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DANS CE DOSSIER Du Pacs au mariage homosexuel La famille, repère des jeunes Mariage homosexuel : le point de vue d’un anthropologue Le droit face aux réécritures biologiques de la parenté Les politiques familiales sous tension L’homoparentalité divise les psychanalystes PMA : les termes du débat « Il manque un vrai débat public » Cnafal : « Il n’y a pas de modèle familial à imposer » Le travail d’un centre social Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert LeS IDéeS en MouveMenT Le MenSueL De LA LIGue De L’enSeIGneMenT n° 206 FévRIeR 2013 9. dOssier L es polémiques qui font rage autour du projet de loi relatif au mariage homosexuel ont quelque chose de déconcertant. Lorsque l’Exécutif a décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement, des voix se sont élevées, à gauche comme à droite, pour dénoncer une diversion. L ’urgence est à l’économie, aux conséquences de la crise : à quoi bon perdre du temps et de l’énergie pour une proposition figurant certes dans le programme présidentiel de François Hollande, mais qui ne concerne au fond qu’une minorité ? Plus largement, le choix de porter le débat sur le « sociétal » serait le symptôme, à gauche, d’une perte de sens, d’un abandon de la question sociale au profit de combats culturels quelque peu superficiels. Et cet abandon offre un boulevard à une extrême droite ayant précisément accompli l’itinéraire inverse, en se recentrant sur les questions économiques et sociales. Ces critiques ne sont pas dénuées de pertinence, et pourtant elles portent à faux. Comment ne pas voir, en effet, qu’autour de cette question sociétale apparemment secondaire s’est noué un vrai débat de fond, une de ces polémiques enflammées qui signalent la vitalité d’une démocratie ? La démocratie a besoin de débats et d’un minimum de polarisation. Si des observateurs bien intentionnés déplorent souvent notre difficulté collective à nouer des consensus, ils oublient que notre tradition politique marquée par de forts clivages et des batailles féroces ne nous a jamais empêchés d’avancer, bien au contraire. Et que les mo- ments de consensus entre partis de gouvernements se sont bien souvent payés par un regain de vigueur des extrêmes. Rien de tel qu’un bon clivage droite-gauche pour faire fonctionner la République. Au demeurant, ce serait faire preuve d’une certaine naïveté que de considérer la question du mariage homosexuel et de l’homoparentalité comme une question secondaire. Certes, elle ne concerne apparemment qu’une minorité de nos concitoyens. Mais tous les anthropologues le savent, les structures de la parenté sont au cœur de la définition d’une société. Elles sont en quelque sorte sa signature, ce qui la distingue. Plus encore qu’une question de fond, c’est véritablement un choix de société. Sans doute toutes les conditions du débat ne sont pas réunies : en particulier on a trop peu d’expérience pour estimer pré- cisément tous les effets des nouveaux modes de parentalité. C’est pourquoi nous avons cru utile d’y consacrer un dossier, de façon à donner un peu d’intelligibilité à certains aspects du débat. Si chacun a sans doute déjà une opinion, il apparaît évident que nous ne maîtrisons pas tous les termes de la discussion. La plupart des intellectuels et des experts avec lesquels nous nous sommes entretenus partagent d’ailleurs ce sentiment : du droit à la sociologie, en passant par la psychologie, voire la morale et parfois la religion, tant de domaines s’enchevêtrent dans ce débat ! La Ligue de l’enseignement est plurielle et ses adhérents peuvent se rejoindre dans un effort commun pour préciser la dis- cussion, pour cerner ce qui est accessoire et ce qui compte davantage, pour essayer de mieux comprendre le fond du débat et se concentrer sur l’essentiel. C’est tout l’enjeu de ces quelques pages, qui visent à remettre en perspective les discussions en cours. Richard Robert © Patrick Tournebeuf/Tendance Floue La famille en débat

Dossier : la famille en débat

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Dossier des Idées en Mouvement, mensuel de la LIgue de l'Enseignement, février 2013

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Page 1: Dossier : la famille en débat

DanS Ce DoSSieR

● Du Pacs au mariage homosexuel

● La famille, repère des jeunes

● Mariage homosexuel : le point de vue d’un anthropologue

● Le droit face aux réécritures biologiques de la parenté

● Les politiques familiales sous tension

● L’homoparentalité divise les psychanalystes

● PMA : les termes du débat

● « Il manque un vrai débat public »

● Cnafal : « Il n’y a pas de modèle familial à imposer »

● Le travail d’un centre social

Rédacteurs en chef du dossier : Ariane Ioannides et Richard Robert

LeS IDéeS en MouveMenT Le MenSueL De LA LIGue De L’enSeIGneMenT n° 206 FévRIeR 2013 9.

dOssier

Les polémiques qui font rage autour du projet de loi relatif au mariage homosexuel ont quelque chose de déconcertant. Lorsque l’Exécutif a décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement, des voix se sont élevées, à gauche comme à droite, pour dénoncer une diversion. L’urgence est à l’économie, aux conséquences de la crise : à quoi bon perdre du

temps et de l’énergie pour une proposition figurant certes dans le programme présidentiel de François Hollande, mais qui ne concerne au fond qu’une minorité ? Plus largement, le choix de porter le débat sur le « sociétal » serait le symptôme, à gauche, d’une perte de sens, d’un abandon de la question sociale au profit de combats culturels quelque peu superficiels. Et cet abandon offre un boulevard à une extrême droite ayant précisément accompli l’itinéraire inverse, en se recentrant sur les questions économiques et sociales.

Ces critiques ne sont pas dénuées de pertinence, et pourtant elles portent à faux. Comment ne pas voir, en effet, qu’autour de cette question sociétale apparemment secondaire s’est noué un vrai débat de fond, une de ces polémiques enflammées qui signalent la vitalité d’une démocratie ? La démocratie a besoin de débats et d’un minimum de polarisation. Si des observateurs bien intentionnés déplorent souvent notre difficulté collective à nouer des consensus, ils oublient que notre tradition politique marquée par de forts clivages et des batailles féroces ne nous a jamais empêchés d’avancer, bien au contraire. Et que les mo-ments de consensus entre partis de gouvernements se sont bien souvent payés par un regain de vigueur des extrêmes. Rien de tel qu’un bon clivage droite-gauche pour faire fonctionner la République.

Au demeurant, ce serait faire preuve d’une certaine naïveté que de considérer la question du mariage homosexuel et de l’homoparentalité comme une question secondaire. Certes, elle ne concerne apparemment qu’une minorité de nos concitoyens. Mais tous les anthropologues le savent, les structures de la parenté sont au cœur de la définition d’une société. Elles sont en quelque sorte sa signature, ce qui la distingue. Plus encore qu’une question de fond, c’est véritablement un choix de société.

Sans doute toutes les conditions du débat ne sont pas réunies : en particulier on a trop peu d’expérience pour estimer pré-cisément tous les effets des nouveaux modes de parentalité. C’est pourquoi nous avons cru utile d’y consacrer un dossier, de façon à donner un peu d’intelligibilité à certains aspects du débat. Si chacun a sans doute déjà une opinion, il apparaît évident que nous ne maîtrisons pas tous les termes de la discussion. La plupart des intellectuels et des experts avec lesquels nous nous sommes entretenus partagent d’ailleurs ce sentiment : du droit à la sociologie, en passant par la psychologie, voire la morale et parfois la religion, tant de domaines s’enchevêtrent dans ce débat !

La Ligue de l’enseignement est plurielle et ses adhérents peuvent se rejoindre dans un effort commun pour préciser la dis-cussion, pour cerner ce qui est accessoire et ce qui compte davantage, pour essayer de mieux comprendre le fond du débat et se concentrer sur l’essentiel. C’est tout l’enjeu de ces quelques pages, qui visent à remettre en perspective les discussions en cours.

● Richard Robert

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La famille en débat

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En 1998-99, l’opposition suscitée par le Pacs est idéologique et morale et elle recoupe le clivage gauche-droite

(même si quelques personnalités de droite, comme Roselyne Bachelot, sont favorables au Pacs, et qu’une partie du PS vote en traî-nant les pieds).

La SoCiété en DanGeR ?Les arguments invoqués alors sont de

trois types. Tout d’abord, le Pacs remettrait en cause les fondamentaux de notre société. Ce n’est pas faux dans l’absolu, car on sait que les alliances sont une structure sociale fondamentale. Mais certains opposants, comme Christine Boutin ou Philippe de Villiers, brandissent la menace d’une véri-table destruction de la société, ce qui peut paraître apocalyptique.

Deuxième argument, la nouvelle union interroge quant à la place des enfants, transformés en simples instruments du bon plaisir des adultes. Là encore, l’argu-ment est excessif mais de vraies questions sont posées. Simplement, l’évolution qui tend à intégrer les enfants dans un imagi-naire de la réalisation de soi, voire de dé-veloppement personnel est générale et les sociologues l’ont repérée de longue date ; on ne voit pas pourquoi elle se poserait avec une acuité particulière pour les ho-mosexuels.

Un troisième argument, développé no-tamment par Claude Goasguen, apparaît comme une variante plus fine des deux premiers. L’enjeu principal serait une cer-taine définition de la famille par la paren-talité. Admettre une union homosexuelle aboutit alors soit à remettre en cause cette définition, soit à ouvrir la porte à l’adop-tion d’enfants par les couples homo-sexuels. Cette position renvoie aux débats qui ont permis l’évolution du droit de la famille dans les années 1970, en le recen-trant autour de la parentalité. Des person-nalités de gauche, comme la sociologue Irène Théry, émettent elles aussi des doutes sur l’opportunité de créer une union civile déconnectée de la parentalité, sauf à la situer explicitement dans un do-maine distinct de celui du droit de la fa-mille : la présomption de paternité étant centrale dans la définition juridique de la famille, cela n’aurait pas de sens de parler de présomption de paternité entre deux hommes ou deux femmes, car celle-ci est en réalité une présomption de procréation. Irène Théry invitait ainsi à ne pas s’inscrire dans le « déni des corps ».

quinze anS PLuS taRD, La PaRentaLité au CœuR DeS DébatS

Les débats d’aujourd’hui montrent une évolution. La question des alliances ne fait plus guère polémique. L’ensemble de la controverse s’est recentrée sur la question de l’accès à la parentalité : possibilité d’adopter pour les couples d’hommes, accès à la procréation médicalement assis-tée pour les couples de femmes.

Certains spécialistes ont fait évoluer leur position. Irène Théry note ainsi que les familles homoparentales se développent depuis le début des années 2000, et que la question du « mariage homosexuel » est plutôt dans le domaine du symbolique. Par ailleurs, la loi de 2005 a fait disparaître en droit la différence entre filiation légitime et naturelle : la présomption de paternité n’est donc plus le « cœur » du mariage.

Les positions évoluent aussi chez les politiques. Une partie de la Droite et du Centre, avec des personnalités comme François Bayrou, se dit contre le mariage homosexuel mais favorable à une union civile, c’est-à-dire à une égalité de droits

avec les couples mariés en matière de suc-cession, par exemple.

Les opposants les plus déterminés sont plutôt issus de la société civile. Leurs posi-tions se sont affinées et recentrées sur la question de l’enfant : les discriminations qu’il peut subir, son développement, et dans le cas d’une adoption un choix qu’il ne validerait pas forcément.

La Gauche apparaît divisée sur des questions comme la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée, ou l’adoption. Ce qui varie surtout, c’est la façon de poser ces questions, et les réfé-rences qu’on met en œuvre pour y ré-pondre. Une partie des opposants exprime une inquiétude sur des conséquences en-core inconnues, tandis que ceux qui se dé-clarent favorables à une conception large

du mariage pour tous mettent en avant la réalité des familles homosexuelles qui existent déjà et se révèlent bien souvent des familles comme les autres.

Le débat en comprend ainsi plusieurs, selon une architecture complexe. Les ques-tions posées en 1998-99 n’ont pas disparu, mais le centre de la discussion s’est déplacé, des menaces pour la société à des problèmes plus précis touchant aux droits de l’enfant. Au cœur de cette discussion on peut distin-guer deux niveaux de débat : une polémique au nom des principes (« un enfant a droit à un papa et une maman »), et une discussion sur la réalité empirique (en sait-on assez sur le développement des enfants dans les fa-milles homoparentales, etc.).

● Richard Robert

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état DeS Lieux

Du Pacs au mariage homosexuelLa création du pacte civil de solidarité (Pacs) en 1999 a suscité des débats enflammés. Ce dispositif est aujourd’hui entré dans les mœurs et on peut observer une évolution du débat public.

La famille, repère des jeunesLa famille est une institution d’une vitalité étonnante, consolidée plutôt qu’ébranlée par les mutations culturelles du XXIe siècle. Le mouvement vers l’individuation l’a transformée, mais elle demeure un port d’attache intangible des adolescents comme des plus âgés.

Dans une société en doute sur elle-même et qui navigue à vue vers son avenir, pour l’individu, le cercle des

proches constitue plus que jamais le creuset des affects, des attentes et des références. Le cercle des proches ? Bien sûr, comptent beaucoup les relations affinitaires qui se tissent au cours de la vie scolaire, ce fameux monde des pairs au sein duquel s’exercent les expériences juvéniles. Mais, curieuse-ment, la socialisation via les pairs, pourtant intensifiée par la fréquentation de l’école et des activités de loisirs à un âge très précoce, n’entame en rien la valorisation de la famille, et de toute façon, ne se positionne pas contre elle.

« J’aiMe MaMan »Qui de votre entourage compte le plus

pour vous aider à devenir adulte ? MAMAN,

plébiscitent en cœur 92 % des adolescents de 15-18 ans interrogés dans une enquête sur les rapports adolescents/adultes (en-quête Fondation Pfizer 2012). Le père (74 %) vient après, puis, dans l’ordre, les amis, les frères et sœurs, la grand-mère et beaucoup plus loin, les professeurs. Cette enquête révèle des ados particulièrement soucieux de trouver des repères, de s’ins-crire dans une histoire familiale, voire dans la grande Histoire tout court. Les 15-18 ans peignent en rose les liens familiaux, en ré-clament la protection, trouvent que la transmission des valeurs par leurs parents fonctionne bien – respect et honnêteté sont les premières valeurs citées. Cet investisse-ment de la famille n’est pas toujours claire-ment perçu par les adultes qui se polarisent sur le malaise des jeunes et s’inquiètent de leurs excès divers et de leur évasion vers

des mondes parallèles, en particulier par le biais de la communication numérique.

un tRait CuLtuReL fRançaiSCe choix « pro famille » est d’ailleurs

un trait culturel de l’Hexagone. La mobili-sation en faveur de l’enfant est particulière-ment vive en France, où le désir de paren-talité est fortement affirmé – peu de personnes ne souhaitent pas d’enfant – et se concrétise par le meilleur taux de fécon-dité en Europe avec l’Irlande. La famille moderne fonctionne plutôt sur la compli-cité relationnelle et presque tous les en-fants, individuellement, se sentent soute-nus moralement et sont matériellement aidés par leurs géniteurs au cours de cette traversée qui achemine vers le statut d’adulte, un soutien économique qui fluc-tue évidemment en fonction des moyens de

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Idées en mouvement : Que peut apporter l’anthropologie au débat sur le mariage homosexuel ?

Maurice Godelier : Son point de vue n’est évidemment pas prescriptif, mais la perspec-tive descriptive et analytique dans laquelle elle s’inscrit permet de poser quelques repères, qui peuvent aider à mieux formuler le débat.

La question des alliances, par exemple, a trouvé dans la diver-sité des sociétés humaines des formes très différentes, dont le mariage tel que nous le connais-sons n’est qu’une variante parmi d’autres. L’homosexualité, par ail-leurs, est non seulement reconnue dans de nombreuses sociétés mais elle apparaît dans certaines d’entre elles comme une véritable institution. Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler que la question de l’homoparentalité est inédite.

Cette nouveauté n’est en rien dis-qualifiante, mais elle incite à la prudence. En particulier, et sur ce point l’anthropologie a son mot à dire, sous les questions touchant aux alliances et à l’organisation en quelque sorte horizontale de la famille, se jouent d’autres ques-tions, touchant à la filiation.

En d’autres termes, la question des enfants serait prioritaire sur celles de parents ?

Je ne le dirais pas exactement en ces termes, mais on peut en tout cas considérer qu’elle est plus délicate et demande à être consi-dérée avec attention. Essayons de dégager les questions qui se posent, en distinguant ce qui res-sort de l’idéologie, ou simplement d’une tradition particulière, et ce qui pose réellement question.

Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler que l’homosexualité n’est pas une sexualité anormale :

c’est simplement une autre sexua-lité. Par ailleurs, les homosexuels ne se définissent pas seulement par leur différence ou par leur sexua-lité, et c’est précisément le propre de l’homophobie que de les ré-duire à cette différence. On peut au contraire insister sur ce qu’ils ont en commun avec les hétéro-sexuels… et rappeler que le désir d’enfant, considéré aujourd’hui comme allant de soit pour les se-conds et pas pour les premiers, est en réalité, pour tous, un phéno-mène social et culturel plutôt ré-cent, associé au mouvement de valorisation de l’enfance qui a commencé au siècle des Lumières avec notamment l’Émile de Jean-Jacques Rousseau. Auparavant, le rapport aux enfants était centré sur l’idée de descendance. Aujour-d’hui, il ne s’agit plus seulement de transmettre un nom : l’enfant revêt une valeur nouvelle, il représente un idéal de réalisation de soi. Ce

désir moderne d’enfant est une nouveauté, et si cette nouveauté saute aux yeux dans le cas des ho-mosexuels, elle concerne aussi les hétérosexuels. Tout cela pour vous dire qu’il faut se garder d’essentia-liser les comportements. Plus lar-gement, la référence à la nature me semble dénuée de sens : certes, les couples homosexuels sont infer-tiles, mais chez les Baruya, chaque individu a plusieurs pères et plu-sieurs mères. Est-ce naturel ? Non ! Mais c’est précisément ce qui défi-nit l’humanité.

Vous parliez de repères : où en trouver dans cette vaste diversité culturelle ?

En anthropologue, je vous ré-pondrai que les sociétés sont construites sur des systèmes de différences, et que l’une des diffé-rences fondamentales concerne le masculin et le féminin – quelles que soient les valeurs portées par

chaque foyer. Si subjectivement l’enfant est porté aux nues, collectivement ce choix se révèle beaucoup moins évident lorsqu’on regarde la difficulté de la société française à intégrer professionnellement les nouvelles générations. Mais paradoxalement, c’est aussi face à ces difficultés d’insertion que la famille se révèle une valeur refuge et les so-lidarités familiales, y compris économiques, sont plus actives que jamais.

LeS ConfLitS inteRGénéRationneLS S’aPaiSent

Compte tenu de ces évolutions, les conditions pour que se manifestent des conflits de génération au sein des familles sont moins réunies qu’autrefois. L’heure n’est plus à la révolte contre les parents, qui, dans un pays en crise, offrent le meilleur rempart contre les aléas de l’existence. Alors que les jeunes sont porteurs d’innovation, notam-ment en raison de leur maîtrise des nou-veaux outils technologiques et mais aussi par leurs expériences et par leurs goûts culturels, les différences d’approches du monde entre générations subsistent. Mais elles sont da-vantage vécues sous l’égide des apports mu-tuels entre classes d’âge que sous l’angle des antagonismes. Simultanément, les modes de vie et les valeurs qui distinguent les généra-

tions se sont rapprochés, un modèle relati-vement unifié émerge que l’on pourrait dé-crire ainsi : grande permissivité pour la vie personnelle, demande d’ordre et de sécurité pour la cité. Comme dans toute unité de vie humaine et de tous les temps, la famille est un terrain potentiel de tensions et de senti-ments exacerbés, mais de façon générale,

sous la bannière d’une tolérance réciproque, les liens intra familiaux semblent aujourd’hui relativement apaisés.

● Monique Dagnaud

Monique Dagnaud est sociologue, directrice de recherche au CnRS. elle a notamment publié La Teuf. Essai sur le désordre des générations (Seuil, 2008).

« est-ce naturel ? non ! Mais c’est précisément ce qui définit l’humanité »Les débats enflammés autour du mariage homosexuel et de l’homoparentalité voient s’opposer des systèmes de références variés, de la morale à la nature en passant par différentes traditions philosophiques. Le point de vue d’un anthropologue est utile pour remettre en perspective ces différentes approches. Entretien avec Maurice Godelier 1.

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ces deux catégories, qui varient évidemment d’une culture à l’autre. C’est dans cette perspec-tive que l’on peut reprendre le débat sur l’homoparentalité : ce qui importe, c’est que les attitudes dites masculines ou féminines soient assumées, quelle que soit la personne qui les assume. La pa-ternité et la maternité sont des fonctions, un ensemble de res-ponsabilités vis-à-vis de l’enfant, à assumer à travers des conduites sociales et affectives. Dans les so-ciétés, ces fonctions peuvent se répartir entre plusieurs personnes qui les assument. Et elles le font.

Vous parliez de filiation : au-delà de la question du masculin et du féminin, se pose celle de l’ascendance. Le don de sperme est anonyme. Si la procréation médicalement assistée est autorisée pour les couples de lesbiennes, comme le souhaitent des parlementaires, ne risque- t-on pas d’organiser la conception d’enfants privés de la connaissance d’une partie de leur ascendance biologique ?

Je suis contre l’anonymat du don. Donner du sperme ou un ovocyte n’est pas donner du maté-riel biologique, mais offrir à quelqu’un la capacité d’être parent. La référence au donneur doit être présente puisqu’elle fait partie du processus moderne de conception de la vie. Il faut que dans l’histoire de vie que les parents trans-mettent, la référence à la naissance soit claire pour l’enfant, et considé-rée comme une création, pas une honte. Il y a de ce point de vue une grande responsabilité des parents homosexuels. Mais elle existe aussi pour les couples hétérosexuels qui recourent au don de sperme ou d’ovocytes pour avoir un enfant.

● Propos recueillis par Richard Robert

1. Directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, Maurice Godelier a notamment publié Métamorphoses de la parenté (Flammarion, 2010). Il a reçu la médaille d’or du CnRS en 2001 pour l’ensemble de son œuvre.

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anaLySeS

Le droit mis à l’épreuveLe droit n’a cessé de modifier la famille légale et, par conséquent, les règles de succession. Elles ont admis puis élargi la place des enfants naturels, adultérins et adoptifs. Mais les techniques de procréation assistée et les moyens d’identification génétiques ouvrent aujourd’hui de nouvelles questions.

on observe aujourd’hui un découplage de la filiation génétique, biologique et lé-

gale, qui introduit des lignes de transmissions inédites et remet en cause le principe selon lequel un enfant a deux parents.

L’exeMPLe DeS SuCCeSSionSPar exemple, la fécondation in

vitro peut donner à un enfant plus de deux parents biologiques : une mère génétique, une mère gesta-tive (ou « subrogée ») et un père génétique. Autre cas limite, on peut se demander si l’être humain conçu à partir du matériel géné-tique d’individus décédés est leur « enfant » et donc leur héritier présomptif. Enfin, la question se pose de savoir si le matériel géné-tique non fertilisé – et la faculté même de procréation – est un pa-trimoine et peut être transmis par héritage.

Si elles prennent aujourd’hui des formes inédites, ces questions de filiation (qui est enfant ?), d’hé-

ritabilité (qui est héritier ?) et de perpétuité (jusqu’à quand ?) ne sont pas nouvelles au regard du droit. L’enfant naturel, par exem-ple, était jadis illégitime, et il a ac-quis un statut d’héritier par étapes. De même, l’enfant adopté peut-il être héritier de plus de deux pa-rents, ses parents adoptifs et ses géniteurs. Enfin, les substitutions et fideicommis 1 permettaient jadis à un individu de faire héritiers des individus non encore nés, et le trust américain fait encore de même. Les principes juridiques sur lesquels reposent ces antécédents peuvent donc servir de référence pour répondre aux situations en-gendrées par des techniques de procréation et d’identification inédites.

Le DRoit, SoLution et RévéLateuR De tenSionS

Mais les solutions sont encore hésitantes. En ce qui concerne le destin des enfants portés par une femme fertilisant les gamètes du

couple ou les gamètes de tiers, c’est la définition de la maternité qui est en cause ainsi que les droits respec-tifs des deux voire trois mères puta-tives (mère subrogée, épouse, don-neuse d’ovocytes) ; celle des pères aussi (époux, donneur de sperma-tozoïdes, quoique le père soit géné-ralement désigné comme le mari de la mère – mais laquelle ?). Aux États-Unis, les différents États ad-mettent des solutions jurispruden-tielles variables : selon que la ma-ternité est imputée à l’une ou à l’autre mère ou à toutes, la succes-sion peut suivre l’une ou l’autre ligne… ou les trois. Quant au cas admis par exemple en Espagne des femmes désireuses d’assumer seules leur maternité, ce sont les droits du donneur qui sont en question : sauf en cas de don ano-nyme, il peut revendiquer un lien de paternité, mais aussi se voir im-puter une paternité non désirée.

Il ne faut pas sous-estimer les conflits qui peuvent surgir, dans un contexte de relative confusion.

Prenons par exemple la question de la filiation soulevée par la pro-création médicalement assistée (PMA). Il arrive que les accords entre les parties soient déclarés nuls, et il revient alors à la Justice de décider. La jurisprudence amé-ricaine tranche en faveur de la mère porteuse et de son mari, considérés comme les parents de l’enfant.

Le droit apparaît ainsi aussi bien comme une solution que comme un révélateur. Il fait appa-raître les tensions qui agitent des sociétés où des notions centrales, comme la filiation, sont aujour-d’hui en pleine reconfiguration. Mais l’histoire du droit aide à re-mettre ces questions en perspec-tive, en nous rappelant que ces

notions n’ont jamais cessé d’évo-luer – et que les relations qu’elles définissent n’ont jamais cessé d’être disputées devant la Justice.

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1. C’est une disposition testamentaire qui permet à une personne de transmettre tout ou partie de son patrimoine à un bénéficiaire, en le chargeant de retransmettre ce ou ces biens à une tierce personne désignée dans l’acte. 2. Anne Gotman est sociologue, directrice de recherche au CnRS (Centre de recherches sur les liens sociaux, CnRS-université Paris 5 René Descartes). elle a notamment publié L’Héritage (PuF, « Que sais-je ? », 2006).

Les politiques familiales sous tensionLes politiques familiales ont une histoire. Mais aujourd’hui, la question de leur évolution se pose.

Les politiques familiales ont connu un premier essor après 1945, dans une perspective nataliste clairement affir-

mée, pour constituer l’un des piliers de l’État-providence à la française. Les succès de ce modèle sont bien connus : ils ont per-mis le maintien d’une natalité dynamique tout en accompagnant efficacement l’entrée massive des femmes dans la vie active.

Allocations familiales, politique de la petite enfance passant notamment par la scolarisation et plus récemment le dévelop-pement des crèches, fiscalité favorable aux familles, l’ensemble des dispositifs publics est impressionnant. La question se pose aujourd’hui de leur évolution, pour diffé-rentes raisons.

S’aDaPteR aux CLaSSeS MoyenneS et aux SituationS PLuS CoMPLexeS

La première est économique : Julien

Damon 1 note en particulier l’effet de courbe en U des politiques familiales, bénéficiant en priorité aux plus démunis et aux plus aisés. Non seulement les catégories moyen-nes apparaissent de facto discriminées, mais les incitations des politiques actuelles conduisent à des effets qui n’ont pas tous été prévus, et peuvent être discutés. L’hypo-thèse d’une forfaitisation des allocations familiales permettrait de remédier à une partie de ces effets de bord.

La seconde raison est sociale : Julien Damon invoque la difficulté des politiques actuelles à prendre en compte les situations plus complexes : pluri-parentalité, garde partagée, place des beaux-parents… près d’un million d’enfants sont aujourd’hui concernés, et les politiques familiales ga-gneraient à cibler ces familles recomposées, en accordant par exemple un statut au beau-parent, ou encore en versant les allo-

cations familiales à chacun des parents en proportion du temps passé avec les enfants.

DéveLoPPeR un SeRviCe PubLiC De La Petite enfanCe

Parallèlement, la question des inégali-tés, dont on avait cru qu’elle s’éloignait au moment où ont été développées les poli-tiques familiales, se repose aujourd’hui avec force et marque leurs limites. Ces limites sont également économiques, dans un contexte marqué par une demande crois-sante : 30 % des parents n’auraient pas accès au mode de garde désiré. C’est dans ce contexte que Julien Damon plaide par exemple pour le développement d’un ser-vice public de la petite enfance (une reven-dication de la Ligue de l’enseignement) et la création d’un droit opposable à l’accueil.

Julien Damon note que le débat idéolo-gique se structure désormais autour de l’in-

térêt de l’enfant : à l’indissolubilité du couple se substitue l’indissolubilité du lien parents-enfant. Un élément intéressant des diffé-rentes pistes de réforme qu’il propose est le caractère central de l’objectif d’insertion pro-fessionnelle et sociale des femmes, et plus généralement des inégalités de carrière.

● Richard Robert

1. Docteur en sociologie, ancien responsable du département « questions sociales » au Centre d’analyse stratégique, il a par ailleurs été directeur de la recherche et de la prospective à la Caisse nationale des allocations familiales. À lire : Julien Damon, Les Politiques familiales (PuF, coll. « Que sais-je ? », 2006).

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après une valse-hésitation de plu-sieurs semaines, le 19 décembre dernier, le gouvernement décide

que le projet de loi sur le mariage pour tous sera amendé d’un texte ouvrant la possibi-lité aux couples de femmes de recourir à la procréation médicalement assistée (PMA). Le 9 janvier, marche arrière : l’ouverture de ce droit rejoindra plutôt le futur projet de loi sur la famille. Pourquoi le sujet donne-t-il lieu à de tels débats, alors que le prin-cipe de l’adoption par les couples homo-sexuels n’a pas fait tant de remous ?

un PièGe JuRiDique ?Aujourd’hui, c’est la loi de bioéthique

du 6 août 2004, révisée par la loi du 7 juil-let 2011, qui encadre ce mode de procréa-

tion. Le droit à la PMA est reconnu aux couples hétérosexuels sujets à une inferti-lité médicalement constatée, ou pour éviter la transmission d’une maladie grave à l’en-fant ou à l’un des membres du couple.

L’ouverture de ce droit aux couples homo-sexuels peut se justifier par un principe d’éga-lité. Mais des voix s’élèvent pour dire que, sauf à rompre ce principe d’égalité, on est alors obligé de s’interroger sur la gestation pour autrui (GPA) pour les couples d’hommes qui, sinon, n’auraient accès qu’à la seule adoption. Or, la GPA est interdite en droit français. Et les pays comme l’Espagne, qui ont ouvert la PMA aux couples homosexuels, ne sont pas revenus sur cette interdiction.

Sur l’accès des couples de femmes à la PMA, la question peut se poser autrement.

La loi française n’établit pas de différence entre couples mariés ou non mariés, pour l’accès à la MPA, mais elle impose qu’il y ait un couple. La situation est différente en Belgique, où aux termes de la loi du 6 juil-let 2007 une femme seule peut parfaite-ment y recourir, ce qui de facto ouvre la possibilité aux couples d’homosexuelles. D’autres questions se posent alors, notam-ment sur la place que le droit peut recon-naître, ou non, à l’autre femme.

HiStoiRe DeS enfantSDu côté des enfants, une des interroga-

tions les plus insistantes est celle du droit d’accès à sa propre histoire. L’anonymat du don de gamètes est en effet la règle. L’asso-ciation Procréation médicalement ano-

nyme, regroupant des personnes nées grâce à la PMA, réclame notamment qu’à l’avenir, le don de gamètes 1 ne reste anonyme que jusqu’aux 18 ans de l’enfant afin qu’il puisse, s’il le souhaite, connaître l’identité de son géniteur. L’association demande éga-lement, pour les dons déjà effectués, que les donneurs soient interrogés sur leur sou-hait de rester ou non anonyme.

Sur ce thème, l’article 7 de la Conven-tion relative aux droits de l’enfant est par-fois convoqué pour rappeler qu’un enfant a le droit « de connaître ses parents et d’être élevé par eux ». Le droit à l’enfant s’oppose-t-il au droit de l’enfant ?

En tout état de cause, les couples de femmes trouvent déjà et trouveront tou-jours des solutions ailleurs. Difficile de faire comme si des enfants n’étaient jamais nés et ne naîtront pas à l’avenir de cette façon.

● S.b.

1. un gamète est une cellule sexuelle mature mâle (spermatozoïde) ou femelle (ovule) qui, associée à un autre gamète, donne naissance à un œuf, ou zygote, à partir duquel un être se développera.

PoLéMiqueS

L’homoparentalité divise les psychanalystesLe projet de loi sur le mariage et l’adoption pour tous cristallise de nettes dissensions entre psychanalystes « pro » et « anti » homoparentalité. Caroline Thompson, docteure en psychologie clinique, livre son analyse.

Le complexe d’Œdipe, socle central de la psychanalyse, semble vaciller sous les tiraillements de la discipline, divi-

sée sur la question de l’homoparentalité conjointe au projet de loi sur le mariage pour tous. Au nom de la nécessaire diffé-renciation sexuelle des parents pour la construction psychique de l’enfant, certains psychanalystes sont opposés à l’idée même d’homoparentalité, arguant des dangers présumés de l’altération de la notion de dif-férence qui engendrerait une société sans tabous ni interdits, et de celui d’enfants de-venus « objets de consommation ». Les « favorables » répondent que les enfants élevés par des couples homosexuels gran-dissent ni mieux ni moins bien que les autres, que la différence des rôles dans le couple prime sur celle des sexes, et qu’avoir deux parents est toujours mieux pour le développement de l’enfant que de n’en avoir qu’un, alors qu’aujourd’hui la législa-tion autorise un individu vivant seul à adopter. Un débat à la marge oppose encore

les professionnels qui distinguent homopa-rentalité adoptive et procréative, la deu-xième solution étant bien moins cotée que la première, à ceux qui n’y voient pas de différence fondamentale et sont favorables aux deux.

« on Peut CHoiSiR Son DeStin »Pour Caroline Thompson, docteure en

psychologie clinique, auteure notamment d’« Homoparentalité : enjeux psycholo-giques » dans la Note n° 6 du Conseil d’analyse de la société (La Documentation française), « l’homoparentalité fait partie des nombreuses évolutions de la société, relatives à la place de l’individu en son sein, à son rapport à sa sexualité, à la famille, au divorce… Nous ne sommes plus au-jourd’hui dans les contraintes sociales d’il y a 100 ans. On peut choisir son destin, on est même sommé de le faire. Ces évolutions s’accompagnent d’avancées scientifiques et médicales. » Autant de transformations qui ont d’abord concerné les couples hétéro-

sexuels. « Pour autant, les concernant, on n’a jamais parlé “d’enfants objet”, rappelle Caroline Thompson. De même, l’argument du secret des origines concerne en premier lieu les couples hétérosexuels en matière d’adoption plénière. »

une LeCtuRe De L’œDiPe tRoP LittéRaLe

Une crainte de nombreux psychana-lystes apparaît en filigrane de voir remis en cause les acquis de près d’un siècle de pra-tique psychanalytique. Néanmoins, selon Caroline Thompson : « Les psychanalystes qui travaillent avec ces nouvelles familles sont le plus souvent pour l’homoparenta-lité. On voit bien qu’il n’y a pas de patho-logie supplémentaire chez les enfants qui ont grandi dans une famille homoparen-tale, qu’il n’y a pas non plus davantage d’enfants homosexuels. Le complexe d’Œdipe ne fonctionne pas de façon litté-rale. Toutes les questions peuvent être re-travaillées à l’aune de la famille homopa-

rentale : l’interdit, la différenciation… Freud a toujours mis ses hypothèses en confron-tation avec la réalité clinique. Et, ne nous trompons pas, le masculin et le féminin existent tout à fait dans les couples homo-sexuels. » Ce qui vaut autant pour la paren-talité par voie d’adoption que par procréa-tion médicalement assistée (PMA). « Ceux qui sont déjà pour l’adoption, seront sans doute pour la PMA dans 10 ans, poursuit la psychanalyste. Il y a encore une timidité, parce que ce champ reste très ouvert, no-tamment sur la question de l’anonymat des donneurs de gamètes, ou des mères por-teuses. Ce sont des questionnements légi-times sur des transformations importantes qui progressivement feront partie de notre imaginaire. »

● Stéphanie barzasi

PMa : les termes du débatNon prévue dans le projet de loi initial sur le mariage pour tous, puis intégrée, puis repoussée, l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes n’en finit pas de faire débat.

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PointS De vue

« il manque un vrai débat public »Pour l’ethnologue et sociologue Martine Segalen 1, le rôle de l’enfant dans la famille contemporaine est fondamental et structurant. C’est pourquoi, elle regrette le manque de débats et d’enquêtes sur les conséquences du mariage homosexuel.

Idées en mouvement : Dans les reconfigurations de la famille contemporaine, sommes-nous aujourd’hui dans une phase de stabilisation ?

Martine Segalen : Avec un mariage sur trois qui se termine par un divorce et près d’un sur deux dans les villes, nous avons atteint un « plateau ». Le mariage est une institution qui concerne beaucoup moins de Français et les enfants hors mariage, qui naissent au sein de couples en concubi-nage ou pacsés, sont en nette aug-mentation. Cette désaffection est d’un certain point de vue intéres-sante, car elle n’est pas idéolo-gique. Dans les années 60, on voulait se débarrasser d’une insti-tution bourgeoise ; aujourd’hui, c’est un désengagement non mili-tant, plutôt doux, lié à la façon dont se forment les couples. Il n’y a pas non plus de renouveau du mariage, qui est concurrencé par un Pacs qui offre une sorte de ma-riage « light » et qui permet un désengagement plus facile mais offre une moins bonne protection aux membres du couple, vis-à-vis de l’héritage notamment 2.

D’un autre côté, les familles se constituent toujours autour de couples. Les jeunes veulent avoir un travail et un logement pour pouvoir fonder une famille. Sur la forme, les choses changent mais au fond, l’idée d’une famille à par-tir du couple avec des enfants reste toujours à l’horizon des va-leurs des jeunes.

Quelle est la place des enfants ?Elle est absolument centrale.

L‘enfant est celui qui fabrique la famille. Tant que l’on est en concubinage ou en Pacs, les deux familles du couple peuvent parfai-tement ne pas se connaître. À par-tir du moment où l’un devient grand-parent, oncle, tante etc., chacun reprend sa place dans la lignée. L’enfant est au cœur de toutes les attentions et les désirs. Il arrive plus tardivement, quand la jeune femme a pu assurer sa carrière, que l’environnement économique permet de l’accueil-lir. Dans la mesure où sexualité et fécondité sont complètement sé-parées, tout comme sexualité et mariage, les enfants ont un rôle extrêmement important, qu’on

pourrait dire fondateur, dans la sociologie de la famille.

Ce rôle fondateur des enfants stabilise-t-il en quelque sorte la famille contemporaine ?

Nous sommes dans une socié-té où l’amour est une valeur très importante en même temps qu’il faut conjuguer cette valeur, cet espoir avec l’indépendance de chacun. Il n’est pas toujours évident de concilier ces aspira-tions nouvelles avec les con-traintes du couple et de la vie fa-miliale. Malgré tout, la société reste marquée et structurée par ce désir très fort de famille, ce désir de lignée. Cela tient aussi aux conditions sociales et écono-miques : dans des sociétés fragiles économiquement, les relations de famille – si on les pense dans la longueur et la durée – sont abso-lument essentielles. Si, en Italie ou en Espagne, il n’y avait pas les familles pour soutenir les indivi-dus, la société s’effondrerait. C’est moins sensible en France, où la solidarité est prise en charge par l’État avec le soutien de la Sécu-rité sociale, alors qu’au sud de l’Europe la famille demeure le filet essentiel de solidarité. Mais même en France, la solidarité intergéné-rationnelle joue un rôle impor-tant.

Le droit se contente-t-il d’accompagner les reconfigurations familiales ou a-t-il un caractère réellement structurant ?

Le droit n’a jamais fait que suivre les transformations fami-liales. Mais le droit est un mar-queur intéressant car dans son fonctionnement quotidien, la Jus-tice fait face à toutes les difficultés familiales. Prenons le cas du di-vorce. À la fin du XIXe siècle, il ne faisait que conforter le mariage et visait à préserver l’intégrité de cette institution : en cas d’adul-tère, le coupable devait être puni. Quand dans les années 1970 une première loi instaure le divorce par consentement mutuel, c’est parce que la société a évolué : les ruptures sont beaucoup plus fré-quentes, et elles ne sont pas forcé-ment liées à l’adultère, une notion qui a perdu de sa pertinence pour décrire les tensions au sein des

couples. Depuis 2005, une nou-velle loi n’exige plus de grief contre l’autre pour divorcer. Le droit a reconnu la fragilité du couple et il en a pris acte. On no-tera en revanche qu’il tente de ga-rantir la pérennité du couple pa-rental, pour assurer, au-delà du divorce, un lien de filiation avec la mère et le père. Le rôle du droit dans les divorces est de maintenir ce lien.

« Aujourd’hui, les prises de position idéologiques l’emportent sur une approche plus raisonnée. »

Beaucoup d’évolutions sont aujourd’hui bien acceptées. D’autres font débat, comme le mariage homosexuel. La sociologie a-t-elle vocation à intervenir dans ces débats ?

Les sociologues, par défini-tion, s’intéressent à ce qui ne va pas. Dans les années 60, il n’y avait pas de sociologie de la fa-mille : d’une part, elle n’était pas un sujet de souci social, d’autre part, la pensée était dominée par l’idéologie marxiste qui voyait dans la famille une forme de do-mination bourgeoise : en bref, c’était un non-sujet. Depuis, la sociologie s’attache à comprendre toutes les nouvelles formes de la société contemporaine. Ce sont par exemple les sociologues qui ont inventé le terme de « famille monoparentale » en commençant des travaux sur les femmes seules élevant leurs enfants, pour éviter de les stigmatiser. De même, de-puis une dizaine d’années, ils s’in-téressent aux familles homopa-rentales.

Aujourd’hui, je constate que la plupart des études sont menées par les associations et les cher-cheurs militants, qui constituent le groupe de pression auprès du gouvernement pour faire passer la loi.

Or la sociologie et l’anthropo-logie n’ont pas encore produit de recherches solides, et plus géné-ralement le recul du temps fait défaut pour comprendre ce qui se passe dans les familles homopa-

rentales, ou dans le cas de nais-sances dans le cadre de la gesta-tion pour autrui (GPA) 3. Certes, beaucoup de pays ont déjà fait passer une loi sur le mariage ho-mosexuel. Mais on connaît mal ou peu la façon dont l’adoption, la filiation sont prévues par les lois spécifiques de chacun de ces pays. Il faudrait décortiquer toutes les articulations qui découlent du mariage pour les couples homo-sexuels, les implications à l’égard du droit, les changements du code civil, etc.

Le débat public sur ces sujets me semble de piètre qualité. Il ne s’organise qu’à travers les médias, et ceux-ci ont tendance à filtrer la réalité sociale à travers les posi-tions idéologiques, plus faciles à mettre en scène. On fait parler les psychiatres – il y en a autant pour que contre – certains groupes fé-ministes dénient le droit à la GPA aux gays, d’autres au contraire la réclament… Aujourd’hui, les prises de position idéologiques l’emportent sur une approche plus raisonnée. En tout cas, il faut constater que contrairement à ce qui est dit, le sujet ne fait pas l’objet d’un consensus. Mais il manque assurément un vrai débat public.

Quelle est justement votre position sur le sujet ?

En ce qui concerne le droit, les choses sont loin d’être réso-lues. Qu’est-ce qui empêche de

faire un mariage homosexuel ? Il est évident que l’on doit étendre aux couples homosexuels toutes les protections du mariage, qui leur ont été, en partie, accordées à travers le Pacs. Là-dessus, il y a consensus. Mais dès lors que dans notre droit, la filiation est liée au mariage, de nombreuses ques-tions sont soulevées et notam-ment celle de la fiction de la double filiation à l’égard d’un même sexe. Le mariage homo-sexuel introduit à cet égard une rupture fondamentale dans notre système. Or si l’on pousse un peu cette logique, on en vient à nier la différence sexuelle, ce qui est à la base de la pensée de groupes mili-tants et me semble très discutable.

Il y a aussi la question fondamentale de l’anonymat des origines, notamment dans le cas de la PMA. Alors que l’État essaye de conserver aux enfants de couples divorcés un père et une mère, il viendrait à autoriser légalement l’effacement du père ?

Bien sûr, les contenus et les formes du mariage ont été extrê-mement différents d’un pays et d’une époque à l’autre : dans cer-taines sociétés africaines patrili-néaires, le mariage est le transfert d’une femme vers la lignée du mari, dans d’autres, le mariage peut se réduire à un père visiteur qui vient coucher avec une fem-me… Dans ces cas, il n’y a pas de mariage à proprement parler mais

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« il n’y a pas de modèle familial à imposer »Le Cnafal, Conseil national des associations familiales laïques, entend promouvoir une conception de la famille dans laquelle chaque membre (enfant, femme, homme) a des droits et le devoir de défendre les droits des autres. Entretien avec son président, Jean-Marie Bonnemayre, membre du Haut conseil de la Famille, administrateur à l’Unaf.

Les Idées en mouvement : D’où vient le Cnafal ?

Jean-Marie Bonnemayre : Les Associations familiales laïques (AFL) au niveau national ont été créées en 1967, il y a donc 45 ans. Les fondateurs, André Fortané, Lucien Bonnet issus de la Résis-tance ont poursuivi leur engage-ment dans la Ligue et les Francas. Les premières AFL apparaissent en 1947 en Dordogne par trans-formation des sections de la FOL. Elles entrent dans les années 1950 à l’Union départementale des as-sociations familiales de Dordogne. En effet, l’Unaf a été créée par une ordonnance du Général de Gaulle du 5 mars 1945 et accorde à cette institution le monopole de la re-présentation des familles auprès des pouvoirs publics. Car le mou-vement familial est une spécificité française depuis les années 1880. Il est si puissant qu’il « structure » une grande partie du débat poli-tique jusqu’en 1940. La famille est devenue une « catégorie poli-tique » que ni la droite, ni la gauche, ne peuvent ignorer : de là naîtra une autre spécificité fran-çaise qu’est la politique familiale.

Les grandes organisations laïques se sont d’ailleurs posé la question en 1948 d’investir l’Unaf. Mais deux éléments vont faire « capoter » ce projet : à l’in-térieur de l’Unaf ne règne pas le suffrage universel, mais le suffrage familial. L’adhésion est familiale et plus il y a d’enfants, plus le nombre de voix détenues par le « chef de famille », est important. Le suffrage familial est la traduc-

tion de la conception politique d’une fraction des Français qui considère toujours que la famille est la brique « naturelle » de base de la société ; conception héritée de l’Ancien Régime. Le deuxième élément apparaît en 1948 : le dé-cret Poinso-Chapuis vise à faire transiter des fonds publics de l’Éducation nationale par l’Union nationale des associations fami-liales (Unaf) pour distribuer des bourses aux enfants fréquentant les écoles catholiques.

Pourquoi le Cnafal a-t-il franchi le pas d’adhérer à l’Unaf ?

Pour plusieurs raisons. À par-tir des années 1970, dans le champ familial, mais aussi laïque, le débat se déplace en direction de l’égalité homme/femme, ce sont les débats sur la libre contracep-tion, la liberté du choix de pro-créer et la levée de l’interdiction de l’avortement, la pleine capacité juridique des femmes, le divorce par consentement mutuel. Bref, une autre conception de la famille s’affirme ; les familles monoparen-tales jusque-là montrées du doigt par « la bien-pensance » s’affir-ment, s’organisent, revendiquent leur statut et « cassent » le dis-cours machiste.

L’Unaf traverse alors une grave crise interne. Arc-boutée comme aujourd’hui sur des postures tradi-tionalistes et conservatrices, elle ne « reconnaît » pas statutairement, politiquement et philosophique-ment, les familles monoparentales ! Tout comme aujourd’hui, elle se refuse à reconnaître les familles ho-

moparentales. Elle a d’ailleurs re-fusé en 1991 l’agrément à l’APGL (Association des parents gays et lesbiens), qui demandait son en-trée à l’Unaf. Le parallèle est saisis-sant ! Mais en juillet 1975, grâce aux initiatives de Roger Burnel, président de l’Unaf et moteur de sa « mise à jour », les statuts sont mo-difiés et permettent l’entrée des familles monoparentales. Cela dé-cide le Cnafal à solliciter son agré-ment qu’il obtiendra en 1978.

Le fait nouveau émergent après 1970, c’est aussi une autre conception de l’enfant, de sa place dans la famille, de son éducation, de son autonomie, de ses intérêts. C’est le déclin de la famille auto-ritaire ou plus exactement du père autoritaire et donc de la famille patriarcale… Le Cnafal met l’ac-cent à la fois sur la nécessité de promouvoir l’éducation laïque, mais aussi le droit à une éduca-tion laïque, c’est-à-dire dégagée de tous les conditionnements et de tous les préjugés quels qu’ils soient. De même, que tout ce qui contribue au développement har-monieux des membres de la fa-mille fait partie du combat laïque : logement, protection sociale, santé, salaires décents, politique familiale, accès à tous les savoirs, périscolaire, éducation artistique, font partie des objectifs laïques. Pour le Cnafal, la laïcité sociale, économique, politique est tout aussi importante que la laïcité scolaire !

Quelle conception le Cnafal a-t-il de la famille ?

Pour nous, dès notre constitu-tion, nous avons déclaré qu’il n’y avait pas de « famille standard », de modèle familial à imposer tout comme nous récusons toute poli-tique familiale nataliste. Le mode de vie, le projet familial de pro-créer est du ressort du choix in-time de chacun ; tout comme nous sommes attachés à une conception égalitaire de la famille, de son fonctionnement : respect mutuel, solidarité, responsabilité. L’enfant est considéré comme une personne à part entière, en voie de développement, qui s’appartient d’abord à lui-même. Nous som-mes au cœur des valeurs laïques d’autonomie de l’individu.

Quelles sont vos positions marquantes aujourd’hui ?

Notre société est en pleine mutation et les valeurs laïques sont toujours d’actualité, que ce soit dans le champ du droit de la famille, dans le champ social, so-ciétal, économique ou politique. On a oublié que le combat des républicains et des laïques, dès 1789, s’est porté aussi bien dans le champ familial, que sur le plan social et politique : le 20 sep-tembre 1792 l’État civil est laïcisé et le divorce par consentement mutuel institué ! Olympe de Gou-ges proclame sa Déclaration des droits de la femme et de la ci-

toyenne. Les deux restaurations et les deux époques impériales marquent un retour en arrière, mais à chaque poussée révolu-tionnaire, 1830, 1848, 1870, les républicains et les laïques re-mettent en chantier l’égalité au sein de la famille et des batailles homériques ont lieu au Parlement de 1875 à 1911, entre la droite et la gauche dans le champ du droit de la famille, en même temps que dans le champ de l’éducation ou de la laïcité C’est un seul et même combat parce que c’est l’émanci-pation de l’homme et la femme qui est en jeu contre l’Église ca-tholique qui ne veut pas perdre son pouvoir dans l’ensemble de ces domaines. On le voit au-jourd’hui elle veut garder son ma-gistère sur la famille et l’école.

Le Cnafal est depuis long-temps en faveur du mariage pour les personnes du même sexe ; adoption et PMA comprises. Notre combat n’est pas nouveau et cela explique que dès le mois de juin, avec l’APGL, pour dé-fendre ce projet de loi (c’est le combat laïque de toujours), nous organisons ensemble une série de colloques ; bien sûr tout cela à « contre-courant » de l’Unaf qui oublie sa mission essentielle qui est de représenter toutes les fa-milles ! n

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l’enfant sait qui sont son père et sa mère biologiques. Il existe aussi des sociétés où les enfants ne sont pas élevés par les parents qui les ont fabriqués, comme le fostering 4 en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud-est, etc. Même en Europe, le sens du mariage a complètement changé à travers les lieux et les

temps. En tant qu’anthropologue et historienne, je peux vous dire qu’il n’y a pas une société au monde où, quand on parle de fi-liation, il n’y a pas un homme et une femme.

● Propos recueillis par ariane ioannides

1. Martine Segalen dirige la revue Ethnologie française. La 8e édition de la Sociologie de la famille (avec Agnès Mariel, éditions Armand Colin) est à paraître en 2013. Autre ouvrage : À qui appartiennent les enfants ? (éditions Tallandier, 2010). 2. Selon l’Insee, la France a célébré, en 2010, 251 000 mariages et 205 000 Pacs (environ 9 100 du même sexe, 196 000 entre sexes opposés). 3. La gestation pour autrui (GPA) est

une méthode qui consiste à faire porter par une femme l’enfant conçu par les gamètes d’un couple (ou le sperme d’un homosexuel) : les formes et les modalités sont variées. Cette GPA est interdite en France. La procréation médicalement assistée (PMA) est aujourd’hui nommée assistance médicale à la procréation (AMP) pour souligner qu’il s’agit de réaliser un « désir d’enfant » à une femme en bonne santé, mais dont l’orientation sexuelle lui

interdit des relations sexuelles avec un homme. Interdite en France, l’AMP est pratiquée en Belgique ou en Espagne. 4. Le fostering est une pratique répandue selon laquelle un couple place un de ses enfants pour être élevé chez un autre parent (grand-père, oncle etc.). L’enfant n’est nullement coupé de ses racines familiales biologiques et sociales. Le fostering distingue en quelque sorte la fabrication de l’enfant de sa socialisation.

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exPéRienCe

La famille au cœur de la vie de quartierLe centre social de la Baratte, à Nevers, est implanté en plein cœur d’un des quartiers les plus pauvres de la ville. Créé en 1978 et soutenu par la Ligue de l’enseignement de la Nièvre, il mène de multiples actions en direction de familles en difficulté économique et/ou éducative.

bibLioGRaPHieClaudine Attias-Donfut, nicole Lapierre, Martine Segalen, Le Nouvel esprit de famille, odile Jacob, 2002Bernadette Bawin-Legros, Le Nouvel ordre sentimental. À quoi sert la famille aujourd’hui ?, Payot, 2003Daniel Borrillo, éric Fassin et Marcela Iacub (dir.), Au-delà du Pacs ; l’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité, PuF, 1999Sylvie Cadolle, Être parent, être beau-parent.

La recomposition de la famille, odile Jacob, 2000Monique Dagnaud, La Teuf. Essai sur le désordre des générations, Le Seuil, 2008Julien Damon, Les Politiques familiales, PuF, 2006Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004Anne Gotman, L’Héritage, PuF, 2006Martine Gross (dir.), Homoparentalités :

état des lieux, erès, 2005Serge Guérin (dir.), De la famille aux familles, La Documentation française, 2007Didier Le Gall et Yamina Bettahar (dir.), La pluriparentalité, PuF, 2001Agnès Martial, S’apparenter. Ethnologie des liens de familles recomposées, MSH, 2003Martine Segalen, Sociologie de la famille, Armand Colin, 2000François de Singly, Les uns avec les autres,

Armand Colin, 2003François de Singly (dir.), Enfants, adultes : vers une égalité de statuts ?, universalis, 2004Irène Théry, Le démariage, odile Jacob, 1993Irène Théry et Marie-Thérèse Meulders-Klein (dir.), Les Recompositions familiales aujourd’hui, nathan, 1993Irène Théry, Couples, filiation et parenté aujourd’hui, odile Jacob/La Documentation française, 1998

La Baratte. Près de 1 500 habitants. 35 % de familles monoparentales, souvent des femmes seules avec des

enfants. Un taux de chômage de 25 %. « C’est un quartier enclavé », note Fran-çoise Legrand, directrice du centre socio-culturel de la Baratte. « Il est éloigné du centre-ville. Bien desservi par les bus mais les trajets sont longs. » À cela s’ajoute, de-puis quelques années, l’absence de com-merces. De nombreux habitants se trouvent ainsi isolés. « Certains ont du mal à sortir de chez eux ou du quartier. Il y a, pour beaucoup, un vrai manque de lien social. » D’où l’importance du centre socioculturel pour restaurer ce lien.

Le centre est un espace de 1 650 m² avec une salle multimédia, une pour les spectacles et les repas de quartier mais qui comprend aussi les bureaux de la protec-tion maternelle et infantile. Les habitants peuvent y consulter gratuitement des pro-fessionnels : assistants sociaux, médecins, référents famille…

500 faMiLLeS aCCueiLLieS CHaque année

La première chose que l’on voit en pé-nétrant dans le centre socioculturel de la Baratte, c’est le sourire des bénévoles, des intervenants, des animateurs et des travail-leurs sociaux. Un hall accueillant où les habitants du quartier viennent discuter, prendre un café, lire le journal ou participer à des activités. Il y a aussi les rires des en-fants et des jeunes. Certains profitent de la salle informatique, d’autres sont en accueil de loisirs. Il en existe plusieurs : maternel (3-5 ans), primaire (5-11 ans), « chrysa-lide » (11-13 ans) et jeune (plus de 14 ans).

Plus de 500 familles de cultures diffé-rentes poussent chaque année les portes du centre. Des familles d’Europe de l’Est, d’Afrique noire, d’Afrique du Nord, de Guadeloupe, de Mayotte ou encore de Guyane. Des cultures qui cohabitent mais qui ne se comprennent pas toujours. Le centre de la Baratte est à cet égard un lieu chaleureux qui permet la rencontre. « Lorsque les gens rentrent ici, ils ont tou-jours un bonjour et un sourire. Nous veil-lons à ce que les familles soient toujours bien reçues (…). »

Au sein du centre, le secteur famille est un secteur à part entière, qui a son repérage propre, son identité mais qui est transversal aux secteurs enfance et jeunesse. Véronique Gohier est la référente de parcours pour le dispositif « réussite éducative ». C’est elle qui suit individuellement les familles où les enfants rencontrent des problèmes scolaires et de comportement. Un dispositif d’aide sanitaire, sociale, culturelle et éducative. Elle explique : « Dans certaines familles, les enfants ont du mal à être élève. Ils ont be-soin d’un accompagnement scolaire, d’un accompagnement personnalisé », comme par exemple accompagner l’enfant, ou le jeune, à un rendez-vous, l’aider dans ses devoirs, etc.

SoRtieS CoLLeCtiveS et ateLieRS« Il y a aussi des actions collectives en

direction des familles », poursuit Françoise Legrand. C’est Bruno Nisgand, le référent famille au centre socioculturel, qui est char-gé de les mettre en place. « Nous organi-sons des fêtes et des repas de quartier où nous mettons les habitants à contribution : préparer le repas, des gâteaux, s’occuper du

barbecue. » Objectif : créer une cohésion grâce à ce côté festif.

« S’occuper d’un enfant est parfois dif-ficile. Certains parents sont complètement démunis. Nous avons donc mis en place le Café des parents » pour que les habitants échangent autour de leurs difficultés. « Nous faisons aussi venir des interve-nants. » Des invités présentant une associa-tion, une institution, comme la Caisse d’al-locations familiales ou l’Assurance-maladie, pour désacraliser les institutions et rendre ainsi plus faciles les démarches administra-tives qui demeurent pour beaucoup com-pliquées.

Autre public visé : les femmes seules avec enfants. « Certaines rencontrent des problèmes liés à l’éducation de leurs en-fants et d’autres ont du mal à se projeter dans l’avenir. Beaucoup n’arrivent pas à en-visager une sortie de chômage… », décrit la directrice. L’atelier « Des outils pour l’em-ploi » permet donc à ces mères de familles de parler de leurs difficultés, de faire un bilan de compétences.

Des actions sont menées pour renforcer la fonction parentale, consolider les groupes familiaux, développer les liens sociaux et l’implication des familles au sein du centre social, mais aussi favoriser les liens parents/enfants : découvrir les coulisses de la Maison de la Culture de Nevers, assister à un spec-tacle, faire le circuit touristique et historique de Nevers. Mais aussi visiter le Parc anima-lier et de loisirs de l’Allier, se rendre au Louvre, au Futuroscope… Des sorties en famille pour mieux découvrir ce qui se passe en dehors de son quartier ou en dehors de sa ville. Toutes ces actions visent l’intégra-tion, la création d’un lien social, d’une cohé-sion. La famille comme cœur de la vie so-ciale, base de la vie de quartier.

« Il n’y a pas juste les actions en direc-tion des familles et les autres, tout est lié. C’est parce que nos actions touchent toutes les générations, les parents, les adolescents, les enfants, que nous pouvons agir sur les familles » résume Françoise Legrand.

● Laura Morel

aLLô SoLiDaRité baRatte ?La vie de quartier, c’est aussi la solidarité. une personne âgée est dans l’incapacité de faire ses courses ? une mère de famille doit faire garder son enfant quelques heures pour pouvoir aller à un rendez-vous professionnel ? Le dispositif Solidarité Baratte propose l’échange de services, gratuitement, entre habitants. Près de 90 personnes sont inscrites. « on échange plein de petits services tout au long de l’année : changer une ampoule, bêcher un jardin, garder un chien », explique Françoise Legrand, directrice du centre socioculturel de la Baratte. « on nous téléphone une à deux fois par semaine pour nous demander quelque chose. » Le per-sonnel du centre social a juste à piocher dans la liste et à téléphoner. « Les gens peuvent refu-ser évidemment, mais grâce à ce dispositif nous avons pu aider des gens à déménager, monter des meubles, etc. » un dispositif qui encourage un peu plus la cohésion au sein du quartier.L.M.

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