168
Quête spirituelle, voies singulières Enquête sociologique sur les chercheurs spirituels Document de travail ne pas diffuser Jean-François Barbier-Bouvet Décembre 2014 GERPSE

Document de travail ne pas diffuser - dres.misha.cnrs.frdres.misha.cnrs.fr/IMG/pdf/rapport_final_quete_spirituelle.pdf · Quête spirituelle, voies singulières Enquête sociologique

Embed Size (px)

Citation preview

Quête spirituelle, voies singulières

Enquête sociologique sur les chercheurs spirituels

Document de travail ne pas diffuser

Jean-François Barbier-Bouvet

Décembre 2014 GERPSE

2

Sommaire

Introduction 4

Présentation de l’enquête

I . Le profil des chercheurs spirituels 10

I.1 Profil sociologique 11

. une grande majorité de femmes 11

. une pyramide des âges très typée 12

. un niveau socioculturel élevé 14

. une répartition géographique équilibrée 18

. un profil familial contrasté 19

I. 2 Profil religieux 21

A . Positionnement religieux des chercheurs spirituels (approche

synchronique) 21

. l’appartenance ou la référence religieuse 21

. l’observance religieuse 28

B. « Généalogie religieuse » (approche diachronique) 30

II . Les pratiques des chercheurs spirituels 38

II.1 Les stages, sessions et formations 39 . la nature des activités suivies 39

. la circulation entre les « offres » de développement personnel et spirituel 48

II. 2 Les pratiques d’intériorité et de vie spirituelle 53 . les approches individuelles 53 - la méditation 53 - la prière 54 . les approches interpersonnelles 56

3

- l’accompagnement par un maître spirituel 57 - la participation à un groupe suivi 58 . les approches « intellectuelles » 59 - la lecture des textes fondateurs 59

- la lecture de livres et articles 62 III . Les représentations des chercheurs spirituels 68

III. 1 Les dynamiques de la quête intérieure 69

. les trajectoires de vie 69

. démarches de développement personnel, thérapeutique et religieuse 72

. le spirituel et (ou contre) le religieux 75

III . 2 Leurs attentes en matière de cheminement personnel 84

III . 3 Leur perception de la démarche spirituelle 94 - les conditions 94 - les obstacles 100 - les dangers 106

III . 4 Leurs croyances 112

- Dieu et leurs représentations du divin 112 - après la mort 119

III . 5 Leur ouverture aux autres spiritualités et religions 124

Conclusion 132

Annexes 139

- Méthodologie 140 - Liste des Centres 149 - Questionnaire 154 - Le GERPSE 167

4

En quelques décennies, le paysage religieux a considérablement changé en France.

Les processus de sécularisation et de pluralisation travaillent la société française et

toutes les traditions religieuses qui existent en son sein, celles qui sont là de longue

date, comme les nouvelles venues. Désormais, religions, religieux, spirituel, se

présentent de manière nouvelle, brouillant les repères traditionnels.

Des recherches sociologiques essaient périodiquement de rendre compte des

évolutions que l’on constate dans les manières de croire et le rapport de croyants à

leur tradition. Citons en particulier les travaux de Françoise Champion, Danielle

Hervieu-Léger, Yves Lambert, Jean-Marie Donegani1, et de manière plus générale

les recherches fédérées par le GSRL2. Prioritairement attentifs aux effets de la

modernité dans la sphère du religieux, ils insistent plus particulièrement sur les

contenus des croyances et des représentations, et sur leurs rapports avec les

croyances antérieures. Les concepts qu’ils proposent, comme l’individualisation du

croire, la désinstitutionalisation du sentiment religieux, le pragmatisme expérimental,

sont particulièrement éclairants, même si certains autres nous le verrons, comme le

relativisme ou le syncrétisme, méritent d’être reconsidérés, et si la terminologie de

« nébuleuse mystique-ésotérique » paraît aujourd’hui partiellement datée.

Mais il existe peu d’enquêtes empiriques, sur la base d’échantillons importants, qui

redonnent directement la parole aux intéressés eux-mêmes, dans les termes mêmes

dans lesquels ils se formulent ou se reformulent leurs pratiques.

L’ambition de notre enquête est de faire une plongée au cœur de la population des

« chercheurs spirituels ». Ce qui suppose au préalable de les définir, à la fois de

manière précise pour les constituer en objet d’enquête repérable, et imprécise pour

ne pas enfermer dans des catégories trop limitatives une démarche qui se

caractérise à la fois par son flou et par sa mobilité permanente.

Pour résoudre ce paradoxe, il nous a fallu procéder successivement par élimination

et par construction, et introduire du discontinu dans une réalité sociale continue.

1 Entre autres : F.Champion, « Religieux flottant, éclectisme et syncrétismes » dans Jean Delumeau, Le Fait religieux, Paris, Fayard, 1993 ; D. Hervieu-Léger : La religion en mouvement : le pèlerin et le converti, Paris, Flammarion, 1999 ; Y. Lambert : « Religion : développement du hors piste et de la randonnée » in P.Bréchon : Les valeurs des français, évolutions de 1980 à 2000, Paris, Armand Colin, 2000 ; J.M Donegani : « Le religieux à la carte : une individualisation des pratiques et des croyances » in Les religions dans la société, Les Cahiers Français 2007. 2 Groupe Sociétés, Religions et Laïcité du CNRS

5

L’expression même de « chercheurs spirituels » est à la fois très parlante et très

ambiguë : tout le monde, peu ou prou, cherche à donner un sens à sa vie, que ce

soit dans une perspective immanente ou dans une perspective transcendante. Cette

aspiration est même sans doute une des définitions possibles de la condition

humaine. Et le mot « sens » lui-même est particulièrement polysémique1, il peut

abriter des finalités de toute nature, spirituelle, matérielle, psychologique, etc. Pour

paraphraser Pascal, on pourrait dire que « son centre est partout et sa circonférence

nulle part ».

Mais tout le monde ne qualifie pas pour autant sa recherche de sens comme

spirituelle. Les sondages nationaux sont des outils qui relèvent trop de l’esprit de

géométrie pour évaluer réellement une dimension qui ressortit plus de l’esprit de

finesse, ou demeure en tout cas difficile à formuler directement. Reste que certaines

enquêtes s’y risquent, et que leurs résultats convergent, alors que leurs formulations

sont différentes : selon ce premier cadrage, environ un tiers de la population dit

s’intéresser ou accorder de la place au « spirituel »2.

Pour autant , au sein de cette population chacun n’entreprend pas des démarches

pour progresser sur son chemin d’intériorité. Et ces démarches, quand elles existent,

ne s’inscrivent pas toutes dans un cadre structuré ou ne relèvent pas toutes d’une

approche systématique.

Louis Hourmant3 distingue trois sphères de la quête existentielle : le premier sous-

ensemble correspond à des évolutions qui se font jour au sein des groupes religieux

institués, généralement au sein de la matrice chrétienne, comme par exemple les

évangéliques ou le mouvement charismatique ; le second est nettement moins

structuré sur le plan institutionnel et emprunte à la fois à la tradition chrétienne, à

d’autres traditions religieuses et aux démarches psychologiques de transformation

de soi ; le troisième correspond à des démarches qui sont plus de l’ordre de la

1 On compte 77 synonymes du mot « sens ». Et seulement 7 antonymes… (recension établie par le CRISCO de l’Université de Caen - Centre de Recherche Interlangues sur la Signification en Contexte, qui compile tous les dictionnaires existants). 2 Enquête Valeurs européennes ARVAL 2008 : « Que vous vous considériez ou non comme quelqu'un de religieux, diriez-vous que vous êtes ou non sensible à la spiritualité, autrement dit quel est votre degré d'intérêt pour le sacré et le surnaturel ? » : très + assez intéressé : 38%.

Enquête OpinionWay / Clés 2014 : « Pensez-vous que la dimension spirituelle ou religieuse est importante pour réussir sa vie personnelle ? » : très + plutôt importante : 36 %. 3 L. Hourmant : « Nouvelles religiosités et nouvelles recherches de sens » in Les religions dans la société, Les Cahiers Français 2007.

6

recherche du mieux-être, de la « sagesse », de la philosophie pratique ou de la « vie

bonne » que de la recherche spirituelle.

Les frontières ne sont évidemment pas toujours aussi claires, ni les démarches

exclusives. Mais nous avons clairement centré notre recherche sur le deuxième

groupe.

Pour construire une approche sociologique du phénomène de la quête spirituelle, il

nous a fallu d’abord en constituer l’objet de manière opératoire, c’est-à-dire en définir

à la fois les conditions épistémologiques et les modalités pratiques :

Par principe nous nous sommes placé délibérément du coté des personnes, c’est à

dire de l’analyse des comportements et des représentations, et non du coté des

contenus, c’est à dire de l’analyse des corpus de doctrine de référence.

Quelles personnes ? La première question qui se pose est celle de leur repérage.

Nous avons fait le choix de consacrer cette enquête à celles qui accordent une place

suffisamment importante à cette recherche de sens et d’épanouissement personnel

pour y consacrer du temps, dans un espace affecté. Il s’agit de gens, de plus en plus

nombreux, qui ont suivi à un moment donné des stages, des sessions, des

formations de développement spirituel et personnel1. Même si leur recherche bien

sûr ne se limite pas à cela. Un espace, car ces activités se font dans des lieux

dédiés ; un temps car elles supposent d’arrêter pendant un moment (un week-end,

une semaine, parfois plus) la course ordinaire des jours. Ce double retrait provisoire

du monde, pour s’occuper de soi et aussi pour rencontrer d’autres qui partagent la

même démarche, est donc la première condition de la construction de notre

échantillon.

Seconde condition : l’enquête porte sur les « chercheurs spirituels » qui n’inscrivent

pas nécessairement leur démarche dans le cadre des religions instituées, soit qu’ils

ne s’y limitent pas, soit qu’ils en fassent délibérément l’économie. Nous n’avons donc

pas retenu les personnes qui ne suivaient que des stages ou sessions de type

chrétien ou confessionnel, à l’exclusion de tout autre. Par contre nous avons bien

entendu retenu celles qui ont suivi à la fois des sessions de type chrétien et des

sessions d’une autre nature, qu’il s’agisse de traditions spirituelles étrangères à leur

1 Pratiques corporelles et énergétiques, méditation, pratiques artistiques, développement personnel, psychothérapie, médecines alternatives, ésotérisme et arts divinatoires, chamanisme, spiritualité chrétienne, bouddhiste, hindoue, musulmane ou soufie, juive, taoïste, etc.

7

culture d’origine, de développement personnel, d’exercices corporels, etc. (ce qui

correspond au deuxième type de L. Hourmant).

Troisième condition : les gens peuvent investir ce type d’activités sans l’inscrire pour

autant dans une démarche spirituelle, ou sans qu’elle débouche sur des retombées

spirituelles. S’il n’y a pas d’ambiguïté pour les sessions explicitement consacrées à

différentes formes de spiritualité (bouddhiste, soufie, juive, chrétienne, etc.) il est

possible en revanche de suivre des sessions de développement personnel, de

méditation, de pratiques énergétiques, etc. dans une simple perspective de bien-être

personnel, ou par curiosité. Mais comment établir la frontière ? A partir de quelle

définition « objective », si tant est qu’il soit possible d’en proposer une qui aurait une

portée générale ? Nous avons fait le choix de nous fonder sur l’auto-définition des

personnes : a été retenue dans le champ de l’enquête toute personne qui qualifiait

elle-même sa démarche de spirituelle. Cette approche tautologique assumée,

comme principe de recrutement, est évidemment un point de départ ouvert et non un

point d’arrivée de la recherche : nous verrons tout au long de l’enquête s’élaborer

des contenus et se dégager des lignes de force, qui ne passent d’ailleurs pas

toujours là où on les attendait.

Le choix méthodologique de s’adresser aux centres qui proposent une offre de

développement personnel et spirituel, avec les précautions que nous venons

d’énoncer, permet de garantir un recrutement contrôlé des chercheurs de sens. Il

permet de sortir des définitions vagues par les seules aspirations au profit d’une

définition par le passage à l’acte. Il est aussi la condition pour construire une

approche opérationnelle1 : nous avons repéré dans un premier temps tous les lieux

qui proposaient en France des activités orientées vers le développement spirituel de

la personne, avec comme condition complémentaire qu’ils offrent un nombre

important d’activités sur l’année, et des activités qui ne se résument pas à une seule

tradition spirituelle2. Et nous avons contacté par leur intermédiaire toutes les

1 Cette méthodologie est présentée de manière détaillée en annexe. 2 Compte tenu de l’objet de cette enquête, consacrée à l‘émergence de nouvelles formes de spiritualité, nous n’avons pas retenu par exemple les centres d’origine ou d’obédience chrétiennes - monastères, centres de ressourcement spirituel, etc. - qui ne proposaient que des offres de contenu chrétien. Mais nous avons conservé les lieux chrétiens qui ont fait le choix de l’ouverture et proposent aussi des sessions de type spirituel plus large. On rencontre bien sûr dans l’enquête de nombreux chrétiens qui suivent des sessions orientées sur des contenus ou des pratiques issues d’autres traditions spirituelles.

8

personnes qui y avaient suivi un stage, une session ou une formation depuis moins

de 5 ans. Au total plus de 20 centres ont accepté de participer à l’enquête, 50.000

personnes ont été sollicitées, près de 8.000 ont répondu, dont 6.000 ont qualifié leur

démarche de « spirituelle ». Ce qui représente un échantillon considérable.

Pour les interroger, nous avons choisi la méthode du questionnaire. Un sondage

pour « sonder les reins et les cœurs »1, voilà qui peut paraître paradoxal quand il faut

s’approcher de démarches vécues à la fois comme uniques et comme ineffables.

Mais unique ne signifie pas que la somme de ces particularités ne fait pas sens, et

ineffable ne veut pas dire indicible. Au fond, nous avons tenté d’analyser de manière

qualitative un corpus quantitatif, en proposant de nombreuses formulations relevant

d’échelles d’attitude, et en restituant a posteriori la complexité de la démarche par les

rapprochements multiples des réponses données par chacun à des questions

apparemment simples. D’ailleurs ces personnes qui empruntent des chemins

singuliers et font du « hors piste » sur le plan spirituel2 le font à tout point de vue :

elles font aussi du « hors questionnaire »… Chaque fois que l’occasion leur a été

donnée de compléter leur réponse à une question fermée par un commentaire dans

une question ouverte, elles l’ont saisie pour développer leur pensée (alors que

généralement, dans les sondages, presque personne ne profite de cette faculté, ou

alors de manière lapidaire). Nous utiliserons beaucoup ces verbatim très riches, qui

introduisent des niveaux supplémentaires d’exploration, des nuances, des

contradictions, voire de l’ambiguïté, pour compléter l’analyse et nous prémunir d’une

approche positiviste ou statistique. Comme le dit Jean Paulhan, « les gens gagnent à

être connus, ils y gagnent en mystère…»3.

La fréquentation de centres divers pour des stages, des sessions ou des formations

de type spirituel, ou procurant un bénéfice qualifié par les intéressés eux-mêmes de

spirituel (même si ce n’en était pas l’objet explicite), est la condition de réalisation de

notre recherche. Mais elle n’en constitue pas la problématique centrale. D’ailleurs la

1 Pour reprendre une expression citée de nombreuses fois dans la Bible (dans les Psaumes et dans le livre de Jérémie). 2 La formule est d’Yves Lambert, La religion en France des années 60 à nos jours, in Données Sociales 2002 3 Jean Paulhan. Entretien sur des faits divers. Gallimard, 1945

9

majorité des questions de l’enquête porte sur les attitudes et les comportements qui

s’expriment en dehors de ces lieux. En d’autres termes, les stages ou sessions ne

sont pas l’objet de l’étude. Ils sont le moyen de l’étude, grâce auquel nous avons pu

définir et recruter un échantillon raisonné de chercheurs spirituels. C’est, pour le dire

de manière imagée, un fil que nous avons tiré, dans des conditions scientifiquement

contrôlées, qui nous fait accéder à toute la pelote des attitudes et des

représentations spirituelles. Il ne s’agit donc pas de prendre la partie pour le tout. En

particulier, nous n’avons pas interrogé les gens, plus nombreux encore, qui

progressent sur leur chemin intérieur de manière exclusivement individuelle, en se

nourrissant de rencontres, de lectures, d’exercices hors de toute fréquentation de

groupes ou de structures. Mais nous pensons que la partie éclaire le tout, et que

beaucoup des informations que nous avons recueillies, et des hypothèses que nous

avons pu formuler à cette occasion, informent plus largement sur les démarches des

personnes pour qui la recherche spirituelle représente un investissement, s’inscrit

dans une progression, et n’emprunte pas nécessairement les chemins balisés par les

grandes religions et leurs institutions.

10

. I .

LE PROFIL DES CHERCHEURS SPIRITUELS

11

Qui sont ces personnes qui entreprennent des démarches pour progresser sur leur

chemin d’intériorité ?

Elles peuvent être décrites selon les critères socio-démographiques classiques, mais

aussi selon des critères qui permettent de retracer leur origine et leur parcours

religieux ou spirituel.

. I . PROFIL SOCIO-DÉMOGRAPHIQUE

1. Une grande majorité de femmes

Le public des stages ou sessions de développement personnel et/ou spirituel est

constitué en majorité de femmes.

Ce tropisme féminin particulier est une évidence pour qui a déjà assisté à ce type

d’activités. L’enquête a permis de le mesurer précisément. Le déséquilibre est

important : on compte trois quart de femmes pour un quart d’hommes seulement.

La présence des hommes peut certes varier selon les activités, entre 20 % (pratiques

artistiques, pratiques corporelles et énergétiques) et 30 % (spiritualité taoïste,

spiritualité soufie) 1 mais elle reste toujours minoritaire.

La sur-représentation des femmes n’est pas propre à ces lieux. On la retrouve à

l’œuvre dans deux univers à l’intersection desquels nous nous situons : le travail sur

soi et le monde religieux. De manière générale les pratiquants des disciplines

1 Nous reviendrons plus loin sur les différentes activités et les caractéristiques propres de leurs publics.

12

corporelles (yoga, gymnastique douce, assise, etc.) et ceux qui suivent des parcours

d’auto-investigation psychologique sont plus souvent des femmes. Et toutes les

enquêtes de sociologie religieuse font apparaître un décalage de même nature dans

la sphère religieuse – en France essentiellement chrétienne – tant au niveau de la

pratique rituelle (autour de 60 % de femmes et 40 % d’hommes) que des

engagements pastoraux ou militants (autour de 70 % / 30%)1. Il est probable que les

tendances de ces deux espaces sociaux, la sphère du travail sur soi et la sphère du

religieux, se cumulent et se renforcent ici.

Interrogation complémentaire : cette différenciation entre les hommes et les femmes

joue-t-elle seulement à l’entrée, ou aussi dans la manière même de mener ensuite

ces démarches ? En d’autres termes si les hommes éprouvent, plus que les femmes,

une réticence à se lancer dans des stages ou des sessions de recherche personnelle

et spirituelle, est-ce qu’une fois cet obstacle franchi leurs comportements et leurs

cheminements restent différents ou au contraire obéissent aux mêmes dispositions ?

Une analyse fine des résultats comparés des hommes et des femmes de notre

enquête aux autres questions de l’enquête, portant sur les centres d’intérêt, les

parcours ou les attentes spirituelles fait apparaître que, contrairement à ce qu’on

pouvait attendre, leurs réponses se répartissent à peu près de la même manière. Les

hommes qui participent à ce type de stages et sessions sont décalés par rapport à

ceux qui n’y participent pas, mais en phase avec l’ensemble des autres participants

alors même qu’ils y sont minoritaires. Ils n’y importent pas des comportements plus

« masculins » que les autres, ou une manière plus masculine d’avancer sur leur

chemin.

2. Une pyramide des âges très typée

L’âge moyen des chercheurs spirituels, du moins de ceux qui ont accompagné leur

démarche spirituelle par une participation à des stages ou des sessions de

développement personnel et spirituel, est relativement élevé : 55 ans.

C’est à la fois, pour employer un vocabulaire statistique, une moyenne et un mode.

En d’autres termes, c’est aussi le point de concentration maximum des participants.

1 Source : IFOP, le catholicisme en France. Analyse cumulée de 150 sondages 2005 / 2010

13

La courbe affecte une forme en cloche caractéristique des activités de type

affinitaire, dans lesquelles on se reconnaît plus particulièrement à un certain âge.

Très loin de la forme de la pyramide des âges nationale.

Au total, les jeunes générations, comme les plus âgées, sont assez peu présentes :

une personne sur 10 seulement (11 %) a moins de 40 ans, et une personne sur 10

(9%) a plus de 70 ans. Le pic de la distribution de notre population se situe entre 50

et 65 ans (près de la moitié de l’ensemble).

Pour expliquer cette courbe, il faut recourir à deux types d’interprétations qui ne se

confondent pas : l’effet d’âge et l’effet de génération.

- S’agit-il essentiellement d’un effet d’âge ? La démarche spirituelle ou de

recherche d’intériorité interviendrait préférentiellement à un certain moment

du cycle de la vie personnelle. Pour des raisons à la fois intimes et

matérielles: on parle souvent de crise de milieu de vie, d’âge des bilans, voire

d’un questionnement sur les finalités quand on réalise qu’on est plus près de

sa fin que de ses débuts. Joue aussi, plus prosaïquement, un effet de

disponibilité : après avoir passé ses premières décennies adulte à investir sur

le professionnel et sur le familial (enfants, etc.1) et à gérer les contraintes -

1 D’ailleurs seules 28,5 % des personnes interrogées ont encore des enfants à la maison

14

particulièrement en temps - qu’ils impliquent, on peut réinvestir sur la sphère

personnelle.

- Ou s’agit-il d’un effet de génération1 ? Ce qui unit les membres d’une

génération, c’est d’avoir vécu la même Histoire au même moment de son

existence. Chaque génération est affectée par ses expériences initiatrices

vécues au temps de sa jeunesse (les « marqueurs générationnels »). C’est

pourquoi on peut qualifier une génération par les faits significativement

importants de la période de ses 20 ans. Pour prendre celles qui sont les

mieux représentées dans la population des chercheurs spirituels, les 50-60

ans (qui ont eu 20 ans entre 1975 et 1985) peuvent être désignés comme la

« génération de la crise », et les 60-70 ans (qui ont eu 20 ans entre 1965 et

1975) comme « génération 68 ou sixties »2. Ils ont été contemporains, à l’âge

de leur formation, de l’accélération du déclin des religions sous leur forme

institutionnalisée au profit des nouvelles formes de spiritualité ainsi que du

développement de la valorisation de soi dans tous les domaines, effet de la

« psychologisation » de la société.

Nous faisons l’hypothèse que la concentration de la courbe d’âge des chercheurs

spirituels est particulièrement forte justement parce qu’il y a une convergence de ces

deux types de phénomènes, effet d’âge et effet de génération, qui se rencontrent et

se renforcent mutuellement dans la même direction.

3 . Un niveau socio-culturel élevé.

Ce n’est pas parce que les propositions liées à la demande de développement

personnel ou spirituel s’adressent à tout le monde qu’elles atteignent toutes les

catégories sociales dans les mêmes proportions

A - Le niveau de diplôme du public des chercheurs spirituels est impressionnant : 84

% ont poursuivi des études au delà du baccalauréat. Et parmi eux, ceux qui ont fait

des études supérieures longues sont particulièrement bien représentés.

1 Cette approche a été développée par Bernard Préel : Le choc des générations (Paris, La

Découverte, 2000) et Les générations mutantes (Paris, La Découverte, 2005). 2 Pour mémoire, dans la même analyse, les 30-40 ans sont qualifiés de « génération internet », les

40-50 ans de « génération Sida », et à l’autre extrémité de l’échelle des âges les 70-80 ans de « génération Algérie ».

15

Population nationale

Population de l’enquête

C’est même une répartition exactement inverse de celle de la population française

d’âge adulte1. Deux chiffres sont particulièrement parlants : près de 60 % des

français adultes ont un niveau d’études inférieur au bac, contre 6 % seulement au

sein de notre public, soit un écart de un à dix. Et 14 % des français (un sur sept) ont

fait des études supérieures longues (bac + 3 et plus), contre 67 % dans notre

enquête, soit deux sur trois.

Les chercheurs spirituels sont sur-diplômés par rapport à la moyenne nationale,

écart qui serait même en réalité encore plus marqué qu’il ne semble si on les

comparait strictement au niveau moyen d’étude de leur propre génération

(essentiellement les plus de 50 ans) qui ont fait une scolarité plus courte que celle

des générations plus jeunes.

B – Autre manière classique d’approcher la position sociale : la catégorie socio-

professionnelle. Elle est certes corrélée par le niveau d’étude, mais elle est loin de se

confondre avec lui. On peut en faire une première analyse en termes de hiérarchie. 1 Source : INSEE, Enquêtes Emploi 2012

16

Comme celle des diplômes, elle est très nettement décalée vers le haut : si on

considère globalement le milieu social (en regroupant les professions par grandes

catégories de statut, et en réintégrant les retraités à leur catégorie sociale d’origine,

dont ils ont conservé l’habitus à défaut d’en avoir conservé les revenus), les écarts

avec la population française sont très significatifs :

Population de l’enquête

Population française1

Agriculteurs, artisans, commerçants, petits chefs d’entreprise

5,3 % 9,5 %

Cadres supérieurs, professions libérales, professions intellectuelles supérieures

29,4 % 14,0 %

Professions intermédiaires 47,3 % 20,3 %

Employés, ouvriers 8,2 % 47,3 %

Inactifs autres que retraités 9,8 % 8,9 %

total 100 % 100 %

Les membres des classes supérieures sont proportionnellement deux fois plus

nombreux que la moyenne (29,4 % contre 14,0 %) et ceux des classes moyennes le

sont près de deux fois et demi plus (47,3 % contre 20,3 %), tandis que les membres

des classes populaires - employés et ouvriers - sont près de six fois moins nombreux

(8,2% contre 47,3 %).

Au delà de ces grandes classifications, il est intéressant de regarder de manière plus

précise les types de métiers exercés. Le décalage vers le haut en terme de niveau

social, que nous venons de voir, se double d’un second décalage en terme de centre

de gravité : des professions de la production (et des services) vers les professions de

la reproduction, de la médiation ou de la création : enseignants, professions de

l’information, des arts et des spectacles représentent à eux seuls le quart (24,7 %)

des personnes qui suivent des stages ou des sessions de développement personnel

et spirituel.

1 Source : INSEE, Enquêtes Emploi 2011, population âgée de 15 ans et plus. Chiffres recalculés hors étudiants et élèves, et en cumulant actifs et retraités issus des mêmes milieux.

17

Dernière particularité de ce public : la surreprésentation d’un secteur particulier : les

professions de santé, corporelle, mentale et psychologique (médecins, infirmières,

psy, thérapeutes divers1) : 19,4 %, soit une personne sur cinq.

CSP (actuelle ou ancienne si retraité)

- Agriculteur 0,7 %

- Artisan, Commerçant, Chef d’entreprise 4,6 %

- Cadre supérieur, profession libérale 17,1 %

- Cadre moyen, professions intermédiaires 12,6 %

- Professions de santé, psy. , thérapeutes (et assimilés) 19,4 %

- Enseignant, professions intellectuelles et artistiques 24,7 % - Technicien, agent de maîtrise

2,9 %

- Employé 7,9 %

- Ouvrier 0,3 %

- Elève, étudiant 0,5 %

- Demandeur d’emploi 3,0 %

- Sans activité professionnelle 3,3 %

- Autre 3,0 %

total 100 % Au total, pour caractériser cette double distribution de notre public, selon le diplôme

et selon la catégorie socio-professionnelle, on pourrait dire que le travail sur soi et la

poursuite de son chemin d’intériorité, quand ils empruntent les voies de la recherche

personnelle et spirituelle et trouvent à s’exercer dans un cadre collectif encadré,

recrutent plus particulièrement dans les classes moyennes. Mais des classes

moyennes sur-diplômées. Ou, pour reprendre les catégorisations de Pierre Bourdieu,

dans les fractions de la population fortement dotées en capital culturel, mais pas

nécessairement en capital économique.

Pour autant, la recherche spirituelle n’est pas un luxe pour personnes favorisées ou

cultivées. L’aisance économique et le niveau culturel ne garantissent évidemment

pas l’ouverture à une vie spirituelle. Corrélation n’est pas causalité. Cela dit, quand

1 Y compris parfois des disciplines très pointues qui ne sont pas sans lien avec le monde du développement personnel et spirituel : relaxothérapeutes, psychosomatothérapeutes, reflexologues, sophrologues, psychoénergéticiens, naturopathes, etc.

18

cette recherche spirituelle emprunte la voie de sessions, de stages ou de formations,

du fait même de ses conditions de réalisation, elle suppose un niveau et rencontre

une barrière. Le niveau est celui qui permet une familiarité ou une facilité à acquérir

les théories, les cosmogonies ou les analyses qui fondent souvent ces

enseignements, et dont la nature est parfois complexe et le vocabulaire difficile. Et la

barrière peut se révéler d’une double nature : matérielle, à cause du coût des

sessions (inscription, déplacement, hébergement, ….). Et sociale, car tout le monde

n’a pas la même capacité de s’exprimer en public, de mettre en mots et de partager

son expérience intérieure, et de gérer sa relation avec des personnes d’origines

différentes.

4. Une répartition géographique équilibrée.

On pense souvent que le public qui suit une démarche de développement personnel

et spirituel est très urbain, voire parisien. Comme si le désir de faire rupture, de

couper avec son environnement quotidien, était d’autant plus important (surtout si

cette démarche emprunte la voie de stages ou de sessions « retirés du monde »)

que cet environnement serait saturé d’agitation et d’encombrement.

L’enquête fait découvrir au contraire une population dont la répartition est très

équilibrée, sinon sur le territoire, du moins en termes d’urbanisme : un quart des

19

chercheurs spirituels habite en région parisienne, un quart dans une grande ville

(100.000 habitants et plus), environ 30 % dans une ville moyenne (de 30.000 à

100.000 habitants) ou dans une petite ville, et environ 20 % en zone rurale1.

5. Un profil familial contrasté

Dernier critère pour cerner le profil des chercheurs spirituels, leur situation familiale.

Un peu plus d’une personne sur deux - 54 % - vit en couple, quel qu’en soit le statut

(marié, pacsé, union libre) et un peu moins d’une sur deux - 43,5 % - vit seule. Plus

une petite minorité qui vit dans un cadre collectif (communauté, cohabitation, maison

de retraite, etc.).

Population de l’enquête

Population française2

en couple 54 % 66,3 %

seul (e) 43,5 % 28,5 %

autre 2,5 % 5,2 %

Cette répartition est loin de refléter la moyenne nationale. Il y a en particulier une

proportion beaucoup plus élevée de personnes seules. On pourrait penser que c’est

parce qu’une partie de cette population est assez âgée, comme on l’a vu plus haut,

avec donc une probabilité plus élevée d’être touchée par le veuvage. Il n’en est rien :

le croisement entre l’âge et le statut montre qu’à part les moins de 35 ans, un peu

plus en couple que les autres générations, la répartition en termes de statut familial

est à peu près la même pour tout le monde. Ce n’est donc pas un simple effet

démographique. La recherche personnelle et spirituelle serait-elle, tendanciellement,

« un truc de célibataire » ? Rien ne permet de le dire en ces termes. Mais quand

cette recherche emprunte la voie collective du groupe, avec une mise à l’écart

provisoire de l’espace et du temps (la session), la corrélation est évidente.

Corrélation avec les conditions objectives de cette démarche plus qu’avec sa nature

profonde. On peut faire ici une double hypothèse : ces stages et sessions

nécessitent une disponibilité - quelques jours, souvent une semaine – que les 1 La localisation précise de la commune habitée n’était pas demandée, pour des raisons de confidentialité et de préservation de l’anonymat des répondants. 2 Source : INSEE, recensement 2008, population adulte.

20

contraintes conjugales et familiales ne permettent pas toujours de dégager

facilement. Et le fait qu’ils soient collectifs, favorisant la sociabilité et les échanges

interpersonnels, peut expliquer qu’ils sont plus souvent ou plus fortement investis par

les personnes seules, même si la rencontre n’en est pas l’objectif principal. Mais il

peut en être le bénéfice secondaire.

Au total, si on récapitule les différents critères socio-démographiques que nous

venons de passer en revue, le public qui pratique des disciplines de développement

personnel et spirituel ne correspond pas à son image « bobo ». Même si cette

catégorie est un cliché d’ordre journalistique ou une représentation partagée, et non

un concept d’ordre sociologique1, on voit bien quels sont les attributs généralement

invoqués dans ce lieu commun : des gens urbains, aisés, diplômés et jeunes.

Urbains ? partiellement seulement. Aisés ? pas tant que cela. Diplômés ?

incontestablement. Jeunes ? rarement…

1 Elle fait partie de ces catégories qui vont sans dire, mais qui ne vont plus en les disant, pour reprendre une expression de Bourdieu.

21

. II . PROFIL RELIGIEUX

L’analyse classique selon le profil socio-démographique permet une première

description précise du public des chercheurs spirituels. Précise mais insuffisante. Il

faut l’enrichir d’une autre dimension pour décrire plus complètement le

positionnement de ceux qui ont entrepris une démarche personnelle et spirituelle :

leur profil religieux, au sens le plus classique de la sociologie religieuse :

l’appartenance et l’observance. Certes ces catégories tendent aujourd’hui à perdre

sociologiquement le caractère central qu’elles avaient avant. Et, on le verra plus loin,

leurs comportements empruntent souvent des voies singulières ou s’expriment hors

de tout cadre constitué. Mais décrire leur situation sur ce plan reste un préalable

particulièrement intéressant. Avec une double approche : Comment se situent-ils

aujourd’hui par rapport à la sphère religieuse (approche synchronique) ? Et d’où

viennent-ils, par où sont-ils passés auparavant (approche diachronique) ?

I . Le positionnement religieux des « chercheurs spirituels» (approche

synchronique)

I. I L’appartenance ou la référence religieuse

Le « positionnement religieux », si on peut employer ce terme prosaïque dans un

domaine qui ne l’est pas, peut être approché à partir de la représentation même que

les gens s’en font. Il s’agit d’une autodéfinition1 : se considèrent-ils comme

catholiques, protestants, musulmans, etc., quelle que soit par ailleurs la nature et

l’intensité du rapport qu’ils entretiennent avec cette religion : lien ténu avec leur

religion d’enfance ou appartenance réactivée. Ou bien s’affirment-ils comme sans

religion aucune ? Pour reprendre un principe énoncé par Anne Gotman : « Ne pas

préjuger de ce qu’est la religion pour les gens mais préjuger qu’ils en ont une idée »2.

1 La question précise était : « Quelle est votre religion, si vous en avez une… ? » (c’est la formulation classique des enquêtes de sociologie religieuse du CNRS et des instituts de sondage). Suivait une liste ouverte de proposition de réponses. Cf. Questionnaire en annexe. 2 Anne Gotman, Ce que la religion fait aux gens, 2013, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme

22

Le terme d’appartenance n’est pas ici le plus pertinent, il faudrait plutôt parler de

« référence » religieuse.

- Premier niveau d’information, paradoxal en apparence : la somme des réponses à

la question sur l’appartenance ou la référence religieuse ne fait pas 100 % mais…

106 % ! En d’autres termes, 6% des chercheurs spirituels interrogés ont répondu

simultanément plusieurs religions, et cette double référence ne leur semble en rien

incompatible. L’association de loin la plus fréquente est celle du christianisme et du

bouddhisme. Citons quelques formulations spontanées : « Ame bouddhiste et cœur

chrétien », « Catho ascendant bouddhiste », « Cathos (racines) avec branches

bouddhistes », « Née catholique, pratique bouddhiste ». Suivie de l’association entre

le christianisme et une autodéfinition religieuse qui ne rentre dans aucune des cases

« officielles ». Nous reviendrons plus loin sur les contenus que donnent les

personnes interrogées à cette autodéfinition, mais on peut déjà dire que quand il y a

association avec le christianisme, c’est souvent pour préciser que, tout en se sentant

chrétiennes, elles ne veulent pas se limiter à une seule tradition mais l’ouvrir à des

représentations autres.

23

- Second niveau d’information : 26,5 %, soit plus d’une personne sur quatre, ne se

reconnaissent aucune appartenance ou référence religieuse d’aucun ordre. Ce

chiffre est élevé, pour un public qui affirme poursuivre une quête spirituelle, et y

consacre du temps et de l’énergie, même si nous l’avons saisi souvent hors des

circuits religieux habituels.

- Troisième niveau d’information : parmi ceux qui affirment une attache religieuse,

c’est la référence chrétienne qui domine : 62,5 %, soit près des deux tiers de

l’échantillon. Parmi ces chrétiens, les catholiques l’emportent très nettement sur les

protestants et les orthodoxes, reflet du caractère largement majoritaire de cette

confession en France dans la sphère chrétienne, reflet aussi, en partie, des lieux où

on les a recrutés : certains centres enquêtés étaient de rattachement catholique,

même si les activités qu’ils proposaient n’étaient pas de nature seulement

confessionnelle : au total les catholiques représentent 47,5 % de notre public, près

d’une personne sur deux.

Ce qui est particulièrement intéressant, et qui n’apparaît généralement pas dans les

enquêtes classiques, c’est le poids de ceux qui se revendiquent explicitement

comme chrétiens mais ne se reconnaissent pas dans une Eglise ou une tradition

religieuse particulière : ils ont choisi de répondre explicitement « chrétien sans

appartenance particulière », 10,5 % soit un chrétien sur six.

Se dire catholique, ou d’origine catholique, ne signifie pas nécessairement un

rattachement, mais souvent une filiation: ils assument la culture qui les a façonnés,

même s’ils n’appartiennent pas ou ne se reconnaissent pas dans la « communauté

des fidèles ». Ils ont d’ailleurs utilisé les questions ouvertes pour préciser leur

pensée : c’est généralement l’Eglise qui leur fait problème : Je me suis surtout

éloignée de l'Église plus que de la religion chrétienne.

Les uns l’expriment de manière radicale, voire agressive :

. « J'ai gardé du christianisme les valeurs fondamentales, et l'enseignement de Jésus, universel. Tout ce qui rejoint les autres grands enseignements, au delà de l'aspect "religieux". Le reste m'horripile, et n'a plus rien à voir avec le vrai enseignement de Jésus et de la Bible » . « J'ai une sensibilité chrétienne, mais pas dans la religion catholique ce sont deux choses bien différentes, l'une est libre et évolutive, l'autre est encadrée et sclérosée »

. Une personne cite même Jacques Ellul, qui écrivait : « Le Christ a annoncé l'Evangile, le diable en a fait une religion..."

24

D’autres, malgré leur distance, gardent le contact avec l’Église en tant que

communauté, et non en tant qu’institution :

. « Je suis attachée à l'image du Christ et de Marie, qui sont pour moi des êtres exceptionnels, et je ne suis rattachée à la religion qu'en ce sens que j'essaie d'entendre le message fondamental et initial "d'Amour" sans toutes les limitations et "conditions" imposées par l'église et qui dénaturent tant ledit message initial. Lorsque je vais à l'église, ce n'est donc pas pour écouter un prêche, mais pour le plaisir de me sentir connectée à ce "tout", avec d'autres, même si ces autres et moi ne partageons pas la même conception de "Dieu" et du Christ »

. « De formation catholique, je garde une immense foi et un très grand amour pour le christ, mais ce que je rejette, c'est toute l'institution de l'Eglise, du Pape et de tout ce qui tourne autour. L'Eglise a amené plus de souffrance que de réconfort. Mais il y a eu et il y a encore en son sein quelques grands êtres sincères et magnifiques. Beaucoup d'inconnus pleins de compassion et d'amour. Heureusement ! »

- Quatrième niveau d’information, parmi les « autres religions », les juifs (1 %) et les

musulmans (0,5 %) sont extrêmement minoritaires. Si cela correspond à peu près au

poids des premiers en France, c’est très en retrait de la proportion des seconds dans

le pays. Mais le résultat le plus remarquable est incontestablement le score du

bouddhisme : 8 % de la population des chercheurs spirituels disent s’y rattacher,

alors que cette religion1 est, en termes statistiques, quasiment inexistante en France

en dehors de la population d’origine asiatique. Soit une sur-représentation

considérable.

Complétons la comparaison de l’appartenance religieuse du public des chercheurs

spirituels à celle de l’ensemble de la population française.

- Les 26,5 % qui se sont déclarés « sans religion aucune » sont à rapprocher des 30

à 35 % de la moyenne nationale2. La proportion est finalement assez proche. Pour la

référence au christianisme, la comparaison est plus délicate puisque toutes les

enquêtes d’opinion classiques proposent la seule réponse « catholique » (ou

« protestant », etc.) mais pas la réponse « chrétien sans appartenance particulière ».

Du coup la plupart de ceux qui se considèrent comme chrétiens au moins de culture,

1 Dont certains de ceux qui ont répondu nous ont rappelé que, de leur point de vue, ce n’était pas à proprement parler une religion… 2 Ce chiffre varie selon les enquêtes, mais l’ordre de grandeur reste toujours le même : CSA 2006 : 30,5 %, SOFRES/PQN 2007 : 29 %, IFOP/ La Croix 2010 : 28 %, OpinionWay/Clés 2014 : 34 %

25

parce qu’ils assument leur éducation religieuse et conservent certains rites même

s’ils ne pratiquent plus, répondent « catholiques » dans les enquêtes faute d’une

autre catégorie dans laquelle se reconnaître. Soit au total, selon les sondages, entre

59 % et 64 %1, à rapprocher des 62,5 % de chrétiens parmi nos chercheurs

spirituels.

Cette relative similitude des grands équilibres religieux entre notre population et la

population globale va à l’encontre de deux hypothèses contradictoires, que l’on

entend souvent : les chrétiens seraient plus nombreux à suivre des sessions de

développement personnel et spirituel dans ces centres2 parce que leur forte

implication religieuse les pousserait vers une démarche d’enrichissement de leur foi,

par l’apport d’autres disciplines de recherche intérieure. Ou au contraire ils seraient

moins nombreux car ces sessions s’organisent souvent autour d’exercices et

d’enseignements décalés par rapport à la tradition chrétienne, ou relevant d’autres

traditions ou religions. A moins que ces deux hypothèses ne se vérifient

simultanément et que leur effet ne s’annule statistiquement.

En tout état de cause, comme nous le verrons plus loin, même si le niveau global

d’appartenance religieuse est proche de la moyenne, le contenu que les chercheurs

spirituels lui donnent et les pratiques qui les accompagnent peuvent être très

différents.

Reste ceux qui ne se reconnaissent dans aucune religion constituée, tout en tenant à

se définir quand même explicitement comme religieux. Ils représentent, nous l’avons

vu, un peu moins d’un chercheur spirituel sur dix (7,5 %). Les termes dans lesquels

ils s’auto-définissent sont particulièrement intéressants :

On retrouve d’abord une idée déjà rencontrée dans l’analyse de l’opposition

catholicisme / christianisme : la volonté ou le désir d’être relié à la source, aux

origines de la religion, en faisant l’économie de toutes les institutions (Églises,

dogmes, commentaires savants) qui, selon eux, se sont créées et interposées au fil

des siècles et qui font écran. Cette méfiance vis à vis des médiations institutionnelles

n’est d’ailleurs pas propre à la sphère religieuse. Elle est une des caractéristiques de

1 CSA 2006 : 61 %, SOFRES 2007/ PQN : 59 %, IFOP/ La Croix 2010 : 64 %, BVA 2014 : 63 %, OpinionWay / Clés 2014 : 59 % 2 Rappelons que plus du tiers de l’échantillon a été recruté dans des lieux d’obédience ou d’origine chrétiennes, par ailleurs caractérisés par leur ouverture à des types d’enseignements ou d’activités beaucoup plus larges.

26

la modernité : on la retrouve aussi bien dans le champ du politique, de l’éducation

que de la culture.

On rencontre aussi beaucoup d’autres définitions de ce qu’est pour eux la religion.

Elles peuvent être regroupées autour de quelques axes :

- Un rapport à l’essence même du monde, dans une forme de communion

universelle :

. « Ma religion c’est l’Amour »

. « Amour dans la vie sans dogme »

. « L'amour compassion »

. « La religion du cœur »

. « Celle qui relie à la Vie (à Dieu) »

. « Religion de la fraternité universelle »

. « La nature, le vivant »

. « Foi en la Vie » - Le refus d’un intermédiaire entre soi et Dieu ou le divin (que ce soit une Église, un

guide, une communauté, une formation, etc.). La désinstitutionalisation du sentiment

religieux est une tendance de fond de la modernité. C’est l’approche directe par

l’expérience qui est valorisée : expérimentation intérieure, guide intérieur, accès

direct au sacré par la méditation ou par la rencontre des autres, etc.

. « L’approche directe vers Dieu, sans aucun intermédiaire, par la méditation et dans ma vie de tous les jours, m’apporte paix et sérénité »

. « L’expérimentation intérieure sans passer par un enseignement dogmatique ».

. « Je cherche essentiellement à me débarrasser de ce que j’ai appris pour une plus grande liberté »

. « Je pense que l’on peut avoir un accès direct au sacré »

- Une autodétermination, où chacun est à lui-même la mesure de la valeur du

religieux.

. « Une religion très personnelle »

. « Je crois que chacun devrait avant tout croire en Soi »

. « Je "n’appartiens" qu’à moi-même »

. « Faire tout ce qui me plait du moment que ça ne fait de tort à personne »

. « Je suis relié à mon être intérieur »

27

- Une élaboration personnelle à partir d’éclairages et d’emprunts à différentes

sources. Ce syncrétisme, qui inquiète tant les Églises et religions constituées, est en

fait assez peu cité :

. « Je prends ce que je trouve bon pour mon évolution »

. « Ma religion, bricolage personnel »

. « "Vierge spirituellement" au départ, je suis en train de me "faire ma religion", je suis ouvert à de nombreuses influences, j'expérimente pour me faire ma propre opinion » . « SDF (Sans Dieu Fixe) »

. « Ce que je ne comprends pas dans l'une, j'en trouve un éclairage dans l'autre... Ainsi pour moi les traditions spirituelles forment un corpus à l'échelle de l'humanité entièrement à sa disposition! Il suffit d'être curieux »

- En réalité, cette ouverture à toutes les religions n’est pas un patchwork où chacun

puiserait les attributs qui lui conviennent le mieux, mais bien la recherche d’un

essentiel de soi qui renvoie à un essentiel commun à toutes, vers lequel il faut

tendre :

. « Le cœur de toutes »

. « Religion universelle »

. « Il n'y a qu'un seul Dieu et tant de façon de l'approcher »

. « Là où se trouve leur point comme-Un »

. « Dans une conscience unitive »

. « Les religions, je ne suis d'aucune, je suis de toutes! Pas d'intermédiaire (terrestre) entre mon âme et Dieu! Les Messages de Dieu existent. Aux authentiques chercheurs de les trouver et surtout de les mettre en pratique! La Création est le Langage du Seigneur » . « Au cœur du cœur les religions s'épousent, je les suis et les épouse »

D’où la difficulté pour certains de nommer ou définir une religion, tout en

reconnaissant à la religion une place centrale. Ce qu’exprime bien l’un des

chercheurs spirituels, en commentaire du questionnaire : « Sans nom, mais elle

est ».

28

I. II L’observance religieuse

Toute religion s’incarne dans des rites propres, s’inscrit dans des lieux dédiés,

propose des temporalités particulières.

Quand on lui demande à quelle fréquence il assiste à des offices religieux, le public

des chercheurs spirituels est partagé, à égalité : la moitié fréquente un lieu de culte

(église, synagogue, mosquée, temple, …) au moins de temps en temps au cours de

l’année. Tandis que l’autre moitié n’y met pratiquement jamais les pieds, sauf

éventuellement à l’occasion des grands évènements de la vie, personnelle ou sociale

(baptême, mariage, Bar Mitzvah, funérailles, etc.). Cette proportion de non-

pratiquants est relativement importante pour des personnes qui sont par ailleurs

particulièrement sensibles à la démarche spirituelle (et dont certains d’entre eux ont

été contactés par l’intermédiaire de lieux chrétiens, même s’ils les fréquentaient pour

des activités autres). Ils font l’économie des lieux de culte et des rites institués dans

leur recherche personnelle. Ou ils y introduisent leur rythme propre, qui ne recoupe

pas forcément celui du calendrier rituel ou cérémonial de l’ « offre religieuse ».

Plus précisément, 7 % assistent à un office quotidiennement, 14 % une fois par

semaine et 10 % au moins une ou deux fois par mois.

29

A nouveau la comparaison avec la moyenne nationale est riche d’enseignements : si

les chercheurs spirituels en sont, nous l’avons vu, assez proches en termes

d’appartenance, ils en sont très éloignés en termes d’observance1:

(cf. tableau page suivante)

Pratique religieuse Population de l’enquête

Population nationale

les Pratiquants

- plusieurs fois par semaine ou tous les jours - une fois par semaine - une ou deux fois par mois

7 %

14 % 31 % 10 %

1,5 %

5 % 11 %

4,5 %

les « Festifs » - de temps en temps, aux grandes fêtes de l’année (Noel, Pâques, Aïd, Yom Kippour, etc.)

19 % 18 %

les Non-pratiquants

- seulement dans des circonstances particulières (mariage, enterrement, etc.) - jamais

42 % 50 % 8 %

71 %

total 100 % 100 %

Les pratiquants quotidiens sont très rares en France, et les pratiquants

hebdomadaires ou mensuels minoritaires. Au total, ceux qui fréquentent un lieu de

culte au moins une fois par mois représentent aujourd’hui à peine plus de 10 % de la

population française. Contre 31 % dans notre enquête, trois fois plus. Et ceux qui n’y

mettent jamais les pieds ou presque un peu plus de 70 %, contre 50 % dans notre

échantillon.

Toutes les enquêtes de sociologie religieuse font apparaître une distance – qui a

toujours existé mais qui tend à devenir la norme – entre appartenance et

observance. Il est courant de se revendiquer d’une religion tout en n’en pratiquant

aucun rite. Appartenance culturelle et/ou sociale donc, qui n’est pas relancée ou

entretenue par une pratique cultuelle. Qu’en est-il chez ceux de nos chercheurs

spirituels qui se sont déclarés explicitement comme catholiques ?

1 Sources : moyenne des enquêtes CSA/ La Vie 2004, SOFRES/ PQN 2007, Valeurs européennes (ARVAL) 2008, IFOP/ La Croix 2010, La religion dévoilée, géographie du catholicisme (H. Lebras et J. Fourquet, Fondation Jean Jaurès 2014)

30

On retrouve le même écart, même s’il est moins marqué : la moitié sont pratiquants

(au moins une fois par mois), ce qui est considérable, mais cependant deux sur dix

n’y vont que pour les grandes fêtes, et trois sur dix n’y mettent jamais les pieds. La

distance revendiquée vis à vis de l’étiquette « catho » par certains, alors qu’ils ne la

renient pas, n’est pas une distance ontologique à la source chrétienne (ils se

recommandent de l’Evangile), mais une distance cérémonielle (ils ne sont pas

présents dans les églises), qui traduit souvent soit une divergence doctrinale, soit

une distanciation avec l’institution telle qu’elle est, soit encore une remise en cause

même d’une institution qui a « accaparé » le christianisme et le message des

origines et n’apparaît pas cohérente avec le message qu’elle annonce.

II . La « généalogie religieuse » (approche diachronique)

On connaît maintenant le positionnement religieux des chercheurs spirituels à la date

d’aujourd’hui. Mais cette photographie est insuffisante pour rendre compte de la

dynamique de leur parcours. D’où viennent-ils ? Ont-ils reçu la religion en héritage,

l’ont-ils abandonnée, l’ont-ils découverte sur le tard, en ont-ils toujours fait

l’économie, etc. ? Un certain nombre de questions de l’enquête permettent de mieux

reconstituer ces itinéraires.

Une première analyse globale, rapprochant pour chaque personne la religion de ses

parents (celle donc dans laquelle elle a été élevée) et celle qu’elle revendique - ou

non - actuellement, permet de construire une matrice des grandes circulations entre

hier et aujourd’hui :

31

Près de neuf chercheurs spirituels sur dix (88 %) ont été élevés dans une religion,

mais parmi eux un sur cinq (20,5 %) n’en ont plus aujourd’hui. Ils s’inscrivent donc,

d’un point de vue sociologique, dans une dynamique de la perte. Tandis que 12 %

ont été élevés par des parents athées ou agnostiques mais parmi eux 6 %

revendiquent une religion aujourd’hui, s’inscrivant dans une dynamique d’acquisition.

Reste qu’au total le « solde » religieux d’une génération sur l’autre est négatif.

Mais s’agit-il bien de la même religion ? Il faut ici entrer dans le détail.

Ceux qui se disent chrétiens aujourd’hui, d’où viennent-ils ?

Dans la majorité des cas, ils avaient des parents eux-mêmes chrétiens, ce qui bien

sûr est la situation de transmission religieuse la plus courante, ici comme dans la

population française. Mais on rencontre aussi des parcours plus inhabituels où la

filiation n’a pas sa part : des parcours fondés sur la découverte, de la part de

personnes qui se disent aujourd’hui chrétiennes mais dont les parents n’avaient

aucune religion (3,5 %) et quelques rares parcours fondés sur la conversion, chez

des personnes issues d’une autre origine religieuse (0,5 %).

Si nous prenons enfin en compte la totalité des chercheurs spirituels et pas

seulement ceux qui se disent chrétiens, et la totalité des déplacements, c’est à dire

les pertes et pas seulement les acquisitions, on peut tracer une sorte de cartographie

matricielle de la circulation inter et intra-religieuse. On y retrouve bien sûr nos

32

chrétiens du tableau précédent. Mais aussi d’autres mouvements particulièrement

intéressants :

- du coté de la transmission (en vert sur le graphique), une hérédité de

l’absence de religion, en d’autres termes une transmission du rien au rien

(6%).

- du coté de la découverte (en gris sur le graphique), outre celle de la religion

chrétienne, déjà vue, la découverte d’autres religions de la part de ceux qui

n’avaient hérité d’aucune (2,5 %).

- du coté de la conversion (en bleu sur le graphique), un nombre non

négligeable de personnes élevées dans le christianisme, qui se sentent

aujourd’hui appartenir à une autre religion (4,5 %). Ce transfert se fait

essentiellement au profit du bouddhisme.

- enfin si on considère la logique inverse, celle de la perte (en rose sur le

graphique), on rencontre des personnes nées dans une religion qui ne se

reconnaissent plus aujourd’hui dans aucune. Parmi elles, celles qui ont

abandonné le christianisme sont de loin les plus nombreuses (18,5 %).

On retrouve là l’effet de l’affaissement des structures familiales de la transmission

religieuse dont parle D. Hervieu-Léger 1: « L’une des caractéristiques du paysage

1 Danielle Hervieu-Léger : « Quelques paradoxes de la modernité religieuse », in Futuribles, Jv. 2001

33

religieux contemporain est que les identités religieuses ne s’héritent plus, ou de

moins en moins ». Et encore sommes nous ici dans une population particulière de

personnes qui investissent sur la sphère spirituelle. Le phénomène de perte est

sensiblement plus important dans l’ensemble de la population.

Mais pour saisir les déplacements du religieux au cours d’une vie d’homme ou de

femme, il faut aller au delà des étiquettes d’appartenance. On peut revendiquer la

même religion que celle dans laquelle on a été élevé, mais lui donner des contenus

très différents de ceux de ses parents. D’où, dans l’enquête, la présence d’une

question plus qualitative, en termes de proximité ou d’éloignement.

La situation la plus fréquente est le déplacement du centre de gravité de la

perception religieuse au cours de l’existence. L’évolution du contexte sociétal, mais

aussi le parcours personnel (rencontres, expériences), plus sans doute que les

évolutions ou les absences d’évolution des religions elles-mêmes, sont à la source

du sentiment d’avoir soi-même évolué dans ce domaine. Les plus nombreux (44 %)

se sentent assez loin ou très loin de leur religion d’origine, contre 38 % seulement

assez proches ou très proches (parmi lesquels seulement 16 % à l’identique si on

peut dire).

« vous sentez-vous proche de la religion dans laquelle vous avez été éduqué(e) ?

ensemble des chercheurs spirituels

dont : sur 100 personnes qui se

déclarent chrétiennes

- très proches

- assez proches

16 %

22 % 38 %

26 %

32 % 58 %

- assez loin

- très loin

28 %

16 % 44 %

28 %

9 % 37 %

- n’ont pas été élevés dans une religion 12 % _

n.r, n.s.p 6 % 5 %

total 100 % 100 %

Si on regarde plus précisément ce qui se passe chez ceux qui se reconnaissent

aujourd’hui comme chrétiens, et dont on a vu que la majorité étaient de parents

chrétiens, les proportions sont sensiblement différentes : ceux qui s’estiment proches

34

(57 %) sont plus nombreux que ceux qui s’estiment loin (37 %). Un certain nombre

de ceux qui se sont éloignés prennent la peine de préciser pourquoi. Quelques

exemples :

. « Par rapport à la religion dans laquelle j'ai été élevée... j'ai pris des distances, pour être plus en vérité et plus proche de l'Evangile et de ses exigences... Je n'ai pas de certitudes, seulement des espérances... Par rapport à l'Eglise, je souffre de l'étroitesse de ses dogmes et de ses préceptes...et j'ai du mal avec elle... mais je m'accroche à l'Evangile, aux Béatitudes et à ceux qui inventent des Voies nouvelles pour s'en rapprocher... et il y a plein de germes qui poussent » . « Il y a un écart important entre la religion (assurance tout risque et fait social) dans laquelle mes parents m'ont éduqué et ce que je découvre d'une dimension spirituelle ancrée dans ce qui est ma réalité où Dieu se fait présent à chacun, même discrètement »

Dernière interrogation : les stages ou les sessions de développement personnel et

spirituel jouent-ils un rôle dans ce mouvement d’éloignement ou de rapprochement

avec sa religion d’origine ?

Il n’est pas toujours facile de démêler ce qui est cause de ce qui est conséquence

dans une progression ou un cheminement intérieur. Toutefois la conscience qu’en

ont les intéressés eux-mêmes est souvent assez nette :

« diriez-vous que les stages, sessions, etc. auxquels vous avez participé…

ensemble des chercheurs spirituels

dont: sur 100 personnes qui de déclarent chrétiennes

- vous ont éloigné de votre religion d’origine 9,5 % 8 %

- n’ont rien changé à votre religion d’origine 23,5 % 20,5 %

- ont enrichi votre rapport à votre religion d’origine 53,5 % 68,5 %

- vous n’aviez pas de religion 12 % _

n.r 1,5 % 3 %

total 100 % 100 %

Seule une minorité (environ une personne sur dix) affirme que ces activités les ont

éloignées de leur religion d’origine, tandis que plus de la moitié pensent qu’elles l’ont

enrichi. Les chiffres sont encore plus nets si on considère les seuls chrétiens de

notre population : 8 % seulement disent qu’ils ont pris de la distance à la suite de ces

stages et sessions, un sur cinq (20,5 %) que cela n’a pas eu d’incidence, mais

35

surtout deux sur trois (68,5 %) affirment que ces stages, sessions ou formations de

développement personnel et spirituel auxquels ils ont participé ont enrichi leur

rapport à leur religion d’origine.

Cette dialectique éloignement/enrichissement correspond selon les personnes à des

itinéraires très variables. Certains sont progressifs, d’autres connaissent des

changements radicaux ; certains creusent toujours la même voie, d’autres circulent

entre différentes propositions philosophiques ou spirituelles parfois très éloignées les

unes des autres. Quelques chercheurs spirituels développent dans leurs réponses

de véritables narrations, au delà du questionnaire préformaté de l’enquête. Des

« récits de voyage spirituels » en quelque sorte1. Il faut en citer quelques uns :

- Les uns font le récit d’un éloignement :

. « Après une enfance et une adolescence dans le catholicisme, des drames familiaux m'ont durablement détournée de la prière. Celle-ci m'est revenue d'abord par des pratiques corporelles (eutonie, Yoga, relaxation, méditation sans objet, qi cong) puis par la fréquentation de différents groupes: bouddhiste (session chez maître Thich Nhat Han), chrétien (approfondissement biblique, jeûne) judéo-chrétien, chrétien-hindouiste (sessions et voyage en Inde à l'ashram de frère John Martin), et différentes formes de méditation, parcours Bethasda » . « Elevée dans le catholicisme, je m'en suis "débarrassée" au début de l'âge adulte, avec beaucoup d'ambivalence. Je me suis approchée un peu du bouddhisme tibétain, puis de l'orthodoxie chrétienne. J'ai pensé un moment devenir orthodoxe (notamment au cours de mes stages à Béthanie et à Sainte Croix). Mais je ne peux accepter les prises de position "morales" plus ou moins déguisées des églises chrétiennes dans leur ensemble, et je comprends peu à peu que je ne serai sans doute jamais capable d'accepter de vivre dans une religion quelle qu'elle soit. Je pense donc que je suis sensible à toute démarche spirituelle, mais définitivement rétive à toute adhésion à une église. Je vais donc mon chemin, par les stages (orthodoxes), le yoga, la méditation, l'écoute de ce qui éveille en moi un écho positif, d'où qu'il vienne »

. « Mon cheminement spirituel est passé par le développement personnel et l'occultisme qui ne prônent aucun dogme mais insistent sur le travail sur soi et s'attachent à accorder une place centrale à notre intuition (notre guide intérieur). J'ai fait de nombreux stages et thérapies sur le développement de la connaissance de soi. Je suis passée par la tarologie, méthode silva, PNL, les couleurs énergies mais inconsciemment je savais que c'était une entrée en matière très importante pour passer à une autre phase. Puis un événement professionnel m'a obligé à regarder les choses en face et à faire un travail de

1 Où l’on retrouve une figure analysée par D. Hervieu-Léger : le pélerin. Cf. D. Hervieu-Léger : La religion en mouvement : le pèlerin et le converti, Paris, Flammarion, 1999

36

libération profond. C'est à ce moment-là que j'ai entamé une réflexion profonde en me connectant à mon corps (à mes émotions) pour comprendre mes blocages et je faisais appel à une psychothérapeute (hypnose) pour me permettre de me libérer émotionnellement. C'est à ce moment-là que le chamanisme a traversé ma vie. J'ai appris à me connecter à des énergies très fortes (sans dogmes religieux) qui m'ont littéralement propulsée vers la lumière et m'ont fait sortir de mon enfermement. Par la suite, quelques années plus tard, j'ai croisé le chemin d'une personne qui m'a transmis les enseignements des Maîtres Ascensionnés. A ce moment précis, j'ai retrouvée des capacités que j'avais dans certaines vies antérieures. J'ai compris ce pourquoi je me suis réincarnée. Je me libère tous les jours, C'est une quête inachevée et surtout inachevable. L'aventure continue vers le retour à notre origine divine sur terre »

- D’autres, nettement plus nombreux, font le récit d’un retour aux sources. Nous ne

sommes pas ici dans la rupture, mais plus souvent dans la réappropriation sur

d’autres bases. Loin des craintes exprimées par l’institution catholique à l’égard de

ces activités dont le contenu lui est mal connu et dont l’organisation lui échappe.

Nous constatons d’ailleurs que l’orthodoxie religieuse n’est plus la préoccupation

première des personnes qui s’expriment ici :

. « De parents athées mais de tradition chrétienne, j'ai fait un chemin où j'ai redécouvert la religion de mes ancêtres, après m'être intéressée à l'astrologie et au yoga ! Je suis très heureuse d'être devenue chrétienne depuis 13 ans. J'ai trouvé le sens qui manquait tant à mon existence »

. « Il est difficile de faire rentrer une expérience dans des cases. Même si l’un de mes parents était de confession catholique (par tradition), je ne saurais dire qu’il avait une religion. Paradoxalement (un peu par hasard?) j’en suis venu à pratiquer la méditation Zen et je suis en relation avec un maître au Japon. C’est réellement cette pratique qui m’a rapproché de ma propre religion, qui m’a réconcilié avec elle et qui me permet maintenant de la suivre et de l'approfondir avec plus de sens, de curiosité et de sérénité » . « Après avoir été catholique dans l'enfance puis athée de l'adolescence à la trentaine, c'est la conviction personnelle de la réincarnation de l'entité spirituelle humaine et de son évolution au cours d'incarnations successives qui a été un moteur essentielle dans mon cheminement et dans le retour de mon intérêt pour la spiritualité chrétienne »

. « J'ai beaucoup "tourné" avant d'être rattrapé par le Dieu Amour pourtant paraît-il c'est celui qu'on m'avait présenté dès mon enfance. J'avais donc rien compris sans doute parce que il n'y avait aucun vrai témoin autour de moi ! De ma période de recherche je ne retiens de bénéfique que le Yoga pour la centration qu'il amène et la conscience du corps qu'il développe » . « J’ai commencé mon chemin spirituel en découvrant la spiritualité hindoue avec les nombreux maitres qui naissent dans ce pays et j'ai redécouvert le message du Christ ensuite comme une réconciliation avec mes racines et je n'oppose pas l'un à l'autre je me suis nourrie de leurs richesses respectives. Je n'appartiens ni à l'un ni à l'autre, j'essaie de rester un être libre avec sa vérité du moment en essayant de rester ouverte à ce qui vient ensuite »

37

. « Juive de fait, catholique de foi, mais sans éducation religieuse en dehors du baptême initialement: long chemin intérieur car les racines juives se sont réveillées au fur et à mesure de l'approfondissement de ma foi catholique. Mais beau chemin. Une expérience et errance du côté de l'ésotérisme et divers groupes et sectes dans ma jeunesse (heureusement pas trop long, mais très variés: mahikari, raja yoga (Bramah), châkra, cristaux, réincarnation, essences diverses, thème astral, cartes et divinations, thème angélique etc.). Pour finir avec un livre de Paolo Cœlo qui parle bcp de Marie (sur le bord de la rivière Piedra..) puis des rencontres/église, un prêtre, un accompagnement. Puis le réel désir de trouver Dieu et la conversion lors d'une retraite à Châteauneuf (foyer de charité) »

. « La rencontre avec les Lamas Tibétains m'a beaucoup apporté entre 20 et 25 ans; la rencontre avec la psychologie transpersonnelle/la psychanalyse m'a enrichi entre 28 et 40 ans ; je me suis réconcilié avec le christianisme à partir de 45/50 ans. Ce jour, je me considère comme chrétien libertaire, chrétien décomplexé, catholique dans le sens universel, citoyen du monde. Mes mots-clés : liberté, humour, détachement, responsabilité, engagement »

. « Le développement personnel m'a ouvert ou réouvert les aspirations profondes spirituelles de mon enfance dont l'éducation catholique que j'avais reçue m’avait éloigné. Je redécouvre la beauté et la quintessence profonde de la religion chrétienne avant qu'elle n'ait été dévoyée par l'homme avec son ego, sa hiérarchie... » . « Ma démarche m'a rapprochée, car je suis devenue profondément croyante (en Dieu). Ce qui n'était qu'un concept est devenu une réalité (qui se vit au quotidien). J'avais peu à peu pris des distances avec la messe et les rites car je ne croyais pas vraiment. Avec ma démarche, je me suis "rapprochée" de Dieu. Mais en même temps, je me suis éloignée de toutes les "fioritures" autour des rites. Ces rites étant de plus en plus de la "logistique" entre moi et Dieu. Donc en résumé, un rapprochement sur le "fond" (Dieu), un éloignement sur la "forme" (rite, églises, messe), trop de "bruit" entre Dieu et moi » . « Plus je me suis enrichie des autres traditions plus je les ai aimées et respectées (et ce n'est pas fini), mais plus aussi j'ai découvert ma foi en Jésus et en l'Evangile comme un véritable trésor et une chance incomparable, et pourtant j'ai de moins en moins de certitude, plutôt une conviction intérieure, mais tellement forte qu'elle me semble capable de se laisser travailler par toutes les autres convictions différentes de la mienne : quelle belle aventure ! »

Ce détour pour retrouver ses racines, enrichies de tous les apports que cette

itinérance (ou cette errance, selon les cas) ont engendrés, est particulièrement

caractéristique d’une partie de notre public.

38

. II .

LES PRATIQUES DES CHERCHEURS SPIRITUELS

39

Nous avons recruté dans notre enquête les chercheurs spirituels parmi les

personnes qui suivent des stages, des sessions, des formations dont elles

reconnaissent explicitement qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une démarche

spirituelle, ou qu’ils débouchent sur une dimension spirituelle même si ce n’en était

pas l’objectif premier. Il faut, maintenant que nous les connaissons mieux, rentrer

plus précisément dans la nature de leurs pratiques. Nous les avons donc d’abord

interrogées sur le contenu des activités suivies au cours des cinq dernières années

dans un cadre collectif. Puis nous leur avons demandé ce qu’elles faisaient à coté,

pour alimenter de manière plus permanente leur recherche intérieure.

II.1. Les stages, sessions et formations suivis

A. La nature des activités suivies.

La recherche intérieure emprunte des voies dont la nature ne se laisse pas toujours

facilement définir en termes conceptuels, ni enfermer dans des catégories étanches :

s’agit-il de démarches de développement personnel ou bien de développement

spirituel ? Au fond on peut se demander si cette distinction est bien pertinente.

Certes elle est utile pour procéder à des typologies qui facilitent les classements. Ou

pour rassurer les institutions religieuses qui apprécient modérément le mélange des

genres et le brouillage des frontières, et redoutent les terrae incognitae. Mais elle est

subvertie par la démarche même de ceux qui s’y livrent : pourquoi ramener à des

catégories exclusives ce qui relève de démarches inclusives, voire holistes. Par leur

pratique même, les gens introduisent de la porosité entre ces univers. Là où

l’analyse externe des contenus de l’ « offre » voit des polarités et des

discontinuités, l’analyse comportementale des usages met en évidence des

continuums et des interférences dont le vécu assure le lien.

La liste de toutes les activités ou de toutes les disciplines qu’il est possible de suivre

dans ces domaines est impressionnante. Il suffit pour s’en rendre compte de

feuilleter les dépliants ou les programmes proposés par les centres, et en particulier

les plus importants d’entre eux (Terre du Ciel, Forum104, Existence, Espace Jardiner

40

ses possibles, Trimurti, etc.). Nous les avons ramenés à quinze familles principales,

pour tracer une première cartographie des activités des chercheurs spirituels.

Toutes n’ont pas la même audience, loin de là. L’enquête a permis d’établir un

classement précis, à partir des sessions que les gens disent avoir suivies au cours

des cinq dernières années. :

1 . Les deux types d’activités de recherche intérieure qui arrivent en tête dans les

pratiques de notre public sont caractéristiques : les pratiques corporelles et

énergétiques d’abord (63 %), la méditation ensuite (59 %).

- Les pratiques corporelles sont aujourd’hui une porte d’entrée essentielle vers

l’intériorité et la recherche spirituelle. Des personnes qui ne se seraient pas inscrites

à une session de type explicitement spirituel peuvent s’y sentir à l’aise. Elles

ressentent le besoin d’introduire dans leur vie un équilibre corps-esprit qui les libère

pour accéder à une dimension supérieure.

Les disciplines pratiquées sont multiples : magnétisme, aikido, arts martiaux, reiki,

yoga, relaxation, énergiologie, respiration, Qi Gong, Taï Chi, massages…

41

Il faut replacer cette démarche dans son contexte historique. Elle fait doublement

rupture, avec une certaine tradition chrétienne d’une part, avec l’héritage des

Lumières d’autre part.

C’est un renversement par rapport à la tradition chrétienne occidentale pour laquelle

la vie humaine est envisagée comme retour à Dieu : le corps y a été le plus souvent

vu comme une contrainte dont il faut se libérer pour permettre à l’âme de s’élever.

Ou au mieux qu’il faut mettre entre parenthèses. Seul le mouvement de l’âme est

positif et qualifiant ; la réalité de l’être humain repose sur la valeur essentielle de

l’âme, le corps revêt un caractère inessentiel1. De la même manière l’idée que les

pratiques corporelles sont une voie d’accès à la connaissance personnelle, voire à la

connaissance tout court, n’est en rien le prolongement de la philosophie des

Lumières (et encore moins, avant elle, de la philosophie cartésienne).

Un autre type de sessions également très lié au corps doit être cité ici: les médecines

alternatives (32 %). On peut citer parmi elles les médecines traditionnelles et

énergétiques (chinoise, ayurvédique, acupuncture, etc.), l’homéopathie, la

phytothérapie, la naturothérapie, l’olfactothérapie. Mais aussi le décodage biologique

des maladies, l’ostéopathie, le drainage lymphatique… Elles se placent dans une

perspective explicitement thérapeutique, à la différence des premières. Elles sont

suivies par un tiers de notre public.

- La méditation ensuite occupe elle aussi une place très importante. Elle est classée

en second dans la liste des activités suivies dans un cadre collectif (59 %), et on

verra plus loin qu’elle est également très pratiquée dans un cadre privé.

La méditation met elle aussi en jeu le corps, mais ouvre sur un ailleurs de l’esprit,

nommé comme tel. On trouve aussi bien des pratiques de méditation orientale, de

méditation chrétienne, que de pleine conscience, etc.

- En troisième position on trouve les pratiques artistiques (47 %). Elles sont de

nature très diverse. Toutes les grandes catégories d’activité y sont représentées : la

musique, la danse, les arts plastiques. Il faut rentrer dans le détail des réponses

ouvertes pour mieux saisir leur portée spirituelle et les transformations personnelles

qu’elles impliquent. Citons en quelques une : arthérapie, biodanza, chant méditatif,

1 Cf. Michel Lacroix : Se réaliser, petite philosophie de l’épanouissement personnel. Robert Laffont 2009

42

chant de mantras, son et vibration du son, danse sacrée, peinture d’icones,

calligraphie, groupes d’écriture, musicothérapie, théâtre impro et de clown, écriture

de poèmes, les contes, etc.

- Autre ensemble d’activités bien placées dans le classement : celles qui consistent à

s’occuper de soi, en particulier de son harmonie corps-esprit et de son équilibre

psychologique. A l’intersection du psychologique et du spirituel, on pourrait les

qualifier du mot-valise de « psyrituel ».

Le développement personnel, et toutes les techniques qui y sont liées (sophrologie,

communication non violente, communication non verbale, constellations familiales,

Feldenkreis, P.N.L, énnéagramme, Vittoz, le clown, Gestalt, la bio-énergie, les

cercles d’hommes, l’équithérapie, les constellations familiales, PRH, l’imago, le

magnétisme, l’art-thérapie, la psychogénéalogie, etc.), atteint le score de 40 %.

Quant à la psychanalyse, aux psychothérapies et aux nombreuses autres démarches

de ce type pratiquées dans le cadre collectif de sessions ou de stages (arthérapie,

aurothérapie, hypnose ou autohypnose, psychogénéalogie, rebirth, rêve éveillé,

EMDR, etc.), elles apparaissent à un niveau presque aussi élevé (36 %)1.

- La participation à des stages, sessions ou formations liés explicitement à des

spiritualités nommées et reconnues se situe à des niveaux très différents selon les

religions ou les traditions concernées. On peut distinguer en fait quatre registres :

. Les activités liées à la spiritualité chrétienne arrivent très haut, à la quatrième

position du classement (46 %) : exercices spirituels, retraites, prière, lecture des

Écritures, etc. Ce score n’est pas surprenant. Nos chercheurs creusent leur

chemin spirituel dans le contexte d’une familiarité qui leur est donnée par la

société dans laquelle ils se situent, de culture chrétienne. Ou dans le

prolongement du chemin qu’ils ont déjà parcouru : rappelons que cette

population se reconnaît elle-même en majorité comme chrétienne. Même si ce

tropisme n’est pas un déterminisme : nombre de chrétiens ne suivent pas de

sessions liées à la spiritualité chrétienne. Et inversement : un croisement plus

précis des réponses selon l’appartenance religieuse fait apparaître qu’une

1 Sans compter le suivi de thérapies individuelles, qui sont sans doute nombreuses également dans ce public.

43

personne sur six parmi celles qui ont suivi ces sessions de spiritualité chrétienne

ne sont pas elles mêmes chrétiennes.

. L’explication par la prégnance du contexte sociétal et de l’origine personnelle

ne vaut de toutes façons pas pour rendre compte de la place très importante de

la spiritualité bouddhiste : 30 % des personnes interrogées ont suivi une session

ou une formation liées au bouddhisme au cours des cinq dernières années, alors

qu’une minorité seulement d’entre elles se reconnaissent elles-mêmes comme

bouddhistes. L’attrait particulier de cette spiritualité tient d’une part à son

approche holiste corps-âme-esprit qui rencontre la forte aspiration à l’unité qui

s’exprime dans notre public, et d’autre part à l’absence de doctrine ou

d’encadrement institutionnalisé, qui rencontre le refus de l’enfermement dans

une église ou un dogme. Même si la pratique occidentale du bouddhisme fait le

plus souvent non seulement l’économie de la rigueur des disciplines mais aussi

de l’ensemble des pratiques qu’elle devrait suivre pour avancer sur la voie de la

sagesse.

. Troisième niveau : les scores du chamanisme et celui de la spiritualité hindoue

tournent chacun autour de 15 à 20 %. L’écart est donc du simple au double entre

hindouisme et bouddhisme. Plus surprenante est la place du chamanisme.

L’intérêt pour cette forme singulière de rapport spirituel au monde et à la vie, très

loin des traditions occidentales et de la modernité technique dominante, est

relativement récent, comme l’atteste la multiplication des offres dans ce domaine

(stages, etc.). Abondance pratique qui contraste d’ailleurs avec la rareté de

l’approche théorique (il existe peu de livres sur le sujet, à la différence de tous

les autres grands courants spirituels évoqués ici). Comment expliquer cet

engouement ? L’anthropologue Bertrand Hell répond : « Dans la possession et le

chamanisme prévaut… une conception totale de l’homme, où il n’est pas qu’un

intellect, il a aussi un corps, des émotions puissantes… Le chamanisme est

peut-être la seule ‘vraie’ religion entendue comme sens du sacré synonyme de

transport, d’enthousiasme… Les lieux de culte officiels se vident, et là où le

sacré sauvage permet une communion des consciences, une effervescence, on

s’aperçoit que les gens affluent ».1

1 Bertrand Hell : De la modernité du « sacré sauvage », in Sciences Humaines hors-série n°41, juin-juillet-août 2003, p.66.

44

. Enfin tout à fait en fin de classement on trouve le suivi d’activités liées à trois

spiritualités peu représentées ici (autour de 5 % chacune): la spiritualité taoïste,

qui touche peu de monde dans notre public à la différence des deux autres

spiritualités venues d’Asie, bouddhisme et hindouisme. La spiritualité juive, qui

correspond à une religion certes minoritaire en France, mais dont l’intérêt aurait

pu porter bien au-delà si on considère qu’elle est la matrice de la spiritualité

chrétienne (cf. les sessions sur la Bible, sa lecture et son interprétation). Et la

spiritualité musulmane, qui se trouve un peu dans la situation inverse de celle du

bouddhisme : beaucoup plus répandue en France, mais générant une offre

réduite de la part des centres qui proposent des sessions de développement

personnel et spirituel. Sans doute faut-il voir là l’effet de la nature même de cette

tradition religieuse qui accorde peu de place aux exercices corporels (hors la

spiritualité soufie) et est réticente à la réinterprétation des textes sacrés.

Quelques personnes ont aussi cité le tantrisme, le baha’isme, la non dualité, la

« pratique de la présence divine », qui ne figuraient pas dans l’énumération

proposée.

- Dernier type de démarche proposée aux chercheurs spirituels, un peu inclassable

mais non négligeable: l’ésotérisme, les arts divinatoires, l’astrologie, etc. Elle arrive

tout à fait en fin de classement : 14 % de notre public a déjà suivi une activité de ce

type, soit environ une personne sur sept. La dimension ésotérique de beaucoup des

démarches spirituelles nouvelles, que relevait Françoise Champion1 à la fin des

années 80, au point de baptiser ces quêtes d’une expression qui a beaucoup été

reprise depuis : « la nébuleuse mystique-ésotérique», est donc ici à relativiser.

D’autant que cette dimension a également été peu mentionnée spontanément dans

toutes les questions ouvertes qui permettaient aux personnes enquêtées d’évoquer

ou de préciser des points qui leur tenaient à cœur. Et qu’assez peu d’ouvrages et de

revues consacrées au paranormal ou à l’ésotérisme ont été cités dans la liste,

pourtant considérable, des lectures de notre public (cf. plus loin).

La faiblesse relative de ce chiffre, par rapport à ce qu’on pouvait attendre, est à

rapprocher de la position générale que les chercheurs spirituels expriment face à une

1 F. Champion : La nébuleuse mystique-ésotérique. in F. Champion et D. Hervieu-Léger (Eds.) : De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions. Le Centurion, 1990

45

dimension particulière des croyances ésotériques : l’astrologie. Ce point a été abordé

explicitement dans une autre question de l’enquête :

Accordez-vous du crédit à l’astrologie ?

- beaucoup 13 %

- un peu 40,5 %

- pas vraiment

- pas du tout

25,5 %

21 % 46,5

total 100%

En fait seule une minorité (13 %) est pleinement convaincue du bien-fondé de

l’approche astrologique, qu’elle se rapporte à la prédiction des événements, à la

description des caractères ou à la connaissance de soi. La réponse la plus répandue

(40 %) est une distance non dénuée d’intérêt, qu’on pourrait qualifier de « doute

positif ». Les autres, c’est à dire un peu moins de la moitié des personnes

interrogées (46,5 %), ont une opinion négative. Ces réponses mettent à mal une

affirmation répandue qui voit dans les chercheurs spirituels qui empruntent des

chemins de traverse des personnes sensibles voire soumises à des conceptions qui

relèvent d’une mentalité pré-scientifique, comme on dit péjorativement. Même si les

réponses de la population de l’enquête sont moins réservées vis à vis de l’astrologie

que celles de la moyenne nationale1.

La différenciation des publics

Toutes les formes de quête personnelle ou spirituelle ne touchent pas le même

public. De même, on l’a vu, qu’il existe un profil général des chercheurs spirituels, il

existe aussi un profil particulier du public de chaque activité, ou en tout cas des

inflexions significatives.

Reprenons les deux critères qui se sont révélés les plus discriminants : le sexe et

l’âge. 1 Cf. enquête CSA/ La Vie 2004 : croient tout à fait à l’astrologie: 8 %, un peu : 29 %, n’y croient pas : 63 %

46

Dans tous les types de stages ou sessions, on le sait, les femmes sont les plus

nombreuses. Mais à y regarder de plus près on s’aperçoit que cette prééminence est

variable selon les cas :

Comme on pouvait s’y attendre, les femmes dominent très largement (autour de

80%) dans toutes les activités qui ont trait au corps (pratiques corporelles et

énergétiques, médecines alternatives), au travail psychologique et aux pratiques

artistiques. Le développement personnel et la méditation sont moins clivants. Mais

surtout, contrairement aux idées reçues, c’est dans les démarches de type

explicitement spirituel que les hommes sont les plus nombreux (en valeur relative

toujours, autrement dit : les moins minoritaires). C’est particulièrement vrai pour les

spiritualités non-chrétiennes (bouddhiste, hindouiste, musulmane ou soufie, taoïste)

où ils passent le seuil de 30 %.

47

L’âge introduit également des variations significatives dans le public des différentes

activités de développement personnel et spirituel. Sans que la pyramide générale

s’en trouve renversée, on constate des phénomènes intéressants :

Du coté des plus âgés (65 ans et plus), le tropisme est très net avec toutes les

démarches explicitement spirituelles, quelle qu’en soit la tradition de référence, mais

plus particulièrement encore pour les traditions juive et chrétienne. A l’opposé, ils

sont plus réticents pour ce qui relève du chamanisme ou de l’ésotérisme, des arts

divinatoires ou de l’astrologie, dont le caractère passablement énigmatique peut les

inquiéter. De même pour les médecines alternatives vis à vis desquelles ils sont plus

réservés. Alors que les pratiques énergétiques et corporelles entrainent moins de

réserves de leur part. Enfin ils sont réticents vis à vis de ce qui relève explicitement

de la psychologie (psychanalyse, psychothérapie). Et l’univers du développement

personnel ne leur est pas trop familier.

A l’autre extrême, du coté des plus jeunes (moins de 35 ans) peu de variations à

observer : ils sont minoritaires partout, dans des proportions à peu près identiques.

En revanche cela bouge chez les « adultes d’âge moyen » (les 35-49 ans), qui

présentent une structure en chiasme par rapport aux plus âgés : les réticences et les

adhésions y sont à l’inverse : c’est le chamanisme, les activités liées à l’ésotérisme,

48

aux arts divinatoires ou à l’astrologie, et les approches psychologiques qui les attirent

le plus en valeur relative. Et à un moindre titre les médecines alternatives et le

développement personnel. Tandis que les différentes formes de spiritualité, qu’elles

soient proches de notre culture (chrétienne, juive) ou éloignées (bouddhiste,

hindouiste, taoïste) les attirent moins.

Enfin il existe une activité dans laquelle toutes les générations sont, non pas à

égalité en valeur absolue puisqu’au départ elles sont inégalement présentes, mais

représentées en valeur relative à peu près au prorata de leur poids dans la pyramide

des âges de l’ensemble du public des chercheurs spirituels: la méditation.

B. La circulation entre les « offres » de développement personnel et spirituel.

Les chercheurs spirituels que nous avons rencontrés dans cette enquête se

caractérisent par deux choses essentielles : leur ouverture d’une part, leur

persévérance d’autre part. Ou pour dire les choses de manière plus familière, mais

aussi plus précise : ils sont à la fois « multicartes » et « multirécidivistes ».

1. Multicartes : la mobilité

Leur quête passe par une variété d’expériences de nature différente. S’ils

poursuivent toujours le même objectif - la progression sur leur chemin intérieur -, ils

empruntent pour cela plusieurs voies, simultanément ou consécutivement, plutôt

qu’ils ne creusent toujours le même sillon.

On a bien vu à la lecture des scores des différentes démarches poursuivies que leur

somme est très supérieure à 100 %. Pour aller plus loin, nous avons comptabilisé

plus précisément le nombre de types d’approches différentes essayées ou

poursuivies par chacun parmi la quinzaine de familles d’activités et de traditions

spirituelles proposées dans l’enquête.

Nombre de types d’approches différentes suivies par la même personne - 1 ou 2 (dont une seule)

24 % (8 %)

- 3 ou 4 36 %

- 5 et plus 40 %

total 100 %

49

Les personnes qui n’ont pratiqué qu’une seule discipline ou persévéré dans une

seule voie au cours de ces cinq dernières années sont minoritaires : un peu moins

de 10 %. Plus globalement on peut distinguer en fait trois grands groupes : ceux qui

n’ont suivi qu’1 ou 2 types de démarches (24 %), ceux qui en ont suivi trois ou quatre

(36 %) et ceux, les plus nombreux, qui en ont accumulé cinq ou plus (40 %).

A ce premier indice de mobilité, construit à partir de la multiplication des expériences

de type différent, on peut en ajouter un second d’une autre nature mais qui va dans

le même sens : celui de la curiosité et de l’ouverture spirituelle. Si on croise

l’appartenance religieuse de chacun par le suivi de sessions qui relèvent d’une autre

tradition spirituelle que la leur, on découvre de nombreuses passerelles.

Pour prendre les deux populations les plus caractéristiques, les chrétiens et ceux qui

refusent toute référence confessionnelle :

- L’ouverture spirituelle des chrétiens (qu’ils s’affirment explicitement catholiques ou

qu’ils se disent chrétiens sans affiliation particulière) va chez un certain nombre

d’entre eux jusqu’à l’inscription à des stages ou des formations concernant des

spiritualités différentes : le bouddhisme arrive en tête (23 %, soit près d’un chrétien

sur quatre), tandis que chamanisme et hindouisme touchent chacun un peu plus d’un

chrétien sur dix. En revanche la spiritualité juive, matrice du christianisme, ne touche

« que » (si l’on peut dire) 6 % d’entre eux. Nous retrouverons l’esprit de cette

démarche d’ouverture à d’autres moments de cette enquête. Déjà on peut se

demander si ce n’est pas justement parce qu’ils sont de quelque part qu’ils éprouvent

le désir non pas de renoncer à leur filiation spirituelle ou de la dissoudre dans

d’autres, mais de l’ouvrir et de l’enrichir, de l’approfondir par l’extérieur.

Ont suivi des stages, sessions ou formations de …

Sur 100 personnes se déclarant chrétiennes

Sur 100 personnes se déclarant sans aucune religion

- spiritualité bouddhiste 23 % - spiritualité bouddhiste 34 % - chamanisme 13 % - chamanisme 29 % - spiritualité hindoue 12 % - spiritualité hindoue 20 % - spiritualité chrétienne 15 % - spiritualité juive 6 % - spiritualité juive 6 % - spiritualité musulmane 5 % - spiritualité musulmane 5% - spiritualité taoïste 4,5 % - spiritualité taoïste 3 %

50

- Si on regarde maintenant à l’autre extrémité du spectre de l’appartenance

religieuse, on découvre que la curiosité spirituelle des personnes qui affirment n’avoir

aucune religion est considérable. Il ne s’agit pas ici d’une simple curiosité

intellectuelle mais bien d’une démarche investie puisqu’elle suppose le suivi de

sessions thématiques de plusieurs jours. Au premier rang on trouve le bouddhisme,

comme on pouvait s’y attendre, avec un score très important (34 %). Mais le

chamanisme est aussi placé très haut. Et l’attrait pour le christianisme n’est pas

négligeable dans cette population qui affirme s’en être détachée ou n’y avoir jamais

appartenu : 15 % d’entre eux ont suivi des sessions de spiritualité chrétienne. La

quête spirituelle est une histoire qui ne se finit jamais, même si on pense en avoir

fermé certaines portes.

2. Multirécidiviste : la répétition

Considérons maintenant non plus la nature des stages, sessions ou formations de

développement personnel et spirituel suivis mais leur fréquence. Quel qu’en soit

l’objet, que ce soit toujours le même ou qu’il change à chaque fois, on découvre que

beaucoup de chercheurs spirituels accumulent les expériences :

Au total, tous genres confondus, à combien environ de stages, sessions ou formations avez-vous participé au cours de ces 10 dernières années ?

- une 2 %

- deux 3 % 5 %

- trois ou quatre 12,5 %

17,5 %

- cinq à dix 28,5 %

- onze et plus 49,5 %

- ne sait plus 4,5%

total 100 %

Les petits utilisateurs, ceux qui au cours des dix dernières années n’ont suivi qu’une

ou deux sessions (5 %) ou trois ou quatre (12,5 %) représentent au total moins de

51

20% de notre population. Les moyens utilisateurs, qui en ont suivi de cinq à dix,

approchent les 30 %. Quant aux gros utilisateurs, qui en ont suivi onze et plus, soit

au moins une par an (auxquels il faut sans doute ajouter une partie de ceux qui ne se

souviennent plus du nombre, du fait de leur quantité) ils représentent la moitié de

notre public.

Il est dans la nature des autres besoins de l’homme de s’apaiser, voire de s’épuiser,

quand ils sont satisfaits. Au contraire le besoin spirituel, comme le besoin culturel,

croît au fur et à mesure de sa satisfaction.

Une chose est la fréquence, une autre la régularité. Pour certaines personnes, la

décision de suivre une session de recherche personnelle ou spirituelle se fait au gré

des circonstances, au point de rencontre fortuit ou non d’un désir et d’une offre. Pour

d’autres il s’agit bien d’un véritable rendez-vous dans l’existence, d’une habitude

régulière, quel que soit le tempo de cette régularité. Les deux démarches arrivent

presque à égalité.

Y participez-vous à intervalles réguliers ou cela dépend-il des circonstances ?

- régulièrement 43,5 %

- cela dépend des circonstances 49,5 %

n’a suivi qu’une session + NSP 7 %

total 100 %

La conjonction d’une répétition et d’une régularité peut être interprétée de plusieurs

manières, qui d’ailleurs ne s’excluent pas. Il peut s’agir d’une pratique addictive,

quand on a commencé on ne peut plus s’en passer; d’une pratique progressive, on

avance sur un chemin, chaque étape appelle la suivante; ou d’une ascèse, pour qui

s’oblige à une discipline de vie avec une régularité fixe.

C. L’information

Dernière précision de l’enquête : comment les gens ont-ils eu connaissance des

activités auxquelles ils se sont inscrits ?

Les canaux empruntés par l’information sur l’offre, dans l’univers des propositions de

développement personnel et spirituel, sont très caractéristiques.

52

Le premier est tout simplement l’expérience antérieure : on choisit ce qu’on connaît

pour l’avoir déjà suivi, et/ou parce qu’on connaît celui qui l’anime et qu’on lui fait

confiance. Cette dimension de confiance est très importante dans un domaine où on

peut trouver à la fois le bon grain et l’ivraie.

L’autre manière la plus fréquente de découvrir une offre et de sécuriser ses choix est

liée à la relation interpersonnelle : c’est parce que quelqu’un de proche et à qui on

fait confiance vous en a parlé que vous sautez le pas.

L’essentiel de la mise en contact avec une proposition de session, de stage ou de

formation repose donc soit sur la connaissance antérieure, soit sur le contact direct

et personnel. Contact d’autant plus indispensable que les enjeux sont profonds et les

investissements affectifs importants. Le poids statistique de l’interconnaissance est

encore renforcé si on prend en considération qu’une grande partie des réponses

« autre » citent spontanément comme canal d’information des associations, des

communautés ou des groupes auxquels les gens appartiennent ou participent. C’est

à dire là aussi une logique de réseaux, qui joue dans cet univers un rôle de

légitimation important.

Les moyens d’information produits directement par les centres arrivent loin derrière :

ce sont essentiellement les supports classiques des dépliants et programmes

diffusés par les centres organisateurs, et le support nouveau que constitue internet

(autour de 12 à 15 % chacun).

Quant aux canaux médiatiques classiques, ils sont très marginaux : presse, affiches,

radio et télévision, aucun ne dépasse les 3%.

53

II.2. Les pratiques d’intériorité et de recherche spirituelle

Nous venons d’analyser les différentes formes de pratiques liées à des sessions,

stages ou formations. Mais il est clair que les démarches des chercheurs spirituels

ne se limitent pas à ces temps forts. Nous les avons donc aussi interrogés sur ce

qu’ils faisaient à coté, pour alimenter leur recherche de manière plus permanente. En

distinguant les approches individuelles (prière, méditation), les approches inter-

personnelles (accompagnement par un maître spirituel, participation à des groupes)

et les approches intellectuelles (lecture de textes fondateurs et lecture de livres ou

articles d’ordre spirituel).

A . Les approches individuelles

- La méditation est une pratique très largement répandue dans notre public :

Vous arrive-t-il de pratiquer une forme de méditation ?

- tous les jours

- une ou plusieurs fois par semaine

34 %

71 % 37 %

- une ou plusieurs fois par mois 16 %

- rarement, seulement dans des circonstances particulières 11 %

- jamais 2 %

total 100 %

Pour beaucoup c’est même plus qu’une pratique : une discipline de vie, un rendez-

vous avec soi-même qui s’inscrit dans la régularité et la répétition. La méditation est

sans doute la pratique la plus partagée des chercheurs spirituels tels que nous les

avons définis. La méditation arrivait déjà en seconde position des activités pratiquées

dans les stages ou les sessions. Mais elle est loin de se limiter à la pratique

collective et touche bien au-delà, d’autres personnes, et d’autres moments : environ

une personne sur trois (34 %) s’y livre tous les jours, c’est devenu pour elles un

quasi rituel, et une autre personne sur trois (37 %) une ou plusieurs fois par semaine,

soit au total 71 %. Un certain nombre sont moins assidus, mais pratiquent la

méditation de temps en temps. Seuls 13 % ne méditent que très rarement ou jamais.

54

Il peut s’agir de la méditation dite « de la pleine conscience », technique qui se

développe d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus hors de la sphère spirituelle, réduite

à de simples exercices. Mais ici on rencontre plus souvent une - ou plutôt des -

méditations dans la continuité de celles qu’ont connues toutes les grandes traditions

spirituelles et pas seulement orientales, même si les pratiques qui viennent d’Orient

sont majoritaires. Elles visent à une transformation de l’homme, doivent lui permettre

d’accéder à plus haut, à plus grand : Dieu, dans les monothéismes, la libération chez

les bouddhistes, une meilleure vie ou un meilleur soi-même chez les épicuriens ou

chez les stoïciens.

- Les résultats de la prière sont relativement importants mais restent cependant

moins élevés que ceux de la méditation. Pourtant la prière appartient à la tradition

chrétienne dominante de notre culture, tandis que la méditation, même si elle n’est

pas absente du christianisme, emprunte plutôt à des religions extérieures à la sphère

occidentale.

Vous arrive-t-il de prier ?

- tous les jours

- une ou plusieurs fois par semaine

37 %

60 % 23 %

- une ou plusieurs fois par mois 10 %

- rarement, seulement dans des circonstances particulières 18 %

- jamais 12 %

total 100 %

Le nombre des priants quotidiens est légèrement supérieur à celui des méditants

(37% contre 34 %), mais les priants hebdomadaires sont sensiblement moins

nombreux (23 % contre 37 % chez les méditants). Ce qui fait quand même au total

60 % des chercheurs spirituels qui prient fréquemment. Significative aussi est la

proportion non négligeable (18 %) de ceux qui prient seulement dans des

circonstances particulières (liées à un événement ou à une occasion précise).

On dispose pour la prière de points de comparaison avec la moyenne nationale1 : la

prière au moins hebdomadaire ne concerne que 22 % des français (soit près de trois

1 Source : enquête Valeurs européennes ARVAL/CNRS 2008

55

fois moins que dans notre public). A l’autre extrême, plus d’un français sur deux

(54%) affirme ne jamais prier, alors qu’on n’en trouve que 12% chez les chercheurs

spirituels.

Prière et méditation entretiennent évidemment des rapports étroits. Certes leur objet

est différent : la prière est une relation à quelqu’un, elle suppose un interlocuteur

(intercesseur, Dieu, …) vers lequel on se tourne et à qui on s’adresse. La méditation

n’implique pas un interlocuteur, elle consiste à se mettre en état de disponibilité à ce

qui se passe ou à ce qui passe, ou à soi-même. En pratique elles sont souvent

associées par ceux-là mêmes qui s’y livrent. Un croisement des réponses de

l’enquête le montre clairement :

PRIERE

Fréquente (au moins une fois par semaine)

Episodique (au moins une fois par mois)

Rarement ou jamais

Fréquente (au moins une fois par semaine)

48 % 4 % total 23 % 19 %

Episodique (au moins une fois par mois)

DIT

ATI

ON

Rarement ou jamais

7 %

total 12 %

5 %

4 % 5 %

total 17 %

2 % 6 %

Les plus nombreux (48 %, près d’un sur deux) associent régulièrement l’une et

l’autre. Simultanément ou consécutivement : la méditation peut être une préparation

à la prière, ou elle peut même être considérée par certains comme une forme de

prière. Mais il existe aussi des personnes qui privilégient explicitement l’une sur

l’autre : 12 % pour la prière (dont 5 % de manière exclusive) et 23 % pour la

méditation (dont 19 % de manière exclusive). Enfin on trouve dans notre public de

chercheurs spirituels des gens qui ne pratiquent qu’épisodiquement ou jamais ni la

prière ni la méditation : 17 %, dont 6 % y sont totalement étrangers. Soit au total

83%, plus de huit chercheurs spirituels sur dix, qui font l’un et/ou l’autre. Là aussi,

nous sommes loin de la moyenne nationale : même en prenant une définition très

large (« vous arrive-il de prendre un moment pour prier, pour méditer, pour la

56

contemplation ou quelque chose comme cela ? »)1, on ne compte que 42 % des

français seulement qui se donnent parfois un temps de disponibilité personnelle, qu’il

débouche ou non sur une dimension spirituelle.

Dernière interrogation : comment se situent ceux qui se déclarent explicitement

chrétiens par rapport à ces deux formes de pratiques dont l‘une est au cœur de leur

tradition et l’autre plus périphérique ?

sur 100 chrétiens

sur 100 non-

chrétiens

méditent

- tous les jours - une ou plusieurs fois par semaine - une ou plusieurs fois par mois - rarement, seulement dans des circonstances particulières - jamais

33 % 36 % 16 % 13 % 2 %

36 % 39 % 15 % 9 % 1 %

prient

- tous les jours - une ou plusieurs fois par semaine - une ou plusieurs fois par mois - rarement, seulement dans des circonstances particulières - jamais

46 % 25 % 10 % 15 % 4 %

24 % 19 % 9 %

25 % 23 %

Pour simplifier, on pourrait dire que les chrétiens méditent autant - et non pas moins -

que les autres. Ils ont ajouté ou associé une pratique de la méditation à leur pratique

de la prière, ou ils ont fait évoluer le sens de cette dernière. Mais ils prient

sensiblement plus (ou si l’on préfère, les non-chrétiens prient sensiblement moins).

Cette différence provient essentiellement de la prière régulière, qui se situe 20 points

au dessus de celle des non-chrétiens.

B. Les approches interpersonnelles

La progression sur son chemin intérieur s’alimente aussi à des rencontres. Celles-ci

peuvent être essentiellement de deux natures : d’ordre relationnel ou d’ordre collectif.

1 Source : enquête ARVAL, op. cit.

57

Etes-vous accompagné dans votre vie intérieure par un Maître ou un Guide ?

Oui 37 %

Non 63 %

Participez-vous pendant l’année à un groupe suivi de lecture ou d’échanges spirituels ou de prière ?

Oui 47 %

Non 53 %

- L’accompagnement par un maître spirituel ou un guide n’est pas une pratique

majoritaire dans la population des chercheurs spirituels, contrairement à ce que

certains s’imaginent (ou redoutent, pour ceux qui confondent guide et gourou). Elle

ne concerne qu’un peu plus d’un chercheur de sens sur trois (37 %). Ce chiffre est

quand même considérable, quand on pense à l’engagement personnel et à la

confiance qu’il suppose. Le terme d’accompagnement s’inscrit à la fois dans la

tradition chrétienne (le « directeur de conscience » ou le « père spirituel ») et dans la

tradition orientale, avec des contenus bien sûr très différents, tandis que le terme de

Maître ne renvoie qu’à cette dernière. Les mots « maître » et « guide » sont par

ailleurs employés avec précaution par certains qui, tout en les utilisant, attirent

l’attention sur le fait que ce rôle exclut à leurs yeux toute dépendance ou toute

sujétion1, ou se place dans une relation horizontale et non verticale. Le maître ou le

guide idéal est celui qui a développé un équilibre personnel qui lui procure une force

intérieure inégalée. Ce n’est pas l’intellectuel ou le conquérant, mais celui qui se

révèle capable d’aider autrui à réaliser sa propre transformation.

Les deux références de l’accompagnement les plus souvent invoquées sont, à

égalité, le christianisme et le bouddhisme. Dans le contexte chrétien,

l’accompagnement spirituel ignatien occupe une place importante. Dans le contexte

bouddhiste, on trouve aussi bien des rattachements theravada, vajrayana et zen.

1 On verra plus loin, dans le chapitre consacré aux difficultés et aux dangers éventuels de la démarche spirituelle, comment certains expriment leur réticence ou leur méfiance vis à vis de dérives possibles.

58

L’hindouisme, pourtant concerné théoriquement au premier chef compte tenu de la

place qu’y occupe le maître ou gourou, arrive plus en retrait.

Enfin certains, sous la dénomination de maître ou de guide, évoquent aussi leur

enseignant de yoga ou leur psychothérapeute, lui conférant là un statut qui excède le

simple suivi.

L’enquête fait aussi apparaître un phénomène inattendu : généralement, quand on

invoque un guide ou un maître spirituel, on pense spontanément à une seule

personne, et surtout à une seule tradition spirituelle. Or la pratique d’un certain

nombre de chercheurs spirituels met à mal cette représentation classique. On en

trouve parmi eux qui non seulement ont plusieurs maîtres simultanément, mais

parfois des maîtres qui puisent à des sources très différentes.

L’association la plus fréquemment citée est celle d’un guide chrétien et d’un maître

bouddhiste. Plus rarement d’un chrétien et d’un hindouiste. On trouve aussi quelques

mentions d’un guide chrétien avec un maître taoïste ou soufi. Parmi les associations

de deux traditions non-chrétiennes entre elles, il faut noter hébraïque et alchimiste,

bouddhiste et chamanisme, bouddhisme et psychologie jungienne, hébraïque et

bouddhiste, etc.

- Un nombre important des personnes interrogées participent aussi pendant l’année

à un groupe suivi, qu’il soit de lecture, d’échanges spirituels ou de prière. C’est le

cas de 47 % d’entre elles.

Les formes que prend cette socialisation de la recherche spirituelle sont d’une

grande variété. A défaut de pouvoir citer précisément tous les groupes différents

évoqués par les personnes concernées dans la question ouverte qui suivait

(plusieurs centaines…), on peut les regrouper par types :

Les plus nombreux (environ un tiers) sont des groupes chrétiens, eux-mêmes très

variés : partage autour de la Bible, groupes liés à des courants ou à des figures

spirituelles (CVX, Xavières, Marcel Légaut, exercices de St Ignace, Maurice Zundel,

Carmes, ...), groupes liés à des lieux (tel ou tel monastère, paroisse, foyer de

charité,...), groupes de prière (lectio divina, prière du cœur, contemplation …),

groupes liés à un engagement ou une mission (Mouvement des cadres chrétiens,

Aumônerie en prison, Action catholique indépendante ou ouvrière, catéchuménat,

Jean Vanier, préparation au mariage ...), groupes liés à un chemin de connaissance

59

de soi sur le plan humain et spirituel (Simone Pacot, la voie christique, Agapé,

discernement spirituel...).

Derrière viennent les groupes liés au bouddhisme (groupes de méditation, de

partage, d'enseignements).

Un certain nombre de personnes sont également engagées dans des groupes

œuvrant pour la rencontre entre les religions et les cultures, comme les "Voies de

l'Orient", "Prière pour la paix", des "groupes interreligieux ou oecuméniques", "les

amitiés chrétiens-musulmans", "artisans de paix"...

D'autres groupes se retrouvent autour de la spiritualité hindoue pour des pratiques

(méditation, yoga), ou autour d'un maître (ashram de Gretz, Sri Tathata, swami

Muktananda, Krishnamurti...).

Quelques personnes, peu nombreuses, évoquent des groupes liés à des spiritualités

peu connues, ou ésotériques (groupe de recherche intérieure, prophétie des Andes,

alchimie, Mouvement spirituel de Castalie, canalisations, théosophie, etc.).

Enfin un certain nombre de groupes se réunissent pour partager sur un plan humain

(groupe de philosophie, cercle de paroles d'hommes, groupe de supervision, groupes

de pratique, couples...), mais ceux qui y participent ont tenu à les citer ici car ils leur

attribuent une portée spirituelle qui prend place dans leur cheminement personnel,

même si ce n’est pas leur objet explicite.

C. Les approches intellectuelles.

La recherche de sens passe aussi par une autre forme de rencontre. Non pas de

manière directe avec des personnes, mais de manière médiatisée avec des écrits (et

souvent derrière eux des auteurs ou des « maîtres de papier »).

Ces lectures peuvent être de deux types : des grands textes fondateurs, ou des

livres et articles d’ordre spirituel.

- La lecture des textes fondateurs et fondamentaux (Bible, Coran, Soutras, Vedas,

etc.) est souvent invoquée mais peu pratiquée dans notre culture contemporaine: ce

sont des textes auxquels on fait toujours référence, voire révérence, sans

nécessairement les reprendre en mains, ni même sans les avoir lus un jour… En

60

revanche dans le public des chercheurs spirituels cette connexion aux sources n’est

pas seulement une aspiration vague mais bien une réalité :

Vous arrive-t-il de lire des textes religieux ou spirituels fondateurs (la Bible, l’Evangile, le Coran, les Soutras, les Vedas, etc.) ?

- souvent 36 %

- de temps en temps 25 %

- rarement 26 %

- jamais 13 %

total 100 %

Le tiers d’entre eux disent les lire ou y retourner souvent (36 %) et le quart de temps

en temps (25 %). Au total plus de la moitié de notre public entretient un lien direct et

régulièrement réactualisé avec ce qui constitue la matrice de toute démarche

religieuse ou spirituelle.

Les textes cités1 sont le plus souvent liés à la tradition judéo-chrétienne, mais leur

formulation varie selon les personnes : « la Bible », « l’Ancien et le Nouveau

Testament » sont les réponses les plus courantes, mais on trouve aussi des

réponses plus spécifiques : le seul Ancien Testament pour certains2, voire plus

précisément telle ou telle de ses parties (les Psaumes, le livre de la sagesse, la

Genèse) ou le seul Nouveau Testament pour d’autres, nettement plus nombreux.

Avec là aussi parfois la désignation plus explicite d’une de ses parties : les Evangiles

essentiellement, ou plus précis encore « certains textes d’Evangile », Saint Jean, les

Epitres de Paul, etc. ; sans oublier les Evangiles Apocryphes, qui ne sont pas

officiellement retenus dans le corpus du Nouveau Testament par l’Eglise mais sont

souvent invoqués ici.

A quoi s’ajoutent des textes qui ne sont pas à proprement parler fondateurs (c’est à

dire des textes-source) mais sont considérés comme essentiels par un certain

nombre des personnes interrogées, comme par exemple les Pères du désert.

1 Une question ouverte leur demandait de préciser de quels textes il s’agissait. 2 Quelques uns nous ont même dit le lire en hébreu.

61

Le statut de ces lectures s’inscrit pour beaucoup des chercheurs spirituels que nous

avons interrogés dans une démarche profondément différente de celle qu’il revêt

ordinairement au sein des religions constituées : dans l’institution, la lecture des

textes fondateurs accompagne le cheminement du fidèle. Ici elle permet au contraire

de faire l’économie de l’institution et d’accéder directement à la source. Comme si

seul comptait le message originel, tout le reste n’étant qu’écran interposé. Cette

conception d’un religieux sans médiations ni médiateurs, d’un accès direct à

l’essentiel ou à un savoir premier, n’est pas propre à la sphère religieuse. Elle est au

cœur de la conception actuelle de l’individu et de la modernité. On la retrouve aussi

bien dans la sphère politique et sociale (refus des corps intermédiaires, valorisation

des « vrais gens » au détriment des experts, etc.) que dans la sphère de l’éducation

et de la culture (l’idéologie Internet d’un accès direct de tous au grand tout des

connaissances humaines, sans apprentissage ni recours à des enseignants, en

représente l’expression la plus récente). On la retrouvera plus loin au cours de

l’enquête dans la valorisation de l’expérience personnelle au détriment de la

connaissance, ou plus exactement de la valorisation de l’expérience personnelle

comme moyen privilégié de la connaissance.

Outre ces références à la tradition judéo-chrétienne, on trouve aussi beaucoup de

grands textes fondateurs extérieurs à l’univers occidental.

Les plus fréquemment cités relèvent de la tradition bouddhiste et de ses différentes

branches, au premier rang desquelles la branche tibétaine : Livre des morts

thibétains, Lam Rim (la voie vers l’éveil), les chants de Milarapa, mais aussi

Dhammapada, les écrits (Gosho) de Nichiren Daishonin.

Les textes fondateurs de la tradition hindouiste sont également assez souvent

évoqués: dans l’ordre, les Védas, la Bhagavad Gita, et les Upanishads.

On trouve aussi quelques références, nettement moins nombreuses, au Taoïsme (le

Tao Te King, le Zhuangzi) et au Yi King.

Quant au Coran, il occupe une place très secondaire dans les références de lecture

des grands textes fondateurs.

L’enquête fait aussi apparaître l’éclectisme de nombre de chercheurs spirituels.

Certes la majorité d’entre eux invoquent des références qui relèvent d’un seul

univers spirituel. Mais on trouve aussi beaucoup de personnes qui associent dans

62

leurs réponses des textes issus de deux (voire trois) traditions différentes, le plus

souvent le christianisme et une autre spiritualité non occidentale. Pour n’en citer que

quelques uns : la Bible et les Soutras, les Évangiles et les Védas, les Pères du

désert et les Koans zen, la Bible et des textes Soufis, et aussi la Bible et la Kabale,

les Évangiles et le Talmud, la Bible et le Coran, etc.

On retrouve là l’ouverture et le goût pour les associations sans frontières des

chercheurs spirituels, qui n’hésitent pas à puiser à plusieurs sources, non pour

contredire les unes par les autres, mais pour enrichir les unes par les autres.

Dernière remarque sur la lecture des grands textes fondateurs: un nombre important

de personnes ont classé là des textes d’auteurs récents, certes spirituels ou

religieux, mais qui ne correspondaient pas à la définition qu’en donnait la question.

Manière de dire que ces auteurs ont été fondateurs pour eux à un moment de leur

cheminement intérieur. Nous les traiterons avec les autres livres ci-dessous.

- La lecture de livres et d’articles d’ordre spirituel

L’offre de lecture est ici considérable, comme en témoignent les rayons des grandes

chaines de distribution du livre ou les librairies spécialisées, et les articles des

magazines. Si les textes fondateurs sont rares par nature, leurs commentaires sont

infinis, tout comme les gloses ou les analyses, les manuels d’exercices personnels,

les expériences de vie spirituelle, les témoignages, etc. Et de plus ce corpus est

constamment enrichi et relancé par une production éditoriale nouvelle, alors que le

corpus des textes fondamentaux est fini par définition (même si sa lecture en est

inépuisable). « Les possibilités de s’approvisionner directement, sans code d’accès

particulier, à des stocks symboliques multiples se sont prodigieusement démultipliés.

La prolifération éditoriale, internet, livres, presse grand public, contribue à mettre à la

disposition de chacun des informations qui ouvrent le ‘paysage religieux connu’ des

individus »1. Et l’élévation générale du niveau culturel liée à la scolarisation contribue

à leur accessibilité.

1 D. Hervieu-Leger : Quelques paradoxes de la modernité religieuse, op. cit

63

Notre public les apprécie particulièrement :

Vous arrive-t-il de lire des livres ou articles d’ordre spirituel qui nourrissent votre vie intérieure ? - souvent 63 % - de temps en temps 29 % - rarement 7 % - jamais 1 %

total 100 %

Près des deux tiers (63 %) en lisent souvent, et 29 % de temps en temps. Soit au

total 92 % de lecteurs. Autant dire presque tout le monde. C’est là une

caractéristique très importante des chercheurs spirituels : alors qu’ils sont très

orientés vers les exercices personnels, le partage oral d’expériences ou les pratiques

corporelles, comme le prouvent les activités qu’ils suivent et les lieux où nous les

avons rencontrés, ils sont fondamentalement - en même temps - des gens de l’écrit.

On est loin de l’image caricaturale qui en est donnée parfois, comme de personnes

qui entrent dans le spirituel par l’émotion ou l’effusion en minorant voire en faisant

l’économie de l’approche intellectuelle… Ils se tournent naturellement vers un

support textuel pour accompagner leur démarche. Leur approche est en cela très

occidentale : même quand ils empruntent les chemins d’autres spiritualités, la culture

du livre et la révérence à l’égard de l’écrit restent essentiels. Rappelons que

l’enquête a montré par ailleurs qu’ils étaient très outillés intellectuellement, comme

l’atteste leur niveau d’études très élevé : les deux tiers ont fait des études

supérieures au delà de bac +3. L’écrit, même difficile (ce qui est souvent le cas ici)

ne leur fait pas peur.

De quels livres et journaux s’agit-il ?

- Commençons par les périodiques. La première chose qui frappe est leur variété :

plus de 164 titres différents ont été cités. Les vingt les plus souvent mentionnés

sont dans l’ordre :

- Sources (Terre du ciel)

- La Vie

- Inexploré (Inrees)

- Clé, Nouvelles Clés

- Panorama

64

- La Croix

- Vie Chrétienne (CVX)

- 3ème Millénaire

- Le Monde des Religions

- Psychologies Magazine

- Alliance (Terre du Ciel)

- Christus

- Prions en Eglise

- Etudes

- Prier

- Famille chrétienne

- Le Pèlerin

- Nexus (sciences/conscience/spiritualité)

- Magnificat

- Sacrée Planète

Il est intéressant de noter que parmi les quatre les plus lus se trouvent trois revues

qui explorent des territoires nouveaux : Sources (édité par Terre du Ciel, d’où

viennent un nombre important de personnes interrogées dans l’enquête), Inexploré

(de création récente, mais qui a déjà acquis un public) et Clés (anciennement

Nouvelles Clés). Auxquels s’ajoutent plus loin dans le classement 3° Millénaire,

Alliance, Nexus et Sacrée Planète.

A défaut d’arriver en tête, les titres chrétiens sont nombreux : La Vie, Panorama et

La Croix sont bien placés, avec chacun plus de 100 citations. Derrière les scores

sont sensiblement plus faibles : Vie Chrétienne, Christus, Prions en Église, Etudes,

Prier.

Suivent enfin une myriade de petites revues, chacune rarement citée, mais dont la

somme est impressionnante. Evoquons en quelques unes au hasard : Bio contact,

Feu et lumière, La maison de Tobie, Matruvani (Amma), Soleil levant, Tricycle (revue

bouddhiste), Je serai, Vivre, Appel du ciel, Darshan, Hozho (Chamanisme),

Pentagramme, Viniyoga, Aletheia, Approches, Cahiers du bouddhisme (IEB),

Chemins d'oraison, Génération Tao, La Bonne Nouvelle, La revue des Réseaux du

Parvis, L'âge de faire, Les Cahiers bouddhiques, Les Cahiers Simone Weil,

L'Initiation, Nouvel Essor, Résurgence, Sainte Présence (église orthodoxe celtique),

65

Vives flammes, Vivre et aimer, etc. Un inventaire qui n’est pas à la Prévert, car tous

ces titres font sens…

- Les livres qui font référence se caractérisent à la fois par leur nombre,

considérable, et par leur diversité.

Les chercheurs spirituels interrogés ont donné plusieurs centaines de titres et

d’auteurs différents. Certaines tendances fortes émergent cependant de manière

claire :

Les 12 auteurs les plus cités (par plus d’une centaine de personnes chacun)

sont, par ordre décroissant:

- Eckhart Tolle (essentiellement : « Le pouvoir du moment présent »), loin devant tous les autres.

- Thich Nhat Hanh (« Il n’y a ni mort, ni peur », « Conversations intimes avec le Bouddha », « Le miracle de la pleine conscience », etc.)

- Arnaud Desjardins (« A la recherche du soi », « Les chemins de la sagesse », « La voie du cœur », « Pour une vie réussie », etc.)

- Annick de Souzenelle (« Le symbolisme du corps humain ») - Matthieu Ricard (« Chemins spirituels », « L’art de la méditation », « Plaidoyer

pour le bonheur », etc.) - Frédéric Lenoir (« L’âme du monde », « La guérison du monde », « Petit traité

de la vie intérieure », etc.) - Krishnamurti (« Se libérer du connu », « Le sens du bonheur », etc.) - Jean-Yves Leloup (ses commentaires des Evangiles en particulier) - Dalai Lama (« L’art du bonheur », « L’harmonie intérieure », « Comment

pratiquer klle bouddhisme », « Transformer son esprit », etc.) - Lytta Basset (« Aimer sans dévorer », « Au delà du pardon », « La joie

imprenable », etc.) - Karlfried Graf Durckheim (« Le centre de l’être », « Pratique de la voie

intérieure », etc.) - Christiane Singer (« Derniers fragments d’un long voyage », « Où cours-tu, ne

sais-tu pas que le ciel est en toi », etc.)

A quoi s’ajoutent deux livres phare, cités par leur titre mais presque toujours sans

nom d’auteur tellement la mémoire s’est accrochée à ce qui est devenu une

expression familière pour leurs lecteurs : « Dialogues avec l’ange » (Gitta Mallasz,

qui dit avoir recueilli une parole dont elle n’est pas l’auteur) et « La petite voix » (365

méditations quotidiennes d’Eileen Caddy).

66

Tous ces auteurs sont difficilement classables sur une grille classique, selon leur

appartenance religieuse: trois sont explicitement chrétiens (dont aucun catholique :

Lytta Basset est protestante, Annick de Souzenelle orthodoxe , Jean-Yves Leloup

prêtre orthodoxe et théologien), trois sont bouddhistes (Thich Nhat Hanh, Matthieu

Ricard, le Dalai Lama). D’autres se situent dans une spiritualité sans s’inscrire dans

une tradition particulière, même si certains ont été initiés par des maîtres (Arnaud

Desjardins, Graf Durckheim, Christiane Singer). Voire ne s’inscrivent dans aucune

tradition (Eckhart Tolle, Gitta Mallasz, Eileen Caddy).

Les ouvrages les plus mentionnés par les chercheurs spirituels sont souvent des

guides qui transmettent un enseignement qui se veut accessible et pratique,

témoignent d’expériences spirituelles, communiquent des messages en provenance

du divin, de Dieu, des anges, de maîtres, etc. Ils apportent des éléments de réponse

aux grandes questions de la vie, aident à la connaissance de soi et à l’éveil à une

conscience nouvelle. Beaucoup de ces livres sont considérés par leurs lecteurs

comme des compagnons de route précieux.

Derrière ce groupe de tête on trouve une vingtaine d’auteurs qui, sans atteindre les

scores de ceux que nous venons de citer, sont des références dans ce milieu, avec

parfois un livre-phare. Toujours par ordre décroissant : Osho, Etty Hillesum (« Une

vie bouleversée »), Maurice Zundel, Christian Bobin, Simone Pacot, Christophe

André, Anselm Grun, Deepak Chopra, François Varillon (« Joie de croire, joie de

vivre »), Jon Kabat-Zinn, Neal Donald Walsh (« Conversations avec Dieu »), Marie

Balmary, Kalil Gilbran (« Le prophète »), Alexandre Jollien, Maurice Bellet, Rudolf

Steiner, Don Miguel Ruiz (« Les quatre accords toltèques »), Yvan Amar.

L’ensemble de ces lectures dessine une véritable carte des centres d’intérêt et des

démarches des chercheurs de l’enquête, une géographie spirituelle en quelque

sorte. Elle se caractérise par la diversité des portes d’entrée, la présence des

grandes traditions spirituelles, en particulier chrétienne, la place des spiritualités

orientales, le nombre important d’ouvrages ayant trait à la méditation et à l’intériorité

et d’ouvrages que l’éditeur Marc de Smedt appelle des « gymnosophies », c’est à

dire des philosophies qui ne sont pas seulement des systèmes de pensée mais des

exercices de sagesse, où le corps est impliqué dans la quête autant que la

conscience.

67

En revanche les ouvrages de type ésotérico-mystique (occultisme, chemins

initiatiques, astrologie, etc.) sont finalement assez peu présents1 contrairement à

l’idée qu’on se fait souvent des nouvelles recherches spirituelles.

Autre univers relativement secondaire dans la liste des lectures : ce que certains

appellent la « spiritualité laïque », c’est à dire une spiritualité vécue et pratiquée sans

Dieu et sans religion, qui vise souvent à revenir à l’esprit qui a présidé à la naissance

de la philosophie grecque, autrement dit à retrouver la quête de sagesse, à

rechercher de la « vie bonne », quête délaissée par la philosophie académique2.

Sont cités par exemple André Comte Sponville (« L’esprit de l’athéisme, introduction

à une spiritualité sans Dieu ») ou Luc Ferry (« La révolution de l’amour, pour une

spiritualité laïque»).

La sociologie religieuse insiste beaucoup, à juste titre, sur la place des temps forts

dans les démarches spirituelles ou religieuses aujourd’hui (grands rassemblements,

stages ou sessions, évènements marquants de la vie personnelle), temps forts qui se

substitueraient à la permanence de l’appartenance à des communautés et à la

régularité d’une temporalité organisée par les rituels. Dans notre public, ce

surinvestissement des temps forts n’exclut pas des continuités, qui se fondent sur

d’autres bases, librement choisies. En dehors des lieux et des moments où nous les

avons rencontrés, les chercheurs spirituels continuent à pratiquer en permanence

des formes d’enrichissement de leur démarche personnelle et spirituelle. On dit

souvent que les choses retombent après la mobilisation intense du corps et de

l’esprit que constituent ces sessions. En réalité, elles se poursuivent sous d’autres

formes et s’ancrent dans le quotidien, chacun à sa manière (méditation, prière,

lectures, accompagnement spirituel, groupes) et à son rythme.

1 Si l’on excepte Rudolf Steiner, qui figure dans les 40 premiers. 2 Cf. Louis Hourmant : Nouvelles religiosités et nouvelles recherches de sens, op. cit.

68

. III .

LES REPRÉSENTATIONS DES CHERCHEURS SPIRITUELS

69

On connaît maintenant mieux qui sont les chercheurs spirituels et ce qu’ils font pour

alimenter leur recherche. Reste à se demander - donc à leur demander - non plus ce

qu’ils vivent mais comment ils le vivent, et dans quelle représentation d’eux-mêmes

et du monde ils s’inscrivent.

Nous les avons donc interrogés sur

- les dynamiques de leur démarche

- leur attentes personnelles

- leur perception des conditions, des obstacles et des dangers éventuels de la

démarche spirituelle

- leurs croyances profondes

- et leur ouverture aux autres religions et spiritualités.

III. 1. Les dynamiques de la quête intérieure

A. Les trajectoires de vie.

Toutes les personnes que nous avons rencontrées investissent dans un

cheminement personnel intérieur. Cette quête vient souvent de loin. Elle s’inscrit

dans une histoire dont la dynamique peut suivre une ligne droite ou une ligne brisée :

pour certains il s’agit d’une évolution progressive, pour d’autres cette recherche

trouve son origine dans une circonstance particulière de la vie, un évènement qui

leur a fait prendre un tournant dans le déroulement de leur existence. Sachant qu’il

peut y avoir les deux, un accident de la vie suivi d’un approfondissement progressif,

ou qui accélère une évolution progressive antérieure (cf. tableau page suivante)

70

Y a-t-il eu au cours de votre vie un événement, une circonstance particulière qui vous a fait prendre un tournant dans votre cheminement personnel intérieur, ou ce cheminement est-il le fruit d’une évolution progressive ?

Si l’évolution progressive est la situation majoritaire (61 %), la vie n’a pas été un long

fleuve tranquille pour une personne sur deux (50 %), qui attribue à sa recherche

personnelle ou spirituelle actuelle une origine événementielle précise.

De quel type d’événement ou de circonstance s’agit-il ?

- une épreuve, une crise personnelle (accident de santé, isolement, rupture d’un lien familial, etc.)

39%

- une intuition profonde, une expérience intérieure 33%

- une rencontre avec une personne marquante 26%

- une lecture 15%

- une crise existentielle 14%

- une session, un stage 13%

- le témoignage d’un(e) ami(e) ou de quelqu’un de votre entourage

7%

- une remise en cause liée à la crise de la société (chômage, crise économique, etc.)

5%

- une expérience esthétique (œuvre d’art, paysage, musique, etc.)

4 %

Base 100 : ensemble de l’échantillon (plusieurs réponses possibles)

71

Le plus souvent (39 %, soit les trois quart de ceux qui citent une circonstance

particulière) il s’agit d’un événement précis, généralement dramatique, que les

personnes peuvent précisément nommer. Une question ouverte permettait à ceux

qui le voulaient de le préciser :

C’est le décès qui constitue l’événement fondateur le plus fort, et plus précisément le

décès d’un enfant, suivi du décès d’un conjoint. La mort des parents, pourtant

traumatisante, mais plus « dans l’ordre des choses », ou du moins dans l’ordre des

générations si elle ne survient pas prématurément, est beaucoup moins souvent

évoquée. La maladie est citée ensuite, souvent nommément le cancer, avec ce qu’il

suppose d’accompagnement dans la durée.

A quoi s’ajoute, toujours sur le versant dramatique, la mention explicite d’une remise

en cause liée à la crise de la société (5 %): chômage, crise économique, burn out,

etc.

Ce qui, dans la liste des réponses proposée par le questionnaire, vient

immédiatement en seconde position, derrière les circonstances qui trouvent leur

source à l’extérieur, est l’expérience intérieure, l’intuition profonde, le sentiment

soudain d’une évidence spirituelle. Sous une forme précisément située dans le

temps, avec un avant et un après. Elle est évoquée par 33 % de l’ensemble des

chercheurs spirituels, soit les deux tiers de ceux qui citent une circonstance

particulière. Ces expériences fondatrices sont de nature très diverse : expérience

mystique, expérience transcendantale, expérience personnelle d’une Présence,

expérience d’éveil, expérience ésotérique. Mais aussi des circonstances

déclenchantes : une expérience de rejet à l’école étant enfant, la guerre d’Algérie,

une expérience particulière de bénévolat, une expérience de vie en communauté.

Enfin il faut signaler le nombre relativement important, compte tenu de l’extrême

rareté de la chose, de la mention d’une N.D.E ou expérience de mort immédiate

(plus d’une dizaine).

On peut aussi ajouter d’une certaine manière, sur ce registre de la conscience

intime, ceux qui nous ont cité une crise existentielle (14 %).

En troisième position dans la liste on trouve la rencontre avec une personnalité

marquante qui a été le déclic qui a mis en route (26 %). Ce peut être un maître, un

thérapeute, une communauté, mais aussi un homme ou une femme dont la vie porte

72

témoignage ou fait modèle. A quoi s’ajoute, mais de manière moins fréquente (7 %),

le témoignage fort d’un proche, ami ou famille, dont la parole a marqué.

Enfin, dernière catégorie de facteurs déclenchants évoqués par le questionnaire, on

trouve aussi une lecture (15 %), une session ou un stage (13 %) et une expérience

esthétique (œuvre d’art, paysage, musique, etc.) (4 %).

Pour mémoire, mentionnons aussi des voyages marquants : un séjour en Inde, une

pérégrination sur le chemin de Compostelle, une randonnée dans le désert.

Nous n’avions pas pensé à citer dans la liste des réponses « fermées » du

questionnaire les événements heureux. Nombre de personnes interrogées nous ont

rappelé spontanément qu’il n’y a pas, dans ces circonstances exceptionnelles à la

source de leur démarche, que des choses négatives. A ces événements dramatiques

qui renvoient tous implicitement à la fin de quelque chose (fin de la vie, fin d’un état

de santé, fin d’une relation, etc.), ils opposent des événements positifs qui renvoient

au début de quelque chose, à une origine. Ce peut être par exemple un appel

ressenti précisément à un moment donné, une rencontre amoureuse, etc. Mais

l’événement heureux le plus fréquemment cité est un « heureux événement » : la

naissance d’un enfant qui a été le déclencheur de leur quête, voire une véritable

révélation : « la naissance de mon premier enfant m'a révélé le divin alors que j'étais

athée ».

B. Démarches de développement personnel, thérapeutique et religieuse

On peut distinguer quatre grands types de démarches de cheminement intérieur :

spirituelle, religieuse, thérapeutique et de développement personnel. Quatre univers

qui bien sûr ne sont pas exclusifs les uns des autres : classer n’est pas réduire, et les

personnes, en répondant, ont pu s’inscrire dans chacune de ces quatre approches

indépendamment des trois autres, et à chaque fois en termes de plus et de moins.

Cette enquête portant, par construction, sur les personnes qui sont engagées dans

une démarche spirituelle, nous avons vérifié à l’occasion de cette question si elles se

reconnaissaient bien dans ce terme : il est en effet possible de s’intéresser aux

pratiques corporelles et énergétiques, à la méditation, au développement personnel,

aux médecines alternatives, etc. en récusant toute dimension spirituelle ou tout

73

débouché spirituel à sa quête. Cette question a donc servi de filtre1: compte tenu de

l’objet de cette enquête sociologique, nous n’avons retenu dans notre échantillon

final que les chercheurs qui inscrivent leur cheminement dans une perspective

spirituelle, quelle que soit l’intensité – forte ou faible – de cette attente2. Parmi ceux-

ci, 70 % nous ont dit être « tout à fait » engagés dans une démarche spirituelle, et

30% « assez ».

Mais comment se situent-ils sur les autres dimensions ?

En tête vient la démarche de développement personnel. Il s’agit ici d’un terme

générique, d’une attitude, qui ne se réfère pas forcément, dans l’esprit des

personnes interrogées, aux techniques dites de « Développement Personnel ». Elle

est revendiquée par la majorité (74 %), mais avec une intensité relative où les

réponses « tout à fait » (43 %) sont supérieures aux réponses « assez » (31 %).

En seconde position la démarche thérapeutique est évoquée par un peu moins de la

moitié des personnes interrogées (47 %, dont 22 % « tout à fait »).

1 Rappelons sa formulation exacte : « Aujourd’hui, êtes vous plus ou moins engagé dans une démarche spirituelle, une démarche de développement personnel, une démarche thérapeutique ou une démarche religieuse ? » : tout à fait, assez, pas vraiment, pas du tout 2 Réponses Tout à fait + Assez. Ce qui était le cas de 85 % de notre échantillon de recrutement initial. Les autres (15 %) ont récusé explicitement toute dimension spirituelle à leur démarche. Nous ne les avons donc pas gardés dans l’échantillon final sur lequel est basé toute l’enquête et son analyse. Cf. méthodologie en annexe.

74

En dernier, loin derrière, on trouve la démarche explicitement qualifiée de religieuse :

30 % seulement des personnes interrogées assument cette dimension, pour moitié

« tout à fait » et pour moitié « assez ».

Avant d’aller plus loin sur le contenu de ces termes, voyons déjà si les réponses

varient selon le profil des personnes. On relève effectivement des différences, pas

considérables selon le sexe, sensiblement plus importantes selon l’âge :

sur 100 personnes de chaque catégorie SEXE AGE

sont engagés dans une démarche de …

hommes femmes - 35 ans

35/49 ans

50/64 ans

65 + ans

tout à fait 37 % 44 % 55 % 51 % 43 % 29 %

assez 34 % 31 % 32 % 31 % 32 % 31 % Développement personnel

total 71 % 75 % 87 % 82 % 75 % 60 %

tout à fait 17 % 26 % 27 % 31 % 21 % 12 %

assez 25 % 25 % 33 % 28 % 26 % 18 % Thérapeutique

total 42 % 51 % 60 % 59 % 47 % 30 %

tout à fait 14,5 % 14,5 % 17 % 16 % 12 % 17 %

assez 18 % 14 % 14 % 14 % 15 % 17 % Religieuse

total 32,5 % 28,5 % 31 % 30 % 27 % 34 %

Les femmes sont proportionnellement un peu plus nombreuses que les hommes à

définir leur démarche comme de l’ordre du développement personnel ou d’ordre

thérapeutique. Mais paradoxalement les hommes sont plus nombreux que les

femmes à mettre leur cheminement intérieur sous le signe du religieux. Alors que

toutes les enquêtes de sociologie religieuse montrent que les hommes sont de

manière générale plus réticents à revendiquer une appartenance religieuse, et

encore plus à en pratiquer le culte et les rites. Cette réserve vis à vis du religieux

joue effectivement comme une barrière à l’entrée dans les sessions ou stages

consacrés au cheminement intérieur. D’où la sous-représentation des hommes dans

l’échantillon de l’enquête. Mais ceux qui ont sauté le pas - et à qui il a fallu sans

75

doute une motivation plus forte pour se distinguer de l’ensemble de leurs semblables

- se retrouvent être les plus impliqués au sein de notre population.

L’âge introduit aussi un certain nombre de variations significatives (cf. tableau page

précédente) :

L’inscription de son cheminement intérieur dans une perspective de développement

personnel est maximum chez les plus jeunes (87 % au total) et décroît ensuite avec

l’âge, pour n’atteindre plus que 60 % chez les plus de 65 ans. La corrélation est de

même sens, de manière encore plus marquée, pour l’évocation d’une perspective

thérapeutique (qui baisse de 60 % chez les plus jeunes à 30 % chez les plus âgés).

En revanche on ne la trouve pas – ou peu – là où on l’attendait le plus : certes c’est

chez les plus de 65 ans que la perspective religieuse de la démarche est la plus

souvent citée (34 %) mais elle reste minoritaire. Et surtout elle n’est pas très

différente selon les générations. Là aussi, ce résultat fait apparaître un phénomène

nouveau par rapport aux enquêtes classiques de sociologie religieuse faites sur

l’ensemble de la population, où l’appartenance comme la pratique sont d’autant plus

faibles qu’on va vers les générations les plus jeunes. Le public des chercheurs

spirituels est d’une certaine manière contre-tendanciel puisqu’au sein de ce groupe

les différences générationnelles s’estompent, même si elles avaient pu jouer en

amont comme barrière à l’entrée.

Le spirituel et (ou contre) le religieux

Revenons à la hiérarchie globale des trois démarches. La faiblesse du chiffre de

ceux qui se reconnaissent dans une démarche religieuse (30 %) interroge. Cette

dissociation entre le spirituel – invoqué par tous – et le religieux – invoqué seulement

par quelques uns – mérite qu’on s’y arrête.

Pour préciser le phénomène, c’est à dire la nature de la distinction (voire de

l’opposition) que les chercheurs spirituels font eux-mêmes entre le spirituel et le

religieux, nous avons d’une part croisé quantitativement leurs réponses aux

questions fermées portant sur ces deux notions, d’autre part analysé plus

précisément les commentaires qualitatifs libres, nombreux et très riches, que

beaucoup ont souhaité ajouter pour compléter leur réponse initiale.

76

1. Typologie

En rapprochant pour chaque personne son niveau d’implication dans le caractère

plus ou moins spirituel de sa démarche (« tout à fait » ou « assez ») d’une part, et sa

reconnaissance ou non d’une dimension religieuse à son cheminement1, nous avons

pu construire une typologie qui rend compte des différentes formes et intensités de

l’association de ces deux dimensions.

- Le premier type est constitué des personnes qui à la fois se disent fortement

impliquées sur le plan spirituel et qualifient explicitement leur démarche de

religieuse. Ils représentent le quart (24 %) des chercheurs spirituels. Auxquels on

peut ajouter, à un niveau moins investi, ceux qui ne font état que d’une implication

spirituelle modérée (6 %).

- Le second type, le plus nombreux, regroupe le tiers de l’ensemble (34 %). Ils

qualifient leur démarche de fortement spirituelle mais récusent explicitement le terme

de religieux, dans lequel ils ne se reconnaissent absolument pas. Pour eux la

1 En cumulant les réponses « tout à fait » et « assez » à la question de la démarche religieuse du coté positif, et « pas vraiment » et « pas du tout » du coté négatif.

77

spiritualité est soit au-delà des religions, soit se substitue aux religions. Nous y

reviendrons ci-dessous dans l’analyse des commentaires spontanés.

- Le troisième type comprend les personnes qui excluent toute dimension religieuse

à leur démarche et se disent modérément investies sur le plan spirituel. Leur nombre

est loin d’être négligeable : une personne sur cinq (20 %). On est là dans une

recherche de sens qui peine à se définir, tout en n’écartant pas son appartenance à

une dimension qui ne se réduit pas à une immanence.

- Enfin la position des personnes qui se classent dans le quatrième type est, de leur

aveu même, plus incertaine : adhérant au terme de « spirituel » mais hésitant à

qualifier leur démarche de « religieuse » tout en ne se résignant pas pour autant à la

désigner comme explicitement non-religieuse. D’où leur non-réponse sur ce second

terme, qui est tout sauf un oubli de répondre, mais plutôt le signe d’une expectative

sur la chose ou d’une réticence sur le mot, trop connoté à leurs yeux. C’est la

situation d’une personne sur six (16 %).

Cette typologie renvoie, dans ses différentes modalités et ses différentes intensités,

à ce que D. Hervieu-Léger présente comme une évolution de fond de la sphère du

religieux : ces démarches « s’inscrivent de moins en moins dans les formules du

croire offertes par les religions institutionnelles. Dans ces sociétés qui ont placé

l’autonomie du sujet à leur principe, les individus composent désormais de façon plus

ou moins indépendante les petits systèmes de croyance qui correspondent à leurs

aspirations et à leurs expériences »1 .

2. Les nombreux commentaires faits spontanément par les chercheurs spirituels

autour de cette question vont nous permettre de donner un contenu qualitatif à la

distinction, à laquelle beaucoup tiennent, entre le spirituel et le religieux.

On peut repérer deux façons très différentes d’opérer cette distinction : pour les uns

la spiritualité s’oppose à la religion, pour les autres la spiritualité est un dépassement

ou un enrichissement de la religion, mais ne l’exclut pas.

A. La spiritualité contre la religion

Dans cette perspective, la religion se voit associée à un certain nombre d’attributs

négatifs, dont la spiritualité serait le positif inversé. Regroupons-les autour de

quelques polarités :

1 D. Hervieu-Léger : La religion en mouvement, op. cit

78

- La religion comme division, la spiritualité comme unité :

. « La spiritualité est le côté ésotérique qui forme l'unicité des religions par opposition aux religions constituées des rites et rituels, qui divise et sépare les hommes. Il faut plus mettre en valeur ce qui nous unit que ce qui nous sépare» . « Le mot religion me gène car elle divise alors que la spiritualité est une démarche intérieure qui pour moi à beaucoup plus de sens, elle est dans l'unité avec le tout » . « Toutes les spiritualités se rejoignent alors que les religions se combattent » . « Les religions nous enferment dans une tradition dans le temps et l'espace; la spiritualité rassemble tous les hommes; les religions les divisent »

- La religion comme fermeture, la spiritualité comme ouverture :

. « Le cadre proposé ou imposé par les religions n'est plus nécessaire quand on a compris et accepté le fonctionnement humain. "Pas de religion" ne veut pas dire "pas de rituel", ni "pas de croyance", bien au contraire, surtout rien d'imposé, la partie la plus sensible et la plus riche de l'être ne se laisse jamais emprisonner » . « A mon avis beaucoup de personnes confondent religion et spirituel. Pour moi, la religion est accrochée à sa divinité (Jésus, Dieu, Allah, Bouddha...) et nous enferme dans une doctrine sectaire. La spiritualité, c'est le divin dans chacun de nous, se connecter à l'amour inconditionnel » . « Le "hasard" de notre naissance et vie nous fait aborder une religion, pourtant les rencontres et échanges avec d'autres nous montrent la même recherche quel que soit le nom de Dieu. Je pense que la religion enferme alors que la recherche spirituelle "élargie" nous donne une unité de fraternité » . « Pour moi, la religion est un enfermement alors que la spiritualité est une ouverture formidable vers la vie! »

- La religion comme institution, la spiritualité comme aspiration :

. « Moi-même et beaucoup de personnes proches ont une grande aspiration vers le sacré, vers "Dieu", vers le travail intérieur, et pas ou plus vers ce que donnent à voir d'elles-mêmes les religions "officielles". Les textes des principales traditions sont riches d'enseignement spirituel mais ont été dévoyés par leurs "fonctionnaires" : le Vatican tourne en circuit fermé, les scandales, les intégrismes, les perversions touchent trop les religieux de tous bords pour qu'ils soient encore crédibles, bien qu'ils semblent ne pas en avoir conscience ; mais "hors des murs" les mouvements spontanés de partage, de prière, de solidarité, de prise de conscience humaniste grandissent,

79

grandissent ... "Dieu" a sa demeure en tous les Hommes de bonne volonté ... loin des dogmes et des schismes ! » . « Je pense que la spiritualité est une dimension fondamentale de l'être humain quelle que soit la tradition à laquelle elle se rattache (islam, christianisme, bouddhisme...). En revanche, je n'aime guère les religions instituées, très souvent, intolérantes et sectaires »

- La religion comme contrainte, la spiritualité comme épanouissement personnel :

. « Pour moi, la vie spirituelle sert à vivre heureux. Cette valeur a été perdue par les églises chrétiennes, qui ne m'ont aidée en rien à vivre mieux » . « C'est pour moi toujours difficile de me positionner quant à la religion tant elle est, pour moi, trop reliée à l'égo de l'homme et cause beaucoup de dégâts. La spiritualité a développé la part divine en nous et me semble, à ce jour, plus source de VIE »

. « Se sentir relié, mais libre procure beaucoup de bonheur »

- La religion comme forme primitive, la spiritualité comme forme aboutie :

. « Les religions ont confisqué la spiritualité. L'homme doit passer du stade de pré-humain (ce qu'il est actuellement) au stade d'humain (rôle de la spiritualité). Cela n'a aucun rapport avec la religion. L'homme est endormi. Il doit se réveiller. Le seul chemin est le développement de la conscience (plus tard le coeur-conscient). Toutes les nouvelles thérapies, et le courant du développement personnel, qui s'inscrivent dans cette démarche d'apporter plus de conscience à l'individu sont là pour palier aux manques (intentionnels) des religions »

- Enfin, par un retournement paradoxal, le mot relier, pourtant source étymologique

du mot religion, est attribué par certains à la spiritualité et dénié à la religion :

. « Je ne comprends toujours pas les liens qui sont faits entre spiritualité et religion ??? Pour moi les deux n'ont vraiment rien à voir : spiritualité = reliance religion = croyance » . « J’aime la spiritualité, j'aime la relation à la nature, à l'univers, je ne suis pas croyante, et je n'aime pas les églises, ceux qui accèdent à une forme de pouvoir et sont parfois très "barrés" » . « Je me sens relié, donc c'est la spiritualité qui m'anime et non la rigueur d'une religion dont souvent au nom du respect de la forme on a perdu l'esprit, le sens, l'essence de la Vie »

80

B . La spiritualité comme dépassement de la religion

Parmi ceux qui insistent sur la distinction entre la religion et la spiritualité (ou entre la

démarche religieuse et la démarche spirituelle), d’autres n’y voient pas une

opposition mais une inclusion. Les deux ne s’excluent pas, mais les limites de l’une

peuvent être surmontées par l’autre.

Cette conception peut s’exprimer de différentes manières :

- La religion comme matrice, comme étape pour progresser vers la spiritualité :

. « La religion représente pour moi comme l'école maternelle et primaire, la spiritualité m'a ouvert à un approfondissement sans cesse repoussé de mon intériorité » . « La spiritualité permet de reconsidérer la véritable dimension de notre culture religieuse de naissance »

. « Je m'intéresse à vivre et à développer la spiritualité à partir de ma religion d'origine » . « Je considère que la religion est une matrice dans laquelle grandit l’enfant. S'il y reste enfermé, alors la religion devient une cage, une prison. L’église de Jésus n'exclut personne. Jésus Lui-Même est sorti de la cage du Judaïsme, non pour créer une nouvelle religion, mais en faisant Son chemin de Fils du Père, d'Unité avec le Père Il nous montrait Le Chemin. Il nous invite à quitter la cage de nos églises, en liberté des enfants de Dieu. La religion peut alors rester un nid, dans lequel on peut venir se nourrir retrouver des frères, prier ensemble, partager le Pain »

- La religion comme moyen, comme prix à payer pour accéder au spirituel considéré

comme fin :

. « La recherche spirituelle n'est pas liée à une religion. La religion peut être un support, un moyen qui répond à une aspiration intérieure » . « Attention de ne pas confondre foi et religion. Les retraites spirituelles vivifient la foi, qui pour "prendre corps" s'exprime à travers une religion, donc une institution toujours imparfaite. La religion, l'institution est en quelque sorte le prix à payer de l'incarnation » . « Toute démarche spirituelle authentique ne peut pas exister sans liberté de penser et d'action, ni sans compassion et tolérance... les religions ne sont que des moyens de garantir l'authenticité et la vérité des enseignements spirituels développés et apportés par les grands instructeurs spirituels du passé... l'erreur est d'en faire un dogme figé qui ne peut que conduire au fanatisme si on s'y attache outrancièrement »

81

. « L’Eglise est comme le tuyau rouillé dans la montagne qui permet à l’eau d’arriver jusqu’à nous » . « Les religions sont des marchepieds destinés à nous emmener vers un espace au-delà de tout dogme et de toute croyance, vers notre centre et notre maître intérieur »

- Enfin le thème de l’unité du spirituel et de la convergence des religions est souvent

invoqué :

. « La spiritualité n'est pas affaire de religion, la religion ne sert que de cadre, à donner des références. Mais celles-ci sont les mêmes quelle que soit la religion »

. « Avancer dans la spiritualité permet d'être de moins en moins sectaire quant à la religion puisque au bout du compte elles se rejoignent toutes et que Dieu est un... »

. « Toutes les religions sont des voies d’accès au spirituel »

C . La spiritualité en soi

Les différentes conceptions que nous venons de passer en revue reposent sur une

définition par différence : la spiritualité est ce que n’est pas, ou n’est plus, ou n’est

pas assez, la religion, bref son contre-type inversé. Mais on trouve aussi des

définitions par construction, sans référence ni positive ni négative à la religion,

construites à partir de ses attributs propres :

- La spiritualité est un chemin. Elle ne se définit pas par un but mais par sa

progression même. Le « chercheur » spirituel n’a pas nécessairement vocation à

devenir un « trouveur » spirituel :

. « La vie spirituelle est une sorte de parcours. Certaines étapes sont riches de sens et d'autres ternes. De toute manière, il se passe quelque chose et l'univers symbolique s'élargit chaque fois plus que l'univers du réel » . « C'est un chemin, une démarche buissonnière qui n'a rien de fastidieux ni contraignant, mais fait de découvertes, de connaissance et de reconnaissance de ce que je suis » . « Le spirituel pour moi : une quête perpétuelle (à longueur de vie) qui s'enrichit d'expériences vécues et de lectures/dialogues permanents pour tenter de saisir à la fois les dimensions historico-sociales et profondément spirituelles au sens étymologique du terme »

82

. « Le terme le plus approprié c'est le chemin, même s'il y a des embûches on avance et on fait de belles rencontres, on se sent relié aux autres et à plus grand que soi, le côté mystique de toute religion est ce qui nous nourrit le mieux » . « Il y a beaucoup de chemins, beaucoup d’itinéraires, parfois des chemins de traverse, parfois des voies sans issue… et on n’est jamais vraiment arrivé : l’essentiel n’est-il pas d’être en route ? »

- La spiritualité est une construction personnelle propre à chacun. Elle ne passe pas

forcément par les grandes choses, et peut « être à la recherche des moindres signes

de la transcendance dans l’épaisseur du quotidien »1 :

. « La spiritualité selon moi est d'ordre personnel, elle se partage ou pas et se vit avec plus ou moins de profondeur » . « La spiritualité avec laquelle je me sens le plus en accord, c'est celle qui m'est propre, car je crois que c'est quelque chose de très personnel. Pour moi elle est proche des arts et de l'ésotérisme et non des religions » . « La démarche spirituelle : c’est à chacun de définir quelle vie de l'esprit il choisit et comment il va faire la synthèse de ses expériences, apprentissages et convictions profondes. La vie quotidienne est une formidable école spirituelle dans la mesure où l'on développe la conscience et la capacité à se remettre en question, en définissant les valeurs sur lesquelles on choisit de s'appuyer (amour, lumière, unité) »

- La spiritualité passe par une connaissance profonde de soi, condition d’une

libération personnelle :

. « La spiritualité, telle que je la vis, est avant tout un chemin de liberté. Se sortir de tout ce qui, en soi, est un frein à la liberté de devenir ce que je suis vraiment au fond de moi » . « Une démarche spirituelle est, pour moi, une démarche de "libération" au sens de gagner de la liberté; dans ma façon d'être, de percevoir le monde, d'être en relation, de gagner en tranquillité et en contentement » . « La spiritualité est une démarche qui répond a l'appel intérieur vers la complétude, le non manque, cela demande d'apprendre a se connaitre vraiment, d’apprendre à s'accueillir et de découvrir peu a peu en soi l'espace conscient paisible unifié qui est notre véritable nature » . « Pour moi, la spiritualité tend à nous mener vers la connaissance de soi, vers une Conscience plus grande, une forme d'autonomie, de discernement,

1 Richard Bergeron : Pour une spiritualité du troisième millénaire. Université de Québec à Montréal, 2006

83

de libre arbitre, mais aussi de retrouver quelque chose de plus grand, plus calme, plus serein qui nous constitue tous mais qui nous dépasse »

- La quête spirituelle se passe d’intermédiaires entre soi et le divin ou la

transcendance (une Église, un maître, une communauté). La valeur essentielle qui

domine la gestion des univers religieux et spirituels n’est plus la vérité mais

l’authenticité1. Elle est fondée sur l’expérience personnelle subjective,

l’expérimentation intérieure qui permet l’accès direct au sacré. Il ne s’agit plus de

« croire » parce qu’une religion l’enseigne, mais de croire parce qu’on l’a senti ou

éprouvé dans son être personnel : « Cette démarche s’inscrit dans un mouvement

profond de déplacement du régime de la vérité, dont le pivot passe des autorités

religieuses à l’individu lui-même, en charge de l’authenticité de sa propre démarche

spirituelle. Ce qui fait la valeur de sa quête, c’est sa sincérité et son engagement

personnel »2 :

. « Il me semble important d’inventer d’autres approches partant d’un rapport direct à l’expérience humaine. Etre au plus près de l’expérience et avoir une parole au plus près de cette expérience me semble primordial » . « Je prends ce qui parle à mon cœur et je me fie à mon expérience personnelle » . « Je me sens comme un chercheur spirituel, dans l’ouverture mais pas dans le dogme. C’est seulement en expérimentant que l’on valide l’enseignement que l’on reçoit » . « Pour moi, avant tout, ce qui me parle c’est l’expérience personnelle de la transcendance, ces petites étincelles qui nous dépassent et surgissent dans nos vies : des moments clés (petits ou grands éclairs de conscience, expériences), des plages plus creuses, quelque chose d’un mouvement qui continue mais est plus juste si on lui accorde au minimum des moments d’attention »

- Enfin la spiritualité est ce qui relie au monde, à l’univers, au grand tout :

. « C'est une façon d'être au monde et avec les autres dans la conscience que nous sommes tous reliés, tous un et tous des êtres porteurs du Divin en soi, quel que soit le nom qu'on lui donne. Ce que je fais à l'autre je me le fais à moi-même. C'est aussi avoir la conscience de la force de l'Amour guérisseur. Certains l'ont très tôt, d'autres doivent d'abord faire un chemin parfois dur, pour y arriver »

1 J. M Donegani : Le religieux à la carte, op. cit. 2 D. Hervieu-Léger : Quelques paradoxes de la modernité religieuse, op. cit.

84

. « Pour moi Dieu est Nature, est aussi la Terre, l'Humanité, notre Essence, et tout le reste, alors le monde spirituel ne devrait pas être séparé de ces choses. Nous devrions commencer à penser de manière innée que nous sommes des êtres fondamentalement spirituels qui vivent dans la matière ET PAS L'INVERSE... » . « La spiritualité est pour moi une façon d’élargir la connaissance de l’être et de se relier à la spiritualité du monde et des autres, enrichissant pour la vie présente, sans rentrer dans des perspectives d’au delà (agnostique). Percevoir la respiration intime du monde et la résonance avec les autres formes de vie » . « La spiritualité ouvre sur le TOUT et éclaire toutes les croyances »

L’ensemble de ces représentations s’inscrit dans le mouvement général de

désinstitutionalisation du sentiment religieux - et non pas de sortie du religieux - qui

traverse notre société. Et les nouvelles attitudes qu’il engendre ne sont pas de tout

repos. Comme l’écrit Marcel Gauchet1, « le déclin de la tradition se paye en difficulté

d’être soi. La société d’après la religion est une société psychiquement épuisante

pour les individus, où rien ne les secourt ni ne les appuie plus face à la question qui

leur est retournée de toute part en permanence : pourquoi moi ? Pourquoi naître

maintenant quand personne ne m’attendait ? Que faire de ma vie quand je suis seul

à la décider ? ». Les itinéraires de recherche personnelle et l’ouverture à d’autres

traditions et disciplines spirituelles trouvent là une partie de leur dynamique.

III. 2. Les attentes en matière de cheminement intérieur

Tous, nous l’avons vu, ne se donnent pas les mêmes moyens pour progresser sur

leur chemin intérieur : stages, sessions, formations, mais aussi lectures, rencontres,

méditation, etc. Mais même à comportement identique (et lorsqu’ils se donnent les

mêmes moyens) rien ne dit que les motivations ou les attentes de chacun soient les

mêmes.

Nous avons donc proposé une liste d’attentes possibles. Liste multidimensionnelle

qui prend en compte plusieurs formes de catégorisations : le registre personnel et le

registre spirituel ; ou le corps, l’âme et l’esprit ; ou encore les espaces différents du

moi, des autres, de Dieu et de l’univers. Nous empruntons ici délibérément des

1 Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde, Gallimard 1985 . Cf. aussi Alain Ehrenberg : La fatigue d’être soi, Odile Jacob, 1998

85

distinctions que l’on rencontre classiquement dans les textes et les enseignements

qui nourrissent ce milieu. Mais nous leur avons redonné dans les questions une

forme personnelle et non pas conceptuelle : ces dimensions sont donc présentes de

manière implicite ou explicite dans des assertions sur lesquelles les personnes

interrogées sont amenées à se prononcer en fonction de leur vécu. Il ne s’agit

évidemment pas pour nous de déduire, à partir des réponses, si ces propositions

sont « justes » ou non dans l’absolu, mais de savoir si et comment les chercheurs

spirituels se reconnaissent plus ou moins en elles1.

Qu’attendez-vous personnellement des différents moyens (stages ou sessions, mais aussi méditation,

lectures, rencontres, etc.) que vous prenez pour avancer sur votre chemin intérieur ? »

Deux remarques préalables :

- comme l’exprime très bien une des personnes interrogées, « toutes ces questions

sont les différentes facettes d’une même démarche ». Il est clair que chaque réponse

1 Pour chaque formulation était proposée une échelle de Lickert à plusieurs niveaux, qui permettait aux personnes interrogées d’exprimer leur degré d’accord. De la réponse « c’est essentiel pour moi » à la réponse « cela n’entre pas en ligne de compte », en passant par les valeurs intermédiaires « c’est important » et « c’est secondaire », avec toujours la possibilité explicitement proposée, de ne pas se prononcer si l’assertion ne leur paraissait pas pertinente.

86

de cette liste est peu ou prou reliée à toutes les autres. Toute enquête par

questionnaire a besoin, pour produire de l’information et de l’interprétation, de

catégoriser et de distinguer – les motivations, les circonstances, les attentes, etc. –

afin de rendre compte d’un réel où en fait toutes ces dimensions sont imbriquées

dans la pratique même de chacun. Le paradoxe épistémologique est que cette

enquête porte sur des personnes qui privilégient l’unité sur la séparation, quand elles

ne font pas de cette aspiration à l’unité l’objet de leur quête spirituelle.

- seconde remarque : évidemment toutes ces propositions sont d’une certaine

manière positives puisque cette liste passe en revue des attentes de progression

personnelle. Difficile d’être contre, même si on peut éventuellement y être indifférent.

On aspire volontiers à tout, et à tout en même temps. La somme des réponses

favorables (« c’est essentiel » + « c’est important ») est donc toujours très élevée. Ce

qui compte à l’analyse ce ne sont pas les valeurs absolues mais les valeurs relatives,

c’est à dire la hiérarchie des attentes (on n’ose dire le hit-parade). Pour simplifier

encore le tableau et mieux faire ressortir les aspirations les plus fortes, nous avons

construit une échelle qui ne reprend en graduation que les réponses les plus

investies (« c’est essentiel ») :

87

- Les deux aspirations qui arrivent très nettement en tête sont « comprendre mon

être profond, m’y relier » (71 % de réponses « c’est essentiel ») et « trouver un

équilibre, trouver la paix, m’unifier » (70 %).

La première renvoie à l’intime conviction que chacun est plus que ce qu’il réalise au

moment présent. Profondeur est ici le mot clé : il existe un niveau de vérité de soi-

même, souvent caché, toujours meilleur, dont la recherche personnelle et spirituelle

permettrait de s’approcher. Quelques exemples de commentaires spontanés

recueillis dans la question ouverte qui accompagnait cette grille de propositions

l’illustrent bien :

. « Devenir "Qui je suis", être qui j'ai toujours été mais qui est resté voilé du fait de l'oubli et de la "distraction" » . « Etre en communion avec cette partie de soi si subtile et si difficile à rencontrer pour mieux vivre ensemble, voici ce à quoi j'aspire » . « Retrouver notre vraie essence et nous relier à ce qui est fondamental, essentiel et notre vraie nature » . « La vie est pour moi un chemin d'accès vers le plus essentiel de soi, quête vers sa lumière intérieur, reliance au divin en soi » . « Devenir peu à peu moi, tout moi, rien que moi... »

La seconde renvoie à une représentation holiste de la personne, dont l’unité est le

mot clé : face à une société qui empile les rôles remplis par chacun selon les

moments ou selon les lieux, face à des conceptions qui cloisonnent les éléments

constitutifs de la personne (le corps, l’esprit, etc.) les chercheurs spirituels pensent

l’équilibre comme le fruit de la non-séparation.

. « Le monde est le reflet de ce que nous sommes chacun à l’intérieur. A chacun d'en prendre conscience. La Vie c'est de l'amour ... » . « Retrouver une forme d'unité de pensée, d'esprit et du corps ; aussi faire une pause dans une vie trépidante et savoir se recentrer » . « Chercher l'unité dans l'union entre l'esprit et la matière »

. « Parvenir à la non-dualité »

- L’aspiration qui suit dans le classement vise aussi à un accomplissement de tout

l’être, une présence à soi qui surinvestit l’ici et maintenant pour lui donner une

épaisseur existentielle : « Vivre en plénitude l’instant présent » (63%). Quelques

formulations spontanées tirées de la question ouverte :

. « Accueillir le présent tel qu'il est avec confiance foi et bienveillance »

. « Vivre l'instant sans aucune attente »

88

. « Être dans le présent, dans l'être et non dans l'avoir »

. « Ici et maintenant dans l’intensité souriante »

- Après la présence à soi, la présence aux autres, l’aspiration à l’empathie: « Être

plus à l’écoute, dans une relation plus juste aux autres » (59 % de réponses « c’est

essentiel »).

Arrêtons-nous un instant sur le rapport aux autres : on le trouve aussi évoqué plus

loin dans les réponses, sous une autre forme : l’attente de « se sentir relié à une

communauté fraternelle et/ou spirituelle » (24 %). Le paradoxe est que cette altérité

se retrouve à la fois en tête du classement dans son énonciation individuelle, et en

queue du classement dans son énonciation collective (cf. graphique). La relation

inter-individuelle est privilégiée, pas la relation collective. Cette dialectique est

typique de l’individualisation propre à la modernité. Cela n’exclut pas l’appartenance

à des groupes (on l’a vu plus haut) ou les expériences collectives (comme l’atteste

leur participation à des stages ou des sessions), mais il s’agit ici d’agrégations

ponctuelles, liées à des objets précis, qui n’engagent pas nécessairement en dehors

d’eux. Tandis que le mot communauté renvoie à une appartenance permanente, et

elle implique souvent une représentation du monde qui porte sur tous les domaines.

Cette « individualisation non égoïste » qui est à l’œuvre dans le domaine spirituel

(chacun sa voie, chacun son histoire, mais sans indifférence à l’autre) se retrouve

d’ailleurs aussi dans les domaines politique et sociaux1. Elle est relativement

éloignée de la culture chrétienne historique où le sens premier du mot Église renvoie

à la communauté des fidèles, dont la permanence est assurée par l‘appartenance

paroissiale.

Quelques formulations sur l’écoute et la relation aux autres :

. « Être à l'écoute de tout être humain, le comprendre dans sa démarche profonde est essentiel pour moi »

. « Apprendre à voir dans chaque être la lumière »

. « Aimer, ne pas juger »

. « Chercher avec les autres et à partir de nos différences la possibilité de se représenter le monde humain à la fois dans son universalité partagée et dans ses "pauvretés" non moins partagées »

1 Par exemple dans le domaine politique, le militantisme classique (appartenance à un parti ou un syndicat) baisse au profit d’un « militantisme moral », c’est à dire un engagement dans des organisations à enjeu unique (par exemple « Touche pas à mon pote », « Occupy Wall Street », etc.). Cf. Pascal Perrineau, Pierre Bréchon et Annie Laurent, Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000

89

Quelques citations sur l’aspiration à une communauté :

. « Plus j'avance sur mon chemin de croissance, plus je me sens reliée en tant que Citoyenne du Monde et je me relie ponctuellement à des groupes ou à des initiatives qui vont dans ce sens »

. « Il me paraît très important d'avoir des lieux de rencontre entre gens de convictions différentes pour renforcer cette indispensable vérité de la fraternité humaine au delà de tout le reste, pour avoir raison d'y croire encore » . « Rencontrer des personnes en chemin vers plus de solidarité, moins de consommation, plus d'écologie, de retrouver des communautés qui cherchent du sens »

. « Me sentir en lien avec d'autres personnes ayant la même sensibilité que moi, Sentir que je ne suis pas si marginal que cela, isolé »

- Le désir d’accéder à l’intelligence des choses trouve deux expressions, qui là aussi

recueillent des résultats très différents selon leur formulation :

. La notion de discernement est très importante pour les chercheurs spirituels :

« accroître ma capacité à y voir clair, mon discernement » est classé très haut (55 %

« c’est essentiel »). L’analyse des commentaires spontanés qui accompagnaient les

réponses permet de penser qu’il s’agit beaucoup plus de la faculté d’apprécier les

situations et les personnes à leur juste valeur, que de la conception chrétienne

ignacienne qui renvoie à la capacité de discerner ce qui ressortit à l’esprit de Dieu ou

à l’esprit du monde :

. « Accéder à une plus grande compréhension du monde extérieur (société, planète, économie, finance, finalement les façons de s'organiser collectivement) et du monde intérieur (rapport à soi-même, à son potentiel, au sens profond, à savoir trier les croyances, à savoir trier les sciences en fonction et en raison de ce sens profond) »

. « Mieux discerner le sens de mon chemin de vie constitue pour moi un enjeu essentiel »

. « Comprendre ma "mission" pour cette vie, m'attacher à la mettre en œuvre »

. En revanche la formulation en termes de connaissance (« accéder à un niveau de

connaissance supérieur »), vocabulaire qu’on retrouve souvent dans la gnose mais

pas seulement, provoque un acquiescement moindre (35 % « c’est essentiel »,

même si, comme pour toutes les réponses de la liste, la réaction est bien sûr

majoritairement positive si on y ajoute les approbations plus modérées). Notre public

s’inscrit plus dans un désir d’acquérir un jugement que d’acquérir un niveau.

. « Accéder à des connaissances qui mettent du sens sur les expériences. Éclairer le développement de ma médiumnité »

90

. « Essentiel : comprendre ce qui se passe et accompagner le changement de cycle que nous traversons actuellement » . « Mieux comprendre ma place parmi les hommes et dans l'univers »

- Donner un sens à son existence est la grande affaire de tous, et beaucoup des

réponses qui précèdent étaient une autre manière d’exprimer cette aspiration, en lui

donnant un contenu plus explicite. Du coup la formulation la plus générale « donner

un sens à ma vie », sans autre précision, paraît un peu vague en comparaison,

même si elle recueille évidemment une approbation générale (la somme des

réponses « c’est essentiel » et « c’est important » atteint 83 %, mais la seule réponse

« c’est essentiel » plafonne à 54 %). Certains adhèrent à cette aspiration mais ne se

reconnaissent pas vraiment dans l’expression volontariste du questionnaire. Le sens

de la vie relève d’une perception qui n’est pas seulement intellectuelle mais intuitive.

Il s’agit plus de vivre sa vie que de la penser. Quelques répondants ont même

proposé spontanément de reformuler la question:

. « Je préfère dire accroître le sens donné à ma vie (plutôt que "donner un sens" qui est plus restrictif selon moi) »

. « Laisser la vie prendre son sens plutôt que donner un sens à ma vie »

. « Donner un sens à ma vie… ou plutôt valider le sens que prend ma vie »

. «"Donner un sens à ma vie", non, plutôt chercher le sens dans ce que je fais et au besoin le construire (même pour une chose existentiellement insignifiante) »

Reste que beaucoup s’y retrouvent aussi :

. « Le plus important pour moi est de donner un sens à ma vie par rapport à un "avant" et un "après", et de profiter de cette existence temporaire pour mettre le plus possible de beauté humaine dans le monde » . « Une vie sans recherche de sens a perdu sa dynamique, elle est une vie d'où le désir est absent. La recherche de sens, un chemin qui nous relie à notre humanité en reconnaissant celle de l'autre »

. « Comprendre ma "mission" pour cette vie, m'attacher à la mettre en œuvre »

- Deux aspirations, classiques dans l’univers du développement personnel, trouvent

ici un accueil globalement favorable, mais la manifestation de cette attente est moins

investie que ce qu’on pourrait penser : « mieux m’accepter moi-même » (49 %

« c’est essentiel ») et « être mieux à l’écoute de mon corps » (38 %). Certes là aussi

la somme des réponses « c’est essentiel » et « c’est important » reste pour chacune

supérieure à 80 %, mais la répartition du curseur entre ces deux niveaux est

91

équilibrée et ne bascule pas du coté du « c’est essentiel ». En particulier pour le

corps, dont nous savons pourtant qu’il est aujourd’hui pour beaucoup une porte

d’entrée dans le spirituel, ce qu’atteste la place très importante occupée dans les

sessions suivies par les différentes disciplines corporelles. Et le rôle occupé par la

méditation. En d’autres termes le corps est un moyen plutôt qu’une fin.

Sur l’acceptation de soi :

. « Je dirais "m'accueillir" tel que je suis (plutôt que m'accepter). Avoir de l'amour bienveillant pour soi-même » . « Me connaitre et m'aimer telle que je suis me permet de mieux vivre avec moi-même et par conséquent avec les autres »

. « Prendre conscience de notre merveilleuse imperfection, se réconcilier avec ce que nous sommes, avec qui nous sommes... »

Sur l’écoute du corps :

. « Non pas "être à l'écoute de mon corps" mais être, devenir mon corps »

. « Habiter pleinement mon corps »

. « Importance pour moi de vivre une activité corporelle de conscience de soi »

. « Le but est l'éveil de la conscience à travers des techniques corporelles et expérimentales et non pas dogmatiques »

- Autre rapprochement intéressant, à un niveau plus ontologique si on peut dire: nous

avions formulé deux propositions très différentes pour évoquer l’aspiration à la

connexion à un ailleurs ou à un au-delà qui dépasse les contingences humaines.

Pour dire vite : Dieu et Gaia : « être à l’écoute de l’Esprit, du Divin » et « être mieux

relié à la terre, à la nature ». La première représentation l’emporte sur la seconde

(53% de « c’est essentiel » contre 48%), mais on découvre aussi en croisant les

deux réponses que nombre de personnes ont acquiescé simultanément aux deux1.

La référence à Dieu peut, selon les personnes, être vague (le divin), précise (Dieu)

ou explicitement incarnée (le Christ). Et la notion même de Dieu renvoie selon les

cas, voire simultanément chez les mêmes personnes, à une extériorité ou à une

intériorité (Dieu en soi) 2 :

1 Environ les deux tiers de ceux qui ont souscrit à l’expression « l’esprit, le divin » ont aussi souscrit à l’expression « la terre, la nature ». Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils font une équivalence entre les deux termes, mais qu’il existe une corrélation entre les deux réponses. 2 Nous reviendrons plus longuement sur ces conceptions dans le chapitre consacré aux croyances.

92

. « La vie est pour moi un chemin d’accès vers le plus essentiel de soi, la quête vers sa lumière intérieure, reliance au Divin en soi » . « Voir en tout être humain la présence de Dieu Trinité et Amour »

. « Chercher la rencontre avec le Christ dans la prière et la méditation de sa Parole. »

. « Essayer de discerner la volonté de Dieu, motivation principale, première et essentielle (ce travail n'est jamais terminé) »

. « Accomplir mon vrai plan divin sur la terre »

. « Faire UN avec le Divin » Sur le lien avec la terre et la nature les commentaires spontanés sont généralement

très universalisants :

. « Essentiel de me sentir en harmonie avec le vivant et le cosmos »

. « Être en antenne et en résonance avec notre planète »

. « Je me considère comme croyant, mais pas en dieu. J'ai une vive foi en la Vie. Je suis actif pour développer la spiritualité de la nature, de la Vie et de l'écologie » . « Unité, Divin, Conscience, Energie, Esprit, Reliance Terre-Ciel-Nature sont synonymes => Sentir, écouter, comprendre les forces et intelligences en présence et en action dans notre monde pour œuvrer dans la compréhension de ce qui demande à se réaliser »

- Une surprise : l’approche qu’on pourrait qualifier d’utilitariste, qui inscrit la recherche

de développement personnel et spirituel – et aussi les stages ou sessions qui vont

souvent avec – dans un désir d’efficacité et de retombées positives objectives, arrive

en fin de classement. « Me libérer d’un problème, guérir » rencontre 26 % de

réponses « c’est essentiel » et « recueillir des bénéfices dans ma vie quotidienne

(couple, famille, travail) 30 %. On pouvait l’attendre plus haut, compte tenu de la

place qu’a prise aujourd’hui dans le discours social le principe de gratification : est

bien ce qui me fait du bien. Les sociologues des religions insistent beaucoup sur

l’extension de ce principe de gratification à la sphère du spirituel, la valeur d’une

proposition croyante tenant de plus en plus à la satisfaction qu’elle procure à son

utilisateur, à sa valeur d’usage en quelque sorte.

Leur positionnement dans la liste des attentes des chercheurs spirituels que nous

avons interrogés, sans invalider ces hypothèses, les relativise. Cela ne signifie pas

qu’ils n’aspirent pas à une efficacité de ce type (là aussi le positif l’emporte sur

l’indifférence) mais ils n’en font pas un objectif central de leur quête. Ils visent

d’abord plus large, plus spirituel ou plus personnel mais en tout cas moins

93

conjoncturel. Leur demande va bien au-delà de ce que peuvent produire les

approches de travail sur le mental, sur le psychologique ou sur le corps, réduit à des

techniques visant à un soulagement. Le but n’est pas la guérison mais bien la

transformation progressive de soi. Les effets directs sur la vie personnelle sont plutôt

considérés comme des bénéfices secondaires de la démarche que comme des

aspirations principales.

Ce qui n’empêche pas certaines reformulations fortes :

. « Recueillir des bénéfices dans la vie quotidienne n’est pas le but de ma quête, guérir de mes manques d’Amour oui »

. « Mon objectif est de trouver un équilibre personnel, conjugal, familial et professionnel (toujours à réadapter), d'unifier ma vie et ma foi, de vivre au quotidien avec Dieu et ainsi devenir moi-même, répondre à ce à quoi je suis appelée »

. « Arrêter de souffrir, arrêter d'avoir peur »

. « Développer une conscience qui me détache de tout ce que j'ai construit à travers mes blessures » . « Mettre de la lumière sur mes blessures d'enfance. Équanimité pour être sereine et détachée du j'aime, j'aime pas » . « Être libre de la souffrance et permettre à tous les êtres de s'en libérer »

La liste des attentes proposée par le questionnaire n’épuise évidemment pas toutes

les aspirations possibles du cheminement intérieur. Les personnes qui ont répondu à

l’enquête ont d’ailleurs saisi en grand nombre la possibilité qui leur était offerte de

développer l’expression de leurs attentes dans une question ouverte. Soit en

reformulant ou en précisant nos catégories avec leurs mots à eux, comme nous

venons de le voir ; soit en resituant leurs attentes dans un cadre plus large.

On trouve à l’œuvre partout, de manière implicite ou de manière explicite, mais

toujours centrale, une anthropologie de la relation : relation au divin, relation au

cosmos, relation aux autres, relation à soi-même dont beaucoup nous précisent

qu’elle n’est pas un repli mais la condition absolue pour s’ouvrir aux autres.

Cette démarche se double d’une préoccupation de mise en connexion de divers

domaines entre eux : science et spiritualité, psychologie et spiritualité, corps et esprit,

essentiel et quotidien. Des expressions comme « aimer », « participer », « être à

l’écoute » reviennent fréquemment. On se sent dans un milieu holistique qui tend à

donner autant d’importance à la relation qu’à chacun des éléments qu’elle relie.

94

III. 3. Leur perception de la démarche spirituelle : conditions, obstacles, dangers.

Suivre une démarche spirituelle ne va pas de soi. Elle ne tombe pas du ciel, si l’on

peut dire. Il y faut des conditions, elle rencontre des obstacles et elle n’est pas sans

dangers. Beaucoup d’institutions religieuses et civiles, de théologiens, de maîtres

spirituels, de psychologues, se sont déjà abondamment prononcé sur le sujet, avec

d’ailleurs une focalisation sur les dangers en ce qui concerne les institutions. Il est

intéressant de voir ce qu’en pensent ceux-là même qui disent être dans un

cheminement spirituel, et non pas ceux qui parlent à leur place ou jugent de

l’extérieur. Ils s’expriment par expérience, même si tous ne qualifient pas ici

seulement leur propre parcours et se prononcent aussi de manière générale ou

générique.

A. Les conditions de la démarche spirituelle

L’enquête citait huit dispositions qui peuvent favoriser la quête spirituelle. Pour

chacune, on demandait si elle était indispensable, utile ou pas vraiment nécessaire.

95

On peut distinguer clairement sur le graphique deux groupes de réponses : quatre

conditions sont considérées comme « indispensables », les quatre autres ne sont

que « utiles ». Très peu ne les trouvent pas nécessaires du tout.

Dans le premier groupe se trouvent la confiance, la persévérance, l’écoute et le

silence.

- La confiance arrive en tête (69 % l’estiment indispensable). Mais de quelle

confiance s’agit-il ? Le terme lui même renvoie à une dynamique, mais ne précise

pas explicitement son objet. Un certain nombre de personnes ont tenu à expliciter

leur réponse. Plusieurs dimensions différentes ressortent :

. « La confiance en soi, son subconscient, ses propres capacités et pouvoirs souvent ignorés ou non utilisés » . « La confiance dans les autres »

. « La confiance dans la vie »

. « La confiance dans sa relation à Dieu »

Proche étymologiquement du mot confiance, le mot foi est souvent cité

spontanément en marge de la réponse. Là aussi avec plusieurs acceptions :

. « Foi en l’humain »

. « Foi en la vie »

. « Foi en ce qui est ressenti »

. « Foi dans le divin en soi »

. « Foi chrétienne »

- La persévérance est une autre dimension considérée comme essentielle (65 %

indispensable). Le temps est le grand maître, chacun en est conscient pour l’avoir

éprouvé. Temps de la durée et non de l’instant. On est loin du discours de l’efficacité

immédiate et de l’hypertrophie du présent dominants dans la culture contemporaine,

qui est une culture de l’impatience. Du slogan « tout, tout de suite », les personnes

engagées dans une recherche spirituelle donnent au « tout » une dimension

englobante qui dépasse largement la sphère matérielle, mais ne se font guère

d’illusion sur le « tout de suite ».

Parmi les termes associés dans le commentaire spontané de cette réponse, le mot

d’engagement est le plus souvent évoqué :

. « Engagement sincère »

96

. « Engagement spirituel »

. « Engagement avec soi-même, sans attente de résultats »

. « Engagement profond, adhésion de tout son être »

Ils sont cependant conscients de la difficulté de la chose : les deux mots les plus

cités ensuite dans les commentaires sont courage et effort…

- L’écoute, troisième condition indispensable à la démarche spirituelle (62 %) est,

comme la confiance, un terme qui peut renvoyer à plusieurs choses différentes.

S’agit-il d’être écouté ou bien d’écouter ? Et d’écouter quoi ? La question ouverte qui

suivait a donné aux personnes interrogées l’occasion de le préciser :

. « Écoute de son corps » ; « écoute de son ressenti »

. « Écoute de son cœur » ; « écoute de son intuition »

. « Écoute de son maître intérieur »

. « Écoute de l’Esprit en soi » ; « écoute du monde spirituel »

. « Écoute ou attention aux autres » ; « écoute du monde »

. « L’attention aux signes que la vie nous envoie » Le mot d’ouverture a par ailleurs souvent été spontanément employé en lieu et place,

ou en complément, du mot écoute.

- Le silence enfin occupe une place importante dans les conditions citées

positivement (54 % indispensable). Faire silence dans un monde qui se caractérise

par un encombrement permanent de l’espace sonore, comme de l’espace tout court,

suppose une volonté de retrait. Même si elle ne débouche pas nécessairement sur

une retraite (on cite plus volontiers la prière ou la méditation). C’est plutôt faire

délibérément un pas de coté.

Si on rapproche les deux termes de persévérance (cf. plus haut) et de silence, on

voit bien qu’ils relèvent d’un rapport à l’espace et au temps très différent de celui qui

domine aujourd’hui. Ils construisent en quelque sorte un contre-modèle de la société

de consommation permanente et de communication généralisée.

Les quatre autres conditions de réalisation de la démarche spirituelle sont certes

considérées comme utiles, mais beaucoup moins revendiquées comme

indispensables. Il s’agit du détachement, de la discipline, de l’accompagnement par

un maître ou un guide et de la présence d’une communauté.

97

- Le mot détachement (28 % indispensable) fait réagir. Il est certes propre à

certaines voies spirituelles mais pas à toutes, et il ne s’y réduit pas. En fait le mot est

ambigu, ce qui a pu freiner l’adhésion de certains, faute de savoir sur quoi ils

s’exprimaient vraiment :

. « Le mot détachement me gène, il peut être mal compris »

. « Il s’agit plutôt de libération, d’équanimité, de renoncement, de lâcher prise, de non attente »

Le détachement peut d’ailleurs davantage être une conséquence qu’une condition :

. « Vient au fur et à mesure, c’est un des fruits de la pratique »

. « C’est le résultat d’un travail intérieur, une "fruitition" »

D’autres expressions lui sont parfois préférées, en particulier acceptation ou

abandon :

. « Abandonner toute volonté de "faire" qui serait animée par l'ego, ne pas vouloir que la réalité, l'instant présent, fut autre que ce qu'il est, mais d'abord s'ouvrir à ce qui est »

. « Acceptation de ses ombres » ; « acceptation de soi »

. « Abandon de ce que nous savons »

. « Accepter que l’on a encore tout à apprendre, accepter que tout est matière à évoluer, même ses égarements »

. « L'acceptation qu'on ne peut tout contrôler dans la vie, accepter que l'on a pas que du "bon" en soi »

- La discipline (28 % indispensable) fait en partie écho à la persévérance,

rencontrée plus haut. Les termes qui lui sont le plus souvent associés sont par

ailleurs le travail sur soi, la régularité et surtout la pratique :

. « Pratique constante » ; « honnête » ; « régulière » ; « quotidienne » ; « pratique d’exercices »

Même s’il se trouve des personnes pour récuser le mot comme la chose : . « La notion de discipline disparaît quand on fait ce que l'on aime. C'est une partie intégrante de la vie, pas quelque chose à part. Et si vous prenez discipline au sens travail méticuleux ce n'est adapté car la vie est mouvante, libre, joyeuse, par définition »

- La présence d’un maître ou d’un guide pour accompagner sa quête spirituelle est

affirmée comme indispensable par seulement 22 % des personnes

interrogées,même si 50 % le trouvent utile. La réponse est évidemment corrélée par

98

le fait d’en avoir un soi-même ou pas, même si la coïncidence entre les deux n’est

pas totale1.

Cet accompagnement peut donner un élan initial, puis disparaître : « Au départ un

guide est utile jusqu'à ce que je reconnaisse que c'est "moi je" la réponse et la

recherche ».

Ou il peut changer selon les moments de la vie: « L'accompagnement par un guide

ou un maitre me semble nécessaire, mais je pense que ce guide ou Maitre peut

varier au cours de mon évolution »

Ou bien on peut ne pas se contenter d’un seul maître exclusif : « Il faut plusieurs

maîtres ».

En fait c’est le mot même de Maître ou de Guide qui fait problème à certains, quand

il est investi trop fortement. En tout état de cause, la meilleure définition du guide ou

du maître est qu’il préserve la liberté de celui qui le suit :

. « Un guide peut-être utile mais je crois que le cheminement est personnel »

. « Recevoir les enseignements d'un maître qui vive ses enseignements, qui nous laisse libre et nous enseigne à devenir libre »

D’ailleurs certains lui préfèrent le mot « accompagnateur ». Quitte à lui donner un

sens extensif et à y inclure « les amis », voire plus largement tous les contacts

humains un peu approfondis (« Chaque (presque) personne rencontrée est aussi un

guide »), voire plus largement encore la vie elle-même (« Le guide ou maître n'est

pas pour moi la personne physique mais la vie » ; « La Vie est notre premier

maître »).

- Le classement de la présence d’une communauté en dernière position de la liste

des conditions propices à la démarche spirituelle interroge, comme avait interrogé

son classement en dernière position de la liste des attentes (cf. chapitre III.2) : utile

(50 %) mais pas nécessairement indispensable (18 % seulement). Il se trouve même

plus du quart des chercheurs spirituels (27 %) à récuser explicitement son utilité.

La sécularisation du religieux - qui en fait une affaire personnelle qui ne doit pas

empiéter sur la vie sociale -, est progressivement devenue la norme. Elle se double

d’une privatisation du spirituel. Elle consiste à chercher sa voie sinon seul, du moins

1 En croisant cette réponse avec celle à la question, analysée plus haut, de l’accompagnement par un Maître ou un guide, on voit que sur 100 personnes qui considèrent la présence d’un guide comme indispensable, le quart n’en a pas un pour autant.

99

sans investir nécessairement sur l’appartenance à une communauté spirituelle

particulière, fut-elle constituée sur les mêmes bases affinitaires que sa propre

démarche. Ou alors une communauté de circonstance, provisoire (par exemple à

l’occasion d’une session) mais pas permanente. L’individualisation contemporaine

est à l’œuvre ici comme dans d’autres domaines, nous l’avons déjà évoquée. Elle

n’est pas absence des autres, mais les rend optionnels si on peut dire : chacun sa

voie, chacun son histoire.

La réticence à la notion de communauté n’est pas réticence à l’altérité, bien au

contraire. A lire les commentaires, il apparaît clairement que l’échange avec les

autres est important dans la démarche spirituelle, mais que c’est le mot

communauté, trop connoté, qui fait problème à certains. Dans l’esprit des gens, il

réfère souvent à un groupe permanent et identifié. Sa charge sémantique renvoie au

vocabulaire chrétien (communauté religieuse) ou au vocabulaire new age (vivre en

communauté). Dans les deux cas, il est trop chargé d’un sens déjà déterminé et

nécessite d’être redéfini:

. « Quand je parle de communauté je ne me réfère pas à un groupe fixe et constitué mais à la possibilité de retrouver de temps à autre des personnes qui partagent ma quête » . « C'est une communauté de lien » . « J'entends par communauté une réflexion et un partage collectifs sur la Vie en toute sécurité » . « La communauté peut être la fraternité avec d'autres cheminants ou amis avec laquelle il y une proximité de quête »

La prise de distance par rapport à une communauté constituée ne signifie pas

nécessairement la revendication d’une démarche isolée, comme en témoigne

beaucoup de reformulations spontanées qui évoquent sous une forme ou une autre

un collectif. On y retrouve un certain nombre de mots-clés :

. Les autres : « La médiation des autres », « Apprendre des autres », Partager avec d’autres », « Avoir conscience que l’on peut progresser par les autres, et cela réciproquement »

. Être à plusieurs : « Être avec des personnes ayant ce même cheminement spirituel », « Pluralité de personnes d’ancrage », « Ne pas s’isoler surtout, nous sommes des êtres d’amour »

. Relations : « Vivre de belles relations humaines », « Vivre dans l’altérité ses relations dans le monde », « Chaleur humaine dans nos relations »

100

. Rencontres : « Rencontres personnelles », « rencontres, confrontation avec d'autres courants, d'autres modes de pensée, échanges », « Faire de bonnes rencontres »

. Dialogue : « Dialogue entre égaux », « Le dialogue avec des personnes qui sont dans la même démarche mais aussi avec des personnes qui ne sont pas dans la même démarche » . Amitié : « Des amis avec qui échanger », « Des amis qui entendent et soutiennent », « Chemin partagé avec un ami » . Partage : « Partages relationnels », « Partage fraternel », « Partage d’expériences », « Le partage car seuls nous ne sommes le "catalyseur" que d'une facette de Ce qui Est »

- Enfin un certain nombre de personnes ont tenu à compléter la liste de conditions de

la démarche spirituelle qui leur était proposée dans la question, car il leur semblait

qu’il y manquait des choses pour elles essentielles. Au premier rang desquelles les

mots amour (« s’aimer », « se sentir aimé », « l’énergie de l’amour »), désir (désir

de connaître, de grandir, d’évoluer, de s’améliorer, de progresser, de se relier, de

savoir, de comprendre, d’apprendre, de s’élever, de se perfectionner, de croissance

spirituelle,…), discernement (« Dans le choix des personnes, des lieux, des groupes

qui sont utiles à son propre cheminement », « Il est important d'apprendre

rapidement à reconnaître et suivre ses (bonnes) intuitions »), conscience

(«Conscience de l'inter-relation entre toutes choses », « La conscience de sa

responsabilité envers soi-même », « d'un au-delà de soi », « de la Présence », « de

ses manques »). Et aussi joie, humilité, liberté, sincérité et authenticité.

B. Les obstacles à la réussite d’une démarche spirituelle

Les obstacles à la démarche spirituelle ne sont pas que le symétrique inversé des

conditions qui y sont favorables. Certains apparaissent manifestement comme le

négatif, ou l’absence, des qualités évoquées plus haut (par exemple l’impatience

s’oppose à la persévérance). Mais il existe aussi des difficultés propres.

Nous avons fait réagir les chercheurs spirituels sur une liste de neuf obstacles, en

leur demandant s’ils leur paraissaient très importants, assez importants ou

secondaires pour la réussite d’une démarche spirituelle.

(Cf. Tableau page suivante)

101

Avant d’aborder les réponses, il convient de faire une remarque préalable : cette

question a fait question, si on peut dire, pour un certain nombre des personnes

interrogées, qui ont mis en doute sa pertinence. Leurs réactions sont de deux types :

- une remise en cause de la notion de « réussite spirituelle »

. « Peut-on employer le mot réussite pour une démarche spirituelle? »

. « Je ne comprends pas ce qu'est une réussite spirituelle... »

. « Je ne sais pas ce qu'est la "réussite" d'une démarche spirituelle, les deux notions me semblant antinomiques (réussite et spirituel). » . « Le plus grand obstacle : penser qu’il y a une réussite spirituelle » . « L'idée même d'un état, d'une réussite qui serait atteinte à un moment donné me semble être un frein à un cheminement » . « Il n'y a pas de mesure pour la réussite spirituelle. Il s'agit justement de ne rien mesurer. L'égo est ce qui compare »

- une remise en cause de la notion d’ « obstacle » : les obstacles sont inévitables,

mais pas nécessairement négatifs ; ils peuvent se révéler positifs et nourrir le

cheminement.

. « Les obstacles sont partie intégrante de la démarche spirituelle »

. « Les obstacles font partie de la vie »

. « Ils peuvent être des leviers », « des points d'appui », « Ils sont également le carburant nécessaire »

. « Tout obstacle est justement à transmuter, c'est à dire à utiliser comme tremplin d'accomplissement »

102

. « Chaque difficulté rencontrée est un moyen pour mieux progresser et améliorer sa compréhension »

D’ailleurs les obstacles peuvent évoluer dans le temps :

. « À un moment donné quelque chose peut-être un obstacle et à un autre moment une ouverture » . « Les obstacles ne sont pas figés. Ils prennent une valeur, une force, un sens différent au fur et à mesure que la maturité se développe »

Reste que la plupart des chercheurs spirituels ont répondu à la question des

obstacles, et leurs réponses dessinent une cartographie assez claire des difficultés

rencontrées.

Trois obstacles se détachent nettement de tous les autres : la résistance intérieure,

l’égo et la dispersion.

- La résistance intérieure (54 % très important) peut être de diverse nature, culturelle,

psychologique, intellectuelle, mentale, pour reprendre des adjectifs employés dans

les réponses. Le lâcher prise n’est pas une donnée mais une conquête.

Certains l’interprètent aussi comme le signe que la démarche est en bonne voie :

. « La résistance fait partie du processus, elle est plutôt signe de réussite de la démarche entreprise, elle est une aide pour le chemin spirituel quand elle est reconnue »

. « Notre résistance intérieure nous fait avancer moins vite mais on avance quand même ! Au fur et à mesure, la résistance intérieure se dissout, et l'ouverture de conscience s'accélère (ce n'est pas linéaire) »

- L’ego est paradoxalement désigné comme obstacle très important (49 %) par ceux-

là même qui font un travail sur eux conséquent. En réalité, plus on avance vers la

recherche de soi, plus la conscience de l’obstacle que ce « soi » peut constituer en

lui-même augmente. Mais cette conscience donne une certaine lucidité :

. « L'ego, mais pas dans le sens de le supprimer, plutôt de le remettre à sa juste place »

. « Ce n’est pas l'ego le problème mais notre identification à lui » . « L’obstacle est surtout l'orgueil de l'ego plus que l'ego lui-même, qui lui est nécessaire »

Certains autres mots y sont aussi associés spontanément : l’orgueil, la suffisance, la

prétention ou l’arrogance, la vanité.

- Quant à la dispersion (48 % très important), elle peut trouver sa source à l’intérieur

de soi, dans la personnalité, ou dans la faiblesse de l’investissement personnel. Mais

103

elle est aussi alimentée par l’extérieur, par l’environnement culturel dans lequel

baigne l’homme contemporain : l’évolution de la société pousse à la dispersion sur

plusieurs dimensions simultanément, qui se nourrissent mutuellement :

. la profusion des rôles individuels assurés par chacun dans des sphères multiples,

. l’encombrement croissant du temps (multiplication des choses que l’on fait dans la

même unité de temps, voire simultanément),

. et l’ubiquité (les nouvelles technologies et internet permettent d’abolir l’espace,

d’être partout où on veut, ou à deux endroits en même temps).

La conscience de la dispersion porte en elle une aspiration au recentrage, à l’unité, à

la recherche d’un axe à sa vie. Mais elle prend acte de la difficulté de sa réalisation.

Les autres obstacles sont seconds, même s’ils ne sont pas secondaires :

- Certains tiennent au tempérament, comme la paresse (28 % très important), ou

comme l’impatience (26 %) qui s’oppose au nécessaire temps long de la quête

intérieure.

- L’envahissement par l’émotion est relativement peu cité comme un obstacle majeur

(16 % très important). Il faut dire que l’émotion est souvent valorisée dans cet

univers, comme voie d’accès à une certaine vérité de soi, et aussi comme moyen de

contourner les barrières de la rationalisation et de l’intellectualisme. Son absence est

rédhibitoire. Seul son excès est dommageable.

- Le rapport aux autres n’est pas absent, mais il occupe une place relativement

modeste dans l’échelle des obstacles. Sous ses deux formes : en termes généraux

(le conformisme social : 19 %) :

. « Le rejet par les instances sociales (travail, famille, institutions, administrations) »

. « Les spirituels passent pour des fous », « Le spirituel est jugé maléfique » ou en termes de proximité (le décalage avec ses proches : 7 %)

. « Le manque de messages positifs et encourageants de la part de l'entourage »

. « Difficulté de vivre en collectivité quand celle-ci n'a pas de démarche spirituelle »

- Quant au manque de temps, on peut s’étonner de le trouver classé aussi bas en

tant qu’obstacle majeur (17 % très important) alors que c’est la raison qui est

généralement donnée par tout un chacun pour justifier son inaction, et cela quels que

104

soient les domaines concernés : social, politique, culturel, etc.. Les personnes

interrogées sont assez lucides pour percevoir que c’est autant une cause subjective

qu’objective, quant il s’agit d’un enjeu aussi important que la progression sur son

chemin spirituel. Contrainte réelle pour les uns, mais aussi excuse pour les autres.

. « Pas de manque de temps quand on est mordu par la chose »

. « S’il y a la motivation, - si on le désire vraiment, - quand on veut on peut »

Et obstacle qu’il faudrait reformuler autrement :

. « Ne pas prendre le temps, ce qui est différent du manque de temps! »

. « Plus que le manque de temps, c'est le fait de ne pas mettre en priorité ce qui me nourrit »

A la liste des obstacles qui leur était proposée, de nombreux chercheurs spirituels

ont tenu à en ajouter d’autres qui ne figuraient pas dans le questionnaire. Ces

obstacles relèvent de causes intérieures et de causes extérieures.

- Les causes intérieures :

La plus citée, de loin, est la peur. Cette appréhension s’exprime sous des formes très

variées, mais toujours fortement investies : . « Peur de l'inconnu », « Du non explicable »

. « Peur de ces vastes horizons qui s'ouvrent », « Du vide »

. « Peur de devoir abandonner nos désirs terrestres », « De perdre son confort » . « Peur de se défaire des liens affectifs »

. « Peur de l'implication personnelle », « De ses blessures », « De se connaître soi-même », « D'aller voir à l'intérieur de soi-même »

. « Peur de perdre ses repères traditionnels »

. « Peur de ne plus s'appartenir »

Viennent ensuite la solitude :

. « La solitude au quotidien », « Face à ses questionnements »

. « L’isolement relationnel, amical »

. « La difficulté à trouver d'autres personnes qui pratiquent de la même façon »

. « Le manque de partenaires dans la quête spirituelle »

le doute :

. « Doute de soi », « destructeur », « non discriminatif »

. « Les doutes intérieurs qui vous prennent d'assaut »

. « L’incertitude »

105

les faiblesses du corps et de l’esprit :

. « La fatigue », « Le stress », « Le surmenage »

. « Le mauvais état de santé », « La maladie », « La souffrance physique »

. « La gestion de la sensibilité personnelle », « L'état psychologique », « Ses blessures », « Ses névroses », « La souffrance intérieure », « La souffrance mentale », « Les mémoires conflictuelles »

. « Le mal-être voire la déprime », « Le mal de vivre »

la présence excessive du mental :

. « Illusions du mental »

. « Esprit intellectuel (mental) très développé », « Trop d'intellectualisation de la spiritualité »

. « L'adhésion au raisonnement cartésien ; une connaissance non renversée », « La difficulté à passer de la compréhension purement intellectuelle à l'expérimentation », « L'approche trop intellectuelle sans mise en pratique, accumulation de savoirs »

le vouloir :

. « Le volontarisme », « L'attente d'un résultat prédéfini », « L’objectif de résultat » . « L’obsession de l'efficacité », « Le perfectionnisme »

. « Le fait de croire que je peux tout maitriser dans ma vie », « Le besoin de contrôler ce qui nous arrive »

et l’ignorance : . « La non-connaissance de soi, des potentialités en nous-mêmes »

. « Ne pas savoir que l'on peut "être relevé" »

. « Le manque de compréhension de pourquoi on fait tout ça, que l'on est responsable de sa vie »

- Les obstacles extérieurs :

Beaucoup évoquent des causes liées à la société. Certaines sont d’ailleurs des

déclinaisons du conformisme social évoqué explicitement dans la question, mais ils

ont tenu à le reformuler avec leurs mots à eux :

. « La plus grande difficulté est de prendre du recul par rapport aux valeurs de notre société », « La pression sociale et du système », « Les conditionnements sociaux » . « Difficile de s'assumer dans la société du paraître », « L'abrutissement fourni par la société, ses fausses valeurs, le mirage social de ce bas-monde, l'ambiance négative à toute réalisation spirituelle » . « L'intérêt démesuré pour la réussite matérielle », « La prévalence du matériel comme modèle de réussite »

106

. « L'attachement exclusif à son propre bien être, aux biens, à certains plaisirs immédiats » . « Le décalage avec le fait d'être un "agent économique" d'une économie de marché libérale », « Une société consumériste » . « La noyade dans la société de "divertissement" »

La famille et l’éducation portent également une responsabilité : . « Endoctrinement dès le jeune âge », « Conditionnements éducatifs », « Notre formatage » . « Une éducation essentiellement intellectuelle, pas de place pour l'éducation émotionnelle » . « L'imprégnation de la tradition familiale et environnementale qui transmet une attitude réductrice envers ce qui se démarque par une démarche de recherche personnelle » . « Certains dogmes, le poids historique, par exemple d'une histoire chrétienne effectivement tachée de pouvoir, de torture, de sang », « Les fausses/mauvaises idées ou images de Dieu, de l’Eglise » . « Les affirmations inconditionnelles de certaines religions », « Le dégoût provoqué par les religions » . « Le respect excessif de la tradition est un obstacle majeur »

Les freins créés par les conditions de vie et les problèmes matériels sont aussi cités :

. « Vivre dans un endroit, sans enseignement, sans maître, sans communauté »

. « Manque d'un lieu adéquat pour une pratique quotidienne » et pour les stages ou les sessions, le coût de l’inscription et de la participation.

Enfin, si certains souffrent d’une absence d’offre, paradoxalement l’excès d’offre peut

lui aussi poser un problème. Où l’on retrouve la difficulté du discernement :

. « La multiplicité et l’abondance des approches et des "offres" de développement spirituel, et donc la difficulté de choisir "la bonne" ! » . « Ne pas trouver le bon lieu, le courant spirituel qui nous rejoigne dans notre parcours spirituel », « Ne pas trouver les bonnes personnes pour nous accompagner dans cette démarche, ne pas savoir comment s'y prendre »

. « La trop grande quantité d'informations dans le domaine spirituel où il est parfois difficile de faire le choix entre les vrais enseignements et enseignants et les manipulateurs » . « Le flou, le secret »

C. Les dangers d’une démarche spirituelle

La démarche spirituelle fait peur dans notre société, surtout si elle s’écarte des

modèles classiques de la démarche religieuse encadrée et emprunte des chemins

107

singuliers. L’autonomie permet la liberté, mais laisse l’individu plus responsable,

donc plus vulnérable.

Manifestement les intéressés eux-mêmes sont moins inquiets que ceux qui leur

veulent du bien en voyant le danger partout... Aucune réponse de la liste n’atteint les

30% pour la gradation la plus élevée (danger important). Rappelons que, dans le

cadre d’une enquête qui saisit des comportements et des représentations individuels,

nous mesurons ici la perception subjective de ces dangers et non pas leur réalité

objective, à supposer qu’elle soit mesurable. Et que la négation d’un risque n’est pas

la garantie de son inexistence, la définition même de l’aliénation étant de n’avoir pas

conscience de ce qui vous domine. Reste que l’examen attentif des commentaires

qualitatifs laissés par les chercheurs spirituels en marge de leurs réponses montre

bien que dans la plupart des cas ils ne parlent pas d’eux-mêmes et d’expériences

qu’ils auraient vécues ou subies, mais se font les analystes de dangers qui

pourraient potentiellement guetter les autres.

La principale particularité de ce tableau, si on le compare aux deux tableaux

précédents mesurant respectivement les conditions et les risques d’une démarche

spirituelle, qui faisaient apparaître des hiérarchies très marquées, est que le score

108

d’aucune réponse ne se détache nettement de celui des autres. D’une certaine

manière les dangers sont à équivalence, entre 20 % et 30 % pour le niveau le plus

critique (danger important).

- Le premier cité est l’illusion (29 % de danger important). Derrière ce terme on

trouve sans doute deux choses : le fait de suivre des approches spirituelles mal

assurées, dont le corpus et les contenus peuvent être douteux ; et le fait d’en

attendre une transformation de soi qui, même si la voie suivie n’est pas douteuse, ne

peut survenir ni si vite, ni de manière si profonde.

- Le sentiment de sa propre supériorité et la suffisance (29 %) sont pointés parfois

chez ceux qui, s’étant initiés à une démarche spirituelle qui leur ouvre des horizons

nouveaux sur eux-mêmes et sur le monde, se prennent pour des « initiés ». Mais elle

renvoie le plus souvent à un profil psychologique, et rejoint partiellement en cela la

réponse sur l’égocentrisme et le narcissisme classée plus loin (22 %). On peut

d’ailleurs se demander si ce sont le produit de la recherche spirituelle, où bien un

trait de caractère permanent, donc antérieur :

. « J'ai connu des personnes prises d'égocentrisme et suffisance, mais comment étaient-elles avant ? »

Une personne souligne aussi que ce sont des dérives dont on revient naturellement :

. « Quand au narcissisme, il faut d'abord y entrer pour se rendre compte qu'il ne nous mène pas très loin, sinon à la case départ. La sagesse émerge de nos erreurs »

- Le risque de dérive sectaire, ainsi que le risque d’emprise ou de dépendance (qui

peut aussi s’exprimer hors d’un cadre sectaire), peuvent être ici rapprochés car les

commentaires qui les accompagnent se rejoignent souvent. Le premier est souligné

comme important par une personne sur quatre (25 %), le second par une personne

sur cinq (20 %), en grande partie les mêmes.

S’ils sont bien conscients de ces risques, un certain nombre de personnes proposent

des méthodes ou une discipline pour s’en préserver et exercer leur discernement :

. « Je ne crains pas d'y sombrer car j'ai des critères : que l'enseignant ne demande pas d'argent et qu'il(elle) ait de l'humour. Ce dernier critère pour moi est essentiel »

. « Si la personne est psychologiquement "debout", et si elle reste exigeante et à l'écoute par rapport au discernement et à l'intuition, la dérive sectaire est rarissime » . « Si c’est une démarche spirituelle en groupe, il y a risque sectaire : dépendance, emprise. Ce n’est pas le cas si c’est une démarche isolée »

109

. « Le respect des autres formes de croyance (je ne possède pas la vérité) évite le risque de la dérive sectaire »

Et plusieurs soulignent que ces risques ne sont pas propres à la démarche

spirituelle, bien au contraire :

. « Dépendance et emprise constituent un danger aussi pour les addictions majoritaires proposées par la société : alcool, drogue, cigarettes, sexe, multimédia : plus facile d'être addict avec ça ! »

Au fond, la différence qu’ils font entre la réponse « danger éventuel » et la réponse

« danger important » renvoie sans doute à celle qui sépare la prudence - pour eux-

mêmes - et la crainte - pour les autres -.

- Le risque de fuite du réel et de la vraie vie est souligné comme important par une

personne sur quatre (24 %). Mais cette déconnexion possible de la réalité amène

certains à se poser la question de ce que signifie ce qu’on appelle trop rapidement

ou trop facilement « la vraie vie »1. Pour en contester la notion même :

. « Qu’est-ce pour vous la vie "quotidienne" ? Qu’est-ce que "la vraie vie" ? celle du consumérisme ? » . « Si la vraie vie est la vie que l'on nous propose dans les rues, magasins, à la télévision et même parfois en famille, alors quel bénéfice de se couper de tout cela ! »

. « La "vraie vie" n'est-elle pas notre vie la plus profonde ? »

. « C'est bien à travers et malgré la gigantesque comédie de la "vie réelle" que je cherche ce qu'est la "vraie vie". Une autre dimension, cachée, de l'être humain est à découvrir en soi »

- L’invocation de la fragilité psychologique fait réagir un certain nombre de

personnes. S’il existe bien un danger (16 % danger important), on peut se demander

si c’est une conséquence de la démarche spirituelle, ou bien s’il ne se situe pas

plutôt en amont : la fragilité psychologique ne serait pas un effet de la quête, mais ce

qui rendrait vulnérable à la quête si elle n’est pas bien contrôlée.

. « La fragilité psychologique était déjà présente avant de commencer le chemin mais la fragilité n'est pas le fruit de la démarche spirituelle » . « Elle est malheureusement souvent la raison pour chercher la spiritualité. Dans ce cas tout est un danger »

1 Le terme est également employé depuis peu dans un autre contexte, celui des nouvelles technologies, où on oppose le rapport au monde et aux autres que l’on entretient sur internet ou dans les jeux vidéo, et celui qui prévaut « in the real life ». Mais la crainte de déconnexion est la même.

110

. « Ce n'est pas la démarche spirituelle qui amène à une fragilité psychologique, mais quand on est en fragilité, la démarche spirituelle peut vite amener à la dépendance à des "maîtres" pas forcément éclairés »

De manière très intéressante, la question sur les dangers de la démarche spirituelle

a soulevé beaucoup de commentaires complémentaires, qui ont été l’occasion pour

les chercheurs spirituels de clarifier leur conception de la démarche en précisant à la

fois ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Parfois avec une certaine irritation car ils

ont eu l’impression de retrouver dans la formulation de cette question beaucoup des

critiques qui sont faites autour d’eux à la quête intérieure. Ils ont saisi là l’occasion de

remettre les choses au point.

Beaucoup conviennent qu’il faut rester vigilant. Mais aborder la démarche spirituelle

par ses dangers leur paraît tout à fait excessif et passer à coté de l’essentiel. Cet

essentiel, ils le reformulent de plusieurs manières :

- Ces dangers ne sont pas propres à la spiritualité mais à tout cheminement humain :

. « La fragilité psychologique, l'emprise, la fuite du réel... sont des dangers de la vie de chacun, pas plus réveillés (au contraire) par une démarche spirituelle que par l'addiction à la consommation ou la conformité à un modèle social de travailleur docile... au contraire. La démarche spirituelle est une école de lucidité, de responsabilité » . « La voie spirituelle n'échappe pas aux écueils de la voie mondaine »

. « Chercher est toujours un risque »

- En réalité ces difficultés peuvent être retournées non comme un risque mais

comme une chance : elles nourrissent la quête :

. « J'ai le sentiment que tous ces risques entrent sur le chemin que l'on entreprend, et que c'est ce dernier qui permet de trouver sa voie juste entre soi et les autres, entre esprit et matière, obscurité et lumière » . « Tout peut être "danger" comme tout peut-être "éveilleur" »

. « Se tromper de route est-ce un "danger" ? C'est une expérience ! Je crois simplement que la démarche spirituelle demande une grande vigilance à dénouer les pièges de l'égo, mais c'est un grand chemin qui rend plus libre d'être intérieurement »

- Un des moyens de se prémunir contre les dérives et de vivre pleinement sa

spiritualité est de l’ancrer dans le quotidien, ici et maintenant. Spirituel ne veut pas

dire éthéré :

111

. « C'est aux fruits dans les quotidiennetés que se mesure si la "spiritualité" est vécue "les pieds sur terre" (plus de vie) ou dérive dans les nuages en doctrine psychorigide (bloque la vie) »

. « Une "vraie" spiritualité est ancrée dans la vie réelle sinon c'est de l'illusion, du mysticisme... et ce n’est pas une relation avec les autres et avec cet Autre que j'appelle Dieu » . « La spiritualité se vit dans le quotidien, donc je ne pense pas qu'elle nous coupe du réel ni nous éloigne des autres » . « Une juste (pour moi) démarche spirituelle permet de s'ancrer davantage dans le présent, de mettre au service des autres les capacités éventuelles que l'on développe, de s'ouvrir aux autres, de prendre du recul face aux difficultés de la vie »

- La spiritualité est au fond un chemin vers le meilleur de soi :

. « Il s’agit de cheminer vers le meilleur de soi et de rencontrer la non-dualité... » . « La spiritualité restaure notre plein pouvoir et nous mène à l'amour de soi et des autres » . « C’est une occasion de mieux se connaitre et d'entrer en amitié avec soi »

- Mais surtout, fondamentalement, la démarche spirituelle est une libération, pas un

asservissement :

. « Je ne parle pas ici bien évidemment de fausse démarche spirituelle, car une démarche spirituelle authentique développe au contraire la liberté intérieure, l'attention aux autres, l'humilité...»

. « Quand on s'engage dans une démarche spirituelle, c'est justement pour se débarrasser des "poisons mentaux" tels que l'illusion, l'égo et être ainsi plus ouvert aux autres » . « La démarche spirituelle relie à la vie et au tout, donnant de la conscience et du discernement.... on devient au contraire plus fort » . « Elle donne l'ancrage, rapproche des autres, nous rend humble et plus fort psychologiquement parlant, elle nous fait entrapercevoir la fulgurance d'un Réel qui dissipe les effluves trompeuses du monde factice et sans saveur dans lequel nous sommes plongés »

Pour laisser le dernier mot à une des personnes interrogées : « Le danger vraiment

important, c’est de ne pas avoir de démarche spirituelle… ».

112

III. 4. Les croyances

L’objet principal de cette enquête n’était pas d’interroger directement les chercheurs

spirituels sur l’ensemble de leurs croyances, mais sur leur itinéraire de cheminement

intérieur et de développement personnel.

Reste que les croyances peuvent éclairer la quête. Nous nous en sommes tenus à

l’essentiel : l’existence de Dieu, pour certains au fondement de leur démarche, pour

d’autres l’objet vers lequel elle tend, pour d’autres encore une « hypothèse dont on

peut se passer », pour reprendre la formulation de Laplace. Et le destin de l’homme

après la mort, car chercher à donner un sens à sa vie est aussi une manière de

donner un sens à sa mort, ou à en accepter l’absence de sens.

.A. Croyance en Dieu et représentations du divin

La question de l’existence de Dieu est délicate à poser dans une enquête par

sondage. C’est le genre d’interrogation à laquelle on ne peut répondre par oui ou par

non. Nous avons donc repris ici la formulation nuancée la plus couramment

employée dans les grandes enquêtes de sociologie religieuse, ce qui nous donne

aussi un point de comparaison pour les réponses.

L’existence de Dieu vous paraît-elle … ?

Certaine 59 %

75 % 16 % Probable

4 % Peu probable

4 % Exclue

63 %

17 % Je ne sais pas (+ n.r)

….

37 %

On peut lire ce tableau de deux manières : en termes d’orientation de la croyance et

en termes de degré de certitude.

- La croyance en Dieu est très majoritaire dans notre public : 75 %, trois chercheurs

spirituels sur quatre. Nettement supérieure à celle que l’on relève dans l’ensemble de

113

la population française, qui tourne aujourd’hui autour de 50 % selon les sondages. A

l’opposé, moins de 10 % se prononcent explicitement de manière négative.

- Autre lecture, selon le degré de certitude : si on regroupe les réponses affirmatives

d’un coté (qu’elles soient positives ou négatives) et les réponses probabilistes de

l’autre (plutôt positives, plutôt négatives ou ne savent pas), le partage se fait

différemment : 63 % n’ont pas de doute, 37 % sont dans l’expectative, d’une manière

ou d’une autre. Là aussi le rapprochement avec la moyenne nationale est

intéressant, surtout si on l’inscrit dans la longue durée1 : on constate depuis une ou

deux générations un déplacement de la foi au plausible, plutôt qu’un déplacement de

la croyance à l’incroyance2.

Dans la population des chercheurs spirituels, cette incertitude n’est pas

nécessairement vécue de manière négative comme un manque, mais peut revêtir

une dimension positive comme une valeur. L’incertitude fait partie du chemin, elle

peut être nourrissante. Certains renversent même la proposition et considèrent que

c’est la certitude qui fait problème…

Mais de quel Dieu s’agit-il, ou plutôt de quelle représentation de Dieu s’agit-il ? Nous

avons proposé une liste de réponses qui renvoient à des théogonies et à des

théologies différentes :

Qu’évoque principalement le mot Dieu pour vous ? (plusieurs réponses possibles)

- une présence à l’intérieur de soi 58 %

- une force, une énergie 51 %

- l’origine de l’univers 23 %

- un être, une personne 17 %

- une invention de l’homme 8 %

- autre 16 %

- je ne sais pas (+ n.r) 2 %

1 cf. Y. Lambert : Religion, développement du hors piste et de la randonnée, op cit., qui compare les sondages sur une durée de 20 ans. La dernière enquête accessible (sondage CSA / La Vie) indique que la réponse probabiliste, qu’elle soit positive, négative ou expectative, s’élève aujourd’hui en France à 54 %. 2 Pour reprendre une expression de Jean Vernette : « Des chercheurs de Dieu hors-frontières », Desclée de Brouwer, 1979.

114

Première information : bien qu’on leur ait demandé quelle était leur représentation

principale, un certain nombre d’entre eux en ont donné plusieurs (le total des

réponses fait 175 %...). La notion, ou l’expérience, de Dieu ne se laisse pas enfermer

dans des catégories univoques. Il existe une circulation des perceptions entre des

définitions qui aux yeux de beaucoup ne s’excluent pas même si elles empruntent à

des univers différents. D’autre part un grand nombre de répondants ont tenu à

rajouter leur propre définition, comme la possibilité leur en était donnée, pour

compléter leur réponse ou en substituer une autre à celles qu’on leur proposait. Nous

y reviendrons plus loin.

Seconde information : presque tous ont répondu à la question sur la nature de Dieu

(on compte seulement 2 % de « ne sait pas »), alors qu’à la question de son

existence près d’un sur cinq (17 %) n’avait pas répondu. Résultat qui n’est paradoxal

qu’en apparence : on peut avoir des incertitudes sur ce dont on a la notion. C’est par

rapport à la représentation qu’ils en ont – et tout le monde en a une – qu’un certain

nombre de personnes n’ont pu se prononcer sur leur propre niveau de croyance.

Deux représentations se détachent nettement de toutes les autres : une présence à

l’intérieur de soi (58 %) et une force, une énergie (51 %), soit en première analyse

(nous nuancerons plus loin) une intériorité et une extériorité. Même si la force et

l’énergie peuvent être à la fois intérieures et extérieures. Certains chercheurs

spirituels contestent d’ailleurs ces catégories du « dedans » et du « dehors », tout

comme ils contestaient les catégories du « haut » et du « bas »1. Toutes différentes

qu’elles soient, ces deux représentations intra et extra ne sont pas incompatibles

entre elles puisque 30 % des chercheurs spirituels ont donné les deux

simultanément. Ces deux formulations sont assez loin des définitions traditionnelles

de Dieu dans le christianisme, même si elles peuvent en rencontrer certaines

conceptions : la présence intérieure est une approche que l’on retrouve par exemple

dans la pensée d’un saint Augustin, d’un Maître Eckhart, d’un Thomas Merton ou

d’un Maurice Zundel. Et la force et l’énergie sont deux attributs de Dieu, même s’ils

ne sont pas formulés dans ces termes dans la plupart des textes théologiques

chrétiens. Reste que ce vocabulaire emprunte aussi beaucoup aux nouvelles

1 Richard Bergeron : « Pour un spiritualité du troisième millénaire », in Croyances et sociétés, Fides, 1998

115

recherches spirituelles. Et elle est en phase avec les conceptions qu’on trouve dans

les spiritualités orientales.

Loin derrière - moitié moins – on trouve deux représentations plus explicites : l’une

de l’approche qu’on pourrait qualifier de raisonnée ou de rationnelle, celle de Dieu

comme origine de l’univers : 23 % ; elle n’implique en elle-même ni une construction

collective (une religion), ni un dialogue (un échange), même si elle cohabite chez

certains avec d’autres représentations sans s’exclure. L’autre est la définition qui

renvoie le mieux à celle qui sous-tend le christianisme : un être, une personne ; c’est

à dire quelqu’un à qui on peut s’adresser ou qui s’adresse à vous. Elle ne recueille

que 17 % des réponses, alors que les deux tiers des chercheurs spirituels interrogés

se déclarent pourtant chrétiens ou d’origine chrétienne. Il existe donc dans cette

population un mouvement de reformulation des grandes catégories théologiques.

On peut le voir plus précisément en regardant ce qu’ont répondu les catholiques de

l’échantillon (ceux qui ne se sont pas réfugiés derrière l’appellation plus vague de

« chrétiens »). Et par comparaison ce qu’ont répondu ceux qui en sont le plus

éloignés culturellement, les bouddhistes, pour qui la notion même de Dieu, sous une

appellation personnalisée, fait même problème :

Une présence à l’intérieur de soi

Une force, une énergie

L’origine de l’univers

Un être, une personne

rappel : sur 100 chercheurs spirituels

58 % 51 % 23 % 17 %

sur 100 catholiques 63 % 46 % 23 % 29 %

sur 100 bouddhistes 44 % 54 % 17 % 5 %

Certes les catholiques sont plus nombreux que tous les autres à se représenter Dieu

comme un être ou une personne (29 % contre 17 % en moyenne, soit près du

double), mais cette conception reste minoritaire, du moins comme conception

« principale » puisque telle était la formulation de la question. En revanche la

majorité d’entre eux parlent de Dieu en termes de présence intérieure. C’est

aujourd’hui le registre dominant de la théologie intuitive des chercheurs spirituels,

même s’il ne recoupe pas toujours celui de la « théologie des théologiens ».

116

Quant à ceux qui se déclarent bouddhistes, ils privilégient la définition en termes de

force et d’énergie, même s’ils se retrouvent aussi, dans une moindre mesure, dans

celle en termes d’intériorité.

Pour aller plus loin que cette mesure trop sèche fondée sur des catégories trop

simples - revers obligé de la méthodologie de l’enquête par questionnaire - il faut

s’arrêter sur tous ceux, très nombreux1 qui ne se sont pas satisfaits des catégories

proposées, ou bien qui, tout en y adhérant, ont éprouvé le besoin de les préciser

avec leurs mots à eux. Leurs définitions personnelles complémentaires, données

dans la question ouverte qui accompagnait cette interrogation sur Dieu, sont

particulièrement riches et permettent de mieux saisir la démarche et les croyances

des chercheurs spirituels.

Déjà le mot même de Dieu pose problème à certains.

Parce que par essence Dieu est celui que l’on ne peut pas nommer:

. « Un concept pour essayer de nommer l’innommable, le « Sans Nom » comme disait Maître Eckhart ». . « Qui est et qui n’a pas de nom »

. « Dieu, s’il est nommé, devient un concept objectivé. Il perd donc son statut de divin »

Mais le plus souvent parce que les mots, trop humains, trop limités, sont impuissants

à rendre compte de ce qui nous dépasse. Dieu ne se laisse pas enfermer dans le

langage, il est « l’indicible » :

. « Ce mot est pour moi beaucoup trop connoté et limité pour décrire Cela Qui Est et qui n’a pas de nom »

. « Le mot Dieu est trop étroit »

. « Un mot que l’on utilise pour nommer ce qui est hors de compréhension du cerveau humain » . « Le terme Dieu est simplement un « symbole » ou un « signe » permettant d’évoquer une réalité indicible. Réalité qui ne peut être réduite à un mot, mais pour laquelle l’humanité est pourtant obligée de trouver un terme afin de pouvoir l’évoquer »

Certains, pour ne pas renoncer au mot tout en ne l’essentialisant pas, proposent d’y

substituer le terme « divin » :

. « Au mot Dieu je préfère le divin »

. « Je crois au divin mais pas en Dieu »

1 Plus de 1000 sur les 5700 personnes de l’échantillon

117

Mentionnons aussi que quelques-uns rejettent le mot pour des raisons qu’on pourrait

qualifier d’ « historiques » ou de « sociologiques » plutôt que théologiques : il est

associé dans leur esprit à la religion, et c’est la religion qui leur fait problème, pas

Dieu :

. « Je n’utilise pas ce mot imprégné de religion, j’utilise la Source »

. « Le mot Dieu est très connoté pour moi car il est lié à la chrétienté, à tout ce que l’homme a fait pour contrôler ses semblables au lieu de les rendre plus libres » . « Un mot usé, vidé de son sens par l’obscurantisme acharné du dernier millénaire »

Venons-en maintenant aux principales définitions proposées par les chercheurs

spirituels pour mieux exprimer ce qu’ils entendent par Dieu. On peut les regrouper

autour de quatre pôles :

- Le terme le plus fréquemment utilisé est l’Amour. Il a été invoqué plusieurs

centaines de fois1. Souvent évoqué seul, comme le substantif qui résume tout.

Souvent aussi associé à un autre mot ou précisé par un attribut, pour mieux faire

sentir ce qu’ils entendaient par là :

. « L’amour infini »

. « L’amour inconditionnel »

. « L’amour créateur »

. « L’amour qui se donne »

. « Un amour miséricordieux »

. « Le souffle d’amour »

. « Une force d’amour »

. « La source de tout amour »

. « Parole d’amour incarnée »

. « Une plénitude d’amour »

. « Une présence d’amour »

- Autre terme souvent invoqué (et parfois associé au mot amour) : Vie, fréquemment

écrit avec une majuscule. Avec des acceptions différentes, mais toujours une

dimension englobante :

. « La source de la vie » 1 Et il nous a été reproché par certaines personnes interrogées de ne pas l’avoir fait figurer explicitement dans la question.

118

. « L’essence de la vie »

. « L’intelligence de la vie »

. « La Vie au-delà de soi »

. « La Vie même, cette vibration qui est partout »

. « L’élan vital »

. « La Vie, Energie suprême »

. « Le mystère de la Vie »

. «Le principe de toute Vie »

. « Un souffle de vie, qui agit si je lui laisse la place à l’intérieur de moi »

. « Une plénitude de vie » et, expression qui les subsume toutes : « La Vie de la Vie »

- Troisième association, par ordre de fréquence : le Tout, ou pour reprendre un mot-

valise proposé par l’un d’eux : l’Univers-sel. Tout auquel on associe un certain

nombre de qualificatifs :

. « L’Un qui est partie du Tout »

. « L’unité de la création, le Un »

. « L’indicible Tout »

. « La simple somme de tout »

. « L’alpha et l’oméga, le Tout »

. « L’essence de toute chose »

. « L’harmonie dans le Tout »

. « Le principe de tout »

. « Tout ce qui est, à l’intérieur comme à l’extérieur »

. « Le Tout, dont je fais partie »

. « Une unité, entre soi et l’univers »

. « Un principe universel qui vibre en toutes choses et les relie »

- Le mot Conscience apparaît enfin relativement souvent, mais avec des acceptions

qui peuvent être assez différentes (et généralement ici aussi avec une majuscule) :

. « La Conscience Ultime »

. « La Conscience-Connaissance »

. « La Conscience non localisée dans une forme »

. « Conscience illimitée (ni matière, ni énergie, ni espace, ni temps) »

. « Je préfère parler de Conscience Universelle Divine »

. « La pleine conscience, celui qui est »

119

. « Une conscience créatrice, omniprésente, aimante, joyeuse »

Et pour finir par une définition qui ne rentre expressément dans aucune des

catégories ci-dessus, mais dans laquelle sans doute beaucoup se retrouveraient :

« L’inconnu qui me connaît ».

.B. Les croyances de l’après-mort

L’existence ou non d’une vie ou d’une forme de survie après la mort est une question

que chacun se pose, mais qu’il paraît incongru de poser dans un sondage. Personne

n’en connaît évidemment la réponse, alors vouloir faire des statistique à ce propos…

Pourtant il n’est pas interdit d’y voir une espérance, de l’énoncer et de l’analyser

comme telle.

Qu’y a-t-il après la mort ? (plusieurs réponses possibles)

- la survivance de l’esprit 41 %

- la réincarnation dans un autre être vivant 26 %

- la résurrection 25 %

- quelque chose mais je ne sais pas quoi 26,5 %

- je ne sais pas (+ n.r) 7 % (+ 2 %)

- rien 2 %

- autre 13 %

Fait remarquable : au sein du public des chercheurs spirituels, seule une toute petite

minorité (2 %) répond clairement qu’il n’y a rien. Il faut savoir que dans l’ensemble de

la population française se chiffre s’élève de 40 à 55 % selon les enquêtes1. C’est là

un des points de dissonance majeurs entre le public des chercheurs spirituels et le

« grand public ». Et aussi un des points de ressemblance majeurs des chercheurs

spirituels entre eux, quelle que soit la nature de leur quête.

Les autres réponses peuvent être ordonnées, des plus précises aux plus vagues.

1 Sources : enquêtes CSA/ La Vie 2004, SOFRES/ Pèlerin 2009, ARVAL (Valeurs Européennes) 2008, OpinionWay/Clés 2014

120

Les deux croyances les plus explicites et les plus liées à un corps de doctrine - la

résurrection et la réincarnation - arrivent pratiquement à égalité : respectivement

25% et 26 %. Cette équivalence des scores, et en particulier l’importance de la

réincarnation, n’allait évidemment pas de soi dans un pays de tradition chrétienne,

où l’Eglise proclame sa foi en la résurrection, et où la réincarnation est relativement

étrangère à la culture dominante.

Si on regarde de plus près qui a répondu quoi, le brouillage des représentations se

confirme : sur 100 chercheurs spirituels qui se déclarent catholiques, la croyance

dans la résurrection monte à 40 % et celle dans la réincarnation descend à 15 %.

Reste que la majorité des catholiques de l’échantillon ne souscrit pas, ou pas avec

certitude, à cette représentation de la vie après la mort qu’est la résurrection,

pourtant centrale dans la doctrine chrétienne.

En revanche on ne constate pas un autre brouillage, auquel on pouvait s’attendre,

celui entre les contenus. Il semble que les chercheurs spirituels répondent en

connaissance de cause (ou plutôt en espérance de cause, car en ce domaine il n’y a

que des hypothèses) puisque les deux représentations, résurrection et

réincarnation, sont presque toujours exclusives l’une de l’autre : seuls 4% ont

associé l’une et l’autre dans leurs réponses. Alors que dans les sondages nationaux

sur le même sujet, auprès de l’ensemble de la population française, la confusion est

très forte : ce sont souvent les mêmes qui répondent à la fois résurrection et

réincarnation.

La réponse dominante n’est cependant pas celle qui renvoie à des corps de doctrine

comme les deux que nous venons d’examiner, mais une formulation plus générique :

« la survivance de l’esprit » (41 %). Dans la moitié des cas c’est une réponse unique,

mais elle peut aussi être associée de manière complémentaire avec les deux

précédentes (plus souvent d’ailleurs avec la réincarnation qu’avec la résurrection).

Quant à la réponse la plus imprécise mais cependant affirmative (« quelque chose

mais je ne sais pas quoi ») elle est adoptée par un chercheur de sens sur quatre

(26,5 %).

Ce n’est évidemment pas d’aujourd’hui que l’homme peine à définir ce dont il s’agit.

Mais on peut faire l’hypothèse que la perte d’emprise et d’encadrement des appareils

religieux (Églises, paroisses, etc.) libère la créativité dans ce domaine. Les

121

commentaires spontanés qui accompagnent certaines réponses, ou ceux qui se

substituent aux réponses préformulées que proposait le questionnaire, en

témoignent.

- La nature de la résurrection va à peu près de soi pour ceux qui y croient, comme en

témoigne le faible nombre de commentaires additionnels sur ce point. Même si

quelques uns font état d’une difficulté à se la représenter :

. « Résurrection, mais sous une forme encore mal perceptible »

. « Résurrection de la chair dans certaines conditions »

- Les commentaires sur la réincarnation sont beaucoup plus abondants, et prennent

des formes très variées. Ils témoignent d’un certain flottement et d’une assimilation

doctrinalement moins assurée de cette notion.

Certes on retrouve chez certains l’idée centrale des cycles de vie, avec parfois aussi

une connotation de progression positive de cycle en cycle vers la plénitude de

l’être qui n’est pas dans la conception orientale :

. « La réincarnation si la libération n'est pas atteinte dans cette vie »

. « La réincarnation si on ne s'est pas éveillé à l'infini »

. « L’âme poursuit son parcours de réincarnations en réincarnations vers la seule lumière » . « La réincarnation avec survivance des acquis des vies passées et la survivance de l'Ame »

Mais une réincarnation sous quelle forme ? Les réponses sont très ouvertes :

. Humaine ? « La réincarnation en un autre être humain, tant que cette expérience là est nécessaire à la perfection de l’être humain » . Dans un autre être vivant ? « La réincarnation dans un corps nouveau »

. Ailleurs que sur terre ? « Réincarnation ou poursuite de l’évolution vers un autre niveau que celui terrestre », « Sur terre ou ailleurs »

. Dans une autre dimension ? « Réincarnation au sens plus large que dans un être vivant »

Revenons maintenant sur les commentaires qui proposent une définition personnelle

du devenir de l’homme après la mort, hors des croyances constituées: ce sont de

loin les plus nombreux.

L’idée centrale est celle de la continuité. Elle s’oppose à la conception dominante,

dans nos sociétés, de la mort comme rupture, ou de la mort comme fin. Cette

continuité de la vie s’effectue sous une autre forme, dans une autre dimension :

122

. « La poursuite de la vie dans un autre espace-temps », « sur un autre plan », « sous une autre forme » . « Point final de soi-même, continuum de la Vie dans l’univers et tout ce qui vit » . « Evolution dans d’autres dimensions et autres mondes avec retours éventuels sur terre jusqu’à être dans la conscience totale fusionnant en Dieu-origine-tenant-aboutissant, l’UN et tous et tout »

. « L’esprit survit dans d’autres plans spirituels »

. « Le corps physique, et le corps psychique disparaissent ; notre Essence demeure. De même que la vague disparait en tant que forme lorsqu'elle se brise sur le rivage, l'eau qui la constitue demeure en tant que substance au sein de l'Océan. » . « Continuité de la vie dans un corps plus subtil que notre corps actuel »

. « La mort est une transmutation vers un autre état d’Être, une naissance au ciel en quelque sorte et puis à nouveau la chute dans la matière pour peaufiner notre Chair à Conscience » et plus prosaïquement : « L’aventure continue… »

Les trois mots clés employés le plus souvent sont énergie, conscience et âme (avec

des recoupements entre les trois mots dans de nombreuses réponses) :

Énergie :

. « La continuation de l’énergie de la vie »

. « Une énergie qui s’installe ou ne s’installe pas dans une autre forme mais qui est là, qui subsiste »

. « Notre élan vital, énergie de la vie, rejoint l’éther, le potentiel immanent de l’univers »

. « Tout est énergie créatrice, donc celle-ci continue d’être avant la mort et après. La personne est un agrégat d’énergie, alors que la petite personnalité est une illusion » . « La vie est éternelle et sans fin, on est énergie avec un corps de lumière de l’autre coté »

Conscience :

. « La continuité du chemin de la conscience »

. « Un retour à une conscience universelle, collective, unifiée au Tout »

. « Une autre expérience d’élévation de la conscience »

. « Une conscience intégrée dans l’infiniment grand »

Âme :

. « La vie continue à travers l’âme »

. « L’âme continue à évoluer dans différents plans et peut revenir sur terre »

123

. « L’âme qui essaye de se fondre dans la conscience universelle »

. « La survivance de l’âme, du divin en nous »

Dieu est rarement nommé. Alors que les personnes interrogées parlent volontiers de

retour et d’amour :

Retour à « la Source », à « l’Unité », à « la Lumière », à « l’Origine », …

Invocation d’ « un amour infini », « un océan d’amour », « Rien que de

l’Amour » .

Et pour terminer cette réponse qui plonge dans un abîme de réflexion (au double

sens de la réflexion intellectuelle et de la réflexion du miroir.): « Qu’y a-t-il après la

mort ? Je ne m’en souviens pas ».

Au total, ce qui domine est la croyance - ou l’espérance - dans une forme de vie

après la mort, que l’on sache la caractériser ou pas. C’est une position plus

philosophique que doctrinale. Si on exclut ceux qui sont convaincus qu’il n’y a rien et

ceux qui n’ont pas su donner de réponse, même vague, 90 % des chercheurs

spirituels pensent que la mort n’est pas un terme définitif de l’existence humaine.

Au fond la croyance en une forme d’immortalité, si elle ne faiblit pas, change

aujourd’hui de nature. Elle renvoie de moins en moins à un corps de doctrine précis

ou conceptualisé. La fonction de jugement par exemple est devenue secondaire. La

conviction qu’il existe quelque chose après la mort exprime peut-être aujourd’hui un

désir de survie plus qu’un désir de salut : éviter que la mort soit mortelle… Cette

attitude, que l’on retrouve aussi dans une partie de la population, semble d’autant

plus vraie pour ces chercheurs spirituels qu’ils s’appuient non seulement sur des

croyances, mais sur leurs expériences, parmi lesquelles celle de l’amour,

abondamment citée.

124

III. 5. L’ouverture aux autres spiritualités et religions.

Nous avons vu à de nombreuses reprises qu’une des caractéristiques fondamentales

des chercheurs spirituels est leur ouverture. C’est en quelque sorte la « signature »

de cette population. Elle apparaissait déjà clairement à l’analyse des différents

stages, sessions ou formations qu’ils avaient suivis : beaucoup d’entre eux font

preuve de mobilité, passant d’une discipline ou d’une approche à l’autre, ou

enrichissant l’une par l’autre. Elle était également à l’œuvre dans leurs lectures, qui

s’alimentent souvent à plusieurs traditions, ou dans certaines de leurs pratiques. On

la retrouvait enfin dans nombre de « doubles réponses » où les mêmes personnes

pouvaient se reconnaître simultanément dans des propositions apparemment

antinomiques.

On peut rattacher toutes ces démarches de manière plus large à la notion de

curiosité spirituelle. Pour la saisir de manière directe, nous leur avons expressément

demandé à la fin du questionnaire s’ils avaient un intérêt d’ordre spirituel - la

formulation est importante, il ne s’agit pas que d’une curiosité culturelle - pour un

certain nombre de religions ou de traditions de quête intérieure, et d’en évaluer

l’intensité (beaucoup, assez, pas vraiment, pas du tout). Les niveaux de réponses

positives données par chacun sont presque toujours élevés. Et la somme de ces

réponses cumulées est très nettement supérieure à 100 %, car chacun en a cité en

moyenne quatre sur les huit qui leur étaient proposée. La religion « se présente

aujourd’hui comme un stock de significations à la disposition de l’individu, où il

devient possible de puiser librement »1.

Avant d’examiner plus précisément les résultats, quelques éléments sur la

signification de cette curiosité spirituelle. Les commentaires spontanés donnés par

les personnes interrogées sont éclairants : ils montrent que l’intérêt pour les autres

religions est d’une double nature :

- un intérêt pour les personnes qui les pratiquent, pour l’altérité humaine :

. « Je m’intéresse aux personnes vivant d’autres religions dans ce que nous partageons de commun et vivons de différent »

1 J-M Donegani : Le religieux à la carte, op. cit.

125

. « Je suis très sensible aux autres religions et voir d’autres priants, quels qu’ils soient, m’enrichit beaucoup et m’unit à la grande famille des hommes, tous aimés de Dieu »

. « Je ne m’intéresse pas à ces autres religions et spiritualités en tant que telles mais je m’intéresse aux autres et donc à ce qu’ils croient. Il est important pour moi de me documenter un peu là-dessus pour mieux comprendre ce que d’autres y trouvent et il y a parfois des points communs ou des points de rencontre avec ce que je crois » . « Je m’intéresse à toutes les religions mais plutôt d’un point de vue sociologique (j’ai été mariée à un homme d’éducation musulmane). Les croyances diverses me passionnent »

- un intérêt pour les contenus, en ce qu’ils enrichissent sa propre démarche :

. « La connaissance des autres religions est indispensable pour se structurer et y puiser force, équilibre et philosophie de vie »

. « J’ai un très grand respect pour Jésus, Bouddha, les Vedas, Lao Tseu, les prophètes, et je peux me référer à leurs paroles et à leurs actes »

. « Il y a longtemps que j’ai compris que toutes les traditions spirituelles se complètent. Ce que je ne comprend pas dans l’une, j’en trouve un éclairage dans l’autre… Ainsi pour moi les traditions spirituelles forment un corpus à l’échelle de l’humanité entièrement à sa disposition, il suffit d’être curieux »

Mais de quelles religions et traditions s’agit-il ? L’analyse des réponses apporte des

éléments particulièrement intéressants.

49 % 47 % 44 %

40 %

30 %

22 %

126

Le christianisme, qui est la culture d’origine de notre société et dont se

recommandent peu ou prou encore les deux tiers des personnes interrogées est

évidemment particulièrement bien placé : 42 % des chercheurs spirituels s’y

intéressent beaucoup et 30 % assez, soit au total 72 %.

Beaucoup plus paradoxal est le score du bouddhisme, qui n’est d’ailleurs pas à

proprement parler une religion. On pouvait s’attendre à le trouver à un niveau élevé,

mais pas en tête. Si on cumule les réponses « beaucoup » et « assez » il dépasse le

christianisme, avec 80 % des gens qui manifestent un intérêt spirituel pour lui. Certes

le bouddhisme est aujourd’hui « tendance » dans la société française, au point de

voir son vocabulaire et son iconographie recyclés hors contexte jusque dans la

publicité. Mais pas à ce point : un sondage du CSA1 qui posait la même question

dans les mêmes termes faisait apparaître que 3 % des français avaient beaucoup

d’intérêt spirituel pour le bouddhisme et 18 % assez. Soit au total 21 %. On est très

en deçà du chiffre obtenu dans notre public. L’appétence pour le bouddhisme des

chercheurs spirituels ne saurait être réduite au reflet de la culture ambiante, mais

procède bien d’une dynamique propre. Et elle dépasse largement la fraction d’entre

eux qui suivent effectivement des sessions, stages ou formations dans ce domaine2.

Les autres traditions religieuses ou spirituelles que l’on pourrait elles aussi qualifier

de « lointaines » (en assumant l’acception ethnocentrique du terme), c’est à dire

étrangères culturellement et historiquement au monothéisme et aux religions du livre,

arrivent loin derrière. Parmi elles, on découvre que celle qui suscite le plus

d’attention est le chamanisme (49 %). Il est probable qu’il s’agit là d’un phénomène

relativement récent : les références au chamanisme se sont multipliées ces dernières

années tant dans les publications (presse spécialisée, livres) que dans les offres de

stages ou de sessions. Reste que ce chiffre particulièrement élevé est surprenant et

mérite qu’on s’y arrête. Il serait trop rapide de n’y voir qu’une attitude régressive, un

retour à une mentalité pré-scientifique pour se défendre face à la domination de la

technologie et de la modernité. On peut faire l’hypothèse que cet intérêt pour le

chamanisme tient à la conjonction de deux aspirations : d’une part l’aspiration

1 Source : sondage CSA / La Vie 2003 2 Rappelons que dans notre échantillon 15 % seulement ont déjà suivi des activités liées au bouddhisme.

127

écologique, qui veut donner sa place à la nature, la laisser parler, l’écouter ; d’autre

part la recherche de la signification symbolique des choses, des faits des

événements, signification qui a été occultée par leur réduction contemporaine au

seul plan de la rationalité.

Juste derrière on trouve l’hindouisme (47 %) et le taoïsme (44 %), qui partagent avec

le bouddhisme une origine orientale ou asiatique, mais ne font que la moitié de ses

scores.

Quant à l’animisme, il est à part : il se distingue radicalement des autres spiritualités

« exotiques » en arrivant bon dernier (22 %) dans le classement de la curiosité

spirituelle.

Les deux autres grandes religions monothéistes dites du Livre, l’islam et le judaïsme,

ne soulèvent pas un intérêt considérable relativement aux autres, même s’il n’est pas

négligeable. Le judaïsme, religion certes minoritaire mais matrice du christianisme

majoritaire dans notre pays, suscite l’intérêt de quatre chercheurs spirituels sur dix

(40 %), dont seulement 10 % de manière investie. Quant à l’islam, son actualité est

relancée régulièrement par l’actualité et les débats sur le voile, l’exercice du culte, les

interdits alimentaires, l’immigration, etc. pour ne rien dire des évènements extérieurs

(révolutions arabes, Jihad, etc.). Or il arrive pratiquement en fin de classement (30

%). Cela tient à ce que la question portait explicitement sur l’intérêt « d’ordre

spirituel » qu’il suscite. Son intérêt d’ordre sociologique et politique est indéniable et

sans doute généralisé, mais il ne débouche pas sur un désir de connaissance de la

spiritualité qui le fonde. Cette dissociation est particulièrement significative.

Poussons maintenant l’analyse et rapprochons la question sur l’intérêt spirituel porté

aux différentes traditions et religions de celle sur l’appartenance religieuse

personnelle.

L’intérêt pour d’autres religions que la sienne est important chez tous les chercheurs

spirituels. Mais ses modalités peuvent varier selon l’appartenance de chacun. Cet

écart apparaît clairement quand on compare les réponses de trois populations bien

différentes : les sans religion affirmés, les chrétiens et ceux qui se sont déclarés

bouddhistes. (cf. graphique page suivante).

128

- A quelle(s) religion(s) s’intéressent les sans religion ? La question peut sembler

paradoxale. Ceux qui tiennent à affirmer qu’ils n’appartiennent à aucune religion

particulière, de près ou de loin (soit 26 % de l’échantillon) ne sont pas pour autant

indifférents aux religions ou à la spiritualité, loin de là. Ils s’intéressent à ce qu’elles

peuvent apporter comme enrichissement de la vie en général, et de la vie intérieure

en particulier. Mais leur intérêt est sélectif :

C’est parmi eux qu’on trouve la plus forte curiosité pour le bouddhisme : 88 % soit

près de neuf sur dix. Ils sont également sensiblement plus nombreux que la

moyenne à s’intéresser à des religions ou des spiritualités qui sont loin de nous :

chamanisme (67 % contre 49 % en moyenne), taoïsme (53 % contre 44 %),

animisme (32 % contre 22 %), mais on relève peu de différences pour l’hindouisme

(50 % contre 47 %).

Intérêt spirituel pour les différentes religions et spiritualités (beaucoup + assez)

129

Le point sur lequel les sans religion se distinguent le plus des autres chercheurs

spirituels est leur faible intérêt relatif pour la religion de proximité (c’est à dire la

tradition religieuse dominante de leur propre pays), le christianisme : 43 % contre

72% en moyenne, soit presque moitié moins. On peut voir deux raisons à cela. L’une

neutre : ils s’estiment déjà suffisamment informés, par éducation ou par immersion

puisqu’il s’agit de la religion culturellement dominante (au sens quantitatif). L’autre

négative : ils rejettent cette religion dominante (au sens qualitatif du mot domination)

dont ils estiment qu’elle leur a été imposée ou qu’ils en ont fait le tour.

De manière plus générale, cette réserve s’inscrit dans une attitude réticente vis à vis

des grandes religions monothéistes, dites du Livre : on relève également des scores

d’intérêt plus faibles vis à vis du judaïsme (23 % contre 40 % en moyenne) et de

l’islam (20 % contre 32 %).

Au fond les sans religion sont plus particulièrement ouverts à ce qu’ils considèrent

comme des disciplines spirituelles, et fermés à ce qu’ils perçoivent comme des

institutions religieuses.

- Second zoom sur une population particulière : ceux qui ont déclaré se sentir

appartenir au bouddhisme. Ils sont plus intéressés que les autres par deux

spiritualités d’origine orientale : l’hindouisme (59 % contre 47 % en moyenne) et le

taoïsme (58 % contre 44 %). L’écart positif est également marqué pour le

chamanisme (58 % contre 49 %).

Le christianisme ne leur est pas indifférent, loin de là, sans doute parce qu’une partie

de ceux qui se disent bouddhistes en sont issus : près de deux sur trois (62 %) s’y

intéressent, mais ce chiffre reste en retrait par rapport à la moyenne des chercheurs

spirituels (72 %). Quant au judaïsme et à l’islam, ils sont nettement en retrait, tant en

valeur absolue (autour de 20 %) qu’en valeur relative par rapport à la moyenne.

- Et les chrétiens ? Rappelons que près de deux chercheurs spirituels sur trois (63%)

ont affirmé leur appartenance au christianisme, qu’ils se disent explicitement

catholiques ou non, qu’ils s’y reconnaissent par simple héritage assumé mais pas

nécessairement réactivé, ou par une démarche de réappropriation liée à leur

parcours personnel.

Ils sont eux aussi très ouverts sur les religions. Sur la leur bien sûr, en priorité : 86 %

disent s’intéresser beaucoup ou assez au christianisme. Mais sur les autres religions

130

aussi : 73 %, trois sur quatre, expriment un intérêt d’ordre religieux pour le

bouddhisme, ce qui est considérable. Et environ quatre sur dix sont concernés par

l’hindouisme, le chamanisme ou le taoïsme (respectivement 43 %, 40 % et 37 %),

même si ce taux de curiosité est chez eux un peu inférieur à la moyenne. Par contre

l’animisme ne fait pas recette chez eux (17 %).

A remarquer : 48 % (près d’un chrétien sur deux) s’intéresse au judaïsme. Cette

attention est cohérente avec le mouvement de reconsidération des racines juives du

christianisme et de retour à l’Ancien Testament (souvent renommé dans cet esprit le

Premier Testament) sensible aujourd’hui dans une fraction de l’Eglise catholique.

Mais elle prend aussi son sens dans un mouvement de portée plus générale qui

nourrit beaucoup de chercheurs spirituels, chrétiens ou non : la recherche de ce qui

fait source, origine.

Enfin un tiers des chrétiens (33 %), soit le même niveau que la moyenne,

s’intéressent à l’islam.

Cette ouverture et cet éclectisme dont font preuve les chrétiens parmi ceux que nous

avons appelés « chercheurs spirituels » ne sont pas un syncrétisme, c’est à dire une

religion construite par emprunts hétérogènes un peu partout, mis à équivalence. Ils

gardent clairement leur centre de gravité, puisqu’un grand nombre d’entre eux

continuent à affirmer leur appartenance chrétienne, et pour beaucoup catholique. Les

commentaires des réponses sont ici éloquents :

. « Je ne renie absolument pas ma foi catholique mais je suis très profondément redevable des richesses que j’ai reçues chez les protestants et orthodoxes, et aussi chez les juifs. J’essaie de mieux comprendre l’Islam » . « Je suis de tradition catholique, mais non pratiquante. Et de redécouverte chrétienne. Toutes les religions m’intéressent » . « L’étude des autres religions a renouvelé ma foi chrétienne » . « Ce que j’apprécie dans le chamanisme, c’est le rapport à la nature. Et dans le bouddhisme, la méditation et le lien avec le corps. Sinon je me sens bien dans ma pratique chrétienne »

La curiosité spirituelle pour les autres traditions est vécue comme un enrichissement

de sa tradition propre. C’est justement parce qu’ils sont de quelque part qu’ils

peuvent aller ailleurs, sans se perdre. Et cela est vrai pour tous les chercheurs

spirituels, quelle que soit leur origine. Il ne s’agit pas pour autant de « double

131

appartenance » à moins de la voir, avec Jacques Scheuer, non pas « comme une

double possession tranquille, mais comme le mouvement ou la dynamique par

lesquels, sans quitter sa tradition propre, on s’expose à une autre tradition… Il s’agit

d’un va-et-vient, de transformations et de « conversions » successives. Moins une

intégration qu’un passage. Une vocation de passeur. »1

1 Le mouvement du passeur, dans Dennis Gira et Jacques Scheuer (dir.), Vivre de Plusieurs Religions. Promesse ou illusion ? Paris, Les Editions de l’Atelier/Editions Ouvrières, 2000

132

Conclusion

Au terme de cette recherche, on est frappé par la singularité des parcours

individuels. Diversité des voies empruntées, des appartenances d’origine, des

fidélités conservées ou non. Cette singularité, constatée de l’extérieur par l’enquête

sociologique, est aussi une singularité revendiquée de l’intérieur (si on peut dire) par

les chercheurs spirituels eux-mêmes, comme élément constitutif de leur démarche.

Et pourtant une analyse plus poussée fait apparaître entre eux un grand nombre de

points communs, à commencer paradoxalement par celui du sentiment de sa propre

singularité…

Derrière ces comportements dont la variété et les variations semblent inépuisables

se dessine en réalité une convergence plus profonde, qui relève de l’ordre des

représentations, et est caractéristique du régime dominant du croire dans les

sociétés de l’ultramodernité. Yves Lambert les a résumés en quatre traits

fondamentaux, qu’on retrouve à l’œuvre ici : la valorisation de l’autonomie

individuelle, une conception humanocentrée du religieux, l’accomplissement de soi

dans la vie présente et une vision holiste de l’univers1.

Le mot religieux fait souvent problème aux personnes que nous avons interrogées.

Elles y opposent le mot spirituel, même quand elles se reconnaissent elles-mêmes

d’une appartenance religieuse - généralement chrétienne - et l’assument. Cette

distinction entre religieux et spirituel, et cette circonspection (au minimum) vis à vis

du religieux, qui structurent une grande partie de leur discours, n’est pas que le

simple écho de la tonalité antireligieuse qu’on retrouve aujourd’hui un peu partout à

l’œuvre, dans les médias ou ailleurs. Elle est plus fondamentalement l’effet de

l’application à la sphère du religieux de critères qui lui sont extérieurs, et sont aussi

partout à l’œuvre dans la société.

Le premier est le refus ou la méfiance vis à vis de toute médiation, surtout si elle est

institutionnelle : une Église, pas plus qu’une organisation politique ou sociétale, n’a à

interférer dans ce qui est de l’ordre du personnel et du fondamental; beaucoup

considèrent qu’ils peuvent faire l’économie de l’institution et de ses dogmes au profit 1 Y. Lambert, « Religion, modernité, ultramodernité : une analyse en termes de ‘tournant axial’ » in Archives de sciences sociales des religions, 2000, 109, cité par L. Hourmant, op. cit.

133

sinon d’une « ligne directe » avec Dieu, du moins au profit de ce qu’on pourrait

appeler une autospiritualité.

Le second est l’importance centrale qu’a prise aujourd’hui l’expérience personnelle

comme vecteur de connaissance et comme validation d’une certitude. Dès lors que

l’on attend d’abord du spirituel non pas une vérité mais un épanouissement, ce qui

définit qu’une chose est bonne ne tient plus, ou plus seulement, à ce qu’elle est

attestée par l’histoire ou par un magistère, mais à ce que je l’ai éprouvée et qu’elle

me fait du bien.

Beaucoup d’idées toutes faites circulent dans la société, et plus encore dans les

milieux religieux, à propos des nouvelles recherches spirituelles. On entend ainsi

souvent parler d’égocentrisme voire de nombrilisme pour qualifier ces démarches qui

prennent le sujet lui-même comme point de départ, voire comme point d’arrivée. Or

l’enquête fait apparaître que ces approches spirituelles fondamentalement centrées

sur l’individu ne débouchent pas pour autant sur l’individualisme. Mais elles relèvent

de l’individuation, c’est à dire d’un chemin de construction de sa propre émancipation

et de son autonomie, chemin qui demeure ancré dans la conscience de l’autre.

Cette attention à l’altérité s’exprime à la fois concrètement et conceptuellement.

Concrètement, les personnes que nous avons interrogées pratiquent ou recherchent

l’empathie, pas seulement la possibilité de dialoguer avec l’autre mais l’aspiration à

se projeter à sa place pour mieux communiquer. Et elles croient à l’exemplarité,

celle de leur propre chemin aux yeux des autres comme celle du chemin des autres

à leurs propres yeux.

Conceptuellement elles se disent solidaires de l’ensemble de la communauté des

hommes et de la planète, se sentent profondément reliées au monde et au cosmos1.

Solidarité non prosélyte : il ne s’agit pas nécessairement de militer pour changer le

monde, il faut travailler d’abord à se changer soi-même2.

Autre idée toute faite mise à mal par l’enquête : celle selon laquelle la recherche

spirituelle serait un refuge qui, fonctionnant sur d’autres valeurs que celles de la

société matérialiste dominante, pourrait déboucher sur un retrait du monde, ou

pourrait consoler du monde. 1 On retrouve ici la notion d’individuo-globalisme développée par Raphaël Liogier dans « Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? », Armand Colin, 2012 2 Une des phrases de Ghandi les plus citées aujourd’hui est : « Sois le changement que tu veux voir dans le monde ».

134

Il est vrai que d’une certaine manière beaucoup de représentations mises en œuvre

peuvent apparaître comme un contre-modèle. Quelques éléments : Privilégier l’être

sur l’avoir, par opposition à une société qui survalorise la consommation, et qui

définit plus volontiers les gens à partir de ce qu’ils ont et de ce qu’ils paraissent, que

de ce qu’ils sont. Privilégier l’unité sur l’éclatement : l’homme contemporain est

multifonction, multifacettes, voire en miettes dans son existence sociale ; d’où

l’aspiration à se donner un centre, une colonne vertébrale pour affronter ses

différents rôles sans s’y perdre. Privilégier l’être humain sur son instrumentalisation :

cette démarche repose sur la conviction que la vie avec les autres doit être d’abord

vécue comme une relation, et non comme un rapport de force. Privilégier le temps

dans toutes ses dimensions, enfin : dans un monde qui réduit le temps au présent,

cela se traduit à la fois par une revalorisation de la notion de durée et de projection

vers l’avenir (par opposition à une culture de l’immédiateté), par une réintroduction

de la lenteur (par opposition à une culture de l’impatience), et par une valorisation

des racines, des sources, de l’histoire qui nous a précédés (par opposition à une

culture de la table rase).

En réalité l’enquête montre que ce besoin personnel de rééquilibrage par rapport à

l’air du temps n’est pas un retrait ou un repli. Il ne débouche généralement ni sur une

démarche réactionnaire (revenir à), ni sur une démarche résistante (maintenir

contre), mais sur une acceptation assumée de la modernité (vivre avec, mais

autrement). On sait que dans la société toute généralisation d’une norme, ou d’une

manière d’être, engendre en retour le désir d’une compensation y compris chez

ceux-là même qui l’acceptent. Ce que Régis Debray appelle avec humour « l’effet

jogging »1 : plus les gens disposent de voiture et l’utilisent pour leurs déplacements,

y compris les plus minimes, plus ils éprouvent simultanément le besoin d’aller à pied,

de marcher ou de courir. La démarche spirituelle ne consiste pas à fuir le monde,

mais à donner de l’épaisseur au monde, à s’en extraire pour y replonger ensuite,

plus riche.

Autre notion couramment admise, partiellement infirmée dans l’étude : le « bricolage

spirituel ». Certes les chercheurs spirituels mettent en œuvre une « individualisation

du croire » pour reprendre l’expression particulièrement pertinente de D. Hervieu-

1 Régis Debray : Cours de médiologie générale, Gallimard, 1991 et Introduction à la médiologie, PUF, 2000

135

Léger, et ne se privent pas de revisiter d’autres traditions que les leurs, et de

s’adonner à d’autres pratiques que celles qui leur ont été transmises. Mais

l’expression même de bricolage, telle qu’elle est fréquemment employée, induit à la

fois une approche superficielle et une dimension syncrétique, qui ne correspondent

ni l’une ni l’autre à ce que nous avons observé généralement dans l’enquête1.

La superficialité renverrait au « zapping » (autre terme qui connaît une grande

fortune dans la vulgate sur les nouvelles spiritualités), défini comme une démarche

volatile, qui se pose et qui repart sans creuser ni se fixer. L’analyse fait au contraire

apparaître des comportements fortement investis, même si leur objet peut évoluer au

fil d’une vie (et certains itinéraires spirituels sont parfois peu linéaires), ou peut porter

simultanément sur plusieurs univers spirituels à la fois, en apparence éloignés. Le

fait d’avoir un champ de recherche élargi ne signifie pas s’adonner au

consumérisme. Pourquoi alors la fortune de ce cliché qui représente le spirituel

comme un marché - ce qu’il est - mais en infère qu’il relève de la simple

consommation, ce qui est pour le moins simpliste ? Il y a là une faute de

raisonnement qui confond l’offre et l’usage : l’offre, c’est la multiplication des recettes

« spirituelles » dans les pages des magazines, essentiellement féminins, élevées (ou

abaissées…) au rang de techniques efficaces en soi, indépendamment de la tradition

qui les a générés - une spiritualité hors sol en quelque sorte -. L’offre, ce sont aussi

les rayons spécialisés dans les librairies, qui proposent une infinie variété de livres

de toutes origines et de tous niveaux de profondeur. Mais le fait que tout soit

juxtaposé et que l’œil puisse passer en un instant et dans un seul espace d’une

tradition à une autre ne veut pas dire que le même individu passe lui aussi d’une

pratique à une autre. Certes on trouve de tout, et souvent à égalité de proposition et

à équivalence de présentation. Cela ne signifie pas que chacun fait un peu tout, mais

augmente les chances que chacun trouve ou enrichisse sa voie.

Le reproche de syncrétisme, lui, est généralement associé à la notion de relativisme

spirituel, qui produirait des constructions baroques par emprunts multiples, où tout se

vaut. Certes il est clair que ces chercheurs ont quitté les rives de l’orthodoxie

religieuse, de la même manière que nos contemporains se sont éloignés des grands

modèles explicatifs uniques que sont les idéologies politiques constituées. Ils

peuvent associer plusieurs traditions, ou au sein d’une seule tradition n’en retenir

1 C’est particulièrement frappant dans les très nombreux commentaires qualitatifs dont les personnes interrogées accompagnent leurs réponses.

136

qu’une partie. Non pas « ce qui les arrange », comme on le dit trop souvent, mais ce

qui leur paraît essentiel, ce qui est tout à fait autre chose et implique un

discernement (le mot ou la notion sont d’ailleurs souvent évoqués). Tous les discours

qualitatifs que nous avons recueillis procèdent par hiérarchisation. Les chercheurs

spirituels distinguent clairement ce qui pour eux est au centre et ce qui est à la

périphérie, ce qui relève du fondamental et ce qui relève de l’accessoire. La figure

qui rend le mieux compte de cette construction est l’arborescence et non

l’équivalence : beaucoup se réfèrent implicitement ou explicitement à un tronc

central, une tradition spirituelle majeure, qu’ils enrichissent de rameaux extérieurs

multiples qui visent à l’ouvrir au delà d’elle même.

Cette démarche, qu’on peut qualifier de « recomposition spirituelle » et non de

syncrétisme, se caractérise à la fois par une ouverture, nous venons de le voir, et par

une convergence : même ceux qui ne puisent plus à une source unique sont

fondamentalement à la recherche de ce qui fait unité.

La cohabitation d’éléments composites peut sembler hétérogène, voire

contradictoire. En réalité, là où les analystes - de l’extérieur - voient des

incohérences religieuses ou dogmatiques, ces chercheurs - de l’intérieur - voient une

cohérence spirituelle, car c’est la personne, et non plus la doctrine, qui fait l’unité en

cherchant à conférer du sens à sa vie. On est passé du modèle du « Ou », de

l’exclusif, au modèle du « Et », de l’inclusif ou de la cohabitation des contraires. Loin

d’un monde spirituel où il faut être ou dedans ou dehors, ils peuvent être à la fois

dedans et dehors ; loin d’un univers religieux où il faut être ou d’une appartenance ou

d’une autre, ils peuvent être simultanément chrétiens et bouddhistes par exemple ;

loin d’une représentation psychologique où les tempéraments s’excluent, ils peuvent

être en même temps préoccupés de leur moi et soucieux de partager. Ce

déplacement épistémologique n’est d’ailleurs pas propre à la sphère religieuse ou

spirituelle1. Edgar Morin, en mettant en lumière ce passage du Ou au Et, insiste sur

la reconnaissance du principe de non-exclusion, propre à la modernité. Ce qu’il

appelle le passage de la dialectique à la dialogique2.

1 On le rencontre aussi par exemple dans la sphère culturelle, où les mêmes personnes assument aujourd’hui leur goût pour la culture populaire et pour la culture cultivée, ce que Bernard Lahire appelle la « dissonance culturelle ». Cf. B. Lahire : La culture des individus, La Découverte 2004 2 Edgar Morin : La méthode (tome 4 : Les idées), Seuil, 1995

137

L’enquête fait apparaître que la grande majorité des chercheurs spirituels ne

viennent pas de « nulle part », si on peut dire. Ils ont été élevés pour l’essentiel dans

le christianisme. Et les deux tiers d’entre eux se reconnaissent encore explicitement

comme chrétiens. Même ceux qui ont pris leurs distances avec les dogmes et qui ne

se sentent plus tenus de suivre les rites. Leur quête, en les faisant passer par la

connaissance d‘autres filiations spirituelles et par l’expérience d’autres formes de

recherche personnelle, leur font souvent réinvestir leur tradition d’origine, mais d’une

manière qui leur est propre, enrichie et reformulée.

Encore faut-il que tradition d’origine il y ait. Nous avons vu que la pyramide des âges

des chercheurs spirituels les plus investis présentait une forme particulière : elle est

relativement âgée. Cette génération a la possibilité de faire un retour aux sources,

puisque sources il y a. Mais il n’en ira pas de même de la génération suivante, qui

n’ayant majoritairement pas été élevée dans un contexte religieux, n’a pas de racines

auxquelles se référer, même pour les récuser. Aujourd’hui la quête personnelle, pour

ne pas s’égarer dans des impasses ou pour ne pas être vulnérable à des

manipulations, peut s’appuyer simultanément sur trois dynamiques: une découverte,

un dévoilement et une réassurance.

La découverte d’autres traditions ou voies spirituelles reste un cheminement majeur.

Mais le dévoilement, qui permet de (re)trouver le sens profond de choses que l’on

croyait connaître et qui nous était dissimulé, suppose cette connaissance première

de sa propre tradition, qui est généralement absente dans les jeunes générations. Et

la réassurance, qui nécessite de se sentir assuré de ses bases pour partir à la

découverte de nouveaux territoires, ne pourra désormais se fonder que sur des

appuis extérieurs à la sphère spirituelle.

Quand on parle de « spiritualités nouvelles », on considère implicitement que ceux

qui poursuivent aujourd’hui ces formes de quête sont en quelque sorte les éclaireurs,

ou la préfiguration, de ce que seront les nouvelles formes de spiritualité demain.

C’est certainement en partie le cas. Mais les personnes les plus engagées

aujourd’hui dans ce domaine, celles que nous avons interrogées, poursuivent une

ouverture nouvelle dans un cadre ancien, même si elles le rejettent ou le dépassent.

Qu’en sera-t-il de celles qui n’auront plus de cadre ? La méconnaissance religieuse,

repérée dans tous les sondages, nationaux comme européens, cache en fait deux

phénomènes relativement différents : l’oubli (je l’ai su, mais je ne m’en souviens plus,

138

ou alors de manière déformée) et l’ignorance (je ne l’ai jamais su). Dans le premier

cas, il est encore possible de réactiver la mémoire ou de reformuler le mal digéré.

Dans le second, le champ est en friche. Plus profondément, on peut faire l’hypothèse

que la méconnaissance religieuse est en train de changer progressivement de

nature, et pas seulement d’élargir son territoire : au fil des générations nous sommes

en train de passer d’une situation dominante d’oubli, à une situation dominante

d’ignorance. Les générations montantes sont le produit d’un chainon de transmission

manquant. Si elles sont tout autant que les précédentes sensibles à la recherche

spirituelle, les voies qu’elles emprunteront risquent d’être profondément différentes

puisque tout leur sera initiation, dans toutes les traditions religieuses, y compris celle

qui a nourri leur propre société.

139

ANNEXES

- Méthodologie

- Liste des centres

- Questionnaire

- Le GERPSE

140

Méthodologie

. 1 . Définition du champ L’offre de stages, sessions ou formations qui relèvent du développement personnel

et spirituel est très large. L’établissement d’une première nomenclature a permis de

délimiter, et donc de limiter, les domaines couverts par l’enquête :

- spiritualité chrétienne

- spiritualité bouddhiste

- spiritualité hindoue

- spiritualité musulmane ou soufie

- spiritualité taoïste

- spiritualité juive

- chamanisme

- médecines alternatives (chinoise, ayurvédique, etc.)

- ésotérisme, arts divinatoires, astrologie, etc.

- développement personnel (coaching, énnéagramme, etc.)

- psychanalyse, psychothérapie

- pratiques artistiques (chant, danse, arts plastiques, etc.)

- pratiques corporelles et énergétiques (Yoga, Qi Gong, Reiki, jeûne, etc.)

- méditation

141

. 2 . Construction de l’échantillon

1. La sélection des lieux d’enquête.

Dans une première étape nous avons procédé à un repérage et à un recensement

de tous les lieux qui proposent en France des stages, sessions ou formations de

développement personnel et spirituel.

Nous n’avons ensuite retenu dans l’enquête que ceux de ces lieux qui remplissaient

un certain nombre de conditions :

- offrir un volume relativement important d’activités au cours de l’année, c’est à dire

présenter une masse critique suffisante.

- ne pas être spécialisé sur un seul type d’activité (par exemple un centre de yoga)

mais offrir une palette d’approches différentes.

- refléter une ouverture spirituelle non exclusive. Par exemple nous avons retenu

les centres confessionnels qui accueillent aussi d’autres propositions que

confessionnelles, mais pas ceux qui n’organisent que des retraites ou des

enseignements religieux de leur obédience.

Certains centres n’ont pas souhaité relayer cette étude, pour des raisons qui leur

sont propres (souhait de ne pas mettre à disposition leur fichier de participants,

crainte d’une approche vécue comme potentiellement inquisitoriale, etc.) Au total le

terrain a porté sur 24 lieux, 17 d’origine confessionnelle mais à activités élargies (par

exemple le Forum104 à Paris1 ou Saint Hugues de Biviers), 7 d’origine non

confessionnelle (par exemple Terre du Ciel ou l’Espace des Possibles). On en

trouvera la liste complète en annexe 2. En termes d’effectifs interrogés, la balance

est assez équilibrée entre les deux types de centres (45,5 % pour la première

catégorie, 54,5 % pour la seconde).

2. Le recrutement des personnes à interroger

Les responsables des centres ont été directement associés à l’enquête. Nous avons

demandé à chacun d’entre eux d’envoyer à l’ensemble de leur fichier, c’est à dire à

toutes les personnes ayant suivi une activité chez eux au cours de ces cinq dernières

années, un mail leur présentant l’objet de l’enquête, les conditions de sa réalisation,

et leur garantissant l’anonymat total des réponses. A la fin de ce mail il leur était 1 Le Forum104 accueille aussi des associations indépendantes pour qu’elles y pratiquent leur activité. En comptant séparément celles qui ont répondu, on arrive à un total de 37 entités différentes (au lieu de 23) sur lesquelles a porté l’enquête.

142

demandé de cliquer sur un lien qui les renvoyait directement sur le site du

questionnaire de l’enquête.

Une relance par mail était expédiée 10 jours plus tard pour ceux qui n’avaient pas

encore répondu.

L’enquête s’est déroulée en novembre et décembre 2013.

Le questionnaire était hébergé sur la plate-forme d’enquêtes et de sondages en ligne

de la société d’études AreYouNet.

3. Le filtrage a postériori de l’échantillon

Participer à une activité dans les domaines relevant du champ énoncé ci-dessus est

une condition nécessaire pour figurer dans l’enquête, mais pas une condition

suffisante. Tous ceux qui les suivent ne s’inscrivent pas nécessairement dans une

démarche de type spirituel. Et s’ils le font, tous n’empruntent pas des voies que nous

avons qualifiées de nouvelles ou d’émergentes. D’où un double filtrage de

l’échantillon :

1. Pour les sessions dont l’intitulé est explicitement spirituel, il n’y a pas d’ambiguïté

sur les attentes des participants. En revanche quand les intitulés portent par

exemple sur des domaines comme le développement personnel, la

communication non violente, l’art-thérapie, les médecines alternatives, voire le

yoga, les choses sont moins claires : la progression spirituelle peut être un

bénéfice - attendu ou inattendu - du suivi de ces activités, mais n’est pas

forcément contenu dans ses prémices. Certains peuvent y chercher et y trouver

simplement une dimension de bien-être personnel. Nous avons donc utilisé la

question « Aujourd’hui, êtes vous plus ou moins engagé dans une démarche

spirituelle ? » comme filtre, en ne retenant que les réponses « tout à fait » et

« assez »

2. Parmi ceux que nous avons recrutés à la suite de leur participation à un stage ou

une session de spiritualité chrétienne, nous n’avons retenu que ceux qui avaient

suivi aussi des stages ou des sessions d’un autre type, non chrétien, au cours

des cinq dernières années, attestant de leur ouverture, en parallèle ou en

complément, à des chemins de traverses et à d’autres spiritualités.

143

. 3 . Structure de l’échantillon Le graphique ci-dessous présente les différentes étapes de la constitution de

l’échantillon.

. Au total 50.078 mails de contact ont été envoyés.

. Plus d’une personne sur quatre (13.534) a cliqué sur le lien qui renvoyait au

questionnaire sur la plate forme d’hébergement. Parmi celles qui n’ont pas ouvert le

lien, outre celles qui ne souhaitaient pas répondre par principe, on trouve aussi des

personnes qui l’avaient reçu plusieurs fois parce qu’inscrites à plusieurs centres

différents au cours des cinq dernières années. Et des personnes qui ne l’avaient pas

reçu (changement d’adresse mail, etc.).

. Un certain nombre d’interviewés ne sont pas allés jusqu’au bout du questionnaire,

soit qu’ils n’aient cliqué sur le lien que par curiosité, pour voir à quoi ressemblait

l’enquête sans intention d’y répondre, soit qu’ils aient commencé à la remplir et aient

été dissuadés en route par sa longueur (la durée moyenne de remplissage était

144

supérieure à 25 minutes), soit enfin qu’ils trouvaient les questions trop personnelles.

Ce type d’abandon est classique.

. Au total le nombre de questionnaires remplis intégralement s’est élevé à 7.931. Soit

un taux de sondage de 16 %. Un tel taux est exceptionnel dans les enquêtes (les

instituts de sondage tournent généralement autour de 1 à 3 % dans le meilleur des

cas). Ce résultat s’explique par le fait qu’on interroge des personnes impliquées, sur

l’objet même de leur implication, en passant par le truchement du médiateur de leur

implication (le centre où elles ont suivi une activité).

. Restait à appliquer plusieurs filtres successifs (dont le principe a été énoncé plus

haut) qui garantissent la validité de l’échantillon par rapport à la population

recherchée :

- nous n’avons pas retenu ceux dont le dernier stage remontait à plus de cinq ans,

afin de ne pas recueillir des perceptions trop lointaines.

- nous avons également sorti des tableaux ceux qui n’avaient suivi que des stages

ou des sessions de type confessionnel classique (retraites, lection divina, etc.) à

l’exclusion de tout autre type de session, car l’enquête porte par construction sur

les nouvelles spiritualités émergentes. Mais nous avons bien sûr conservé tous

ceux, les plus nombreux, qui ont associé dans une période récente sessions

confessionnelles et sessions d’une autre nature.

- enfin nous avons gardé seulement ceux qui ont répondu positivement à la

question : « Êtes-vous plus ou moins engagé dans une démarche spirituelle ? »

(réponses : Tout à fait ou Assez).

Au final il reste près de 6.000 questionnaires complets et validés (5.764 exactement)

qui ont fait l’objet du dépouillement. C’est un échantillon considérable, sans doute le

plus important jamais réuni sur une enquête de ce type.

Outre la sécurité que cela donne en termes d’exploitation statistique (c’est à dire

d’intervalle de confiance), la taille de l’échantillon nous permet d’isoler des sous-

populations minoritaires (par exemple les plus jeunes, les adeptes du taoïsme, etc.)

pour faire une analyse plus précise des spécificités de leurs réponses, sans être

limité par la faiblesse des effectifs.

145

. 4 . Modalités d’interrogation

L’enquête a été réalisée au moyen d’un questionnaire semi-fermé, administré par

Internet.

Il a été conçu par une équipe pluridisciplinaire et précédé d’un certain nombre

d’entretiens qualitatifs.

Enfin il a été testé (et amendé) avant le lancement de l’enquête en vraie grandeur.

Le choix d’un outil quantitatif peut paraître paradoxal, compte tenu de la nature des

sujets abordés. On pourrait objecter, et certains des répondants l’ont fait, que ce qui

relève de la spiritualité est rétif par essence à une approche empirique, produisant de

la mesure, et donc suspectée de positivisme. La même réticence avait d’ailleurs été

opposée quand la culture a commencé à faire l’objet d’enquêtes par sondages1.

Ces objections, classiques en sociologie religieuse comme en sociologie de l’art,

peuvent être regroupées autour de quatre arguments :

- la quantification de phénomènes qualitatifs est d’une certaine manière contre

nature.

- le questionnaire oblige à la formalisation, donc à la mise en mots, de l’indicible.

- toute enquête sur ces sujets revient à extérioriser ce qui relève de l’intériorité.

- enfin poser des questions identiques à tous alors que chaque expérience est

unique, personnelle, singulière, revient à banaliser ou niveler les différences.

Une enquête sociologique ne prétend pas rendre compte de toutes les dimensions

d’un phénomène humain, mais en éclairer une facette particulière, qui n’épuise pas

les autres dimensions du phénomène décrit. Elle le fait en énonçant les conditions

dans lesquelles elle produit son discours et en mettant à distance la subjectivité. Et

elle se garde bien de toute interprétation déterministe qui verrait des causalités là où

il n’y a que des corrélations.

Reste que l’interprétation est indispensable. Les questions séparent, l’analyse

rapproche : chaque question prise isolément peut paraître simple ou réductrice.

L’objet de l’analyse est d’associer toutes les questions et de les traiter dans leurs

relations les unes avec les autres. La complexité dont il s’agit de rendre compte n’est

1 Qu’on se rappelle des réticences soulevées par le travail pionnier de Pierre Bourdieu sur les visiteurs de musée : L’amour de l’art, ed. de Minuit, 1966

146

pas dans chaque question mais dans la mise en perspective de toutes, pour chacune

des personnes interrogées. Et le tout dépasse la somme des parties…

D’autre part les réponses à une question donnée ne doivent pas être considérées

comme le reflet direct d’une hypothétique réalité, mais comme un indice de cette

réalité, qu’il reste à faire parler. Comme disait un vieux sage chinois : à poser des

questions on n’obtient que des réponses… Il ne s’agit pas ici de compter mais de

comprendre.

Sans rentrer plus avant dans un débat épistémologique déjà largement traité ailleurs

dans la littérature sociologique, nous avons été particulièrement attentifs à mettre en

œuvre des dispositifs d’interrogation spécifiques à la fois pour préserver la qualité de

l’information recueillie, et pour éviter la frustration éventuelle des répondants :

Par rapport aux sondages « ordinaires » qui ont envahi l’espace social, plusieurs

principes méthodologiques ont nourri ce questionnaire :

- Sortir de l’obligation d’avoir une opinion : la non-réponse est une modalité de

la réponse, surtout sur les sujets délicats. Généralement la non-réponse est

impossible, en particulier dans les questionnaires en ligne où elle bloque le

déroulé de l’enquête. Au mieux elle n’existe que par défaut. Ici la modalité

« non réponse » ou « ne sait pas» est explicitement proposée dans la plupart

des questions.

- Sortir de l’obligation de l’univocité : les réponses qui s’excluent

« logiquement » ne s’excluent pas nécessairement dans le vécu. Dans un

sondage classique par exemple on ne peut répondre à la fois qu’on est de

droite et de gauche, alors que souvent les deux coexistent chez la même

personne selon les moments ou selon les sujets. Nous avons donc laissé

systématiquement la possibilité de réponses multiples, y compris sur les

questions qui en apparence ne le requéraient pas. Dans le domaine spirituel,

comme dans beaucoup d’autres domaines, l’approche dialectique (qui

privilégie le OU) s’efface au profit d’une approche dialogique (qui laisse

s’exprimer le ET), même quand il y a contradiction apparente : on peut croire

à la fois en la résurrection et en la réincarnation, se recommander

simultanément de deux religions différentes, etc.

147

- Réintroduire la nuance et gérer la polysémie. Les possibilités de réponse ont

presque toujours été graduées sur une échelle d’intensité, plutôt qu’enfermées

dans un Oui/Non péremptoire. Mais la question elle même peut questionner

celui qui répond, dans sa formulation même. Qu’il souhaite la compléter, la

préciser, l’illustrer par une expérience vécue ou la développer par une opinion

argumentée, voire même la contester, la possibilité lui en est presque toujours

donnée par une question complémentaire ouverte qui autorise les

commentaires libres. Généralement dans les enquêtes les personnes

interrogées utilisent assez peu la possibilité, quand elle leur est (rarement)

donnée, de s’exprimer dans les questions ouvertes, ou alors de manière

lapidaire. Ici elles ont saisi l’occasion à la fois en grand nombre, et de manière

développée1. Au point que la richesse de ces verbatim est devenu un élément

(qualitatif) à part entière de l’analyse et non simplement une information

d’appoint.

- Sortir de la frustration de l’échange inégal. Quand une personne répond à un

sondage, elle ne sait généralement pas qui l’interroge, et surtout ce que vont

devenir ses réponses. L’interviewé donne, l’enquêteur prend et part avec son

butin… Nous avons donc offert aux gens la possibilité, dans une dernière

question ouverte, de s’exprimer sur la nature même du questionnaire qui leur

avait été soumis (et auquel on les avait soumis). Ils ne s’en sont pas privés.

Leurs critiques reprennent généralement un des quatre points que nous avons

évoqués plus haut : comment quantifier le qualitatif, comment mettre des mots

sur des choses indicibles, comment respecter l’originalité de chacun avec des

questions identiques pour tous, comment extérioriser ce qui est intérieur. A

quoi s’ajoute chez quelques uns la crainte d’une démarche inquisitoriale sur

une sphère qui doit rester privée (l’ombre de la Miviludes plane…).

Mais aussi beaucoup disent nous être reconnaissants d’avoir lancé une

recherche sur un sujet essentiel pour eux et négligé par ceux qui produisent

du savoir sur la société. Et - principe de réciprocité - demandent comment se

procurer les résultats2.

1 Au total, mis bout à bout le volume de ces verbatims représente plus de 350 pages de texte, simple interligne !… 2 Leur diffusion est prévue auprès de toutes les personnes interrogées, par le canal du Centre qui a permis de les contacter.

148

Enfin certains nous remercient même de les avoir fait progresser par nos

questions. Pour une fois qu’une enquête n’est pas seulement le prélèvement

d’un existant mais produit une dynamique... Ce qu’expriment bien ces

quelques commentaires : « Ce questionnaire fait réfléchir », « Merci de

m'avoir donné l'occasion de répondre à ce questionnaire car cela nous éclaire

toujours davantage sur nous-mêmes », « C'est un questionnaire qui m'a

révélée à moi même ».

149

Centres associés à l’enquête CENTRES D’ORIGINE CONFESSIONNELLE

nom lieu Activités proposées effectifs %

Forum104 forum104.org

PARIS 75

Centre culturel et spirituel Mariste accueillant 300 associations différentes, la plupart engagées dans des approches humaines et spirituelles

733 10,8

Centre Sainte-Croix centresaintecroix.net

MONESTIER 24

Centre orthodoxe d’étude et de prière, propose des sessions autour de : ‘méditation et prière’, ‘pratique de la vie spirituelle et thérapie chrétienne’, etc.

222 3,3

La Passerelle www.lapasserelle-

leboulay.fr

LE BOULAY 72

École proposant une approche sur le corps et la prière dans la Tradition carmélitaine. Enseignements, pratiques et échanges

52 0,8

Maison de Tobie lamaisondetobie.com

ETIOLLES/ CHOISY-LE-

ROI 94

Lieu proposant à ses membres d’entrer dans l’expérimentation de la vie spirituelle, à travers Prière du Cœur, méditation biblique, méditation Zen et autres voies. Les dimensions psychologique et corporelle sont privilégiées. Sessions intensives, groupes hebdomadaires, enseignements, accompagnements…

124 1,8

Centre Assise centre-assise.org

St GERVAIS 95

PARIS

Lieu de cheminement, de rencontres, de silence, dont le but est d’aider chacun à devenir ce qu'il est fondamentalement, enraciné dans sa profondeur d'Être et ouvert à sa véritable dimension qui est spirituelle.

78 1,1

Le Haumont www.hautmont.org

MOUVAUX 59

Lieu de formation humaine et spirituelle, le Centre spirituel du Hautmont accueille toute personne et tout groupe en recherche de sens sur sa vie et sur l’évolution de la société. Sa pédagogie prend particulièrement sa source dans l’expérience humaine et spirituelle vécue par Ignace de Loyola et cherche à promouvoir un développement intégral de la personne.

79 1,2

Saint Hugues de Biviers

st-hugues-de-biviers.org

BIVIERS 38

Lieu d’accueil et de ressourcement avec des haltes, sessions, retraites et lieu de formation avec accompagnement, aide au discernement par l’écoute et les Exercices Spirituels.

640 9,4

Prieuré St Augustin prieure-saint-augustin.org

Angers 49

Centre proposant des séminaires autour de trois axes : ‘anthropologie spirituelle’, ‘art, culture et spiritualité’, ‘fragilité, éveil et partage’.

150 2,2

150

Domaine de Chadenac

chadenac43.free.fr

CESSAC LA ROCHE

43

Lieu d’accueil, de séminaires et de ressourcement ouvert à des stages de Communication Non Violente (CNV), d’Ennéagramme, de communication et de développement personnel par le théâtre, d’art-thérapie, de la santé du corps et de l’âme avec Ste-Hildegarde.

195 2,9

CORAMESPRIT SAINT

ETIENNE 42

Association dont l’objet est de promouvoir et développer la découverte et la pratique d’activités de développement personnel et de chemins de vie spirituelle sous forme de groupes de recherche, de conférences, d’ateliers, de stages ou de sessions.

163 2,4

Les Voies de l’Orient

voiesorient.be BRUXELLES

Lieu de rencontres entre cultures et spiritualités. L’apprentissage du dialogue entre christianisme et spiritualités d’Orient va de pair avec l’approfondissement par chacun de sa propre voie.

163 2,1

Abbaye St Jacut de la Mer

abbaye-st-jacut.com

SAINT JACUT 22

Maison d'accueil ouverte aux particuliers et aux groupes. Propose tout au long de l’année des retraites spirituelles, et des sessions et conférences autour de quatre thématiques : « Enjeux pour l’homme », « Vision : Eglise, religions, foi », « Point de vue : ouverture et culture », « Regards : art, musique ».

118 1,7

Relais Association Suzanne Renardat

(Souzenelle) renardat.net

PIERREVERT 04

Stages de calligraphie hébraïque, conférences et stages sur l'analyse des rêves. L'association s'occupe également de la commercialisation des enregistrements des enseignements d'Annick de Souzenelle.

22 0,3

Centre de l’Aube aube-association.com

PIEGROS-LA CLASTRE

26

D’inspiration chrétienne, l’Aube est ouverte à tous. C’est aussi un lieu d’échanges et de ressourcement mis à la disposition de personnes et de groupes désireux de vivre dans le respect de la diversité de tous les courants humanistes, spirituels ou religieux. Dans le respect de l’œuvre de Louis et Mary Evely, et selon l’enseignement hérité de Gitta Mallasz, le centre de l’Aube poursuit sa vocation d’inciter l’homme au meilleur de lui-même, en proposant différents types de stages et de séjours .

16 0,2

Prieuré St Augustin prieure-saint-augustin.org

ANGERS 49

Centre proposant des séminaires autour de trois axes : ‘anthropologie spirituelle’, ‘art, culture et spiritualité’, ‘fragilité, éveil et partage’.

150 2,2

Espace Bouddhiste Tibétain

kttparis.org

Paris 75

L’Enseignement du Bouddha y est transmis tout au long de l’année à travers de multiples activités, mais le centre se veut ouvert et répond aux demandes du plus grand nombre. À côté des sessions d'enseignement traditionnel sont proposés

171 2,5

151

des sessions de méditation, des rituels, des ateliers Equilibre Corps-Coeur-Esprit.

Association Espace Mesa

espacemesa.sitew.fr

La Tourette 69

Association fondée sur la conviction que c’est en donnant la parole aux grands textes que l’homme sonde et rejoint sa propre humanité. L’association oeuvre pour faire dire et faire entendre ces grands textes universels au public à travers trois actions : la création de spectacles, la formation et la recherche.

188 2,8

Sous-total Centres d’origine confessionnelle 3 069 45,5 %

152

CENTRES D’ORIGINE NON-CONFESSIONNELLE

nom lieu Activités proposées effectifs %

Terre du Ciel terre-du-ciel.org

CHARDENOUX 71

Une triple vocation : 1) la valorisation d’une spiritualité vivante, quelle que soit sa tradition d’origine. 2) La recherche d’un art de vivre en cohérence, relié à l’essentiel. 3) L’articulation de cette démarche avec les grands enjeux économiques, sociaux et écologiques de notre temps, pour une société réconciliée avec la sagesse.

2569 37,9

Centre Trimurti trimurti-

seminaires.com

COGOLIN 83

Lieu d’accueil qui organise, tout au long de l’année, des séminaires, congrès, stages et formations en développement personnel et artistique.

501 7,4

La Chrysalide lachrysalide.com

LA CHAPELLE-HERMIER

85

Centre de bien-être, de ressourcement et de remise en forme. Conférences, stages et sessions traduisent le souci que le centre porte au physique, au vibratoire (l'aura, ou corps énergétique), au psycho-affectif, au mental (domaine de la prise de conscience) et au spirituel (domaine du sens).

44 0,7

APIFORM apiform.net

BRAS 83

Le monde en transformation nécessite une vision et une analyse globales des évènements. Les interventions sont basées sur des outils variés, tels que la PNL, l'Analyse Transactionnelle, la systémique, l'ennéagramme, les outils d'expression théâtrale, les techniques de thérapie sur l'origine émotionnelle des symptômes.

16 0,2

L’Espace JARDINER ses possibles

jardiner-ses-possibles.org

MESCHERS 17

Propose une démarche culturelle laïque où le temps du loisir accompagne l’épanouis-sement individuel et collectif. L’objectif est de favoriser de multiples occasions de libérer sa créativité et de créer de l’intelli-gence collective à travers diverses proposi-tions. Son orientation est de permettre à chacun de nourrir son parcours en s’appropriant diverses techniques de façon à les intégrer à son quotidien.

379 5,6

Au Chant de la Source

au-chant-de-la-source.com

LA BRESSE 88

Lieu de stages et d'art-thérapie, d'animation et de formation dans différentes formes d'expression artistique : chant, théâtre, clown, danse, sculpture, peinture, céramique... Lieu de recherche, de partage d'expériences où l'Art retrouve toute sa dimension éducative, sociale et humaine.

94 1,4

153

Ateliers de Croissance Personnelle

a-c-p.info

STRASBOURG 67

Association fondée sur l’affirmation que toute personne est porteuse d’un potentiel encore inexploité, et qu’en le développant se fortifient des valeurs essentielles pour soi-même et pour la vie en société. Formations et activités qui touchent au développement intérieur de la personne et favorisent les liens entre les membres, dans un esprit de convivialité et de simplicité.

77 1,1

sous-total Centres d’origine non-confessionnelle 3 702 54,5 %

TOTAL GÉNÉRAL 6 771 100 %

154

QUESTIONNAIRE

Merci d’avoir accepté de répondre à ce questionnaire. Toutes les réponses seront traitées de manière strictement anonyme. Q 1 - Etes-vous …

- Un homme - Une femme

Q 2 - Quel est votre âge ? /__/__/ ans

Q 3 - Quel est votre niveau d’études ? - Primaire, BEP, CAP - Bac ou niveau bac - Bac + 1 ou 2 - Bac + 3 ou 4 - Bac + 5 et plus

Q 4 – Quelle est votre activité? Si vous êtes retraité, quelle était votre profession quand vous étiez en activité ? (Répondre dans la 2ème colonne )

activité ancienne activité

- Agriculteur

- Artisan, Commerçant, Chef d’entreprise

- Cadre supérieur, profession libérale

- Cadre moyen, professions intermédiaires

- Professions de santé (et assimilées)

- Enseignant, professions intellectuelles et artistiques - Technicien, agent de maîtrise

- Employé

- Ouvrier

- Elève, étudiant

- Demandeur d’emploi

- Sans activité professionnelle

- Retraité ou préretraité

- Autre (précisez …………………………………………………..)

Q 5 - Où résidez-vous actuellement ? - Paris ou région parisienne - grande ville (ville ou agglomération de 100 000 habitants ou plus) - ville moyenne (ville ou agglomération de 30 000 à 100 000 habitants) - petite ville - zone rurale

Q 6 - êtes-vous … - en couple - seul (e) - autre (communauté, etc.)

Q 7 - Avez-vous des enfants à la maison ? - oui - non Q 8 - Avez-vous eu l’occasion de participer au cours de ces 5 dernières années à des sessions, stages et/ou formations de … (entourer le(s) chiffre(s) correspondant(s), plusieurs réponses possibles)

- spiritualité chrétienne

- spiritualité bouddhiste

- spiritualité hindoue

- spiritualité musulmane ou soufie

- spiritualité taoïste

- spiritualité juive

- chamanisme

- médecines alternatives (chinoise, ayurvédique, etc.)

- ésotérisme, arts divinatoires, astrologie, etc.

- développement personnel (coaching, énnéagramme, etc.)

- psychanalyse, psychothérapie

- pratiques artistiques (chant, danse, arts plastiques, etc.)

156

- pratiques corporelles et énergétiques (Yoga, Qi Gong, Reiki, jeûne, etc.)

- méditation

- autre (précisez…………………………………………………… ………………………………………………………………………)

Si aucune réponse à Q8, STOP interview et afficher « Notre enquête s’adresse seulement à ceux qui ont déjà eu l’occasion de suivre une session, stage et/ou formation. Merci de votre participation ».

Q 8bis - (Filtre : si plusieurs réponses à Q 8) Parmi ceux que vous avez cités, quel est celui que vous avez suivi en dernier ?

(afficher ici la liste, réduite aux seules lignes citées ci- dessus)

- spiritualité chrétienne

- spiritualité bouddhiste

- spiritualité hindoue

- spiritualité musulmane ou soufie

- spiritualité taoïste

- spiritualité juive

- chamanisme

- médecines alternatives (chinoise, ayurvédique, etc.)

- ésotérisme, arts divinatoires, astrologie, etc.

- développement personnel (coaching, énnéagramme, etc.)

- psychanalyse, psychothérapie

- pratiques artistiques (chant, danse, arts plastiques, etc.)

- pratiques corporelles et énergétiques (Yoga, Qi Gong, Reiki, jeûne, etc.)

- méditation

- autre (précisez…………………………………………………… ………………………………………………………………………)

157

Q 9 – (à tous) Comment avez-vous eu connaissance du dernier stage, session et/ou formation auquel vous avez participé ? (plusieurs réponses possibles):

- par quelqu’un de votre entourage, un(e) ami(e) - un article de presse ou une annonce dans un journal - par la radio ou la télévision - par internet - par un dépliant, un programme collectif - par une affiche - par une conférence - vous l’aviez déjà suivi, vous connaissiez l’animateur - autre (précisez ……………………………………………………………………..) - je ne sais plus Q 10 - Au total, tous genres confondus, à combien environ de stages, sessions ou formations avez-vous participé au cours des 10 dernières années ? - un - deux - trois ou quatre - cinq à dix - onze et plus - ne sait plus Q 11 - (Filtre : si au moins « deux » à Q 10) Y participez-vous à intervalles réguliers ou cela dépend-il des circonstances ? - régulièrement - cela dépend des circonstances - n’en a suivi qu’un

Q 12-13 - Qu’attendez-vous personnellement des différents moyens (stages ou sessions, mais aussi méditation, lectures, rencontres, etc.) que vous prenez pour avancer sur votre chemin intérieur ? Merci de répondre pour chaque phrase en cochant la réponse qui correspond le mieux à votre démarche. (4 réponses possibles : « c’est essentiel », ++ « c’est important », + « c’est secondaire », - « cela n’entre pas en ligne de compte » - ou ne sait pas, sans objet (NSP)

158

++ + - - - NSP

- comprendre mon être profond, m’y relier

- mieux m’accepter moi-même

- trouver un équilibre, trouver la paix intérieure, m’unifier

- me libérer d’un problème, guérir

- vivre en plénitude l’instant présent

- accéder à un niveau de connaissance supérieur

- donner un sens à ma vie

- accroître ma capacité à y voir clair, mon discernement

- être plus à l’écoute, dans une relation plus juste aux autres

- prendre du recul par rapport à la société et à la vie quotidienne

- être mieux à l’écoute de mon corps

- me sentir relié à une communauté fraternelle et/ou spirituelle

- recueillir des bénéfices dans ma vie quotidienne (couple, famille, travail)

- être à l’écoute de l’Esprit, du Divin

- être mieux relié à la terre, à la nature

Vous pouvez si vous le souhaitez développer ici des points particuliers ou que nous n’aurions pas abordés dans la question précédente: .…….……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….. …………………………………………………………………………………………………..

Q 14 - Y a-t-il eu au cours de votre vie un événement, une circonstance particulière qui vous a fait prendre un tournant dans votre cheminement personnel intérieur, ou ce cheminement est-il le fruit d’une évolution progressive ? - un événement, une circonstance particulière - une évolution progressive

159

Q 14bis De quel type d’événement ou de circonstance particulière s’agit-il ? (plusieurs réponses possibles) - une rencontre avec une personne marquante

- le témoignage d’un(e) ami(e) ou de quelqu’un de votre entourage - une intuition profonde, une expérience intérieure - une lecture - une session, un stage - une expérience esthétique (œuvre d’art, paysage, musique, etc.)

- une épreuve, une crise personnelle (accident de santé, isolement, rupture d’un lien familial, etc.) - une remise en cause liée à la crise de la société (chômage, crise économique, etc.) - une crise existentielle

- autre (précisez ………………………………………………………………….. ………………………………………………………………………………………)

Q 15 – Aujourd’hui, êtes-vous plus ou moins engagé dans… (une réponse par ligne)

Tout à fait assez Pas vraiment

Pas du tout

Non réponse

une démarche spirituelle

une démarche de développement personnel

une démarche religieuse

une démarche thérapeutique

Q 16 - (Filtre : posée uniquement aux personnes qui ont répondu « tout à fait » ou « assez » à l’item « démarche spirituelle » de la Q 15) A votre avis, quelles sont les conditions qui vous paraissent être indispensables, utiles ou pas vraiment nécessaires à une démarche spirituelle ?

indispensable utile Pas vraiment nécessaire non réponse

le silence

la confiance

la persévérance

160

une communauté

la discipline

le détachement

l’accompagnement individuel par un maître ou un guide

l’écoute

autre (précisez : ……………………………………………………………………………………………)

Q 17 - (Filtre : idem) D’après vous, quels sont les obstacles à la réussite d’une démarche spirituelle?

obstacle

très important

obstacle assez important

obstacle secondaire Non réponse

la dispersion

le manque de temps

la résistance intérieure

le décalage avec ses proches

l’égo

le conformisme social

l’impatience

l’envahissement par l’émotion

la paresse

Autre (précisez :……………….…………………………………………………………………………..)

161

Q 18 - (Filtre : idem) D’après vous quels peuvent être les dangers d’une démarche spirituelle ?

danger important

danger éventuel

pas vraiment de danger Non réponse

la fuite du réel, de la vraie vie

la dérive sectaire

se couper des autres

la fragilité psychologique

la dépendance, l’emprise

l’égocentrisme, le narcissisme,

la suffisance, le sentiment de supériorité

l’illusion

Autre (précisez : .......................................................................................................................)

(à tous) Q 19 - Vous arrive-t-il de pratiquer une forme de méditation ?

- tous les jours - une ou plusieurs fois par semaine - une ou plusieurs fois par mois - rarement, seulement dans des circonstances particulières - jamais Q 20 - Vous arrive-t-il de prier ? - tous les jours - une ou plusieurs fois par semaine - une ou plusieurs fois par mois - rarement, seulement dans des circonstances particulières - jamais

162

Q 21 - Vous arrive-t-il de lire des textes religieux ou spirituels fondateurs (la Bible, l’Evangile, le Coran, les Soutras, les Vedas, etc.) ? - souvent - de temps en temps - rarement - jamais (si « souvent » ou « de temps en temps ») : le(s)quel(s)………………………………... …………………………………………………………………………………………………..

Q 22 - Et vous arrive-t-il de lire des livres ou des articles d’ordre spirituel qui nourrissent votre vie intérieure ? - souvent - de temps en temps - rarement - jamais (si « souvent » ou « de temps en temps ») : Pouvez-vous citer un ou plusieurs(s) livre(s) ou revue(s) qui fait (font) référence pour vous : ………………………………………………………………………………………………. ……………………………………………………………………………………………….

Q 23 - Etes vous accompagné dans votre vie intérieure par un Maître ou un guide ? - oui - non (si oui) De quelle tradition spirituelle ou philosophique ? …………………………… Q 24 - Participez-vous pendant l’année à un groupe suivi de lecture ou d’échanges spirituels ou de prière ? - oui - non (si oui) Le ou lesquels? …………………………………………………………………….. Q 25 - Qu’évoque principalement le mot Dieu pour vous ? (plusieurs réponses possibles) - un être, une personne - une présence à l’intérieur de soi - une force, une énergie - l’origine de l’univers - une invention de l’homme - autre (précisez………………………………………………………………………) - je ne sais pas

163

Q 26 - L’existence de Dieu vous parait-elle ? - certaine - probable - peu probable - exclue - je ne sais pas Q 27– Qu’y a-t-il après la mort ? (plusieurs réponses possibles) - la réincarnation dans un autre être vivant - la résurrection - la survivance de l’esprit - quelque chose mais je ne sais pas quoi - autre (précisez ……………………………………………………………………..) - rien -N.R Q 28- Accordez-vous du crédit à l’astrologie ? - beaucoup

- un peu - pas vraiment - pas du tout

Pour terminer, quelques questions sur votre appartenance religieuse Q 29 - Quelle est votre religion, si vous en avez une? - sans religion

- chrétienne - juive - musulmane - bouddhiste - autre religion (précisez……………………………………………………….) Q 30- (Filtre : si réponse « sans religion » à Q29 ) et en avez-vous déjà eu une auparavant ? - catholique - protestante

164

- orthodoxe - juive - musulmane - bouddhiste - autre religion (précisez……………………………………………………) - aucune religion Q 31- (Filtre : si réponse « chrétienne » à Q29 ) Vous avez dit que vous étiez de religion chrétienne. Plus précisément êtes-vous ? - catholique - protestant - orthodoxe - chrétien sans appartenance particulière Q 32- Vos parents avaient-ils une religion? - oui - non

Q 33- (si oui à Q 32) Laquelle (ou lesquelles s’ils n’avaient pas les mêmes positions)? - catholique - protestante - orthodoxe - chrétienne sans appartenance particulière - juive - musulmane - bouddhiste - autre religion (précisez………………………………………………………….) Q 34- (Filtre : si oui à 32 ) Aujourd’hui, vous sentez vous proche de la religion dans laquelle vous avez été éduqué(e)? - très proche - assez proche - assez loin - très loin - je ne sais pas

165

Q 35- Diriez-vous que les stages, sessions ou formations de développement personnel ou spirituel auxquels vous avez participé - vous ont éloigné de votre religion d’origine - n’ont rien changé à votre rapport à votre religion d’origine - ont enrichi votre rapport à votre religion d’origine - vous n’aviez pas de religion Q 36- Vous arrive-t-il d’assister à des offices religieux ? - plusieurs fois par semaine - une fois par semaine - une ou deux fois par mois

- de temps en temps, aux grandes fêtes de l’année (Noël, Pâques, Aïd, Yom Kippour, etc.) - seulement dans des circonstances particulières de la vie (mariage, enterrement, baptême, Bar Mitzvah, etc.)

- jamais

Q 37 - Pour vous-même, et quelle que soit votre religion, avez-vous beaucoup, assez, pas vraiment, pas du tout d’intérêt d’ordre spirituel pour…

beaucoup assez Pas vraiment Pas du tout Non réponse

l’animisme

le bouddhisme

le chamanisme

le christianisme

l’hindouisme

l’islam

le judaïsme

le taoïsme

autre (précisez………………………………………………………………………………………………..)

166

Ce questionnaire est maintenant terminé.

Un questionnaire étant par nature toujours un peu figé, si vous avez d’autres remarques ou d’autres expériences à exprimer, n’hésitez pas à le faire librement ci-dessous

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

MERCI de votre participation

167

Le GERPSE : Groupe d’étude

« Recherches et Pratiques Spirituelles Émergentes »

Ce groupe d’étude s’est donné pour objectif de mieux connaître et comprendre « les

Recherches et Pratiques Spirituelles Emergentes ». Il se réunit régulièrement depuis

2010.

Il est né de l’intérêt pour les nouvelles quêtes spirituelles dans la société française, et

de relations engagées avec celles et ceux qui les vivent.

Actuellement, le groupe travaille sur deux axes :

1) Un état des lieux des recherches et pratiques spirituelles émergentes en

France (lieux d’accueil, inventaire des propositions…).

2) Une enquête sociologique permettant de mieux cerner le profil, les

motivations, les parcours et les croyances de ces chercheurs de sens.

Pour mener à bien cette enquête, le groupe s’est associé un sociologue, Jean-

François BARBIER-BOUVET, docteur en sociologie (École des Hautes Études en

Sciences Sociales), spécialiste des enquêtes sur les pratiques culturelles et

spirituelles.

L’enquête est conduite en collaboration avec l’unité mixte de recherche DRES (Droit,

Religion, Entreprise et Société, UMR 7354, CNRS - Université de Strasbourg).

L’objectif est de faire avancer la connaissance dans ce domaine et d’aider les

personnes et institutions concernées par ce phénomène à mieux cerner la réalité de

ces recherches et pratiques, la nature de leurs publics, les questions que cela pose.

Le groupe est constitué de :

6 membres permanents :

• Jean-François BARBIER-BOUVET, sociologue.

• Philippe LE VALLOIS, chercheur associé à l’unité mixte de recherche « Droit,

Religion, Entreprise et Société » (UMR 7354, CNRS - Université de

Strasbourg). Responsable de l’Observatoire des Nouvelles Croyances auprès

du Conseil épiscopal pour les Relations Interreligieuses et les nouveaux

courants religieux.

168

• Jean-Côme RENAUDIN, directeur du Centre culturel et spirituel Forum104 à

Paris.

• Valérie VERCHEZER, diplômée en psychologie et travail social, master

Sciences-Po Paris. Membre de l’équipe d’animation et du conseil

d’administration du Forum104.

• Yvon LE MINCE, spécialiste de l’hindouisme.

• Jean-Luc SOUVETON, animateur de sessions d‘Ennéagrammme, de jeûne,

d’hypnose Ericksonienne. Délégué au Développement Personnel et aux

Spiritualités hors frontières du diocèse de Saint-Etienne.

4 membres associés à la création du GERPSE et/ou à l’élaboration de l’enquête :

• Sylvie CHAMPION-MURIT, formatrice en développement personnel. Co-

responsable, depuis 1991, du centre de formation les Ateliers de Croissance

Personnelle.

• Tanguy CHATEL, docteur en sociologie des religions et de la laïcité (Ecole

Pratique des Hautes Études)

• Guy LAURENCE, docteur en physique, diplômé de l’ISTR (Institut de Science

et Théologie des Religions de Paris).

• Kostia de LEUSSE, psychologue clinicien (Ecole des Psychologues

Praticiens).