécier leur réussite. Petit détour par le processus de création du cadre de vie Les hommes, lorsqu'ils ont construit leurs maisons, leurs villages, l'ont fait autour de leur déambulation, autour de leurs déplace- ments, guidés par la configuration du terrain dans lequel ils évoluaient ; ils ont édifié la fontaine ou le puits, leur maison, leurs granges, leurs étables, leurs lieux d'échange ou leur lieu de culte. Ils ont creusé leurs caves troglodytes, à flanc de coteau, le long de leur déplacement, depuis le point d'eau jusqu'à aboutir à leur maison-caverne après toute une succession d'espaces hiérarchisés du public à l'intime. Certes, si les implantations étaient extrême- ment liées à la topographie du site, en revanche l'éclairage, l'ensoleillement, la vue, «TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS - 1 77 - MAI/JUIN 2OO3

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Dimension architecturale de la construction en sous-solMonique LABBE, Architecte D.RL.G.

es deux Journées d'études organisées par Espace Souterrain les 26 -27 mars dernier (cf article de Pierre Duffàut, Tunnels et OuvragesSouterrains 176 p.l 16) ont donné lieu à une vingtaine de présentations sur les quatre aspects principaux (juridique, géographique, tech-

f nique et architectural) de l'utilisation (raisonnable) du sous-sol qui, toutes, mériteraient d'être publiées dans notre revue ; en fait, seulsont été retenus pour publication les textes rédigés sous forme d'article (et non simplement de séquence de diapositives).La première présentation publiée dans le dernier Tunnels et Ouvrages Souterrains (n°176, pp 117-119) est celle de J-Frédéric Collet (RATP),sur k problématique des transports urbains souterrains.L'article qui suit, le deuxième extrait de ces Journées Espace Souterrain, est rédigé par une architecte, ce qui n'est pas très fréquent dans noscolonnes...Monique Labbé nous donne un éclairage nouveau, créatif, plus humain que technique, sur l'utilisation de l'espace souterrain ; elle porte unregard original sur les contraintes particulières de la vie en souterrain et nous restitue ses réflexions sous la forme d'un texte dense et profondqui n'en est pas moins fort agréable à lire.MG

CONSTRUIRE EN SOUS-SOL,C'EST PASSER DE L'OBJETA L'ESPACE

Pas de façade, pas deBeaux-Arts

La chance de l'architecture du sous-sol est dene pas avoir de façades donc de ne pas êtrel'occasion d'exercice de style.La construction traditionnelle, aérienne,concerne un édifice vu de l'extérieur qui,dans le processus de construction, s'est petità petit transformé en objet, en bel objet (ten-dance aggravée, d'ailleurs, par le principedes concours anonymes où l'image, principa-lement, est support du jugement).En sous-sol, l'Architecture perd son objet etdoit s'en trouver un autre ; est-ce pour autantque la "figure architecturale" (comme cer-tains disent ! le mot figure est significatif)n'est plus déterminée par le plein mais par levide ? Le vide n'a jamais rien eu de structu-rant ni de motivant, bonne occasion sûre-ment, pour réfléchir au le véritable objet del'Architecture.S'agit-il du vide ou, au contraire, d'un espaceparticulièrement plein parce qu'il est habitépar la vie des hommes qu'il abrite ? d'unespace continu, en mouvement, qui intègrela dimension du temps ? L'Architecture, dansce cas, ne trouve plus un autre "objet", maisun sujet, l'homme, piéton, automobiliste,chaland, résidant, l'homme au travail,...

Construire en sous-sol :une chance de concevoirdynamique et fonctionnel vrai

Les conséquences sont grandioses : le sujetest autrement plus complexe qu'un objet àhabiller. Ce qui s'inverse, ce n'est pas le videà la place du plein, c'est l'homme à la placede l'objet, c'est la logique de pensée.Construire en sous-sol oblige à repenser l'es-pace de manière dynamique autour de l'êtrehumain, donc à créer une continuité d'es-pace partout où ira l'usager, qu'il soit piétondans un centre commercial ou au sortir de savoiture dans un parking, qu'il devienne auto-mobiliste, ou accède à un équipement. Ainsi,s'il n'y a plus de rupture dans l'espace decheminement, plus de rupture brutale entrele haut et le bas, on fait sauter le verrou prin-cipal d'utilisation du sous-sol qui est l'appré-hension de descendre sous terre, avec l'idéed'inconfort et de confinement qui s'y attache.Les dernières générations de parking souter-rain traitent les accès, la lumière, le repérage,la lisibilité et "dé-stressent" efficacement cesespaces. Ce qui pèche, dans un parking,n'est pas le fait qu'il oblige à descendre, maisplutôt qu'il n'est pas conçu pour le piéton ;c'est un lieu, à l'origine, purement technique.Dans ce cas, la situation de l'automobilistehors de son véhicule n'est pas sécurisée etexacerbe l'idée de confinement et de souter-rain ; ainsi les parkings aériens (comme celuidu Terminal A de Roissy, par exemple) quisuivent cette même logique de conception

tout-voiture sont tout aussi stressants queleurs collègues souterrains.Les gares, récentes constructions souter-raines importantes dans Paris, sont riches etintéressantes parce qu'on y traite les flux. Àl'origine, comme dans le rnétro, seuls étaienttraités les flux des trains, des couloirs minima-listes reliant les stations et quais entre eux ;maintenant, leur programme a évolué, on ytraite le flux des personnes et pas seulementdu point de vue de la circulation, mais ausside celui du confort psychologique, de l'offrede services. L'envie que l'on peut avoir, par-fois, de s'y arrêter, comme dans un centrecommercial, est un critère pour apprécier leurréussite.

Petit détour par le processusde création du cadre de vie

Les hommes, lorsqu'ils ont construit leursmaisons, leurs villages, l'ont fait autour deleur déambulation, autour de leurs déplace-ments, guidés par la configuration du terraindans lequel ils évoluaient ; ils ont édifié lafontaine ou le puits, leur maison, leursgranges, leurs étables, leurs lieux d'échangeou leur lieu de culte. Ils ont creusé leurs cavestroglodytes, à flanc de coteau, le long de leurdéplacement, depuis le point d'eau jusqu'àaboutir à leur maison-caverne après touteune succession d'espaces hiérarchisés dupublic à l'intime.

Certes, si les implantations étaient extrême-ment liées à la topographie du site, enrevanche l'éclairage, l'ensoleillement, la vue,

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IEspace souterrain • Dimension architecturale de la construction en sous-sol

Construire un espace continu, en mouvement,qui intègre la diment/on du temps

l'hygiène, entre autres paramètres aujour-d'hui considérés comme vitaux, n'ont pas étépris en compte. Puis, de plus en plus, lesvilles, les rues ont été conçues avant d'êtreconstruites, et là, de nouveaux paramètres sesont plus ou moins substitués aux anciens.Certains de ces paramètres sont la lumière,l'hygiène, le raccordement aux réseaux, lamise en valeur commerciale, qui représen-tent des progrès évidents. D'autres sont plusincongrus, et peuvent aller jusqu'à la facilité,même non avouée, de dessiner au té et àl'équerre ou à l'ordinateur, facilité qui corres-pond ensuite, évidemment, à une économiede mise en œuvre...Suivant que les "bons"ou les "mauvais" paramètres se sont ajoutésou substitués aux anciens, suivant le degréde substitution, voire d'abandon des précé-dents, les quartiers ou bâtiments construitssoit ont acquis une pérennité dans une capa-cité de s'adapter aux évolutions, soit, aucontraire, sont devenus, dans l'histoire, deserreurs à effacer !Un exemple particulièrement éloquent estcelui des grands ensembles : leurs critères deconstruction, l'hygiène, l'ensoleillement, leconfort (une pièce pour vivre, une pour dor-mir), "loger l'innombrable", ont constitué des

progrès indiscutables. Pourtant aujourd'hui,l'on casse les Minguettes, les 4 000 de LaCourneuve, et autres grands ensemblesdevenus ingérables : ils n'ont pas résisté autemps, parce qu'ils n'ont pas tenu toutes lesdimensions de l'évolution humaine et en par-ticulier la dimension psycho-sociologiquedes habitants. On a logé, certes, mais demanière dite "fonctionnelle", c'est-à-dire,suivant le chemin de grue et en empilant.

LE SOUS-SOL PORTEL'EXIGENCE DE LAPLURIDISCIPLINARITE

On ne saura faire qu'avecl'interdisciplinarité deschamps d'action et descompétences

Quel enseignement pouvons-nous tirer depareille expérience ? On ne saurait concevoirdurablement qu'en prenant en compte lemouvement, l'évolution qui ne peuventpasser que par une logique de réponse auxbesoins dans leur diversité et leur com-plexité. Cette affirmation est incontournableen sous-sol : parce que celui-ci ne dispose pasde lumière, parce qu'on y est enfermé, parceque l'on est dessous, la sensibilité y est exa-cerbée. Ce que l'on accepte en aériendevient insupportable en souterrain. Ainsi,son aménagement oblige à répondre auxbesoins premiers, mais intangibles, de"confort". Le sous-sol présente deux "fragili-tés" : l'une est l'usager, nous l'avons vu, etl'autre le sous-sol lui-même qui est vulnérable,nous en reparlerons. Ces fragilités sont aussiune force : aménager le sous-sol oblige à res-pecter à la fois l'usager et le site où il passe.Les paramètres, les champs d'intervention etdonc les compétences pour traiter un telsujet sont multiples. Pour tous les investir lanécessité de la pluridisciplinarité est évi-dente, d'abord dans les champs d'investiga-tion et de prise en compte des paramètres,ensuite dans le regroupement des compé-tences et savoir-faire, dans la constitution,enfin, des équipes de concepteurs-décî-deurs-réalisateurs.Ainsi conçus, les espaces absorbent les évo-lutions et acquièrent une dimension depérennité. On rejoint là la problématique dudéveloppement durable.En effet, passer d'une résolution purementtechnique ou économique des problèmes àune dimension plus universelle qui incluel'intégration nécessaire à une chaîne devie, avec toutes ses dimensions vitales,environnementales, donc entre autres aussi

économiques, esthétiques etc., c'est juste-ment le propos du développementdurable.

Apprendre à travaillerensemble

II est nécessaire, alors, pour les profession-nels, d'apprendre à travailler ensemble. Celasuppose que chacun tienne sa place à partird'une redéfinition vraie de son rôle.Comme l'Architecture a redéfini son objet,l'Architecte doit redéfinir son rôle pour queles espaces construits soient.dans leurconception, - au-delà de la dimension esthé-tique - un support psychologique, sociolo-gique, un espace qui accompagne le déve-loppement.Dans la procédure conception-construction,par exemple, pour un équipement industriel,la cohabitation entre entreprises de process,de génie civil et architectes ne va pas sponta-nément de soi.Qu'apporté l'Architecte ? Si son interventionest uniquement esthétique, son interventionn'est que de la pure dépense pour la dimen-sion culturelle que l'on appelle parfois le"supplément d'âme". Rien de vraiment indis-pensable !En revanche, si son apport part du fonction-nel, du pratique (à partir, justement, d'uneorganisation des flux), d'une sensibilité auvécu des utilisateurs et, de là, mène à uneesthétique et si, à partir de cette démarche,sa production s'inscrit encore mieux dans unpaysage, son intervention aura un contenubien plus profond et son œuvre aura la forced'une évidence.Les conséquences sont très pratiques : pourun bâtiment industriel, il ne s'agit pas d'abri-ter du matériel mais de favoriser le déplace-ment et le travail des ouvriers vers lesmachines, les lieux de livraison, d'abriter etfavoriser des flux.

Trois exemples de stations d'épuration :

I) Le bâtiment abrite te process idéal d'un point devue hydraulique ; l'accessibiKté, tant aux équipements

qu'aux lieux de dépotage, n'est pas traitée.Surabondance de voirie, surveillance impossible,

insertion paysagère mauvaise

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Espace souterrain • Dimension architecturale Je la construction en sous-sol

2) Logique de flux : les équipements s'organisent pour êtreaccessibles sur une cour de service qui dessert aussi les équipe-ments extérieurs. Une seule voirie, surveillance aisée de tous les

mouvements, implantation hydraulique très bonne,insertion paysagère favorable.

3) La STEP de Marseille en souterrain : le souterrain ob%e à un accès unique et àune optimisation des dessertes et du fonctionnement

Les équipements s'organisent autour d'une circulation unique double face.Cette logique confirme la logique de {lux.

Quelques exemples deprocessus où l'angled'attaque a été uniqueou partiel

II est intéressant de s'interroger sur certainesexpériences, d'essayer de discerner si aprimé ou non une dimension au détrimentd'autres qui se seraient révélées, en fait, fortutiles. Ainsi le coût, la technique, le retourpolitique immédiat, par exemple, ont-ils pudevenir à un moment prioritaires.Les tunneliers sont des outils extraordinaires :ils permettent de creuser dans des lieuxréputés jusqu'alors inaccessibles, en respec-tant les implantations de surface et l'environ-nement. Des chantiers fabuleux sont menés :les routes souterraines qui en naîtront sontune avancée indéniable dans l'appropriation(l'investigation) du sous-sol. Cependant, siimpressionnant soit-îl, leur diamètre est limitéà 15 mètres. C'est donc dans ces quinzemètres maximum que l'on doit faire entrer lestrains ou les voitures en les superposant.Malgré les importants efforts d'accompagne-ment consentis pour augmenter le confortdes automobilistes, les tunnels routiers de2,50 m de hauteur ne se révéleront-ils pas, àl'usage, aussi contraignants demain que lespremiers parkings ne le sont devenus aujour-d'hui ? Seule l'expérience nous le dira.Par rapport à des solutions en sous-sol, lestramways semblent un choix plus léger, pluséconomique, plus rapide de mise en œuvre,souvent plus compatible avec des échéancespolitiques. Sont-ils toujours le résultat d'uneétude intégrant les paramètres à long termede développement de la ville, de desserte detous les lieux (accessibilité des riverains àleurs véhicules pour charger ou déchargerdes paquets ou bagages par exemple, des-

serte des commerçants pour la chalandise,livraisons, etc.) ?Quand le juridique prime, l'utilisationpublique du sous-sol (réseaux de toutenature, stations, parkings,...) se bloque sousles rues et les carrefours, les encombre et lesbouche à tout jamais tout en morcelant desportions de sous-sol difficilement utilisablessous les îlots.

Mais,le sous-sol est vulnérable et nesupporte pas d'être mal traitéL'insuffisance de consultation pluridiscipli-naire, ajoutée au manque d'expérience dansle domaine, fait que l'impact des travaux sou-terrains se révèle parfois alarmant. Ce qui sepasse dans le sous-sol est en effet invisible demanière immédiate et directe. Dans certainesvilles, les rabattements de nappe durablespar surexploitation des nappes phréatiques(surpompage par un puits), ou la constitutionde barrières artificielles qui entravent l'écou-lement naturel, ou au contraire le percementde barrières étanches naturelles, le pompagepermanent pour préserver des ouvrages quin'ont pas été conçus pour être étanches, ontdes conséquences graves à moyen terme detassement général du terrain comme àMexico où le niveau général du sol a baisséen dessous du niveau d'évacuation des eauxpluviales.

les gens qui descendent dans lesous-sol sont sensibilisés et nesupportent pas non plus d'êtremal traitésConstruire en sous-sol devrait obliger àreconsidérer aussi certaines idées, admisescomme des évidences. Le fonctionnel, par

exemple; nous citions l'exemple des grandsensembles, l'organisation intérieure des lieuxde travail est consternante : un plan de cloi-sons orthogonales de part et d'autre d'uncouloir parfaitement rectiligne est réputéfonctionnel. La vérité est qu'il est économeen surface, économique en coût de construc-tion (car facile à construire), mais il ne traite niles besoins de repérage ou de confort, niceux de communication à l'intérieur d'un lieude travail, d'organisation relationnelle et hié-rarchique, etc...."Fonctionnel" est abusive-ment employé à la place d"'économique".Ce type de plan (et d'empilement) est auxbesoins d'un lieu de travail ce que le sand-wich est à l'alimentation et aux besoins nutri-tionnels, ça ne peut durer sans dommages.

le sous-sol a une chance : il esten-dessous et il porte le mondeOn ne sait pas supporter un immeuble deplusieurs niveaux avec des poteaux fins oudes structures minimalistes ; sous le poidstout prend de la force, de l'épaisseur, et l'as-pect trapu des constructions de sous-solcomme les gares souterraines qui se sontconstruites à Paris, rassure plutôt qu'il n'ef-fraie. Oubliés les enfers qui sont en bas, lecaractère tellurique et solide des construc-tions de sous-sol offre le confort d'un refugeplus qu'il n'évoque une catacombe.Jusqu'à présent, les premiers équipementspublics implantés sous le niveau naturel de larue ont été particulièrement soignés. Certes,il s'agit d'équipements de prestige, mais ilest intéressant de noter qu'entre la premièrephase du Trou des Halles, réalisée en super-posant un maximum de niveaux de com-merces qui, du coup, sont trop bas sous pla-fond, et la deuxième tranche, une netteamélioration qualitative a eu lieu : espaces de

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Espace souterrain • Dimension architecturale de la construction en sous-sol

grande hauteur, volumes diversifiés, etc....Ilest vrai que la deuxième tranche n'est pascommerciale mais qu'il s'agit d'équipementspublics, la différence est importante, nous yreviendrons.

Le sous-sol a une chance : il a sastructure propre, il a son proprepaysageÀ la fois il s'affranchit des lois de la statique etprend la forme de la structure des rochesdans lesquelles il s'implante. Reproduire ensous-sol le mode de construction que l'on uti-lise en sur-sol n'aurait aucun sens : laconstruction en sous-sol, si elle est soumise àde nombreuses contraintes, du moins s'af-franchit-elle, pour son enveloppe globale, dela statique des matériaux lorsqu'elle s'im-plante dans des terrains durs.On ne l'édifie pas, on creuse dans la masse,dans une surabondance de matériau que l'onexcave. Les règles de construction qui indui-sent des formes, ici, sont inversées, boulever-sées. L'espace construit en sous-sol ne sau-rait être la transposition de ce qui se fait ensur-sol. Le sous-sol a sa propre structure. Nefaudra-t-il pas, comme on le fait en surface,suivre les strates, les cours intérieurs deseaux, les anfractuosités ? respecter, pourtoute implantation dans le sous-sol, une"intégration paysagère""1 qui tienne comptedu paysage propre du terrain, de ses lignesde force, de sa capacité (ou non) à admettreles grandes cavités,... ?Identifier ses richesses, son offre propre,identifier le sous-sol comme une opportunitéà révéler et développer ouvre en effet la pos-sibilité de l'aménager, non pas comme néga-tif ou complément du sur-sol, non pas suivantles schémas du sur-sol mais comme espaceparticulier, autonome, caractérisé par sespropres lois, ses propres structures

Alors Venise...Venise s'est construite au fil descourants marins de la lagune, sansles contrarier, en les accompagnantet elle a traversé les siècles grâceà cet ingénieux respect.Parce que la technique le permet, faut-il creu-ser tout droit quels que soient les mouve-ments du sous-sol, avec des tunneliers toutterrain ou ne faut-il pas veiller à respecter lesterrains ?

En effet, il ne s'agit pas de "venir à bout" dusous-sol avec des outils techniques de plusen plus perfectionnés, mais de suivre etaccompagner sa structure propre. Exercicedifficile !

L'ECONOMIE SERA-TELLEUN FREIN OU UNE ALLIEE ?

Oui, le prix de laconstruction souterraineest plus élevé que celui dela construction aérienne

Oui il existe des risques

• L'exercice est difficile, certes !, et sûrementcoûteux.• Bien sûr le prix du tréfonds est de plus enplus élevé.• Bien sûr construire en sous-sol réquisi-tionne - dès la plus simple intervention -autrement plus de compétences, plus demoyens techniques, matériels et financiersque construire en aérien.• Bien sûr l'entretien et la maintenance dusous-sol sont complexes, difficiles et coûteuxcar le sous-sol est invisible, difficile d'accès,dangereux : l'affaissement des anciennesmines ou la solifluxion du gypse posent desproblèmes graves qui peuvent concerner desterritoires importants.• Bien sûr le coût comparé immédiat del'acte de construire pour une solution souter-raine est plus élevé que la solution aériennesensée lui correspondre, tramway et métroen sont l'illustration.• Bien sûr il faut compter avec les risques àcourt et moyen termes, avec les dégâts colla-téraux...

Mais...

de plus en plus, Maîtres d'Ouvrage etentreprises se dotent d'outils : évalua-tion et gestion des risques, comparaisondes coûts globaux, etc....

• la méthode d'évaluation desrisques prévisibles (MERP)En travaux souterrains, les aléas sont nom-breux, et coûteux ! Pour gérer les surcoûts ini-tiaux, la SNCF a chargé sa Maîtrise d'ceuvreet EEG SIMECSOL de la mise au point d'une

méthode d'évaluation fine des risques quidoit faire partie de la contractualisation : lesrisques sont répertoriés et précisément quan-tifiés et évalués. Elle devrait inciter les com-manditaires à une meilleure prévention parun travail préparatoire d'investigation pluscomplet.

• Clé de SolLe travail réalisé dans le cadre du ProjetNational Clé de Sol apporte un éclairage desplus intéressants : il aborde la question dumode d'enfouissement des réseaux par unecomparaison entre galerie technique etréseaux enterrés en prenant en compte pourchacune des solutions le coût d'investisse-ment, certes, (études, négociations, acquisi-tions, construction), les coûts de fonctionne-ment (entretien, grosses réparations,surveillance, fuites, sinistres), mais aussi lecoût social. Ce coût social est constitué desnuisances à l'environnement qui compren-nent le coût des conséquences des multiplesouvertures de tranchées dans la rue ; il prendaussi en compte la sécurité (cyndinique),etc....

L'aménagement du sous-solvalorise la surface :le retour d'investissement

En zone urbaine, tout aménagement souter-rain donne de la valeur à la surface dans lamesure où il l'organise. On sait la valorisationdes quartiers desservis par de nouveauxmétros, par exemple : l'arrivée de ce modede transport revitalise les commerces, l'acti-vité des quartiers. La montée du prix de fon-cier est immédiate, et même, en général,commence dès l'annonce du projet

Augmenter l'étendue duservice rendu augmente larentabilité fonctionnelle etfinancière.

En fait, c'est là le véritable retour d'inves-tissement.On peut imaginer qu'au-delà des limitesd'accès et d'utilisation du sous-sol qu'imposéle morcellement des propriétés publique etprivée, des projets globaux offrent un servicetotal aux riverains comme aux véhicules delivraison, service, secours, etc....Nous avons développé, avec Pierre DUFFAUT,une analyse critique et des propositions deservice total autour de l'implantation d'un

(1 ) Selon le concept de paysage souterrain de Pierre DUFFAUT

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1Espace souterrain • Dimension architecturale de la construction en sous-sol

parking souterrain dans une rue étroite, la rueSaint-Placide à PARIS, sous le domaine publicmais ouvert aux seuls abonnés.Idem sous la rue Saint-Jacques et la rueSoufflot (figure ci-dessus) où l'on imagine undévoiement de la rue Saint-Jacques en sous-sol à travers la colline Sainte-Genevièvedepuis la rue des Écoles. Des antennes àvocation de desserte locale s'y connectentsans prévoir de sortie de véhicules en surface: elles permettent une desserte totale duquartier pour les services (livraisons, poste,ramassage des ordures ménagères, etc.).

pour des parkings qui s'installent à la foissous le domaine public et les propriétés pri-vées. Ainsi positionnés, ils se branchent à dessorties en cœur d'îlot pour les riverains, ou seconnectent à des équipements ou centrescommerciaux qui prennent ancrage dans lesous-sol, ils offrent un accès piéton auxmonuments. Ainsi se développent, sous laville, des connexions multiservices en harmo-nie avec la surface.Projet utopique aujourd'hui, peut-être, tanton sait la difficulté à créer des copropriétésmultifonctions, mais qui trouvera un jour un

écho tant est indispensable pour la ville detrouver en elle-même des solutions de viedurables. Nul doute que, même si l'investis-sement est coûteux, l'élargissement du ser-vice rendu, en augmentant la rentabilité fonc-tionnelle, sociale, augmentera aussi larentabilité financière. C'est déjà ce queMUSE, avec ses pôles immobiliers en sortiede rampe qui constituaient un apport finan-cier non négligeable, portait en germe.

Ce que nous apprend lesous-sol :Force et intérêt du sous-sol : sa propre fragi-lité et l'appréhension de confinement et d'in-confort que ressentent ses usagers se révè-lent en fait pour le sous-sol une force parcequ'elles contraignent à le respecter et à res-pecter ceux qui ont à l'investir, à y vivre.L'occasion qu'il fournit d'un retournement delogique, l'obligation qu'il nous fait deprendre en compte à la fois toutes les dimen-sions sociologiques, économiques et envi-ronnementales, à trouver entre elles l'équi-libre optimum, peut être un formidableressort de progrès dans la création du cadrede vie, qui, en prenant l'humain dans sonévolution, inclut le mouvement, le temps, ladurée.Paradoxe apparent que ce sous-sol qui nousdonne des leçons pour l'aménagement etmontre, à partir de ses fragilités, de ses han-dicaps apparents, le chemin de la créationd'un cadre de vie plus humain. •

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