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Focus N°176 - Septembre - Octobre 2015 30 Défense Sécurité de la défense Direction de la protection des installations, moyens et activités de la Défense (DPID) Interview de son directeur, le contre-amiral Frédéric Renaudeau Amiral, pourriez-vous nous présenter les missions et l’organisation de la DPID ? Directement rattachée au ministre de la Dé- fense, la Direction de la protection des ins- tallations, moyens et activités de la Défense (DPID) est la direction fonctionnelle du minis- tère, tête de chaîne de la fonction « défense-sé- curité ». Cette fonction couvre la protection phy- sique, la cyber-sécurité, la protection du secret, ainsi que la protection du potentiel scientifique et technique et la continuité d’activité. Le champ d’actions de la DPID comprend égale- ment les installations nucléaires intéressant la dis- suasion – qu’elles relèvent d’opérateurs publics ou privés – ainsi que les industries du secteur d’acti- vité d’importance vitale « activités industrielles de l’armement » (AIA). La protection de la dissuasion est une priorité clairement affichée de la DPID, au titre des responsabilités particulières du ministre de la Défense en matière de contrôle gouvernemen- tal de l’intégrité des moyens de la dissuasion. La mission de la DPID consiste à élaborer la politique de protection, à partir d’une analyse des menaces et vulnérabilités, et à en contrôler son application. La DPID est une direction ramassée (moins de 30 personnes, civiles et militaires, dont 2 officiers de réserve) qui s’appuie sur l’ensemble des acteurs mi- nistériels concernés. Elle est constituée de quatre dé- partements : « Politique de protection » qui a notam- ment en charge d’élaborer la politique de protection et le référentiel ministériel des menaces, « Moyens de protection » qui traduit en termes capacitaires les mesures de protection à mettre en œuvre, « Etat des lieux et conformité » en charge de dresser un état des lieux exhaustifs et précis ainsi que de superviser la mise en œuvre de la politique de contrôle, d’au- dit et d’inspection, et enfin « Analyse de la menace, expertise » qui exploite les analyses des services de renseignement et détermine le niveau de vulnérabilité des installations, moyens et activités de la défense. Quand celle-ci a-t-elle été créée et pourquoi ? La décision de sa création par le ministre de la Défense remonte à l’été 2014. Face à la com- plexification et à l’intensification des menaces, il y avait un impérieux besoin de disposer d’une di- rection dédiée à la défense-sécurité, afin de coor- donner l’action des structures du ministère de- venues de plus en plus matricielles. On retrouve d’ailleurs ce modèle dans les autres ministères, mais également au sein des grands groupes du secteur privé. Comment s’effectue la gouvernance ministérielle de la fonction défense- sécurité ? Le comité directeur de la fonction défense-sécuri- té est le comité ministériel chargé de présenter au ministre de la Défense l’état des lieux de la pro- tection et de faire valider la politique de protec- tion, sous la forme d’un « plan d’actions général de la fonction défense-sécurité ». Présidé par le ministre ou son directeur de cabinet, il rassemble ses grands subordonnés, les chefs d’états-ma- Le contre-amiral Frédéric Renaudeau, SN63 DR

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Focus

N°176 - Septembre - Octobre 201530

Défense

Sécurité de la défense

Direction de la protection des installations, moyens et activités de la Défense (DPID)

Interview de son directeur, le contre-amiral Frédéric Renaudeau

Amiral, pourriez-vous nous présenter les missions et l’organisation de la DPID ?Directement rattachée au ministre de la Dé-fense, la Direction de la protection des ins-

tallations, moyens et activités de la Défense (DPID) est la direction fonctionnelle du minis-

tère, tête de chaîne de la fonction « défense-sé-curité ». Cette fonction couvre la protection phy-sique, la cyber-sécurité, la protection du secret, ainsi que la protection du potentiel scientifique et technique et la continuité d’activité.

Le champ d’actions de la DPID comprend égale-ment les installations nucléaires intéressant la dis-suasion – qu’elles relèvent d’opérateurs publics ou privés – ainsi que les industries du secteur d’acti-vité d’importance vitale « activités industrielles de l’armement » (AIA). La protection de la dissuasion est une priorité clairement affichée de la DPID, au titre des responsabilités particulières du ministre de la Défense en matière de contrôle gouvernemen-tal de l’intégrité des moyens de la dissuasion. La mission de la DPID consiste à élaborer la politique de protection, à partir d’une analyse des menaces et vulnérabilités, et à en contrôler son application.

La DPID est une direction ramassée (moins de 30 personnes, civiles et militaires, dont 2 officiers de réserve) qui s’appuie sur l’ensemble des acteurs mi-nistériels concernés. Elle est constituée de quatre dé-partements : « Politique de protection » qui a notam-ment en charge d’élaborer la politique de protection et le référentiel ministériel des menaces, « Moyens de protection » qui traduit en termes capacitaires les mesures de protection à mettre en œuvre, « Etat des lieux et conformité » en charge de dresser un état des lieux exhaustifs et précis ainsi que de superviser la mise en œuvre de la politique de contrôle, d’au-dit et d’inspection, et enfin « Analyse de la menace, expertise » qui exploite les analyses des services de renseignement et détermine le niveau de vulnérabilité des installations, moyens et activités de la défense.

Quand celle-ci a-t-elle été créée et pourquoi ?La décision de sa création par le ministre de la Défense remonte à l’été 2014. Face à la com-plexification et à l’intensification des menaces, il y avait un impérieux besoin de disposer d’une di-rection dédiée à la défense-sécurité, afin de coor-donner l’action des structures du ministère de-venues de plus en plus matricielles. On retrouve d’ailleurs ce modèle dans les autres ministères, mais également au sein des grands groupes du secteur privé.

Comment s’effectue la gouvernance ministérielle de la fonction défense-sécurité ? Le comité directeur de la fonction défense-sécuri-té est le comité ministériel chargé de présenter au ministre de la Défense l’état des lieux de la pro-tection et de faire valider la politique de protec-tion, sous la forme d’un « plan d’actions général de la fonction défense-sécurité ». Présidé par le ministre ou son directeur de cabinet, il rassemble ses grands subordonnés, les chefs d’états-ma-

Le contre-amiral Frédéric Renaudeau, SN63

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Patrice Lefort-Lavauzelle

jors d’armées et les directeurs concernés (DPSD, DGSIC et direction des applications militaires du commissariat à l’énergie atomique). Son secréta-riat est assuré par la DPID.

Quelles sont les relations de la DPID avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ?La DPID représente le ministère de la Défense au SGDSN pour tout ce qui relève du domaine dé-fense-sécurité et participe aux travaux coordon-nés par celui-ci. A titre d’exemple, dès le mois de novembre 2014, la DPID s’est vu confier le pilo-tage de deux groupes de travail interministériels relatifs à la lutte contre une utilisation malveil-lante des drones.

Dans le domaine de la sécurité des systèmes d’informations, le DPID, en sa qualité de Haut fonctionnaire correspondant de défense et de sécurité adjoint, dispose du fonctionnaire SSI du ministère de la Défense. Nous participons bien entendu aux travaux coordonnés par l’ANSSI.

Où en est la coopération avec les autres ministères, notamment le ministère de l’Intérieur ?Cette coopération interministérielle nécessitait d’être sensiblement accrue, principalement avec le ministère de l’Intérieur mais également avec le mi-nistère de l’Ecologie, de l’environnement, du déve-loppement durable et de l’énergie. Avec le premier, l’objectif consiste à développer la coopération avec les services préfectoraux et les forces de sécurité intérieure, aux niveaux zonal et départemental. Avec le second, la coopération porte sur le domaine du nucléaire, domaine pour lequel nous partageons de nombreuses problématiques, compte tenu du statut civil des installations nucléaires intéressant la dissuasion (INID) dont la responsabilité de pro-tection relève du ministre de la Défense.

Quelles sont les relations de la DPID avec la « communauté du renseignement » ? Il convient avant tout de préciser que la DPID n’est pas un service de renseignement mais un « client » des services de renseignement. En ef-

fet, pour sa partie « renseignement » la mission de la DPID consiste à identifier les vulnérabilités en fonction, d’une part du niveau de protection des sites, et d’autre part des analyses de la me-nace produites par les services de renseignement. Pour ce faire, notre principal interlocuteur est la DPSD, avec laquelle des relations fructueuses se sont très rapidement installées. Mais, pour mener à bien sa mission, la DPID doit aussi porter son action d’analyse sur un temps plus long en réa-lisant des études propres, s’appuyant non seule-ment sur l’expertise de services de renseignement (DPSD et DRM, essentiellement) mais aussi sur d’autres entités périphériques à la communauté du renseignement (Unité de coordination de la lutte anti-terroriste, Agence nationale de la sécu-rité des systèmes d’information, Direction géné-rale de la gendarmerie nationale...).

Comment la DPID travaille-t-elle avec les opérateurs d’importance vitale (OIV) ?Avant tout, la DPID est au service des opérateurs relevant du ministère de la Défense, afin de les aider à mettre en place les mesures de protection appropriées.

Dans le cadre de Vigipirate Attentat, le plan Cuirasse contribue au renforcement de la protection des sites de la Défense

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Cette action commence par la définition, en concertation avec eux, d’un référentiel minis-tériel de menaces. Elle passe également par la diffusion d’analyses de vulnérabilités, de nature plus conjoncturelles ou évolutives, notamment en cette période d’attentats ou d’attaques infor-matiques. Notre action consiste aussi à élaborer la politique de protection en collaboration avec eux. Enfin, la DPID coordonne les travaux minis-tériels de programmation et de mise en œuvre de moyens capacitaires. Ces travaux débutent par des expressions de besoins opérationnels, émises par les opérateurs, puis se poursuivent par des spécifications techniques, généralement établies par le Service d’infrastructure de la dé-fense (SID).

La forme des relations avec les OIV dépend de leur statut, c’est-à-dire de leur position par rap-port au ministère de la Défense. Ainsi les travaux de la DPID en matière de programmation de me-sures de protection ne concernent que les opéra-teurs publics du ministère de la Défense et non les industriels du secteur AIA.

La réserve opérationnelle ne pourrait-elle pas être un des acteurs de la fonction défense-sécurité, notamment dans le domaine de la protection des sites ?A la lumière des événements récents et confor-mément à l’actualisation de la LPM, l’emploi de réserve opérationnelle dans le domaine dé-fense-sécurité constitue un véritable atout et doit être développé, et ce d’autant plus que la res-source humaine est rare. Je pense notamment au renforcement par des réservistes des unités d’ac-tive des forces armées en charge de cette mis-sion. Un autre facteur milite pour une utilisation renforcée, et sans doute plus novatrice, de la ré-serve opérationnelle : son coût. Par définition, un réserviste n’est soldé que lorsqu’il est employé dans le cadre de son affectation.

Plus généralement, il y a une réflexion importante à conduire en matière de complémentarité et de synergie des compétences nécessaires pour cou-vrir l’ensemble du spectre de la menace et des fonctions de protection (emploi de la force armée

La DPID travaille en étroite coopération avec la DPSD

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Sécurité de la défense

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La DPID est en charge de deux groupes de travail sur l’utilisation malveillante des drones

pour traiter une attaque de haute intensité, réac-tion en situation de légitime défense face à une action terroriste, surveillance des sites, gestion des accès…). Tous les statuts doivent être pris en compte et utilisés : forces de gendarmeries spécialisées, militaires des armées dont réser-vistes opérationnels, agents publics civils du mi-nistère de la Défense et agents privés.

La DPID est très impliquée dans le cadre de la mise en place de parades contre les mini-drones. Pourriez-vous nous en dire plus ?La DPID coordonne l’élaboration des plans d’équipements de protection des installations du ministère de la Défense. Plus largement, nous participons aux travaux interministériels de lutte contre une utilisation malveillante des drones, dans le cadre du mandat confié au SGDSN par le Premier ministre. Nous sommes en charge de deux groupes de travail.

Le premier vise à apporter une réponse capa-citaire face à cette menace potentielle sérieuse. Notre action s’est concrètement traduite par l’or-ganisation, sous faible préavis, d’une campagne d’essais destinée à permettre aux ministères et aux opérateurs concernés d’acquérir au plus vite des premiers éléments de protection, à partir des solutions technologiques existantes et des maté-riels disponibles à court terme. Cette campagne qui s’est déroulée à Captieux, en Gironde, a été conduite par le Centre d’expériences aériennes militaires de l’armée de l’Air avec le soutien tech-nique de l’ONERA. Le deuxième groupe de travail, qui concerne les actions décentralisées de neu-tralisation des drones, est co-piloté avec la direc-tion générale de la Gendarmerie nationale. Il vise plus précisément à fixer le cadre de ces actions, dans le respect des prérogatives de la chaîne de défense aérienne.

Nos moyens sont focalisés aujourd’hui sur l’anti-terrorisme. Cela ne se fait-il pas au détriment de la lutte contre l’espionnage industriel, y compris concernant les entreprises de Défense ?La protection du potentiel scientifique et tech-nique de la Nation (PPST) est une priorité du plan

national d’orientation du renseignement (PNOR). Les grands industriels de l’armement sont par-ticulièrement sensibles à ce risque, mais leurs sous-traitants, dont le nombre est très élevé, le sont nettement moins, alors qu’ils disposent sou-vent de technologies de pointe particulièrement intéressantes pour des entreprises concurrentes et certaines puissances étrangères. Concrète-ment, et outre les actions engagées contre le ter-rorisme, cette menace fait l’objet d’un axe d’effort clairement identifié à la DPID, traité avec l’appui de la DPSD et de la DGA

Quelles sont vos principales sources de préoccupation aujourd’hui ?Les menaces se sont intensifiées et diversifiées. Elles peuvent aussi aujourd’hui se conjuguer. Comme le montrent les évènements survenus très récemment, la menace est protéiforme. Les at-taques terroristes ou malveillantes ne visent plus non seulement nos points et systèmes d’informa-tion d’importance vitale, mais plutôt des cibles « molles ». La démarche de protection s’inscrit donc dans une approche globale couvrant l’in-tégralité du spectre des vulnérabilités, allant de l’analyse de la menace à la mise en place effective de moyens de protection, avec une priorité claire-ment affichée pour la protection de la dissuasion dont l’efficacité repose sur la crédibilité.

Mes préoccupations, ou plutôt mes priorités, visent à dresser un état des lieux des vulnérabi-lités et à mettre en place cette démarche globale, cohérente et dynamique de sécurité par une coor-dination de l’ensemble des acteurs ministériels concernés.

Entretien réalisé par Patrice Lefort-Lavauzelle

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Patrice Lefort-Lavauzelle