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20 © Cerveau & Psycho - n° 52 juillet - août 2012 Dossier La méditation La méditation à travers les âges Le cerveau méditatif Méditer, pour une vie plus saine Quand la méditation vient aux enfants 21 27 34 41 L e besoin de calme s’est emparé de notre monde. Face au bruit, à l’agitation, au stress, nous cherchons à retrouver l’unité de nos pensées et de nos affects. Heureusement, les hommes et les femmes se sont posé cette question depuis des millé- naires. C’est l’Orient qui a montré la voie. Mais depuis quel- ques années, la science occidentale rend visibles, presque tangibles, les effets positifs de ces pratiques méditatives sur le fonctionnement du cerveau, sur l’orientation de l’attention ou la régulation des émo- tions. À tel point que le corps lui-même en retire des bénéfices. Même les enfants vivent mieux en apprenant ces pratiques simples de l’es- prit, que ce soit à l’école ou en famille. Un dossier à méditer… © Nick Purser /Ikon Images / Corbis

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Dossier

La méditation

La méditation à travers les âges

Le cerveau méditatif

Méditer, pour une vie plus saine

Quand la méditation vient aux enfants

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Le besoin de calme s’est emparé de notre monde. Face au bruit,à l’agitation, au stress, nous cherchons à retrouver l’unitéde nos pensées et de nos affects. Heureusement, les hommeset les femmes se sont posé cette question depuis des millé-naires. C’est l’Orient qui a montré la voie. Mais depuis quel-

ques années, la science occidentale rend visibles, presque tangibles,les effets positifs de ces pratiques méditatives sur le fonctionnementdu cerveau, sur l’orientation de l’attention ou la régulation des émo-tions. À tel point que le corps lui-même en retire des bénéfices. Mêmeles enfants vivent mieux en apprenant ces pratiques simples de l’es-prit, que ce soit à l’école ou en famille.

Un dossier à méditer…

© Nick Purser /Ikon Images / Corbis

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La méditationà travers les âges

L’histoire de la méditation se perd dans la nuit des temps. Quels sont les points communs des différentes traditions

méditatives, aujourd’hui étudiées scientifiquement?

Méditation : si ancienne est sonhistoire, si immense et rami-fié est son univers dans sesorigines et ses aspirations,qu’on ne peut en vérité écrire

le mot méditation au singulier. Il serait bon deparler de « méditations » ou de « techniquesméditatives ».

Déjà dans son étymologie, le terme « médi-ter » disperse celui qui veut en saisir le sens enle renvoyant à plusieurs compréhensions. Pourl’homme de la rue, méditer c’est songer à quel-que chose, ou se soumettre à une longue etmûre réflexion. Pourtant, jusqu’au début duXVe siècle, méditer désignait l’action de réflé-chir sur un mystère de la religion, signe queles pratiques méditatives imbibaient intime-ment la pensée et la pratique religieuses. Maisla racine antique du mot nous rapproche du

thème de ce dossier, puisque le terme latinmedeor (qu’on retrouve dans remède) signi-fie soigner. Les peuples antiques avaient-ilsperçu l’existence subtile d’une passerelle entreles pratiques méditatives et leurs vertus médi-cinales sur le corps-esprit ? Très certainement.

• Les pratiques méditatives sont aussi anciennes que diverses,plusieurs fois millénaires et présentes dans l’Inde ancienne toutcomme en Chine, au Japon, en Birmanie.

• On y retrouve généralement une attention portée aux sensations corporelles et au calme intérieur, parfois pour alléger des souffrances, souvent dans une démarche désintéressée.

• Méditer peut être une activité laïque, ou intervenir en complément d’une pratique spirituelle ou religieuse.

En Bref

Frédéric Rosenfeldest psychiatre à Lyon.

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De nombreux mouvements méditatifs nésil y a des millénaires se sont égarés dans lesméandres de l’histoire. Explorons ici quelques-uns des grands courants méditatifs encoreconnus aujourd’hui, et dont la pratique etl’étude se déploient au sein du monde occi-dental depuis quelques années.

Le taoïsme

Le tao (ou Do au Japon) est un terme trèsdifficile à traduire, car porteur de plusieurssens. Ceci est sans doute dû à ses origines dis-parates, autant dans les époques que les lieux.On peut lui faire correspondre les mots devoie, chemin, direction. Le tao évoque le coursspontané et naturel des choses ; il représenteaussi une structure, une trame matricielle quiordonne l’univers et au sein de laquelle le Qi(énergie ou souffle interne) fait circuler sonprincipe énergétique.

Le taoïsme qui en est issu est un mouvementde pensée, vaste dans ses idées et ses origines.Il semble que ce mouvement soit né près de2 000 ans avant l’ère chrétienne, sinon davan-tage. Le taoïsme est en vérité un syncrétisme,amalgamant plusieurs mouvements mystiques,philosophiques et scientifiques ; c’est ainsiqu’au fil des siècles, il a réussi à survivre ens’adaptant avec souplesse à d’autres mouve-ments philosophico-religieux (tel le boud-dhisme, par exemple) et en s’en enrichissantplutôt qu’en s’y opposant. Dans son espritd’origine, le taoïsme inspire les principes dela médecine chinoise, de la gestion politique,de la cosmologie, des arts divinatoires. Et il ins-pire diverses pratiques méditatives, tels les dif-férents styles de Tai-chi-chuan et de Qi gong,le Do in, les arts martiaux chinois (ou Wushu)et japonais (aïkido, kendo, judo, etc.)

Mais, outre le fait d’être un mouvementde pensée, le taoïsme est-il une religion ? LeTao-te-king, l’un des ouvrages fondateurs dutaoïsme, fait ressentir au lecteur qui se laissebercer par sa poésie parfois hermétique l’exis-tence d’un principe unique, équilibré, impal-pable, invisible, une sorte de trame d’où

émerge la multiplicité immense et contrastéede la création. Cette source ineffable préfi-gure-t-elle le principe d’unicité, fondateur desreligions monothéistes ? On peut le penser, ouplutôt le pressentir ; il évoque le « Un » dujudaïsme, le « Tawhid » de l’islam, et le « Père »du christianisme.

Plusieurs pratiques inspirées du tao fleu-rissent aujourd’hui : on les nomme médita-tions taoïstes. Variées dans leurs consignes etleurs postures, leur intention commune restele travail sur le Qi, afin de permettre la mani-festation et la circulation de ce souffle interne.Certaines méditations taoïstes demandent aupratiquant de développer l’équivalent dusamatha au sein de l’esprit, un état de calmeintérieur ; ce sont les pratiques issues de l’écoledite du Nord. D’autres techniques (venant del’école du Sud) invitent à travailler plutôt surles centres liés à la circulation du Qi dans lecorps, notamment par la respiration. Maiscette distinction corps-esprit mérite d’êtrenuancée puisque dans le taoïsme l’idée d’unefrontière entre l’esprit et le corps reste incer-taine. Certaines pratiques se font dans uneposture assise immobile. D’autres se rappro-chent d’exercices de gymnastique aux mou-vements doux et répétés.

Le bouddhisme

Le bouddhisme est né au VIe siècle avantnotre ère dans le Nord de l’Inde, inspiré par unhomme dont l’existence n’est pas contestée,le bouddha historique Siddhârta Gautama.Selon les sources ou les légendes, cet hommeaurait vécu une jeunesse aisée dans un palais,confiné par son père à n’y connaître que lesplaisirs terrestres et à rester à l’abri des souf-frances qu’enduraient les humains. Ce n’estqu’à l’âge de 30 ans que cet homme auraitconnu le monde extérieur à la faveur d’uneéchappée secrète hors du palais, réalisant alorsl’existence des maladies, de la vieillesse et deses tourments, de la mort. Heurté par lecontraste entre sa vie mondaine et la réalitéde la misère humaine, il prit conscience de la

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Il n’est pas nécessaire d’être religieux pour méditer, mais la pratique méditative peut renforcer une foi vacillante.

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La méditation à travers les âges

détresse de ses frères humains et décidad’abandonner sa vie facile. Et c’est dans le désirde comprendre et trouver un remède à ladétresse humaine que le bouddha, alors qu’ilméditait près de Bénarès (l’actuelle Vârânasî),eut l’inspiration de ses célèbres « quatre noblesvérités » sur l’origine et les remèdes à la souf-france. Il énonça aussi les principes nécessai-res à adopter (ou « octuple noble sentier »)pour parvenir à soulager la souffrance.

Dans l’Inde de l’époque, soumise à la ségré-gation des castes religieuses, à quels types debesoins l’éclosion du bouddhisme répondait-

elle : était-elle d’ordre humain ? social ? reli-gieux ? politique ? voire religieux, sans doute ?Car il est vrai que certaines branches mysti-ques du bouddhisme ont divinisé l’hommeSiddhârta ou son message. Par ailleurs, parl’expérience méditative bouddhiste, le prati-quant peut s’approcher – incidemment ouintentionnellement – de ressentis d’unionextatique, d’un principe cosmique unifiant,de compassion pour tous les êtres, etc. Autantde sensations qui s’apparentent à l’expériencedu divin. Pourtant, dans son intention origi-nelle le bouddhisme n’évoque l’existence

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d’aucun être suprême, d’aucune transcen-dance. Il se propose, rappelons-le, de remé-dier à la souffrance humaine par une meil-leure connaissance de soi et par la pratiquede règles simples et universelles.

Bien que la pratique méditative demeurecentrale dans le monde bouddhiste, ses for-mes diffèrent grandement selon les mouve-ments (écoles dites Theravada, Mahayana,Vajrayana…) et les origines géographiques(Thaïlande, Birmanie, Japon, Chine, Tibet,Viêt-Nam, etc.). De façon très générale, lesinvariants concernent les deux piliers que sontle Samatha et le Vipassana (voir l’encadré ci-dessous). Mais les approches pour y parvenirdivergent notablement. Par exemple, l’impor-tance donnée à la posture est variable : dansl’école zen japonaise, elle constitue un pilierconstitutif de la pratique alors que d’autresécoles (Vipassana indobirman par exemple)

sont plus souples sur ce point. D’autres encoreinvitent à la pratique méditative déambula-toire (la marche en pleine conscience duVipassana, le Kinhin du zen Soto), voire dansdes conditions insolites, comme sous destrombes d’eau (le Takigyo japonais ou « ascèsede la cascade »).

Ensuite, les méthodes se rejoignent oudivergent selon les qualités d’âme que leurpratique développe. Par exemple, la pratiquedu Shiné tibétain se rapproche de celle del’Anapana indobirman, qui invitent toutesdeux à porter son attention à sa simple res-piration ; alors s’affine la concentration men-tale propre au Samatha. Pareillement, laméditation tibétaine Dmigs med snying rjese rapproche de la pratique de Metta bhavanaindobirmane puisqu’elles font toutes deuxfleurir la compassion et l’amour incondition-nel pour les êtres sensibles.

Mais cette compassion peut aussi être lefruit du Tonglen tibétain mobilisant riche-ment l’imagination créatrice, puisque le pra-tiquant imagine inspirer les souffrances deson prochain sous forme d’une fumée quidisparaît en lui pour donner la place à unelumière scintillante et magnanime, qui émanehors de lui à chaque expiration. Et sous d’au-tres cieux, ceux du Japon bouddhiste, le Kÿanest un support aussi puissant qu’insolite pour

Dossier

L’occident moderne se penche depuis quelques décenniessur les bénéfices médicauxet psychologiquesdes pratiques méditatives.

Les deux piliers de toute pratique méditative

D e façon très générale, il existe deux axes communsà la grande majorité des techniques méditatives,

quelles qu’en soient les origines culturelles ou histo-riques.Ce sont des invariants, fruits de toute pratique,et dont le méditant appliqué peut faire l’expérience.

Le premier pilier est le Samatha. Ce terme pali, unelangue antique de l’Inde, signifie « tranquille », « paisi-ble ». Il souligne que les méditations procurent un calmemental au fil de la pratique. Cependant, tout commecertaines techniques de relaxation moderne, le fait deméditer peut créer incidemment des moments inten-ses : accès d’angoisse, résurgences de souvenirs diffi-ciles, accélération cardiaque,montée d’émotions péni-bles, douleurs diverses. Mais, même si de tels espacestourmentés peuvent être traversés au cours d’une pra-tique méditative, il faut comprendre que le Samatha

désigne davantage un vécu durable au sein du corpset de l’esprit ou un bruit de fond serein dans son rap-port entre soi et le monde, qu’un apaisement passager.C’est un état d’être, qui perdure au-delà de la médita-tion. De façon pratique, le Samatha n’est pas propre àune technique précise puisque plusieurs techniques ydonnent accès : diverses pratiques bouddhistes, diffé-rents yogas, et des relaxations dites « laïques » (voir l’ar-ticle de Ch. André page 34).Toutes invitent à focalisersa concentration sur un objet précis. Il peut s’agir dela respiration, de la contemplation d’une flamme,d’unecouleur ou d’un objet, voire d’un objet mental.

Le second pilier de toutes les pratiques méditativesest le Vipassana ou Vipashyana. Ce mot pali signifie« vision pénétrante ».On peut le rapprocher du termeanglais mindfulness, traduit en français par « pleine

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La méditation à travers les âges

méditer : sous l’apparence d’une formuleinsolite ou d’une brève histoire qui sembleabsurde (« L’arbre qui tombe dans la forêtfait-il du bruit si personne n’est là pour l’en-tendre ? »), le Koan zen, proposé par le maî-tre à son disciple, invite ce dernier à s’extrairedes ornières et égarements de la rationalitépour aller vers le satori : l’éveil.

L’hindouisme

Peut-on dire que l’hindouisme est une reli-gion ? Plutôt un univers de pensée immen-sément riche et varié dans ses sources, quiimprègne les domaines philosophique, moral,théologique, scientifique et cosmologique dusubcontinent indien. Il partage avec le taoïsmele fait d’être une constellation vivante de mou-vements culturels extrêmement disparates,bien davantage qu’un assemblage rigide etunique de croyances.

Au fil des siècles, l’hindouisme s’est épa-noui à travers plusieurs systèmes ou écolesphilosophiques, dont le yoga fait partie. Ceterme désigne divers styles de pratiques,faites de postures (asanas) du corps ou desmains (mudras), et de techniques portantsur le souffle. De façon synthétique, leyoga vise une harmonie, une réunifi-cation de l’ensemble corps-esprit.

Dans la philosophie des yogas, le Prana tientune place centrale ; proche du Qi chinois,ce concept aux limites imprécises imbiberaitle cosmos, mais circulerait aussi dans le corpsphysique, notamment à la faveur de la prati-que du yoga. Toutefois, bien que le yoga soitd’inspiration résolument hindouiste, il n’estni une doctrine, ni une religion, ni un dogme.

Religion ou laïcité ?

Est-il possible d’être profondément chré-tien, musulman ou juif et de pratiquer Zazen(la posture méditative dans le bouddhismezen), le Hatha-yoga indien ou de prendrerefuge dans le bouddha, sans pour autantdéroger à sa foi première ? Plusieurs pratiquesméditatives issues d’horizons lointains épou-sent avec bonheur la foi de celui qui croit enDieu. Mieux encore, la pratique méditative serévèle être un excellent adjuvant pour renfor-cer une foi vacillante, quelle que soit la reli-gion dont elle se réclame, comme par syner-gie. C’est dans un article du Monde desReligions que des chrétiens pratiquants, hom-mes ou femmes d’Église, ont raconté avecémotion leur réconciliation avec leur foi et lapensée de Jésus, grâce à la pratique du boud-dhisme. Par ailleurs, par l’expérience médi-

tative le pratiquant peut s’approcher

conscience » et désignant unetechnique de soins inspiréepar le bouddhisme et le yoga,créée à la fin des années 1970par le biologiste américain JonKabat-Zinn.

La vision pénétrante, ou Vipassana, amène à perce-voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’onvoudrait qu’elles soient, grâce à un esprit libéré de noscroyances et de nos schémas de pensées aliénants, eux-mêmes nés de nos peurs. Le Vipassana est aussi l’artd’entrer dans une connaissance aiguë de notre for inté-rieur : ce monde psychique, sensoriel et émotionnel quinous gouverne le plus souvent à notre insu. Outrel’existence de plusieurs pratiques permettant d’expé-rimenter la vision pénétrante (le zen, par exemple), le

mot Vipassana désigne aussiune technique de méditationspécifique d’inspiration indo-birmane ; son origine se per-drait dans le fond des âges de

l’Inde, mais elle aurait été redécouverte par le boud-dha historique lui-même. Il y est demandé de porterune attention assidue et dépassionnée aux sensationscorporelles qui vivent, évoluent et meurent instantaprès instant à la surface de notre corps et dans nosviscères.Cette approche apparemment simple demandeune pratique assidue et minutieuse. À celui qui la pra-tique ainsi, le Vipassana permet de développer une qua-lité mentale d’une immense richesse : l’équanimité (ouégalité d’humeur, détachement et sérénité) face auxchoses et phénomènes éphémères.

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– incidemment ou intentionnellement – deressentis d’union extatique, d’un principe cos-mique unifiant et magnanime, d’amour com-passionnel pour tous les êtres, etc., ce qui serapproche de l’expérience religieuse.

Pourtant, dans le cas du bouddhisme, rienn’évoque l’existence d’un être suprême, oud’une transcendance. Dans certains de sesmessages d’origine, il se propose, rappelons-le, de remédier aux tourments par la pratiquede règles simples, universelles et indépendan-tes de toute intention religieuse. Dès lors, est-il indispensable d’avoir une croyance pourpratiquer la méditation ? Heureusement, non.Il n’est pas nécessaire d’être religieux pourméditer puisque le bouddhisme, nous l’avonsdit, s’appuie sur l’enseignement d’un simplehumain ayant atteint une grande sagesse ;quant au taoïsme, il s’inspire d’un mouve-ment naturel, mais ne lui donne ni nom niforme, etc. C’est pourquoi la plupart desméditations, bien qu’inspirées par des mou-vements spiritualistes, peuvent s’adapter àl’homme moderne, qu’il soit laïc ou croyant.

Méditer est-il utile ?

À cette question pratique, plusieurs répar-ties. La plus pure consiste à dire que… médi-ter ne doit servir à rien ! Car toute pratique deméditation comporte une part de non-connaissance, de non-attente, d’aléatoire.Méditer implique d’ignorer ce qui vient audevant de soi, de ne rien envisager. Le mouve-ment qui anime celui qui médite est, curieu-sement, un non-mouvement : une intentionde non-intention ! C’est ce que les taoïstesappellent le Wu-wei : l’agir sans agir. Cette pos-ture d’esprit, subtile et paradoxale, le rabbinNahman de Braslav l’évoquait au XVIIIe siècledans cette maxime sage et joyeuse : « Garde-toi bien de demander ton chemin, tu risque-rais de ne pas pouvoir te perdre ! »

Pourtant, dans plusieurs mouvements spi-ritualistes existent des principes médicinauxtrès clairement énoncés. Le Qi du taoïsme ins-pire les principes de médecine chinoise ; lebouddha historique cherchait lui-même un

remède aux souffrances de ses frères humainsà travers ses quatre nobles vérités ; enfin, lePrana (énergie vitale) hindouiste communi-que son souffle aux différents courants deyoga. Ceux qui pratiquent les techniquesméditatives savent depuis plusieurs dizainesde siècles qu’elles ont des actions bénéfiquessur le corps et l’esprit.

Science et méditation

Plus près de nous, l’Occident moderne sepenche depuis quelques décennies sur lesbénéfices médicaux et psychologiques des pra-tiques méditatives. Grâce à des outils d’éva-luation scientifique (mesures de paramètresphysiologiques, outils statistiques, imageriecérébrale fonctionnelle, analyses de sang, élec-troencéphalogramme, électrocardiogramme,etc.), de très nombreuses études internatio-nales révèlent les bienfaits fondamentaux depratiques anciennes ou modernes. C’estnotamment le cas de la méditation dite depleine conscience et de ses dérivés.

Science sans conscience n’est que ruine del’âme, disait Rabelais. Aujourd’hui, cettealliance encore fraîche entre la science dumonde occidental et la conscience des tradi-tions spirituelles donne lieu à des partagesenrichissants pour les deux disciplines. C’estdans cet élan qu’à la fin des années 1980 futcréé le Mind and Life Institute (ou Institut del’esprit et de la vie) sous l’égide du 14e dalaïlama, de Varela, et de l’homme d’affaires amé-ricain Adam Engle.

Selon les termes de Varela : « Les 2 500 ansd’histoire du bouddhisme avaient beaucoupà offrir aux neuroscientifiques ». Depuis sacréation, l’Institut propose d’épanouir le dia-logue entre le bouddhisme et les scientifiquesouverts à la méditation par des échanges entreces deux mondes, et en participant à des étu-des scientifiques rapprochant des méditantsde différents bords et des spécialistes dessciences de l’esprit et de la santé. Au gré deces rapprochements, chaque disciplineféconde de sa sagesse le terreau fertile de l’au-tre. Dès lors, oui : méditer est utile… �

Dossier

Bouddha a énoncé les principes nécessaires à adopterpour parvenir à soulager la souffrance humaine.

Bibliographie

R. Hanson,Le cerveau duBouddha, Éditions Les Arènes, 2011.F. Rosenfeld,Méditer, c’est se soigner,Éditions Les Arènes,2007. Jésus, Bouddha :ce qui les rapproche,ce qui les sépare, in Le Monde des Religions, n°18, juillet 2006.

Sur le Web

www.mindandlife.org

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Les neurosciences mettent en évidence les changements cérébraux qui interviennent pendant la méditation, et qui favorisent la conscience, l’attention et la compassion.

Dossier

Le cerveau méditatif Antoine Lutzest chercheur

à l’Université deWisconsin-Madison,

aux États-Unis,et chargé de

recherche INSERM,prochainement au

Centre de recherche en neurosciences

de Lyon.

• Depuis quelques années,le cerveau de personnes se livrantà la méditation est étudié par des méthodes scientifiques.

En Bref• Les méditants les plus expérimentésprésentent une activité cérébraleparticulière qui leur permet de mieux focaliser leur attention.

• Le cerveau méditatif est le siège d’une activité spécifique,qui favorise la régulation des émotions et la compassion.

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Il y a encore quelques années, il auraitsemblé étrange d’associer des termes telsque science et contemplation. C’est quedepuis l’époque des Lumières, la sciencea été conçue séparément de la religion,

et assignée à l’étude quantitative des lois dela matière. La religion ou la spiritualité ontété reléguées au domaine de la subjectivité etde l’expérience qualitative, choses non obser-vables et non mesurables. Or voici que lascience occidentale pose son regard sur cesphénomènes subjectifs, vécus de l’intérieurà la première personne, qui sont le propre despratiques spirituelles, dont la méditation. Cerapprochement remonte à la rencontre duneuroscientifique français Francisco Varelaavec le dalaï-lama, en 1983. Varela décida decréer un forum où le dalaï-lama et d’autresméditants pourraient échanger leurs idéesavec des scientifiques de renom…

C’est ainsi qu’au mois d’avril de cetteannée s’est tenu à Denver, aux États-Unis, lepremier symposium international consacréà l’étude des « sciences contemplatives ». Descentaines de neuroscientifiques, psycholo-gues, cliniciens et méditants venus de labo-ratoires de recherche prestigieux y ont par-tagé les résultats les plus récents sur lesmécanismes cognitifs et neuronaux sous-ten-dant les pratiques contemplatives, leurs effetssur la santé mentale et physique et les appli-cations possibles pour l’éducation.

Le terme de méditation recouvre une diver-sité d’entraînements mentaux allant des tech-niques tournées vers la relaxation jusqu’à desexercices visant à atteindre, par exemple unsentiment profond de bien-être. Il s’agit d’unefamille de méthodes complexes de régulationdes émotions et de l’attention, mises en œuvreà des fins variées, dont la compréhension dela nature des phénomènes mentaux et l’équi-libre des affects. Nous nous concentrerons icisur les méthodes d’origine bouddhiste, quisont pratiquées aujourd’hui dans un contextetraditionnel ou séculier.

Que disent les textes bouddhistes ? D’abord,que la méditation doit viser à éliminer lasouffrance d’origine mentale (ruminations,émotions négatives) ; que toute méthode effi-cace en ce sens doit introduire des change-ments dans les états émotionnels et cognitifs,notamment dans les habitudes centrées sursoi ; enfin, que ces changements prennentcomme point de départ l’observation détail-lée des états émotionnels et une compréhen-sion des phénomènes mentaux. Mais com-ment y parvient-on, et comment le cerveauparticipe-t-il à cet objectif ? Les neuroscien-tifiques se sont surtout intéressés à trois typesde méditation : la méditation par attentionfocalisée, la surveillance ouverte (ou pleineconscience) et la compassion.

L’attention focalisée

La méditation par attention focaliséeconsiste à se concentrer sur un objet (flamme,respiration), et à la stabiliser afin d’apprendreprogressivement à réguler son attention.L’objectif est d’apaiser l’esprit, de réduire lesdistractions et d’accéder à un état de surveil-lance de ses processus internes, qu’il s’agisse

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Dossier

1. L’imageriecérébrale

de personnes adeptes des pratiques

méditatives (ici,le méditant tibétainMingyur Rinpoche)

a permis de repérer des corrélats neuronaux

de la méditation.

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2. L’amygdalecérébrale (en bleu)

est moins active chez des méditants

soumis à des distracteurs

émotionnels alors qu’ilsse concentrent sur

un objet : la productiond’émotions est

tempérée et permetd’atteindre la stabilité

du ressenti émotionnel.Amygdale

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d’émotions, de pensées ou de perceptions. Aufil de la pratique, cette capacité de surveillancepermet de basculer vers le second type de pra-tique méditative : la surveillance ouverte, queles bouddhistes nomment Vipassana, et quenous appelons méditation de pleine conscience.

Cette dernière consiste à demeurer dansl’état de surveillance évoqué, mais sans foca-liser son attention sur aucun objet en parti-culier. Il s’agit ici d’accéder à ce qui fait larichesse d’une expérience subjective : l’inten-sité de nos perceptions – leur valeur émotion-nelle, le schéma cognitif à l’œuvre (quel typede pensées apparaît, comment elles s’articu-lent, etc.) – ou l’implication du soi autobio-graphique dans cette expérience (afflux desouvenirs, notamment).

Ces deux premiers types de pratiques sontsouvent couplés à une troisième : la médita-tion de compassion ou d’amour-bienveil-lance, qui vise à cultiver des comportementset attitudes altruistes, des affects positifs, et àinhiber les tendances centrées sur soi.

Atteindre l’équanimité

Si vous avez un jour l’occasion de vousasseoir dix minutes dans un endroit tran-quille, sans rien faire d’autre que d’accorderune présence attentive aux sensations pro-duites par votre respiration, il vous sera alorsaisé d’assister au flot turbulent et involontairedes pensées et des émotions. Méditer c’est engrande partie prendre conscience de ce flux :les facultés d’attention qui permettent ceregard intérieur se développent graduelle-ment, de même que les capacités de régula-tion émotionnelle.

Les personnes qui s’adonnent régulièrementà la méditation modifient l’activité de leur cer-veau d’une façon qui peut être observée grâceaux techniques d’imagerie cérébrale. Dansnotre équipe de l’Université du Wisconsin,nous avons ainsi examiné le cerveau de per-sonnes pratiquant assidûment la méditationd’attention focalisée. Ces personnes ont enmoyenne 10 000 heures de méditation à leuractif. Quand on leur fait entendre des sonsangoissants tels que des voix exprimant lasouffrance, on constate que l’activité de leuramygdale cérébrale, zone cruciale dans la pro-duction d’émotions diverses, mais surtout del’angoisse, de la peur ou du stress, est notable-ment réduite par rapport à des personnes

Les techniques de méditation sont aujourd’hui utilisées en milieuhospitalier, et leur efficacité clinique a été bien établie dans cer-

tains champs d’application, notamment dans le cadre de la dépres-sion et de la douleur chronique.Ainsi, le psychologue cogniti-viste Zindel Segal et ses collègues, du Centre de l’Ontario pourl’addiction et la santé mentale, ont suivi 84 sujets déprimés ayantpris des antidépresseurs jusqu’à rémission de leurs symptômes.À la fin de cette première phase, un tiers poursuivait le traitementantidépresseur, un autre tiers recevait un placebo et le derniertiers suivait des séances de thérapie cognitive fondées sur la médi-tation de pleine conscience.Un an et demi plus tard, 30 pour centdes méditants de pleine conscience avaient rechuté, autant parmiles personnes du groupe traitées par des antidépresseurs, maiscette proportion atteignait 70 pour cent parmi ceux qui avaientreçu un placebo. On en déduit que la pratique de la pleineconscience serait aussi efficace que les antidépresseurs pour évi-ter les rechutes.

Les effets positifs de la méditation sur la santé s’appuient surune modification de l’activité cérébrale. Le cas des douleurs chro-niques a été étudié, notamment par le neuroscientifique FadelZeidan et ses collègues, de l’Université de Caroline du Nord. Ilsont mesuré l’activité cérébrale de sujets méditants recevant desstimulations douloureuses.Chez ces personnes, l’intensité perçuede la douleur diminue de 40 pour cent et son caractère désagréa-ble de 57 pour cent par rapport à des sujets contrôles.Cette dimi-nution de l’intensité de la douleur est associée à une augmenta-tion de l’activité du cortex cingulaire antérieur et à une baisse del’activité de l’insula antérieure,des régions intervenant dans la régu-lation cognitive de la douleur. Ainsi, ce sont bien des mécanismescérébraux qui entraînent une diminution de la perception de ladouleur. De surcroît, une activation du cortex orbitofrontal leurpermet de juger la douleur moins « désagréable ».

Comment le cerveau soigne le corps

Le cerveau méditatif

Le cortex cingulaireantérieur et l’insulaantérieure sont des airescérébrales impliquéesdans la perception de la douleur.Chez une personne qui souffre, le cortexcingulaire antérieur estplus activé en conditionde méditation (en haut,à droite). En revanche,chez la même personne,la méditation inhibel’activité de l’insula (en bas, à droite).

Cortex cingulaire antérieur

Insulaantérieure

Sans méditation Avec méditation

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n’ayant pas cette pratique (voir la figure 2). Laméditation cultive donc l’équanimité, lafaculté de maintenir un climat émotionnel sta-ble, propice à la focalisation de l’attention.

Comment se pratique l’attention focalisée ?Le novice choisit un endroit calme, pour nepas subir de distractions externes, une posi-tion assise à la fois détendue et alerte, pouroptimiser l’état de vigilance, et un objet sim-ple d’attention, par exemple les sensationsproduites naturellement par la respiration, surlequel le sujet doit essayer de se concentrersans se laisser distraire. Si, comme c’est tou-jours le cas, il prend conscience qu’il s’est laissédistraire au bout de quelques minutes, il doitalors détacher son attention de l’objet de ladistraction et la ramener vers la cible initiale.

La neuroscientifique Wendy Hasenkamp,de l’Université d’Atlanta, et ses collègues ontrécemment cherché à identifier par image-rie cérébrale les réseaux fonctionnels sous-

tendant la pratique d’attention focalisée. Dansle scanner, les participants s’adonnent à cetexercice tout en signalant la fin de chaque épi-sode de vagabondage de l’esprit en appuyantsur un bouton. Les auteurs de cette étude ontidentifié quatre phases durant ce que nousnommons un cycle cognitif : un épisode devagabondage de l’esprit, un moment de prisede conscience de la distraction, une phase deréorientation de l’attention et une phase d’at-tention soutenue et focalisée. Chacun de cesépisodes est lié à l’activité d’un grand réseau(voir la figure 3). La première partie du cycleest associée à l’activité d’un réseau cérébral ditpar défaut, qui fonctionne lorsque l’on estabsorbé dans ses pensées. Ce réseau regroupenotamment plusieurs régions médianes dansle cortex préfrontal et cingulaire.

Le cycle des états mentaux

Le deuxième épisode du cycle est associéà la prise de conscience de l’état de distrac-tion. C’est une capacité essentielle dévelop-pée par la méditation, qui fait intervenir lafaculté d’introspection et certaines zonescérébrales telles que l’insula antérieure, le cor-tex somatosensoriel et le cortex cingulaireantérieur. Ces deux régions forment ce quel’on nomme le réseau de saillance, qui sous-tend la perception d’émotions et de senti-ments en réponse à des événements ayant unepertinence particulière pour l’organisme, qu’ils’agisse de stimulus extérieurs (effrayants, parexemple) ou internes (perception de la dou-leur physique). Lorsque ce circuit de saillanceentre en action, il interrompt d’autres méca-nismes cérébraux telle la circulation libre depensées sous-tendue par le réseau par défaut(premier épisode du cycle). D’ailleurs, lors-que l’activité du réseau de saillance augmente,celle du réseau par défaut diminue.

Les troisième et quatrième épisodes du cycleméditatif sont respectivement associés au faitde « reprendre » son attention en la détachantdu stimulus distracteur – ce qui est permis parl’activité du sillon frontal supérieur et du sil-

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Dossier

3. Un cycle cognitif se met en place dans la méditation par attentionfocalisée : à un moment, le méditant voit son attention vagabonder

vers des pensées par lesquelles il se laisse distraire (état 1), puis il prendconscience de cette dérive (état 2), et détache son attention de ce qui l’a

distrait (état 3). Enfin, il refocalise son attention sur la consigne initiale (état 4).

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Méditer, c’est en grande partie prendre conscience du flux incessant des affects et des pensées.( )

1

2

3

Prise de conscience

du vagabondage

Détachementde l’attention

Vagabondage mental

4Refocalisation

et maintien de l’attention

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lon intrapariétal – et au maintien de la consi-gne de méditation, une consigne prise encharge par le cortex préfrontal dorsolatéral.

Quel est l’impact d’une telle pratique régu-lière sur l’attention ? Nous avons étudié, dansl’équipe de Richard Davidson à l’Université duWisconsin, l’impact de trois mois de médita-tion intensive (huit heures par jour de médi-tation par attention focalisée) sur des partici-pants. Lors d’un test, les sujets recevaient desécouteurs qui diffusaient des sons à une fré-quence donnée auxquels étaient mêlés épiso-diquement des sons légèrement plus aigus. Ilsdevaient se concentrer sur les sons diffusés dansune seule oreille du casque, et repérer chaqueémission d’un son parasite. On enregistrait leurtemps de réaction ; cette tâche, très répétitive,entraîne facilement des épisodes de distractionqui se traduisent par une grande variabilité destemps de réaction. Nous avons constaté que lesméditants présentaient moins de variationsdans leur temps de réaction, que les oscillationsélectriques des neurones des zones antérieuresdu cerveau étaient plus régulières d’un essai àl’autre, et que l’attention était plus stable.

Développer son attention

Dans une autre étude, nous avons observél’activité cérébrale de méditants débutants ouconfirmés en attention focalisée. Les médi-tants confirmés présentent une augmenta-tion d’activité dans de multiples régions ducerveau impliquées dans l’engagement de l’at-tention (cortex visuel), son maintien (cortexpréfrontal dorsolatéral) et son orientation(sillons frontal supérieur et intrapariétal, voirl’encadré ci-contre). Toutefois, nous avonsconstaté qu’il existe des différences selon ledegré d’expertise des méditants. Si ces médi-tants confirmés – totalisant 19 000 heures depratique – présentent bien une augmentationd’activité de plusieurs aires, les experts –, ceuxqui ont encore davantage de pratique, jusqu’àtotaliser 44 000 heures de pratique – voientcette activité cérébrale baisser !

Une telle évolution de l’activité cérébrale(d’abord une hausse, puis une diminution)en fonction du degré d’expertise s’observedans la plupart des domaines d’apprentis-sage. Au terme d’un entraînement intensif deméditation par attention focalisée, la per-sonne est si experte qu’elle ne doit presqueplus fournir d’effort pour focaliser son atten-

tion. Les experts présentent également unemoindre activation de leur amygdale, qui leurpermet de s’affranchir de leurs réactions émo-tionnelles. D’autres expériences montrent queles méditants experts parviennent à inhiberdes réactions automatiques dans certains testspsychomoteurs, conduisant les psychologuesà évoquer une « déautomatisation » des émo-tions et des comportements.

La « présence attentive »

Ainsi, se focaliser sur un aspect local duchamp de l’attention (par exemple les sensa-tions de la respiration) constitue un exerciceutile pour éviter de se laisser distraire. Maisla concentration seule n’est pas suffisantepour maîtriser l’attention et réguler les émo-tions. Le savant tête en l’air sait se concentrerdes heures sur ses équations, mais peut êtreégalement négligent et distrait dans les acti-vités quotidiennes. La maîtrise de l’attentionpasse donc aussi par une surveillance glo-bale, détachée des routines émotionnelles,

Le cerveau méditatif

Cerveau de méditants expertsLe cerveau de méditants confirmés, lors d’un test d’attentionfocalisée sur un objet visuel, est plus actif dans des régions impli-quées dans l’engagement de l’attention (cortex visuel), son main-tien (cortex préfrontal dorsolatéral) et son orientation (sillonsfrontal supérieur et intrapariétal). Pour les experts encore plusentraînés, l’activité tend à diminuer dans ces aires : la focalisationet le maintien de l’attention n’exigent presque plus aucun effort.

Sillon frontal supérieur :Orientation de l’attention

Cortex préfrontal dorsolatéral :Maintien de l’attention

Sillon intrapariétal :Orientation

de l’attention

Cortex visuel :Engagement de l’attention Ra

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cognitives et motrices qui émergent de l’ac-tivité de l’esprit.

Ce mode d’attention plus global est bienconnu des musiciens et athlètes experts quidisent souvent livrer leurs meilleures perfor-mances lorsqu’ils se trouvent dans le « flux »de leur expérience sensorielle, émotionnelle,attentionnelle et cognitive. Il s’agit donc, dansla pratique de la pleine conscience, de culti-

ver une forme plus ouverte de contrôle atten-tionnel, où le méditant ne contrôle plus expli-citement la cible de son attention.

Les méditants s’ouvrent alors à l’expérienceau sens large, c’est-à-dire à tout ce qui se passeen eux et autour d’eux. Les manifestationspeuvent en être agréables ou non, le tout étantde les aborder avec curiosité en observant demanière détachée et sans chercher à contrô-ler émotions ni pensées. Cette forme de médi-tation serait comparable à la pratique du surf,où l’on glisse sur les vagues en épousant leursmouvements spontanés. L’attention doit selaisser porter par les vagabondages de l’es-prit, sans chercher à lutter contre eux ou à lesinfléchir. Par opposition, la pratique de l’at-tention focalisée serait comparable à la voile,ou l’on maintient le cap indépendammentdes fluctuations du vent et des vagues.

Clignement d’attention

Dans la méditation de pleine conscience,le pratiquant devient moins réactif à ses pro-pres émotions, il gagne une conscience plusclaire de ses processus mentaux, ce qui offreun moyen de les transformer, et conçoit plusclairement sa propre identité, son passé et deson avenir possible.

Nous avons cherché à savoir, avec HeleenSlagter, de l’Université d’Amsterdam, si unentraînement à cette forme de « surveillanceouverte » (ou open monitoring) pendant une

pratique de pleine conscience, pouvait chan-ger la capacité à maintenir cette forme d’at-tention globale et non réactive. Nous avonsutilisé la tâche dite du clignement attention-nel. Le participant doit détecter deux chiffresprésentés très rapidement parmi une succes-sion de lettres. Si le second chiffre apparaîtenviron 300 millisecondes après le premier,il passe inaperçu, comme si la personne avaitcligné des yeux. Si le second chiffre apparaîtaprès un délai de 600 millisecondes, il peutêtre détecté sans difficulté.

Le clignement de l’attention reflète la limi-tation des ressources attentionnelles : lesrégions frontales du cerveau étant toujoursen train de mémoriser le premier chiffre, ellesne sont plus disponibles pour détecter lesecond. L’allocation des ressources attention-nelles au premier chiffre s’accompagne d’uneonde cérébrale nommée P300, qui reflète l’ac-tivité d’un réseau regroupant des zones fron-tales, temporales et pariétales, et que l’on peutrecueillir grâce à des électrodes placées auniveau pariétal postérieur (voir la figure 4).

Nous avons fait l’hypothèse que cette formed’attention globale pourrait aboutir à uneoptimisation des ressources attentionnnelles,et donc à une réduction du clignement atten-tionnel. Nous avons mesuré les performancescomportementales et l’onde P300 avant etaprès une retraite intensive de méditation.Chez les méditants, nous avons observé un plus

Dossier

4. Les courants électriquesproduits par le cerveau révèlent

que l’attention est plus fluide et dynamiqueaprès une longue pratique de la méditation.

Dans la méditation compassionnelle,le cerveau devient plus empathique

vis-à-vis de la souffrance des autres.

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faible clignement attentionnel (ils voyaientplus souvent le second chiffre) et une ondeP300 plus faible. Ainsi, la pratique de la médi-tation ouverte, ou de pleine conscience, per-met à l’attention de ne pas rester « bloquée »sur une sensation, une pensée, une percep-tion, et d’être plus disponible pour tout ce quipeut survenir dans le flux de la conscience.L’attention est moins captive de ce qui peut ladétourner de son but.

La voie de la compassion

Le troisième type de pratique méditativeconsiste à développer un état émotionneld’empathie, d’affection et de compassion. Lebut de cette approche est d’étendre les senti-ments de bonté, d’empathie et d’amour àautrui. L’équanimité, cultivée dans la pleineconscience, est considérée comme nécessaire,car une vraie compassion suscite forcémentdes émotions fortes et potentiellement désta-bilisantes, qu’il s’agit de tempérer. Également,parce qu’il faut parfois compatir avec des êtresqui vous ont offensé ou que vous n’aimez pas.En 2008, nous avons étudié l’activité du cer-veau de méditants en pratique de compas-sion, et avons constaté une activation supé-rieure de deux régions cérébrales en réactionà des sons de voix humaine exprimant ladétresse. Ces régions sont l’insula antérieureet le cortex cingulaire antérieur, tous deuximpliqués dans la perception empathique dela douleur d’autrui (voir la figure 5). Dans laméditation compassionnelle, le cerveaudevient plus empathique vis-à-vis de la souf-france des autres.

En outre, les experts les plus chevronnésprésentent une hausse d’activité dans le cor-tex somatosensoriel secondaire, qui traite lessensations corporelles, suggérant que les médi-tants experts ressentiraient dans leur chair lasouffrance d’autrui. Enfin, la pratique de laméditation compassionnelle produit une aug-mentation d’activité dans des zones telles quela jonction temporo-pariétale, le cortex pré-frontal médian et le sillon temporal supérieur,tous trois mobilisés lorsque nous cherchonsà nous mettre à la place d’autrui.

La méditation, sous ses formes variées, estune exploration de la nature de l’esprit. Ellepose, sous une forme nouvelle, une questionancienne : qu’est-ce que la conscience et la sub-jectivité ? Avec Richard Davidson et Matthieu

Ricard, nous avons examiné cette question encollaboration avec des méditants bouddhis-tes experts. Nous avons mesuré le degré de syn-chronisation des signaux électriques produitspar leur cerveau en des sites distants de plus de

dix centimètres, partant de l’idée acceptéeaujourd’hui, selon laquelle la synchronisationde régions cérébrales distantes est un des cor-rélats essentiels de la conscience, de par sa capa-cité à unifier des informations diverses dansune expérience globale.

Méditation et conscience

Nous avons ainsi observé des synchronisa-tions très nettes des ondes gamma (entre 25 et45 hertz) chez des méditants totalisant jusqu’à50 000 heures de pratique, ce qui nous conduità entrevoir l’état de méditation comme unmécanisme d’intégration globale des activitésde différentes régions cérébrales. Le niveau desynchronisation atteint par ces experts, notam-ment entre des régions frontales et pariétales,est nettement supérieur à celui d’un cerveau« normal » au repos. Peut-on en déduire quel’expérience consciente est améliorée chez cesindividus ? À l’heure où l’on parle beaucoupde cerveau augmenté, voici peut-être une voieplus prometteuse, sans pilules ni implants neu-ronaux, pour développer son état de consciencevis-à-vis de soi et du monde environnant. Laphilosophie ne manquera pas d’observer qu’unsurcroît de conscience est souvent synonymede meilleures décisions, de respect, d’apaise-ment et de non-violence. Espérons que la« science de la sagesse », profitant des savoirsconjugués des méditants et des scientifiques,saura gagner les esprits ! Tout en gardant à l’es-prit que la sagesse, en science, consiste à éva-luer des hypothèses rigoureusement testées età répéter les observations. �

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Le cerveau méditatif

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5. L’activité du cerveau

de personnes pratiquant la méditation de compassion

est supérieure dans l’insulaet le cortex cingulaireantérieurs, impliqués

dans la perception de la douleur d’autrui.

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Longtemps associée à des traditions spirituelles ou religieuses, la méditation révèle aujourd’hui

des effets bénéfiques mesurablessur le bien-être psychique et la santé.

Dossier

«Pouvoir regarder le soleil selever ou se coucher chaquejour, afin de nous relier à unphénomène universel, pré-serverait notre santé pour

toujours. » Dans son petit traité, La Vie sansprincipes, rédigé dans les années 1850, l’écri-vain américain Henry David Thoreau rappe-lait l’une de ses convictions : l’homme a toutà gagner à se rapprocher d’une vie pluscontemplative. Ce point de vue est-il vérifiépar les recherches scientifiques et médicales ?Regardons-y de plus près.

Qu’est-ce que méditer ?

La méditation est une démarche danslaquelle on tourne son attention vers un cer-tain nombre de variables corporelles, senso-rielles et mentales. Ce mouvement de l’espritest volontaire : même si des états proches del’état méditatif peuvent naître spontanémenten nous (devant un feu de bois ou les vaguesde l’océan), ce que l’on nomme méditationrelève d’exercices délibérés, prolongés et répé-tés, représentant un entraînement de l’esprit.

Le mot méditation est trompeur, à plu-sieurs titres. D’abord parce qu’il est perçu parbeaucoup de personnes comme une activitéintellectuelle (réfléchir profondément sur unsujet), alors que la plupart des pratiques médi-tatives passent surtout par le corps. Ensuite,parce que ce mot ne désigne pas une démar-

che unique, mais une multitude de pratiques :certaines consistent à focaliser son attention,d’autres au contraire à l’ouvrir largement ;parfois méditer requiert l’immobilité, parfoisle mouvement. Enfin, parce qu’on associevolontiers la méditation à un ensemble deconvictions religieuses, alors qu’elle peut par-faitement se pratiquer dans un cadre laïque,philosophique ou thérapeutique.

Pour autant, il existe un certain nombre depoints communs à toutes les pratiques quel’on pourrait qualifier de « méditatives » : ces-ser d’agir, pour s’accorder un temps de retrait,de silence, de lenteur, de continuité ; durantce temps de silence, stabiliser son attention ;ne pas réagir aux stimulations externes(bruits) ou internes (pensées, émotions) ;observer ces stimulations internes ou exter-nes avec attention et détachement.

Qu’attendre de cette démarche ? Dans tou-tes les approches méditatives, la traditionrecommande de ne justement rien attendred’immédiat. Mais de simplement voir ce quipeut émerger de cette attitude inhabituellepour la plupart des gens (nous sommes pres-que toujours engagés dans des actions ou desdistractions, rarement « attentifs à ne rienfaire »). Tous les maîtres et enseignants nemanquent pas de raconter à leurs disciplesune foule d’histoires à ce propos. Ainsi, cellede cet apprenti qui demandait combien detemps il lui faudrait pour savoir méditer :« Cinq ans », lui répondit son maître de zen.

Méditer, pour une vieplus saine

Christophe Andréest médecinpsychiatre à l’HôpitalSainte-Anne, à Paris.

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« Et si je mets les bouchées doubles, si jemédite sans arrêt ? » « Alors, ce sera dix ans… »Ou encore, dans la tradition chrétienne, ceconseil de Saint-François de Salles : « Unedemi-heure de méditation est essentielle cha-que jour, sauf quand on a une vie très occu-pée. Dans ce cas, une heure est nécessaire. »

Méditer pour se soigner

En réalité, des attentes existent bel et bien,et elles divergent selon les contextes : pourles méditations religieuses, c’est bien sûr unétat d’éveil spirituel ou de lien avec le divin ;pour les méditations philosophiques, c’est unesprit clairvoyant, au-delà du voile des faci-lités et des apparences ; et pour les médita-tions psychothérapiques, c’est un bénéficepour sa santé, physique ou mentale.

Les vertus thérapeutiques de la méditationsont pressenties depuis longtemps : dans les

fondements du bouddhisme, la libération dela souffrance est ainsi un enjeu central. Il estdonc logique que la méditation intéresseaussi le monde de la médecine et de la psy-chologie. Le mot méditer vient d’ailleurs dulatin meditari, fréquentatif de mederi, « don-ner des soins à »...

De très nombreuses études à ce sujet ont étéconduites auprès de populations variées. Chez

• Méditer consiste à prendre du recul, à se plonger dans le calme et le silence, et à prêter attention,sans y réagir, à ses sensations corporelles et ses pensées.

• Cette activité améliore la santé. Elle permet de lutter contre le stress, la dépression, l’anxiété ou des maladies auto-immunes.

• Méditer module l’expression de certains gènes, ce qui confirmeles liens entre le fonctionnement de l’organisme et le psychisme.

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des sujets non malades, les pratiques médita-tives améliorent globalement les variables desanté, tels le niveau de stress, les réactionsimmunitaires, la tension artérielle ou la tolé-rance à la douleur. Chez des personnes souf-frant de diverses pathologies, la méditationaméliore systématiquement et significative-ment la qualité de vie : c’est le cas pour la sclé-rose en plaques, le cancer du sein, les pneu-mopathies obstructives, et de nombreusesdouleurs chroniques. On a aussi constaté unerégression des symptômes dans diversespathologies, telles que l’hypertension artérielle,le psoriasis et les maladies auto-immunes.

La méditation est probablement bénéfiquepar son impact global sur le stress. Cet effet

est loin d’être négligeable, car le stress est glo-balement le « grand aggravateur » de toutesles pathologies. Notamment les pathologieschroniques, douloureuses, ou dans lesquellesl’efficacité des traitements classiques est limi-tée. Chez ces patients, la pratique de la médi-tation apporte de nombreux bénéfices au planpsychologique : elle augmente la fréquencedes ressentis émotionnels positifs, ce qui estremarquable dans la mesure où la méditationne se rattache pas du tout au champ de la psy-chologie positive (on n’y cherche pas à susci-ter directement des émotions positives). Maisla qualité de conscience et d’attention qui yest cultivée a sans doute un effet indirect surla capacité à savourer les moments agréables

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D e nombreuses approches, ayant en commun unedémarche associant un travail sur le corps et une

orientation mentale particulière, peuvent être considé-rées comme appartenant à la grande famille des prati-ques méditatives.

Relaxation : même si la relaxation vise explicitementl’obtention d’un état de détente physique et psychique,ses formes avancées et approfondies (comme le Trainingautogène de Schultz) s’approchent d’états méditatifs.

Yoga : surtout connu pour être centré sur le travailpostural et respiratoire (comme dans le Hatha Yoga),le yoga, d’origine indienne, contient de nombreux élé-ments méditatifs.

Chi-Gong : au-delà de la prati-que de mouvements lents etd’exercices respiratoires, desti-nés à protéger la santé et favo-riser la longévité, cette pratiquechinoise est considérée par lesexperts comme une « méditationen mouvement ».

Méthode Vittoz : cette psychothérapie d’origine suisserepose sur l’attention prêtée aux sensations corporel-les et à la stabilisation de l’attention.

Prière : pour prier,on se met au calme,on ferme les yeuxet on s’abandonne. Rien d’étonnant donc à ce qu’un

renouveau associant prière et méditation existe dans lesgrandes religions,par exemple dans la religion chrétienne.

Méditation bouddhiste : la tradition bouddhiste, àla fois religieuse et philosophique, est sans doute cellequi a poussé au plus haut point de raffinement les pra-tiques méditatives, mais dans des directions multiples.Le Shamatha vise la stabilité attentionnelle et la pacifi-cation émotionnelle, leVipassana la culture d’unevision du monde débar-rassée des illusions ; ilexiste aussi des médita-tions centrées sur la com-passion, l’altruisme, etc.

Méditation transcendantale : elle représente unexemple de technique méditative utilisant un rétrécis-sement du champ de la conscience, focalisée sur un« mantra », suite de syllabes à répéter de manière pro-longée pour accéder à un état d’apaisement et deconscience modifiée. Certaines sectes ont utilisé cetteapproche, très à la mode dans les années 1960, et dontles Beatles furent des adeptes.

Pleine conscience : il s’agit d’exercices d’ouverturede la conscience à l’ensemble des éléments constituantl’expérience de l’instant présent (respiration, sensationscorporelles, sons, émotions, pensées) sans s’accrocherà aucun d’eux.Cette méthode a fait l’objet du plus grandnombre de recherches et de publications scientifiques.

Les pratiques méditatives

Dossier

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du quotidien lorsqu’ils surviennent. D’autrestravaux ont souligné que la méditation aug-mente en général, surtout pour la méditationdite de pleine conscience, les capacités à l’au-tocompassion, qui consiste à manifester de ladouceur envers soi-même. Il est aujourd’huiavéré que cette dimension d’autocompassionest associée à de nombreux bénéfices pour lasanté selon différents mécanismes : meilleureobservance des traitements et des régimes,limitation des comportements autoagressifsou autodestructeurs, etc.

Les mécanismes psychologiques d’actionde la méditation ont été assez finement étu-diés, par exemple dans le cas de la douleur(voir l’encadré page 38). Dans le cadre desmaladies psychiques, le plus important d’en-tre eux réside sans doute dans la diminutiondes cycles de rumination anxieux et dépres-sifs. La rumination est un symptôme fré-quent, où l’esprit est absorbé par des penséesrépétitives et focalisées sur des difficultés :bien que ne débouchant sur aucune solutionconcrète, ces ruminations persistent, soit aupremier plan de la conscience, soit en bruitde fond même si nous essayons de dirigernotre attention vers autre chose.

Comment l’esprit agit sur le corps

La pratique méditative apprend à ne pas sefixer sur ces pensées préoccupantes qui tra-versent l’esprit, mais à tolérer leur présencesans y adhérer. On rappelle souvent à ce pro-pos le proverbe chinois : « Tu ne peux pasempêcher les oiseaux de voler au-dessus deta tête, mais tu peux les empêcher de faire leurnid dans tes cheveux. » De même, s’il nousest impossible d’empêcher pensées ou émo-tions négatives d’apparaître à notre esprit,nous pouvons garder nos distances vis-à-visd’elles. C’est ce que permet la méditation ditede pleine conscience : prendre les penséespour des pensées, non pour des certitudes.L’enjeu est de comprendre qu’il y a une dif-

férence fondamentale entre être préoccupépar un problème, et réfléchir au fait qu’on estpréoccupé par un problème. En ce sens, laméditation ne cherche pas à modifier les pen-sées (comme le fait la psychothérapie cogni-tive), mais à faire évoluer le lien entretenuavec ces pensées, afin de ne pas y adhérer sansréflexion. Comme pour la douleur ou les

On ne peut empêcher la survenue de pensées négatives,mais on peut diminuer notre réactivité vis-à-vis d’elles, et donc leur influence.

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• Baisse des ruminations anxieuses• Amélioration du bien-être subjectif• Amélioration de l’attention• Diminution des cycles dépressifs

• Régulation dela tension artérielle

• Amélioration des fonctions cardiaques

• Douleurs chroniques atténuées

• Diminution de la libérationde cortisol (stress)

• Diminutiondes manifestations cutanées du psoriasis

Méditer, pour une vie plus saine

Divers effetspositifsde la méditation sur le fonctionnement de l’organisme ont été rassemblés surcette figure.

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• Élévation des défenses immunitaires

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émotions négatives, il ne s’agit pas d’en empê-cher l’existence ou la survenue, mais de dimi-nuer notre réactivité, et donc notre dépen-dance, vis-à-vis d’elles.

La réduction du stress par la méditationintéresse les chercheurs, car elle peut aussiêtre étudiée à un niveau biologique assez fin,

dans le cadre notamment de la psycho-neuro-immunologie, qui étudie les connexionsétroites et réciproques entre état psychologi-que et activité des systèmes nerveux etimmunitaires (ce que l’on désignait autre-fois par « médecine psychosomatique »). Ona ainsi montré que quelques semaines de pra-tique méditative régulière suffisent à amélio-rer les réactions immunitaires après uneinjection de vaccin antigrippal, ou à augmen-ter la quantité de lymphocytes T (des cellu-les de défense essentielles) chez les porteursdu virus du sida.

Mais l’impact de la méditation peut allerencore un peu plus loin, en modifiant l’ex-pression des gènes, c’est-à-dire la productionde protéines influant sur le fonctionnementde l’organisme. On sait aujourd’hui que cetteexpression est notablement influencée par denombreux facteurs, notamment par les émo-tions : le stress peut ainsi activer certainsgènes, et les émotions positives les inactiver.Ainsi, Herbert Benson et son équipe, del’Université Harvard, ont comparé 20 person-nes méditant depuis neuf ans en moyenne à20 autres, ne méditant pas, mais présentantle même profil psychologique.

La méditation influe sur l’expression des gènes

Ils ont identifié des différences dans leniveau d’expression de certains de leursgènes : chez les méditants, plus de 2 000 gènesimpliqués notamment dans les mécanismesde la réactivité au stress (inflammation, pro-duction de cortisol, mort cellulaire…) sontinactivés, ce qui n’était pas le cas chez lessujets non méditants. Ces derniers ont alors

été à leur tour entraînés à méditer, et l’équipede Harvard a comparé leur profil d’expres-sion des gènes « avant et après » : ils ontconstaté des modifications de l’expressiongénique comparables, allant dans le sensd’une diminution de l’expression des gènesliés au stress. Quel que soit donc notre capi-

tal génétique, la méditation (à condi-tion tout de même d’être intensive, dumoins d’après cette étude !) limiteraitcertaines prédispositions héréditaires.

Autre modification biologique nota-ble : l’impact de la méditation sur lestélomères, sortes de bouchons protec-teurs qui recouvrent l’extrémité des

chromosomes. Une enzyme, la télomérase,dont la découverte a valu à ElizabethBlackburn le prix Nobel de physiologieen 2009, sert à garantir que la longueur deschromosomes lors de la réplication des chro-

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Méditation, douleur

Dans les démarches dites psycho-édu-catives, on a l’habitude en médecine

d’apprendre aux patients à différencierdouleur et souffrance. La douleur est uneréalité biologique, pouvant être corrigéepar les médicaments antalgiques. La souf-france correspond à l’impact psychologi-que de la douleur.

Dans la méditation de pleine conscience,on encourage les patients à accepter laprésence de la douleur (cela ne peut doncse faire au début qu’avec des douleursmodérées, inutile de faire preuve de stoï-cisme), mais en évitant de laisser leurattention se centrer sur elle. En effet, lemouvement naturel de notre esprit, lors-que nous souffrons, est de nous focali-ser sur ce qui nous fait souffrir : la dou-leur occupe alors seule tout l’espace denotre conscience.Lors de la « digestion »méditative de la souffrance, on s’efforced’ouvrir l’espace de la conscience à d’au-tres phénomènes : prêter attention à larespiration, aux parties du corps qui nesouffrent pas, aux sons ;on s’efforce d’ob-server les pensées que fait naître la souf-france (« Je ne supporterai pas cela long-

« J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. »

Voltaire

Dossier

Bibliographie

Ch. André, Méditerjour après jour,25 leçons de pleineconscience,L’Iconoclaste, 2011.J. Grant et al.,A non-elaborativemental stance and decoupling of executive and pain-related corticespredicts low painsensitivity in Zenmeditators, in Pain,vol. 152, p. 150-156,2011.T. Jacobs et al.,Intensive meditationtraining, immune celltelomerase activity, andpsychologicalmediators, inPsychoneuro-endocrinology,vol. 36(5), pp. 664-681, 2011. B. Hölzel et al.,How does mindfulnessmeditation work ?Proposing mechanismsof action from aconceptual and neuralperspective, in Perspectives onPsychological Science,vol. 6(6), pp. 537-559, 2011.

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mosomes soit conservée. Mais elle ne suffitpas à empêcher que la longueur des télomè-res ne diminue petit à petit au fil des divisionscellulaires. Par ailleurs, les télomères sont sen-sibles au stress, qui les endommage.

Une très importante étude, conduite sousle nom de Projet Shamatha par l’équipe duneuroscientifique américain Clifford Saron,de l’Université de Californie, a montré quela méditation stimule l’activité de la télomé-rase, ce qui freine le vieillissement cellulaire.Pour cette étude, 60 personnes pratiquantdéjà la méditation ont été recrutées. Trented’entre elles, tirées au sort, acceptèrent de seretirer en retraite dans les montagnes duColorado pendant trois mois, durant lesquelselles pratiquèrent environ six heures deméditation par jour. Les 30 autres furent pla-cées en liste d’attente avant d’intégrer le cen-tre de retraite, et servirent ainsi de compa-

raison. Des résultats nets furent obtenus surdifférents tests psychologiques (augmenta-tion du sentiment de contrôle, du sens donnéà sa vie, diminution des émotions négatives,accroissement des capacités de recul, etc.),mais aussi sur l’augmentation de l’activité dela télomérase. Cette hausse d’activité étaitmême proportionnelle à l’amélioration desvariables psychologiques, dont elle sembleêtre un marqueur.

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et souffrance

temps... ») avec le plus de recul possible, etc.Plutôt que de chasser la souffrance de notreesprit, l’idée est de la « diluer » dans uncontenant plus vaste, fait de l’ensemble de ceque nous ressentons, et pas seulement celuides ressentis douloureux. Inutile de préciserque cela requiert un certain entraînement…

Quand cet entraînement est régulier, leseffets deviennent mesurables, tant sur ladiminution subjective des sensations dou-loureuses, que sur leurs fondements céré-braux. De nombreuses études de neuro-imagerie ont attesté des changementsentraînés par les pratiques méditatives.

Ces changements peuvent être anatomi-ques, tel l’épaississement de l’insula, la régiondu cortex qui permet de décoder l’état denos viscères associé aux expériences émo-tionnelles. Mais ils peuvent aussi être fonc-tionnels, avec des mécanismes d’actionvariés : plusieurs études ont montré que lamoindre réactivité à la douleur résulte dedeux mécanismes différents selon que l’onconsidère des pratiquants débutants ouconfirmés. Chez les débutants, il s’agit d’uncontrôle de type top down,ou de haut en bas,c’est-à-dire partant du cortex préfrontal – la

structure cérébrale hiérarchiquement la plusélevée – pour limiter l’activité de l’amygdalecérébrale – appartenant au cerveau limbi-que, ou émotionnel. Schématiquement, celacorrespond à « se calmer » par des straté-gies verbales d’autocontrôle et de relativisa-tion des douleurs ressenties.

En revanche, les méditants plus expéri-mentés bénéficient eux d’un contrôle detype bottom up, de bas en haut : leur cerveau« traite » les informations douloureuses àla source, au niveau de l’amygdale et desstructures voisines, sans avoir besoin de stra-tégies verbales. C’est comme si la médita-tion avait amélioré la tolérance spontanéeà la douleur, évitant à cette dernière de setransformer en souffrance mentale.

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Méditer, pour une vie plus saine

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Toutefois, les chercheurs restent prudents :si l’effet de la méditation sur la télomérase,et donc sur le vieillissement cellulaire, sem-ble attesté, quels en sont les mécanismesexacts ? Sont-ils propres à la méditation ? Ousont-ils consécutifs au mieux-être apporté enl’occurrence par la méditation ? Dans pareilcas, tout ce qui améliore notre bien-être sub-jectif, sport, amour, plaisirs variés, peut-ilaccroître l’activité de la télomérase ? Si laméditation est bonne pour tout un chacunparce qu’elle améliore le bien-être émotion-nel et favorise des émotions positives, alorsd’autres démarches de psychologie positivedevraient agir aussi sur la télomérase. Debeaux sujets d’étude en perspective… Quoiqu’il en soit, toutes ces données confirment

que les approches méditatives – écologiques,gratuites, et finalement assez simples – peu-vent avoir un impact majeur sur la santé etle vieillissement. Tout comme l’activité phy-sique ou une alimentation équilibrée.

Mais tout comme ces dernières, elles nepeuvent se montrer efficaces que dans le cadrede pratiques durables et régulières : c’est-à-dire qu’elles doivent être intégrées dans unstyle de vie permanent. C’est là que le bâtblesse, car ce style de vie est en effet assez éloi-gné de ce vers quoi nous pousse notre société,qui nous incite au contraire à la vitesse, faci-lite la sédentarité et expose à des régimes ali-mentaires déséquilibrés. L’air de rien, la médi-tation est une sorte de révolution ! Au moinsde nos styles de vie. �

Mécanismes

Régulation de l’attention, stabilisée par le focusmis sur sa respiration, un son, un objet, etc.

Détente, apaisement émotionnel,accroissement de la concentration.

Cortex cingulaireantérieur

Conscience du corps, dont on observe le fonctionnement sans chercher à le modifier(en position assise droite, mains sur les cuisses).

Dépistage plus précoce des modifications de l’état émotionneld’après ses manifestations corporelles.

Insula, jonctiontemporo-pariétale

Régulation émotionnelle, qui consiste à accepter la présence de toutes les émotions, même douloureuses,et à en observer l’évolution sans les alimenter ni les refouler.

Tolérance accrue aux émotions négatives, diminution des sentimentsde détresse et des ruminations ;développement des capacités à apprécier les émotions agréables.

Cortex préfrontalventro-médian et dorsal, hippocampe,amygdale

Modification du rapport à soi.On cherche à se libérer de ses réactions habituelles.

Capacités accrues de détachementet de recul par rapport à ses penséeset jugements automatiques.

Cortex cingulairepostérieur, insula

Cortex cingulaire antérieur

Insula

Jonction temporo-pariétale

Cortex cingulaire postérieur

Cortex préfrontal ventro-médian

Cortex préfrontal dorsal

Hippocampe

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Bénéfices Localisations cérébrales

Méditation et corrélats neurologiques

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Méditer peut prendre des formes simples que les enfantsapprécient et peuvent pratiquer seuls après une phased’initiation. Avec des bénéfices multiples.

Dossier

La méditation de pleine conscience,progressivement, s’installe commeune technique efficace pour vivremieux, s’apaiser et se reconnecterà soi-même. Elle commence aussi

à s’inviter dans le domaine de la santé pourréduire l’anxiété, sortir des états dépressifs,stimuler le système immunitaire, favoriserla guérison...

Elle propose de prendre conscience, par desexercices, de tout ce qui constitue notre expé-rience de l’instant présent. Conscience dessons, de la respiration, des sensations corpo-relles, des odeurs… Conscience aussi du fluxdes pensées qui se succèdent, sans chercher àse focaliser sur elles. Cette méthode fait l’ob-jet d’un très grand nombre d’évaluations etrecherches scientifiques à travers le monde.Refaçonnée par les Américains qui l’ont for-malisée sous forme de protocoles rigoureux(MBSR – Mindfulness Based Stress Reduction,ou Réduction du stress fondée sur la pleineconscience – ou MBCT – Mindfulness BasedCognitive Therapy, Thérapie cognitive fondéesur la pleine conscience), peut-elle avoir sa

place dans l’univers de l’enfance, voire del’adolescence ? Si oui, quels bénéfices en atten-dre et quel type de pratique recommander ?

Enfants méditants

Un jeune enfant qui joue, assis par terre,grattant la terre, absorbé par ses sensations,est totalement dans l’instant présent. Ils’adonne sans le savoir à une forme de médi-tation spontanée où tout le corps et l’espritsont focalisés sur ce qui est en train de sevivre. Aucune rumination mentale, aucuneinquiétude pour le futur, aucune nostalgie dece qui appartient au passé... Telle est l’atti-tude méditative : accueillir pleinement ce quiest, sans rien chercher à changer.

Pourtant, la vie va très vite plonger l’enfantdans une accélération du temps où les stimu-lations extérieures, la pression de la réussite,les enjeux de la performance, vont l’entraî-ner dans un tourbillon qui va créer une mul-titude de tensions et de stress.

L’enfant est particulièrement perméableaux stimulus externes. Le stress environnant

Quand la méditationvient aux enfants…

Jeanne Siaud-Facchinest psychologue

clinicienne,fondatrice des

centres Cogito’Z,centres français

de diagnostic et de prise en charge

des troubles des apprentissages

scolaires.

• La méditation de pleineconscience est une pratique faited’exercices consistant à préciser,en silence et dans l’inaction,sa conscience de différentes perceptions, sensations, ou pensées.

• Conseillée aux adultes, mais aussià certains enfants, elle améliore les capacités d’attention, réduit le stress et l’impulsivité,et renforce le sentiment de liberté de choix.

• Certains systèmes éducatifs à l’étranger intègrent cette formation dans la scolarité,et permettent aux enfants de retrouver le contrôle de leur attention et de leurs émotions.

En Bref

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le touche, avec des conséquences insidieuses.Dès l’entrée à l’école, il est fréquent de ren-contrer de jeunes élèves qui, déjà, souffrentd’une agitation psychique à l’origine d’uncomportement turbulent, vite réprimandépar l’école. Les enfants d’aujourd’hui, soumisà de nombreuses sollicitations, ont de plus enplus de mal à se poser tranquillement, s’as-seoir, écouter, se concentrer… Le multitâcheest devenu leur mode de vie et de pensée avectous ses effets indésirables.

L’esprit « pollué » par trop de stimulations

Notre époque est celle du zapping. Tout vavite. Très vite. Trop vite. Une chose presqueinstantanément en chasse une autre. La télé-vision aux centaines de programmes simul-tanés, les jeux vidéo où l’action exige unerapidité extrême, Internet avec sa toile infi-nie et ses fenêtres sur le monde ouvertessimultanément, les réseaux sociaux qui obli-gent à une réactivité immédiate, les télépho-nes mobiles qui nous connectent les uns auxautres dans un va-et-vient ininterrompu…

Nos enfants sont les premiers exposés et, s’ilne s’agit pas de blâmer cette époque « d’hy-perconnexion », il est essentiel de compren-dre que cette pratique du « multitâche »constant auquel nous sommes tous soumisfinit par nous épuiser mentalement et physi-quement. Ainsi, le stress devient pour nosenfants un malheureux compagnon de route,entravant leur parcours personnel et scolaire,affectant la confiance et l’estime de soi, per-turbant les apprentissages scolaires, et enta-mant parfois leur plaisir de vivre.

Sans compter le stress des parents, en par-ticulier autour des inquiétudes pour l’ave-nir de leurs enfants, auxquels ils sont soumisconstamment. Dans ce contexte d’accéléra-tion et de pression constante, l’attention et laconcentration sont altérées. Les troubles del’attention constituent aujourd’hui l’un despremiers motifs de consultation en psycho-logie de l’enfant et de l’adolescent. Ce trou-ble, qui touche près de cinq pour cent desenfants scolarisés, a des répercussions impor-tantes à la fois sur leurs apprentissages et surtoute leur vie sociale. La préoccupationautour de la concentration est centrale aussi

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Dossier

1. Observerattentivementune grenouille,une fourmi, une gouttede rosée : l’enfantadopte spontanément la bonne attitude pour être dans l’instant présent,et se rapproche sans le savoir de ce quel’on nomme les états méditatifs.

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bien du côté des enseignants que des parents.C’est devenu un enjeu de santé publique quimobilise de nombreux travaux de recherche.

Les apports de la méditation de pleineconscience, bien validés pour les adultes,commencent à faire l’objet de récentes recher-ches pour en évaluer les bénéfices auprès desenfants et des adolescents. Deux études ontété réalisées par Randye Semple, à l’Universitéde Californie à San Diego, et Laura Visu-Petra, de l’Université de Cluj-Napoca enRoumanie, auprès d’enfants scolarisés (âgésde 7 à 9 ans, et de 9 à 13 ans). Ces psycholo-gues ont examiné les effets de la méditationde pleine conscience sur les performances desfonctions exécutives et celles du cortex pré-frontal régissant l’attention, la concentration,la mémorisation, la planification ou encorela métacognition (capacité de contrôler sonraisonnement). Il en ressort que cette prati-que améliore le contrôle exécutif, la méta-cognition et l’impulsivité.

La pratique dans les établissements scolaires

On observe aussi un effet sur la flexibilitécognitive, fonction essentielle permettantd’adapter rapidement un nouveau raisonne-ment et de mobiliser des ressources nouvel-les. Un autre travail récent de L. Visu-Petraindique qu’après une séance hebdomadairependant cinq semaines, les capacités decontrôle cognitif augmentent dans 64 pourcent des cas. Or il existe un lien fort entrecapacités de contrôle cognitif et réussite sco-laire. Ces études, ainsi qu’une autre réaliséeauprès d’une cohorte importante de jeunesadolescents (173 garçons âgés de 14 et15 ans), valident que la pratique de la médi-tation de pleine conscience améliore le sen-timent de bien-être, qu’elle réduit le stress res-senti, et que ses effets dépassent le cadre del’école pour déteindre sur tous les secteurs dela vie de l’enfant, y compris ses relations avecautrui et sa confiance en lui.

Aux Pays-Bas, depuis quelques années, lapsychologue Eline Smet promeut une méthodede méditation de pleine conscience adaptéeaux enfants ; la méthode a été recomman-dée par le ministère de l’Éducation qui adécidé de former l’ensemble des enseignantsà cette pratique.

De notre côté, nous avons introduit cinq ate-liers de pleine conscience dans un établissementscolaire à Marseille, auprès de 18 jeunes collé-giens de classe de sixième, âgés de 10 à 12 ans.

Les troubles de l’attention constituent aujourd’hui l’un des premiers motifs de consultation en psychologie de l’enfant et de l’adolescent.

Quand la méditation vient aux enfants…

L’exercice de la petite fourmi

Dans la pratique formelle des protocoles de MBSR (MindfulnessBased Stress Reduction,Réduction du stress fondée sur la pleine

conscience) ou MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy,Thérapiecognitive fondée sur la pleine conscience), le balayage corporelde la tête au pied, qui consiste à focaliser son attention successi-vement sur chaque partie du corps, est un exercice central. Pourles enfants, il peut paraître fastidieux et l’exercice de la petitefourmi que j’ai imaginé et testé sur de nombreux enfants offreune alternative intéressante. Le principe en est simple : l’enfant

est allongé les yeux fermés.Vouscommencez alors à lui raconterla promenade de la petitefourmi qui, partie de son grosorteil droit, en passant par cha-que parcelle du corps, remonteprogressivement jusqu’au som-met du crâne.Vous décrivez endétail l’ascension de cette petitefourmi qui chatouille entre lesorteils, se faufile entre les poilsdes jambes, entend un vacarmesouterrain important lorsqu’elle

passe au-dessus du cœur, glisse sur le menton, se fait surprendrepar le souffle sorti des narines, etc. Ces descriptions attirent l’at-tention de l’enfant sur ses sensations corporelles et maintiennentcette attention tout au long de l’exercice. Laissez libre cours àvotre créativité pour imaginer toutes les aventures sensoriellesde cette fourmi se promenant sur le corps de votre enfant, etvous serez, vous aussi, saisi par la pleine conscience !

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L’atelier se déroule durant une heure et l’onpropose aux enfants plusieurs petits exerci-ces de méditation pour les initier à cette sen-sation nouvelle d’être posés, attentifs, pré-sents, conscients d’être là les uns avec lesautres, calmes, apaisés. Nous proposons, parexemple, l’« exercice du silence» : les enfantsreçoivent la consigne de fermer les yeux et« d’écouter ensemble le silence », puis de par-tager ce qu’ils ont vécu. Dans l’exercice de« l’algue », nous simulons une algue au fondde l’océan, d’abord agitée par les flots puisqui, petit à petit, ralentit son mouvementpour onduler imperceptiblement au gré dumouvement apaisé des vagues.

Dans un autre exercice, tous les enfants, lesyeux fermés, se donnent la main pour se sen-tir reliés les uns aux autres. Ou encore, ondemande à chaque enfant, tranquillement assissur sa chaise, de se connecter en pensant à une« image ressource », un lieu imaginaire ou réelqui lui inspire la tranquillité. Après ce dernier

exercice, Jules s’étonne : « J’étais allongé surun nuage. Très moelleux. Tranquille. J’étais tel-lement bien. Je sentais dans mon corps commeune douceur. Tout était calme à l’intérieur demoi. Je ne sentais presque plus mon corps etc’est comme si je me voyais au loin. »

Jules est un enfant particulièrement anxieux,et nous l’avons encouragé, à la suite de cetatelier, à s’entraîner régulièrement à l’exer-cice pour retrouver cet état de tranquillité.Nous avons revu Jules deux mois plus tard,et cette fois-ci, c’est sa maman qui témoigne :« Jules dort beaucoup mieux ; en classe, lesprofesseurs se plaignent moins de son agita-tion et ses résultats scolaires se sont amélio-rés. Parfois je lui rappelle de faire son exer-cice du « nuage » avant de se coucher. Mais ille fait volontiers car il en a vraiment senticoncrètement les effets. »

Introduire la méditation à l’école, celasignifie aussi d’offrir aux enseignants la pos-sibilité de s’approprier une méthode simpleet efficace à pratiquer régulièrement avec leursélèves. Dans notre expérience, les professeursont continué à proposer régulièrement desexercices de pleine conscience à leurs élèves,avant un cours ou un contrôle, ou encoreaprès une récréation agitée. Ils témoignenttous des bénéfices ressentis pour leurs élèves(apaisement, qualité de présence et d’atten-tion)... et pour eux-mêmes ! De plus, dansnotre expérience, tous les enfants ont mani-festé un réel plaisir à pratiquer ces exercices,ce que confirme également une récente expé-rimentation américaine : 69 pour cent desadolescents âgés de 14 à 15 ans soumis à unprogramme de pleine conscience ont dit qu’ilsavaient apprécié cette pratique et qu’ils conti-nueraient, pour 74 d’entre eux.

Mathématiques, françaiset méditation

Une des clefs de la méditation de pleineconscience reste l’apprentissage. Cette nou-velle attitude n’est pas spontanée et demandeun entraînement. Les études et expériences cli-niques montrent qu’il ne s’agit pas nécessai-rement pour les enfants de suivre un proto-cole formel de tant d’heures hebdomadairespendant tant de semaines. Des ateliers d’en-viron une heure, adaptés à l’âge et au rythmedes enfants, sont davantage conseillés. Unminimum de quatre à cinq séances reste

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2. La télévision,les jeux vidéo,les tablettesnumériques,les téléphonesportables et leursinévitables SMS, sontautant de stimulationspermanentes quiempêchent les enfantsde se concentrer et de profiter de l’instant présent.

Dossier

Les enseignants témoignent tous des bénéfices pour les élèvesde la pratique de la méditationà l’école : apaisement, attention,concentration.

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cependant indispensable pour bien connaîtreles exercices et pouvoir les reproduire seul.

Par la suite, des séances de rappel renfor-cent les effets et l’automatisation de la pleineconscience au quotidien. Car le principalobjectif de l’entraînement est de pouvoir àchaque instant utiliser la pleine conscience,pour répondre aux situations de stress, seconcentrer, vivre pleinement le moment pré-sent. Pour les grands adolescents (à partir de15 à 16 ans), l’apprentissage peut être simi-laire à celui proposé aux adultes, avec un pro-tocole en six à huit séances. Cependant, pourles amener à la méditation, les adolescents ontbesoin d’en comprendre les fondements et lesmécanismes. Leur adhésion à cette pratique,qu’ils peuvent avoir tendance à tourner endérision, passe par les explications des méca-nismes cérébraux à l’œuvre.

Mieux maîtriser son cerveau

Notre cerveau, qui prend, chaque jour, plusde 6 000 décisions selon certaines estimations,travaille en dehors du champ de la consciencela plupart du temps. Et tant mieux pour cer-taines de nos actions qui doivent être auto-matisées pour ne pas surcharger inutilementnos compétences cognitives, lesquellesseraient alors bien en mal de gérer toutes lestâches. Pourtant, les automatismes de la pen-sée peuvent aussi être des pièges. Nous réa-gissons de façon spontanée et inconscientedans de nombreuses situations, et ce pilotageautomatique nous conduit parfois à des atti-tudes, des émotions, des décisions qui nouséloignent de nos souhaits profonds.

Nous ne choisissons plus ce qui nousconvient vraiment, nous sommes l’objet d’uneprogrammation parfois ancienne et bienancrée de notre cerveau. La méditation depleine conscience permet de retrouver, en nous,la possibilité de choisir, de décider. Un nouvelespace est créé, qui nous appartient, en propre.Sur un plan fonctionnel et neurophysiologi-que, c’est du côté de la plasticité cérébrale quenous pouvons localiser le mécanisme.

Les découvertes récentes montrent quenous produisons de nouveaux neuronesjusqu’à notre mort. Pourtant, ces cellules res-teront souvent inemployées et se résorberont.Par ailleurs, nous savons qu’à la naissance,nous disposons de milliards de neurones et

que, par apprentissage, un certain réseau neu-ronal fonctionnel se construit, qui n’utilisequ’une partie de cette réserve initialement dis-ponible. Et, contrairement à ce qui a long-temps été admis, l’architecture cérébrale ne sefige pas à l’adolescence, mais peut se modifierà tout âge. Créer de nouvelles synapses, éta-blir de nouvelles connexions neuronales, des-siner de nouveaux circuits, reste possible àchaque instant.

Apprendre à méditer participe à ce réamé-nagement cérébral. Sous deux aspects : toutd’abord, de nouveaux neurones sont intégrésau réseau neuronal, ce qui a pour consé-quence de développer nos compétences céré-brales. Ensuite, la méditation permet de tra-cer de nouvelles voies, des « chemins detraverse » qui nous permettent de sortir desornières mentales habituelles et nous invitentà retrouver la liberté de choisir de nouveauxchemins ! Au sens propre, comme au sensfiguré ! Les adolescents comprennent bien cediscours et sont séduits par l’idée de repren-dre le pouvoir sur leur cerveau. La perspec-tive de développer de nouvelles ressources, dese sentir plus libre, de ne pas se réduire à des

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Quand la méditation vient aux enfants…

Exercices pour adolescents

Voilà un exercice à proposer à un adolescent stressé par unexamen, en lui expliquant au préalable pourquoi cela fonc-

tionne : se concentrer sur ses sensations réduit la productionde cortisol (hormone du stress) et libère la mémoire de travail,mémoire à court terme indispensable pour l’activité intellectuelleet la concentration.Proposez-lui d’imaginer qu’il dessine son stresssur une feuille, qu’il la replie en quatre ou la froisse et la posesur le bureau. Se détacher de son stress, crée, symboliquement,un espace intérieur dégagé. Le stress est là, mais extériorisé etnon plus internalisé. Il doit ensuite poser les mainssur le rebord du bureau, pieds à plat sur le sol,parallèles, si possible le dos droit sur la chaise.Il serre le bord du bureau très fort en seconcentrant sur les sensations des doigtsqui se crispent, presque jusqu’à unetension douloureuse. Il doit resterainsi quelques instants. Puis relâ-cher d’un seul coup. Il percevrades sensations nouvelles dans sesmains ouvertes. Il peut ensuiterespirer profondément et seconcentrer sur son travail.

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êtres programmés, correspond au besoin decet âge de devenir soi-même.

Éduquer ses enfants en pleine conscience

De surcroît, la méditation entraîne uneréduction de la production de cortisol, l’hor-mone du stress. Car si le stress est bénéfiquequand il s’agit de réagir vite pour se protégercontre certains dangers par la fuite, l’évite-ment ou l’attaque, il devient nocif s’il duretrop longtemps. Quand la situation stressantese prolonge, se renouvelle souvent, ou quandnous pensons ne pas parvenir à la surmon-ter, alors le cortisol est sécrété en excès etinonde le cerveau.

Le stress paralyse et inhibe toute possibi-lité de réfléchir et d’agir. En cas d’examen sco-laire, par exemple, cela se traduit par l’inca-pacité de se concentrer, de retrouver le savoiracquis, de mobiliser des compétences. Lestress sature la mémoire de travail, la mémoireà court terme indispensable pour mémoriser,réaménager les connaissances, restituer, orga-niser, planifier. Ce lien entre stress et mobili-sation intellectuelle, expliqué aux adolescents,leur ouvre la possibilité de réagir différem-ment. Ils en comprennent les rouages etacceptent plus facilement de s’entraîner à destechniques leur permettant de s’apaiser.L’avantage est la rapidité avec laquelle ils peu-vent en mesurer les bénéfices. Ne serait-ce quepar la respiration : une seule respiration amplepermet de faire chuter de 90 pour cent laconcentration de noradrénaline.

Sensibiliser les parents à la pleine conscienceoffre aux enfants la possibilité de rester aumaximum centrés sur les sensations de l’ins-tant. Il s’agit de proposer aux enfants régu-lièrement des « pauses sensorielles » : obser-ver attentivement une petite fourmi charriantune miette sur son dos et suivre sa trajectoire,sans discontinuer, par plaisir et curiosité ;jouer avec les gouttelettes d’eau qui dégou-

linent derrière la vitre un jour de pluie ;observer les multiples reflets de l’eau quibrille ; s’asseoir un instant, en pleine nature,et regarder l’herbe qui ondoie sous la briseou les petits nuages dans le ciel, et se sentirbien ensemble, à ce moment-là.

Mais aussi dans la rue, s’arrêter quelquessecondes, ressentir, regarder, ou à table, obser-ver les couleurs dans l’assiette, manger engoûtant vraiment les aliments et s’amuser desdifférences de textures, de saveurs… Tous cespetits moments de bonheur, à notre portée,et que nos vies surchargées nous font oublier,alimentent nos enfants en sensations, qui leurdonnent la possibilité de rester présents à eux-mêmes et capables d’apprécier pleinementces instants qui construisent la vie.

Apprécier les « moments de rien »

Pour les parents, ces moments partagésseront autant de pauses, autant de possibili-tés nouvelles d’être vraiment avec leursenfants plutôt que d’être toujours en traind’agir ou de les pousser à agir. Souhaitant lesrendre performants, nous les soumettons par-fois à un grand nombre d’activités diverses,convaincus que c’est pour leur bien et pourles préparer au mieux à l’avenir. Cultiver des« moments de rien » avec ses enfants ne leurfait pas perdre du temps, ne risque pas de lespriver ou de « gâcher » du temps, mais aucontraire, leur donne cette possibilité qui leurrestera utile pour leur vie entière : savoir êtreconnectés à ce qu’ils vivent, à l’instant pré-sent, ressentir chaque moment vécu danstoute son intensité, retrouver facilement unespace de calme et de sécurité intérieure,récupérer rapidement des ressources et descapacités de concentration.

Être un parent pleinement conscientchange les perspectives d’éducation, une édu-cation à la portée de chacun et pour le bien-fait de tous, petits et grands. �

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Le cortisol, l’hormone du stress, inonde le cerveau, ce qui sature la mémoire de travail indispensableà un fonctionnement optimal des capacités cognitives.

Bibliographie

J. Siaud-Fachin,Comment la méditation a changé ma vie… et pourrait bienchanger la vôtre !, Odile Jacob, 2012E. Snel, Calme et attentif comme une grenouille,Les Arènes, 2012.L. Visu-Petra et al.,Cognitive control goes to school, in Procedia-Social and BehaviorSciences, vol. 11,pp. 240-244, 2011.F. Huppert et al.,A controlled trial of mindfulness trainingin schools : theimportance of practicefor an impact on well-being, in The Journal ofPositive Psychology,vol. 5(4), 2010.

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Sur le web

www.meditez.com

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