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le festival du film d’éducation présente Dossier d’accompagnement Un dossier proposé par Yéma ne viendra pas

Dossier d’accompagnement Yéma - Festival …€¦ · aujourd’hui s’appellent Fatiha,Messaouda,Malika,Rachid,Nadir,Hakim,Nahima,Karima et Medhi et ... Enfin son premier fils,

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U n d o s s i e r p r o p o s é p a r

Yémane viendra pas

Yéma ne viendra pasDossier d’accompagnement

Sommaire

Le film - présentation page 3

L’accompagnement du spectateur page 8

À propos de cinéma page 10• Le cinéma documentaire• Quelques notions sur l’image cinématographique

Le film, étude et analyse page 15• Approche du film• Démarches et mises en situation

Ouverture vers des sujets de société et citoyens page 19

Pour aller plus loin, ressources page 20

5e Festival du film d’éducation 2009

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Le film - présentation

Fiche techniqueFrance, 52 min., 2009Réalisation : Agnès PetitImage : Sophie Cadet, Emmanuelle Collinot, Eric Wild, Sylvie PetitSon : Matthieu Tartamella, Olivier Cuinat, Bruno AuzetMontage : Stefan Richter,Tuong-Vi Nguyen LongEtalonnage : Alexandre MezardMixage : Richard Pébarthe

Traductions : Mohamed Lakhdar TatiSoutien technique : Ibrahima Sarr

Musique originale composée par Christophe Minckavec le soutien de la SacemZarb : Keyvan CheviraniOud : Jean-Pierre SmadjAutres instruments : Christophe MinckVoix : Abdallah Altaparro

Soutenu par la SCAM, la Région Haute-Normandie, l’Acsé, le CNC.Le film a obtenu la bourse « Brouillon d’un rêve » de la Scam.

SynopsisYéma a soixante ans. Elle vit en périphéried’Évreux, dans un quartier qu’on appelle la Ma-deleine. C’est là qu’ont eu lieu de violentesémeutes en novembre 2005 et c’est là qu’ellea élevé seule ses neuf enfants. Élevés par cettemère algérienne qui parle mal le français et nesait ni lire, ni écrire, dans un quartier qui connaîtplus d’échecs que de réussites, ses enfants sontdevenus ingénieur, médecin, cadre…Cette famille est donc une exception, une représentation parfaite du modèle d’intégration à la française. Maispeut-on se sentir « intégré » dans un pays qui tacitement nous reproche de garder dans nos modes de vieou les traits de nos visages, des traces qui racontent l’origine de nos parents ? Dans un pays où nos pro-pres parents ne se sentent pas autorisés à participer aux moments les plus fondateurs de nos vies.Pendant queYéma prépare son voyage à la Mecque, ses enfants nés en France à Évreux et tous adultes au-jourd’hui vivent leur vie bien française : Rachid, candidat aux élections municipales de 2008, se débat dansune campagne perdue d’avance. Quant aux deux cadettes, Karima et Malika, elles annoncent à leur entou-rage qu’elles se marient le même jour.Tous savent déjà que Yéma ne viendra pas…

Car Yéma est algérienne et malgré les trente cinq années qu’elle a vécues en France, elle pense, qu’en de-hors de son quartier d’HLM, dans le monde de ses enfants, elle n’a pas sa place.

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Le contexte du filmAnalyse de la réalisatrice lisible sur le site de la production ADR

C’est l’histoire deYéma, mère de famille retraitée. Elle vit à La Madeleine à Évreux. Ses enfants tous adultesaujourd’hui s’appellent Fatiha, Messaouda, Malika, Rachid, Nadir, Hakim, Nahima, Karima et Medhi et… ils onttous réussi. . Cela raconte à la fois une stratégie familiale pour s’en sortir et la difficulté rencontrée pour yparvenir. Car cette famille est une exception, la représentation parfaite du modèle d’intégration à la fran-çaise. Mais peut-on se sentir « intégré » dans un pays qui s’inquiète de voir l’origine de nos parents dansnos modes de vie ou les traits de nos visages ? Dans un pays où nos parents ne se sentent pas autorisés àparticiper aux moments les plus fondateurs de nos vies ?

Yéma est fière, de la manière dont elle a élevé ses enfants et de leurs réussites, mais elle ne partage pas cequ’est leur vie aujourd’hui. Ils ne suivent pas les rites d’une communauté à laquelle ils n’appartiennent pasvraiment alors que Yéma est restée, elle, très ancrée dans sa culture algérienne et musulmane.

Yéma est arrivée en France avec ses deux filles aînées en 1971 pour venir s’installer à Évreux, à La Made-leine, et n’en a plus bougé. Au départ, cet ancrage dans le quartier,Yéma ne l'a pas choisi. Aujourd’hui c’estlà qu’elle a ses amis et sa communauté.

À la surprise des habitants, des élus et des « observateurs extérieurs », la Madeleine est devenu le quartieroù les événements les plus violents ont eu lieu en novembre 2005. Soudain mise sous le feu médiatique, la

Madeleine a été associée à ce que les banlieues françaises ontde pire… SiYéma et ses amies du quartier ont été choquéespar la violence de ces évènements, elles ne comprennent pasnon plus les amalgames et les discriminations qu’elles subissentpar écran de télévision interposé ou par les regards inquietsque certains français de souche leur destinent.

Son ancrage dans le quartier est fort. Elle y vit encore alorsque ses grands enfants sont partis et gagnent suffisammentbien leur vie pour avoir eu le projet de lui acheter une mai-son là où elle voudrait. Mais elle a préféré rester. Les deux

filles aînées travaillent à La Madeleine à quelques blocs de là. Elles ont repris un cabinet médical depuis 10ans et vont chaque jour déjeuner chez Yéma. Enfin son premier fils, Rachid, élu conseiller régional du PartiSocialiste, sillonne le quartier en campagne et passe la voir chaque jour. Sa candidature à la mairie d’Évreuxle place comme le seul candidat « issu de la diversité » dans une commune de cette importance.

Le quartier de la Madeleine est au moment du tournage en pleine campagne électorale pour les munici-pales de 2008 et alors que deux de ses filles, Malika et Karima prévoient de se marier au printemps. Dansla cuisine de l'appartement HLM de Yéma, ces deux sujets se discutent sec et sans langue de bois… justedes pointes de mauvaise foi ! Cette famille est particulièrement vivante, avec des personnalités à la foismarquées et attachantes. Leurs choix de vies contrastés n’ont pas rompu un lien tacite qui les unit autourde valeurs communes fortes. S’ils développent leur identité propre à l’extérieur de la famille et du groupe,ils suivent les mêmes règles de conduite quand ils mettent les pieds dans le quartier. Cette conduite est liéeà leur mère. Car cette même réussite que leur mère a faite sienne l’exclurait de la communauté maghré-bine si elle était trop voyante. Et pour Yéma, en dehors de la Madeleine, dans le monde de ses enfants, ellen’a pas sa place…

C’est pourquoi, chacun sait quand et pourquoi Yéma ne viendra pas.

Yéma n’a assisté ni aux soutenances de thèses de ses enfants, ni aux mariages de quatre d’entre eux. Elleest fière pourtant de la réussite de ses enfants. Elle comprend que leur position sociale ait été assurée parle fait de ne pas s’enfermer dans la communauté le quartier, sa condition sociale à elle, qui partait chaquesoir après le repas des enfants faire des ménages dans les PME vides de la ZAC toute proche. Elle les amême poussés à ne dépendre de personne et peut s’attribuer le succès d’avoir des enfants « émancipés »,

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bien plantés, n’ayant ni dieu ni maître. Mais elle respecte sa communauté et doit sans doute aussi quelquechose à Dieu. Il lui a été difficile de se faire respecter dans ce quartier alors que, seule, elle élevait ses en-fants. Cette place qu'elle a su préserver reste précaire. Elle ne peut pas exposer trop vivement ce qui ladifférencie des autres familles immigrées du quartier.

Comme le veut l’adage, chacun se souvient des mêmes choses… de façon différente. Selon que l’on estfille ou garçon, sa place dans la fratrie, parent ou enfant, né en Algérie ou en France… Les souvenirs quel’on a d’avant, quand le père était encore présent. Si leurs parcours sont exemplaires, une partie d’eux resteà vif et très marquée par une histoire familiale faite de discriminations que diplômes et cravates ont freinémais jamais stoppés.Hakim est le fils prodigue. Le film ne dira pas s’il reviendra un jour en France mais raconte qu’il est partipour un pays, le Canada, où on ne lui pose pas la question de son origine quand il cherche un emploi ouun logement.

Cette famille charismatique se raconte avec force. Leurs propos se mettent en miroir, on s’attache à les voirferrailler avec leurs contradictions. Ça raconte quelque chose de notre société, de la place laissée à ces gé-nérations issues de l’immigration et de la place que cette génération va prendre d’elle-même.

La réalisatrice

Film écrit et réalisé par Agnès Petit

J’ai vécu de nombreuses années à Évreux. Je n’y suis pas née et ma famille n’est pas originaire de cette ré-gion de France. Nous avons suivi mon père et une opportunité professionnelle pour nous installer dans cetteville de taille moyenne, dans une zone pavillonnaire du quartier de La Madeleine. Le collège de notre sec-teur était le collège de la ZUP toute proche. J’étais une fille des pavillons et Malika, ma meilleure amie, étaitune fille des HLM. Nous aimions passer de son quartier au mien puis du mien au sien car l’une et l’autreétions alors à égalité : nous changions de monde et de repères en moins d’un quart d’heure de marche àpied. Malika et moi avons grandi ensemble, sous les regards bienveillants de nos mères qui nous accueillaientl’une et l’autre sans a priori. Nous avons rêvé ensemble du jour où nous quitterions Évreux, cette ville quinous semblait trop petite pour porter nos rêves et nos ambitions.

Malika a fait ses études à Rouen où elle a sou-tenu sa thèse puis a travaillé comme ingénieurqualité au Havre. C’est principalement à Parisque j’ai travaillé sur les films des autres en as-sistant des réalisateurs de fiction puis en réali-sant moi-même. Je souhaitais réaliser desdocumentaires plutôt que de la fiction carj’avais besoin d’une réalité pour nourrir des his-toires qui rejoignent mes questionnementspersonnels. Les ateliers Varan m’ont permis deconfirmer ce désir et m’ont appris à trouver laplace, la bonne distance pour filmer la vie des autres avec les autres, en m’impliquant personnellement. Lesfilms documentaires que j’ai réalisés se sont tous construits dans cette énergie croisée que donnent la ren-contre des personnes filmées et l’idée, l’espérance, ou l’indignation que je porte à travers le projet d’un film.Le film devient alors un espace commun. Et c’est cela qui fait pour moi tout l’intérêt de la démarche do-cumentaire. Ce moment de vie partagé qui crée un document partageable avec d’autres- les futurs spec-tateurs- me donne également le prétexte de créer des événements forts à vivre avec des êtres dont je suisproche.

Cela a été le cas de Que du bonheur ? court métrage documentaire de 18 minutes, qui a été une occasionprécieuse de construire une relation avec ma grand-mère en dehors du quotidien et de notre lien de pa-

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renté. Pour ce projet porté par les Iguanes, collectif de réalisateurs dont je suis cofondatrice, chacun réali-sait un film sur un même thème pour voir comment nos films se parlaient et se complétaient. Le thèmechoisi était l’amour. Et je suis allée passer quelques jours chez ma grand-mère pour évoquer avec elle la mé-moire de mon grand-père qui fut son mari, son patron, son amant, pendant soixante années. Elle se remé-morait avec tendresse les jours heureux, ses vingt ans, et moi je m’interrogeais sur la longévité de cet amour« conjugal ». Que du bonheur ?Vraiment ? Finalisé en 2002 ce film fait partie d’une collection de 6 films sin-guliers, où les amours évoqués font courir les cœurs, les plumes et les imaginaires.

Équation à deux inconnus, documentaire présenté au 4e festival du film d’éducation pose déjà la questionde trouver sa place dans la société à travers le parcours de deux protagonistes qui ne se connaissent pas,n’ont pas le même âge et ne vivent pas au même endroit. Ce qui les relie et les oppose ce sont les ma-thématiques : l’une est bonne, l’autre pas. Il s‘agit alors de décrire la relativité du sentiment d’échec et deréussite à travers l’évocation de cette matière incontournable du système scolaire français.Timothée 15 ans,doit surmonter son blocage alors qu’Aurélie, mathématicienne agrégée et doctorante est confrontée pourla première fois à l’incertitude. L’enjeu du film est de créer le doute sur celui qui est finalement le mieuxarmé face à la difficulté…

En 2005, quand les banlieues s’enflamment en France, je suis en repérage dans le sud de l’Inde. Je vis lesévénements de l’extérieur et je découvre des images du quartier de la Madeleine en feu sur TV5 Monde.Le décalage entre mes souvenirs d’enfance et la façon dont est décrit le quartier et ses résidents m’indi-gnent. J’apprends en rentrant qu’un couvre feu à même été déclaré à la Madeleine dans les semaines quiont suivi les faits.

J’ai alors pensé que je n’avais pas vu le quartier changer parce que finalement je n’y connaissais que quelquesfamilles que je voyais le plus souvent en dehors de la Madeleine ou à l’abri d’appartements accueillants. Enrevenant sur les lieux et en parlant avec Yéma, j’ai réalisé que nous n’évoquions que très peu le contextegénéral dans lequel ses voisins et les enfants de ses amies vivaient et évoluaient. C’est à ce moment-là quej’ai pris la mesure du sentiment d’injustice qui grondait dans les familles qui se sentaient enfermées dans cesquartiers, en marge des villes et de la société française. En discutant avec mon amie Malika et ses frères etsœurs, j’ai été sidérée de constater qu’eux aussi ressentaient et avaient toujours ressenti cette France in-juste et raciste que je ne connaissais pas, parce qu’ils n’en parlaient pas. Auprès de leurs amis proches quine se posent pas la question de leurs origines, ils préfèrent en effet parler d’autres choses que du racismeambiant et des discriminations subies.

Et c’est ainsi, alors que je croyais cette famille parfai-tement « intégrée », qu’ils ont commencé à témoi-gner du parcours heurté et des humiliations queleurs ambitions leur avaient values. J’en ai fait l’objetde reportages pour France Culture et Arte radioaxés sur la seconde génération. Le regard que por-taient les sœurs médecins et leur frère élu socialiste,vivant à Évreux, sur le quartier de la Madeleine. Aucours de ces reportages j’ai réalisé à quel point leurréussite avait un prix… celui de les avoir éloignés dece quartier et de leur mère « Yéma ».

Yéma veut dire « Maman » en arabe. En fait leur mère s’appelle Mazia Mammeri.J’avais depuis longtemps ce projet de faire le portrait de cette femme forte dont la détermination m’a tou-jours impressionnée et que je trouve belle et expressive. J’aime son humour, ses colères, ses combats. Ellen’a jamais été à l’école. Ni en Algérie, ni en France, où elle a par contre connu la misère. Et c’est ce petitbout de femme qui a créé la première banque alimentaire dans son quartier dans les années quatre-vingt-dix. Ses grands enfants sortis d’affaires avaient quitté la maison. Elle s’est alors consacrée à ce projet et,avec son français haché, elle est allée chercher les soutiens nécessaires. Elle a ainsi réussi à faire ce qu’il fal-lait pour ceux qui n’avaient rien à manger.

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Il fallait que Yéma soit le personnage principal de ce film : c’est de son point de vue que je souhaitais fairedécouvrir le quartier et la réussite de ses enfants.

Après tout, elle-même était un peu cinéaste. Comme l’atteste son idée un peu folle d’acheter en 1978 unecaméra super 8 sonore, alors que la famille tire le diable par la queue, pour filmer sur son téléviseur l’en-terrement de Houari Boumédiène mort pendant son mandat de président de la République algérienne dé-mocratique et populaire. Son grand homme. Une fois la caméra achetée, elle filme ses enfants qui grandissenten France et ses voyages dans la famille à Alger et au bled. Elle devient alors une messagère pour ces fa-milles séparées par la Méditerranée. Ces témoignages deviennent pour moi la matière essentielle qui par-lera d’hier, qui racontera ce qu’aucun des enfants de Yéma ne veulent ni ne peuvent totalement oublier :une terre aride et lointaine qui a vu naître leur mère, un oncle invalide dans un jardin normand en hiver seplaignant de la dureté de la vie en France et du travail effectué.

J’avais le souvenir des films super 8 que Yéma avait tournés et que nous regardions adolescentes en riantdevant les facéties de la fratrie face à la caméra de leur mère. Et je lui avais demandé d’en faire une copiepour les sauvegarder quelques années auparavant.

Quand Yéma m’a annoncé qu’elle partait pour la deuxième fois à la Mecque dans la période où le tour-nage du documentaire avait lieu, je lui ai demandé de filmer son voyage avec son caméscope vidéo et elleest ainsi devenue un membre de mon équipe à part entière… On a discuté de ce qui était nécessaire aufilm, de ce qu’elle aimerait filmer.Au résultat, elle m’offre les images de ses compagnons de voyage, des pay-sages désertiques qu’elle traverse en bus et de la foule des pèlerins tournant dans un bruissement hypno-tique autour de la Ka’ba, cœur de la Mosquée Sacrée… Elle m’offre également l’assurance renouvelée deson adhésion au projet.

Quand le travail d’écriture de ce documentaire a reçu labourse « Brouillon d’un rêve » décernée par la Scam et le sou-tien de la Région Haute-Normandie, j’étais sur le point d’aban-donner le projet car le mariage de Nahima sur lequel le filmdevait s’appuyer avait eu lieu. Ce film qui devait à l’origine êtretourné en 2006, sera tourné finalement en 2008 et les évé-nements de ce nouveau calendrier m’apportent deux sur-prises : c’est l’année choisie par Malika et Karima pour semarier et elles acceptent que je les filme. C’est également lacampagne municipale au cours de laquelle Rachid choisit des’engager en tant que tête de liste du parti socialiste, et il se

trouve être également le seul candidat issu de la diversité dans une commune aussi importante. La forcede ces événements dans la vie de mes protagonistes était inespérée. Elle permet au film de s’inscrire dansdes enjeux présents. L’exercice pour la réalisatrice est alors particulièrement difficile : beaucoup d’événe-ments, beaucoup de protagonistes, un nombre de jours de tournages restreints sur une période de tempstrès longue. Il s’agit de faire des choix pour ne pas perdre le fil de l’histoire et du personnage principal quirestera avant tout Yéma.

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L’accompagnement du spectateur

L’accompagnement éducatif des pratiques culturellesQuoi de plus évident, pour un mouvement d’Éducation nouvelle, se reconnaissant dans les valeurs de l’Édu-cation populaire, que d’associer et articuler éducation et culture ?• La culture est une attitude et un travail tout au long de la vie, qui révèle à chacun progressivement sespotentialités, ses capacités et l’aide à trouver une place dans son environnement social.• La culture ne se limite pas aux rapports que chacun peut entretenir avec des formes d’art, elle est aussiconstituée de pratiques sociales.• L’appropriation culturelle nécessite le plus souvent un « accompagnement » qui associe complémentai-rement trois types de situation : l’expérimentation, dite sensible, au travers de pratiques adaptées et dé-bouchant sur des réalisations, la réception des œuvres ou productions artistiques et culturelles, la réflexionet l’échange avec les autres - spectateurs, professionnels, artistes.

PrincipesVoir un film collectivement peut être l’occasion de vivreune véritable démarche éducative visant la formation duspectateur. Pour cela nous proposons cinq étapes :• Se préparer à voir• Voir ensemble• Retour sensible• Nouvelles clefs de lecture• Ouverture culturelleAccompagner le spectateur c’est : amener la personne à diversifier ses pratiquesculturelles habituelles, lui permettre de confronter sa lecture d’un film avec celles desautres pour se rencontrer et mieux se connaître.Il s’agit au préalable de choisir une œuvre que nous allons découvrir ensemble (ou redécouvrir). Ce choixpeut être fait par l’animateur seul ou par le groupe lui-même.

Se préparer à voirPermettre à chacun dans le groupe d’exprimer ce qu’il sait ou croit savoir du film choisi.L’animateur peut enrichir ces informations par des éléments qui lui semblent indispensables à la réceptionde l’œuvre.Permettre et favoriser l’expression de ce que l’on imagine et de ce que l’on attend du film que l’on va voir.

Dans cette étape plusieurs outils peuvent être utilisés :• Outils officiels de l’industrie cinématographique (affiche, Bande annonce, dossier de presse, making off…).• Outils critiques (articles de presse, émissions de promo…).• Contexte culturel (biographie et filmographie du réalisateur, approche du genre ou du mouvement ci-nématographique, références littéraires, interview, Bande Originale…).

Voir ensemblePlusieurs possibilités de visionnement sont possibles même si rien ne peut remplacer le charme particulierdes salles obscures.• Au cinéma : de la petite salle « arts et essais » en VO au multiplex.• Sur place avec un téléviseur ou un vidéoprojecteur.

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Retour sensible• Je me souviens dePermettre l’expression de ce qui nous a interpellés, marqué… dans le film. Quelles images, quelle scène enparticulier, quelle couleur, quel personnage ?• J’ai aimé, je n’ai pas aiméPermettre à chacun de dire au groupe ses “goûts”, son ressenti sur le film… et essayé de dire pourquoi.• Dans cette étape plusieurs méthodes peuvent faciliter l’expression : atelier d’écriture, activités plastiques,jeux d’images, mise en voix, activités dramatiques…

L’essentiel ici est de permettre le partage et l’échange, afin que chacun puisse entendredes autres, différentes lectures et interprétations de l’œuvre pour enrichir sa propreréception.

Nouvelles clefs de lectureL’animateur peut proposer des pistes d’approfondissement centrées sur un aspect de la culture cinémato-graphique, pour enrichir la compréhension et la perception de l’œuvre. Cette phase permet d’élargir lesconnaissances du spectateur sur ce qu’est le cinéma.• Histoire du cinéma, genre et mouvement (regarder des extraits d’autres films, lire des articles de presse,rechercher des références sur Internet…).• Analyse filmique : la construction du récit, analyse de séquence, lecture de plan, étude du rapport imageson.• Lecture d’images fixes.

Il est intéressant, ici, d’utiliser des sources iconiques d’origines multiples dans laperspective de construire une culture cinématographique.

Ouverture culturelleC’est le moment de prendre de la distance avec le film lui même. Qu’est-ce que cela m’a apporté ? En quoia-t-il modifié ma vision du monde ?• Débats sur des questions posées par le film.• Liens avec d’autres œuvres culturelles.

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À propos de cinéma

Le cinéma documentaireSelon le temps disponible et le niveau des participants, plusieurs activités peuvent permettre une approchede plus en plus approfondie du cinéma documentaire.

Expression des pratiques personnellesOn peut partir des questions suivantes :Quel est le dernier film documentaire que vous avez vu ?Où l’avez-vous vu ? Salle de cinéma, télévision, DVD, en ligne ?Quels sont les films documentaires qui selon vous ont marqué l’histoire du cinéma ? Pouvez-vous préciseren quoi ?

Essai de définition du cinéma documentaireEn général, cette catégorie filmique se fixe pour but théorique de produire la représentation d’une réalité,sans intervenir sur son déroulement, une réalité qui en est donc a priori indépendante. Il s’oppose donc àla fiction, qui s’autorise à créer la réalité même qu’elle représente par le biais, le plus souvent, d’une narra-tion qui agit pour en produire l’illusion. La fiction, pour produire cet effet de réel s’appuie donc, entre au-tres choses, sur une histoire ou un scénario et une mise en scène. Par analogie avec la littérature, ledocumentaire serait à la fiction ce que l’essai est au roman. Un documentaire peut recouper certaines ca-ractéristiques de la fiction. De même, le tournage d’un documentaire influe sur la réalité qu’il filme et la guideparfois, rendant donc illusoire la distance théorique entre la réalité filmé et le documentariste. Le docu-mentaire se distingue aussi du reportage. Le documentaire a toutefois des intentions de l’auteur, le synop-sis, les choix de cadre, la sophistication du montage, l’habillage sonore et musical, les techniques utilisées, lelangage, le traitement du temps, l’utilisation d’acteurs, les reconstitutions, les mises en scènes, l’originalité, ouencore la rareté.

Repérage de différents « genres » documentaires- Documentaires didactiques Shoah (Claude Lanzmann), Le chagrin et la pitié (Marcel Ophuls), Être et Avoir(Nicolas Philibert). L’École nomade (Michel Debats).- Documentaires militants : Les groupes Medvedkine, Fahrenheit 9/11 (Michaël Moore).- Documentaires autobiographiques : Rue Santa Fe (Carmen Castillo), Les plages d’Agnès (Agnès Varda),Une ombre au tableau (Amaury Brumauld).- Documentaires essai : Nuit et brouillard (Alain Resnais), Sans Soleil (Chris Marker).- Documentaires portrait : Mimi (Claire Simon), Ecchymoses (Fleur Albert), 18 ans (Frédérique PolletRouyer).

Repères sur l’histoire du cinéma documentaireDifférents moments de cette histoire peuvent permettre de situer des œuvres et de repérer des enjeux,culturels et artistiques :• Les oppositions classiques des origines du cinéma documentaireNanouk l’esquimau de Robert Flaherty (1922) / L’homme à la caméra de Dziga Vertov. (1928).• Le documentaire français « classique »À propos de Nice, Jean Vigo, 1930.Farrebique, Georges Rouquier, 1946• Quelques moments clés de l’histoire du documentaireCinéma vérité : Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin, 1960.Primary, Robert Drew avec Richard Leacock, D.A. Pannebacker, Albert Maysles, 1960.Cinéma direct : La trilogie de l’île aux Coudres de Pierre Perrault 1963, Numéros zéro de Raymond Depar-don, 1977.

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Le cinéma engagéComment Kungfu déplaça les montagnes de Joris Ivens (1976), Le fond de l’air est rouge de Chris Marker(1977).

Les principaux festivals consacrés au documentaire- Cinéma du réel. Centre Pompidou Paris- États généraux du film documentaire - Lussas- Festival international du documentaire de Marseille- Rencontres internationales du documentaire de Montréal- Visions du Réel - Nyon - Suisse- Festival international du film d’histoire - Pessac- Les Écrans Documentaires - Arcueil- Les Rencontres du cinéma documentaire - Bobigny- Sunny Side of the doc, La RochelleÀ signaler également, le Mois du film documentaire.Tous les mois de novembre, depuis 10 ans, des biblio-thèques, des salles de cinéma, des associations, diffusent des films documentaires peu vus par ailleurs.

Sites web consacrés au documentairehttp://www.film-documentaire.fr Le portail du film documentairehttp://addoc.net/Associations des cinéastes documentaristeshttp://www.doc-grandecran.fr/Documentaires sur grand écran.http://docdif.online.fr/index.htm Doc diffusion France

Une nouveauté : les web-documentairesUn certain nombre de sites web (de journaux ou de chaines de télévision en particulier) diffusent depuispeu, en streaming et gratuitement, des films documentaires. Des plate-formes de VOD (Vidéo à la de-mande) font aussi une large place au cinéma indépendant. La location de documentaires est alors payante,mais à un tarif souvent réduit.En même temps, de nouvelles façons de présenter les contenus documentaires sont apparues. Elles ont re-cours systématiquement aux ressources de l’hypertextualité et du multimédia. Le webdocumentaire, etaussi le webreportage, utilisent à la fois le texte, le son, les images, fixes et animées, et construisent leur pro-pos en les organisant selon une logique propre. Mais le plus original est l’interactivité qu’ils proposent. Lespectateur peut ainsi mener lui-même l’enquête, choisir son itinéraire, interroger différents protagonistes,etc. Bref, il devient lui-même le héros de l’histoire et aucune consultation de l’œuvre ne ressemble aux au-tres. Finie la passivité imposée par la diffusion télévisée, contrainte dans une grille et nécessairement li-néaire. Proposé sur Internet, le webdocumentaire vise lui à impliquer l’utilisateur dans son propos, et le faireréellement participer à la réflexion.

http://linterview.fr/new-reporterhttp://www.lemonde.fr/webdocumentaires/http://webdocs.arte.tv/http://documentaires.france5.fr/http://www.france24.com/fr/webdocumentaireshttp://www.docnet.fr/http://www.universcine.com/http://www.curiosphere.tv/

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Quelques notions fondamentalessur l’image cinématographique

Lecture de l’image

Lire, c’est construire du sens. À propos de l’image, cette opération prend deuxformes opposées mais complémentaire, la dénotation et la connotation.La dénotation. C’est la lecture littérale. La description qui se veut objective,c’est-à-dire sur laquelle tout le monde peut être d’accord, de ce que je vois.La connotation. C’est la lecture interprétative. À partir de ce que je vois, j’ex-prime ce que je pense, ce que je ressens.

Construire du sens, c’est faire intervenir des codes. Un code est uneconvention qui doit être commune à un émetteur et un récepteur pour qu’il yait communication. À propos de l’image, on peut distinguer des codes non spé-cifiques, qui appartiennent à toute activité perceptive ; et des codes spéci-fiques qui se retrouvent dans toute image, qu’elle soit fixe ou animée.

Le cadrageLes codes spécifiques découlent du fait que toute image estnécessairement cadrée, c’est-à-dire qu’elle résulte d’une délimitationd’une partie de l’espace. Cadrer c’est choisir, c’est éliminer ce qui nesera pas dans le cadre et restera donc non perçu. Pour le cinéma, on par-lera du champ et du hors-champ et l’un des axes d’analyse fondamen-tale de l’écriture filmique consistera à étudier les rapports qu’entretientle hors-champ avec ce qui est présent et donc visible dans l’image.

Les paramètres de l’imageIls résultent de l’activité de cadrage. On les retrouve dans toute image, qu’ellesoit fixe ou animée.

L’échelle des plansC’est la « grosseur » d’un plan, relativement aux personnages ou au décor, soit :Plan généralPlan d’ensemblePlan moyenPlan américainPlan rapprochéGros planTrès gros planInsert

L’angle de prise de vuePar convention, une vision frontale d’un personnage, et par extension des éléments du décor, est donnéecomme équivalente à la perception courante. Selon la position de la caméra on distingue alors la plongée(vision par dessus) et la contre-plongée (vision par dessous).

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Contre plongée verticaleContre plongée

Gros plan

Plan américain

Plan d’ensemble

Plan général

Plan rapproché

Plongée verticalePlongée

Très gros plan

La profondeur de champOn appelle profondeur de champ la zone de netteté située à l’avant et à l’arrière du point précis de l’es-pace sur lequel on a effectué la mise au point. L’espace représenté donne ainsi l’illusion de la profondeur.C’est le traitement de l’arrière-plan (flou ou net) qui définit la profondeur de champ :• l’arrière-plan flou définit une faible profondeur de champ : la scène nette occupe le devant sur fond dedécor vague, illusion d’un espace “réaliste”, mais dans lequel ne s’inscrit pas le personnage.• un arrière-plan net définit un écart d’étendue que le regard du spectateur peut parcourir. Cette grandeprofondeur de champ ouvre une réserve d’espace pour la fiction.

Les mouvements de caméraCe qu’ajoute le cinéma à la photographie, c’est non seulement de mettre du mouvement dans l’image, maisaussi de mettre l’image en mouvement.Le travelling : la caméra se déplace dans l’espace, vers l’avant (travelling avant), vers l’arrière (travelling ar-rière), sur un axe horizontal (travelling latéral), ou suivant un personnage, travelling d’accompagnement.Le panoramique : la caméra est fixe et pivote sur un axe, horizontalement ou verticalementCes deux mouvements de base pouvant, en effet, être combinés.L’usage d’une grue peut en outre complexifier encore les mouvements de caméra.Le zoom : objectif à focale variable, il opère des travelling optiques, sans déplacer la caméra.

Les effets spéciaux (la défamiliarisation de la perception)Généralisés et multipliés par l’arrivée du numérique, ils font cependant partie du langage cinématogra-phique dès les années 20. D’une façon générale, il s’agit de tout élément perceptif ne pouvant exister dansle réel.Les ralentis et accélérésLes surimpressionsL’arrêt sur l’image. Le gel.L’animation image par image.La partition de l’écran.L’inversion du sens de défilement.Etc.

Le montageC’est l’opération qui consiste à organiser et à assembler les plans tournés afin de donner un sens et unrythme au film. Ce travail a été radicalement bouleversé et facilité par l’usage de l’informatique qui permetune grande liberté de propositions de montage, sans jamais altérer la qualité de l’original. Il permet égale-ment de faire des montages avec une très grande accessibilité et pour un coût très faible. Cette tâche revêtdonc un aspect technique et esthétique au service de la mise en valeur de certaines situations.On distingue :Montage chronologique : il suit la chronologie de l’histoire, c’est-à-dire le déroulement normal de l’histoiredans le temps. (cf. films documentaires, ou certaines fictions).Le montage en parallèle : Alternance de séries d’images qui permet de montrer différents lieux en mêmetemps lorsque l’intérêt porte sur deux personnages ou deux sujets différents (par exemple dans les wes-terns, les films d’action).Montage par leitmotiv : des séquences s’organisent autour d’images ou de sons qui reviennent chaque fois(leitmotiv) lancinant, et annonce des images qui vont suivre (films publicitaires, films d’horreur).Le montage par adjonction d’images : avec le but de créer des associations d’idées permettant de traduireou d’accentuer tel ou tel sentiment (films de propagande).

Pour réaliser les liaisons entre les plans, on utilise des transitions :Le montage “cut” (liaison la plus simple), juxtaposant des plans dans une continuité de l’histoire.Le montage par fondus (fondu enchaîné, fondu au noir), qui indiquent souvent des ruptures de temps.

Enfin, il existe une multitude de solutions techniques permettant de passer d’un plan à un autre : volets, ri-deaux, iris (beaucoup sont utilisés dans les 20 premières minutes de La Guerre des Étoiles de Georges Lucas,par exemple).

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Le sonLe son au cinéma est ce qui complète l’image. Un film est monté en articulant l’image et le son.La bande sonore permet de donner une nouvelle dimension émotionnelle. Elle est composée de trois élé-ments : les bruits / le bruitage ; les voix ; la musique.Les bruits participent à l’ambiance du film. Ils sont réels, c’est-à-dire enregistrés à partir d’une source so-nore, ou produits lors de la post-production par des artifices. Le bruitage est une des étapes de la fabrica-tion d’un film. Il se réalise en postproduction et, en général, après le montage définitif de l’image.Les voix, les paroles des acteurs sont enregistrées en prise directe lors du tournage ou en studio.Elles existent sous plusieurs formes : monologue, dialogue, voix off.La musique, généralement l’un des composants essentiels de la bande son d’un film, appuie le discours duréalisateur et offre au spectateur un support à l’émotion.

Les métiers du sonL’ingénieur du son est celui qui gère l’ensemble des étapes de la fabrication du son d’un film.Le preneur de son est celui qui assure la prise de son au moment du tournage (dialogues, ambiances…).Le mixage, l’étalonnage sont des opérations qui se réalisent en postproduction, c’est le montage images/son.Le compositeur est celui qui écrit la musique originale du film.

À consulter, le site de musiques de films : Cinezik http://www.cinezik.org/

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Le film, étude et analyseCette partie a été réalisée par Catherine Rio, membre du comité de sélection du Festival du film d’éduca-tion.

Approche du film

Un documentaire dont le titre résonne comme celui d’un film de fictionOn pense à un film qui nous raconte une histoire avec un personnage fort, qu’on attend, il y a un peu dususpense de la fiction dans ce titre… Un personnage qui se fait attendre mais dont on sait déjà qu’il ne vien-dra pas… une sorte de Godot … ?Ce n’est qu’à la moitié du film qu’on entendra prononcer cette phrase par les filles qui préparent leur ma-riage : « Yéma ne viendra pas » ; elles savent et acceptent le fait que leur mère ne participera pas à leurmariage. L’une d’elles dira même qu’elle le préfère car elles ne seraient à l’aise ni l’une ni l’autre. En dépitd’un lien très fort entre la mère et ses enfants, on comprend que certaines choses restent cachées, ne peu-vent être dites, encore moins montrées. Elles ne vivent pas vraiment dans le même monde. En tout cas,Yéman’a pas sa place dans leur vie de jeunes femmes françaises.

Analyse de la 1e séquenceCelle qui nous fait entrer dans le film et doit nous donner tous leséléments pour en saisir l’enjeu.

Une entrée dans le film insolite et déstabilisante pourle spectateur…Le premier son qui nous parvient, avant même l’image, est le bruitstrident de l’accélération d’une mobylette, tandis qu’un travellinglatéral dans un mouvement continu vers un panoramique latéralnous fait parcourir un quartier de HLM, apparemment calme avec

des espaces verts et des arbres ; mais tout le paradoxe que veut soulever le film est déjà introduit dans cepremier plan avec le son des mobylettes qui prennent un caractère menaçant et la superposition du com-mentaire au ton dramatique d’une journaliste du JT national de cette journée d’émeute en novembre 2005qui amplifie la menace en parlant du « drame de ces banlieues qui sont devenues de véritables poudrières »et stigmatise même le quartier de La Madeleine en Normandie comme l’un de ces lieux, un de ces « ghet-tos » français.Dans un montage Cut, on a les images du JT avec la journaliste et la date qui nous situe exactement l’évé-nement.Les premières images nous déroutent car on a l’impression d’avoir ouvert son téléviseur à l’heure du JT oude suivre un reportage TV dont l’image bouge, comme sous l’effet du direct… Les cartons sur fond noirnous ramènent au film en affichant les organismes qui le soutiennent. Suit l’intervention télévisée du Prési-dent Jacques Chirac ce même soir, rappelant aux enfants des « quartiers difficiles, qu’ils sont tous les filleset les fils de la République ».Dans un montage Cut, nous quittons les images TV pour revenir à La Madeleine à Évreux dans un mêmetravelling qui nous fait parcourir les rues de la cité, tandis que le son s’organise entre la musique douce del’oud et la voix off de la réalisatrice qui présente en s’engageant à la première personne la démarche deson film. Nous apprenons là qu’il s’agit du quartier où elle a grandi, tandis que le travelling s’arrête sur desenfants grimpant pour jouer sur un monticule de terre. « Mes amis d’enfance et leurs parents ne sont pour-tant pas de dangereux islamistes… et je ne peux pas accepter non plus la belle histoire républicaine qui enferait mes égaux ». Les deux discours sont récusés. Où donc aller chercher une réponse ? Comment ten-ter de comprendre la situation et chercher ce qui peut « rendre la vie possible » ; ceci nous conduit natu-rellement dans un plan travelling d’accompagnement à emboiter le pas à Yéma qui salue les gens de sonquartier qu’elle croise sur le trottoir puis au marché. Elle semble parfaitement à l’aise et on comprend im-médiatement qu’elle est un personnage dans le quartier. La voix off de la réalisatrice nous la présente en

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précisant le sens de « Yéma » qui veut dire « maman ». Ce n’est donc pas encore un magazine sur la vio-lence dans les cités, un de plus, qui va nous être proposé, mais l’histoire d’une mère de neuf enfants, dontdeux seulement sont nés en Algérie, tous les autres sont nés en France….des enfants « issus de ce quar-tier qui produit plus d’échec que de réussite » et qui pourtant sont devenus médecins, ingénieurs …

La réalisatrice par ces premiers plans pose son film sous le signe du paradoxe.Yéma elle-même est tout unparadoxe, nous le verrons en apprenant à la connaître et à comprendre le lien qui la rattache à ses enfants,si fort et si lointain en même temps.À tous ceux qu’elle croise, elle parle arabe ; nous pouvions penser qu’elle utilisait sa langue maternelle poursaluer ses compatriotes mais tandis qu’elle s’éloigne vers le fond du plan, la caméra prenant un peu de dis-tance comme si elle se voulait discrète, la voix off de la réalisatrice nous confie que «Yéma ne lit pas, n’écritpas, parle le français comme un chameau ».Mais le plan suivant qui voit surgir une voiture au volant de laquelle se trouveYéma elle-même, finit par éclai-rer les travellings latéraux du début nous faisant découvrir le quartier de la Madeleine. C’est à partir de cettevoiture qui roule, conduite par Yéma que nous voyons défiler les immeubles et les rues du quartier. C’estdonc à partir de son regard que nous suivrons cette histoire. La très belle métaphore de la voiture figurantla vie de Yéma nous montre d’emblée quelqu’un qui ne se laisse pas mener mais qui conduit sa vie et quil’assume, toujours dans le paradoxe, « intégrée à la société française, et vivant en marge de celle-ci. »Nous finissons la séquence dans la voiture de Yéma, le regard sur le pare-brise avant, regardant ce qu’ellevoit. C’est l’invitation à entrer dans son point de vue. Nous arrivons devant l’immeuble deYéma avant d’en-trer dans son appartement dès la séquence suivante.

Ainsi, en 4mn, tout l’essentiel de l’enjeu du film est posé, fondé sur la figure du paradoxe, celui qui invite auquestionnement, et nous avons fait la connaissance du personnage principal qui, beaucoup plus qu’un pré-texte d’organisation va donner sens au film.

Le fil rouge : le personnage titreUn des éléments qui différencie nettement le reportage du cinéma documentaire est la question du pointde vue. C’est à partir du regard d’un personnage que sera vue et vécue l’action.Choix délibéré par la réalisatrice d’un point de vue, celui deYéma qui va conduire toute la construction dufilm et qui imposera les choix au montage.Personnage central, c’est vers elle que convergent tous les autres personnages qui viennent la voir chez elle,alors qu’elle ne va pas chez eux.On peut dire qu’il s’agit d’un vrai personnage de cinéma. Un caractère bien trempé, une personnalité horsdu commun qui sait ce qu’elle veut. Elle nous séduit et nous fascine. La protagoniste est toujours présentequ’elle soit à l’image ou non. Quand elle est à l’image, elle possède ce rayonnement, cette présence fortede ceux dont on dit, en documentaire comme en fiction qu’ils « crèvent l’écran » ; tout s’organise instan-tanément autour d’eux. Même quand on ne lavoit pas à l’image, c’est d’elle dont on parle, ellesemble être derrière chaque plan, même si elleen est exclue comme lors de la préparation desmariages ou lors de la campagne électorale deRachid son fils. Les deux situations sont d’abordorganisées par la réalisatrice dans un montage pa-rallèle équilibré. Pourtant les événements ferontque cette campagne électorale et les péripétiesqui l’entourent prendront plus de place qu’il étaitprévu au préalable et dans ces passages, il semblequ’on perde un peu Yéma, mais on la retrouve par la suite.Yéma comme « co-réalisatrice » est là aussi par les images qu’elle a filmées avec sa caméra super 8, puisavec la caméra vidéo lors de son voyage à La Mecque.Yéma ouvre le film comme on l’a vu dans l’analyse de la première séquence, et le referme dans cette trèsbelle séquence finale où elle est face à sa petite fille qui ne comprend pas son langage et ne semble pasprête à apprendre à compter en arabe.

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L’entrecroisement complexe de fils narratifs multiplesL’art du montage est essentiel pour jongler avec ces fils narratifs multiples et les tisser pour constituer latrame d’un film qui se tient. Ainsi, le montage parallèle est souvent utilisé, notamment entre les activités depréparation des mariages avec d’un côté la visite au magasin pour choisir les robes, la fabrication des faire-part, le mariage lui-même, et de l’autre tout l’épisode électoral. Dans le même temps, quelques séquencesnous montrant Yéma seule chez elle pendant que s’organise toute l’activité de ce monde dont elle est ex-clue, dont elle s’exclut elle-même. Elle apporte néanmoins sa contribution active à la candidature de sonfils Rachid en recueillant des signatures auprès de ses nombreuses connaissances dans le quartier ; ceci fait

nombre, mais ne lui permettra pas de remporter l’électioncomme Rachid le précisera à cause de l’origine de ces signa-tures…L’histoire du voyage à La Mecque entre aussi dans ce tissage dumontage avec l’épisode du départ en car avec tous ses amis,celui au préalable où le frère et la sœur s’entendent entre euxpour savoir qui peut se rendre disponible pour pouvoir em-mener la mère au rendez-vous du départ pour le pèlerinage ;et enfin toutes les images du voyage tournées par Yéma elle-même.La séquence tournée au Canada montrant le fils Hakim qui a

émigré au Canada, un pays où la question des origines ne fait pas problème, a dû être annoncée dans laprésentation parYéma de tous ses enfants au début du film. On voit ensuite Hakim et sa famille débarquerà l’aéroport et arriver chez Yéma.

Les personnages du film : parmi les neuf enfants de Yéma, cinq filleset quatre garçons• Sans la voir, nous entendons beaucoup parler de la fille ainée, Fatiha qui a suivi la scolarité de ses frèreset sœurs pour toutes les questions que Yéma ne pouvait assumer, ne sachant lire ni écrire, elle-mêmen’étant jamais allée à l’école comme elle le dit avec regret mais un magnifique sourire. Fatiha qui a toujoursété brillante élève, a dû se battre à chaque palier d’orientation pour poursuivre des études générales, estdevenue médecin.Nous voyons dans le film :• La seconde, Messaouda qui est aussi médecin dans le quartier et vient souvent déjeuner avec sa mère.• Malika, ingénieur, habite à Ste Adresse, banlieue chic du Havre ; elle vient régulièrement voir sa mère àÉvreux et prépare son mariage en même temps que sa plus jeune sœur Karima que nous voyons à plu-sieurs reprises avec sa mère ou sa sœur.• Hakim, le fils émigré au Canada.• Rachid le fils ingénieur, candidat aux élections municipales.• Et tous les petits-enfants deYéma qu’on voit accompagner leurs parents mais qui ne sont pas clairementidentifiés.

Enquête sur une élection… ou plutôt chronique d’une électionLa question politique posée par cet épisode et la situation qu’il illustre peut être intéressante à dévelop-per…Sur le plan du film et de sa construction… La question a déjà été évoquée plus haut à propos du person-nage de Yéma, avec le risque de perdre un peu son sujet.Quand le réel vient bousculer le projet d’écriture, il est parfois difficile de retomber sur ses pieds. Quandon a une caméra en main et qu’on se trouve dans la situation pleine de péripéties et de rebondissementstels ceux qui ont eu lieu dans cette période entre deux tours d’élection municipale, quand ces aventurestouchent directement un personnage clé du film en cours de tournage, il est impossible de résister et latentation est grande de filmer tout ce qui se passe… Il s’agit bien de saisir le réel tel qu’il se présente. Onpeut même alors avoir de la matière pour un autre film dont le sujet porterait avant tout sur l’enjeu élec-toral.Pourtant, la situation du fils de Yéma était partie intégrante du projet de film et la réalisatrice avait choisicette période électorale dans son plan de tournage pour suivre en direct le personnage de Rachid et l’évo-lution de sa carrière politique.

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Il s’agissait ensuite d’intégrer cette histoire aufilm en choisissant parmi les heures filmées, lesplans et séquences qui pouvaient entrer dans lefilm intitulé Yéma ne viendra pas en s’articulantsolidement à l’ensemble. On peut se deman-der à ce titre si la séquence des résultats desélections le soir du premier tour était vraimentdans le sujet ; on est impressionné par le plan-séquence très fort montrant l’interview decelui qui sera élu maire après avoir refusé deconstituer une liste commune, ceci dans unplan assez large pour y voir le personnage qui nous intéresse dans le film, le fils deYéma, resté digne et hon-nête pendant toute la campagne; dans ce plan on le voit bien à part, griffonnant sur son papier, confrontéà l’injustice.On aurait peut-être attendu la réaction de Yéma face à cette issue malheureuse d’une histoire dans la-quelle elle s’était pourtant engagée, on l’a vue brandissant sa liste de signatures, on l’a vue au marché oùRachid faisait campagne. Mais on ne la verra pas réagir à cette douloureuse exclusion. Là non plus « Yémane viendra pas ».

Démarches et mises en situation

PortraitsD’une façon simple, il s’agira de dresser la liste des traits de caractères des différents personnages du film :Yéma d’une part, ses enfants de l’autre. Si ce travail se fait de façon individuelle, une mise en commun met-tra en évidence les accords et les désaccords entre participants.D’une façon plus élaborée, on peut transformer ce jeu de portraits en atelier d’écriture. Il s’agira alors derédiger sous une forme littéraire les différents portraits en question…

DossiersÀ partir de recherche dans des magazines et/ou sur Internet, il s’agira de recueillir desdonnées d’information sur1. L’immigration en FranceLes chiffres dont on peut disposer, les différents pays d’origine, l’évolution historique…2. La crise des banlieues en 2005Dans un premier temps chacun exprimera ses souvenirs sur les événements. Une synthèse formalisera cequi en a été retenu par le groupe.Il s’agira ensuite de rechercher des archives d’époque (presse écrite, ou autres médias) qu’il sera possibled’organiser sous la forme d’un affichage ou d’une présentation multimédia (à partir de filmage en bac-titredes documents papier).Quel a été le bilan officiel ? Quelles sont les décisions politiques qui en ont découlé ?

EnquêtesRéalisations d’interviews de personnes issues de l’immigration.• Préparation de questions.• Enregistrement des réponses.• Élaboration d’un podcast.

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Ouverture vers des sujets de sociétéet citoyens

L’intégration des immigrés dans la société françaiseQuelle réalité aujourd’hui ? Deuxième et troisième génération.Quels obstacles ? Dans les activités professionnelles. Dans la vie politique.

Une société pluriculturelleComment le multiculturalisme se manifeste-t-il dans la société ?Les cas particuliers du sport (foot en premier lieu) et de la musique.Que signifie la notion de métissage ?

Les banlieues

Thèmes de débats possibles• Qu’est-ce que vivre en banlieue ?• Quelle représentation des banlieues nous donnent les médias et en particulier la télévision ?• La « politique de la ville ». Quels sont ses objectifs ? Quelle pourrait être son utilité ?

La vie politiqueOn évitera bien évidemment de se laisser entraîner dans un débat partisan. Pour cela, il sera utile de pro-poser des thèmes généraux de réflexion. Exemples :• L’idée de démocratie. Comment la vivons-nous ? En période électorale. .Au jour le jour, dans la vie quo-tidienne.• La citoyenneté. Comment est-elle vécue par chacun ? Quelles sont les valeurs qui la fondent ? Être ci-toyen d’un pays, qu’est-ce que cela implique ? Existe-t-il une citoyenneté européenne ? Quel sens don-nons-nous à l’expression « citoyen du monde » ?

• La place des partis dans la vie politique ? Celle des syndi-cats et des associations ?• La politique dans la vie locale. Quel sens a-t-elle ? Com-ment y participons-nous ?

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Pour aller plus loin, ressources

Sur l’intégration des immigrés

LivresFassin D. (dir) Les nouvelles frontières de la société française, La Découverte, 2010.

RevuePédagogie interculturelle. Démarches éducatives ici et ailleurs. Dossier coordonné par Katja Sporbert, Versl’éducation nouvelle N° 541, janvier 2011.

Films• DocumentairesMémoires d’immigrés : l’héritage maghrébin, de Yamina Benguigui, 2005Les Nouveaux Hussards Noirs de la RépubliqueLe pays où on ne revient jamais de José Vieira, 2006Les Émigrés de José Vieira, 2009• FictionsLa graine et le mulet de Abdellatif Kechiche, 2007

Sur les banlieues

Films• DocumentairesPetite Espagne de Sophie Sensier, 2006Clichy pour l’exemple de Alice Diop, 2006Vivre en banlieue – La parole d’un éducateur de rue de Jean-Baptiste Martin, 2006Banlieue gay de Mario Morelli, 2006Joue la comme la vie de Hubert Brunou, 2006Bourzwiller 420. Détruire, disent-ils. De Zouhair Cebbale, 2007Les Nettoyeurs de Jean-Michel Papazian, 20079-3, mémoire d’un territoire de Yamina Benguigui, 2008Chronique d’une banlieue ordinaire de Dominique Cabrera, 2010• FictionsLa Haine de Mathieu KassovitzL’Esquive de Abdellatif KechicheLa journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld• Sur InternetLe bondy blog http://yahoo.bondyblog.fr/

Sur la vie politique locale

FilmsMarseille en mars de J-L Comolli 1993Marseille contre Marseille de J-L Comolli 1995

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Le Festival du film d’éducation est organisé par

• CEMÉA, Association Nationale24, rue Marc Seguin 75883 Paris cedex 18

t./f. : +33(0)1 53 26 24 14 / 19• CEMÉA de Haute-Normandie

33, route de Darnétal BP 1243 - 76177 Rouen cedex 1t./f. : +33(0)2 32 76 08 40 / 49

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